40
Editeur responsable : Patrick Colpé Journal réalisé par l’équipe de l’Action culturelle du Centre culturel régional/ Théâtre de Namur avec la participation des membres du groupe d’Action régionale. Espèces d’amateurs NUMéRO #3 Une publication semestrielle du Centre culturel régional/ Théâtre de Namur

Avis à la population # 3

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Espèce d'amateurs... un regard en éventail sur les multiples réalités, expériences et questions que posent cette appellation que ce troisième numéro d’Avis à la Population vous propose.

Citation preview

Page 1: Avis à la population # 3

Editeur responsable : Patrick Colpé

Journal réalisé par l’équipe de l’Action culturelle du Centre culturel régional/Théâtre de Namur avec la participation des membres du groupe d’Action régionale.

Espèces d’amateurs

Numéro #3

Une publication semestrielle du Centre culturel régional/Théâtre de Namur

Page 2: Avis à la population # 3

EspècEs d’amatEurs…

C’est un regard en éventail sur les multiples réalités, expériences et questions

que posent cette appellation que ce troisième numéro d’Avis à la Population

vous propose. Le décret sur les Centres d’expression et de créativité et les

pratiques artistiques en amateur distingue deux aspects : d’une part des

ateliers et projets menés par des artistes professionnels et axés sur le déve-

loppement de la créativité et d’autre part des fédérations de pratiques

artistiques en amateur axées sur l’apprentissage technique et la dynamique

sociale.

Ce numéro témoigne de ces multiples facettes : des fanfares engagées dans

une rencontre artistique avec un musicien pop/jazz, l’expérience exception-

nelle d’un comédien - facteur, des écoles de musique, des portraits d’artistes

amateurs, des textes autour de l’art brut, un article sur la collection RTBF, des

expériences d’ateliers ou de projets socioartistiques, des questionnements

enfin sur la différence entre amateurs et professionnels….

Ces articles révèlent l’importance particulière que prennent aujourd’hui les

enjeux de la créativité et des pratiques artistiques pour tous. En effet, ce qui

vient éclairer d’un jour nouveau cette question, c’est l’enjeu économique que

représente le capital culturel et le formidable développement des nouvelles

technologies qui incitent chacun à devenir créatif.

Finalement, en soutenant les pratiques artistiques en amateur, est-ce que les

politiques culturelles ne font que répondre aux enjeux du marché ou est-ce

que soutenir la créativité c’est aussi construire avec les populations des

moyens d’expression symbolique qui permettent de résister et de déployer

les imaginaires au-delà d’une culture préfabriquée à un niveau mondial ?

Le débat est réel mais il ne se résout sans doute pas dans une seule exclusive.

Un coup d’œil sur le net dévoile la diversité de ce qui peut être produit au

départ de la même technologie, un prêt-à-penser formaté et des résistances

créatives et esthétiques étonnantes !

Par Patrick Colpé, Directeur général et Marylène Toussaint, Directrice de l’Action culturelle

© JEaN-FraNçois FlamEy

Page 3: Avis à la population # 3
Page 4: Avis à la population # 3

aVis à la populatioNBillEt dE mauVaisE HumEur

Je suis d’une époque où le mot “ professionnel ”

dans le champ de l’art a commencé à prendre de

la place ; être artiste, c’était être un “ professionnel ”.

Au début, lorsque les premiers collègues parmi nous

se comportaient comme des professionnels, nous

étions mort de rire ; l’ambition de ceux qui habitaient

notre petit panthéon ne nous paraissait pas cadrer

avec le mot. La radicalité, l’investissement, l’inten-

sité, les destins de ceux qui nous avaient inspirés ne

nous paraissaient pas entrer dans le mot amidonné

de “ professionnel ” ; pour nous, il s’agissait plutôt

d’aventuriers, de chercheurs, de pionniers, d’éclai-

reurs, d’artistes.

Et puis, c’est l’usage du mot qui a gagné, nous

sommes devenus des “ professionnels ”.

Indépendamment de tout ce qu’il fallait apprendre,

de la longue période d’initiation qui prévaut au

métier d’artiste, il fallait apprendre le métier de

professionnel. Cela voulait dire que, petit à petit,

il fallait intégrer les règles, les comportements, le

langage, le rythme, la tendance.

Il y avait la profession et la profession de foi. Être

artiste sans se soucier des contingences profes-

sionnelles, c’était, pas à pas, se voir reléguer à la

marge et la marge n’était plus un lieu suffisamment

fréquentable, elle devenait un no man’s land de

looser.

Indépendamment de son œuvre, un artiste doit

intégrer les critères de sa profession et ces critères

sont imposés par un système.

Pour le mot “amateur”, j’ai l’impression que nous

nous dirigeons vers la même chose. Tout le monde

vous le dira la bouche en cœur, “amateur” étymo-

logiquement : “celui qui aime”. Il ne fait pas ça pour

l’argent, simplement par amour. Quelle différence y

a-t-il entre une œuvre d’amateur et une œuvre de

professionnel ? Aucune, à part celle que vous instal-

lerez à partir de votre propre subjectivité. Qui peut,

dans nos sociétés contemporaines, face à vous, au

sentiment qui se dégage de vous face à une œuvre,

dire que votre sentiment est faux, vulgaire, “ peu

professionnel ” ? Ces critères, ces affirmations sont

d’une autre époque.

Ce qui me paraît être un critère d’évaluation, c’est

la nécessité intime et impérieuse avec laquelle

quelqu’un a produit une œuvre et la subtilité du

lien que cette œuvre entretient avec un amateur

de celle-ci. Et ces rôles peuvent d’ailleurs être

interchangeables.

Ce qui peut-être n’est pas de l’art – et cela tout aussi

bien dans le champ professionnel qu’amateur – c’est

ce qui obéit à une convention qui ne nous ressemble

pas et qui entraîne que l’on désobéisse à nos intui-

tions, nos sensations les plus inavouables, les plus

antisociales. J’ai l’impression que nous faisons de

l’art parce que nous voulons une autre société.

Evoquons-la dans notre travail, quelle que soit la

forme que cela prend et l’étiquette qu’on y collera.

Werner Moron, artiste

Je connais pas mal de professionnels qui sont des travailleurs pauvres et des amateurs qui vivent confortablement en vendant le fruit de leur travail artistique pour arrondir leurs fins de mois. Si nous ne faisons pas attention, les mots “ amateur ”, “ médiation ”, “ action culturelle ”, etc. peuvent à la manière du mot “ professionnel ”, venir ajouter au défraîchissement, à l’envie de tout ranger, de tout comprendre a priori, d’avoir réponse à tout.

amatEurs proFEssioNNEls

Page 5: Avis à la population # 3

© o

liV

iEr

ca

lic

is

éditioN #3

Page 6: Avis à la population # 3

aVis à la populatioN

Un projet collectif de la Fédération Musicale Royale de la Province de Namur, l’asbl Un Kiosque à Namur, le Festival des Arts Forains et le Centre culturel régional / Théâtre de Namur.

la marcHE dEs souFFlEurs ou l’éNErgiE VitalE dEs musiciENs amatEurs !

* asbl

Un Kiosque à

Namur asbl :

unkiosqueanamur.

jimbo.com

Le contexte et la genèse du projetPar Marylène Toussaint – Directrice de l’Action culturelle au CCR/Théâtre de Namur

Depuis de longs mois, avec l’artiste Werner Moron,

nous cogitions sur la mise en œuvre d’un projet

socioartistique : Les Voisins sont des Indiens. Après

les expériences de De quoi voulez-vous vous débar-

rasser ? et l’Oie du silence, nous savions que nous

devions aller plus loin et inventer un projet fédéra-

teur qui mobilise les habitants. Dans les prémices

des Voisins sont des Indiens, nous avons multiplié

les rencontres et les contacts. Et des rencontres

naissent des expériences inoubliables…

Lors d’une réunion de l’asbl Un Kiosque à Namur*,

dont le projet est de défendre, comme son nom l’in-

dique, l’installation d’un kiosque à Namur comme

enjeu de convivialité et de rencontres artistiques

multiples, j’ai rencontré Pierre Ernoux, le Président

de la Fédération des Fanfares et Harmonies de la

Province de Namur. La réunion portait sur la mise

sur pied d’un projet dans le cadre de l’édition de

2012 du Festival des Arts Forains/ Namur en Mai.

C’est là qu’a surgi l’idée de créer une véritable

rencontre improbable entre des fanfares et un

musicien et compositeur de musique actuelle : La

Marche des Souffleurs.

Le projet final comportait trois volets : le Bain des

Fanfares animé par Philippe Noël et la fanfare

Sainte-Cécile de Florennes (une initiation en live aux

instruments de musique pour les enfants) ; les pres-

tations du Bagad de Plougastel et des cinq fanfares

en différents lieux du festival et le final de La Marche

des Souffleurs place d’Armes. Quatre partenaires

ont décidé de porter le projet : l’asbl Un Kiosque à

Namur, le Festival des Arts Forains, la Fédération

Musicale Royale de la Province de Namur et le

Centre culturel régional / Théâtre de Namur.

Les liens avec le projet Les Voisins sont des Indiens

se sont faits naturellement puisque ces rencontrent

improbables constituent le cœur même du projet.

Werner Moron collabore régulièrement avec Manu

Louis, alias “ Louis Louis ”, au sein du collectif les

Paracommand’art. C’est donc Manu Louis que

nous avons choisi comme musicien et composi-

teur. Manu Louis et Werner Moron ont travaillé

ensemble sur la mise en forme du final. Werner

Moron et les Paracommand’art ont réalisé un film

qui est actuellement en production.

La création et le final

Le 19 mai 2012, au cœur du Festival Namur en Mai

sur une place d’Armes noire de monde, 200 musi-

ciens de toutes générations issus de cinq fanfares

et Louis Louis ont interprété trois extraits de la

Suite pour Fanfares en plein air, Julien Gilbert et les

Soufflets dont l’hymne des Voisins sont des Indiens.

Ils furent rejoints en fin de prestation par le Bagad

de Plougastel et ses bombardes. Une sorte d’ovni

musical, une rencontre du troisième type avec un

martien et des terriens ou peut-être l’inverse. Cinq

fanfares, un chanteur et guitariste au mégaphone,

une énergie folle devant une foule agglutinée. Un

son, hélas un peu étouffé – c’est le risque du plein

air – mais un moment magique où la vue importait

autant que l’écoute. Saisir les regards, l’attention,

l’investissement !

L’expérience et la rencontre

Réussir en quelques mois, de janvier à mai 2012,

à faire les liens entre les partenaires du projet,

composer la musique, rencontrer les fanfares,

répéter et assurer le final, c’était un fameux défi

que tous les partenaires se sont lancé.

C’est aussi le résultat d’une rencontre entre deux

hommes, deux musiciens issus de mondes diffé-

rents : Pierre Ernoux, Président de la Fédération

des Fanfares de la Province de Namur et clari-

nettiste (il fut musicien professionnel durant une

dizaine d’années) et Manu Louis, compositeur

et musicien pop/jazz, notamment ex-leader du

groupe Funk Sinatra.

Sans leur volonté d’aboutir, de créer les liens, sans

Page 7: Avis à la population # 3

éditioN #3

les talents de passeur de Pierre pour introduire

Manu auprès des musiciens des fanfares, sans le

sens de l’observation de Manu et le respect des

deux hommes, rien sans doute n’aurait été possible.

Car c’est à travers l’alliance qu’ils ont nouée que

chacun a pu franchir les barrières des mondes, des

musiques, des mots, et des images.

Mais, c’est aussi la réussite de tous les partenaires

et de chaque musicien qui ont été jusqu’au bout

convaincus de l’enjeu. Et c’était fragile néenmoins,

lors de la répétition générale dans la cour de l’Ilon,

chacun retenait un peu son souffle. Pourtant à 17 h,

place d’Armes, l’instant était là ! Fort et émouvant.

Le sens et le plaisir

Les fanfares, c’est une forme musicale pleine

d’énergie mais aussi une dynamique sociale impor-

tante. C’est à la fois un patrimoine et de la musique

actuelle. En effet, de nouvelles fanfares voient le

jour dites les “ néo-fanfares ”. L’Union des Sociétés

Musicales (USM) représente six fédérations et

plus de 470 sociétés musicales affiliées, soit plus

de 20.000 musiciens et/ou chanteurs issus de

tous les milieux sociaux et de tous les âges. Parmi

ces musiciens, la plupart sont des amateurs qui

jouent pour le plaisir mais il y a aussi des musiciens

professionnels qui continuent à y investir du temps

par choix et par désir. C’est un fameux potentiel

humain et créatif sans doute trop peu reconnu et

valorisé. Bien qu’un nouveau décret sur les Centres

d’expression et de créativité et les pratiques artis-

tiques en amateur ait été voté en 2009, les moyens

ne suivent pas, vu la situation financière de la

Fédération Wallonie-Bruxelles.

Certains portent un regard peu valorisant sur ces

pratiques populaires qu’ils considèrent comme

passéistes. Cette image est fausse. La réalité des

fanfares est multiple et l’expérience de La Marche

des Souffleurs et d’autres projets démontrent au

contraire la vitalité de ces groupes, mais aussi

l’ouverture dont certains font preuve pour enrichir

leurs pratiques. Certaines fédérations, en particu-

lier celle de Namur, grâce à quelques convaincus,

impulsent des projets qui permettent d’inscrire

les fanfares au cœur des pratiques artistiques

contemporaines. C’est un engagement volontaire

au sein des politiques culturelles.

Mais au-delà de la musique et des débats, ce qui

frappe c’est l’expérience humaine et sociale d’un

tel brassage au sein des fanfares, la fanfare étant

une forme particulière de convivialité où l’intergé-

nérationnel n’est pas un concept.

La Marche des Souffleurs est aussi pour l’asbl Un

Kiosque à Namur la preuve, par l’action de la dyna-

mique de rencontre entre patrimoine et pratiques

artistiques contemporaines, qu’un kiosque pourrait

impulser.

© J

EaN

-Fr

aN

çois

Fl

am

Ey

Page 8: Avis à la population # 3

Le Festival Namur en Mai a su mobiliser son

nombreux public pour assister à l’expérience, ce

qui a ajouté une plus-value indéniable au projet.

Cette rencontre entre artistes professionnels et

amateurs s’inscrit pleinement dans le projet de

développement culturel de notre Centre culturel

régional parce que nous avons la conviction que

l’enjeu primordial aujourd’hui est de défendre pour

chacun la créativité et la rencontre avec l’acte créa-

teur. Sans espace singulier de création et d’accès

au symbolique, c’est l’imaginaire qu’on cadenasse,

c’est la pauvreté culturelle qu’on laisse s’installer.

Nous avons choisi la diversité, l’éclectisme et les

rencontres improbables.

La Marche des Souffleurs vécue de l’intérieurPar Pierre ERNOUX – Président de la Fédération Musicale Royale de la Province de Namur

Au départ, ce devait être simplement l’axe 3 du

projet global lancé suite à l’appel 2011 pour le

Secteur des Pratiques artistiques en amateur.

Il s’agissait, ni plus ni moins, de proposer de la

musique urbaine de masse interprétée par des

harmonies et fanfares. Réunis autour de la table,

j’ai vite constaté que les partenaires possédaient

toutes les ressources “pour faire un gros truc” : le

CCR/Théâtre de Namur proposait un directeur

artistique en résidence et un compositeur-inter-

prète coutumier de l’exercice ainsi que la coordina-

tion générale. La Fédération Musicale Royale de la

Province de Namur apportait la matière première,

soit cinq sociétés musicales, harmonies et fanfares

totalisant 200 musiciens environ en ce compris

la direction musicale et le travail de préparation.

L’association Un Kiosque à Namur se chargeait,

quant à elle, de tout l’aspect de l’encadrement.

Fin avril, le fichier “pdf ” contenant les parti-

tions arrivait just in time dans les boîtes mails. Il

s’agissait de trois extraits de Julien Gilbert et les

Soufflets, Suite pour fanfare(s) en plein air, racon-

tant parfois certaines aventures qui arrivent à un

type nommé Julien Gilbert, du compositeur belge

Louis Louis. Honnêtement, je dois avouer qu’une

première lecture de la grande partition d’orchestre

me laissa perplexe : les musiciens des sociétés,

peu aguerris au style et à la forme de l’écriture

allaient-ils accrocher, la démarche serait-elle bien

perçue et comprise, les chefs de musique allaient-

ils relayer positivement l’expérience ? Toutes ces

craintes furent balayées. Au fur et à mesure du

travail de déchiffrage et des répétitions sur place,

l’enthousiasme remplaça le scepticisme lié à la

peur de l’inconnu. C’est qu’après les réglages et

les indications de Manu, alias Louis Louis, la Suite

commençait à sonner et le swing de la guitare

électrique sur les “ha ha ” des musiciens “ arrachait

bien ”. Restait encore à savoir quel effet donnerait

l’ajout des bombardes et cornemuses du Bagad

de Plougastel.

La réponse arriva le 19 mai 2012. Déjà lors de la

répétition générale sur le parvis du Perron de l’Ilon,

les sensations étaient bonnes : chant-mégaphone

bien réglé, musiciens appliqués, correctement

groupés par section, et indications et gestique

claires de la direction musicale. Sur le coup de

18h30, la magie s’installa à la place d’Armes pour

durer une vingtaine de minutes : Julien Gilbert et

les Soufflets avaient tenu toutes leurs promesses

en enchantant l’énorme public présent.

Parmi les évaluations communiquées par les

harmonies et fanfares participantes, j’ai relevé les

expressions suivantes : “expérience enrichissante ”

et “ concept génial ”. Effectivement, les sociétés ont

eu l’occasion de se produire de manière insolite

dans le centre piétonnier de la capitale wallonne

et d’y interpréter de la musique urbaine de masse.

Associer guitare électrique solo, ring modulator,

chant-mégaphone, bombardes et cornemuses

n’est pas courant dans les prestations habituelles

d’ensemble, je pense même qu’il s’agit d’une

première. Alors, au nom des fanfares et unanime-

ment : à quand la deuxième ?

Par Manu Louis, alias “ Louis Louis ” - Musicien,

compositeur et membre du collectif les

Paracommand’art

La composition pour fanfare

Après un certain temps passé à regarder des

vidéos et écouter les fanfares avec qui nous allions

travailler, j'ai fait un rêve (ou alors je romance légè-

rement mon récit, de cette façon on m'accusera

moins facilement d'être dangereux pour la santé

des fanfares belges).

Dans mon rêve donc, il y avait des centaines de

gens réunis pour célébrer la commémoration d'un

événement dont personne ne se souvenait vrai-

ment ce qu'il commémorait. On pouvait sentir

que le moment était important et qu'une victoire

s'annonçait.© J

EaN

-Fr

aN

çois

Fl

am

Ey

Page 9: Avis à la population # 3

éditioN #3

Plus tard (toujours dans le rêve), je voyais ces

mêmes gens prendre le chemin de la cité adminis-

trative afin d'en finir pour de bon avec les aliéna-

tions dont ils se disaient victimes.

La prise d'assaut de la cité administrative se termi-

nait dans un relatif chaos ou des révolutionnaires

remplissaient des formulaires pour retoucher des

intérêts sur les revenus cadastraux.

Je me suis réveillé en sueur (il est possible que

certaines informations comme cette dernière,

soient inventées) et ai directement commencé à

écrire sous forme de mini suite pour fanfare ce que

je venais de vivre durant la nuit.

Le travail avec les fanfares

Merveilleux parcours dans de très beaux coins

wallons dont j'ignorais l'existence pour finalement

me retrouver face à face tous les trois jours avec

des professionnels différents de la musique victo-

rieuse. C'était les répétitions.

Pierre a été impeccable dans la gestion de l'évé-

nement (organiser des répétitions, introduire un

gringalet de citadin face à ces féroces malabars

de la campagne et qu'on le laisse rentrer chez lui

vivant...) et la direction des pièces.

Le jour du concert, notre mystérieux renfort breton,

le Bagad de Plougastel s'est révélé environ cent

fois plus sonore que 783 camions de pompiers.

J'ai compris que nous avions trouvé l'allié idéal. La

performance m'a semblé très courte, très joyeuse.

Pierre et les fanfares ont été à nouveau remar-

quables et victorieux.

© J

EaN

-Fr

aN

çois

Fl

am

Ey

© aNdré duBuissoN 2012

Page 10: Avis à la population # 3

Lorsqu’on explique à Vincent Pagé que notre prochaine publication portera sur les pratiques artistiques amateur, il bondit de sa chaise en disant que cela fait quinze ans qu’il tente de se défaire de cette étiquette. Ce qu’il retient du mot amateur, son étymologie, du lat. amator “ Celui qui aime ” de amare : aimer. Pour Vincent Pagé, on est considéré comme professionnel lorsque l’on vit de son art. Il reste que beaucoup d’amateurs sont selon lui bien plus performants.

ViNcENt pagé, comédiEN Et FactEur

Le parcours de Vincent Pagé a commencé à l’âge

de huit ans. Il accompagnait son père pour l’apéro

du dimanche au bistrot de Nassogne, on le juchait

sur une table, il racontait des blagues en cascade,

l’assemblée l’écoutait et riait…

A 16 ans, avec sa première mobylette, il trace de

nouveaux horizons… Elle l’emmène vers la radio

libre de Marche-en-Famenne et prend au passage

Philippe Vauchel avec qui il crée un spectacle de

clown qui sera le début d’une longue et belle

complicité…

Le veto parental ne lui permettra pas de

suivre Philippe au Conservatoire de Bruxelles.

Parallèlement, au cours de Jean Gillard à l’Acadé-

mie de Jambes, il suit une formation d’éducateur

spécialisé, sert sous les drapeaux et entre ensuite

à la Poste où il travaille encore aujourd’hui comme

facteur. Il enchaînera les rôles au Théâtre du Défi,

à la Ruelle aux Baladins, au Théâtre des Marquises

et ne cessera néanmoins de distribuer le courrier.

En 2001, le comédien accompagné d’un musicien

monte un seul en scène et arrive en finale du

Festival du rire de Rochefort. Suite à un contrôle

fiscal, Vincent doit réajuster sont statut. Il devient

alors indépendant en activité complémentaire, ce

qui le pousse à créer davantage.

En 2005, il confie à Marcel Linsmeau l’écriture d’un

spectacle qui parle de son rapport aux femmes :

Elles s’en vont.

En 2007, son trajet prend un nouveau tournant

quand la pharmacienne de Wépion à qui il va

déposer le courrier recommande au metteur en

scène Jacques Neefs, le “ facteur comédien ” pour

les spectacles de l’été à la Citadelle de Namur.

Vincent Pagé précise qu’il y a une différence entre

le théâtre amateur et le théâtre d’amateurs car il

s’agit impérativement d’être passionné, toujours

en recherche et de respecter le public. Et en

ce qui le concerne, quel que soit son statut, il a

toujours joué avec la même rage, le même empor-

tement et la même force.

Cette année, il a été élu Namurois de l’année et sa

dernière création est programmée dans la saison

du Théâtre de Namur. Ce spectacle sur la Poste,

écrit et mis en scène par Jacques Neefs, nous dit

son métier de facteur “ Facteur le matin pour jeter

des mots dans les boîtes aux lettres… Acteur le

soir pour les laisser s’envoler sur la scène… ” Le

choix de réaliser un tel spectacle vient de l’envie

de traiter une certaine réalité, proche des gens

où chacun peut se reconnaître.

Vincent Pagé reconnaît avoir été longtemps

complexé de n’avoir pas fait de “ véritable ” école

de théâtre et que c’est les mots de Philippe

Vauchel “ Avec l’expérience que tu as, ton conser-

vatoire, tu l’as déjà fait cinq ou six fois… ” qui lui ont

faire prendre conscience des richesses engran-

gées au tout au long de son parcours d’apprenti

comédien. Le théâtre de rue a également été très

formateur dans la manière de sentir un public et

d’anticiper ses réactions.

Il y a dix ans, le comédien n’imaginait pas que les

portes du Théâtre de Namur s’ouvriraient pour lui.

Il va goûter à des conditions de jeu idéales avec

une équipe de techniciens, un accueil, des loges,

un public d’abonnés…

Le fait qu’une institution importante reconnaisse

son talent a donné l’impulsion et la confiance

nécessaires à d’autres centres culturels qui ont

également programmé le spectacle.

Arielle Harcq et Sophie Pirson pour l’équipe de l’Action culturelle

aVis à la populatioNFacE à FacE

Page 11: Avis à la population # 3

éditioN #3

© V

iNcE

Nt

pa

Page 12: Avis à la population # 3

aVis à la populatioN

uNE autrE FaçoN dE FairE écolE…

Rock et pop s’apprennent désormais dans des écoles qui leur sont directement dédiées. Plus besoin de passage obligé par le conservatoire. Qu’est-ce qui explique le boom de ce qu’on appelle écoles de musique “extra-académiques” ? Nous sommes partis à la rencontre des responsables de quatre de ces écoles.

Depuis plus de 20 ans, sur Namur, il est possible

d’apprendre à jouer de la guitare électrique ou de

la batterie dans une véritable école, là où aupara-

vant, il fallait apprendre soit en autodidacte (en

suivant la devise punk “do it yourself”, qui exclut

que le rock s’apprenne dans une école...), soit

en suivant la voie “classique” en passant par un

conservatoire ou une académie. La fréquentation

de ces écoles “extra-académiques” est d’ailleurs

impressionnante. Chaque semaine, ce sont des

centaines d’élèves qui viennent dans ces établis-

sement pour jouer d’un instrument. Ils ont princi-

palement entre 12 et 25 ans, mais pas seulement,

puisque toutes les écoles comptent également de

nombreux adultes parmi leurs inscrits.

De quoi s’agit-il ?

De l’envie de jouer de la musique sans passer par

la théorie ? Peut-être, mais même si toutes ces

écoles axent en premier lieu leur enseignement sur

la pratique de l’instrument, elles offrent aussi en

général une base théorique, plus ou moins pous-

sée suivant les cas, que l’on pourra de toute façon

approfondir ensuite en s’orientant vers un conser-

vatoire ou une académie. La principale différence

avec le cursus académique est sans doute qu’il

n’y pas de programme général, applicable à tous.

“Les cycles d’apprentissage se font au rythme

de chaque élève, au cas par cas”, nous explique

Gregory Gueli (1234 asbl). Il s’agit donc d’un ensei-

gnement “hors cadre”, où les envies et le rythme

de chaque élève guideront le professeur au cours

de l’année.

Parfois, on va aussi vers ces écoles pour des

raisons très pratiques, ainsi que le souligne Brigitte

Duchêne (Les Ateliers Musicaux) :“Je pense que

les attentes du public sont différentes d’avant. A

l’heure actuelle, les jeunes ont beaucoup d’occu-

pations réparties sur la semaine (activités sportives,

cours de dessin...). Le fait de devoir fréquenter les

conservatoires et académies au moins 2 fois par

semaine (2 périodes de solfège + 1 cour d’instru-

ment) alourdit leur emploi du temps.” Il y a aussi

des facteurs liés au coût des instruments, qui a

fortement baissé depuis les années nonante et

l’accès plus facile aux techniques d’enregistre-

ment, rendues plus accessibles suite aux progrès

de l’informatique. Le rôle des écoles de ce type

est avant tout d’apprendre à vivre en groupe, tout

en développant une personnalité propre. Selon

Michael Mathieu (Rock’s Cool), “La musique, en

particulier le rock dans son acception la plus large,

est ainsi proposée comme facteur de socialisation,

d’affirmation de soi en relation avec les autres.

Et la carrière dans tout cela ? Vient-on dans une école de ce type pour faire de la musique son métier ?

La question semble peu intéresser ceux que nous

avons interrogés. Au- delà du fait que la distinction

amateur/professionnel leur semble peu adaptée

à leur type d’aprentissage (puisque par exemple

ils ne délivrent pas de diplôme qui serait “quali-

fiant” ou “professionnalisant”), on sent que l’on a

surtout affaire à des passionnés dont la seule envie

est de partager leur passion; peu importe que cela

débouche ou non sur un métier. Apparemment,

rares sont les élèves qui sortent de ces écoles

avec l’intention de faire de leur activité musicale

une activité professionnelle. Autrefois, l’apprentis-

sage du solfège et d’un instrument faisaient partie

de la culture générale. Les parents encourageaient

leur enfant à avoir une activité sportive et une

activité artistique. De nos jours, la demande vient

plus spontanément des jeunes, mais la proportion

d’entre eux qui apprennent la musique pour en

faire un métier est très faible. Ils envisagent plus la

musique comme un vecteur de leurs émotions. Elle

leur permet également de se construire dans un

groupe. C’est une activité à la fois créative et sociale,

nous dit Patricia Santoro (RKM asbl). Gagne-pain

ou plan de carrière, simple hobby régulier ou acti-

vité passagère, la musique est donc avant tout une

manière de développer sa sensibilité et de mieux

se connaître, ce qui est sans doute sa fonction la

plus fondamentale.

Loïc Bodson pour l’équipe de l’Action culturelle

Page 13: Avis à la population # 3

Les quatre écoles que nous avons rencontrées :

- 123 asbl :

Une école d’un an à peine, lancée par deux

passionnés de musique qui ont fait le choix de

l’installer dans l’École communale de Lustin,

leur village d’origine, et qui dépasse quatre-

vingts inscrits malgré sa courte existence. Au

programme : piano, guitare, batterie, basse,

chant et éveil musical, individuellement ou en

groupe. Possibilité de stage, résidentiel ou non.

http://www.1234asbl.be

- Les Ateliers Musicaux :

Lancée dans les années 70, mais stucturée en

asbl depuis quinze ans, cette école propose

également une section “classique” en plus de

la filière rock. Basée à Namur dans les locaux de

l’ESND, elle compte quasi deux cents élèves et

offre des cours particuliers pour de nombreux

instruments (de la clarinette à la basse en

passant par le saxophone ou la batterie), mais

également des ateliers collectifs (éveil musical,

chorale) et des cours d’ensemble plus orientés

“musiques actuelles” (sous le nom de “projet

rock”), suivis de concerts intra et extra- muros.

http://lesateliersmusicaux.net

- RKM:

Lancée en 2006, RKM dépasse à présent les

deux cents inscriptions par an pour des cours

de guitare, basse, batterie et chant. Ses locaux

sont situés rue Rogier, à l’endroit du magasin

de musique Rockamusic, lieu incontournable

pour tout qui joue d’un instrument à Namur.

RKM offre des cours particuliers (ou par deux

élèves), des cours d’ensemble, des stages lors

des congés scolaires, et grâce aux liens privi-

légiés avec le Belvédère, des concerts et jam-

sessions sont régulièrement organisés dans

cette salle. http://rkmasbl.be

- La Rock’s Cool :

2012 est une année toute particulière pour la

Rock’s Cool puisqu’elle célèbre ses vingt années

d’existence. Elle totalise quasi sept cents élèves

répartis en quatre implantations : Namur, Ciney,

Sambreville et Dinant. À l’heure actuelle, elle

est la seule à bénéficier de subsides, principa-

lement de la Province. Des cours de guitare,

batterie, chant, basse et claviers sont proposés

en ateliers semi-individuels, ainsi qu’en cours

d’ensemble. Parmi les activités de la Rock’s

Cool, il faut également mentionner la créa-

tion de groupes (“Top Bands”), l’organisation

de concerts (les “Open Mic” qui ont lieu à la

Maison de la Culture de Namur, les spectacles

de fin d’année, jam-sessions, collaboration à

des festivals) et autres évènements (master

class notamment) et l’initiation aux techniques

d’enregistrement en studio.

www.rockscool.be

© J

EaN

-Fr

aN

çois

Fl

am

Ey

éditioN #3

Page 14: Avis à la population # 3

plaNcHE coNtact(s)

Prénom, Nom ou Pseudo : Marie

Profession : Chargée de communication

Geste artistique :Marie crée des bijoux “faits main” inspirés

de formes et de couleurs glanées au fil de ses

rencontres ou de ses voyages.

lovelyfactory.tumblr.com

Prénom, Nom ou Pseudo : Audile

Profession : Vendeuse

Geste artistique :Une envie de donner une seconde vie à

d'anciens vêtements et tissus pour créer un

doudou ou un sac personnalisé.

bisouille.blogspot.be

aVis à la populatioNplaNcHE coNtact

© oliViEr calicis

© oliViEr calicis

Pour ce troisième numéro d'Avis à la Population, le collectif Phase B est parti à la rencontre de personnes qui ne se définissent pas forcément comme ''artistes'' mais qui pourtant, sont manifestement habitées par une fibre créative. Phase B www.phaseb.be

Page 15: Avis à la population # 3

Prénom, Nom ou Pseudo :Valie*

Profession : Employée

Geste artistique :Valie crée des textiles pour bébés et enfants.

Les pièces sont réalisées à la main, avec amour,

dans de jolis tissus. Les pièces sont uniques ou

réalisées en très petites séries.

byvalie.blogspot.belovelyfactory.tumblr.com

Prénom, Nom ou Pseudo :Virginie Goncette

Profession : Prothésiste dentaire

Geste artistique :Virginie donne une nouvelle vie aux mannequins

qui attirent son œil dans les vitrines, en les

customisant à l'aide de matériaux de récupération

(tissus, dentelles, plumes, etc.).

Prénom, Nom ou Pseudo : Lo Blanco

Profession : Costumière

Geste artistique :Habituée à travailler le textile, c'est vers la matière

plastique que Lo Blanco s'est tournée pour créer

une série de poufs entièrement réalisés à partir

de bâches et de sacs récupérés de-ci de là.

éditioN #3

© JEaN-FraNçois FlamEy

© JEaN-FraNçois FlamEy

© oliViEr calicis

Page 16: Avis à la population # 3

aVis à la populatioNaVis à la populatioN

L’acte artistique est une manière d’exister, d’être

au monde, d’être acteur et d’être Sujet. Depuis

la nuit des temps, les arts ont par nature un rôle

social, et ont dans bien des communautés un rôle

thérapeutique.

Dans l’abord pluridisciplinaire et les différentes

approches de soins qu’offre notre hôpital, ces

ateliers trouvent place et sens dans les soins, dans

les projets de vie et dans les projets thérapeutiques.

Dans cette approche, l’important n’est pas l’appren-

tissage d’une technique mais que la technique utili-

sée devienne le support de l’expression de quelque

chose de soi, à ce moment-là.

Chaque service, à sa manière, à son rythme, avec

ses couleurs et son approche, ses désirs et ses

besoins, offre un florilège d’ateliers d’expression

artistique. Ergos, kinés, infirmiers, éducateurs,

aides-soignants, logopèdes et psychologues

en sont les animateurs et les accompagnateurs.

Chaque atelier est une aventure. Ces ateliers sont

des espaces-temps cadrés, singuliers et privilé-

giés dans lesquels soignants et soignés cheminent

ensemble sur les surprenants sentiers de l’art… Ce

sont des lieux d’ébranlement et d’émerveillement

où patient(e)s et professionnels se cherchent et

se découvrent. Il se crée une rencontre de Sujet à

Sujet. Ces ateliers exigent apprentissages, prépara-

tion, supervision et évaluation d’où est née, au sein

de l’hôpital, une sphère de formation et de déve-

loppement personnel “ À l’Autre Soi ”. C’est égale-

ment le lieu où artistes, animateurs et thérapeutes

se partagent leurs pratiques et leurs questionne-

ments, autour des médias artistiques. Ces moments

dynamisent, ressourcent, oxygènent, donnent

couleurs et saveurs à nos ateliers d’expression... Par

l’art se crée du lien avec l’extérieur; ainsi les patients

ont la possibilité de participer à des évènements

artistiques.

À la rentrée d’automne, plus de cinquante

patient(e)s participent à l’exposition Renc’Art qui

est accueillie au SPW, boulevard du Nord à Namur.

Renc’Art offre au public une palette d’œuvres et

de travaux d’ateliers qui pourrait s’appeler “ art

différencié, art brut, art outsider, art du quoti-

dien… ”. Une démarche parfois difficile dans le oser

exposer pour certains ; “ exposer c’est s’exposer ”,

quelque chose de l’ordre de l’intime qu’on lâche

au regard de l’autre.

En juin, à l’occasion de la fête de la musique, plus de

soixante participants soignants - soignés (accom-

pagnés et guidés par des artistes professionnels)

proposent une création collective dans laquelle

viennent se glisser et se rencontrer écriture, chant,

musique, rythme, pataphonie, ombre, lumière,

masque, clown, danse et peinture (concert de pata-

phonie en 2010, le Val en Phonie en 2011). Il s’agit de

créer un spectacle à partir de ce qui se dit, se fait,

se vit au sein des divers ateliers pour le bonheur de

créer et de jouer ensemble.

L’art est ce qui rend la Vie plus intéressante que l’art

nous souffle le philosophe Robert Filliou.

Poupée Borreman, Psychologue Formation et Supervision en Art-thérapie

dEs atEliErs d’ExprEssioN artistiquE à l’Hôpital psycHiatriquE du BEau ValloN

L’art ne guérit pas, il humanise. Il permet d’exister pour soi et dans le regard de l’autre au-delà du symptôme. L’homme crée et laisse trace par ses créations. Peindre, écrire, improviser, mode-ler, chanter, raconter, sculpter, jouer sont des formes de langage. Les ateliers du Beau Vallon, cadrés, où se déclinent tant les arts plastiques que les arts de la scène, créent un espace de liberté permettant aux choses de se dire, de se nommer, de se signifier. Il se dit quelque chose autrement qu’avec des mots. Pour les soignants, c’est une manière spécifique et magnifique d’être à l’écoute des patient(e)s, de les voir et les sentir en tant que Sujet vivant, vibrant et pensant tel un “ sujet acteur ” dans son “ faire œuvre ”. Pour les patient(e)s, ces langages artis-tiques véhiculent le plaisir de créer, le besoin de structurer, la découverte de la connaissance de soi et de l’autre. Ils sont vecteurs de communication et parfois des leviers thérapeutiques.

Page 17: Avis à la population # 3

éditioN #3

dEs atEliErs d’ExprEssioN artistiquE à l’Hôpital psycHiatriquE du BEau ValloN

© l

a m

atEr

Nit

é -d

iNa

H d

E B

ra

y

La structure de l’Hôpital psychia-

trique du Beau Vallon accueille

toutes les pathologies et comprend

11 services. La prise en charge

quotidienne est de plus de 600

patient(e)s.

www.beauvallon.be

Page 18: Avis à la population # 3

Le Créahm de Liège est une association qui œuvre depuis 30 ans à développer les talents artistiques des personnes handicapées mentales en arts plastiques et en arts de la scène et à les promouvoir par des expositions, des spectacles et des concerts.

Expliquez-nous d’abord quels sont les publics qui

fréquentent le CREAHM?

Les participants qui fréquentent les ateliers du

CREAHM sont des personnes adultes handica-

pées mentales modérées ou sévères manifes-

tant le désir d'utiliser le mode artistique comme

moyen d'expression.

Ce sont les assistants sociaux, les familles,

les écoles spéciales et les institutions qui

connaissent l’existence du CREAHM, qui orien-

tent les personnes vers nos ateliers artistiques.

Quotidiennement, les ateliers accueillent entre

vingt-cinq et trente-cinq personnes.

Comment définissez-vous vos objectifs ?

L’association a pour objectif de donner à la

personne handicapée mentale la possibilité de

s’exprimer librement par la création artistique et

de valoriser les productions en les présentant au

grand public.

Est-ce que les personnes qui arrivent au CREAHM

ont déjà des pratiques artistiques ?

Pas nécessairement, certaines en ont, d'autres pas.

Toutes les personnes accueillies proviennent de

leur famille ou d’autres institutions de type centre

de jour. Elles ont, dans un premier temps, testé

leurs capacités dans l’atelier et si les résultats sont

prometteurs et que la personne témoigne d’une

motivation, elle participe de un à quatre jours par

semaine aux activités de l’atelier.

Les artistes qui fréquentent en outre notre centre

de jour quotidiennement ont évidemment une

pratique très régulière et pour la plupart de longue

date, sans limitation dans le temps. C'est ainsi que

l'on a pu découvrir des talents qui n’auraient sans

doute pu éclore hors de ce contexte.

Quelles sont les méthodes utilisées dans les

ateliers ? Qui sont les personnes qui y sont

employées et quels sont leurs titres ?

lE créaHmaVis à la populatioN

© c

’Est

gr

atu

it p

ou

r l

Es

ENFa

Nt

s- s

aN

dr

iNE

lE

Ba

ll

uE

- cr

éaH

m

Page 19: Avis à la population # 3

Chaque personne bénéficie d’un accompagnement

individuel. L’animateur qui est lui-même artiste,

aide la personne à trouver son moyen d’expression

et, par l’observation, la découverte, la rencontre,

les essais, il propose des outils, des techniques et

un espace qui lui seront le plus appropriés. C’est

à partir des compétences du participant que l’ac-

compagnement individuel prend forme. Le proces-

sus de soutien et de développement est perma-

nent, c’est un cheminement à long terme.

Trois facteurs importants interviennent dans ce

processus d’aide à la création :

L’observation : l’animateur-artiste prend en compte

les motivations de la personne, est à son écoute. Il

cherche à déceler les compétences et l'expression

spécifique de chacun.

Le temps : L’animateur se donne le temps, il est

attentif à ce qu’il voit naître, il encourage à persé-

vérer, il respecte le rythme de chacun.

La personnalité de cet animateur-artiste :  elle est

fondamentale. L’animateur-artiste, tout en respec-

tant et en n’intervenant jamais dans l’œuvre, a une

influence puisqu’il guide le candidat, il apporte

les influences. Il met son savoir, son expérience

au service de la personne, il se substitue à elle

en anticipant, en suscitant son intérêt par divers

stimulus. Il est aussi mémoire du travail de l’artiste.

Il gère, sélectionne et défend les productions pour

les rendre accessibles au public. Il a le souci de

l’authenticité de l’œuvre.

L’accompagnement individuel s’opère par projets

personnels spécifiques et par projets collectifs :

formations, travaux sur thématiques, interventions

dans des lieux, commandes privées. Il est réalisé

également par des collaborations ponctuelles avec

des artistes extérieurs pour des projets particuliers.

Il est fréquent et récurrent que des interactions

se produisent entre les ateliers (arts plastiques/

arts de la scène) et également entre projets. Les

animateurs-artistes sont diplômés d’écoles artis-

tiques ou sont autodidactes. Ils apportent chacun

des approches artistiques différentes et sont

complémentaires. Quatre animateurs gèrent l’ate-

lier et chacun y apporte sa technique de prédi-

lection : peinture, dessin, gravure, sculpture ou

met en place ponctuellement d’autres techniques

au service d’une création en cours. Un animateur

s’occupe plus particulièrement de la coordination

et de la diffusion.

Comment définissez-vous cette expression

artistique ?

La dénomination de ce type d'art a soulevé

beaucoup de débats. Depuis un certain temps, et

du fait de nos relations internationales, on s'ac-

commode du terme d'Art Outsider, sans oublier

toutefois le contexte de création, sans lequel cette

forme d'art n'existerait peut-être pas.

Quelle est l’importance accordée aux expositions

et à la vente des œuvres ?

Il est important que l’artiste expose pour la recon-

naissance de l’œuvre auprès du public et pour sa

propre valorisation. La vente n’est pas prioritaire

mais contribue grandement à cette reconnaissance.

Nous profitons d’une renommée et réagissons

aux demandes multiples et diverses d’expositions

auxquelles nous répondons en fonction de la perti-

nence. Nous ne subissons pas de pression ni de

la part des familles ni de l’institution par rapport

à la vente. Aussi, nous privilégions la qualité des

expositions et des lieux qui les accueillent : musées,

galeries, collections… Notre choix se porte sur des

critères artistiques, culturels ou éthiques, plutôt

que commerciaux.

Propos recueillis par Magali Company auprès de Gentiane Angeli et Patrick Marczewski

éditioN #3

© c

la

ud

E Fr

aN

çois

- a

la

iN m

EEr

t c

réa

Hm

Page 20: Avis à la population # 3

tous pour l’art ?

aVis à la populatioN

En décembre 2011, la RTBF diffuse à la radio et à la télévision des appels à participation à “ La Collection RTBF - 2012 ”, réédition de l’opération menée pour la première fois en 2010, en collaboration avec la VRT. Deux ans plus tôt, la chaîne flamande avait déjà organisé en solo “ De Canvas Collectie ”. Il s’agit d’une grosse action “ arts plastiques ” destinée au tout public, une forme de concours avec, en point d’orgue pour les heureux élus, la possibilité d’exposer leurs réalisations au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles voire, mieux, de rempor-ter un des quelques prix non négligeables : € 10.000 pour le 1er prix, € 5 000 pour le prix du public et l’organisation de deux résidences de quatre semaines à Berlin suivies d’une exposition en Belgique pour deux artistes de moins de 35 ans. Toutes les œuvres exposées au PBA seront également reprises dans un catalogue.

Quelques mots sur l’organisation : les candidats, 18

ans minimum, s’inscrivent en ligne. Ils choisissent

le lieu d’art où ils défendront un maximum de trois

œuvres. Aucune formation ni expérience n’est

exigée. À la date choisie, un rendez-vous de dix

minutes est fixé devant un jury de trois personnes :

le temps de présenter son travail et de le défendre.

Le résultat de l’entrevue est immédiat : le jury

retient une, deux ou trois pièces ou estime que les

travaux présentés ne sont pas de qualité suffisante

ou encore qu’ils n’entrent pas dans le champ de

l’art contemporain.

Chaque lieu de sélection retient ainsi un certain

nombre d’œuvres qui seront soumises le lende-

main à un jury national pour un nouvel écrémage.

Ainsi, parmi plus de quatre cents candidats et

environ un millier d’œuvres présentées à Namur,

seules dix-huit réalisations rejoindront finalement

le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour parti-

ciper à la sélection finale et à une exposition de

quatre semaines.

Toutes ces étapes seront filmées par des équipes

de télévision, avec interviews de candidats, depuis

leur atelier jusqu’à leur (non) sélection ; images

d’ambiance, le tout diffusé (pour la partie fran-

cophone du pays) dans l’émission “ Cinquante

degrés nord ” animée par le toujours très effer-

vescent Éric Russon.

À la lecture de ce qui précède, on aura compris

combien “ Canvas Collectie-La Collection RTBF ”

est une grosse machine. L’envergure de l’opéra-

tion nécessite de très gros moyens humains, logis-

tiques et financiers. Se pose donc la question de

la pertinence/de l’efficience de cette opération

coûteuse, au regard de son objectif déclaré, à

savoir “ révéler la richesse de l’art contemporain

dans notre pays ”. Cette interrogation est d’autant

plus intéressante lorsqu’on connaît les incertitudes

quant à l’avenir de nombreuses associations de

terrain qui œuvrent au quotidien et parfois depuis

longtemps à développer la créativité de tous les

publics, avec des moyens réduits, du personnel

parfois sans réel statut, et un déficit de visibilité…

“ De Canvas Collectie-La Collection RTBF ” ouvre

ses portes à tous les artistes sans sélection prélimi-

naire ; une intention respectable qui permet à tout

créateur de rencontrer un jury de spécialistes et

de lui donner à voir sa production artistique. À ce

niveau, on assiste parfois à de très belles surprises,

de fortes rencontres où des autodidactes présen-

tent, avec leurs doutes et leurs incertitudes, des

pièces de belle facture, pleines de sensibilité, de

force et/ou de pertinence et inscrites dans l’ex-

pression artistique actuelle. Il est assez enthou-

siasmant de retrouver un candidat primé en 2010

avec un travail qui a pris une nouvelle dimension

mais dont la production première, révélée par “ La

Collection ” a été exposée entre-temps par une

galerie professionnelle. Il faut cependant éviter de

crier au génie, ce type d’exemple étant assez rare.

Se présentent aussi des candidats ayant un peu

d’expérience, quelques références, issus d’écoles

ou d’ateliers et souhaitant un autre regard que

celui de leur professeur ; ou encore des artistes

en recherche et intéressés par un dialogue et des

conseils pour avancer, améliorer leur travail. À

ce niveau également, on a l’impression de faire

avancer des choses, d’ouvrir des portes. On

trouve aussi, évidemment, des artistes pétris de

certitudes se présentant avec une certaine arro-

gance, voire une part de mauvaise foi. Par contre,

cette édition a vu moins d’artistes professionnels

se présenter devant le jury namurois. L’expérience

de 2010 ayant peut-être généré quelques décep-

tions. Leur refus de participer serait-il peut-être

dicté par une forme de snobisme, voire de mépris

à l’égard de ce concours trop populaire en rapport

avec l’élitisme souvent affiché par le milieu de

Page 21: Avis à la population # 3

éditioN #3

© c

aN

Va

s co

ll

Ect

iE c

ol

lEc

tio

N r

tB

F 2

012

-

édit

ioN

s B

or

gEH

oFF

Et

la

mB

Erig

ts

NV

isB

N 9

789

089

312

716

l’art contemporain? Ou encore, l’enjeu média-

tique prenant le pas sur l’enjeu artistique, leur

participation perdrait-elle de l’intérêt au niveau

professionnel ?

Là se pose sans doute un problème : nous sommes

clairement dans un processus médiatique, une

espèce de “ Star Ac ” des arts plastiques où tout

le monde imagine avoir sa chance puisqu’aucune

exigence préliminaire n’est posée. Le battage

médiatique dès l’ouverture des candidatures,

les émissions télévisées, la présence durant les

étapes de sélection, le choix des artistes suivis

participent très clairement de l’opération télévi-

sée. Or, si tout le monde peut avoir une pratique

créative, une fibre créatrice, tout le monde n’est

pas artiste pour autant.

Une autre difficulté est de définir des critères de

sélection pour le jury, ou plutôt les jurys puisque

nous sommes devant un nombre important de

trios chargés de la première sélection. Il est clair

que selon le jury ou selon le lieu de sélection, les

choix opérés pourraient être tout autres. Des

pièces passables se sont retrouvées au PBA pour

l’expo finale alors que certains bons travaux ont

été refusés tout simplement parce que l’objecti-

vité complète n’existe pas en art et que certaines

productions sont tendance à certains moments.

Le choix final de cette édition 2012 semble d’ail-

leurs être plus un choix par défaut qu’une réelle

adhésion de l’ensemble du jury national à une

œuvre forte.

Enfin, s’il s’agit de “ révéler la richesse de l’art

contemporain en Belgique ”, il faudrait se mettre

d’accord sur la signification des mots : de

nombreux participants imaginent encore qu’une

œuvre créée aujourd’hui est forcément contem-

poraine. Ce qui est loin d’être le cas. En ce sens,

et au regard d’une mission de service public, les

chaînes de télévision qui portent “ De Canvas

Collectie-La Collection RTBF ” oublient quelque

part leur mission éducative pour privilégier un

show médiatique séduisant. Et là, c’est l’audimat

qui, in fine, jugera de la nécessité de poursuivre

et de, peut-être, renouveler l’expérience en 2014.

Philippe Luyten, artiste plasticien, animateur arts plastiques au Service de la Culture de la Province de Namur.

Page 22: Avis à la population # 3

Nous sommEs tous dEs amatEurs

À l’automne 2005, lors de l’exposition “ Objets passeurs de mémoire ” présentée au Grand Manège à l’initiative du CCR/Théâtre de Namur, j’ai découvert le travail d’Anne Mortiaux. En parallèle à l’exposition “ officielle ”, avec la belle idée de partir d’objets, d’usages et d’his-toires qui se transmettent entre des personnes de générations différentes, Anne Mortiaux avait mené différents ateliers avec plus de deux cents enfants : on pouvait éprouver la force et la créativité de l’ensemble grâce aux “ socles ” présentés aux publics1. Enthousiasmée, j’imaginais un atelier ouvert à un public adulte dans le cadre des projets d’éducation perma-nente développés par le Centre d’Action Laïque de la Province de Namur.

Une première collaboration eut lieu en décembre 2009, à l’occasion d’un programme d’activités Résistances au féminin du Nord au Sud – avec un atelier intitulé Résister c’est créer – Mes mains parlent d’ici, maintenant, ailleurs... Puis une deuxième en mars 2012 : Nos mains racontent, transforment – portraits / autoportraits. A chaque atelier, je suis étonnée par la diversité des participants – à tous niveaux –, par leur engagement dans l’activité. Face à ce type de projets, des questions se soulèvent pour l’institution qui en passe commande. Cet entretien est l’occasion d’en aborder certaines avec Anne Mortiaux, qui a proposé à Jean-François Pirson de nous rejoindre. F. Bianchi, coordinatrice au Centre d’Action Laïque de la Province de Namur

Frédérique : Anne, lorsque tu prépares un works-

hop2, prends-tu en compte la spécificité du public

auquel tu vas t’adresser ?

Anne : Pour le dernier workshop “ couleur ”, j’ai été

confrontée à la question. La question s'est posée,

mais cela change-t-il quelque chose ? Finalement

cela n’interfère pas sur la manière de préparer

l’atelier. Mais c'est différent de l'espace scolaire ;

dans les cours donnés en milieu scolaire, le cadre

est plus strict et plus exigeant me semble-t-il, au

niveau des références et de la gestion du temps.

Dans les stages/workshops, je me sens plus libre

de développer une proposition personnelle, une

approche plus “ laboratoire ”, plus expérimentale.

Frédérique : Tu fais donc une différence entre

les cours ou les ateliers pour des étudiants et les

workshops ouverts à tous publics ?

Anne : Je pense qu’avant tout, c’est se centrer

sur ce qu’on a envie de transmettre, la spécifi-

cité que l’on pense pouvoir transmettre. Y a-t-il

une pensée particulière ? Tu le dis dans tes écrits,

Jean-François.

J.F. : J’établis aussi une différence entre les cours

ou ateliers qui se déroulent dans une durée et un

cadre bien défini telle une école et les workshops

ponctuels. Et, dans ces derniers, je distingue des

publics spécifiques : étudiants, artistes, personnes

diverses. J’ai beaucoup travaillé avec des étudiants,

rarement avec des groupes d’artistes, exepté au

Québec, invité par les Ateliers convertibles qui

désiraient secouer leurs pratiques individuelles à

travers un travail d’ensemble. Quand je travaille

avec des étudiants, je souhaite qu’ils soient inscrits

dans des formations pratiques ou théoriques diffé-

rentes. Avec un groupe hétérogène, étudiants,

artistes, personnes avec ou sans pratique, la

question ne se pose plus et je ne demande aux

participants ni leurs attentes, ni leurs parcours. Je

propose un travail sur l’espace, dans un lieu et un

temps définis, pour des personnes qui ont envie de

donner des réponses plastiques à des questions

que j’introduis, puis d’autres qu’elles soulèvent. Les

formations et les parcours de vie divers créent un

frottement dynamique. Peu importe le “ niveau ”.

Chacun est là pour former, déformer, construire,

déconstruire – moi aussi. Nous sommes là, sans

enjeu, dans cet espace et dans ce temps, pour

le plaisir, cultivant notre propre jardin, cherchant

des morceaux de réponses, avec d’autres. Nous

sommes tous des amateurs. Le travail en atteste :

les réponses attendues, celles qui s’effondrent, la

plus grande liberté ou une belle charge ne signent

aVis à la populatioN

Page 23: Avis à la population # 3

éditioN #3

pas d’où elles sourdrent. C’est la richesse d’un

ensemble divers : une personne, une réponse, une

chose se nourrit d’une autre.

Anne : J’ai parfois besoin de demander en début

de stage les attentes de chaque participant ; cela

me met à l’aise et met en évidence la question de

la singularité et des chemins multiples. D'entendre

que chacun a des attentes très différentes permet

d'introduire la dimension personnelle des expé-

riences. D'autant que je viens aussi avec une

proposition spécifique et cela donne de la liberté

au sein de l’atelier. Je trouve intéressant de collec-

tiviser la diversité.

Le fait d’un public varié, comme dit Jean-François,

engendre de la liberté, de la simplicité, du plai-

sir (de la découverte, de la rencontre), une parole

plus franche, plus directe. La liberté de l’amateur.

Parfois je développe des stratégies pour limiter

le trop-plein de références artistiques, de mots,

pour désamorcer les peurs et renvoyer toujours à

la matière, à la pratique, à l'espace et au dispositif

de travail.

Parfois à la question de ce qui a motivé l’inscrip-

tion, la participation à l’atelier, des personnes

répondent “ c’est personne ”, et c’est très bien.

Frédérique : Avant de s’inscrire, des personnes

mettent en avant leur “ non savoir ”, leurs “ manques ”,

expriment leur hésitation, voire leur peur de travail-

ler à côté d’autres qui auraient de l’expérience.

Certaines d’entre elles confirment pourtant leur

inscription.

J.F. : Tu as invité Anne à deux reprises pour donner

des workshops au Centre d’Action Laïque. Dans

quelle perspective envisages-tu ce type d’activité ?

Frédérique : Il s’agit pour nous d’activités ponc-

tuelles, qui sont moins développées que les débats

et les échanges autour d’une question de société,

d’une question éthique... Par contre, nous visons

à donner une grande place à la culture prise dans

un sens large. La dimension plastique, l’expérience

par le faire entrent dans ce cadre. Donner l’occa-

sion à des personnes d’expérimenter l’espace, la

matière, de se confronter à d’autres perceptions

et expressions.

Anne : Ouvrir au langage des arts plastiques, de

la matière, de sa transformation, avec un groupe

“ mélangé “, cela va à l’encontre du concept du

spécialiste, contre le principe (répandu) qui sépare,

qui compartimente : les enfants d'un côté, les

vieux ailleurs, les quartiers défavorisés par ci, les

étudiants des écoles d'art par là, les artistes, les,...

Je travaille avec un public diversifié à travers une

proposition spécifique : proposer ces dispositifs

de travail, travailler avec et vers la diversité, le

décloisonnage, la désacralisation de ce langage

artistique...

Un autre aspect que nous n’avons pas abordé

est le critère du coût, qui ne doit pas constituer

un frein. L’espace de l’atelier doit pouvoir rester

accessible à tous ; l’institution qui le propose,

fonctionnant avec de l’argent public.

Frédérique : Dans le cadre du workshop ouvert à

tous publics, Comment envisagez-vous la ques-

tion de l’exigence ?

J.F. : La question se pose quels que soient les

participants. Dans les workshops ouverts à tous

publics, je tente de la résoudre en déposant l’exi-

gence comme un préalable non exprimé – sachant

que c’est dans l’expérience que les réponses s’af-

finent. Il y a d’abord ma propre exigence d’artiste-

pédagogue, puis celle du workshop longuement

mûri. Donnant une direction de travail, j’essaie

que chacun puisse avancer dans la sienne. Dans

ce sens, la première exigence est l’engagement

de faire et donc d’être présent. Ainsi le début

du workshop exige la présence de tous pour

qu’il puisse être considéré comme un véritable

commencement. C’est à ce moment, et à ce seul

moment, que je donne des consignes très précises

pour mettre l’ensemble en mouvement et établir

une base commune au travail personnel qui suivra.

Ensuite, il s’agit de favoriser la concentration, veil-

ler à ce que chacun puisse prendre son espace

en regard de l’ensemble, laisser aller, interroger

la cohérence des réponses plastiques par rapport

à un propos, permettre l’étonnement. L’exigence

est donc là, d’abord induite par celui qui donne

le workshop, qui crée le cadre. Ce degré d’exi-

gence n’est pas toujours lisible, car il concerne un

processus plus qu’une finalité de résultat.

Frédérique : Une autre question est celle de la

trace, de ce que l’on donne à voir, de ce que l’on

présente du workshop – ce qui est souvent perçu

comme une exposition, même si ça n’en est pas

une.

Anne : Mon côté prof…, comme j’aime bien propo-

ser des échauffements collectifs, expérimenter

1. Des enfants parlent de la mémoire. Des objets anciens

se mettent à table. Livret édité par le CCR/Théâtre de

Namur en 2005.

2. Nous choisissons ce terme pour différencier les ateliers

ouverts à un public divers, des cours et ateliers donnés

dans des écoles ou des stages qui portent sur des tech-

niques spécifiques.

Page 24: Avis à la population # 3

ensemble les grands formats par exemple, j’ai tout

de suite beaucoup de traces... Dans ton travail, par

rapport à l’espace, il n’y a pas toujours de traces

directes. Je suis sensible à travailler la matière ;

il y a multitude de traces, des matières brassées,

travaillées qui sont autant de cheminements...

Je trouve très précieux de mettre en valeur le

cheminement, le processus par des notes, croquis,

collages dans un carnet personnel, collectif.

J.F. : Si les workshops se terminent par un moment

ouvert au public pour montrer ce qui a lieu et

permettre un échange plus large, les traces sont

rarement des éléments autonomes, lisibles hors

contexte. Ce moment crée une suspension, une

prise de recul. Ce n’est pas une exposition comme

pourrait l’être la clôture d’une action amenée et

menée par un artiste pour un groupe d’amateurs

qui concourent à la concrétiser dans un résul-

tat attendu. Bien qu’inscrit dans un ensemble,

le processus de création individuel qui chemine

entre construction et déconstruction reste une

expérience aux résultats aléatoires.

Anne : L’ouverture de l’atelier, c’est dynamisant ;

ça enrichit le processus que de livrer à un moment

son travail à ‘ciel ouvert’. Ça marque la durée de

l’atelier et donc un moment d'arrêt, de distance,

de partage, ça permet de ponctuer une chrono-

logie, de faire un tri,...

J.F. : Je considère le tour de table qui clôt habi-

tuellement un workshop d’une importance relative,

alors que j’en accorde beaucoup au nettoyage du

lieu. Il finalise la durée qui nous a été donnée –

un commencement, une fin. Partant d’un espace

vide, on y travaille ensemble, on le bouscule, le

remplit, l’habite. Il s’agit ensuite d’enlever, de jeter,

d’emporter, peu importe, mais de retrouver le lieu

vide, l’espace chargé de ce qui a été vécu après

un dernier coup de balai.

Anne : Ça donne une mesure, le dernier jour, il y a

un potentiel pour la suite. Ce qu’on garde, qu’on

ne garde pas. Le moment public donne de la

distance avant le nettoyage. On prend le temps

de partager avant, la vie continue.

Anne Mortiaux, artiste, animatrice, enseignante,

pratique une pédagogie des arts plastiques, et

“ transforme ” des lieux par des installations, des

chantiers collectifs et réalise (parfois) des scéno-

graphies pour le théâtre, aime beaucoup sortir de

l'atelier...

Jean-François Pirson, artiste-pédagogue, exprime

son rapport à l’espace dans des pratiques plas-

tiques et pédagogiques diverses.

© a

NN

E m

or

tia

ux

aVis à la populatioN

Page 25: Avis à la population # 3

lEs atEliErs tHéâtrE du cENtrE culturEl dE FossEs-la-VillE

L'art du théâtre ne prend toute sa signification que lorsqu'il parvient à assembler et à unir. — J. Vilar Des ateliers théâtre pour les enfants de 9 à 12 ans à la compagnie indépendante pour les adultes, en passant par la troupe des ados, le théâtre amateur à Fosses-la-Ville dit l’exal-tation de la vie et donne la possibilité aux participants d’exprimer devant un public les secrets les plus intimes du coeur humain. Et pour enrichir ce travail, le Centre culturel a dès le début misé sur la collaboration de professionnels comme le Théâtre des Zygomars pour encadrer les ateliers enfants, l’Isolat asbl pour les adolescents, ou encore un metteur en scène professionnel pour les adultes. Le public est conquis, de plus en plus nombreux et toujours époustouflé par le fruit de ce travail.

Cette belle histoire vient de fêter ses 10 ans. En

2002, le Centre culturel, en partenariat avec le

Théâtre des Zygomars, propose aux enfants de 9

à 12 ans un atelier théâtre. Dix ans de mercredis

après-midi plus tard : 1000 heures d’ateliers, 340

pages de textes, 278 personnages, 44 représenta-

tions, plus de 70 enfants et 5000 places occupées

par le public.

Depuis l’origine, la volonté du Centre culturel est

que l’atelier aboutisse à un spectacle à l’encadre-

ment professionnel, tant sur le plan pédagogique

qu’artistique ou technique. Si tout ne s’est pas fait

en un jour, l’engouement généré par le fait que

les enfants de l’atelier jouent devant leur classe

a amené en 2007 le dédoublement de l’atelier –

Michaël Meurant rejoignant le tandem d’anima-

teurs Brigitte Romain / Matthieu Collard 1.

Voici comment s’organisent les 25 ateliers pour

aboutir au spectacle original : apprentissage des

techniques théâtrales, discussion autour d’une

envie, invention de l’histoire, écriture des scènes,

correction avec les enfants, étude du texte et

enfin mise en scène. Le lien entre les deux groupes

d’enfants est assuré “ en dehors ” par l’équipe

d’animation.

En 2006, les enfants ayant participé au début de

l’atelier souhaitent continuer à faire du théâtre, ce

qui amène le Centre culturel à créer, en collabora-

tion avec l’Isolat asbl, le TTAF : la Troupe de Théâtre

des Ados de Fosses. Deux ans plus tard, c’est au

tour des adultes de fonder une troupe réservée aux

plus de 18 ans et baptisée “ Faut s’bouger ”. Là aussi,

comme pour le TTAF, la troupe passe du répertoire

aux adaptations ou produit ses propres créations.

En quoi se distingue l’amateur du professionnel ?

Un amateur participe à un projet théâtral dans le

cadre de ses loisirs ; un professionnel développe

son activité pour en vivre. C’est là, pour Matthieu

Collard, la principale distinction. Quant à la qualité,

si le théâtre amateur est parfois très mauvais, qui

peut dire qu’il ne s’est jamais endormi devant un

spectacle professionnel ?

Depuis une dizaine d’années, les deux mondes

s’interpénètrent beaucoup plus, tant au sein de

créations professionnelles auxquelles sont asso-

ciés des comédiens amateurs que dans la mixité

de plusieurs métiers dont celui d’artiste de scène.

Les nouveaux médias et le clivage de plus en plus

net entre la faiblesse des moyens financiers du

secteur public et la puissance des productions

privées vont, à l’avenir, modifier encore davantage

le monde du spectacle. Cette inéluctable mutation

met le théâtre professionnel au défi et touchera

très certainement les amateurs.

Comment le théâtre amateur gère-t-il la question

de l’exigence artistique ? La recherche de l’excel-

lence est inhérente au théâtre professionnel ; avec

les amateurs, elle réside dans le fait de tout donner

sur scène, quelles que soient les compétences du

comédien. En tant qu’artiste, Matthieu Collard

estime que la confiance et le confort de travail

offerts par le Centre culturel tout au long de ces

éditioN #3

Page 26: Avis à la population # 3

dix années permettent aux participants de s’ins-

crire dans une histoire : ainsi, des balbutiements

de Félix tête de veau en 2002 à D’oze en 2012, le

public a suivi l’évolution d’une démarche d’artiste

qui tend elle aussi vers l’excellence.

Quelle place les pratiques amateurs occupent-

elles dans le champ de l’art ? Pour le secteur théâ-

tral, la Wallonie compte probablement plus de

troupes amateurs que de professionnelles 2. Le

théâtre amateur draine-t-il alors un public plus

nombreux ? Le public fossois quant à lui privilé-

gie les nombreux spectacles amateurs qu’il voit

chaque année et hésite à se déplacer pour certains

spectacles professionnels de grande qualité.

L’essence du théâtre serait-elle donc dans les

pratiques amateurs ? Dans notre époque de

marchandisation de l’art, précise Matthieu Collard,

le travail avec les amateurs est sans doute le lieu

où le metteur en scène est le moins lié aux contin-

gences économiques. Il en résulte une grande

liberté de forme et de ton, bien loin des effets

de mode ou pressions du secteur. Par ailleurs, ce

travail par lequel un groupe s’exprime au bénéfice

d’un public dans une sphère locale et à un moment

précis retrouve un des sens premiers du théâtre :

celui de manifestation politique de la vie d’une

communauté. C’est ce qui fait son originalité, son

intérêt, sa nécessité.

Propos recueillis par Brigitte Castin pour l’équipe de l’Action culturelle

aVis à la populatioNcartE BlaNcHE EN régioN

© o

liV

iEr

ca

lic

is

1. Matthieu Collard, metteur en scène / concepteur

Brigitte Romain et Michaël Meurant sont animateurs

au Centre culturel de Fosses-la-Ville.

2. Selon le site internet de l’ABCD théâtre, Association

Bruxelloise et Brabançonne du Théâtre Amateur, le seul

Brabant Wallon compte 45 000 spectateurs, 1 700 comé-

diens et techniciens, 500 représentations, 100 œuvres

jouées, 75 compagnies affiliées.

Page 27: Avis à la population # 3

Le théâtre d'amateurs dans le Namurois

J'aime le "d" apostrophe dans "théâtre d'ama-

teurs". Il signifie "théâtre de ceux qui aiment...

et s'oppose au "théâtre amateur" des éternels

potaches débutants. Mais au fond, pourquoi

aiment-ils cela, ces "d'amateurs" ? Par défi, par

envie de se mettre en scène, de quitter le quoti-

dien et de jouer la vie tragique, comique, déses-

pérante, fantastique, d'autrui... Pour moi, c'est

"un peu de tout", comme dans la pub !

Comme bon nombre de comédiens amateurs,

j'ai dépassé le cadre étriqué de mes envies pour

aborder le théâtre avec un minimum de tech-

nique et réveiller les talents enfouis sous des

heures d'éducation normative et castratrice.

J'ai dépassé l'envie de briller sous les feux de

la rampe pour mon seul plaisir et j’ai réveillé le

goût du juste jeu.

Des outils, des formations, du matériel

permettent de transformer des amateurs

mal dégrossis en amateurs éclairés au propre

comme au figuré. Merci le TAP'S, un service

provincial doté d'une sacrée boîte à outils qui

permet aux troupes de résister à l'épreuve du

temps et de surmonter les 1001 pièges de la

scénographie qui fatiguent.

Le "Namurois" est un joyeux vivier de troupes

qui proposent des pièces classiques, divertis-

santes, sérieuses, joyeuses, avec un rayonne-

ment local ou régional.

Certaines se stimulent entre elles, se lancent des

défis grâce aux trophées et concours qui, sous

des dehors bon enfant, font appel au meilleur

de chacun.

Certains comédiens et comédiennes profitent

de ce vivier et voyagent d'une troupe à l'autre,

en offrant leurs talents aux troupes qui ont

bonne presse, promettent plus de cakes aux

pommes, de bons moments, de cachets...

d'aspirine, de tickets boissons et surtout de

bons rôles.

Chaque année, des troupes se posent la ques-

tion du répertoire ! Et l'an prochain, une drôle ?

Une avec ou sans fond ? Une classique ? Une

grosse distribution ? Une petite ? Avec les habi-

tués ? De nouvelles recrues ? Aux mêmes dates ?

Certaines choisissent un répertoire qui assure

les entrées, d'autres alternent bons coups et

coups d'audace, au risque de décevoir et avec

la certitude d'avoir à reconquérir, chaque année,

un public qui aime.

Le vrai drame des compagnies de théâtres

d'amateurs se joue lors du dernier tomber de

rideau, le soir de la dernière, quand tout est fin

prêt et rôdé. Les entrées et sorties de scène

deviennent automatiques et le brigadier choi-

sit ce moment pour frapper la fin du parcours

et déclencher la dramaturgie de la dernière

scène. Ultimes complicités entre personnages

bien investis, derniers trous inénarrables entre

protagonistes qui se voyaient, juste ce soir,

au sommet de l'affiche. Finies les colères du

metteur en scène, les ratés de la technique, les

mauvais positionnements "sous la douche"...

retour, dès lundi matin, à la banalité du quoti-

dien au théâtre de la vraie vie..., sans applaudis-

sement, sans dernier pour la route, avec l'envie

de remettre le couvert l'an prochain et l'inten-

tion de donner le meilleur, d'éviter le pire qui est,

malheureusement, parfois au rendez-vous, sur

scène comme en coulisses. Longue vie à ceux

qui aiment...

Marcel Linsmeau, ex-membre du Théâtre du Défi et de l'ANTA (Association namuroise de théâtre d'amateurs)

© oliViEr calicis

éditioN #3

Page 28: Avis à la population # 3

En amateur ou en professionnel, toutes les démarches artistiques se valent-elles ? C'est l'éter-nel débat. Autant dire que les points de vue divergent quelquefois, mais convergent heureuse-ment la plupart du temps pour les responsables des centres culturels sur la place réservée à l'art amateur. Puis quels sont les critères qui définissent la distinction entre un artiste amateur et un professionnel ? La question est difficile et la réponse n'est pas toujours évidente.

Pour Marylène Toussaint, la frontière la plus claire

entre un professionnel et un amateur est simple :

le premier vit de son art, l'autre n'en vit pas. Mais

vu le nombre d'artistes qui vivent de leur art, il

n'y a pas beaucoup de professionnels , tient-elle

tout de suite à préciser. Il est clair qu’un certain

nombre d’artistes professionnels doivent accepter

un travail dans un autre champ pour répondre à

leurs besoins économiques. Sont-ils dès lors clas-

sés parmi les artistes amateurs ? Toujours selon

Marylène Toussaint, dans certains domaines

comme en musique par exemple, la frontière est

parfois très ténue entre musiciens profession-

nels et amateurs. Difficile donc de distinguer le

travail de chacun. Ce qui peut faire la différence,

c'est un apprentissage technique qui peut être

plus élaboré chez les professionnels que chez les

amateurs. Il y a aussi la question de la reconnais-

sance qui est souvent plus prégnante chez les

professionnels que chez les amateurs, où ce qui

compte d'abord et surtout, c'est le plaisir de l'ex-

pression. Un professionnel est soumis à l’exigence

du regard aiguisé de la critique et du public sur la

qualité artistique de ce qu’il produit. C’est aussi le

cas pour des amateurs, mais souvent les critères

d’appréciation varient et ne sont pas uniquement

esthétiques et artistiques ; ils peuvent relever

davantage de l’expérience vécue ensemble et de

la dynamique sociale. Dans une pratique artistique

professionnelle, la qualité artistique est l’exigence

primordiale, c’est indéniable et indispensable. Cela

ne dénigre en rien l’artiste amateur, simplement la

position et les enjeux sont différents. Le public qui

vient voir les réalisations est parfois aussi différent.

Pour Luc Logist, il faut insister : l'artiste amateur,

ce n'est pas monsieur Tout le Monde. Un amateur

peut avoir et a souvent une base de formation

artistique, même s'il ne vit pas directement de

son art et ne cherche pas toujours à en vivre. Puis,

il y a surtout chez l'artiste amateur de la passion

à créer, à développer des projets culturels et à

partager ses envies artistiques avec un public. En

cela, il n'est pas vraiment différent d'un artiste

professionnel.

Justement, en parlant du public, quel peut être

son rôle dans la reconnaissance des pratiques

artistiques en amateur ? Pour beaucoup de

responsables de centres culturels, la rencontre

avec le public est quelque chose attendue par

les artistes amateurs. Ils sont très demandeurs de

présenter leur création au public, explique Bernard

Michel. Le fait d'aller à la rencontre du public, cela

permet d'apporter une réelle reconnaissance aux

projets de ces artistes plus qu'un directeur de

centre culturel. C'est au public de dire s'il aime

ou pas ce qu'il voit, pas à nous. Souvent les gens

sont étonnés, et à juste titre, par le travail présenté

par les amateurs. Car il y a chez ces derniers, une

vraie exigence professionnelle, une même rigueur

aussi, et la qualité est très souvent au rendez-vous.

Il s'agit aussi d'une vraie prise de risque pour eux à

venir exposer leurs œuvres ou à monter sur scène

face au public. Mais tout cela crée une réelle moti-

vation. ” Toujours selon Bernard Michel, il faut lais-

ser des espaces de création, des lieux d'exposition

des productions d'artistes amateurs qui facilitent

les contacts entre le public et ces artistes. Ce

travail avec un public et des artistes amateurs

locaux, permet de créer du lien social et de rendre

nos centres culturels comme de véritables espaces

d'expression citoyenne. Car on y retrouve, dans

les différentes productions artistiques amateur

que l'on met en avant, la base même de toute

démarche artistique, à savoir le désir de partager

ce que l'on fait, ce que l'on aime.

Pour Patricia Santoro, cette rencontre entre les

artistes amateurs et leur public doit se faire coûte

que coûte, malgré parfois un manque de moyens

financiers ou de locaux pour accueillir les artistes.

aVis à la populatioNparolEs croisEEs dEs actEurs du groupE dE coNcErtatioN rEgioNalE

“lEs pr atiquEs artistiquEs EN amatEur , pléoNasmE ou oxymorE ? ”

Page 29: Avis à la population # 3

éditioN #3

D'où un travail en amont des centres culturels et

l'implication sans faille sur le terrain pour forcer

le destin et faciliter les rencontres des artistes

amateurs avec le public sous forme d'exposition,

d'ateliers, de concerts ou de créations théâtrales.

Pour nous, à chaque fois, passer par des artistes

amateurs, c'est un appel à la sensibilisation du

public autour de projets socioculturels, de projets

rassembleurs. C'est notre rôle de centre culturel

comme espace citoyen de faciliter ces espaces de

partage entre des artistes et le public. Cela peut

passer par un stage, un atelier, comme cela se

fait beaucoup. Cela peut aussi se faire autour de

l'exploitation d'une thématique et il y a toute une

dynamique qui se crée autour d'un projet commun

entre des artistes, professionnels ou non. Puis, c'est

aussi l'opportunité de laisser l'accès à la culture et

à l'art à un public qui ne l'a pas forcément.

Passer par la production artistique en amateur,

c'est aussi ouvrir les portes des centres cultu-

rels à un nouveau public. C'est ce que confirme

Luc Logist, En ouvrant notre centre aux artistes

amateurs de notre région, il y a un réel intérêt pour

nous, responsables de centres culturels, d'atti-

rer des gens vers notre centre, nos activités, nos

productions. Ensuite, on peut développer des

projets et des partenariats, amener du monde au

bénéfice d'une association, par exemple. On peut

mettre ainsi en avant un projet citoyen, faire le lien

entre ce qui se passe chez nous avec des artistes

de chez nous.

Pour Benoît Raoult, l'art amateur est d'abord et

surtout une sensibilisation à l'art, à la culture, mais

elle doit commencer dès le plus jeune âge. C'est

à travers des démarches artistiques amateurs que

la passion peut naître chez un jeune. C'est très

important d'avoir accès à cela, en étant jeune, via

les centres culturels. Et à côté de ces jeunes, parmi

tous les artistes amateurs, il y a toute une série de

gens qui ont un métier, qui ont toujours eu une

attirance pour les planches et qui ont besoin de

se montrer, avec le désir d'être sur scène. On est

plus alors dans l'accomplissement de soi, dans

l'expression de tas de sentiments qu'on garde en

soi. Devenir amateur, cela apporte un plus pour la

vie personnelle.

Sinon, à côté de cette reconnaissance du public,

quel est le rôle des circuits de diffusion comme

les centres culturels dans la reconnaissance d’un

artiste amateur ? Tout d'abord, c'est une mission,

insiste Stéphanie Croissant. Si nous ne le faisons

pas, qui le fera ? Bref, les centres culturels sont pour

de nombreux artistes amateurs un lieu de passage

pour être présentés et défendus. Reconnaître

la pratique artistique amateur, c'est essayer de

promouvoir les artistes locaux et de développer

la sensibilité artistique auprès de la population,

explique Géraldine Gogniaux. C'est donc l'essence

même de notre travail. D'ailleurs, une place relati-

vement ouverte est laissée aux artistes amateurs

dans les centres culturels et dans leur program-

mation. Le rôle essentiel d'un centre culturel pour

l'art amateur, c'est d'abord et surtout un apport

d'une aide pour des artistes qui n'ont pas toujours

les moyens financiers, techniques et humains. Si

nous n'étions pas là, ces artistes auraient beaucoup

plus de difficultés à pouvoir exercer leur pratique,

ajoute Benoît Raoult.

D'ailleurs, selon Géraldine Gogniaux, c'est un vrai

travail de terrain que cette reconnaissance du

travail des artistes amateurs. Que ce soit en soute-

nant une troupe de théâtre, un groupe de musique,

ou en développant des ateliers et des stages pour

enfants, tout cela favorise évidemment l'essor

des pratiques artistiques en amateur dans une

région. Notre objectif aussi, c'est de développer les

démarches qui existent, et d'être à l’écoute pour

mettre le travail des artistes amateurs en valeur.

C'est une priorité de démocratiser la culture et

sensibiliser une population à l'art. La question n'est

donc pas de savoir ce que l'art amateur peut nous

apporter ; la question est plutôt ce qu'un centre

culturel doit apporter aux artistes de notre région.

Dans ce cadre, l'un des rôles des centres culturels

sera aussi et surtout de faciliter les rencontres et les

échanges entre artistes amateurs et professionnels.

Même s'il est vrai que ce n'est pas toujours facile

à mettre en place. Parce que ce sont des secteurs

différents, admet Marylène Toussaint. Ce sont des

mondes qui ne se parlent et ne se connaissent pas

toujours. C'est à nous, en tant qu'institution, à faire

des traductions pour faciliter ces rencontres entre

professionnels et amateurs. Pour attirer l'attention

aussi sur la pratique amateur auprès des profes-

sionnels, mais aussi du public. La plupart du temps,

les choses se passent très bien, et une fois que le

travail se met en place, les gens se comprennent

Page 30: Avis à la population # 3

aVis à la populatioNparolEs croiséEs dEs actEurs du groupE dE coNcErtatioN régioNalE

assez vite. Très souvent, grâce à ces rencontres, on

assiste même à une ouverture d'un milieu comme

de l'autre à une nouvelle représentation du monde,

à un échange très productif d'expériences, et on

peut dire qu'en matière d'énergie, cette rencontre

entre professionnels et amateurs fait surgir une

réelle dynamique et un effet d'émulation.

Selon Bernard Michel, l'art amateur et l’art

professionnel ne sont donc pas opposés. Bien

au contraire, ils se complètent totalement. On

retrouve souvent dans cette rencontre la base

même de toute démarche artistique. D'où l'im-

plication essentielle des centres culturels. C'est

à nous de créer des passerelles entre les deux

mondes, de faire se rencontrer les gens, de faci-

liter les rencontres, et à chaque fois, cela donne

des résultats étonnants. Être artiste, au final, c'est

plus un état d'esprit, qu'un statut ou un métier.

Ces rencontres entre amateurs et professionnels

sont donc très productives pour chacune des

démarches artistiques. Tout simplement parce

que chacun a quelque chose à apporter de sa

propre expérience, chacun peut se nourrir de ces

rencontres pour alimenter sa propre créativité,

ajoute Stéphanie Croissant.

Quant à la question de l’exigence artistique, elle

est souvent très prégnante pour les artistes

amateurs. Pour beaucoup, la démarche est réel-

lement professionnelle, même s'ils n'en vivent pas,

explique Géraldine Gogniaux. On retrouve chaque

fois cette volonté et cette énergie de montrer un

travail original et de qualité au public. Les tech-

niques, les formations peuvent être différentes

entre amateurs et professionnels, mais l'exigence

est la même et l'envie identique, poursuit-elle. La

démarche amateur ne serait donc pas très diffé-

rente de celle d'un professionnel : chez chacun,

on retrouve la même exigence. Il y a beaucoup

de spectacles amateurs auxquels on peut donner

l'étiquette de professionnels, ajoute Stéphanie

Croissant. Tout simplement parce que la qualité

est au rendez-vous. Pour Bernard Michel, la condi-

tion du succès d'une démarche artistique amateur,

c'est de trouver un bon équilibre en faisant travail-

ler des amateurs dans des conditions profession-

nelles. Dès qu'on veut aller plus loin, présenter ou

exposer une création au public, il faut une dimen-

sion professionnelle. Même si les artistes restent

amateurs, il y a tout de même cette exigence

professionnelle, un critère de qualité qui vient de

cette mise en commun des deux univers.

Alors arts amateurs, pléonasme ou oxymore ?

Tous les responsables de centres culturels sont

affirmatifs : ni l'un ni l'autre. La démarche artis-

tique n'est ni réservée aux professionnels ni aux

amateurs. Ce sont deux démarches différentes,

même si l'envie est très souvent la même d'un côté

comme de l'autre ”, explique Patricia Santoro. Ce

n'est pas un pléonasme parce que ce serait refu-

ser aux artistes tout statut professionnel comme si

l’art ne pouvait être pratiqué qu’en amateur, ajoute

Marylène Toussaint. Ni un oxymore. Ce serait dire

qu'on ne peut produire de l'art que si on est profes-

sionnel, poursuit-elle. Tout cela demande donc des

nuances. On peut aller très loin en amateur dans

la création et la production artistiques, et mettre

“ artiste amateur ” et “ travail de qualité ”, ce n'est pas

du tout une contradiction, loin de là, conclut Luc

Logist. Bref, la place des artistes amateurs dans

nos centres culturels, loin d'être un artifice, est au

contraire et heureusement une réalité.

Pierre Jassogne

Texte issu des propos recueillis par Pierre Jassogne

auprès des membres de la concertation régionale locaux :

Stéphanie Croissant (CCL d’Andenne), Bernard Michel

(CCL de Fosses-la-Ville), Géraldine Gogniaux, (CCL de

Floreffe), Luc Logiste (CCL de Gembloux), Benoît Raoult

(CCL d’Eghezée), Patricia Santoro (CCL de Sambreville)

et Marylène Toussaint (CCR / Théâtre de Namur)

Page 31: Avis à la population # 3

éditioN #3

guy alloucHEriE Et la ciE HENdrick VaN dEr ZEE à la rENcoNtrE dEs HaBitaNts…

Guy Alloucherie est metteur en scène de la compagnie Hendrick Van Der Zee (HVDZ) qu’il a créée en 1997. Cette compagnie est associée à la Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, “ Culture Commune ” à Loos en Gohelle. www.hvdz.org

Avec sa compagnie, il a notamment créé le concept des “ Veillées ”.

Une Veillée, c’est créer à partir de ce que les gens nous racontent et à partir de ce qu’on a besoin de dire sur le monde. (...) Le fil de l’œuvre qui se fabrique au long des entrevues, des errances et des performances, c’est la ville ou les quartiers en question. Non contents de fabriquer nos spectacles pour dire notre désir de justice sociale et d’égalité sur les plateaux de théâtre, nous descendons dans la rue, à la sortie des supermarchés, sur les places publiques, nous allons dans les cages d’escalier pour discuter et développer en direct le processus de création avec les acteurs vrais des quartiers. C’est faire du spectacle vivant ! Et on y mêle danse, théâtre, vidéo, cirque et paroles d’habitants. (...)

Entretien avec Guy Alloucherie réalisé par Rémi

Giachetti dans le cadre d'un mémoire de Master

1 sur les Arts Partagés à l’Université Charles de

Gaulle de Lille 3

Rémi Giachetti : Comment fonctionnent les prin-

cipes de vos spectacles participatifs, comme les

Veillées ou les Portraits de village ?

Guy Alloucherie : Le but du jeu est d’aller à la

rencontre des gens. À un moment donné, je ne

savais plus très bien le sens de ce qu’on faisait. On

faisait des spectacles sur des scènes de théâtre

et j’avais l’impression qu’ils s’adressaient toujours

aux mêmes gens, alors qu’il y avait tout un public

que je ne voyais jamais au théâtre. Comment se

faisait-il que tous ces gens-là ne venaient pas

? J’ai donc pensé qu’il devait y avoir de bonnes

raisons, que ce n’était pas uniquement parce

qu’ils n’étaient pas informés. Apparemment, ils

n’étaient pas sensibles à la forme de théâtre que

nous proposions. L’idée de départ était d’aller voir

les gens, les uns après les autres, avec comme

point de départ de parler de culture. D’aller les

rencontrer en se disant que de toute façon, tout le

monde a une définition de la culture. Et je ne sais

pas plus que les autres ce qu’est la culture. Il serait

donc intéressant d’avoir l’avis de tout le monde,

puisqu’il n’y a pas de vérité en ce qui concerne

l’art et la culture. En plus, comme on est situé

sur un ancien site minier, on est entouré de cités

ouvrières et les ouvriers n’ont pas vraiment dans

leurs pratiques habituelles d’aller au théâtre ou

d’aller voir de la danse. On s’est demandé : “ Mais

que doit-on faire, pour trouver le lien, pour créer

une œuvre qui intéresse, dans laquelle les gens

se sentent concernés par ce qui se dit et ce qui

se fait ? ” On est donc allé à la rencontre des gens

dans les quartiers, dans un premier temps ici, tout

autour. Après, on est parti un peu partout, en

France, au Brésil, et on va sans doute le faire au

Canada l’année prochaine. Mais l’idée de départ

était celle-là : puisque les gens ne viennent pas,

allons vers eux. De plus, on ne sait vraiment pas

ce qu’est la culture. Personne ne détient de vérité

sur le sujet. Peut-être que la meilleure façon de

faire, c’est de l’inventer avec les gens. Parce que

là, on se rend compte qu’il y a une culture qui est

légitimée par les experts, par les gens cultivés et

qu’au-delà de cette culture légitimée, il n’y a pas

de salut… Alors que, quand on va à la rencontre

des gens, on voit plein de choses en termes de

culture ouvrière, de culture populaire, qui sont

passionnantes. À mes yeux, c’est tout aussi légi-

time que le reste. En étant ici, il était impossible

de continuer à faire un théâtre qui soit complè-

tement en-dehors des réalités du quartier. Cela

aurait été du cynisme de ma part. C’est pourquoi

on est allé à la rencontre de tout le monde. Les

Veillées sont des spectacles faits pour rencontrer

les gens, discuter avec eux et pour parler de la

mémoire ouvrière et de la culture ouvrière. Mais,

pas que de la mémoire : les gens nous racontent

Page 32: Avis à la population # 3

aVis à la populatioNVu d'aillEurs

© c

om

pag

NiE

HV

dZ

Page 33: Avis à la population # 3

aussi le présent, comment on vit dans le quartier,

comment on vit ensemble. Après une résidence,

on monte un petit spectacle, avec des acteurs et

des acrobates, dont les gens et le quartier sont

les acteurs principaux. Le but est de tout mettre

au service de l’idée que l’œuvre d’art se construit

ensemble.

R. G. : Concrètement, que se passe-t-il ?

G. A. : Ils racontent. Mais les gens dansent aussi.

Il y a des associations sportives, des associations

culturelles… Cela dépend des endroits. Ici, par

exemple, il existe la colombophilie, la passion

des pigeons ; les harmonies par exemple, c’est

très particulier dans le coin ; il y a des groupes de

hip-hop, des gens qui font du football… On prend

toutes ces choses-là, qui font partie de la culture

populaire et qui sont, pour moi, des instants de

culture. On vit aussi des moments de rencontre

et avec tout ça, on fait un portrait, on décrit une

vie de quartier. Cela dure 15 jours, ce n’est jamais

exhaustif. On est avec des caméras, on n’est pas

sociologues, on n’est pas scientifique, on n’est

pas journaliste, on est que des artistes. À notre

manière, on présente une façon de voir le quartier,

avec l’idée de le mettre en valeur et de valoriser

les cultures ouvrières et populaires. La volonté

est d’aller vers les gens pour créer quelque chose

ensemble. Au fond, on abolit les barrières, les

frontières qui voudraient que l’artiste soit dans

sa tour d’ivoire et qu’il ne communique pas avec

le réel. Voilà en quoi consistent les Veillées et

les Portraits de village et on passe beaucoup de

temps à en faire.

R. G. : Et les Instantanés ?

G. A. : C’est une déclinaison des Veillées mais

dans les lycées. On passe quatre, cinq jours

dans un lycée, on essaie de rencontrer le plus de

classes possible et après on fait un portrait du

lycée. On est cinq veilleurs quasiment permanents

et on peut être une dizaine d’intervenants dans

tous les domaines.

R. G. : Que cela vous apporte-t-il à vous, en tant

qu’artiste ?

G. A. : Une chance : l’impression de servir à

quelque chose. Je ne dis pas que l’art ne doit

pas être gratuit, mais, pour moi, cela tient à mon

parcours. Je viens du monde ouvrier et j’ai prati-

qué une forme d’art qui trop longtemps n’inté-

ressait pas ce monde-là. Quelque part, c’était

paradoxal de faire un métier public qui n’intéres-

serait pas le monde d’où je viens. Il y avait quelque

chose d’insupportable pour moi. Depuis que je

fais des Veillées, j’ai retrouvé le chemin vers les

gens. Le soir de la représentation est l’occasion

de rencontrer d’autres personnes, de créer un

rassemblement convivial. Cela participe d’une

sorte de fête, mais on fait en sorte que l’œuvre

soit autant dans la salle que sur le plateau. Je fais

des choses qu’on ne considère pas forcément

comme étant légitimes, mais, pour moi, cela

devient plus important que tout l’or du monde et

poétiquement cela donne du sens à mon travail.

R. G. : Avez-vous l’impression ou l’envie de leur

apporter quelque chose ?

G. A. : Je leur dois tout, puisqu’on construit tout

avec eux. Si je leur apporte quelque chose ? C’est

à eux qu’il faudrait demander ; il faudrait aller voir

à Maisnil-lès-Ruitz où on a fait le dernier Portrait

de village. Vous pouvez consulter notre blog où

l’on montre un peu les réactions des gens. Les

gens ne viendraient pas si nombreux à chaque

fois si on ne leur apportait rien, mais c’est difficile

de parler à leur place.

R. G. : Est-ce une envie de votre part d’aider les

gens ?

G. A. : Non. L’envie est de travailler ensemble.

Le but est de dire : “ On fait une œuvre d’art

ensemble. ” Ils m’apportent tout autant que je

leur apporte. L’envie est de faire quelque chose

ensemble et de se demander ensuite : “ Est-ce que

c’est ça ? Est-ce qu’on se trompe ? ” C’est-à-dire

de se questionner sur la pertinence de l’œuvre.

Ce qui m’intéresse est de travailler ensemble dans

le domaine artistique, qui paraît être réservé à

quelques-uns. Être artiste est la chose la mieux

partagée qui soit au monde et quand on fait une

Veillée, il faut que la porte soit ouverte à toutes

les participations. Dans une Veillée, on rencontre

le plus de gens possible, parce que chaque vie

est une œuvre d’art. D’ailleurs, c’est très bizarre

qu’au fil du temps l’art soit devenu la propriété

de quelques-uns, ce qui me semble une impos-

ture totale. C’est peut-être une posture un peu

politique ou philosophique, mais je pense que ça

changera peut-être. C’est une certaine vision du

travail qui a voulu cette situation. Ces dernières

années, cela s’est particulièrement accentué avec

le marché de l’art, particulièrement dans l’art

contemporain mais également au théâtre. J’ai

horreur de l’idée du talent. Sartre disait que le

talent était un crime contre soi-même et contre

les autres. Pourquoi certains auraient-ils plus de

talent que d’autres ? Qu’est-ce que c’est que cette

histoire ? C’est vraiment une pure invention. Je

m’inscris en faux contre tout ça, avec cette envie

de faire bouger le monde et de changer la vie.

R. G. : Ce type de projet remonte-t-il à votre

venue ici, ou cette idée-là existait-elle déjà dans

vos anciens projets ?

G. A. : C’est surtout ici que ça m’a sauté aux yeux,

au fur et à mesure, depuis treize ans que nous

sommes ici.

éditioN #3

Page 34: Avis à la population # 3

R. G. : C’est donc le territoire qui a permis cette

prise de conscience ?

G. A. : Absolument. Un jour, Chantal Lamarre,

qui dirige la scène de Culture Commune, m’a dit :

“ Est-ce que tu ne voudrais pas faire un travail avec

les anciens mineurs ? Recueillir leurs paroles et

créer quelque chose à partir de ça ? ” Je précise

que déjà à l’époque, Culture Commune était une

scène nationale un peu particulière car il y avait

une historienne qui travaillait sur la collecte de

témoignages et sur la mémoire ouvrière. Je ne

voyais pas quoi faire, mais on s’est réuni avec

d’anciens mineurs et une dame qui tenait le café

d’à côté, un café de mineurs qui à l’époque exis-

tait encore. On s’est mis à parler et on a pris des

notes. Comme je venais d’une famille de mineurs,

j’étais d’abord très impressionné. Pour moi, il y

avait un tel écart entre le monde du théâtre et le

monde de la mine que je me suis dit : “ Je ne vais

pas être pris au sérieux. ” On a des représentations

mentales qui sont parfois complètement fausses,

surtout quand il s’agit des autres. Cela s’est super

bien passé ; ils ont raconté des histoires sur la mine.

On a pris des notes et on s’est dit : “ Pourquoi ne

pas en faire une petite représentation ? ” Ils ont bien

voulu jouer le jeu, car ce n’était que pour un soir

ou deux. Lorsqu’on a fait la représentation, c’était

bourré à craquer parce que les gens se sentaient

concernés. On l’a refait pour la fête de la Sainte-

Barbe, la patronne des mineurs et des pompiers,

et on a dû mettre en place plusieurs représenta-

tions pour pouvoir accueillir tout le monde dans

la grande salle. Antoine Vitez avait raison : tout

fait théâtre. C’était encore nos premières années

ici et j’en étais encore à me demander si la parole

ouvrière pouvait faire théâtre. Quel imbécile j’étais !

Il a fallu du temps. Il a fallu que plein de choses

se passent à Culture Commune comme le travail

de Bruno Lajara avec des ouvrières de chez Levi’s.

Elles avaient été licenciées et il y a eu un projet

d’écriture : 501 Blues. Quand j’ai vu ce spectacle,

je me suis dit : “ C’est fantastique ! Ça fait théâtre.

Voilà, la raison d’être d’une compagnie présente

ici à long terme, c’est de travailler sur un lien fort

avec le territoire. Sinon cela n’a pas de sens, il faut

aller ailleurs, en centre-ville de Lille.” On peut aussi

réaliser ce travail-là, mais c’est plus anonyme. Ici,

il y a quand même un contexte, c’est impossible

de faire comme partout ailleurs, sinon on est

cynique, ou indifférent. Cynique c’est peut-être un

peu fort. En tout cas pour nous, cela s’est imposé

comme une leçon de politique, une leçon de vie.

Maintenant, quand on va dans le quartier, les gens

nous demandent quand a lieu la prochaine Veillée

et pour moi, cela veut dire beaucoup de choses.

R. G. : Y-a-t-il une volonté politique dans le fait de

travailler avec les gens ?

G. A. : Il y a une volonté d’arriver à une véritable

démocratie culturelle. Est-ce que c’est une volonté

politique ? Oui. Le monde ne tourne pas rond et

nous, à notre petite échelle d’artiste, on peut faire

quelque chose. De cette façon-là, on se sent un

peu utile. La volonté politique, c’est aussi de se

poser la question : “ Qu’est-ce qui fait que le monde

ne tourne pas rond, que des gens ne sont pas pris

en compte, qu’il y en a qu’on appelait exploités,

dont on dit maintenant qu’ils sont défavorisés ? ”

Ça permet de ne plus cibler l’exploiteur et donc

de dire que c’est la fatalité et qu’on ne peut rien y

faire. Aller discuter avec les gens, c’est éminem-

ment subversif. Mais j’aimerais que ce le soit encore

davantage. On ne peut pas aller vers les gens sans

être politique, sans avoir un point de vue sur le

monde. Le mien, c’est qu’il faut que cela change

vite. Avec tout ce qui se passe en Espagne et dans

les pays arabes… Dans les quartiers et dans les

banlieues où on a eu l’occasion d’intervenir, on s’est

rendu compte, humainement et sociologiquement,

qu’il y a une force de vie, d’initiatives, de proposi-

tions, aussi bien en termes artistique, que sportifs,

culturels, politiques, scientifiques… Plein de propo-

sitions en termes d’éducation populaire existent,

mais elles ne sont pas entendues. “ On ” préfère

rester dans un état de statu quo où on continue à

faire croire aux gens qu’il n’y a rien à faire contre

la crise. Mais je suis persuadé qu’un autre système

est possible, qui soit moins basé sur l’argent et où

l’humain serait davantage au centre des choses.

C’est pour ça qu’on crée de petits rassemblements,

à notre échelle d’artiste. De temps en temps, on se

dit qu’on pourrait en faire plus, mais ça voudrait

dire militer dans un parti. Je pense qu’on peut

s’investir en politique en-dehors d’un parti, notam-

ment avec l’éducation populaire.

aVis à la populatioNVu d'aillEurs

Page 35: Avis à la population # 3

éditioN #3

il Faut quE lEs JulEs ii d'auJourd'Hui soiENt touJours oBligés dE sE dépêcHEr à s'assEoir

Des frontières floues, des hiérarchies contestables

Puisque désormais le cadre légal de la Fédération

Wallonie-Bruxelles institue une différenciation

entre artistes professionnels et pratiques artis-

tiques en amateurs, on peut (on doit ?) s'interro-

ger sur cette catégorisation.

Le plus souvent, on aborde la question en termes

de légitimité et de seuil : les artistes profession-

nels se donneraient par exemple un niveau d'exi-

gence tout autre, ils habiteraient un “ monde à

part”, ils se différencieraient du “ commun des

mortels ” avec qui ils seraient dès lors exemptés

de “ faire du commun ”, des clercs multiples se

chargeant d'interpréter pour une foule réputée

ignare le “ langage des dieux ”.

Des frontières peuvent ainsi être dressées entre

les deux catégories : les professionnels seraient

d'office des inventeurs, les amateurs se contente-

raient de “ reproduire ” les langages connus (défi-

nis comme des langages éculés par les premiers).

La catégorie du “ kitsch ” et son usage social

constituent un bon analyseur de cette logique de

cloisonnement hiérarchisé.

Dans un premier temps, on peut soutenir que

les articles de cette livraison montrent que ces

frontières ne sont ni si établies ni surtout si

évidentes en termes de légitimité. Donnons-en

trois exemples.

Le fait, pour l'artiste dit professionnel, de “ vivre

de son art ” peut le faire dépendre excessivement

de ses commanditaires, qui peuvent être très

ignorants du langage artistique (on se souvient

que Marcel Proust considérait que les milieux les

plus aristocratiques, bien plus que les gens du

peuple, étaient très ignorants des codes artis-

tiques, qu'ils n'approchaient que par snobisme).

En ce sens, la pratique artistique en amateur,

remarque Matthieu Collard, est souvent le théâtre

d'une liberté de forme et de ton bien plus grande.

Deuxième exemple : les techniques (par exemple

d'impression numérique) donnent souvent un

accès bien plus facile qu'auparavant à “ l'édition ”

(à la “ publication ”, au fait de rendre public) :

pensons au phénomène d'auto-édition des livres

photos. Cette multiplication peut jouer un rôle

d'engorgement et compromettre la viabilité des

éditeurs des “ photographes professionnels ” en

saturant le marché : le professionnel devient celui

“ qui ne peut plus en vivre ”...

Troisième exemple : on connaît la critique adres-

sée par Lévi-Strauss à l'art dit contemporain : il

a complètement perdu la dimension collective

de la pratique artistique ; l'art n'est plus vécu par

une communauté comme un élément constitutif

d'elle-même. Bien des témoignages de ce numéro

montrent que cette dimension collective, socia-

lement vivante, culturellement créative, est par

contre très présente dans les pratiques hybrides

et les “ rencontres improbables ” entre les mondes

“ professionnel ” et “ amateur ”.

Repenser la culture en d'autres termes qu'institués

Nous nous sommes peu à peu habitués à penser

la culture en termes de produits (et non de rela-

tion), de succès de diffusion et de hiérarchies ; en

ce sens, la culture c'est ce qui se diffuse (c'est-

à-dire se vend) dans les institutions culturelles

(c'est-à-dire ce qui est institué par elles comme

“ culturel ”) : les plus légitimes de ces institutions

seraient celles qui “ rayonnent ”, c'est-à-dire celles

qui ont réussi à constituer un marché étendu,

justifié toutefois (plus ou moins sincèrement)

dans d'autres grilles que marchandes (comme

celles de la création).

Ce numéro d'Avis à la population montre de façon

éclatante que cette conception n'est pas opéra-

toire par rapport à la réalité des pratiques.

Comme le rappelle Guy Alloucherie “ personne ne

détient de vérité sur le sujet ”, “ on ne sait vraiment

Page 36: Avis à la population # 3

aVis à la populatioNrEgard oBliquE

pas ce qu'est la culture ”.

Quatre caractéristiques traversent cependant de

façon très claire les expériences culturelles qui

sont relatées dans ce numéro.

— L'expérience artistique est le résultat d'une

passion pour la forme, vécue selon un souci

d'excellence. Bien souvent, ce souci consistera

à se détourner d'une stratégie d'accumulation,

de reconnaissance, d'expression (de ce dont on

serait rempli à titre individuel), au profit d'un

travail d'évidement, de déplacement, d'ascèse :

“ J'ai dépassé l'envie de briller sous les feux de la

rampe pour mon seul plaisir et ai réveillé le goût

du juste jeu”, témoigne, par exemple, Marcel

Linsmeau.

— L'expérience artistique est le résultat d'une

autonomie critique exercée vis-à-vis des autres

champs (comme le champ économique, politique

ou religieux). Elle est en cela exercice de liberté

et rêve de libération (cfr ce qui a guidé la compo-

sition de Manu Louis : “ la prise d'assaut de la cité

administrative se terminait dans un relatif chaos

où des révolutionnaires remplissaient des formu-

laires pour retoucher des intérêts sur les revenus

cadastraux ”).

— La pratique artistique veut “ doubler la réalité ”, la

“ virtualiser 1 ” (lui rendre une puissance, la remettre

“ en puissance ” de se transformer) ; elle est notam-

ment un travail du temps, où l'instant artistique

“ met en suspens ” le cours du temps et l'arrache

ainsi à son évanescence.

— La pratique artistique bouleverse aussi “ l'ordre

des langages ” (pour reprendre cette expression

de Roland Barthes) et, ce faisant, bouscule les

préséances (y compris, bien sûr, celles que l'on

voudrait dresser entre amateurs et profession-

nels). Pierre Bourdieu rappelait à ce sujet cette

anecdote emblématique :

“ On raconte que Michel-Ange mettait si peu de

formes protocolaires dans ses rapports avec le

pape Jules II, son commanditaire, que celui-ci

était obligé de s'asseoir très vite pour éviter que

Michel-Ange ne soit assis avant lui. ” Le socio-

logue en appelle à perpétuer cette tradition “ de

distance à l'égard des pouvoirs, et tout spéciale-

ment de ces nouveaux pouvoirs que sont les puis-

sances conjuguées de l'argent et des médias. ” 2

Il ne nous semble pas excessif d'affirmer que

ces quatre composantes ne sont jamais mieux

présentes que dans les expériences d'hybridation

entre artistes réputés professionnels et prétendus

amateurs.

Les avantages de l'hybridation

Les expériences relatées dans cette livraison vont

plus loin : elles indiquent en filigrane que nous

pouvons être, en matière d'hybridation “ profes-

sionnels ”/ “ amateurs ” en situation de réciproci-

té : chacun des deux “ pôles ” peut constituer une

“ solution ” au “ problème ” de l'autre et inversement.

Ce sont les sociologues de l'innovation, Michel

Callon et Bruno Latour, de l'École Supérieure des

Mines de Paris, qui ont mis en lumière cette rela-

tion particulière de réciprocité, souvent moteur de

constitution de réseaux réunissant des acteurs à

intérêts potentiellement divergents.

Nous avons vu qu'amateurs et professionnels

pouvaient de fait se trouver dans une telle situa-

tion où leurs intérêts respectifs divergent (lutte

pour la légitimité, saturation du “ marché de l'art ”,

etc.).

Or les pratiques d'hybridation ici évoquées

montrent de fait que chacun des pôles peut aussi

constituer une solution forte au problème de

l'autre.

Ainsi, de la tendance au confinement de l'art

“ professionnel ” contemporain : son autonomie

peut aller jusqu'à la fermeture sur soi-même ; on

crée ainsi par rapport aux créateurs et exclusive-

ment par rapport à eux, dans un souci de “ distinc-

tion ”. L'hybridation avec des pratiques “ amateurs ”

est aussi une hybridation avec les populations qui

protège du confinement ou le prévient.

De même, les pratiques “ amateurs ” peuvent

échapper, grâce à l'hybridation avec des créateurs

authentiques, à un ajustement sur les conventions

(les langages reconnus, voire formatés), voire à

l'auto-castration : les “ amateurs ” se vivent parfois

comme uniquement légitimés à être consomma-

teurs du “ mainstream ” et se coupent des poten-

tialités d'excellence qui sont en eux.

Un autre rôle pour les institutions culturelles

Les centres culturels locaux qui témoignent dans

cette revue sont porteurs d'une orientation insti-

tutionnelle qui mériterait d'être davantage investi-

guée (notamment par ceux qui sont responsables

des politiques culturelles).

Pour l'indiquer aussi simplement que possible,

nous pourrions dire qu'il s'agit d'une triple

intermédiation.

Ce terme est souvent employé pour désigner des

pratiques permettant d'appréhender, la spécifi-

cité des codes culturels ; c'est, par exemple, la

logique de bien des “ ateliers ” où l'on s'essaie,

Page 37: Avis à la population # 3

par la pratique, à une “ discipline ” ou “ technique ”

artistique.

Or, ici, nous avons affaire à deux autres aspects

de l'intermédiation :

— la mise en contact de “ professionnels ” et

d'“ amateurs ”, invités à nouer des relations fruc-

tueuses (dont nous avons vu qu'elles pouvaient

être de réciprocité) ;

— la mise en contact d' “ amateurs ” avec un “ acteur

non humain ” professionnel ; le terme d' “ acteur

non humain ” a été produit par les sociologues de

l'innovation pour désigner le rôle très actif que

pouvaient jouer, par exemple, des dispositifs tech-

niques. Il est manifeste, au vu des expériences

rapportées, que la mise à disposition d'un dispo-

sitif technique d'excellence est un élément-clé des

hybridations pratiquées .

On peut penser que cette mission d'une triple

intermédiation devrait être le fait de toutes les

institutions culturelles, et pas seulement de celles

qui ont affaire aux pratiques artistiques “ en

amateurs ”. Ne sommes-nous pas à ce sujet très

loin du compte ?

Il y aurait pourtant un intérêt bien compris à

raisonner de la sorte.

Pour les expériences “ en amateurs ”, la “ publi-

cation ” - le fait de rendre public – ne joue pas

d'office ou prioritairement, selon nous, un rôle

de reconnaissance : la “ publication ”, dans une

logique de partage décloisonné (pas seulement

entre soi, entre familiers), rend obsolète (“ brûle ”)

ce qui a permis la création, soit l'univers de sens

construit. Elle invite dès lors à poursuivre l'acte

créateur, à le réentamer. Publier, c'est détruire

(consumer) pour pouvoir recommencer mieux,

ailleurs, autrement.

Pour les “ professionnels ”, l'obligation de sortir de

la création seulement individuelle, tendancielle-

ment confinée “ inter pares ”, est une condition de

légitimité sociétale.

L'hybridation “ amateurs ”/“ professionnels ” est

ainsi un des points-clés du maintien de ces univers

sociaux particuliers qui peuvent seuls “ créer des

créateurs ”, selon l'expression de Bourdieu, et qui

sont aujourd'hui menacés d'involution.

“ De même, pour avoir un cinéma d'auteurs, il faut

avoir tout un univers social, des petites salles et

des cinémathèques projetant des films classiques

et fréquentées par des étudiants, des ciné-clubs

animés par des professeurs de philosophie

cinéphiles formés par la fréquentation desdites

salles, des critiques avertis qui écrivent dans les

Cahiers du cinéma, des cinéastes qui ont appris

leur métier en voyant des films dont ils rendaient

compte dans ces Cahiers, bref tout un milieu

social dans lequel un certain cinéma a de la valeur,

est reconnu.

Ce sont ces univers sociaux qui sont aujourd'hui

menacés (...) : aboutissement d'une longue évolu-

tion, ils sont entrés aujourd'hui dans un processus

d'involution ; ils sont le lieu d'un retour en arrière,

de l'œuvre au produit, de l'auteur à l'ingénieur ou

au technicien utilisant des ressources techniques,

les fameux effets spéciaux, et des vedettes, les

uns et les autres extrêmement coûteux, pour

manipuler ou satisfaire les pulsions primaires

du spectateur (souvent anticipées grâce aux

recherches d'autres techniciens, les spécialistes

en marketing). ”3

Cette hybridation devrait dès lors selon nous

être au coeur de toutes les institutions culturelles,

et particulièrement les plus en vue ; ce serait

probablement une manière de favoriser un véri-

table développement culturel territorial, loin des

versions qui font équivaloir celui-ci prioritaire-

ment à un développement de produits par des

opérateurs “ phares ”.

Jean Blairon et Jacqueline Fastrès, asbl RTA

1. L'étymologie de “ virtualiser ” est liée au terme “ in virtu ”,

qui veut dire “ en puissance ”.

2. P. Bourdieu, “ Questions aux vrais maîtres du monde ”,

in Interventions, Science sociale et action politique,

Marseille, Agone, 2002, p. 424.

3. Idem, ibidem, pp. 421-422.

éditioN #3

Page 38: Avis à la population # 3

géNéralités, étudEs sociologiquEs

L'enjeu des pratiques artistiques et culturelles amateurs : courants d'art, par la Confédération nationale des foyers ruraux, Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, Paris, 2004

Analyse des pratiques culturelles et artistiques

amateurs : leur sens, leurs dimensions sociale,

individuelle et collective. Examine également

les conditions nécessaires à l'accompagnement

et au développement de ces pratiques (compé-

tences, cadre pédagogique, types de profession-

nels...) et le rôle des pouvoirs publics.

Le sacre de l'amateur : sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique, par Patrice Flichy, Editeur Seuil, Collection La République des idées, Paris 2010

Une étude sur ces amateurs qui ont acquis des

savoir-faire, grâce aux instruments fournis par

l’informatique et le web participatif, leur permet-

tant non seulement de rivaliser avec les experts,

mais de se réapproprier tous les aspects de la

culture contemporaine. Un nouveau règne s’an-

nonce, qui brouille toutes les frontières : celui du

professionnel-amateur, citoyen-acteur, artiste en

puissance...

Les arts moyens aujourd'hui : Albi 2006, actes du colloque international d'Albi, 30-31 mars, 1er avril 2006, volumes 1 et 2, sous la direction de Florent Gaudez, Collection Logiques sociales. Sociologie des arts, L'Harmattan, Paris 2008

Il y a 40 ans, Pierre Bourdieu, Luc Boltanski,

Robert Castel et Jean-Claude Chamboredon

publiaient : Un art moyen. Essai sur les usages

sociaux de la photographie (Editions de Minuit,

Paris, 1965), fruit d'une grande enquête socio-

logique où ils étudiaient les usages sociaux de

la photographie. Ils en montraient d'abord le

caractère normatif et la prégnance des confor-

mités. Ils montraient aussi combien pesait sur

les pratiques le poids des hiérarchies sociales

et de leurs représentations. Peut-on aujourd'hui

re-convoquer à nouveaux frais la problématique

des “arts moyens” ? L'idée d'une monosémie

culturelle battue en brèche par les enquêtes

contemporaines, l'hypothèse de la diversité

des pratiques et du sens donné aux pratiques

peuvent aujourd'hui être réexaminées. N'y a-t-il

vraiment qu'un seul “peintre du dimanche”,

simplement modalisé par les statuts sociaux,

un seul vidéaste amateur se conformant aux

règles de l'espace social ? À une époque où

les frontières entre amateurs et professionnels

sont devenues de plus en plus floues dans de

nombreuses pratiques artistiques justifiant qu'on

s'interroge sur la définition de ce terme, et après

40 ans d'avancées technologiques fulgurantes,

cet ouvrage est aussi l'occasion de réexaminer

la modernité d'un concept à l'aune des NTIC

(Nouvelles Technologies de l'Information et de la

Communication) et d'un ensemble d'instruments

technologiques qui n'existaient pas à l'époque :

Vidéo, téléphones portables, appareils photo et

caméras numériques, photo et caméra numé-

riques intégrées dans les téléphones portables,

Internet, Web, Net Art, Cyber-pratiques, etc. Les

auteurs envisagent la diversité des pratiques des

amateurs, au double sens du terme, et la diversité

des pesanteurs sociales s'exerçant sur elles.

Considérer la multi-détermination des pratiques

des arts moyens permet à ce travail collectif

d'explorer un espace aux dimensions multiples

et croisées, de calculer des degrés d'autonomie,

d'entrevoir aussi le fardeau de certaines stéréo-

typies. Cet ouvrage vise ainsi à esquisser la figure

contemporaine des “arts moyens”.

tHéâtrE amatEur

Le théâtre des amateurs et l'expérience de l'art : accompagnement et autonomie, textes réunis et présentés par Marie-Christine Bordeaux, Jean Caune et Marie-Madeleine Mervant-Roux, l'Entretemps, Vic-la-Gardiole, 2011

Dues à des animateurs de compagnies, d'asso-

ciations et de fédérations d'amateurs ainsi qu'à

des chercheurs, ces contributions présentent

une approche originale du monde du théâtre

amateur, lui-même peu étudié, et réfléchissent

sur la dimension de l'art de points de vue anthro-

pologiques et esthétiques.

cHEmiN dE lEcturE

aVis à la populatioN

Page 39: Avis à la population # 3

Le théâtre des amateurs, Le Grand T, Editeur Joca seria, Nantes 2007

Anthologie de textes (J. Gracq, P. Coutant, J.-C.

Grimberg...) consacrés au théâtre amateur et

visant à le valoriser, l'interroger et le développer.

Le théâtre des amateurs : un jeu sur plusieurs scènes, par Thomas Morinière Ed. du Croquant, Bellecombe-en-Bauges, 2007

Enquête sur la “séance de variétés”, succes-

sion de sketches réalisés par des habitants de

La Séguinière, petite commune pavillonnaire,

un spectacle qui constitue un véritable défi à la

théorie de la domination culturelle : l'autodéri-

sion et la décontraction des comédiens amateurs

témoignent d'une indifférence aux représenta-

tions autorisées du spectacle artistique.

littérature

Aux frontières du champ littéraire : sociologie des écrivains amateurs, par Claude F. Poliak, Collection Etudes sociologiques, Economica, Paris, 2006

A partir d'une enquête empirique, l'auteur décrit

les aspirations, les pratiques et les rêves de ceux

qui s'adonnent à l'écriture dans l'espoir d'être

édités un jour. Il présente ainsi ce secteur de la

littérature comme un espace social particulier,

un"simili" champ littéraire qui permet de satis-

faire les besoins de reconnaissance des écrivains

amateurs.

art Brut

L'art brut : l'art sans le savoir, par Céline Delavaux, Collection L'art & la manière, Ed. Palette, Paris,2009

Présente les circonstances de l'invention du

concept d'art brut par Dubuffet et les différentes

facettes de cet art créé par des artistes solitaires,

marginaux, médiums, etc., sans connaissance

des techniques et de l'histoire de l'art.

La Fabuloserie : art hors-les-normes, art brut,

préface Michel Ragon, Albin Michel, Paris, 2009

La Fabuloserie a été ouverte en 1983 par Alain

Bourbonnais dans les granges de sa maison de

campagne, à Dicy, dans l'Yonne, pour abriter sa

collection. C'est une sorte de cabinet de curio-

sités, un lieu de l'imaginaire, de l'enfance retrou-

vée, où sont réunies des œuvres d'art “hors les

normes”. Leurs créateurs ont transcendé leur

quotidien en réutilisant des objets cassés, des

bouts de fil de fer.

Art brut : l'instinct créateur, par Laurent Danchin, Collection Découvertes Arts, n° 500, Gallimard, Paris, 2006

Présentation de l'art brut, inventé en France

par le peintre Jean Dubuffet, devenu tendance

aujourd'hui. Dès les années 1850, en Europe,

des psychiatres commencent à étudier l'activité

plastique de certains malades. Des collections

se constituent et des articles sont publiés sur

le rapport du génie et de la création. Dubuffet

fonde alors la Compagnie de l'Art.

L'art brut, par Lucienne Peiry, Collection Tout l'art. Histoire, Flammarion, Paris, 2006

Retrace l'historique de la notion d'art brut, mêlée

à l'histoire de son initiateur, Jean Dubuffet,

depuis sa prise de conscience de cet art lié pour

lui au concept d'anti-culture, jusqu'à la constitu-

tion systématique de sa collection, à l'origine du

Musée de l'art brut de Lausanne.

Par la librairie Point Virgule, rue Lelièvre, 1, 5000 - Namur www.librairiepointvirgule.be

éditioN #3

Page 40: Avis à la population # 3

Ce journal est publié avec le soutien de la Fédération

Wallonie-Bruxelles.

© u

NE

lEt

tr

E d

’am

ou

r-

ViN

cEN

t B

Eck

Er c

réa

Hm