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BAVH Octobre-Décembre 1915

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PREMIÈRE PARTIECOMMUNICATIONS FAITES PAR LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ

LA FÊTE DU

AU

RUOC-SAC

DE LA DÉESSE THIÊN-Y-A-NA

TEMPLE HUÊ-NAM-DIÊN

Par H. DÉLÉTIE,

Le bruit des chants et de l’orchestre annamite qui s’était affaibli uninstant nous frappe tout à coup avec plus d’intensité au détour de laroute en corniche et la fête apparaît dans sa magnificence nocturne.Sur l’autre rive du fleuve une flottille de sampans, qu’illuminent deslanternes de papiers peints et de vitres blanches, semble suspendueentre deux rives également irréelles, tant les ombres des bambous etdes bananiers, agrandies par la nuit, se réflètent fidèlement dans leseaux endormies sous la vapeur bleue de la lune. Plus haut et plus bas,rayant les berges sombres qui tranchent sur le ciel transparent, desrangées de lumières, immobiles, encadrent les embarcations transfor-mées en palais flottants. Par un escalier de terre battue aux marchesinégales nous descendons à tâtons la berge broussailleuse au pied delaquelle nous attendent deux paniers. La scène se précise peu à peu, àmesure que nos rameurs silencieux nous rapprochent du bord opposé :des plus gros sampans inondés de lumière, sous des dais de verdure etde guirlandes, des formes rouges et vertes se détachent en dansant, aurythme des flûtes, des timbres et des tambourins ; des ombres curieu-ses passent devant ce foyer de lueurs multicolores que la nuit fait pa-raître fantastiques ; une vapeur d’encens se mêle au clair de lune etnous arrive par bouffées. Nous abordons sans bruit au pied du Ðìnhde Hai-Cat : c’est la fête annuelle du Ruoc-sac (1) de la Déesse Thiên -Y-A-Ra, patronne du village.

(1) Ruoc-sac cérémonie qui consiste à accompagner en procession le brevetdélivré à un Génie par l’Empereur.

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Ses « associés », des femmes pour la plupart, « servantes de la Déesse »,sont venues de Hué, remontant à la rame le « Fleuve des Parfums » dansdes sampans accouplés aménagés en sanctuaires bouddhiques : une sallecarrée dont les parois et le plafond en cai-phen disparaissent sous lespanneaux, les guirlandes et les lanternes, occupe le milieu, l’entrée

béante tournée vers le Ðình. Au fond, sur des autels inondés de la lumière crue des lampes européennes égarées parmi les candélabres

rustiques, des brûle-parfums de cuivre, des fruits de porcelaine, desfleurs de pêcher et des lingots d’argent en papier laissent entrevoir letableau naïf où la Déesse bienfaisante sourit entre ses deux damesd’honneur. Devant, sur des nattes neuves bordées de rouge, dans lecercle étroit de l’orchestre, des « associées » et de leurs servantesaccroupies, une femme en robe, turban et ceinture de soie amarantedanse, au nom des princes et princesses célestes issus directement de la Déesse. Sur le bord de l’autel, un miroir renvoie à l’officiante pos-sédée l’image de ses joues pâles, de ses yeux vagues, de sa gorgeoppressée d’où s’égrènent des perles d’or. Les bras étendus, les mainsrecourbées à angle droit sur les poignets alourdis de bracelets, elledanse, balançant la tête de droite et de gauche, comme sur une tige

trop frèle un pavot trop lourd ; le buste oscillant autour des hanches,les cheveux échappés du turban, elle danse de plus en plus vite, tandis que les chants deviennent plus aïgus, que la flûte accentue sa phrasemonotone et que le gong de bois marque d’un temps plus fort le com-mencement de chaque mesure et la fin de chaque oscillation. Puis, dansun nuage léger d’encens, elle tourne sur elle-même, et tombe sur ledos, les bras étendus en croix : la Déesse vient de quitter le corps de sa« servante » et ses compagnes s’empressent autour d’elle pour laranimer.

Mais la voici à genoux à l’avant du sampan, le front touchant pres-que les planches, le corps raidi, et tendu comme un arc, les reinscambrés, saluant l’autel du Ðình où l’on vient d’amener en grandepompe, sous un parasol, le brevet de la Déesse emprunté à sa pagodeofficielle . . A l’autel du sampan, lentement elle est revenue et, droite,immobile, figée dans le silence que plus rien ne trouble, elle attenddevant le miroir, un voile sur les yeux. Et voici qu’avec la Déesse quireprend possession de sa servante, reprennent les pas et les oscillations,tandis que les « associées » , sans nuire aux mouvements de la danseuse,lui enlèvent son voile, sa ceinture, et sa première robe et la revêtentde soie verte : c’est la danse des Génies célestes de rang inférieur. Ellesaisit alors la pagaie minuscule que lui présente une compagne et ladanse change de caractère : la jambe gauche ployée, la droite tendueen arrière, le corps alternativement penché et redressé au rythme de

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l’orchestre et des invocations, elle imite les mouvements des sam-panières lorsque, appuyant d’un coup sec sur leurs longues rames,elles font glisser en chantant leurs embarcations sur la rivière de Hué.Plus rapide et plus criard, le chant reprend au son de la guitare, dutimbre en cuivre, des deux flûtes et de la conque de bois : « La DéesseThiên-Y-A-Na . . . . . . . . est descendue du ciel parmi nous pour soulagernos misères ; par ses faveurs et par sa grâce, cent familles connaissentle bonheur. . . . . . , . . ». Mais la Déesse permet qu’à sa danseusefidèle se joignent une, puis deux, puis trois autres « associées »; lemiroir scintille de l’éclat des lanternes et des lampes, des perles d’oret des bracelets, renvoie l’image plus vague des robes qui flottent, descheveux qui se dénouent, des yeux qui se troublent ; les notes, lespas, les saccades se précipitent et les trois servantes raidies tombent àla renverse, les bras étendus, pour se ranimer et reprendre leur danseun instant plus tard, après les prosternations rituelles et les prièresmuettes que la Déesse seule entend.

C’est alors la danse des épées, celle des haches, celle des éventailsscintillant d’or et d’argent, et la danse des jossticks et des bougiesallumées qui, dans des gestes d’une grâce unique, frôlent le visage,effleurent les seins, décrivent dans la buée odorante, tout autour ducorps sans cesse agité, des arabesques de feu. Depuis le soir, ellesdansent ainsi à tour de rôle, seules ou par groupes, les « associées »de la Déesse Thiên-Y-A-Na, grandes dames de la ville, marchandes etcourtisanes confondues.

La foule des fidèles et des curieux, dont les embarcations vont seperdre en cercles sombres jusqu’à la rive, se presse autour des sam-pans sacrés où les danses durent depuis le soir. La majesté du décor etla grandeur du silence, qui, des collines ondulées, descend sur le fleuvedont le cours paraît suspendu, n’empêchent ni les rires, ni les lazzi, niles entretiens joyeux. Le thé fumant circule dans les bols et les tassesde porcelaine bleue ; les volutes des cigarettes montent dans la vapeurplus lourde et se fondent dans la lumière de la nuit. A l’avant dessampans, les festins commencent et les rires, qui ne sont point exclusde ces fêtes religieuses, remplacent les notes des flûtes qui se sont tues.Des enfants en habits de fête et couverts de bijoux fixent les lumières,prunelles agrandies, ou, réveillés , se lancent des fleurs arrachées auxguirlandes fanées. Des jeunes femmes moqueuses, cigarettes aux lèvres,interpellent leurs amis ou, plus graves, considèrent les danseuses quise reposent maintenant autour d’un plateau chargé de tasses et defriandises. Comme celles-là déjà vieilles, elles viendront un jour, plustard, beaucoup plus tard, implorer la Déesse dispensatrice de ce présentcéleste : la jeunesse et la beauté. Deux lettrés, aux ongles d’autrefois,

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font dans un coin allusion à la légende de Thiên-Y-A-Na : Thieu-Trivenant en sampan avec toutes ses femmes surveiller les travaux de sontombeau ; la concubine distraite laissant tomber dans l’eau, au tour-nant du fleuve, là où « l’eau est noire à force d’être profonde », lecrachoir d’or ; le désespoir des femmes et l’incrédulité du monarqueà qui l’on conseille d’invoquer la Déesse protectrice du village voisin ;l’invocation railleuse de Thieu-Tri du haut de son sampan et le crachoird’or remontant à la surface et ramené à bord ; l’Empereur promettantsolennellement d’agrandir la pagode de la Déesse et mourant avant deréaliser son voeu. Puis Dong-Khanh encore Prince, anxieux de savoirquand il monterait sur le trône et combien de temps il y resterait; laprophétie de la Déesse lui annonçant la date de son avènement et luiprédisant qu’il mourrait trois ans après ; la reconnaissance émue del'Empereur qui fait rebâtir cette pagode que les Européens incrédules(comme ces deux hommes qui, ce soir, se sont dérangés pour voirdanser des femmes) appellent, on ne sait pourquoi, la « pagode de laSorcière ». L’on ajoute à la légende officielle les mille grâces indivi-duelles accordées par la Déesse à ses nombreux fidèles, particulière-ment aux femmes sans enfants ou qui ont passé l'âge d’être aimées.L’alerte d’un sampan surchargé qui fait eau et menace de couler sousle poids des curieux entassés d’un même côté fait redoubler lesrires : peut-on se noyer le soir du Ruoc-sac de la Déesse Thiên-Y-A-Na au Ðình de Hai-Cat auquel Dong-Khanh décerna le titre de « Templedes Grâces d’Annam », là où le crachoir d’or est remonté à la surface ?

Cependant, les groupes s’éclaircissent ; les nattes disparaissent sousles corps étendus tandis que les bougies se refusent encore à mourir.Deux « associées » de vertu facile qui regagnent leurs bords pour lereste de la nuit nous souhaitent amicalement le bonsoir et nous fontdire peu après par des servantes que leurs sampans pourraient nousabriter jusqu’au matin. Mais à quoi bon gâter par un caprice qui nesaurait être que banal une nuit dont tout le charme fut la lumière, lacouleur et le mystère ? Silencieux nous revenons lentement et à regretpar la route que borde, comme une dentelle légère, l’ombre desaiguilles des pins royaux. Nous n’échangeons point d’impressions :l’infidélité des mots ternirait la clarté de cette vision magique. LeNam-Giao lui-même, endormi au clair de lune dans un silence impres-sionnant, ne peut nous tirer de notre rêverie.

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LE HUE-NAM-DIEN (1)

Sous-Directeur de l’Ecole des Hau-Bo

Extrait historique sur le Hue-Nam-Dien (2) : — A la page 41 dutome II du Dai-Nam nhut thong chí A $j— @ 2; (Géographiehistorique de l’Empire d’Annam) concernant le Thua-Thien g z,il est écrit ceci:

« Le Temple du Génie de la colline « la Coupe en Jade » N g o c - T r a nSon Than-Tu 2 3 fl $11 $l), est situé au village de Hai-Cat #$ I$$ jiijd,dans le territoire du huyen de Huong-Tra @ 3 && sur le flanc de lacolline Ngoc-Tran 3 3 (Coupe en Jade).

« Il était appelé autrefois Temple de Hàm-Long & @j ?j$J (Dragonqui tient quelque chose dans sa gueule), et étai1 réputé commeextrêmement puissant. Il était dédié au culte de « Thiên-Y-A-Na-Dien-Phi-Chua-Ngoc » x E \6j $jfi $” & =& 3, ce qui peut se traduireainsi : « A-na, appui du Ciel, Reine propagatrice, Déesse-Jade », et auculte du Génie Thuy-Long 7JI’ @ « Dragon des Eaux ».

« En raison de la célébrité et de la puissance de la Déesse, Minh-Mang fin a, en la 3e année de son règne (1832), fit agrandir l’édificedevant lequel se trouve un abime profond, que l’on dit insondable, etqui, suivant la légende, serait la fosse ou la demeure des Espritsdirigeant les eaux. On y voit parfois une tortue colossale, de la dimen-sion d’une natte à coucher, qui, quand elle flotte sur l’eau noire del’endroit, donne naissance à un remous formidable que les croyantsappellent l’œuvre des envoyés de Hà-Bá $j {fi ou « Comte des Eaux ».Le nom de Ngoc-Tran-Tu « Temple de la Coupe en Jade », fut changéen la 1re année de Dong-Khanh jj?J &j$ (1886), par ordre de cet Empereur,en celui de Hue-Nam-Dien ou « Temple de la Bienfaitrice de l’Annam ».

(1) Communication lue à la réunion du 29 septembre 1915.(2) Vulgairement appelé Dien-Hon-Chen « Temple du Mont de la Coupe », et

connu par les Européens sous le nom de « Pagode de la Sorcière ».

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« Dong-Khanh quand il n’était que Prince royal, aimait à aller sedistraire sur cette colline ; il s’arrêtait quelquefois à la pagode pouradresser à la Déesse des prières qui furent toutes exaucées. A sonavènement, Sa Majesté écrivit ceci : « Le lieu de culte de la Coupe en« Jade est un site réellement beau, un paysage perpétuellement« agréable. Le site où logeait la Déesse sur sa colline toute puissante« évoque, à première vue, la forme d’un lion buvant dans une rivière.« C’est bien là la demeure des Génies et des Immortels. Ils sont tout« puissants et utiles à l’homme, ils protègent le royaume, ils donnent« du réconfort au peuple, ils leur octroient tous les bonheurs. Je déci-« de donc le changement du nom de cet édifice en celui de Hue-Nam-« Dien « Temple de la Bienfaitrice de l’Annam », pour leur témoigner« faiblement la dette de reconnaissance de l’Etat. Je charge, en outre,« le Ministère des Travaux Publics de faire confectionner avec respect« un tableau où seront gravés les trois mots « Hue-Nam-Dien », avec« la mention « par ordre royal » et la date ».

« Durant le 6e et le 7e mois de cette année (1886), il y eut, dans laprovince de Thua-Thien une grande sécheresse. Dong-Khanh ordonnaalors aux autorités provinciales de faire lire des prières respectueusesdans tous les autres temples, dans le but d’obtenir de la pluie ; maisnulle part les prières ne furent exaucées. Quand on vint faire desprières au Temple de Hue-Nam-Dien le matin, on obtint, le soir, de lapluie. A la suite de ce fait, le Génie fut reconnu comme réellementcélèbre, puissant et protecteur.

« On entretient au Temple, à l’étage supérieur, le culte de troisdivinités, dont la principale est la Déesse ; au rez-de-chaussée, celuide six autres divinités, toutes pourvues de brevets royaux qui vantentleur célébrité.

« Dans la pièce du milieu, à l’étage, sont déposés :« lº — Le brevet portant les éloges et les titres suivants : Hoang-

hue Gb g,, Pho-te # @, Linh-ung @ @, Dieu-thong $& 3, Mac-tuong $$$ &, Trang-huy z #$, Ngoc-tran 3 3, Thiên-y x @, A-Nappl#fi, Dien-ngoc-phi @ 3 he, Thuong-dang-than 1: g ip$, ce qui si-gnifie : « Grande Bienfaitrice, secourable à tous, répondant à tous,intelligente et miraculeuse, assistante silencieuse, grave et bonne, de laCoupe en Jade, appui du Ciel, A-Na, Reine célèbre et propagatrice,Génie de la classe supérieure. »

« 2º —Un brevet portant ceci : Tru-linh g @, Chuong-ung@ a, Muc-uyen @ M, H Hoang-bac &f, t$, Uong-nhuan a @j, Thuy-long, 7K /$$, Thánh-phi B @, Trung-dang-than + $$ $e : « Manifes-tement miraculeuse, répondant élégamment, profondément affable,amplement grande, calme et onctueuse, Dragon des Eaux, sainte Reine,Génie de la classe moyenne. »

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« 3º — Un autre brevet portant : Dieu-phu fi* q, Quang-do @f B,Linh-chuong $Z, Y-nha B ff$, Anh-bình $$ q, Son-trung fl +,Tiên-phi fm fie, Trung-dang-than : « Miracle étendu, grande libératrice,répondant manifestement, très bonne et convenable, excellente, juste,Reine immortelle de la Forêt, Génie de la classe moyenne,

« La pièce de gauche sert pour le culte de Quan-Thanh-De-Quan&I g @ z, Génie à face rouge que l’on voit communément dans lespagodes de Quan-Thánh.

« La pièce de droite est affectée au culte de Luc-Tuong-Quan 9, @ Flou les six Maréchaux qui sont :

« 1º Le Tien-cung-thong-minh-thuong-tuong-quan-ton-than1l4 78 a!! m -Il 8 g s$ ii& « Palais des immortels, intelligent,lumineux, très grand Maréchal, Génie respecté ».

« 2º Le Tien-cung-linh-minh-dai-tuong-quan-ton-than fm $$ @F!! A 83 s $$ iii$, « Palais des immortels, répondant, lumineux,Grand Maréchal, Génie respecté ».

« 3º Le Thuy-tinh-luc-dong-tuong-quan-ton-than 7p( & fi g#$Z/Z @ $$, « Clarté des Eaux, fort, brave, Maréchal, Génie respecté ».

« 4º Le Thuy-tinh-oai-dong-tuong-quan-ton-than 7f( & J& gfi l$ @ $t), « Clarté des Eaux, majestueux, brave, Maréchal, Génierespecté ».

« 5º Le Son-tin-qua-dong-tuong-quan-ton-than m # E @ # !$

@ H, « Pureté des montagnes, réellement brave, Maréchal, Génierespecté ».

« 6º Le Son-tin-vo-dong-tuong-quan-ton-than \111 s g g fi +@ iirltr* « Pureté des montagnes, vaillant, brave, Maréchal, Génierespecté. » Tous les Brevets sont munis, en outre, des mots « Duc-bao Trung-hung » a {g Ct-J & qui veulent dire « Tuteur et Protecteur,Réorganisateur et Restaurateur de l’Empire ».

Note personnelle. — En ce qui concerne les Génies dont on entre-tient le culte à l’étage supérieur, seul le Quan-Thanh-De-Quan a étédéplacé lors de la restauration du temple par Dong-Khanh en 18861887, et mis dans une pagode coustruite à part et sur le côté droitdu temple. Les six Maréchaux cités ci-dessus ont été replacés à ladroite des trois Déesses appelées par ceux qui fréquentent le temple« les Saintes Mères ». A leur gauche, se trouvent actuellement deuxautres Déesses : appelées Nhi-Vi-Duc-Ba = {fi @fie: « les deux AugustesDames ». Il y a donc erreur ou omission de la part des écrivains duD a i - N a m n h u t thong chí qui n’ont point parlé de la restauration oude la grande transformation de la pagode en temple, dirigé par Dong-Khánh lui-même, en même temps qu’il construisit son tombeau à

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Thiên-Thành x &, presque en face. Dong-Khanh était le servant leplus-fidèle de la Déesse Thanh-Mau-Chua-Ngoc l?$ -& z 3 o u« Sainte-Mère, Reine-Jade ». Il a composé et signé de sa main tousles poèmes, les sentences, les parallèles exposés en ce lieu en l’hon-neur de la Déesse.

Ce fut cet Empereur qui rendit public le culte de la Déesse et quiordonna que deux fois par an, au printemps et en automne, une céré-monie de culte, présidée par un Délégué de la Cour, soit faite enl’honneur de la Divinité.

Cette cérémonie officielle se fait depuis quelques années une seulefois par an, au 2e mois, tandis que celle du 7e mois est accomplie engrande pompe, par le village local de Hai-Cat qui est le possesseur duGénie et de l’ancienne pagode.

Dans tous les villages annamites, on célèbre deux fois par an unservice cultuel en l’honneur des Génies tutélaires du village. Cette céré-monie est appelée Ky-Yen @I e ou « Prière pour la paix ». Elle se faittoujours au Ðình. La veille, on va chercher en procession dans tous leslieux de culte appartenant au village les Génies représentés soit par lesBrevets royaux, contenus dans les coffrets laqués de rouge et d’or, oupar des tablettes de même couleur, ou simplement par des brûle-parfums contenant des baguettes parfumées. Cette opération est appe-lée « Nghinh-Than » a $ré ou la « Réception du Génie ». On les réunitsur des autels ardents préparés au Hiuh, pendant toute une nuit, et onleur rend deux fois les honneurs.

La première cérémonie, appelée Tuc-Yet jZ& $g ou « Présentationrespectueuse », consiste à informer les Génies de celle qui va suivre et,avec leur permission, on abat séance tenante les trois victimes (buffleou boeuf, chèvre et porc) du sacrifice rituel.

La deuxième, qui est appelée Chanh-Te E g, « Vrai Sacrifice ouSacrifice solennel », consiste à présenter aux Génies les victimes pré-parées, du xôi (riz gluant cuit) et de l’alcool. Cette cérémonie se faittoujours le lendemain entre la deuxième et la sixième heure, et elleest, peu après, suivie du Tong-Than ;i2 #J, c’est-à-dire des « Adieuxaux Génies » que l’on accompagne jusqu’à leur demeure.

La fête qui s’est passée à la Pagode de la Sorcière dans la nuit dusamedi 28 août dernier n’était que le Nghinh-Than « Réception duGénie », auquel procéda le village de H a i - C a t aux habitants duquel vint se mêler une grande foule de servantes ou d’adorateurs de la Déessequi, par groupes divers, se sont cotisés pour préparer des bang #Jj ou« tentes flottantes », afin de former une brillante escorte pour accom-pagner la Déesse jusqu’à son village. Sur un de ces bang on installeun autel ardent destiné à recevoir, pendant le trajet de la pagode au

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Ðình, le palanquin brodé portant le coffret contenant le brevet de laDéesse. Un autre bang reçoit le dais sous lequel se trouve le coffretqui renferme les deux brevets des Déesses adjointes. D’autres bangtransportent des objets de culte, des ornements religieux, etc... Lepalanquin brodé réservé à la personne de la Déesse est porté spécia-lement et avec un soin jaloux par des femmes habillées de vêtementsde couleur et elles sont entourées par d’autres femmes, habillées demême, qui portent des brûle-parfums, des services à bétel, à thé, descoffrets, des crachoirs, des chasse-mouches, des éventails, des coussins,des drapeaux, des parasols brodés, etc., tandis que des jeunes gens,bien vêtus, portent des sabres en bois dorés ou d’autres objets de culte.

Arrivées au Ðình de Hai-Cat une fois que la cérémonie de Tuc-Yetest terminée, les servantes associées font faire des danses entrecoupéesde chants à la louange et en l’honneur de la Déesse durant toute la nuit,jusqu’à son retour au temple qui a lieu avec le même apparat que celuique comporte un cortège royal.

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LE KHANH DE LA-CHU (1)

Par R. ORBAND,

Administrateur des Services Civils.

Nous nous entretenions récemment, Son Excellence le Ministre del’Instruction Publique, quelques autres personnalités indigènes et moi,des découvertes effectuées par les Amis du Vieux Hue, au village deGiam-Bieu grâce à une communication faite, en séance, par l’un desnôtres qu’intéresse tout ce qui touche à l’art, en particulier à l’artancien, M. E. Gras. Nous nous réjouissions ensemble de ce que la joliestatue chame qui orne aujourd‘hui l’entrée du Tan-Tho-Vien ne soitpas demeurée au fond de l’eau, d’où le hasard, qui, souvent, fait bienles choses, nous l’a fait repêcher. N’apprécie-t-on pas mieux ce que l’ona risqué de perdre ?

« Au fait, me dit tout à coup Son Excellence, le hasard veut encoreaujourd’hui que j’aie aussi un caillou à vous signaler, à vous donner,pour le Musée Et ce n’est pa s non plus un caillou ordinaire ; il a laforme d’un khánh et porte une inscription qu’y fit graver le Chúa, ily a environ deux cents ans ».

Dès lors, le khánh m’intéressait et je demandais à Son Excellence deme communiquer sur cette pierre tous les renseignements qu’il pour-rait se procurer. Le Ministre me fit aussitôt parvenir une notice qu’avecl’aide toujours si bienveillante de M. le Père Cadière et le concours deM. Lê-Bá-Nghi, Secrétaire des Résidences, je pus exactement traduire.

Ce khánh, que remirent au Gouvernement les notables du village deLa-Chu ,@ #z$ (huycn de Huong-Tra @ I$ s, province de Thua-Thiên g x), porte, gravés dans le haut, deux images de dragon àcinq griffes, les caractères H z @ s Quoc Chu ngu tho ct Ecritpar le Roi (Seigneur) » et un sceau dont les caractères : Quoc Chu fingu bút chi b u u signifient « Sceau des inscriptions royales (ouimpériales) du Seigneur du Royaume »

(1) Communication lue à la réunion du 27 novembre 1915.

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Puis vient l’inscription : « Le 17e jour de la 3e lune de l’an mau t u a t(17 avril 1718, sous Minh-Vuong (1), le mandarin Trinh-Phuoc-Trimarquis de Vinh-Khanh occupant la fonction de Cai-Bo (Directeur duBureau des Finances), réparant la pagode Trung-Giang (2), trouva,dans le fleuve qui passe devant, une pierre qui lui sembla extraordinai-re par la beauté de sa couleur, comparable à celle du jade rouge foncé,et aussi en raison du son métallique qu’elle rendait (3). Il la présentaaussitôt au Seigneur (à Minh-Vuong qui la trouva superbe, déclaraqu’elle annonçait un heureux présage, et la fit tailler en « khánh àforme de nuage » (vân khánh 2 g). Il composa ensuite une poésiequ’il fit graver sur ce khánh, afin que fut conservé à jamais, pourl’Etat, cet objet qui, par l’intérêt qu’il présente, vaut ce que valaient,pour le royaume des S o (4), les serviteurs honnêtes. » Cette poésie est la suivante :

« Les pierres merveilleuses proviennent d’ordinaire de grandes etbelles sources ; les jades, au contraire, viennent de hautes montagnes.D'où provient cette pierre-ci ? Quoi qu’il en soit, elle se trouvait, lorsde sa découverte, dans le lit de la rivière nus eaux limpides. Le faitest rare de trouver une pierre de cette sorte, offrant cinq couleurschatoyantes (5) et résonnant comme le métal. Taillée en forme de vân-khánh (gong en forme de nuage), elle compte maintenant parmi leshuit instruments d’harmonie (bát-âm), et je décide d’en faire cadeauà une vieille pagode, pour qu’elle répande le bonheur aux générationsfutures (6).

« Gravé le 3e jour de la 10e lune de l’an 5 de Bao- Thái, année giáp-thìn » (soit le 18 novembre 1724)»

(1) M i n h - V u o n g flfl 5, fils de X Ngai-Vuong 2% s, naquit le 11 juin 1675, futroi de 1691 au ler juin 1725, date de sa mort ; reçut le titre posthume de Hien-Ton-Hieu-Minh-Hoang-De ,@& $$ s fia $$ $@.

(2) C’est la pagode du village de Truong-Giang & &‘, autrefois Trung-Giang?$$ 71, c a n t o n d e Da-Hoa-Thuong % ?F 1 , huyen d e Dien-Phuoc @ $R, phude Bien-Ban g $& province de Quang-Nam @ m.

(3) Voir la note de M. Rigaux, ci-dessous.(4) Dynastie des Sir @ , en chinois Tcheou, 770 à 481 avant J .-C.. C’est sous les

S o que vécut Confucius (vers 551 à 475).(5) Je n’ai point observé cinq couleurs à cette pierre, mais les deux morceaux

du khánh qui subsistent ont des teintes différentes. Peut-être le morceau quimanque était-il de trois autres couleurs ? Voir la note de M. Rigaux.

(6) Les khánh en pierre sont en usage chez le Roi et dans les temples bouddhi-ques et taoïques. Les décorations annamites kim-khánh (or) et ngoc-khanh (jade)tirent leur nom et leur forme de cet instrument sonore, par allusion au bruit querépandent dans le monde les talents et la bonne renommée.

(Voir cái khánh dans Chrestomathie annamite, par Edmond Nordemann).

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Cette inscription est complétée par deux petits sceaux, l’un rond,l’autre carré, qu’a exactement reproduits notre collaborateur M. Tôn-That Sa, au bas de l’une des planches qu’il a bien voulu établir pouréclaircir cette étude.

« Ce khánh, brisé, jeté ou caché — dit la note du Ministre — lorsde quelque révolution, Tay-Son ou invasion tonkinoise, ou à une au- tre époque, puis enterré, fut retrouvé, racontent les gens de La-Chuqui tiennent le renseignement de la bouche des vieillards, en la 2e an-née de Gia-Long (1803), le 5e mois, alors que des ouvriers creusaient uncanal devant la cour de la maison communale. Ils ajoutent que lekhánh se trouvait à trois mètres de profondeur et, enfin, qu’il fut pla-cé, par le village, dans une pagode. »

Cette tradition, racontée par les habitants de La-Chu mais qu’au-cun document ne prouve, ne doit être admise que sous bénéfice d’in-ventaire. Elle pourrait n’être simplement qu’une déformation de lavraie histoire de la pierre qui, n’étant pas encore khánh, fut bien trou-vée sous terre, non sous Gia-Long en 1803, mais bien sous Minh-V u o n g, en 1718.

En déchiffrant l’inscription que rédigea le Chúa, on a vu qu’il avaitdécidé de faire cadeau du khánh à une vieille pagode. Il n’est malheu-reusement pas dit à quelle pagode. Peut-être s’agit-il de ce templecélèbre de La-Chu qui fut préservé de la destruction, lors de l’invasionTay-Son parce que, assure-t-on, la Ba-Thieu-Pho j$ )I/ f$$ (1),intrépide guerrière, femme du mandarin Tay-Son Tran-Quang-Dieup& x @, était originaire de ce village. Dans ce cas, il est possible que,pris de peur, les habitants de La-Chu aient tenu à se débarrasserdu kh5nh avant l’arrivée des ennemis du descendant de Minh-Vuonget qu’ils l’aient enterré profondément , à l’endroit où il fut retrouvépeu de temps après le triomple de Nguyen-Anh devenu EmpereurGia-Long.

Notre collègue M. Rigaux, Ingénieur chimiste, a bien voulu mecommuniquer la note suivante au sujet de la composition chimique dela pierre, et de quelques particularités extérieures que signale l’ins-cription :

« La pierre trouvée à La-Chu taillée en forme de khánh, peut, parsa composition, se classer dans le groupe des carbonates anhydres,sous le nom de calcite (ca co 3) qui se trouve associée à des minérauxtrès divers dont les principaux sont : dolomite, quartz, barytine,

(1) Cette femme dont le courage est légendaire est connue dans l’histoire sousle nom de Bui-Thi-Xuan $@ fi 3.

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colophanite, etc… Elle se trouve en gisements dans les roches érup-tives de la même famille que les granits, les gneiss, les cipolins, etc…abondamment dans les gîtes calaminaires de Lang-Hit, Thanh-Moi,Quan-Son (au Tonkin). On la trouve aussi très intimement associée àla magnésie, la silice, au phosphore et quelquefois mélangée à desmatières hydrocarburées.

« La structure est généralement schistoïde présentant souvent desfeuilles semblables à celles du phyllade tégulaire (comme l’ardoisepar exemple).

« La calcite est cohérente. Ses couleurs distinctives sont le bleuâtre,le grisâtre, le rougeâtre, le verdâtre et le blanchâtre, souvent unieset quelquefois veinées et tachetées de blanc.

« Il se peut donc parfaitement que le khánh, brisé sur deux côtés,ait présenté les cinq couleurs dont il est question dans la poésie deMinh-Vuong Je pense que la teinte comparable au « jade rouge »devait se trouver sur la partie disparue dans laquelle le carbonate defer était en teneur assez élevée.

« Ce khánh présente apparemment deux couleurs : gris bleu et jau-nâtre, mais trois en réalité : à ces deus teintes il faut ajouter le blan-châtre, qui n’est plus nettement visible et dont la disparition fictive estdue à son séjour prolongé dans l’eau ou aux phénomènes atmosphé-riques. Ces phénomènes, sans modifier la composition du minéral enont dilué les teintes, du moins extérieurement et sous une minceépaisseur. Quant à sa résonnance, elle est le corollaire de la composi-tion de ce minéral ».

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LE SACRIFICE AU DRAPEAU DAO (1)

Thi-Lang du Ministère de l’Intérieur,

Secrétaire Général du Conseil de Régence.

Le royaume d’Annam fut pendant très longtemps sous la domina-tion de l’empire de Chine dont il était en quelque sorte le vassal.

La littérature chinoise fut importée vers l’an 192 av. J.-C. par Sy-Nhiep -t: @j ou Sy-Vuong -J s (Prince S y (2). Elle nous a enseignéles rites chinois et nous avons primitivement adopté les mœurs dupays du Milieu. Ces mœurs se modifièrent peu à peu. Ainsi, certainesfêtes, célébrées par les fidèles en l’honneur des Génies tutélairesnotamment, subirent des modifications an hasard des circonstances.

Les annales de la dynastie des Minh fllj enregistrent les renseigne-ments relatifs aux sacrifices au drapeau Dao 37 (3).

En la première année de Hong - V o & & (1368), un mandarin desrites dit à l’Empereur de Chine : « Il faudrait assurer les sacrifices audrapeau Ðao, avant de conduire les armées en guerre ». Cette propo-sition ayant été accueillie, l’ordre fut donné de construire un temple,dans toutes les provinces, derrière le Palais du Do-Doc $j# g R(Général commandant la place de la Citadelle). Dans ce temple furentinstallées des tablettes de culte en l’honneur de :

1º Quân nha chi than !$ g. 2 $$ « Génie protecteur des affairesmilitaires ».

2 º Luc dao chi than fi ~2; 2 $1I « Génies des six drapeaux Dao ».Tous les ans les sacrifices au drapeau furent célébrés à la capitale,

au delà de la porte de T h u a - T h i e n ?$‘Y x (4), les mêmes jours que lesfêtes de Huong 8 (5) au Thai- Mieu k /fi (6).

(1) Communication lue à la réunion du 29 septembre 1915.(2) Renseignements tirés du Kham-dinh- Viet-su-tien-bien $$ z $& !j& fj$ @,

2e livre.(3) Dao $j. C’est le drapeau emblème du Généralissime. Le Généralissime peut

être le Souverain lui-même.(4) Thua-Thien s x. Nom de la province où est la résidence royale.(5) Voir Bulletin nº 4 des Amis du Vieux-Hué, octobre-décembre 1914 - p, 296.

Cérémonies rituelles : Le-ngu-huong par M. Sogny.(6) Thai-Mieu Grand temple destiné au culte des ancêtres de l’Empereur.

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Plus tard, en la 9e année du dit règne de Hong-Vo (1376), untemple (1), spécialement réservé au culte du Génie du drapeau D a ofut construit à gauche de l’esplanade Son-Xuyen-Dan & )JI ;1$&consacrée aux montagnes et aux fleuves. Vers le Trong-Thu @ H(mi-automne), le Ky-Thu-Ve E $ s, « Régiment des soldatsporteurs de drapeaux », reçut l’ordre de célébrer cette fête.

A cet effet, une esplanade fut élevée, face au Sud, pour le culte des7 Génies (2).

1º Ky- Dau-Dai-Tuong ;2º Luc-Dao-Dai-Tuong ;3º Ngu-Phuong-Ky-Than ;4º Chua-Te-Chien-Thuyen-Chanh-Than ;5 º Kim, C o Giác, Súng, Bac-Ch-Thanh ;6 º Cung, No Phi-Thuong Phi-Thach Chi-Than ;7 º Tran-Tien Tran-Hau Ky-Than Ngu-Xuong Dang-Chung

Sous la dynastie des Minh, lorsqu’un Généralissime t u o n g jffjrecevait l’ordre de conduire ses armées en guerre, on procédait à lacérémonie d’annonce de départ au Thai-Mieu Les sacrifices étaientsolennellement offerts au drapeau avant de mettre les troupes enmarche.

Comme je l’ai dit plus haut, les Annamites empruntèrent aux riteschinois l’usage des sacrifices à leur drapeau.

Depuis le règne de Gia-Long jusqu’aux premières années de Minh-Mang (1802 à 1829), le pays d’Annam fut continuellement en lutteavec les Tay-Son m l-4 ou avec d’autres rebelles, aussi les sacrificesau drapeau se faisaient-ils chaque fois qu’une troupe était envoyéepour combattre les rebelles, c’est-à-dire que les sacrifices pouvaientavoir lieu plusieurs fois dans l’année.

En 1829, 1 0e année de Minh-Mang alors que le royaume étaitpresque entièrement pacifié, Sa Majesté ordonna ce qui suit :

« La fête célébrée jusqu’ici au commencement du printemps, sous« le nom de Xuat-Binh tf: ,&, c Sortie des armées », s’appellera désor-« mais Le-Ky-Dao g $2 s, « Sacrifice au drapeau Dao ». A l’avenir,« vers le 11e mois de chaque année, le Service de l’Observatoire« Kham-Thien-Giam $t x g) prendra soin de choisir un jour faste« quyen-cat q s) du premier mois de l’année, pour les sacrifices« au drapeau Dao ».

(1) Avant cette construction, on faisait le culte du drapeau Dao avec d’autresGénies dans un même temple.

(2) Voir plus loin la traduction des titres de ces Génies.

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L’année suivante, 1830, ce jour faste fut fixé au 7 du 1er mois. LeMinistère des Rites présenta alors un rapport au Trône, en vue de ladésignation d’un grand mandarin militaire du 1er degré Vo-Ban nhut-pham dai-than 8 $.J& - p”p k B), comme officiant sung-chanh-hien3 5~ J#O, et deux mandarins du 2e degré, comme co-officiantsphan-hien fi @).

La veille de la fête, les Huu-Ti a 3, « Préparateurs», faisaientinstaller, à proximité de la citadelle, côté Sud (Kinh-thành nam quáchngoai s $& j+j Z$R $+), une esplanade sur laquelle trois autels étaientdisposés.

L’autel principal est destiné au culte de Ky-Dao chi bai-vi $& $& 2p+ {$ «Tablette pour le drapeau Dao ».

L’autel de gauche est destiné au culte de trois tablettes :1º Ky-Dau-Dai-Tuong @ @i 3~ f%, « Grand chef en tête du dra-

peau ».2º Luc-Dao-Dai-Tuong % $& A J$, « Grands chefs des six dra-

peaux lIao » ;3º Ngu-Phu-Ky-Than 3 fi @ #, « Génies des drapeaux des

cinq points cardinaux (1) ».

L’autel de droite est destiné au culte de quatre tablettes :1º Chu-Te-Chien-Thuyen-Chanh-Than =& ?$Z !$Q AF; E iir$, « Génie

principal protecteur des vaisseaux de guerre » ;2º Kim, C o Giác, Súng, Bac-Chi-Than & $3 fi $3 @$z ;tS $r$,

« Génies des cymbales, tambours, cors, fusils, canons) ;3º Cung, N o Phi-Thuong Phi-Thach-Chi-Than s @ B @ j@$ 6

2 $$, « Génies des arcs, arbalettes, lanceurs de flèches et de pierres »;4º Tran-Tien Tran-Hau Ky-Than Ngu-Xuong-Dang-Chung @ Ti;i

ji. @ @ $11 & & F B, « Génies, fantômes et rîmes errantes descinq catégories, provenant des batailles d’avant et d’arrière ».

Les trois autels font face au Sud.Les sacrifices à offrir sont les trois victimes (tam sanh 2 &, buf-

fle ou bœuf, porc et chèvre).

(1) Les cinq points cardinaux sont les 4 points cardinaux plus le centre. Chaquepoint est gouverné par un Roi qui a sa couleur spéciale. Voici ces diverses cou-leurs :

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Le Ministère de la Guerre prend des dispositions pour former unpiquet d’honneur de trois cents soldats, porteurs des armes en boisl o bo & @) et de drapeaux. Dix éléphants avec leur harnachementdoré, conduits par leurs cornacs, sont également désignés pour fairepartie du cortège officiel.

Enfin, trois grands canons sont transportés sur l’emplacement del’esplanade ( 1).

A l’heure de la cérémonie (heure tí F, minuit), les mandarins offi-ciants, vêtus de leurs grands costumes de cour dai-trieu 3~ #J), seprésentent devant l'esplanade, s’agenouillent et se prosternent, auxproclamations des hérauts s’harmonisant avec la musique. Trois liba-tions sont offertes aux Génies dont les titres sont inscrits sur destablettes posées sur les autels. Après la première libation, un mandarindu Ministère des Rites prononce l’invocation chuc-van iti z) rédigéede la manière suivante :

« La. . . . . . année de Minh-Mang par faveur spéciale de Sa« Majesté l’Empereur, moi, N g y e n - V a n . . . . , De-Doc je suis« désigné pour officier à la fête des sacrifices au Génie Ky-Dao

« Oh ! Génie, que votre autorité militaire grandement déployée rendY« d’éminents services au Gouvernement de notre Empire ! Profitant du« commencement du printemps, par ordre de Sa Majesté, je vous offre« des victimes et de l’alcool sacré, en vous priant, Génie, de vouloir« bien les accepter. »

Quand la fête est terminée, trois coups de canon sont tirés.La légende dit que ces coups de canon sont le signe du retour des

diables ma-qui a a) dans leurs demeures habituelles qui, pour laplupart, sont les maisons et les boutiques situées aux environs del’esplanade.

Lorsque le Gouvernement célèbre la fête du sacrifice au drapeau,c’est l’occasion, pour les gens ; de chasser ces diables de chez eux ;voilà pourquoi cette nuit-là, les propriétaires de toutes les maisons dela ville, sur les deux rives du fleuve Huong-Giang disposent des tou-ques, des tamtams, des verges en tiges de mûrier (2).

Au dernier coup de canon, la ville, au milieu de la nuit profondémentcalme, s’éveille en sursaut. Un grand tumulte, causé par le son destamtams, des cloches, des touques, et par des bruits de toutes sortes,

( 1) L’emplacement de l’esplanade était situé sur la rive gauche du fleuve Huong-Giang. C’est sur le terrain réservé aux jeux organisés chaque année pour la fêtenationale, un peu derrière l’emplacement de la Tribune.

(2) Les Annamites racontent que les diables ont grand’peur des verges demûrier et s’enfuient également à l’approche des petits chiens,

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soudainement se fait entendre. On frappe sur les cloisons en bois, surles murs, sur les portes, sur des planches, sur les lits de camp, surn’importe quel objet, avec des bâtons, des rotins, des tiges de mûrier.

Les uns tirent des pétards, les autres fustigent les petits chiens pourleur faire pousser des cris. Enfin, on fait le plus de vacarme possible.

Le Ministère des Rites a pris soin toutefois d’informer au préalableles autorités locales afin de ne pas jeter à l’improviste l’effroi dans lapopulation, par le tir des coups de canon et ces bruits de toute nature.

En la 14e année de Tu-Duc 1861, vu la destruction du bétail parla peste, le Ministère présenta au Trône un rapport demandant l’auto-risation de remplacer les trois victimes par deux porcs, sous réserve,.bien entendu, que l’ancien système serait repris après que l’on auraitreconnu que la reproduction des buffles et des chèvres était redevenueabondante.

Une ordonnance du 6e mois de la 27e année du même règne (1874)prescrivit :

« A l’avenir, on ne pourra se servir des trois victimes pour les sacri-« fices au drapeau que lorsque l’envoi des grandes armées en guerre« exigera au moins la désignation d’un De-Doc Mais, si le Gouverne-« ment n’envoie en opérations que quelques régiments, une simple« petite colonne expéditionnaire, ou des renforts, ou encore quelques« conseillers stratégistes ou tacticiens, la fête d’annonce de départ doit« être simplement célébrée à la résidence des troupes. »

Le 13 du ler mois de la 19e année de Thành-Thái (25 février 1907),le Noi-Cac & sq (Secrétariat royal) présenta au Trône un rapport avecla liste des mandarins militaires susceptibles d’être choisis, en priantSa Majesté l’Empereur d’en désigner un comme Kham-Mang &IX &« Délégué impérial pour offrir le sacrifice. »

Près des caractères flfi 83 @J $$f; ;- $$ t u t e ky dao chi than« accorder l’autorisation de faire la fête du sacrifice au drapeau Dao »,Sa Majesté apostilla pild + $$ tu c h u a n d inh c’est-à-dire « la fête seraajournée ».

Depuis cette époque, le sacrifice au drapeau n’a plus lieu.

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LA PAVILLON DES ÉDITS (1)

Par NGUYEN-VAN-HIEN

Lang-Trung au Ministère des Travaux Publics.

Sur la rive gauche du fleuve Huong-Giang 8 y’, entre la routequi conduit au village de Kim-Long et au temple Thien-Mau (2) et le« Mât du Pavillon Impérial » @ 2$, fut édifié, par ordonnance del’Empereur Gia-Long, en la 18e année de son règne (1819), le Phu- Van-Lau $Z$ x Q$ ou « Pavillon des Edits ».

Cet élégant petit édifice carré est à double toiture. C’est ce que nous appelons, en annamite, une construction à toits superposés. Cestoitures étaient jadis couvertes en tuiles vernissées, de couleur jaune,que l’on a malheureusement remplacées par des tuiles creuses trèsordinaires, lors des dernières réparations du pavillon.

Orienté vers le Sud, conformément aux règles de la géomancie, lePhu-Van-Lau est soutenu par des piliers de bois reposant sur un terre-plein en maçonnerie. Par dessus le premier toit, et en retrait, est unclocheton percé de quatre ouvertures dont deux carrées et deux rondes,se faisant face. Ce clocheton est entouré d’un balcon léger et gracieuxet est recouvert lui-même d’un second toit de forme élégante.

Les piliers sont au nombre de seize dont quatre, d’angle, sont plusgros que les autres ; ils sont couverts, comme d’ailleurs toutes lesboiseries du Pavillon, d’une couche de laque d’un beau rouge foncé.

L’édifice a 111 mètres (annamites) de périmètre et 14 mètres 50 dehaut ; le terre-plein sur lequel il repose est haut de 2 mètres 30 (3).

Au-dessus de l’ouverture de la face Sud de l’étage et sous la partiedu toit formant vérandah, est suspendue une tablette en bois, laquéeet dorée, portant en relief les trois caractères #i x & Phu-Van-Lau

Dans la salle du rez-de-chaussée s’accroche, lorsqu’il y a lieu, legrand tableau doré dit Kim-Bang & &, sur lequel on fixe l’Edit Im-périal qu’on désire publier.

( 1 ) Communication lue à la réunion du 27 octobre 1915.(2) Thien-Mau ‘ji a, appelé à tort par les Européens « Tour de(3) Le mètre annamite vaut environ 0 m. 40.

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En avant du Pavillon, à droite et à gauche, sont dressées deux stèlessur lesquelles sont gravés les quatre caractères f@ y& T; ,tF; Khuynh-cái, Ha-m!t, pour prévenir le passant qu’il doit incliner son parasolou descendre de cheval.

Pour situer exactement le Phu-Van-Lau disons enfin qu’il se trouveentre les deux casernes de « Long-Thuyen » ~~ fij&, qu’il fait face àl’embarcadère royal et que les miradors de la Citadelle The-Nhon@ fr: B$ e t Quang-Duc @$ {& py sont un peu en arrière, à gauche età droite; il est exactement dans l’axe du Cavalier du Roi et sur leglacis de cet ouvrage fortifié.

L’Empereur Minh-Mang fixa, en la 20e année de son règne, les règle-ments relatifs au monument. Il décida qu’après avoir été lus en séancesolennelle, soit à la porte Ngo-Mon + J’y, soit au palais Thái-HoàA I%I %t, tous les « Bienfaisants Édits Impériaux » ,g, $g seraientplacés dans un long-dinh $& q « table à baldaquin », pour être trans-portés, par des soldats, au Phu-Van-Lau en grand cortège. Le céré-monial est dirigé par un mandarin de grade élevé, revêtu de ses habitsde grande cérémonie. Des soldats en tenue de parade, porteurs dedrapeaux, de parasols, de grands éventails, d’armes en bois, en unmot des insignes impériaux, prennent rang dans ce cortège.

Dès que l'Edit est affiché, les mandarins du Thua-Thien qu’accompa-gnent les notables les plus âgés de divers villages, viennent accomplirles prosternations que prévoient les règlements des rites.

L’on sait que c’est en la 3e année de Minh-Mang (1821) que fut déci-dée la création du grand concours général thi-hoi @- 3). Les candi-dats devaient se rendre au palais de Can-Chanh pour subir les diversesépreuves ; les ailes droite et gauche de ce bâtiment leur étaient réser-vées. L’Empereur, qui était un fin lettré, corrigea lui-même les compo-sitions. Il conféra le titre de Docteur de 2e classe s = IfJ #& -J 8 &à M . Nguyen-Y l-@ ;$!J, jugé le plus méritant, et celui de Docteur de3e classe à sept autres candidats dont M. Lê-Quang B 5 p m $$ -f:s B @ B. Tous reçurent de sa main des costumes de cérémonie.Le lendemain eut lieu, au palais Thái-Hoà, la proclamation, à l’aided’un énorme porte-voix, des noms des heureux élus. A l’issue de laréunion, une grande pancarte mentionnant ces noms fut solennelle-ment portée au Phu-Van-Lau où elle resta exposée pendant trois jours.Ce délai expiré, on la transporta, avec le même cérémonial qu’audépart, au Collège national Quoc-Tu-Giam B 3 g), où elle devaitêtre conservée pour les archives.

Sa Majesté Minh-Mang assista, certain jour de l’an 10 de son règne(1829), à un combat entre un tigre et un éléphant qui se déroula devant lePhu-Van-Lau L’Empereur était installé dans une grande embarcation,

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mouillée en face et près de cet endroit. Sous les ordres du Thi-Langdu Vo-Kho (magasin), M. Ho-Huu-Tham @ 8 !& des soldatsétaient chargés de la garde du tigre. Mais on avait mal garotté le fauvequi, rompant ses liens, se jeta à l’eau et nagea, se dirigeant tout droitvers la barque impériale.

Les assistants frémissaient ; les mandarins étaient affolés. L’Empe-reur réclama une arme qu’on ne put lui procurer. Il fut alors contraintde se servir d’une gaffe pour tenir l’animal à distance. Enfin, dessoldats impériaux, qui avaient rapidement sauté dans un sampan,s’approchèrent, poursuivirent le félin et le mirent à mort, au milieudu fleuve.

Un peu fâché de ce qui s’était passé, l’Empereur prescrivit de re-chercher et de punir les coupables. Les mandarins soumirent au Trôneun jugement qui condamnait à mort tous les soldats préposés à la gardedu tigre. Sa Majesté opposa son veto à cette décision, l’apostillantcomme suit : « Est-il raisonnable de supposer que ces hommes se sontfait les complices du tigre et qu’ils l’aiment ? Evidemment non ! C’estpar inadvertance qu’ils ont laissé l’animal s’échapper. Qu’on se contentedonc de leur infliger une peine légère. »

Cette histoire procura à l’Empereur l’occasion d’écrire les verssuivants :

« Une concubine a pu jadis faire reculer un ours.« Personne ici n’a donc été capable de s’attaquer à un tigre ? »

Le Roi poète faisait allusion à une vieille légende qui veut qu’aucours de sa promenade favorite, le roi Nguyen-De de la dynastie desLIcin, vit un jour un ours qui venait droit à lui ; une de ses concubines,P h u n g - T i e p - D u qui l’accompagnait, se précipita au devant de l’ani-mal et le fit reculer.

Le Prince Tung- T h i e n dit Thuong-Son dixième fils de Minh-Mangtaquinait aussi la muse, et composa ces vers :

« Le tigre échappé s’était mis à nager vers la barque royale.« L’alarme est donnée. La garde accourt, et le fauve s’éloigne ;« N’était-il donc pas possible que chacun, pris à part, s’attaquât à

la bête ?« Ainsi pourtant l’on eût pu montrer son zèle ».

En 1831, onzième année de son règne, Sa Majesté Minh-Mang voulutque l’on fêtât clignement son quarantenaire.

Une maison flottante fut installée en face du Phu-Van-Lau et un peupartout, dans le Palais, à Gia-Hoi furent édifiées de petites coustruc-tions provisoires autour desquelles on avait suspendu des lanternes.

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Tout autour du « Palais flottant. », l’on avait aussi construit de nom-breux petits pavillons que l’on décora d’étoffes somptueuses et quidevaient être illuminés la nuit. Sa Majesté donna le signal desréjouissances envisitant ces pavillons. A son passage, chacun s’a-genouillait et offrait une tasse de thé. Les vieillards centenaires furentl’objet d’invitations particulières de la part de l’Empereur qui remità chacun d’eux un taël de gentiane ou de cannelle et une sapèque en or.

L’édification de toutes les constructions provisoires avait grevé lebudget des villages. Sa Majesté ordonna le remboursement du montantdes dépenses engagées en son honneur et prescrivit aux Ministres desFinances et des Rites de les évaluer. Mais les villages refusèrent ceslargesses, voulant, dirent leurs représentants, marquer leur attache-ment au Souverain, donner la preuve de leur parfait loyalisme.

« Je suis profondément touché, déclara l’Empereur, des sentimentsde générosité, de délicatesse, qui animent les habitants de la capitaleet de ses environs. Je tiens à leur montrer, à mon tour, ma joie et mareconnaissance, et je maintiens mon ordre : Je veux que tout soitremboursé. »

Des festins furent offerts aux vieillards.Les maisonnettes élevées devant le Phu-Van-Lau et que l’on avait

richement décorées, servirent de salles de banquets.Les invités, tous vieillards au moins septuagénaires, se présentèrent.

en tel nombre qu’au premier jour de réception, les années d’âge desassistants, totalisées, donnèrent le chiffre élevé de dix mille ans. Cetteparticularité frappa l’esprit de l’Empereur qui décida, pour commé-morer les réjouissances qu’il offrait, que sa fête anniversaire porteraitle nom de van-tho a g.

Il composa aussitôt la poésie suivante :

« Que le vin coule à flots !« Pour fêter mes quarante ans, j’ai invité les vieillards.« Que de figures ridées j’ai contemplées !« Que de cheveux blancs j’ai vus !« Il me semble que j’assiste au banquet de Thien-Tau + @ !$$.

(Sous la dynastie des ‘l‘hatth, l’Empereur Khuong-Hy R ,p,avait offert le banquet dit « des mille vieillards ».)

« A la vue de tant de gens parvenus à cet âge,« Puis-je espérer pour moi-même un semblable bonheur ?« Puisque tant de mes sujets vivent vieux,« Est-ce un signe précurseur d’un long règne ?« Qu’importe ! Vénérons tous les vieillards,« Comme nous savons chérir nos vieux parents. »

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Au deuxième banquet qui eût lieu le lendemain, Sa Majesté écrit :

« La gaieté et l’entrain de mes vénérables convives« Me font songer à ces festins que prodiguaient les Tong x.« Pour rendre ostensible la prospérité du Royaume.« Je ne veux point les imiter, les plagier.« C’est mon amour pour eus qui m’a fait inviter les vieillards.« Trois fois le vin de choix a été versé,« Trois fois les coupes se sont vidées.« Chacun m’adresse des voeux de longue vie,« Tous voudraient que ma vieillesse fut verte comme le printemps !« Leurs visages épanouis reflètent leurs pensées,« De tout leur être transpire une fidélité sans borne, un loyalisme

idéal. »

Le troisième jour, nouvelles agapes qui donnent à Minh-Mang l’oc-casion d’écrire :

« Troisième jour de fête, troisième banquet.« Les vieillards aujourd’hui me semblent venir de Dong-Lai B T$

(montagne des immortels).« Ils pourraient former un village de « Bành-Lão » (personnage

légendaire qui a vécu 800 ans.)« Comme leur appétit fait envie !« Les requins mangent-ils donc plus qu’eux ?« Et que de liquide ils absorbent !« Les buffles même boivent-ils davantage ?« Pour le bonheur du Roi, ils ont formé neuf vœux,« Et leur amour voudrait qu’ils se réalisassent ! »

Au 7e mois de la 20e année (1840), Sa Majesté assiste, du haut duPhu-Van-Lau à une grande revue des troupes de toutes armes, infan-terie, cavalerie. Puis elle se rend au débarcadère pour inspecter samarine. De grandes régates provoquent son admiration. En mêmetemps ont lieu, près du Ngu-Binh @sp b$ fi (Ecran du Roi), desexercices de tir.

Pour célébrer son cinquantenaire, Sa Majesté Minh-Mang inviteencore les vieillards âgés d’au moins 70 ans à des banquets qui durenttrois jours. Il en vient du Thua-Thien et des Tu-Truc q B Quang-Nam, Quang-Nghia, Quang-Tri, Quang-Binh Les invités sont reçus dansdes maisonnettes construites devant le P h u - V a n L a u Les vieillards de70 à 80 ans sont introduits par les mandarins provinciaux du Thua-Thiên, ceux âgés de plus de 80 ans par des Princes du sang. L’Empe-reur lui-même va au devant des centenaires ; il a pour chacun d’eux

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un mot aimable, respectueux. Il offre ensuite des cadeaux, sansexclure de ses générosités ceux qui n’ont pu se déplacer pour répondreà l’invitation.

Puis il s’embarque à bord de sa jonque « Phuoc-An @ B -ftf- » oùil fait offrir un repas à tous ceux, hommes, femmes, enfants, qui ontparticipé à la construction des maisonnettes. Une foule considérableprend part, pendant trois jours, à toutes sortes de réjouissances. Desmoi Bát-Man 11 t$$, Lac-Bien $I$ $$$ et Tran-Bien @ $& exécutent desdanses en s’accompagnant d’une musique, d’ailleurs incomprise des as-sistants, qui témoignent néanmoins leur satisfaction en acclamant fré-nétiquement.

En 1843, au 7e mois de la 3e année de son règne, Sa Majesté Thieu-

Tri fit ériger, à droite du Phu-Van-Lau une stèle en pierre, haute de2 m.60, large de 1 m. 20 qu’abrite un petit monument d’un périmètre de20 mètres (mètres annamites de 0 m. 40.)

L’inscription suivante, due à l’Empereur, fut gravée sur cettepierre :

« Cent sources alimentent le Huong-Giang (l),« Mais son cours seul passe devant notre capitale.« Admirez comme ce fleuve est calme.« Jamais, il ne déborde avec impétuosité.« Jamais, quand il se retire, il ne cause de dégâts.« En toute saison, son eau est claire.« En toute saison, tout est tranquille.« Par un matin brumeux, que ce fleuve est donc beau !« Aucune brise ne ride sa surface.« Tout est calme. On ne distingue point les jonques, mais on de-

vine qu’elles approchent,« Et seul un bruissement léger nous prévient qu’elles passent,« C’est le grincement, à peine perceptible, de leurs voiles que nul

vent ne peut faire gonfler.« Ah ! le fleuve ! Qu’il est donc beau. !« Comme son eau scintille aux pâles rayons du jour naissant !« Seul un sampan qui passe, harmonieusement ondule sa surface.« On dirait de la soie brillant au grand soleil.« Oh! comment décrirais-je ce spectacle,« Quand Vuong - D u y 3 #& (2) lui-même ne peut y parvenir ?« Son pinceau tombe devant pareille magnificence.

(1) Le fleuve de Hué.(2) Vuong-Duy Célèbre poète et dessinateur qui vivait sous la dynastie de

D u o n g

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« Pas plus que lui, Dien-Tho @ 8 (1) n’est capable de traduiretes beautés,

« 0 Huong-Giang onzième merveille de notre Capitale,« Grand et majestueux fleuve qui contourne la ville,« Comme un serpent s’enroule pour défendre ses petits.« Ah ! qu’il est beau ! qu’il est superbe !« Durant des siècles on le chantera,« Comme, durant des siècles, on chantera le Thuong-Lang ! @$ tg

(l’immensité des eaux.)« Mais . . . . voici le soleil ; ses rayons resplendissent sur mon

royal abri. »

En 1847 (6e année de son règne), l’Empereur Thieu-Tri fêta ses 40ans. 773 vieillards vinrent devant le Phu-Van-Lau faire des l a y LeMinistère des Rites enregistra le nom et l’âge de chacun d’eux.

Ensemble, ils avaient 59. 017 ans.M. Le-Hien-Tho @ @ g était le plus âgé. Il prit la tête du groupe

et présenta, au nom de tous, des vœux de bonheur à l’Empereur quiordonna de distribuer aux hommes de 80 à 90 ans, une ligature et unemesure de riz ; aux hommes de plus de 90 ans, une pièce d’étoffe etdeux mesures de riz ; aux centenaires, une pièce de soie et trois me-sures de riz.

Les centenaires étaient tous originaires de la Capitale. Le Roi re-marqua que le nom du plus âgé, Le Hien-Tho @ $j$ 3, était vraimentde circonstance. « Ce vieillard, dit-il, s’est présenté l’an dernier a uPalais, quand fut décidée la construction du pavillon Bao-Dinh @ z (2).Il en rabota la première planche. Je le revis à l’inauguration. Aujour-d’hui encore, il s’est efforcé de venir me présenter ses vœus. Bien queles faveurs soient déjà distribuées, je désire attribuer à ce vieillard unerécompense supplémentaire ». Sa Majesté Thieu-Tri remit alors elle-même à M. Le-Hien-Tho de l’or, de l’argent, de la gentiane (3), despièces de soie. Elle accorda, en outre, l’exemption d’impôt à sesdescendants.

Puis l’Empereur composa ces vers :

« Songer aux vieillards est un impérieux devoir.« Les convives, à ce banquet, sont de vénérables centenaires.« C’est une grande joie, d’être à pareille fête.

(1) Dien-Tho Mao-Dien-Tho peintre célèbre qui vivait sous les Han(2) Ce bâtiment se trouvait sur la route conduisant au Camp des lettrés. Il a été

transféré au Quoc-Tu-Giam C’est aujourd’hui le pavillon Di-Luân.(3) Ginseng, racine qui a le pouvoir de donner des forces et de prolonger la vie.

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« Devant ma royale demeure, chacun m’apporte ses souhaits.« Déjà le plus âgé d’entre eux se présentait à moi, l’an dernier.« A sa vue, je crus être devant un Dieu vivant.« Il est logique qu’il soit récompensé doublement.« Ses enfants ont reçu de quoi l’aider jusqu’à son dernier jour. »

En 1878, l’Empereur Tu-Duc fêta, à peu près dans les mêmes con-ditions que ses prédécesseurs, son cinquantième anniversaire. Lesnotables du Thua-Thien présentèrent leurs offrandes au Phu-Van-LauDe son sampan à étage, Te-Thong @ jg, Sa Majesté assista aux ré-

jouissances : théâtre, jeux, danses, musique. Elle se dirigea ensuite,toujours en sampan, vers l’embarcadère du mirador Ðông-Nam s 8pour assister au tir des canons français. Le public fut autorisé à yassister également.

L’épouvantable typhon du 11 septembre 1904 occasionna la des-truction totale du Pavillon des Edits. Sa Majesté Thành-Thái en ordonnala reconstruction immédiate, d’après les anciens plans. Les travauxfurent terminés le 2e mois de la 16e année de Thành-Thái. L’écriteauportant les caractères I)& 2 #$$ Phu-Van-Lau fut replacé à l’étage dumonument neuf qu’un souci d’esthétique, d’art et d’histoire avait faitreconstituer tel que l’avaient connu l’Empereur Gia-Long et sescontemporains.

Nous devons à la communication de documents en caractères qu’abien voulu nous donner Son Excellence le Ministre des Travaux publics,à qui nous exprimons nos respectueux remerciements, cette étudeaussi complète que possible, sur le Pavillon des Edits (1). Les Amis duVieux Huê trouveront peut-être que son principal mérite est d’être illus-trée, je veux dire embellie, par le tableau qu’a peint M. Gras de ce mo-deste édifice dont le gracieux type architectural mérite d’être conservé.

(1) Nous remercions également MM. Nguyen-Hi et Bui-Dinh qui nous ont con-sidérablement facilité la traduction de ces documents, dans laquelle M. Orband amis un peu d’harmonie.

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UNE STATUE « TIAME » (1)

P a r EDMOND GRAS,

Hué, l910-l915.

1910 . — Un dimanche après-midi, par une chaleur lourde, nous roulons, au trot rapide de poneys annamites, en deux voitures légères,quelques amis et moi, sur la route de la pagode de Thien-Mo le longdu fleuve de Hué.

L'un de nous, Robert de La S..., frais émoulu de l’Ecole coloniale,a lu dans une relation de voyage de M. 0… la description d’une statueTiame qui serait encore debout parmi les vestiges d’une ancienne tour,élevée sur la partie étroite d’une falaise séparant deux arroyos,affluents de la Rivière-Parfumée, dans les parages de la pagode dontla haute tour à étages nous sert de point de direction. Il nous a com-muniqué sa juvénile ardeur et nous voilà tous pris d’un beau désir dedécouverte, de l’ambition d’apporter, fourmis du monde savant, notregrain de granit au monument de recherches archéologiques élevé parl’Ecole Française d’Extrême-Orient. Par l’âge, hélas ! je suis le Nestorde la bande. Néanmoins, j’en suis et je la suis…

Voici la pagode, mais pas d’arroyo, pas d’affluent. Le chemin conti-nue, accessible aux voitures, remontant le fleuve. Continuons. Nousdépassons les bâtiments de l’ancien collège du Quoc-Tu-Giam : cettefois, un arroyo nous barre la route. Nous mettons pied à terre. Dureste, nous ne saurions aller plus loin en voiture, le chemin devientun sentier tortueux et étroit entre de hauts massifs de bambous.L'entrée de l’arroyo forme un petit port où des sampans sont amarrésà leurs pieux. Des pêcheurs raccommodent leurs filets. D’un gros bac

(1) Communication lue à la réunion du 29 septembre 1915.Les « Tiams » ou « Chams » sont parmi les premiers occupants de l’Indochine.

Ils y ont laissé un peu partout les traces, aujourd’hui ruinées, d’un empire floris-sant et des monuments dont les vestiges sont encore admirables. Quant à la race,elle ne compte plus que quelques dizaines de mille hommes dans le Sud de l’Annam.

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descend une théorie de femmes portant leurs charges au marchéprochain. Des enfants nus et noirs de soleil accourent vers nous ets’arrêtent à dix pas, curieux et épeurés. Nous questionnons des sam-paniers dévêtus et des nhà-quês en cái-áo rapiécé. Les pourparlerssont laborieux. Nos connaissances de la langue annamite ne nouspermettent pas de longs développements et le seul mot que nous ayionspris soin de chercher dans le dictionnaire, avant de partir, est t u o n g« statue ». Mais, soit que notre inexpérience n’y mette pas l’intonationvoulue, soit que les naturels de l’endroit ne sachent rien ou que leurdéfiance native ait peur de se compromettre, nous n’arrivons à rien.

En face, de l’autre côté du fleuve, il nous semble reconnaître ledébouché d’un autre affluent. Traversons le fleuve, nous serons peut-être plus heureux. Un sampanier empressé nous y transporte : l’appâtde quelques pièces blanches lui a fait comprendre tout de suite ceque nous voulions et nous accostons bientôt sur l’autre rive. L’arroyo entrevu n’est qu’une mare où des buffles piétinent la vase noire.Néanmoins, on s’enquiert. Un jeune Annamite assez déluré, en panta-lon blanc et robe noire, vient vers nous. Ce doit être un élève desPères ou de notre Quoc-Hoc donc il doit parler français. La conclu-sion est prématurée. Nous questionnons : « Parlez-vous français ? » — Réponse par syllabes scandées selon le rythme consacré : « Oui -mon-sieur » (mouvement de satisfaction parmi nous) — « Connaissez-vous dans les environs une statue ancienne ? » — « Je — ne — vous —com-prends—pas ». Diable! A tour de rôle, patiemment, puis plusnerveusement, nous essayons de nous expliquer, et toujours l’inexo-rable « je — ne — vous — com-prends — pas » martèle notre impa-tience. Peut-être parlons-nous mal le français! Nous sortons notret u o n g Il ne comprend pas davantage. Parlerait-il mal l’annamite ?Alors quoi ?

Nous nous résignons à repasser l’eau, en vouant le jeune homme aux « ma-coui » infernaux.

Que faire ?Prenons le sentier qui serpente le long de l’arroyo et cherchons.

Le sentier — enfermé entre deux haies hautes, serrées, épineuses, dehauts bambous — sombre, tortueux, montueux, boueux, humide, sansair, nous mène loin. De temps en temps, haletants et suants, nousposons une question rapide à un nhà-quê interloqué, qui se rangepour nous laisser passer, se demandant ce que peuvent bien vouloirces « mandarins de l’Ouest » (1) qui marchent si vite et si loin, à pied,par cette chaleur, à la recherche d’un tuong ?

(1) Français.

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Enfin, l’un d’eux, qui a un parapluie sous le bras et une barbiche gri-sonnante au menton, semble nous comprendre et nous désigne unedirection avec un « ya » énergique du meilleur augure. Sûrement,nous tenons le but. Il n’a pas fini de baragouiner que nous sommesrepartis en file indienne, plus alertes, plus hâtés encore. Une clairière,un arroyo et, dans le fond, une digue en pierre, œuvre de nos Travauxpublics. Nous avons demandé une « statue en pierre » ancienne et onnous offre une digue maçonnée toute neuve. C’est à pleurer. Décidé-ment la divinité, intermédiaire des chercheurs, n’est pas pour nous.

Il est tard, il faut songer à la retraite. Pour comble, le ciel s’estcouvert, il commence à pleuvoir et bientôt c’est une averse diluvienne,une de ces averses dont l’Extrême-Orient a le secret, avec accompa-gnement de tonnerres qui craquent et d’éclairs aveuglants. Ici, laglaise glissante du sentier nous fait tituber à chaque pas ; là, le sen-tier profond est transformé en ruisseau rapide où nous pataugeonsjusqu’aux genoux. Nos vêtements de toile blanche trempés d’eau col-lent à même la peau. Seul notre casque abrite nos cheveux qui seraientsecs, n’était la sueur. Que ce sentier est long au retour. Enfin, nousretrouvons nos bogheys et nos attelages, tout aussi ruisselants quenous, et nous regagnons Hué sous les nappes d’eau de tous les réser-voirs célestes crevés sur nos têtes. Oh ! la digue. . . . . .

Ce fût notre première expédition. A défaut de succès, nous pouvionsdire que notre carrière de chercheurs avait reçu son baptême.

Quinze jours après. Un examen plus serré des textes, une meilleureétude des dispositions des lieux, un calcul plus circonscrit des proba-bilités, nous a donné presque une certitude.

Nous repartons un dimanche après-midi. Mais, cette fois, nous nesommes plus que deux, le jeune Robert et moi. L’eau du « baptême »,qui a confirmé notre foi, a éteint celle de nos amis. Arrivés au con-fluent de l’arroyo que nous avions précédemment longé à pied, nousfrétons un sampan et après avoir remonté le courant environ 600 mè-tres, nous débarquons, pour l’escalader, au pied d’une falaise de 5 ou6 mètres de haut. Un sentier broussailleux en suit la crète qui, en cetendroit, n’a pas plus de 5 ou 6 mètres de large. Presque aussitôt nousdécouvrons, dominant un léger affaissement de cette crète, une petiteesplanade circulaire, dessinée par de vagues traces de mur, envahiepar les végétations parasites et les racines de quelques gros arbres, et,sortant d’un buisson, une statue en pierre décapitée, gisant à côté d’unsocle à demi brisé qui représente une fleur de lotus. Les bras manquent,cassés au ras des deltoïdes, les pieds aussi. Le buste, nu, de grandeurnature, est remarquable de facture, d’un modelé sobre et plein, d’une

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belle simplicité de lignes. Ce qui reste de la naissance du cou comportetrois beaux plis de chair, les seins sont fermes et relativement peu dé-veloppés, la taille finement dessinée, mais les reins un peu lourds et leventre, très accusé et proéminent, forme un léger bourrelet au-dessusdu pagne, serré au bas du ventre par une ceinture, qui drape assezétroitement les jambes. Quelle est cette statue ? Un symbole de la ma-ternité, de la fécondité? Je suis malheureusement un profane et je mecontente de jouir des restes de sa beauté mutilée. Mon ami Robertmalgré le secours de son lorgnon, n’y découvre pas plus que moi avecmon œil nu.

Tout de même, nous sommes contents de notre réussite qui, cettefois, fut singulièrement facile.

Mais qu’en ferons-nous ?Mon jeune ami nourrit, je crois bien, l’ambition d’une communication

à l’Ecole Française d’Extrême-Orient ou tout au moins d’une plaquetteéditée à ses frais. Moi, revenu des satisfactions extérieures, je pensequ’il m’en coûterait sans doute peu d’orner ma propre demeure de cemorceau curieux d’une statuaire antique et exotique.

Cependant que les sampaniers qui nous ont conduits là et quel-ques nhà-quês attirés par la curiosité se tiennent à distance respec-tueuse — aussi bien parce qu’il ne convient pas d’importuner les« mandarins de l’Ouest » que pour l'incertitude où ils sont de l’influenceheureuse ou néfaste de cette « image » tronquée et mystérieuse —nous remarquons que la falaise, faite de terre friable, prise entre deuxarroyos qui, sans cesse, la rongent et l’éliment pour aller se rejoindreplus tôt, diminuée par des, éboulements à chaque crue, se rétrécitde jour en jour, et que la statue, déjà au ras de la berge à pic, seraimmanquablement précipitée bientôt dans les eaux et s’enlisera défi-nitivement, perdue sans doute à jamais, dans une tombe de vase mou-vante.. .

Mais nous avions probablement épuisé d’un coup toute la joie de latrouvaille, car ni mon ami, ni moi ne fîmes rien et la statue resta oùelle était.

1915 . — Je suis revenu à Hué après un long voyage en Chine, Mand-chourie, Corée, Japon et Transsibérien, et un plus long congé en France.

Que d’événements depuis. De La S. . est tombé en Belgique, aprèsavoir gagné son galon de sous-lieutenant de chasseurs à pied, sous lesballes allemandes, pris par la mobilisation au bout de quinze jours demariage.

Ici, des relations de mon précédent séjour, je n’en ai retrouvé,comme toujours dans la Colonie, que de bien rares. Et tandis que je

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traînais les préoccupations intimes et lointaines de l’heure présente,qui assaillent chacun de nous, dans la colonie clairsemée, en lisant lemartyre des cathédrales sous les obus des barbares, je me suis rappeléla statue Tiame mutilée. Et un dimanche, comme jadis, et presquecomme en pélerinage, seul, je fus aux lieux où nous la découvrîmes.

Elle n’y était plus. Elle avait glissé dans l'arroyo avec le dernieréboulement de la falaise.

On me croira si je dis que j'en ressentis quelque tristesse : des sou-venirs s’y rattachaient, elle mettait une date à des année vécues…

Mais, cette fois, la divinité tutélaire veillait et, puisqu’il faut quetout se paie, elle se jugeait sans doute assez payée.

Pendant mon absence, il s’était formé une « Société des Amis duVieux Hué » que la malice populaire, qui s’exerce irrespectueusementmême sur les choses les plus sympathiques, avait dénommé (et j’avoueque la drôlerie du sobriquet m’amuse) la « Société des vieux pots ». Jem’empressai d’en faire partie.

Je parlai de la statue Tiame à quelques-uns de mes nouveaux collègueset il fut décidé qu’on irait à sa recherche. Ce fut encore un dimanche.N’est-ce pas le jour propice par excellence, en France comme ailleurs,aux délassements bourgeois et honnêtes, aux manifestations des petitessociétés sans prétention ? . . . Notre bande, Président des AVH en tête,était assez nombreuse et comptait, en plus d’une dame charmante, deuxmandarins indigènes, membres de notre société. Bien nous en prit, carils nous furent d’un grand secours. Non pas comme interprètes— lePère C..., l’érudit Rédacteur de notre Bulletin, aurait amplement suffià la tâche — mais pour lever les scrupules des villageois indigènes,toujours très dissimulés et craintifs, bourrés de préjugés et de croyancessuperstitieuses, que l’expérience coloniale nous apprend à counaîtreet à respecter plus qu’on ne croit. L’abandon apparent de la statuepouvait, en effet, n’être que le fait de l’incurie habituelle des races jauneset cette statue pouvait néanmoins représenter, pour le village sur leterritoire duquel elle se trouvait,une puissance malfaisante ou bienfai-sante mais sacrée à laquelle il ne fallait pas toucher. A défaut, le lý-t u o n g en présence de notre désir, pouvait essayer de nous fairedoucement chanter. Et ici, surtout lorsque s’en mêle quelque compa-triote toujours zélé pour défendre des causes que personne n’attaque,et plus annamite que les mandarins, les histoires prennent vite uneamplitude extrême-orientale qui va émouvoir, jusque dans la métropo-le, des âmes aussi ignorantes que sensibles, toujours disposées à com-battre des moulins-à-vent et à rosser les alguazils pour délivrer desforçats. Tout de même, voyez donc à quoi des gens paisibles commenos « vieux pots », partis en ballade par un beau dimanche, peuvent

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s’exposer !. . Grâce à la présence de nos amis les mandarins, nous évi-tâmes ces redoutables écueils.

Nous trouvâmes tout de suite la statue. Une crue récente, délayantle limon de l’éboulis, l’avait laissée découverte à fleur d’eau, le seinémergeant. Nous eûmes assez vite fait de la faire hisser sur un sampan,avec son socle à demi brisé. Il fallut cependant que l’un de nous yportât le premier la main, les plus hardis compagnons annamites, ceuxmême qui ne boudent pas à la besogne, ne consentant pas à risquerles maléfices que l’image mystérieuse pouvait, peut-être, jeter à celuiqui, le premier, troublerait son repos.

En partant, nous avons promis de belles piastres sonnantes auplongeur qui nous rapportera la tête ou les bras ou les pieds de lastatue, s’ils existent encore.

Et maintenant, la statue Tiame s’érige, à l’intérieur de la citadelle,en face de l’élégant palais annamite où les AVH tiennent leurs réunionset collectionnent les vestiges d’un passé qu’il est aussi utilement hono-rable de protéger que le présent.

Mais (décidément, les neutres les plus paisibles sont bien les plusexposés) aurions-nous introduit dans nos murs un nouveau chevade Troie ?

D’abord, on me dit que nous nous sommes appropriés indûment(j’en tremble !) ce qui appartient à l’Ecole Française d’Extrême-Orient,de par les priviléges spécifiés dans sa charte fondamentale, qui n’estpas un chiffon de papier.

D’autre part (et ceci c’est le comble !) « le symbole de la fécondité »ne serait tout simplement qu’un « homme obèse ». Oh ! . . . . . Je nediscute pas, car il y a des dames dans notre Société.

Mais, je pense que notre statue est manchotte et que cela vaut mieuxcar, en présence de ce dilemme « femme enceinte » ou « homme obèse »,les bras lui en seraient tombes. Et si jamais ils lui étaient rendus, peut-être que la statue s’en servirait pour faire aux disputeurs. . . . . unpied-de-nez.

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LES DISTINCTIONS HONORIFIQUESANNAMITES (1)

Secrétaire Général du Conseil de Régence.

De tous temps et dans tous les pays de l’univers, pour récompenserles services rendus par les hommes éminents ou vertueux, chaquenation a créé des distinctions honorifiques, des décorations. Leur formeest des plus variées. Elles sont généralement en un métal précieux dontla valeur est, en principe, proportionnée à l’importance qu’on y atta-che. Certaines se suspendent au cou ou sur la poitrine, d’autres s’at-tachent à la boutonnière.

Le royaume d’Annam a les siennes ; ce sont les Khánh, les Bo i lesTien en jade, en or, en similor et en argent.

L’origine des décorations annamites doit remonter à une date trèsreculée. Existaient-elles du temps des Lê @, avant 1802, époque de larentrée triomphale des Nguyen B à Hué ? C’est probable ; mais au-cune preuve n’étant là pour nous en donner la certitude, je mention-nerai seulement dans cette étude les textes, relativement récents, quifixent la réglementation relative à l’octroi des divers ordres.

Quelques familles illustres d’anciens mandarins possèdent des docu-ments qui me permettent de croire que les Khánh en jade, or ou ensimilor existent depuis longtemps. Destinés strictement à récompenserles hauts faits des officiers généraux et supérieurs ou les éminentsservices des grands mandarins civils, colonnes de l’Empire (Tu trum if&), précieux collaborateurs des rois, ces décorations se donnaienttrès rarement. C’est ce qui en rend la valeur extrêmement grande.

Ce fut en la 26e année de T u - D u c @j @J (1873) que le Kim-khánh& *Z$$ commença à être connu des étrangers; pour témoigner ses

(1) Communication lue à la réunion du 31 août 1915.

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amitiés à l’amiral qui résidait à Hanoi, Sa Majesté ordonna au Vice-Roidu Tonkin de faire fabriquer pour être donné à cet officier général dela marine française un Kim-khánh grand module Dai-hang Kim-khánh-JC lj!$ & @), pesant environ 5 ou 6 onces t i e n $$), avec l’inscription,sur l’une des faces, des deux caractères Trung et Tín ,$J @ « fidélitéet confiance ».

En la 28e année de son règne (1875), Sa Majesté ordonna de frappersept Kim-khánh pour être décernés aux hauts fonctionnaires européensci-après :

Un Kim-khánhh , grand module, avec les quatre caractères ; Giangt í n t u m u c g% E @ I@ « témoigner confiance, maintenir concorde »,avec franges en corail et perles, pour S. E. le Président de la Répu-blique française.

Six Kim-khánh, module ordinaire, avec les deux caractères : Khác-c a n PI@ g « Respect et soin », pour :S. E. le Ministre des Affaires étrangères,S. E. l’ancien Gouverneur de Saigon, M. Ca-Lang- Lung @ @# ;S. E. le nouveau Gouverneur de Saigon, M. Du-Bi-Lê $$ $J$ !J$! ;S. E. le Chanh-Su jE a, Président de la Commission pour le traité de

paix ;S. E. le Pho-Su ~IJ (8 Vice-Président de la dite Commission.

En témoignage de ses vieilles amitiés avec M. Du-Bi-Lê, Sa Majestélui accorda, à titre privé, un Kim- khánh en plus de celui qu’Elle luidécerna officiellement.

Quelques cadeaux diplomatiques, bois d’aigle, canelle, défenses d’é-léphant, etc., furent joints à l’envoi adressé à S. E. le Président de laRépublique.

En l’année at-dau Z; E, de Dong-Khanh a F& (1885), 5e jour du12e mois, les Membres du Co-Mat @ @ (Conseil Secret) ont présentéau Trône le rapport suivant :

« Sire,

« Parmi les distinctions que Votre Majesté jusqu’ici distribue aux« fonctionnaires du Protectorat, le Kim-khánh est par eux considéré« comme la plus précieuse des décorations, mais ce qui leur serait« particulièrement agréable (1) ce serait que la date Dong-Khanh ap-« parût sur ces insignes. Nous demandons à prélever sur le trésor« royal @ $J fi 10 taëls -f- fi d’or pou faire fabriquer, conformément« au modèle, une vingtaine de Kim-khánh, moyen et petit modules,

(1) Mot à mot « faire merveille ». Sa Majestél’encre rouge et porté la mention « bien ».

a souligné le mot « merveille » à

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a\

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« par le service du Doc-Cong @ 1 (ateliers et chantiers). Sur l’une« des faces, seront gravés les quatre caractères Dong-Khanh sac tu« a g a 18 « offert par ordre de S. M. Dong-Khanh », et sur l’autre« face les caractères Giang t i n tu m u c ga E @ @ « témoigner con-« fiance, maintenir paix », ou T h ù h u â n m *a « rendre bienfaits »,« ou t u o n g - c o n g !ll rd « louer mérites ».

« Le travail termine, les décorations seront apportées au Palais« (Nôi a) pour être données en récompense.

« Nous avons constaté que les mandarins de la Cour, grands ou« petits, quand leurs services ont été appréciés, recevaient en récom-« pense le Kim-khánh & $$ (Khánh en or); ou le Tu-Kim-Khanh« s & $$ (Khánh en similor), ou Ngân-khánh @ *& (Khánh en argent).

« On voit par là que les bienfaits de Votre Majesté s’étendent à tous« ses sujets ; le moindre service rendu est toujours apprécié.

« Puisque les Européens regardent notre Kim-khánh comme très« précieux, il y aura lieu d’en faire une réserve stricte, car du fait de« voir nos petits employés le porter, l’insigne perdrait de sa haute«valeur aux yeux du public ; nous sommes d’avis que désormais,« l’autorisation de porter le Kim-khánh ne soit accordée qu’aux man-« darins de rang supérieur # g qui en sont titulaires. Quant aux« agents subalternes @j @ qui ont eu la faveur d’en être décorés, ils« le garderont chez eux comme un souvenir précieux, mais ne pourront« pas le porter en public. A partir de ce jour, les mandarins de rang« inférieur, dignes de récompense, recevront seulement le Kim-tien« & $$$ (Sapèque en or) ou le Ngan-tien & $$$ (Sapèque en argent) ; il« ne leur sera jamais délivré de Kim-khánh Ces dispositions donne-« ront une valeur réelle à cette distinction et l’on saura combien le« Kim-khánh est précieux.

« Nous osons, eu conséquence, présenter ce rapport à l’approbation« de Votre Majesté pour exécution. »

Jusqu’en 1885, comme on le voit, les Kim-khánh n’avaient que 2classes : l’une dite Dai-hang Kim-khánh .j< 3 2 g « Kim-khánhgrand module » ; l’autre Kim-khánh tout court. Ils étaient décernéssimplement par Ordonnance royale C h i du z $$) dont, une ampliationétait remise aux intéressés.

En la 2e année de Dong-Khanh (1887), ordre fut donné de frapper4 classes de Kim-khánh avec franges multicolores pour les Européens :

Dai grand, pesant 5 t i e n avec les caractères Dong-Khanh s a ct a n g pJ @ gjj Jg ( 1 ) « offert diplomatiquement par Sa Majesté

(1) Leen celui

caractèrede t ang

tu employé dans l’Ordonnanceroyale de 1885 est changé ici

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D o n g - Khanh », sur l’une des faces, et les caractères báo ngãi thùh u â n $j$ $$ @j $9 « témoigner reconnaissance, rendre bienfaits », surl’autre ;

Fig. 65. — Kim-khánh hors classe.

Trung moyen, pesant 4 t i e n avec les mêmes inscriptions ;T h u au-dessous de la moyenne, pesant 3 t ien avec les caractères

sanh thien thuong công (1) $g 3 E $3 « perpétuer bonté, récom-penser mérite »;

T i e u petit, pesant 2 tien avec les caractères lao nag kha tuong2jj fjk q dl « fatigue, talent, mériter louanges ».

L’octroi du brevet (khâm cap g ,#) fut également décidé en lamême année (1887).

Le brevet est établi par le Conseil de Régence Phu-Chanh-PhuI@ & fi) ou le Co-Mat (Conseil Secret @ @ li;c), sur papier jauneavec des figures de dragons encadrant le texte en caractères chinois.Il est ensuite envoyé à la Résidence Supérieure pour être enregistré ettraduit en français sur une autre feuille de papier blanc.

Ainsi, pour une seule décoration, le titulaire possède 2 brevets, unoriginal et une traduction.

Je signale ici que le Gouvernement annamite étudie en ce momentun projet qui consisterait à donner aux titulaires des décorations

(1) Celte inscription fut plus tard remplacée par celle de Gia thien sanh nang& s @ $k (louer bonté, perpétuer talent).

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- 3 9 5 -

annamites un brevet unique : artistiquement disposés, des dessins enrouge des Tu l i n h fl s « les quatre animaux symboliques » formentcadre sur un papier parcheminé de couleur jaune. La partie gauche dubrevet comprend le teste en caractères chinois, la partie droite, latraduction en français. Ces dispositions ne s’appliqueraient pas seule-ment au Kim-khánh, mais aussi au et au Kim-boi Les dessinsont été exécutés par notre dévoué collaborateur, M. Ton-That Sa,l’habile artiste dont les travaux ont déjà été si appréciés par les Amisdu Vieux-Huê.

Le 6e jour du 3e mois de la 12e année de Thành-Thái a 8 (1900),le Co-Mat a présenté un rapport au Trône qui fut approuvé et dontvoici la traduction :

« Sire,

« Le Kim-khánh, créé pour récompenser les services méritants, est« une décoration très précieuse. Il en existe 3 classes (1), pour les-« quelles sont employés les caractères :

1re classe : Báo ngãi thù huân $$f $@ pj/fi $j2 e —3 e —

Gia thieu s a n h nang $$ +$ @j f$$Lao nang kha tuong $$ f& pl 8j$

« Cependant les personnes susceptibles de recevoir un insigne por-« tant l’une de ces mentions n’ont pas les mêmes mérites, ne rendent« pas les mêmes services ou ne s’occupent pas des mêmes travaux. Les« différences sont importantes. Nous pensons que les Kim-khánh qui« portent les inscriptions ci-dessus ne peuvent être décernés indistinc-« tement aux uns ou aux autres.

« Nous proposons donc que, dorénavant, lorsqu’il y aura un Euro-« péen à récompenser, ses fonctions soient communiquées en même« temps que son nom pour les archives de notre Conseil. Quant aux« classes de Kim-khánh, elles seront modifiées de la manière suivante :

« Sur l’un des côtés : Kim-khánh de 1re classe : — FR & g— de 2e classe : z c@ & B— de 3e classe : 5 I$$ * F@$

« et sur l’autre côté, les 4 caractères : Thành-Thái sac tu (2) & B« #$J Rg « Décerné par S. M. T h à i - T h á i ».

(1) Nous avons vu dans l’Ordonnance royale de la 2e année Dong-Khanh (1887)quatre classes de Kim-khánh ; mais les deux premières ont les mêmes inscriptions :Báo ngãi thù h u â n ; c’est donc comme s’il n’y en avait que trois.

(2) Près de cette dernière inscription, une modification autographe a été faiteainsi conçue : Dai-Nam Hoang-De sac t u A $j & $j j# #J « Décerné parS. M. l'Empereur du Grand Annam ».

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- 3 9 6 -

« Monsieur le précédent Résident Supérieur, Ta-Quoc-quan-Vuong« S. A. le Prince Boulloche, nous a répondu qu’il ne voyait pas d’incon-« vénient à ces modifications ; cependant il y a lieu de laisser, comme« par le passé, le modèle et les inscriptions pour les Kim-khánh à dé-« cerner aux mandarins de la Cour d’Annam.

« Nous osons, en conséquence, présenter à Votre Majesté le présent« rapport en La priant de vouloir bien le revêtir de son approbation,« pour exécution. »

C’est l’Ordonnance du 6e jour du 3e mois de la 12e année de Thành-Thái (5 avril 1900), qui est toujours en vigueur en ce qui concerne leKim-khánh.

A un moment donné, l’on constata que l’octroi des décorations deKim-khánh, Kim-boi Kim-tien et Ngan-tien constituait une dépenseénorme pour le budget du Gouvernement annamite (Nam trào ngân s á c hj@ Qj fi fl#). C’est alors qu’une décision relative à la délivrance desbrevets sans l’insigne a été prise en la 6e année de Duy-Tân ,$Y#? $$(1912).

La même année, le Conseil de Régence émit l’avis que, afin que leKim-khánh conservât sa valeur réelle, il serait désirable de restrein-dre les propositions.

Sa Majesté le Roi décerne encore le Kim-khánh hors classe .-X; q auxgrands mandarins qui atteignent un âge avancé, par exemple, à l’occa-sion de leur 60e ou 70e anninersaire (1), etc. ou aux fonctionnaires eu-ropéens ayant rendu des services exceptionnels (2).

J’ai vu parfois des femmes de marque porter le Kim-khánh. Je medemande s’il faut en conclure que le Kim-khánh était jadis décerné

(1) S. E. le Vo-Hien recevait en la 6e année de Duy-Tân (1912), à l’occasion dela fête de sa 70e année, un Kim-khánh hors classe, poids 9 tien 56, avec inscrip-tion des caractères : lão thành thac vong z & @ g, « vieillesse, parfait,beauté, espoir ».

S. E. Cao.. . . . , alors Ministre de l’Instruction Publique, en la même année et àla même occasion, recevait un Kim-khánh hors classe, avec inscription des carac-t è r e s : kiêm dat tôn tam $@ @ f$ 3, « réunir entièrement les trois degrés :vertu, longévité, vieillesse ».

S. E. le Can-Chanh en retraite N g u y e n , en la 7e année du même règne (1913),à l’occasion de son 60e anniversaire de naissance, recevait un Kim-khánh horsclasse avec inscription des caractères : huân vong ky thac )f$ -g $$ a#,« mérite, espoir, vieillesse, parfait ».

(2) M. le Généralissime Joffre, en la 8e année (1914), recevait pour ses hautesqualités un Kim-khánh hors classe, poids 1 luong 1 t i e n avec inscription descaractères : báo ngãi thù huân a $& H 3 « témoigner reconnaissance ,rendre bienfaits », frangés corail et perles. (C’est celui que nous reproduisons,Fig. 65 )

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- 3 9 7 -

aussi bien aux femmes qu’aux hommes, mais je n’ai pas pu recueillirde renseignements précis à ce sujet.

Des Annamites font porter aussi des Kim-khánh en miniature en or,en similor ou en argent à leurs enfants ; cependant l’inscription doittoujours être différente de la décoration officielle : b o n m a n g t ruongs a n h 2#î & jg * « longue vie ». C’est alors un bijou ; ce n’est plusune décoration.

Boi veut dire suspendre : Ngoc-boi 3 @j$ « jade à suspendre »Kim-boi & m « or à suspendre ».

Fig. 66. - Kim-Boi

Le Kim-Boi n’existe que depuis 1889. Une ordonnance de la 1re

année de Thành-Thái en prescrivit la fabrication. Voici la traductionde cette ordonnance :

« Notre royaume, pour récompenser certains services, a utilisé des« Ngoc-Khanh x, @ « Khánh en jade », Ngoc-boi 3 m « Boi en jade ».« Ngoc-bai 3 ]# « plaque en jade » , ainsi que des Kim-khánh, Ngân-« khánh, etc. . . , cependant on n’a pas songé à fabriquer des Kim-boi« Ordre est donné au service compétent de faire fabriquer, d’après le« modèle du Ngoc-boi un certain nombre de Kim-boi de 1re, 2e et 3e

« classes, pour être accordés en récompense aux personnes méritantes.»

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De ce qui précède, il résulte que trois classes de Kim-boi ont bien étécréées par l’Ordonnance de la 1re année de T h a n h - T h a i ; toutefois onn’en a jamais donné que d’une seule catégorie.

Le Kim-boi est de forme ovale et porte sur l’une de ses faces le chif-fre du règne. Exemple : Duy-Tân niên t a o # $8 @ g « fabriquépendant le règne de Duy-Tân » ; et sur l’autre les caractères : QuuynhDiêu vinh hao z$$ s -jf $5, « la beauté des Quynh et Diêu (noms depierres précieuses) est éternelle ».

Le Kim-boi est donné exclusivement aux femmes.Le Ngoc-boi qui était jadis donné tant aux hommes qu’aux femmes,

n’est plus considéré officiellement comme une distinction honorifique,une décoration. C’est un bijou dont se parent certaines personnes,surtout les femmes qui ont reçu ou se sont procuré cette plaque en jade.

3o — TIEN cj$$ « Sapèque (en or) »

Comme les Khánh, les Tien existent depuis longtemps. Jadis, chaquefois que le Gouvernement voulait accorder certaines récompenses, ilordonnait d’en fabriquer.

Fig. 67. — Sapèque en or, Kim-Tien hors classe.

En la 13e année de Minh-Mang (1832), les Ministères des Finances etdes Travaux publics, et le service du Noi-Vu B o - H o ~3 #, Bo-CongI@, N o i - V u R @) ont reçu pour la première fois l’ordre d’en cons-tituer un stock important: 1.000 Kim-tien & #$ « Sapèques en or » et20.000 Ngan-tien @ @ « Sapèques en argent ».

Fig. 68. — Sapèque en or, de première classe.

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Les Kim-tien sont de 4 classes :

1º Dai-hang hors classe jc g : inscription sur l’un des côtés,chiffre de règne ; sur l’autre, figure de dragons entourant un cercleoù sont gravés les deux caractères Long-van $ &.

2º Nhut-hang 1re classe — $j : Figure de dragons ;3º Nhi-hang 2e c lasse z @ : —-

4º Tam-hang 3e classe z f@ : avec les deux caractères nhi-nghi

Z fjjj « soleil et lune ».Ils étaient précédemment en or au titre de 0,85.

Fig. 69. — Sapèque en or, de troisième classe.

Le 10e jour du 6e mois de la 15e année de Thành-Thái (1903), leCo-Mat donna l’ordre au Noi-Vu de frapper les nouveaux Kim-tien enor pur afin de mieux récompenser les Européens ou les mandarinsayant rendu des services exceptionnels.

Les Ngan-tien sont destinés à récompenser les agents subalternesdes deux Gouvernements. Ils se divisent en 3 classes.

Fig. 70. — Sapèque en argent, N g a n - t i e n de première classe.

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- 4 0 0 -

Fig 71. — Sapèque en argent, de troisième classe.

Les Kim-tien et les N g a n - t i e n sont aussi donnés aux Princes ou auxPrincesses à l’occasion de leurs fêtes anniversaires sanh-nhut & H).

Fig 72. — Sapèque en argent, modèle spécial.

Les K h á n h , Uf$i et Tien se portent avec un sautoir ou cordon rougepassant autour du cou et laissant tomber l’insigne sur la poitrine.

(1) Grand.(2) Moyen.(3)Petit.

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- 4 0 1 -

Une touffe de franges en soie multicolore se suspend à l’insigne.Quelquefois la soie est remplacée par des perles ou des grains de corail.

Fig. 73. — Sapèque en argent, modèle spécial.

5º — BAI )#Q « Plaque ».

Dès la première année de Gia-Long & @ (1802), les plaquesétaient mises en usage. Des Ngân-bài @ )$/ « Plaques en argent », aunombre de trois, furent façonnées pour les Membres du Co-Mat « Con-seil Secret ». Ces plaques en argent ont été l'emplacées, en la 15e

année de Minh-Mang (1834), par d’autres en or, portant les caractèresC o - M a t dai than #j &.$f j< j$j « grands mandarins du Co-Mat ». Lesplaques mesurent 1 tac 4 phân de longueur, 8 phân de largeur. Lecontour est ciselé en dragon.

La plaque s’attache à la deuxième boutonnière des robes annamites,du côté droit.

Tous les Princes portent chacun une plaque en or avec inscriptionde leur titre de noblesse. Exemple : Hung-nhon-cong @! e & « D u cde Hung-Nhon ».

La plaque est changée à chaque avènement au trône d’un empereur.nouveau. Ainsi un haut mandarin, pour avoir assisté plusieurs empereurs,peut avoir plusieurs plaques en or ; sur l’une des faces sont gravés lesnoms et fonctions du titulaire. Exemple : Lai-Bo T r u o n g - N h u

« M . T u o n g - N h u du Ministère de l’Intérieur »,et sur l’autre : Duy-Tân ân t u &@ B ,$$ )@?, « Offre gracieuse de S. M.Duy-Tân ».

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- 4 0 2 -

La plaque en or est encore décernée aux grands mandarins pourvusdes grades de Dien-Ham (1) et de Cung-Hàm (2).

Les Gouverneurs Généraux, les Secrétaires Généraux, les RésidentsSupérieurs de l’Annam, quand ils viennent à la Capitale de l’Annampour la première fois, reçoivent de Sa Majesté une plaque en or avecles inscriptions Dong-Duong Toan-Quyen Dai-Than ‘sfb :# & @A gE ou Dong-Duong Pho-Toan-Quyen Dai-Than B # ZJ & @& g, ou Dai-Nam Kham-Su Dai-Than Jt: a 8 @ 3~ E.

Fig. 74.— Plaque, Bài, du Résident Supérieur en Annam.

(1) Les grandes de Dien-Ham ,@ @, ou Tu-Tru ~ $& « Quatre colonnes del’Empire » sont :

1 º Can-Chanh-Dien Dai-Hoc-Si $j!j j& jj!$ & &$ *.2 º Van-Minh-Dien Dai-Hoc-Si g Il)] E 3~ &j$ *.3 º Vo-Hien-Dien Dai-Hoc-Si $J a & ;k @ 2.4 º Dong-Cac Dai-Hoc-Si Ju?wdw--(2) Les Cung-H am e @j se divisent en deux catégories ; ce sont1º Tam-Công 5 a « Professeurs annamites du Roi » ;2 º Tam-Cô 5 $& « Professeurs annamites de Princes ».Les Tam-Công comprennent : 1º Tam-Thái 5 k, à savoir : Thai-Su k fis,

Thái-Phó & (8, Thai-Bao & ($k ; 2º Tam-thieu 31 $‘, à savoir 1 Thiêu-Su $@, Thieu-Pho $’ @, Thieu-Bao ‘J/q {j$.

Les Tam-Cô comprennent : 1º Tam-Thái 5 k à savoir : Thai-Tu-Thai-Suk T k @, Thai-Tu-Thai-Pho & 3 k #, Thai-Tu-Thai-Bao k 9 k B;2 º Tam-Thieu 2 jJ/4, à savoir : 1 Thai-Tu-Thieu-Su fr -7; j& @, Thai-tu-Thieu-Phó k 3 4/4 @, ‘1. Thai-Tu-Thieu-Bao & 3 @ @.

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- 4 0 3 -

Ces plaques sont apportées à la résidence du haut fonctionnaire àqui elles sont destinées, dans une table dorée dite Long-Ðình @ 9,couverte de parasols jaunes, entourée de bâtons laqués rouge (châutruong a#t: H), et portée par des lính en uniforme. La musiqueaccompagne la cérémonie pendant le trajet du Palais à la RésidenceSupérieure. Ces plaques sont remises aux titulaires par LL. EE. lesmembres du Conseil, au nom de l’Empereur.

Jadis, les plaques en argent étaient destinées à récompenser lesservices militaires ; elles portaient les deux caractères : thuong công>@ 3 « récompense au mérite ».

On voit à l’heure actuelle quelques T h i - V e & « Chambellans auservice de Sa Majesté », porter encore des plaques en argent. Cesplaques ont été créées en la 6e année de Minh-Mang (1825), et sontlongues de 1 tac 3 phân, larges de 1 tac portant l’inscription, surl’un des côtés, des nom et prénoms du Thi-Ve Exemple : Nguyen-Van-Mi px 2 gg et sur l’autre son grade. Exemple : Tam dang Thi-Ve 3$L$ f+ $#-j«« Thi-Ve de 3e c lasse ».

D’après les renseignements recueillis, les Thi-Ve qui portaient desplaques en argent étaient choisis pour le service personnel de Sa Ma-jesté et par conséquent pouvaient l’en approcher, tandis que les autresqui n’avaient que des plaques en ivoire étaient chargés du serviceextérieur ou des courses à faire.

Si, comme je l’ai dit, quelques-uns des Thi-Ve portent à l’heurequ’il est des plaques en argent, la distinction n’en a pas moins cesséd’exister, et ces serviteurs du Palais n’ont pas plus de prérogatives quetous les autres Thi-Ve

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Les KIM-KHÁNH en or (Titre 0,85O).- - - ~-.

POIDS

CARACTÈRES INSCRITS SUR LES Kim-khánh. PRIX (1)

Dong Grammes

1

WR*% Dai hang Kim-khánh. « Kim-khánh hors classe ».

Af$iGsE%B8 Dai-Nam Hoang-De sac t u « Décerné par l’Empereur d’Annam ». . . 5 18,890 23 $ 97

I -4%%iRb Báo nghïn thù huân. « Pour remercier quelqu’un du dévouement témoignéet des services rendus » .

#%%g% Duy-Tân sac t u « Décerné par Sa Majesté Duy-Tân ».

1

-@&$g n h u t hang Kim-khánh. « Kim-khánh de 1re classe ».

ki%P3$t%Hl% Dai-Nam Hoang-De sac t u « Décerné par l’Empereur d’Annam ». . . 4 15,112

= QS#iA

19 29Báo nghia thù huân. « Pour remercier quelqu’un du dévouement témoigné

et des services rendus ».

si%!#!!t% Duy-Tân sac t u « Décerné par Sa Majesté Duy-Tân ».

1

ZJFï@!% Rh/ bang Kim-khánh. « Kim-khánh de 2e classe ».

3 TJdJcg%m Dai-Nam Hoang-De sac t u « Décerné par l’Empereur d’Annam ». . . 3 11,334 14 62

#f!m&i

Gia thien sanh n a n g « Pour louer ses vertus et montrer ses talents ».Duy-Tân sac t u « Décerné par Sa Majesté Duy-Tân ».

\z%&S Tam hang Kim-khánh. « Kim-khánh de 3e classe ».

3tlei2%441115:4 gg?Y$

i

Dai-Nam Hoang-De sac t u « Décerné par l’Empereur d’Annam ». . . 2,5 9,445 12 28Lao nang kha t u o n g. « Son mérite est digne d’éloge ».Duy-Tân sac t u « Décerné par Sa Majesté Duy-tân ».

I

(1) Dans les prix indiqués dans ce tableau et dans les tableaux suivants ne sont pas indiqués les prix des franges, en perles : 0 $ 50, ou ensoie multicolore : 0 $ 05, vendues soit au Noi-Vu ou Trésor annamite, soit dans la ville de Hué.

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Les KIM-BOI en or (Titre 0,850).

CARACTÈRES INSCRITS SUR LES Kim-boiPOIDS

CLASSE P R I X

Dong Grammes

Quynh Giao vinh háo.« Cet objet, considéré comme les jades1 Quynh et Giao, servira de souvenir éternel ». . . . . . Très grande 6 22,668 28,63

if..%*% Duy-Tân niên tao. « Fabriqué sous le règne de Duy-Tân » . .

2 Ordinaire 4 15,112 19,29

Les KIM-TIEN, Sapèques en or.

P O I D S

CARACTÈRES ET MARQUES DES Kim-tien CLASSE TITRE P R I XDong Grammes

i

$@ #$ 3 B Duy-Tân thông buu « Ce qui est partout reconnuprécieux sous le règne de Duy-Tân » . . . i

i

9 34,002 Très pur 49,21.

1 wi;?t Long v a n « Ornements de Dragons » . . .i

Hors classe.

7 26,446 0 . 8 5 0 32,79

i

#$ 8 jg B Duy-Tân thông b u u. « Ce qui est partout reconnui

8 30,224 Très pur 43,75

2précieux sous le règne de Duy-Tân » . . . . .

{

1 r e

)) 11 1) B Marque : Dragons . . . . . . . . . . 6 22,668 0.850 28,121

1

#k $2 ;gj s Duy-Tân thông b u u « Ce qui est partout reconnu 5

3 )) )) )) »précieux sous le règne de Duy-Tân » . . . i

18,890 Très pur 27,38.

Marque : Dragons . . . . . . . . . .

Duy-Tân thông

i

L2e

I 0.850\

4,5 17,001 21,11

#@ f& j$j g

i -

b u u « Ce qui est partout reronnuprécieux sous le règne de Duy-Tân » . . .

4 15,112 Très pur 21,92.

4 z@j N h i nghi. « Deux puissances égales (le ciel et laterre) » . . . . . . . . . 13,223 0.8503,5 16,44

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Les NGAN-TIEN Sapèques en argent.

C A R A C T È R E S E T M A R Q U E S D E S Ngan-tien CLASSE

Minh-Mang thông bku. « Ce qui est partout reconnu précieux sous le règne de Minh-Mang » . . . . . . . . . . . . .

Marque : Dragons. iMinh-Mang thông b u u « Ce qui est partout reconnu précieux sous le

règne de Minh-Mang » . . . . . . . . . . . . .Long V&I I Ornements de dragons. iThieu-Tri thông b u u « Ce qui est partout reconnu précieux sous le

règne de Thieu-Tri » . . . . . . . . . . . . .Nhi nghi « Deux puissances égales (le ciel et la terre). » tThieu-Tri thông buu « Ce qui est partout reconnu précieux sous le

règne de Thieu-Tri » . . . . . . . . . . . . .Marque : Dragons.Thieu-Tri thông b u u « Ce qui est partout reconnu précieux sous le

I

règne de Thieu-Tri » . . . . . . . . . . . . .Phú tho da nam. « Richesse, longévité, beaucoup d’enfants ». IThieu-Tri thông b u u « Ce qui est partout reconnu précieux sous le

règne de Thieu-Tri » . . . . . . . . . . . .Ngu phúc. « Cinq bonheurs (Richesse, longévité, bonne santé, vertu,

bonne mort) ». Marque : cinq chauves souris. iTu-Duc thông b u u Trieu dân lai chi. « Ce qui est partout reconnu

précieux sous le règne de Tu-Duc Le peuple lui doit le bonheur. ».Marque : Dragons et nuages.Tu-Duc thong buu « Ce qui est partout reconnu précieux sous le

l

règne de Tu-Duc » . . . . . . . . . . . . . .Long van : Ornements de dragons.

2 e

5 e

»

»

»

»

»

Dong

7,2

5

2

7

4,5

5

5

7

P O I D S

Grammes

27,021

18,890

26,446

17,001

18,890

18,890

26,446

PRIX

1,15

0,80

0,32

1,12

0,72

0,80

0,80

1,12

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LES PREMIERS MISSIONNAIRES FRANÇAIS

A LA COUR DE HIÊN-VUONG

LE PETIT PRINCE CHRÉTIEN DU DINH-CAT

Par J.-B. ROUX,

des Missions Etrangères de Paris.

En quelque lieu qu’elle pénètre la religion chrétienne n’y peut pas-ser inaperçue. La sublimité de sa doctrine, la perfection de sa morale,la beauté de son culte attirent forcement l’attention des grands commedes humbles, des princes comme des sujets. Etant conforme à ce qu’ily a de plus noble dans la nature humaine, elle fait naître des sympa-thies qui deviennent quelquefois très vives; mais d’autre part, commeelle s’oppose d’une manière absolue aux passions, triste apanage del’humanité, elle voit s’élever contre elle des haines parfois terribles.De la vient que les dépositaires de l’autorité civile tantôt entretiennentdes rapports pleins de bienveillance avec les ministres de cette religionet tantôt éprouvent et manifestent de l’antipathie à leur égard, antipa-thie qui va parfois même jusqu’à la persécution.

Ce sont là des faits qui datent de vingt siècles, car ils sont aussi vieuxque la religion dont je parle.

Ce qui s’est produit dans l’empire romain quand la religion chrétien-ne y fut prêchée, ce qui est arrivé dans chacun des états de notrevieille Europe à mesure qu’elle y fut introduite ne manqua pas de serenouveler le jour où l’Annam vit arriver chez lui les premiers mis-sionnaires catholiques. C’était au début du XVIIe siècle, sous la dynas-tie des Lê. Depuis ce jour, les princes et les mandarins de ce pays, loinde suivre vis-à-vis de la religion chrétienne une politique uniforme,sympathique ou hostile, ont constamment varié dans leurs sentimentset leur conduite : l’histoire est là qui nous le dit, ils se sont montrésenvers elle tantôt bienveillants et tantôt persécuteurs.

Ce qui peut piquer la curiosité c’est de savoir quels furent au début,au XVIIe siècle par conséquent, les rapports de la Cour de Cochinchine

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- 4 0 8 -

avec les missionnaires catholiques, les premiers missionnaires françaisvenus en Annam. Ces rapports, heureusement, nous sont connus parles lettres des missionnaires de cette époque, et, nous le constatons avecjoie, ils furent excellents. Non seulement, le roi et les princes de sonentourage ne virent pas de mauvais oeil l’arrivée des prédicateurs decette religion nouvelle pour le pays, mais ils se montrèrent pour euxpleins d’estime et de bienveillance. Un petit épisode en marge de lagrande histoire nous permet de le constater. Il s’agit du baptême d’unpetit prince de la famille royale, fait en 1674 à la demande de sesparents par M. Mahot (1), un des premiers missionnaires français venusen Cochinchine, nommé plus tard Vicaire apostolique de ce pays.

Voici comment le fait est raconté dans la Relation des Missions etdes Voyages des Evesques Vicaires Apostoliques (2) :

« [Quelque temps après le 26 avril 1674 ], on manda M. Mahot pouraller baptiser un des enfants du second Prince qui demeurait chez songrand-père, à deux journées de la Cour.

« Il trouva un enfant malade depuis cinq mois, et comme on l’eûtassuré que non seulement le grand-père, mais aussi le père et la mèreconsentaient qu’on le baptisât, il lui donna le baptême et la santé enmême temps, car il fut guéri aussitôt et mit toute la maison en joie.Le grand-père et la grand’mère ne sachant comment reconnaître l’obli-gation qu’ils croyaient avoir à celui dont Dieu s’était servi pour lesconsoler, lui permirent de faire chez eux toutes les fonctions ecclésias-tiques. Ils lui avaient déjà dit dès son arrivée qu’ils avaient renoncéau culte du diable et des idoles et qu’ils avaient consacré au Dieu duCiel ce cher enfant, en le mettant entre les mains des Chrétiens pour-avoir soin de son éducation, mais quand il fut baptisé, leur dévotions’augmenta, ils entendirent tous les jours la messe du missionnaire, etils ouvrirent leur maison à tous les chrétiens qui voulaient recevoir lessacrements. Il s’en présenta tant pour se confesser, et tant de Gentilspour se faire instruire, que ce bon prêtre n’eut point de repos ni journi nuit durant une semaine entière.

« Mais ce jeune enfant s’étant de nouveau trouvé mal, son médecinordinaire, qui était payen, prit occasion de décréditer les chrétiens, com-me s’ils eussent été la cause de cet accident, et il s’obligea de le guérirdans trois jours par l’invocation du démon, auquel il présenta ses

(1) Guillaume Mahot, de la Société des Missions étrangères de Paris, né àArgentan vers 1630, venu en Cochinchine en 1666, nommé en 1680 Vicaire aposto-lique, mort à Faï-fo en juin 1684.

(2) Relation des Missions et des Voyages des Évesques Vicaires Apostoli-ques et de leurs ecclésiastiques ès années 1672, 1673, 1674 et 1675. Paris, CharlesAngot 1680. Pages 257-258.

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- 4 0 9 -

sacrifices. Les parents ayant cru trop légèrement cet imposteur, M. Mahotse retira, et le mal de l’enfant ayant augmenté au lieu de diminuer aubout de trois jours, on chassa honteusement le médecin idolâtre pourfaire place à un médecin chrétien, qui dès le premier remède avaitguéri son malade.

« M. Mahot ayant su cet heureux événement, retourna gaiement à laCour [ Hué ]... ».

Le document suggère plusieurs questions : Qui était ce second Prin-ce dont M. Mahot baptisa un enfant ? Quels étaient les grands-parents

De l'épouse principale...

du baptisé et quel était le lieu de leur résidence où eut lieu la cérémo-nie ? Enfin qui était ce petit prince qui reçut ainsi le baptême et quedevint-il dans la suite ?

D’abord quel est le personnage désigné sous le nom de second Princepar l’auteur du récit que nous venons de transcrire ?

En 1674, année où se passa l’événement que nous venons de raconter,le roi de Cochinchine était Hien-Vuong de la famille des NguyenA cette époque, l’Annam était divisé en deux royaumes : la Cochinchineet le Tonkin. Les Chúa, sorte de Maires du Palais, préposés au gouver-nement de ces deux pays par le roi d’Annam, s’étaient peu à peu emparéde l'autorité royale tout entière ainsi que des honneurs et prérogativesqui y sont attachés. Ils avaient même abandonné leur titre plus mo-deste de Chúa (Seigneur) pour prendre celui de Vuong (Roi). Lesdeux pays étaient complètement indépendants l’un de l’autre et mêmecontinuellement en guerre l’un contre l’autre. Des deux côtés pourtanton continuait à reconnaître les princes de la dynastie des Lê commerois légitimes, n’exerçant toutefois sur les deux pays qu’une suzeraineténominale. Cet état de choses durait depuis le début du XVIIe siècle.

Hien-Vuong était monté sur le trône de Cochinchine en l648. Ilmourut en 1687. Il eut plusieurs fils dont voici la liste d’après le Liettruyen

Des épouses secondaires.

en 1686, âgé de 35 ans).1 5e Fils : Niên J@, mort prématurément.

De mères inconnues. . . 6e Fils : Nhieu &, mort prématurément,Deux filles, dont le nom est perdu.

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Parmi tous ces fils de Hien-Vuong quel est celui auquel peut s’ap-pliquer le titre de « second Prince » ? Si l’on considère l’ordre généraldes naissances ce serait celui qui régna plus tard sous le nom de Ngãi-V u o n g mais si l'on tient compte du rang des épouses de Hien-Vuongmères des petits Princes, le second Prince serait le prince Hiep secondfils de l’épouse principale Chau-Th i car le futur Ngai-Vuong étaitné d’une épouse secondaire T o n g - T h i

D’après plusieurs documents que nous allons citer c’est le princeHiep que les missionnaires entendent désigner quand ils parlent du« second Prince ». C’était sans doute le rang qu’il occupait à la cour,à cause de la dignité de sa mère.

A propos de la campagne de 1672 contre les Tonkinois, on dit dansla Relation des Missions et des Voyages des Evesques VicairesApostoliques (1) : « Pour ce qui regarde l’armée de terre [ des Tonkinois],elle n’eut pas la même destinée, elle arriva tout entière jusque au piedde la muraille qui sépare la Cochinchine d’avec le Tonquin. Et quoiquele jeune prince cochinchinois, qui était le second fils du Roi, pré-tendit faire avancer les troupes qu’il commandait au delà de cettemuraille. . . . il fut cependant prévenu par les autres et contraint dese défendre sur sa frontière... »

On dit ailleurs dans le même ouvrage (2) : « On les attendait [lesTonkinois] l’année 1676 sur la frontière avec quarante mille hommesbien aguerris, mais ils ne parurent pas. On avait même dessein de lesaller chercher dans leur pays, et on l’aurait fait effectivement, n’étaitque le second fils du Roi de la Cochinchine, qui était Général desarmées de terre, vint à mourir lorsque l’on n’y pensait pas, et celtemort arrêta tous les préparatifs de l’expédition : de sorte qu’on secontenta de se mettre sur la défensive jusqu’à ce que le deuil de la Courfut passé. »

Deux autres passages du livre que nous venons de citer parlent d’unvoyage de Mgr Lambert de La Motte, évêque de Bérythe et Vicaireapostolique de la Cochinchine, en 1675, de Siam où il résidait à « Sinoë[ Hué], ville capitale du royaume ».du second fils du Roi:

On y fait allusion à la mort récente

« [M. de Berithe] partit [de Siam] avec l’agrément du Roi et lespasseports nécessaires et s’étant mis sur la rivière le 23 juillet [ 1675],. . . . quatre jours après il s’embarqua . . . . sur le navire royal [de

(1) Relation des Missions et des Voyages des Evesques Vicaires Aposto-liques ès années 1672, 1673, 1674 et 1675. Paris, Charles Angot, 1680, p. 159.

(2) Relation des Missions et des Voyages des Evesques Vicaires Aposto-liques. . . . . ès années 1672, 1673…p. 340.

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l’ambassadeur annamite venu à Siam] de la Cochinchine, qui le portaavec autant de diligence et de bonheur- qu’on le pouvait souhaiter.Sitôt qu’il fut débarqué on le conduisit à Sinoë, ville capitale duRoyaume (1) . . . . »

« Dès qu’on fut débarqué à Faïfo, où nous avons une maison, et oùles étrangers abordent de toute part . . . . L’accident qui était arrivédepuis peu de la mort du second fils du Roi retarda extrêmementles avantages que l’on avait espéré de la Cour, où l’on s’était rendu endiligence. Ce Prince avait de si grandes qualités, qu’on le regardaitcomme le plus solide appui de l’Etat, et le Roi son père fut si touché desa perte qu’il passa plusieurs mois à digérer sa douleur, sans pouvoirse résoudre à voir aucun étranger. Cependant, le Ministre d’Etat, qui ale département des Etrangers, et qui avait épousé la soeur du Princemort, nonobstant le grand deuil où il était, nous fit toutes les civilitésimaginables (2). . . . »

Il est de toute évidence que dans les extraits que nous venons dedonner le « second fils du Roi » est bien le prince Hiep C’est bien luice prince, plein de qualités, qui mourut en 1675, si vivement regrettéde son père ; c’est bien lui ce brave qui, trois ans plus tôt, s’illustraà la tête des troupes cochinchinoises, dont il avait été nommé Généralen chef (Nguyên-Soái), dans cette fameuse campagne de 1672 contreles Tonkinois, campagne décisive pour l’établissement des Nguyen enCochinchine : la victoire, en effet, fut complète et consacra l’indépen-dance du pays.

Il ne paraît pas douteux que ce ne soit de ce prince encore qu’ils’agisse dans le passage suivant où l’auteur de la Relation nous montreles bonnes dispositions de la Cour à l’égard de la Religion chrétienne.

.... « Au commencement de l'année 1675.…. les missionnaires sa-vaient de bonne part que le Roi n’était pas ennemi de leur Religion,ni de leurs personnes, non plus que ses deux enfants, dont l’aîné nes’était pas contenté de louer hautement la générosité d’un Cochinchi-nois qui était mort martyr l’an passé (3) ; mais il avait mêmeprié quelqu’un d’apprendre les principes de notre sainte Foi àson fils, qui paraissait s’y porter par inclination ; et le cadet, outrequ’il avait pris pour médecin le P. Barthélemy d'Acosta, Jésuite,quoiqu’il le connût pour prêtre, il avait encore dit confidemment à un

(1) Relation des Missions et des Voyages des Evesques.... ès années 1672,1673.... p. 340.

(2) Relation des Missions.... des Evesques.... ès années 1676 et 1677, p. 2-3.(3) Il s’agit de Dominique Thu-Hap Voir son histoire dans Relation des Mis-

sions.…. des Evesques.… ès années 1672, 1673 .… pp. 267-270.

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de ses officiers qu’il savait être chrétien : « Votre Religion est sainteet véritable, mais elle est bien fâcheuse aux Grands dans sa morale,puisqu’elle condamne la multiplicité des femmes ». Ils n’ignoraient pasaussi [les missionnaires] que plusieurs seigneurs de la Cour avaientgrande disposition à embrasser l’Evangile pour peu que le Prince euttémoigné que la chose ne lui serait pas désagréable (1) ».

On pourrait objecter à ce que nous venons de dire sur l’identité dusecond fils du Roi et du prince Hiep qu’il y a dans la Relation d’au-tres passages (2) où il est fait mention d’un « second Prince », « se-cond fils du Roi de la Cochinchine », qui n’est certainement plus leprince Hiep — La chose est vraie, mais elle ne donne lieu à aucuneconfusion puisque les faits où il est question de ce nouveau «secondPrince » se passent en 1676 et en 1677, c’est-à-dire après la mort duprince Hiep Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce qu’après la mort dece dernier un autre fils du Roi ayant pris sa place à la Cour ait été ap-pelé à son tour du titre correspondant à sa dignité.

Il n’y a donc pas à en douter, le « second Prince » dont le fils futbaptisé par M. Mahot est bien le prince H i e p A défaut des précisionsque nous avons pu donner, les louanges seules que donnent les mis-sionnaires à ce « second fils du Roi » toutes les fois qu’ils nous parlentde lui auraient fait deviner en lui cet illustre fils de Hien-VuongEn effet, « c’est une belle figure, un noble caractère que ce prince Hiep,dit le P. Cadière dans son Etude sur l’établissement des Nguyen enCochinchine. Il se présente à nous avec une auréole de vertu et degrandeur que l’on est peu habitué à voir dans les cours d’Extrême-Orient. A son arrivée à la cour, après son triomphe [sur les Tonkinois,en 1672], dit le, L i e t - t r u y e n (II, 14 ab), le Roi, plein de joie, lui donnaen récompense cent onces d’or pur et mille onces d’argent, avec cin-quante pièces de brocart. Mais le Prince refusa tout d’abord: « Cettevictoire, dit-il, est l’effet de votre puissance et des efforts des officiers.Comment moi seul en aurais-je été capable ? » Hien-Vuong répondit :« Votre mérite est grand; vous êtes digne de recevoir une récompenseéclatante. » Alors le Prince accepta. Pendant la campagne, il reposatoujours dans sa tente avec deux soldats qui veillaient l’un à sa droite,l’autre à sa gauche. Un habitant du Quang-Binh nommé Bat-Nghiaavait chez lui une jeune fille fort belle qu’il vint offrir au Prince. Maiscelui-ci refusa la proposition, tout en donnant au père une aumône dedix ligatures, à cause de sa pauvreté. Après son retour, il repoussa aussi

(1) Relation des Missions..... des Evesques.... ès années 1672, 1673.....pp. 334-336.

(2) Relation.... ès années 1676 .… pp. 54 et 77.

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toutes les jeunes filles qui venaient le visiter. Il se fit construire unepetite cellule, et y vécut, faisant ses délices de la méditation de laloi bouddhique.L’année 1675 il fut atteint de la petite vérole, etmourut, âgé de 23 ans. Son temple funéraire est à Van-The près deHué (1). »

Le fils de ce prince aussi vertueux que brave que M. Mahot futappelé à baptiser « demeurait, dit la Relation des Missions.... desEvesques (2). . . , chez son grand-père, à deux journées de la Cour »

Il s’agit évidemment du grand-père maternel, puisque le grand-pèrepaternel n’était autre que le roi Hien-Vuong Qui est ce personnageet où résidait-il ?

Deux lettres de M. de Courtaulin (3), missionnaire en Cochinchine,vont nous l’apprendre.

Dans un voyage qu’il fit en 1675 dans les provinces au Nord de Hué,ce missionnaire arrive au camp de ofi Ile11 thú (ông T r a n - T h u Gouver-neur du Dinh-Cat lui fait visite... lui donne un miroir , . . . sa femmeâgée de 60 ans.. . veut se convertir.. . mais ne veut pas apprendre lesprières... , trop vieille.. . « elle a fait baptiser le petit fils (4) du se-cond fils du Roi à cause qu’il est son petit-fils et lui a donné unenourrice chrétienne (5), . . . veut qu'on baptise le frère aîné de ce Prince,fils aîné, âgé de huit ans.. . ce que le missionnaire refuse de faire depeur de faire un apostat (6)... »

(1) L. Cadière : Le Mur de Dong-Hoi Etude sur l’établissement des N g u y e nen Cochinchine. Hanoi. Schneider 1906. pp. 144-145. — La tablette Bai-Vi deTon-That Hiep a été placée au temple dynastique de Thai-Mieu dans le Palais royal.On sait que dans ce temple sont honorés les serviteurs méritants ayant participéà l’établissement du trône des Nguyen en Cochinchine. La tablette du prince Hiepest la seconde de la galerie de gauche. Cf. L,. Sogny : Les associés de gauche etde droite au culte du temple dynastique de Thai-Mieu Bulletin des Amis duVieux Hué 1914 pp. 300-302.

(2) Relation des Missions... des Evesques... ès années 1672... p. 257.(3) Jean de Maguelonne de Courtaulin, né à Limoux (Aude), à une date que

nous ignorons, missionnaire au Siam en 1670, passe en Cochinchine en 1674.(4) C’est-à-dire : le jeune enfant.(5) Ce terme de nourrice doit s’entendre dans le sens large ; c’est plutôt une

gouvernante qu’on donna au petit prince, déjà âgé de six ans au moment de sonbaptême, en 1674. Il est possible aussi que par ce mot de nourrice M. de Cour-taulin veuille désigner la marraine du baptisé : les chrétiens annamites se serventen effet facilement du mot vú qui signifie proprement nourrice pour désigner lamarraine du baptême. Cette personne aurait ainsi assumé la charge de l’éduca-tion chrétienne du Prince à défaut des parents demeurés païens.

(6) Extrait d’un rapport de M. de Courtaulin : « Relation de la Cochinchineen l’année 1675 et 1676. » Archives M. E.. Vol. 734, p. 227.

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L’année suivante (1676), le même missionnaire passe de nouveau auÐinh-Cát, où il rencontre « la nourrice du fils du prince défunt (1) »,femme dont il vient d’être parlé dans l’extrait précédent.

Pendant ce même voyage, M. de Courtaulin rencontre le petit princechrétien lui-même. Voici dans quelles circonstances. Le missionnaireétait allé visiter les chrétiens de Bo-Lieu Pendant son séjour dans cevillage, en pleine nuit « voici un ivrogne, maître de Satan, qui se jetteimpétueusement sur l’autel et prend un crucifix d’argent avec uneimage dorée au-dessous (2). » De plus, le voleur s’efforce d’ameuterles païens contre les chrétiens et appelle les principaux du village,qu’il « sollicite d’aller prendre prisonnier le catéchiste Joseph Coli (3)à cause qu’il était chrétien. » Mais un des « escholiers » du Père accourtet se jette sur le voleur. Dispute, coups, enfin bagarre sérieuse. M. deCourtaulin intervient alors. « Je dépêche, dit-il, un « escholier » àoiï tfen thu (ông Tran-Thu) , gouverneur de cette province qui dépêchetout aussitôt un commissaire pour citer le làng et l’obliger de merendre et l’image et tout ce qu’ils m’auraient enlevé. - Le petit prince,appelé Thomé, sachant ce qu’on avait fait à Bo-Lieu ne put mangerpendant tout le jour et pleurait sans cesse. Ce qui obligea le gouverneurde passer à Ðinh-Cát (4) pour consoler cet enfant. qui me voyant tres-saillit de joie et m’obligea de rester encore un jour avec lui. J’acquiesçaidonc à son désir, employant tout ce jour à le fortifier dans la fermerésolution de ne renoncer point à la religion que sa mère avait déclarélui vouloir faire renier. C’est un enfant de huit ans... Le gouverneurgronda les principaux du village leur disant : « Il n'y a point ordre duRoi de prendre les chrétiens, ni de moi, comment donc est-ce que vousavez été si téméraires d’enlever l’image du Père ? Gardez-vous biend’y retourner, et rendez le tout au dit Père, » Ce qui avait été déjàfait (5)... »

D’après ces extraits, le grand-père du petit Prince baptisé parM. Mahot était en 1675 et 1676 gouverneur T r a n - T h u de la provincede Dinh-Cat Or, à cette époque, le gouverneur du Dinh-Cat était Tôn-T h a t Tráng lrlf:. Il avait été nommé en 1666. Il vivait encore en 1687,mais paraît être mort cette année-là même. Comme on ne mentionne

(1) C’est le prince Hiep qui venait de mourir en 1675. — Extrait d’une lettre deM. de Courtaulin à M. Lambert de la Motte, datée de 1676 — Archives M. E., vol.734, pp. 183-191.

(2) Ibid.(3) Cette orthographe équivaut à l’orthographe actuelle Công.(4) Il s’était sans doute absenté momentanément de sa résidence.(5) Extrait d’une lettre de M. de Courtaulin à Mgr. Lambert de la Motte, datée

de 1676. Archives M. E., vol. 734 p. 183-191.

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pas d’autre Tran-Thu pendant cet intervalle 1666-1687, il est vrai-semblable que Ton-That Tráng garda son gouvernement du Dinh-Cátjusqu’à sa mort. Ce serait donc lui qui était Tran-Thu en 1674, aumoment du baptême du fils du prince Hiep et en 1675 et 1676, lorsdes deux passages de M. de Courtaulin.

Ce Ton-That Tráng était fils de Dieu $1, lequel était fils aîné deUyên @A, lequel était fils de Uông t$& frère aîné de Nguyen-HoangCedernier était le bisaïeul de Hien-Vuong Par conséquent, le princeHiep avait épousé une de ses petites cousines au 5e degré, comme onpeut s’en rendre compte par le tableau suivant :

Nguyen Sn- Kim

Nguyen-Hoang UongI 1

T e - Vuong Uyên1 1

C o n g - T h u o n g - V u o n g Dieu1 1

Hien-Vuong Trang ng1 1

Prince Hiep Epouse du prince Hiep

Le chef-lieu de la province du Dinh-Cát, résidence du T r a n - T h u setrouvait en 1674 à une petite distance au Nord de la citatelle actuellede Quang-Tri un peu en aval du marché actuel de Ai-Tu C’est doncen ce lieu que se fit le baptême sensationnel du jeune prince, petit-filsde Hien-Vuong Le fait est confirmé par le détail dont fait mentionM. Mahot, que le grand-père (maternel) demeurait à deux journées dela Cour ; il y a, en effet, deux jour ; de marche de Hué à Quang-Tri

Il nous reste maintenant à dire un mot du petit Prince, héros decette histoire. Qui est-il et que savons-nous de lui ?

D’après le Liet truyen le prince II$p eut quatre fils : Nhuan $!J,Le .fjC, Thieu &!d et Phan sa

Le petit Prince baptisé avait huit ans en 1676. « C’est un enfant dehuit ans », nous dit M. de Courtaulin dans sa lettre de 1676 que nousavons citée plus haut. D’autre part , son frère aîné avait aussi huit ansen 1675, ou au moins avant la fête des Rois de 1676. M. de Courtaulinnous l’apprend dans sa Relation de la Cochinchine en l’année 1675et 1676, dont nous avons déjà parlé : « (La femme du gouverneur duDinh-Cát, qui a fait baptiser le petit Prince par M. Mahot) veut qu’onbaptise aussi le frère aîné de ce Prince, fils aîné, âgé de huit ans...» ce

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que le missionnaire refuse. Les deux enfants avaient donc un ande différence. Si celui qui ne fut pas baptisé malgré la demande desa grand’ mère, était le « fils aîné » (le prince Nhuan par conséquent),celui qui l’avait été est nécessairement le second, nommé L e leur peude différence d’âge amenant à conclure qu’ils se suivaient dans l’ordrede naissance.

Nous aimerions donner une biographie complète de ce prince L emais tout ce que nous savons de lui se borne à ce que nous avons ditplus haut d’après les missionnaires qui le rencontrèrent en 1674, 1675et 1676 : les circonstances de son baptême, son éducation par unenourrice chrétienne, les deux visites que lui fit M. de Courtaulin,visites qui comblèrent de joie le jeune Prince et l’affermirent dans lafoi Chrétienne que sa mère voulait lui faire renier. M. de Courtaulinnous apprend encore incidemment un détail intéressant, c’est que lepetit Prince avait reçu au baptême le prénom de Thomé ou Thomas.

C’est là tout ce que nous savons de notre héros. Que devint-il dansla suite ? Nous l’ignorons. Peut-être mourut-il en bas âge.… En toutcas, il n’acquit aucune illustration, car l’histoire est muette sur soncompte et les missionnaires ne parlent plus de lui.

Considéré en lui-même, l’événement qui a servi de point de départà la présente étude, le baptême d’un enfant de la famille royale, n’aqu’un caractère tout à fait privé et intime. C’est pourtant grâce à luique nous connaissons mieux la Cour du roi Hien-Vuong surtout aupoint de vue fort intéressant pour nous, Français, des rapports des pre-miers de nos compatriotes venus en Annam avec le jeune royaumecochinchinois. Nous pouvons résumer en deux mots les sentiments dela famille royale de Cochinchine au XVIIe siècle envers les misionnai-res français et la religion qu’ils étaient venus prêcher : ce qu’elle leurtémoigna ce fut plus que de la bienveillance, ce fut une franche estimeet une sympathie très prononcée. Félicitons-nous de ce que ce pointd’histoire ait pu être mis en relief grâce aux relations des missionnairesavec le petit Prince chrétien du Dinh-Cát, Thomé Ton-That L e petit-fils du roi Hien-Vuong

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LE CHANGEMENT DE COSTUME

SOUS VO-VUONG, OU UNE CRISE RELIGIEUSE

A HUÉ AU XVIIIe SIÈCLE (1)

des Missions Etrangères de Paris.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, Vo-Vuong promulgua une loi quimodifiait le costume des Annamites. Nous avons à ce sujet deux sourcesde renseignement : les Annales des Nguyen antérieurs à Gia-Long (2)et la description de la Cochinchine que nous a laissée un missionnairede l’époque, le Père Koffler (3).

La réalité du fait est hors de doute. « En giáp-tí, 1744 …, le Sou-verain . . . fit changer le costume et les habitudes du peuple qui, toutcomme lui-même, commença ainsi une ère nouvelle ». C’est ainsi queles Annales mentionnent l’événement. Le P. Koffler dit de son côté :« En l’année 1744, une loi fut promulguée et les Cochinchinois délais-sèrent le sordide vêtement des Tonkinois pour en adopter un nouveaupropre aux Chinois. »

Les deux documents donnent quelques détails sur les circonstancesqui accompagnèrent la promulgation de cette loi. Ils laissent néan-moins quelques points dans l’obscurité. Nous allons tâcher d’exposerla question telle qu’elle nous est présentée.

D’abord, nous devons remarquer que nous sommes en l’année cycli-que giáp-tí : c'est l’année initiale d’un nouveau cycle sexagésimal,c’est donc une année qui a une importance spéciale non seulement au

(1) Communication lue à la réunion du 25 mai 1915.(2) Dai-Nam that-lucuc tien-bien livre X, folio 11.(3) Description historique de la Cochinchine, par Jean Koffler. Traduction

française par le P. V. Barbier, de la Société des Missions Etrangères, parue dansla « Revue Indochinoise », 1911. Le passage concernant le changement de cos-tume est aux pages 596-597.

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point de vue chronologique, mais aussi au point de vue religieux ouplutôt magique. Tout comme les premiers jours d’une nouvelle annéeont, dans la croyance des Annamites, une influence qui se fait sentirsur le reste de l’année, de même, la première année du cycle règle pourainsi dire le cycle entier et l’ordonne vers le bonheur ou vers le malheurpour les individus et pour l’ensemble de la nation. Cette influence ducommencement, que les Annamites traduisent par l’expression m a y -x u a « la chance du passé », ou peut-être plus exactement « la chancedu début » (1), expression qui correspond à notre mot « étrenner » etaux croyances populaires qui se rattachent en France à ce mot, cetteinfluence, dis-je, se manifeste même dans les actes journaliers etdonne lieu à une foule de croyances qu’il est inutile de rappeler ici.

Une raison toute particulière venait augmenter l’importance, aupoint de vue magique, de cette première année cyclique. « Il existait,disent les Annales, une prophétie ainsi conçue : Lorsqu’il y aura huitgénérations, on reviendra à la capitale centrale. »

Le P. Koffler mentionne aussi cette prophétie, qui devait courir lepays à cette époque, ou au moins qui devait se répéter à la Cour desNguyen dont le missionnaire était un des familiers. Mais il la rapporteavec quelques détails supplémentaires.

« Vers l’an 1754, nous dit-il, le Roi invita à la Cour un ermite degrand renom, âgé de quatre-vingts ans et habitant le sommet d’unehaute montagne des provinces méridionales.... Dès qu’il fut en ça pré-sence, le Roi.... lui posa diverses questions et l’interrogea ensuite surdifférents points concernant le royaume. Cet habile imposteur deman-da, avant de répondre, que l’on fit sortir tous ceux qui entouraient lePrince. Le Roi livra peu après à ses familiers un secret que tousdevaient garder. C’est la prophétie suivante dont voici le sens littéral :

« Il y aura huit chefs en Cochinchine, pas un de plus ; quand les mon-tagnes se transformeront en vallées; quand seront obstrués les ports dela mer; quand les naturels de chez nous auront disparu; quand de nou-veaux hommes apparaîtront, alors ce royaume passera en d’autresmains et sera gouverné par des étrangers. »

Le missionnaire commente ensuite les divers points de cette pro-phétie, et c’est à cette occasion qu’il mentionne la promulgation d’uneloi prescrivant le changement de costume.

« Voyons en passant, dit-il, la valeur des prophéties du vieux soli-taire : le Roi actuel est le huitième de la Cochinchine. Les montagnesse transformèrent eu vallée : vers l’année 1746 de hautes montagnes se

mot annamite xua se rattache à peu près certainement au sino-annamite

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rompirent violemment par le milieu, produisant entre elles une vasteplaine paraissant l’œuvre de la nature et dans laquelle subitement onvit fleurir un arbre très élevé. Les ports de la mer sont bouchés : déjà,avant 1743, trois d’entre eux devinrent impropres à recevoir les na-vires, et même les barques de transport de Cochinchine. Enfin, lesanciens hommes disparaissent et de nouveaux apparaissent : en effet,en l’année 1744, une loi fut promulguée et les Cochinchinois délais-sèrent le sordide vêtement des Tonkinois pour en adopter un nouveaupropre aux Chinois. »

Le P. Koffler n’ose pas conclure, et laisse prudemment la réalisationde la prophétie entre les mains de Dieu. « Cependant, la vérité ou lafausseté de ces oracles est connue seulement de celui qui est le seulDieu de tous les royaumes de la terre. »

Les Annales parlent de la prophétie à propos d’événements quieurent lieu en 1744. Le P. Koffler la mentionne en l’année 1754. Maisil dit expressément que le changement, de costume, qui est mis enrelation avec la prophétie par les Annales, eut lieu en 1744. On peutsupposer, pour concilier les deux dates que l’ermite ne fit que répéteren 1754, devant Vo-Vuong en personne, une prophétie qui avait coursdepuis quelques années dans le pays.

D’ailleurs l’Annam semble avoir été en proie à cette époque à unecrise religieuse, à une véritable fièvre prophétique. On attendait quel-que chose, et tous les événements qui arrivaient, ordinaires ou extra-ordinaires, étaient rapportés à cette attente fébrile. Nous avons untroisième document qui nous fait connaître, avec d’autres détails, cetétat d’esprit.

En 1740, un Visiteur apostolique, Mgr de La Beaume, était à Hué, etson secrétaire, l’abbé Favre, nous a laissé une relation de cette visite,où l’on trouve à glaner de nombreux renseignements de routes sortes.L’abbé Favre nous parle des prophéties qui avaient cours à ce moment ,et nous les présente sous un certain point de vue (1).

Vo-Vuong venait d’être intronisé. Quelque temps après, « les Bon-zes » firent des efforts pour amener le nouveau souverain à prendreparti contre la religion chrétienne.

« Ils lui représentoient. . . . que la colère du Ciel éclatoit déjà pardes événemens épouvantables : 1º par la catastrophe d’une montagnequi s’était écroulée, en sorte que la terre étoit ébranlée dans ses fon-dements ; 2º par une noire Légion de rats qui ravageoient la campa-gne ; 3º enfin parce que le port de la mer qui est à trois lieues de Hué,

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étoit comblé de sable : Ce sont-là, répétoient-ils avec de grands sou-pirs, tout autant de fléaux que nous envoient les Dieux irrités et jalouxde ce que votre peuple abandonne leur culte et dresse des autels à ceDieu étranger des Européens, qui vient usurper leur Empire. »

Vo-Vuong fit discuter l’affaire en son conseil. Le premier Ministreexpliqua qu’il ne fallait voir dans les événements signalés que des effetsdes causes naturelles. Deux autres mandarins émirent au contraire l’opi-nion « qu’il faloit chasser les Européans qui n’étoient que des boutefeuxet des calomniateurs ». Heureusement, le quatrième mandarin, « on-cle du Roi, Ministre d’Etat et de la Guerre, qui passe pour avoir lameilleure tête et à qui Sa Majesté défère beaucoup », se rangea àl’avis du premier Ministre, fit ressortir les bienfaits que les mission-naires répandaient dans le pays et fit même le procès des bonzes. « Lediscours du grand Mandarin ne déplut point au Roi. »

Les bonzes ne se découragèrent pas. « Ils séduisirent un apostat quifeignoit d’être Prophète, il prédisoit une famine qui désoleroit toutleur Royaume, que le tems n’étoit pas loin où l’on essuyeroit toutesles misères publiques, que les Grands se révolteroient contre le Roi, etque les peuples périroient par le fer et par la peste, pour avoir aban-donné le culte des vrais Dieux et les lois de Confucius ; qu’il n’y avoitqu'un seul moyen pour prévenir tous ces maux ; qu’il étoit lui, le favo-ri des Dieux et leur envoyé pour publier la vérité et les décrets célestes;qu’il étoit prêt à mourir sur un échaffaut, et qu’il venoit s’immolercomme une victime sacrée pour apaiser la colère des Dieux.

« Ces impostures quoique très grossières, faisoient de fortes impres-sions sur le peuple et donnoient ocasion à mille fabuleux discours: toutcela vint aux oreilles du Roi, un jour il en parla aux Dumes de sa Cour,soit pour badiner, soit tout de bon, l’une d’entre elles, et la plus sagerépondit à Sa Majesté que ce prétendu Prophète étoit sans doute unimposteur et un scélérat, qui méritoit le dernier suplice, puisqu’ilosoit séduire les peuples... »

Le roi le fit emprisonner. Il avoua sa supercherie et fut décapité.Le récit de l’abbé Favre concorde en beaucoup de points avec le récit

du P. Koffler, et la version concise des Annales nous dépeint une mêmesituation. Pendant tout le règne de Vo-Vuong mais principalementdans les premières années, la Cochinchine et la Cour elle-même furentremplies de rumeurs étranges. Des prophètes se disant inspirés d’en hautannonçaient les pires catastrophes, ou mieux des prophéties anonymescirculant parmi la population suscitaient, de ci de là, des prophètes quiles concrétisaient en les répétant, et contribuaient à maintenir, augmen-taient même, un état d’esprit général qui aurait, pu devenir dangereuxpour la tranquillité du royaume.

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Les trois documents qui nous renseignent sur ces événements s’ac-cordent à nous montrer Vo-Vuong au courant de la situation. Et nonseulement il connaissait les bruits qui couraient parmi le peuple, maisencore il y croyait. Ce n’est pas comme on pourrait le croire toutd’abord, les missionnaires qui nous sont un garant du fait, mais lesAnnales, qui nous disent expressément que c’est à cause même de cesbruits que Vo-Vuong fit changer le costume de ses sujets : « Commeil y avait une prophétie qui disait qu’après huit générations on re-viendrait à la capitale centrale, à cause de cela, le Souverain fit changerle costume et la manière d’être du peuple, lequel, tout comme lui-même, commença ainsi une ère nouvelle. »

Etudions donc les dispositions que prit Vo-Vuong pour remédierà la situation que créaient ces rumeurs qui se propageaient dans leroyaume.

Tout d’abord, il faut remarquer que le changement de costume pres-crit par Vo-Vuong n’est qu’un détail secondaire dans un vaste plande rénovation générale du royaume tout entier et en particulier de lacapitale. Le nouveau souverain, dès son avènement, avait fait bâtir,imitant en cela l’exemple de presque tous ses prédécesseurs, un nouveaupalais, sur le territoire de Phú-Xuân, à la gauche de l’ancien palais,c’est-à-dire, d’après d’autres documents, à l’angle Sud-Est de la cita-delle actuelle, sur l’emplacement du palais du C o - M a t C’était vers la finde 1738 et au commencement de 1739. Une quinzaine d’années plus tard,en 1754, la résidence du prince fut embellie de nombreux palais, dejardins, de pièces d’eau. En 1744, après une demande trois fois répétéede ses mandarins, Vo-Vuong se proclama Vuong : à cette occasion,il fit fondre un sceau spécial, il désigna son palais par le titre de Dienet, tout en conservant le titre de règne des Lê, il adopta certainesformules protocolaires nouvelles. Tous ses ancêtres furent anoblispar lui ; les membres de la famille royale reçurent des titres spé-ciaux ; les troupes de la garde furent appelées troupes Vo-Lamdénomination qu’elles gardèrent longtemps, même après Gia-Long ;les divers Bureaux à qui était dévolue l’administration du royaumefurent constitués en Ministères, au nombre de six ; le corps des let-trés reçut l’appellation de Bureau des Hàn-Lâm ; enfin, un édit spé-cial prescrivit le changement de costume dont nous avons parlé, eten même temps l’habit de cour des mandarins civils et, militaires fut,déterminé, après un examen diligent des règlements des anciennesdynasties concernant cette matière. D’autres édits avaient complété, oucomplétèrent plus tard toutes ces réformes : réglementation des examenslittéraires ; réorganisation des greniers publics et des douze provincesdu royaume ; émission de nouvelles sapèques, etc.

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On comprend maintenant l’expression de l’annaliste : « Le Souverainfit changer le costume du peuple, lequel, tout comme le Souverain lui-même, commença ainsi une ère nouvelle ». On comprend comment lemême annaliste termine l’énumération de ces changements par laréflexion suivante : « De la sorte, on vil apparaître une civilisationbrillante entièrement nouvelle. » Vo-Vuong voulut tout rénover : lui-même , sa dynastie, sa cour, sa capitale, son administration, le royaumetout entier.

Or, toutes ces réformes furent entreprises à cause de la prophétie,ou plutôt des prophéties, qui circulaient dans le royaume. Les Annalesle disent expressément. A première vue, il semble que cette relationde cause à effet n’est donnée que pour le changement de costume.Mais, si on examine bien le sens des deux réflexions de l’annaliste queje viens de mentionner, et leur place après l’énumération des diverschangements entrepris par Vo-Vuong on voit que tous ces changementssont en relation étroite avec la prophétie ; c’est à cause de cette pro-phétie que Vo-Vuong aussi bien que son peuple, commencèrent, en,tout, une ère nouvelle.

Examinons maintenant d’une façon plus attentive quel fut le mobileauquel obéit V o - V u o n g

Le texte de la prophétie, tel que nous le font connaître nos troisdocuments, contenait une menace. « Alors ce royaume passera en d’au-tres mains et sera gouverné par des étrangers », nous dit le P. Koffler.« On essuyeroit toutes les misères publiques, les Grands se révolte-roient contre le Roi, et les peuples périroient par le fer et par lapeste », nous apprend l’abbé Favre. Enfin les Annales portent qu’ « ilserait fait retour à la capitale centrale. » Que faut-il entendre parcette capitale centrale ? L’expression peut signifier la capitale par-faite, la capitale idéale, par conséquent, la capitale définitive. Maisil est préférable, je crois, d’adopter le sens géographique et histori-que. En ce moment, Hué n’était qu’une capitale accessoire et éloignée,séparée, depuis deux siècles à peu près, du vrai royaume annamitedont le centre, la capitale, était à Hanoi. La capitale centrale était doncla capitale des Lê. Le retour à la capitale centrale équivalait donc àl’assujétissement de la Cochinchine, à la chute de la dynastie desNguyen Le sens concorde parfaitement avec le texte du P. Koffler, ets’harmonise avec le texte de l’abbé Favre. Vo-Vuong était menacé deperdre sa capitale et sa couronne.

Il fallait se tirer de ce mauvais pas.Quand on étudie je ne dirai pas les pratiques religieuses, mais les

pratiques magiques que les Annamites mèlent en général à leur viereligieuse et dont ils font souvent les règles directrices de leur vie, on

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voit que souvent ils s’appliquent à tromper le destin : le simulacreinoffensif d’une action est destiné à écarter un événement néfaste ; lapartie remplace le tout ; le commencement d’une action est considérécomme tenant lieu de l’action complète ; les apparences sont prisespour la réalité. Il serait hors de propos de donner des exemples. Ilssont pour ainsi dire journaliers. Vo-Vuong mit ces principes en prati-que pour conjurer le sort néfaste qui l’attendait.

Il était, depuis son ancêtre Nguyen-Hoang le huitième Seigneurde Hué ; c’était lui, la huitième génération ; c’était donc de son vivantque le royaume devait faire retour à la capitale centrale et être de nou-veau assujetti à la domination détestée des Seigneurs du Nord ; c’étaitlui qui devait être le dernier chef de la Cochinchine.

La prophétie avait pour ainsi dire deux parties : la seconde partieexprimait la réalisation d’un malheur, le changement de la capitaleet du souverain ; la première partie donnait l’époque où ce change-ment aurait lieu, et énonçait, pour ainsi dire, la condition qui devaitêtre réalisée pour que le second événement eut, lieu : c’était à la venuedu huitième chef. Les mesures prises par Vo-Vuong avaient pour butde faire disparaître cette circonstance énoncée dans la première par-tie, circonstance donnée comme indispensable pour la réalisation de laseconde partie de la prophétie, et, en même temps, de réaliser la secon-de partie de la prophétie d’une manière dont ni lui ni sa dynastie n’au-raient à souffrir.

Il renouvela complètement et son palais, et sa cour, et son adminis-tration, et son peuple. Tous ces changements furent purement exté-rieurs : pour le palais, changement de lieu ; pour la cour, changementde costume et nouvelles appellations ; pour l’administration, change-ment de titres ; pour le peuple, changement d’habit. Mais c’était quandmême un nouvel état de chose ; les Annales le font remarquer pardeux fois : « De la sorte, le peuple, tout comme le Souverain, commen-ça une ère nouvelle ». « On vit ainsi apparaître une civilisation bril-lante entièrement nouvelle. »

Tout était nouveau, le souverain, sa capitale. Le malheur était doncdétourné de Vo-Vuong La prophétie s’accomplissait à son profit. Onannonçait la venue d’étrangers qui prendraient le pouvoir en main.Mais c’était lui l’étranger : il n’était plus le huitième Seigneur du Sud ;il était un souverain nouveau, qui inaugurait une nouvelle adminis-tration et une nouvelle lignée de rois glorieux commandant à un peuplenouveau. On prédisait le retour à une autre capitale, la capitalecentrale, c’est-à-dire Hanoi, ou bien une capitale parfaite. Mais cettecapitale n’était autre que celle qu’il venait de fonder, son nouveaupalais, peuplé de mandarins aux noms et aux vêtements nouveaux,

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entouré d’une population méconnaissable, pour ainsi dire, parce que,comme nous l’apprend le P. Koffler, « les Cochinchinois avaient délaisséle sordide vêtement des Tonkinois pour en adopter un nouveau propreaux Chinois ».

Voilà le but que s’était proposé Vo-Vuong lorsqu’il ordonna à sonpeuple de modifier son costume. Il voulait réaliser la prophétie à sonprofit, et détourner de lui le malheur qui le menaçait. Le raisonnementparaît subtil à des Occidentaux. Pour tout Annamite, il est simple, etil est basé, comme je l’ai fait remarquer,sur des faits nombreux de sapropre vie religieuse.

Une question, non la moins importante, resterait à traiter : En quoiconsista le changement que Vo-Vuong imposa à ses sujets dans lamanière de se vêtir ? Les documents sont trop peu explicites, trop dedonnées me manquent, pour que je puisse élucider la question. Il mesuffira d’avoir dit, dans cette étude, dans quelles circonstances et pourquelles raisons Vo-Vuong promulga la loi qui prescrivait à ses sujetsde modifier leur costume. Il me suffira d’avoir signalé l’importance decette crise religieuse et prophétique, qui secoua l’Annam pendant delongues années, que l’abbé Favre nous montre en 1740, que les An-nales mentionnent en 1744, dont le P. Koffler nous parle enfin en1754, qui obligea Vo-Vuong à faire de grands changements dans sacapitale, dans son administration, dans son peuple, et qui dura peut-être plus que les documents que nous possédons nous le montrent.En 1771, en effet, les Tay-Son entraient en campagne. Qui sait si cette

révolte, qui faillit emporter la dynastie des Nguyen n’eut pas sesracines profondes dans l’état d’esprit que nous avons vu ; qui sait siles rebelles, tout au moins, ne trouvèrent pas un soutien puissant, uneconfirmation de leur prétendue mission, dans ces rumeurs confusesmais intenses, dans ces bruits de malheurs surnaturels et de bouleverse-ment général qui troublèrent la Cour et le peuble pendant de si longuesannées ? Je pose la question, attendant la découverte d’autres docu-ments pour la résoudre.

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LA PRINCESSE NGOC-TU (1)

Cette princesse était la première fille du roi Hung-To J& j@ (père deGia-Long), et soeur aînée, d’une même mère, du roi The-To f@ @(Gia-Long).

Au cours des guerres qui eurent lieu en l’année giap-ngo (1774,révolte des Tay-Son m b) (2) elle suivit la Reine Hieu-Khuong-HoangHau 2$ @ & Jj$ (mère de Gia-Long) et se réfugia au village de An-Do9 gg (3).

Au printemps de l’année ky-hoi (1779), elle accompagna cettereine pour se rendre à Gia-Dinh $$ g où elle fut mariée à un Cai-Co (Chef de régiment) nommé Le-Phuc-Dien $j$ @j fl&. Celui-ci fut

(1) Communication lue à la réunion du 31 août 1915.La biographie est tirée du Dai-Nam chánh biên liet truyen so tap j< -4

E @ PJ f$f a $&, livre III, folios 2, 3(2) Quoc trieu t i e n biên loat yeu jT$j $8 $j fz @ .g, livre 1, folios 31, 32 :

Au douzième mois de l’année giap-ngo p -T (l’année giáp ngo correspond àl’année 1774, mais la 12e lune se trouve en 1775), 9e année de la période de Due-Tôn Hieu-Dinh Hoang-De @ $ %?$ 2 g 1% (oncle de Gia-Long), les troupesdes Trinh $!$ s’emparèrent de la capitale et le Roi Due-Ton s’en alla au Quang-Nam

BN% au 2e mois de l’année suivante, les Trinh s’emparèrent du Quang-Nam ;par voie de mer, le Roi s’en alla à Gia-Dinh 1% 2.

(3) An- Do $$ j@ : village de la province de Quang-Tri )$$ l $j, préfecture deVinh-Linh & a; près du Cap Lai ou Cua-Tung ?#j a. Les princesses se réfu-gièrent là parce que la princesse femme de Hung-To @ @\., mère de Gia-Long,était originaire de cette région. Son père était Nguyen-Phuc-Trung R $2 ,G,originaire du village de Co-Trai & ?Bm, situé à côté de A n - D o et sa mère, de lafamille Phùng $!$, était native du village même de An-Do, On voit encore sontombeau sur le territoire de ce village. Dai-Nam liet t r u y e n chánh biên j< j$j$d f!$ E $$$, volume 5, page 1 ; volume 1, pages 1 et 4b. Voir aussi le Dai-Namnhut thong chí $< E - $3 z, livre 7, page 26b) .

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capturé par les ennemis, à la suite de la bataille de l’île de Diep-Thach PJ& ;ti (1783); il couvrit d’injures ses vainqueurs, puis il futtué (1).

A cette époque la princesse était encore jeune, mais, attachée à sonmari, elle ne se remaria pas. Elle disait souvent : « Mon mari a été un« bon et dévoué serviteur, il a su mourir pour la patrie ; de mon côté,« comment pourrais-je me rendre coupable à son égard, et violer la« fidélité imposée aux épouses ? Quand la capitale sera reprise, ajouta-« t-elle, je me consacrerai à la religion bouddique. »

Le roi loua son dévouement.Pendant la période Gia-Long, le roi fit construire pour elle une

habitation dans le village de Duong-Xuan +J$ s. La princesse deman-da souvent la permission de couper ses cheveux, mais le roi ne le luiaccorda pas. En l’hiver de l’année qui-vi 4e année de Minh-Mang(1823), elle mourut à l’âge de 65 ans. Lorsque cette princesse fut gra-vement malade, le roi Thanh-To 2$ j$J. Minh-Mang se rendit à samaison pour la visiter ; elle lui dit en pleurant : « Couper mes cheveux« pour vénérer les Bouddhas a été le seul désir de ma vie ; mais je« n’ai pas encore pu faire ce que je voulais ; je vous prie de satisfaire« mon désir : quand je serai morte, faites-moi couper les cheveux« et habiller d’une robe cà-sa g $& (robe de bonze) ; je serai« satisfaite dans l’enfer. »

(1) Dai-Nam chánh bien liet truyen s o tap volume 13, pages 6-7. Le-Phuc-Dien @ @ 88fi était originaire du huyen de Phu-Vang B #, phu de Thua-Thiens x ; il surpassait les autres hommes en talent et en force et possédait du cou-rage et du dévouement. Il suivit son souverain dans ses expéditions, il y acquit dumérite et fut nommé Cai-Co 3 3. En l’année ky-hoi (1779), il revint de Gia-Dinhpour accompagner la Reine Hieu-Khuong s @ et les princesses en Cochinchineet il se maria avec la première princesse. En l’année nham-dan 3 a (1782),il alla en ambassade avec Luu-Phuc-Binh gd 82 s au Siam. Eu l’année qui-maog @ (1783), pendant la révolte des Tay-Son a fi, dans la bataille sur l’ilôtDiep-Thach * 6, le chef rebel le nommé Phan-Tan-Than ” @ @!Y a m e n abrusquement une troupe de partisans. Sur sa demande, Le-Phuc-Dien s’habilla ducostume royal, se plaça sur le devant d’une jonque et se laissa prendre par l’enne-mi. L’Empereur, pendant ce temps, monta sur une autre jonque et se dirigea versPoulo-Condor B @. Dien ne cessait d’injurier les chefs rebelles, sans se laisserintimider. Il fut tué. En l’année canh-thân g F#I (1800), l’Empereur ayantreconquis la province de Gia-Dinh pensa aux grands mérites de Le-Phuc-Dien etlui décerna le titre posthume de Chuong-Co !$ 3. A la 3e année de Gia-Long(1804), son nom fut porté au temple de Hien-Trung-Tu & ,$. ftd. En la 9e annéede Gia-Long (1810), l’Etat lui rendit aussi un culte dans le temple de Trung-Tiet-Cong-Than-Mieu ,@ @ $3 E /@. Le-Phuc-Dien n’eut pas de descendant.

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En entendant ces paroles,le roi fut ému. La princesse mourut ; leroi rapporta ses paroles au Duc de Kien-An @ 4&, appelé Dai g (1).Celui-ci répondit : « Le corps, les membres, les cheveux, la peau, sont« donnés par les parents ; les rites exigent qu’on soit enterré en entier« comme on est né ; vous gouvernez le royaume, vous devez suivre la« vraie doctrine et faire disparaître la superstition ; il ne faut pas faire« ce que la princesse a demandé. »

Le roi agréa ce conseil. Il ordonna au Prince et au Duc de Diên-Khánh @J @, nommé Tan e (2), de se réunir avec les mandarins duMinistère des Rites pour s’occuper des funérailles de la princesse.Le roi accorda à la princesse, aux frais du trésor, un grand secours ;il suspendit les audiences de la Cour pendant cinq jours ; il fit unsacrifice en son honneur et lui décerna le titre de Long-Thành Thái-Truong Công-Chúa @ kjft & g fi $. et le surnom de Trinh-Tinhfi 3, puis la fit enterrer à côté du tombeau Thuy-Thanh s ZJ$ (3).Au jour des funérailles, les audiences furent suspendues un jourencore et le roi porta des vêtements de deuil pour assister à l’enter-rement.

A la 11e année de Gia-Long (1812), lors de la construction du tom-beau de Thuy-Thanh le roi fit l’ordonnance suivante : « La première« princesse a de la piété filiale envers la reine-mère et elle a bien« rempli ses devoirs de fille ; ses bonnes qualités ont été reconnues« dans la période de détresse ; j’accorde de faire en avance son tom-« beau à côté de celui de Thuy-Thanh et d’établir un autel dans la« première travée de gauche du temple, pour qu’on lui rende un« culte après sa mort ». C’est pourquoi, à sa mort, on l’enterra àcette place.

En la 5e année de Minh-Mang (1824), son autel a été placé du côtéde l’Ouest dans la première salle du temple.

(1) D'après R. Orband : Les Tombeaux des N g u y e n B, dans B.E.F.E.-0. XIV,nº 7 : Ðài FG, 5 e fils de Gia-Long g 19, 5 octobre 1795 - 16 octobre - 14novembre 1849 ; 82 enfants (41 fils et 41 filles) ; titre posthume : Kien-An-Vuong

fckszz; tombeau au village de Duong-Xuan & @, huyen de Huong-Thuy

3% 7JK.(2) Tan g, appelé aussi Dan a, 7e fils de Gia-Long ; 21 mars 1799 - 17 juillet

1854 ; 48 enfants (10 fils et 28 filles) ; titre posthume : Dien-Khanh-Vuong$@ #& 3 ; tombeau au village de An-Cuu g g, huyen de Huong-Thuy 8 7g-(R. Orband, id. ibid.).

(3) Thuy-Thanh @‘s : tombeau de la Reine Hieu-Khuong $$k ,@, au villaged e Dinh-Mon g py, huyen de Huong-Tra @ z. La Reine Hieu-Khuong étaitla mère de Gia-Long.

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Cette princesse n’a pas eu d’enfant ; le roi désigna le Duc de Thuong-Tín d$$ @, appelé Cu flg (l), comme son héritier, pour assurer sonculte.

(1) Cu alz, 11e fils de Gia-Long ; 2 octobre 1810 - 11 août 1849 ; père de 7fils et 11 filles ; titre posthume : Thuong-Tin-Quan-Vuong ‘& g n 3 ; tombeaua u v i l l a g e d e Duong-Xuan-Thuong @ & 1, huyen de Huong-Thuy s *(R. Orband, id. ibid.)

On a parlé de la Princesse Ngoc-Tu ou Long-Thành, dans B.A.V.H. 1915.p. 308 La Pagode Quac-Ann : les divers supérieurs, par L. Cadière.

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L A P A G O D E THIÊN-MAU : LES STÈLES (1)

Administrateur des Services Civils.

LA STÈLE DE MINH-VUONG

En étudiant l’histoire de la pagode Thien-Mau nous avons vu (2)que des constructions définitives y furent édifiées par Nguyen-Phuc-Châu $$ @g ia ou Minh-Vuong FJB x ou HIen-Ton-Hieu-Minh-Hoang-De ,@ $$ $ UJ !J sp4, le sixième des Seigneurs de Hué, qui régna de1691 à 1725, et qui fut un fervent protecteur de la religion boud-dhique.

Les travaux furent terminés en l’année a t - m u i 2 s 24e année durègne de Minh-Vuong et 11e année de la période Vinh-Thanh -& @Jdu Roi de Ha-noi Le-Du-Ton @ $8 @I (1715).

En commémoration de ces travaux ; Minh-Vuong fit ériger unestèle, et les Annales nous rapportent, en effet, que « le travail...achevé, l’Empereur composa en personne une inscription lapidaireque l’on grava en cet endroit » (3).

Cette stèle qui existe encore de nos jours se trouve devant lagrande tour de Phuoc-Duyen, du côté droit, dans un petit édifice deforme hexagonale (indiqué sous le Nº 7 dans le plan général joint àla description de la pagode) (4). Sa hauteur est de 2m. 60, sa largeurde 1m. 20, et elle est formée de deux parties.

La partie inférieure, sur laquelle est gravée l’inscription, est cons-tituée par une pierre rectangulaire avec encadrement sculpté. Cessculptures représentent, d’abord, au milieu des bordures supérieureet inférieure, un globe enflammé. De part et d’autre de chaque globe

(1) Communications lues aux réunions de novembre et décembre 1915.(2) La Pagode Thien-Mau Historique. — B.A.V.H. 1915, page 178.(3) Dai Nam thiet luc tien biên, livre 8, page 17.(4) Voir B.A.V.H. 1915, Fig. (52)

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on voit les têtes de deux dragons dont les corps se déroulent aumilieu de nuages tout le long de l’encadrement de manière à finirqueue contre queue.

La partie supérieure de la stèle, qui forme chapiteau, est constituéepar un bloc de marbre sculpté, représentant un dragon, la tète vuede face, et le corps de profil, replié plusieurs fois sur lui-même.

Fig. 75. — Grand cachet, sur la stèle de Minh-Vuong à la Pagode Thien-Mau(Dessin de M. TON-THAT SA.)

Sous la tête de ce dragon cinq caractères : Ngu kien Thien-Mu t u

g x # $ « Pagode Th ‘l’hiên-Ml!Thien-Mu construite par le Souverain » enca-

drent le grand sceau du prince (figure 75) qui porte neuf caractèressigillaires : Dai-Viet quoc Nguyen chúa vinh tran chi buu & B @px =& i)c @ 2 g « Sceau officiel des Seigneurs Nguyen qui gou-vernent à jamais le royaume du Grand Viet ».

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La stèle est posée sur le dos d’une énorme tortue de marbresculpté ayant 2 mètres de longueur sur 1 m. 40 de largeur et 0 m. 70de hauteur. Le tout repose sur un soubassement en pierre, de formecarrée , ayant 1 m. 70 de côté et 0 m. 50 de haut.

Fig. 76, — Cachetsur la stèle de Minh-Vuong à la PagodeThien-Mau(Dessin de M. ‘1 TON-

THAT SA.)

L’inscription gravée sur la stèle, bien que datéede la période V i n h - T h a n h du Roi de Ha-noi estl’œuvre du Seigneur de Hué, M i n h - V u o n g

En tête, sur la bordure supérieure, et à droite,on voit un cachet ellipsoïde (figure 76) portantquatre caractères de forme sigillaire ; Ngoc kim nhantrang g & ~4 g « Les deux de jade et d’or ont lavue forte ».

Suit l’inscription dont voici la traduction com-plète :

« Le Seigneur du Royaume, Nguyen-Phuc-Chau& #g $J, du nom religieux de Hung-Long @ B« Dragon qui se lève » et du titre de Thiên-Túng-Dao-Nhon x $@ s A c investi par décret célestedu titre de disciple », succédant en droite ligne et àla trentième génération au grand maître bouddhique,

a reconstruit la pagode Thien-Mu et fait ériger la stèle portant l’ins-cription suivante:

« La vertu, à son degré suprême de perfection, ne saurait, dit-on,être l’objet d’aucune comparaison , ni d’aucune explication. LeBouddha, essentiellement pur, et exempt de toute passion, conçoitdonc directement toutes choses, de la même manière que la lumièredu soleil se répand sur tout l’univers. De même que la raison n'a qu' uneseule régle, la vraie doctrine n’a pas deux voies. Le Ciel et la Terren’ont ni commencement ni fin, et ils subsistent éternellement parmiles évolutions des quatre éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air, les-quels se mêlent et s’entremêlent sans cesse comme les rouages d’unemachine.

« Le corps chaste et pur du Bouddha est devenu le Monde d’Or, quirenferme l’Océan parfumé, au sein duquel se trouve le Trésor lumi-neux. On y rencontre aussi la Forêt précieuse dont les effluves embau-més se répandent dans l’univers entier. C’est dans le Trésor lumineuxque se trouvent les principes qui engendrent les conséquences des ac-tions bonnes ou mauvaises que l’on commet ici-bas. Celui qui s’est pé-nétré de ces principes comprend sans peine la doctrine des trois corpset il saisit immédiatement les influences des quatre points cardinauxdu Ciel et de la Terre.

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« Les vertus du Bouddha et celles des êtres vivants se trouvent ainsientraînées comme par un fleuve impétueux dans l’Océan de l’intelligenceuniverselle.

« Au Sud de l’Océan est située notre principauté de Viet ; des mon-tagnes inaccessibles s’étagent au Sud-Ouest ; les flots couronnés d’écu-me la baignent au Nord-Est ; une longue ligne de sable d’or, gaged’une paix éternelle, entoure le pays ; des arbres à la verdure de jade,symbole d’une longue prospérité, lui procurent une ombre bienfai-sante. La terre y est fertile et les produits du sol abondants. Les tigresmêmes y sont doux comme des sô-ngu (1) et les oiseaux ressemblentaux phénix.

« Les habitants y sont d’un naturel doux et facile, et de tout tempsils ont pratiqué les bonnes mœurs et vécu en bon accord. Tout en ob-servant la doctrine de Confucius, ils obéissent également aux préceptesdu Bouddhisme. Aussi, tous les actes de l’autorité sont-ils empreintsde la plus grande humanité. Celui qui pratique la doctrine et qui ho-nore les bonzes se prépare en effet le bonheur promis par le Bouddhaà ses disciples dans une vie future.

« Bien qu’ayant reçu la charge du royaume paisible, j’ai le cœur etl’esprit tranquilles. Je sais que le séjour des palais est moins agréableque la vie des monastères ; que le cheval richement caparaçonné nevaut pas la crosse bouddhique ; que les vêtements somptueux avec les-quels on éblouit le monde n’égalent pas la robe religieuse et que lestrésors d’or et de jade ne sont en dernière analyse qu’une pure illusion.Celui qui est habitué à une chère exquise ne goûte plus la saveur desmets vulgaires et l’oreille accoutumée aux sons de la musique n’ap-précie plus le charme de la prière. C’est pourquoi en ce bas monde,je cultive mon jardin solitaire faisant une place égale à l’action et àla méditation.

« Il y a quelques années, j’avais fait venir un bonze du nom de Dai-San 9~ >w et de son nom viril Thach-Liem 6 ;$j#, Son cœur était douxet affectueux et il avait fait le vœu de consacrer sa vie au bonheur deshommes. Il prêcha sans cesse la vertu et l’accomplissement des bonnesactions conformément aux préceptes de la religion bouddhique. Car,la recherche de la perfection et la pratique de la doctrine ont leurs loiscomme le ruisseau a sa source et l’arbre ses racines.

« Mon maître était originaire de Tích-Tây ;ins B où il se livrait à lapropagation de la religion. J’ai eu l’honneur d’être son élève et en

(1) Sô-ngu ,!!$j @, animal fabuleux ayant la forme d’un tigre, mais qui est d’unnaturel doux et ne touche à rien de vivant : symbole de la vertu.

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toute occasion il s’est efforcé de graver dans mon cœur les sentimentsélevés qui animaient le sien (1).

« Aussi ai-je désiré, à mon tour, mettre le pied sur le mont divin.Quoique faible et indigne, j’ai tâché de suivre avec zèle et diligence lavoie de la perfection et grâce à mes efforts constants j’ai réussi à mepénétrer des divins préceptes. C’est alors que j’ai formé le vœu de faireédifier une pagode. Ayant cherché un emplacement favorable j’ai penséque le meilleur était celui du temple Thien-Mau Construit sur un pro-montoire qui s’avance dans la rivière, ce temple est situé au milieu devastes rizières semblables à un tapis brodé et entouré de hautes mon-tagnes dont la forme rappelle celle des phénix et des dragons. C’est làvéritablement un site de toute beauté. J’ai aussitôt réalisé mon vœu enreconstruisant la pagode sans aucune parcimonie. Conformément à la

(1) Le H Hoa-Thuong 0 Thach-Liem $III @ 5 $# es ce bonze chinois qui vint entAnnam à la suite de Ta-Nguyen-Thieu envoyé en mission par Ngai-Vuong dansles conditions exposées par le R. P. Cadière au cours de son étude sur la pagodeQuoc-An (Voir B.A.V.H., 1914, page 147).

Son nom de famille était Hán-Ông r* @ e son nom d’adolescence Dai-SanntA @/. Les biographes le représentent comme un homme de grand savoir et d’unerare vertu. Il était à la fois astrologue, géographe, poète et fin lettré. Lorsqu’aumilieu du 17e siècle la dynastie des Thanh pj$ supplanta en Chine celle desMinh fia, Thach-Liem refusa de servir la nouvelle dynastie. Il quitta sa vieillemère, embrassa la vie religieuse et parcourut tous les sites célèbres de laChine. Nguyen-Thieu arrivé à Canton, ayant entendu vanter la science et la vertude ce confrère, lui proposa de venir en Annam. Thach-Liem accepta cette offreavec empressement et il fut placé, dès son arrivée à la capitale, à la tête de la

pagode Thien-Mu Il ne tarda pas à prendre un grand ascendant sur Minh-Vuongqui appréciait sa vaste érudition et sa parfaite droiture, et se conformait en toutescirconstances aux conseils que Thach-Liem se faisait parfois un devoir de luidonner.

Lorsque, longtemps plus tard, il retourna à Canton, l’Empereur le combla deprésents et lui donna, entre autres, des bois de marque avec lesquels il coustrui-sit la pagode Truong-Tho E 3 L’ancien supérieur de n'eut plusl’occasion de revenir en Annam, mais il resta néanmoins en relations avec leSouverain et les biographes nous ont gardé le texte d’une pièce de vers qu’il luiadressa à l’occasion de sa 80e année.

Thach-Liem qui fut par ailleurs un poète réputé, a laissé deux volumes depoésies, intitulés, l’un Ly luc duong tap @E * !!J z$ #& et l’autre Hai ngoaiký su #?$ t% i% 2%

Sa mémoire a été conservée fidèlement à la Cour d’Annam et lorsque Minh-Mangenvoya à Canton M. Truong-Hao-Hiep g # J$+, ce mandarin ne manqua pas dese rendre à la pagode Truong-Tho pour y faire un pieux pélerinage au templeimmortalisé par le souvenir du « Vénérable Hoa-Thuong Thach à la longue vie ».(D’après les «Biographies des princes et hommes illustres d’avant Gia-Long ».Dai-Nam l i e t truyen tien biên, livre 6, page 24).

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tradition, les soldats ont également été employés à ces travaux. Cepen-dant, ils ne sauraient être comparés pour le nombre et la vigueur auxtroupes de la dynastie des Châu qui avaient réussi à édifier très rapi-dement les palais de leur souverain. Les travaux auraient donc pudurer très longtemps sans la collaboration dévouée de mandarins actifs:Chuong-Co Dai -Chuong-Co Vinh-Chuong Giám-Miêng et Phó-Giám-Tu, qui ont consacré tous leurs efforts à l’accomplissement et à l’achè-vement de l’œuvre entreprise. Ils ont su tirer parti de toutes les bon-nes volontés et joindre la bienveillance à l’autorité.

« Aussi, au bout d’un an, vit-on s’élever progressivement à partirde la porte de la montagne, le temple du Roi du Ciel, le temple del'Empereur de Jade, le temple précieux du Grand Héros, la salle desEntretiens sur la Loi, la Tour de la bibliothèque ; des deux côtés, lestours de la cloche et des tambours et les temples des dix Rois, lasalle des Nuages et de l’Eau, la salle de la connaissance de la Saveurde la Loi, la salle de la Contemplation, le temple de la Grande Miséri-corde, le temple de Bhesa-jya-guru, les demeures des bonzes et lesmaisons de contemplation, au nombre de plusieurs dizaines. Par der-rière, dans l’intérieur du Jardin Tì-Da, se trouvent encore plus d’unevingtaine de cellules de bonzes. Tous ces temples et bâtiments, quiresplendissent d’or et de pierres précieuses, éblouissent les yeux desvisiteurs, tels le Monde d’Or et le Trésor lumineux.

« Ravi de ce résultat, je me suis consacré avec ardeur aux œuvresbouddhiques. J’ai passé un mois dans le jardin Tì-Da pour me purifieret me livrer à la contemplalion.

« L’âme sereine, je me rendais journellement à la Bibliothèque, et,du sommet, penché sur la muraille, mes regards contemplaient la vueenvironnante :

« A l’Est, le charmant astre du jour, suspendu dans les nues,éblouit tous les êtres; au Sud, des montagnes innombrables, de hau-teur variée, et couronnées de nuages, ferment l’horizon de leur sombreet éternelle verdure; à l’Ouest, un massif de pins verdoyants se dressecomme un écran pour protéger la pagode ; au Nord, on aperçoit laCaiptale : des bambous touffus dissimulent ses multiples jardins et labrise agite lentement les arbres qui ombragent ses nombreuses cons-tructions.

« C’est là un paysage merveilleux dont nul peintre ne saurait rendrela splendeur.

« L’intérieur majestueux de la pagode est digne de ce cadreravissant et nombreux sont les visiteurs qui viennent l’admirer.

« J’espère donc que ces travaux contribueront à répandre la vraiedoctrine et à éclairer chacun sur les six degrés qui conduisent à la

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parfaite pureté : de sát-na *II #@ on parvient à lac-sat @f $tJ ; de l a cs a t à cu-chi {fi 4s; de cu-chi à tang-chi fp) $$ ; de tang-chi à cao-xuat g & ; et de cao-xuat on arrive enfin à l’éternité.

« Que le Bouddha soit témoin de la pureté de mon cœur afin que saprotection s’étende sur le royaume ;

« Que le Souverain et ses sujets aient une vie aussi longue que celledes pins et des sapins ;

« Que la paix règne dans le pays ;« Que le peuple vaque joyeusement à ses occupations habituelles ;« Que l’on voie, sur les routes, les habitants, la bouche pleine de riz,

et qu’on entende, dans les maisons, les sons de la guitare et de la lyre !« Puisque mon maître a quitté ce monde, je souhaite qu’un autre

bonze aussi vertueux, franchissant miraculeusement les montagnes àl’aide du bâton bouddhique, et traversant les mers dans la barqueexpiatoire, puisse venir ici pour réciter les prières mystérieuses quiencouragent à pratiquer la vertu.

« Puisse-t-il réveiller le monde, engourdi dans sa torpeur, commele bûcheron qui s’ouvre un chemin, à coups de hache, dans l’épaisseurde la forêt.

« Qu’il fasse remonter le torrent à sa source et qu’il enlève la pous-sière collée sur la glace.

« Puissent les membres de la famille royale observer fidèlement ladoctrine ; qu’ils soient comblés de félicités sans fin ; qu’ils parviennentau rang de Bodhisattvas et atteignent le Nirvâna ;

« Que les récoltes soient abondantes ;« Que le pays s’agrandisse de plus en plus ;« Que l’agriculture et le commerce soient florissants, les armées

puissantes et le pays prospère.« Telle est la présente inscription que j’ai fait graver dans le but de

rendre hommage à la vertu et de prouver ma fidélité éternelle à la vraiedoctrine.

« Je la termine par les quelques vers suivants :« Au Sud du Royaume de Viet se trouvent des fleuves et des monta-

gnes splendides ;« Les rayons du soleil rehaussent la magnificence de la pagode ;« Le Bouddha recherche la solitude parmi les murmures des ruis-

seaux ;« La paix règne dans le pays et les habitants sont heureux ;« L’action bienfaisante du bouddhisme complète heureusement

l’influence du confucianisme ;« La splendeur de la pagode est un gage du bonheur promis aux

adeptes du Bouddha dans une vie future ;

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« En observant les règles de la doctrine on arrivera à refréner lespassions et à conserver la droiture du cœur.

« Cette stèle a été érigée au dixième mois de l’année at-mui & j?,onzième année de Vinh-Thanh .& && (Décembre 1715), un jour faste. »

Sur la date, le même grand sceau seigneurial que sur le chapiteaude marbre.

Fig. 77. — Cachet sur la stèle de Minh-Vuong à la Pagode Thien-Mau(Dessin de M. TON-THAT SA.)

Ensuite un cachet rond (figure 77) portant, entre deux dragonssimplement esquissés, quatre caractères de forme sigillaire : Hiep-nhut chuseul chef »

nhon a - =& A « Pouvoirs réunis entre les mains d’un

Fig. 78 .— Cachet sur la stèle de Minh-Vuong à la Pagode Thien-Mau(Dessin de M . TON-THAT SA . )

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Enfin, un cachet carré (figure 78) portant sept caractères, égalementde forme sigillaire : Dai-Khoi gia ngã di van chuong 3~ B @ s L)I z 3$Z« La nature nous prête sa magnifique parure » (1).

L ES S TÈLES DE THIEU-TRI

Comme son ancêtre Minh-Vuong le Roi Thieu-Tri fut un ferventadepte du bouddhisme et il étendit largement sa sollicitude à la pagodeThien-Mu Il la classa parmi tes vingt plus beaux sites de la Capitale etdes environs et il écrivit à son sujet un grand nombre de poésies. Il yfit exécuter, comme nous l’avons vu (2), de nombreux travaux d’amé-lioration et d’embellissement, et construire, notamment, la tour dePhuoc-Duyen et le belvédère de Huong-Nguyen

Ces travaux achevés, le Roi Thieu-Tri fit ériger pour en perpétuerle souvenir, deux stèles, qui existent encore de nos jours et se trou-vent, comme il a déjà été dit (3), devant la tour, de part et d’autre del’ancien soubassement du belvédère de Huong-Nguyen dans deuxpetites constructions de forme carrée, indiquées sous les nos 4 et 5dans le plan général joint à la description de la pagode.

Ces deux stèles portent la même date, 4e mois de la 6e année deThieu-Tri (26 avril-24 mai 1846). Elles sont, d’ailleurs, exactementsemblables, tant comme dimensions, que comme ornementation. Leurhauteur est de 1m. 70 et leur largeur de 0m. 90. Elles sont en marbreet reposent sur un piédestal également en marbre. Les sculptures del’encadrement sont très sobres et se composent du simple bandeauformé de lignes polygonales qui constitue la grecque annamite. La par-tie supérieure, formant chapiteau, représente, parmi des nuages, undragon vu de face, avec ses attributs habituels : sur le front le carac-tère -3 nham dans la gueule, la perle légendaire.

La stèle de droite (Nº 4) relate dans les termes suivants la construc-tion de la tour de Phuoc-Duyen :

(1) Celte phrase dont l’auteur est le célèbre lettré Ly-Bach 3 B, qui vivait sousla dynastie des Duong est extraite de l’ouvrage i n t i t u l é C o - v a n & XP« Recueil de Morceaux choisis des grands écrivains chinois ».

(2) La pagode Thien-Mau Historique. B.A.V.H. 1915, page 187.(3) La pagode Thien-Mau : Description. B.A.V.H. 1915.

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« Stèle portant inscription rédigée par les soins royaux et érigée enmémoire de la construction de la grande tour de Phuoc-Duyen de lapagode Thien-Mu

« Confucius enseigne que lorsqu'on est témoin, ou même simplementlorsqu’on entend parler d’une bonne action, on doit en informer sessemblables, et que l’art de gouverner le peuple consiste essentiellementà savoir s’entourer de gens de bien.

« Jadis, sous le règne du Roi Chiêu de la dynastie des Châu, un dieudescendit du palais bouddhique sur la Terre. Et sous le règne du RoiMuc de la même dynastie, il parvint à l’état de suprême sérénité extati-que et délicieuse. Toutes ses prédications, sa vie durant, furentrelatives à la transformation continuelle des êtres de l’univers, trans-formation dont la cause provient de la conséquence des actes commispendant les existences antérieures. Aussi est-il des personnes dont lamémoire n’est pas éteinte par trois vies successives, et toutes les actionsbonnes ou mauvaises reçoivent leurs récompenses ou leurs punitions.

« En s’appliquant à ne faire que des actes vertueux, en s’attachant àse perfectionner, à se purifier, à s’affiner, devenu tout à fait raisonna-ble et dégagé des souillures de ce monde, on deviendra alors une pureintelligence, on atteindra la sérénité parfaite. La doctrine bouddhiqueest subtile et mystérieuse, et une âme vulgaire ne saurait comprendrele coeur du Bouddha ni imaginer sa forme. Bien que plongé dans uneimmobilité complète, il agit pourtant comme un être vivant ; tout enobservant un silence absolu, il évolue néanmoins dans un monde douéde la parole. Tout en ayant la plénitude de l’être, il n’est pas forméd’une substance matérielle ; et on ne saurait lui attribuer avec certitudel’existence ou la non existence. Il règne dans les nues, solitaire et im-matériel, et son pouvoir est sans limites. Exempt de toute passion, ila commencé ses œuvres par la pitié et les a conduites à leur parfaitachèvement.

« En ce qui concerne son origine, nous savons qu’étant parvenu à lahaute perfection et ayant subi plusieurs existences antérieures, ildescendit des Cieux sur un éléphant de jade et vint brillamment aumonde doué d’une beauté parfaite. Les effets de sa sagesse furent révéléspar les trente-deux signes de l’extrême perfection relevés sur son corps.Sa naissance fut un événement miraculeux que les dix-huit mondes duParadis, en proie à la plus vive allégresse, annoncèrent à tous les êtrespar divers phénomènes. Son caractère divin se manifeste par l’éclatmerveilleux qui illumina l’univers. Quant à sa vocation, elle apparaîtdans ses longs efforts pour atteindre la perfection et dans les in-nombrables années de sa vie qui sont, comme les grains de sable,incalculables.

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« Rentré dans le repos, il est devenu une substance immatérielle,sans corps ni figure. Le seul désir qui anime son cœur divin estd’encourager les hommes à marcher dans la voie du devoir, d’aider lemonde à rentrer dans le chemin de la vertu. Il est la cause mystérieusedes bonnes actions et des conséquences heureuses qui en résultent. C’estpar son influence que les bonnes paroles se répandent à des centainesde milliers de lieux à la ronde.

« L’accomplissement des bonnes actions, tel est le but immuableque se propose la vertu, et que l’on doit encourager chez les hommes,conformément à la loi naturelle. Pratiquer parfaitement la vertu c’esthonorer les bons et mépriser les méchants.

« On recommande d’ailleurs souvent aux hommes de pratiquer lebien, sans leur dire ce que c’est que le bien , sans leur expliquer qu’ilconsiste essentiellement dans la crainte du mal, de même que faireune bonne action consiste d’abord à s’abstenir de tout acte susceptiblede nuire à autrui. Aussi, les huit chapitres du livre de la Grande Etudesont-ils entièrement consacrés aux moyens de parvenir à la plus hauteperfection. Or, la doctrine bouddhique n’a pas deux voies et la vertuest sa seule fin.

« Dans notre royaume, et par la grâce du Ciel, il y eut autrefois unsage qui créa la fortune royale et agrandit le territoire du pays. Ayantexaminé successivement les beaux sites de son royaume, les plaines etles cours d’eau, il aperçut une colline, qui, s’élevant au milieu d’unevaste plaine, offrait l’apparence d’un dragon qui lève la tête pourregarder en arrière. Devant cette colline coulait le fleuve Huong-Giangdont la majesté incite à la vocation bouddhique. Derrière la colline setrouvait le lac Binh-Ho dont l’eau pure et limpide engage à la vie soli-taire. S’étant informé auprès des habitants, il apprit qu’une déesseétait, autrefois, descendue des Cieux, et avait dit que, conformé-ment à la volonté du Ciel et aux désirs des hommes, le vrai augusteSeigneur viendrait construire en ce lieu un temple bouddhique, afinde concentrer les influences surnaturelles, et défendre la veine dudragon.

« C’est pourquoi, en l’année tan-suu 44e de son règne (1601),l’auguste Seigneur fit construire sur cette colline la pagode Thien-Mudans le but de faire naître le bonheur sur l’heureuse terre où il établitsa Cour. Les souverains éminents qui lui succédèrent suivirent la voietracée.

« En l’année canh-dan 16e de Hien-Ton Hieu-Minh Hoang-De(1710), on fondit la grande cloche de Dai-Hong

« En l’année giap-ngo 23e du même règne (1714), le temple futrestauré et on y travailla pendant un an.

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« En l’année suivante, (1715), il fut érigé une stèle qui nousa transmis le souvenir de ces travaux.

« Désormais, les temples, la bibliothèque, le monastère, la salle deperfection s’élèvent successivement et constituent, par leur aspectpittoresque, une véritable chaîne de montagnes sacrées.

« En l’année at-hoi 14e année de Gia-Long (1815), des réparationsfurent effectuées à ces bâtiments dans le but d’augmenter leur éclat.

« Sous le règne de Minh-Mang des travaux d’embellissement furenteffectués à la colline qui devint de plus en plus belle.

« Tous ces travaux ont été entrepris dans le but d’exaucer les vœuxdu peuple et d’implorer le bonheur en sa faveur. La construction dela pagode remonte à 245 ans et témoigne ainsi de l’antiquité de cesmagnifiques monuments.

.

« Quant à moi, comblé des faveurs de mes augustes ancêtres, je mesuis efforcé de continuer les œuvres antérieures afin d’obtenir la longé-vité, et j’ai poursuivi avec fierté l’accomplissement du vœu qui avaitété formé. Je m’applique donc à suivre la voie éternelle de la pitié etde la charité et à pratiquer la vertu.

« Maintenant que le royaume est en loisir, et que le calme et la paixrègnent tant à la capitale que dans l’intérieur, j’ai prélevé sur les fondsde l’Etat les sommes nécessaires à la construction d’une tour bouddhi-que à sept étages. Je me suis donc mis résolûment aux œuvres de vertu,en répandant des bienfaits et des faveurs dans le pays. J’ai fait moi-même le plan et déterminé le style de cette tour. Les travaux, effectuéssous la direction de Hoang-Van-Hau 8-x @, Thong-Che de l’aile droitedu corps de Võ-Lâm, ont été commencés en l’année giáp-thìn y R(1844) et ont duré deux ans. En l’année at-ti c e (1845), on vit, dusommet de la colline, la tour s’élever dans les nues. Sa hauteur, cal-culée suivant les mesures anciennes, dépasse 87 unités ; elle est,suivant les mesures actuelles, de 5 t r u o n g 3 thuoc 2 tac (21m. 28).Sa construction n’a coûté au peuple ni argent, ni travail, car elle a étéeffectuée peu à peu, avec les deniers disponibles de l’Etat et par lessoins des soldats du Tuc-Ve

« A côté de la tour a été construit un belvédère dit « de la Prièreparfumée », et la précieuse tour s’élevant au-dessus des nuages portele nom de « Source du Bonheur ».

« Ces travaux ont été entrepris dans le but de propager la doc-trine bouddhique, de ramener à la vérité les êtres qui sont plongésdans l'ignorance et l’erreur et de leur apprendre à faire le bien. Ilssont donc destinés à perpétuer l’action bienfaisante de la religionbouddhique dans tout l’univers et ce, afin de répondre aux vœuxde tous.

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« La tour renferme des statues en or de divers Bouddhas au visaged’une régularité parfaite. On y vénère également dans les sept étages,conformément aux préceptes de la doctrine, les sept Bouddhas del’antiquité, savoir :

« Au 1er étage : Qua-khu-ti-ba-thi-phat (Vispasyi),« Au 2e étage : Thi-khi-phat (Sikhi),« Au 3e étage : Ti-xa-phu-phat (Visvabhôu),« Au 4e étage : Cau-luu-ton-phat (Krakoutchanda),« Au 5e étage : Na-xa-mau-ni-phat (Kanakamouni),« Au 6e étage : Ca-diep-phat (Kacyapa),« Au 7e étage : Trung-Thien-dieu-ngu-bon-su-Thich ca-mâu-ni-

van-phat (Çakyamouni) ayant à ses côtés A-di-da-phat (Amitahba) etses deux collaborateurs A-Nan (Anandâ) et Ca-Diep (Kâcyapa).

« La majesté des statues et la splendeur de la tour rappellentainsi le séjour des Bouddhas.

« Les bâtiments de la pagode, ornés des sept. matières précieuses,ont l’apparence du Mont d’or qui renferme l’Océan parfumé sur lequelflotte le Trésor lumineux. Et l’eau de cet Océan ne coule point, car iln’existe aucun endroit où elle puisse se déverser.

« Le bonheur réside dans la paix du cœur et non dans la possessiondes richesses. Lorsque le cœur est invariable et naturellement enclinau bien ; lorsqu’on parvient à atteindre la vertu constante, il est facilede franchir les six fleuves.

« La tour est l’emblême du bouddhisme ; la doctrine sera d’autantplus élevée que la tour sera plus haute. Elle dépasse actuellementtous les autres bâtiments qui l’entourent et se dresse majestueusementau-dessus des nuages pour atteindre les rayons bienfaisants du soleil.Les ornements contenus dans ses sept étages brillent d’un éclat sanspareil et resplendissent sur le monde entier. L’eau pure et limpide du fleuve qui coule à son pied rappelle l’immensité de la mer bouddhiqueet du sommet de la tour on aperçoit une série de montagnes qui fontsonger au mont Mérou.

« Le son de la cloche résonne dans l'ombre des arbres et retentitjusque dans la demeure des Bouddhas, tandis que l’ombre de la tours’allongeant à l’horizon représente la marche triomphante et mystérieusede la vérité sur l’erreur.

« A l’occasion de la fête du 15e jour du 7e mois, j’ai fait célébrer,à titre d’inauguration, des cérémonies expiatoires pendant troissemaines au cours desquelles il fut brûlé de l’encens provenant dela fleur thiem-bac dont le parfum se répand tant dans l'obscuritéqu’en pleine lumière et jusqu’aux demeures les plus lointaines desBouddhas.

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« Puisse donc la précieuse tour à sept étages s’élever éternellementsur cette heureuse terre et que le Bouddha soit témoin de la droiture de mon cœur ;

« Qu’il me comble de ses faveurs en me donnant la force et lalongévité ;

« Qu’il accorde à la famille royale la gloire, le bonheur et la fidélité ;« Qu’il fasse régner l’ordre au sein de ma famille et la paix dans mon

royaume ;« Que les récoltes soient abondantes et le peuple clans l’aisance;« Que le calme règne tant à la capitale que dans l’intérieur et puisse-

t-on, comme sous le règne du roi Nghiêu 52 de la dynastie des D u o n gvoir les habitants, la bouche pleine de riz, chanter dans les rues;

« Que le Souverain soit éclairé et les sujets fidèles, et puisse-t-on,comme sous le règne du roi Thuan @ de la dynastie des Ngu & enten-dre des chants harmonieux au sein de la Cour impériale ;

« Ainsi se manifestent les effets du bonheur dont l’origine se trouvedans le lieu de sereine quiétude et dont les conséquences se feront.sentir jusque sur ce précieux continent.

« La magnificence du Bouddha augmente d’éclat de jour en jour etses bienfaits se répandent constamment sur l’empire. Que l’on ne disepas qu’il n’est qu’une substance immatérielle et impuissante, car il voittout et clairement. Il répond aux bonnes actions en faisant ressentir,mystérieusement les effets du bonheur. C’est pourquoi, j’ai continué àréaliser le vœu formé.

« Les dogmes de la doctrine bouddhiques reposent essentiellement surla pratique du bien, et lorsque notre cœur se trouve naturellement enclinà faire une bonne action, c’est par un effet de la volonté du Bouddha.

« En consultant les livres classiques nous voyons que le Luan -Ngudit : « Choisissez celui qui est bon et suivez-le » ; — le Kinh-Dich :« un prince sage, en châtiant les méchants et en récompensant les bons,se conforme à la volonté bienfaisante du Ciel » — et le Kinh-Thu« celui qui fait le bien jouira des cent bonheurs ».

« Non seulement, ces préceptes ne sont pas en contradiction avec lesrègles qui régissent l’empire mais encore ils sont pleinement d’accordavec les bases de la souveraineté.

« Les Mandarins du Secrétariat royal, mes sujets, m’ont demandé decomposer une inscription eu l’honneur de la vraie doctrine et enmémoire de la splendeur de ce beau site. Aussi n’épargnant ni montemps ni ma peine, j’ai composé la présente inscription gravée, que jetermine par les vers suivants :

« Par la grâce et la volonté du Ciel auguste le monde a vu naître dessouverains sages et éclairés ;

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« Qui ont agrandi le territoire de notre pays du Sud et comblé notrepeuple de bienfaits .

« Après avoir fondé l’empire ils ont établi leur capitale à Phu-Xuân.« Sages et vertueux, ils ont enseigné au peuple la pratique du bien.« La pagode, éclatante et resplendissante, présente un spectacle

infiniment pittoresque.« De même que la roue bouddhique est sans cesse en mouvement,

ainsi la fortune impériale se développe sans arrêt. « La pagode durera éternellement dans la splendeur de la nouvelle

et précieuse tour.« Que tous les habitants jouissent du bonheur, de la prospérité et

de la longévité.« Le 4e mois de la 8e année de Thieu-Tri (avril 1846) ».

c c

La stèle de gauche (nº 5) contient surtout les poésies composées parThieu-Tri en l’honneur de la pagode. En voici la traduction complète :

« Sur la pagode Thien-Mu et le son de sa cloche.

(Le quatorzième des vingt plus beaux sites de la capitale de l’Empire).

« La pagode Thien-Mu est construite sur une colline qui s’élèvedans un site où la nature a réuni la majesté des montagnes au charmedes cours d’eau. Vue de profil, cette colline a la forme d’un dragonreplié sur lui-même et qui tournerait la tête pour contempler la cita-delle impériale. Vue de face, elle ressemble à un tigre accroupi, pen-ché sur le fleuve Huong-Giang

« Ce site est digne d’une doctrine qui a pour emblême la fleur delotus et dont les préceptes mystérieux furent gravés sur les feuilles despalmiers. L’apparition de la Dame céleste en ce lien fut l’heureuxprésage de la fortune impériale, sous le règne du Saint Empereur, monillustre aïeul. C’est en mémoire de cette Dame et par la faveur du Ciel,qu’il construisit cette pagode sur la colline. De là, le nom qui fut donnéau Temple et qui se transmettra indéfiniment pour perpétuer à jamaisle souvenir de l’œuvre conçue et réalisée par le Saint Empereur.

« Les stèles et leurs inscriptions contribuent à rehausser l’éclat del’or et des pierres précieuses qui resplendissent dans la pagode et leson de la cloche réveille les mortels encore plongés dans l’erreur.

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Poésie.

« Du sommet de la colline, le Temple se réflète dans le fleuve.« Les Bouddhas, sous forme de statues aux traits réguliers, y sont

vénérés en toute sérénité.« Le son des cent huit coups de cloche dissipe toutes les peines de

l’âme.« Et rappelle les peuples de l’univers au souvenir des trois vies.« Il traverse aussi facilement la lumière intense du milieu du jour

que la profonde obscurité de la nuit.« Et il retentit jusque dans l’immensité des nues, au sein de la

doctrine.« Que les préceptes du Bouddha et l’œuvre du Saint Empereur se

perpétuent dans le pays !« Que la pratique du bien qui procure le bonheur se poursuive en

ce bas monde ! »

« M’étant rendu un certain jour à la pagode Thien-Mu avec les princes,mes frères et mes fils, je composai les quelques vers suivants, au mo-ment où les fumées de l’encens s’élevaient des autels :

« La vertu est un fruit précieux ;« Qui ne voudrait faire le bien ?« La justice et la charité vont de pair,« De même que la prudence et la perspicacité.« Le chemin du devoir se trouve entre le Ciel et la Terre,« On y accède par la pagode et ses dix mille mystères.« Seul celui qui s’applique à discerner ce qui fait la force et la

faiblesse de l’âme et de la raison« Conçoit exactement le bonheur durant trois vies consécutives, car

pour lui le néant est l’unique volupté.« Il réussira donc à franchir le fleuve des misères« Et il parviendra dans la région des Bouddhas pour goûter le bon-

heur parfait.« Grâce à la protection du Bouddha les nuages ont couvert la mer et

les montagnes« Et une pluie bienfaisante a rafraîchi les plantes. »

** *

« Ce jour-là les faibles rayons d’un pâle soleil matinal se glissaientavec peine jusque dans la pagode. A l’issue de la cérémonie d’épais

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nuages obscurcissaient le ciel et à mon arrivée au palais une pluiedouce et bienfaisante commença à tomber. C’est pourquoi, j’en ai fixéle souvenir dans les vers ci-dessus.

Vers composés lors d’une visite à la pagode :

« La légende relative au pouvoir surnaturel de la pagode« Remonte à plus de 240 ans.« L’arbre bo de étend son ombre sur ce globe lumineux« Et l’encens de la fleur thiem bac exhale son parfum jusqu’aux

célestes parvis.« Les veines du dragon placé sous la colline enveloppent aussi la

citadelle impériale.« La splendeur du temple rappelle la magnificence du Mont divin

dans la région des Bouddhas.« Avec la protection de mes ancêtres« J’espère faire régner dans le pays la bonté et le bonheur. »

Vers composés après la cérémonie du l5e jour du 7e mois :

« Qui dira la splendeur de la fête célébrée cette nuit à la pagode ;« Tant sur la terre que sur l’eau avec le concours de bonzes véné-

rables.« Sur l’eau, les rides du fleuve réflétaient, avec les nuages, le disque

argenté de la lune et le fin profil de la tour.« Sur terre, du sommet de la colline, le vent apportait dans toutes

les directions les sons de la cloche du temple.« Les mandarins, en habits et coiffures de cérémonie, abrités sous

les parasols, étaient venus se mettre à l’œuvre de vertu ;« Et les spectateurs, en véhicules et en sampans, se pressaient en

files serrées pour jouir du spectacle.« Que le Bouddha vienne en aide aux êtres vivants !« Et qu’il répande sur eux sa miséricorde infinie !

« Pendant cette période qui marque la transition entre la fin de l’étéet le commencement de l’automne, une sécheresse persistante avaitrégné dans la région. Pas une goutte de pluie n’était tombée depuisune dizaine de jours. Je ne cessais de m’inquiéter pour les habitants etpour les rizières. Sur mes instructions, le Phu-Thua de Thua-ThienNguyen-Trung-Nghia avait adressé, à deux reprises, des invocations

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au temple, de Hoi-Dong pour demander la pluie, mais vainement. Lachaleur excessive compromettait de plus en plus les récoltes indispen-sables à la subsistance du peuple. C’était précisément l’époque où de-vait avoir lieu, à la pagode Thien-Mu la fête d’inauguration de lagrande tour. Les princes, mes fils, en avaient fixé la date au 6 e jour dumois courant. On devait, ce jour-là, offrir les statues destinées à laprécieuse tour et faire réciter les prières de la longévité. Le chef duservice de Thi-Ve Lam-Duy-Nghia rédigea la supplique à adresser auBouddha. Le plus jeune des princes, mes fils, me la présenta durantque j’attendais impatiemment la pluie. Je pris le pinceau et j’ajoutai à lasupplique les lignes suivantes : « En cette fin de saison où le soleil est« encore exceptionnellement ardent le peuple attend la pluie avec« impatience. J’espère que le Bouddha entendra notre appel et fera tom-« ber une pluie abondante afin de nous montrer son pouvoir infini. »

« Or, ce même jour, on vit d’épais nuages couvrir le ciel, et uneondée bienfaisante tomba doucement sur le pays, apportant avec elleune fraîcheur délicieuse. Quelque temps après, le De-Doc de Thua-Thiên, Nguyen-Van-Doc et d’autres mandarins me signalèrent que cettepluie avait eu l’effet le plus heureux sur les récoltes. De son côté, leMinistre des Travaux Publics me rendit compte que le service du trans-port des grains des provinces avait pu pendant cette même journéediriger, avec plein succès, un convoi de 70 à 80 jonques qui avaienttoutes réussi à franchir heureusement la passe. Car en sollicitant lapluie à l’époque du transport des grains, une nouvelle inquiétude s’ajou-tait dans mon esprit à celle que j’éprouvais déjà pour la récolte. Si, eneffet, la pluie tombait avec violence, et accompagnée de furieuses rafa-les, les transports se trouveraient fort compromis. J’étais donc trèsperplexe. Néanmoins, n’écoutant que mon affection pour le peuple, j’a-joutai à la supplique présentée au Bouddha la mention citée plus haut.En même temps, j’adressai intérieurement à la Divinité une ardenteinvocation que j’eus la joie de voir exaucée aussitôt, car la pluie com-mença à tomber, tranquille et silencieuse, sans le moindre coup devent, assurant ainsi la récolte et les transports. J’éprouvai alors uneprofonde reconnaissance envers le Bouddha et je la lui exprimai dansles vers suivants :

« La précieuse tour à sept étages est l’emblême et la source de la vertu ;« La prière adressée lors de son inauguration a été aussitôt exaucée ;« D’épais nuages, s’élevant à des hauteurs variées, ont obscurci le ciel,« Et se sont transformés en une pluie bienfaisante qui s’est répandue

sur tous les villages environnants ;« Par sa puissance divine, le Bouddha nous préserve de la sécheresse ;« Par la faveur du Ciel les récoltes ont été sauvegardées ;

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« Que toutes les prières adressées au Bouddha reçoivent toujours unaccueil favorable !

« Devant cette manifestation de sa toute puissance je ne puis queme prosterner en m’écriant : Nam-mô ! »

« Poésie composée à l’occasion d’une ascension sur la tour :

« Désirant continuer les bonnes œuvres de mes ancêtres et leurdonner plus d’éclat,

« J’ai fait construire, dans ce but, cette tour à sept étages.« Du sommet, la vue s’étend sur les montagnes et les cours d’eau et

le cœur s’épanouit.« Plus cette tour durera longtemps entre le Ciel et la Terre et plus

la doctrine bouddhique triomphera.« Rien qu’en montrant le bout de sa canne, Phuc-Ho (1) a pu se

rendre utile. « Et Do-Boi (1) s’est révélé autrement plus puissant en traversant

les mers.« Les 84.000 enseignements du Bouddha nous montrent le néant

des plaisirs.« Puisse la tour durer éternellement ! »

« La construction de la tour achevée, il a été procédé à son inaugu-ration par les prières d’usage.

«Voilà donc mon vœu réalisé : cette œuvre portera bonheur à tousles êtres vivants.

« Le temple Van-Thuy ouvre à tous ses portes hospitalières.« Les stèles et leurs inscriptions brillent comme le soleil et les étoiles.« Les statues des trois Bouddhas se dressent, imposantes et majes-

tueuses.« Dans son mouvement continuel, la roue tournante épure les six sens.« Que dans le monde entier chacun s’efforce à pratiquer le bien !« Car l’homme, avec son cœur et sa raison, peut réunir tous les

principes divins. »

(1) Voir B.A.V.H. 1915, page 189.

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« Poésie composée le sois du 16e jour du 7e moispendant quelques instants de loisir :

« La vertu doit se proposer un but unique pour suivre la vraie voie.« La doctrine n’a qu’une seule fin qui renferme tous les principes

de transformations.« Tout en admirant Han-Du (l) pour la droiture de son cœur,« Je suis cependant touché de l’attachemeut montré par l’Empereur

Nguyên-Hoà pour le bouddhisme.« Il y eut, autrefois, ce même jour, une réunion dans le but d’invo-

quer le bonheur;« Et je songe aux vers composés (par Tô-Ðông-Pha) lors de sa pro-

menade en sampan (2).« Les relations sociales et la morale sociale sont les conditions in-

dispensables de la vie de l’homme en société,« Et le Bouddha ne les a pas écartées de son enseignement. »« Un jour faste du 4e mois de la 6e année de Thieu-Tri (avril 1846). »

(1) L’Empereur de Chine Nguyên-Hòa 2 a, ou Hien-Ton g. @., de la dynas-tie des Duong g, était un fervent adepte du bouddhisme. Un jour qu’il s’étaitrendu à la pagode An-Quoc 3 m 3, à l’occasion de la cérémonie du 15e jourdu 7e mois, Han-Du $$ &, lui fit des représentations sans détour en lui faisantremarquer que l’art de gouverner n’avait rien de commun avec le bouddhisme.Plus tard, le souverain s’étant fait apporter des reliques bouddhiques pour les vé-nérer dans son palais, Han-Du lui fit encore des représentations. Nguyên-Hoà, in-digné, voulut le condamner à mort. Mais sur l’intervention de Thoi-Quan jj$ j@et Bui-Do s g,grands ministres, il l’abaissa au rang des Thu-Su !&J & et l’envoyaà ## $b[.

(2) Allusion à une excursion que fit, à l’occasion de la fête du 15 e jour du 7e

mois, le célèbre lettré Tô-Ðông-Pha .$& % s qui vivait sous la dynastie desTong s, accompagné de ses amis, sur le fleuve Xích-Bích $ k!& et au cours delaquelle il composa des vers pour en commémorer le souvenir.

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LE BREVET DE J.-B. CHAIGNEAU (1)

Par L. SOGNY,

Inspecteur de la Garde Indigène,

et HO-PHU-VIEN

Commis indigène à la Résidence Supérieure.

La question a quelquefois été posée de savoir dans quel style onavait rédigé les brevets de mandarins décernés par Gia-Long aux of-ficiers français qui l’avaient si heureusement secondé, au cours de lalongue lutte entreprise par ce prince contre les Tay-Son

Ne fallait-t-il pas, en effet, tout en sauvegardant la dignité de ces étran-gers, venus de si loin pour se mettre à la disposition du Roi de Cochin-chine, ménager également les susceptibilités des officiers annamites,dont un grand nombre, il ne faut pas l’oublier, avaient accompli au coursde tous ces graves événements, une carrière extrêmement brillante.

En attendant qu’il soit permis d’exhumer des Archives du Noi-Cac (2),les documents ayant trait aux brevets dont il est parlé plus haut,il est peut être intéressant, aujourd’hui, de donner une traduction dudiplôme décerné à J.-B. Chaignenu. A cet effet, nous emprunterons lacopie qui se trouve annexée à un ouvrage (5) qui a pour auteur MichelDuc Chaigneau, fils du précédent.

(1) Communication lue à la séance du 31 août 1915.(2) N o i - C a c Secrétariat Royal.(3) Souvenirs de Hué, par Michel D u c Chaigneau. Paris, Imprimerie Impériale

1867. Voici ce qu’on y lit, page 16, au sujet de J.-B. Chaigneau :« M. Chaigneau s’embarqua, à l’âge de douze ans, comme volontaire, dans la

« marine royale, sur la flûte Le Necker, qui fut prise par le vaisseau anglais Le« Petit Annibal. Conduit à Sainte-Hélène comme prisonnier de guerre, M. Chai-« gneau y resta quelques mois, et fut ramené en France par le parlementaire Le« Petit Sévère, de Nantes. Il s’embarqua de nouveau sur la frégate L’Arielle,« puis sur la frégate La Subtile, avec laquelle il fit dans l’Inde une station de« plus de quarante-trois mois. Ce fut au retour de cette station, qu’il partit de« France, en 1791, sur le Vaisseau La Flavie, commandé par M.Magon de la« Villaumont, et qui devait faire un voyage autour du monde, ayant pour but prin- « cipal la recherche de Lapeyrouse ; mais, par suite des événements politiques,« La Flavie, n’ayant pu poursuivre son voyage, fut désarmée à Macao. Ce fut de« là que M. Chaigneau vint en Cochinchine (1794) ».

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L’original du brevet, dit D u c Chaigneau, est écrit en caractèreschinois, sur une feuille in-plano de papier jaune bistre, de 1m. 34 delargeur et 0 m . 51 de hauteur, couvert d’un dessin couleur de plombreprésentant un dragon.

« Après son installation à Hué, dit encore Duc Chaigneau, Gia-« Long régularisa la position des Français qui étaient encore à son ser-« vice, en leur faisant délivrer des titres définitifs de grands mandarins,« en échange des brevets provisoires qu’il leur avait remis pendant le« cours de la guerre (1).

« Il régla l’étiquette qui devait être observée à la Cour lors des« réceptions et, par considération toute spéciale, dispensa les Fran-« çais de l’humiliante formalité des salutations qui consiste à se pros-« terner cinq fois devant le Souverain à chaque cérémonie, se conten-« tant, de leur part, de Cinq inclinations de tête. Il attribua à chacun« de ces officiers une garde personnelle composée de cinquante soldats.« Ces soldats, inscrits sur un contrôle particulier, étaient entièrement« à leur disposition.»

Voici la traduction du brevet décerné à J.-B. Chaigneau :« Décret. — Nomination du Khâm-Sai, Thuoc-Noi Cai-Co Nguyen-

Van-Thang Chanh Quan du navire de cuivre Long-Phi (Dragon volant),du corps d’armée du Centre (2).

(1) « A l’une des premières audiences du Roi à Hué, à laquelle se trouvait monpère, Gia-Long lui demanda s’il avait reçu son brevet de grand mandarin. Commemon père répondit négativement, le Roi en fut mécontent et fit appeler immédiate-ment le mandarin de la Chancellerie. Celui-ci arriva, et fut blâmé de la lenteurqu’il mettait à expédier le brevet dont il s’agit. Le Mandarin fit alors connaître auRoi qu’il était très embarrassé et qu’il ne savait comment désigner la famille dunouvel officier. « Il n’est pas du pays, répondit le Roi, c’est un étranger, dès lors ilest de ma famille. »

« Il y a dans cette réponse de la générosité, et l’on y voit qu’aux yeux de celuiqui parle, la vraie noblesse, c’est de le bien servir. »

( 2 ) j?& 41 -qz & PJ ;g SJ- jg Tfi f&ïj @j x q!$ j& 2 ljgCes titres et grades n’ont plus la même valeur à notre époque. L'armée était

divisée en do i compagnie, et en c o régiment. Un Cai-Doi était donc un capitainecommandant de compagnie ; un Cai-Co commandait un régiment. Le titre deChanh-Quan doit être pris ici dans le sens de « Commandant » du navire de guerre.

Le titre de Khâm-Sai (envoyé royal) était invariablement l’apanage octroyé parle prétendant Nguyen-Anh aux généraux et grands fonctionnaires combattant poursa cause. Le qualificatif de Thuoc-Noi s’appliquait aux fonctionnaires et officiersattachés à la personne ou à la maison du roi, ainsi que la garde du corps.

Le prologue du décret est une métaphore littéraire qui n’a d’autre but que decélébrer les actions d’éclat et les batailles gagnées, à l’actif du titulaire. La majeurepartie des termes employés sont d’ailleurs en harmonie parfaite avec l’étal d’officierde marine et s’appliquent bien à un marin.

Pour la transcription en caractères chinois, se reporter à la copie du diplômeannexée à ce travail.

Le Long-Phi était un grand navire de guerre.

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« Vous dont la bravoure se joue des tempêtes furieuses et dont lamagnifique ténacité brave le courroux des flots : de même que les nua-ges balancés par le vent sont attirés là où apparaît un dragon (1), tellecette heureuse rencontre au coin du chemin du village (2), telle cetteforte rame adaptée à une barque (dépourvue d’aviron) (3) pour la fairemanœeuvrer et avancer comme (si c’était) par la force d’un cheval, et laconduire à bon port, de même vous avez rendu (à ma cause) des servi-ces éminents et inestimables que je dois reconnaître et récompenser.

« Par mesure spéciale, je vous fais Khâm-Sai Thuoc-Noi Chuong-CoMarquis de Thang-Toan (4), avec maintien au poste de Commandant duLong-Phi. Vous commanderez les deux doi de Kien-Thuy (5) du navireet veillerez à leur participation à la guerre dans l’armée du Centre.Vous apporterez sévérité et vigilance pour maintenir (à bord de votrenavire) l’honneur et la discipline militaire, et vous ferez régner l’ardeurguerrière aussi enthousiaste et aussi prompte qu’une aile volante, afinde coopérer aux opérations de guerre.

« (En un mot) vous serez à la hauteur de la situation à laquelle maconfiance vous appelle et vous ne négligerez rien pour faire honneur àvotre glorieux passé.

« Ainsi est rédigé et doit être respecté mon décret.« Fait en la 1re année de Gia-Long, 11e mois, 25e jour (19 décembre

1802). »Le Sceau a été apposé (6).

( 1 ) (E $3 g 31. g g ” @) L? I#$ fi R @J 8: @ Ni $3 g Vuong-Bao chantant des louanges à son prince éclairé qui s’était attaché un sage etvertueux conseiller, s’écria :

« Le tigre, en ses appels, amène le vent, et le dragon, dès son apparition, attireles nuages. »

(2) Phrase tirée du Kinh-Dich $g &$ ( livre des transformations). ja T zsignifie : un heureux hasard qui permet à un prince de s’attacher un excellent ser-viteur, un sage conseiller.

(3) (g 3 &) H t& f$ ffE $5. Le Kinh-Tho dit : Le Roi Cao-Tôn (en deuilde son père et par piété filiale s’interdisant de parler en public) dit à son Ministre:« Tu seras l’aviron de la barque (ici barque signifie l’Etat) ».

( 4 ) & $$ j$ R g 3. Ch ,‘+Chuong-Co un général du 2e degré 2e classe quicommandait un groupe de régiments. — Thang-Toan-Hau B -$$ @$, Marquis ducorps d’armée invincible, ou Marquis adoré de la Victoire.

(5) Kien-Thuy !!J$ 7)c, nom d’un corps. Il s’agit de deux compagnies apparte-nant au corps de K i e n - T h u y détachées sur le vaisseau de guerre Long-Phi.

(6) Sur ce sceau sont gravés quatre caractères, style antique : $iJ zg 2 gChe : (Les ordres du Fils du Ciel s’appelant) C h e ; Cáo : Brevet de fonctionnaireélevé ou de dignitaire ; Chi : de (préposition); Buu : tout cachet et tout sceau royal.

Ce sceau royal était donc exclusivement destiné à être apposé sur les brevetsdécernés aux mandarins et officiers de rang supérieur.

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HISTOIRE DE LA DÉESSE KY-THACH-PHU-NHON (1)

Par ÐÀO-THÁI-HANH,

Tuan-vu de la province de Quang-Tri

En allant en sampan de Hué à Thuan-An on trouve sur la rivegauche, au confluent du Huong-Giang et du Bo-Giang un espace deplusieurs centaines d’arpents de terre qui sont mis en valeur par leshabitants de la région, et forment une magnifique plaine parsemée debruyères et coupée au milieu par une rivière profonde et limpide. Surles rives de cette rivière, on voit, parmi les champs, les haies épaisses,les bambous touffus et les arbres aux couleurs changeantes, de nombreu-ses maisons en paillottes, à moitié perdues dans le feuillage, qui sedécèlent par des colonnes de fumée bleuâtre qui, protégées par l’abrides bananiers, montent d’abord verticalement, puis, à une certainehauteur, se courbent sous l’influence du vent et s’étalent paresseuse-ment.

C’est dans le tranquille et charmant village de Thanh-Phuoc $$ @ jj&du huyen de Huong-0‘ Trà, et au confluent même dont nous venons deparler, que se trouve un vieux pagodon en maçonnerie dédié au cultede la Déesse Ky-Thach-Phu-Nhon 8 5 k A « Déesse pierre extraor-dinaire ».

Ce pagodon composé: d’une seule pièce possède une porte d’entréedonnant sur le fleuve de Thanh-Phuoc il est pauvrement meublé dequelques objets de culte en bois : chandeliers, pots à encens, coupes àfruits, sont installés sur un autel en briques qui est édifié devant unpiédestal également maçonné servant de support à une pierre parti-culière adossée au mur.

C’est une pierre noirâtre en forme de tympan semi-circulaire ayant1 m. 20 de base, 0 m. 96 de hauteur et 0 m. 23 d’épaisseur, sculptéede personnages et d’animaux.

(1) Communication lue à la réunion du 25 novembre 1914.

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Ces sculptures sont divisées en deux groupes distincts : à la partiesupérieure, un personnage presque nu, assis sur une fleur de lotus lesjambes croisées et les avant-bras reposant sur les cuisses. Il a à sadroite un quadrupède inconnu et quelques ébauches de personnagemal tracées ; à sa gauche, cinq sculptures d’hommes, de femmes, d’en-fants, les uns portant des coupes, les autres jouant de la lyre. A lapartie inférieure, séparée de la première par une simple ligne, gros-sièrement tracée, se trouve au milieu une foule de personnes à peinevêtues qui, semble-t-il, tentent de monter en tendant les bras vers lepersonnage central de la partie supérieure. Leurs bras sont au nombrede vingt dont sept pourvus de bracelets représenteraient peut-être desbras de femme. Les pieds sont au nombre de quatre.

A côté de ce personnage monstrueux sont sculptés à droite un hom-me à trois faces debout tenant en main une bouteille ; un autre hommeligoté accroupi dans un coin, tout à fait en bas ; enfin, à gauche, unénorme éléphant dressant sa queue en l’air.

A ce que l’on croit pouvoir lire dans la pensée des anciens, la partiesupérieure représenterait le Paradis et la partie inférieure, le mondeet l’enfer.

Serait-ce un tympan de porte d’une pagode de Bouddha ou de Brah-ma ? Bouddha habituellement trône sur la fleur de lotus, tandis queBrahma apparaît souvent sous la forme d’un homme à trois faces.

La parole est aux archéologues (1). Confucius n’a-t-il pas dit à sondisciple T u - Lo : « Savoir que l’on sait ce que l’on sait, et savoir quel’on ne sait pas ce que l’on, ne sait pas ; voilà la véritable science. »

Il ne reste donc plus qu’à donner la traduction de la légende de laDéesse Ky-Thach-Phu-Nhon Et voici ce qui est enregistré dans le Dai-Nam nhut thong chí, volume 2, page 40 (Monuments historiques du1 Thua-Thien

« A une époque reculée, naquit au village de Thanh-Phuoc huyende Huong-Tra un homme qui ne s’occupait que de la pêche an filetdans les cours d’eau qui entourent ce village.

« Un jour, il pêchait comme d’habitude dans les eaux du confluentde Thanh-Phuoc ; son filet fut soudainement pris et retenu au, fonddu fleuve par une chose si lourde qu’il ne pût le ramener.

(1) « M. Aurousseau a relevé au village de Thanh-Phúc, près de Hué, un tympansculpté d’origine came, maçonné dans le mur d’une pagode. Il représente la scènebien connue de Ravana essayant d’ébranler la montagne sur laquelle sont assisÇiva et Parvatï. Des bas reliefs analogues ont été précédemment découverts tant auChampa qu’au Cambodge ; celui-ci se distingue par son état de parfaite conserva-tion » B.E.F.E.-O., XIV, 1914, nº 9, p. 93. Voir, ibid, une photographie du tym-pan, Fig. 5.

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« Après avoir sondé, il se rendit compte que cette chose n’étaitautre qu’un bloc de pierre. Vite, il défit son filet et quitta cet endroitmalheureux pour aller pêcher ailleurs.

« Une nuit, dans un songe, le pêcheur vit venir à lui une grandevieille femme qui lui dit : « Je suis Déesse. Si tu pouvais me retirer de« l’eau pour me mettre sur le rivage, je te rendrais grâce. »

« Le lendemain, le pêcheur fit réunir tous ses amis et leur racontason aventure et son rêve; aidé par eux, il entreprit de retirer de l’eaule bloc de pierre.

« Ils trouvèrent alors deux pierres carrées, de la grandeur d’unenatte et d’une couleur bleuâtre, sur la face desquelles étaient gravésdes personnages au visage d’animaux et au corps d’hommes, ayant entout vingt bras et quatre pieds.

« Les pêcheurs, effrayés par ces formes hideuses, supposèrent tousque ces pierres étaient habitées par des Génies. Alors ils les trans-portèrent dans un coin isolé et y construisirent une petite pagode entorchis pour leur rendre un culte religieux.

« Depuis ce jour, la pêche devint abondante et la fortune des pê-cheurs du village fut sensiblement améliorée.

« Les prières que les Annamites adressaient à cette pagode étaienttoujours exaucées.

« Au commencement de la dynastie régnante, il fut décerné à cesdeux pierres le titre de Ky-Thach-Phu-Nhon-Chi-Than r;ti * A z $1« Déesse de pierre extraordinaire ». Ce titre leur fut donné par l'Em-pereur en récompense des éminents services qu’elles rendaient auxhabitants du pays.

« Plus tard, une sécheresse persistante vint nuire à la récolte de la région. Malgré des prières réitérées, adressées pendant une vingtainede jours à la Déesse par un mandarin envoyé exprès par l’Empereur, ilne pleuvait pas, l’ordre fut donné de sortir les pierres de la pagode etde les déposer sur le bord du fleuve.

« A la tombée de la nuit, un violent orage inondait toute la région ;les plaines furent abondamment arrosées.

« Le lendemain matin, on constata la disparition d’une de ces deuxpierres.

« Comme il n’en restait plus qu’une seule, Sa Majesté le Roi ordon-na de la réintégrer dans son M i e u et de célébrer des sacrifices en re-connaissance.

« Cette pierre a été conservée jusqu’à présent. »

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QUELQUES RÉFLEXIONS

SUR UN ENSEIGNEMENT D’ART EN ANNAM (1)

Par EDMOND GRAS,

Trésorier Particulier de l’Annam.

Nous avons tous pu constater la décadence regrettable et profondede l’Art en Annam. Les ouvriers sommeillent et la flamme créatricecharbonne.Les causes ? Nous croyons que la monopolisation des artistes et de

leurs productions, longtemps exercée au profit du pouvoir, a certaine-ment effarouché les individus bien doués, mais amoureux aussi d’unevie libre, avec le produit de leurs œuvres, au sein de leur famille.Ensuite, la pauvreté succédant aux périodes de prospérité et l’apathieinhérente à la race ont dû faire le reste. De ces causes, les unes n’exis-tent plus, les autres disparaissent peu à peu. La sécurité est revenue,la prospérité progressivement la suit. Le réveil est proche, résultantdu bien-être et des encouragements. Quand on peut reconstruire lamaison, on pense bientôt à l’embellir. C’est le retour à l’Art.

Nous pensons donc que ces réflexions’arrivent à leur heure et qu’ilappartenait à un ami du « Vieux Hué » de les exposer ici, dans ceBulletin où nul ne peut être surpris de les trouver (2). L’amour mêmeéclairé du passé ne servirait de rien, serait platonique et stérile, s’il nedevait que recenser et cataloguer des matériaux de choix sans en tirerles leçons nécessaires à l’édification de l’avenir.

Donc, sans plus de préambule, quels sont les moyens de rénoverun art abâtardi et qui se meurt ?

D’abord, nous pensons qu’avant l’œuvre il faut recréer l’outil, c’est-à-dire l’ouvrier d’art. Perfectionner les moyens d’exécution, l’habileté,le métier, faire des praticiens, tel doit être, je crois, le premier but

(1) Communication lue à la réunion du 27 octobre 1915.(2) La fort belle conférence de notre président, M. R. Orband, à l’Alliance Fran-

çaise, a traité le même sujet avec des idées communes que j’ai été heureux desaluer au passage, mais, en même temps, avec un bonheur d’expressions et uneautorité dont il me permettra d’être jaloux.

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des écoles d’enseignement artistique, dans l’état actuel des choses enAnnam. Il faut d’abord faire des exécutants. Le créateur, l’artiste, ensortira par une sélection automatique naturelle, s’en dégagera delui-même.

Mais il faudrait éviter soigneusement de vouloir imposer à ces futursartistes nos conceptions d’art, notre vision occidentale, nos motifs déco-ratifs. Des modèles ? Mais, par groupes ou isolément, facilitons-leur l’ac-cès des pagodes et des palais. Ils y trouveront les plus beaux modèles,les plus belles inspirations de l’art annamite, qui doit rester annamite.C’est une Renaissance qu’il faut diriger et non pas une Révolutiondangereuse et inutile qu’il faut fomenter. Si une transformation de l’artannamite doit se produire, elle viendra alors logiquement, par la forcemême des choses, enfantée par le seul génie de la race. Et elle serabelle parce que nous aurons été des éducateurs anonymes et sages, etnon des perturbateurs prétentieux.

Car, en fait d’art, l’écueil que n’ont pas toujours su éviter nos plusgrands maîtres eux-mêmes de l’enseignement artistique français, c’estde vouloir marquer notre élève à notre image. C’est là non seulementune erreur grave mais néfaste. Le grand principe vital d’art, la condi-tion essentielle de toute création, la source de tous les progrès artisti-ques, depuis l’artisan jusqu’au maître, c’est de respecter l’originalitéde chacun, le tempérament de l’individu comme celui de la race. Ce n’est qu’à ce prix qu’on évitera la copie servile, le plagiat pire encore,la décadence, la mort.

Pour les modeleurs, sculpteurs, peintres-décorateurs, ciseleurs,bijoutiers, brodeurs, architectes, il n’y a qu’à leur ouvrir les yeux surles admirables choses d’un passé plein d’enseignements qu’ils ne saventplus voir ou qu’ils regardent sans le comprendre. Ce qu’il faut, c’estutiliser les dons d’imitation remarquables de leur race qui, jadis, surenttrouver des expressions si curieuses, si variées, si intéressantes, partout,même dans les objets usuels et familiers, triomphe de ces vieux artisansqui égalèrent les nôtres de nos meilleures époques. Ce qu’il faut, c’est,par des comparaisons avec les œuvres du passé, conduire peu à peu lesplus inspirés, les mieux doués d’entre eux, à puiser, au réservoir inépui-sable et vivifiant toujours de la Nature elle-même, des sujets nouveaux, dans cette Nature exotique spéciale dont les Chinois et les Japonais,leurs grands maîtres d’art, se sont si remarquablement servis et quipermet au tempérament indigène de conserver toute sa savoureuseoriginalité.

Pourquoi l’amateur sinon éclairé mais que nous appellerons moyen(comme goût et comme ressources pécuniaires) délaisse-t-il l’œuvremoderne pour l’œuvre ancienne et se livre-t-il à un antiquaire retors ou

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peut sauver, ce qu’il faut sauver : le beau modèle pris dans le milieu,la saine inspiration puisée dans le génie de la race.

Les beaux modèles, leur sauvetage est dans les plus chères préoccu-pations des « Amis du Vieux Hué ». L’inspiration est plus difficile àinculquer. Qu’on y prenne garde, l’éducation artistique est une chosedélicate, à laquelle il ne faut toucher qu’avec précaution pour ne pasla fausser. Un mauvais aiguillage, même le mieux intentionné, peutcompromettre le goût de plusieurs générations, perpétuer la décadencequ’on se proposait d’enrayer, et donner comme résultats ces horreursde meubles français sculptés à l’annamite, ces « interprétations »lamentables que nous avons déjà malheureusemeut trop vues partout,toutes choses qui sont des chefs-d’œuvre de mauvais goût, des erreursimpardonnables, des blasphèmes d’art ! Surtout, gardons-nous dechercher le modèle, l’inspiration, aux pages de ces lourds albums, soi-disant de styles, où l’épaisse « Kultur » teutonne, qui gâche tout, acompilé à l’usage des gens pressés tous les plus lourds pastiches an-ciens et modernes, du meuble au bâtiment.

L’œuvre d’art doit être un effort personnel, ou ne pas être.C’est à dessein que je parle ici surtout de l’artisan et non de l’artiste.

C’est qu’il s’agit de l’Annam et qu’il faut savoir borner ses ambitions,puisque nous nous sommes flatté de ne pas poursuivre de chimère.L’artisan, c’est l’artiste en germe. Celui-ci, nous l’avons dit, sortirade celui-là. Là, comme ailleurs, il faut prendre garde à ne pas fairede déclassés. Combien avons-nous vu en France d’artistes médiocreset besogneux, pleins d’amertume et de rancœurs, qui eussent fait desartisans excellents accomplissant dans l'aisance une œuvre de joie.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’Art est nécessaire à la vie d’un peuple.C’est mieux que la manifestation de son bien-être. L’Art, c’est la pierrede touche d’une civilisation. Si toute l’antiquité n’était là pour nousprouver que Phidias fut aussi grand qu’Alexandre, qu’Appollo fut aussiglorieux qu’Archimède, les plus puissants Pharaons seraient inconnussans leurs monuments — nous aurions hélas ! des preuves plus récentes,plus douloureuses, nous aurions l’émotion qui a étreint le Mondedevant la destruction de nos chefs-d’œuvre par une horde de barbaresà qui ce geste seul suffirait pour dénier toute civilisation. J’irai plusloin : je dirai que l’Art est l’égal moral de la Science et, avec elle, l’ex-pression supérieure, honorée partout. de notre humanité. Comme laScience, il permet à cette humanité toute entière, au-dessus de toutesles divisions internationales, politiques et religieuses, de communierdans un idéal commun. C’est pour cela qu’il faut le respecter partoutoù il se trouve et n’y toucher qu’avec prudence. C’est pour avoir voulusouiller la Science et l’Art, autant que pour leurs assassinats, que les« Boches » se sont mis au ban de l’humanité.

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PROJET POUR L’ORGANISATION

ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA COMMISSION

ARTISTIQUE DES A. V. H. (1)

Par L. CADIÈRE,

des Missions Etrangères de Paris.

La Société des A. V. H. se propose, entre autres buts, d’étudier lesmanifestations de la vie artistique à Hué, et, d’une façon plus générale,de faire connaître les beautés de la capitale.

Deux moyens semblent de nature à tendre à la réalisation de cesdesseins.

Les pagodes, les palais, les temples familiaux surtout, les maisonsparticulières des riches Annamites, des mandarins, des princes, ren-ferment encore beaucoup de trésors artistiques; vieux meubles, bahuts,incrustations, panneaux sculptés, ivoires, coffrets, porcelaines, peinturessur papier ou sur soie, émaux cloisonnés ou non, faïences émaillées,etc. Il importe d’étudier tous ces objets, de les décrire, de les faireconnaître en les reproduisant par la photographie ou par le dessin.

Mais pour les étudier, il faut les connaître, il faut qu’ils deviennentaccessibles.

Il faudrait donc organiser tout d’abord un service de renseignementsartistiques : on dresserait la liste, en premier lieu, des pagodes quiprésentent un intérêt artistique, soit à Hué, soit dans les villages en-vironnants; on noterait aussi que telle grande famille, tel collection-neur, a tel ou tel objet digne d’être signalé ou d’être érudié. Bienentendu, on ne le ferait qu’avec l’autorisation expresse des possesseurs

(1) Aussi bien dans l’article qui précède : Quelques réflexions sur un ensei-gnement d’art en Annam, par M. E. Gras, que dans une conférence donnée parM. Orband à l’Enseignement Mutuel de Hué, il a été émis des idées dont la Sociétédes Amis du Vieux Hué s’est proposé d’assurer la réalisation pratique. Dans ce but,quelques membres de la Société se sont réunis le 20 octobre. C’est dans cetteréunion qu’a été lue la présente note, que l’on a décidé d’insérer dans le Bulletin.

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de ces objets, et, pour cela, il serait bon de faire leur éducation c’est-à-dire qu’on leur ferait comprendre le but que nous nous proposons,que ce n’est pas pour les déposséder le moins du monde, mais pourque l’on connaisse et admire au loin les choses précieuses qu’il y a dansle pays, que cette publicité donnée aux objets qu’ils possèdent enaugmentera le prix dans le cas où ils voudraient s’en défaire, et toutesautres considérations capables et de les toucher et de les rassurer.Dans ce but, les exhortations de nos collègues annamites nous serontd’un grand secours. Au besoin, on pourrait rédiger une petite brochu-re, en annamite vulgaire et en caractères chinois, que l’on distribueraitdans la classe dirigeante : vieux mandarins retraités, riches commer-çants, familles princières, etc.

Pour dresser la liste des pagodes dignes d’être étudiées, il serait bonaussi d’organiser des promenades artistiques. Ce ne serait tout d’abordque des voyages d’explorations, d’investigations : chaque groupedevrait donc se composer de deux ou trois membres tout au plus. Onse partagerait les quartiers de Hué et les villages environnants. Onferait avertir officiellement les autorités de tel village que tel jour onviendrait visiter les pagodes du village, communales et privées, etqu’on voulut bien fournir aux visiteurs toutes les facilités voulues.

Ces renseignements, obtenus pour ainsi dire en service commandé,n’empêcheraient pas les renseignements venus de sources privées ettout à fait bénévoles.

Une fois que cet inventaire sommaire des richesses artistiques de la ca-pitale serait amorcé —je dis amorcé, car il ne serait pas nécessaire d’at-tendre qu’il fut complet — on procéderait à son utilisation pratique.

Pour ce qui regarde la sculpture sur bois, on continuerait la collec-tion déjà commencée, et on prendrait l’estampage de tous les motifs quipeuvent être relevés, en les classant par pagodes. Ce qui ne pourraitpas être estampé serait rendu par la photographie ou le dessin, parexemple les panneaux sculptés en ronde bosse, en haut-reliefou à jour,les bouts de poutres, les charpentes ouvragées, etc. Il en serait demême d’ailleurs des porcelaines, cuivres, meubles, etc., qui pour-raient se trouver dans chaque pagode.

On aurait ainsi l’inventaire détaillé des objets d’art contenus danschaque pagode. Chaque inventaire pourrait faire, avec une petitenotice historique et descriptive, avec, au besoin, un croquis, un pland’ensemble, ou même une ou deux aquarelles, pourrait faire, dis-je,la matière d’une notice intéressante pour notre Bulletin. La pagodepourrait être aussi le but d’une visite générale de la Société.

Bien entendu, on n’étudierait pas que les pagodes, au point de vuede la sculpture, mais on comprendrait aussi, dans les recherches de la

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Société, les maisons particulières, à condition, bien entendu, que lespropriétaires n’y mettent pas d’obstacle.

Pour certaines catégories d’objets, il serait bon d’organiser des expo-sitions.

La région de Hué est très pauvre en fait de production artistique.Nous n’avons pas ici, comme au Tonkin, ces nombreux fondeurs, cesincrusteurs, ces tisseurs ou brodeurs sur soie, ces nielleurs, ces fabri-cants de meubles, qui peuplent des villages entiers. La population deHué draîne, au point de vue artistique, la production du Tonkin oudes autres provinces de l’Annam. Elle produit fort peu.

On pourrait toutefois essayer d’organiser des expositions des quel-ques rares objets fabriqués dans le pays : peintures sur verre ou surpapier, stores, parasols rituels, objets de culte, surtout sculpturessur bois.

Mais les expositions fructueuses seraient surtout des expositionsd’objets d’art anciens que l’on pourrait grouper par catégories : parexemple une année on exposerait les porcelaines ; telle autre annéeles meubles, ou les incrustations, ou les émaux, etc...

Il ne faut pas se dissimuler la grosse difficulté qu’il y aura à faire surce point l’éducation de la population annamite: exposerontceux-là seule-ment qui voudront se défaire de quelque objet, et espéreront en tirer,à l’occasion de cette exposition, le double ou le triple de sa valeurréelle ; et ceux-là se décourageront dès qu’ils verront qu’ils n’ont pasobtenu ce qu’ils espéraient. Quant à ceux qui ne veulent pas vendre,ils ne comprendront pas pourquoi ils exposeraient aux yeux de tousce qui leur appartient. Il faudra encore longtemps pour que l’on déci-de les collectionneurs — disons plutôt, les possesseurs — annamites àfaire ce que font les collectionneurs européens, qui organisent tant deriches expositions rétrospectives.

Cette éducation artistique se fera peu à peu, par des brochures,comme il a été dit plus haut, par des conversations particulières, parla distribution de quelques récompenses, de quelques primes, de sim-ples diplômes, La coopération de nos collègues annamites nous sera,pour cela, d’un grand secours.

Ces expositions fourniraient bien en tendu l’occasion de photogra-phier ou de dessiner les objets qui le mériteraient, toujours avec l’auto-risation des possesseurs, et à côté des documents fournis par la sculp-ture, on aurait d’autres séries de documents relatifs aux divers arts.

Inutile de faire observer que ces collections de documents, et les expo-sitions elles-mêmes, permettraient à ceux de nos collègues que ces étudesintéressent de faire des travaux d’ensemble sur l’art annamite et sesdiverses manifestations.

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Tout ce qui vient d’être dit concerne ce que l’on peut appeler l’inven-taire et l’étude des richesses artistiques de Hué. On peut le résumeren quelques propositions :

a. — Organiser des promenades, à deux ou trois, dites promenadesde recherches, pour visiter les pagodes des environs de Hué, et notercelles qui présentent quelque intérêt artistique.

b. — Dresser, autant que ce sera possible, une liste des objets artis-tiques conservés dans les pagodes ou temples particuliers, et dans lesmaisons particulières.

c. — Continuer la collection d’estampages des pandes tem ples, pagodes, palais, maisons particulières.

neaux sculptés

d. — Commencer une collection de photographies ou de dessins desobjets artistiques mentionnés plus haut.

e. — Organiser des expositions d’objets artistiques, soit de fabrica-tion courante, soit surtout anciens, appartenant à des pagodes ou àdes particuliers.

f. — Faire, par des causeries individuelles ou par des écrits, l’édu-tion de la population lettrée annamite, afin qu’elle comprenne notreœuvre et y collabore sans arrière-pensées.

On peut dire que chacun de nos bulletins s’efforce de faire connaîtrequelques-unes des beautés de la capitale de l’Annam. Il serait bon

cependant de consacrer à ce sujet un numéro spécial.Ce numéro aurait pour titre par exemple : Hué pittoresque.On éviterait de traiter, tout au moins d’une façon approfondie, les

sujets qui sont de nature à nous fournir, par eux-mêmes, la matièred’un bulletin entier, par exemple : le palais, les tombeaux. Ce seraitnous boucher la route pour plus tard. On ne s’occuperait que des sujetsqui, groupés, forment un ensemble digne d’attirer l’attention, maisqui, isolés, présentent une importance tout à fait relative. Cela ne veutpas dire que nous devions, à cause de cela, écarter tout dessin, toutephotographie ayant trait à ces sujets réservés. D’avoir donné une imagedu Ngo-Mon ou de la porte Hien-Nhon par exemple, ne nous empê-chera pas de consacrer plus tard un numéro entier au palais. Il resterabien assez de matière, dans un sujet si vaste.

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Les principaux chapitres de ce bulletin pourraient être :

a. — La citadelle, murailles et miradors.

b. — Fleuves et canaux, ponts anciens et modernes, barques etsampaniers, grand fleuve, embarcadère du Thuong-Bac ; arroyo dePhu-Cam ses ponts, ses embarcadères, ses grands arbres ; canal deÐông-Ba, agglomérations de barques, pagode du coin du canal ; portde Bao-Vinh, jonques, bacs ; ponts du Canal impérial, ponceaux enbriques des environs de Hué, etc., etc.

c. — Temples et gagodes, pagodons, pierres sacrées,crés, etc., etc.

d. — Portes et portiques, écrans et toitures, portes en bois ouvragées ;portails en briques, officiels ou particuliers, moussus et lézardés ; pi-liers de temples ou de pagodes ; écrans du Co-Mat ; décors des arêtesfaîtières, etc., etc.

e. — Routes et marchés, échoppes et boutiques, types et métiers.Chinois, Malabars, Annamites ; peintres sur verre, marchands d’objetsen cuivre, forgerons, éventaillistes, fabricants de stores et de para-pluies, etc., etc. ; — tireurs de pousse, marchands de cocos ou de thé,marchandes de soupe, marchands de berlingots, changeuses, barbierset cureurs d’oreilles, mendiants, boys, ménagères, nhà quê endi-manchés, notables de villages en goguette, marchands de légumes etde poteries ; Européens, c o n gái interprètes, mandarins ; éléphantset cornacs, línhs ; aveugles et devins, etc., etc.

ƒ — Fêtes et cérémonies, enterrements, cortège royal, etc.

g — Promenades et sites; promenade nocturne; routes de Thieu-Tri,de T u - D u c la prise des eaux, etc.

h . — Théâtres, comédiens et danseuses, musiciens.

Ce n’est qu’une liste incomplète, qui n’a nullement la prétentiond’être un cadre rigide. La plus grande latitude serait laissée à l’imagi-nation des collaborateurs.

Ces sujets, ou d’autres, seraient traités d’une double façon : lebulletin comprendrait une partie texte et une partie illustration.

Dans la partie texte, les sujets seraient décrits au point de vue pitto-resque, artistique, littéraire, en laissant de côté, ou en ne faisant quementionner en passant, le côté historique ou scientifique, la descrip-tion minutieuse. Cette partie texte serait d’ailleurs fort réduite : ce neserait qu’un fil servant à relier les illustrations.

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Celles-ci seraient très abondantes. On ferait appel à la bonne volon-té de tous les artistes de la Société et de ceux qui ont bien voulu nousassurer leur concours. Tout le monde serait « mobilisé ». Chacuntravaillerait suivant sa fantaisie, tout en voulant bien accepter une lignede consuite fort large. Tous les genres seraient acceptés : peintures,aquarelles, dessins, photographies, croquis, silhouettes, pochades, etc.,en un mot tout ce qui pourrait faire ressortir un des si nombreuxaspects pittoresques de Hué. Le côté pittoresque de la publicationserait même accru si on faisait une certaine place à des dessins oupeintures traités purement à la façon annamite.

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ÉPHÉMÉRIDES ANNAMITES (1)

Par R. ORBAND,

Administrateur des Services Civils.

11 août 1915. — 1er jour, 7e mois, 9e année de Duy-Tân. Offrandesà l’occasion de la venue de l’automne. Thu-Huong H 3. Ces offrandessont :

1º Temple Trieu-Mieu $## m (autel unique) : un bœuf, un bouc, unporc, un plateau de riz glutineux, un plateau d’aliments, des alimentscontenus dans les biên, d a u p h u q u i dang hình (voir ces objetsde culte B.A.V.H., 2e année, nº 2, Planche XXVI), des fruits, du papierdoré, de l’encens, des bougies, du bois odoriférant, du thé, du bétel,de l’alcool.

2o Temple Thai-Mieu k @ (9 autels) ; à l’autel principal : unbuffle, un bouc, un porc, un plateau de riz gluant; aux 8 autres autels:un porc, un plateau de riz gluant, un plateau d’aliments, des biên,dau etc… , des fruits, du papier doré, encens, bougies, bois odorifé-rant, thé, bétel, alcool.

3º Temple Hung-Mieu a @j (autel unique). Mêmes offrandes qu’auTrieu-Mieu

4º Temple The-Mieu =@ @j (1 autel principal et 5 autels secondai-res). Mêmes offrandes qu’au Thai-Mieu pour l’autel principal, et qu’auTrieu-Mieu pour les 5 autres autels.

5º Temple Cung-Mieu B &. Mêmes offrandes qu’au Trieu-Mieu

Sa Majesté, lorsqu’Elle est à Hué, officie au Thai-Mieu ; étant, cetteannée, en villégiature à Cua-Tung Elle s’est fait remplacer par unPrince. Pendant les cérémonies, les musiques jouent. Les Princes etles mandarins de la Cour font des l a y

19 août 1915. — 9e jour, 7e mois, 9e année de Duy-Tân. Fête deVan-Tho $$ $$ Anniversaire de la naissance de Sa Majesté.

(1) Communication lue à la réunion du 29 septembre 1915.

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Trois jours avant la grande cérémonie, le Ministère des Rites pré-sente à l’Empereur deux invocations pour l’annonce du sacrificeky-cao r& s), destinées l’une à l’autel de gauche ta-an & $fZ)du temple Phung-Tien 5@ %, l’autre au Cung-Mieu $$ @.

Le matin de l’avant veille de la fête, les offrandes suivantes sontprésentées : 1º au second autel de gauche t a - n h i & Z) du Phung-Tiên et au Cung-Mieu : un porc, riz gluant, aliments cuits, riz, papiersvotifs, cierges, thé, bétel, alcool ; 2º aux autels : principal (chánh-án),premier de gauche t a -nhu t -an et premier de droite h u u - n h u t - a ndu Phung-Tienn : papiers de culte, cierges, encens, thé, bétel, alcool.Des Princes ou Ton-Tuoc officient à ces autels. Lecture de l’invoca-tion c h u c - v a n Une seule libation. Dans l’après-midi, Sa Majesté,vêtue de la robe à longues manches Thanh-Phuc ~5% flE, se rend auxpalais de Ninh-Tho 3$X 3 et de Truong-Ninh j$ @, pour présenterses salutations à LL. MM. les Reines-Mères.

La veille de la fête, le service des Rites fait installer, dans le palaisd e Thái-Hòa & #I, une table jaune, une table rouge et les boîtes con-tenant les souhaits.

Le jour même de la fête se déroule une cérémonie en tous pointssemblable à celle du T e t (nouvel an, voir B.A.V.H., 2e année, nº 2,page 228).

Pendant 3 jours, le Cavalier et les portes de la citadelle sont parvoi-sés. La nuit, des lampions sont allumés et installés tout le long dugrand mur de la citadelle, côté Sud.

25 août 1915. — 15e jour, 7e mois, 9e année de Duy-Tân. TetTrung-Nguyên + 3 où Jour du Pardon des trépassés (Vong nhonxa toi c A a $.)

Les livres bouddhiques disent: Autrefois, le jeune Moc-Lien % @étantentré en religion parvint au Nirvana (à la perfection). Sa mère ayantété incarcérée dans un des obscurs cachots, il descendit dans les pri-sons de l’enfer et réussit à la sauver. Il demanda alors au Bouddhade faire ouvrir, chaque année, à pareil jour, les portes de l’enfer pourque les prisonniers puissent revenir au monde des vivants the-gians rd). Le Bouddha exauça sa prière. Aussi, quand arrive ce jour,offre-t-on aux mânes des ancêtres des objets votifs, du bois d’aigle,des fleurs, des fruits.

Pour la foule des âmes délaissées (chúng-sanh co-hon g a), onprépare de la bouillie de riz dite cháo-thí B $& (bouillie de charité) (1).

(1) M. Paul Giran, dans Magie et religion annamites, dit : « Les fêtes de l’au-tomne sont consacrées à la mort ; c’est l’époque des sacrifices funèbres. Cette cou-tume n’est pas particulière à l’Annam ; elle existe aussi en Chine, où elle remonteà la plus haute antiquité ».

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L e s Trù-Trì !& .& et Tang-Cang IB xa+ ‘M, bonzes de classe supérieuredes pagodes d’Etat Ton-Su @ 63) ont spontanément offert de fairedes prières (à midi) pour la grandeur et la prospérité de la France etpour son triomphe dans la lutte qu’elle soutient magnifiquement contreson brutal ennemi.

28 et 29 août 19l5. — 18e et l9e jours du 7e mois de la 9e

année de Duy-Tân. Fête du Ruoc-Sac 8 *k au temple Hue-Nam-Dien.$J a @, vulgairement appelé Dien-Hon-Chen B & I2& et connu par

les Européens sous le nom de « Pagode de la Sorcière. »Cette pagode est située au village de Hai Cát # -& #i, huyen de

Huong-Tra g 2$ #& près de Hué,, sur la rive gauche du fleuve, enface du tombeau de Thieu-Tri Xuong-Lang a @).

C’est un temple du culte taoïste. (Voir plus haut les études deMessieurs Nguyen-Dinh-Hoe : Le H u e - N a m - D i e n et Délétie : La fête

du Ruoc-Sac au temple Hue-Nam-Dien

6 septembre 1915. —27e jour, 7e mois, 9e année de D u y - T â n .Cérémonies rituelles à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de la

Reine Tu-Minh femme de D u c - D u c g &. Le Conseil des Ton-Nhon adésigné un Prince ou un Ton-Tuoc pour officier au temple Long-Ân

‘F& ,@,,lal veille du jour de la cérémonie principale. Le matin a lieu lec á o le e $$ (annonce), et, dans la journée, le hoan-hon-le $$ @ $&.

Le 6 septembre, à 6 heures du matin, Sa Majesté, vêtue de jaune,coiffée du bonnet cuu-long k fit (à 9 dragons) et portant la plaque dejade tran quê, se rend au temple. Les Princes et des mandarins de laCour l’accompagnent. Pendant le chanh-le lx j@ (cérémonie principa-le), Sa Majesté effectue cinq lay puis se place à côté de l’autel, pourpermettre aux Princes et aux mandarins d’accomplir également les l a yconformément aux rites.

Les offrandes sont les suivantes:

a) Pour le cao-le : un plateau hao - soan contenant du riz cuit et, ali-ments ; un porc, un plateau à riz gluant ; un plateau n g o c - s o a n 5 2%(divers autres aliments) ; un plateau diem-tam (gâteaux) ; deux plateauxy&phh j& p’p (fruits) ; quatre plateaux de d i bo fit; }]$ (hachis) ;quatre autres plateaux de gâteaux phuong-binh &$fi, v i en -b inh /a fg,bài b i n h j# $‘# et dau-binh .l,L f!$. Ces offrandes ne peuvent être enle-vées qu’après le chanh-le

b) Pour le hoan-hon-le : un plateau de hao-soan un porc, un pla-teau de riz gluant et un plateau de t r a - q u a 2& g (thé et fruits).

c) Pour le chanh- l e : deux plateaux de hao-soan un plateau de tran-tu @ p& (aliments exquis), deux porcs et deux plateaux de riz gluant.Toutes ces offrandes- sont faites à l’autel de la feue Reine.

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En outre, il est offert un plateau de fruits à l’autel de Tho-Cong5 fi (Génie protecteur du terrain occupé par le temple).

La Reine Tu-Minh est née le 8 septembre 1855, morte le 27 décem-bre 1906.

Femme de premier rang de Nguyen- Phuc-Ung-Chan @ $3surnommé Duc-Duc -3 &, Mère de Thành-Thái bx gs (1889-1907.)

Nom de famille : Phan jj#Titre : Tu-Minh-Hoang-Tha i -Hau g 1111 3 k G.Sépulture comprise dans An-Lang B fg, village de An-Cuu 9 j&$

huyen d e H u o n g - T h u y $$ 7J<.

23 septembre 1915 . —ii 3%

15e jour, 8e mois, 9e année de Duy-Tân

Fête Trung-Thu ~p +A (du milieu de l’Automne). C’est la fête de laLune au moment où elle apparaît le plus brillante.

En 16e année de Minh-Mang (1835), il fut décidé que des offrandesseraient faites aux pagodes royales : encens, cierges, bois d’aigle, thé,etc... Un Ton-Tuoc officie. Pas de chuc-van Une seule libation.

Suivant une vieille coutume, dans les villages, filles et garçons seréunissent le soir et chantent des chansons d’amour.

Les maisons sont ouvertes ; on y peut pénétrer librement. C’est uneoccasion de festoyer et de boire.

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NOTES, DISCUSSIONS, RENSEIGNEMENTS

LISTE DES COMMANDANTS DE LA GARNISON DE HUÉ.— Monsieur le Com-mandant actuel des troupes de la Garnison de Hué a bien voulu communi-quer à notre Président la liste des officiers qui ont en, depuis 1884, lecommandement des troupes à Hué. Malgré quelques lacunes de peud’importance, cette simple énumération rendra service aux historiens quivoudraient étudier la période de l’occupation française. Nous exprimonsnotre reconnaissance à son auteur.

MM. GUERRIER, Colonel, du 16 août 1884 au ? 1884.PERNOT, Lieutenant-colonel, du ? 1884 au l9 juillet 1885.PRUDHOMME , Général, du 20 juillet 1883 au 31 mars 1886.MUNIER, Général, du 1er avril 1886 au 27 octobre 1886.BOILESVE, Lieutenant-colonel, du 28 octobre 1886 au 21 novembre 1886.CALLET, Colonel, du 22 novembre 1886 au 25 avril 1888.PERNOT, Colonel, du 26 avril 1888 au 30 octobre 1888.CHAUMONT , Colonel, du 31 octobre 1888 au 15 août 1889.DOMINÉ, Colonel, du 16 août 1889 au ? 1891,DE TRENTINIAN , Lieutenant-colonel, du ? 1891 au 15 mars 1892.GOBERT, Chef d’escadron, du 16 mars 1892 au 20 avril 1892.BAUJEUX, Commandant, du 21 avril 1892 au 30 octobre 1892.MARTIN, Commandant, du 31 octobre 1892 au 30 novembre 1893.BUVIGNIER, Commandant, du 1er décembre 1893 au ? 1895.ROBERT, Commandant, du ? 1895 au 11. mai 1897.MICHALLAT, Commandant, du 12 mai 1897 au ? 1898.L OMBART, ? , du ? 1898 au 5 juin 1898.BOUTROIS, Commandant, du 6 juin 1898 au 17 mars 1899.ROBERT, Commandant, du 18 mars 1899 au 16 février 1901.BAUDOT, Commandant, du 17 février 1901 au 30 septembre 1902.CORNUEL, Commandant, du 1er octobre 1902 au 21 novembre 1904.COMTE, Lieutenant-colonel, du 22 novembre 1904 au 15 mai 1906.BENOIT, Lieutenant-colonel, du 16 mai 1906 au 5 juillet 1907.NICOLAS, Lieutenant-colonel, du 6 juillet 1907 au 26 février 1908.BILLECOQ, Commandant, du 27 février 1908 au 15 juin 1909.BOUËT, Commandant, du 16 juin 1909 au ? avril 1911.CLUZEAU, Commandant, du ? avril 1911 au 18 mai 1912.MOREAU, Commandant, du 19 mai 1912 au 12 septembre 1914.MERCAJOUR, Commandant, du 13 septembre au 20 décembre 1914.CHANGEUX, Capitaine, du 21 décembre 1914 au 23 février 1915.

LA STATUE ET LES AUTRES SCULPTURES CHAMES DE GIAM-BIEU Notre collègueM. E. Gras raconte, plus haut, avec beaucoup d’humour et de pittoresque,les péripéties du sauvetage de la statue chame de Giam- B i e u Il est bon d’en

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donner l’état civil, tel que nous le trouvons dans les publications de l’EcoleFrançaise d’Extrême-Orient.

« Note sur l’existence de ruines à Giam-Bieu T h u a - Thiên).« Je dois le signalement de ces ruines à l’obligeance de Mgr. Caspar, évê-

que de Canathe, vicaire apostolique de la Cochinchine septentrionale.« Elles sont situées au S.-O. de la Citadelle de Hué, sur le territoire du

village de Giam-Bieu canton de L o n g - H o Pour y accéder, il faut remonterla rive gauche du fleuve Huong-Giang3, passer le bac en amont du villaged'An-Ninh et du Quoc-Tu Giam et suivre pendant 7 ou 800 mètres la rivedroite de la rivière qui conflue au bac. Les ruines sont situées dans unisthme très étroit, qui constitue une véritable curiosité géologique. La rivièred'An-Ninh reçoit un peu plus loin un ruisseau torrentiel, comme tous ceuxde la région, et qui descend des montagnes voisines. Or, bien que le con-fluent soit à 2 ou 400 mètre au delà, les deux cours d’eau ne sont séparésque par une étroite muraille d’argile alluvionnaire, qui, en un point, n’a pasplus d’une douzaine de mètres de largeur.

« Cette digue étroite subsiste, paraît-il, depuis fort longtemps, malgrél’érosion qui semble l’entamer sur ses deux faces. Les riverains expliquentcelle extraordinaire résistance par l’influence miraculeuse de la divinitéchame, dont le tronc mutilé subsiste au milieu des ruines.

« Celles-ci consistent. en fondalions de murs en briques, dont la tracetrès nette se voil à la surface du sol. Sur les bords de la rivière d'An-Ninh,un pan de muraille en briques s’écroule dans le lit du cours d’eau. Le solnaturel semble avoir été fortement surélevé.

« Dans un bouquet d’arbres, une statue d’homme est debout, fichée enterre, haute d’un mètre environ ; la tête, les bras et les jambes, à la hau-teur des chevilles, sont brisés. Le personnage est obèse, et revêtu d’unpagne identique à ceux des statues trouvées à Tra-Kieu et déposées aujardin de Tourane. A côté de la statue subsiste la base : les deux pieds,d’une facture assez soignée, sont posés sur un socle carré portant auxcoins antérieurs deux tenons en pierre de forme cylindrique, qui vraisem-blablement sont les bases de deux colonnettes figurant peut-être deux bâtonset soutenant les mains du personnage.

« A côté, une base de linga, ou peut-être un chapiteau ; le bandeau porteun ornement sculpté, assez bien conservé.

« Ces débris sont aujourd’hui l’objet d’un culte de la part des Annamites.« D’après des renseignements dignes de foi, il y avait là autrefois deux

statues, qui, un beau jour, tombèrent dans la rivière, par un écroulementde la berge. On en retira bien une, celle que j’ai pu voir ; mais l’autre, quiserait intacte, est encore dans le lit, ensevelie sous les alluvions.

« Je n’ai malheureusement pas eu le loisir de revenir photographier lesdébris signalés ci-dessus, ni de vérifier la présence de la seconde statue. »

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« Ruines à Giam-Bieu« Ces ruines sont situées au S.-O. de la citadelle de Hué, sur le territoire

du village de Giam-Bieu canton de Long-Ho huyen de Huong-Tra Elles neconsistent qu’en quelques murailles, une statue de dotirapfila obèse, enpartie brisée, et un fragment de piédestal orné. Une autre statue seraittombée dans la rivière.

« D’après des renseignements qui nous sont parvenus depuis, d’autresdébris cams, non signalés dans la note [de M. Odend’hal], existeraient encoreen ce point. » (Publications de l’Ecole Française d’Extrême-Orient. Inventairedescriptif des monuments Cams de l’Annam, par H. Parmentier, Tome I,Paris, Ernest Leroux, l909, p. 512).

On voit où en est la question. Les pans de murs, signalés par M. Odend’hal,ont été précipités dans la rivière ; la statue elle-même a failli disparaître ;les deux pieds, le socle carré, le chapiteau ou base de linga à bandesculptée, tout a disparu dans les eaux ou sous les terres d’éboulis.

En revanche, la statue a changé de sexe, croit-on. Le cas étant grave, ona consulté la Faculté. Après quelques premières mensurations, notre collègueM. le Docteur Gaide, n'a pas osé se prononcer. Le cas devenait passionnant.On a insisté pour que de nouvelles mensurations, plus précises, soientfaites , c’est, probablement, une femme.

Voici, d’ailleurs, la note que M. le Docteur Gaide a bien voulu nouscommuniquer :

« Voici quel est le résultat de l’examen médical de la statue chame, queM. Gras a bien voulu me demander de pratiquer, afin d’en déterminer le sexe.

« Cette statue présente des caractères anatomiques assez marqués pour in-diquer, qu’il s’agit, à mon humble avis, d’une femme, et d’une femme enceinte.

« Cette opinion est basée uniquement sur la conformation du thorax et del’abdomen, puisque la tête et les bras n’existent plus et que toute la moitiéinférieure du corps n’est point apparente sous le vêtement qui la recouvre.

« L’étroitesse relative de la partie supérieure de la poitrine qui, bien queassez ouverte, ne possède pas une musculature suffisamment développéepour faire relief, la rondeur des formes et en particulier de la racine ducou, le développement de la région et de la glande mammaires, la formeplutôt cylindrique du tronc, le développement très accusé de tout l’abdomenqui déborde de beaucoup la ligne verticale du sternum et une cambrurelombaire anormale sont bien là quelques-unes des particularités anatomiqueset physiologiques du corps dune femme enceinte.

« Je me crois donc autorisé à conclure que l’artiste a voulu représenteret glorifier sans doute la maternité, la fécondité.

« Bien que incomplète, cette œuvre possède quelques uns des attributsde la beauté, c’est-à-dire la perfection partielle de certaines parties du corpset surtout l’harmonie de leur ensemble (1). »

(1) On pourrait tirer une preuve que la statue est bien une statue de femme de cefait que les Annamites de la région l’appelaient : Bà Chúa L o i « Madame laPrincesse Chame ». Mais on a vu plus haut, Histoire de la Déesse Ky-thach-phun h o n que Ravana était traité en déesse par les Annamites de Thanh-Phuoc etpar le Ministère des Rites lui-même.

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Au fait, la tour qui s’élevait sur l’isthme de Giam-Bieu était peut-être unsanctuaire bouddhique, et le bon « du&wptiZa obèse » qui en gardait laporte (1) a été condamné, pour quelques peccadilles de portier, pourbavardages ou cancans, sans doute, à renaître dans le corps d’une femme.

‘Souhaitons que le cycle de ses transmigrations s’arrête là, et que ceux quil’ont étudié une première fois ne le fassent pas redevenir homme.

Notre dévoué collègue M. Nguyen-Dinh-Hoe s’était offert à faire faire quel-ques recherches dans le lit de la rivière pour voir s’il ne trouverait pas la secon-de statue que l’on signalait. Ces recherches ont été couronnées de quelquessuccès. On a retiré du fond des eaux, non sans peine, un seuil de porte, enpierre, et divers fragments d’un grand tympan sculpté, malheureusement enfort mauvais état. Le tout a été transporté devant la salle du T a n - T h o - V i e n

SCUPLTURES CHAMES DE THÀNH-TRUNG. - Notre collègue M. Carlotti,Résident de France au Thua-Thien a bien voulu faire transporter devant leTan-Tho-Vien deux pierres sculptées qui se trouvaient sur le territoire duvillage de Thành-Trung et de The-Lai sur l’arroyo qui joint le fleuve deHué à la lagune Ouest; et qui lui avaient été signalées par le Rédacteur duBulletin. Ces pierres étaient, l’une à demi enterrée dans les rizières, l’autreplacée devant une des pagodes de Thành-Trung. Les habitants du villagen’ont pu dire de quel endroit elles provenaient. Mais il faut remarquer quele village de Thành-Trung, « au milieu de l’enceinte », est situé au milieud’une vaste enceinte en terre, qui a servi à dénommer plusieurs des villa-

ges environnants, et qu’il serait bon d’étudier, au point de vue du site, et aupoint de vue de l’histoire.

L’une de ces pierres est un élément de pilastre. Le travail est assezgrossier.

L’autre, d’un travail plus fin, est un socle de statue ou de colonne, et ladécoration en est formée par des pétales de lotus renversées, ou par desfeuilles trilobées et délicatement traitées.

Les Amis du Vieux Hué expriment leur reconnaissance à Monsieur leRésident du Thua-Thien

(1) Chacun sait que les Dvarapàla sont des divinités gardiennes des temples.

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DEUXIÈME PARTIEDOCUMENTS CONCERNANT LA SOCIÉTE

HOMMAGE AU CAPITAINE ALBRECHT,Membre de l’Association des Amis du Vieux Hué,

MORT AU CHAMP D’HONNEUR

Messieurs,

Lorsque notre dévoué Rédacteur recevait la lettre qui a été impriméedans le dernier numéro du Bulletin, et que je vais vous lire, notre ami,le Capitaine Albrecht, qui fut un des membres fondateurs de l’Asso-ciation des Amis du Vieux Hué, était tombé à son poste d’honneur,et vous verrez tout à l’heure combien glorieusement.

La lettre était datée du 17 juillet 1915, « face à l’ennemi ».Moins d’un mois après, le 23 août, un autre Ami du Vieux Hué, le

Sous-Lieutenant Le Bris (Henri), frère de notre sympathique Secrétaire,m’adressait la lettre que le dernier courrier de France m’a apportée etque voici :

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- 476 -

« . . .

#« J’ai la douleur de vous faire part de la perte que viennent de faire,

II

IIJ« les « Amis du Vieux Hué » en la personne du Capitaine Albrecht, Il

3p« mort le 13 août 1915, au champ d’Honneur. Qc

0

« Notre ami commandait la 1re Compagnie du 6e Colonial et était db« en Argonne depuis son arrivée en France.

#« Le 3 août, j’avais eu le bonheur de le rencontrer à Vienne-le-Châ-

0

#« teau au moment où, harassé, il descendait des tranchées boueuses 0

#« de la Houyette. Quelques heures après, il revenait aux abris où nous #

« nous reposions et m’emmenait déjeuner avec lui. C’est accompagné

fD

b« par le halètement monstrueux des marmites, le sifflement puissant

Q« des bombes, la plainte sinistre des balles que nous avons parlé, avec

#I

#« quel bonheur! de vous tous, du « Vieux Hué », de Hué tout court 0

4« qu’il aimait tant. Vous savez quel esprit fin et avisé avait le Capitaine 0

0

« Albrecht ; c’était un artiste délicieux, un homme très instruit, à ju- il« gement sain ; au point de vue militaire il avait une valeur incontestée. Q

Il« Le 11 août, le 6e Colonial eut à subir une attaque excessivement

’Il« violente. Le 2e Colonial fut appelé à le renforcer et ma Compagnie #

Q

Q

« fut adjointe à la 4eCie du 6e Colonial (Capitaine Maugin). La ligne de« tranchées à notre gauche était absolument bouleversée et était sans 0

4 « doute enfoncée par l’ennemi. Nous n’étions donc plus en liaison avec0 « la 1re Compagnie (Capitaine Albrecht) qui occupait le « doigt de gant »,

0

« point excessivement difficile à tenir et que notre ami avait tenu. —Il

0

4« Je fus chargé d’assurer cette liaison. J’y parvins après 3 heures de 9

Q

« combat et je rejoignis le Capitaine Albrecht. Notre ami était calme. 3p« Il me serra la main et m’expliqua, en ami, ce qu’il avait fait. Un jour QT

Il

« on saura ce qu’il a fallu d’énergie, de sang-froid et de valeur à cet« homme pour avoir repoussé une attaque d’enfer . . Le 12 août, je le

i(f,.

« revis vers 6 h. 1/2 ; il était un peu fatigué. « Il y a exactement, me Il

0 i

#

« dit-il en riant, 100 heures que je n’ai point fermé l’oeil » — Mais son 4l1 « visage était énergique et son attitude décidée, comme à l’ordinaire. izf

I

« Il me serra la main, plus fort que de coutume et me dit : « BonneIl

,« chance, Le Bris, vous aurez de l’orage aujourd’hui. Fritz n’est pas

lb,

0« content de son échec d’hier ».

4

« A 8 heures 1/2, une seconde attaque boche coupa la liaison que

4

« j’avais établie et nous sépara de nouveau. Jusqu’à 16 heures 1/2 nous« tînmes, sous une pétarade effroyable et un marmitage ininterrompu.

1I

« Six fois nous chargeâmes à la baïonnette et eûmes le bonheur de il

##-#~~##~##~~~~~.~--sf=#-~

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- 477 -

#=MEM!b###### ####TeS*#

0 « reprendre 25 mètres perdus. — J’avais perdu 105 hommes sur 140... .#) « Le 13 au matin, je me hâte de rejoindre le Capitaine Albrecht. Celui-

@« ci venait d’être tué, d’une balle à la tête, m’a-t-on dit.

fil« Je n'ai pas revu le corps de notre ami. Je n’ai pas pu me découvrir !!

I !

0

Q« en votre nom devant le cadavre d’un des fondateurs des « Amis du 1

8

« Vieux Hué ». J’ai tenu cependant à vous écrire ce que je sais de ’ $« ses derniers moments, persuade que ces détails, pas assez précis rrc

il « hélas ! et jetés hâtivement sur le papier entre deux batailles, feront 6

@« plaisir à tous ses amis de Hué.

I

« Le Capitaine Albrecht est mort en héros. Sa disparition a jeté la ‘$r

« consternation, non seulement dans le 6e Colonial où il était très ap- gI« précié, mais aussi au 5e, au 2e, au 1er où il était connu de tous.

« Je vous quitte, Monsieur le Président et cher Ami, en vous deman-Il

8« dant d’être mon interprète auprès de tous nos amis. dl

I il. . . . . . . . . . . . ,1l(t

(Signé) Henri LE BRIS ,’SFSous-Lieutenant, 2e Colonial.

, i1

#

« Vous aurez de mes nouvelles par mon frère. Je vais bien, ai fait tl« déjà, je crois, de « la belle ouvrage » (au moins 10 Boches pour

’3h

rtt:

P « moi) et suis décidé à en faire de meilleure encore. Nous nous

8« attendons à un gros, gros coup. A Dieu vat et vive la France !

8 Je suis assuré de répondre à votre sentiment en adressant un hom-

4mage ému, aident et respectueux, à la mémoire du beau soldat qu’était

’1

le Capitaine Albrecht, passionné d’art, de littérature et de recherches

gscientifiques. Il fit parmi les tout premiers adhérents de notre chère I

Association, et c’est avec un bonheur égal à celui qu’éprouvent tous IJ,Q ceux qu’unissent une indéfectible amitié qu’il recevait, sur le front, no- #

0tre Bulletin périodique.

bRépétons ici, Messieurs, le cri, qu’en tombant en héros, il n’a pas !l!,

!l

Bmarqué de pousser : « Vive la France » !

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Messieurs,

- 4 7 8 -

Notre Ami, le Sous-Lieutenant Henri Le Bris qui nous adressa dufront la lettre émouvante par laquelle il nous apprenait la mortglorieuse du Capitaine Albrecht, a assisté, en Argonne, aux plus furieuxcombats que l’on puisse imaginer.

A l’obligeance, habituelle de son frère Eugène, notre Secrétaire, jedois la communication d’une autre lettre de notre ami parlant cettefois à ses parents.

C’est aux cris bien connus de ses frères bretons : « Araok potred ! »« Allez Bretonned ! » que six fois il chargea, restant enfin vainqueur,

mettant les Allemands en fuite.Sa merveilleuse conduite lui a valu les félicitations du Général de

Corps d’Armée et une citation à l’ordre de la Division Coloniale. Félicitons ici notre vaillant Camarade qui lui aussi figure parmi les

membres fondateurs du « Vieux Hué ».

L.. CADIÈRE .

Page 134: BAVH Octobre-Décembre 1915

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