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COLLOQUE INTERNATIONAL Les instruments d’action publique mis en discussion théorique 6 au 8 janvier 2011, Sciences Po Organisation : Charlotte Halpern (IEP Grenoble / Pacte, FNSP) Pierre Lascoumes (Sciences Po / CEE, CNRS), Patrick Le Galès (Sciences Po / CEE, CNRS) Atelier 1 – Gouverner par les nombres et les techniques Vendredi 7 janvier, 14h-19h Sciences Po, Salle Goguel, 56 rue des Saints Pères, 75007 Paris L’instrument cartographique entre usages bureaucratiques et effets propres Une analyse ethnographique de la fabrique de la carte scolaire en France Lorenzo Barrault Doctorant à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne / CESSP-CRPS abstract Contact mail : [email protected] Projet rEr (Réseau État Recomposé) de l'axe prioritaire Les recompositions de l’Etat, de l’action publique et des modes de gouvernance

BARRAULT-Les Instruments d’Action Publique Mis en Discussion Théorique

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L’approche par les instruments permet ainsi de saisir les dynamiques qu’ils imposent aux acteurs de l’action publique. Cette étude souligne alors la compatibilité des analyses en termes d’instruments avec des enquêtes ethnographiques, l’importance des usages (à la fois techniques et politiques) de la cartographie par les agents publics, et certaines des caractéristiques intrinsèques de l’instrument qui, au-delà du volontarisme politique, limitent les possibilités de transformation de l’action publique.

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COLLOQUE INTERNATIONAL

Les instruments d’action publique mis en discussion théorique

6 au 8 janvier 2011, Sciences Po

Organisation : Charlotte Halpern (IEP Grenoble / Pacte, FNSP)Pierre Lascoumes (Sciences Po / CEE, CNRS), Patrick Le Galès (Sciences Po / CEE, CNRS)

Atelier 1 – Gouverner par les nombres et les techniques

Vendredi 7 janvier, 14h-19h

Sciences Po, Salle Goguel, 56 rue des Saints Pères, 75007 Paris

L’instrument cartographique entre usages bureaucratiques et effets propres

Une analyse ethnographique de la fabrique de la carte scolaire en France

Lorenzo Barrault

Doctorant à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne / CESSP-CRPS

abstract

Contact mail : [email protected]

Projet rEr (Réseau État Recomposé) de l'axe prioritaire Les recompositions de l’Etat, de l’action publique et des modes de gouvernance

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Un des intérêts de l’approche en termes d’instruments renvoie à la pluralité potentielle de ses niveaux d’analyses1. Cette communication propose alors d’étudier un instrument classique de la sociologie de l’action publique - la cartographie2 - à travers une analyse ethnographique permettant de se situer au plus près des pratiques des acteurs institutionnels3. La « carte scolaire »4 en France offre un point d’entrée empirique original car, si cette politique est souvent abordée du point de vue des familles, ses modalités de fabrication sont rarement questionnées5. Il s’agit alors de penser l’activité de régulation de l’accès à l’institution scolaire sous l’angle de son instrumentation afin d’en restituer les dynamiques techniques et politiques. D’un point de vue théorique, la fabrique de la carte scolaire6 permet de questionner à la fois les marges de manœuvre des acteurs de l’action publique dans leurs usages des cartes et leurs limites liées aux effets propres de l’instrument. L’enquête7 porte sur ce que les acteurs font à la carte (notamment dans leur activité de production de la sectorisation) tout autant que ce que la carte fait aux acteurs (effets d’inertie, force d’action propre, contraintes inhérentes à l’instrument).

Historiquement conçu comme un outil d’aménagement du territoire à la charge de l’Etat, le pouvoir de définition des secteurs scolaires des collèges appartient aux départements depuis la loi de décentralisation de 2004. Alors que la fabrique de la carte est considérée au niveau politique central comme une compétence technique, certains Conseils Généraux ont politisé l’instrument au niveau local de manière inattendue (à travers des discours invoquant la

1 Voir par exemple les différentes contributions de l’ouvrage Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.

2 Voir par exemple le numéro 68 de la revue Genèses en 2007 « Gouverner par les cartes », et Philippe Zittoun, « La carte parisienne du bruit. La fabrique d’un nouvel énoncé de politique publique », Politix, n°78, 2007, p.157-178.

3 Sur les intérêts, les limites et les possibilités de généralisation de ce type d’enquête localisée, voir notamment Vincent Dubois, « Towards a critical policy ethnography: lessons from fieldwork on welfare control in France », Critical Policy Studies, vol. 3, n°2, 2009, p.221-239.

4 Le terme de carte scolaire renvoie ici à l’un des deux aspects de cette politique, soit à la carte déterminant la sectorisation des élèves. L’autre dimension relative à la répartition des moyens et des personnels de l’éducation nationale est laissée de côté dans l’analyse.

5 Pour un bilan de la littérature sur le sujet : Agnès Van Zanten, Jean Pierre Obin, La carte scolaire, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2008. En France, le secteur éducatif est rarement questionné par les analyses de politiques publiques.

6 Si la généralisation des dérogations - autre instrument d’action publique - en 2007 se présente comme un indicateur de changement, elle ne remet pas en cause la carte scolaire mais s’y superpose plutôt. Voir Lorenzo Barrault, « Une politique auto-subversive : l’attribution des dérogations scolaires », Sociétés contemporaines, n°82, à paraitre en juin 2011.

7 Menée entre 2006 et 2010 dans le cadre d’une thèse en cours de finition, l’analyse est localisée principalement dans trois départements français à dominante urbaine et basée sur la complémentarité d’observations dans les institutions (service sectorisation des Conseils Généraux), dans des réunions institutionnelles (de travail, CDEN, etc.), et dans des réunions publiques de concertation avec les familles (« Comités de Concertation Locale »), d’entretiens répétés avec des acteurs institutionnels diversifiés (département, communes, chefs d’établissements, Inspection Académique) et des parents (représentants associatifs notamment), des archives institutionnelles courantes (2005-2010, notamment du Conseil Général) et divers documents publics (débats parlementaires, presse, textes juridiques, etc.). En 2009-2010, l’ensemble du processus de révision de la sectorisation des collèges de différentes communes d’un département a été observé intensivement en situation. Un questionnaire en ligne est également en cours de passation et a été diffusé auprès des 102 départements français afin d’interroger d’un point de vue plus quantitatif leurs usages de l’instrument cartographique à travers leurs activités de définition des secteurs scolaires. Ces sources diversifiées permettent d’analyser à la fois le contenu des cartes et les pratiques des acteurs en ayant la charge. Sur l’intérêt d’une analyse interne et externe des cartes : Jean-Pierre Le Bourhis, « Quadriller le territoire. La cartographie au service de l’action publique contre les risques naturels », in Olivier Ihl, Martine Kaluszynski, Gilles Pollet, (dir.), Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, « Etudes Politiques », 2003, p.157-167.

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« mixité » et en mettant en place des dispositifs de concertation) tout en engageant leurs départements dans un processus de professionnalisation par la mise en place de services techniques (recrutement d’experts disposant de compétences statistiques, démographiques et cartographiques). Des négociations avec les Inspections Académiques (IA), les communes et les directeurs d’établissements ont permis de sceller des alliances favorisant l’obtention de données (projections démographiques, effectifs scolaires, etc.) nécessaires au travail technique sur l’instrument cartographique. Après la production d’un projet de carte scolaire relativement abouti, les Conseils Généraux mobilisent les « usagers » à travers des « Comités de Concertation Locale » (CCL) afin de recueillir les points de vue des parents et de rendre acceptable l’intervention publique8. Les parents ne sont néanmoins pas en situation d’infléchir véritablement les projets des acteurs bureaucratiques qui conservent le monopole de l’expertise technique nécessaire à la redéfinition de la carte, éclairant alors les modes de domination induits et équipés par l’instrument. Tout au long du processus, la fabrique de la carte est largement liée à une logique gestionnaire d’optimisation des capacités d’accueil des établissements et l’instrument pèse sur les acteurs à la fois par ses effets d’inertie et par sa naturalisation de la topographie et des contraintes territoriales. Ils doivent ainsi s’adapter à ses dynamiques propres (logiques de territoires, proximité spatiale, etc.). L’enquête montre alors que l’inertie de la cartographie peut pour partie être surmontée par une redéfinition d’origine politique des secteurs scolaires (le volontarisme de certains élus locaux) qui doit cependant combiner avec la force propre de l’instrument limitant les possibilités d’action des agents bureaucratiques9 : d’une part tout n’est pas modifiable dans une carte et les dimensions territoriales comptent largement, d’autre part les aspects techniques de l’instrument obligent à mobiliser d’autres protagonistes (IA, directeurs établissements, etc.) et complexifient ainsi les rapports de pouvoir au sein de la configuration des producteurs de l’action publique. Si l’instrument existe principalement par ses usages, il produit néanmoins certains effets propres qui peuvent contraindre les acteurs et sa transformation est structurellement limitée.

L’approche par les instruments permet ainsi de saisir les dynamiques qu’ils imposent aux acteurs de l’action publique. Cette étude souligne alors la compatibilité des analyses en termes d’instruments avec des enquêtes ethnographiques, l’importance des usages (à la fois techniques et politiques) de la cartographie par les agents publics, et certaines des caractéristiques intrinsèques de l’instrument qui, au-delà du volontarisme politique, limitent les possibilités de transformation de l’action publique.

8 Sur les usages d’instruments participatifs dans le secteur éducatif : Hélène Buisson-Fenet, « Un "usager" insaisissable ? Réflexion sur une modernisation mal ajustée du service public de l'éducation », Education et sociétés, n°14, 2004, p.155-166. Le recours simultané dans le cadre de la même politique à des technologies de gouvernement très diversifiées comme la cartographie, les dérogations ou des dispositifs participatifs permet aussi de questionner les articulations de différents modes de domination liés aux instruments.

9 L’enquête apporte sur ce point une contribution, sous l’angle de l’instrumentation de l’action publique, à l’analyse des rapports de pouvoir entre les acteurs politiques et les agents bureaucratiques au sein d’une même organisation.