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N° enregistrement SACD : 254125 BANG PUBLIC Bernard Di Marcko

Bang Public - leproscenium.com · 3 COUPLE 1 La femme est assise seule sur un banc. L’homme arrive. Il cherche vainement une place pour s’asseoir. Il s’approche de la femme

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N° enregistrement SACD : 254125

BANG PUBLIC

Bernard Di Marcko

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A Nadine.

Sans elle ce texte n’aurait jamais été écrit.

Je la remercie pour ses encouragements et sa

ténacité.

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L’action se déroule dans un jardin public. Un banc fait face aux spectateurs.

Les personnages :

Elle : petite femme, la cinquantaine, vêtue classiquement, paraissant un peu réservée.

Lui : un peu plus âgé, encore alerte, habillé de façon décontractée, genre intellectuel.

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COUPLE 1

La femme est assise seule sur un banc. L’homme arrive. Il cherche vainement une place pour

s’asseoir. Il s’approche de la femme.

Lui : - Vous permettez ?

Elle : - Pardon ?

Lui : - Vous permettez, que…

Elle : - Que quoi ?

Lui : - Et bien, que je m’assieds sur ce banc ?

Elle : - Pourquoi ?

Lui : - Comment ça pourquoi ?

Elle : - Oui, pourquoi voulez-vous vous asseoir là ?

Lui : - Mais parce que… je marche depuis un certain temps, que je suis fatigué et que cette

place paraissant être la seule de libre, j’ai caressé le fol espoir de m’y reposer un instant.

Elle : - Et c’est tout ce que vous avez trouvé ?

Lui : - Oui ! Mais ce n’est pas étonnant n’est-ce pas ? Par un temps pareil, tout le monde a

envie…

Elle : - C’est tout ce que vous avez trouvé comme prétexte ?

Lui : - Comme prétexte ? Mais je viens de vous dire…

Elle : - J’ai très bien entendu ce que vous avez dit.

Lui : - Alors ?

Elle : - Alors, je pense que pour quelqu’un qui a le fol espoir de caresser, vous n’avez pas

choisi la bonne personne. Peut-être qu’en cette saison tout le monde a envie, mais pas moi.

Lui : - Ah, oui ! Mais non ! Il y a méprise, madame. Je voulais seulement…

Elle : - Et bien moi, sans mépriser qui que se soit, je ne veux pas.

Lui : - Vous ne voulez pas que je m’assois ?

Elle : - Non ! Ni ça, ni le reste.

Lui : - Le reste ? Mais quel reste ? Il n’y a pas de reste ! Je suis fatigué, j’ai besoin de me

reposer un peu, de m’asseoir à l’ombre. C’est tout. Ce n’est quand même pas de ma faute s’il

n’y a pas d’autre place libre dans tout le parc.

Elle : - Vous n’avez pas dû bien chercher.

Lui : - Si ! Je vous assure, j’ai cherché. J’ai cherché, mais là voyez vous, j’étais un peu las de

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chercher justement. Et le hasard a fait que …

Elle : - Il a bon dos, le hasard.

Lui : - Il lui arrive parfois de faire bien les choses.

Elle : - Vous trouvez, vous !

Lui : - C’est ce qu’on dit, d’habitude, non ?

Elle : - On dit une chose et on en pense une autre.

Lui : - Et bien moi, je suis fatigué de chercher, je le dis, c’est à ça que je pense, et je ne pense

pas à autre chose.

Elle : - Je me doutais bien, que vous ne pensiez qu’à ça !

Lui : - Ecoutez, maintenant ça suffit. Je vous demandais la permission de m’asseoir là, par

pure politesse. Mais les bancs sont à tout le monde, n’est-ce pas ? Alors je me passerai de

votre accord.

Elle : - Vous n’oseriez pas ?

Lui : - Ah ? Et ben ça, je vais me gêner ! Tiens ! (Il s’assied).

(Un temps)

Elle : - Ça ne m’étonne pas de vous.

Lui : - Quoi ?

Elle : - Ce que vous venez de faire, là. Ça ne m’étonne pas de vous.

Lui : - Ça ne vous étonne pas de moi ?

Elle : - Non.

Lui : - Ça ne vous étonne pas de moi ?

Elle : - Non ! Et au plus ça va, au moins ça m’étonne.

Lui : - Mais comment pouvez vous dire une chose pareille ? Nous nous connaissons depuis

une minute, à peine.

Elle : - C’est amplement suffisant pour savoir à qui j’ai à faire.

Lui : - Vous voulez dire qu’en une minute vous avez pu vous faire une opinion sur moi ?

Elle : - Parfaitement. Je sais très exactement quel genre de type vous êtes.

Lui : - Ah oui ? Et je suis quel genre, de type ?

Elle : - Vous êtes du genre qui s’assoit à côté des femmes seules sur les bancs.

Lui : - Là vous marquez un point. Je dois reconnaître, à ma grande honte, que si j’ai envie de

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m’asseoir sur un banc, et bien, il peut m’arriver, en effet, de demander à une femme seule la

permission de m’asseoir à ses côtés. Sachez quand même que, jusqu’à maintenant, cela n’a

jamais posé de problème.

Elle : - Ça ne m’étonne pas, non plus ! Avec toutes les salopes qui traînent dans le coin.

Lui : - Ah bon ! Cet endroit est fréquenté par des salopes ?

Elle : - Comme si vous ne le saviez pas !

Lui : - Je vous assure que je l’ignorais. La preuve, c’est que je me suis assis à côté de vous…

qui n’en n’êtes pas une… salope.

Elle : - Qu’est-ce que vous en savez ?

Lui : - Vous êtes une salope ?

Elle : - Ça ne vous regarde pas.

Lui : - C’est vrai ! Et en plus ça m’est égal. Je suis là pour profiter de cette magnifique

journée. Je ne vais pas être regardant sur mes voisins de banc. Qui statistiquement sont

souvent des voisines d’ailleurs.

Elle : - Statistiquement ?

Lui : - Oui statistiquement. Les chiffres sont formels. Quatre-vingt–trois pour cent des places

libres sur les bancs publics, se trouvent à côté de femmes seules.

Elle : - Les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut.

Lui : - Vous n’avez qu’à regarder autour de vous. Toutes ces femmes … !

(Un temps)

Elle : - Et vous les choisissez pas, vous ?

Lui : - Quoi ?

Elle : - Les femmes, vous les choisissez pas ? Pour vous asseoir.

Lui : - Non ! Et puis, vous savez… quand il n’y a pas beaucoup d’opportunité… On ne

choisit pas. On prend ce que …

Elle : - Et quand vous l’avez ?

Lui : - Quand j’ai quoi ?

Elle : - Le choix. Quand vous avez le choix ?

Lui : - Quand j’ai le choix ? Mais je ne sais pas moi. Je… peut-être que je… Enfin, je dois

sans doute… Mais ce n’est pas le cas, ici et maintenant…. Ce n’est pas le cas puisque…

Elle : - Et si c’était le cas, ici et maintenant ?

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Lui : - Si c’était le cas ?

Elle : - Oui

Lui : - Ici et maintenant ?

Elle : - Oui.

Lui : - Comment voulez-vous que je sache, moi ? Il me faudrait plus de détails sur... les

différentes éventualités … Les options envisageables… Les possibilités de…

Elle : - Bon d’accord. Voyons… Si par exemple il y avait eu une place de libre à côté de…

cette dame là-bas.

Lui : - La quelle ?

Elle : - Celle avec la robe bleu à pois roses.

Lui : - Ah celle-là ?

Elle : - Oui, celle-là. Vous seriez quand même venu vous asseoir ici ?

Lui : - Oui, bien sur.

Elle : - Pourquoi ?

Lui : - Mais… parce que c’était sur mon chemin. Voila tout. Je passai devant ce banc en

premier et comme je vous l’ai dit, j’étais fatigué, je n’ai pas eu le courage d’aller voir

ailleurs… voila tout.

Elle : - Je vois. On va prendre un autre exemple. Sur votre chemin cette fois.

Lui : - Pas de problème.

Elle : - S’il y avait eu une place libre à côté de… La blonde là-bas

Lui : - La blonde, la blonde…. Ah oui ! La belle blonde, sur le troisième banc ?

Elle : - Non la blondasse avec le caniche nain.

Lui : - C’est bien ce que je disais, la magnifique blonde avec une rose tatouée sur l’épaule

gauche.

Elle : - Vous avez une bonne vue, dites donc. Moi j’arrive à peine à voir son chien, et vous

vous voyez sa rose.

Lui : - J’y vois très bien en effet ; je viens justement de changer de lunettes.

Elle : - Vous avez peut-être une bonne vue. Mais vous avez mauvais goût.

Lui : - Elles vous plaisent pas mes lunettes ?

Elle : - Je vous parle pas de vos lunettes. Je vous parle de la décolorée que vous trouvez à

votre goût.

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Lui : - Pardon, Pardon, Je n’ai pas dit qu’elle était à mon goût. J’ai dit seulement qu’elle

était… jolie. Ce n’est pas la même chose.

Elle : - Tu parles ! Quand un homme dit, d’une fille aussi vulgaire que cette pouffiasse, qu’elle

est « jolie », c’est qu’il a une idée derrière la tête.

Lui : - Je regrette, mais cette demoiselle n’est pas vulgaire, pas du tout. Il se dégage même de

sa personne une sorte de… distinction spontanée ; de… vitalité régénérante. À la contempler

on éprouve comme des bouffées de …

Elle : - De lubricité.

Lui : - Vous voyez le mal partout !

Elle : - C’est surtout ce que le mâle voit que je remarque. Non mais je rêve. « Il se dégage de

sa personne… » Bla, bla, bla. Ce qui se dégage surtout de cette « personne », c’est sa poitrine.

Lui : - Je l’avais même pas remarqué, alors…

Elle : - Vous l’aviez pas remarqué ?

Lui : - Non. Mais maintenant que vous le dites... Effectivement, cette jeune femme a un fort

charmant décolleté.

Elle : - Vous l’aviez pas remarqué ?

Lui : - Mais non !

Elle : - Ne me prenez pas pour une imbécile. Vous pouvez repérer son tatouage ridicule à

trente mètres. Et vous n’avez pas remarqué ses énormes nichons siliconés.

Lui : - Je ne me permettrais pas de vous prendre pour une imbécile, mais je vous assure que …

Vous croyez vraiment qu’ils sont faux ?

Elle : - Ça se voit à l’œil nu.

Lui : - Vous en êtes sure ? Moi je ne crois pas. Ce galbe, cette fluidité dans le mouvement, ce

léger ballottement. Non, c’est des vrais ! Et je vous parle en connaisseur. Bon, ça demanderait

à être examiné de plus près. En tout cas, d’ici, on s’y casserait le nez.

Elle : - Tu parles d’un connaisseur ! Vous êtes pas foutu de faire la différence entre une bimbo

plastifiée et une vraie femme.

Lui : - Vous exagérez. Cette jeune personne à une plastique exceptionnelle, avec laquelle peu

de femmes pourraient rivaliser. Mais elle n’en demeure pas moins très… nature.

Elle : - Ça, pour une nature… C’est une nature !

(Un temps)

Elle : - Donc, vous la trouvez mieux que moi.

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Lui : - Comment ça mieux que vous ?

Elle : - Oui, vous avez dit qu’aucune femme ne pouvait lui être comparée. Vous trouvez

qu’elle a une plus belle poitrine que moi ! Je suis sure que vous auriez préféré vous asseoir à

côté d’elle.

Lui : - Mais je n’ai jamais dis çà.

Elle : - Si, vous l’avez dit.

Lui : - Non, je l’ai pas dit.

Elle : - C’est pareil ! Elle est peut-être pas assez bien pour vous ma poitrine ? En tout cas mes

seins, eux au moins, ils sont à moi. Et s’ils vous plaisent pas, c’est pas le cas de tout le monde.

J’en ai même vu plus d’un qui paraissaient particulièrement intéressés. Si vous voyez ce que je

veux dire.

Lui : - Mais c’est pas pareil, vous…

Elle : - Vous me croyez pas ? Il me croit pas. Bon ! (Elle monte sur le banc)

Lui : - Qu’est-ce que vous faite ?

Elle : - Ça se voit pas ? Je monte sur le banc.

Lui : - Mais pourquoi vous faites ça ?

Elle : - Ah, ils ont pas beaux mes seins ? Vous allez voir !

Lui : - Mais j’ai jamais parlé de vos seins… C’est pas possible ça !

Elle : - Mesdames et messieurs, approchez ! Surtout vous messieurs, approchez ! Venez voir

par ici. Approchez, approchez !

Lui : - Mais enfin, arrêtez ! Vous allez vous faire remarquer.

Elle : - Mais justement, justement, c’est ce que je veux moi, qu’on me remarque.

Lui : - Je vous avertis, vous allez passer pour une folle.

Elle : - Et alors, Peut-être que je le suis, folle ? Ça vous en bouche un coin ça ; hein ? Vous

êtes tombé sur une folle. Ça vous apprendra !

Lui : - Arrêtez de nous donner en spectacle. Je connais des gens, ici, moi.

Elle : - Mais je m’en fous moi, que vous connaissiez des gens. Et alors ? Moi aussi j’en

connais des gens. Qu’est-ce que vous croyez ? Que personne veut de moi ? Que je suis une

laissée pour compte ?

Lui : - Mais je ne crois rien, moi. Je voudrais seulement que vous descendiez.

Elle : - Je descendrai si je veux. Et puis qui vous connaissez vous ? A part la grosse vache.

Pauvre type !

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Lui : - Maintenant ça suffit ! Vous allez descendre, sinon…

Elle : - Sinon quoi ? Vous me menacez ? Hein ? C’est ça ? Vous me menacez ? Vous avez

entendu vous autres, il me menace. Lâche ! Vous n’avez pas honte.

Lui : - Vous l’aurez voulu. (Il monte à son tour sur le banc, puis la prend par les épaules)

Elle : (se débattant pour lui échapper) - Ne me touchez pas ! Lâchez moi ! Mais lâchez moi !

(Elle le tape) Salaud ! Salaud ! Salaud ! Salaud !

Lui : - Ça suffit, maintenant, vous allez vous calmer, arrêtez, vous m’entendez ? Arrêtez ! (La

secouant) Mais-vous-allez-vous-arrêter !

(Elle finit par s’effondrer en sanglots dans ses bras)

Lui : (La consolant) - Là… là…. Voilà… là… c’est fini…

Elle : (hoquetant) - Je-suis-mal-heu-reu-se ! Je-suis-si-mal-heu-reu-se !

(Peu à peu tout s’apaise. Ils restent maintenant sans bouger, enlacés)

Lui : - Vous savez, même si toutes les places, à côté de toutes les femmes, avaient été libres,

et bien c’est quand même à côté de vous que je serais venu m’asseoir.

Elle : (avec une petite voix) - C’est vrai ?

Lui : - Oui.

Elle : - Vous seriez pas allé à côté de la grosse vache blonde ?

Lui : - Non je ne serais pas allé à côté de la grosse vache.

Elle : - Ça me fait plaisir ce que vous dites

Lui : - Ça va mieux alors ?

Elle : - Oui.

Lui : - On peut descendre alors ?

Elle : - Oui.

Ils s’écartent lentement l’un de l’autre. A un moment, ils s’arrêtent et se regardent dans les

yeux en silence. Puis, dans un élan ils s’embrassent tendrement, ensuite passionnément. Enfin

Ils descendent du banc et se rassoient côte à côte pour reprendre leurs esprits.

(Un long temps s’écoule

Lui : - Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

Elle : - Des pâtes.

Lui : - Encore !

Noir

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Couple 2

L’homme et la femme sont assis côte à côte sur un banc.

Au bout d’un long silence….

Lui : - Qu’est-ce qu’on est bien ! (Un autre long silence) – On est vraiment bien ! (Après un

autre silence, se tournant vers elle) – Non mais c’est fou ce qu’on est bien, tu ne trouves pas ?

(Elle ne répond pas. Il insiste) Tu ne trouves pas qu’on est bien ?

Elle : - …Pardon ?

Lui : - Je disais qu’on était bien…

Elle : - Ah !

Lui : - Tu ne trouves pas ?

Elle : - Je ne trouve pas quoi ?

Lui : - Mais, qu’on est bien !

Elle : - Ah, ça ?

Lui : - Oui ! Moi je trouve qu’on est bien.

Elle : - Si tu le dis.

Lui : - Comment ça si je le dis ?

Elle : - Oui, si tu dis qu’on est bien. C’est qu’on doit être bien, non ?

Lui : - Mais c’est pas qu’on « doit » être bien. Pas du tout. On est bien. On est bien parce

qu’on se sent bien. Parce qu’il fait beau, que l’air est doux, que ce jardin est agréable, qu’on

est là… et que…

Elle : - Et que quoi ?

Lui : - Mais je sais pas moi… qu’on est heureux de profiter de l’instant présent, de …

Elle : - Ah ! Parce que tu appelles ça profiter?

Lui : - Eh bien oui ! Moi je profite. Et je me plais à penser que je partage ce plaisir. Que je

communie en quelque sorte dans l’allégresse avec tous ces gens là autour de moi, qui …

Elle : - Tu communies avec les gens toi ?

Lui : - Oui, d’une certaine façon. Quand je suis bien. J’ai l’impression de vibrer à l’unisson

avec les personnes qui m’entourent, et …

Elle : - Si je comprends bien, en ce moment… tu vibres.

Lui : - Je vibre… je vibre... Oui… Mais c’est une image bien sûr.

Elle : - Ah évidemment, si c’est une image... Et on peut savoir ce qui te fait vibrer comme

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image ?

Lui : - Ce qui me fait vibrer comme image ?

Elle : - Oui.

Lui : - Mais ce ne sont pas les images qui me font vibrer. C’est l’inverse c’est….

Elle : - Ah, c’est toi qui fait vibrer les images ?

Lui : - Mais non, Quand je dis vibrer, c’est une image. Je ne vibre pas au sens propre du

terme.

Elle : - Là je comprends mieux. Si tu vibres, il y a plus de chances que ce soit au sens sale du

terme.

Lui : - Je ne te suis pas bien là.

Elle : - Tu dois trop vibrer, pour suivre.

Lui : - J’ai la vague l’impression que tu ne partages pas vraiment mon ressenti.

Elle : - On doit pas profiter pareil.

Lui : - Ça ne m’étonne pas.

Elle : - Qu’est ce qui ne t’étonne pas ?

Lui : - Et bien que tu fasses la gueule.

Elle : - Mais je ne fais pas la gueule.

Lui : - Si tu fais la gueule.

Elle : - Non, je ne fais pas la gueule.

Lui : - Si tu la fais.

Elle : - Non je la fais pas.

Lui : - Si !

Elle : - Non !

Lui : - Mais si !

Elle : - Mais non ! C’est pas parce que je ne partage pas ton… « ressenti », comme tu dis, que

je fais la gueule.

Lui : - Mais bien sûr que tu fais la gueule. Et tu fais la gueule parce que je suis bien et que tu

supportes pas que je sois bien.

Elle : - Ce que je ne supporte pas, c’est que tu veuilles absolument que moi je sois bien quand

toi… tu vibres.

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Lui : - Nous y voila. C’est bien ce que je disais. Tu...

Elle : - Non c’est pas ce que tu disais. Pas du tout. C’est même le contraire.

Lui : - C’est peut-être le contraire. Mais le résultat est le même : tu me gâches le plaisir.

Elle : - Mais j’espère bien que je te le gâche le plaisir. Tu voudrais quand même pas que je

t’encourage ?

Lui : - Que tu m’encourages à quoi ?

Elle : - Tu le sais très bien.

Lui : - Non, je regrette mais je ne vois vraiment pas.

Elle : - Ah ne fais pas l’innocent je t’en prie. Pas avec moi !

Lui : - Mais je ne fais rien moi. Pas plus l’innocent qu’autre chose. Je voulais juste passer un

moment agréable sur ce banc à profiter de…

Elle : - Ah tu vois !

Lui : - Eh bien non justement.

Elle : - Tu voudrais quand même pas me faire croire qu’on est là par hasard ?

Lui : - Par hasard… Pas vraiment. Dans la mesure où nous venons régulièrement dans ce

jardin public, qui comme son nom l’indique est réservé au public, que jusqu’à preuve du

contraire nous faisons partie du public et que donc…

Elle : - Je ne te parle pas du jardin.

Lui : - Bien, tu ne me parles pas du jardin. Alors, j’aimerais bien savoir de quoi tu me parles,

parce que là je suis un peu perdu.

Elle : - Je te parle du banc.

Lui : - Du banc ?

Elle : - Oui, du banc.

Lui : - Tu me parle du banc ?

Elle : - Oui !

Lui : - On pourrait savoir de quel banc tu me parles ?

Elle : - Je te parle de ce banc.

Lui : - Tu me parle de ce banc ?

Elle : - Oui !

Lui : - Du banc sur le quel nous sommes assis en ce moment ?

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Elle : - Oui !

Lui : - Bien ! Et qu’est-ce qu’il a le banc ?

Elle : - Il a rien le banc.

Lui : - Ah tu m’as fais peur. Pendant un moment j’ai cru… Mais pourquoi tu me parles du

banc ?

Elle : - Je te parles du banc. Parce que je suis sure que tu ne l’as pas choisi par hasard...

Lui : - Alors maintenant je choisis les bancs !

Elle : - Parfaitement tu as choisi le banc.

Lui : - Et j’aurai choisi ce banc, parce que…

Elle : - Parce que ça t’arrange.

Lui : - Ah oui ? Et en quoi ça m’arrange d’être assis sur ce banc, hein ? En quoi ça peut bien

m’arranger ? Qu’est-ce qu’il a de plus que les autres ce banc, tu peux me le dire ?

Elle : - Il est bien placé.

Lui : - Il est bien placé ! Evidemment qu’il est bien placé, encore heureux. Déjà qu’ils sont

durs ces bancs, il manquerait plus qu’ils soient mal placés. D’ailleurs, ils sont tous placés

pareil, face à face tout le long des allées.

Elle : - Justement.

Lui : - Justement, quoi ?

Elle : - Justement, face à face ça t’arrange.

Lui : - Ça m’arrange face à face ?

Elle : - Oui.

Lui : - C’est quand même pas moi qui les ai installés ces bancs.

Elle : - Non, tu les installes pas les bancs toi. Tu t’y installes.

Lui : - Oui j’avoue. Je m’y installe en les choisissant avec soins. Que veux-tu je les aime à

points les bancs moi.

Elle : - Ce sont surtout les femmes que tu aimes à point.

Lui : - Les femmes ? Quelles femmes ? Ou tu as vu des femmes ? Je ne vois aucune femme

sur ce banc.

Elle : - Merci !

Lui : - Quoi merci ?

Elle : - Merci pour ta délicatesse. Tu ne me considères même plus comme une femme

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maintenant.

Lui : - Oh ça va bien. Tu sais parfaitement ce que je veux dire. Quand je dis qu’il n’y a pas de

femmes sur ce banc, je veux dire pas de femmes susceptibles selon toi de m’attirer

irrésistiblement au point de le choisir.

Elle : - De mieux en mieux.

Lui : - Bon arrête. A part toi il n’y a aucune femme sur ce banc et je ne l’ai donc pas « choisi »

comme tu dis, pour les femmes qui pourraient s’y trouver, qui auraient pu s’y trouver ou qui

s’y trouveront… un jour.

Elle : - Mais je le sais que tu n’as pas choisi ce banc pour les femmes qui auraient pu s’y

trouver. Je le sais.

Lui : - Mais il est où alors ce troupeau de femmes qui m’ont fait choisir ce putain de banc pour

que tu me fasse cette putain de scène.

Elle : - Sur le banc d’en face.

Lui : - Il y a des femmes sur le banc d’en face ?

Elle : - Pas des, une.

Lui : - Ah ça ? Enfin, celle là ? Maintenant que tu le dis. Je te l’accorde, il y a effectivement

une jeune femme sur le banc d’en face. Mais permet-moi de te faire remarquer, sans être

tatillon, qu’il n’est pas exactement en face du notre, reconnais-le. Observe bien. L’architecte a

sans doute volontairement rompu une symétrie trop conventionnelle en introduisant avec ce

quinconce subtil une note de fantaisie qui n’est pas sans rappeler … Gaudi.

Elle : - Je t’en prie ne me prends pas pour une imbécile. Tu as voulu t’asseoir sur ce banc pour

te rincer l’œil. D’ailleurs c’est pas la première fois que tu t’arranges pour t’installer en face de

cette poufiasse décolorée.

Lui : - De quoi tu me parles ?

Elle : - Je te parle de la blonde avec le caniche nain qui s’étale sur le banc d’en face.

Lui : - Puisque je te dis que je ne l’avais pas remarquée.

Elle : - Tu l’avait pas remarquée ? Tu vibres en la reluquant depuis une heure et tu voudrais

me faire croire que tu l’avais pas remarquée.

Lui : - Et bien oui. Ça peut te surprendre, mais, bien qu’effectivement elle soit dans mon

champ de vision, je ne l’avais pas vraiment… regardée.

Elle : - Ça ne me surprend pas. Ça me choque. Ta mauvaise foi me choque. Ta duplicité me

choque. Ta lubricité me choque. Tu veux que je te dise ? En ce moment tout en toi me

choque.

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Lui : - Ça fait beaucoup de chocs pour peu de choses.

Elle : - Tu manques pas de toupet.

Lui : - Si figures-toi, j’en manque. Parce que si j’en avais du toupet, et bien ma lubricité et

moi nous serions allés nous vautrer sur le banc d’en face. Histoire de reluquer de plus près. Et

puis nous aurions bavassé avec la blonde, à propos de tout, de rien. Pourquoi pas à propos de

ses tatouages, tiens ? Nous aurions même caressé son clébard. Oui le caniche tu te rends

compte ? Moi qui ai horreur des chiens. Au moins là tu aurais eu une bonne raison de te

plaindre.

Elle : - Tu parles ! En vérité, c’est le contraire qui t’aurait plu. Tartuffe !

Lui : - Le contraire ? Et c’est quoi le contraire ?

Elle : - Parler au chien et… caresser la blonde.

Lui : - Parler de quoi au chien ? De ses tatouages ?

Elle : - Ça non, pour ça non je te l’accorde. C’est à l’oreille qu’il est tatoué le chien. A

l’oreille. Et ça, l’oreille, ça t’intéresse moins.

Lui : - Mais c’est à la cheville qu’elle est tatouée la blonde, à la cheville. Qu’est-ce que ça a

d’extraordinaire la cheville.

Elle : - Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Avec les hommes… Ils vibrent pour n’importe quoi.

Lui : - Les hommes peut-être, mais pas moi !

Elle : - C’est sûr que toi… Si tu ne vibrais pas un peu - mal à propos - de temps à autre…En ce

qui me concerne… On pourrait se poser la question.

Lui : - Qu’est-ce que ça veut dire, « En ce qui te concerne on pourrait se poser la question » ?

Elle : - Ça veut dire que si je veux pouvoir compter sur un « vibreur » à la maison, il vaut

mieux que je le commande à la Redoute.

Lui : - Oh, ça… ça c’est bas, c’est petit, c’est mesquin, c’est… Mais tu devrais avoir honte !

Elle : - Et toi ? Tu ne devrais pas avoir honte de mater cette roulure en ma présence.

Lui : - Je ne l’avais même pas vue. Combien de fois faudra-t-il que je te le répète.

Elle : - Tu ne l’avais pas vue ?

Lui : - Non.

Elle : - Tu ne l’avais pas vue ?

Lui : - Mais puisque je te le dis.

Elle : - Et son tatouage ?

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Lui : - Quoi son tatouage ?

Elle : - Son tatouage à la cheville, tu l’as vu dans le marc de café peut-être ?

Lui : - Ah le tatouage ? Mais c’est pas pareil le tatouage, ça tire l’œil c’est trucs.

Elle : - En attendant de tirer autre chose…

Lui : - Ne sois pas vulgaire en plus.

Elle : - En plus de quoi ? D’être bafouée ?

Lui : - Tout de suite les grands mots. Oui là, j’avais remarqué le tatouage. Il se trouve que je

m’intéresse à cette… pratique, attestée en Eurasie depuis le néolithique. Ce body art comme

on dit aujourd’hui, et donc…

Elle : - Je me doutais que tu t’intéressait au body body, mais le body art, c’est une surprise.

Lui : - Et donc, disais-je, le motif et sa situation m’ont intrigués d’un point de vue…

sociologique.

Elle : - C’est sûr qu’une tête de lapin c’est très intrigant sur le plan sociologique. Un peu

moins sur le plan logique de salope.

Lui : - Je t’en prie ! Le lieu de l'inscription a également une importante signification. Cheville,

comme dans le cas qui nous intéresse, mais également, dos, poitrine, épaule…

Elle : - Fesse…

Lui : - Fesse aussi, pourquoi pas ?

Elle : - Oui ! Ça doit t’intéresser aussi la fesse. La fesse laiteuse de blonde surtout.

Lui : - Il faut reconnaître qu’un tatouage de belle facture ressort mieux sur une peau claire.

D’autant que la rotondité d’une fesse bien charnue, au galbe rebondi autorise le choix de

motifs audacieux.

Elle : - Et comme tu as dû prendre le soin de te renseigner par toi-même… Tu estimes que la

pétasse en face peut se permettre le tatouage audacieux.

Lui : - Mais comment veux tu que je le saches ? Oui peut-être… Certainement… à première

vue cette jeune femme bénéficie d’un physique que l’on peut qualifier de « propice », et il est

vraisemblable si j’en crois mon expérience, que ce discret petit lapin laisse présager un

tatouage au motif plus … explicite, situé en un endroit plus…

Elle : - Suggestif ?

Lui : - En ce qui me concerne je dirai, plus « intime ».

Elle : - Oui, on peut dire ça aussi. Mais si j’en crois mon expérience à moi, si tu te sens

concerné c’est que ça doit être plus « suggestif ».

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Lui : - Si tu veux !

Elle : - Non, pas si je veux. Je dis « suggestif » pour te ménager, Mais dans le fond de ma

pensée c’est plus « cochon ».

Lui : - Tu exagères encore. Disons qu’il y a de fortes chances pour que cette charmante

personne porte un tatouage coquin sur la fesse gauche.

Elle : - Pourquoi la gauche ?

Lui : - Je ne sais pas, mais les statistiques sont formelles : quatre-vingt-trois pour cent des

femmes qui portent un tatouage à la cheville s’en font faire un autre plus conséquent sur la

fesse gauche dans les dix-huit mois suivant la première intervention.

Elle : - Il y a des statistique pour ça ?

Lui : - Il y a des statistique pour tout.

Elle : - Et… si elle commence directement par la fesse, la femme ?

Lui : - Quelle femme ?

Elle : - Je ne sais pas moi, n’importe laquelle. Une femme de tes statistiques prise au hasard.

Qu’est ce que ça veut dire ?

Lui : - Ça veut dire certainement qu’il s’agit d’une personne plus discrète, qui tient à exhiber

cette marque d’une nature néanmoins ardente uniquement dans un cadre très privé.

Elle : - Et tu en penses quoi, toi personnellement, des ardentes dans le privé ?

Lui : - Je n’en pense rien en particulier. Mais c’est vrai qu’un tatouage suggestif sur la fesse

d’une femme réservée, qui le dévoile dans une alcôve aux lumières tamisées, en faisant glisser

lentement la soie de l’ultime barrière qui s’oppose au désir viril de son amant, laisse présager

des étreintes passionnées, voire sauvages.

Elle : - Si je comprends bien tu n’as rien contre la fesse tatouée.

Lui : - A priori non. Du moment que c’est bien fait.

Elle : - Et si, a priori, je le faisais, moi?

Lui : - Et si tu faisais quoi ?

Elle : - Et si je me faisais tatouer ?

Lui : - Toi ? Tatouer ?

Elle : - Oui moi, sur la fesse.

Lui : - Te faire tatouer sur la fesse ? J’espère que tu plaisantes.

Elle : - Je ne plaisante pas du tout. J’ai envie de me faire tatouer une rose sur la fesse droite.

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Lui : - Une rose sur la fesse droite ! Non mais je rêve. Tu as perdu la tête ?

Elle : - Tu préfèrerais, un papillon ?

Lui : - Non ! Ni rose, ni papillon.

Elle : - Pas de fleur, pas d’insecte. Un légume peut-être ? Ça te plairait un légume ?

Lui : - Mais… Rien, je ne veux rien, tu entends absolument rien !

Elle : - Je te rappelle qu’il ne s’agit pas de tes fesses mais des miennes.

Lui : - Mais je le sais que ce sont tes fesses. Je sais aussi que si tu persistes tu vas les couvrir

de ridicule.

Elle : - Alors si je me fais tatouer c’est ridicule ?

Lui : - Ben oui. Quand même un peu, non ?

Elle : - Et si c’est l’autre conne là, c’est quoi déjà ? Ah oui, propice ! C’est propice. Donc pour

toi, il y a deux sortes de femmes, les ridicules et les propices.

Lui : - Tu schématises là. C’est plus compliqué. Le tatouage est chargé de signifiants qui ne

peuvent êtres assumés par n’importe quelle femme. La jeune personne en face est l’archétype

de ce qu’on pourrait appeler…

Elle : - Une salope.

Lui : - Gardons nous des jugements hâtifs. Ce n’est pas parce que tout en elle… La façon de

se maquiller, de s’habiller, de se mouvoir, sa gestuelle, son comportement, tout. Tout incline à

penser qu’il s’agit …

Elle : - D’une grosse salope.

Lui : - Oui, bon. Je te l’accorde, c’est une salope. Et alors ? Tu ne voudrais pas suivre son

exemple, quand même ?

Elle : - Et pourquoi je pourrais pas le suivre son exemple ? Qu’est-ce qui m’en empêcherais de

le suivre son exemple?

Lui : - Tu le dis toi-même …

Elle : - Que c’est une salope ? Oui ! Et qui te dis que j’en suis pas une aussi moi de salope ?

Lui : - Depuis le temps, ça se saurait.

Elle : - Tu en es sûr ?

Lui : - Sûr, sûr, non ! A l’heure actuelle qui peut se vanter d’être sûr de quoique ce soit ? Mais

j’ai de gros doutes. D’abord tu n’as pas le style. Et puis…

Elle : - Et puis quoi ?

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Lui : - Et puis… je m’en serais aperçu.

Elle : - A oui ? Et en quelle occasion ?

Lui : - Et bien… mais… quand tu… enfin quand je… bref quand nous… Tu vois ce que je

veux dire.

Elle : - Non je ne vois pas. Pas du tout. Et même s’il y avait quelque chose à voir, il y a si

longtemps que je n’ai rien vu que j’ai dû oublier.

Lui : - Bon ! D’accord. Tu tiens absolument à te faire tatouer la fesse droite ?

Elle : - Oui !

Lui : - D’accord. Une rose, tu en es bien sure ?

Elle: - Oui. Une rose rouge. Moi aussi je veux devenir une salope.

Lui : - Tu veux devenir une salope ? Parfait.

Elle : - Oui ! Une salope qui promet des étreintes sauvages !

Lui : - Bien, je vois… Tu sais que c’est irréversible ?

Elle : - Oui !

Lui : - Bon. Après tout, si désormais c’est ton objectif prioritaire… Tu me tiendras au courant

quand même.

Elle : - Oui ! Je t’enverrai un faire part pour l’inauguration.

Lui : - Merci. Et le début des travaux, tu l’envisages pour quand ?

Elle : - Et bien… il y a trois mois… environ.

Lui : - Dans trois mois ? Tu n’es pas si pressée que ça finalement. Remarque tu as raison. Il

faut prendre le temps de la réflexion. D’ici là tu auras changé d’avis.

Elle : - Pas « dans » trois mois. « Il y a » trois mois », et c’est un peu tard pour changer d’avis.

Lui : - Comment ça « il y a » trois mois ? Qu’est-ce que ça veut dire : « il y a » trois mois ?

Elle : (expliquant comme à un demeuré) – Ça veut dire…

Lui : - Oui...

Elle : Qu’il y a trois mois…

Lui : - Oui...

Elle : - Je me suis fait tatouer une rose rouge sur la fesse droite.

Lui : - Oui… Non, c’est pas possible ! Tu me fais marcher ?

Elle : - Je répète (Très fort avec les mains en porte voix) - Je me suis fais tatouer une rose

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rouge sur la fesse droite. (Sur le ton de la conversation) - Il y aura exactement trois mois

samedi prochain.

Lui : - Arrête de hurler je ne suis pas encore sourd.

Elle : - On se demande bien pourquoi d’ailleurs.

Lui : - D’abord, je ne te crois pas. Je te connais, tu n’aurais pas osé.

Elle : - Tu l’as dit toi même. Je ne suis pas celle que tu crois.

Lui : - Et puis… je m’en serais rendu compte.

Elle : - Je ne vois pas comment et tu sais parfaitement pourquoi. Nous en avons déjà parlé. Si

tu veux je peux te rafraîchir la mémoire.

Lui : - Comment tu as pu faire ça ? Comment tu as pu me faire ça ?

Elle : - Mais qu’est-ce que je t’ai fait, à toi ?

Lui : - Qu’est-ce que tu as m’as fait ? Tu me demandes ce que tu m’as fait ? Elle me demande

ce qu’elle m’a fait !

Elle : - Oui, question de politesse. Parce qu’en réalité je m’en fous.

Lui : - Mais tu m’as… tu m’as … tu m’as fais des cachotteries! Voila ce que tu m’as fait.

Alors là vraiment… je suis… mais je suis… ! Et toi, tu sais ce que tu es, tu le sais ce que tu

es ?

Elle : - Oui le sais. Je t’avais prévenu.

Lui : - Et puis d’abord si c’est vrai, montre le moi ?

Elle : - Tu veux que je te montre mon tatouage ?

Lui : - Oui.

Elle : - Ici ?

Lui : - Oui.

Elle : - Tu veux que je te montre mes fesses, là, maintenant ?

Lui : - Oui.

Elle : - Devant tous ces gens ?

Lui : - Oui.

Elle : - Mais tu est fou ! Qu’est-ce qu’ils vont penser.

Lui : - Que je suis fou, et alors ? Je le suis fou ! C’est toi qui me rends fou. Fou de rage, fou de

… et ce qu’ils pensent, je m’en fous, aussi !

Elle : - Je voulais dire, qu’est-ce qu’ils vont penser de moi ?

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Lui : - Oh toi, au point où tu en es, tu sais… Vas-y ! Qu’est-ce que tu attends ?

Elle : - Bon. (Elle commence à dégrafer sa jupe) Si ça peut te faire plaisir.

Lui : - Monte sur le banc.

Elle : - Tu veux que je monte sur le banc ?

Lui : - Oui, je le verrai mieux.

Elle : - Tu crois ?

Lui : - Ne discute pas, monte !

Elle : - Une minute !

Lui : - Allez, dépêche toi !

Elle : (Tout en montant sur le banc) - Ça vient ! Tu as attendu trois mois, tu bien peux

patienter encore une minute, non ? (Elle commence à faire glisser sa jupe).

On entend une sonnerie électronique

Lui : (Regardant sa montre) – Ah ! Il est l’heure. Nous en resterons là pour aujourd’hui.

Elle : - Oh ! Bien sûr, je ne m’étais pas rendu compte. (Elle descend du banc, se réajuste puis

cherche dans son sac).

Lui : - Je trouve que nous avons bien progressé.

Elle : - Oui, moi aussi. J’ai vraiment l’impression d’avoir franchi une étape importante. (Elle

ouvre son porte-monnaie et lui tend un billet) - Voici.

Lui : (Il prend le billet sans le regarder) - Merci. (Il le met dans sa poche) – Donc, dans une

semaine, même endroit, même heure.

Elle : - Oui. Au revoir. A la semaine prochaine.

(Elle lui serre la main et s’en va. Lui reste sur le banc)

Lui : (Après qu’elle ait fait quelques pas) – Un instant, s’il vous plait.

Elle : (Elle s’arrête se retourne l’air interrogateur) - Oui docteur?

Lui : - Je pourrais le voir ?

Noir

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Couple 3 L’homme est assis sur un banc. La femme passe devant lui. Elle le regarde, fait encore

quelque pas, s’arrête puis revient vers lui.

Elle : - Il me semble que je vous connais.

Lui : - Pardon ?

Elle : - Je disais, Il me semble que je vous connais.

Lui : - Moi ?

Elle : - Oui vous ! Je vous connais. Non ?

Lui : - Comment voulez-vous que je le sache ?

Elle : - Faites un petit effort. Moi j’ai l’impression de vous connaître. Pas vous ?

Lui : - J’ai la vague impression de me connaître un peu aussi, mais je ne voudrais pas avoir l’air de me vanter.

Elle : - Vous avez surtout l’air de jouer sur les mots. C’est mon impression… Je peux m’asseoir ?

Lui : - Vous n’avez pas besoin de ma permission. Ces bancs sont à tout le monde !

Elle : - C’est que je ne voudrais pas vous importuner.

Lui : - Ecoutez, vous savez très bien que même si vous m’importunez je n’oserai pas vous le dire. Alors asseyez-vous et finissons–en !

Elle laisse passer un temps, puis s’assied.

Elle : - Merci.

Elle ne poursuit pas la conversation.

Lui : - Quoi ! Vous n’allez pas vous vexer parce que je ne saute pas de joie ? Alors, une inconnue en mal de conversation, ou d’autre chose, m’aborde sous un prétexte fallacieux et je devrais…

Elle : - Je n’ai mal nulle part. Je ne me vexe pas. Je réfléchis…

Lui : - En ce cas je vous laisse à vos réflexions.

Elle : - Et plus je vous écoute, plus je réfléchis…

Lui : - J’aurais mieux fait de me taire moi !

Elle : - Et plus je réfléchis, plus je suis persuadée que nous nous connaissons.

Lui : -. Parce que non seulement vous me connaissez, mais moi je suis censé vous connaître aussi ?

Elle : - Oui.

Lui : - Ça se complique là.

Elle : - Pas vraiment.

Lui : - Ah si quand même ! Parce que, bon ! Vous avez l’impression de me connaître… Admettons.

Elle : - Je vous remercie.

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Lui : - De rien. C’est une façon de parler.

Elle : - Je sais, mais ça fait plaisir quand même.

Lui : - Je disais donc, admettons que vous pensiez me connaître. C’est plausible. Je ne suis pas célèbre certes, mais vous avez pu m’apercevoir n’importe où n’importe quand. Dans la rue, au spectacle, au super marché…

Elle : - Bien sûr !

Lui : - Je peux également ressembler à quelqu’un que vous avez connu…

Elle : - Effectivement.

Lui : - Vous voyez ça c’est simple. Mais moi, si je vous connaissais, je le saurais. Je m’en souviendrais. Non ?

Elle : - Certainement !

Lui : - C’est donc bien ce que je pensais. Si vous dites que nous nous connaissons et que moi je ne vous reconnais pas, ça se complique.

Elle : - Ça dépend.

Lui : - Ça dépend de quoi ?

Elle : - De votre bonne foi.

Lui : - De ma bonne foi ?

Elle : - Oui ! Vous pourriez très bien faire semblant de ne pas me reconnaître.

Lui : - Pourquoi je ferais ça ?

Elle : - Mais je sais pas moi, parce que… ça vous gêne.

Lui : - Et qu’est-ce qui me gênerais ?

Elle : - Ça saute aux yeux.

Lui : - Pas aux miens en tout cas.

Elle : - Parce que vous ne voulez pas voir la réalité en face.

Lui : - Mais quelle réalité à la fin ?

Elle : - La réalité qui fait que nous nous connaissons.

Lui : - Vous n’allez pas recommencer. Vous croyez vraiment que si je vous avais déjà rencontrée et que je m’en souvienne. Car bien entendu encore faut-il que je m’en souvienne. Je ferais celui qui ne s’en souvient pas ?

Elle : - C’est tout à fait possible.

Lui : - C’est surtout tout à fait ridicule.

Elle : - Ce serait ridicule, sauf si nous nous étions connus dans des circonstances un peu…

Lui : - Un peu quoi ? Soyez plus précise car là je vois toujours pas où vous voulez en venir.

Elle : - Un peu… particulières.

Lui : - Des circonstances particulières ! On est bien avancé avec ça.

Elle : - Par exemple, si nous nous étions connus… étroitement.

Lui : - Etroitement ? Vous voulez dire sur un banc plus petit ?

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Elle : - Intimement si vous préférez.

Lui : - Ah mais je ne préfère pas. Pas du tout !

Elle : - Vous voyez !

Lui : - Quoi ?

Elle : - Vous refusez de l’admettre.

Lui : - Que nous nous sommes connus intimement ?

Elle : - Oui.

Lui : - Ah mais catégoriquement !

Elle : - Pourquoi ? Je ne vous plais pas ?

Lui : - … Mais la question n’est pas là.

Elle : - Si quand même un peu. Parce que si je ne vous plais pas, ou plutôt si je ne vous plais plus. Vous pouvez éprouver une certaine appréhension à reconnaître…

Lui : - Mais il n’y a rien à reconnaître. C’est la première fois que je vous parle de ma vie. Et ce n’est pas ce j’ai fait de mieux.

Elle : - Qui vous parle de parler.

Lui : - Vous. C’est vous qui affirmez que nous nous connaissions très bien. Et je ne vois pas comment cela aurait été possible sans nous parler.

Elle : - Je suis désolée de vous contredire, mais nous avons très bien pu très bien nous connaître sans échanger un seul mot.

Lui : - Ah oui ? Et comment ?

Elle : - Bibliquement.

Lui : - Ça veut dire quoi « bibliquement » ?

Elle : - Vous ne connaissez pas l’expression : Se « connaître bibliquement » ?

Lui : - Mais bien sur que je connais cette expression. Pour qui vous me prenez ? Ça veut dire …

Elle : - Avoir des relations sexuelles, s’accoupler, faire l’amour, coucher ensemble, … vous avez le choix.

Lui : - Si j’avais le choix ce serait un grand verre d’eau. Vous insinuez donc que vous et moi…

Elle : - Oui !

Lui : - Et si nous n’avons pas parlé. Puisque nous n’avons pas parlé n’est-ce pas ?

Elle : - On ne peut pas appeler ça parler.

Lui : - Donc si nous n’avons pas vraiment dialogué, c’est que ce dut être… bref et … comment dire…

Elle : - Sauvage ? C’est une bonne façon de présenter les choses.

Lui : - En admettant. Où et quand se serait passé… l’heureux évènement ?

Elle : - Je peux pas vous dire. Il doit y avoir longtemps et…

Lui : - Ah, parce que à part que c’est avec moi que ça s’est passé, vous ne savez rien d’autre.

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Elle : - Voila, c’est flou.

Lui : - Donc, si je résume la situation, en me voyant vous vous êtes dit : « tiens c’est le type avec qui je me suis envoyée en l’air. Quand ? Y a longtemps. Où ? C’est flou. Mais je vais quand même lui pourrir sa journée ».

Elle : - C’est pas sûr !

Lui : - Ah si c’est sûr ! Je peux vous assurer que vous m’avez définitivement gâché la journée.

Elle : - Non, ce que je voulais dire, c’est que c’est pas sûr que je me sois envoyée en l’air.

Lui : - Il faut savoir ce que vous voulez. On a couché ensemble oui ou non ?

Elle : - D’abord c’est pas parce qu’on a couché ensemble que je me suis envoyée en l’air pour autant. Ça m’aurait marquée.

Lui : - Je vous remercie !

Elle : -. Ensuite « coucher » n’est pas vraiment le terme que j’aurais employé.

Lui : - Dites le avec vos mots, nous gagnerons du temps.

Elle : - Je ne sais pas moi. Comment on peut dire pour : « tirer un coup à la sauvette sous un porche au milieu des poubelles ou sur une table jonchée de vaisselle sale et de bouteilles vides » ?

Lui : - On peut dire ça, en effet. C’est un peu vulgaire mais dans ces circonstances c’est approprié.

Elle : - Alors oui, on a dû tirer un coup vulgairement.

Lui : - Mais c’est qu’on progresse ! On ne sait toujours pas où ni quand, mais on sait comment. Nous avons même le choix des accessoires : poubelles ou vaisselle sale.

Elle : - Oui, et au plus je vous regarde au plus je penche pour la vaisselle.

Lui : - Ça tombe bien, parce que dans mon échelle de valeurs personnelle c’est juste avant la poubelle.

Elle : - A moins que je confonde.

Lui : - Oui c’est ça ! Vous devez confondre. La vaisselle sale et la poubelle, moi avec un loquedu pour noces et banquets.

Elle : - Ah non ! Vous, je peux pas vous confondre.

Lui : - Parce que bien sûr, vous m’avez reconnu.

Elle : - Non plus.

Lui : - Mais… Y a pas deux minutes vous affirmiez que vous et moi avons forniqué dans des circonstances sordides. Et maintenant…

Elle : - Oui, ça peut paraître bizarre.

Lui : - Ça l’est ! D’ailleurs depuis le moment où vous vous êtes assise sur ce banc je trouve que le monde est devenu étrangement inquiétant.

Elle : - Il faut me comprendre. Je ne vous ais pas reconnu, mais je sais que c’est toi, je le sens.

Lui : - Ça ne me rassure pas vraiment.

Elle : - C’est normal. Tu as tellement changé.

Lui : - Tu trouves ? Vous trouvez ?

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Elle : - Ah, quand même !

Lui : - C’est pas ce que je voulais dire ! Comment vous pouvez affirmer que j’ai changé si vous ne me reconnaissez pas ?

Elle : - Justement, c’est parce que tu as changé que je ne te reconnais plus. Sinon tu penses !

Lui : - Alors là, si vous le permettez, je vais arrêter de penser. Avec un peu de chance je risque de me réveiller.

Elle : - J’en étais sure ! Je le sentais !

Lui : - Il faut absolument que je me réveille, moi.

Elle : - C’est ça, C’est exactement ça !

Lui : - C’est quoi ? C’est exactement quoi ?

Elle : - C’est exactement ce que tu as dit. Mot pour mot… Après.

Lui : - Je parles trop, moi.

Elle : - Ça me revient maintenant. Tout me revient. C’est fou !

Lui : - Je crois que je préférais quand c’était flou.

Elle : - Ça alors ! C’est extraordinaire !

Lui : - Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire ?

Elle : - Il a suffit d’un mot…

Lui : - Lequel ?

Elle : - Un seul mot et j’ai revu toute la scène.

Lui : - Quel mot ?

Elle : - Les images ont défilé devant mes yeux. Comme dans un film.

Lui : - Quel genre de film ?

Elle : - Un porno !

Lui : - Je vois le genre.

Elle : - Tu veux que je te raconte ?

Lui : -. Mais non voyons !

Elle : - Ça te rappellerait peut-être des souvenirs.

Lui : - Ce sont les vôtres. Je ne voudrais pas être indiscret.

Elle : - Tu as honte ?

Lui : - Pas du tout ! Je ne me sens pas concerné par cette histoire et …

Elle : - Tu as honte !

Lui : - Je n’ai pas honte ! Je ne vois pas pourquoi je devrais subir le récit détaillé de vos turpitudes passées.

Elle : - Parce que ce sont aussi les tiennes.

Lui : - C’est vous qui le dites.

Elle : - Je le dis parce que c’est la vérité. D’ailleurs je peux te le prouver.

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Lui : - Vous pouvez le prouver ?

Elle : - Oui.

Lui : - Vous pouvez le prouver ?

Elle : - Oui. Sans l’ombre d’un doute.

Lui : - Je serais curieux de voir ça.

Elle : - La curiosité est un vilain défaut. Mais je vais faire une exception. Selon toi, on ne s’est jamais rencontré avant, n’est-ce pas ?

Lui : - Jamais !

Elle : - Tu ne t’es jamais retrouvé, nu, à quatre heure du matin, le pantalon sur les chevilles, en train de besogner sur une table pourrie et sans ménagement, une fille dans mon genre ?

Lui : - Encore moins !

Elle : - Et si maintenant je te dis que cette fille c’était moi, qu’elle se rappelle parfaitement que le baiseur fou te ressemblait comme un fils, peut-être même un petit fils, et qu’il arborait un tatouage en forme de scorpion, juste là.

Elle lui touche le haut de la poitrine du bout de l’index.

Lui : - Juste là ?

Elle : - Oui. Tu dirais quoi ?

Lui : - Et bien, je dirais qu’à l’époque vous ne faisiez pas preuve d’un grand discernement dans le choix de vos partenaires.

Elle : - Et le tatouage ?

Lui : - Même bien fait, ce n’est pas une excuse.

Elle : - Parce que toi tu n’en as pas de tatouage ?

Lui : - Moi ?

Elle : - Oui toi ! Tu n’as jamais eu de scorpion tatoué là ?

Lui : - Un scorpion, là ?

Elle : - Oui !

Lui : - Absolument pas

Elle : - Tu es sur ?

Lui : - Oui, quand même !

Elle : - Fais voir.

Lui : - Mais non voyons !

Elle : - Tu as peur ?

Lui : - Je n’ai pas peur.

Elle : - Si tu as peur. Tu as peur de découvrir la vérité.

Lui : - La vérité ? Quelle vérité ? La votre ? Elle ne me concerne pas.

Elle : - Alors fais voir.

Lui : - Mais non, enfin ! Je ne vais pas me dévêtir devant vous.

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Elle : - Je ne te demande pas de te foutre à poil.

Lui : - Encore heureux !

Elle : - Allez, ne fais pas ta chochotte. Je veux juste voir ce que tu caches là sous cette chemise.

Lui : - Mais arrêtez à la fin ! Je n’ai rien à cacher. C’est une question de principe ! Vous pouvez pas comprendre ça ?

Elle : - Je comprend surtout que c’est une question de chochotte.

Lui : - Je ne suis pas une chochotte !

Elle : - T’as pas fait tant d’histoire la dernière fois.

Lui : - Quelle histoire ? C’était il y a trente ans, merde !

Elle : - Non, vingt-huit exactement et … Qu’est-ce que tu as dit ?

Lui : - Quand ?

Elle : - A l’instant.

Lui : - A l’instant ?

Elle : - Oui.

Lui : - « Merde » je crois. Sauf votre respect.

Elle : - Non, avant.

Lui : - Avant ? … « Je n’ai rien à cacher ».

Elle : - Non, après.

Lui : - Je ne sais pas moi. « Je ne suis pas une chochotte » ?

Elle : - Non ! Et tu le sais très bien. Après !

Lui : - Je suis désolé mais, ça ne me revient pas. J’ai comme un blanc. Ça m’arrive de temps en temps quand on interrompt le fil. Ce doit être l’âge. Ça ne vous le fait pas ?

Elle : - Non pas encore. Ce doit être l’âge. Je ne suis pas assez vieille pour être gâteuse, mais suffisamment pour me rendre compte quand on me prend pour une imbécile.

Lui : - C’est une allusion ?

Elle : - Non ! Une affirmation. J’affirme que tu es en train de me prendre pour une niaise.

Lui : - Mais c’est grave, ça. C’est très grave !

Elle : - Arrêtes ton cinéma. Tu sais très bien de quoi je veux parler.

Lui : - Moi non, mais si vous vous le savez autant le dire.

Elle : - Tu as dit : « c’était il y a trente ans ».

Lui : - J’ai dit ça moi ?

Elle : - Oui !

Lui : - Alors, j’ai dit ça comme ça.

Elle : - Tu n’as pas dit ça comme ça. Ça t’a échappé.

Lui : - Mais non ça m’a pas échappé comme vous dites. J’ai dis trente ans comme j’aurais pu dire vingt ou quarante.

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Elle : - Oui mais tu as dit trente. Or il se trouve que notre brève « idylle » a été consommée il y a pratiquement trente ans.

Lui : - Vous avez peut-être été consommée en ce temps là, mais je n’étais pas de la fête. J’ai dit trente parce qu’il m’a semblé que vous aviez passé l’âge de vous faire renverser sur une table …

Elle : - Depuis trente ans.

Lui : - Oui ! Enfin c’est une approximation bien sûr. Les statistiques en la matière sont fluctuantes. La fourchette d’âge au delà duquel les femmes ne se font plus renverser sur les tables varie en fonctions… des régions…

Elle : - Et des tables…

Lui : - C’est cela. Encore faut-il tenir compte des exceptions bien évidemment. On cite le cas d’une normande qui a pratiqué la table jusqu’à un âge avancé. Mais c’est le style qui s’y prête n’est-ce pas.

Elle : - Et mon style à moi ne s’y prête pas.

Lui : - Attention, je n’ai pas voulu froisser votre susceptibilité.

Elle : - Non, pas plus que ma jupe il y a trente ans.

Lui : - Ce que j’ai voulu dire c’est que …

Elle : - Te fatigues pas. J’ai très bien compris ce que tu voulais dire. Tu ne veux pas reconnaître que tu t’es tapée - oui tapée - la fille que j’étais il y a trente ans parce que tu ne le ferais pas avec la femme que je suis devenue aujourd’hui.

Lui : - Pas du tout ! Loin de moi la pensée que vous n’êtes pas apte à inspirer le désir impérieux de vous « caramboler » sur un plan de travail encombré, mais j’étais persuadé que désormais, pour des raisons… de confort, vous n’accepteriez plus ce genre de …

Elle : - …d’hommage ?

Lui : - Si vous voulez.

Elle : - Et bien tu te trompes. Je n’ai pas changé moi. J’accepte tous les hommages.

Lui : - Ah oui ! Quand même !

Elle : - A condition bien sûr que le « caramboleur » me convienne.

Lui : - Evidemment, évidemment… Si vous avez un genre particulier…

Elle : - Oui ! Le genre à porter un tatouage là.

Elle lui touche à nouveau le haut de la poitrine du bout de l’index, avec plus d’insistance.

Lui : - Vous me chatouillez !

Elle : - Tu es chatouilleux ?

Elle se met à le chatouiller.

Lui : - Non je suis sensible. Arrêtez !

Elle continue à le chatouiller.

Elle : - Tu l’étais déjà à l’époque.

Lui : - Mais pas du tout ! Arrêtez !

Elle continue à le chatouiller. Il essaie en vain de lui échapper en grimpant sur le banc mais

30

elle le suit.

Elle : - Mais c’est que c’était un grand sensible ça madame ! Allez avoue !

Lui : - Non ! Arrêtez !

Elle : - Avoue et j’arrête.

Lui : - Non ! Je vous en prie arrêtez !

Elle : - Je veux que tu avoues. Tout tu m’entends, tout ! Allez, avoue ! Sinon je continue.

Il est prêt à s’effondrer, au bord du malaise

Lui : - Arrêtez ! Je vais avoir un malaise.

Elle arrête. Ils s’assoient sur le dossier du banc. Ils reprennent leur souffle.

Elle : - Tu préfères crever plutôt que de reconnaître qu’on s’est aimé.

Lui : - Oh, aimé c’est peut-être exagéré, non ? Pour une troussée printanière.

Elle : - C’est vrai que c’était le printemps !

Un temps

Lui : - Un vingt-huit mars exactement. Il faisait doux. On se serait cru au début de l’été.

Elle : - Qu’est-ce qu’on avait picolé. Toi surtout !

Lui : - Oui. J’en suis pas fier.

Elle : - Quand je disais que tu avais honte.

Lui : - C’est vrai !

Elle : - Mais tu n’as pas à avoir honte. On était jeunes…

Lui : - Vous surtout. Moi j’étais surtout con !

Elle : - Et alors ? J’ai aimé cette façon d’être con !

Lui : - C’est vrai ? Et moi qui croyais que je vous avais…

Elle : - Traumatisée ?

Lui : - Oui… Enfin… un peu quoi !

Elle : - Alors là, tu te surestimes. Parce qu’il n’y avait pas de quoi traumatiser un chat.

Lui : - Ah bon ? Mais quand même j’ai été… brutal, non ?

Elle : - Ah ! C’est pour ça que tu faisais semblant de ne pas me connaître. Parce que tu avais été … brutal !

Lui : - Oui. Je vous ai reconnue tout de suite. Mais comme j’avais été…

Elle : - …Brutal…

Lui : - Souvenez-vous! Je me suis mal conduit avec vous et puis…

Elle : - Bien sur que je me souviens ! Une vraie petite brute !

Lui : - J’ai été grossier aussi. Il me semble même que je vous ai traité de petite…

Elle : - …salope, oui.

Lui : - Vous comprenez que je sois pour le moins gêné.

Elle : - Bien sur ! En même temps… j’en étais une.

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Lui : - Une quoi ?

Elle : - Une petite salope. Alors…

Lui : - Ah parce que…

Elle : - Oui ! Et j’en ai pas honte moi. Au contraire.

Lui : - Mais… les trucs sur la table… quand vous vous débattiez… C’était un peu… dur de ma part, non ?

Elle : - Mais oui ! Ne t’inquiètes pas. C’était dur.

Lui : - Pardonnez-moi. A l’époque quand une fille me… prenait les sens, je ne me maîtrisais pas…

Elle : - Je te pardonnes… d’autant qu’à l’époque j’aimais bien ça.

Lui : - Vous aimiez bien qu’on vous insulte en vous culbutant sur une table ?

Elle : - J’aimais surtout donner l’impression aux petits mecs qui me plaisaient que c’étaient des durs.

Lui : - Ça a marché. Je l’ai cru… Jusqu’à aujourd’hui.

Elle : - Et bien te voila rassuré ? Tu n’es pas un vrai méchant.

Lui : - Oui. Ça m’enlève un poids.

Elle : - Et quelques illusions.

Lui : - Oh, mes illusions, vous savez, il y a longtemps que…

Elle : - Tu as raison il y a prescription. Et puis nous avons changé…

Lui : - Oui, nous sommes différents. Nous ne sommes plus des gamins.

Elle : - C’est comme si nous étions d’autre personnes.

Lui : - Des adultes.

Elle : - Des adultes consentants. C’est comme ça qu’on dit ?

Lui : - Oui ! On dit ça quand des adultes, justement, envisagent… de gré à gré…

Elle : - De s’envoyer en l’air.

Lui : - Oui ! Ou d’avoir des relations…

Elle : -… sexuelles. Comme nous.

Lui : - Comment ça, comme nous !

Elle : - Nous avons bien eu des relations sexuelles nous, non ?

Lui : - Ah, oui ! Nous ? Effectivement nous, nous avons bien eu une relation…

Elle : - ...sexuelle.

Lui : - Oui. Vu comme ça, oui.

Elle : - C’est bien comme ça qu’il faut le voir ?

Lui : - Ah, oui ! Mais non ! Parce que… quand ça s’est passé, nous, on n’était pas …

Elle : - Adultes ? Non mais on n’était pas des enfants de choeur non plus.

Lui : - C’est sur ! Et pour ce qui était d’être…

32

Elle : - Consentants ? Je ne sais pas pour toi, mais moi j’étais d’accord.

Lui : - Moi aussi, moi aussi ! De toute façon je ne vois pas pourquoi on parle de ça, n’est-ce pas ? Parce que ce qui compte c’est ce qui se passe…

Elle : - Aujourd’hui ?

Lui : - Voila !

Elle : - Et il se passe quoi aujourd’hui ?

Lui : - Aujourd’hui ? Mais rien ! Il ne se passe absolument rien.

Elle : - Donc tout est normal.

Lui : - Mais oui !

Elle : - Alors si tout est normal, nous pourrions commencer par descendre tranquillement de ce banc.

Lui : - Oui bien sur… c’est normal aussi…

Elle : - Puis nous pourrions nous séparer normalement…

Lui : - …On peut quand même pas…

Elle : - …Et reprendre le cours de notre vie normale…

Lui : -. …passer notre vie sur ce banc.

Elle : - …Chacun de son coté. (Un temps) Bon, on y va ?

Lui : - D’accord ! Allez-y.

Elle : - Non ! Toi d’abord.

Lui : - Mais non voyons ! Vous, c’est normal.

Elle : - Non, toi je préfère.

Lui : - Puisque je vous dis…

Elle : - Bon ! On y va en même temps ?

Lui : - D’accord.

Ils descendent du banc avec précaution. Lui s’assied, elle reste debout

Elle : - C’est là que nos routes se séparent.

Lui : - Oui.

Elle : - Bon et bien… Au revoir.

Lui : - Au revoir.

Elle : - … A dans trente ans ?

Lui : - Quoi ? Ah oui ! Ha ! Ha ! A dans trente ans…Oui…

Elle s’éloigne.

Elle : - Au revoir !

Lui : - Au revoir !

Elle fait quelques pas. Il la regarde partir.

Lui : - Attendez !

33

Elle : - Qu’est ce qu’il y a ?

Lui : - Vous voulez pas qu’on aille se boire un petit café un de ces jours ?

Elle : - Un petit café ?

Lui : -.Oui.

Elle : - Pourquoi faire ?

Lui : - Je sais pas moi…. Je te montrerai mon tatouage.

Elle : - Je l’ai déjà vu.

Lui : - C’est vrai ! …On pourrait aussi parler du bon vieux temps.

Noir

34

Couple 4

L’homme et la femme se dirigent vers un banc. Ils ont visiblement choisi le même pour

s’asseoir, mais quand ils s’en rendent compte, ils hésitent, se font des politesses, puis finissent

par s’installer chacun à une extrémité, un peu gênés.

Au bout d’un long silence…

Lui : - (Il se racle la gorge en toussotant).

Elle : - Vous me parliez ?

Lui : - Pardon ?

Elle : - Non, je disais, vous me parliez ?

Lui : - Moi ?

Elle : - Oui, vous ! Vous me parliez ?

Lui : - Non, je ne …

Elle : - Parce que j’avais cru…

Lui : - Ah oui ? …Mais non.

Elle : - Il m’avait semblé que vous me parliez. C’est pour ça… J’ai dû me tromper.

Lui : - Oui, sans doute. Je suis désolé.

Le silence se réinstalle

Elle : - Pourquoi ?

Lui : - Oui ?

Elle : - Je disais : « pourquoi ? »

Lui : - « Pourquoi » ?

Elle : - Oui !

Lui : - Mais … Pourquoi… quoi ?

Elle : - Pourquoi vous êtes triste ?

Lui : - Mais je ne suis pas triste !

Elle : - Vous venez de me dire à l’instant que vous étiez désolé.

Lui : - Ah, oui ! Mais c’est pas pareil…

Elle : - Je regrette mais triste et désolé c’est quasiment la même chose.

Lui : - Certes ! Mais ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

Elle : - Ah ! … Mais qu’est-ce que vous avez voulu dire alors?

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Lui : - J’ai dit ça comme ça, c’est une formule.

Elle : - Vous n’étiez pas désolé ?

Lui : - Non ! Enfin, si… mais…

Elle : - Vous étiez désolé ou pas ?

Lui : - Oui, j’étais désolé… Pour vous.

Elle : - Pour moi ?

Lui : - Oui.

Elle : - Vous êtes désolé pour moi ?

Lui : - Oui, c’est normal !

Elle : - Ah bon ! Et je peux savoir ce que j’ai de désolant ?

Lui : - Mais rien ! Enfin, ce n’est pas vous à proprement parler qui êtes désolante. C’est… la

situation.

Elle : - Ah bon ! Et c’est grave ?

Lui : - Non ! Ce que j’ai voulu dire, sans le dire vraiment, c’est que je trouvais triste en effet

que vous pensiez que je vous avais adressé la parole alors qu’il n’en était rien. Et qu’en vous

détrompant comme je l’ai fait, un peu brutalement peut-être, il était possible que je réduise à

néant un espoir latent de rencontre, sans lendemain certes, mais de rencontre tout de même,

qui à défaut de remplir votre vie aurait pu néanmoins illuminer cette journée qui s’annonçait,

pareille à toutes les autres, morne, vide et solitaire.

Elle : - Mais c’est terrible !

Lui : -.Oui ! En disant que j’étais désolé j’exprimais à la fois mes regrets et ma compassion.

Elle : - Et tout ça en deux mots ? Vous au moins quand vous parlez c’est… consistant !

Lui : - Vous voulez dire concis ?

Elle : - Les deux ! Et ça vous est venu comment ?

Lui : - Ce sens de l’empathie ? … Je veux dire cette aptitude à comprendre le ressenti de

l’autre ?

Elle : - Non, ça je m’en doute.

Lui : - Ah bon ?

Elle : - Oui, après votre dépression vous avez dû écumer tous les stages de développement

personnel de la région.

Lui : - En fait…

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Elle : - Je me trompe ?

Lui : - Pour être tout à fait exact…

Elle : - Je le savais.

Lui : - Attendez !

Elle : - Mais ça n’a aucune importance.

Lui : - Il faut quand même que je vous explique pour ma dépression.

Elle : - C’est pas la peine.

Lui : - Mais j’y tiens!

Elle : - Non, ce qui m’intéresse c’est de savoir ce qui vous a fait penser qu’en venant sur ce

banc j’espérais faire une rencontre.

Lui : - Excusez-moi. J’aurais mieux fait de me taire.

Elle : - Mais ne vous excusez pas. Au contraire, ça m’intéresse.

Lui : - Vraiment ?

Elle : - Oui ! Je vous assure.

Lui : - Vous vous intéressez à ce que je pense ?

Elle : - Oui !

Lui : - Mais nous ne nous connaissons pas. J’ai parlé de votre désir de rencontre pour faire

l’intéressant et…

Elle : - Et ça l’était… intéressant, ça l’était…

Lui : - Vous trouvez ?

Elle : - Oui. Parce que c’est vrai.

Lui : - Vous voulez vraiment rencontrer quelqu’un ?

Elle : - Oui.

Lui : - Ça alors !

Elle : - Oui hein ? Ça vous la coupe.

Lui : - Un peu.

Elle : - C’est parce que vous avez pas l’habitude.

Lui : - Des femmes ? Ce serait malheureux, à mon âge !

Elle : - Des femmes qui s’assument.

Lui : - Et vous …, vous vous assumez souvent ?