24
Baithak Un salon pour la musique classique de l’Inde Meeta Pandit, Kamal Sabri, Vijay Venkat, O. S. Arun MAISON DE L’ARCHITECTURE SEPTEMBRE AU OCTOBRE © Avinash Pasricha

Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

BaithakUn salon pour la musique classique de l’Inde

Meeta Pandit, Kamal Sabri, Vijay Venkat, O. S. Arun

MAISON DE L’ARCHITECTURE

24 SEPTEMBRE AU 5 OCTOBRE 2010

© A

vin

ash

Pas

rich

a

Page 2: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

© Rajeev Rastogi

Page 3: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

BaithakUn salon pour la musique classique de l’Inde

Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès

Remerciements à Michel Crozemarie et ses équipes, maison Hermès

Avec l’aide de Reitzel France et Airel

Dans le cadre de Namaste France

Avec le concours de CulturesFrance et de l’Indian Council for Cultural Relations

Cette 39e édition est dédiée à la mémoire d’Alain Crombecque

3

Page 4: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

BaithakUn salon pour la musique classique de l’Inde

Musique hindustani

24 et 25 septembre 20h, 26 septembre 18hMeeta Pandit, chant hindustaniShailendra Mishra, tabla Bharat Bhushan Goswami, sarangiManmohan Nayak, pakhawaj Abha Pandit, tanpura

27 au 29 septembre 20hKamal Sabri, sarangiShubh Maharaj, tabla Suhail Yusuf Khan, sarangi Rafiq Khan Langa, khartalAslam Khan, tanpura

Musique carnatique

30 septembre au 2 octobre 20hVijay Venkat, flûte (30 septembre et 2 octobre), vichitra-veena (1er octobre)C. N. Chandrashekhar, violon K. R. Ganesh, mridangamLakshmi Inala, tanpura

3 octobre 18h, 4 et 5 octobre 20hO. S. Arun, chant carnatiqueKaraikal Venkatasubramanian, violon Venkat Subramanian, mridangamHarihara Subramanian, ghatamFerdinan Alfones, tanpura

Entretiens avec les artistes : Jérémie Szpirglas

4

Page 5: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

On raconte que les sept notes de la musique classique indienne dont

les principes figurent dans les Veda (les écrits fondateurs – Sama

Veda) ont pour origine les chants d’oiseaux et les cris d’animaux

– paon, grenouille, éléphant, cheval, cataka l’oiseau mythique –, Sa, Re, Ga,

Ma, Pa, Dha, Ni.

La musique hindustani est caractéristique de l’Inde du Nord, elle s’est deve-

loppée sous l’influence des Moghols et de la culture arabe et perse, tandis

que la musique carnatique, née au XIVe siècle, appartient à la culture de

l’Inde du Sud. Elle prend son nom de la province du Karnataka. Les deux

styles ont en commun le système des modes (raga) et des rythmes (tala).

Historiquement, musique et danse classiques indiennes sont nées et n’ont longtemps été jouées que dans les temples et lespalais royaux. L’intimité qu’offraient ces lieux enclos et révérés répond à leur grandeur divine ou royale : à l’architectureimposante et intimidante des temples et palais s’opposait une atmosphère vive et chaleureuse.

Le terme « baithak » (du sanscrit : assis ensemble) suggère un lieu, un salon, où se réunissent quelques personnes seulement.Cet espace restreint garantit la proximité entre des artistes et une audience, et crée entre eux une relation étroite et constante,une interaction intime et mutuellement enrichissante. Aussi, le baithak est-il idéal pour la musique classique de l’Inde.L’esthétique indienne traditionnelle, qui a toujours cours aujourd’hui dans ses formes classiques, veut que seuls soient admisdans le cercle du baithak les initiés, les semblables, les Sahridaya : ces êtres sensibles, susceptibles d’apprécier un art raffiné,pourraient, de par leurs inclinations, apprécier la musique dans toutes ses nuances et couleurs. Les baithak se faisant de plusen plus rares, et les espaces dédiés – auditoriums et autres salles d’une grande neutralité – de plus en plus vastes, le public,assis bien loin, ne peut plus percevoir toutes les exquises subtilités et fines ornementations de la musique. La démocratisationdes arts classiques en Inde a eu un effet à double tranchant : si les formes classiques sont aujourd’hui plus accessibles quejamais au plus grand nombre, la richesse de leur esthétique s’en voit érodée d’autant. La musique, dans la tradition classique indienne, s’adresse à Dieu, aux multiples divinités qu’il incarne, ou au pouvoir, aumécène. La proximité physique dans les temples ou les palais permettait à l’artiste d’évaluer le plaisir qu’il communiquait auxdestinataires de son art. Rasa, le plaisir esthétique, se doit d’être convoqué, vécu et savouré, collectivement.On observe aujourd’hui en Inde quelques tentatives pour revenir à des espaces intimes d’écoute et encourager la réémergencede l’âge d’or de la rasikata (l’esthétique savourée collectivement), réaffirmant ainsi son rôle, un temps délaissé, dans la perceptionde l’art musical et réhabilitant la grandeur de la musique et de la danse classiques.

Ashok Vajpeyi est poète. Il préside à New Delhi l’Académie Lalit Kala

Un baithak | Le salon de musique | par Ashok Vajpeyi

5

Page 6: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

Petite-fille du légendaire Padma Bhus-han Krishnarao Shankar Pandit, émi-

nente personnalité de la musiqueclassique de l’Inde du Nord au XXesiècle,et fille de Laxman Krishnarao Pandit,Meeta Pandit chante principalement lestyle Khayal. Elle a donné des concertsavec des formations occidentales etindiennes en Inde, en Europe, aux États-Unis. Boursière du gouvernement fran-çais en 2003, elle passe une année à Parisoù elle enseigne, comme elle le faitaujourd’hui en Inde.Meeta Pandit est titulaire de prix natio-naux en Inde, comme le “Sangeet NatakAkademi-Ustad Bismillah Khan YuvaPuraskar”, “Indira Gandhi PriyadarshiniAward”, “The Golden Voice of India”. Latélévision indienne a produit en 2005“Meeta - Linking a Tradition with Today”.www.meetapandit.com

La relation entre maître et disciple, laguru-shishya parampara,est une grandetradition de transmission du savoir, partieintégrante de la musique classiqueindienne. Votre apprentissage s’est-il faitsuivant cette tradition millénaire ?Tout à fait. J’ai eu la chance de naître dansune famille de grands musiciens, voirede musiciens légendaires. Être dès l’en-fance bercée dans les bras de géants telsque mon grand-père, Padma BhushanKrishnarao Shankar Pandit, ou mon père,Laxman Krishnarao Pandit, n’est pasdonné à tout le monde. À la maison, lamusique faisait partie de notre quotidien.Tout y touchait, de près ou de loin – quece soit les conversations pendant les repasou les moments de loisirs. La musique fai-sait ainsi partie intégrante de mon déve-loppement personnel et intime plus quede mon éducation… J’ai donc commencétrès jeune (en plus de ma scolarité). Audébut, ma mère m’aidait, m’inculquantla discipline nécessaire à l’apprentissagequotidien. Et chaque jour, après l’école,mon père m’enseignait les compositionset les ragas. Nous sommes évidemment allés à Gwalior(État du Madhya Pradesh) pour y retrouvermon grand-père – qui était le doyen dela scène musicale hindustani, l’une desfigures les plus importantes du XXesiècle– et pour que je puisse recevoir son ensei-gnement. Notre différence d’âge étaitconséquente : quand j’avais 15 ans, il enavait presque cent. Mais il fut, et est encorepour moi aujourd’hui, une source d’ins-piration. Mon père et mon grand-pèresont mes deux gurus.

À leur suite, vous représentez donc laprestigieuse école de Gwalior…La place de Gwalior dans l’histoire de lamusique hindustani est centrale – on l’aconsidérée comme la capitale culturellede l’Inde. De même que Benarès est unhaut lieu de pèlerinage pour les Hindous,Gwalior est le haut lieu des musiciens.

“même en présence duguru, on est face à soi-même

lorsqu’on travaille ”

MEETA PANDIT

6

Page 7: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

C’est là qu’un artiste vient chercher lareconnaissance. École incroyablementdynamique considérée comme le creusetdes différentes Gharanas, Gwalior aaccueilli et nourri de nombreux stylesmusicaux qui ont ensuite pu se popula-riser très largement.Le fondateur de l’École de Gwalior, le RajaMansingh Tomar (1486–1516), est aussi lecréateur du style Dhrupad. Il a écrit leMankautuhal, traité musical fondateur,et popularisé le Dhrupad en utilisant ledialecte hindi Brijbhasha pour écrire lesparoles des chants. Gwalior fut aussi lapatrie de Miyan Tansen (environ 1493–1589), dont on dit qu’il fut le plus grandmusicien de tous les temps.La tradition de mécénat à Gwalior étaittelle que tous les artistes voulaient s’yinstaller – même après la dynastie deTomar , sous le régime des Scindia, quifirent de Gwalior leur capitale.Après le Dhrupad vint le style Khayal –initié par Nathan Peer Baksh, que l’onconsidère comme le créateur du styleKhayal de Gwalior – , et Gwalior a joué làencore un rôle déterminant dans le pas-sage du Dhrupad vers le Khayal, grâceaux grands maîtres Ustad Hassu Khan,Haddu Khan, Nathu Khan. Avec eux, lestyle Khayal s’est développé et a atteintdes sommets.

Outre les styles Dhrupad et Khayal, Gwa-lior est célèbre pour les tappa, tarana,ashtapadis (ces fameux hymnes composésde huit vers que l’on doit à Jayadeva),thumri et d’autres. L’école de chant deGwalior s’est enrichie et imposée au pointd’être aujourd’hui, dans toute sa diversité,le courant dominant de la musique clas-sique du nord de l’Inde.Nous, la famille Pandit de Gwalior, avonseu la chance exceptionnelle d’apprendreauprès de ces grands maîtres – qui n’en-seignaient d’ailleurs que pour transmettreà ceux qu’ils en jugeaient dignes, et quin’acceptaient jamais de paiement car ilsn’accordaient aucune valeur à l’argent.Nous leur devons tout et n’avons poureux que gratitude, respect et dévotion.Ils nous ont transmis les trésors que sontleur très riche catalogue de bandishainsique les méthodes de la délinéation duraga selon les compositions et les diversgayaki (styles de chants).

Pensez-vous la tradition guru-shishyaparampara encore vivante aujourd’hui,en dehors des familles musiciennescomme la vôtre ?Oui. Et, lorsqu’il s’agit de se consacrer plei-nement à l’art, c’est la seule façon de faire.Il existe bien sûr des écoles de musique,mais elles ne peuvent pas former desmusiciens de haut niveau. Pour cela, il est

nécessaire de passer par la formationspécifique que l’on ne peut obtenir qued’un guru.Cela dit, si l’enseignement se fait en têteà tête avec le guru, la pratique se fait seulface à soi-même – même en présence duguru, on est face à soi-même lorsqu’ontravaille –, et c’est là, comme dans toutprocessus de création, que la créativitése révèle, s’exprime à travers le chant, etfait du disciple un artiste à part entière.

La musique classique indienne, qui étaitdestinée aux temples, puis aux coursroyales, est aujourd’hui sortie de cescontextes privilégiés pour se produiredans des salles de concert toujours plusvastes. Cela nécessite-t-il des ajuste-ments dans les techniques vocale etinstrumentale ? Qu’en est-il de l’ampli-fication, devenue presque une règle au-jourd’hui ?À ce sujet, je dois parler de mon grand-père. À son époque, on n’utilisait pasencore de micros, et il a pourtant chantépour des publics de plus vingt mille per-sonnes ! L’endurance, les capacitésvocales, la sadhana (discipline) que celanécessite, dépassent l’entendement… Eten déployant tout son art, en usant detous les modes vocaux, de tous les gayakià sa disposition. Même et surtout lefameux ashtaang gayaki, pour lequel mafamille est si renommée – ashtaangsigni-fie huit, c’est un style dit « octuple ». Ony fait surtout usage de behlawa, de meend-soot, gamaket murki-khatka (qui sont lesornements caractéristiques à la base dustyle Dhrupad), d’alap-behlawaet de bol-alap (chanter l’alap avec les paroles), detaan (trille excessivement rapide) et debol-taan (chanter le taanavec les paroles),et de layakari (le layakari est un jeu avecle tempo : on y donne une plus grandeliberté au musicien qui tient le rythme,qui devient maître du jeu). C’est fascinant.Pour revenir à votre question : avec laconstruction, depuis l’indépendance del’Inde (1947), de nombreuses salles deconcert et auditoriums, près de 95% desconcerts de musique classique se fontavec amplification, même dans certainsbaithak aux dimensions pourtantmodestes. Et même moi, héritière de la longue tra-dition de chant de Gwalior, on ne me pro-pose que très rarement des concerts sansmicro. L’École de Gwalior met pourtantune emphase particulière sur la voix, sesqualités naturelles et sa pureté, pour par-courir trois octaves en aakar (voix ouverte,

7

Ph

oto

: D

.R.

Page 8: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

pleine et flûtée) tout en exprimant le raf-finement d’une composition.Cette amplification change notre manièrede jouer, de chanter, inconsciemment ounon. Avec un micro qui peut capter lemoindre fredonnement, le moindre soupir,la moindre articulation vocale, je ne chan-terais sans doute pas aussi fort que sans,lorsqu’il faut composer avec l’acoustiquedu lieu. Je pourrais chanter plus douce-ment mes ornements les plus délicats. Grâce à l’amplification, au choix et aupositionnement des micros, à la balanceet à la réverbération, on peut aussi camou-fler certains défauts de jeu : si la voix esttrop haute, par exemple, on peut insistersur les basses, ou ajouter de la réverbé-ration. L’absence d’ amplification exigeune écoute plus attentive entre nous.Aujourd’hui, s’adaptant de fait aux diffé-rents moyens d’amplification, les tech-niques vocales et instrumentales que ledisciple apprend de son guru sont biendifférentes de ce qu’elles furent autre-fois.Ainsi, quand se présente une merveilleuseopportunité de chanter sans micro,comme le propose le Festival d’Automneà Paris, je m’y prépare avec impatience.

Qu’en est-il de la dimension spirituellede la musique, à la source même de lamusique classique indienne : le fait desortir des temples l’en a-t-il privée ?Quand la musique est sortie des templespour entrer dans les palais, elle n’étaitdéjà plus exclusivement spirituelle. Mêmedans les temples, le public à contentern’était pas limité au seul divin. De nom-breux bandish (compositions) étaientaussi dédiés aux rois ou aux princes, pourle plaisir du maître des lieux. La musique classique indienne, commela plupart des beaux-arts, n’atteint sessommets que soutenue par un mécènequi l’apprécie. Pour trouver ce mécène, ilfaut exposer son talent – ce n’est doncpas un art exclusivement réservé à la dévo-tion, il peut également être chargé deplaisir et de romantisme. De nos jours, ils’agit certes d’un public plus large, maiscela ne change rien – ce public est notremécène.Si l’on considère toutefois la nature de lamusique, on constate combien elle doità la dévotion religieuse, et combien elleest tournée vers le Tout Puissant. Si jechante un air romantique, dont les parolessont un poème d’amour destiné au Nayak(l’amant), il restera toujours au cœur dela musique un aspect divin.

Vous chantez à Paris dans une anciennechapelle transformée en salon demusique, où les concerts pourront durerentre deux heures trente et trois heures.Jouez-vous souvent dans des cadres inti-mistes ? Vos concerts ont-ils souventcette durée ? Je chante régulièrement dans le cadre debaithak, mais, honnêtement, la plupartdes concerts de plus de deux heures queje donne ont lieu à l’étranger. À chaqueconcert de ma grande tournée en Amé-rique du Nord, j’ai chanté deux heurestrente ou trois heures. En Inde, j’ai le sen-timent que la durée d’écoute s’est terri-blement réduite.Le désintérêt des jeunes générations pournotre musique classique est sans douteen cause. L’attachement aux arts clas-siques – du moins en ce qui concerne lamusique hindustani – ne s’est pas déve-loppé autant que l’expansion de la popu-lation indienne aurait pu le laisser espérer.Les organisateurs ne demandent doncsouvent que des concerts courts.Pour une soirée présentant souvent troisartistes l’un après l’autre, la moyenne parartiste est entre cinquante et cinquante-cinq minutes, une heure maximum. On aà peine le temps d’exprimer quoi que cesoit. En d’autres occasions, on nousaccorde jusqu’à une heure quinze et ilfaut s’y tenir, le public n’apprécierait pasqu’on empiète sur le temps du musiciensuivant. Mais je voudrais tout de même rappelerun fait que je tiens de mon grand-père :autrefois, lorsque les rencontres entreartistes étaient extrêmement fréquentes,et faisaient se succéder géants etlégendes, l’un après l’autre, le tempsmoyen de jeu par artiste n’était pas trèslong non plus. Il ne faut pas une heured’écoute pour reconnaître le talent d’unmusicien : la maitrîse et la connaissancede l’art s’entendent dans les premièrescinq minutes d’un concert.

Pourriez-vous décrire le groupe de musi-ciens qui vous accompagne ? L’accompagnement de base de la musiquevocale hindustani comprend tout d’abordun tabla, instrument à percussion com-posé de deux fûts, le bayan et la dayan(gauche et droite). Le son est produit parle puddi (une peau de chèvre tendue, surlaquelle est tissée une autre peau coupéeen son centre). On l’accorde en fonctionde la gamme choisie et on y bat différentstaal (rythmes). Il est la base rythmique del’ensemble. Le joueur de tabla qui m’ac-

compagne est Shailendra Mishra, quireprésente les Gharanas de Benarès etde Farrukhabad.Il y a un sarangi, instrument à cordes frot-tées. Il est l’ombre qui suit ma voix lorsqueje chante, et, lorsque je ne chante pas, iloccupe l’espace laissé ouvert. De même,lorsque le joueur de tabla se lance dansun solo, pour montrer sa virtuosité, lesarangi devient alors le garant du laya(rythme). Le sarangi peut parfois être rem-placé, ou doublé, par un harmonium, maisje préfère le sarangi, plus proche de lavoix humaine. Le talent du sarangiste estessentiel – là où un bon sarangiste sublimeun chant, un mauvais peut complètementle détruire. Bharat Bhushan Goswami, deMathura, m’accompagne à Paris.J’ai ajouté un pakhawaj, car j’aime parti-culièrement sa sonorité grave et puis-sante, qui met en valeur certainescompositions que je chante. Le pakhawajest un instrument à percussion bi-face,surtout associé au style Dhrupad. N’oublions pas la tanpura. C’est un luthà quatre cordes, la caisse est une calebasseet le long manche est en bois ; c’est l’ins-trument d’accompagnement de lamusique vocale par excellence, celui aveclequel on travaille quotidiennement. Ilfournit le bourdon qui soutient la voix etest accordé en Pa - Sa - Sa - SA (Sol - Do -Do -Dograve). La musicienne qui tient latanpura est Abha Pandit, ma mère.

Quel impact ont la mondialisation et lamodernisation de l’Inde sur la musique ?La modernisation de l’Inde est en liendirect avec l’ouverture du pays au mondeoccidental, et avec l’émigration massivede la population. On observe aujourd’huiune mode inverse : des émigrés rentrantau pays.L’un des effets de cette modernisationconcerne le divertissement : l’étenduedes choix qui s’offrent à nous, est hallu-cinant : spectacles, concerts, cinémas,sans compter les soixante chaînes de télé-vision, internet et les lecteurs mp3.Aujourd’hui, nous sommes immergés dansun océan de divertissements. Le bon sensdira bien sûr que le client est roi : si unepetite musique de trois minutes, tiréed’un film de Bollywood, sur laquelle onpeut danser, convient, pourquoi irait-onécouter une heure de musique classique? Sans compter qu’il faut la comprendre! Une forme artistique aussi raffinée quela musique classique indienne (ou lamusique classique occidentale) exige nonseulement une oreille fine et entrainée,

8

Page 9: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

mais aussi de la curiosité et de la volonté.Pour moi, dans mon environnement fami-lial, tout a été parfait, naturel ! Mais pourles autres ? C’est un défi inédit pour nous.Quand j’étais jeune, je ne pouvais queconstater l’abîme qui séparait mon envi-ronnement familial de mon environne-ment scolaire. Aucun de mes camaradesde classe, aucun de mes professeurs, necomprenait ma passion, ma vocation pourla musique. Si je leur disais un jour queje n’avais pas pu faire mes devoirs car ungrand maître était venu dîner la veille àla maison, inutile de vous dire que monexcuse était mal reçue. Les enseignantsn’avaient aucune idée de ce qu’était monhéritage, de ce que représentait mafamille, et ne comprenaient donc pas com-bien il était naturel pour moi de m’inté-resser à la musique.J’observe aussi cela dans l’emploi du tempsde mes disciples : si je leur dis de travaillerquatre heures par jour pendant leursvacances d’été, ils me répondent qu’ilsn’en auront pas le temps. Et, quand on nepeut leur demander quatre heures parjour, même durant les vacances, que peut-on demander durant l’année scolaire ?Une demie-heure ? Cela suffit-il à formerun artiste convenable ? La réponse estévidemment non.Combien de talents potentiels ont ainsisouffert de devoir mettre leurs ambitionsmusicales au second plan quand le sys-tème scolaire ne reconnaissait pas leurart ? Car de nos jours, la musique ne consti-tue pas un plan de carrière. Nombreuxsont mes anciens camarades et mesanciens professeurs qui, aujourd’hui,ayant lu mon nom dans des journaux ouvu ma photo dans un magazine, ont com-mencé à s’intéresser à la musique – ilsviennent m’écouter en concert, me disent« nous sommes très fiers de vous ». Com-bien aurais-je donné pour qu’ils manifes-tent ainsi leur fierté et leur soutien àl’époque où j’en avais le plus besoin, quandj’étais jeune ?

Comment envisagez-vous l’avenir de lamusique classique indienne ?Je trouve quelques raisons de ne pas m’in-quiéter. D’abord, je pense qu’on trouveratoujours des personnes prêtes à s’y consa-crer – comme cela a toujours été le cas.Ces artistes-là, qui y auront trouvé leurvocation, soit du fait d’un environnementfamilial, soit par eux-mêmes, sauront pro-gresser et transmettre. Ensuite, je suis très agréablement surprise,lors de mes tournées en Europe ou en

Amérique, de la passion manifestée partoute une nouvelle génération d’audi-teurs, qui sont en général des Indiensémigrés de la première ou deuxième géné-ration, et qui trouvent dans la musiqueet dans les concerts que nous donnons,un lien avec leurs racines.

Comment pensez-vous que le format desconcerts va évoluer ? C’est un débat que nous avons fréquem-ment avec les organisateurs de festivals.Pourquoi raccourcissent-ils ainsi notretemps de jeu ? Qui peut dire ce que çadonnera dans cinquante ans ? C’est lapoule et l’œuf : si les organisateurs deconcert continuent de nous demanderune moyenne d’une heure par artiste, l’ar-tiste s’y pliera et d’ici dix à vingt ans, lesconcerts longs seront, plus encore qu’au-jourd’hui, l’exception. En Inde tout dumoins… Car j’ai le sentiment que hors del’Inde, la durée des concerts restera rela-tivement satisfaisante.

Comment voyez-vous votre carrièrefuture ?En plus de mon activité principale demusicienne, j’essaie de comprendre etde combler cet abîme inquiétant et gran-dissant qui sépare les artistes du grandpublic. Pour cela, je fais depuis quelquestemps à la télévision une chronique d’éveilà la musique classique indienne. Parcequ’elle en a compris les enjeux, la chaînem’a donné un module de sept minutesau sein de la matinale du samedi – quiest de grande audience. Le discours y estsimple et léger, destiné aux non-inités. Jefais par exemple voir un clip de chansonspopulaires s’inspirant de ragas tradition-nels – chansons dans lesquelles n’importequel auditeur peut se retrouver –, puis jeparle un peu du raga, et, pour finir, jechante une petite composition qui lereprend. Ce ne sont que sept minutes ausein d’une émission d’une heure, maisnous sommes parvenus à éveiller un grandintérêt – pour preuve les montagnes delettres que l’on reçoit, de toute l’Inde etmême des endroits très reculés. J’ai également produit une série d’émis-sions, intitulée Swar Shringar, consacréesà la sensibilisation musicale que WorldSpace Radio a diffusée sur sa chaine RadioGandharva. L’émission a fait le tour dumonde . Enfin, je suis en ce moment consultantepour le Centre National des Arts IndiraGandhi à Delhi, où je dirige une très vasteentreprise d’archives audiovisuelles. Je

rassemble et archive les enregistrementsde tous les grands maîtres de la musiquehindustani encore vivants, dans lesdomaines des musiques vocale et instru-mentale, dont il est essentiel de garderune trace.

Biographies des musiciens accompagnant Meeta Pandit

Bharat Bhushan Goswami, sarangiPandit Bharat Bhushan Goswami est unegrande figure de la musique hindustanid’aujourd’hui. Il est le petit-fils du PanditAnmol Chand Goswami. Après le chantappris auprès de son grand-père (chantsdévotionnels Haveli liés au temple deRadha Rani à Barsana), il s’est tourné versle sarangi avec le Pandit Kanhaiya Lal Jide Mathura. Ses maîtres seront ensuiteHanuman Prasad Mishra de l’École deBénarès, puis Rajan Mishra et SajanMishra. De nos jours, il joue en soliste oubien en accompagnateur, en Inde et àl’étranger. Il participe aux programmesprestigieux de All India Radio ; il a reçuà Bhopal le Prix Ustad Abdul Latif Khan.

Shailendra Mishra, tablaShailendra Mishra représente les écolesde musique de Bénarès et de Farukhabad.Diplômé en musique et artiste reconnupar les radios et télévisions en Inde, Shai-lendra Mishra est un soliste dont lestalents multiples lui ont permis de joueraux côtés d’ensembles de jazz, de game-lans, d’accompagner la musique carna-tique ou d’autres styles. Il est un joueurde tablas reconnu comme un musiciende premier ordre en Inde.

Manmohan Nayak, pakhawajManmohan Nayak est un disciple du Pan-dit Dalchand Sharma, de l’École demusique de Nathdwara (Rajasthan). Il aparticipé à de nombreuses tournéescomme soliste ou accompagnateur etest lauréat de nombreuses récompenses,entre autres le Prix Taal Mani.

Abha Pandit, tanpuraAbha Pandit a commencé très jeune sesétudes de musique. Elle a joué aux côtésde son mari, Laxman Krishnarao Pandit ;elle a enseigné et formé de nombreuxélèves, y compris ses enfants et en par-ticulier sa fille Meeta.

9

Page 10: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

Votre formation s’est-elle dérouléeconformément à la tradition guru-shishyaparampara ?Traditionnellement, le disciple nouaitun lien autour de son poignet en signede son engagement auprès du guru. Larelation spirituelle, presque fusionnelle,s’établissait ensuite entre le maître et ledisciple.Quant à moi, j’ai commencé lamusique à cinq ans, avec mon père, legrand maître du sarangi Ustad Sabri Khan.Il m’a éduqué dans la grande traditiondes gurus. Il m’a appris les bandish et lestechniques instrumentales qu’il tenaitlui-même de son père – je représente laseptième génération de sarangistes dela famille.Ce mode d’enseignement est courantdans les familles de musiciens comme lamienne, qui ont à cœur de pérennisercette tradition. On le trouve égalementsouvent à l’intérieur du pays.

Que comprend l’apprentissage du saran-giste et, plus généralement, du musicien?Le guru vous enseigne dès le plus jeuneâge les ragas les plus courants – le ragabhairav (un raga du matin), le raga multani(de l’après-midi), le raga yaman (du soir)– ainsi que les bandish (compositions) lesplus emblématiques de sa gharana. C’estla base des connaissances, la formationinitiale.Dans la musique carnatique, au Sud,comme dans la musique hindustani (àlaquelle j’appartiens ainsi que mon ins-trument, le sarangi) au Nord, le raga estfondamental – même si, dans la musiquecarnatique, la détermination temporelledes ragas est interprétée de manière beau-coup moins scrupuleuse que chez nous.Chaque raga est en effet destiné à unepériode temporelle déterminée, en dehorsde laquelle on ne peut pas le jouer : il fautêtre à la bonne saison, et à la bonne heurede la journée. Il y a un raga approprié pourchaque instant, et un instant appropriépour chaque raga.S’ajoutent à la théorie des exercices detenue de l’instrument et de l’archet, desexercices de placement des doigts sur le

“ Guru-shishya parampara : un sys-tème de transmission et de pratiquequi n’a rien de commun avec le mode

de pensée occidental ”

KAMAL SABRI

Kamal Sabri est le fils du célèbre etrévéré joueur de sarangi Ustad Sabri

Khan ; il est l’héritier d’une lignée de septgénérations de musiciens. Devenu vir-tuose de grande réputation après avoirsuivi l’enseignement de son père dès sescinq ans, il représente aujourd’hui l’Écolemusicale (Senia Gharana) de Rampur éta-blie par ses ancêtres. Kamal Sabri fait sapremière tournée avec son père à l’âgede quatorze ans, joue au Queen ElizabethHall à Londres et débute une carrièreinternationale. Il participe aux “Vingt-quatre heures du raga” à la Cité de lamusique et ses concerts sont enregistréspar les radios européennes. Kamal Sabrijoue avec des musiciens comme ZakirHussain, Fateh Ali Khan, et aussi, dansun style de fusion musicavec Jan Garba-rek, Massive Attack ; il compose égale-ment des musiques pour le cinémaoccidental, pour les films de Bollywoodou pour des documentaires et a publiéde nombreux CDs.www.sarangi.co.uk

10

Page 11: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

manche et les cordes ; et on commenceà s’exercer sur des combinaisons de notes.

Comment prend-on sa liberté vis-à-vis dumaître ?Je suis issu d’une longue lignée de joueursde sarangi, il était donc très important deprendre le relais. Je suis le troisième dequatre frères et j’ai eu le grand honneurd’être choisi par mon père pour jouer dusarangi et pérenniser cette tradition dusarangi au sein de notre famille. L’ainé,Ghulam Sarvar Sabri, joue du tabla et vitaujourd’hui en Angleterre. Le deuxièmeest Jamal Sabri. Il n’a pas choisi la musique :il est comptable et vit à Dubaï. Mon frèrecadet, Gulfam, joue du tabla et interprêteles chants soufis.Il a toujours été essentiel pour moi de mefaire reconnaître comme le digne fils demon père, le grand Sabri Khan. Être le filsd’un grand musicien décuple les attentesdu public à votre égard : ils s’attendent àce que vous soyez au moins aussi extra-ordinaire que le maître.

Les grandes familles de musiciens commela vôtre sont-elles nombreuses ?Très nombreuses, oui. C’est une traditionmillénaire de la musique classiqueindienne. Les grandes familles de musi-ciens jouissent d’un grand respect de lapart du peuple indien.Les maîtres passent leur savoir à leursenfants et disciples. Il y a bien sûr des maî-tres dont les enfants ne sont pas musiciens,ou dont les enfants ne sont pas asseztalentueux, mais leurs disciples se char-gent alors de reprendre le flambeau, etde faire vivre la gharana de leur guru.Notre famille est certainement la plusrenommée et la plus prestigieuse dusarangi. Nous sommes la seule famille àavoir trois musiciens de trois générationsdifférentes qui se produisent un peu par-tout dans le monde : mon père, le grandmaître, moi-même, et à présent mon neveu,Suhail, excellent joueur de sarangi éga-lement. Nous avons enregistré un CD inti-tulé Sabri Familyavec les trois générations.

Les modes de représentations de lamusique ont évolué. La musique et sapratique changent-elles, elles aussi ?Cette évolution influence non seulementla musique, mais elle transforme le musi-cien lui-même. De spirituel – chanter à lagloire de Dieu –, le rôle du musicien estdevenu un rôle de courtisan. En musiquecomme ailleurs, il faut bien gagner sonpain, nourrir sa famille, souvent nom-

breuse. Et quand finalement il fallut jouerpour le grand public, le rôle de musiciendemande encore plus d’ouverture d’espritet de souplesse technique. Un vrai défi !Chanter pour un prince est certes trèsprestigieux mais jouer devant un publicnon initié – lui donner l’occasion de décou-vrir et de comprendre la musique – estune grande responsabilité et un devoirpour un musicien.Nous devons aussi divertir, ce qui peutsoit enrichir la performance , soit l’appau-vrir si l’on sort du système traditionnel.

L’amplification est devenue une règleaujourd’hui : cela change-t-il la musique?Si l’amplification devient pafois indispen-sable, elle doit toutefois être en mesurede sublimer le son – qui a des propriétésmagiques et peut soulager les maux, soi-gner les maladies –, plutôt que de le diluerou le dénaturer. Elle doit en augmenter le

volume tout en respectant son timbre. L’in-génieur du son joue un rôle essentiel dansles concerts. Il doit trouver, avec le musicien,un équilibre et une alchimie positive, entravaillant avec un matériel sonore et dansune mise en espace appropriés.

Pensez-vous que le fait que vous puissiezenregistrer et diffuser votre musique aune quelconque influence sur son formatet son esthétique ?Non, je ne crois pas. Chez un bon musicien,on n’entendra dans les enregistrementsque ce qu’il a joué. Je n’en suis pas à 100%sûr, mais, à mon sens, comme pour l’am-plification, l’enregistrement peut avoirun impact très positif tout comme deseffets désastreux. Pour des raisons pra-tiques, il faut enregistrer, et vendre, pourse faire entendre, mais écouter un concertou un CD sont deux expériences très dif-férentes.

11

Ph

oto

: D

.R.

Page 12: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

Qu’en est-il de la dimension spirituellede la musique, à la source même de lamusique classique indienne : le fait desortir des temples l’en a-t-il privé ?Absolument pas ! C’est toujours la dimen-sion première de la musique. Quand onest sur scène on joue pour Dieu. Mais, enmême temps, il s’agit de plaire au publicqui a fait l’effort de venir. Il faut établir,au travers ou au moyen de cette dimen-sion spirituelle et sacrée, une atmosphèreparticulière qui fasse oublier l’auditoriumau public. C’est la magie de la musiquede transporter son auditoire : il n’est plussur terre, il s’imagine dans un ailleurs oùil serait heureux et laisserait derrière luiles tracas quotidiens.

Lorsque la musique était destinée auxdivinités ou aux rois, il était très importantpour le musicien d’être en contact avecson public, pour répondre au mieux à sesattentes. Est-ce encore le cas aujourd’hui,alors que la musique est souvent présen-tée dans des grands auditoriums ?L’interaction avec le public est essentielle.Et jouer pour un public restreint ou pourune large audience devient alors une expé-rience et un plaisir très différents, pourle musicien comme pour l’auditeur. Enpetit comité, une véritable intimité naîtentre eux. Tandis que dans une grandesalle, la communication entre l’auditeuret le musicien passera davantage par leson et la musique. Le cadre influe forte-ment sur la musique, puisqu’il influe surl’imagination, à l’œuvre dès qu’on fermeles yeux et que commence le concert. J’aid’ailleurs constaté la préférence despublics français pour ce genre de concert– qui permet une plus grande proximitéavec les instruments et la musique.

En quoi le baithak rappelle-t-il le cadretraditionnel des concerts dans les tem-ples ?Dans les temples, le cadre était très simple :le musicien faisait face à la statue et jouaitpour elle. Aujourd’hui, les statues sontsimplement devenues mouvantes, ellespeuvent aller et venir. On a bien sûr unparterre devant nous, mais on joue tou-jours pour Dieu. Pour un musicien, chaquepersonne possède une part de divin. Jouerpour un public, le rendre heureux, faireentrer son âme en résonance avec lasienne, c’est aussi jouer pour Dieu.Je me produis encore dans des temples,mais toujours avec un public. Je ne jouepas pour Dieu exclusivement – sauf quandje joue pour moi-même, seul dans une

pièce, fermant les yeux et me laissantaller.

Avez-vous souvent l’occasion de vousproduire dans de longs concerts, de deuxà trois heures, comme ceux de Paris àl’automne ?Fort d’une grande connaissance et d’uneexpérience conséquente, je m’adapte etje peux jouer cinq minutes comme cinqheures. Mais, pour bien jouer un raga, l’ex-plorer et en présenter toutes ses facettes,il faut au moins une bonne heure, de l’alapau jor, suivi du gatet enfin du jhala (le cli-max) – chaque instant du raga nous pré-sente un visage différent.Un concert long laisse le temps pour pré-senter d’autres aspects de la musiqueclassique indienne, comme le thumriparexemple.Cependant, un concert ne dure pas néces-sairement quatre heures. La plupart dutemps, ça dure une heure, une heure etdemie. Ce n’est que si le public appréciequ’on peut pousser vers les trois ou quatreheures. Si on ne joue qu’une heure, ons’efforce de faire au mieux : on sélectionneun raga et on en présente toutes lesnuances, du mieux qu’on peut, en respec-tant les contraintes horaires.

Pourriez-vous décrire le sarangi et sonhistoire, que, en tant que Sabri, vousconnaissez sans doute mieux que qui-conque ?Le sarangi a un rôle essentiel dans lamusique indienne. Il s’appelait auparavant« sorangi », ou « saurangi », ce qui signifie« l’instrument aux centaines de couleurs».Le sarangi est aussi l’instrument qui s’ap-proche le plus de la voix humaine. En tantqu’instrument accompagnateur de la voixet du chant, on le retrouve dans de nom-breux styles, du dhrupad à la musiqueplus légère de ghazal ou des chansonsplus populaires, en passant par le Khayal,Kajri, Chaiti, Thumri, Dadra, Tappa, Hori,Bhajan, Qawwali.Il existe plusieurs hypothèses quant à sesorigines. La plus vraisemblable – et quiapparaît déjà dans deux ouvrages du XIIIe

siècle intitulés Sangeet Ratnakaret San-geet Parijat– lui donnerait comme lointainaïeul un instrument appelé pinakini veena.Cette veena n’avait qu’une seule cordenouée aux deux extrémités d’un bambou.On la frottait avec un archet fait d’unemèche de crin de cheval tendue sur unebaguette. L’instrument tel qu’on le connaîtaujourd’hui a été mis au point par HyderBaksh, célèbre musicien originaire de la

ville de Panipat au Haryana. Il possèdetrois cordes principales, en boyau de chè-vre et trente-cinq à quarante cordes sym-pathiques qu’on ne joue pas, et qui neservent qu’à la résonance.Le sarangiste doit s’asseoir en tailleur surle sol et poser l’instrument sur ses genoux.De la main droite, on frotte l’archet surl’une des cordes, et, pour produire lesnotes glissantes de la mélodie, on faitglisser les cuticules des ongles de la maingauche sur la corde en vibration. Le cuti-cule à la base de l’ongle est particulière-ment sensible – je ne connais aucun autreinstrument qui se joue ainsi.On trouvera de plus amples informationssur le sarangi sur mon site internet(www.sarangi.co.uk) et dans un livre quej’ai écrit, publié prochainement.

L’instrument est-il populaire ? Combieny a-t-il de sarangistes en Inde ?Nous ne sommes pas nombreux. On leconsidère comme un instrument difficileet il exige un rude travail pour le maîtriser.Beaucoup de sarangistes deviennent ainsiaccompagnateurs de groupe de danse.

Enseignez-vous vous-même ? Commentenvisagez-vous l’avenir pour votre ins-trument ?J’enseigne, naturellement. Je transmetsla tradition à qui vient étudier avec moiet je pense le sarangi promis à un bel ave-nir. Il jouit d’un intérêt croissant en Indeet dans le monde, de la part des auditeurscomme de musiciens qui désirent en jouer.

Comment composez-vous le groupe demusiciens qui entourent votre sarangi ? Il y a deux sarangistes, qui sont d’ailleursmes étudiants, pour m’accompagner. Unautre de mes disciples joue du tabla. Etun cinquième musicien joue du khartal.Le khartal est un instrument à percussionen bois, avec de petites cymbales, peucourant dans la musique classiqueindienne – il tiendra lui aussi le tala.

Comment se déroule un de vos concerts ?Le concert s’ouvre sur un long alap – intro-duction au raga qui commence très dou-cement. J’enchaîne alors sur un rythmeque je développe, sans le tabla, sur monsarangi, en accélérant. Vient ensuite unecomposition reposant sur l’un des taalde la musique classique indienne. Puis,tous ensemble, quelques jugalbandi, sortede jeu de questions/réponses entre lesmusiciens, suivis d’une composition plusrapide dans divers tala et d’une improvi-

12

Page 13: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

sation, jusqu’à la conclusion.Je pense jouer ensuite quelques piècessemi-classiques. Et, si le public le souhaite,je jouerai encore, dans différents styles.Tout cela demeurant dans le cadre de lamusique classique indienne, au sens tra-ditionnel du terme.

Chez le musicien, quelle est la part ducompositeur et quelle est celle de l’in-terprète ?Le canevas est pré-composé. Je ne faisque créer une nouvelle version. Ainsi demes raga madhuvantiou bhairav, apprisde mon père, transmis de guru à disciple,et que je transmets à mon tour. On peut toujours composer de nouveauxbandishsur ces ragas. C’est excessivementcompliqué, car d’innombrables élémentscomplexes entrent alors en jeu. Composerune pièce classique nécessite une grandeconnaissance et compréhension du sys-tème des ragas, ses règles et limitations.Cela demande d’étudier longuement cequi existe déjà – ne serait-ce que pourtrouver une combinaison de notes quisoit inédite – ainsi qu’une profonderéflexion quant au cœur du raga, à sesdifférentes parties et déclinaisons.

Êtes-vous intéressé par le métissage Occi-dent /Orient ?La musique classique indienne se faitinternationale aujourd’hui. Et des publicsde tous les horizons veulent fusionner lamusique classique indienne et leur propremusique. Cela a ses bons côtés, mais, àmon sens, notre musique ne devrait passervir à ça, le système des ragas ne devraitpas être mis au service d’une « fusionmusic ». Tout simplement parce que leraga est beaucoup plus riche et profondque toute musique qu’on pourrait, etmême que je pourrais, écrire ainsi. C’estune musique millénaire. Le mieux seraitd’inventer un nouveau système de com-position, construit sur l’association desdeux modes de pensées.J’aime en revanche ces compositeurs quis’inspirent de la musique, se nourrissentd’elle pour produire leurs œuvres. Je peuxtrès bien m’inspirer de la musique occi-dentale, sans pour autant jouer de lamusique occidentale sur mon sarangi. Jepeux établir un pont entre nos deuxmusiques, mais je ne peux absolumentpas jouer un raga en accord avec unegamme occidentale, non plus qu’un musi-cien occidental ne pourrait tenir la dis-tance s’il voulait jouer un raga – il seraitsans cesse attiré par la gamme, alors que

la notion de raga dépasse celle de l’échellede sons.

La présence coloniale anglaise n’auraitdonc eu aucune influence sur la musiqueclassique indienne ?Je ne crois pas, en effet. La musique clas-sique indienne est plusieurs fois millé-naire, elle possède un système detransmission et de pratique qui n’a riende commun avec le mode de pensée occi-dental. Peut-être la présence anglaise a-t-elle rendu les musiciens plus sensiblesau décorum… Mais pas plus.

Quel impact ont, à votre sens, la mondia-lisation et la modernisation de l’Inde surla musique ?Les musiciens deviennent des stars. Maisla musique n’est en rien affectée. On nepeut en effet pas jouer le raga bhairavdemanière « moderne », ça n’a pas de sens.Si l’on veut jouer le raga bhairav, il fautjouer les compositions en entier et res-pecter les règles et modes de jeu de cesystème façonné par notre tradition. C’estainsi que se révèle et se pérennise l’au-thenticité de musique classique indienne.

Biographies des musiciens accompagnant Kamal Sabri

Shubh Maharaj, tablaNé en 1987 dans une famille de musiciens,Shubh Maharaj est le petit-fils du maîtredu tabla Pt Kishan Maharaj. Vijay Shankar,son père, est un danseur de kathak réputé.Dès l’enfance, son grand-père lui enseignele tabla. À partir de 1993, Shubh apprendselon la tradition de maître à disciple etdonne son premier concert en 2000, àl’âge de douze ans. Depuis, il joue dansles grandes villes indiennes et dans lesfestivals.

Suhail Yusuf Khan, sarangiSuhail Yusuf Khan est issu de la SeniaGharana de Rampur. Dans sa famille, ilreprésente la huitième génération desarangistes ; il a pour grand-père le célèbrejoueur de sarangi Ustad Sabri Khan dontil a reçu l’enseignement ; il est le neveude Kamal Sabri. Lauréat de nombreuxprix, en particulier Médaille d’or de AllIndia Radio en 2004, Suhail joue du sarangidepuis l’âge de quatre ans.

Rafiq Khan Langa, khartalAppartenant à la famille Langa, musiciensdu Rajasthan, c’est auprès de son pèreUstad Rehmat Khan Langa que Rafiq ap-prend à jouer du khartal. Dès dix ans, ilcommence à jouer en public. À quinzeans, il atteint un niveau professionel etfait ses premières tournées internatio-nales. Il reçoit plusieurs récompenses etparticipe activement aux concerts dugroupe de percussion The Band of India.Il a accompagné au khartal le légendairedanseur de kathak Birju Maharaj, la dan-seuse d’Odissi Sonal Mansingh ; il a jouéavec Anoushka Shankar et beaucoupd’autres.

Aslam Khan, tanpuraAslam Khan est le fils d’un sarangiste deHyderabad, Saeed Ur Rehman. Sonapprentissage s’est fait selon la traditionguru-shishya paramparaauprès de UstadSabri Khan et de Kamal Sabri. En 2005, ila été lauréat de la Sahitya Kala Parishad.Depuis plusieurs années, il participe àdes tournées internationales, souventauprès de Kamal Sabri.

13

Page 14: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

Diriez-vous que votre formation s’estdéroulée conformément à la traditionguru-shishya parampara ?Autrefois, la tradition voulait que le dis-ciple, s’il se destinait véritablement àl’exercice de son art, vive chez son guru.En plus de son apprentissage, il travaillaitpour lui, se chargeant des travaux de lamaisonnée. Le guru était comme unparent, voire un Dieu. Cet enseignementd’extrême proximité permettait au maîtrede suivre de près les progrès de son élèveet formait d’excellents artistes. Le disciples’imprégnait de tout ce que le guru avaità lui offrir.Mon parcours n’a pas été exactementcelui-là, même s’il en a gardé certainsaspects. Je suis né dans une famille demusiciens à Madras (Chennai), grand cen-tre musical du sud de l’Inde. Mon premierguru ne fut autre que mon père, I. R. RamaMohan, joueur émérite de mridangam. Il a été, et demeure pour moi un mentorqui me prodigue encouragements etconseils.Mon deuxième guru a été N. Ch. Krishna-macharyulu de Vijayawada, qui m’avaitpris en affection et passait tous les jourschez nous, après avoir terminé son travailà All India Radio, pour me faire travailler.C’était un excellent guru, érudit, univer-sitaire, grand connaisseur du sanscrit etde la musicologie. À Chennaï – où la tra-dition guru-shishya paramparaest à monsens appauvrie et l’enseignement plusmercantile qu’ailleurs – je menais une viebien remplie et très réglée, mais dont lerythme s’écartait quelque peu des usages.Mon père m’a fait pratiquer de nombreuxinstruments (guitare, shehnai, ainsi quedes percussions, comme le tabla) et jeprenais une à deux leçons par semaine,chez chacun de mes maîtres. J’ai ensuitecommencé à travailler le violon, auprèsde Dwaram Venkata Satyanarayana etDwaram Mangathayar. Jeune, je jouais beaucoup au tennis – àun niveau professionnel –, et j’ai négligéla musique pendant cinq ou six ans. J’ysuis pleinement revenu en choisissant le

“ Ce qu’on qualifie de moderne

aujourd’hui sera tradition demain.

Ainsi la tradition n’est jamais figée,

elle se renouvelle sans cesse ”

VIJAY VENKAT

V ijay Venkatest né en 1982 dans le sudde l’Inde, à Madras dans une famille

musicienne. Son père I. R. Rama Mohanest son premier guru.Diplômé en philosophie et en anthropo-logie qu’il a étudiées à l’Université deMadras, il joue avec autant de facilité etde talent du violon, de la flûte ou de lavichitra-veena. Vijay Venkat demeuretrès attaché à la tradition et aux principesde la musique carnatique et à sa spiri-tualité. Il achève actuellement des étudesà Londres. www.vijayvenkat.com

14

Page 15: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

violon, la flûte (que j’ai apprise auprès deT. S. Sankaran, élève du grand maître dela flûte, feu T. R. Mahalingam) et la vichi-tra-veena (que j’ai commencée en auto-didacte).J’ai voulu considérer les trois instrumentsà égalité sans négliger l’un au profit desautres. Je les ai donc étudiés avec la mêmeexigence pour atteindre le même niveaud’excellence. Je pense être le seul musiciendu sud de l’Inde qui sache ainsi jouer detrois instruments, en outre très différentsde nature : un instrument à vent, un ins-trument à archet et un instrument àcordes pincées.

Vous dites la tradition guru-shishyaparamparaen désuétude à Chennaï : est-elle toujours vivante ailleurs ? Cette tradition est beaucoup plus vivantedans le Nord – on y voit encore un peupartout des disciples allant vivre chezleur guru. Dans le Sud, elle est presqueinexistante – peut-être reste-t-il encoreun ou deux gurus pour la pratiquer. Nousne prenons plus aujourd’hui le tempsnécessaire pour ce long processus.

Bien des gurus n’enseignent aujourd’huique pour l’argent – qui prend le pas surla transmission du savoir. Et, à cause d’unbesoin bien légitime de gagner leur vie,certains artistes commencent à enseigneravant même d’avoir terminé leur propreapprentissage. Ce qui entraine nécessai-rement une baisse du niveau général.Cette mercantilisation est sans doute liéeà la popularisation de la pratique musicale.La musique classique indienne attireaujourd’hui de plus en plus de monde –ce dont on ne peut bien sûr que se réjouir–, mais cela s’accompagne d’un effetsecondaire fâcheux : la qualité moyennede cette pratique dégringole. Fort heu-reusement, il y a encore des artistes d’unniveau exceptionnel.

La musique classique indienne a évolué,ne serait-ce que par la croissance de sonpublic et les mutations de ses modes dereprésentation. Sortie des temples etpalais, elle se joue aujourd’hui dans devastes salles de concert, avec un systèmed’amplification. Cette évolution a-t-elleinflué sur les modes de jeu ?

La musique classique indienne est paressence ésotérique et spirituelle. Elletient de la philosophie, de la sagesse etse rapporte aux dieux et à la spiritualité.On la jouait par le passé dans les templesmais, plus tard, ses vertus curatives– un« bon » son, ou une « bonne » mélodie,soigne et soulage les malades – et lesmerveilleuses paroles de ses chants ontattiré un public toujours plus large.D’abord liée au culte, la musique s’estpeu à peu invitée dans les palais et coursroyales. Des compétitions entre musi-ciens de divers états y étaient organiséeset les princes distribuaient des prix. Lamusique devint vite un art performatif– et les musiciens commencèrent à seproduire pour le grand public. Mais enInde, on joue encore souvent dans lestemples, comme on joue dans les églisesen Europe...Ma technique ne change pas selon leslieux. Je préfère le timbre naturel de l’ins-trument et je ne veux, en aucune manière,le modifier. Parfois, j’use de techniquesou de styles de jeu spécifiques pourm’adapter à une acoustique particulièreou à l’atmosphère d’un lieu particulier –mais ces changements sont minimes etn’affectent ni la musique ni le timbre.La vichitra-veena, par exemple, est uninstrument excessivement délicat et dif-ficile – nous sommes une poignée à enjouer.Certains ont commencé, pour mieuxse faire entendre, à utiliser des pickups(micros de contact). Pas moi. Cela dénaturece timbre que j’ai tant cherché.

Le musicien doit être en mesure de per-cevoir la réaction de son public et jaugerle plaisir qu’il prend. Le pouvez-vousencore aujourd’hui, dans ces auditoriumstoujours plus vastes ?Oui. Même s’ils jouent pour un large public,même s’ils voyagent de par le monde, lesmusiciens authentiques seront toujoursfidèles à eux-mêmes, donc à l’écoute deleur public. En Inde, dans les grandessalles, on a préservé certains principesdu salon de musique. Dans les lumièrespar exemple : le public n’est pas plongédans l’obscurité comme en Europe. Onpeut ainsi voir les auditeurs, reconnaîtreparmi eux connaissances et amis. Il n’y apas de frontière ; les réactions et le plaisirse lisent sur les visages. Sauf quand la dis-tance est trop grande, bien sûr, ce quiarrive souvent.

L’appréciation du public est essentielle– et si celui-ci est connaisseur (rasika), la

15

Ph

oto

: D

.R.

Page 16: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

musique y gagne en qualité. Avec la popu-larisation de la musique, et la diversifi-cation du public, la musique garde-t-ellesa qualité et son authenticité ?La musique elle-même ne change pas.Seul change peut-être le degré de classi-cisme que l’on mettra en œuvre dans ledéveloppement du raga. Un public deconnaisseurs, qui sait s’immerger totale-ment dans la musique, saura par exempleapprécier certains ragas plus compliqués.Je joue ainsi une musique très savantepour ceux qui savent la reconnaître, maisje sais aussi satisfaire les néophytes.

La musique est-elle toujours spirituelle,sortie du temple ?Toujours ! Même si l’on peut avoir l’im-pression que la musique classiqueindienne est devenue ces derniers tempsun art non plus tourné vers le divin, maisvers l’humain et vers un large public, rienn’a changé. Nous considérons en Indechaque être humain comme un fragmentdu divin : jouer pour une femme ou unhomme et jouer pour les dieux revientdonc au même.La musique elle-même a trait au divin : sion est pénétré de musique, on est pénétréde divinité. Quand on chante, ou quandon joue, on est envahi par l’émotion, parle sens des textes. Nous reproduisons lessons suprêmes du Cosmos dans le butd’unir le monde autour d’une émotionparticulière. C’est un geste profond, phi-losophique. Un geste généreux de partage,de musique, de pensées, de prières, pourrépandre le bonheur autour de nous. Lamusique est capable de toutes les émo-tions, à l’image de l’homme. Chaque ragaest comme un être humain, il véhiculeses propres émotions. Au musicien de lesexprimer.

Jouez-vous souvent dans un cadre inti-miste comme celui du baithak ?J’ai l’habitude de jouer dans différentscadres qui s’y apparentent (comme depetits temples), où les spectateurs peuvententrer et sortir à leur guise. Je constateseulement que je donne davantage deconcerts dans de grandes salles, où lesmicrophones sont la règle. Jouer dans unbaithak, sans amplification, est un plaisirrare que j’attends avec impatience.

Vos concerts parisiens dureront entredeux heures trente et trois heures. Avez-vous souvent l’occasion de donner desconcerts de cette longueur ? Le Festival d’Automne veut en effet pré-

senter ces concerts dans la traditionindienne. Pourtant, même en Inde, j’airarement l’occasion de donner desconcerts de trois heures. La durée d’unconcert aujourd’hui est plus proche d’uneheure trente – avec parfois deux concertsdans la journée. Nous donnons aussi desconcerts à la radio – en direct ou enregis-trés. Ils ne durent généralement qu’uneheure, ce qui signifie qu’on ne joue qu’uneou deux compositions. La musique, elle, n’en souffre pas : lesconcerts courts peuvent être très intenses.Trente minutes ou quatre heures, ons’adapte. On essaie de rendre l’expérienceagréable à tous, dans toutes les conditions. Cela dit, jouer longuement, trois ou quatreheures, est un vrai bonheur pour moi. J’aimeces moments, car je peux y être moi-même,prendre du temps pour chaque composi-tion. Je peux même jouer pendant pluslongtemps sans problème, et avec beau-coup de plaisir – si le public le souhaite !Concernant mes concerts parisiens, je mesuis toutefois un peu inquiété de la réac-tion du public – mais l’on m’a assuré quele public pourrait circuler, aller prendreun thé dans le hall, se détendre et revenir.Cela a balayé mes inquiétudes.

Pourriez-vous décrire le groupe de musi-ciens qui vous accompagne ? Quel genred’équilibre recherchez-vous dans votreensemble ?Pour ces concerts parisiens, nous seronscinq. Deux percussionnistes pour le sup-port rythmique de l’ensemble ; l’un jouantdu mridangam, l’autre du kanjira. Lorsquele percussionniste principal (au mridan-gam) prendune pause, le second percus-sionniste, appelé upa-pakkavadyam,prend le relais avec le kanjira (instrumentà peau, tenu de la main gauche et jouéde la droite).Un violoniste m’accompagne également.En général, lors de mes concerts de vichi-tra-veena, je préfère ne pas avoir d’ac-compagnement de violon. La veena estun instrument délicat et mélodique quin’a pas besoin de ce soutien. Mais le vio-loniste qui vient à Paris est l’un des raresviolonistes suffisamment sensibles ettalentueux pour laisser la veena sonnercomme elle le doit. Il y aura enfin un joueurde tanpura.

Pourriez-vous nous décrire la vichitra-veena et la flûte que vous jouez ?La vichitra-veena est considérée commel’un des plus anciens spécimens de veena– ces instruments à cordes pincées

typiques de la musique carnatique – quise distingue notamment par l’absencede frette. L’instrument lui-même remonteà l’antiquité – son nom même de « vichi-tra-veena » est très ancien. Pendant untemps, elle fut quasiment oubliée.Lorsqu’elle est réapparue, il y a soixanteou soixante-dix ans, on l’a d’abord appelée« gottuvadhyam », car on en jouait àl’époque avec une pièce de bois, le « gottu»,que l’on appuyait sur les cordes. Certains,comme Ravikiran, l’appellent aussi chi-tra-veena.L’absence de frette qui rend la justessepérilleuse en décourage plus d’un. La veenamesure près d’un mètre de long et il faut,pour ajuster la hauteur de la note, trouverimmédiatement le placement et pesersur la corde, avec suffisamment de poids.C’est très exigeant physiquement et l’ap-prentissage en est très éprouvant.La flûte que je joue est en bambou. C’estun instrument couramment utilisé enmusique classique indienne, au Nordcomme au Sud. Au Nord, elle est percéede six trous, pour huit au Sud. Une diffé-rence significative. Nous avons besoin deces deux trous supplémentaires pour réa-liser nos gamaka, ces figures ornementalesqui permettent de passer d’une note àl’autre et nous aident à reproduire le carac-tère si vocal de la musique. Notre musiqueest à 80% improvisée. Ses figures sontrégies par des règles de grammaire com-plexes qui varient selon le raga. Nous n’avons en Inde aucune musiqueexclusivement instrumentale, comme enOccident : notre musique est toute entièrepensée pour le chant et notre jeu instru-mental tout entier tourné vers la vocalité.Quand je joue, j’essaie de rendre le reliefdes paroles et le sentiment qui s’en dégage.Ceux qui connaissent le texte doivent pou-voir quasiment chanter les paroles.

Violon, flûte, vichitra-veena, commentchoisissez-vous celui que vous utilise-rez ?Tout dépend des volontés de l’organisa-teur du concert. Je joue toutes les com-positions sur tous les instruments. Il n’ya pour moi aucune différence, aucunepréférence. Et, si certains considèrentparfois le violon comme un instrumentplus « sobre », la flûte comme plus « mélan-colique » ou « sentimentale », je ne lepense pas : on peut tirer de chacun de cesinstruments tout le spectre des émotions,avec la même force. On peut exprimer latristesse avec la même intensité au violon,à la flûte ou à la veena.

16

Page 17: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

La musique classique indienne a adoptéle violon, instrument occidental s’il enest, et certains compositeurs occidentauxse sont appropriés des éléments de lamusique indienne. Y a-t-il une empreintede la musique occidentale ?À ce sujet, je dois vous parler du grandmaître du violon Dwaram VenkataswamyNaidu (mort en 1964). J’appartiens à son« école » car j’ai suivi l’enseignement deson fils et de sa fille. Il jouait aussi mer-veilleusement la musique classiqueindienne que la musique classique occi-dentale. Lors d’un de ses séjours en Inde,Yehudi Menuhin est venu l’écouter. Il aété si impressionné, si surpris de rencon-trer un violoniste de cette qualité qu’il l’ainvité à venir se produire en Occident –ce qui, finalement, ne s’est pas fait. Il pos-sédait un fantastique éventail technique(d’archet et de doigtés) issu des deux tra-ditions, qu’il mettait indifféremment auservice de la musique occidentale et dela musique indienne.Je ne l’ai jamais rencontré, si ce n’est autravers de ses enfants et de quelques enre-gistrements, mais il a toujours été unegrande source d’inspiration, au mêmetitre que T.R. Mahalingam en flûte, le maî-tre de mon maître, ou encore le violonisteItzhak Perlman.

Écouter et connaître d’autres musiques,comme la musique occidentale (classiqueet jazz), enrichit la créativité d’un artisteet sa connaissance du son. Mais je penseque la manière dont nous pratiquons lamusique classique indienne n’a que trèspeu changé au contact de la culture euro-péenne. Ou pas plus qu’auparavant : mêmedans l’ancienne Inde, quand la présenceet l’influence de l’Occident n’étaient pasaussi grandes qu’aujourd’hui, les musi-ciens se sont appropriés d’autres tech-niques pour les mettre au service de lamusique classique indienne, sans boule-verser foncièrement sa nature.Quant aux compositions elles-mêmes, lesgrands artistes sont toujours à l’écoutedes systèmes autres que le leur, c’est cequi fait leur grandeur. Si l’on remonte àla grande trinité de nos compositeurs,Thyagaraja, Muthuswami Dikshitar etShyama Shastri qui vivaient dans uneInde alors colonie britannique, onconstate qu’ils ont certainement retiréquelque chose de cette présence occi-dentale. Ils nous ont laissé quelques kir-tanam, ces prières chantées, qui semblentcomposées dans une tonalité majeure –comme une mélodie occidentale !

Quel impact ont, à votre sens, la mondia-lisation et la modernisation de l’Inde surla musique ?Aucun ! Même si l’on parle de films et deBollywood, la réponse est simple.Le cinéma, quant à lui, pille la musiqueclassique indienne – tout comme lamusique occidentale, le pop, le rock.

Vous venez de terminer, à Londres, unMasters de musique – ainsi qu’un projetde recherche sur la composition, l’impro-visation et la performance en jazz – etvous pratiquez également le jazz : votreformation classique vous sert-elle dansle cadre de ces pratiques ?Non, surtout pas. Je veux justement m’écar-ter de ma formation classique. Nombreuxsont les musiciens pratiquant la « fusion»qui n’ont aucune formation classique occi-dentale et qui puisent à la place dans lesragas et autres compositions classiques.Je me refuse absolument à cela. Il fautcréer son propre système, ses propres com-positions, et ne pas dénaturer les œuvresdu passé. C’est d’ailleurs trop facile de faire ce genrede fusion « indienne ». Mon jazz fusionres-semble davantage à du jazz occidental. Sides éléments de musique classiqueindienne viennent s’y glisser – et cela peutse produire –, c’est à mon insu, et surtout,ça ne sonne nullement comme de lamusique classique indienne.

Comment voyez-vous l’avenir de votremusique ?Il y aura toujours des musiciens pour s’ins-crire dans la tradition et la préserver.Même en Occident, certains s’y mettent.Les amateurs de notre musique sont nom-breux. Je suis sûr qu’elle survivra.

Vous semblez très attaché à la traditionet aux valeurs spirituelles, et néanmoinsvotre discours est bien d’aujourd’hui.Comment conciliez-vous les deux ?Les valeurs que m’ont communiquéesmes gurus m’ aident, tout comme la dimen-sion spirituelle et philosophique de lamusique. Avec un peu de recul, on constateque rien n’est moderne ou traditionnel.Toute habitude, répétée suffisammentlongtemps, devient tradition pour lesgénérations suivantes. Ce qu’on qualifiede moderne aujourd’hui sera traditiondemain. Ainsi la tradition n’est jamaisfigée, elle se renouvelle sans cesse. Tantque les valeurs essentielles sont préser-vées, toutes les évolutions, par ailleursinévitables, ont du bon.

Biographies des musiciens accompagnant Vijay Venkat

C. N. Chandrashekhar, violonC’est auprès de son père, C. A. Narayan,lui-même disciple de T. Chowdiah deMysore et de R. R. Keshavamurthy, et desa mère C. Bhagirathi, que C. N. Chandra-shekhar a appris la musique.Il a travaillé ensuite avec les violonistesde Madras M. S. Anantharaman et M. S.Gopalakrishnan de Parur (Kerala). Pratiquant aussi la musique hindustani,vocale et instrumentale, il a égalementtravaillé pour la musique carnatique avecP. S. Narayanswamy.Il participe à de nombreuses tournéesinternationales, collabore aux pro-grammes de All India Radio & televisionà Bangalore (Karnataka).

K. R. Ganesh, mridangamK. R. Ganesh a apris à jouer du mridangamavec son père, Kumbakonam M. RajappaIyer, dans la tradition de Tanjore. Sa mère,Smt Nagarathnam, a participé elle aussià son éducation musicale. À seize ans, ilgagne le Premier Prix du concours de AllIndia Radio. Aujourd’hui, il accompagneen tournée les plus grands musiciens del’Inde. Au sein de l’association Layodayade Chennai, il enseigne l’art du mridangam.

I. R. Rama Mohan, kanjiraDans la famille de Rama Mohan, JayaLakshmi, sa mère, jouait du violon dansla tradition Dwaram. Rama Mohan com-mence à jouer du mridangam auprès deKolanda Venkata Raju, célèbre musiciend’Andra Pradesh. Il suit ensuite l’ensei-gnement de S. V. S. Narayanan et de Rama-nathapuram C. S. Murugabhoopathy.Depuis quarante ans, il accompagne lesartistes au mridangam et au kanjira, entournée ou pour les concerts à All IndiaRadio. Il est le père de Vijay Venkat et deLakshmi Inala.

Lakshmi Inala, tanpuraLa fille de I. R. Rama Mohan a appris àjouer du violon et de la flûte dès l’enfance,auprès des maîtres de Madras. Elle accom-pagne son frère en tournée.

17

Page 18: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

O. S. Arun apprend la musique avecson père, Vidwan O. V. Subramaniamavant d’obtenir ses diplômes (AlankarPurna) de l’École Gandharva Mahavidya-laya puis de l’Université de la Musiqueet des Beaux-Arts de Delhi. En 1984, ildébute sa carrière de musicien, développeun immense répertoire, maîtrise lesmusiques hindustani et carnatique, inter-prète des ragas classiques comme deschants dévotionnels ; il acquiert unegrande popularité, dans son pays d’abordpuis à l’étranger. Il a chanté pour lesNations-Unies, à l’occasion de la journéedes Droits de l’homme. Si c’est en concertqu’il se produit le plus souvent, il a aussiaccompagné des récitals de danse etcomposé des musiques de film. O. S. Arunest titulaire de très nombreux prix. Actifdans le domaine de l’enseignement, il afondé à Madras l’association Alpana pourla formation des jeunes talents.www.osarun.com

Votre formation s’est-elle faite confor-mément à la tradition guru-shishyaparampara ?Oui. Je viens d’une famille musicienne.La musique était omniprésente à la mai-son, je l’avais constamment dans l’oreille.J’entendais mes parents jouer et chanter,j’entendais les leçons données par monpère à ses élèves. Ce fut donc une évi-dence pour moi, je n’ai jamais songé àune autre carrière. Mon père, VidwanO. V. Subramaniam, qui appartenait à lagrande école de musique carnatique deThanjavur (Tanjore, Tamil Nadu), fut monpremier professeur.Plus tard, au terme de ma scolarité, j’aisuivi un cursus en musique carnatiqueà l’Université de Delhi, jusqu’à mon di-plôme, Sangeetha Shiromani. Au coursde mon apprentissage, j’ai suivi l’ensei-gnement de maîtres comme T. I. Subra-maniam (tabla), Dr Radha Chalam, puisChalapathi Ballu, à Chennai (Madras). Ba-lamuralikrishna me conseille encore au-jourd’hui En réalité, je n’ai jamais cessé d’appren-dre, d’approfondir mes connaissancesmusicales et d’agrandir mon répertoire.Je n’hésite pas à aller écouter des musi-ciens, même plus jeunes que moi, pourapprendre d’eux.

En quoi cette tradition guru-shishya pa-rampara est-elle si essentielle dans latransmission ?Tout simplement parce que, dans la mu-sique classique indienne et particuliè-rement dans la musique carnatique, il ya une grande part non écrite : le mano-dharma – un aspect improvisé que lamusique carnatique partage dans unecertaine mesure avec d’autres musiques,comme le jazz, par exemple.Le guru est notre inspiration, notre guide ;il nous enseigne le cadre au sein duquelnous improviserons durant toute notrevie. La musique carnatique s’élabore au-tour des ragas – considérés comme «mu-sique absolue », au sens ou on l’entendraitd’un concept, ou d’une vision. Le ragaest entièrement déterminé, il est noté,

“ Car la musique n’est passeulement dans les notes, ou dansl’alphabet, elle est dans la manière

de chanter ou de jouer ”

O. S. ARUN

18

Page 19: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

et on ne s’écarte jamais de sa grammairepropre. Mais à chaque fois qu’on lechante, il change. De nouvelles variations,de nouvelles modulations, apparaissentdans son exposition. Cette polymorphiedes ragas explique aussi pourquoi ilsexistent toujours : nous créons constam-ment de nouvelles combinaisons, denouvelles approches.

Cette tradition de transmission est-elleencore bien vivante aujourd’hui ?Oui et non. Elle se pratique, mais plus aveccette ferveur presque religieuse d’autre-fois. Aujourd’hui, on peut apprendre dediverses manières, par téléphone, Internet,Skype. Mais rien ne remplace les leçonsen tête-à-tête, rien ne vaut la relationqu’on développe avec un guru. Surtoutlorsqu’il s’agit des gamaka. Élémentsessentiels du manodharma, cette partimprovisée de la musique, les gamakasont véritablement propres à la musiquecarnatique – on ne trouve rien de tel dansaucun autre système. Les gamaka sontces ornements dont on pare les noteslongues, qui jouent sur des micro-inter-valles et des oscillations d’une grandefinesse. On ne peut vraiment les décrirepar les mots, ni les noter de quelquemanière (seulement par des détails

comme : par le haut, ou par le bas), nimême les fixer (on n’en saisit jamais toutela subtilité), il faut en faire l’expérience(il chante).

Vous parlez là de musique carnatique,mais vous pratiquez aussi la musiquehindustani de l’Inde du Nord…Si ma culture familiale est “carnatique”,je suis né au nord de l’Inde, dans une villetrès cosmopolite ; j’ai été en contactconstant avec des genres de musique trèsvariés.La musique carnatique constitue la basede ma formation et de ma personnalitémusicale. C’est une si belle architecture.Je suis convaincu que lorsqu’on la maîtrise,que l’on comprend sa notation, le place-ment du swara– le placement de chaquenote –, si l’on en connaît la théorie et qu’onla pratique assidûment – et si l’on gardeévidemment l’esprit ouvert –, il est ensuiteaisé de s’adapter à tous les autres genresmusicaux. C’est en tout cas mon expé-rience : j’ai joué avec différents musiciens,de tous les horizons – hindustani, jazz etautres –, et la connaissance de la musiquecarnatique m’a énormément aidé. Je prends ce que j’aime le plus dans chacundes systèmes et me l’approprie : les shrutide la musique hindustani, par exemple,

qui sont absolument superbes, et n’ontrien de commun avec les incroyablesgamaka carnatiques…

Y a-t-il d’autres artistes qui vont ainsi del’un à l’autre, comme vous ? Oui, un certain nombre d’artistes prati-quent les différents styles et le passagede l’un à l’autre n’est pas difficile, si l’oncomprend chaque système dans sa spé-cificité. Cela dit, apprendre une formeartistique, quelle qu’elle soit, n’est paschose aisée – la maîtrise ne vient qu’avecl’accumulation de connaissance et d’ex-périence. Un artiste est ainsi en constanteévolution. Et, si je considère mes 26 ansde carrière, j’ai conscience de ce qui aconstitué le musicien que je suis devenu.

Quelles sont les différences fondamen-tales entre les deux systèmes ?Sur le papier, c’est la même musique, oupresque. Mêmes ragas, mêmes notes, avecparfois des terminologies différentes(comme en Occident, les noms des notesvarient d’une langue à l’autre). Le systèmehindustani se concentre plus sur des noteslongues et tenues, quand le système car-natique laisse une grande place auxgamaka. C’est un état d’esprit très différent, dans

19

Ph

oto

© A

vin

ash

Pas

rich

a

Page 20: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

lequel il faut savoir se plonger tout entier.Car la musique n’est pas seulement dansles notes, ou dans l’alphabet, elle est dansla manière de chanter ou de jouer.

Y a-t-il eu, et existe-t-il encore une musiquequi résulterait de la fusion des deux sys-tèmes ?De nombreuses compositions carnatiquesprésentent d’évidentes influences venuesdu Nord. C’est ce qu’on appelle le sugamsangeet : comme un pont entre les deuxsystèmes.Il y a bien sûr des ragas spécifiques àchaque système, mais d’autres sont com-muns aux deux, apparaissant soit sousdes noms différents (le raga Hindolamdans la musique carnatique s’appelle ragaMalkosh (ou Malkauns) dans le systèmehindustani, ou le raga Iman qui devientraga Kalyani), soit sous le même nom(comme le raga Hamsadhwani). C’est làla magie de la musique : avec les mêmesnotes, les mêmes swara, la musique sonnedistinctement carnatique, ou hindustani,selon le cas.

La musique classique indienne, destinéejadis aux temples puis aux cours royales,est aujourd’hui dans de vastes auditoriums.Cela nécessite-t-il des ajustements dansles techniques vocale et instrumentale ?Jouer dans ces grandes salles de concertest devenu habituel. Et le micro y estnécessaire – il faudrait sinon forcer lavoix. Nous nous sommes habitués à laconsole, à la balance, à la mise en scèneet à la projection amplifiée de la voix.

La nature sacrée du son en est-elle affectée ?Je ne sais pas, j’y suis trop habitué. Maisc’est loin d’être facile d’adapter son chantau micro : il faut ajuster ses modulations,ne pas crier, respecter les strictescontraintes de son utilisation pour qu’ilne renvoie pas un son trop dur ou distordu.

La musique en est-elle affectée ? La musique a changé de visage pour sefaire plus accessible au grand public. Denombreux auditeurs qui viennent m’écou-ter assistent à leur premier concert demusique carnatique ou de musique clas-sique indienne. C’est pour moi une victoire,d’autant plus que je ne m’écarte en aucunemanière de la grammaire et du cadre desragas et des tala. Lorsque je chante une composition, dansces conditions, je me concentre sur cer-tains aspects du développement du raga

– sinon, les concerts dureraient six heures !Alors qu’ils durent aujourd’hui rarementplus de deux heures (à quelques excep-tions près, à l’intérieur de l’Inde par exem-ple, où des concerts peuvent commencerà 21h et finir à 1h du matin). Car enfin, comment faire justice à un ragaen l’espace d’une petite heure et demie ?Il faut repenser la structure temporelleet musicale des concerts, en tenantcompte du temps imparti, de l’infrastruc-ture , de l’ambiance donnés et du public.

Retrouve-t-on dans les auditoriums lanature spirituelle de la musique ?Comme le timbre d’un instrument et lamusique carnatique dans son ensemble,la voix humaine est divine par essence,et les compositions que nous chantonstraitent uniquement de bhakti, de dévo-tion. Même les paroles ont trait au divin :on parlera de Krishna, de la plume de paonsur son front, de sa flûte, de divers orne-ments qu’il porte, ou d’anecdotes et aven-tures légendaires des dieux. Qu’on soitdans une grande ou une petite salle, lamusique nous vient toujours des mêmescompositeurs – Jayadeva, BhadrachalaRamadas, Annamacharya, GopalakrishnaBharathi – qui nous délivrent tous un mes-sage divin.

Avec la popularisation de la musique clas-sique indienne, son public se diversifieet de nombreux néophytes et non-initiésse mêlent aux connaisseurs. Celaentraîne-t-il une adaptation ?Certainement. Les concerts que j’ai donnésen Norvège au mois de juillet en sont unbon exemple : l’essentiel du public neconnaissait rien à la musique classiqueindienne, encore moins à la musique car-natique. Et pourtant, avec des salles com-bles chaque soir, tous ont suivi avecenthousiasme les concerts, jusqu’à la fin.Ils étaient gagnés par la magie qui sedégage de cette musique. Rien qu’un ragaet quelques paroles suffisent à passionnerun public. C’est la grande force de lamusique.

Vous jouez à Paris dans une chapelletransformée en baithak. Jouez-vous sou-vent dans un cadre intimiste ?Oui, souvent. Même à l’étranger. Lors decette tournée en Norvège, j’ai joué dansde petites salles, sans micro, avec le publicassis autour de moi.

Préférez-vous ce genre de cadre intimeou une plus large assistance ?

J’aime les deux, tout comme j’aime unebonne pizza, ou un bon repas indien.

Pourriez-vous décrire le groupe de musi-ciens que vous emmenez avec vous ? Quelest le rôle de chacun ?Je serai accompagné par quatre instru-mentistes jouant de quatre instrumentsdifférents : le violon, le mridangam, leghatam et la tanpura.Le violon, que je n’ai sans doute pas besoinde vous décrire, joue un rôle essentieldans la musique carnatique. Le violonistesuit l’artiste principal – qui est ici un chan-teur, moi en l’occurence – comme sonombre. Lors du kalpana swara – qui faitpartie des développements improvisésdu raga au cours de son exposition (on aégalement le raga alapana, le neraval,etc.) – le violon répond au chanteur dansun jeu de question/réponse. Tour à tour,ils s’échangent le raga et jouent alterna-tivement en solo.Le mridangam est l’instrument à percus-sion caractéristique de la musique del’Inde du Sud. Contrairement à son homo-logue le tabla, de l’Inde du Nord, son corpsest d’un seul tenant, même s’il a deuxfaces tendues de peau. Son rôle principalest de tenir le tempo, de jouer le kaalapramanam. Mais il est aussi là commesoutien et ornement du chant. S’il nejouera pas durant le ragam (solo du chan-teur accompagné du seul violon), il passeraau premier plan après l’élaboration duraga. Après le neraval (où le chanteurrépète à l’envi un vers particulier extraitde la composition, en respectant toutefoisminutieusement la durée de chaque cyclede tala), après le kalpana swara, arrive eneffet un interlude durant lequel le mri-dangiste et l’upa-pakkavadyam (le secondpercussionniste) jouent ensemble. Puisl’upa-pakkavadyam joue un court solo detransition, signe pour l’artiste principalqu’il va pouvoir reprendre son chant.L’upa-pakkavadyamjoue ici sur un ghatam,instrument de percussion en argile. Enfinla tanpura fournit le bourdon qui est essen-tiel pour nous donner le shruti ; sans leshruti, on ne peut ni chanter, ni jouer. Nousvenons sans tanpura électronique, maisavec l’instrument traditionnel.

Les chanteurs font souvent de larges etharmonieux mouvements avec les braset les mains. Ces mouvements ont-ils unrôle spécifique, de dévotion, d’expressionou d’acoustique ?Ils n’ont pas de signification particulière,et le guru ne nous enseigne pas à agiter

20

Page 21: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

ainsi les mains et la tête. Mais cela vientnaturellement lorsqu’on chante – commeune alchimie entre la musique et le lan-gage du corps. Ce n’est ni chorégraphié,ni préparé, et les gestes changent d’unesoirée à l’autre, d’un artiste à l’autre.

La musique classique indienne a adoptéle violon et certains compositeurs enOccident se sont inspirés de la musiqueindienne. Y a-t-il eu quelque influencemutuelle ?Certainement. L’un des compositeurs denotre trinité, Muthuswami Dikshitar, aainsi composé des chants avec des notes« occidentales », sur des paroles de soncru (il chante une mélodie, parfaitementconstruite dans le mode majeur), ou surdes échelles indiennes, sonnant distinc-tement occidentale (il chante de nouveau).

Que pensez-vous du travail de ces com-positeurs occidentaux qui s’approprientcertains aspects de la musique de l’Inde ?C’est un bel échange. J’ai collaboré, à Mont-réal, avec un musicien de jazz canadien,le bassiste Sylvain Gamian. Nous suivionsma syntaxe lorsqu’on jouait mes compo-sitions, et la sienne lorsqu’on jouait lessiennes. J’adaptais ainsi mon chant à sonsystème musical, et, inversement, quandje lui expliquais les contraintes d’un ragaen particulier, il était heureux de s’y plier.Ces échanges ne sont pas seulement àl’origine d’une influence mutuelle, c’estaussi un apprentissage. Certains musiciensde rock ont fait cette démarche, on trouvechez les Beatles quelques influences demusique classique indienne, et même unsitar dans certaines de leurs chansons.

Que pensez-vous de la diffusion de lamusique classique indienne à l’étranger ?C’est fantastique ! Les gens sont curieux.Je le vois lorsque je dirige des ateliers oudes masterclass. Vous seriez surpris parle comportement des auditeurs. En Nor-vège, par exemple, en juillet dernier : ilschantaient tous en chœur avec moi.Je prends beaucoup de plaisir à dirigermes ateliers de musique carnatique, unpeu partout dans le monde. Choisissantune composition, j’en expose le raga, j’ex-plique succinctement comment lamusique carnatique le traite et le trans-forme, et je le chante, sans les gamaka.Puis je reprends, avec les gamaka– et ladifférence est éloquente. Le public m’ac-compagne en frappant des mains, puischante. On a rarement l’occasion d’unetelle communion.

Quel est l’avenir de la musique classiqueindienne selon vous : pensez-vous quele CD, et sa large diffusion, a eu uneinfluence sur le format des concerts parexemple ?Une petite influence, certainement : leCD et le fait que nous voyageons énor-mément.Pour vous donner un exemple, après mesconcerts à Paris, je poursuis avec une tour-née de seize concerts aux États-Unis etau Canada. Là-bas, les concerts sont endeux parties de deux heures environ, sépa-rées par un entracte.

Quel impact ont, à votre sens, la mondia-lisation et la modernisation de l’Inde surla musique ?Je suis très confiant, très optimiste, quantà l’avenir de notre art qui ne court à monavis aucun danger d’être détruit ou déna-turé. On rencontre partout des jeunesn’ayant pour ambition que de le faire vivre.Ils apprennent assidument, jouent mer-veilleusement bien. Les nouveaux modesde communication facilitent d’ailleursl’apprentissage et l’immersion dans lamusique, notamment grâce à Internet, àSkype, au mp3. La musique est accessiblespour tous et pour les musiciens eux-mêmes, les découvertes, de nouvellesapproches des ragas sont à portée de lamain.Bien sûr, la modernisation a aussi sesinconvénients et il faut pour réussir etperpétuer la tradition se concentrer, tra-vailler énormément. Mais j’ai le sentimentque tout est cyclique, que les effortsdéployés ces dernieres années pour pro-mouvoir notre musique portent leursfruits : peu importe la modernisation, lerap, le rock, le heavy metal, la musiqueclassique indienne reviendra toujours enforce. La musique sera toujours là : l’artdépasse l’artiste.

Biographies des musiciens accompagnant O. S. Arun

Karaikal Venkatasubramanian, violonKaraikal Venkatasubramanian fait partiede la génération d'artistes émergeantsdans le domaine de la musique carna-tique. Il est le disciple du grand maîtreT.N.Krishnan, a voyagé en Inde et à l’étran-ger au cours de nombreuses tournées. Ils’est engagé dans la collaboration avecun ensemble qui défend les musiquesd’aujourd’hui, jouant différents styles,avec avec des musiciens d’autres hori-zons.

Venkat Subramanian, mridangamVenkat Subramanian est le disciple deSrimushnam Raja Rao. Il appartient éga-lement à la génération d’artistes émer-geants dans le domaine de la musiqueclassique de l’Inde du Sud. Il joue avecun grand talent les bhajan et participeaux talavadyam, ces concerts d’ensem-bles de percussions. C’est la premièrefois qu’il joue en Europe.

Harihara Subramanian, ghatamHarihara Subramanian, talent émergeanten Inde du Sud, est le disciple du maîtredu ghatam E.M. Subramaniam. Il se pro-duit en accompagnant les grands solistesde la musique carnatique comme les plusjeunres, et en jouant des bhajan, de lamusique “fusion”, et dans les talavadyam.

Ferdinan Alfones, tanpuraFerdinan Alfones est un musicien trèstalentueux qui a participé à de nom-breuses séances d’enregistrements soiten accompagnant à la tanpura, soit enaccompagnement vocal. Il a participé àdes tournées surtout en Inde et en Ma-laisie.

21

Page 22: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un

L’Inde au Festival d’Automne :

C’est en 1974 que la musique indienne figure pour la première fois au programme du Festival d’Automne.En 1981, à la Chapelle de la Sorbonne, trois semaines sont consacrées à la musique carnatique et aux danses de l’Inde du Sud.En 1985, à l’occasion de l’Année de l’Inde en France, le Festival propose au Théâtre du Rond-Point, pendant un mois dans les trois salles, unprogramme dédié à la musique classique, aux formes dansées et instrumentales du nord et du sud de l’Inde.En 2010, les deux genres musicaux principaux de l’Inde sont présentés dans le contexte d’un salon de musique ; il s’agit du premier volet d’unprogramme qui s’étendra sur deux éditions. Le second sera plus spécifiquement consacré aux arts de la scène contemporaine et aux artsplastiques.

LEXIQUE

Le Festival d'Automne à Paris remercie : Bénédicte Alliot, Laurent Feneyrou, France Grand, Shaifali Jetli-Sury, François Lorin, Élisabeth Petit-Lizop, Malavika Sarukkai, Jérémie Szpirglas.

Président : Pierre RichardDirectrices générales :Marie Collin et Joséphine Markovitswww.festival-automne.com

22

AlapIntroduction lente, sans paroles (vocalises) ;première exposition du raga

BandishComposition. Se développant sur la based’un raga en particulier, ces compositionsfournissent le cadre du jeu et del’improvisation

Baïthak (du sanscrit : assis ensemble)Salon de musique. On appelle ainsi lescadres intimes de concert qui rappelle ceuxdes temples et salons royaux dans lesquelsla musique était jouée traditionnellement

BakhtiDévotion.

DhrupadStyle de chant hindustani, originaire de Gwalior, connu depuis le XIIe siècle

GamakaFigure ornementale au très fort caractèrevocal

GhatamInstrument de percussion, large pot d’argile

GayakiStyle – techniques et tournures – de chant

GharanaÉcole (esthétique) musicale (liée à une tradition particulière)

Guru-shishya parampara (de guru,maître, shishya, disciple)Tradition millénaire de transmission orale du savoir dans arts classiques indiens

KanjiraInstrument de percussion à peau, typique de la musique carnatique

KhartalInstrument de percussion en bois muni de clochettes

KhayalStyle de chant de l’Inde du Nord, connudepuis le XVIIIe siècle

LayaTempo

MridangamInstrument de percussion à peau de l’Inde du Sud

PakhawajInstrument de percussion à peau de l’Inde du Nord

PanditSage, savant. Peut être à la fois un titre, et un nom

RagaLes ragas sont les modes – échelles de note –sur lesquels est fondée toute la musiqueclassique indienne

RasaLe plaisir esthétique

Rasika (de rasa)Le connaisseur, l’initié, celui qui saitapprécier le rasa

Rasikata (de rasa)L’esthétique savourée collectivement

SarangiInstrument à cordes frottées de l’Inde du Nord

SadhanaDiscipline, souvent liée à la dévotion

TablaInstrument de percussion à peau de l’Inde du Nord

TalaCombinaison rythmique. Le système des talas est étroitement lié au système des ragas

TanpuraLuth à quatre cordes donnant l’harmoniefondamentale indispensable au jeu et au chant

ThumriStyle de chant de l’Inde du Nord, musiquelégère, en marge de la musique classique

Upa-pakkavadyamDans la musique carnatique, c’est le secondpercussionniste, assistant du premier

VedaLes Écrits fondateurs – Sama Veda

VeenaFamille d’instruments à cordes pincées

Photo ci-contre : Le Salon de musique © Satyajit Ray, photo collection Cahiers du cinéma

Page 23: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un
Page 24: Baithak - Festival d'Automne à Paris · initié par Nathan Peer Baksh, que l’on considère comme le créateur du style Khayal de Gwalior – , et Gwalior a joué là encore un