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BALTHUS À LA VILLA MÉDICIS : PALIMPSESTE D'UN DÉPAYSEMENT COLETTE MOREL « Cette mise en abyme de dépaysements pittoresques successifs (temporels géographique, poétique et subjectif) est significative de la manière dont Balthus va reconstituer un état « Renaissance » imaginaire de la Villa, agissant davantage en décorateur et créateur qu'en scrupuleux historien et rénovateur. Les « châteaux du Comte de Rola » – Chassy, la Villa Médicis, Montecalvello ou encore Rossinière – fonctionnent comme autant de lieux fantasmatiques construits par Balthus en parallèle de sa peinture. 1 » Vient de s'achever à la Villa Médicis une grande rétrospective 2 de son ancien directeur, Balthus, que Cécile Debray introduit par le prisme du dépaysement. Et celui-ci dès l'abord paraît paradoxal, tant l'exposition romaine entend nous familiariser avec l'un des grands maîtres de la peinture française et l'importance de son séjour italien, en même temps qu'elle nous dé-familiarise, nous confond, en faisant émerger le nouveau visage d'un peintre aussi double que Janus. La première salle de l'exposition 3 plonge dans l'orientalisme de la série des Japonaises, multiples variations autour de la figure de Setsuko, jeune épouse que Balthus rencontre au cours d'un voyage officiel au Japon. D'emblée le regard contemporain que l'on porte sur l'artiste paraît tributaire d'une imbrication profonde entre la Villa Médicis, territoire historiquement liée à l'expérience du dépaysement, et son ancien directeur. La Chambre turque introduit l'oeuvre balthusienne, quelques étages au dessous de son modèle, pièce néo-mauresque aménagée par Horace Vernet en 1833. Deux ans plus tôt se sont tenues au même endroit deux journées d'études successives, consacrées à la restauration balthusienne du palais, à travers les décors peints, l'aménagement du mobilier, de l'atmosphère lumineuse, de l'arrangement des jardins. Tous les participants, à commencer par Jean Clair, orientent la réflexion sur un point crucial que nous entendons reprendre : la Villa telle que l'a revisitée Balthus est à considérer comme unicum, il s'agit d'une œuvre tridimensionnelle à intégrer au catalogue raisonné au même titre que toiles, dessins et photographies. Déjà en 1982, Jean Leymarie, qui succède à Balthus à la tête de l'institution, l'affirmait : « cette restauration a pris beaucoup de son temps, mais elle constitue en elle-même une de ses œuvres parfaites dont l'action a retenti sur sa personne et sur sa peinture. 4 » C'est du retentissement de l'époque romaine dont il est ainsi question, dans la mesure où il 1 DEBRAY Cécile, « Exposer Balthus », Balthus, Electa, Milan, 2015, p.20. 2 Exposition Balthus, du 24 octobre 2015 au 31 janvier 2016 à la Villa Médicis et Scuderie del Quirinal, Rome. 3 Dans la partie « Procédures » exposée à la Villa Médicis. 4 LEYMARIE Jean, Balthus, Skira, 1982, p.90. 1.23

BALTHUS À LA VILLA MÉDICIS PALIMPSESTE D'UN … · déboussolement qu'implique cette période de la vie et de l'oeuvre de l'artiste. Non seulement la Villa ... soumet le palais

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BALTHUS À LA VILLA MÉDICIS : PALIMPSESTE D'UN DÉPAYSEMENT

COLETTE MOREL

« Cette mise en abyme de dépaysements pittoresques successifs (temporels géographique, poétique et subjectif) est significative de la manière dont Balthus va reconstituer un état « Renaissance » imaginaire de la Villa, agissant davantage en décorateur et créateur qu'en scrupuleux historien et rénovateur. Les « châteaux du Comte de Rola » – Chassy, la Villa Médicis, Montecalvello ou encore Rossinière – fonctionnent comme autant de lieux fantasmatiques construits par Balthus en parallèle de sa peinture. 1»

Vient de s'achever à la Villa Médicis une grande rétrospective2 de son ancien directeur,

Balthus, que Cécile Debray introduit par le prisme du dépaysement. Et celui-ci dès l'abord paraît

paradoxal, tant l'exposition romaine entend nous familiariser avec l'un des grands maîtres de la

peinture française et l'importance de son séjour italien, en même temps qu'elle nous dé-familiarise,

nous confond, en faisant émerger le nouveau visage d'un peintre aussi double que Janus. La

première salle de l'exposition3 plonge dans l'orientalisme de la série des Japonaises, multiples

variations autour de la figure de Setsuko, jeune épouse que Balthus rencontre au cours d'un voyage

officiel au Japon. D'emblée le regard contemporain que l'on porte sur l'artiste paraît tributaire d'une

imbrication profonde entre la Villa Médicis, territoire historiquement liée à l'expérience du

dépaysement, et son ancien directeur. La Chambre turque introduit l'oeuvre balthusienne, quelques

étages au dessous de son modèle, pièce néo-mauresque aménagée par Horace Vernet en 1833. Deux

ans plus tôt se sont tenues au même endroit deux journées d'études successives, consacrées à la

restauration balthusienne du palais, à travers les décors peints, l'aménagement du mobilier, de

l'atmosphère lumineuse, de l'arrangement des jardins. Tous les participants, à commencer par Jean

Clair, orientent la réflexion sur un point crucial que nous entendons reprendre : la Villa telle que l'a

revisitée Balthus est à considérer comme unicum, il s'agit d'une œuvre tridimensionnelle à intégrer

au catalogue raisonné au même titre que toiles, dessins et photographies. Déjà en 1982, Jean

Leymarie, qui succède à Balthus à la tête de l'institution, l'affirmait : « cette restauration a pris

beaucoup de son temps, mais elle constitue en elle-même une de ses œuvres parfaites dont l'action a

retenti sur sa personne et sur sa peinture. 4»

C'est du retentissement de l'époque romaine dont il est ainsi question, dans la mesure où il

1 DEBRAY Cécile, « Exposer Balthus », Balthus, Electa, Milan, 2015, p.20.2 Exposition Balthus, du 24 octobre 2015 au 31 janvier 2016 à la Villa Médicis et Scuderie del Quirinal, Rome.3 Dans la partie « Procédures » exposée à la Villa Médicis.4 LEYMARIE Jean, Balthus, Skira, 1982, p.90.

1.23

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nous faut penser le directorat de Balthus sous l'angle du dépaysement, de la désorientation, du

déboussolement qu'implique cette période de la vie et de l'oeuvre de l'artiste. Non seulement la Villa

Médicis se transforme esthétiquement et institutionnellement, mais la facture picturale, la figure de

l'artiste ainsi que sa palette font également l'objet d'une profonde et radicale métamorphose. Les

toiles se construisent dans l'épaisseur de la fresque et se parent d'un feuilleté de repentirs ; Balthus

devient le Comte Klossowski de Rola, éminent émir français dans le cercle mondain d'artistes

italiens ; le peintre s'essaie à la photographie en même temps qu'il joue les décorateurs de théâtre en

plein jour. Aussi, dans quelles mesures peut-on considérer le directorat de Balthus comme une

période de dépaysement réciproque, où l'influence de l'espace agit sur le peintre et même temps

qu'il le colonise et le métamorphose ? Autrement dit, la présence de Balthus est-elle en soi un

accomplissement de l'orientalisme académique inhérent à l'Académie française à Rome, de telle

sorte que s'opère l'expérience d'une symbiose entre espace et personnage entre 1961 et 1977 ?

La restauration de la Villa est le premier jalon de cette expérience du dépaysement dont

l'espace romain est le sujet. Se dessine alors une forme de colonisation du réel par la fiction, qui

soumet le palais à un dépaysement spatio-temporel de l'ordre du fantasque – l'objectif étant de

retrouver un état renaissant plus rêvé que passé. Or le directorat de Balthus n'est pas significatif

pour la seule réinvention de la Villa, mais aussi pour la réinvention d'un Balthus romain, dans

laquelle la colline du Pincio agit comme théâtre d'un dépaysement de soi. De la manière dont

l'espace et l'artiste se dé-familiarisent de leur état antérieur découle un dépaysement de l'oeuvre

picturale qui bouscule sa manière de penser l'espace. La toile devient le palimpseste sur lequel se

superposent les dizaines de compositions successives, mais ne contient plus à elle seule l'oeuvre

balthusienne, qui désormais déborde de son cadre sur les murs, sur le papier à dessin, sur le tirage

photographique.

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COLONISATION DU RÉEL PAR LA FICTION : LA VILLA MÉDICIS SOUMISE À UN DÉPAYSEMENT

SPATIO-TEMPOREL DE L'ORDRE DU FANTASQUE.

La chambre turque et La Chambre Turque

L'arrivée de Balthus à la Villa Médicis inaugure une colonisation du réel par la fiction, qui

les soumet tous deux à un dépaysement spatio-temporel de l'ordre du fantasque. Faire l'expérience

du dépaysement sous-entend d'emblée une dé-familiarisation liée à l'espace, une perte de repères

géographiques. En tant qu'enclave française dans le paysage physique et artistique italien,

l'Académie de France à Rome est le territoire historique d'un dépaysement pensé comme passage

obligé de l'artiste en formation. C'est par conséquent le lieu où l'on désapprend pour réapprendre, où

l'on s'assujettit à un déracinement topographique et esthétique. Non seulement l'Académie fait de

l'Italie un atelier à ciel ouvert, mais l'artiste s'adonne à la copie des maîtres, c'est-à-dire à une

reproduction au carré du monde – les grandes œuvres classiques sont également un territoire à part

entière, qui achève de déboussoler le lauréat. Or, Balthus n'est pas prix de Rome, obstacle que doit

franchir André Malraux pour le nommer à la tête de l'institution. Toutefois, son enseignement suit

un cheminement classique, antérieur à celui dispensé par la structure académique. Éveillé par

quelques maîtres – Rilke, Bonnard –, il parfait sa technique par l'observation des chefs d'oeuvres –

il copie Poussin au Louvre, Pierro della Francesca –, et organise solitairement le traditionnel voyage

en Italie, à la recherche des fresques d'Arrezzo. L'influence du peintre de La légende de la Vraie

Croix – tirée de La légende dorée, syncrétisme de croyances païennes et chrétiennes, fruit d'un

dépaysement liturgique – traverse l'oeuvre balthusienne et jalonne l'expérience de son dépaysement

romain.

L'espace et l'artiste se métamorphosent à la manière d'une réaction chimique qui les

transforme, et pour le comprendre, il nous faut commencer par leur point d'ancrage, que nous

situons dans le plus célèbre tableau de la période romaine, La Chambre turque5. Balthus met en

scène l'une des pièces les plus étranges de l'édifice, un cabinet de curiosités aménagé par Horace

Vernet, ancien directeur, au retour d'une des premières missions héliographiques en Égypte en 1833.

Né d'un rêve du Levant, d'un dépaysement oriental, la pièce est le théâtre d'un second dépaysement,

celui d'un Balthus jouant les peintres orientalistes. Positionnant sa jeune épouse japonaise Setsuko à

la manière d'une odalisque ingresque, l'artiste réalise dans les premières années de son directorat un

manifeste de sa nouvelle orientation esthétique. De la pièce néo-mauresque, on reconnaît très

précisément le damier géométrique du sol en faïence, le carrelage de terre cuite en rosace des murs,

l'arc outrepassé des fenêtres en bois travaillé. Sur une méridienne sans relief trône une Olympia

5 Il s'agit de la première œuvre balthusienne à entrer dans les collections nationales par achat d'état en 1967.

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japonaise, la tête ceinte d'un ruban à la manière d'un hachimaki, vaguement drapée dans une robe de

chambre, dont la monotonie rose scande l'abondance du motif. L'édredon et le drap tendus ne

souffrent pas le modelé de l'assise ; le corps paraît en suspension, sans « somnolence ni sommeil »

comme le stipule le verset coranique6 inscrit sur l'une des portes de la chambre.

Balthus met ainsi en lumière plusieurs évolutions de son œuvre. D'une part, La Chambre

turque témoigne d'un nouveau versant académique, où l'érotisme est diffus et où prime la question

du regard – ce n'est plus La Chambre. La tenture à droite de la fenêtre dévoile plus qu'elle ne

dissimule, les persiennes sont closes mais filtrent la lumière, le modèle fixe un miroir sans reflet,

l'oblique des yeux dynamise un visage de face, mouvement que prolonge la torsion du corps. Les

motifs et la nature morte sont d'une parfaite régularité, mais le modèle est disproportionné, le

raccourci de la jambe gauche faussé, les membres à peine esquissés, le corps modelé d'un vague

cerne noir. Ce tracé minimal rappelle la miniature ottomane, les nuances de gris colorent le corps

nacré, accentuent l'arrondi du sein et la rondeur médiévale du ventre. L'équilibre entre maîtrise et

naïveté renoue avec l'histoire d'un art de l'inachèvement et de l'épure des maîtres du quattrocento7.

D'autre part, la toile éclaire la réalisation des influences topographiques, depuis les accents

asiatiques, jusqu'aux fresques renaissantes en passant par la miniature orientale. Si Balthus voyait

déjà dans les montagnes européennes des paysages chinois, la présence du modèle japonais achève

de brouiller les attaches géographiques. La facture du canvas, peint à la caséine et tempera tend, à

donner à l'ensemble l'aspect mat et poreux de la pierre : Balthus, entend peindre comme Pierro della

Francesca, et fait du châssis le support d'une fresque mobile8. L'aura de l'auteur de De Prospectiva

Pingendi se lit dans l'application d'une perspective par la couleur, thème de la troisième partie du

traité. Le premier plan et le modèle peints dans des tons chauds se détachent d'un arrière plan

estompé dans des nuances froides. « En opposition et argument contre d'éventuels processus

d'abstraction, je situe cette opinion originale de Balthus concernant la perspective classique ou

mathématique. Il déplore son entrée dans la peinture italienne de la Renaissance. Il y en a dans ses

tableaux et délibérément il en aime les erreurs » affirme Philippe Gutton9. La toile est le territoire

d'un premier dépaysement, en cela qu'une nouvelle symbiose culturelle agit sur la maniera et la

figuration du peintre. Or il s'agit d'une perversion, au sens latin du terme per-vertere, un

retournement complet, puisque la Villa Médicis en tant qu'espace, paysage est également sujette à

6 Deuxième sourate du Coran appelée El Bakara (" la vache"), verset 255. La transcription dit "Dieu ! Point de Dieu que Lui, le Vivant, l'Absolu. Ni somnolence ni sommeil ne Le prennent".

7 Et de leur relecture moderniste, notamment dans l'oeuvre de Manet.8 Nous reviendrons sur ce point. Notons déjà que la toile intègre les cassures, effacements (notamment sur le bord

droit de la méridienne) et fissures propres au support, ainsi que la teinte vieillie, passée des couleurs pastels.9 GUTTON Philippe, Balthus et les jeunes filles ou le dévoilement du féminin, Éditions EDK, collection pluriel de la

psyché, Paris, 2013, p.169.

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l'expérience d'un dépaysement balthusien.

Ressusciter la Villa

« Les réalisations de Balthus à la Villa Médicis n'ont jamais été considérées comme un volet

de son oeuvre10 ». Le vide historiographique relatif à l’empreinte laissée par l'artiste sur le palais est

ainsi justifié par Annick Lemoine, ancienne chargée de mission d'histoire de l'art. Pourtant l'impact

du directorat de Balthus est double, à la fois patrimonial et institutionnel. Quatre campagnes de

restauration se succèdent pendant six ans de travaux, entre 1961 et 1966, auxquelles s'ajoutent une

restructuration des jardins entre 1973 et 1977. Parallèlement, l'Académie de France à Rome

remodèle son fonctionnement par la réforme de 1971 qu'annonce la suppression du Prix de Rome

quatre ans plus tôt. À la mission Colbert de recherche d'une perfection technique s'ajoute la mission

Malraux, favorisant les échanges franco-italiens : le ministère Malraux, avec Balthus pour héraut,

est en soi mu par cette expérience du dépaysement. Ainsi s'opère un double mouvement dans

l'histoire de l'institution qui en métamorphose le paysage puisque la Villa est communément

associée au prix de Rome et aux beaux arts, et devient alors perméable à l'intégration de nouveaux

media. La dernière réforme en date est celle de Balthus, réactualisée sous le directorat d'Éric de

Chassey.

Lorsque Balthus accepte sa mission d'État débute une tentative de restitution du paysage

historique de la Villa, portée par le fantasme d'un retour à une origine sans référent. Le peintre

entend dépayser le palais des apports du XVIII ème et XIX ème siècle : les jardins en sont un exemple,

où le goût colonial des palmiers s'efface devant l'ordre géométrique des jardins à la française, des

pins parasols typiques de la Méditerranée, qui d'après les gravures et documents sont « d'époque ».

« Balthus semble procéder de manière empirique : il s'adapte à chaque cas de figure selon l'effet

qu'il recherche, mais il est en amont guidé par un seul et même projet artistique : à la fois retrouver

le caractère de la Villa du cinquecento et ouvrir cette nouvelle page de l'histoire de l'Académie. 11 »

Annick Lemoine considère la restauration de Balthus selon une double optique, à la fois artistique et

institutionnelle ; aussi nous faut-il étudier ce nouveau palais, théâtre d'un unicum. Les décors peints

en sont le premier volet, et deux techniques sont à envisager. Balthus entreprend d'harmoniser la

composition d'une pièce à partir de ses fresques, où d'une teinte antérieure. Il choisit alors ou de s'y

conformer, de dégrader sa palette à partir de cette nuance originelle, ou d'inventer un nouveau ton.

Emiliano Ricchi12 conclut d'ailleurs que ce choix délié des résultats stratigraphiques est le modèle le

10 Intervention d'Annick Lemoine dans le cadre de la journée d'étude organisée autour des décors peints de Balthus, le 28 mai 2013 à la Villa Médicis.

11 Ibidem12 Intervention d'Emiliano Ricchi, idem.

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plus répandu dans les pièces restaurées, où l'artiste privilégie une création ex nihilo. L'exemple du

Salon bleu et des ses coloris vieillis nous éclaire : une couche de peinture et d'ardoise sont

appliquées puis frottées avec des caissons de bouteille pour rendre à la paroi son aspérité ; les

plafonds à caissons sont décapés pour laisser le bois à nu. Il y a très sensiblement un

fonctionnement en système, un style qui entend restaurer, remettre à nu le palais, dans un

mouvement à la fois de suppression (les plafonds décapés), et d'ajout (la peinture appliquée et

aussitôt grattée). De ce système les murs conservent la marque : la palette employée s'étire en

quelques traits à l'entrée de chaque salle.

Outre l'ameublement et l'éclairage, conçus comme les différents éléments d'une même

composition, Balthus étend sa mise en scène à l'extérieur de l'enceinte, dans les jardins du Bosco.

La Villa devient par conséquent le territoire de l'hybride, une véritable scène de théâtre. Jean Clair

ne dit pas autre chose en affirmant le caractère composite de cette restauration : « la question des

murs, de la muraille, de la parete, (...) a été la grande question dans la vie de Balthus, qui n'était pas

un homme de la pureté, de l'intégrité, si j'ose dire, du blanc candide. C'était un homme de l'impur,

du mélange, de la confusion, d'une certaine façon13. » S'impose alors une comparaison entre Balthus

restaurateur et Balthus décorateur, homme de théâtre. Les six spectacles sur lesquels il travaille

entre 1934 et son arrivée à Rome14 paraissent pressentir un « Balthus architecte » par lequel la

restauration de la Villa Médis se pense au travers d'un prisme théâtral. L'inspiration renaissante et

un goût prononcé pour un passé fantasmé déterminent un certain nombre de ses décors, qu'il

s'agisse de Comme il vous plaira15, Les Censi16 ou Cosi Fan Tutte17. En 1953, le décor que Balthus

réalise pour L'île des Chèvres semble annoncer la transcription en trois dimensions de ses ambitions

picturales, que Jean Clair considère orientées par une tension vers la fresque. « Sur place, en voyant

le mur du fond recouvert d'affiches qu'il fit enlever, il dépouilla à l'extrême son projet initial. Il

peignit à même le mur, en se servant des effets dus aux marques de papier et aux traces de colle 18».

En résulte, d'après les photographies, le même aspect gratté, irrégulier, épuré des murs de la Villa,

ainsi qu'un fonctionnement par récupération / transformation du support, une technique de peinture

par l'accumulation, entre décapage et jeu sur l'épaisseur de la matière. Si Balthus termine ses

13 Intervention de Jean Clair, idem.14 Jules César de Shakespeare, mis en scène par Jean-Louis Barrault au théâtre de l'Odéon en 1960 , est le dernier.15 COLLE LORANT Sylvia, « Balthus, décorateur de théâtre » in Balthus, MNAM, Centre Pompidou, Paris, 1983,

p.314 : « (…) une salle italienne de la Renaissance – avec son plafond bas à caissons, ses murs peints selon la technique de la fresque ». « Balthus, décorateur de théâtre » in Balthus, MNAM, Centre Pompidou, Paris, 1983, p. 314

16 « Le premier décor, la demeure du comte Censi aurait pu évoquer un palais romain de la Renaissance, mais Balthus proposa une construction imaginaire « qui comme les ruines dégage une impression de rêve extraordinaire » », Ibidem, p. 317

17 « La construction évoque un palais de la Renaissance », Ibidem, p.32318 Ibidem, p.325

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collaborations picturales un an seulement avant sa prise de fonction, ne pourrait-on pas considérer

réceptions, aménagements et directorat comme le relais de ce penchant théâtral ? La teneur

carnavalesque d'une telle symbiose entre l'espace et l'artiste est également à renverser ; c'est un

dépaysement réciproque qui fait émerger une villa balthusienne et un Balthus romain.

Le dépaysement académique

L'esthétique de l'ailleurs envahit la peinture de Balthus, un faste faussement restauré dépayse

la Villa Médicis ; l'Académie de France à Rome agit-elle également sur le peintre dans une

défamiliarisation liée à ses fonctions historiques ? Autrement dit, le dépaysement spatio-temporel

dont il est ici question peut-il s'entendre en fonction de l'espace non seulement géographique mais

diachronique? Dès la création de l'Académie en 1648, le dessin d'après modèle vivant intervient

comme passage obligé de la formation des jeunes artistes ; l'esquisse est chez Balthus essentielle,

mais n'a d'intérêt que pour sa valeur d'usage. En 1982, Jean Leymarie émet un bouleversement dans

le regard que l'artiste porte sur ses études : « après leur présentation consentie à la galerie Claude

Bernard en 1971, les dessins que Balthus tenait jusqu'alors pour de simples essais préparatoires et

qu'il détruisait le plus souvent, ont magnifié leur format et pris une valeur autonome. »

L'académisme relatif qui définit la quiétude des toiles de la période de Chassy fait place à Rome à

un académisme pur. Le dessin – la mise en tension des nus de Setsuko, des sœurs Terreri et des

paysages de Montecalvello, face à face dans l'exposition Balthus, témoigne de leur prédominance

dans les années romaines – devient alors un medium montré, vendu et signé au même titre que les

toiles. Ce changement de regard sur l'esquisse reconditionne et l'oeuvre en elle-même et sa valeur

marchande. Sur des grands formats de papier peau d'éléphant, les corps des modèles apparaissent à

la mine de plomb en ménageant pleins et vides. Souvent dédicacées, les épreuves ont

majoritairement financé le train de vie aristocratique du peintre à Rome, ainsi que les frais de

représentation du directeur. Faute de temps pour la réalisation de ses toiles, Balthus fait du dessin

une annexe de son travail graphique.

« Avec malice et selon un jeu mimétique avec sa fonction de directeur de l'académie,

Balthus produit un grand nombre de dessins parachevées selon les normes du dessin classique. Pour

ces œuvres, outre les séances de pose dans « l'atelier des dessins », il a recours pour la première fois

à des photos prises sur ses indications par une artiste graveur pensionnaire de l'académie, Brigitte

Courme 19.» L'intervention de la photographie, nouvelle arrivée dans la palette balthusienne nous

renseigne sur la valeur d'usage du travail préparatoire. Ce n'est qu'une fois relayé par le

photographique, outil plus bas dans l'échelle du peintre que l'esquisse, que le dessin gagne son

19 Cartel accompagnant la salle 3, « Académie » de l'exposition Balthus à la Villa Médicis, 2015.

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autonomie. Palliatif à la séance de pose que, faute de temps, le directeur n'a pas le loisir de

prolonger, la photographie bouleverse la maniera du peintre de façon significative. L'académisme

du dessin est alors à son tour dépaysé par un outil amateur et provocateur dans l'oeuvre d'un peintre

qui se réclame d'une épure classique. Le subversif de l'oeuvre balthusienne, attribué à une

iconographie érotique, se prolonge dans l'usage du medium du réel : l'académie influe sur le

classicisme pictural et se trouve renversé par le photographique, qui renoue avec l'érotisme de la

jeune fille, en même temps qu'il nous défamiliarise par l'étrangeté que nous oppose le tableau

vivant20.

Le dessin se trouve ainsi au carrefour d'un académisme cherché et rejeté, dans la logique

paradoxale propre à l'artiste. Cet essor graphique n'est pas un dépaysement sans racine, au sens où il

reste amarré à la tradition de la peinture balthusienne, notamment dans son rapport au temps. Si la

figure de la jeune fille définit la recherche religieuse d'éternité pour Balthus, au même titre que

l'éphémarité se lit dans ces corps en suspension, le dessin joue sur l'inachèvement du corps des

modèles et redouble la lenteur de l'élaboration d'une toile qui n'en finit pas de se métamorphoser.

L'occupation spatiale de la page – thématique chère à la valeur géographique de notre

questionnement – n'est d'ailleurs pas étrangère à André Malraux, à qui Balthus doit sa nomination.

Dans une étude parue fin 2015 sur Malraux et les Frontières, Angèle Ferrere interroge la notion de

marge dans l'oeuvre malrucienne, et s'arrête sur la valeur de l'esquisse : « questionnée à plusieurs

reprises dans son œuvre, [elle] est pour Malraux un moyen de confronter l’œuvre d’art à son

caractère fini, à ses limites. Longtemps reléguée au rang du non-art, exclue du chef-d’œuvre dont

l’encadrement finit de clôturer l’achèvement, cette pratique en marge bien que foisonnante des

artistes accomplit sa métamorphose et intègre le monde de l’art. '' Le premier caractère commun aux

arts dont commence la discrète résurrection est l’absence – le refus – du fini.21''. 22» Cette mise en

suspens d'une pratique dans sa forme et sa fonction détermine la porosité du medium, qui permet

l'expérience du dépaysement. Ainsi la Villa et l'oeuvre balthusienne se sont-ils soumis à une

défamiliarisation réciproque ; or cette perte de repères n'aurait-elle pas agit sur la posture d'artiste

du directeur, le dépaysant de lui-même, par métamorphose ?

ROME THÉÂTRE D'UN DÉPAYSEMENT DE SOI

Académisme, faux et Musée imaginaire

20 La problématique du photographique et du jeu sur le tableau vivant nous occupera plus longuement dans la suite de cette étude.

21 MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2010, p. 56.22 FERRERE Angèle, « La pensée de la marge », Malraux, Le Passeur de Frontières, L'Harmattan, collection Eidos,

Paris, 2015, p. 134-135.

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Page 9: BALTHUS À LA VILLA MÉDICIS PALIMPSESTE D'UN … · déboussolement qu'implique cette période de la vie et de l'oeuvre de l'artiste. Non seulement la Villa ... soumet le palais

Le dépaysement dont Balthus et la Villa Médicis sont les sujets sous son directorat ne

s'entend pas dans sa seule acception spatio-temporelle, puisque la nouvelle fonction du peintre

établit un profond renversement et dans son œuvre et dans sa figure d'artiste. Notre hypothèse est la

suivante : si Balthus est maître dans la maîtrise de son image et de sa biographie, les années

soixante et soixante-dix sont marquées par un chavirement de sa posture sociale et artistique. Dans

une transformation proche de la métamorphose, Balthus se dépayse de lui-même au contact de

l'atmosphère romaine, rejoignant à la fois l'histoire culturelle de l'institution et la facétie qui le lie à

André Malraux. La biographie balthusienne23 de Nicholas Fox Weber, parue au tournant du siècle a

montré combien le peintre est l'écrivain de sa propre histoire, mélangeant ambitions aristocratiques,

ascendance réelle et fantasmée à mesure que sa peinture oscille entre érotisme tranchant et accalmie

académique. En 2001, la scène se rejoue avec la parution d' André Malraux d'Olivier Todd, qui fait

de l'auteur des Anti-Mémoires une forme de faussaire. Le palais romain est la scène d'un théâtre sur

laquelle se joue cette « dramaturgie du moi » entre les deux hommes. Vient alors pour nous aiguiller

un genre littéraire qu'on relie souvent à Malraux : l'autofiction. « Le discours autobiographique de

Malraux se situe ailleurs, affirme Moncef Khemiri24, dans cette zone intermédiaire et que l’on

appelle aujourd’hui l’autofiction et qui se caractérise par un discours bivalent, mi-enraciné dans la

réalité référentielle et mi-tourné vers la fiction. En assemblant deux discours traditionnellement

incompatibles, l’autofiction rend inopérante l'antithèse ''vérité / fiction.'' 25» L'entre-deux d'une telle

construction identitaire est remarquable dans notre réflexion sur le dépaysement, en cela que

l'espace de la Villa, les fonctions que Balthus y occupe et la vie qu'il y mène influent sinon sur ce

qu'il est, du moins sur ce qu'il paraît être : sa biographie est alors scindée par cette enclave de

l'autofiction, où le réel et le rêve sont limitrophes. À l'article « Balthus » du Dictionnaire Malraux,

Raphaël Aubert souligne la théâtralisation de l'identitaire qu'ils ont en partage : « la propension de

Balthus à jouer les grands seigneurs – il se fait désormais appeler Comte de Rola – représente un

atout supplémentaire aux yeux du ministre qui souhaite restituer à l'Académie tout son lustre et faire

de son directeur l'ambassadeur de la culture française en Italie. Loin de l'effrayer, le côté

condottiere que Malraux perçoit chez Balthus – mais l'écrivain ne l'est-il pas lui-même aussi ? – sert

au contraire son dessein. (…) Dans le décor conçu à son image (...) l'artiste peut enfin jouer le

personnage auquel il aspire depuis si longtemps. 26» Ce « côté condottiere » n'est pas sans rappeler

le roman éponyme27 de Georges Perec, rédigé au début des années 1960 et publié en 2012.

23 FOX WEBER Nicholas, Balthus, A biography, Alfred A. Knopf, Inc., New York, 1999.24 Professeur de littérature française à l'université de la Manouba en Tunisie, Faculté des lettres de la Manouba, Tunis.25 KHEMIRI Moncef, Les Antimémoires, entre autobiographie et autofiction, Faculté des lettres de la Manouba, Tunis,

200926 AUBERT Raphaël, « Balthus », Dictionnaire André Malraux, CNRS Éditions, Paris, 2011.27 PEREC Georges, Le Condottiere, Seuil, Libraire du XX ème et du XXI ème siècles, Paris, 2012.

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L'impossibilité de peindre un faux condottiere à la manière d'Antonello della Messina28 constitue la

trame de l'ouvrage, et nous rappelle au territoire à mi chemin entre l'original et le double, l'histoire

et le conte dont la présence de Balthus à la Villa est empreinte. Malraux n'aurait-il pas vendu de

faux Derain et Picasso, Balthus n'aurait-il pas contresigné des dessins de Frédérique Tisson, Setsuko

n'aurait-elle pas joué à peindre des chats balthusiens?

Le dépaysement géographique et psychologique qu'implique le séjour romain se couple d'un

dépaysement de l'unique, dans la mesure où il y a non seulement fracture, mais dédoublement. Le

biographe de Balthus ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que « régner sur la Villa (...), c'était

faire de l'ascension de Heatcliff une réalité. Et c'était bien là le talent de Balthus : il savait

transposer la littérature dans la vie quotidienne aussi simplement qu'il enfermait à double tour

certaines vérités dans la fiction de sa vie. 29» Cette symbiose entre le vrai et le faux, l'unique et le

multiple détermine les bouleversements de la restauration du palais en même temps qu'elle

prédispose son directeur à un dépaysement de lui-même. Historiquement, l'Académie de France à

Rome a la double mission de former ses lauréats à la copie des chefs-d'oeuvre et de fournir l'État en

reproductions antiques et renaissantes qui ornent les édifices français ; la copie dans sa dimension

faussaire ne lui est par conséquent pas étrangère. Or, Balthus intègre le double dans sa restauration,

faisant de la Villa un revers fantasmé de l'histoire par une série d'arrangements – du mobilier30

dupliqué à l'identique à la reproduction de moulages antiques, « un changement '' très Balthus '':

souligner un passé aristocratique en le reproduisant artificiellement 31». Le terme d'artifice est

familier de Malraux, si l'on considère que son Musée imaginaire se peuple de reproductions – sur

l'espace réel de la page par la photographie et dans celui imagé du musée rêvé. « La reproductibilité

technique des œuvres, thème majeur du Musée imaginaire, a renforcé la notion de modèle sans

laquelle aucune série n'est possible. L'image de l'art prolonge son caractère sacré, comme dans la

religion l'image nous rapproche des dieux en même temps qu'elle nous tient en respect. 32» La

teneur religieuse de l'assertion de Michel Melot ne serait pas sans plaire à Balthus, qui considère sa

peinture comme une émanation mystique. Ce qu'il nous faut cependant retenir, c'est la manière dont

la facture théâtrale de l'espace romain rejoint et prolonge une propension au jeu, au travestissement,

à l'étonnement qui définit l'expérience du dépaysement. Le lien à la reproduction, au double, au

faux, à la fois hérité et antithétique de la tradition académique ne serait-il pas le terrain d'une

28 Pensons également au célèbre condottiere peint par Pierre della Francesca, maître absolu de Balthus.29 FOX WEBER Nicolas, « La Villa Médicis », Balthus, Une Biographie, Fayard, Paris, 2003, p. 584.30 FOX WEBER Nicolas, Ibidem, p.594 : « Lorsque c'était possible, Balthus a sélectionné des pièces sur lesquelles les surfaces et les tapisseries étaient d'origine. Et lorsqu'un objet original se révélait inaccessible, il a commandé une copie parfaite. Les tapis sardes sont ainsi conçus d'après des dessins d'autrefois. »31 FOX WEBER Nicolas, Ibidem, p.602.32 MELOT Michel, « L'art selon André Malraux , du Musée imaginaire à l'Inventaire général », In Situ, mis en ligne le 21 janvier 2012, consulté le 16 janvier 2016, URL : http://insitu.revues.org/1053

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métamorphose balthusienne : la photographie, approchée aux dernières heures de Chassy,

développée à la Villa et ponctuellement employée par Balthus depuis, ne nous éclairerait-elle pas

sur les étapes de cet épanouissement ?

Du tableau vivant à Chassy à une dramaturgie du moi par la photographie

Jean Clair affirme que « la marche vers la gloire publique vient avec sa nomination, décidée

par Malraux, en 1961, à la direction de la Villa Médicis 33». La nouvelle fonction de Balthus ne

détermine pas seulement une série de transformations au sein de son œuvre et de l'institution, mais

achève une profonde métamorphose de sa posture d'artiste. S'opère ainsi une construction identitaire

qui fait de l'artiste bohème du petit atelier de la cour de Rohan, un dandy châtelain ; du bourgeois

reclus un grand mondain romain. Ce dépaysement identitaire n'a pas la brusquerie du retournement ;

au contraire, il est annoncé par une période charnière dans l'oeuvre et la vie de Balthus, pendant

laquelle il séjourne au château de Chassy. C'est dans cette ferme fortifiée du XVII ème siècle que

Balthus travaille entre 1953 et 1961, où il commence à peindre à la caséine et tempera, en parallèle

de travaux de réhabilitation. La symbiose entre toile et murs réels dont il a été ici longuement

question est ainsi précédée de ce prologue du Morvan. Sabine Rewald considère d'ailleurs l'époque

Chassy comme le véritable retournement de la légende de l'artiste : « Chassy constitue un cadre

parfait pour Balthus, qui va y mener la vie imaginaire du comte Klossowski de Rola, identité qu'il

adopte quand son frère entre chez les Dominicains à Saint-Alban-Leysse, au printemps 1941. 34»

L’aisance financière dont il jouit désormais, la présence de son modèle Frédérique Tisson et le cadre

noble qu'il occupe constituent une accalmie favorable à des questionnements moins psychologiques

que picturaux, visibles dans la platitude des compositions, l'uniformité de l'éclairage et l'absence

relative de tension érotique des toiles de Chassy.

Balthus jalonne l'évolution de sa posture d'artiste de plusieurs petits dépaysement successifs : celui

de son nom et titre, qui passe du court diminutif de Balthus au long patronyme de Comte Balthazar

Klossowski de Rola ; ainsi que celui de son image publique. Quel meilleur procédé que la

photographie pour remodeler le visage de celui qui tient journalistes et historiens à distance ? En

1956, Balthus accepte un reportage photographique de Loomis Dean pour Life Magazine à la

condition d'être le seul maître de la mise en scène des clichés35. La présence d'un photographe

américain à Chassy – n'oublions pas que beaucoup des œuvres de l'artiste font partie de collections

privées américaines – produit une étrange série, où peintre et modèle deviennent les personnages

d'un tableau vivant. Ce genre photographique, où l'on mime une composition picturale, est tributaire

33 CLAIR Jean, « Balthus, ni maudit ni mondain, un maître », L'Express, 9 décembre 1999.34 REWALD Sabine, Balthus, Jeunes filles aux chats, Hazan, Malakoff, 2013, p.40.35 Propos recueilli à l'occasion d'une discussion avec Harumi Klossowska, février 2016.

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de l'esthétique de la séance de pose : « à la mise en scène initiale, au recours aux artifices scéniques

du costume et du décor, la photographie ajoutait un dévoilement singulier, fondé sur la révélation

d'un petit théâtre privé et caché, celui de l'atelier de peinture 36» analyse Dominique de Font-Réaulx

dans son essai, Peinture et Photographie. Sur les pages de Life Magazine, on retrouve en effet

Balthus dans la posture d'un élégant dandy entouré de chats et d'une jeune fille vêtue d'une jupe

verte et d'un pull rouge, tenue fétiche de nombre de ses personnages37. Frédérique retournée mime

la pose de la Jeune Fille à la Fenêtre, fait une réussite ou une patience ; Balthus, jambe pliée,

campe le petit garçon des Enfants Blanchard à l'atelier, et les deux jouent ensemble La Semaine des

Quatre Jeudi, avec figuration du chat. Les détails (chaussettes, chaussons, vêtements, natures

mortes) s'insèrent dans l'espace réel de Chassy, avant scène du premier acte du dépaysement

balthusien, de telle sorte que le château paraisse tout à la fois modèle et produit de l'iconographie.

La photographie, pour sa nature mimétique, rend poreuse la frontière entre le vrai et le faux, le

modèle et la composition, et permet ainsi de faire de Balthus le personnage de sa propre

iconographie, une appendice de son œuvre. Jean Clair souligne le caractère volontairement factice

du peintre : « qui cherche son identité ne peut qu'être attiré par le théâtre et se plaire à assumer les

déguisements les plus divers, les jeux les plus paradoxaux ; Balthus aura peut-être été l'héritier le

plus doué de cette génération de clowns tragiques, de Delacroix au Pitre châtié, que le romantisme

avait engendrée. 38» Ainsi le medium photographique, dont il sera question plus tard dans l'oeuvre

balthusienne et dans notre raisonnement, intervient-il au moment même où un dépaysement de soi

est sensible dans l'écriture biographique, et fonctionne comme enclave, territoire spatial d'une

métamorphose.

L'espace romain, théâtre d'une mythologie d'artiste

La Villa Médicis en tant qu'espace est également le théâtre d'une mythologie d'artiste, où

Balthus écrit sa légende personnelle. S'il joue au grand maître de la peinture en tant que directeur de

la prestigieuse institution, il incise cette mythification dans les murs mêmes du Palais. C'est ce

qu'illustre l'un des mystères balthusiens, celui de l'étrange Fresque du Carnaval. Dans un article

paru dans Le Monde quelques mois seulement après la mort de l'artiste, Nicole Vulser dévoile « la

légende du Balthus oublié de la Villa Médicis 39». Réalisée à l'occasion de l'une des nombreuses

36 DE FONT-RÉAULX Dominique, « Un petit théâtre photographique », Peinture et Photographie : les Enjeux d'une Rencontre, 1839-1914, Flammarion, Paris, 2012, p.205.

37 La liste n'est certes pas exhaustive, mais cette tenue se retrouve dans La Rue, 1933-35 ; La Leçon de Guitare, 1934 ; La Montagne 1935-37 ; Jeune Fille au Chat, 1937 ; Thérèse, 1938 ; Thérèse rêvant, 1938 ; Thérèse sur une Banquette, 1939 ; Jeune Fille endormie, 1943 ; La Patience, 1943 ; Jeune Fille en vert et rouge, 1944 ; Le chat de la Méditerranée, 1949 ; Jeune Fille à la Fenêtre, 1955 ; ; ou encore La Tireuse de Cartes, 1956

38 CLAIR Jean, « Balthus, un peintre hors de son temps », Le Figaro, 19 février 2001.39 VULSER Nicole, « La légende du Balthus oublié de la Villa Médicis », Le Monde, 4 avril 2001.

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soirées carnavalesques organisées par l'ancien directeur, « une scène vénitienne : hommes et

femmes masqués et déguisés, déambulant sur un gigantesque escalier 40» demeurerait cachée dans la

stratigraphie des parois romaines. L'usage du subjonctif n'est pas négligeable ; le ton cabotin de

l'article appuie la dimension légendaire de l'anecdote, à travers laquelle le jeu du maître se dévoile

dans toute son acception facétieuse. Outre la valeur historique de l'oeuvre – quoi de plus quotidien

qu'une fresque dans un palais renaissance ? –, l'aura qui l'entoure nous fait accéder à la lecture d'un

dépaysement double. Balthus prolonge une pratique dans l'épaisseur de son support : il succède à

une lignée de grandes peintures murales depuis la décoration de Jacopo Zucchi commandée par

Ferdinand de Médicis, en même temps qu'il l'efface, la recouvre. C'est très précisément dans cette

superposition que se met en marche le récit légendaire, puisqu'il s'agit de découvrir ce qui a été

préalablement recouvert, à la manière d'un « trésor caché ». Nicole Vulser nous indique les étapes

de la quête : après que Balthus ait soigneusement fait recouvrir les murs du Salon de Musique de

« peinture industrielle 41» (il s'agit des murs Balthus) et que le temps ait ensemencé de ronces le

souvenir de cette peinture, il sème les indices de l'emplacement du Graal. Auprès de proches,

d'anciens pensionnaires et même de Géraldine Albers, restauratrice, il indique peu de temps avant sa

mort l'emplacement de la fresque, et sa volonté de dévoiler cet ultime legs.

Que nous faut-il retenir de l'anecdote 42? D'une part la preuve d'un jeu sinon de faussaire, du

moins de manipulation de l'histoire. Balthus réussit en effet à intégrer matériellement la position à

laquelle il aspire, celui d'un traditionnel maître de la peinture, dont on recherche les œuvres sur les

parois de palais italiens. L'un des axes de la campagne de restauration lancée sous le directorat

d'Éric de Chassey relève de l'influence de son prédécesseur sur la Villa, et Balthus réussit par là un

habile retournement, puisque sa mystérieuse fresque est sondée au même titre que les plus anciens

chefs d'oeuvre. Si de nombreuses frises et fresques sont décelées à l'emplacement approximatif de

l'oeuvre balthusienne, il n'en reste pas moins que le projet de restauration la concerne au même titre

que celles des grands maîtres. Nous avons donc à faire à un Balthus qui succède au dépaysement

initial de sa peinture, puisqu'il se familiarise, intègre le paysage de son nouveau théâtre. Mais plus

encore, cette mythologie atteint une valeur d'unicum qui relie l'espace de la Villa à celui de la

peinture de Balthus. Non seulement le mur se fait toile, brouillant les repères physiques de l'oeuvre

– nous y reviendrons – , mais l'anachronisme et la porosité du rêve et du réel, tropes de son lexique,

rejoignent l'histoire spatiale. Nous sommes en effet face à un jeu de dupe, où le carnavalesque

s'éprouve dans une mise en scène au carré. Illustration d'un travestissement réel – la fête –, au

40 Ibidem41 Ibidem42 La journée d'étude portant sur les décors de Balthus ne semble faire cas de la découverte de la fresque. Bien que des

documents photographique attestent de son existence, la valeur légendaire de La Fresque du Carnaval prime sur l'oeuvre en elle-même.

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travers d'une référence culturelle – le carnaval vénitien –, et de sa transcription historique – une

scène italienne traditionnelle peinte à la manière d'un maître renaissant dans l'enceinte d'un antique

palais romain – la fresque est la mise en image d'un retournement, retrouvant par là la fonction

originelle de la cérémonie. Anachronisme d'une part puisqu'il faut feuilleter le temps de la coupe

stratigraphique dans l'épaisseur du mur pour redécouvrir une scène typique d'une époque révolue,

réalisée dans une technique qui lui semble contemporaine mais qui n'est effectuée qu'à la manière

de, quatre siècles plus tard. Porosité spatio-temporelle d'autre part, puisque le mythe, l'histoire, et

l'existence réelle de la fête sous le directorat de Balthus se confondent, murée volontairement sous

une énième couche de peinture. C'est très précisément un anti-dépaysement en cela que l'espace se

fait solidaire de l'ancien dépaysé, et se dépayse à son tour pour se familiariser avec son directeur, et

se dé-familiariser avec l'observateur, perdu dans la succession de ces strates brouillées.

Cette confusion de l'oeuvre et de l'espace, de l'art et de la vie ne ferait-elle pas de la Villa

Médicis une œuvre de Balthus, un unicum éminemment contemporain ? Le terme, relevé par Jean

Clair lors de la journée d'étude organisée en 2013 sur les décors balthusiens de la Villa Médicis,

paraît intégrer le paysage dans l'oeuvre elle-même, s'y acclimater. Il l'évoque également au cours

d'un entretien pour Art Press en 1995, où il relie le concept jungien d'individuation à une pratique

de singularisation de l'art contemporain : « Le terme d'individuation (…) fût repris et défini par

Jung. Ce qu'on peut dire, c'est que face à cette dissémination de l'unicum d'un individu par des

procédures techno-scientifiques, on a l'impression qu'il y a chez beaucoup d'artistes un désir plus ou

moins conscient et avoué de retrouver une singularité à la fois mentale et corporelle. 43» Aussi

pourrait-on lire une définition de l'anti-dépaysement à travers la restauration de la Villa Médicis :

l'espace réintègre l'oeuvre en même temps que l'oeuvre et le peintre l'habitent. Si l'on entend la

notion d'unicum, il est utile de la lier à une réflexion théorique qui illustre la posture d'artiste de

Balthus. Réunir art et artisanat dans un lieu qui suppose l'échange et une symbiose des arts revient à

affirmer le nécessaire ancrage d'une ambition artistique dans une techné. Dénonçant le terme

galvaudé de culture, par trop éloigné de l'agriculture et diffusé au moment même où plus rien ne le

relie à la terre, à la main, au savoir-faire ; Balthus prône une permanence de l'art dans la vie44. Se

faisant, il réfute l'héritage immédiat de l'art conceptuel et du tournant pris par Duchamp, en même

temps qu'il l'embrasse, puisque la vie est désormais le théâtre de l'art et inversement. Pied de nez à

la fois au conformisme académique que pourrait présupposer sa mission de directeur et

43 MILLET Catherine, « Venise 1995, exposition ouverte ; Entretien avec Jean Clair », Art Press, n°203, juin 1995.44 LEGRIS Michel, « II.- Entretien avec Balthus », Le Monde, 12 janvier 1967 : « La disparition progressive de

l'artisanat a entraîné une disjonction entre l'utile et le beau, en tant qu'expression de l'humain. Parallèlement, on a vu naître un manichéisme au terme duquel on situe l'art, devenu un luxe, dans une sorte d'empyrée qui n'a pas de lien avec la vie quotidienne. Mais quand l'art est séparé de la vie, comment s'étonner que les artistes se demandent quelle est leur utilité, leur raison d'être au sein de la société ? »

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détournement d'une avant-garde qui entend bouleverser le paradigme de l'art moderne, l'unicum de

Balthus est à envisager pour sa valeur déclarative. Pourquoi ne pas parler alors d'une forme de

dépaysement double, à la fois réaménagement d'une théâtralité dans le quotidien, d'une colonisation

du réel par la fiction d'un passé fantasmé, mais aussi par le rejet d'un dépaysement entre la scène et

l'espace quotidien d'où le public observe la rue, la scène, la toile ? Nous serions tenter ici d'avancer

ici l'influence du théâtre brechtien et notamment l'application de la distanciation, dont on trouve les

prémisses dans la défamiliarisation de Victor Chklovski : la scène se joue en tant que scène, les

rideaux encadrent l'oeuvre pour la mettre à distance et la signifier en tant que telle ; Balthus se

montre jouant le rôle de directeur et le sachant. Le rapport à la biographie répond dès lors à ce

paradoxe du dépaysement, puisque l'oeuvre est censée dire mieux l'artiste que sa vie. La maxime

« Balthus est un peintre dont on ne sait rien, et maintenant, regardons les peintures. 45» est un

système à part-entière. Le fait est cependant significatif: à l'inverse de toute une mouvance de l'art

contemporain qui incorpore la vie quotidienne dans l'art (l'arte povera, l'usage de matériaux les plus

triviaux, le ready made, etc.), ou qui s'en distingue (l'abstraction), Balthus poursuit plutôt le chemin

de la performance, en faisant de l'art une grille de lecture du réel – sa vie est un roman, sa maison

un théâtre.

DÉTERRITORIALISATION D'UNE ŒUVRE PICTURALE : LA VILLA ET LA PHOTOGRAPHIE,

TERRITOIRES D'UNE NOUVELLE EXPÉRIENCE ARTISTIQUE

De la toile au mur, du mur à la toile

« Derrière la surface de ces tableaux d'apparence stable, se dresse un palimpseste feuilleté. Il

a été trois, cinq, huit, quinze fois recommencé, déplacé non pas pour rejoindre une représentation

idéalement platonicienne, comme une certaine critique nous le donne à penser, mais pour nouer et

intriquer l'expérience du désir. 46» François Rouan, ancien pensionnaire et familier de Balthus,

dessine le mille-feuille de la peinture balthusienne, une anti page blanche où l'exercice du

dépaysement se lit dans l'épaisseur de la matière. Celle de la toile, celle du mur. Véronique Sorano

Stedman47, directrice du service restauration au Musée National d'Art Moderne de Paris, qui

possède six toiles du maître, met en lumière la facture châtelaine de la techné du peintre : il y a au

« Château d'Oiron, (...) le même genre de stratigraphie qu'on a trouvé sur une toile de Balthus, c'est-

à-dire une préparation qui est à base de chaux, de sable qui contient des traces de caséine, et puis

une couche de préparation colorée qui contient aussi un peu de caséine, et enfin une couche

45 Réponse de Balthus à la Tate Gallery dans le cadre de l'organisation de sa rétrospective de 1968.46 ROUAN François, « Dans l'atelier de Balthus », Balthus ou son Ombre, Éditions Galilée, Paris, 2001.47 Cette partie de notre argumentaire s'appuie sur l'intervention de Veronique Sorano Stedman lors de la Journée

d'étude sur les décors peints de Balthus à la Villa Médicis le 28 mai 2013.

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picturale avec un liant à l'huile. 48» Un tel rapprochement nous invite à penser la toile comme une

transposition du travail de restauration mené à la Villa Médicis. Autrement dit, peut-on postuler un

dépaysement de la peinture sur chevalet par la Villa, et inversement, la colonisation des murs du

palais par le pinceau balthusien ? Reprenons l'argumentaire de Véronique Sorano Stedman, qui

détermine une évolution de la technique à travers trois de ses étapes : la jeunesse picturale de

Balthus, le tournant de Chassy et l'avénement d'un Balthus romain. La Toilette de Cathy ou Alice

ont une facture classique, déjà marquée par un travail de la matière par « la superposition à sec et

les mélanges dans le frais ». La dernière toile peinte avant le départ en Italie, Le Grand paysage à

l'arbre est le terrain d'un prologue au dépaysement, en cela que la restauration du château

morvandeau prédispose un renversement, puisqu'il « tente déjà de retrouver des effets de peinture

murale par la superposition de couches mates sur un support à forte texture. 49» La restauratrice

émet un premier retournement : « les matières de ce tableau sont résolument différentes des

précédents. Le personnage au premier plan est comme absorbé par la granularité de la surface, ses

contours s'estompent. On est très loin du cerne qui définit les contours d'Alice ou de Cathy 50»,

immédiatement nuancé par la présence préalable d'une « palette de moyens ». La mutation est

observable dans la toile la plus emblématique du séjour romain, La Chambre turque. Le sondage

effectué permet de renverser la stratigraphie de la toile ; habituellement employée comme base, la

fine couche préparatoire rehaussée de peinture plus épaisse se retrouve désormais à l'extrémité du

canvas. « Autrement dit, à ce moment de sa création, Balthus est donc dans une stratigraphie

presque inverse à ses débuts.51 » L'espace se voit par conséquent confondu dans sa matérialité, les

murs de la Villa colonisent véritablement le territoire de la toile. Il ne s'agit toutefois pas là d'une

simple rhétorique technique, puisque Rome n'est pas uniquement l'agent d'un dépaysement matériel,

mais devient également motif, à la fois poétique et esthétique.

Colette di Matteo parle d'une « contamination réciproque de la villa dans l'oeuvre de

Balthus. 52» S'il nous faut considérer le Palais comme partie intégrante de l'oeuvre de Balthus, n'est-

il pas également un motif qui s'intègre à sa peinture sur chevalet, de telle sorte que le directorat du

Roi des chats marque une transition à la fois technique et esthétique dans son œuvre ? Prenons pour

exemple Le Peintre et son Modèle, évoqué par Véronique Sorano Stedman. Préparé par la série de

photographies de la jeune Katia lisant Tintin53, les figures prennent place dans un espace aussi

dépouillé que les vastes pièces du palais, baignées d'une lumière poméridienne typiquement

48 Ibidem49 Ibidem50 Ibidem51 Ibidem52 Intervention de Colette di Matteo, Idem.53 La question du photographique dans le séjour romain est l'ultime dépaysement que nous traiterons.

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romaine. « Les effets d'arrachage et la matière (…) griffée, grattée 54» ne sont pas sans rappeler la

facture hétérogène des décors peints. Ce qui nous point ici, et que l'on retrouve dans les craquelures

de la Chambre turque, dans la matière inerte du corps décapité du Nu de profil à la manière d'un

marbre recollé, c'est l'obsolescence programmée de la toile. « On est vraiment dans l'imitation de

l'usure de la peinture murale, de la peinture à fresque. 55» Comment ne pas y retrouver le fil de notre

propos d'un Balthus un peu faussaire, puisque ce jeu de la grande peinture murale se fait pur motif

esthétique ? Malgré son inachèvement, l'une des dernières toiles de Balthus ne montre-t-elle pas un

visage qui émerge d'une étonnante masse grisâtre à l'apparence bétonneuse, tout comme le morceau

d'une fresque progressivement libéré d'un quelconque badigeon par un restaurateur avisé ? C'est le

mystère de la Fresque du Carnaval rejoué.

De la quinzaine de toiles peintes par Balthus lors de son directorat, trois typologies se

distinguent : la série japonisante de Setsuko, les paysages italiens et les variations sur modèle

d'après Michelina et Katia. Nous ne reviendrons pas sur l'orientalisme exacerbé par la double

présence de Setsuko et de la chambre turque, qui tendait déjà à prouver combien le palais romain se

fait motif – pas simplement paysager – de la peinture balthusienne. Si l'artiste a mis en scène son

cadre de vie, ne serait-ce pas également pour le repeupler de ses figures nubiles ; de telle sorte que

le système Balthus fasse l'objet d'une déterritorialisation et d'une reterritorialisation successive de

la toile à la vie, de la vie à la toile ? Le Nu de profil est à plus d'un titre exemplaire. Une jeune fille

de profil, hiératique et nue se dresse littéralement dans l'espace scénique. Motif classique de la

baigneuse, le corps nacré est en connivence totale avec le seul élément du mobilier, une table à

piètement en fer forgé, à la fois vertical et arqué, comme les jambes du modèle ; blanc et noir,

comme le contraste du corps et des cheveux. Le drap souple qui recouvre le plateau trouve son

double en la serviette chiffonnée au centre de la composition. Plus frappant encore est la texture de

l'arrière plan, véritable transcription des décors granuleux, grattés, frottés du palais. L'homogénéité

des tons est parfaite, le camaïeu ocre rejoue la palette restreintes composée à partir des teintes des

plafonds à caissons et frises de chacune des pièces. Nous est ainsi donné à voir l'état successif au

dépaysement, celui d'une reconquête, d'une assimilation : la toile est la matrice à partir de laquelle

se dessine la Villa, et le mouvement s'inverse dans un va-et-vient qui tend à la perfection de la

symbiose.

De la toile au décor

Un trait significatif du directorat de Balthus ressurgit sitôt qu'on l'évoque : durant son séjour

54 Véronique Sorano Stedman, Idem.55 Ibidem

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romain, la production, déjà lente, de l'artiste s'espace davantage. Les travaux de restauration, sa

fonction de directeur et ses obligations mondaines sont alors invoqués pour justifier cette relative

mise entre parenthèse de la peinture sur chevalet. Or si les toiles se raréfient, c'est que la peinture

balthusienne est sujette, sous le soleil romain, à une déterritorialisation, au sens deleuzien du terme.

Le système Balthus se désolidarise du territoire pictural de la toile pour se reterritorialiser dans

l'espace de la Villa, le dessin, la photographie. C'est dire si ce processus de dépaysement rejoint

celui de déterritorialisation en sa valeur de suspension, à la manière des figures de notre peintre.

Notre propos n'est pas de voir dans le « système Balthus » une acception conceptuelle, mais de

montrer comment les nouveaux territoires de son œuvre sont à intégrer dans son catalogue raisonné

en tant qu'unica. Intéressons nous par conséquent à trois de ces territoires, avant d'évoquer la

question du photographique : le mobilier, les jardins et le dessin. Nous y voyons la scène, la scène

animée, et le retour à une figuration en deux dimensions.

Si nous avons longuement parlé des fresques et murs balthusiens, la question du décor

mobilier reste à approfondir. Elle a fait l'objet d'une seconde journée d'étude organisée par Éric de

Chassey le 7 novembre 2014. Annick Lemoine fait état de cinq typologies de mobilier dans l'action

de Balthus : le « mobilier trouvé sur place », les « acquisitions » principalement d'antiques du

XVIIIème, le « mobilier métamorphosé » remodelé comme les décors peints, les « meubles imaginés

par Balthus » réalisés par le menuisier de la villa et les résidents et enfin le « mobilier

contemporain »56. L'ensemble de la scénographie rejoint le choix principal de la restauration

balthusienne : la résurrection d'une histoire fantasmée, passée à travers le filtre d'une vision

imaginaire et picturale d'un palais renaissant et un relatif mépris de la réalité historique. Deux de ces

types de meubles nous intéressent particulièrement, ceux qui fonctionnent de manière autonome, en

dehors de leur agencement dans l'espace. Les différentes restaurations et réaménagements successif

rendant flou le premier état balthusien, les meubles marqués ou créés par l'artiste sont par

conséquent les témoins les plus fidèles. Prenons pour exemple la table basse du salon du directeur

dont nous parle Annick Lemoine, à mi-chemin entre le mobilier métamorphosé, l'acquisition et la

création ex nihilo. Sur un piètement du XVIII ème acheté chez un antiquaire, le peintre dispose un

plateaux peint de la même irrégularité grenue que les décors muraux, composé d'une succession de

couches et de tâches. En 2013, Annnick Lemoine disait déjà toute l'importance que le mobilier

occupe dans la composition d'une nouvelle Villa : « J'en veux pour preuve emblématique la table

basse du salon du directeur, peinte par Balthus (…) et [où] il incise sa signature. Geste hautement

significatif puisqu'il relève l'importance que Balthus accordait à ses créations, jusqu'ici

56 Intervention d'Annick Lemoine dans le cadre de la journée d'étude organisée autour du mobilier aménagé par Balthus, le 7 novembre 2014 à la Villa Médicis.

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insoupçonnées. 57». L'artiste laisse apparente la palette de nuance utilisée pour chaque pièce de la

villa sur les murs mêmes de sa composition, marque le territoire artistique dans la matérialité même

du support : le décor est un unicum, un espace qu'il s'agit de coloniser. Le second type de mobilier,

les « meubles imaginés par Balthus » trouvent leur illustration dans le cas de la célèbre lampe dite

de Balthus. D'après le fils de l'artiste, Stanislas Klossowski de Rola, le corps de la lampe est réalisé

à partir de tuyaux trouvés parmi les « décombres » de la Villa, et l'abat-jour cousu sur place. De cet

élément naît un système, une ligne que Balthus décline dans ses autres demeures, de Montecalvello

jusqu'à l'ultime demeure de Rossinière58. Vendant les droits au fils d'un ancien pensionnaire,

Setsuko Klossowska commercialise la Lampe Balthus, éditée en exemplaires limités au sein d'une

ligne de bibelots, bougies, vaisselle et carnets « Villa Médicis » chez Astier de Villatte. L'objet, de

son usage premier à sa commercialisation, fonctionne comme objet de design, œuvre d'un autre

medium que celui qui sied au nom de Balthus.

L'extérieur de l'enceinte du palais est une extension de cette scène théâtrale à investir.

L'emplacement physique de la Villa, sur la colline du Pincio paraît, sous la plume de Dominique

Fernandez, déjà sensible à l'invasion de l'aura balthusienne : « La Villa Médicis étant comme le

microcosme de la ville étendue à ses pieds, il est presque inévitable que celui qui s'y installe soit

partagé entre l'enchantement d'un décor si parfait, et une sorte d'accablement né de la conviction

qu'il n'y a rien d'autre à faire en face d'un tel accomplissement que de se figer dans une

contemplation immobile, une stupeur active et glacée. La beauté intimide, émerveille, frappe

d'étonnement mais ne stimule pas. On reste étonné, au sens latin, c'est-à-dire foudroyé, renversé,

anéanti. Passé le premier enthousiasme, on cède à l'engourdissement. 59» Du côté des jardins,

l'oeuvre s'étend, en même temps que le séjour romain du peintre. Alors qu'il n'est plus directeur,

Balthus prolonge son action lors d'une ultime campagne, consacrée à la restauration des jardins,

entre 1973 et 1977. À partir de moulages reprenant le mythe des Niobides retrouvés sur place,

Balthus aménage la dernière des cases de l'échiquier des seize haies taillées selon la disposition

géométrique propre au credo perspectiviste de la première Renaissance. Vengeance divine, la scène

dispose les douze enfants d'Amphion et de Niobé au moment où l'hybris maternel est puni par les

flèches d'Artémis et d’Apollon, qui la condamnent comme ils l'avaient fait auparavant pour Python.

Changée en rocher au milieu de sa progéniture décimée, les Niobides, Niobé pleure une rivière : une

fontaine coule parmi roches et statues disposées sur la scène. Il n'est pas impropre de parler de

scène, puisque le groupe est installé dans l'une des extrémités du carré, laissant la majeure partie

57 Intervention d'Annick Lemoine dans le cadre de la journée d'étude organisée autour des décors peints de Balthus, le 28 mai 2013 à la Villa Médicis.

58 Les reportages photographiques, de House & Garden en Italie puis en Suisse en 1987 dévoilent la présence de ces lampes dans les environnements balthusiens.

59 FERNANDEZ Dominique, Villa Médicis, Éditions Philippe Rey, 2010, Paris, « Pourquoi Rome ? », p. 150.

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vide pour la déambulation du public. La description du groupe par Dominique Fernandez n'est pas

sans évoquer l'oeuvre picturale de Balthus : « Tous apparaissent dans l'acte de fuir ou de mourir,

saisis dans une seconde fugace qui ne se répétera pas ; tous expriment la stupéfaction de cet instant

unique. Art de mouvement, de théâtre. Un classique grec ou du Quattrocento, eût choisi un autre

moment, celui où la paix de la mort rassérène les visages. Typiquement baroque est ce goût de

préférer le passage à l'état, le transitoire à l'éternel, l'agitation au repos. Comme sont baroques les

valeurs exaltées : la sensualité frémissante, le voisinage équivoque de la souffrance et de la volupté,

l'alliance de la mort et du plaisir, les noces du funèbre et du jubilatoire. Il est étrange de penser que,

dans la Rome antique, on ait deviné ce qui serait, de nombreux siècles plus tard, l'esthétique de la

philosophie de l'opéra. Plus étrange encore de surprendre, dans ce temple de la beauté régulière

qu'est la Villa Médicis, cette embardée vers le convulsif, le mélodramatique, le paroxysme

émotionnel. 60» Cette parenthèse baroque poursuit la recherche d'éphémarité, leitmotiv proprement

balthusien. La théâtralité ne se retrouve-t-elle pas dans l'expérience de décorateur de Balthus ?

L'opéra dans sa décoration de Cosi Fan Tutte ? La violence du sexuel dans le double corps de la

protagoniste de La Leçon de Guitare, à la fois lascive et active, tranquille et inquiète ? Le groupe

complète – se superpose et accomplit – le paysage dans lequel il s'insère, pour créer un sentiment

d'étrangeté, de dépaysement, de dé-familiarisation théâtrale, brechtienne. Balthus se fait le metteur

en scène de la Villa, l'intègre dans un univers imaginaire : il est lui-même l'agent du dépaysement

qu'il insuffle à ses créations.

Du chevalet à la chambre noire

L'expérience du dépaysement romain relève ainsi indubitablement du registre théâtral. Or,

au Balthus peintre, décorateur, directeur s'ajoute une nouvelle facette, celle d'un Balthus

photographe. Intégrée à l'appendice de la légende de l'artiste, la photographie intervient dans une

lecture testamentaire : en 2014 paraît The Last Studies, recueil des dernières séances de pose au

polaroid. Pris pour sa valeur d'usage, le document photographique est un outil à compter sur la

palette du peintre, une prothèse qui le soutient quand la vieillesse l'empêche de dessiner et ralentit

sa production picturale. Une autre période photographique précède cependant cet ultime élan des

années 1990 : c'est à Rome que Balthus a recours pour la première fois à l'appareil pour enregistrer

la séance de pose. De la même façon que son ultime modèle, Anna Wahli, prend inlassablement

pose et costume dans une forme de chronophotographie étalée sur huit ans, deux jeunes sœurs,

Michelina et Katia, posent sous l'objectif dans l'atelier des dessins. Utilisé pour remplacer le dessin

qui, nous l'avons vu, gagne son autonomie à la même période, le cliché est le support de l'oeil, le

60 Ibidem

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palliatif à l'absence des jeunes filles retenues à l'école. Le fusain suit au plus près les profonds

contrastes de noir et blanc, les flous émoussent la composition. Le double de Michelina se retrouve

dans la figure retournée du Peintre et son modèle. La fillette y lit un livre sans titre et non plus un

volume de Tintin, elle est blonde et non brune, mais garde l'attitude de son référent, quand l'espace

physique de la toile rejoue les décors Balthus. La villa redécorée est alors le sujet d'un dépaysement

photographique, qui se métamorphose à son tour par la peinture – trois créations se superposent

pour n'en former qu'une seule. L'oeuvre moderne semble alors se dépayser dans une pratique

résolument contemporaine, où un personnage se trouve ancré dans une mise en scène sérielle, qui

insuffle l'habitude dans un concept d'appropriation de l'espace, à la manière d'un théâtre de

marionnettes.

L'espace photographique ne serait-il pas dès lors à considérer comme une enclave dans le pictural et

une sortie de l'académisme des années romaines ? « La découverte d'un lot très important de

photographies de Balthus prises durant son rectorat à la Villa Médicis entre 1961 et 1977 constitue

un événement considérable, qui va nous obliger à réviser une partie de ce que nous savons de

l'histoire de l'art contemporain – et de la photo en cette fin de siècle.61» En 2001, Jean Clair publie

dans Connaissances des arts l'article « Balthus photographe », illustré des clichés des deux

modèles62. Tout comme les polaroids pris entre 1993 et 2001, la pratique est toujours circonscrite

dans le temps et dans l'espace : elle est littéralement une parenthèse. Mais quand la parenthèse dure

et se répète, elle informe et intègre la structure. De ce corpus se dégage un véritable sentiment

d'étrangeté. Balthus répugne à manipuler l'appareil et fait appel à une pensionnaire graveur, Brigitte

Courme qu'il dirige comme un opérateur, un « photographe de plateau 63». Le metteur en scène

installe le décor, son modèle et assiste à la représentation qu'enregistre l'appareil des années 1930.

Se met en place sur le cliché un genre à rapprocher du tableau vivant ; le photographique mime le

pictural, sans toutefois le singer. Du jour qui filtre entre les deux medium se dessine une

étrangéisation de l'oeuvre picturale, une mise à distance qui nous défamiliarise. L'ancrage dans le

réel, suppléé dans la peinture par la maniera picturale et la perfection technique, est renforcé par le

présupposé de réel de l'image photographique. La même iconographie invite à la comparaison, dont

dépaysement et défamiliarisation sont les deux écueils. L'usage de l'appareil transforme l'art de

Balthus en même temps que son expérience de la parete : l'effeuillage du sujet dans l'épluchage

photographique et la surimpression picturale se rejoignent en un formidable palimpseste du

dépaysement.

61 CLAIR Jean, « Balthus photographe », Connaissance des Arts, n°586 , septembre 2001, pp.54-63 81, p.5462 La publication de ces photographies, effectuée sans l'accord des modèles, participe à la fermeture temporaire de ce

corpus et au vide bibliographique relatif à l'étude d'un Balthus photographe.63 ROUAN François, « Du photographique », Opus cité, p.32

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