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«Beatnik» est un mot composé par le journaliste Herb Caen en 1958, ajoutant –nik à beat. The beat, un mot qui décrivait une génération d’intellectuels «rebelles», bohèmes; pas exactement aliénée, mais se sentant détachée du statu quo banlieusard après-guerre et donc très mobile. Le nik vient de Sputnik, le premier satellite artificiel, lancé par les Soviétiques en 1957; c’est devenu le suffixe pour « russifier » un mot. Beatnik suggère que le rejet du statut-quo de cette génération est une prise de position vaguement socialiste, et que leur critique sociale est une position antiaméricaine. Une chose certaine: c’est la Guy Lanoue, Université de Montréal, 2012-14

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«Beatnik» est un mot composé par le journaliste Herb Caen en 1958, ajoutant –nik à beat. The beat, un mot qui décrivait une génération d’intellectuels «rebelles», bohèmes; pas exactement aliénée, mais se sentant détachée du statu quo banlieusard après-guerre et donc très mobile. Le nik vient de Sputnik, le premier satellite artificiel, lancé par les Soviétiques en 1957; c’est devenu le suffixe pour « russifier » un mot. Beatnik suggère que le rejet du statut-quo de cette génération est une prise de position vaguement socialiste, et que leur critique sociale est une position antiaméricaine. Une chose certaine: c’est la première catégorie sociale dont les traits émergent des dynamiques et des images de la culture pop.

Guy Lanoue, Université de Montréal, 2012-14

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Selon des sources comme Wikipedia (http://en.wikipedia.org/wiki/Beatnik, consulté le 22-02-12) , le beat de beatnik est de l’argot du monde criminel et délinquant qui se réfère à des personnes « battues » par la vie, par l’oppression, par les normes. Jack Kerouac, le beat le plus populaire pour le public classe-moyenne instruit, pensait que le mot avait des connotations de beauté et de béatitude, donc un visionnaire. Pour le grand public américain, cependant, beat se référait à l’identification du mouvement avec la musique jazz. L’ironie du mouvement intellectuel et esthétique est qu’il est né dans une époque qui n’était pas encore dominée par la culture pop, mais qui a été rapidement absorbé par ses conventions et par ses dynamiques.

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Les sommités du mouvement: Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Peter Orlovsky et Gregory Corso.,

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« Vrai » mouvement social ou une invention médiatique alimentée par le maccarthysme anticommuniste de l’époque? Les deux. Étant sensible et même dépendant des images

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pop, cette génération assume rapidement l’idée du geste symbolique médiatique, pensé, inventé, et ceci, selon une logique scénarisée. Les instances formelles du pouvoir ne comprennent pas, car la notion de « culture wars » est inconnue, et le « mouvement » est largement apolitique. À l’époque, les Américains n’ont pas découvert le vocabulaire gramscien où la gouvernance s’effectue par l’hégémonie, et donc perçoivent n’importe changement comme une menace à l’ordre social, qui est doublement investi de signification, car c’est également l’ordre qu’ils ont « conquis » après le chaos sanglant de la 2e Guerre mondiale (qu’« ils » ont « gagné » et que les Européens ont commencé, selon le discours populaire). La menace et donc toujours liée à l’étranger. Les Beats, quant à eux, sont largement contre le statu quo culturel qui valorise la complaisance et la somnolence de la banlieue, mais ils ne sont pas particulièrement politisés.

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Affiche d’un film (1960) qui incarne les thèmes de rébellion dangereuse désormais

liés aux Beatniks, selon le discours populaire attaché à la culture de masse. Évidemment, Hollywood confondait la

critique culturelle des Beats avec d’autres formes de rébellion plus menaçantes.

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Marlon Brando, The Wild Ones, 1953

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« War is hell »* : the culture wars

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Les icônes avant et après les culture wars. Les beatniks lancent la première salve, et bientôt, c’est la guerre acharnée. Cette guerre est souvent conçue dans le discours populaire comme une lutte entre conservateurs et libéraux, entre tradition et innovation, le passé et le futur. Autrement dit, elle est conçue comme un conflit autour de certaines valeurs, sans

* expression attribuée au Général William Tecumseh Sherman lors de la Guerre Civile américaine.

pourtant enquêter l’origine des valeurs nouvelles, et qui sont les combattants. Ce sont les individus qui adoptent la culture pop, dont la simplicité de ses composants permet une appropriation et une manipulation facile. Les culture wars sont donc une rébellion populaire contre les institutions véhicules de l’hégémonie.

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Daddy-o

Pourquoi les beats transforment-ils le nominatif daddy en vocatif? Que je le sache, c’est le seul mot qui est ainsi transformé (il n’a pas de mommy-o) en forme d’adresse emphatique et directe, comme dans les langues avec déclinaison telles que le Latin ou l’Allemand, sauf que l’Anglais (en fait, l’Anglo-saxon) a perdu ses cas grammaticaux au Moyen âge, vers le 12e siècle. Ce n’est pas une trace historique, car les anglophones ne savent plus que certains cas survivent avec « we » et « us ».

Premièrement, on vise « daddy », qui est symboliquement à la tête de la hiérarchie sociale qui est désormais ciblée. Deux, il s’agit d’une rébellion contre la rigidité de la dimension symbolique incarnée par le corps social masculin. Il s’agit donc d’un avertissement et d’un message pointu, que les anciennes pratiques hégémoniques sont sous tire. Trois, c’est du sabotage qui va au-delà des valeurs, car il ajoute un ton ironique au système d’indexicalité, et donc à toute la communication. À gauche, un film d’exploitation du mouvement: sexe et indifférence au statut-quo.

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Coolio et The Great Cornholio, a.k.a. Bungholio ou Beavis. « –io » est le nouveau signal d’ironie à suivre: 40 ans plus tard, ce recyclage des années 50s est doublement chargé, ironie et nostalgie.

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Le beatnik stéréotypé – poésies (récitées dans des cafés-sous-sol; le genre survit à Montréal avec Upstairs sur la rue Mackay), tambour afro-cubain (bongos) béret et barbiche. Le caractère Paul Kinsey de l’émission Mad Men (2007-), qui se déroule dans les années 1959 -1964, est influencé par la culture hipster, l’ancêtre directe (années

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Un café style beatnik

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1940) de la culture beatnik: détendu, des références à la drogue et à la culture underground des Afro-américains urbains. Aujourd’hui, hipster est souvent dit avec dédain ou ironique. Il a perdu sa dimension avant-garde.

Le nom de Kinsey sans doute fa référence au fameux Kinsey Report des années 1950, la première enquête sérieuse sur la sexualité américaine.

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Le beatnik-girl partage le béret français et la cigarette avec l’homme. Souvent, elle est en pantalons et adopte de poses non conventionnelles pour symboliser sont rejet des conventions petites-bourgeoises.

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Le béret depuis les années 1930 était pour les Américains le symbole par excellence de la culture bohème de Paris. Après 1960, le béret noir est aussi symbole du révolutionnaire, avec la photo renommée de Che Guevara.

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La critique beat favorise l’épanouissement individuel, dans sa version pop de beatnik,

ceci devient la transgression sexuelle. La critique sociale beat est censée viser

l’hypocrisie de la classe moyenne, qui accepte l’hégémonie de la biopolitique foucaldienne en dépit de son libéralisme et de son rejet de l’ancien régime. Ce n’est pas surprenant que

l’agir sexuel en est la métaphore la plus puissante.

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Charles Mingus (1922-1979), contrebassiste jazz, était sans doute le modèle pour l’esthétique beatnik. Les beats avaient établi la musique jazz des noirs comme un point de référence de leur culture, peut-être parce que cette tradition était, comme eux, un peu déracinée et signe de libération, s’inspirant de la musique noire que les migrants arrivés au nord avaient amenée avec eux quand ils ont voulu quitter les conditions misérables qui caractérisaient la vie des noirs au sud des États-Unis.

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L’image perdure – Ned Flanders, voisin ultrareligieux et conformiste de Homer Simpson, est fils de parents Beatnik (« Hurricane Neddy », épisode 08-8, 29-12-1996).

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Beatnik Chicken, à droite, est probablement inspiré de Banty Rooster (Banty = Bantam = petit), un caractère de Warner Brothers de 1963 (« Banty Raids », un jeu de mots sur « panty raids », activité populaire avec les fraternités américaines dans les années 1950), qui est compétition avec le populaire Foghorn Leghorn pour les affections des poules, surtout Miss Prissy.

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Audrey Hepburn, Fred Astaire, Funny Face, 1957. La Hepburn est censée incarner une Beatnik newyorkaise (elle est commis dans une librairie et « philosophe »).

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Maynard G. Krebs (Bob Denver, qui finira par incarner un autre icône de la culture pop, le matelot Gilligan [Gilligan’s

Island, 1964-1967]), in The Many Loves of Dobie Gillis (1959-63). Dobie est un petit-bourgeois qui est attiré par

l’argent et par les belles femmes qui sont hors

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Son antithèse – Leave it to Beaver (1957), la famille américaine iconique

http://www.youtube.com/watch?v=483ilMmZbP0

de sa portée. Son ami Maynard le sauve la

peau avec sa philosophie de plaisir et surtout d’aversion

envers le travail. Il devient le stéréotype

du Beatnik pour le public américain, surtout parce que

l’émission a atteint un statut iconique.

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Trois artistes importants influencés par les Beats, qui ont émergé dans les années 1960: Joan Baez, Woody Allen, Bob Dylan

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En fin de conte, le beat est une catégorie qui suggère une personne aliénée, distante, à la recherche de nouveauté – toutes les qualités pour établir les conditions de l’ironie postmoderne qui va émerger après la guerre. Le Beatnik ritualise sa rébellion. Sans béret, que est-il?

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À droite, la transformation réussie

Sluggo de la bande dessinée Nancy (Ernie Bushmiller) qui a débuté dans les années 1930s. Sluggo est le petit copain pauvre de la protagoniste, qui vit dans une maisonnée classe moyenne (pour établir son statut de médiatrice, Nancy a également un copain riche, Rollo).