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McGUIREJamie
BEAUTIFULREDEMPTION
Collection:FantasmeMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parAgnèsGirard
©JamieMcGuire,2015Pourlatraductionfrançaise:ÉditionsJ’ailu,2016Dépôtlégal:septembre2016
ISBNnumérique:9782290111239ISBNdupdfweb:9782290111253
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290115466
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Présentationdel’éditeur:LiisLindyatoujoursfaitdel’excellencesadevise.EntresesfiançaillesetsacarrièreauseinduFBI,ellen’aguèretergiversé!FraîchementdébarquéeàSanDiegocommeanalyste,ellerépondauxordresdel’AgentSpécialThomasMaddox,connupourêtreunepointuremaisaussiunodieuxpersonnage.Eneffet,derrièresonmasqued’Apollonsecacheunredoutableprédateur,prêtàtoutpourquesonéquipesesurpasse.HorsdequestionpourLiisdeflancher,etsi,pourprouversavaleur,elledoitaccepterdesefairepasserpoursacompagnedurantquelquesjours,qu’àcelanetienne!Contretouteattente,ilsepourraitmêmequ’elleappréciecettemissiond’infiltrationau-delàdetoutprofessionnalisme…
Couverture:StudiodecréationJ’ailud’après©ReilikaLanden/ArcangelImages
Biographiedel’auteur:Diplôméeenradiographie,ellevitdansl’Oklahomaavecsonmarietsestroisenfants.D’abordautoédité,sonpremierromanBeautifulDisasterestrapidementdevenuunbest-sellermondial,lauréatduprixBookExpoAmerica2012danslacatégorieMeilleureromance.Depuis,onluidoitégalementWalkingDisaster,BeautifulWedding,BeautifulOblivionetRedHill,disponiblesauxÉditionsJ’ailu.
Titreoriginal:BEAUTIFULREDEMPTION
Éditeuroriginal:Atria,adivisionofSimonandSchuster,Inc.
©JamieMcGuire,2015
Pourlatraductionfrançaise:ÉditionsJ’ailu,2016
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
BEAUTIFULDISASTER
WALKINGDISASTER
BEAUTIFULWEDDING
BEAUTIFULOBLIVION
MMEMADDOX
(Numérique)
REDHILL
MONSTERS(Numérique)
PourAutumnHull,tonamitiém’estprécieuse.
EtpourKelliSpear,quellechancedeteconnaître!
Sommaire
IdentitéCopyright
Biographiedel’auteur
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Épilogue
Remerciements
1
Contrôler la situation était la seule chose qui comptait. J’avais appris très tôt queplanifier, calculer et observer permettait de s’éviter la plupart des désagréments – risquesinutiles,déceptionet,surtout,peinesdecœur.
Maisprévoird’éviter lesdésagrémentsétaitunechose,yparvenirenétaituneautre.EtdanslalumièretamiséedupubCutter’s,ceconstatm’apparaissaitplusclairementquejamais.
Ladizainedenéonspublicitairesaccrochésauxmursetlafaibleclartédesappliquesduplafond faisaient briller les bouteilles alignées derrière le bar, mais n’apportaient qu’unréconfortrelatif.Toutlerestemerenvoyaituneréalitéflagrante:j’étaisloin,trèsloindechezmoi.
Le bois de récupération qui tapissait lesmurs, le plancher en pin taché, tout avait étéconçu spécialement pour donner à cet établissement du centre-ville l’aspect d’un bougemalfamé,mais l’endroitétait troppropre.Lapeinturen’étaitpas jaunieparunsièclede fumée.LesmursnemurmuraientriensurDillingerouCapone.
J’étais installée sur lemême tabouret depuis deuxheures, depuis que j’avais renoncé àdéballermescartonsdansmonnouvelappartement.J’avais tenu leplus longtempspossible,et rangé une partie de mes affaires. Mais explorer mon nouveau quartier avait été troptentant,enparticulierdansladouceurextraordinairedel’airnocturne,alorsquenousétionsfinfévrier.Jefaisaisl’expériencedemanouvelleindépendance,àlaquelles’ajoutaitlalibertéden’avoirpersonneàlamaisonàquifaireunrapportàmonretour.
L’assiserembourréequejetenaisauchaudétaitrecouvertedemoleskineorangeet,aprèsavoirbuunepartienonnégligeabledel’indemnitédedéménagementgénéreusementallouéeparleFBI,jefaisaisdemonmieuxpournepasendégringoler.
Cequi restaitdemoncinquièmeManhattande la soirée couladu joli verre jusqu’àmabouche,pourallerpicotermagorge.Lebourbonetlevermouthavaientungoûtdesolitude.Cedétail-là,aumoins,merappelaitchezmoi.Lebercail,encequimeconcernait,setrouvaitpourtantàdesmilliersdekilomètresde là, et semblaitmême s’éloignerau fur et àmesureques’étiraitlasoirée.
Maisjen’étaispasperdue.Justeenfuite.Desdizainesdecartonsm’attendaientdanscetappartementdu cinquièmeétage, des cartonsque j’avais faits avec enthousiasme tandis quemonex,Jackson,faisaitlagueuledansuncoindenotreminusculedeux-piècesdeChicago.
AuFBI,bougerétait laclési l’onvoulaitgrimperleséchelons,etentrèspeudetemps,c’était pour ainsi dire devenuma spécialité.Quand je lui avais annoncé que j’étaismutée àSanDiego,Jacksonétaitrestéimperturbable.Etmêmeàl’aéroport,justeavantmondépart,ilm’avaitassuréquetoutiraitbien,quenousdeux,çacontinuerait,malgréladistance.Jacksonn’étaitpastrèsdouépourtournerlapage.Ilavaitmêmemenacédem’aimerpourtoujours.
Je fis tournermon verre vide avec un sourire engageant. Le barmanm’aida à le posersansencombre,etmeresservit.Lezested’orangeetlaceriseflottaientdoucement,entredeuxeaux–unpeucommemoi.
—C’estledernier,mabelle,dit-ilennettoyantlebardepartetd’autredemonverre.—Arrêtezdefaireduzèle.Jenelaissepasdesigrospourboiresqueça.—Lesfédérauxnesontjamaisgénéreux,lâcha-t-ilplatement.—Çasevoitàcepoint?—Vousêtesnombreuxàvivredanslequartier.Vousparleztousdelamêmemanièreet
vousvousbourrez lagueule lepremier soiroùvousvous retrouvez loindechezvous.Maispasdepanique,hein.YapasécritFBIsurvotrefront.
—Vousmerassurez.Detoutefaçon,celanemetracassaitpasplusqueça.J’aimais leBureau,et toutcequi
allaitavec.J’avaismêmeaiméJackson,luiaussiagentdecettebonnevieillemaison.—Vousarrivezd’où?demandalebarman.AvecsonpullàcolenVtropprèsducorps,sesonglesmanucurés,sescheveuxenduitsde
geletsonsourirededragueur,jelevoyaisveniràdeskilomètres.—Chicago.Lèvrespincées,ilouvritdegrandsyeuxronds.—Vousdevriezfêterça,alors.—C’estvrai.Tantqu’ilmerestedespossibilitésdefuite,jenedevraispasmeplaindre.J’avalaisunegorgée,etléchaisurmeslèvreslabrûlurefuméedubourbon.—Oh.Unexunpeuencombrant?—Dansmonboulot,onnes’endébarrassejamaisvraiment.—Ohputain.C’est un agent, lui aussi ? Faut jamaismélanger cul et boulot,mabelle,
c’estleb.a.-ba.Jelaissaicourirmondoigtsurleborddemonverre.—Jen’aipassouvenirquemaformationaitabordélesujet.—Jevois.Çaarrivesouvent.Ilenvienttoutletempsdescommevousparici,dit-ilen
secouantlatêteavantdeplongerquelquechosedansunbacd’eausavonneuse.Voushabitezdanslecoin?
Jeledévisageai,méfiante.Jememéfiaistoujoursdesgenscapablesderepérerunagentetquiposaienttropdequestions.
—Est-cequ’onvousverrasouventici?précisa-t-il.Comprenantàquoiilvoulaitenvenir,jehochailatête.—C’estprobable.—Vousinquiétezpaspourlepourboire.Déménagercoûtecher,etboirepouroublierce
qu’onalaisséderrièresoiaussi.Vousvousrattraperezplustard.Jenepusm’empêcherdesourire.Celanem’étaitplusarrivédepuislongtemps,maisilne
leremarquasansdoutepas.—Vousvousappelezcomment?demandai-je.—Anthony.—EtonvousappelleTony,parfois?—Passionveutresterclient.—Jenote.Anthony alla servir la seule autre cliente du bar en ce lundi soir tardif sur le point de
devenirunmardimatin.Laquarantaine,potelée, lesyeuxbouffis et rougis, elleportaitunerobe noire. Tandis qu’il la servait, la porte s’ouvrit et un homme qui devait avoirmon âgeentra pour venir s’asseoir deux tabourets plus loin. Il défit sa cravate et ouvrit le premierboutondesachemiseblancheparfaitementrepassée.Unrapidecoupd’œildansmadirection,et son regard noisette nuancé de vert enregistra tout ce qu’il avait besoin de savoir àmonpropos.Puisilregardadroitdevantlui.
Dans la poche demon blazer,mon téléphone vibra. Je le sortis pour regarder l’écran.C’était encore un texto de Jackson. À côté de son nom, un petit 6 entre parenthèsesm’indiquait le nombre de messages qu’il avait envoyés. Ces parenthèses me rappelèrent ladernièrefoisoùilm’avaittouchée–j’avaisdûleforceràouvrirlesbrasetmelâcher.
J’étais à trois mille cinq cents kilomètres de Jackson, et il arrivait encore à me faireculpabiliser–maispassuffisamment.
J’éteignis l’écran sans lui répondre, et fis un geste au barman, tout en avalant ce quirestaitdemonsixièmeverre.
J’avaistrouvéleCutter’sjusteaucoindemonnouveauchez-moi,dansunquartiercentraldeSanDiegonichéentre l’aéroportet lezoo.MescollèguesdeChicagoportaient lesparkasdeservicesur leursgiletspare-ballesetmoi, jeprofitaisdutemps inhabituellementdouxdeSanDiegoentopsansbretelles,blazeret jeanskinny.Jemesentaistrophabillée,etunpeumoite.Maiscelapouvaitaussivenirdelaquantitéd’alcoolquej’avaisbue.
—Vousêtesterriblementpetitepourfréquenterunendroitcommecelui-ci,ditl’homme,deuxtabouretsplusloin.
—Un endroit comme quoi, exactement ? demandaAnthony en haussant un sourcil, lepoingserréautourd’unverreàwhisky.
L’hommel’ignora.—Jenesuispaspetite,rétorquai-jeavantdeboireunegorgée.Jesuismenue.—C’estlamêmechose,non?—J’aiaussiunTaserdansmonsac,etuncrochetdugaucheassezredoutable,alorsfaites
attentionànepasavoirlesyeuxplusgrosqueleventre.—Sacrékung-fu,aussi.Jemerefusaiàluiprêterattention,etregardaidroitdevantmoi.—Jedoisleprendrecommeuneremarqueraciste?—Absolumentpas.Vousmesemblezjusteunpeuviolente.—Jenesuispasviolente.Mêmes’ilétaitpréférabledel’êtreplutôtquedepasserpouruneciblefaibleetfacile.—Ahbon,vraiment?Ilneposaitpaslaquestion.Ilcherchaitàmecontrarier.—Jeviensdelireunarticlesurcesfemmesquiluttentpourlapaix,enAsie.Jesuppose
quevousn’enfaitespaspartie.—J’aiaussidesracinesirlandaises,grommelai-je.Ileutunpetitrire. Ilyavaitquelquechosedanssavoix–passeulementde l’ego,mais
plus que de l’assurance. Un truc quime donnait envie de tourner la tête pour le regarder.Maisjegardailesyeuxfixéssurlesbouteillesalignéesderrièrelebar.
Quandilcompritqu’iln’auraitpasd’autreréponse,ilvints’asseoirjusteàcôtédemoi.Jepoussaiunsoupir.
—Qu’est-cequevousbuvez?demanda-t-il.Je levai les yeux au ciel, et décidai cette fois de le regarder. Il était aussi beau que le
climatdelaCaliforniedusud,etn’auraitpaspuêtreplusdifférentdeJackson.Mêmeassis,jevoyaisqu’ildevaitêtregrand–aumoinsunmètrequatre-vingt-dix.Sonhâlemettaitenvaleurson regard brun-vert. Pour n’importe quel homme, il devait être intimidant, mais je ne lesentispasdangereux–dumoinspaspourmoi–,mêmes’ilfaisaitdeuxfoismataille.
— Seulement ce que jeme paiemoi-même, répondis-je sans essayer demasquermonsourireleplusséduisant.
Baisser un peu la garde pour un bel inconnu, le temps d’un verre, pouvait se justifier,surtoutaprèsunsixièmeverre.Nousallionsflirter,j’oublieraisunpeudeculpabiliser,etpuisjerentreraischezmoi.Peut-êtremêmequ’enprimeonmepaieraitunverre.C’étaitunplanrespectable.
Ilsouritàsontour.—Anthony,dit-ilenlevantundoigt.—Commed’habitude?demandacedernierdepuisl’autreboutdubar.L’homme hocha la tête. C’était donc un habitué. Il devait vivre ou travailler dans le
quartier.
JefronçailessourcilsenvoyantAnthonyprendremonverreplutôtquedemeresservir.Ilhaussalesépaules,sansunregardd’excuse.—Jevousavaisditquec’étaitledernier.L’inconnudescendit rapidementunedemi-douzainedegorgéesdebièrebonmarché,de
quoiserapprocheruntantsoitpeudemontauxd’alcoolémie.Jepréférais.Decettemanière,jen’auraispasà faire semblantd’êtreà jeun,et le choixde labièrem’indiquaitqu’iln’étaitpasdugenrecompliquéetn’essayaitpasdem’impressionner.Oualorsilétaitjustefauché.
— Vous avez refusé parce qu’Anthony ne veut plus vous servir, ou parce que vous nevoulezvraimentpasquejevousoffreunverre?demanda-t-il.
—Parcequejepeuxmepayeràboiretouteseule,répondis-je,enarticulantavecunpeudedifficulté.
—Voushabitezdanslecoin?Jejetaiuncoupd’œildanssadirection.—Voscompétencesenmatièredeconversationsontabyssales.Jesuistrèsdéçue.Iléclataderire.—Elleestincroyable!Vousêtesd’où,vous?Pasd’ici,c’estsûr.—DeChicago.Jeviensd’arriver.J’aiencoredescartonspleinmonsalon.—Ah, jepeuxcomprendre,dit-ilenhochant latête,avantdeleversonverre.Cestrois
dernièresannées,j’aidéménagédeuxfoisd’unecôteàl’autre.—Pouralleroù?—Ici.PuisWashington.Etretourici.—Vousêtesunhommepolitique?Unlobbyiste?demandai-jeavecunsourireencoin.—Nil’unnil’autre,répondit-ilavecunegrimacededégoût.C’estquoi,votrenom?—Jenesuispasintéressée.—C’estmoche,commenom.Jefisunegrimace.—Çaexpliqueledéménagement,reprit-il.Vousfuyezunmec.Je luidécochaiun regardnoir. Il était trèsbeau,maisprésomptueux,aussi.Etqu’il ait
raisonn’ychangeaitrien.—Et jen’encherchepasunautre.Pasdecoupd’unsoir,pasdebaisepourmevenger,
rien. Alors ne perdez pas votre temps ni votre argent. Je suis sûre que vous pouvez voustrouverunegentillefillebienbronzéetoutàfaitdisposéeàaccepterunverredevotrepart.
Ilsepenchaversmoi.—Maisçaneseraitpasdrôle.Seigneur,mêmesij’étaissobre,cetypemeferaitperdremesmoyens.J’eus le regard aimanté par la façon dont ses lèvres se posèrent sur le goulot de sa
bouteilledebière,etsentisunpincementdanslebas-ventre.Jementais,etillesavait.
—Jevousaimiseencolère?demanda-t-ilavec le sourire lepluscharmantque j’avaisjamaisvu.
Rasé de près, les cheveux châtain clair longs juste comme il faut, cet homme et sonsourireavaientdéjàconquisdesEverestbienplusredoutablesquemoi.
—Vousessayezdememettreencolère?demandai-je.—Peut-être.Cettepetitemouequevousfaitesquandvousêtesfâchée…c’estcarrément
incroyable.Jepourraisjouerlesemmerdeurstoutelanuitrienquepourregardervoslèvres.Jedéglutis.Monpetitjeuétaitterminé.Ilavaitgagné,etlesavait.—Çavousditqu’onyaille?demanda-t-il.Je fis signe à Anthony,mais l’inconnu secoua la tête et posa un gros billet sur le bar.
J’avaisbuàl’œil,aumoinscettepartiedemonplanavait-ellefonctionné.L’hommesedirigeaverslaporte,etmefitsignedepasserdevant.
—Jesuisprêtàparierunesemainedepourboiresqu’ilneconclurapas, lâchaAnthonyjusteassezfortpourquelebelinconnul’entende.
—Onverrabien,dis-jeensortant.Laporte se referma lentementderrièrenous. Ilmeprit lamain, joueurmais ferme, et
m’attiracontrelui.—Anthonypensequevousallezlaissertomber,dis-jeenlevantlesyeuxsurlui.Il était beaucoupplus grandquemoi.Dans cetteposition, j’avais l’impressiond’être au
premierrangaucinéma.Jedevaisleverlementonetmepencherenarrièrepourpouvoirleregarderdanslesyeux.
Je tendis le visage vers lui, lemettant au défi dem’embrasser. Il hésita,m’observa uninstant,puissonregards’adoucit.
—Quelquechosemeditquecettefois,ilsetrompe.Il vint à ma rencontre, et ce qui devait n’être qu’un premier baiser hésitant et léger
s’avéra être une expérience à la fois lascive et romantique. Ses lèvres bougeaient sur lesmiennes comme s’il les reconnaissait, et même comme si leur contact lui avait manqué. Àl’opposé de tout ce que j’avais connu jusque-là, je sentis un étrange courant électrique meparcourir, faisant fondre toute résistance sur son passage.Nous avions fait cela tant de foisdéjà–nousl’avionsfantasméourêvé.C’étaitlaplusextraordinairesensationdedéjà-vu.
Quand il s’écarta, ilgarda lesyeux fermés l’espaced’un instant,commes’il savouraitcemoment.Puisilmeregarda,etsecoualatête.
—Pasquestiondelaissertomber.Nous tournâmes dans ma rue, et remontâmes d’un pas rapide en direction de mon
immeuble.Jeplongeaiunemaindansmonsacpourensortirmesclés.Dansl’entrée,commenous attendions l’ascenseur, ses doigts effleurèrent les miens, avant de les enlacer pour
m’attirer d’un coup contre lui. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, nous montâmes entitubant.
Il me prit par les hanches et me plaqua contre lui tandis que du bout des doigts, jecherchaiàatteindrelebonbouton.Jesentisseslèvressoyeusesseposersurmoncou,etunfrissonmeparcourut,électrisantmapeau.Lespetitsbaisersremontèrent,coururentsurmonmenton jusqu’à mon oreille, avant de redescendre sur mon épaule. Déterminés etconnaisseurs.Sesmainsmesuppliaientd’êtreplusprèsencore,commes’ilm’attendaitdepuistoujours.J’éprouvaislamêmesensation,complètementirrationnelle.Jesavaisquecelafaisaitpartiede l’attrait,dustratagème,maissa façondeseretenirvisiblementdem’arrachermesvêtementsenvoyauneséried’ondesdechocàtraversmoncorpstoutentier.
En arrivant au cinquième étage, j’avais les cheveux ramenés sur un côté et une épaulenue,surlaquelleseslèvressepromenaientavecavidité.
—T’estellementdouce,murmura-t-il.Commepourlecontredire,cetteremarquemedonnalachairdepoule.Mescléstintèrenttandisquejecherchaislaserrure.Iltournalapoignéeetnousfaillîmes
tomberàl’intérieur.S’écartantbrièvement,ilrefermalaporteavecsondosetmepritparlesmainspourm’attirerdenouveau.Ilsentaitlabièreetl’après-rasageboiséetsafrané,maissabouche avait encore le goût du dentifrice mentholé. Quand nos lèvres se retrouvèrent,j’accueillissalanguesanshésitationetnouaimesmainsautourdesoncou.
Il fit tombermonblazer,puisdesserra sa cravateet lapassapar-dessus sa tête.Tandisqu’ildéboutonnaitsachemise,jeretiraimonbustier,exposantmesseinsl’espaced’uninstantavantquemeslongscheveuxnoirsneretombentencascadeetnelescachent.
La chemise de l’inconnu tomba à terre. Des gènes de compétition, combinés à unepratique assidue de l’exercice physique, avaient assurément sculpté la perfection que j’avaissous les yeux.Deux coupsdepied suffirent à retirermes escarpins, il fit demêmeavec seschaussures.Jelaissaicourirmesdoigtssurlesmusclesdesontorse,puisposaiunemainsurlaceinturedesonpantalontandisquel’autreseplaquaitsur lemembreraidiquientendaitl’étoffe.
NomdeDieu.Il.Est.Énorme.Lezipdesabraguette,ouvertd’uncoupsec,faillitm’arracherungémissement.Jesentais
le désir pulser entre mes jambes, j’aurais presque supplié qu’il me caresse. Ses lèvresquittèrent mon cou pour descendre sur mon épaule, puis ma poitrine. Et ce faisant, il meretiralentementmonjean.
Quand je fus complètement nue devant lui, il se redressa, fit une pause, prit le tempsd’appréciercequ’ilavaitsouslesyeux.Etneputretenirsonétonnement.
—Pasdeculotte?Jehaussailesépaules.—Jamais.
—Jamais?Sonregardmesuppliaitdeconfirmer.J’adoraissafaçondemedétailler–àlafoisstupéfait,amuséetexcitéàmort.ÀChicago,
mes copines vantaient toujours lesmérites du plan cul d’un soir sans engagement. Ce typeétaitl’idéalpourtenterlachoseunepremièrefois.
Jehaussaiunsourcil,raviedemesentirsexyàcepointsousleregarddecetinconnu.—Jen’enpossèdepasuneseule.Ilmesouleva,jenouaimesjambesautourdesataille.Iln’yavaitplusentrenousquele
tissudesoncaleçongrisfoncé.Toutenm’embrassant,ilmeportajusqu’aucanapé,surlequelilmedéposadélicatement.—Bieninstallée?demanda-t-ildansunsouffle.Je fis oui de la tête. Ilm’embrassa et s’éloignaquelques instants pour aller prendreun
petitpaquetcarrédanssonportefeuille.Enrevenant,ill’ouvritd’uncoupdedents.Jen’étaispasfâchéequ’ilaitapportélessiens.Mêmesi j’avaispenséàacheterdespréservatifs, jamaisjen’auraisétéassezprévoyanteouoptimistepourenprendreàsataille.
D’ungesterapide,ildéroulalelatexsursonmembre,puiss’approchadelazonesensibledemonentrejambe.Ilsepenchapourmurmurerquelquechoseàmonoreille,sansparveniràémettreautrechosequ’unlégersoupir.
Jemeredressaipouragripperdesdeuxmainssesfessesmusclées,etleguiderenmoi.Cefutàmontourdesoupirerd’extase.
Dansungrognement,ilposaànouveausabouchesurlamienne.Après dix minutes de manœuvres peu commodes sur le canapé, luisant de sueur,
l’inconnumeregardaavecunsourirefrustréetcontrit.—Tachambreestoù?J’indiquailecouloir.—Deuxièmeàdroite.Ilmesoulevaenmaintenantfermementmescuisses,selevaettraversalesalon,évitant
lescartons,lessacsenplastique,lespilesdelingeetd’assiettes.Jemedemandaibrièvementcommentilfaisaitpoursedéplacerainsidanslapénombresansrienrenverser,etsansquittermabouche.
Surtout,ilmarchaittoutenrestantenmoi,etlà,jenepusreteniruncrideplaisir.Ilsouritcontremeslèvres,poussalaportedemachambreetm’allongeasurlelit.Sans quittermon regard, il s’installa au-dessus demoi. Ses genoux étaient unpeuplus
écartés que sur le canapé, il pouvait ainsi entrer plus loin en moi, bouger le bassin etatteindre un point quime fit trembler les cuisses à chaque coup de reins. Sa bouche étaitrevenue sur la mienne, comme si l’éloignement lui était insupportable. Si je ne l’avais pasrencontréunedemi-heureplustôt,j’auraisprissafaçondemetoucher,dem’embrasseretdebougerenmoipourdel’amour.
Ilvintpressersa jouecontre lamienneet retintsonsouffle,concentré, sentantvenir ladélivrance.Enmêmetemps, il tentaitdeprolongercemoment insensé, fouet irresponsablemais délicieux quenous vivions tous les deux.D’unemain, il se redressa, et cala de l’autremongenoucontresonépaule.
Ilsemitàalleretvenirenmoi,encoreetencore.J’avaisagrippélacouette,c’étaitbonàmourir. Jacksonétaitplutôtbienpourvupar lanature,mais l’inconnumecomblait jusqu’autréfondsdemonêtre,iln’yavaitpasdedoutelà-dessus.Chaquecoupdeboutoirprovoquaitun nouveau jaillissement de plaisir, sensation exquise qui irradiait en moi, au point qu’àchaqueretrait,j’étaisauborddelapanique,redoutantquecelanes’arrête.
Pourladixièmefoisaumoinsdepuisnotreentréedansl’immeuble,jepoussaiuncri.Salangueétaitsipuissanteetdéterminéedansmabouche,ilavaitforcémentfaitcelaungrandnombre de fois avant ce soir. Cela rendait les choses plus faciles. Il s’en foutait juste assezpournepasmejugerensuite,ducoup,jenem’envoudraispasnonplus.Aprèsavoirvuquelgenredecorpsilcachaitsouscettechemise,commentaurais-jepuregretterquoiquecesoit,mêmesobre?
Ilplongeaunenouvellefoisenmoi,nousétionstrempésdesueur,c’étaitcommesinosépidermes fondaient l’un contre l’autre. À chaque mouvement, je sentais mes yeux seretournersouslabrûluredélicieuseduplaisir.
Chaque fois que sa bouchequittait lamienne, c’était pourmieux y revenir.Affamée etdouceenmême temps. Incroyable.Chaquemouvementde sa langueétait calculé,précis,etsemblait n’avoir que l’assouvissement de mon désir pour objectif. Jackson n’avait jamaisvraiment sum’embrasser, etmême si je venais à peine de rencontrer cet homme, je savaisdéjàquesesbaisersmemanqueraientàlasecondeoùilquitteraitmonappartement,aupetitmatin–s’ilattendaitseulementjusque-là.
Toutenmebaisantàlaperfection,sansrelâche,ilm’attrapaunejambepourécartermescuissesunpeuplus encore, glisser l’autremain jusqu’àmon sexe et, parpetitsmouvementscirculairesdupouce,caressermonclitoris.
Quelques secondes plus tard, je hurlai mon plaisir, m’arc-boutant pour venir à sarencontreetenserrerseshanchesentremescuisses tremblantes. Il sepenchaetm’embrassatandisquejegémissaisencore.Jesentisseslèvress’incurverenunsourire.
Il ralentit un peu lemouvement, ses baisers devinrent plus tendres qu’affamés,mais jesentis bientôt ses muscles se tendre à nouveau. Ses va-et-vient retrouvèrent leurdétermination,leurpuissance.Ilavaitobtenu–etavecbrio–monorgasme,etseconcentraitmaintenantsurlesien,plongeantenmoisansretenue,impitoyable.
Songrognement jaillitcontremabouche,puis ilplaquafiévreusementsa jouecontre lamienne et se laissa submerger par l’extase. À la violence des soubresauts succéda le calme.Allongésurmoi,illuifallutunmomentavantderetrouversonsouffle,puisilsetournaversmoipourm’embrassersurlajoue,seslèvress’attardantquelquesinstantssurmapeau.
En moins d’une minute, notre rencontre spontanée et enthousiaste se transforma enmalaise.
Lesilencedans lachambredissipa lebrouillardde l’alcool,et la réalitédecequenousvenions de faire pesa surma conscience. Aprèsm’être sentie sexy et désirée, je me faisaisl’effetd’unefillefacileetportéesurlabaiseàunpointquec’enétaitgênant.
L’inconnusepenchasurmoipourm’embrasser,maisj’esquivai,cequiétaitridiculedanslamesureoùilétaitencoreenmoi.
—Je…jemelèvetôtdemain.Il m’embrassa quand même, malgré ma honte. Sa langue dansa avec la mienne, la
caressa,lamémorisa.Ilinspiraprofondément,paspressédutout,puiss’écartaetmeregardaensouriant.
Merde, cette bouche allait me manquer, et je trouvais ça pathétique. Je me trouvaispathétique.Jen’étaismêmepassûrederetrouverunjourquelqu’unquiembrasseaussibien.
—Moiaussi.Aufait…jem’appelleThomas,dit-ildoucement.Il se retira et roula sur le dos, détendu, un bras replié sous la tête. Plutôt que de se
rhabiller,ilsemblaitprêtàentamerlaconversation.Mon indépendance m’échappait un peu plus chaque seconde, et au même rythme,
l’inconnuprenaitplusdeplacedansmespensées. Jeme revis faisantun rapportdétaillédechacundemesfaitsetgestesàJackson.Jen’avaispasdemandémamutationàl’autreboutdupayspourm’enchaînerànouveau.
—Etmoi,je…,commençai-jeavantdepincerleslèvresDis-le.Dis-le,outut’envoudrasàmort,après.—…jenesuispasdisponible.Thomashocha la tête,se levaetallas’habillerdans lesalon,ensilence. Il reparutdans
l’encadrementdemaporte,seschaussuresdansunemain,sesclésdansl’autre,lacravatedetravers.J’auraisvoulunepas leregarder,mais jenepusm’enempêcher. Il fallaitque jemesouviennedechaquecentimètre carrédecemec,pourpouvoir fantasmerdessuspendant lerestantdemesjours.
Il baissa les yeux et eut un petit rire, l’expression toujours dénuée de toute trace dejugement.
—Mercipourcettefaçoninattendueettrèsplaisantedecloreunlundidemerde.Ilsedétourna.Jem’assisdanslelit,tirantlacouetteautourdemoi.—Cen’estpasàcausedetoi.C’étaitsuper.Ilseretournaavecunsourireencoin.—T’inquiètepaspourmoi.Jenem’envaispasendoutantdemescapacités.Tum’avais
gentimentprévenu.Jen’attendaisriendeplus.—Situattendsuneminute,jeteraccompagne.—Jeconnaislechemin.J’habitedanscetimmeuble.Jesuissûrqu’onsereverra.
Jepâlis.—Tuhabitesici?Illevalesyeuxversleplafond.—Au-dessus,oui.—Tuveuxdire…àl’étagedudessus?—Heu…oui.Lemêmeappart,justeau-dessus.Maisjenesuispassouventchezmoi.Jedéglutis,horrifiée.Pourunplanculd’unsoirsansengagement,turepasseras.Cherchant
quoidire,jemerongeail’ongledupouce.—Ah.Bon,ben…bonnenuit,alors?Thomasmedécochaunsourireinsolent,séducteur.—Bonnenuit.
2
Noyer dans l’alcoolma culpabilité vis-à-vis de Jackson la veille demaprise de poste àSanDiegon’avaitpasétél’unedemesplusbrillantesidées.
Jem’étais présentée au bureau avecmon gilet pare-balles, onm’y confia une arme deservice, un badge et un téléphone. Assignée à la cinquième brigade, j’y trouvai le seulemplacement disponible dans l’open space, libéré par le dernier agent qui ne s’était pasentendu avec l’Agent Spécial en Chef Adjoint – ou ASCA, qui la dirigeait. La réputation depeaudevachedecedernierétaitmêmeparvenuejusqu’auxoreillesdel’antennedeChicago.Maisilfallaitplusqu’unsupérieurausalecaractèrepourquejerenonceàunepromotion.
Endehorsdesemplacementsdel’ordinateuretdupotàcrayonsdemonprédécesseur,lasurface du bureau était recouverte d’une fine et régulière couche de poussière. J’avais posémon casque audio à côté de mon ordinateur portable, mais n’avais disposé ni photos nibabioles personnelles devant moi, et cela jurait à côté des autres bureaux. C’était un peusinistre.
—C’estsinistre,ditunevoixféminine.Avais-jeréfléchiàvoixhaute?Unefemme,jeunemaisunpeuintimidante,setenaitappuyée,lesbrascroisés,contrele
panneau recouvert de moquette qui faisait office de cloison entre mon coin bureau et lepassagequel’onempruntaitpourallerd’unboutàl’autredel’openspace.Sescheveuxbrunsbrillantsétaientramenésenunchignonassezbassursanuque.
—Cen’estpasmoiquidiraislecontraire,répondis-jeennettoyantlapoussièreavecuneservietteenpapier.
J’avais laissémon gilet dansmon casier. C’était la seule chose que j’avais apportée demonbureaudeChicago.J’étaisvenueàSanDiegopourrepartiràzéro,doncépinglermavied’avant sur un panneau en liège ou l’exposer dans des cadres argentés n’avait à mes yeuxaucunsens.
— Je ne parlais pas de la poussière, dit-elle en me regardant de ses yeux verts auxpaupièresunpeulourdes.
Elleétaitplutôtjoufflue,maiscelanetrahissaitquesajeunesse,carcedétailmisàpart,ellesemblaitenparfaiteformephysique.Departout.
—Jesais.—Jem’appelleValTaber.Etsitum’appellesagentTaber,onneserapascopines.—Jet’appelleVal,alors?Ellefitunegrimace.—Tuvoisautrechose?—AgentTaber,lasaluaunhommegrandetmince.Sonsourireencoinlaissaitdevinerqu’ilsavaitàquoiils’exposait.—Vatefairefoutre,dit-elleenluiprenantledossierqu’ilavaitentrelesmains.Elleyjetauncoupd’œiletmeregarda.—L’analystedurenseignement,c’esttoi?LisaLindy?—Liis,dis-jeenserrantlesdents.Jenem’étaisjamaishabituéeàdevoircorrigerlesgens.—Commeunlis,maiseninsistantsurleI.—Liis.Désolée.J’aientendudirequetondossieravaitététraitéenpriorité,railla-t-elle.
Pourmoi,c’estdesconneries,toutça.Maisbon,c’estpasmesaffaires.Elle avait raison. Être femme, agent fédéral et spécialiste en langues étrangères avait
nettement facilitémon transfert àSanDiego.Maisonm’avaitdemandédeneparlerdemaspécialitéàpersonnesansl’approbationdemonsupérieur.
Je tournai la tête en direction du bureau de ce dernier. Il était encore plus nu que lemien.Obteniruneapprobationd’unbureauviderisquaitd’êtrecompliqué.
—C’estvrai,dis-jesansdonnerplusdedétails.Quelacinquièmebrigadeaitbesoind’unexpertenlanguesétrangères justeaumoment
où j’avaisdécidédequitterChicagoavaitétéunevraiecoïncidence.Unvraicoupdebol.Ladiscrétion imposéesignifiait sansdouteque leposte faisait l’objetd’unconflitauseinmêmeduFBI,maismeposertropdequestionsnem’auraitpasaidéeàdécrocher leposte,alors jem’étaiscontentéederemplirmondossieretdefairemesbagages.
— Super, dit-elle en me tendant la chemise cartonnée. Des interceptions de sécurité,pour toi. À transcrire. Maddox veut un rapport. Le premier mail que tu trouveras dans taboîtedevrait être lemessagedebienvenuehabituel, le suivantun fichieraudiodeMaddox.J’aiprislesdevantsetjet’aiapportédescopiesderapportsetunCD,enattendantquetutefassesànotresystème.Ilveutquetut’ymettestoutdesuite.
—Merci.Latranscriptiond’interceptionsdesécurité,plusconnuesàHollywoodetchezmonsieur
Tout leMonde sous le nom d’écoutes téléphoniques, constituait une grande partie demontravailauBureau.Lesécoutesétaientenregistrées,jelestraduisaisetlescommentaisdansunrapport classé sous le doux nom de FD-302. La plupart des enregistrements que l’on me
confiait étaient en italien, espagnolou japonais,ma languematernelle. Lorsqu’ils étaient enanglais,lasecrétairedelabrigadelestranscrivait.
De toute évidence, Val trouvait bizarre qu’une analyste du renseignement soit chargéed’interpréterdesécoutes.Lacuriosité–àmoinsquecene fût le soupçon–brillaitdans sesyeux.Maiselleneposaaucunequestion,et jene luidonnaiaucuneexplication.Pourautantquejesache,MaddoxétaitleseulagentàconnaîtrelesraisonsexactesdemaprésenceàSanDiego.
—Jem’ymets.Ellemefitunclind’œiletsourit.—Jetefaisvisiter,après?Tuasfaitdesimpasseslorsdelajournéed’intégration?Jeréfléchisuninstant.—Lasalledegym?—Celle-là,jesaisoùelleest.J’yvaisaprèsleboulot.Justeavantd’alleraubar.—AgentTaber,ditunefemmeenpassantdanslecouloir.—Vatefairefoutre.Jehaussaiunsourcil.Ellehaussalesépaules.—Ilsdoiventaimerça,sinon,ilsnemeparleraientplus.Jetâchaideretenirunéclatderire.ValTaberétaittrès…rafraîchissante.—Lematin,oncommencetoujoursparuneréuniondetoutelabrigade,reprit-elle.Jete
montrerai la salle de gymaprès le déjeuner.C’est unpeu zone interdite entre 11heures etmidi.Lepatronaimeêtretranquillepourseconcentrer, termina-t-elledansunmurmure,enappuyantundoigtsursajouegonflée.
—Midietdemi,dis-jeenhochantlatête.—Àmon bureau, répondit Val en indiquant l’espace paysager à côté dumien. On est
voisines.—C’estquoi,lapeluchelapin?Untrucvaguementblancettoutmou,avecdesXà laplacedesyeux,étaitposésurun
coindesonbureau.Elleplissasonpetitnez.—C’étaitmonanniversaire,lasemainedernière.Commejenefaisaisaucuncommentaire,elleeutunemouededégoût.—Vatefairefoutre.Puisunsouriresedessinalentementsursonvisage,etellemefitunclind’œilavantde
regagnersonbureaupours’asseoirenmetournantledosetallumersonordinateur.Je secouai la tête, sortismon casqueaudiode sapochette et le posai surmesoreilles.
PuisjelebranchaiàmonordinateuretprisledossierblancsansétiquettequeValvenaitdemedonner.IlcontenaitunCD,quejeglissaidanslafentedulecteur.
Tandis qu’il chargeait, je cliquai sur « Nouveau Document ». Je sentais mon rythmecardiaquemonterunpeuencadencetandisque,doigtsposéssurleclavier,jemepréparaisà
taper. Démarrer un nouveau projet, c’était toujours quelque chose de spécial. Une pageblanche.J’enéprouvaisuneespècedejubilationqueriend’autrenemeprocurait.
Le dossier indiquait qu’il s’agissait d’une conversation entre deux personnes, donnaitquelques infos sur celles-ci et expliquait pourquoi elles avaient été mises sur écoute. Lacinquièmebrigadetravaillaitbeaucoupsurlesaffairesimpliquantlamafia,etsicen’étaitpasmon domaine favori en matière de crime, cela s’en approchait. Quand on cherchaitdésespérémentàfuir,lapremièreportequis’ouvraitétaitlabonne.
Deuxvoixdistinctes,enitalien,déversèrent leurflotdeparolesdansmesoreillesvia lecasque. Je réglai le volume assez bas. Les bureaux paysagers n’étaient pas précisémentpropices à la discrétion, ce qui n’était pas sans ironie au sein de l’agence gouvernementalechargéededévoilerlessecretsd’organisationscriminelles.
Mes doigts s’animèrent sur le clavier. Traduire et transcrire une conversation n’étaientque les premières étapes. Ensuite venait la partie que je préférais. Celle grâce à laquellej’avaisdécrochémesgalonsd’analysteetquimepermettraitunjourdebosserenVirginie.Lescrimes de sang, c’étaitmon domaine de prédilection, et le Centre National d’Analyse de laCriminalité,àQuanticoenVirginie,étaitl’objectifquejem’étaisfixé.
Dans l’enregistrement, les deux interlocuteurs commencèrent par flatter leur ego enévoquantleursexploitssexuelsduweek-end,maistrèsvite,laconversationprituntourplussérieux.Ilsparlaientd’unhommequisemblaitêtreleurpatron–uncertainBenny.
Jejetaiuncoupd’œilsurledossierqueValm’avaitconfiéetquidétaillaitavecprécisionleséchelonsqueceBennyavaitgrimpésauseindelamafia.JemedemandaiscommentuneaffaireconcernantLasVegasavaitpuarriveràSanDiegoetquiétaitchargédutravaildefondauNevada.ÀChicago,chaquefoisquenouscherchionsàcontacterlebureaudeVegas,nousfaisions choublanc.Que ce soient les joueurs, les criminels ou les forcesde l’ordre, tout lemondesemblaittrèsoccupé,là-bas.
Septpagesplustard,mesdoigtsbrûlaientdepasseràlapartieanalyse,maisparsoucideprécision,jeréécoutail’enregistrement.C’étaitmapremièremissionàSanDiego,etjepassaispourunagentayantfaitsespreuvesdanscedomaine.Lapressionétaitlà,monrapportdevaitêtreimpeccable,aumoinsàmesyeux.
Le temps s’écoula sansque jem’enaperçoive. J’avais l’impressiondebosserdepuisunedemi-heureàpeinequandValpassalatêtepar-dessuslacloisonquinousséparait,etpianotaduboutdesonglessurlatranchemétallique,d’unairimpatient.
Jevissabouchearticulerquelquechose,etretiraimoncasque.—T’espasunesupercopine,ondirait.Enretardpournotrepremierrencarddéjeuner.Jen’auraissudiresielleplaisantaitoupas.—Je…jen’aipasvuletempspasser,excuse-moi.—C’estpastesexcusesquimemettrontuncheeseburgerbiengrasdansl’estomac.Allez,
bougetesfesses.
Dansl’ascenseur,elleappuyasurleboutondusous-sol,etunefoisdansleparking,jelasuivisjusqu’àsoncoupéLexusnoir.Ellesemitauvolant,appuyasurleboutondudémarrage.Lesiègeetlevolantétaientajustésàsataille.
—Sympa,dis-je.Tudoisêtremieuxpayéequemoi.—Jel’aiachetéed’occasionàmonfrère.Ilestcardiologue.L’enfoiré.Jesouris.Elledémarra,sortitduparking,puisdusiteenfaisantunpetitsignedelamain
augardien.—Ilsneserventpasdehamburgers,àlacantine?Elleesquissaunegrimacededégoût.—Si,maisleshamburgersdechezFuzzysontlesmeilleurs.Crois-moi.Ellepritàgauchejusteavantdebraquerpourentrersurleparkingd’unrestaurantd’un
autreâge,dontlepanneauavaitétépeintàlamain.—Val!lançaunhommedepuislecomptoirdèsl’instantoùnousentrâmes.Valestlà!—Valestlà!répétaunevoixféminine.À peine étions-nous arrivées au comptoir que l’homme lançait un petit paquet rond
emballédansdupapieràlafemmeentablierblancimpeccablequiétaitinstalléeàlacaisse.— Bacon, laitue, tomate, avec fromage, moutarde et mayo, annonça-t-elle avec un
sourireentendu.Valsetournaversmoi.—Alors,convaincue?—Jevaisprendrelamêmechose.Nos plateaux en main, nous trouvâmes une table libre dans un coin, près de la baie
vitrée.Lesyeuxfermés,j’offrismonvisageausoleil.—C’estdinguequ’ilfassesibeaualorsqu’onestenmars.— C’est pas dingue, c’est divin. La température est plutôt au-dessus des normales
saisonnières en ce moment, mais même quand elle est dans la moyenne, c’est génial. Lemondeentierseraitplusheureuxs’ilfaisaitpartoutletempsqu’ilfaitàSanDiego.
Valplongeaunefritedansunpetitboldeketchup.— Essaie les frites. Je t’assure, il faut que tu essaies les frites. Elles sont tellement
bonnes.Desfois,quandjesuisseulelesoir–etçaarriveplussouventquetunel’imagines–jesuisprised’uneenviedefritescommecelles-ci.
—Jen’imagineriendutout,répondis-jeentrempantunefritedansleketchup.Elleavaitraison.J’enprisuneautre.—Puisqu’onenparle…T’asunmec?Ouunenana?Justepoursavoir.Jesecouailatête.—Ettuasdéjàessayé?—D’embrasserunefille?
Valéclataderire.—Non!Det’engagerdansunerelation.—Pourquoicettequestion?—Oh,jevois,c’estcompliqué.—C’estpascompliquédutout,aucontraire.—Écoute,ditValenmordantdanssonhamburger.Jesuisunesupercopine,mais ilva
falloirquetutelâchesunpeuplus.Traîneravecdesgensquejeconnaispas,çamebranchemoyen.
—C’estpourtanttoujourscequ’oncommenceparfaire,lâchai-jeensongeantàmonbelinconnu.
—Non,pasauFBI.—Alorsvaconsultermondossier.—Maisc’estpasdrôle!Allez,justeleminimum.T’asdemandétamutationpourpasserà
autrechoseoupourmonterleséchelons?—Lesdeux.—Parfait.Continue.Tesparentssontimpossibles?Ellemitsamaindevantsabouche.—Oups.Merde,ilssontpasmorts,j’espère?Jemetortillaiunpeusurmonsiège.—Heu…non.J’aieuuneenfancetoutcequ’ilyadeplusnormale.Mesparentssonttrès
unisetm’aimentbeaucoup.Jesuisfilleunique.Valsoupira.—Dieumerci.Bon,autantposertoutdesuiteladeuxièmequestionquifâche…—Non,jen’aipasétéadoptée.Lindyestunnomirlandais.Mamèreestjaponaise.—Tonpèreestrouquin?Jeluilançaiunregardnoir.—Tun’asdroitqu’àdeuxquestionsquifâchent,lepremierjour.—Continue.—J’aieumondiplômeuniversitaireavecmention trèsbien. J’avaisquelqu’undansma
vie.Çan’a pasmarché, dis-je, lassée parmaproprehistoire.Riende catastrophique.Notreruptureaétéaussiennuyeusequenotrerelation.
—Combiendetemps?—J’aiétéavecJackson?Septans.—Septans.Pasd’alliance?—Pasexactement,répondis-jeavecunegrimace.—Jevois.T’étaismariéeàtonboulot.—Luiaussi.Valétouffaunrire.
—Tusortaisavecunagentfédéral?—Oui.MembredesForcesSpécialesd’Intervention.— Encore pire. Comment t’as fait pour tenir aussi longtemps ? Et comment a-t-il
supportédepasseraprèsleboulotpendantseptans?—Ilm’aimait,répondis-jeenhaussantlesépaules.—Maistuluiasrendusabague.Tunel’aimaispas,toi?Nouveauhaussementd’épaulesdemoncôté.Jemordisdansmonhamburger.—Qu’est-cequ’ilfautquejesachesurlefonctionnementdelabrigade?demandai-je.Valfitunsourireencoin.— C’est ça, changeons de sujet. Classique. Mmmh… Ce que tu dois savoir sur la
brigade…FaispaschierMaddox.C’estl’AgentSpécialenChefAdjoint.—C’estcequej’aientendudire,oui.—MêmeàChicago,onparledelui?Jefisouidelatêteetmefrottailesmainspourenfairetomberlesel.—C’estjustifié.C’estunchieurdecompétition.Tuleverrasdemainmatin,àlaréunion.—Ilseralà?—Oui.Et il tediraque tunevauxrien,mêmesi tues l’asdesas, justepourobserver
commentturéagisquandonlaminetaconfianceentoi.—Jedevraism’ensortir.Quoid’autre?—L’agentSawyerestunporc.Évite-le.Pareilpourl’agentDavies.Évite-la.—Oh.De toute façon, jenemevoispasrepartirdansunerelationaubureau,après la
catastrophequeçaaétéavecJackson.Valsourit.—J’aidesinfosdepremièremainsurlesdeux…doncmieuxvautquetum’évitesaussi.Jemerenfrognai.—Ya-t-ilquelqu’unavecquiilestpossibledeparlersansquecelatireàconséquence?—Maddox.Ilaunproblèmeavecsamôman,etilalaissédesplumesdansunehistoireil
yaunbonmoment.Mêmesi tu luimontrais tesseinsaudétourd’uncouloir, ilneposeraitpaslesyeuxdessus.
—Doncildétestelesfemmes.Elledemeurasongeusependantquelquesinstants.—Non.Ilajustejurédenepluslesapprocher.Jesupposequ’iln’apasenviedesouffrir
unenouvellefois.—Detoutefaçon,jemefousdesavoirquelestsonproblème.Sicequetudisestvrai,je
n’aiaucuneenviedetraîneraveclui.—Tut’ensortirastrèsbien.Faistonboulotetvistavie.—Monboulot,c’estmavie.Valredressalementon,sanschercheràcacherquemaréponsel’avaitimpressionnée.
—Tuesdéjàdesnôtres,alors.Maddoxestundur,maisils’enapercevra,luiaussi.—C’estquoi,sonhistoire?Ellebutunegorgéed’eau.— Quand je suis arrivée à San Diego, il était obsédé par le boulot, mais c’était
supportable.Jusqu’à ilyaunpeuplusd’unan.Commejeviensdete ledire, ilaperdudesplumesdansunehistoireavecune fillede chez lui –Camille. Jene suispasau courantdesdétails.Personnen’enparlejamais.
—Bizarre.—Çateditdeboireunverre,oucinq,aprèsleboulot?demanda-t-elle,moinsintéressée
parlaconversationmaintenantqu’ellenetournaitplusautourdemavieprivée.Jeconnaisunpetitpubsympadanslecentre-ville.
—J’habitedanslecentre-ville,dis-jeenmedemandantsijereverraismonvoisinunjour.Ellesourit.—Moi aussi. On est pas mal, au bureau, à habiter en ville. Ça permet de noyer son
chagrinengroupe.—Jen’aipasdechagrin.Justedessouvenirs.Quis’enironttoutseuls.Une lueur d’intérêt s’alluma de nouveau dans le regard de Val, mais je n’étais pas
d’humeuràsubiruninterrogatoire.Etpasenmanqued’amisnonplus.Enfin,si,unpeu,maisilyavaitdeslimites.
—Ettoi?demandai-je.—Ça, c’est une conversationdu vendredi soir, avecde l’alcool fort et de lamusiqueà
fond.Alors, tuesvenue icipour renoncerauxmecs?Pour te trouver?demanda-t-elle sansuneoncedesérieux.
En admettant que ce soit vrai, jamais je n’aurais admis un truc pareil. Elle se fichaitouvertementdemoi.
— Si c’était le cas, j’ai lamentablement échoué, dis-je en repensant à ma soirée de laveille.
Valsepenchaversmoi.—T’essérieuse?Tuviensd’arriver.Tuleconnaissais?Unancienpotedelycée?Jesecouai latêteenrougissant.Lessouvenirsmerevenaient,parflashs.Lesyeuxbrun-
vert deThomasme regardant depuis l’endroit où il était assis au bar, le bruit dema portequ’ilrefermaitavecledos,lafacilitéaveclaquelleilm’avaitpénétrée,etmesjambesrelevées,secouéesparsespuissantscoupsdereins.Malgrémoi,jeserrailescuissessouslatable.
UnlargesouriresedessinasurleslèvresdeVal.—Unplanculsanslendemain?—Çaneteregardepas,maisoui.—Unparfaitinconnu?Jehochailatête.
—Enquelquesorte.Ilhabitedansmonimmeuble,maisjenel’aisuqu’après.Valpoussaunpetitsoupir,etselaissatombercontreledossierdesachaise.—Jelesavais,dit-elle.—Tusavaisquoi?Elleseredressa,croisalesbrasetlesposasurlatable.—Qu’onallaitbiens’entendre,toietmoi.
3
—C’estqui,cetteLisa,nomdeDieu?tonnaunevoixquirésonnaentrelesquatremursdelasallederéunion.LisaLindy?
C’était mon deuxième jour au bureau de San Diego et, en compagnie d’une dizained’agents, j’attendais que le briefing dumatin commence. Jusque-là, l’assemblée semblait unpeunerveuse,maisenentendantlenomdequelqu’und’autre,toutlemondesedétendit.Saufmoi.
Jelevailesyeux,croisaileregarddujeuneAgentSpécialenChefAdjointetfaillisavalermalangue.C’étaitlui.Monplanculsanslendemain,leslèvresderêve,monvoisin.
Lapaniquemenoualagorge,monestomacfitunsautpérilleuxvrillé.J’inspiraiungrandcoup.
— En fait, elle s’appelle Liis, intervint Val. Comme un lis, mais en insistant sur le I,patron.
Moncœurbattaità tout rompre. Ilattendaitquequelqu’unsortedurang.Mavieallaitvirerdunouveaudépartaupataquèstotalentrois,deux…
—C’estmoi.LiisLindy,monsieur.Ilyaunproblème?Quandnos yeux se trouvèrent, il eut unbref instantd’hésitation. L’horreur absolueme
submergea. Puis je vis à son regardqu’ilm’avait reconnue lui aussi et, l’espacedequelquessecondes, ilblêmit.Duplanculd’unsoir sansattachesonétaitpassédirectementausacdenœuds.J’auraisvoulupouvoirtoutdémêlerpourmependreavec.
Il se ressaisit rapidement. Ce qui l’avait mis d’une humeur de chien s’évanouit unmoment,maissestraitssedurcirentpresqueaussitôtaprès,etilrepartitsurlemode«Jeleshaistous».
Laréputationdel’AgentSpécialenChefAdjointMaddoxl’avaitprécédé.Partoutdanslepaysilsetrouvaitdesagentspourévoquerladuretéaveclaquelleiltenaitseséquipes,etsesexigencestoujoursplusimpossiblesàtenir.Jem’étaispréparéeàl’idéededevoirsouffrirsoussesordres.Jen’avaispasenvisagédedevoirlefaireaprèsavoirétésousluiausenspropre.
Putaindebordeldemerde.
Ilclignalesyeuxetmetenditledossierqu’ilavaitentrelesmains.—Cerapport,c’estdun’importequoi.JenesaispascommentvousbossiezàChicago,
maisàSanDiego,onnesecontentepasdemettredelamerdesurunefeuilledepapieretdedirequec’estbon.
Cetteremarqueacerbe,devant toute l’équipe,effaçaenmoi toutevelléitédecontritionetmeremitaussisecdanslerôledecellequin’existequepoursonboulot.
—Cerapportestdétailléetcomplet,déclarai-jeavecassurance.Malgrémacolère, j’étaissanscesseassaillieparlessouvenirsdelaveille.Cecorpsviril
débarrassé de son costume, ces biceps roulant sous sa peau tandis qu’il entrait en moi, ledélicequ’avaientétéceslèvressurlesmiennes.Jemesuraisoudainlagravitédelaconneriemonumentalequej’avaiscommise.J’étaisabsolumentincapabled’émettrelamoindreparole,etencoremoinsdelefaireavecassurance.
—Jepeuxjeteruncoupd’œilàcerapportet…,intervintVal.—AgentTaber?l’interrompitMaddox.Jem’attendispresqueàcequ’elleluiréponde«Vatefairefoutre».—Oui,patron?—Jesuisparfaitementcapablededéciderseulsiunrapportestacceptableounon.—Oui,patron,répondit-ellesanssedémonter,croisantlesdoigtssurlatable.—Laquestionestdesavoirsivousêtescapabledefaireleboulotquivousaétéassigné,
agentLindy,ditMaddoxensetournantversmoi.Jen’aimaispassafaçondeprononcermonnomcommes’ilavaitmauvaisgoût.—Jelesuis,patron.C’étaittellementbizarredel’appelerpatron.Celamedonnaitl’impressiond’êtresoumise
etjedétestaisça.Jesentislamoutardememonteraunez.—Alorsfaites-le.Même si celamemettait directement dans les pattes d’un connard commeMaddox, je
tenaisàresteràSanDiego.C’étaittoujoursmieuxquedevégéteràChicagoetavoirlamêmeconversation pendant sept ans avec Jackson Schultz. Dont le nom avait indéniablementmauvaisgoût.
Malgrécela,jenepusm’empêcherdedirecequejepensais.—Avecplaisir,patron.Sivousmelaissezfaire.J’étais sûred’avoir entenduunoudeuxhoquetsd’étonnement. La fureurbrilladans les
yeuxdel’agentMaddox.Ilfitunpasdansmadirection.Ilétaitgrand,etmenaçantmalgrésoncostume surmesure. Il faisait trente bons centimètres de plus quemoi et, selon la rumeur,étaitredoutableavecunearme,oujusteavecsespoings.Maismonsangirlandaismepoussaàplisserlesyeuxetreleverlementon,mettantmonsupérieuraudéfidefaireunpasdeplus.
—Patron,fitunautreagent,attirantl’attentiondeMaddox.Celui-cisetournaetécoutacequel’hommeavaitàluimurmureràl’oreille.
Valenprofitapoursepencherversmoietsouffler:—Lui,c’estMarks.LebrasdroitdeMaddoxici.Marksn’étaitpasbeaucoupplusgrandquemoi,etMaddoxdutsepencherpourl’écouter.
Maissacarrureétaitimpressionnanteetilsemblaitpresqueaussidangereuxquelepatron.Maddoxhochalatêtepuis,d’unregardglacial,balayal’ensembledel’équipe.—Onaquelquespistes surAbernathy.Marksdoit rencontrernotre contact àVegas ce
soir.Taber,onenestoùaveclesbiredeBenny?Arturo,c’estça?Valselançadanssonrapport.Toutenl’écoutant,Maddoxjetamonrapportsurlatable.
Illalaissafiniravantdemelancerunregardnoir.—Envoyez-moiquelquechosequandvousaurezvraimentdesinfos.Jevousaiintégréeà
l’équipesurlesrecommandationsdeCarter.Nelefaitespaspasserpouruncharlot.—L’agentCarterne faitpasd’élogesà la légère, rétorquai-jesanssourire.Jeprendsce
boulottrèsausérieux.Maddoxhaussaunsourcil,attendit.—Patron.Jeprendsceboulottrèsausérieux,patron.—Alorsdonnez-moidequoiavanceravantlafindelajournée.—Bienpatron,répondis-jesansdesserrerlesdents.Toutlemondeselevaetpritcongé.D’ungesterageur,j’attrapaimonrapportrestésurla
table,fusillantMaddoxduregardtandisqu’ilquittaitlasalleencompagniedel’agentMarks.Quelqu’unmetenditunverred’eau,que jeprisavantderegagnermonbureaud’unpas
lourd,pourmelaissertombercommeunemassesurmonsiège.—Merci,agentTaber.—Vatefairefoutre,répondit-elle.T’essupermal.Iltedéteste.—C’estréciproque,dis-jeavantdeboireunegorgée.Detoutefaçon,jefaisjusteunarrêt
austand.Monobjectif,c’estêtreanalysteàQuantico.Val jeta par-dessus ses épaules ses longues boucles d’un beau brun-roux et en fit un
chignonassezbas,sursanuque.J’avaislecheveunoir,finettriste,etvoirValbatailleravecquatreépinglesàcheveuxpour tenterderetenir sacrinièreme faisaitverdirde jalousie.Safrangepartaitsurlecôtépourfinirderrièresonoreillegauche.
Val semblait jeune, mais pas débutante dans son métier. La veille, elle avait évoquéplusieursaffairesrésoluesauxquelleselleavaitparticipé.
—Moiaussi, j’avaisditqueSanDiegoseraitdu temporaire.Etquatreansplus tard, jesuistoujourslà.
Ellemesuivitjusqu’aucoinpause-café.La cinquième brigade s’était mise au boulot, tapait des rapports à l’ordinateur ou
discutaitautéléphone.Matassepleine,jeprisdessachetsdesucreetdesdosettesdecrèmepuisretournaiàmonposte.J’essayaisdenepastoutcompareravecChicago,maisSanDiegoavait emménagé dans des bâtiments flambant neufs à peine deux ans auparavant. Certains
endroitssentaientencore lapeinturefraîche.LesbureauxdeChicagoétaientvieillotsàmonarrivée,etj’yavaisétécommechezmoipendantsixansetdemi.Monfauteuildebureauavaitfini par prendre la forme demon dos,mes dossiers étaient rangés comme je voulais et lescloisonsentrepostesde travailétaient suffisammenthautespourpermettreunminimumdetranquillité.Etsurtout,l’AgentSpécialenChefAdjointnem’avaitpasridiculiséedevanttoutel’équipedèsmondeuxièmejourenposte.
Valmeregardaposermatassefumantesurmonbureau,etallas’asseoirdesoncôté.Jefistournerunedosettedecrèmeentremesdoigts,l’aircontrarié.— J’ai plus de demi-écrémé, mais il doit rester de l’écrémé dans le frigo, dit-elle,
compatissante.Jefislagrimace.—Paslapeine.Jedétestelelait.Vallevalesyeux,étonnéeparletonsurlequelj’avaisrépondu.—D’accord.T’aimespaslelait.Jeneposeraipluslaquestion.—Non,jedétestelelait.Detoutmonêtre.Elleeutunpetitrire.—C’estbon,j’aicompris.Son regard balaya mon bureau, complètement vide. Je n’avais même pas de pot à
crayons.—Celuiquiétaiticiavanttoi…ils’appelaitTrex.—Trex?—ScottieTrexler.Supermignon. Ilademandésamut’, luiaussi. Ilestcarrémentparti
bosserpouruneautreagence,jecrois.Ellesoupira,leregarddanslevague.—Jel’aimaisbien.—Jesuisdésolée,répondis-je,sanstropsavoirquoidired’autre.Ellehaussalesépaules.— J’ai appris à ne pas m’attacher, ici. Maddox est super strict, beaucoup d’agents ne
supportentpas.—Ilnemefaitpaspeur.—Jeneluirépéteraipascequetuviensdedire,parcequesinon,tuvasvraimentl’avoir
surledosjusqu’aubout.Je me sentis rougir, suffisamment pour que Val s’en aperçoive. Elle me dévisagea, les
yeuxmi-clos.—Turougis.—Maisnon.—Etlà,tumens.—C’estlecafé.
Ellemeregardadroitdanslesyeux.—T’enn’aspasbuuneseulegoutte.J’aidituntrucquit’amisemalàl’aise.Maddox…
Surledos…Jechangeaideposition,gênéeparl’intensitédesonregard.—Tuhabitesenville.—Non.Jeneniaispascequ’ellesavaitdéjà,maiscequ’ellen’allaitpas tarderàdécouvrir, j’en
étaiscertaine.LescopinesquibossentpourleFBI,c’estvraimenttropchiant…—Maddoxesttonvoisin,c’estça?Jesecouaivigoureusementlatêteetregardaiautourdenous.—Val…arrêtes’ilteplaît.— L’enfoirée. J’y crois pas. Maddox est ton plan cul du premier soir ? lâcha-t-elle,
heureusementdansunsouffle.Les mains sur le visage, je cognai mon front sur mon bureau. J’entendis Val venir se
pencherpar-dessuslacloison.—C’estdingue…T’ascrumourirenlevoyant,cematin,non?Commentçasefaitque
tun’aiespascompris?Etlui?Ilt’aembauchée,bordel!—Jenesaispas,dis-jeenfaisantroulermatêtesurmonbureauavantdemeredresser.
Jel’aidansl’os,hein?—Aumoinsunefoisàmaconnaissance,oui.Valmerejoignit,sonbadgebalançantàsaceinture.Elleglissases longsdoigtsdansses
pochestoutenmeconsidérantd’unsourirenarquois.Jelevaiverselleunregarddésespéré.—Achève-moitoutdesuite.Qu’onenfinisse.Tuasunearme,tupeuxlefaire.—Pourquoiferais-jeunechosepareille?C’estlameilleurechosequisoitarrivéeàcette
brigadedepuisdesannées.Maddoxatirésoncoup.—Tun’enparlesàpersonne,hein?Promis?Ellefitlagrimace.—Onestcopines.Jamaisjeferaisunechosepareille.—C’estça.Onestcopines.Ellepenchalatêtesurlecôté.—Pourquoitumeparlescommesij’étaisunedemeurée?Jesecouailatête.—Excuse-moi.Jecroisquejesuisentraindevivrelapirejournéedemonexistence.—Entoutcas,t’asl’aird’avoirtrèschaud,dit-elleavantderegagnersonbureau.—Merci.Je regardai autour de nous. Personne n’avait entendu notre conversation, mais j’avais
quandmêmelesentimentquemonsecretn’enétaitplusun.Jem’affalaisurmonsiègeetmis
moncasquesurlesoreilles.Ducoindel’œil,jevisValquitterl’openspaceetfranchirlepostedesécuritéquimenaitàl’entrée.
L’espaced’uninstant,jemesentisperdue.Commentavais-jefaitpourratermonnouveaudépartdanslesgrandeslargeursavantmêmequ’ilnecommencevraiment?
Nonseulement j’avaisbaiséavecmonpatron,mais si le restede labrigade l’apprenait,celaréduiraitànéanttoutechancedepromotiontantquejeseraissouslesordresdeMaddox.S’ilétaituntantsoitpeuintègre,ilmeferaitsystématiquementpasseraprèstouslesautresdecrainte que la vérité n’éclate au grand jour. Une promotion, pour lui comme pour moi,paraîtraitlouche.Nonpasquecelaaitbeaucoupd’importance.Maddoxavaitdéjàclairementindiquéquemontravailnel’impressionnaitpas–surunrapportquej’avaisparticulièrementfignolé.Or,quandjem’appliquais,jesavaisquej’étaisbonne.
Je jetai un œil à ma transcription et secouai la tête. Ma traduction était parfaite. Lerapportétait exhaustif.Main sur la souris, je cliquaipour lancerunenouvelle fois le fichierson.
PluslesvoixdesdeuxItaliensplaisantaientàproposd’unboulotetdelaprostituéequel’und’entre eux s’était tapée la veille, plusmes joues rougissaientde colère. J’étais fièredemes rapports. C’était le premier boulot qu’onme confiait ici, et queMaddoxme discréditedevanttoutelabrigadeétaittoutbonnementnul.
Etpuisjerepensaiàcequem’avaitditValàproposdeMaddox,lorsdenotredéjeunerdelaveille.
«Iltediraquetunevauxrien,mêmesituesl’asdesas,justepourobservercommentturéagisquandonlaminetaconfianceentoi.»
J’arrachaimoncasqueetsaisismonrapport.Quelquesinstantsplustard,j’étaisdevantlebureaudel’AgentSpécialenChefAdjoint,àl’autreboutdel’openspace.
Je m’arrêtai en voyant la magnifique créature par qui il fallait passer pour espéreratteindreMaddox.Sursonbureau,unpanneau indiquaitCONSTANCEASHLEY,unnomquiallait toutà faitbienavecsachevelureplatine légèrementonduléequi tombait justesursesépaules,presqueassortieàsonteintdeporcelaine.Ellelevaversmoid’épaiscils,etbattitdespaupières.
—AgentLindy,dit-elleavecunlégeraccentduSud.Les joues roses de Constance, sonmaintien, et son côté fille sympa bien de chez nous
n’étaientqu’uneruse.Sonregardbleuacierlatrahissait.—MademoiselleAshley,répondis-jeenhochantlatête.—Oh,appelez-moiConstance,dit-elleavecungentilsourire.—Alorsappelez-moiLiis.J’essayaidenepas avoir l’air aussi impatient que je l’étais en réalité.Elle était sympa,
maisj’avaisbesoindeparleràMaddox,etvite.Elleportaundoigtaupetitappareilqu’elleavaitdansl’oreilleethochalatête.
—AgentLindy,j’aipeurquel’AgentSpécialenChefAdjointMaddoxnesoitpasdanssonbureau.Voulez-vousprendrerendez-vous?
—Oùest-il?—Secretdéfense,répondit-ellesanssedépartirdesonsourire.Jemontraimonbadge.—Heureusement,j’ail’autorisationd’accèsspécial.Celan’amusapasConstance.— Il faut que je lui parle, repris-je en essayant de ne pas la supplier. Il attend mon
rapport.Elletouchadenouveausonappareilethochalatête.—Ilseraderetouraprèsledéjeuner.—Merci,dis-jeentournantlestalonspourrepartird’oùjevenais.Maisplutôtquederegagnermonbureau,jemedirigeaiversl’entrée,etcherchaiunpeu
partoutlatracedeVal.Elleétaitdanslebureaudel’agentMarks.—Jepeuxtevoiruneminute?demandai-je.ElleregardaMarksetseleva.—Biensûr.Jetesuis.Ellerefermalaportederrièreelleensemordantlalèvre.—Désoléedevousinterrompre.Ellefitlamoue.—Çafaitsixmoisqu’ilmecourtaprès.MaintenantqueTrexestparti,ilpensequ’ilases
chances.Ilariencompris.Jesecouailatête.—J’aiétémutéedansunbarpourcélibatairesouquoi?Écoute, j’aibesoinque tume
rendesunservice.—Déjà?—OùdéjeuneMaddox,engénéral?Ilaunrestaupréféré?Ilresteici?—Àlasalledegym,c’estlàqu’ilestàcetteheuredelajournée.—Ahoui,c’estvrai.Tumel’avaisdéjàdit.Merci.— Il déteste être interrompu ! lança-t-elle alors que je repartais déjà. Je veux dire, il
détesteçadetoutsonêtre!—Ildétestetout,grommelai-jeenappelantl’ascenseur.Deuxétagesplusbas,j’empruntailapasserellequimenaitàl’aileouestducomplexe.LesnouveauxbureauxdeSanDiegoétaientrépartisdanstroisénormesbâtiments.C’était
unvéritablelabyrintheetilmefaudraitsansdouteunesemaineoudeuxavantdem’ysentirchezmoi.Parchance,laveille,Valm’avaitmontrécommentalleràlasalledegym.
Plus j’en approchais, plus jemarchais vite. Je plaquaimon badge contre la boîte noireinstalléeàcôtédelaporte.Ilyeutunbipetlebruitd’unverrouquis’ouvre.Jetirailaporte
etvislespiedsdeMaddoxmonteretdescendredanslesairs.Rouge,luisantdetranspiration,celui-cifaisaitunesériedetractionsàlabarrefixe.Ilfeignitpresquedenepasm’avoirvue,etcontinua.
— Il fautqu’onparle,dis-je enbrandissantmon rapport,qui commençait à être froissétellementjeserraislepoing.
Illâchalabarre,retombasursespiedsavecunbruitsourd.Ilétaitessoufflé,ettirasurlecoldesontee-shirtgrisportantl’inscriptionFBIpouressuyerlasueurquicoulaitàsonfront.Ce faisant, il révélaune toutepetitepartiede ses abdosparfaits etun côtéduV sur lequelj’avaisfantasméaumoinsdixfoisdepuisquejel’avaisvu.
Saréponsemeramenaauprésent.—Sortezd’ici.—C’estunesalleouverteàtouslesemployés,non?—Pasentre11heuresetmidi.—Quiadécidéça?—Moi.Jevisqu’ilserraitlamâchoire.Puissesyeuxseposèrentsurmondossier.—Vousavezretravaillévotrerapport?—Non.—Non?—Non.Latranscriptionetlatraductionsontcorrectes,etlerapport,commejevousl’ai
dit,estexhaustif.—Vousvoustrompez,dit-ilenmefusillantduregard.Ilyavaitautrechosederrièresonirritation,untrucquejen’arrivaispasàsaisir.—Pouvez-vousm’expliquercequimanquedansmonrapport?demandai-je.Maddoxs’éloigna.Lecotondesontee-shirtétaittrempédetranspirationsouslesbraset
dansledos.—Excusez-moi,patron,maisjevousaiposéunequestion.Ilfitvolte-face.—Vousnepouvezpasvenir commeçaetposerdesquestions.Vousêtes làpourobéir
auxordres,etmonordreétaitdemodifiervotrerapportafinqu’ilmeconvienne.—Etcommentdois-jem’yprendre,patron?Ileutunpetitrire,maisn’étaitpasamusédutout.—Est-cequevotresupérieurfaisaitvotreboulot,àChicago?Parcequ’à…—JesuisàSanDiego,oui,jesais.Ilplissalesyeux.—Vousfaitesdel’insubordination,agentLindy?Est-cequec’estpourcetteraisonqu’on
vousaenvoyéeici?Sousmoncommandement?—C’estvousquim’avezfaitvenir,jevousrappelle.
Jeneparvenaistoujourspasàdécryptersonexpression,etcelam’agaçait.—Jenevousaipasfaitvenir.J’aidemandélemeilleurexpertenlanguesétrangèresdu
Bureau.—Etilsetrouvequec’estmoi,patron.—Pardonnez-moi,agentLindy,maisaprèsavoir luce rapport, j’aidumalàcroireque
voussoyezaussidouéequevousleprétendez.—Jenepeuxpasvousdonnerdes infosquinesontpasdansce fichier.Maispeut-être
queceseraitplussimplesivousmedisiezcequevousvoulezquejetrouvedanscesécoutes.—Seriez-vousentraindesuggérerquejevousdemandedementirdansunrapport?—Non,patron.Jesuggèrequevousmedisiezcequevousattendezdemoi.—J’attendsdevousquevousfassiezvotreboulot.Jeserrai lesdents,tentantdemuselerl’Irlandaiseenmoi,quiallaitsefairevirersielle
continuaitainsi.— J’aimerais beaucoup pouvoir être à la hauteur de ces attentes, et vous satisfaire,
patron.Quellessontleslacunesdemonrapport,àvotresens?—Ilyenapartout.—Vousnem’aidezpas.—Dommage,dit-ild’untonméprisantavantdes’éloignerdenouveau.Cettefois,mapatienceavaitatteintseslimites.— Bon sang, mais comment vous avez fait pour être nommé Agent Spécial en Chef
Adjoint?Ils’arrêtanet,sepenchaunpeuenavant,incrédule.—Jevousdemandepardon?—Excusez-moi,patron,maisvousm’aveztrèsbienentendue.—C’estvotredeuxièmejour,agentLindy.Etvouspensezquevouspouvez…—Etc’esttrèsprobablementmondernier,aprèsça,maisjesuisicipourfaireunboulot,
etvousm’enempêchez.Maddoxmeconsidéralonguement.—Vous pensez ne pas être employée à votre juste valeur ? Vous pensez pouvoir faire
mieux?—J’ensuiscertaine,oui!—Parfait.Jevousnommesuperviseurdelacinquièmebrigade.Donnezvotrerapportà
Constance,ellelenumérisera.Puisprenezvosaffairesetinstallez-vousdansvotrebureau.Jeregardaiautourdemoi,tentantdecomprendrecequivenaitdesepasser.Ilvenaitde
medonner–sansquejelademande–unepromotionquejen’aurais jamaisenvisagéeavantquatreansaumoins.
Maddoxsedirigeaverslesvestiairesdeshommes.J’étaisessoufflée,presqueplusqueluiaprèssesexercices.
Jemeretournai.Derrière la cloisonvitrée se tenaientunedizainedepersonnes,qui seraidirent et s’éloignèrent en comprenant qu’elles avaient été prises sur le fait. Je quittai lasalledegymet fis lecheminensens inversedansunesortedebrouillard.Enpassantpar lecoin pause-café, j’avisai un carton et le pris. De retour à mon bureau, j’y déposai monordinateur,monarmeetlesquelquesdossiersquisetrouvaientdansmestiroirs.
—Ças’estaussimalpasséqueça?demandaVal,sincèrementinquiète.—Non,répondis-je,toujoursperduedanslebrouillard.Ilm’apromuesuperviseurdela
brigade.— Excuse-moi, dit-elle avec un petit rire. J’ai cru que tu disais que t’étais le nouveau
superviseur.Jelaregardai.—C’estça,oui.Sesyeuxs’arrondirent.—Il teregardeavecplusdehaineencorequelorsqu’ils’adresseà l’agentSawyer,etce
n’estpaspeudire.Tuluitienstêteuneseulefoisetiltefileunepromotion?Jeregardaiautourdemoi,cherchantuneexplicationplausible,moiaussi.Valhaussalesépaules.—Ilaperdupied,jenevoisriend’autre.Sij’avaissuquel’insubordinationetleculotqui
pousse à dire à un supérieur comment gérer un dossier étaient le moyen d’obtenir unepromotion,jeluiauraisexposélefonddemapenséedepuislongtemps.
J’inspirai profondément et pris le carton, avant de me diriger vers le bureau dusuperviseur.Valm’ysuivit.
—IlestvacantdepuisqueMaddoxaétépromuAgentSpécialenChefAdjoint.C’estl’undesplusjeunesduFBIàatteindrecegrade,tulesavais?
Jesecouailatête,etposaimoncartonsurmonnouveaubureau.—Siquelqu’unpeutsepermettreuntrucpareil,c’estbienMaddox.Ilesttellementdans
lespetitspapiersdudirecteur,jesuismêmesûrequ’ilserapromuAgentSpécialenCheftrèsvite.
—Ilconnaîtledirecteur?Valrigola.—Ildîneaveclui.IlamêmepasséThanksgivingchezlui,l’andernier.C’estlechouchou
dudirecteur,etjeneparlepasquedubureaudeSanDiegonimêmedesbureauxcaliforniens.JeteparleduBureau.AvecungrandB.ThomasMaddox,c’estlegoldenboyparexcellence.Ilpeutavoirtoutcequ’ilveut,etillesait.Toutlemondelesait.
Jefislamoue.—Iln’apasdefamille?Pourquoiiln’estpasrentréchezluiàThanksgiving?—Uneembrouilleavecsonex,àcequ’onm’adit.
—Etcommentfait-ilpourêtredanslespetitspapiersdudirecteur?Ilaunepersonnalitédebouledogue.
—Peut-être.Maisilestloyalenversceuxquifontpartiedesoncercle,etilssontloyauxenvers lui.Alorsfaisgaffeàcequetudissur lui,etàqui.Aprèsunepromotionsurprise,tupourraissansproblèmeenchaînersurunemutationsurprise.
Celamefitréfléchir.—Heu…ben…jevaism’installer,quandmême.Valsedirigeaverslecouloir,s’arrêtantsurleseuildemonbureau.—Onvaboireunverrecesoir?—Encore?Tunem’aspasditqu’ilvalaitmieuxquejet’évite?Ellesourit.—Fautpasm’écouter.Jesuistrèsmauvaiseconseillère,toutlemondelesait.Jeretinsunsourire.J’avais tout foiréd’entrée,mais finalement, les chosesn’allaientpeut-êtrepas simal se
passer,ici.
4
— Regardez qui voilà, dit Anthony en posant deux serviettes en papier devant deuxtabouretsinoccupés.
— Merci de m’avoir prévenue, l’autre soir, lançai-je. Vous auriez pu me dire que jepartaisavecmonpatron.
Valétouffaunrire.—Tul’aslaisséesortird’iciaveclui?Sansmêmefaireuneallusion?Quellecruauté!Anthonytorditlabouche.—Cen’étaitpassonpatron.Pasencore.Etdetoutefaçon,jesavaisqu’ilnesepasserait
rien.Jeplissailesyeux.—Maisvoussaviezqu’ilallaitledevenir,etvousavezperduvotrepari.Anthonyparutstupéfait.—Maddox?Non,non,non,mabelle,vousavezeudesvisions.—Jevousenprie!C’estlimiteinsultant,commeréaction.—Non,maisc’estjusteque…IlsetournaversValavantdereprendre.—Jel’aivurembarrertellementdefemmes.C’étaitdéjàsurprenantqu’ilvousdemande
departiraveclui.Valsecoualatêteetrigola.—Tuvois,jetel’avaisdit.Ilajurédeneplustoucherunefemme.—EhbensaintThomasarompusonserment.Anthonypointaundoigtenl’airetlefittourner.—C’estquoivotretruc?Levaudou?Valéclataderire.—Etpourquoipas?feignis-jedem’offusquer.Anthonylevalesdeuxmains,histoired’invoquermaclémence.
—Vousavez raison. J’auraisdûvous faire comprendrequevous faisiezunebourde.Lapremièretournéeestpourmoi.Onestquittes?
—Disonsquec’estunbondébut,répliquai-jeenm’asseyant.—Oh-ho,ditAnthonyenregardantVal.Quellefougue!—AttendsqueMaddoxapprennequetusavaisqu’ellefaisaitpartiedelamaison.Anthonyposaunemainsursontorse,visiblementinquiet.—Merde,vousn’allezpasleluidire,toutdemême?— Pourquoi pas ? répondis-je en me rongeant l’ongle du pouce. À moins qu’à partir
d’aujourd’hui,vousn’assuriezmesarrières.—Promisjuré,ditAnthonyenfaisantlesignescout.—Arrêtetesconneries,ditVal.T’asjamaisétéscout.—Salut,fitunevoixd’homme.—Salut,Marks,ditValtandisquecelui-cisepenchaitpourl’embrassersurlajoueavant
des’installersurletabouretd’àcôté.TuconnaisLindy?Markssepenchaenavant,meregarda,etseredressasansprendrelapeinedemesaluer.—Ouais.Valfitunegrimace.—Hé,çaveutdirequoi,ça?Il fixait le grandécrande télé installé au-dessusdubar, et comme il ne répondait pas,
elleluidonnauncoupdureversdelamain.—Hé,Joel!C’estquoi,cetteattitudedemerde?—Put…maispourquoitumefrappes?s’offusqua-t-ilensefrottantlebras.J’essaiejuste
d’éviterlesennuis.JelevailesyeuxaucieletmetournaiversAnthony.—Commed’habitude?demandacedernier.Jerépondisd’unhochementdetête.—T’asdéjàteshabitudes?s’étonnaVal.Tuviensicisouvent?—C’estlatroisièmefois.—Enautantde jours, précisaAnthony enposantunManhattan sur la serviettedevant
moi.Vousallezmeparler,cettefois?—Vousavezdéjàdelachancequejevousparleencemoment.Ilhochalatête,admettantl’évidence,etsetournaversVal.—Même si elle n’avait commandé qu’un verre, jeme serais souvenu d’elle. C’estmon
bar,quandmême.Valluijetaunregarddubitatif.—Cen’estpastonbar,Anthony.—Si,c’estmonbar,insista-t-il.T’asdéjàétéservieparquelqu’und’autre,ici?Bon.
Valrigola,etAnthonypritlacommandedeMarks.J’avaisétéhabituéeàplusdecivilités,plusdecourtoisie.Lecôtégrinçant,mordantdeleurséchangesmeplaisait–onnesevexaitpas,onneseprenaitpasausérieux.Aprèsunejournéedebureau,celafaisaitunbienfou.
Le carillon de la porte d’entrée tinta, et le rapide coup d’œil que je lançai au nouvelarrivantsetransformaenlongregardquandjevisMaddoxsedirigerversletabouretlibreàcôté de Marks. L’espace d’un instant, ses yeux croisèrent les miens, puis il salua son ami.AvantqueMaddoxaitprisplaceetdesserrésacravate,Anthonyavaitposéunebièredevantlui.
—Détends-toi,memurmuraVal.Ilneresterapaslongtemps.Unebièremax.—Heureusementque jen’ai jamais tentédemissionsd’infiltration. Je commenceàme
demander simes pensées etmes sentiments ne seraient pas affichés derrière des parois deverre,avecdeslégendes,pourlecasoùjeneseraispasassezprévisible.
Avecl’aidedeVal,jeréussisàmeneruneconversationàpeuprèsnormale,jusqu’àcequeMaddoxcommandeuneautrebière.
Valfitlamoue.—Hou,çaluiressemblepas,ça.Avait-ilcommandéplusieursbières, lesoiroùnousnousétionsrencontrés?Jenem’en
souvenaispas.—Detoutefaçon,jecroisquejevaisyaller,murmurai-je.JefissigneàAnthonypourqu’ilm’apportemanote,etMarkssepenchaenavant.—Turentresdéjà?Jerépondisd’unhochementdetête.—T’asperdutalangue?—J’essaiejustedet’éviterdesennuis.JesignailereçudemacartedecréditpourAnthony,etlaissaiunpourboirequicouvrait
mestroissoiréesaubar.Puisjeprismonsacetsortis.Dehors, la douceur de l’airme supplia littéralement de partir dans une autre direction
quecelledemonimmeuble,maisarrivéeaucoindelarue,jetraversaietmontailesmarchesquimenaientàl’entrée.Unefoisàl’intérieur,mestalonsclaquèrentsurlesolcarreléjusqu’àcequejem’arrêtedevantl’ascenseur.
J’entendislaporteduhalls’ouvriretsefermerderrièremoi.EtMaddoxralentitlepasenmevoyant.
—Tumontes?demanda-t-il.Je le fixai avec des yeux vides, et il regarda autour de lui, comme s’il était perdu.Ou
alorsiln’enrevenaitpasd’avoirposéunequestionaussistupide.Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent dans un tintement. Je montai, suivie de Maddox.
J’appuyai sur les boutons des cinquième et sixième étages, incapable d’oublier queMaddoxvivaitjusteau-dessusdemoi.
—Merci,dit-il.Et ilmesemblaqu’ilavait légèrementinfléchi letondesavoix.Onétaitmoinsdansle
style«c’estmoilechef».Danslacabinedel’ascenseur,unefoislesportesrefermées,latensionétaitpalpable,et
suivit lamême progression que les chiffres indiquant le changement d’étage sur le panneaulumineux.
Enfin, nous arrivâmes au cinquième, je sortis de l’ascenseur et lâchai le soupir que jeretenaisdepuis ledépart. Jemeretournaipour faireunsignede têteàMaddox,et justeaumomentoùlesportesserefermaient,celui-cisortitàsontour.
Pourleregretteraussitôt,d’aprèssonexpression.—Jecroyaisquetuhabitaisau…—Sixième,oui,dit-il.Puisilposaleregardsurmaporte,etdéglutit.Àmontour,envoyantlapeinturebleueéraflée,j’eusunehésitation,etmedemandaisi
lessouvenirsluiétaientrevenusaussivitequ’àmoi.— Liis…, commença-t-il, cherchant sesmots avant de soupirer. Je te dois des excuses
pour le soir où nous nous sommes rencontrés. Si j’avais su… Si j’avais fait mon boulot etétudiéd’unpeuplusprèstondossier,nousn’enserionspaslàaujourd’hui.
—Jesuisunegrandefille,Maddox.Jesaisassumermesresponsabilités,moiaussi.—Jenet’aipasdonnécettepromotionàcausedecequis’estpassé.—J’espèrebien.—Tusaisaussibienquemoiquetonrapportétaitparfait,ettuasplusdecouillesquela
plupartdeshommesde labrigade.Personnenem’a jamais tenu têtecommetu l’as fait. J’aibesoind’unagentcommeçaaupostedesuperviseur.
—Tum’ascasséedevanttoutlemondepourvoirsijetetiendraistête?demandai-je,àlafoishorsdemoietdubitative.
Ilréfléchituninstant,puismitlesmainsdanssespochesethaussalesépaules.—Ben…oui.—T’esvraimentunconnard.—Jesais.Involontairement,jeposailesyeuxsurseslèvres.L’espaced’uninstant,jemeperdisdans
lesouvenirdenotreétreinte,etdelasensationexquiseressentiedanssesbras.—Maintenant que cedernier point est établi, je pense quenous sommespartis sur de
mauvaises bases, tous les deux. Être des ennemis n’est pas la solution. Nous travaillonsensemble, et dans l’intérêt de toute la brigade, il vaut mieux que nos relations soientcordiales.
—Étantdonnélafaçondontçaacommencé,nousdeux,ilmesemblequ’essayerd’êtreamisseraitunetrèsmauvaiseidée.
— Pas amis, repris-je prestement. Disons plutôt qu’il faut s’en tenir à un… respectmutuel.Commedescollègues,quoi.
—Descollègues.—Desprofessionnels.Quisevouvoient,c’estmieux,non?—AgentLindy,jevoudraisjusteêtreclair:cequis’estpasséentrenousétaituneerreur,
etmêmesic’étaitpeut-êtrelameilleurenuitquej’aiepasséedepuismonretouràSanDiego,nous…nousnepouvonspascommettrecetteerreurunesecondefois.
—J’aibiencompris,répondis-jesimplement.Je faisaisdemonmieuxpournepas relever laprécisionconcernantcettenuitdivine–
quil’avaiteffectivementété,etplusencoremême,maisnesereproduiraitjamais.—Merci,souffla-t-il,soulagé.Cetteconversationmefaisaitunpeupeur,àvraidire.Jeregardaiautourdenous,évitantMaddox,etsortismesclésdemonsac.—Bonnenuit,patron.—Heu…Maddoxsuffira,quandonn’estpasauboulot.OuThom…non,Maddox,c’est
trèsbien.—Bonnenuit,dis-jeenglissantlaclédanslaserrure.En refermant la porte derrière moi, je vis Maddox se diriger vers l’escalier, l’air
mécontent.Moncanapéétaitretenuenotageparunebandedecartons.Lesmursblancs,lesfenêtres
sansrideauxmefirentfrissonnermalgréladouceurdel’air,dehors.Jefilaidirectementdansmachambreetmelaissaitombersurlelit,lesyeuxrivésauplafond.
La journée du lendemain promettait d’être longue, entremon installation au bureau etl’étude du dossier Vegas. J’allais devoir mettre au point mon propre système de suivi desprogrèsdechacun,afindesavoirprécisémentquienétaitoù,surquoi,etquelleseraitl’étapesuivante.C’étaitmapremièremissiondesuperviseur,etjetravaillaissouslesordresd’unchefadjointquiexigeaitlaperfection.
Jepoussaiunsoupir.Dans un coin du plafond, il y avait une tache d’humidité. Maddox avait-il oublié de
fermerlesrobinets,ous’agissait-ild’unefuite,quelquepartdanslatuyauterie?J’entendisunlégerbruit. Ildevaitêtre justeau-dessus,sansdoutesur lepointdeprendreunedouche.Cequisignifiaitqu’ilsedéshabillait.
Etmerde.Je l’avais connu en des circonstances bien différentes, et maintenant, j’avais du mal à
évacuer de mes pensées l’homme séduisant que j’avais rencontré au bar, l’homme dont leslèvresm’avaientmanquéavantmêmequ’ilnequittemonlit.
Colèreetdétestation.C’étaitmaseuleoptionsijevoulaism’ensortiràSanDiego.J’allaisdevoirapprendreàdétesterThomasMaddox,etj’avaislesentimentqu’ilneseferaitpasprierpourmefaciliterlatâche.
Lesétagèresétaientvides,maissansungraindepoussière.Plusvastequedansmesrêves
lesplus fous, lebureaudusuperviseurétaitceàquoi j’aspiraisdepuis toujours,etenmêmetemps,cettepromotionmefaisaitl’effetd’unbarreaubrisédansmonascensiondel’échelleduFBI.
Cequipouvaitpasser, auxyeuxducommundesmortels,pourunamasdésordonnédephotos, plans et photocopies diverses étaitma façonde tenir à jour lesmissions de chaqueagent, de voir quelles pistes étaient les plus prometteuses et quelles personnes étaient plusintéressantes que les autres. Un nom en particulier revenait très souvent et avait accrochémon regard. C’était celui d’une ancienne légende du poker : Abernathy. Sa fille, Abby,apparaissaitelleaussisurquelques-unsdesclichésdesurveillanceprisparnosagents,maisjen’avaispasencoreprisconnaissancedesrapportsmentionnantsonéventuelleimplication.
Valapparutetmeregarda,impressionnée,planterunedernièrepunaisedansl’extrémitéeffilochéedemonfildelainerouge.
—Waouh,Liis.Tubosseslà-dessusdepuiscombiendetemps?—J’yaipassélamatinée,dis-jeenexaminantmonchef-d’œuvreavantderedescendrede
monsiège.Jeposailesmainssurmeshanchesetpoussaiunsoupirdesatisfaction.—Pasmal,hein?Val inspiraprofondément,visiblementébahie.On frappa. Jemeretournaietvis l’agent
Sawyerappuyéàl’encadrementdemaporte.—Bonjour.J’auraisaimédiscuterdedeux-troistrucsavecvous,sic’estpossible.Àpremièrevue,Sawyerneressemblaitpasausaletypequem’avaitdécritVal.Ilavaitles
cheveuxjusteassezlongspourpouvoirpasserunemaindedansetserecoiffer,maissacoupeavaitétéfaiteparunpro.Peut-êtreavait-ileulamainlourdeaveclegel,maiscecôtéJamesDean luiallaitplutôtpasmal.Mâchoirecarrée,yeuxbleuclair. Il étaitpresquebeaugosse,maisquelquechose,aufonddesonregard,étaitfranchementlaid.
Valfitlagrimace.— Je vais prévenir l’homme deménage, tu as une ordure dans ton bureau, dit-elle en
sortant,lebousculantvolontairementdel’épaule.—Jesuisl’agentSawyer,dit-ilenfaisantquelquespaspourvenirmeserrerlamain.Je
voulaismeprésenter,hier,maisj’aiétéretenuautribunal.J’aiterminéasseztard.Jecontournaimonbureauetentreprisdefairedespilesaveclesdossiersetpapiersqui
lerecouvraient.—Jesais.Quepuis-jepourvous,agentSawyer?Sawyer s’assit avant que je l’y invite dans l’un des deux fauteuils club en cuir qui
meublaientlapièceenplusdemonbureauenchêne–immense.— Je vous en prie, asseyez-vous donc, grinçai-je en indiquant ostensiblement le siège
qu’ilvenaitdeprendre.
—C’étaitmonintention.Lentement,etsansquitterunseulinstantlesdeuxyeuxbleuocéan,jem’assisàmontour
dansmonfauteuilsurdimensionné,dontledossierétaitsihautquej’avaislesentimentd’êtresuruntrône–montrône–etquecetroubadouressayaitdemejouerdupipeau.Jeletoisaicommeontoiseunchiengaleux.
Sawyerposaundossier surmonbureauet l’ouvrit,pointant ledoigt surunparagraphesurlignéd’orangefluo.
—J’aidéjàmentionnécelaàMaddox,maispuisquenousavonsunregardneuf…Maddoxchoisitprécisémentcetinstantpourdébarquerdansmonbureaud’unpasdécidé.Sawyerselevacommesionvenaitdeluitirerdessus.—Bonjour,patron.Maddoxréponditd’unsimplemouvementdetêteendirectiondelaporte,etSawyerfila
sans un mot. Maddox claqua la porte derrière lui, les parois vitrées tremblèrent, ce quim’évitadelefaire.
Jemecarraisurmontrôneetcroisailesbras,àlafoisimpatienteetcurieused’entendrequelcommentairemachoallaitsortirdesabouchesiparfaite.
—Votrebureauvousplaît?demanda-t-il.—Pardon?— Votre bureau, répéta-t-il en faisant quelques pas, indiquant d’un geste ample les
étagèresencorevides.Ilvousconvient?—Oui?Ilmedévisagea.—C’estunequestion?—Non.Lebureaumeconvient,patron.—Bien.Sivousavezbesoindequoiquece soit, faites-le-moi savoir.Et si cepetit con
visqueuxvousemmerde,ajouta-t-ilenpointantundoigtverslacloisonvitrée,vousvenezmevoirdirectement,c’estcompris?
—JesuiscapabledegérerSawyer,monsieur.—Àlasecondeoùilfaituneremarquesalace,remetvotreautoritéenquestionouvous
faitdesavances,dit-ilsansdesserrerlesdents,vousvenezmevoir.Mefaitdesavances?C’estl’hôpitalquisefoutdelacharité?—Pourquoil’avoirmissurcettemission,sivousledétestezàcepoint?—Ilfaitdubonboulot.—Maisvousnel’écoutezpas.Ilsefrottalesyeuxaveclepouceetl’index,l’airagacé.—Moi, jesuisobligédeme farcir sesconneriespourpouvoirutiliser ses talents.Çane
veutpasdirequevousdevezfairepareil.—Vouspensezquejesuisquelqu’undefaible?
Ilfronçalessourcils.—Pardon?—Est-cequevousessayezdemesavonner laplanche?demandai-jeenme redressant.
C’estça?Parcequej’aimeraisbiencomprendre.Jesupposequeceseraitbeaucoupmieuxdemefairepasserpouruneincompétentegeignardequedesimplementmelancersurlesrailsetmelaissermedébrouiller.
—Quoi?Non!dit-il,visiblementtroublé.—Je suis capabledegérerSawyer toute seule. Je suis capabledegérermapromotion
éclair.Jesuiscapablededirigercettebrigade.Autrechose,patron?Maddoxs’aperçutqu’ilétaitbouchebée,etlarefermadansunclaquement.—Ceseratout,agentLindy.—Parfait.J’aidutravail.Maddoxouvritlaporte,mitlesmainsdanssespoches,hochalatêteetsortit,prenantla
directiondupostede sécurité. Je levai lesyeuxvers lapenduleet sus immédiatementoù ilallait.
Valarrivasursestalons,lesyeuxcommedessoucoupes.—Putaindemerde,c’étaitquoi,ça?—Aucuneidée,maisjenevaispastarderàlesavoir.—Ilétaitpressédequitterlepub,hiersoir.Est-cequ’ilt’araccompagnée?—Non,dis-jeenmelevant.—Menteuse.Jel’ignorai.—J’aibesoind’évacueruntrop-pleind’énergie.Tum’accompagnes?—Àlasalledegympendantlaséanceduchefadjoint?Çavapaslatête?Tudevraispas
lepousserdanssesretranchements,Liis.J’aibiencomprisquevousvoustiriezlabourre,touslesdeux,maisilestconnupoursescolèreshomériques.
Jeprismonsacdegymaupieddemonbureauetlepassaisurmonépaule.—S’ilveutquejepousselebouchon,jevaispousser.—Jusqu’où?Jusquepar-dessuslebord?Jeréfléchisuninstant.—IladébouléicifuraxcontreSawyer.Valhaussalesépaules.—Sawyerestunconnard.Toutlemondeesttoujoursfuraxcontrelui.—Non.J’aieulanetteimpressionqueMaddoxétait…Jesaisqueçaal’airdingue,mais
ilsecomportaitcommeunexjaloux.Sicen’estpaslecas,alors jepensequ’ilm’afilécettepromotionpourquejemevautreetpassepourincompétente.Cequiestendroiteligneaveccequetum’asditsurluietcequ’ilm’afaitavantquej’aiecettepromotion.
Valplongeaunemaindansunepocheetentiraunpetitsachetdebretzels.Elleenmitundanssabouche,legrignotaàlamanièred’unécureuil.
—J’auraisplutôttendanceàpencherducôtédelajalousie,maisenmêmetemps,çamesembleimpossible.D’abord,ilneseraitjamaisjalouxdeSawyer.Ensuite,iln’estplusdutoutsurcemode-làdepuisquecettefilleluiafaitdétestertoutcequiaunvagin.
Jefaillisluirétorquerqu’iln’avaitpluscouchéavecpersonnejusqu’àcequ’ilcoucheavecmoi,maiscelaauraitsous-entenduquejevoulaisqu’ilsoitjaloux,etcen’étaitpaslecas.
—Qu’est-cequitefaitcroirequec’étaitsafauteàelle?demandai-je.Maremarquelafitréfléchir.—Ilaimaitcettefille.Tuesalléedanssonbureau?Jesecouailatête.—Surlesétagèresvides,ilyavaitplusieurscadresavecdesphotosd’elle.Toutlemonde
savait qu’il se donnait vraiment du mal pour concilier le boulot et sa relation. Il voulaitl’aimercommeelleleméritait,etilafaittoutcequ’ilapu.Aujourd’hui,pluspersonnen’oseenparler. Pas parce qu’il a fait une connerie,mais parce qu’elle lui a brisé le cœur, et quepersonnenetientàlerendreplusmalheureuxqu’ilnel’estdéjà.
Jenetinspascomptedesonexplication.—Jesuisuneanalyste intelligente,Val.Récolterdes infosetémettreunethéorie,c’est
monboulot,etc’estdansmanature.Elleplissalenez.—Qu’est-cequeçaaàvoiraveclereste?J’essaiedetedémontrerqu’iln’estpasjaloux
deSawyer.—Jen’aijamaisditqu’ill’était.—Maistuvoudraisbienqu’illesoit.Valétaitcertained’avoirraison.Cettefillemerendaitdingue.—Jeveuxsavoirsij’airaisonàproposdelui.Jeveuxsavoirs’ilessaiedemecouler.Je
veuxretirercettecarapaceetvoircequ’ilyadessous.—Cequetutrouverasneteplairapas.—Onverrabien,dis-jeensortantdemonbureau.
5
Tête en bas sur le banc de musculation, Maddox s’immobilisa en plein exercice, etsoupira.
—Vousplaisantez.—Non,répondis-jeenmedirigeantdroitverslevestiairedesfemmes.Ilselaissatombersurledos,posalespiedsbienàplatsurlesol.— Vous tenez vraiment à ce qu’on se déteste ? demanda-t-il en observant le plafond.
Parcequec’estunpeul’impressionquej’ai.—Vousn’êtespasloin,répondis-jeenpoussantlaporte.Je sortis ma tenue de sport de mon petit sac, retirai ma jupe droite bleu marine et
déboutonnaimonchemisierbleu ciel,puis changeaimon soutien-gorge contreunebrassièrede sport. Que ce simple morceau de textile élastique réussisse à me faire passer derelativementbienpourvueàplancheàpainm’étonnaittoujours.
La pièce était meublée de casiers individuels. Aux murs étaient accrochés des postersdestinés à stimuler la motivation. Contrairement à ce que j’attendais, l’endroit n’était passaturé d’effluves mêlant moisi et vieilles baskets. C’était plutôt eau de Javel et peinturefraîche.
Maddoxterminaitsesabdosquandjemedirigeaivers letapisdecourseleplusproche,mesAdidascouinantsurlelino.Jememisenplace.
—Pourquoimaintenant?demanda-t-il.Pourquoi se fait-ilquevousveniez icià l’heuredudéjeuner?Vousnepouvezpasvousentraînerlematin,oulesoir?
— Vous avez vu cette salle, avant et après les heures de bureau ? Les machines sonttoutesoccupées.Lemeilleurmomentdelajournéepourunentraînementcompletsansavoiràéviterdescorpsensueur,c’estvotreheurededéjeuner,parcequepersonnen’oseveniriciquandvousyêtes.
—Normal,jelesenempêche.—Vous allezme demander de partir ? l’interrogeai-je en le regardant par-dessusmon
épaule.
—Vousordonnerdepartir,plutôt.—Questiondesémantique,dis-jeenhaussantlesépaules.Sonregardglissasurmon legging tandisqu’il réfléchissaitàmaréponse,puis il se leva
dubancpourallersehisserentrelesbarresparallèles,etmonterlesjambesàhauteurdesontorse.Avecunentraînementpareilcinqjoursparsemaine,pasétonnantqu’ilaitdesabdosentablettedechocolat.Lasueurcoulaitdesonfront,etsontorseétaitluisantdetranspiration.
Jefeignisdenepasm’émouvoirdetoutcelaetdémarrailetapisdecourse,quis’ébranlasousmespieds.Jemismesécouteurs,etlamusiquem’aidaàoublierlaprésencedeMaddox,occupé à parfaire la perfection. Accélérer la cadence et augmenter l’inclinaison du plateauaidabeaucoupaussi.
Auboutdequelqueskilomètres,jeretiraiunécouteuretlelaissaipendrepar-dessusmonépaule.Puisjemetournaiverslemurtapissédemiroirs,etm’adressaiaurefletdeMaddox.
—Aufait,jevousaiàl’œil.—Ahbon?réponditMaddoxensoufflant.—Parfaitement.—Etc’estcensévouloirdirequoi?—Jenevouslaisseraipasfaire.—Vouspensezvraimentquemonintentionestdevoussavonnerlaplanche?Ilsemblaittrouverceladrôle.—Parcequecen’estpascequevousfaites?—Jevousaidéjàditquenon.Ils’immobilisaavantdevenirseposteràcôtédutapisdecourse,unemainposéesurla
poignéedesécurité.—Je saisque jevousai faitmauvaise impression,Lindy.Et je reconnaisquec’étaitun
peuvoulu.Maismamotivationestdepoussermesagentsàl’excellence,pasdebousillerleurcarrière.
—MêmepourSawyer?—L’agentSawyeradanscettebrigadedesantécédentsquevousignoreztotalement.—Ehbien,éclairez-moi.—Cen’estpasàmoidelefaire.—Etc’esttout?—Quevoulez-vousdire?—Vousluiinterdisezdemeparleràcausedel’histoiredequelqu’und’autre?Maddoxhaussalesépaules.—J’aimeluirendrelavieunpeudure,c’esttout.—Donccecaprice,dansmonbureau,aprèsledépartdel’agentSawyer,c’étaitjustepour
luirendrelavieunpeudure.Trèsbien.
Maddox secoua la tête et s’éloigna. J’allais remettremon écouteur lorsqu’il reparut, del’autrecôtédutapis.
— Pourquoi c’est moi le connard quand j’empêche un enfoiré comme Sawyer de vousbousillervotrejournée?
J’appuyaisurunbouton,letapisralentit,puiss’arrêta.—Jen’aipasbesoindevotreprotection,dis-je,essoufflée.Maddox faillit répondre,mais s’éloigna une nouvelle fois. Et disparut dans le vestiaire
pourhommes.Je remis le tapis enmarche et passai les huitminutes suivantes à tenter de calmer la
colère que son attitude avait attisée enmoi.Mais, n’en pouvant plus, je finis par sauter dutapisetmedirigeaiàmontour,d’unpasdécidé,verslevestiairedeshommes.
Maddoxétaitappuyésurlelavaboetsebrossaitlesdents.Ilavaitlescheveuxmouillésetneportaitqu’uneserviette.
Ilcracha,serinçalaboucheettapotasabrosseàdentssurlereborddefaïence.—Jepeuxvousaider?Jemecampaisurmesdeuxjambes.— Vous allez peut-être arriver à faire du charme aux huiles du Bureau et grimper
jusqu’au poste de directeur, mais moi, je vous ai à l’œil. N’allez pas imaginer une seulesecondequejen’aipasvuclairdansvotreattitude.Jevouspréviens,jenedemanderaipasmamutation,alorsvouspouvezarrêtertoutdesuitevotrepetitjeu.
Iljetasabrosseàdentsdanslelavaboetsedirigeaversmoi.Jefisunpasenarrière,puisdeux,trois,deplusenplusrapides.Maisbientôt,mondosheurtalemur,etjelâchaiunpetitcri.Maddoxplaquasesdeuxmainssur lemurjusteau-dessusdematête.Ilétaitàquelquescentimètresdemonvisage,encoretoutdégoulinantdesadouche.
—Jeviensdevouspromouvoiraupostedesuperviseur,agentLindy.Qu’est-cequivousfaitpenserquejeveuxmedébarrasserdevous?
Jeredressailementon.—VotrehistoireàproposdeSawyer,çanetientpas.—Quevoulez-vousquejedise,alors?Jesentaislamenthedanssonhaleineetlegeldouchesursapeau.—Jeveuxlavérité.Maddox se pencha vers moi. Son nez longea la ligne de ma mâchoire. Je sentis mes
jambessedéroberlorsqueseslèvreseffleurèrentlelobedemonoreille.—Vousaureztoutcequevousvoulez,souffla-t-ilenseredressantunpeu,lesyeuxrivés
surmeslèvres.Lesoufflecourt,jemepréparaiàlasuite,tandisqu’ilserapprochait,lesyeuxclos.Ils’arrêtaàquelquesmillimètresdemabouche.—Dites-le,murmura-t-il.Ditesquevousavezenviequejevousembrasse.
Jeposailesmainssursontorse,laissaidescendremesdoigtssursesabdos,faisantglisserl’eausursapeau, jusqu’àatteindrelehautdelaserviettequi luiceignait lataille.Toutmonêtremesuppliaitdeluidireoui.
—Non,lâchai-jeenlerepoussantpourmedirigerverslaporte.Jeremontaisurletapisdecourse,mislavitessemaximale,mesécouteurs,etpassaitous
lesmorceauxjusqu’àentrouverunquifassebeaucoupdebruit.Quarante-cinqminutesplustard,complètementlessivée,ennage,jeralentislerythmeet
marchai un moment, mains sur les hanches. Mon souffle retrouvé, je pris une douche etm’habillai,etnouaimescheveuxencorehumidesenchignon.
Valm’attendaitàl’autreboutdelapasserelle.—Alors,commentças’estpassé?demanda-t-elle,sincèrementinquiète.Sansm’arrêter, jeme dirigeai vers les ascenseurs. Ellem’emboîta le pas. Je faisais de
monmieuxpouravoirl’airdétendu.—J’aicouru.Çam’afaitdubien.—Menteuse.—Laissetomber,Val.—T’asseulement…couru?demanda-t-elle,visiblementétonnée.—Oui.Ettoi,tondéjeuner?Ças’estbienpassé?—J’avaisapportéunsandwich.Confitureetbeurredecacahouète.Ilt’aengueulée?—Non.—Ilaessayédetemettredehors?—Non.—Alorslà…j’ycomprendsplusrien.J’eusunpetitrire.—C’estparcequ’iln’yarienàcomprendre.Cen’estpasunogre.Àvraidire,aupointoù
onenest,ilpensepeut-êtrequemoij’ensuisun.Nousmontâmesensembledansl’ascenseuretj’appuyaisurleboutondenotreétage.Val
serapprochatoutprèsdemoi,meforçantàreculerd’unpas.—Mais, si.C’estunogre.Ce typeestméchant, impitoyable, ethurle sur tous ceuxqui
osententrerdanslasalledegymquandilyest,mêmesic’estpourallerchercherunebasketoubliée.Jesaisdequoijeparle,çam’estarrivé.Ilacomplètementpétélesplombs,m’ahurlédessus, juste parce que je venais récupérer une foutue basket, dit-elle en articulant bien lesderniersmots,commesielledéclamaitdelapoésieenslam.
—Peut-êtrequ’ilachangé.—Depuistonarrivée?Entroisjours?Non.Letondéfinitifsurlequelelleavaitrépondum’agaça.—Tuexagèresuntoutpetitpeu,non?—Tupensesquejedramatise?
—Oui.—C’estmafaçondem’exprimer.—Façontragédie,grandescènedel’acteIII?—Oui.Arrêtedeuxminutesdemejuger,etécoutecequej’essaiedetedire.—Jet’écoute.Lesportesdel’ascenseurs’ouvrirent, jesortis.Valmesuivitendirectionduportiquede
sécurité.—Joelainsistépourquejemangemonsandwichdanssonbureau.—QuiestJoel?—L’agentMarks.Soisattentive,detempsentemps.Ilm’aenvoyéuntexto,hiersoir.En
me disant queMaddox est bizarre depuis quelque temps. Son petit frère se marie le moisprochain–enfin,ilseremarie,plusexactement.Maisaveclamêmefemme.Commentdit-on,déjà?
Jefislagrimace.—Ilrenouvellesesvœux,peut-être?Valpointaundoigtsurmoi.—Voilà!C’estça.—Pourquoitumeracontesça?—Ilvadevoir…lavoir,quoi.—Cellequiluiabrisélecœur?— Exactement. La dernière fois qu’il est rentré chez lui et qu’il l’a vue, il est rentré
vraimentchangé.Etpasdanslebonsens.Ilétaitanéanti.Çafaisaitpeur,jet’assure.—Jevois.— Et ce prochain voyage, il le redoute comme pas possible. Il a dit à Marks que…
Attention,c’esttopsecretdecheztopsecret,là,d’accord?—Jet’écoute.—IladitàMarksqu’ilétaitplutôtcontentquet’aiesétémutéeici.J’entraidansmonbureauetfiscomprendreàValparunpetitsourirequ’ellepouvaitme
suivre, ce qu’elle s’empressa de faire. Je refermai soigneusement la porte derrière elle etm’adossaicontrelechambranle,dontleboismeparutfroidetrêcheàtraversletissudemonchemisier.
—MonDieu,Val,maisqu’est-cequejevaisfaire!soufflai-jeenfeignantlapanique.Ilest«plutôtcontent»?
Jefislagrimacelaplusmochequejepouvaisetmemisàhaleter.Ellelevalesyeuxauciel,selaissatombersurmontrône.—Vatefairefoutre.—Tunepeuxpasmedireçaalorsquetuesàmaplace.
—Jepeuxsitutefousdemoi.Écoute,ajouta-t-elleens’appuyantsurmonbureau.Moi,je tedis que c’estdu très lourd.Çane lui ressemblepasdu tout. Il n’est jamais content,nimême«plutôtcontent».Ildétestelaterreentière.
—D’accord,mais franchement,yariendebiennouveau, là,Val.Mêmesisaremarqueestatypique,t’esentraindedéclencherl’alarmeincendiepouruneflammedebougie.
Ellehaussaunsourcil.—Etmoi,jetedisquesachandelle,tuviensdelamoucher.—Tuasmieuxàfaire,Val.Etmoiaussi.—Onboitunverre,cesoir?—Non,fautquejedéfassemescartons.—Jet’aiderai.Etj’apporteraiunebouteilledevin.—Marchéconclu.Ellequittamonbureau,etjem’installaiàmaplace.Entreledossier,largeethaut,etles
accoudoirs, j’étais bien calée dans mon fauteuil, avec l’impression d’être protégée, cachée,même.
Mes doigts coururent sur le clavier, je tapai mon mot de passe. Plusieurs annéesauparavant,lapremièrefoisquejem’étaisconnectéeàcesystèmeetquej’avaisvuapparaîtrel’emblème du FBI à l’écran, j’avais senti mon pouls s’accélérer. Certaines choses nechangeaientjamais.
Maboîtee-mailétaitbourréedemessagesd’agentsmetenantaucourantdeleursprogrèsetdeleurspistes.LenomdeConstancemesautaquasimentauxyeux.Jecliquaidessus.
AGENTLINDY,
L’ASCAMADDOXSOUHAITEUNERÉUNIONÀ15H00POURDISCUTERD’UNPROBLÈME.MERCIDEVOUSLIBÉRER.
CONSTANCE
Etmerde.À compter de cet instant, chaque minute fut plus douloureuse que celles qui avaient
précédémon arrivée dans la salle de gym. Cinq petites minutes avant l’heure fatidique, jeterminaicequej’étaisentraindefaireetquittaimonbureaupourremonterlecouloir.
Les longs cils de Constance battirent en me voyant, elle porta la main à son oreille.Quelquesmots inaudibles franchirent ses lèvres rouge cerise.Elle tourna légèrement la têteen direction du bureau de Maddox. Ses cheveux blonds glissèrent sur son épaule, souples,légèrementondulés.Puisellesemblasoudainrevenirauprésentetmesourit.
—Allez-y,jevousenprie,agentLindy.
Je répondis d’un hochement de tête, notant au passage qu’elle neme quittait pas unesecondedesyeux.Ellen’étaitpas juste l’assistantedeMaddox.Elleétait sonchiendegardedéguiséenpoupéeblonde.
J’inspiraiprofondémentetactionnailapoignéeennickelbrossé.LebureaudeMaddoxétaitlambrisséd’acajou,d’épaistapisencouvraientlesol,maisses
étagèresétaientvidesetaussitristesquelesmiennes,sansaucunephotodefamilleniobjetspersonnelspermettantdedéduirequ’ilavaitunevieprivéeendehorsduboulot.Aumur, ilavait accroché ses diplômes et autres prix, ainsi qu’une photo de lui serrant la main dudirecteurduFBI.
Ilyavaittroiscadressursonbureau,tournésdefaçonàcequejenepuissepasvoirlesphotos,etcelamedérangea.J’auraisaimésavoirs’ilconservaitdesphotosd’elle.
Maddoxétaitdebout,unemaindanslapochedepantalondesoncostumebleumarine,etregardaitparlafenêtre.Lapièceétantsituéeàl’angledubâtiment,lavueétaitmagnifique.
—Asseyez-vous,Lindy.J’obtempérai.Ilseretourna.—Jesuisfaceàundilemmedontvousallezpeut-êtrepouvoirm’aideràsortir.Une centaine d’autres phrases auraient pu sortir de sa bouche. Je n’avais pas pensé à
celle-là.—Vraiment?Dequois’agit-il,patron?— J’ai eu un entretien avec l’Agent Spécial en Chef ce matin, et il pense que vous
pourriezêtrelasolutionàunproblèmequis’estrécemmentposéànous,dit-ilens’asseyantàsontour.
Encetaprès-midiensoleillé, lesstores laissaientpassertoutela lumière,quisereflétaitsur la surfacedubureau,déjàbrillanteenelle-même.Onauraitpuasseoir sixpersonnesaumoins derrière cemeublemassif, et deux hommes n’auraient pas suffi pour le soulever. Jeglissai les pieds entre le panneaud’acajou et l’épais tapis et soufflai doucement,me sentantainsiarrimée,suffisammentprêtepourencaissersansvacillercequeMaddoxétaitsurlepointdem’assener.
Iljetaundossiersursonbureau.Celui-ciglissadansmadirection,s’arrêtajusteavantdetomber.Je leprisetrestaiquelques instantsavec l’épaisse liassedepapiersentre lesmains,encoretropdésarçonnéeparladéclarationdeMaddoxpourl’ouvrir.
—L’AgentSpécialenChefPolanskipenseque jesuisunesolution? lâchai-jeenfind’untonméfiant.
Soitj’avaissérieusementsous-estimémescapacités,soitMaddoxsefoutaitdemagueule.—Lisez,vousverrez,dit-ilenserelevantpourretournerverslafenêtre.Àenjugerparsonexpressionsinistreetlaraideurdesaposture,ilétaitnerveux.
J’ouvris la chemise cartonnée et feuilletai les innombrables formulaires d’écoutes, lesphotospriseslorsdesurveillancesdessuspects,etmêmeunelistedevictimes.Unechemiseàpart détaillait les chefs d’accusation retenus contre un certain Adam Stockton, ainsi que latranscriptionde sesdépositionsà labarre.Étudiant, il semblait avoirdéveloppédes talentsd’organisateur,etavaitétécondamnéàdixansdeprison.Jepassaienvitesse,conscientequecen’étaitpascequeMaddoxmedemandaitderegarder.
Surplusieursphotosapparaissaitunhommequi ressemblaitunpeuàMaddox–mêmetaille, mais cheveux presque rasés, et bras couverts de tatouages. À ses côtés, on voyaitsouventunejoliejeunefemme;celle-cinedevaitavoirqu’unepetitevingtained’années.maisla sagessedequelqu’undebienplus âgébrillait dans son regard. Je la reconnuspour avoirmoi aussi affiché dans mon bureau des photos sur lesquelles elle figurait. C’était la filled’Abernathy.Detouteévidence,elleétaitencoupleavecle jeunetatoué,mais lafaçondontilss’accrochaientl’unàl’autrelaissaitpenserqueleurrelationétaitrécente,etpassionnée.Oualorsilsétaienttrès,trèsamoureux.Ilaffichaitunepostureprotectricesurpresquetouteslesphotos,etellenesemblaitpastrouvercelaintimidantdutout.Jemedemandaimêmes’ilserendaitcomptequ’iladoptaitcetteattitudelorsqu’ilétaitavecelle.
Tousdeux,demêmequ’Adam,étaientétudiantsàEasternStateUniversity.Suivaientdescoupures de journaux à propos d’un incendie sur le campus, en pleine nuit, qui avaitentièrementdétruitunbâtiment,etfaitcenttrente-deuxvictimes,toutesétudiantes.Avantdedemandercequefaisaientautantdegaminsdansunsous-solaumilieudelanuit,jepassaiàla chemise suivante et trouvai ma réponse. Un cercle de combats illégaux. Et celui quiressemblaitàMaddoxfaisaitpartiedessuspects.
—Bonsang,maisc’estquoi,cettehistoire?—Lisezunpeuplusloin,réponditMaddoxsansseretourner.Presque aussitôt, deux noms me sautèrent aux yeux. Maddox et Abernathy. Quelques
pagesplusloin,jecomprisenfinetlevailesyeuxendirectiondemonpatron.—Votrefrèreestmariéaveclafilled’Abernathy?Maddoxneseretournapas,neditrien.—Vousessayezdem’embrouiller,là.Enfin,ilmefitface,ensoupirant.— J’aimerais bien. Ils renouvellent leurs vœux de mariage le mois prochain à Saint
Thomas…pourquelafamillepuisseyassister.LeurpremiermariageaeulieuàLasVegas,ilyapresqueunan…
Jemontraiunecoupuredejournal.—Quelquesheuresàpeineaprèsl’incendie.Elleestfutée.Maddox regagna lentement son bureau et se rassit. Il avait la bougeotte, et cela me
rendaitplusnerveusequelui.—Qu’est-cequivousfaitpenserquec’étaitsonidéeàelle?demanda-t-il.
— Il n’a pas la tête dumec qui se laisse sortir du pétrin par sa copine, répondis-je enrepensantàsonattitude,surlesphotos.
Maddoxeutunpetitrireetbaissalesyeux.—Iln’apaslatêtedumecquiselaisseaiderparquiquecesoit,etc’estpourcelaque
notreaffaires’avèreparticulièrementdifficile.Polanski insistepourquej’aiedurenfort,et jedoisadmettrequ’ilaraison.
—Durenfortpourquoi?—Jevaisdevoirluiannoncerlanouvelleaprèslacérémonie.—Qu’ellel’aépousépourluidonnerunalibi?— Non. Abby a peut-être épousé mon frère pour une raison, mais cette raison, c’est
qu’elle l’aime. S’il devait découvrir la vérité, en admettant qu’elle essayait réellement de lesortirdupétrin,ilnes’enremettraitpas,dit-il,visiblementsoucieux.
—Vousvousmetteztoujoursenquatrepoursortirvosfrèresdupétrin?Ilbaissalesyeuxsurlesphotosquejenevoyaispas.—Vous n’avez pas idée, soupira-t-il. J’ai fait ce que j’ai pu juste après l’incendie,mais
vous avez vu la liste des victimes.Adama pris dix ans,mais cela ne suffira pas à régler lanote. Il a été inculpépour lamortdedeux cent soixante-quatrepersonnes–deux foispourchaquevictime.
—Commentleprocureura-t-ilréussiuntourpareil?—Adamaété jugépourdeuxcrimesdifférents.Négligencecriminelleayantentraînéla
mortsansintentiondeladonner,ethomicideinvolontaire.Jehochailatête.—J’étaiscoincé,continuaMaddox.Jenepouvaispasaidermonfrère.Alorsj’aifinipar
expliquer à Polanski pourquoi j’étais l’un des plus jeunes agents de l’histoire du FBI àdécrocher le poste d’Agent Spécial en Chef Adjoint. J’avais un atout. Il a failli ne pas mecroire.Monpetitfrèresortait,etestdésormaismariéaveclafilled’unindividuauquelleFBIs’intéresse de très près, dans un énorme dossier. Mick Abernathy. Avec l’approbation dudirecteur, j’ai obtenu de Polanski qu’il laisse tomber les charges si Travis acceptait detravaillerpournous.Mais résoudre cetteaffairevanousprendreplusd’annéesque lapeinequ’ilencourait.
—Ilvadevenirinformateur?—Non.—LeFBIvalerecruter?demandai-je,incrédule.—Oui.Maisilnelesaitpasencore.Jefislagrimace.—Etvousêtesobligédeluiannoncerçalejourdesonmariage?—J’attendrailelendemainmatin.Justeavantderepartir.Jedoislefaireenpersonne,et
jenesaispasquandjelereverrai.Mesvisitesaubercailsont…rares.
—Ets’iln’estpasd’accord?Maddoxpoussaunlongsoupir,blessérienqu’àcetteidée.—Iliraenprison.—Etàquelmomentj’entreenscène,danscettehistoire?Maddoxchangeadepositionsursonsiège,toujoursaussinerveux.— Je… je vais vous expliquer. Sachez que cette idée vient de Polanski, et de lui seul.
Maisilsetrouvequ’ilaraison.—Àquelpropos?Mespenséespartaientdanstouslessens,etmapatiencecommençaitàs’user.—J’aibesoind’unecavalièrepourcemariage.Etj’aibesoinqu’unautreagentduBureau
soit présent et témoin de la conversation que j’aurai avec mon frère. J’ignore comment ilréagira.Laprésenced’unagent féminin l’empêchera sansdoutede trops’emporter.Polanskipensequevousêteslacandidateidéale.
—Pourquoimoi?—Ilacitévotrenom.—PourquoipasVal?OuConstance?Les lèvrespincées,Maddox semit àpianoter sur sonbureau, contemplantobstinément
sesdoigts.—Ilasuggéréquelqu’unquisefondedanslamasse.—Quisefondedanslamasse…répétai-je,abasourdie.—Deuxdemesfrèressortentavecdesfemmesqui…nemâchentpasleursmots.—Etmoi,jenemâchepasmesmots?demandai-jeenpointantundoigtsurmapoitrine.
Putain,vousrigolezouquoi?VousavezvuVal?—Vousvoyez!ditMaddoxentendantunemainversmoi.C’estexactementcequedirait
Abby.Ou…Camille,lacopinedeTrent.—LacopinedeTrent?—Monfrère.—VotrefrèreTrent.EtTravis.Etvous,c’estThomas.Ilmemanquequi,encore?Tigrou
etTimide?Celanel’amusapas.—TayloretTyler.Lesjumeaux.IlssontentreTrentetmoi.—C’estquoicettefixettesurlesT?Je n’avais pu m’empêcher de poser la question, mais à dire vrai, cette conversation
commençaitàm’agacerprofondément.Ilsoupiraencore.— C’est un truc du Midwest. En fait, j’en sais rien. Lindy, j’ai besoin que vous
m’accompagniezaumariagedemonfrère.J’aibesoinquevousm’aidiezàleconvaincredenepasallerenprison.
—Vousnedevriezpasavoirbeaucoupdemalàyarriver.LeFBIrestequandmêmeunesolutionderechangetrèshonorable,non?
—Ildevratravaillercommeagentinfiltré.Sanspouvoirenparleràsafemme.—Et?—Etilaimevraiment,vraimentsafemme.— Comme tous nos agents infiltrés, répliquai-je sèchement, sans éprouver la moindre
compassion.— Travis a un passé. Sa relation avec Abby a toujours étémouvementée, et pour lui,
l’honnêtetéestl’engagementqu’ilaprisenl’épousant.—Maddox, vousm’ennuyez.Nosagents infiltrésdisent simplementà leurmoitiéqu’ils
nepeuventpasparlerde leurboulot,pointbarre.Jenevoispaspourquoi ilneferaitpas lamêmechose.
—Ilnepeutmêmepasluidireça.Ilserainfiltrédanslecadred’uneenquêtesurlepèred’Abby. Cela pourrait mettre leur mariage en danger. Jamais il ne prendra le risque de laperdreenconnaissancedecause.
—Ils’yfera.Ilsuffitqu’onluidonneunalibisimple,solide,etqu’ons’ytienne.Maddoxsecoualatête.— Il n’y a rien de simple dans cette histoire, Liis. Il va nous falloir faire preuve d’une
grandecréativitépourempêcherqu’Abbynecomprennetout.Ilsoupiraetlevalesyeuxauplafondavantd’ajouter:—C’estunefilletrès,trèsintelligente,croyez-moi.Jeledévisageai,inquiètedel’avoirentendum’appelerparmonprénom.—Polanskiveutquej’yaille.Maisvous,vousenpensezquoi?—Cen’estpasunemauvaiseidée.—Qu’onsoitamisestunemauvaiseidée,maisnousfairepasserpouruncoupletoutun
week-endn’enestpasune?—Travisest…difficileàexpliquer.—Ilrisqued’êtreviolent?—Jesaisqu’illesera.—Etjesupposequevousnetenezpasàcequejelebutesic’estlecas?Ilmelançaunregardnoir.—Est-cequejepeuxvousbutervous,alors?Cettefois,ilpritunairexcédé.Jelevailesmainspourlecalmer.—J’essaiejustedecomprendremonrôledanstoutcebazar.—Quand il se sent acculé, Travis réagitmal. S’il pense qu’il risque de perdre Abby à
causedeça,ilsebattra.Entrelaperdreparcequ’illuiamentietlaperdreparcequ’ilseraenprison,lechoixn’estpasfolichon.Ilestpossiblequ’ilrefusenotrearrangement.
—Ill’aimeàcepoint?
—Jepensequevousêtesloinducompte.Lemenacerdelaperdre,c’estmenacersavie.—Çaparaîtassez…excessifcommeréaction,non?Maddoxrestasongeuruninstant.—Leurrelationentièreestfondéesurcegenred’excès.—C’estnoté.—Trent aorganiséunenterrementde viedegarçon surprise, la veille.C’est àEakins,
dansl’Illinois.Mavillenatale.—Jeconnais.CommeMaddoxmefixaitd’unregardétonné,jepoursuivis:—C’estsurlaroutedeChicago.Yaunpanneauindiquantlasortie.Ilhochalatête.— Le lendemain, nous prendrons l’avion à Chicago, justement, pour Saint Thomas. Je
demanderaiàConstancedevousenvoyertouslesdétailsparmail.RentreràChicagosipeudetempsaprèsl’avoirquitténem’enchantaitguère.—D’accord.— Comme je l’ai dit, nous devrons faire comme si nous étions un couple. Ma famille
pensequejesuisdanslapublicité,etj’aimeraisquecelacontinue.—IlsnesaventpasquevousbossezpourleFBI?—Non.—Jepeuxvousdemanderpourquoi?—Non.Jeclignailesyeux.—Très bien. Je suppose quenousdevrons partager une chambred’hôtel à Eakins et à
SaintThomas.—Affirmatif.—Autrechose?—Paspourl’instant.Jemelevai.—Bonaprès-midi,patron.Ilseraclalagorge,visiblementsurprisdemaréaction.—Jevousremercie,agentLindy.Jeme levaiet tournai les talonspour sortirde sonbureau, faisantdemonmieuxpour
toutcontrôler– larapiditédemonpas, lebalancementdemesbras,etmêmelaraideurdemon dos. Je ne voulais rien lui laisser deviner. Je ne savais pas moi-même ce qu’il fallaitpenserdecevoyage,etn’avaiscertainementpasenviequ’ilsefassedesidées.
De retour dansmon bureau, je fermaima porte etme laissai tomber surmon fauteuilavantdecroiserlesjambes,piedssurlebureau.
Sawyertoquadoucementàlaporteenmeregardantd’unairinsistantàtraverslavitre.Jeluifissignederepasserplustard.
Maddox avait été content que je soismutée à SanDiego, et Polanski pensait que je nemâchaispasmesmots–engros,quej’étaisvulgaire,àcôtédeValVa-te-faire-foutreetDavieslaSalope.Jebaissailesyeuxsurmonchemisierbleucielbienrepasséetmajupeaugenou.
Jesuisquelqu’undefin,bordel.Cen’estpasparcequejediscequejepensequejemanquedetact,si?
J’étais rouge de colère. Je pensais révolue l’époque où les femmes, au FBI, étaientsurnomméesagent féd’airbagoupoupéegonflée.Laplupartdu temps,uneremarquesexistede la part d’un agentmasculin était prestementmouchée par un autre agent,même si elleétaitfaiteendehorsdetouteprésenceféminine.
Alorscommeça,jemanquedefinesse?Parcequelà,c’estsûr,jesensquejevaisenmanquergraveetquetoutelaputaindebrigadevaenprofiter!
Jecouvrismabouche, commesi jevenaisdeparleràhautevoix. Ils n’ont peut-être pascomplètementtort…
Montéléphonesonnadeuxfois,jedécrochai.—IciMaddox.Jemelevai,mêmes’ilnemevoyaitpas.—Ilyauneautreraisonquifaitdevousunebonnecandidate,etdontjen’aipasparléà
Polanski.—Jemeursd’enviedesavoirlaquelle,répondis-jed’untonmonocorde.—Nousallonsdevoirpasserpouruncouple,etje…jepensequevousêtesleseulagent
fémininquisoitsuffisammentàl’aiseavecmoipourjouercerôle.—Jemedemandebienpourquoi.Lesilencequis’ensuivitduradixbonnessecondes.—Jeplaisante, repris-je.C’estbonde savoirque cen’estpasuniquementparceque le
grandpatronpensequejen’aiaucuneclasse.—Queleschosessoientbienclaires:Polanskin’ajamaisditça,etmoinonplus.—Unpeu,quandmême.—Jemesuismalexpriméalors.Carjecolleraiundirectàlagorgeaupremierquidira
quoiquecesoitdecegenresurvotrecompte.Cefutmontourderestersilencieuse.—Heu…m…merci.Jenetrouvaipasquoidired’autre.—GardezunœilsurlesmailsenprovenancedeConstance.—Bien,patron.—Bonnejournée,Lindy.
Je raccrochai, remis mes pieds sur mon bureau et réfléchis au voyage, prévu septsemainesplustard.J’allaisdevoirpasserplusieursnuitsseuleavecMaddox,jouerlerôledesapetiteamie,etcelanem’ennuyaitpasdutout,quandbienmêmej’auraisaimélecontraire.
Jemeretinsdesourire.Jenevoulaispassourire,alorsjefronçailessourcils.Jen’avaispasmentiaussiouvertementdepuisquej’avaisditàJackson–enessayantdem’enconvaincremoi-même–quej’étaisheureuseavecluiàChicago.
Valtoquadoucementàmaportepuistapotaleverredesamontre.Jeluirépondisd’unhochementdetête,etelles’enalla.
Je n’étais pas sûre du degré de confidentialité queMaddox souhaitait appliquer à toutcela. Garder le secret pour notre première nuit et pourmon rôle au sein de la cinquièmebrigadeétaitdéjàsuffisammentdifficile.Malheureusementpourmoi,ValétaitmaseuleamieàSanDiego,etdevinercequ’onluicachaitétaitsonsuperpouvoir.
6
Lesdoigtsnouésdansmescheveux,àboutdenerfs,jeluttaispourmeconcentrersurlesmotsaffichésàl’écran.J’étaisdevantmonordinateurdepuisplusdedeuxheures,etmesyeuxcommençaientàfatiguer.
Lesstoresextérieursétaientbaissés,maiscelafaisaitdéjàunbonmomentquelesrayonsdusoleilcouchantavaientfiltréets’étaientéteints.AprèsavoirétudiéledossierTravis,j’avaispassélafindelajournéeàchercherdifférentsmoyensdeluiéviterlaprison,maisfairedeluiun agent n’était pas seulement la meilleure idée. C’était la seule. Malheureusement pourTravis, son frère était tellementdouépour ce job que le FBIne voyait quedes avantages àl’arrivée d’un autre Maddox dans leurs équipes. Donc il n’était pas seulement un atout ennotrefaveurdanscetteaffaire,ilétaitunefuturerecrue.
On toqua àmaporte, et l’agent Sawyer glissa undossier dans le réceptaclemétalliquevisséàceteffet sur le chambranle.Decettemanière, lesagentsn’étaientpasobligésdemedérangerchaquefoisqu’ilsavaientbesoinquejesigneunpapier.MaisSawyer,lui,entrouvritlaporteetpassalatête,affichantunparfaitsouriredechatduCheshire.
—Ilsefaittard,dit-il.—Jesais,soupirai-jeenposantlementonsurmamain,sansquitterl’écrandesyeux.—Etonestvendredi.—Jesais.Bonweek-end.—Jemedisaisquevousvoudriezpeut-êtremangerquelquepart.Vousdevezmourirde
faim.Jelevailesyeux.Maddoxétaitdevantmonbureau,l’airdétendu,etseretournaversSawyer.—L’agentLindyetmoi-mêmeavonsuneréuniondansdeuxminutes.—Uneréunion?s’esclaffaSawyer.MaisleregardnoirdeMaddoxfitdisparaîtresonsourire.—Vraiment?demanda-t-ilenrajustantsacravate.—Bonsoir,agentSawyer,ditMaddox.
—Bonsoir,patron,réponditSawyeravantdes’éclipser.Maddoxse laissatomberdans l’undes fauteuilsclub,posa lesdeuxmainsàplatsur les
accoudoirs.Décontracté.—Onn’apasderéunion,dis-jeenfixantl’écran.—Non,répondit-ild’untonlas.— Vous avez fait de moi son supérieur. À un moment, il va bien falloir que vous le
laissiezm’adresserlaparole.—Jevoisleschosesautrement.Jemepenchaisurlecôtépourleregarder,levisagetoujoursentrelesmains,etfronçai
lessourcils,dubitative.—Vousavezl’aircrevé,ditMaddox.—Etvous,c’estpire,mentis-je.On aurait dit unmannequin Abercrombie, regard impénétrable compris, et j’étais bien
placée pour savoir que sous le costume et la cravate, il avait tout de ce mannequin. Jedisparus de nouveau derrièremon écran, avant qu’il ne remarquemon regard posé sur ceslèvresinoubliables.
—Vousavezfaim?demanda-t-il.—Jemeursdefaim.—Venez,onvaallerchercherdequoimanger.Onprendmavoiture.Jesecouailatête.—J’aiencorepleindechosesàfaire.—Vousdevezmangeraussi.—Non.—Bonsang,maisqu’est-cequevousêtesbutée.Jepenchailatêtesurlecôtépourleregarder.—L’agentDaviesraconteàquiveut l’entendreque j’aicouchépourarriveroù j’ensuis.
Avez-vousidéedeladifficultéquej’aiàêtrepriseausérieuxparlesautresagents,quim’ontvuearrivericietdécrocherunepromotiondèslepremierjour?
—C’était ledeuxième,enfait.Et l’agentDavies,elle,aréellementcouchépourmonterles échelons. Enfin, pour en gravir un ou deux. Et elle est à son max. Pour elle, lespromotions,c’estterminé.
Jehaussaiunsourcil.—Vousl’avezdéjàaugmentée,vous?—Jamais.—Enfinbon,Daviesapeut-êtrecouché,maistechniquement,ellearaison,pourmoi.Et
çamebouffe.Alorsj’alignelesheuressup’,histoiredemeconvaincrequej’aiméritéceposte.—Nefaitespasl’enfant,Liis.—Vousnonplus,Thomas.
Je crus entendre un tout petit début de rire, mais fis comme si de rien n’était, etm’autorisaijusteunsourireentendu,derrièrelebouclierdemonécran.
Delaruemontaientsirènesetcoupsdeklaxon.Dehors, laviesuivaitsoncourspourlecommun des mortels, qui ne se doutaient pas que nous travaillions tard et menions desexistencessolitairespourqu’ilspuissentallersecoucherdansunmondecomptantunmafieuxdemoins,unréseaudeprostitutiondemoins,etuntueurensériedemoinsdanslanature.Lachasse au hors-la-loi était ce pour quoi je travaillais tous les jours – dumoins était-ce mafonctionjusque-là.Maisaujourd’hui,onmedemandaitd’éviterlaprisonaufrèredeThomas.C’étaitentoutcaslesentimentquej’avais.
Monsourireentendus’effaça.—Dites-moilavérité,demandai-jeenreposantlatêtesurmamain.—J’aifaim,réponditThomas.—Jeneparlepasdeça.Quelestvotreobjectif?MettreBennyhorsd’étatdenuire,ou
éviterlaprisonàTravis?—L’unestliéàl’autre.—Maisjevousdemandedechoisirl’unoul’autre.—Jel’aipratiquementélevé.—Cen’estpasuneréponse.Thomasinspiraprofondément,soupira,etsesépauless’affaissèrent,commesilaréponse
luipesait.—Jedonneraismaviepoursauverlasienne.Jelâcheraistout.Jel’aidéjàfait.—Vousvoulezdirequevousavezdéjàlâchévotrejobpourlui?—Non.Etnon,jeneveuxpasenparler.—C’estnoté.Jen’avaispasenvied’enparlernonplus.—Vousn’insistezmêmepaspourque jevousraconte?s’étonna-t-il.Tous lesmembres
delabrigademeurentd’enviedesavoir.Jeluilançaiunregardnoir.—Vous venez de dire que vous ne vouliez pas en parler.Mais il y a une chose que je
voudraisquandmêmesavoir.—Laquelle?demanda-t-il,fatigué.—C’estqui,surlesphotos,dansvotrebureau?—Qu’est-cequivousfaitpenserquec’estquelqu’un?Çapourraitêtreunchat.—Vousn’avezpasdechat.—Maisjelesaimebien.Jemecarraidansmonsiègeetdonnaiuncoupdansmonbureau.—Vousn’aimezpasleschats.—Vousnemeconnaissezpassibienqueça.
Jemeréfugiaidenouveauderrièremonécran.— Peut-être, mais je sais que soit vous avez une brosse miracle anti-poils, soit vous
n’avezpasdechat.—Maisjepourraisquandmêmelesaimer.Jemepenchaiversl’avant.—Vousm’épuisez.L’esquissed’unsouriresedessinasurseslèvres.—Allez,venezdîner.—Dites-moid’abordpourlesphotos.Thomasserenfrogna.— Et si vous regardiez vous-même, la prochaine fois que vous viendrez dans mon
bureau?—C’estpeut-êtrebiencequejeferai.—Parfait.Ilyeutquelquessecondesdesilence,puisjelâchai:—Jevousaiderai.—Àdîner?—JevousaideraiàaiderTravis.Ilchangeadepositiondanslefauteuil.—J’ignoraisquevousenvisagiezlecontraire.—Peut-êtrequevousnedevriezpasconsidérerquejevoussuisacquise.—Danscecas,ilnefallaitpasdireoui,rétorqua-t-ilsèchement.Jerefermaimonordinateurdansunclaquement.—Jen’aipasditoui.J’aiditquej’attendraisl’e-maildeConstance.Ilm’observalonguementenplissantlesyeux.—Ilvafalloirquejevousaieàl’œil,vous.Jeluiadressaiunsourirenarquois.—J’enaipeur.Montéléphoneémitunbip,etlenomdeValapparutàl’écran.Jedécrochai.—Salut,Val.Oui,jefinisjuste.D’accord.Àtout’.Jeraccrochaietposailetéléphonesurmonbureau.— Vous êtes dure, dit Thomas en vérifiant son propre téléphone avant de le remettre
danssapoche.—Faudra vous y faire, répondis-je en ouvrant le tiroir du bas demonbureau pour en
sortirmonsacetmesclés.Ilfronçalessourcils.—Marksestdelafête?—Jen’ensaisrien.
Jemelevai,passailabandoulièredemonsacsurmonépaule.Un peu partout à l’étage, on entendait le bruit des aspirateurs. Il n’y avait plus que la
moitiédeslumièresallumées.Endehorsdel’équipedeménage,iln’yavaitplusqueThomasetmoidansl’aileouest.
Sonexpressionmefitpeine.—Vousvoulezvenir?—SiValestlà,ceseraitmoinsgênantavecMarks,dit-ilenselevant.—Jesuisd’accord.Jeréfléchisuninstantpuisleregardai.—Invitez-le.Ilyeutuneétincelledanssonregard,et ilressortitsontéléphonepourtaperunrapide
texto.Quelquessecondesplustard,l’appareilbipa.Ilmeregarda.—Où?—Unbistrot,enville,leKansasCityBarbecue.Ileutunpetitrire.—Ellevousfaitfairelatournéedutouristedebase?—C’estlebardeTopGun.Ellem’aditqu’enarrivantici,ellen’avaitpasfaittoutça,et
queçaluiavaitmanqué.Maintenant,elleauneexcuse.Thomaspianotasursontéléphone,etsonsourires’élargit.—OK.VapourleKCBarbecue.
J’étaisassisesurlederniertabouret,auboutdubar,etjeregardaisautourdemoidansla
salle. Lesmurs étaient couverts de souvenirs du tournage de Top Gun – posters, photos etportraitsdédicacésdesacteurs.Maisàmesyeux,endehorsdujuke-boxetduvieuxpiano,cetendroitn’avaitrienàvoiraveclebardufilm.
Val et Marks étaient en grande conversation à propos des différents avantages etinconvénients du 9 mm par rapport au Smith &Wesson standard. Nous étions équipés dusecond, certains membres du Bureau avaient déposé une requête pour le premier. Thomasétait à l’autreboutdubar enL,debout aumilieud’unpetit troupeaudeCaliforniennesquiaurait faitbavern’importequelBeachBoy.Ellesbuvaient,pouffaientderireet jouaientauxfléchettes,applaudissantchaquefoisqueThomasmettaitdanslemille.
Cederniernesemblaitpasparticulièrementflattéd’êtrel’objetdeleurattention,maisilpassait un bonmoment, et lançait de temps à autre un regard dansma direction, avec unsouriredétendu.
Ilavaitretirésavesteetroulésesmanchesdechemise,révélantsesavant-brashâlésetmusclés. Sa cravate était desserrée, et le premier bouton de sa chemise défait. Je refoulaiscomme je pouvais la vague de jalousie qui menaçait de me submerger chaque fois que jeposaislesyeuxsursonfan-club,maisjesentaisencorelapuissancedesesbrasautourdemoi,meplaçantdansdifférentespositions,etpliantavecsouplessetandisqu’ilme…
—Liis!ditValenclaquantdesdoigtssousmonnez.T’aspasécoutéunmotdecequejeviensdedire,jemetrompe?
—Non,dis-jeenfinissantmonverre.Jevaisyaller.Ellefeignitdefairelamoue,maissouriaitenmêmetemps.—Commentça,non?Detoutefaçon,t’aspersonnepourteraccompagner,tupeuxpas
partir.—J’aiappeléuntaxi.Cettefois,jevisdanssonregardqu’ellesesentaittrahie.—Commentpeux-tumefaireunechosepareille?—Àlundi,répondis-jeenprenantmonsac.—Lundi?Etdemain,alors?Tuvasquandmêmepasgâcherunsamedisoir?—Ilfautquejefinissededéballermescartons,etj’aimeraispasserunpeudetempsdans
l’appartementquejeloue,figure-toi.—OK,OK,trèsbien,dit-elleenfaisantvraimentlatête,cettefois.—Salut,Liis,ditMarksavantdeseretournerversVal.Je sortis, adressai un sourire poli aux clients assis dehors, dans le patio. La guirlande
lumineuse multicolore qui égayait l’endroit me donnait l’impression d’être en vacances. Jen’avaistoujourspasintégrélefaitquemétéoclémenteetvêtementslégersfaisaientdésormaispartie de mon quotidien. L’époque où je devais traverser la toundra gelée de Chicagoengoncéedansunedoudouneétaitrévolue,jepouvaismebaladerenrobed’étéetsandalessij’enavaisenvie,etcemêmetarddanslasoirée.
—Vouspartez?medemandaThomas,enmerejoignantd’unpaspressé.—Oui.J’aimeraisenfinvidermesdernierscartonsceweek-end.—Laissez-moivousraccompagner.—Vousavezl’air…occupé,dis-jeenmepenchantendirectiondesesgroupies,del’autre
côtédelavitre.—Maisjenelesuispas.Et il me regarda d’un air de connivence qui laissait entendre que je le connaissais
pourtantmieuxqueça.Quandilmeregardaitdecettemanière,jemesentais…unique.Le cœur battant, je suppliai l’once de haine qui subsistait en moi à son égard de se
manifester.—Vousnemeraccompagnezpas.Vousavezbu.IlposasaCoronaencoreàmoitiépleinesurlatablelaplusproche.—Jepeuxconduire.Jevousassure.Jejetaiuncoupd’œilàmamontre.—Jolie,ditThomas.—Merci. C’était un cadeau d’anniversaire demes parents. Jackson ne comprenait pas
pourquoijem’entêtaisàporteruntrucaussipetit,etsanschiffres,enplus.
Thomasposalamainsurmamontre,etrefermasesdoigtsautourdemonpoignet.—S’ilvousplaît,laissez-moivousraccompagner.—J’aidéjàappeléuntaxi.—Ils’enremettra.—Je…—Liis…LamaindeThomas glissa demonpoignet àmamain, et ilm’entraîna endirectiondu
parking.—…jevaisdanscettedirection,detoutefaçon.Lachaleurdesonsouriremerappelal’inconnuquej’avaisramenéchezmoietnonl’ogre
quime tourmentait aubureau. Il neme lâcha lamainqu’une fois à côtéde saLandRover.Elle semblait avoir le même âge que moi, mais Thomas y avait visiblement apporté desaméliorations,etl’intérieurétaitd’unepropretéimmaculée.
Ils’installaauvolant.—Quoi?demanda-t-ilenremarquantmonexpression.—C’estjusteque…drôledevoiturepourconduireenville,non?— Je suis d’accord,mais je n’arrive pas àm’en séparer. On a vécu beaucoup de trucs
ensemble.Jel’aiachetéesureBayquandj’aiétémutéici.J’avais laissémaToyotaCamryàChicago.Jen’avaispaseudequoi la fairetransporter
jusqu’enCalifornie,etfairelaroute–interminable–jusqu’icinem’avaitpastentée.Alorselleattendait,devantchezmesparents,avecunpanneau«Àvendre»etmonnumérodeportableécritauvernisàonglesblancsurlepare-brise.Jen’avaispaspenséàeBay.J’étaistellementrésolueànepluspenseràJacksonetà toutceque je laissaisderrièremoiquecesdernierstemps, je n’avais pensé à rien ni personne ayant un rapport quelconque avec Chicago. Jen’avaisappelénimesanciensamisnimesparents.
Thomasme laissaàmespensées,perdudans lessiennes tandisqu’ilnousramenait.Mamainsesentaitabandonnéedepuisqu’il l’avait lâchéepourouvrirmaportière. Il segaraet,enparfaitgentleman,contournalavoitureàpetitesfouléespourvenirm’ouvrir.Unenouvellefois, j’essayaidenepas espérerqu’ilmeprendrait lamain, en vain.Thomas, cependant,nemanquapasderéduiremesespoirsànéant.
Lesbrascroisés,faisantcommesi,detoutefaçon,jen’auraispasacceptésamain,jemedirigeai vers l’immeuble. À l’intérieur, Thomas appela l’ascenseur et nous attendîmes ensilence.Quandlesportess’ouvrirent,ilm’invitaàmonter,maisnemesuivitpas.
—Vousnemontezpas?—Jenesuispasfatigué.—Vousretournezaurestaurant?Ilréfléchituninstant,etsecoualatête.—Non,jecroisquejevaisjusteallerenface.
—AuCutter’s?—Sijemonteavecvous,là,maintenant…Lesportesserefermaient, iln’eutpasletempsdefinirsaphrase.L’ascenseurmontales
cinqétagesetmelibéra.Mesentantridicule, jecourusauboutducouloiret,parlafenêtre,visThomastraverserlarue,mainsdanslespoches.Uneétrangetristessem’envahit,jusqu’àcequ’ils’arrêteetlèvelatête.Quandsonregardtrouvalemien,unsouriredouxsedessinasurses lèvres. Je lui fis un petit signe de lamain, il répondit de lamême façon et reprit sonchemin.
Mesentantàlafoisgênéeeteuphorique,jemedirigeaiversmaporte,fouillantmonsacàlarecherchedemesclés.Letrousseautintacontrelepanneauquandjetournailapoignéeetpoussailaporte.Jerefermaiaussitôtderrière,mislachaînedesécuritéetfermaileverrou.
Dansmonsalon,lespilesdecartonscommençaientàressembleràdesmeubles.Jelaissaiglissermonsacdemonépauleet leposaisur lapetitetable,puisretiraimeschaussures.Lanuits’annonçaitlongueetsolitaire.
Trois coups forts, àmaporte,me firent sursauter.Sansmême regarderpar le judas, jedéfisleverrou,retirailachaîneetouvrissigrandquelecourantd’airmedécoiffa.
—Salut,dis-jeenclignantlesyeux.—Prenezpascetairdéçu,répliquaSawyerenentrantavantmêmequejel’yinvite.Ils’assitsurlecanapéets’étira.Ilavaitl’airplusàl’aisequemoidansmonappartement.JeneprismêmepaslapeinededemanderàunagentduFBIcommentilconnaissaitmon
adresse.—Qu’est-cequevousfouteziciàuneheurepareille,sansprévenir?—Onestvendredi. J’aiessayédevousparler toute la semaine.J’habite l’immeubled’à
côté.J’étaisdehorset je fumaismacigaretteélectroniquequandjevousaivuerentrer,avecMaddox.Etdeuxminutesplustard,ilestressorti,maissansvous,endirectionduCutter’s.
—J’aidumalàvoirenquoicelaconstitueuneinvitation.—Désolé,dit-ild’untonsignifiantclairementqu’ilnel’étaitpaslemoinsdumonde.Je
peux?—Non.—C’estàproposdupetitfrèredeMaddox.Jenepusdissimulermasurprise.—Qu’est-cequ’ila?Ravid’avoirenfinmonattention,Sawyerreprit:—Vousavezluledossier?—Oui.—Enentier?—Oui,Sawyer.Arrêtezdemefaireperdremontemps.
— Vous avez lu la partie concernant Benny qui essaie d’embaucher Travis ? Le grandpatron a ordonné àMaddox de faire collaborer son frère. Il a des infos de première mainauxquellespersonned’autren’aaccès.
—Jesaisdéjàtoutça.Jenevoulaispasqu’ilapprennequeTravisavaitdéjàétéproposéau recrutement.Mes
tripesmeconseillaientdegardercedétailpourmoi.—Voussaviezaussiquec’estuneidéedemerde?C’estducôtéd’AbbyAbernathy,qu’il
fautcreuser.—Ellenes’entendpasavecsonpère.Travisestl’optionlaplusviable.—Elle a emmenéTravis à Las Vegas etmenti pour qu’il ait un alibi. Trenton était au
combat.Ilsavaitquesonfrèreyétait.Toutelafamillelesavait.—SaufThomas.Ilpoussaunsoupirdefrustration,posalescoudessursesgenoux.—Ahbon,c’estThomas,maintenant?Jeluirenvoyaiunregardnoir.—ÇafaitunanquejesuggèreàThomasqu’onseserved’Abby.Ellenousseraitplusutile
queTravis.—Jenesuispasd’accord,dis-jesimplement.Ilglissajusqu’auboutducanapéetlevalesmains.—S’ilvousplaît,écoutezjustecequej’aiàdire.— À quoi bon ? Si Travis découvre que nous avons contraint sa femme à coopérer,
l’opérationexploseraenvol.—Donclameilleureoption,c’estdelemettredanslaconfidence,lui,leplusinstabledu
lot?Defairedeluiuninformateur?—JepensequeMaddoxconnaîtsonfrère,etquec’est luiquidirigecetteaffaire.Nous
devonsluifaireconfiance.—Vousleconnaissezdepuisàpeineunesemaine.Vousluifaitesconfiance?—Non,mêmepasunesemaine.Etoui.Etvousdevriez,vousaussi.—Ilesttropimpliquédanscetteaffaire.C’estsonfrère.Mêmelegrandpatronesttrop
impliqué. J’ai du mal à comprendre pourquoi, mais il a pratiquement adopté Maddox. Ilsdevraient le savoir, pourtant, qu’il ne faut pas toutmélanger. Ce n’est pasmoi qui tiens àjouerlesemmerdeurs,c’estjustequ’àunmoment,fautêtreraisonnable.Seulementpersonnene m’écoute, et ça me rend dingue. Et puis vous déboulez, je me dis : « Enfin quelqu’und’indépendant,àunpostededirection,jevaispouvoirdéfendremonpointdevue.»MaisquejesoisdamnésiMaddoxn’essaiepaspartouslesmoyensdem’empêcherdevousparler.
—Surcedernierpoint,jevousrejoins.—Lepire,c’estqueplusjegueule,moinsilsentendent.—Peut-êtrequevousdevriezparlerplusdoucement.
Sawyersecoualatête.Ilregardaautourdelui,etsonregardfurieuxs’adoucit.—NomdeDieu,Lindy.Vousavezbesoind’aidepourdéballertouscescartons?J’avais envie de l’envoyer balader, mais avec deux bras supplémentaires, tout irait
tellementplusvite…—Àvraidire…Illevalesmainsunenouvellefoispourm’interrompre.—Jeconnaismaréputationaubureau.Etj’enassumelamoitié…OK,l’essentiel.Maisje
nesuispastoutletempsunconnard.Jevousaideetjerentrechezmoi,promis.—Jesuislesbienne,lâchai-jeavecunairméchant.—Çam’étonnerait.—D’accord,mais il y a plus de chances que je le devienne plutôt que je couche avec
vous.—Noté.Mêmesijevoustrouvesuperséduisante–etj’avouequedanslavraievie,jeme
mettrais en quatre pour vous raccompagner chez vous après un verre en ville.Mais sachezquandmême que tout connard et queutard que je suis, je ne suis pas complètement idiot.Jamaisjenecoucheraisavecmapatronne.
Je ne pusm’empêcher de rougir, et tournai le dos à Sawyer. Son charme d’hommeduSud ne me laissait pas indifférente. Mais la raison me soufflait que pour toute femmecherchantlerespectouunerelationdurable,cetypeétaitunepertedetemps.
Sawyer était peut-êtreun collectionneurde conquêtes, et peut-être aussi, la plupartdutemps, un connard, mais au moins était-il pour la transparence. Maintenu à distance, ilpouvaittrèsbiendevenirunatout,etmême,pourquoipas,unami.
Jepointaiundoigtendirectiondelacuisine.—Jesuggèrequ’onsetutoie,etqu’oncommenceparlà.
7
J’ouvris lesyeuxdansunechambrepratiquementenordre.Tousmesvêtementsétaientsoit sur des cintres dans la penderie, soit pliés et rangés dans les tiroirs de la commode.Sawyeretmoiavionsréussiàvider tous lescartons,etmêmefaire leménagederrière–nerestaientquequelquessacsetcartonsaplatisetentassésprèsdelaported’entrée.
Ensweatgriset joggingbleu, j’enfilaimarobedechambreenpolaireblancetouvris laportedemachambrepourcontemplerlesalonetlacuisine.Ils’agissaitenfaitd’uneseuleetmêmepièce,partagéeendeuxparunplandetravailquifaisaitofficed’îlotcentral,etmêmedetablepourlepetitdéjeuner.
Monappartementn’étaitpasimmense,mais jen’avaispasbesoindebeaucoupd’espace.Lesimplefaitd’avoirunendroitàmoitouteseulemedonnaitenvied’inspirerungrandcoupetdetournoyersurmoi-même,commeMariadansLaMélodieduBonheur– jusqu’àcequejemesouviennequejen’étaispasseule.
Sawyerétaitallongésur lecanapé,etdormaitencore.Nousavionsvidéunpeuplusdedeuxbouteillesdevinavantqu’ilnepiquedunez.Ilavaitunbrasrepliésurlevisage.Unpieden chaussette était posé sur le sol, peut-être pour empêcher la pièce de tourner. Je souris.Mêmeivre,ilavaittenuparoleetnem’avaitpasfaitd’avances,etc’estavecuncapitalrespectàsonégardennetteaugmentationquejel’avaislaissésurlecanapépourallermecoucher.
Jefarfouillaisdanslesplacardsdésertsducoincuisine,àlarecherchedequelquechosequi ne brusque pasma gueule de bois, et venais de trouver un paquet de crackers apéritifquandonfrappaàmaporte.
Jemedirigeaiversl’entréeàpetitspas,dansmeschaussonsenvichyroseetblanc–uncadeaudeNoëldemamère.Merde,pensai-je,ilfautabsolumentquejel’appelleaujourd’hui.
Aprèsavoirretirélachaîneetleverrou,j’entrouvrislaporte.—Thomas?fis-je,surprise.—Salut.Jesuisdésolédevousavoirlâchée,hiersoir.—Vousnem’avezpaslâchée.
— Vous vous levez seulement ? demanda-t-il en baissant les yeux sur ma robe dechambre.
J’ajustaimaceinture.—Oui.J’aifaitlafêtetoutendéballant.—Vousavezbesoind’aide?—Non,j’aiterminé.Sonregardsepromenaunpeupartout,soninstinctdelimierenmarche.J’avaisdéjàvu
cetteexpressiontantdefois.—Vousêtesvenueàboutdetouscescartonstouteseule?Devantmonhésitation,ilposaunemainsurlaporteetpoussalentement.Sacolèrefutinstantanée.—NomdeDieu,maisqu’est-cequ’ilfoutlà?Jerepoussailaportedansl’autresens.—Ildortsurlecanapé,Thomas.N’allezpasvousimaginerdeschoses.Ilsepenchaversmoietmurmura:—Moiaussi,j’aiessayécecanapé.—Allezvousfairefoutre.Jevoulusrefermerlaporte,maisilm’enempêcha.—Jevousavaisditdemeprévenirs’ilvousharcelait.—Ilnem’apasharcelée.Nousavonspasséunebonnesoirée.Ilclignalesyeux,fronçalessourcilsetfitunpasenavant.—Sivousvousinquiétezpourvotreimage,murmura-t-il,ilnefallaitpaslaisserSawyer
passerlanuitici.—Vousavezbesoindequelquechose?—Qu’est-cequ’ilvousadit?Vousavezparlédudossier?—Pourquoi?—Répondez,Lindy,dit-ilsansdesserrerlesdents.—Oui,maisjenecroispasqu’ilm’aitditquoiquecesoitquevousnesachiezdéjà.—Ilveutqu’onpersuadeAbbydecoopérer.Jehochailatête.—Et?demanda-t-il.Jefussurprisequ’ilmedemandemonavis.—Votre frèrene la laisserapas faire.Etpersonnellement, jenepensepasqu’onpuisse
faireconfianceàAbby.D’aprèsceque j’ai lu,elleaaidésonpèreàplusieurs reprises,etcemalgréleurrelationdifficile.Elleneletrahirapas.Saufpeut-êtrepourTravis.Maisilfaudraitquenousl’arrêtions,lui,d’abord.Ensuite,seulement,ellepourraitcoopérer.
Thomassoupiraetjem’envoulusd’avoirréfléchitouthaut.—C’estvousquidevriezl’arrêter,dit-il.
—Commentça?—Sinon,jefoutraisenl’airmacouverture,ajouta-t-ilsibasquejel’entendaisàpeine.—Maisvousn’êtespasinfiltré,qu’est-cequevousmeracontez,bordel?Thomassedandinad’unpiedsurl’autre.—C’estcompliquéàexpliquer,et je refusede le fairedeboutdans lecouloiralorsque
Sawyerfaitsemblantdedormirsurvotrecanapé.JemeretournaietvisSawyerouvrirlesyeux.Ils’assit,lesourirejusqu’auxoreilles.— Pour être honnête, je dormais jusqu’à ce qu’il frappe. Il est super confortable, ton
canapé,Lindy!Tul’asachetéoù?demanda-t-ilenretapantlescoussins.Thomasouvritcomplètementlaporteetmontralecouloir.—Dehors.—Vousnepouvezpaslemettredehors,c’estchezmoi,ici,intervins-je.—J’aiditdehors!hurlaThomas,lesveinesdesoncoupulsantsousl’effetdelacolère.Sawyerseleva,s’étira,ramassacequ’ilavaitposésurlatablebasse,cognantsescléssur
lasurfacevitréeaupassage.Aumomentdesortir,ils’arrêta,àquelquescentimètresdemonvisage.
—Àlundi.—Mercipourtonaide,répondis-je.J’aurais voulu lui faire comprendre que j’étais désolée, tout en restant professionnelle,
mais c’était impossible. Sawyer salua Thomas d’un mouvement de tête et se dirigea versl’ascenseur.Quandlesportesdecedernierserefermèrent,Thomasmeconsidérad’unregardsévère.
Jelevailesyeuxauciel.—Arrêtez,unpeu.Vousenfaitestrop,là.Jemedirigeai vers le salon, ilme suivit. Je pris les crackers dans le placard et les lui
tendis.—Petitdéjeuner?Ilsemblasurpris.—Quoi?—J’ailagueuledebois.Alorsjemangedescrackerspourlepetitdéj’.—Qu’est-cequevousvoulezdire,par«j’enfaistrop»?Jeledévisageai.—Jevousplais.—Je…vousêtessympa.Enfin,jetrouve…bredouilla-t-il.—Maisvousêtesmonpatron,vouspensezqu’ilvautmieuxqu’onnesortepasensemble,
etducoup,vousdissuadeztouslesautreshommessusceptiblesd’êtreintéressés.—Jevoisquevousvousêtesmontétouteunethéorie.
J’ouvris le paquet,mis une pile de crackers sur une assiette,me servis un verre d’eautièdeetposailetoutsurleplandetravail.
—Çaveutdirequejemetrompe?—Vousnevoustrompezpas.Maisvousn’êtespasdisponible,jevousrappelle.Peut-être
quejerendsjusteserviceàSawyer.Lescrackerscrissèrentdansmabouche,etlaboucheencotonquejedevaisàmagueule
deboisempira.Jerepoussail’assietteetbusunegorgéed’eau.— Vous ne devriez pas être aussi dur avec Sawyer. Il pense avant tout à l’intérêt de
l’équipe. Vous, vous essayez de sauver votre frère. Cette affaire est importante pour vous.Pouruneraisonquim’échappe,votrefamille ignorequevoustravaillezpour leFBI,etvoilàque vous essayez de convaincre votre frère de rejoindre les rangs du Bureau. On a touscomprisquec’étaitcompliqué,maiscen’estpasuneraisonpourcrachersurtoutes les idéessoumisesparvotreéquipe.
—Vosremarquesnesontpastoujoursexactes,Liis.Parfois,ilfautsavoircreusersouslasurface.
—Lesraisonsquimènentà l’origineduproblèmenesontpastoujourssimples,mais lasolution,si.
Thomass’assitsurlecanapé,visiblementdésemparé.—Ilsnecomprennentpas,Liis.Etvousnonplus,c’estévident.Voirsacarapacesedésagrégerdevantmoifitcéderlamienne.—Peut-êtrequesivousm’expliquiez,jecomprendrais.Ilsecoualatête,sepassaunemainsurlevisage.—Ellesavaitqueçaarriverait.C’estpourçaqu’elleluiafaitpromettre.—C’estqui,«elle»?Camille?Thomasmeregarda,perdu.—Quelrapport?Etoùest-cequevousêtesallépêcherça,bonsang?Jem’approchaiducanapéetm’assisàcôtédelui.—Est-cequ’onbosseensemblesurcetteaffaire,oupas?—Biensûr!—Alorsilvafalloirqu’onsefasseconfiance.Quanduntrucm’empêchederésoudreune
affaire,jem’occuped’aborddelevirer.—Vousparlezdemoi,là?demanda-t-ilavecundemi-sourire.Notrediscussiondans la salledegymmerevintà l’esprit,et jemedemandaioù j’avais
trouvélecouragededireàmonsupérieurdemelaisserfairemonboulottranquille.—Thomas,ilfautquevoustrouviezunesolution.—Àquoidonc?— À ce qui vous torture l’esprit. Sawyer semble penser que vous êtes trop
personnellementimpliquédanscetteaffaire.A-t-ilraison?
Thomasserenfrogna.— Sawyer a voulu cette affaire dès l’instant où je l’ai présentée au superviseur. Il l’a
vouluequandj’aiétépromusuperviseur.Etil l’avouluequandj’aiéténomméAgentSpécialenChefAdjoint.
— Est-ce que c’est vrai ? Vous avez décroché votre promotion grâce aux contacts quevousaviezdanscetteaffaire?
—GrâceàlarelationentreTravisetAbbyAbernathy,vousvoulezdire?J’attendissaréponse.Ilbalayalapièced’unregardsombre.—Engrandepartie,oui.Maisj’aiaussibossécommeundingue.—Alorsarrêtezdetournerautourdupot,etallonscherchercestypes.Ilseleva,semitàfairelescentpas.—Aller leschercher,c’est lesarrêter,et leplussimplepouryarriver,c’estd’impliquer
monpetitfrère.—Parfait,faisonscommeça.— Ce n’est pas aussi simple. Vous n’êtes quand même pas naïve à ce point, rétorqua
sèchementThomas.—Voussavezcequ’ilfautfaire.Jenesuispassûredecomprendrepourquoivousrendez
lachoseaussidifficile.Thomasréfléchituninstant,puisrevints’asseoiràcôtédemoi.Lesmainsplaquéessurle
basdesonvisage,ilfermalesyeux.—Vousvoulezenparler?demandai-je.—Non,répondit-ild’unevoixétouffée.Jesoupirai.—Voustenezvraimentàtoutgarderpourvous?Ouest-cequelemomentestvenupour
moid’exigerquevousvouslibériez?Ilposasesmainssursesgenoux,selaissatombercontrelescoussins.—Elleavaituncancer.—Camille?—Mamère.L’atmosphère, dans la pièce, devint lourde, au point que je me sentis incapable de
bouger.Derespirer.Jenepouvaisplusqu’écouter.Lesyeuxrivésausol,Thomassemblaitprisonnierd’uncauchemar.—Justeavantdemourir,ellenousaparlé,àchacund’entrenous.J’avaisonzeans.J’yai
beaucouprepensé.Jen’arrivepasà…Ilinspiraprofondémentavantdereprendre.—…àimaginercequecelaadûêtrepourelle,d’essayerdedireàsesfilsenquelques
semainescequ’elleavaitprévudenousapprendrependanttouteunevie.—Jen’arrivepasàimaginercequecelaadûêtrepourvous.
Thomassecoualatête.—Chaquemotqu’elleaprononcé,ycomprisceuxqu’ellen’estpasarrivéeàarticuler,est
gravédansmamémoire.Lovée dans le canapé, la tête sur unemain, j’écoutai Thomas décrire la façon dont sa
mère lui avait tendu lamain, décrire sa voix si belle,même lorsqu’elle ne pouvait presqueplusparler,direcombienilsentaitqu’ellel’avaitaimé,mêmedanslesderniersinstants.JemedemandaisquelgenredefemmeavaitpuéleverunhommecommeThomas,etquatreautresgarçons.Quelgenredepersonneavaitréussiàdireaurevoiravecassezdeforceetd’amourpour que ses fils se sentent soutenus et aimés tout au long de leur enfance ?Ce qu’ilm’endécrivitmenoualagorge.
—Ellem’adit:«Çavaêtretrèsdurpourtonpère.Tuesl’aîné.Jesuisdésolée,jesaisquec’estinjuste,maisc’estàtoiquevarevenirlesoindet’occuperdetesfrères.Maisnefaispasquet’occuperd’eux.Soisunbonfrère.»
Ilfronçalessourcils.Sursonvisage,j’observailesdifférentesémotionsquidéfilaient.Jen’avaisrienvécudetel,jenepouvaisqu’imaginercequ’ilavaittraversé,maisjecompatissais,àtelpointquejedusrésisteràl’enviedeleprendredansmesbras.
—Ladernièrechosequej’aiditeàmamère,c’estquej’allaisessayer.CequejesuissurlepointdefaireàTravisnemedonnepas,maisalorspasdutoutl’impressiond’essayer.
— Ah bon ? demandai-je, dubitative. Et tout le travail que vous avez abattu sur cedossier?Toutel’influencedontvousavezdûuserpourobtenirqu’ilsoitrecrutéetpasenvoyéenprison?
—Monpèreétaitdanslapolice.Vouslesaviez?Thomasmefixadesonregardbrun-vert.Ilperdaitpieddanssonpassé,empêtrédansses
histoiresdefamille,sesremords,sesdéceptions.Jenevoyaisguèreenquoisonhistoireauraitpuêtrepire.Quelquepartaufonddemoi,
jeredoutaisqu’iln’admetteavoirétémaltraité.Jesecouailatête,hésitante.—Et…ilvousbattait?Unegrimaced’horreurtorditlevisagedeThomas.—Quoi?Non!Non,jamaisdelavie!Puissonregardseperditdenouveaudanslevague.—DisonsjustequePapaabaissélesbraspendantquelquesannées.Maisc’estquelqu’un
debien.—Quevoulez-vousdire?—C’était juste après quemamèrem’a parlé pour la dernière fois. Je pleurais dans le
couloir, à côté de la porte de la chambre. Je voulais pleurer un bon coup, pour que lesgarçonsnemevoientpas.J’aientenduMamandemanderàPapadedémissionner,iltravaillaitaupostedepoliceduquartier.Elleluiafaitpromettredenejamaislaisserl’und’entrenousprendre sa suite. Elle avait toujours été fière de lui, de son travail,mais elle savait que sa
propredisparitionseraituncouptrèsdur,etnevoulaitpasquePapacontinuedansunevoiequi pouvait fairedenousdesorphelins. Papaadorait sonboulot,mais il a promis. Il savaitqueMaman avait raison.Notre famille n’aurait jamais pu se relever d’une autre perte aussiterrible.
Ilsetutuninstant,passasonpoucesurseslèvres.—OnestpasséstropprèsdugouffreavecTrentonetTravis.Ilsontfaillimourirdanscet
incendie.EtAbbyaussi.—Est-cequevotrepèreestaucourant?—Non.Maiss’illeurétaitarrivéquelquechose,iln’auraitpassurvécu.Jeposaiunemainsursongenou.—Vousêtesunagentfédéraltrèsdoué,Thomas.Ilsoupira.—Ilsneverrontpaslachosesouscetangle.J’aipassélerestedemonenfanceàessayer
d’êtreungrand.Desnuitsentières,j’aicherchéquoifaired’autre.Jenepouvaispasempêchermonpèredetenirlapromessequ’illuiavaitfaite.Ill’aimaittrop.Jenepouvaispasluifaireunechosepareille.
Jeluiprislamain,laserraidanslamienne.Sonhistoireétaittellementplusdouloureusequejenel’avaisimaginé.Ildevaits’envouloirenpermanence,d’aimerleboulotqu’iln’auraitjamaisdûaccepter.
—PostulerauFBIaétéladécisionlaplusdureetlaplusexcitantedemavie.J’aiessayédeleurenparlertantdefois…Maisjen’aipaspu.
—Vousn’êtespasobligédeleluidire.Sivouspensezvraimentqu’ilnecomprendrapas,nelefaitespas.C’estvotresecret.
—Etbientôt,ceseralesecretdeTravisaussi.—Siseulementvouspouviezenvisagerleschosesdemonpointdevue…Enfaisantcela,
vousleprotégezdelaseulefaçonpossiblepourvous.—C’estmoiquiaiaidéTravisàdevenirpropre.Jeluiaidonnésonbaintouslessoirs.
Mon père nous aimait, mais la disparition demamère l’avait anéanti. Et pendant quelquetemps,audébutdesonnouveauboulot,ilanoyésonchagrindansl’alcool.Ils’enestsorti.Ils’excuse chaque fois qu’il peut d’avoir choisi de s’évader plutôt que de faire face.Mais c’estmoiquiaiélevéTravis.Quiaisoignésesbobos.Jemesuisbattujenesaiscombiendefoisàcausedelui,etàsescôtés,aussi.Jenepeuxpaslelaisserallerenprison.
Savoixsebrisa.—Cen’est pas ce que vous allez faire. Ledirecteur a acceptéde le recruter. Il va s’en
sortir.—Vousnecomprenezpasmasituation.Travisvadevoirmentirànotre familleetàsa
femme,commejel’aifait.Maismoi,jel’aichoisi,etjesaiscombienc’estdifficile,Liis.Travisn’a pas le choix, lui. Non seulement Papa sera déçu, mais Travis sera infiltré. Seuls le
directeuretnotreéquipeserontaucourant. Ilvadevoirmentiràtousceuxqu’ilaimeparcequejesavaisquesescontactsavecBennymepermettraientdedécrochercettepromotion.Jesuissonfrère,bordel.Quelgenredetypefaitunechosepareilleàsonfrère?
Ilsedégoûtait,etc’étaitdifficileàregarder.Maisquedirepourtenterdelefairechangerd’avis?
— Vous n’avez pas fait cela uniquement pour la promotion. C’est ce que vous vousrépétez,maismoi, jen’y croispas,dis-jeen serrant samaindans lamienne.Etvousn’avezpas forcé votre frère à basculer dans l’illégalité avec ces combats. Vous essayez juste de luiépargnerlesconséquencesdesesactes.
—C’estunmôme,ditThomasd’unevoixtremblante.Ilvaavoirvingtetunans,bordel.C’estunmôme,et jel’ai laissétomber.JesuispartipourlaCaliforniesansmeretourner,etmaintenant,ilestdanslamerde.
—Écoutez-moi,Thomas.Vousdevezabsolumentclarifier toutceladansvotreesprit.SivouspensezquelerecrutementdeTravissefaitpourdemauvaisesraisons,alorsvouspouvezêtresûrqu’iln’accepterapasvotreproposition.
Ilrefermasesmainssurlesmiennes.Puisilportamesdoigtsàseslèvresetlesembrassa.Jemesentisoscillerimperceptiblementverslui,commemueparunepousséegravitationnelleque jenecontrôlaispas.Obnubiléeparses lèvressurmapeau, j’endevenais jalousedemespropresmains.
Jamais jen’avais désiré aussi ardemment enfreindremespropres règles.Ma conscienceétait enguerre contreelle-même.Le soiroù j’avaisdécidédequitter Jackson, jen’avaispaséprouvélequartdesémotionsconflictuellesquejeressentaisencetinstant.Thomasavaitsurmoiuneffetmerveilleux,maisexaspérantetterrifiant,aussi.
—Jemesouviensdel’hommequej’airencontré,lorsdemapremièresoiréeici.Loindetoute lapressionquivaavec lagestiond’unebrigadede terrainou lanécessitédeprotégersonfrère.Quoiquevousvousdisiez,Thomas,vousêtesunhommebien.
Ilmeregardaetretirasamain,indigné.—Jenesuispasunsaint!Si jevousracontaiscequis’estpasséavecCamille,vousne
meregarderiezpascommeça!—Vousavezmentionnéqu’elleétaitavecTrenton.Jepeuxdevinerlereste.Ilsecoualatête.—C’estpirequecequevouspensez.—Pourmoi,aiderTravisàéviterlaprisonestunefaçond’expier.—Çan’arienàvoir.Ilseleva.Jevoulusl’attraperparlebras,maisleratai.Jenevoulaispasqu’ils’enaille.
J’avaistouteunejournéedevantmoietplusunseulcartonàdéballer.Maintenantqu’ilétaitdansmonsalon,Thomassemblaitoccuperl’espace,etj’avaispeurdemesentirtropseules’ilpartait.
—Onpeutyarriver,voussavez.Travisresteraen liberté. Ilvivraavecsa femme,auraunbonboulot.Toutirabien.
—Yaintérêt.Dieum’estredevable.Etpasqu’unefois.Iln’étaitplusdansmonsalon.Ilétaitàdesannées-lumièredemoi.— Ce qu’il faut, c’est rester concentré. Cette affaire doit être réglée avec précision et
application,notregrandœuvreàvousetmoi.Ilhochalatête,réfléchissantàcequejevenaisdedire.—EtCamille?demandai-je.Est-cequevousaveztoutréglédececôté-là?Thomassedirigeaverslaporte,posalamainsurlapoignée.—Uneautrefois.Onasuffisammentmisdechosesàplatpouraujourd’hui.Quandlaporteclaquaderrière lui,matêtes’enfonçaentremesépauleset je fermai les
yeux. Les quelques décorations que Sawyer avait accrochées auxmurs vibrèrent un instant,puis ce fut le silence, et je retombai contre les coussins en soupirant. Thomas était censém’aideràledétester,maisaprèscequ’ilvenaitdepartageravecmoi,c’étaitimpossible.
Jemedemandaiqui,auFBI,étaitaucourantdesasituationpersonnelle–sesfrères, ledossierVegas,etlefaitqu’ilcachaitsonactivitéprofessionnelleàsafamille.Marks,peut-être,l’AgentSpécialenChefprobablement,etledirecteur,forcément.
Thomasavaitfaitdemoisapartenairesurcetteaffaire.Pouruneraisonquej’ignorais,ilavaitconfianceenmoi,etsansquejesachepourquoi,celamedonnaitenviedebosserdeuxfoisplusdurpourlarésoudre.
Val m’avait dit que Thomas avait un cercle de proches qui lui étaient loyaux, et qu’ilfallaitfaireattentionàcequejedisais.Désormais,jefaisaispartiedececercle,etjen’arrivaispas à savoir si c’était parce qu’il avait besoin demes talents – aumême titre que ceux deSawyer–oujusteparcequ’ilavaitbesoindemoi.
Jecachaimonvisagedansmesmains,repensantàseslèvressurmapeau.Enfait,j’auraisaiméquecesoitpourlesdeux.
8
—C’esthorsdequestion,répondis-jeàl’agentDavies.Assiseenfacedemoi,tendue,elleserralesdents.—Vousn’aurezpas troismillionsdedollarssortisde lapocheducontribuablepourun
planbancal.— Il n’est pas bancal, agent Lindy. Il est expliqué là, dans le dossier. En virant trois
millionssurcecompte,nousgagnonslaconfiancedeVick.—Laconfianced’unhommedemaincommeVick,jevouslaisseimaginercequ’ellevaut
àmesyeux.—Troismillions?hasardaDavies,reprenantpresqueespoir.—Non.Arrêtezdemefaireperdremontemps.Jepianotaisurmonclavier,vérifiantmonplanning.Val et moi avions rendez-vous à l’heure du déjeuner chez Fuzzy, puis il fallait que je
demande à Thomas si je pouvais parler à l’autre spécialiste en langues étrangères, l’agentGrove,àproposd’inexactitudesquej’avaisrelevéesdanssatraductiond’écoutes.
Daviesselevaenclaquantunemainsurmonbureau.—Rasleboldespète-secquiseprennentpourlepatron,grommela-t-elleensedirigeant
verslaporte.—AgentDavies,lançai-je.Elle se retourna, sa longue queue-de-cheval suivit le mouvement. Son expression
exaspéréesedurcitlorsquesonregardcroisalemien.—Ilvafalloirquevousvousmettiezdeux-troischosesdanslecrâne.D’abord, jeneme
prendspaspour lepatron, jesuis lepatron,encequivousconcerne.Ensuite, jenesuispaspète-sec,j’aidel’autorité,c’esttout.
LeregardsévèredeDaviess’adoucitunpeu,elleclignalesyeux.—Bonnejournée,agentLindy.—Demême,agentDavies.
Je lui fis signe de fermer la porte derrière elle, et mis mes écouteurs pour prendreconnaissancedudossiernumériquequem’avaitenvoyéThomaslematinmême.
La traduction des écoutes, effectuée par l’agent Grove quelques jours plus tôt, étaitprécise,endehorsdecertainsélémentsclés.Ducoup,l’ensemblesemblaitclocher.D’abordunchiffre ici, un autre là, et puis Grove citait un suspect par le mauvais nom, et laissaitcarrémentdecôtéd’autresdétails.
Jeretiraimesécouteursetsortisdemonbureau.Dansl’openspacedelabrigade,jevisqueGroven’étaitpasàsonbureau.
—Val,demandai-je.TuasvuMaddox?Ellemerejoignit,unpetitpaquetdechipsdansunemain,léchantleselsursesdoigtsde
l’autre.—Ilfaitpasserunentretienàquelqu’unauCentred’AccueildesTalibans.Jefronçailessourcils.—Ahbon?Onvavraimentl’appelercommeça?—C’estcommeçaquetoutlemondel’appelledéjà.Val faisait allusion au bâtiment à unmillion de dollars qui se trouvait juste devant le
nôtre–àplusieursdizainesdemillionsdedollars.Ilavaitétéconstruitpourfaireofficedesasde sécurité par lequel passaient tous les visiteurs, et dans lequel il était prévu que nousinterrogionstoutepersonneprésentantunintérêtpournosdossiers.Decettefaçon,siquiquece soit tentait d’introduire des explosifs dans nos locaux, le bâtiment principal ne risquaitrien.
Quelqu’un avait surnommé cet endroit le Centre d’Accueil des Talibans et, pour uneraisonobscure,l’appellationluiétaitrestée.
Je tapotaimonbadge–unehabitudeque j’avaisprisepourm’assurerque je l’avais surmoiavantdesortir–etquittail’openspacedelabrigade.D’ordinaire,latraverséeduparkingen direction de l’autre bâtiment était agréable, mais ce jour-là, de lourds nuages grisplombaientl’horizon,etàpeineétais-jesortiequed’énormesgouttesdepluies’écrasèrentsurlebitume.
Une odeur métallique planait dans l’air, et j’inspirai profondément. J’avais passél’essentiel de la semaine précédente entre quatre murs, chose à laquelle je n’étais paspréparée. Travailler dans un bureau à Chicago quand la température avait chuté bien endessousdezéro,c’était facile.Bossercommeunedingueparbeautempss’avéraitplusardu,surtoutque les journéesagréablesdéfilaient lesunesaprès lesautressanssemblerannoncerautrechosequedusoleiletdeladouceur.
Jelevailesyeux,visleséclairszébrerleciel,enborduredelaville.Êtreaubureaupartempsorageuxseraitmoinspénibleàaccepter.
Je poussai les lourdes portes de verre et m’ébrouai. J’étais trempée, mais de bonnehumeur.
J’adressai un grand sourire à l’agent qui tenait la réception. Mon optimisme nel’impressionnapas,pasplusquemesmanièresetmatenuedégoulinante.
Monsourires’effaça,jemeraclailagorge.—Oùpuis-jetrouverl’agentspécialMaddox?Elle examina longuement mon badge, puis indiqua le couloir derrière elle d’un
mouvementdumenton.—Ilestensalled’interrogatoirenumérodeux.—Merci.Jemedirigeaiverslaportedesécurité,tendismonbadgeverslelecteurenmepenchant
enavant.Commejemesentaisunpeuridiculedanscetteposition,jemepromisdem’équiperauplusvited’unporte-badgerétractable.
Ilyeutundéclic,jepoussailaporte.DanslecorridorsetenaitThomas,seul.Parlavitre,ilobservaitl’agentGroveinterrogerunsuspect,unhommedetypeasiatiqueàl’airmaussade,trèsmince,vêtud’unjoggingrougevif.
—Bonjour,Lindy,mesaluaThomas.Jecroisailesbras,conscientequemonchemisierétaittrempé.—Illecuisinedepuislongtemps?—Non.Lesuspectestplutôtcoopératif.Jelesécoutaiéchangerenjaponais,etpresqueaussitôt,fronçailessourcils.—Qu’est-cequivousamèneparici?demandaThomas.—J’avaisquelquesquestionsàproposdes transcriptionsdeGrove. J’aibesoindevotre
permissionpourluiparler.—C’estàproposdudossierdesyakuzas?—Oui.Ilinspira,sansrienlaisserpercevoir.—Vosfonctionsicisontconfidentielles.—Quelqu’una laisséunepilede ses rapportsdansmaboîte. J’enaidéduit queGrove
savait que j’étais moi aussi spécialiste linguistique et voulait avoir mon avis sur certainspoints.
—C’estdangereux,lesdéductions,Liis.Cesdossiers,c’estmoiquivouslesailaissés.—Ahbon.—Vousaveztrouvéquelquechose?—Pleindechoses,oui.Jeregardailestroispersonnesquisetrouvaientdanslasalled’interrogatoire.Enplusde
l’agentGroveetdususpect,ilyavaitunagentassisdansuncoin,quiprenaitdesnotesavecl’airdemourird’ennui.
—Quiest-ce?demandai-je.
—Pittman.Ilvientdebousillersatroisièmevoituredefonction.Ilvapasserunmomentderrièresonbureau.
JeregardaiThomas.Ilétaitinsondable.—Çan’apas l’airde vous étonner, que j’aie trouvédesbizarreries, dis-je en regardant
Groveàtraverslaglacesanstain.Etlà,parexemple,ajoutai-jeenpointantundoigtsurlui,ilvientdetraduirequeonzeanciensmembresd’uneorganisationdeyakuzashabitentlemêmeimmeublequed’autresindividussurlesquelsenquêteleFBI.
—Et?—Etlesuspect,lui,aditqu’ils’agissaitdemembresencoreactifsd’uneorganisationde
yakuzas, et qu’ils étaient dix-huit, pas onze. SoitGrove est nul en japonais, soit il n’est pasfiable.
Groveselevaetlaissalesuspectseulavecl’agentchargéduprocès-verbal,sortantdelasalled’unpaslourdavantderefermerlaportederrièrelui.Ilfutvisiblementsurprisdenousvoirtouslesdeux,maisseressaisitrapidement.
—AgentMaddox,dit-ild’unevoixnasillarde.Très peu de gens auraient remarqué que ses doigts tremblaient lorsqu’il repoussa ses
lunettessurl’arêtedesonnez.C’étaitunhommeunpeurondouillard,àlapeaucuivrée.Sesyeuxétaient si foncésqu’on les aurait crusnoirs, et samaigremoustachebougeait quand ilparlait.
Delamainquitenaituncafé,Thomasfitungestedansmadirection.—Jevousprésentel’agentLindy,quiestlenouveausuperviseurdelacinquièmebrigade.—J’aientenducirculercenom,réponditGroveenmedévisageant.DeChicago,c’estça?—Purjus.Grove avait l’expression que je remarquais souvent chez ceux qui s’apprêtaient à me
demander si j’étais coréenne, japonaiseouchinoise. Il cherchaitàdéterminer si jeparlais lalanguequ’ilvenaitdetraduire–mal.
—Vouspourriezpeut-êtremedonneruncoupdemain,là.Cetypeaundrôled’accent,c’estpasfacile,dit-il.
Jehaussailesépaules.—Moi?Jeneparlepasjaponais.Maisj’envisagedeprendredescours.—Vouspourriezpeut-êtrel’aider,Grove,ditMaddox.—Commesij’avaisletemps,grommelaGroveensefrottantmachinalementlespaumes,
moitesdetranspiration.—Jedisaisçacommeça.—Jevaismechercheruncafé.Àplustard.Thomaslesaluad’unmouvementdumenton,etattenditquel’agentGroves’enaille.—Bienréagi,dit-ilenregardantPittmanquicontinuaitàgriffonner.—Voussavezdepuiscombiendetemps?demandai-je.
—J’aieudessoupçonspendantaumoinstroismois.J’enaieulecœurnetquandj’airatéune arrestation en déboulant dans une planque vide que je savais bourrée de yakuzas deuxjoursavant.
Jelevaiversluiunregardinterrogateur.Thomashaussalesépaules.— J’avais prévude lui faire traduire les dépositions des sbires deBenny àVegas,mais
après ça, j’ai revumespositions.Et j’aidécidéde fairevenirquelqu’undenouveau,deplusqualifié.
—Quelqu’unquinesoitpasunagentdouble?Thomassetournaversmoiavecunlégersourire.—Pourquoipensez-vousquejevousaifaitvenirici?—Vousallezl’arrêter?Fairequelquechose?—Jedoutequenouscontinuionsàutilisersesqualitésdetraducteur.Jefislagrimace.—Sérieusement.—Jesuissérieux.Thomas reprit avec moi le chemin de l’autre bâtiment, jetant son gobelet de café en
sortant,avantd’ouvrirunparapluie.— Vous devriez investir dans ce genre d’accessoires, Liis. On est au printemps, vous
savez.Il n’avait pas prononcé mon nom de façon aussi cinglante que d’ordinaire, mais plus
doucement, sa langue caressant chaque lettre, et je me réjouis que la pluie nous donnel’excused’unecertaineproximité.
J’évitais les flaques, appréciant qu’il se mette en quatre pour garder le parapluie au-dessus dema tête. Enfin, il se résolut à passer un bras autour dema taille pourme serrercontrelui.Etàchaqueflaque,ilmesouleva,sanseffort.
— Je n’ai jamais aimé la pluie, dit-il comme nous nous arrêtions devant les portes denotrebâtimentetqu’ilsecouaitsonparapluie.Maisjevienspeut-êtredechangerd’avis.
Je lui souris, faisant de mon mieux pour masquer l’euphorie ridicule que cette petiteremarquecharmeuseprovoquaitenmoi.
Unefoisàl’intérieur,Thomasretrouvasoncomportementhabituel.—J’aibesoinpourcesoird’unrapportsurcequevousaureztrouvé.Ilvafalloirqueje
fasseremonterçaàl’AgentSpécialenChef.—Jem’ymetstoutdesuite,dis-jeenmedirigeantversl’ascenseur.—Liis?—Oui?—Vouspensezalleràlasalledegymaujourd’hui?—Non.JedéjeuneavecVal.—Ah.
Lalueurdedéceptionquitraversasonregardmeréchauffalecœur.—Maisj’iraidemain.—OK,dit-ilententantdesurmonterlecoupquevenaitdeprendresonego.S’ilavaiteul’airunpoilplusmalheureux,j’auraisétéincapablederetenirlesourirequi
menaçaitderéunirmesoreilles.Dansl’ascenseur,cependant,l’excitationretomba,etjemeretrouvaitrèsencolèrecontre
moi-même.Engros,jel’avaismisdehorslejourdenotrerencontreparcequej’étaiscertainequeprofiterdema libertéoccuperait toutmontemps.VivreavecJacksonavait finiparêtreétouffant,etunemutationavaitsembléêtrelasolutionidéale.
Qu’est-cequimeprendderéagircommeçafaceàThomas?Jen’aipasenvied’unenouvellerelation, et vu le caractère et le passé de Thomas, je ne comprends pas ce qui, chez lui,me faitperdremesmoyens.
Quoiqu’ilensoit, il fallaitquejemereprenne.Nousdevionsnousconcentrersurnotremission à Saint Thomas, et si les sentiments s’enmêlaient, atteindre notre objectif allait serévélercompliqué.
Lesportesdel’ascenseurs’ouvrirentsurVal,toutsourire.Maisenmevoyant,sonsourires’évanouit.
—Merde,Liis.T’asdéjàentenduparlerd’untrucquis’appelleleparapluie?Jelevailesyeuxauciel.—Àtevoir,oncroiraitquejesuiscouvertedemerdedechien.Cen’estquedelapluie,
quandmême.Elleme suivit jusqu’àmonbureau, se laissa tomberdans l’undesdeux fauteuils, croisa
lesbras,lesjambes,etmefixad’unregardnoir.—Jet’écoute.—De quoi tu parles ? demandai-je en retirantmes escarpins pour les poser devant la
grilled’aération.—Vraiment?Lajouepascommeça,s’ilteplaît.Lescopinesavantlesmecs.Jem’assisàmonbureauetcroisailesdoigts.—Dis-moi justecequetuveuxsavoir,Val.J’aiduboulot.Jecroisquejeviensdefaire
virer–ouarrêter–Grove.—Quoi?s’écriaVal,avantdevitereprendresonairinquisiteur.Écoute,t’espeut-êtreun
asdeladiversion,maisjesaisquandquelqu’unmecachequelquechose,ettoi,Liis,tuasunsecret.
J’enfouismonvisageentremesmains.—Maiscommenttufais?Ilfautquej’yarrive,moiaussi.— Comment ça, comment je fais ? T’as idée du nombre d’interrogatoires auxquels j’ai
assisté?Jelesais,c’esttout.Jepourraisdirequejesuismédium,maisc’estidiot,alorsjedis
juste : « Merci Papa d’avoir été un enfoiré qui trompait sa femme et a bien rodé mondétecteurdeconneries.»
Jeretiraimesmainsetlaregardai,dubitative.—Quoi ? C’est vrai ! s’exclama-t-elle. Je dis la vérité,moi, contrairement à toi. Faux
frère.—Ouille.T’esdure.—Savoirquetonamienetefaitpasconfiance,c’estduraussi.—Cen’estpasunequestiondeconfiance,Val.C’estjustequecelaneteregardepas.Valseleva,contournasonfauteuil,posalesmainssurledossier.—Honnêtement,jepréféreraisquetunemefassespasconfianceplutôtquetugardestes
petitssecrets.Etaussi…t’esplusinvitéechezFuzzy.—Quoi?m’écriai-je.C’estquoi,cedélire?—Non.Fuzzyn’estpasunendroitpour toi. Ilsm’aiment, là-bas,Liis.Tusaiscequeça
veutdire?AlorsplusdeFuzzypourledéjeuner,etplusdeFuzzypourtoujours!Elleavaitarticulé lesdernières syllabes, en insistantbien.Puiselleécarquilla lesyeux,
tournalestalonsetquittamonbureauenclaquantlaporte.Je croisai lesbras,boudeuse.Cinq secondesplus tard,mon téléphone sonna. J’arrachai
presquelecombiné.—Lindy,répondis-jesèchement.—Dépêche.J’aifaim.Jesouris,prismonsacetmeschaussures,etmedépêchaidesortir.
9
—Donc, résumaVal enmâchant, avantd’essuyerunpeudemélangemayo-ketchupaucoinde ses lèvres, tuasun rencardavecMaddoxdans trois semaines.C’est ceque tuesentraindemedire?
—Non,c’estcequetuasréussiàmefaireavouersouslacontrainte.Elle sourit bouche fermée pour ne pas recracher son morceau de hamburger tomate-
bacon.Jeposailementonsurmonpoing,etfislamoue.—Pourquoitutemêlestoujoursdetout,Val?J’aibesoinqu’ilmefasseconfiance.Elleavala.—Combiendefoistel’ai-jedit?Iln’yapasdesecrets,auFBI.Maddoxauraitdûsavoir
quejel’apprendraisunjour.Ilconnaîtmesdons.—Etça,c’estcensésignifierquoi,exactement?—Remballe ta jalousie, Othello. Ce que je veux dire, c’est queMaddox sait qu’on est
potes,etquejereniflelemoindresecretàdeskilomètres.Mieuxqu’unchiend’arrêt.—Unchiend’arrêt?Demieuxenmieux…—Mes parents sont de la campagne. J’y passais tous mes étés, quand j’étais gamine,
répondit-elleenguised’explication.Écoute, tu faisunboulotd’enfercommesuperviseur.Legrand manitou t’a visiblement à la bonne. Tu atterriras à Quantico avant de pouvoir dire«liaisonaubureau».
Jefaillism’étrangleravecmafrite.—Arrête,Val,tum’épuises.—Ilnetelâchepasdesyeuxuneseconde.Jesecouailatête.—Arrête.Ellemefixad’unregardentendu.—Parfois, quand tu passes, il sourit. Je sais pas. C’est plutôtmignon, non ? Je ne l’ai
jamaisvucommeça.—Ferme-la.
—Bon,etpourlemariagedeTravis,alors?—Alorsonvapasserunenuitdansl’Illinois,etensuite,onpartpourSaintThomas.LesouriredeValétaitcontagieux.J’étouffaiunpetitrire.—Quoi?Arrêteunpeu,Val!C’estduboulot.Ellemejetaunefrite,etmelaissaterminermonrepastranquille.Deretourdansl’open
space,commenouspassionsdevantlebureaudeMarks,celui-cifitsigneàVal.—Hé!OnseretrouveauCutter’s,cesoir?—Cesoir?Non,ilfautquejefassedescourses.—Descourses?Tunefaisjamaislacuisine!—Dupain.Dusel.Delamoutarde.Jen’aiplusrien,réponditVal.—T’asqu’àmerejoindreaprès.Maddoxseralàaussi.L’espaced’un instant,sonregardflottadansmadirection,suffisamment longtempspour
mefairerosir.Jebattisenretraitedansmonbureaupournepasparaîtreimpatiented’ensavoirplussur
lesprojetsdeThomaspour la soirée. Je venaisdem’asseoir surmon trôneetd’ouvrirmonordinateurquandSawyerfrappaàmaporteentrouverte.
—Jedérange?demanda-t-il.—Oui,dis-jeenouvrantmaboîtemail.Devantl’abondancedecourrier,jefislagrimace.— Mais comment c’est possible, un truc pareil ? Je m’absente pendant une heure et
quandjereviens,j’aitrente-deuxnouveauxmessages.Sawyerplongeasesmainsdanssespochesets’appuyacontrel’encadrementdemaporte.—Onadesbesoins.Ilyenaundemoidansletas.—Super.—Çateditd’allerauCutter’s,cesoir?—C’estleseulbarduquartier?Ilhaussalesépaules,avançajusqu’àmonbureauetselaissatombersurl’undesfauteuils,
jambesécartées,mainscroiséessurlapoitrine.—Tun’espasdansmonsalon,Sawyer.—Pardon,madame,dit-ilenseredressant.LeCutter’sest juste l’endroitoùonva tous.
Onestnombreuxàvivredanslequartier,etc’esttoutprès.—Pourquoiest-cequ’onesttantàvivredanslecoin?—LeserviceLogementestenchevilleaveclespropriétairesduquartier.C’estassezprès
dubureau.C’estuncoinsympa,etabordable.Ilsourit.—JeconnaisunpetitrestaudansMissionHill.LeBrooklynGirl.Unendroitassezunique.
Çateditd’essayer?—C’estoù,MissionHill?
—Àdixminutesdecheztoi.Jeréfléchisuninstant.—Justepourdîner,OK?Cen’estpasunrencard.—Ouhlà,non!Àmoinsquetuveuillesquejet’invite.J’eusunpetitrire.—Non.VapourleBrooklynGirl,à20h30.—Yeeessss,dit-ilenselevant,poingsserrés.—Jetedemandepardon?—Jenemangeraipastoutseul.Jefêtaisça.—Fiche-moilecamp,dis-jeenluiindiquantlaporte.Sawyer s’éclipsa. Quelques instants plus tard, je vis que ma porte était restée
entrouverte,etqueThomassetenaitjustederrière.Ilavaitencorelescheveuxhumidesaprèssonpassageàlasalledegym.
—Vousêteslàdepuislongtemps?demandai-je.—Suffisamment,oui.Jeneprismêmepaslapeinedereleverlaprovocation.—Vousdevriezvraimentarrêterdesquatterleseuildemonbureau.C’estflippant.Il soupira, referma la porte derrière lui. Puis il s’approcha de mon bureau, s’assit, et
attenditpatiemmentquejeconsultemese-mails.—Liis.—Quoi?—Qu’est-cequevousfaites?—Jelismesmessages.Ças’appelleaussitravailler.Vousdevriezessayer.—Vousm’appeliez«patron»avant.—Parcequevousm’yobligiez.Unlongsilencemefitquittermonécranpourmepenchersurlecôtéetleregarder.—Nemeforcezpasàmejustifier.—Vousjustifierdequoi?demanda-t-il,l’airréellementintrigué.Jedétournaileregard,agacée,etfinisparcéder.—Cen’estqu’undîner.—AuBrooklynGirl.—Etalors?—C’estmonrestaurantpréféré.Illesait.—Bonsang,Thomas.Cen’estpasunconcours!Ilréfléchitàcettedernièreremarque.—Paspourvous,peut-être.Jesecouailatête,cepetitjeucommençaitàm’exaspérerprodigieusement.—Etçaveutdirequoi,ça?
—Vousvoussouvenezdusoirdenotrerencontre?Toutmonculot,toutmoncrans’évanouirentenuninstant,et j’éprouvailamêmechose
quependantlesquelquessecondesquiavaientsuivisonorgasmeenmoi.Lagênemeremitàmaplaceplusvitequetoutetentatived’intimidation.
—Oui,pourquoi?demandai-jeenmerongeantl’ongledupouce.Ilhésita.—Est-cequevousétiezsincère?—Quand?Ilme regarda dans les yeux pendant ce quime parut durer une éternité, préparant ce
qu’ilallaitdireensuite.—Quandvousdisiezquevousn’étiezpasdisponible.Ilnem’avaitpasjustepriseaudépourvu.J’étaistombéedanslevide.—Jenesaispasquoirépondreàça.Tuparlesd’unerepartie,Liis!—Est-cequeçavautseulementpourmoi,oupourtoutlemonde?—Àçanonplus.—C’estjustequeje…Desimplementdragueuse,sonexpressiondevintcurieuseetdragueuse.—C’estqui,l’agentdesforcesspécialesquevousavezlaisséàChicago?Je jetaiuncoupd’œilderrièremoi, commesiquelqu’un, suspenduà la fenêtre,dans le
vide,risquaitdem’entendre.—Jesuisauboulot,là,Thomas.Pourquoivousmeparlezdeçamaintenant?—Onpeutenparlerendînant,sivouspréférez.—J’aidéjàquelquechosedeprévu.Ilplissalesyeux.—Unrendez-vousgalant?—Non.—DoncSawyern’yverrapasd’inconvénient.—Je refused’annuler justeparcequevouscherchezà remporterun jeu idiot.Vousme
fatiguez.—Trèsbien,c’estréglé,donc.Nousparleronsdevotreex-ninjaàmonrestaurantfavori,
à20h30.Ilseleva.—Non,non,non,cen’estpasréglé.Riendetoutcelanemetente.Riendutout.Ilregardaautourdelui,etpointaunpoucesurlui-même,avecunsourireencoin.—Vousnonplusvousnemetentezpas,lançai-jesèchement.— Pour un agent fédéral, vous mentez très mal, dit Thomas en se dirigeant vers ma
porte,qu’ilouvrit.
—Maisqu’est-cequevousaveztous,aujourd’hui,àlafin?Valestintenable,vous,vousêtesdingue…etarrogant,aussi.Moi, toutceque jeveux,c’estvenirbosser,et rentrerchezmoi, dîner en bonne compagnie de temps en temps, si possible avec la personne de monchoix, sans que cela provoque une tragédie, des grincements de dents ou des concoursdébiles!
Latotalitédelacinquièmebrigaderegardaitendirectiondemonbureau.—Etmaintenant,agentMaddox,àmoinsquevousn’ayezdunouveauconcernantnotre
affaire, je vous demanderai de bien vouloirme laisser continuer ce que je suis en train defaire.
—Bonnejournée,agentLindy.—Merci,soupirai-je.Aumomentderefermerlaporte,ilglissalatêtedansl’entrebâillement.—Etmoiquim’habituaistoutjusteàcequevousm’appeliezThomas.—Sortezdemonbureau,Thomas.Il referma la porte, etmes joues s’empourprèrent, tandis qu’un sourire irrépressible se
dessinaitsurmeslèvres.
Des torrentsminiaturescouraient le longdes rues, charriant saletésetorduresdiversespour aller disparaître dans les larges bouches d’égouts à chaque carrefour. Sur la chausséedétrempée, lespneuséclaboussaientbruyamment tandisque jemetenaisdevant l’auventdetoilerayéeetleslargesvitrinessurlesquellesétaittracéBrooklynGirlfaçonvintage.
Je ne pouvais m’empêcher de sourire à l’idée de ne pas être engoncée dans un épaismanteau. Le soleil filtrait derrière les nuages qui obscurcissaient le ciel. Il était tombé descordesparintermittencetoutelajournée,etpourtant,j’étaisenchemisiersansmanches,vesteen lin corail, jean skinny et sandales. J’aurais aimémettremes escarpins en daim à bride,maislapluiem’enavaitdissuadée.
—Salut,soufflaSawyeràmonoreille.Jemeretournaiensouriantetluidonnaiunpetitcoupdecoude.— Jenous ai réservéune table, annonçaThomas enpassant à côté denous pour aller
ouvrirlaporte.Pourtrois,c’estça?Sawyerfitlatêtedeceluiquivientd’avalersalangue.Thomashaussalessourcils.—Bon,onyva?Jemeursdefaim.J’échangeaiunregardavecSawyer,etentrai.Debout à côté de la réception, mains dans les poches, Thomas discutait avec la jeune
femmechargéed’accueillirlesclients.—ThomasMaddox,dit-elleavecuneétincelledansleregard.Çafaisaitlongtemps.—Bonsoir,Kasie.Unetablepourtroiss’ilvousplaît.—Suivez-moi.
Kasiesourit,prittroismenusetnousconduisitàunbox,dansuncoin.Sawyers’installaenpremier,prèsdumur,et jememisàcôtédelui.Thomass’assiten
face.Lesdeuxhommessemblèrentd’abordsatisfaitsdecetarrangement,maisThomasfronçalessourcilslorsqueSawyerrapprochasachaisedelamienne.
—Jecroyaisquec’étaitvotrerestaurantpréféré,dis-jed’unairméfiant.—C’estlecas,eneffet,réponditThomas.—Pourtant,elleaditquevousn’étiezpasvenudepuislongtemps.—Hénon.—Pourquoicela?—Vousveniezavecvotrecopine,ici,non?intervintSawyer.Thomas baissa la tête et fusilla Sawyer du regard, mais lorsqu’il croisa le mien, son
expressions’adoucit.Et,replaçantsaservietteetsescouverts,ilréponditsimplement:—Ladernièrefoisquejesuisvenu,c’étaitavecelle.—Oh,lâchai-je,labouchesèchetoutàcoup.Unejeuneserveuses’approchadenotretable.—Bonsoir,messieursdame.Jem’appelleTessa,voicilesmenus.Sawyerlaregardaavecunéclatparticulierdanslesyeux.Quej’avaisdéjàvu.—Quelqu’unaunrencardaprèsleboulot.Jesuisjaloux.Tessarougit.—J’aichangéderougeàlèvres.—Jesavaisqu’ilyavaitquelquechose.Il laissa courir son regard sur elle quelques instants encore, puis se concentra sur le
menu.Thomaslevalesyeuxauciel,commandaunebouteilledevinsansregarderlacarteetlaserveuses’éloigna.
—Alors,ditSawyerensetournantversmoi.Tuastrouvéunesolutionpourletableau?—Non, dis-je avec un petit rire. Je ne sais pas pourquoi il est si lourd. Il est toujours
poséaupieddumursurlequeljeveuxl’accrocher.—C’est tellementbizarrequ’iln’yaitpasdecrochetsurcemur,ditSawyer,en faisant
d’intenseseffortspournepaslaisserpercersanervosité.Thomaschangeadepositionsursachaise.—J’aidescrochetsX,sivousvoulez.Ilesttrèslourd?—Troppourlacloisonenplaco,maisjecroisqu’uncrochetXferaitl’affaire.Thomashaussalesépaules,ilsemblaitbeaucoupplusàl’aisequeSawyeretmoi.—Jevousenapporteraiuntoutàl’heure.Du coin de l’œil, je perçus un légermouvement dans lamâchoire de Sawyer. Thomas
venait de s’assurer un moment avec moi plus tard dans la soirée. J’ignorais si les autresfemmesappréciaientcegenredesituation,maispourmapart,j’étaislimitemortifiée.
Tessareparutavecunebouteilleettroisverres.
Tandisqu’ellenousservait,Sawyerluifitunclind’œil.—Merci,mabelle.— De rien, Sawyer, répondit-elle, masquant difficilement sa jubilation. Heu… vous
prendrezdesentrées?—Lacourgefarcie,ditThomassansmequitterdesyeux.L’intensitéde son regardmemettaitmal à l’aise,mais jenedétournaipas les yeux. Je
voulaissemblerinsensibleàsoncharme.—Lehoumous,pourmoi,ditSawyer,visiblementdégoûtéparlechoixdeThomas.Tessas’éloigna,Sawyerlasuivitdesyeuxjusqu’àcequ’elledisparaissedanslescuisines.—Excuse-moi,dit-ilenfaisantsignequ’ilvoulaitsortirdubox.—Oh.Jemelevai.Ilpassadevantmoiavecunsourireetsedirigeaverscequej’imaginaisêtre
lestoilettes.Thomas sourit enme regardantme rasseoir. La climatisation était à fond, je remisma
veste.—Vousvoulezlamienne?Elleétaitbleue,etparfaitementassortieauxmursardoisedurestaurant.Ilportaitaussi
unjeanetdesbootsTimberlandmarron.—Merci.Maisjen’aipasfroidàcepoint.— Dites plutôt que vous ne voulez pas que Sawyer vous voie avecma veste quand il
reviendradestoilettes.Maisdetoutefaçon,ilneremarquerarien,parcequ’ilnepenseraplusqu’àconterfleuretteàTessa.
—JemefichedecequeSawyerpenseouéprouve.—Alorsqu’est-cequevousfaitesiciaveclui?Le ton n’était pas accusateur. Au contraire. Thomas était tellement calme que le
bourdonnementdelaclimatisationcouvraitpresquesavoix.—Cen’estpasenfacedeluiquejesuisencemoment.Ilesquissaunsourire.Ilsemblaitappréciercettejouteverbale,etjem’envoulaisdel’état
danslequelilmemettait.—J’aimebiencetendroit,dis-jeenregardantautourdenous.Enfait, ilmefaitunpeu
penseràvous.—Moi,jel’adorais,ditThomas.—Maisplusmaintenant.Àcaused’elle?—Lederniersouvenirquej’aidecerestau,c’estaussilederniersouvenirquej’aid’elle.
Jenecomptepasl’aéroport.—Ellevousaquitté,alors.—Oui.Jecroyaisquenousallionsparlerdevotreex,pasdelamienne.
—Elle vous a quitté pour votre frère, c’est ça ? demandai-je sans tenir compte de saremarque.
Jevissapommed’Adamtressauter,etildétournaleregardendirectiondestoilettes,àlarecherchedeSawyer.Commeprévu,cederniersetenaitauboutdubar,etfaisaitglousserTessa.
—Oui,ditThomas.Maisellen’ajamaisétévraimentavecmoi.Depuisledébut,CamilleétaitdestinéeàTrent.
Jesecouailatête.—Pourquoivousinfligerça,alors?—C’estdifficileàexpliquer.Trentl’aimedepuisl’enfance.Jelesavais.Sonaveumesurprit.D’aprèscequejesavaisdesonenfanceetdesliensquil’unissaientà
sesfrères,imaginerThomasfairequelquechosed’aussiméchantétaitinconcevable.—Maisvousluiavezcouruaprèsquandmême.Jenecomprendspaspourquoi.Sesépaulesseraidirentlégèrement.—Moiaussi,jel’aime.Présentdel’indicatif.J’éprouvaiunpincementdejalousie.—Ças’estfaitcommeça,rienn’étaitcalculé,ajoutaThomas.Jerentraisrégulièrement,
etc’étaitsurtoutellequejevoyais.Elletravailleaubarlepluspopulairedelaville.Unsoir,j’y suis allé directement, et je me suis assis en face d’elle au bar, et ça a été comme unerévélation.Cen’étaitplusunegamineavecdescouettes.C’étaitunejeunefemme,etellemesouriait.
» Trent parlait sans arrêt de Camille, mais d’une façon – pourmoi, en tout cas – quilaissaitpenserquejamaisilnetenteraitsachance.Pendanttrèslongtemps, j’aiétépersuadéqu’ilneferaitjamaissavieavecunefille,qu’ilneseposeraitjamais.Etpuisilenarencontréuneautre…Mackenzie.Et jeme suisdit qu’il avait surmonté son faiblepourCamille.Maisassezrapidementaprèsça,ilyaeucetaccident,etMackenzieestmorte.
—Oh,fis-je,souslechoc.Thomashochalatête,etreprit:—Aprèsça,Trentachangé.Ils’estmisàboirecommeuntrou,àcoucheravecn’importe
qui,etilalaissétombersesétudes.Unweek-end,jesuisrentrépourvoircommentluietmonpères’ensortaient,etpuisjesuisalléaubar.Elleyétait.J’aiessayéderésister…
Ilplissalesyeux.—Maisvousn’yêtespasarrivé.—Jemedisaisqu’ilne laméritaitpas.Deux foisdansmavie j’aieuuncomportement
d’égoïste.Etchaquefoisc’étaitvis-à-visd’undemesfrères.—MaisTrentetCamilleontfiniensemble,non?—Jebossebeaucoupici.Ellehabitelà-bas.ÀpartirdumomentoùTrents’estdécidéà
tenter sa chance, c’était destiné à se terminer comme ça. Je ne pouvais pas vraiment
protester.Ill’avaitaiméeenpremier.Latristesse,danssonregard,meserralecœur.—Ellesaitcequevousfaites,commeboulot?—Oui.—Vousluiavezditcequevousfaisiez,maisvousnel’avezpasditàvotrefamille?Thomasrestasongeurquelquesinstants,changeadepositionsursachaise.—Elleneleurdirarien.Ellemel’apromis.—Doncelleleurmentàtous?—Disonsqu’elleometd’enparler.—ÀTrentaussi?—Ilsaitquenousavonsétéensemblependantquelquetemps.Ilpensequ’onneluiavait
rienditàcausedecequ’iléprouvaitpourelle.Ilnesaittoujoursriendemonboulot.—Etvousêtescertainqu’ellenedirarien?—Oui,répondit-ilsanshésitation.Jeluiavaisdemandédeneriendirepournousdeux,
etpendantdesmois,personnen’aétéaucourant,endehorsdesacolocataireetdequelquescollègues.
— C’est vrai, alors ? Vous ne vouliez pas que votre frère sache que vous la lui aviezpiquée,dis-je,unpeuméprisante.
Monmanquededélicatesseluiarrachaunegrimacededégoût.—Enpartie.Etaussi,jenevoulaispasquemonpèrelaharcèledequestions.Elleaurait
étéobligéedementir.Et celan’aurait faitque compliquer les choses,quin’étaientdéjàpasvraimentsimples.
—Elleaquandmêmedûmentir.—Jesais.C’étaitidiot.J’aiagienpensantqueceneseraitqu’uneaventure,etcelas’est
révéléplussérieux.J’aimistoutlemondeenporte-à-faux.Jemesuisconduitensaleégoïste.Maisjel’aimais.Jel’aime.Etfaites-moiconfiance,jelepaie.
—Elleseraaumariage,n’est-cepas?—Oui,dit-ilenpétrissantsaserviette.—AvecTrent.—Ilssonttoujoursensemble.Ilsviventensemble.— Ah, lâchai-je, surprise. Et cette histoire n’a rien à voir avec votre décision de
m’envoyerlà-basàvoscôtés?—C’estPolanskiquiainsistépourquevousyalliez.—Maisvousnevousyêtespasopposé.— Je n’essaie pas de rendre Camille jalouse, si c’est ce que vous sous-entendez. Ils
s’aiment.Ellefaitpartiedemonpassé.—Enêtes-voussisûr?
Celam’avaitéchappé.Jeredoutaiaussitôtsaréponse.Ilmeregardalonguementavantdedemander:
—Pourquoi?Jedéglutis.Làesttoutelaquestion,non?Pourquoiest-cequejetienstantàlesavoir?—Jenesaispas,répondis-jeavecunpetitrire.Parcuriosité,c’esttout.Ilritàsontouretbaissalesyeux.— Il est possible d’aimer quelqu’un sans désirer sa présence. Et désirer la présence de
quelqu’unavantdel’aimerestpossibleaussi.Ilplongeasonregarddanslemien,etj’yvisuneétincelle.Aumêmemoment,jeperçuslaprésencedeSawyer,quiattendaitàcôtédenotretable,
en compagnie de Tessa qui tenait un plateau. Thomas ne détourna pas le regard, et j’étaisincapablededétournerlemien.
—Heu…excuse-moi,ditSawyer.Jeclignailesyeuxetlevailatête.—Oh.Oui,biensûr.Désolée,dis-jeenmelevantpourlelaisserpasseretserasseoir.Puisjereprisplace,essayantdenepasrétrécirsousleregardimperturbabledeThomas.Tessadisposalesentréessurnotretable,avectroispetitesassiettes.ElleservitThomas,
dont leverreétaitàmoitiévide,mais jeplaquai lamainsur lemienavantqu’ellepuisse leremplir.
Sawyerbutunegorgée,unsilencegênés’installatandisqu’autourdenous,lerestaurantrésonnaitdubourdonnementrégulierdesconversations,interrompuicietlàpardeséclatsderire.
—VousluiavezparlédeCamille?demandaSawyer.Jesentislespoilssehérissersurmanuque,etmaboucheseparcheminadanslafoulée.
Jebusmadernièregorgéedemerlot.Thomasplissalesyeux,affichantunsouriremécanique,etdemanda,commeàregret:—VousavezparlédevotremycoseàTessa?Sawyer manqua s’étrangler. Tessa chercha quoi dire, sans succès, et après quelques
hésitations,battitenretraiteendirectiondescuisines.—Pourquoi?Pourquoivousvousconduisezenconnard,commeça?demandaSawyer.Thomaseutunpetitrire, je tentaideretenirmonsourire,pour finirparéclaterderire
dansmonverred’eau.Sawyersemitàrireàsontour,puissecoua la tête, trempantunboutdepitadansson
houmous.—Bienjoué,Maddox,bienjoué.Avecunregardendessous,Thomasmedemanda:—Vousrentrezcomment,Liis?—Vousmeraccompagnez.
Ilhochalatêteenguisedeconfirmation.—Jenevoulaispasparaîtreprésomptueux,maisjesuiscontentqu’onsoitd’accord.
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—Merci,dis-jedoucement.Jefaisaisdemonmieuxpournepasregarder,entre laceinturedeThomaset lebasde
sontee-shirt,unrectangledepeauhâléeàlaperfection.Ilaccrochaitmontableau.C’étaitl’undespremiersobjetsque j’avaisachetésaprèsmaformation,unephoto impriméesur toileetcolléesurbois,troplourdepourtenirsurlacloisonenplaco.
—Ça fout les jetons, ce truc, dit-il en descendant de la chaise sur laquelle il avait dûgrimper.
—C’estunYamamotoTakato.Monartistejaponaiscontemporainpréféré.—Etelles,c’estqui?demanda-t-ilenindiquantlesdeuxsœursdutableau.Ellesétaientallongées,dehors,pendantlanuit.L’unefaisaitleguetetsemblaits’amuser
d’un spectacle, devant elles. L’autre nous regardait, Thomas etmoi, l’airmaussade, un peublasé.
—Cesontdesspectatrices.Ellesécoutent.Commenous.Celaneparutpasl’impressionner.—Ellessontbizarres.Jecroisailesbrasetsouris,heureusequ’ellesaientenfintrouvéleurplace.— Il est génial. Vous devriez voir le reste de son œuvre. Ce tableau est relativement
normal,àcôté.Àsonexpression,jevisquecetteprécisionneleconvainquaitpas,loindelà.—Moi,j’aime,dis-jeenredressantlementon.Thomasinspira,soufflalonguementetsecoualatête.—Chacunsontruc,hein.Bon,ben…jevaisyaller,moi.—Mercidem’avoirraccompagnée.MercipourlecrochetX.Etmercid’avoiraccrochéles
filles.—Lesfilles?Jehaussailesépaules.—Ellesn’ontpasdenom.
—Parcequ’ellesn’existentpas.—Pourmoi,si.Thomaspritlachaise,lareplaçaàcôtédelatableetrestalà,lesmainsreferméessurle
hautdudossier.—Enparlantdechosesquin’existentpas…Jen’aipasencoretrouvécommentaborder
certainsaspectsdenotrevoyage…—Lesquels?Il seredressa,vintversmoi, sepencha.Sonvisagen’étaitqu’àquelquescentimètresdu
mien.Jem’écartai.—Qu’est-cequevousfaites?Ilseredressa,l’airsatisfait.— Je voulais juste voir quelle était votre réaction. Et j’en conclus que j’avais raison
d’aborderlesujet.Sijen’aipasdegestesd’affectionenversvous,ilsverronttoutdesuitequequelquechosecloche.Vousnepouvezpasvousécartercommeça.
—Jenem’écarteraipas.—Vraiment?Maislà,c’estcequevousvenezdefaire,instinctivement.—Oui.Maisjevousaidéjàlaissém’embrasser.—Vousaviezbu,ditThomasavecunsourireencoin.Ilallaverslecanapéets’ylaissatomber,commes’ilétaitchezlui.—Çanecomptepas,conclut-il.Jecroisaussiqu’ondevraitsetutoyer.Pours’habituer.Je le rejoignis, le regardai un instant, puism’assis à sa droite, sans laisser lemoindre
espaceentrenous,etposailatêtesursontorseavantdefaireglissermamainsursesabdosdecompétition,jusqu’àcalermapaumesursonflanc,pourquemonbrasn’enbougeplus.
Détendue,jecroisailesjambes,laissantmonmolletdroitreposersursongenou.Decettemanière,moncorpsl’enlaçaitpresquetoutentier.Ainsilovéecontrelui,jelefixaid’unregardsatisfait.CarThomasMaddox,agent spécial toutenmaîtrise, toutenperspicacité,était figécommeunestatue,etsoncœurbattaitàtoutrompre.
—Cen’estpasmoiquiaibesoind’entraînement,dis-je,lesourirejusqu’auxoreillesavantdefermerlesyeux.
Je le sentis sedétendre, il refermasesbrasautourdemesépaules,posa lementonsurmescheveux,souffladoucement,longuement.
Nous restâmes ainsi, à écouter le silence demon appartement et les bruits de la rue.Pneussurl’asphaltemouillé,coupsdeklaxon,claquementsdeportières.Detempsàautre,unpassantquihurlait,unchienquiaboyait.
Ainsichezmoi,assiseavecThomas,surlecanapéquenousavionsétrennélesoirmêmedemonarrivée,j’avaislesentimentdemetrouverdansunautreunivers.
—C’estpasmal,finit-ilparlâcher.—Pasmal?répétai-je,unpeuvexée.
Ce que je ressentais, moi, frisait le bien-être absolu. Personne ne m’avait tenue ainsidepuis Jackson à Chicago, et je n’étais même pas sûre d’avoir éprouvé la même chose àl’époque.
Enlequittant,jen’avaispaspenséquelecontactphysiquememanquerait,surtoutdanslamesure où l’affection de Jackson avait fini parme peser.Mais là,moins d’unmois aprèsmon départ, la solitude se faisait sentir, et je me sentais parfois même un peu déprimée.C’était pareil pour tout le monde, sans doute, mais j’étais persuadée que cette tristessen’aurait pas été si forte et ne serait pas apparue si vite si je n’avais pas senti lesmains deThomassurmoidèscettepremièrenuitàSanDiego.C’étaientcesmainsquimemanquaientdepuis.
—Enfin,tuvoiscequejeveuxdire,répondit-il.—Non.Maisjeveuxbienquevous…quetum’expliques.Seslèvresseposèrentsurmescheveux,ilinspiraprofondément,paisiblement.—J’aipasenvie.J’aijusteenvied’enprofiter.Bon,d’accord.Quandj’ouvrislesyeux,j’étaisseule,allongéesurlecanapé.Touthabillée,etrecouverte
duplaidquisetrouvaitd’ordinairepliésurlefauteuil.Jem’assis,mefrottailesyeux.—Thomas?Jemesentaisridicule.Pirequelelendemaindenotrefollesoirée.Mamontre indiquait 3 heures du matin. J’entendis un bruit, au-dessus de ma tête, et
souris.C’étaitagréablede lesavoir là,siprès.Mais ilyeutunautrebruit.Unbruitquimedonnalanausée.
Ungrognement.Ungémissement.Unpetitcri.Jelecroispas.Bientôt,oncognaen rythmecontreunecloison,ungémissementaccompagnantchaque
coup.Etjen’entendisplusquecela.Jeregardaiautourdemoi,nesachantquoipenser.Il estpartid’icipourallerauCutter’s?Ilalevéunefille?L’aramenéechezlui?
Maiscen’étaitpaslegenredeThomas,untrucpareil.J’avaisétélaseuledepuis…Peut-êtrel’avais-jeaidéàseremettreenselle.
Ohnon.—Ohoui!criaunevoixféminineenguisederéponse.Non,non,non.Ilfautqueçacesse.Je me levai, cherchai quelque chose de long pour pouvoir cogner au plafond. Je me
fichais de lui coller la honte. Jeme fichais d’être cette voisine-là, la vieille fille aigrie d’en
dessousquin’aimepasentendrelamusique,lesriresetlespartiesdejambesenl’airdubeaugossedudessus.J’avaisjustebesoinquel’orgasmeanormalementbruyantdecettefillecesse.
Je tiraiune chaise et grimpaidessus, balai enmain. J’allaismedéfouler sur leplafondlorsquel’ontoquaàmaporte.
Ah,maisc’estpasvrai,ça!Consciented’avoirl’aird’unefolle,ouderisquerdemetrouvernezànezavecundingue
surquiilmefaudraitcassermonbalai,j’ouvrisengrand.Thomassetenaitlà,lesyeuxcernés,l’airépuisé.—Jepeuxpasserlanuitici?—Quoi?—Qu’est-cequetufaisavecunbalai?Ilest3heuresdumat’.Tufaisleménage?Jeplissailesyeux.—Tuasdelacompagnie,non?Ilregardaderrièrelui,visiblementsurprisparmaquestion,puissedandinad’unpiedsur
l’autre.—Oui.—Doncilfaudraitpeut-êtrequetusoischeztoi,non?—Heu…j’arrivepasàdormir,là-haut.—Non,sansblague!Jevoulusluiclaquerlaporteaunez,maisill’arrêtaetmesuivitàl’intérieur.—Mais qu’est-ce qui te prend ?demanda-t-il avantdemontrer la chaise, aumilieudu
salon.Qu’est-cequetufabriques?—Jevoulaismonterdessusetmeservirdeça!m’exclamai-jeenbrandissantmonbalai.Ilfitlagrimace.—Pourquoi?—Pourtaperauplafond!Pourqueças’arrête!Pourlafairetaire!Enfin,ilcomprit,etlagênes’emparadelui.—Tul’entends?Jelevailesyeuxauciel.—Toutl’immeublel’entend!Ilpassaunemainsursanuque.—Jesuisdésolé,Liis.—Tun’aspasàt’excuser,hein.C’estpascommesion…enfin,yarienentrenous,quoi.
Cen’estquedelacomédiepourlamission.—Pardon?—Jet’enprie,net’excusepas!Jemesensencoreplusridicule!—D’accord,d’accord,désolé…Heu,jeveuxdire…Soupir.
—C’estbon,tupeuxyaller.—Je…jevenaistedemandersijepouvaispasserlanuitcheztoi.Maissitul’entends…Jeluijetailebalaiàlafigure.Ilesquivadejustesse.—MaisLiis,qu’est-cequiteprend?—Non,tunepeuxpaspasserlanuitici!Remontecheztoietoccupe-toidetananad’un
soir!Tuyprendsgoût,ondirait.Ilécarquillalesyeuxetlevalesmains.—Oh !Ouh là.Non.Non,non,non, c’estpasdu tout ça.Cen’était pas…cen’estpas
moi.Là-haut.Avecelle.Jefermailesyeux,complètementperdue.—Quoi?—Jenesuispasavecelle.—Évidemment,tuviensàpeinedelarencontrer.Ilsecouaitlesmainsensignededénégation,presquepaniqué.—Non.Jenesuispaslà-haut.Jenelabaisepas.—Je.Sais.J’auraisparléàunmur,çaauraitétépareil.—Non!hurla-t-il,aucombledelafrustration.Les bruits recommencèrent, en rythme, et nous levâmes tous les deux les yeux au
plafond.Lafillesemitàpousserdepetitscris,etungémissementsourdfranchitlacloisonàsontour–ungémissementd’homme.
Thomassecachalevisageentrelesmains.—Bordeldedieu!—Quelqu’unaramenéunefillecheztoi?—Monfrère.—Lequel?— Taylor. Il est ici pour quelques jours. Il m’a envoyé un texto en me demandant
pourquoijen’étaispasrentré.Alorsjesuismonté,maisilétaitencolère,jesaispaspourquoi,etavouluqu’onsorte.Jel’aiemmenéauCutter’s.Ilyavaitl’agentDavies,et…
Jepointaiundoigtversleplafond.—C’estl’agentDaviesqu’onentend,là?Thomashochalatête.—Dieumerci!dis-jeenplaquantunemainsurmesyeux.Ilmeregarda,surpris.—Pardon?—Heu,rien.Davieshurlasonplaisir.Jemontrailaporteensecouantlatête.
—Tudoisleurdired’arrêterleurcinéma,là.Ilfautquejedorme,moi.—OK,j’yvais.Il sedirigeavers laporte,mais s’arrêta sur le seuilet se retournaenpointantundoigt
dansmadirection.—Tuascruquec’étaitmoi.Ett’étaisfurax.—Biensûrquenon,répondis-jeenfaisantlamoue.—Si,t’étaisfurax.Reconnais-le.—Etenadmettantquejel’étais,qu’est-cequeçapeutfaire?—Pourquoit’étaisencolère?Sonregardmesuppliaitdedirequelquechose,maisquoi?—Parcequ’ilest3heuresdumatinetquejedevraisêtreentraindedormir.—Jenetecroispas.—Jenevoispasdequoituparles!Jevoyaistrèsbien,aucontraire,etilsavaitquej’essayaisdejouerlescandides.Ilsourit.—Tuascruquec’étaitmoiquim’envoyaisenl’airavecunenanarencontréeaubar,et
tuétaisfurieusecontremoi.Tuétaisjalouse.Quelques secondes s’écoulèrent, au terme desquelles la seule réponse crédible qui me
vintfut:—Etalors?Thomasredressalementonettenditlamainderrièreluipourlaposersurlapoignée.—Bonnenuit,Liis.J’affichail’expressionlaplushargneusepossible,jusqu’àcequ’ilsorteetrefermederrière
lui.Puisjeramassaimonbalaietremislachaiseàsaplace.Au bout d’une minute environ, les cris et les gémissements cessèrent. Je gagnai ma
chambred’unpastraînant,medéshabillai,misunvieuxtee-shirtetmeglissaisouslacouette.NonseulementjenedétestaispasThomas,maisilmeplaisait.Pire,illesavait.
11
Je jetai unœil àmamontre et lâchai un juron. J’étais à la bourre. Jemis des bouclesd’oreilles,enfilaimesescarpins,attrapaimonsacetouvrislaporte.
Thomassetenaitlà,ungobeletenpolystyrènedanschaquemain.—Café?Jerefermaimaporte,laverrouillai.—Ilyadulaitdanscecafé?—Non.Sixsucresetdeuxdosettesdecrème.— Comment sais-tu que je prends mon café comme ça ? demandai-je en saisissant le
gobeletqu’ilmetendait.Nousnousdirigeâmesversl’ascenseur,Thomasappuyasurlebouton.—C’estConstance.—Constancesaitquetum’aspayéuncafé?—Constancem’aconseillédetepayeruncafé.Lesportess’ouvrirent,nousmontâmes.— Elle se lève drôlement tôt, dis donc, grommelai-je. Pourquoi Constance te
conseillerait-elleunechosepareille?Ilhaussalesépaules.—Elles’estditqueçateplairaitquejelefasse.Jememisfaceàlaporte.Ilrépondaitsansvraimentrépondre,etjedétestaisça.Ilfallait
absolument que je demande à Val de m’apprendre à détecter le mensonge chez monsemblable.
—D’autresquestions?demandaThomas.—Non.—Non?—Tunerépondspasvraiment,detoutefaçon.—Constancesaitque tumeplais.Elleditquedepuis tonarrivée, j’ai changé,etellea
raison.
—Thomas,dis-jeenmetournantverslui.Je…j’appréciebeaucouptafranchise,maisjesuis…
— Indisponible, oui, je sais. Mais tu sors tout juste d’une relation, aussi. Et je ne tedemandepasd’emménageravecmoi.
—Tumedemandesquoi,alors?—Laisse-moiteconduireaubureau.—Cen’estpasunequestion,ça.—D’accord.Est-cequ’onpeutdînerensemble?Seuls?Lesportesdel’ascenseurs’ouvrirent.—Tumeproposesunrencard,Maddox?Jesortis,mestalonsclaquèrentsurlesolcarrelé.Thomashésitaquelquessecondes,puishochalatête.—Oui.— Je n’ai pas de temps à perdre dans une relationmerdique.Mon boulot passe avant
toutlereste.—Pareilpourmoi.—Jebossetardlesoir.—Moiaussi.—Jen’aimepasrendredescomptes.—Moinonplus.—Alorsd’accord.—D’accord,jepeuxteconduireaubureau?Oud’accord,onpeutdînerensemble?—D’accordpourlesdeux.Ilsourit,ravi,etpoussalaportevitréed’uncoupd’épaule,sansmequitterdesyeux.—Mavoitureestparlà.Pendantletrajet,ilmeracontasasoiréeavecTaylor,indiquantl’heureàlaquellel’agent
Daviesavaitquittésonappartement,etavouanepastropaimerhébergeruninvité,mêmes’ils’agissaitdesonfrère.
Lavoierapideétaitencorehumidedelapluiedelaveille.Ilyavaitdelacirculation,etla Land Rover naviguait de file en file avec aisance. J’étais habituée à conduire à Chicago,mais n’étais pas sûre de pouvoirme faire facilement à la conduite ici, une fois que j’auraistrouvéunevoiture.
—Tuasl’airtendu,ditThomas.—Jedétestelesvoiesrapides.—Etçanerisquepasdes’arrangerquandtuaurastaproprevoiture.Ellearrivequand,
aufait?Çavafairedéjàtroissemainesquetueslà,quandmême.—Ellen’arriverapas.Mesparentssechargentdelavendrepourmoi.J’enchercheraiune
autrequandj’auraidutemps,maisenattendant,lestransportspublicsferontl’affaire.
Thomasfitlagrimace.—C’estridicule.Tupeuxfairetestrajetsavecmoi.—Çanemegênepas,jet’assure.—Onpeutseretrouverdevantl’immeublelematin.Onpartàlamêmeheuredetoute
façon, et on va aumême endroit. Et puis, tume rendrais service, parce que comme ça, jepourraisprendrelafileréservéeaucovoiturage.
—OK,dis-jeenregardantdéfilerlepaysage.Siçanetegênepas.—Çanemegênepas.Jemetournaiverslui.Lepatroncolériqueetd’humeurversatiles’étaitchangéenvoisin
délicat,attentionné–voireplus–siprogressivementque jenem’enrendaiscompteque là,assiseavecluidanssavoiture,lesoleilmatinalsoulignantlecalmedesonregard.Lerestedutrajetsefitdansunsilenceconfortable.
Àl’entréeduparking,Thomastenditnosbadgesàl’agentdesécurité.—AgentMaddox,ditl’agentTrevinoavantdesepencherpourmeregarder,etsourire.—BonjourMig,ditMaddox.Commentvalapetitefamille?—Tout lemondevabien.C’estgentilàvousd’accompagner l’agentLindyaubureauce
matin.Thomasrepritnosbadges.—Onhabitedanslemêmeimmeuble.—Ah-ha,fitTrevinoensepenchantpouractionnerlesystèmed’ouvertureduportail.Thomasavançaetsemitàrire.—Qu’est-cequ’ilyadesidrôle?demandai-je.—C’estTrevino,dit-ilenposantlecoudesursavitrebaissée,pourjoueravecseslèvres
duboutdesdoigts.Jeme renfrognai.Chaque foisquequelque choseentrait en contactavec ces lèvres,un
mélangedejalousieetdedéprimemenouaitl’estomac.C’étaitunsentimenttrèsdésagréable,etj’auraisaimésavoircommentm’endébarrasser.
—Onsefoutdemoidanstouslescouloirs,c’estça?Thomasmeregarda,posasamaingauchesur levolant,et ladroitesur lamienne,qu’il
serradoucement.—Maisnon.Pourquoipenses-tuunechosepareille?—Qu’est-cequ’ilyadesidrôle,alors?Ilsegaraetcoupalemoteur.—C’estmoi.C’estmoiquilefaisrire.Jen’accompagnepersonneaubureau.Jenesouris
pasquandj’arriveaucontrôledesécuritéetjeneluidemandejamais,maisalorsjamais,desnouvelles de sa famille. Il sait que… il a compris, c’est tout. Depuis que tu es arrivée, leschosesontchangé,ici.
— Pourquoi ? demandai-je en le suppliant du regard de prononcer les mots quej’attendais.
En réalité, j’étais trop fière et têtue pour faire des infidélités au FBI sans vraiecontrepartie.Uncafé,descoupsdemaindansl’appart,etmêmesamainsurlamienne,celanesuffisaitpas.Maispasserjusteaprèssonboulot,çam’allait.Nousétionstouslesdeuxtrèsimpliqués dans notre carrière, cela créait un certain équilibre. En revanche, passer entroisièmeétaithorsdequestion.
Sontéléphonesonna,et lorsqu’ilvit lenomdeceluiquiappelait, sonattitudegénéralechangeadutoutautout.Jevissonvisagesefermer.Ilsoupira,lâchamamainetdétournaleregard.
—Salut,fit-il,tendu.Jet’aiditquej’yserais.Je,heu…Ilsefrottalesyeux.—Non, je ne peux pas.Mon vol atterrit à peine une heure avant l’arrivée de Travis à
l’hôtel,et…D’accord…jet’écoute.Ilbaissalesyeux,sesépauless’affaissèrent.—Vraiment ? Super, lâcha-t-il sans parvenir àmasquer son accablement.Non, non, je
comprends.Non,Trent,jet’assure.Toutvabien.Jesuisheureuxpourvous.Vraiment.Çava.OK.Onsevoitlà-bas,alors.
Ilraccrochaetlaissatomberletéléphonesursesgenoux.Sesdeuxmainsagrippèrentlevolantavecuneforcetellequesesarticulationsétaientblanches.
—Tuveuxenparler?Ilsecoualatête.—Bon,ben…jeseraidansmonbureausituchangesd’avis.Aumomentoùjeposailamainsurlapoignéedelaporte,Thomasm’attrapaparlebras,
metiracontrelui,etposaseslèvresincroyablementdoucessurlesmiennes.Autourdenous,tout devint flou, et ce fut comme si notre première nuit recommençait – ses mains enmanque,salanguecherchantlamienne,sapeaubrûlanteetmoitecontrelamienne.
Dèsl’instantoùilmelâcha,jeleregrettai.Pourtant,cethorriblesentimentétaittoujourslà,lui.
—Merde,Liis.Jesuisdésolé,dit-il,visiblementaussisurprisquemoi.J’étaisencoreunpeuinclinéeverslui,monsouffleétaitlent,maisintense.—Je sais que tune veuxpas te remettre avec quelqu’un, soupira-t-il, en colère contre
lui-même.Maisputain,j’arrivepasàmepasserdetoi.—Jepeuxcomprendre, soufflai-jeenmerecoiffantunpeu.C’étaitTrent?demandai-je
enmontrantsontéléphoned’unmouvementdumenton.—Oui.—Qu’est-cequ’ilt’aditpourtemettredanscetétat?Thomashésita,iln’avaitvisiblementpasenviedemerépondre.
—Ilmeparlaitdelasoiréeentremecs,pourl’enterrementdeviedegarçondeTravis.—Et?—C’estluiquimettral’ambiance.—Et?Thomasbougeanerveusementsursonsiège.—Ila…commentdire…ilaconcluunmarchéavecCamille.Ilyaquelquetemps,ellea
acceptédel’épousers’ilfaisaitquelquechosededingueetderidicule.Iladécidédelefaireàcettesoirée,etensuiteil…
Sonregardtomba,ilsemblaitlaminé.—…ensuiteildemanderaàCamilledel’épouser.—Tonex.Ilhochalentementlatête.—Cellequetuaimesencore.Alorstum’embrassespourneplusypenser?—Oui,reconnut-il.Jesuisdésolé,c’étaitvraimentdégueulassedemapart.Ma première réaction fut de me mettre en colère. Mais comment y parvenir, alors
qu’embrasserThomasétaituneobsessiondepuisque je l’avais rencontré?Et comment êtrejalouse?Lafemmequ’ilaimaitallaitbientôtsefiancer,et ilvenaitquasimentdeluidonnersa bénédiction. Mon raisonnement avait beau être logique, j’étais dans les choux. J’étaisjaloused’une femmeque jen’avais jamais rencontréeetqueThomasn’auraitplus jamais.Jenepouvaispasluienvouloiràlui,maisj’étaisfurieusecontremoi-même.
J’ouvrismaportière.—Réuniondebrigadeà15heures.—Liis!Je m’éloignai aussi rapidement que me le permettaient mes talons. Une fois dans
l’ascenseur, je restai biendroite, etme concentrai sur les chiffresqui s’affichaient.Desgensmontèrent, descendirent, discutant à voix basse ou attendant patiemment leur étage ensilence.Quand lesportes s’ouvrirent au septième, je sortis et fisdemonmieuxpourpasserdevant le bureau de Marks sans qu’il me voie – il était toujours là très tôt, et Val passaitsouventboireuncaféetdiscuteraveclui.Jefranchislepostedesécuritéleplusdiscrètementpossible,longeailepremierbureauouvert,lesuivant…etmeruaidanslemien.
Porte fermée, je m’installai sur mon trône, tournai le dos aux cloisons vitrées, etcontemplai pensivement mes étagères vides et la ville, à mes pieds. Quelqu’un toqua à laporte,jenerépondispas,etj’entendisqu’onglissaitquelquechosedansmaboîte.Ledossierdemon siège était suffisamment haut pourme dissimuler aux regards depuis la salle de labrigade.J’enroulaiunemèchedecheveuxautourdemon indexet repensaiàcebaiser,à laveille, et à tous les moments que j’avais passés seule avec Thomas depuis que je l’avaisrencontré.
Il aimait encore Camille. Je ne comprenais pas – pire, je n’étais pas sûre de messentimentsnonplus.Jesavaisqu’ilmeplaisait.Etsi j’étaisvraimenthonnête, il s’agissait làd’un euphémisme d’anthologie. Sa présence mettait tout mon corps en ébullition. Et je nepouvais plus me voiler la face, j’étais devenue accro à cette sensation. Je désirais Thomascommejamaisjen’avaisdésiréJackson.
Est-cequeçavautlecoupauregarddubordelqueçarisquedecréeraubureau?Est-cequeçavautlecoupauregarddesplumesquejerisqued’ylaisser?
Je retirai la mèche de cheveux de ma bouche en m’apercevant que je la mâchonnaisdepuisdéjàunmoment.Jen’avaisplusfaitceladepuisl’enfance.Thomasétaitmonvoisinetmonpatron.Ilétaitidiotdesouhaiterqu’ildevienneautrechose.Idiotetirrationnel.Etsijevoulaisgarderlecontrôledelasituation,ilfallaitabsolumentquej’acceptecetétatdefait.
Maportes’ouvritbrusquement.—Liis?C’étaitThomas.Je me retournai lentement, avant de me redresser. Le malaise, dans son regard, était
insupportable.Toutcommemoi,ilétaitdéchiréentredeux«possibilités».—C’estbon,dis-je.Cen’estpasàtoiquej’enveux.Ilrefermalaporte,vints’asseoirdansl’undesfauteuilsclubetsepenchaenavantpour
s’accouderàmonbureau.—C’étaitcomplètementdéplacédemapart.—Tuaseuunmomentd’égarement,j’aicompris.Maréponsesemblal’ébranler.Ilmedévisageaunlongmoment.—Tun’espasunmomentd’égarement,Liis.— Jeme suis fixé un objectif que je suis déterminée à atteindre. Quels que soient les
sentimentsquejepourraisavoirpourtoi,ilsnesemettrontpasentraversdemaroute.Entacompagnie, ilm’arrivede l’oublier,mais je reviens toujours àmonplandedépart.Unplandanslequeliln’yapasdeplacepourunhomme.
Ilpritquelquesinstantspourméditermesparoles.—C’estcequis’estpassépourJacksonettoi?Iln’yavaitpasdeplacepourluidanston
programme?—Jacksonn’arienàvoirlà-dedans.—Tuneparlespasbeaucoupdelui,dit-ilensecarrantdanssonfauteuil.Etmerde.Jen’avaisaucuneenviedemelancersurcesujetaveclui.—C’estparcequejen’enressenspaslebesoin.—Vousétiezfiancés,non?—Jenevoispasenquoicelateregarde,maisoui,nousl’étions.Thomashaussaunsourcil.—Etrien,alors?Pasuneseulelarme?
—Jene…suispascommeça.Jebois.—Commel’autresoirauCutter’s?— Exactement comme l’autre soir au Cutter’s. Donc nous sommes quittes, en quelque
sorte.Thomasrestabouchebée,sansmêmechercheràcacherquesonegovenaitd’enprendre
uncoup.—Waouh.Enquelquesorte.— Thomas, si quelqu’un peut comprendre, c’est bien toi. Tu as dû affronter la même
situationavecCamille.Ilt’afalluprendrelamêmedécision.EttuaschoisileFBI,non?—Non,dit-ilenseressaisissant.J’aiessayédecontinuerlesdeux.Jecroisailesmains.—Ettut’enessorticomment,exactement?—Jen’aimepascettefacette-làdetapersonnalité.—C’est fortdommage.Parcequ’àpartird’aujourd’hui, c’est la seuleà laquelle tuauras
droit,lançai-jeenleregardantdanslesyeux.Ilallaitrépondrelorsquel’onfrappaàmaporte.—AgentLindy?demandaConstanceenouvrantsansattendred’yêtreinvitée.—Oui?—Vousaviezunvisiteur,enbas.Jel’aifaitmonter.Etsansmêmemelaisserletempsdemedemanderquipouvaitbienvenirmevoir,elle
s’effaçadevantJacksonSchultz.—Voilàautrechose…,murmurai-je.Ilportaitunechemisebleuroietunecravateàmotifs.Jenel’avaisvuaussiélégantque
deuxfois:lesoiroùilm’avaitdemandédel’épouser,etàl’enterrementdel’agentGregory.Lateintedesachemisesoulignaitlebleuazurdesesyeux.Autrefois,cesyeuxavaientétécequejepréféraischezlui,maislà,jenevoyaisqu’unechose:ilsétaientaussirondsquesonvisage.Jacksonavaittoujoursétéenbonneformephysique,maissoncrânerasédeprès luidonnaitunairpluscorpulentqu’ilnel’étaitenréalité.
Avec le temps, ses traits et ses habitudes les moins agréables m’étaient devenusinsupportables.Samanied’aspirerlesrestesdenourritureentresesdentsaprèsunrepas,desepencher sur le côtépour laisser échapperunpet,mêmeenpublic,denepas toujours selaverlesmainsensortantdestoilettesoùilvenaitdepasserunedemi-heure.Mêmelestroisplisprofondssursanuquemehérissaientlepoil.
—Vousêtesqui,vous?demandaThomas.—JacksonSchultz,ForcesSpécialesdeChicago.Etvous,vousêtesqui?Jemelevai.—L’agentMaddoxestAgentSpécialenChefAdjointpourSanDiego.—Maddox?
Jacksoneutunpetitrire,pasimpressionnédutout.—C’estça.Maddox,leconnardquigèrelaboutique,ici,ditThomasavantdesetourner
versConstance.Noussommesenpleineréunion.—Jesuisnavrée,dit-elle,avecl’airdenepasl’êtredutout.Jelisaisclairdanssonjeu.ElleavaitditàThomascommentjeprenaismoncafé,etdès
qu’elleavaitapprisqueJacksonse trouvaitdans l’immeuble,elle l’avaitescorté jusqu’àmonbureau pour rappeler à son patron qu’il avait de la concurrence. J’hésitais entre l’étranglersur-le-champ et en rire, mais il était évident qu’elle tenait à Thomas, et plutôt flatteur desavoirqu’ellem’estimaitassezpourlepousserdansmadirection.
—Nousenavionsterminé,n’est-cepas,agentMaddox?Thomasmeregarda,puisregardaJackson.—Non.L’agentSchultzpeutallerattendredehors.Constance?—Oui,monsieur.AgentSchultz,sivousvoulezbienmesuivre,dit-elleavecunsourire
encoin.Jacksonnemelâchaduregardquelorsqu’ilfranchitleseuildemonbureau.—Était-cebiennécessaire?lançai-je,furax,àThomas.—Pourquoitunem’aspasditqu’ilvenaittevoir?rétorqua-t-il.—Tupensesvraimentquej’étaisaucourant?Ilsedétendit.—Non.—Plusvitetul’autorisesàvenir,plusviteilserareparti.—Jeneveuxpasdeluiici.—Arrête.—Quoi?aboyaThomastoutenfaisantmined’examinerlesphotosetautrespost-itsur
lemuretl’étagère.—Tuteconduiscommeungamin.Ilmelançaunregardnoir.—Débarrasse-toidelui,dit-ild’unevoixsourde.Jusqu’àunpassérécent,cettemanifestationdepouvoirm’auraitpeut-êtreimpressionnée.
MaisThomasMaddoxnemefaisaitpluspeur.Jen’étaismêmepassûrequ’ilm’aitfaitpeurunjour.
—Hiersoir,tumefaistoutunplatendisantquejesuisjalouse.Tusaisquec’estmoiquil’aiquittéetqu’ilnem’intéresseplusdutout,etregarde-toi.
Ilpointaundoigtverslaporte.—TupensesquejesuisjalouxdeMonsieurPropre?Tuplaisantes,j’espère?—Noussavonstouslesdeuxquetuestropmaldanstatêtepourtepréoccuperdemon
ex,oudemoiengénéral.—C’estfaux.
—Tul’aimesencore!J’avaisparlétropfort.Dans l’open spacede labrigade, tous les agentsprésents sepenchèrent enavantouen
arrière sur leur siègepour jeterunœildansmonbureau.Thomas sedirigea vers la cloisonvitrée,etdescenditlepremierstore,puislesecond,avantdefermerlaporte.
—Etalors?Jenepeuxpasl’aimerencoreetêtreattirépartoi?—Est-cequec’estlecas?Est-cequejeteplais?—Non,jet’aijusteproposéunrencardpourleplaisirdemeprendreunrâteau.— Tu m’as invitée à dîner juste avant de péter un câble. Tu n’as pas tourné la page,
Maddox.—Etvoilàqueturecommencesavectes«Maddox».—Tun’aspastournélapage,répétai-jeendétestantlatristessequej’entendaisdansma
voix.Etmoi,j’aidesobjectifs.—Tul’asdéjàdit.—Doncnoussommesd’accord,toutcelan’aaucunsens.—Parfait.—Parfait?Cettefois,ilyavaitdelapaniquedansmavoix,etcelamegêna.—Jenevaispas insister.Si je tourne lapageCamilleetquede toncôté tu tournes la
page…Machin…nousenrediscuterons.Jeledévisageai,incrédule.—TunedisaispasçaàConstancepourmeubler.Nousétionsvraimentenréunion.—Et?— Et alors, on n’est pas en train de parler d’un dossier pour lequel il faut décider
d’objectifsàmoyenetlongterme,Thomas.Tunepeuxpasprévoirlafaçondontvonttournerleschoses,etnousnerediscuteronspasdel’avancéeduprojet.Çanefonctionnepascommeça.
—Maisnous,c’estcommeçaqu’onfonctionne.—C’estridicule.Tuesridicule.—Peut-être,maistoietmoi,onestpareils,Liis.Voilàpourquoiçan’apasmarchéavec
d’autres. Je ne vais pas te laisser filer, et tu ne te laisseras pas impressionner par mesconneries. On peut deviser sur l’efficacité de ce système jusqu’à la retraite, ou on peutl’accepterdèsmaintenant.Maisauboutducompte,nous,onplanifie,onorganise,oncontrôlelasituation.C’estcommeça.
Jedéglutis.Thomaspointaundoigtverslemur.— Avant toi, j’étais un drogué du boulot, et même si tu avais quelqu’un dans ta vie,
c’étaitpareildetoncôté.Maistoietmoi,ensemble,onpeutyarriver.C’estlalogiquemême,
d’êtretouslesdeux.Quandtuaurasditàl’autreninjad’allersefairevoir,préviens-moi,etjet’emmèneraidîner.Etensuite,jet’embrasserai,etpaspardésespoir.
Lagorgeserrée,jefisdemonmieuxpourempêchermavoixdetrembler.—Très bien. C’est un peu déconcertant d’être embrassée quand tu regrettes une autre
femme.—C’étaitunemaladresse.—Faisensortequecelanesereproduiseplus.—Bien,madame.Ilouvritlaporte,sortitetlareferma.Jemelaissaitomberdansmonfauteuiletrespirailentement,pourretrouvermoncalme.
Quelqu’unpeut-ilmedirecequivientdesepasser?
12
—Salut,melançaJacksondepuis lerecoindel’entréequiservaitdesalled’attente.Tuesresplendissante.LaCalifornietevabien,àcequejevois.
Il se leva pour venir à ma rencontre. Je penchai la tête sur le côté, avec un sourirereconnaissant.
—Celanefaitquequelquessemaines.—Jesais.—Commentvonttesparents?— Papa se remet d’un rhume. Maman m’a assuré que si je t’apportais des fleurs, tu
changeraisd’avis.Monsourires’effaça.—Onvafaireuntour?Jackson me suivit jusqu’à l’ascenseur. La descente jusqu’au rez-de-chaussée se fit en
silence.Lesportess’ouvrirentsur lehalld’entréefourmillantd’agents.Tousétaientenroutepour procéder à un interrogatoire, témoigner au tribunal ou effectuer l’une des multiplestâchesquifiguraientaunombredeleursattributions.Lesvisiteursattendaientleurbadge,etun petit groupe de collégiens se préparait à une visite guidée des lieux. Je l’entraînai versl’arrièredubâtimentetpoussailadoubleportequidonnaitsurlejardin.Nichéentrelesdeuximmeubles se trouvait un endroit magnifique, un décor minéral jalonné de buissons degraminées, avec quelques sièges de jardin et une stèle à la mémoire des agents morts enmission. Depuis mon arrivée, j’avais eu l’intention d’y venir pour réfléchir, ou simplementpasser quelques minutes dans un calme absolu, mais entre mes déjeuners avec Val et messéancesdegymavecThomas,jen’avaispasencoretrouvéletempsdelefaire.
Jackson s’installa dans l’un des sièges en rotin. Je restai debout, face à lui, sans tropsavoirquefaire.Auboutd’uneminute,jemedécidaienfinàbriserlesilence.
—Pourquoitunem’aspasprévenue?—Tum’auraisditdenepasvenir.Latristesse,danssavoix,mefitdelapeine.
—Maistuesvenuquandmême.QuandJacksonsepritlatêteentrelesmains,jefuscontentequ’iln’yaitpersonned’autre
quenousdanscepetitjardin.Jereculaid’unpas,craignantl’espaced’uninstantqu’ilnesemetteàpleurer.—Jenegèrepastrèsbien,toutça,Liisou.Jenemangeplus,jenedorsplus.Etj’aipété
lesplombsauboulot.Entendre lepetitnomdont ilm’avaitaffubléem’arrachaunegrimace.Cen’étaitpas sa
faute. Je ne lui avais jamais dit que je le détestais. Le voir aussi vulnérable alors qu’ilmaîtrisaitd’ordinairesibiensesémotionsmemitterriblementmalàl’aise,etjem’envoulusdixfoisplus.
Jacksonétaituntypebien.Maisàpartirdumomentoùmessentimentspourluis’étaientévanouis,toutcequ’ilfaisaitpourmoiétaitdevenugrotesque,etplusj’essayaisdecompatir,moinsj’arrivaisàlesupporter.
—Jackson,jesuisauboulot,là.Tunepeuxpasfaireçaici.Ilmeregarda.—Excuse-moi.Enfait,jevoulaisjustequ’ondéjeuneensemble.Jem’assisàcôtédeluiensoupirant.—Jen’aimepastevoirsouffrir.J’auraisvouluqueleschosessoientdifférentes,mais…je
n’aipaschangéd’avis.Jenousaidonnéunan,commejetel’avaispromis.—Maispeut-êtrequesi…—Toutcelan’arienàvoiraveccequetuasfait,oupasfait,d’ailleurs.Nousnesommes
pasfaitsl’unpourl’autre,c’estaussisimplequeça.—Jen’avaispascetteimpression…Jeposaiunemainsursondos.—Jesuisdésolée.Vraiment.Maisnousdeux,c’estterminé.—Jenetemanquepasdutout?Ilétait tellementplusgrandet largequemoiqu’ilmefaisaitde l’ombre.Jemesouvins
del’avoirvuàl’entraînement.Lesautresfillesletrouvaientséduisantetsympa.Ellesavaientraison. Toutes avaient fait beaucoup d’efforts pour l’attirer dans leurs filets, et moi, j’avaisréussiàlefairetomberdansmesbrassansdifficulté.Ilaimaitlesfillesintelligentesetsûresd’elles,m’avait-ilconfié.J’étaislesdeux.
Etvoilàqu’ilmesuppliaitdelereprendre,alorsqu’ilauraitpusortird’icietfairecraquerdes dizaines de femmes, des femmes qui pouvaient l’aimer et supporter ses petites maniestoutautantquelesqualitéspourlesquellesj’avaiscraquémoi-même.
Lavéritén’étaitpasplaisante,maiselleétaitnécessaire.Jerépondisd’unsimple«non»delatête.
Ileutunpetitrire.
—Putain,jepenseàunechose,toutàcoup.T’esvenueicipourquelqu’un?Jesaisqueçanemeregardepas,maisilfautquejesache.
—Biensûrquenon.Ilhochalatête,l’airsatisfaitdemaréponse.— Bon, ben je ne reprends l’avion que mercredi. Mais y a pire que la Californie. Ça
devraitaller.—Tunepeuxpaschangertonbillet?Enposant laquestion, jeconnaissais la réponse.NonseulementJacksonavaitdumalà
tournerlapage,maisenplus,ilétaitcomplètementincapabledegérerlequotidien,afortiorisi celui-ci impliquait de changer un billet d’avion, de faire une nouvelle réservation ou deprendredesrendez-vous.Mêmepourvenirici, j’étaiscertainequesamères’étaitchargéedetout.
—IlyalebardeTopGun,ici.C’estunendroitquiteplairait,dis-je.—Ahoui?fit-ilavecunriredépité.Çaal’airsuper.—Je…jevaisteraccompagner,Jackson.Je…jesuisvraimentdésolée.—Ouais.Moiaussi.Jeleraccompagnaijusqu’àl’entréedubâtiment.Ilneditpasunmot,jusqu’aumomentde
partir.—Écoute…ilfautquejelediseaumoinsunefois…avantdem’enaller.Jet’aime.Jel’embrassaisurlajoue.—Merci.Jeneleméritepas,maismerciquandmême.Ileutunsourirenarquois.—Jesaisquetuescapabledegérerleconnarddetoutàl’heure,danstonbureau,mais
sijamaisçatournemal,tupeuxtoujoursrentreràlamaison.J’eusunpetitrire.—Ilnemeposeaucunproblème.—Aurevoir,Liis.Jackson m’embrassa sur le front et s’éloigna. J’inspirai profondément en le regardant
partir.J’étaisépuisée.Dansl’ascenseurquimeramenaitàmonbureau,jem’adossaiàlaparoi,fermailesyeux,
etattendisletintementannonçantmonétage.Aumomentoùjepassaidevantsonbureaud’unpaslourd,Marksmelança:
—Liis!Viensvoirunpeu!Je fis demi-tour, étonnée d’éprouver de la reconnaissance face à ce qui était plus une
injonctionqu’uneinvitation.—Qu’est-cequ’ilya?demandai-jeenmelaissanttomberdansunfauteuil.Ilhaussaunsourciletcessadetapersursonclavier.—Jetel’avaisdit.Tuvasfoutrelamerde.
—Qu’est-cequitefaitdireunechosepareille?—Toutlemondeabienvuqu’ilavaitchangé.Ilestquasimentheureuxquandtuesdans
lesparages.—J’aidumalàvoirenquoicelafaitdemoiunefouteusedemerde.—Tonexestcheztoipourquelquesjours?—Biensûrquenon.—Pourquoinon?Jemeredressai.—Tuposestoujoursdesquestionsaussiindiscrètes?—Laisse-moideviner.Tu asdemandé tamutation ici pourmettrede ladistance entre
vous?TuasditàTommyquetun’étaispasdisponible,etmaintenant,iltecourtaprèsparceque tu as refusé ses avances. Seulement ce n’est pas un jeu, pour toi. Tu n’es vraiment pasdisponible.
Jelevailesyeuxaucieletmecarraidansmonfauteuil.—C’estpascommes’iln’avaitpasquelquesproblèmesdesoncôté.— Exactement. Alors pourquoi ne pas nous simplifier la vie à tous dans la brigade et
réglerçaunebonnefoispourtoutesentrevous?— Toi aussi, tu as des problèmes, dis-je enme levant. Je te suggère de te concentrer
dessusplutôtquedet’occuperdesmiens.—J’ai vu cequeça lui a fait…quandCamilleestpartie, ladernière fois.Ellea choisi
Trent,maisTommyl’aimetoujours.J’essaiepasdejouerlesemmerdeurs,là,Liis.Seulement,c’estmonami,etjet’assurequeperdreCamil’achangé,etpasenbien.Ilcommencejusteàmontrerdessignesderetouràl’hommequ’ilétaitavantqu’elleneluibriselecœur.
—«Tommy»?répétai-je,sceptique.Markspenchalatêtesurlecôté.—C’esttoutcequetuasretenudecequejeviensdetedire?Écoute,Liis, ilnes’agit
pasd’unconcours. Jen’essaiepasde te lepiquer. J’essaiede ledétournerde toiavantqu’iltrinqueànouveau.
Malgrél’amertume,jefisdemonmieuxpourravalermahonte.Markss’enaperçut,etlacolèredisparutdesonregard.
—Jevoisbienquetuesàfonddanstonboulotetquec’esttoutcequicomptepourtoi,dit-il.Maissitunetrouvespasunmoyend’aimertonjobetdel’aimer,luiaussi…jevoudraisjustequetuévitesdelefairemorflerpendantquetutedemandessituasencoreuncœur.
Mahontesetransformaencolère.—Vatefairefoutre,Marks,lâchai-jeavantdequittersonbureau.Jepassailasécuritéetmedirigeaid’unpasdécidéversmonbureau.—Lindy,commençal’agentSawyer.—Pasmaintenant,répondis-jeenclaquantmaportepourmefairecomprendre.
Unenouvellefois, jemelaissai tomberdansmonfauteuilet tournai ledosauxcloisonsvitrées. Les stores étaient toujours baissés, mais j’avais besoin de sentir mon dossier entrel’openspacedelabrigadeetmoi.
Ontoquadiscrètement,etj’entendislaportes’ouvrir.Commelapersonnenedisaitrienetnes’affalaitpasdansl’undesfauteuils,j’endéduisisqu’ils’agissaitdeVal.
—OnmangechezFuzzy,cemidi?—Non,pasaujourd’hui.Ilfautvraimentquejefassedel’exercice.—OK.Jefispivotermonfauteuil.—C’esttout?Pasd’interrogatoire?—Pasbesoin.Jet’aiobservéetoutelamatinée.D’abord,tuteplanquesdanstonbureau,
etMaddoxvient tedébusquer.Ensuite, tonexdéboule, et là-haut,Maddox se remetà criersurtoutlemonde,commeavant.Ilestsérieusementaccro.
Jedétournaileregard.— Je viens de briser le cœur de Jackson. Pour la seconde fois.Mais qu’est-ce quim’a
pris ? Je savaisqueThomas se remettait àpeined’unehistoire.Tum’enavaisparlé le jourmêmedemonarrivée.Marksaraison.
Valseraidit.—Qu’est-cequ’ilt’adit?—Que je devrais laisser Thomas tranquille. Que je n’ai pas été capable dem’engager
avecJacksonetquejenesuissansdoutepascapabledelefaireavecunautre.Valfitunegrimace.—Tumeracontesdescraques,là.Jamaisilauraitleculotdesortirdestrucspareils.—Avecmoi,ill’a.Maispourquetoutsoitbienclair:jetel’aifaitendécrypté.—Alorsc’esttatrouillequiparle.MaissiMaddoxteplaît,Liis,nelaissepasunerelation
foirée tedicter tonattitudedans la relationsuivante.Cen’estpasparceque tun’aimaispasJacksonquetunepeuxpasaimerMaddox.
—Maisill’aimeencore,lui,dis-je,sanschercheràcachermatristesse.—Camille?C’estellequil’aquitté,Liis.Ill’aimeraprobablementtoujours.Je me sentis mal tout à coup, et mes épaules s’affaissèrent sous l’effet d’une douleur
physiquequimeparcouruttoutentière.Onneseconnaîtpasdepuissilongtemps.Pourquoimessentimentssont-ilssiviolents?Mais je ne pouvais pas poser cette question. Cela me rendrait trop vulnérable et
généreraitenmoiunsentimentdetropgrandefaiblesse.— Tu crois qu’il peut aimer deux femmes ? fut la seule question que je posai à voix
haute.—Tucroisquetupeuxaimerunhomme?répliquaValdutacautac.Jesecouailatête,portailamainàmeslèvres.
—Tunepeuxt’enprendrequ’à toi-même,ditValsansaucuneempathie.Sorsavec lui,oupas.MaisMarksaraison.NejouepasaveclessentimentsdeMaddox.Tuluiasditquetun’étaispasdisponible,maistutecomportescommesitul’étais.
—Parcequ’ilmeplaît.Jecroismêmequecelavaplusloin.Maisjeneveuxpas.—Alorssoishonnêteaveclui,neluibalancepasdessignauxcontradictoires.— C’est difficile, vu que c’est comme ça que ça fonctionne, là-dedans, répondis-je en
pointantundoigtsurmoncœurpuissurmatête.Ellesecoualatête.— Je comprends bien, mais tu vas devoir prendre une décision et t’y tenir, sinon, tu
passeraspourunesalope.Jesoupirai.—Jen’aipasletempspourcegenred’histoire.J’aiunboulot,moi.—Alorsremetsdel’ordredanstavie,etfais-le,tonboulot.Valselevaetquittamonbureausansunmotdeplus.Jecroisailesmains,lesfixaid’unœiltorve.Elleavaitraison.Marksavaitraison.Jackson
avaitraison.Nonseulementcen’étaitpas lemomentpourmoid’éprouver les limitesdemaphobiedel’engagement,maiss’ilyavaitbienunhommeavecquiilnefallaitpasjoueràcela,c’étaitThomas.
Je me levai, résolue, et pris le chemin du bureau de Constance. Sans savoir si j’étaisnerveuse,ousimplementessoufflée,jedemandaiàvoirl’agentMaddox.
—Ilestdanssonbureau,merépondit-ellesansmêmevérifierviasonoreillette.Allez-y.—Merci.—Hé,ditThomasenselevantaveclesouriredèsl’instantoùilvitquientrait.—Je…jenevaispaspouvoir.Pourlerencard.Désolée.Sonairdétendudisparutaussitôt,etjem’envoulus.—Tuaschangéd’avispourJackson?—Non!Non…je…jenesuispassûred’avoirchangéd’avissurlecoupledepuisquej’ai
quittéChicago,etjepensequeceneseraitpastrèsjustedetelaisserenpâtir.Jevisqu’ilsedétendaitànouveau.—C’esttout?C’estça,tonexcuse?—Pardon?— Si tume regardes dans les yeuxmaintenant et que tume dis que tu n’as pas aimé
notrebaisercematin,jetecrois.Sinon,laissetomber.—Je…tu…Cen’étaitpaslaréactionàlaquellejem’attendais.—… tu sors juste d’une histoire qui t’a brisé le cœur. Et je viens de briser celui d’un
autre.Ilhaussalesépaules.
—Cen’étaitpasl’hommequ’iltefallait.Ilcontournasonbureau,s’approchademoi.Jefisquelquespasenarrière,jusqu’àbuter
contrelatablederéunion.Thomassepencha,sonvisageàquelquescentimètresdumien.—Heu…nousavonsunemissionàpréparerpour la semaineprochaine,patron. Il faut
qu’ondécided’unangled’approche.Ilfermalesyeux,inspiraparlenez.—Arrêtedem’appelerpatron,s’ilteplaît.—Pourquoiest-cequeçategênetant?Ilsecoualatête,scrutantmonvisageavecunteldésirdansleregardquejerestaifigée.—Celanemegênepas.Maisnotremissionestdenousfairepasserpouruncouple.Sonhaleinementholéeétaittièdecontremajoue.L’enviedetournerlatêteetdesentir
sabouchesurlamienneétaitsifortequej’enavaismaldanslapoitrine.—Depuisquandas-turecommencéàm’appelerpatron?Jelevailesyeux.—Depuislà,maintenant.L’attirancequ’onéprouvel’unpourl’autreestévidente,mais…—Lemotestfaible.Est-cequetuimaginescequeçamefaitdetevoiralleretveniren
jupedanslesbureaux,sachantquetuneportesjamaisdeculotte?—Écoute…Ilyaquelquechoseentrenous.J’ensuisconsciente.Onacouchéensemble
moins de vingt minutes après avoir fait connaissance, bordel. Mais j’essaie de te rendreservice,là.Est-cequetum’entends?Jeveuxqueleschosessoienttrèsclaires.Tumeplais…beaucoup. Je l’admets.Mais le couple etmoi, ça fait trois. Surtout, je ne veux pas que tusouffresencore.Et…tesamisneleveulentpasnonplus.
Unsourirenarquoissedessinasurseslèvres.—T’asparléàMarks,toi,jemetrompe?—J’essaieaussidenouséviterledramepersoauboulot,quinemanquerapasd’éclater
siçanemarchepas.—Serais-tuentraindemedirequej’aitendanceàtropenfaire?—Disonsque tuasdu tempérament…Etque jenepeuxpas suivre.Nousdeux,c’était
pliédèsledépart.—TuesrestéeavecJacksoncombiendetempsàpartirdumomentoùtuassuquetune
l’épouseraispas?—Troplongtemps.Ilme regardaunmoment. Ilm’analysait, et jedétestais cette sensation. Jepréféraisde
loinlessensationsdepouvoiretdecontrôlequel’onéprouvaitàanalyserl’autre.—Tuaspeur,dit-ild’unevoixdouce,compréhensive.—Pastoi?demandai-jeenplongeantlesyeuxdanssonregardnoisettesichaleureux.Ilsepencha,m’embrassaaucoindeslèvres,s’attardantunpeu,commes’ilsavourait.—Dequoias-tupeur?murmura-t-ilenmeprenantparlescoudes.
—Tuveuxvraimentsavoir?Ilfitouidelatête,lesyeuxclos,laissaglissersonnezversmonoreille.—Dansquelquesjours,tuvasvoirCamille,ettuserasenmiettes.Celanemeplairapas,
etcelaneplairapasàtescollègues.—Tupensesquejevaissouffrir,etquejerecommenceraiàmeconduireengroscon?—Oui.—Tute trompes.Jenevaispas tementir,çanevapasêtreunepartiedeplaisirpour
moi.Jevaisenbaver.Mais…jenesaispas.Lasituationnemeparaîtplusaussidésespéréequ’avant.
Ilglissasesdoigtsentrelesmiens,etserra.Ilsemblaitsisoulagé,siheureuxdedireceschosesàvoixhaute.Iln’yavaitniangoissenicraintedanssavoix.
—Ettuasraison,reprit-il.Nousdevonsnousconcentrersurnotremissionpourfaireensorte que Travis n’ait pas d’ennuis. Après ça, peut-être que tu pourras essayer de tedébarrasser de cette idée préconçue qui te fait croire que concilier vie privée et vieprofessionnelle est impossible. Et quand nous y verrons tous les deux un peu plus clair, tupourrasdéciderd’accepterounoncerencard.
Jefronçailessourcils.Ileutunpetitrire,effleuramonmentondesonpouce.—Quoi,encore?—Jenesaispas.Quelquechosecloche.Tuestrop…d’accord.—Adresse-toiàVal.Demande-luisijemens.—Ellenefonctionnepascommeça.—Biensûrquesi.Demande-lui.J’ouvrislabouchepourrépondre,maisillarefermadesonpouce.—Demande-lui.Jem’écartai.—Trèsbien.Bonnejournée,patron.— Nem’appelle pas patron. Je veux que tu te débarrasses de cette habitude avant la
cérémonie.—Trèsbien,agentMaddox,répondis-jeavantdem’éclipserd’unpasrapide.—Çanonplus,jen’aimepas,lança-t-il.Jenepusretenirunlargesourire.EtenpassantdevantConstance,jevisqu’ellesouriait
aussi.
13
Valportaleverredevinàseslèvres.Elleavaitétendulesjambessurlecanapéetportaituntee-shirtbleuclairsurlequelonpouvaitlireJ’EMMERDELEPATRIARCAT.
—Çafaitplusdetroissemaines,dit-elle,songeuse.Elleavaitdansl’autremainletire-bouchon,qu’elletenaitcommeunearme,maiscroisait
lesjambescommeunegrandedame.—Et?demandai-je.—Ilest tellement…jeneveuxpasdirequ’il t’aime,c’estunpeu tôtpourça.Mais ila
l’airtellement…amoureux.—Tuescomplètementabsurde.—Ettoi,t’enesoù?demanda-t-elle.—Ilmeplaît,répondis-jeaprèsréflexion.Beaucoup.MentiràValétaitinutile,jelesavais.—Etçafaitquoi,exactement?DetrouverThomasMaddoxàsongoût?Jel’aidétesté
pendanttellementlongtempsquejen’arrivepasàimagineruntrucpareil.Pourmoi,enfait,iln’estpasvraimenthumain.
—C’estpeut-êtrecequimeplaîtchezlui.—Menteuse.—Jevoulaisdirequ’ilaréellementuncôtéhumain,qu’ilnelaissevoirqu’àmoi.Etc’est
çaquimeplaît.C’estunpeunotresecret,quelquechosequ’ilgardebienà l’abri, justepourmoi.
Ellefittournerlevindanssonverre,etbutladernièregorgée.—Ouhlà,faisgaffe.Àt’entendre,t’asdécrochélegroslot,mabelle.—Tuasraison.Jeretirecequej’aidit.—Bien, et sur cettenotebiendéprimante, je t’annoncequ’il n’y aplusdevin,donc je
m’envais.—J’ailesentimentd’avoirétéutilisée.—Maisçat’aplu,dit-elleavecunclind’œil.Àdemain.
—Tuveuxquejeteraccompagne?—J’habiteàcentmètresd’ici,dit-elleavecunregarddésapprobateurunpeuflouquine
m’intimidapaslemoinsdumonde.—Çafaitquoi?DevivredanslemêmeimmeublequeSawyer?Ellepritlabouteillevideetlaportajusqu’àlacuisine.— Au début, j’aimais plutôt. Mais ça n’a pas duré très longtemps. Maintenant, je me
contentedel’ignorer.—Pourquoiest-cequetoutlemondeledétesteautant?—Tuverras.Çaviendrapourtoiaussi.Jemerenfrognai.—Maispourquoivousenfaitestousuneespècedesecret?Vouspourriezmeledire,ce
seraitplussimple,non?—Fais-moiconfiance.Tedirequece typeestunenfoiréne sertà rien. Il fauten faire
l’expériencesoi-même.—EtMarks?Ilhabitelà,luiaussi?—Non,ilhabitedanslecentre-ville.Jemelevaiàmontour.—Jenesaispasquoipenserdelui.J’ail’impressionqu’ilmedéteste.—EntreMarksetMaddox,c’estunelonguehistoired’amourviril.Untrucbiendégueu.Elle se dirigea vers la porte, d’un pas étonnamment sûr pour quelqu’un qui venait de
boireunebouteilleetdemie.—Bon,benjevaismecoucher,dis-jeenrigolant.—C’estça.Bonnenuit,dit-elleensortant.Quelquesminutesplustard,j’entendisletintementdel’ascenseur.Déjàentenued’intérieur,jemelaissaitombersurmonlit,àplatventresurmonédredon
jauneetgris. Je tendis l’oreille lorsqu’unbruit, àmaporte,brisa le silence. Je crusd’abordquequelqu’untraversaitsimplementlepalier,maisontoquadenouveau,plusfort.
—Val,soupirai-je,agacéededevoirmerelever.T’auraismieuxfaitderester…Jem’interrompisendécouvrantJacksonsurleseuil,l’airmalheureux,ettrèsivre.—Liis.—Bonsang,Jackson,qu’est-cequetufichesici?— Je suis allée au bar de Top Gun, comme tu m’as dit. J’ai picolé. Y a des nanas
carrémentsexydechezsexy,danscetteville,hein.Ils’affaissaunpeuplussurlui-même.—Ducoup,tum’asmanquéencoreplus,gémit-ilenentrantsansquejel’yinvite.Jemeraidis. Ilne faisaitpaspartiedemanouvellevie,et levoir là,deboutdansmon
salon,monsalonpost-Jackson,memithorsdemoi.—Tunepeuxpasdébarquercommeça…commençai-je.
—Jeneveuxpas faire tout ça sans toi,dit-ild’unevoixavinée. JeveuxdécouvrirSanDiegoavectoi.Peut-êtreque…sijedemandaismamutationaussi,on…
—Jackson,tuesivre.Ettunem’écoutesdéjàquasimentjamaisquandtuesàjeun…Onvat’appeleruntaxi.
Jemedirigeaiversmontéléphone,maisJacksonl’atteignitavantmoi,etlejetaàtraverslapièce.L’appareilglissasurleplancheretallacognercontrelaplinthe.
—Nonmaisçavapasbien!hurlai-jeavantdeplaquerunemainsurmabouche.Je courus ramasser mon portable, et l’examinai. Miraculeusement, l’écran n’était pas
fendu,etleboîtiern’avaitaucunetracedechoc.—Pardon ! Pardon, hurla Jackson en levant lesmains, peinant à garder son équilibre.
N’appellepasdetaxi,Liis.Ilvacillaitdeplusenplus,jenel’avaisjamaisvudansunétatpareil.—Jevaisdormiravectoiici,c’esttout.—Horsdequestion,répliquai-jed’untonferme.Tunedorspasici.—Liis,soupira-t-ilensedirigeantversmoi,lesyeuxdéjàmi-clos.Ilnemeregardaitmêmepas,regardaitderrièremoi,etbalançaitsursesjambes,comme
uncapitainesurunbateau.Ilmepritparlesépaulesetsepencha,lèvresenavant.Jevoulusmedégager,etnoustombâmestouslesdeux.—Putain,Jackson,arrête,maintenant!râlai-jeenmerelevant.Ivre comme il était, il fitplusieurs tentativespour se releverà son tour, sans succès. Il
n’arrivaitmêmepasàs’asseoir,onauraitditunetortuesurledos.Enfin,ilréussitàsemettreàgenoux,etsemitàpleurercommeunveau.—Ohnon.S’ilteplaît.S’ilteplaît,arrêteça.Je l’aidai à semettredebout et voulus appelerun taxi. Jacksonm’arracha le téléphone
desmainsetlejetaunenouvellefoisparterre.—Çasuffit,maintenant!criai-je.J’aiessayéd’êtregentille,maisçasuffit.Dehors!Commejel’avaislâché,ilretombalourdement.—Tunepeuxpasmejetercommeça,Liis!Jet’aime!dit-ilenessayantdeserelever.Affligée,jeplaquaiunemainsurmonvisage.—Tuvastellementregretterça,demain…Tuaurashonte!—Non!Pasdutout!Ànouveausursespieds,ilm’attrapalesépaules.—Mais qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour que tu comprennes ? Je ne peux pas te
laisserpartir!Tuesl’amourdemavie!—Désolée,maistunemelaissespaslechoix,là.Je lui attrapai les doigts d’une main et les retournai d’un coup sec. Il hurla, mais de
surpriseplusquededouleur.Cegenrede trucaurait fonctionnésurn’importequelconnard
bourré,maispassurunmembredesForcesSpécialesduFBI.Mêmeivre,Jacksonsedégagearapidementetm’attrapadeplusbelle.
Etpuislaported’entrées’ouvritàlavolée,lapoignéeallaheurterlemuravecfracas,etl’instantd’après,Jacksonnemetenaitplus,maisétaitempoignéparquelqu’und’autre.
—Onpeutsavoircequetufous,bordel?demandaThomasenleplaquantcontrelemurleplusprocheavecunregardmeurtrier.
Jackson le repoussa et voulut le frapper,mais Thomas esquiva le coup et le plaqua denouveaucontrelemur,enletenantcettefoisd’unavant-brasentraversdelagorge.
—Bougeplus,dit-ild’unevoixgrave,menaçante.—Jackson,faiscequ’iltedit,s’ilteplaît.— Qu’est-ce que vous foutez ici ? demanda Jackson. Il habite ici ? Vous habitez
ensemble?—Seigneur…soupirai-jeenlevantlesyeuxauciel.Par-dessussonépaule,Thomasjetaunœildansmadirection.—Jevaislemettredansuntaxi.Ilestàquelhôtel?—Jen’enaipaslamoindreidée.Jackson?Jacksonavaitlesyeuxclosetrespiraitprofondément.Sesjambesnelesoutenaientplus.—Jackson ! insistai-jeenmontantd’un toneten le remuantpar l’épaule.Tuesàquel
hôtel?Commeilnerépondaitpas,jemetournaiversThomas,abattue.—Onnepeutpaslemettredansuntaxidanscetétat.—Horsdequestionqu’ilresteici,réponditThomasencoreencolère.—Jenevoispasd’autresolution.Thomassepenchaenavant,laissantJacksontombersursonépaule,etleportajusqu’au
canapé. Avec plus de précaution que je nem’y attendais, il l’allongea, puis le couvrit d’unplaid.
—Allez,viens,dit-ilalorsenmetendantlamain.—Commentça?demandai-jeen résistant justeunpeu tandisqu’ilm’entraînaitvers la
porte.—Cesoir,tudorschezmoi.J’aiuneréunionimportantedemainmatin,etjen’arriverai
pasàdormirsijesaisqu’ilpeutseréveilleràtoutmomentettrouverlechemindetonlit.Jeretiraimamain.—Jenevoudraissurtoutpasquetusoisenpetiteformeàtaréunion.Thomassoupira.—Arrête,unpeu.Jesuiscrevé,là.Jehaussaiunsourcil.Ildétournalatête,agacé,puismeregardaànouveau.—OK,jelereconnais.Jeneveuxpasqu’iltetouche.
Cetteseulepenséesemblalemettredansunétatdefureurindicible,maisquinefutquepassager.Pluscalme,ilfitunpasversmoietmeprittendrementparleshanches.
—T’astoujourspascompris,depuisletemps?—Est-cequ’onpourrait… je saispas,moi…exprimer clairement cequ’onpenseou ce
qu’onressent?—Ilmesemblequec’estcequejeviensdefaire,ditThomas.Àtontour.J’examinaimesongles.—Tuavaisraison.J’ailatrouille.J’aipeurdenepasyarrivermêmesij’enaienvie.Etje
nesuispassûrequetupuissesyarrivernonplus.Ilserraleslèvres,amusé.—Prendstesclés.Après avoir ramassé mon téléphone, je pris mes clés sur le bar et mon sac de l’autre
main. Enmettantmes chaussons, je ne pusm’empêcher de jeter un regard en direction deJackson.Brasencroix,jambesécartées,ilronflaitlaboucheouverte.
—T’enfaispas,iliramieuxdemain,ditThomasenmetendantlamain.Je le rejoignis sur lepalier,verrouillaimaporteetnousnousdirigeâmesvers l’escalier
ensilence.Àl’étagedudessus,Thomasouvritsaporteets’effaçapourmelaisserentrer.Puisil alluma la lumière, révélantun intérieur immaculédontonpeinait à croirequequelqu’unl’habitait.Troismagazinesétaientdisposésenéventailsurlatablebasse,et lecanapéquisetrouvaitcontrelemursemblaitavoirétélivrélejourmême.
Toutétaitàsaplace.Lesplantes,lesmagazinesetmêmelesphotos.Ilyavaitlàtoutcequi faisait un chez-soi,mais l’ensemble était trop parfait, froid, stérile, presque. Comme siThomasessayaitdeseconvaincrequ’ilavaitunevieendehorsduFBI.
Àl’autreboutdelapièce,suruneconsoleprèsdelatélévision,setrouvaienttroisphotosennoiretblancdansdescadresenargent.Unedesesparents,probablement.UneautredeThomasetses frères,dont laressemblanceétait frappante.EtunedeThomasencompagnied’unefemme.
Elleétaitd’unebeautéparticulière,unpeusauvage,trèsnaturelle.Sescheveuxpresquerasésetsontee-shirtmoulantettrèsdécolletémesurprirent.Cen’étaitpasdutoutletypedefille avec qui j’avais imaginé Thomas. Le noir et blanc accentuait ses yeux charbonneuxsoulignés d’un épais trait d’eye-liner. Thomas la tenait comme si sa vie en dépendait, et jesentismagorgeseserrer.
—C’estCamille?demandai-je.—Oui,répondit-ild’untonpresquegêné.Désolé.Jesuistellementpeuchezmoiquej’ai
finiparoublierqu’elleétaitlà.Moncœursemitàbattre.Cettephoto,danscecadre,étaitlaseuleréponsedontj’avais
besoin.Malgrémes efforts, j’étais en trainde tomber amoureusedeThomas,mais il aimaitencore Camille. Même en admettant que nous puissions entretenir une relation de couple
malgré notre obsession pour le boulot, il nous faudrait encore surmonter l’obstacle d’unamouràsensunique.Pour lemoment,c’était leproblèmedeThomas,maissi jemelaissaisalleràéprouverdessentimentsplusprofonds,celadeviendraitlemien.
J’avais toujours été convaincue que l’on ne pouvait aimer deux personnes en mêmetemps.SiThomasaimeencoreCamille,qu’est-cequeçasignifiepourmoi?
Une insupportable sirène se déclencha dansmon cerveau,m’empêchant de réfléchir. Ilfallait que mes sentiments pour Thomas, pour l’agent Maddox, mon supérieur, cessentimmédiatement. Un coup d’œil en direction du canapé me fit redouter le jour où, ivre,malheureuse,jesonneraisàsaporteenlesuppliantdem’aimerenretouravantdepiquerdunezsursescoussinscommeJacksonsurlesmiens.
—Sicelanetedérangepas, jevaismefaireunlitparterre.Toncanapén’apasl’airsiconfortablequeça.
Ileutunpetitrire.—Taylorm’aditlamêmechose.Maistueslabienvenuedansmonlit.— Étant donné notre passé, pour ne pas dire notre passif, je pense que c’est une très
mauvaiseidée.—Ettuenvisagesdefairequoi,àSaintThomas?—Ceseratontourdedormirparterre,répondis-jeenessayantdemasquermadouleur.Thomas disparut dans sa chambre, pour en ressortir avec un oreiller et un sac de
couchagesoigneusementroulédanssonenveloppe.—Toujoursprêtàaccueillirdesgensdepassage?—C’estpourlecamping.T’enfaisjamais?—Plusdepuisquel’eaucouranteexiste.—Lelitn’attendplusquetoi,dit-ilsansrelevermonsarcasme.J’aichangélesdrapsce
matin.—Merci,dis-jeenpassantdevantlui.Jesuisdésoléedet’avoirréveillé.—Jenedormaispas.Maisjereconnaisqu’entendreunhommehurlerdanstonsalonm’a
faitbondir.—Toutesmesexcuses.D’unemain,ilmefitcomprendrequecelan’avaitplusd’importance,puisilallaéteindre
lalumière.—Arrêtedet’excuserpourlui.J’étaisdehorsavantmêmed’avoireuletempsd’ypenser.—Merci.Essaiededormir,maintenant,jenevoudraispasquetum’enveuillesdenepas
arriveràteconcentrer,demain.— Je ne vois qu’une seule raison qui pourrait m’empêcher de me concentrer pendant
cetteréunion,etcen’estpaslemanquedesommeil.—C’estquoi,alors?
—Nousallonspasserleweek-endensemble,etilfautquejepersuademonfrèredefaireune chose qu’il n’a pas envie de faire. Dimanche est un jour important, Liis, et la seuledistractiondemonexistence,encemoment,c’esttoi.
Jerougis,etremerciailapénombre.—J’essaieraidemefairediscrète.— Je ne pense pas que tu puisses cesser de me distraire. Et je ne pense pas pouvoir
cesserdepenseràtoinonplus.—Jecomprendsmaintenantpourquoitudisaisqu’êtreamisn’étaitpasunebonneidée.Ilhochalatête.—J’aiditçailyatroissemaines,Liis.Lasituationachangé.—Pasvraiment.—Noussommesplusquedesamis,maintenant.Tulesaistrèsbien.JeregardaiendirectiondelaphotodeThomasetCamille.—C’estçaquime faitpeur,dis-jeenpointantundoigt sur lecadre.Etc’estçaquiest
entrenous.Thomasallaprendrelecadreetleposaàplat,facecontreleboisdelaconsole.—Cen’estqu’unephoto.Lesmotsquej’auraisvouluprononcerrestèrentdansmagorge.Ils’approchademoi.Jem’écartaientendantunemaindevantmoi.—Nousavonsunemissionàmeneràbien.Concentrons-nouslà-dessus.Ilneputmasquersadéception.—Bonnenuit.
14
Thomas jetauneépaisse liassedepapiers surmonbureauet semità faire lescentpassousmonnez,enserrantlesdents.Ilfulminait.
—Qu’est-cequec’est?—Lis,grogna-t-il.Alors que j’ouvrais la première chemise, Val déboula, s’arrêtant brusquement entre la
porteetThomas.—Jeviensd’apprendrelanouvelle.Jefronçailessourcilsetparcouruslespremièreslignes.—Bureaudel’InspectionGénérale?dis-jeenlevantlesyeux.—Merde,lâchaVal.Putaindemerde.L’intitulé du dossier était : « Rapport de surveillance et d’enquête concernant l’agent
AristoteGrove».JelevailesyeuxversThomas.—Qu’est-cequetuasfait?Valfermalaporteets’approchademonbureau.—Groveestenbas.Ilsvontl’arrêteraujourd’hui?—C’estprobable,réponditThomas,furieux.—Jecroyaisquetuavaisréglécettehistoire,dis-jeenrefermantledossier.—Réglécettehistoire?s’exclamaThomas.Jemepenchaienavant.— Je t’ai dit queGrove te communiquait des infos erronées, dis-je à voix basse. Tu as
attendutroplongtempsavantd’agir.— J’accumulais des preuves contre lui. C’est en partie pour cette raison que je t’ai fait
venir.Valétaitaucourant,elleaussi.Jeregardaimonamie,quiobservaitledossiercommes’ilavaitprisfeu.Ellesemorditla
lèvre.
— Je n’avais pas besoin de parler japonais pour savoir que ce type déconnaitcomplètement.Attends…lespécialisteenlanguesétrangèresqu’ilarecruté,c’esttoi?
Jefisouidelatête.—Maisçaresteconfidentiel,Taber.Valacquiesça,maisnepasavoirdevinécedétailsemblalatroubler.Sawyerentraencoupdevent,rajustantsacravateenclaquantlaportederrièrelui.—Jesuisvenudèsquej’aisu.Qu’est-cequejepeuxfaire?demanda-t-il.Valhaussalesépaules.—Cequetusaisfairedemieux.CetteréponsedéçutvisiblementSawyer.—Sérieusement?Encore?C’est laciblequej’aimelemoins,cetype.Tusaistrèsbien
quesionpassaitlachambredeGroveauxultraviolets,toutelapiècescintillerait.Valportaunemainàsaboucheetfeignitunhaut-le-cœur.Jemelevaientapantdupoingsurmonbureau.—Quelqu’unaurait-illabontédebienvouloirm’expliquerdequoiils’agitexactement?— Il va falloir procéder avecbeaucoupdedoigté, ditThomas.Travis pourrait avoirde
grosennuissionn’estpasraccord.Valselaissatomberdansl’undesfauteuils,l’airabattu.—QuandMaddoxaétémutéàlamaisonmère,àWashington,justeavantd’êtrepromu
AgentSpécialenChefAdjoint,ilesttombésurlapisted’undessbiresdeBennyentravaillantavecunagentdelabrancheAsiedel’unitéCrimeOrganisé.
JeregardaiThomas,sceptique.— Tu as trouvé de quoi faire plonger unmafieux italien de Vegas en bossant avec la
brancheAsiedel’unitémafiaàWashington?Ilhaussalesépaules.—Onpourraitappelerçauncoupdechance,mais j’ai travaillésurcetteaffaire jouret
nuit depuis qu’elle m’a été confiée. Pas une seule empreinte, pas un seul rapport ne m’aéchappé.J’aitoutlu,vérifié,etre-vérifié.
Valpoussaunsoupirimpatient.—Moi,j’appelleraisplutôtçauncoupdemalchance.Lesbireenquestionétaitungamin.
Ils’appelaitDavidKenji.TravisluiacassélagueuleunsoiràVegas,pourprotégerAbby.—Cen’estpasdansledossierdeTravis,ça,remarquai-jeenm’adressantàThomas.Ildétournaleregard,laissantValpoursuivre.—Onadélibérément laissécedétaildecôté,pournepasalerterGrove. Ilne fautpas
qu’ilsache,pourTravis.S’ilcommuniquenotreplanàunyakuza,Travisneseraplusd’aucuneutilitépourleFBI.
— Mais pourquoi Grove transmettrait-il des infos sur le recrutement de Travis à unyakuza?
Valseredressa.—DavidestlefilsdelasœurdeYoshioTarou.—Tarou,lenumérodeuxdeGoto-gumiauJapon?Dans le paysage du crime organisé japonais, Goto-gumi était l’un des plus anciens
syndicatsdeyakuzas.Tarouenétaitlechefinfluent,àsatêtedepuislesannées1970.Tarounesecontentaitpasd’intimidersesennemis.Ilfaisaitpreuved’unegrandecréativitédansleurexécution, faisant en sorte que leur corps mutilé réapparaisse dans des lieux publics trèsfréquentés.
Valhochalatête.—LasœurdeTarouahabitéavecluijusqu’àsamort,quandDavidavaitquatorzeans.— D’accord. Donc, vous êtes en train de me dire que Travis est également dans le
collimateurdesyakuzas?Thomassecoualatête.—Etvouspourriezquandmêmemedirepourquoi j’aiun foutu rapportde l’Inspection
Généralesurmonbureau,ouc’esttropdemander?—Tarou,c’esttrèsmauvaissigne,Liis,ditThomas.Groveluiafaitpasserdes infosvia
les yakuzas qu’il a interrogés ici, et plus récemment, il lui amêmeparlédirectement.C’estpour ça qu’on n’a jamais réussi à entraver leurs activités criminelles, malgré les heuresd’interrogatoire.Ilsavaienttoujoursuncoupd’avancesurnous.
—Donconlaissel’IGarrêterGrove,quelestleproblème?—Leproblème,c’estqu’ilyapire.Davidestmortilyadeuxmois.Ilaperduconscience
lorsd’uncombatclandestin,etn’apasreparudepuis.—EtTaroupensequec’estTravisquiafaitça?demandai-je.—Ilfautsesouvenirquel’altercationentreTravisetDavidaeulieuilyaplusd’unan,
intervint Sawyer. Et que pour autant qu’ils sachent, Travis n’a pas remis les pieds à Vegasdepuis.
—Lescombatsétaientorganiséspar lamafia,ditVal.Bennya faitcombattreDavidensachant que le sang coulerait. Tonton Tarou a envoyé plusieurs de ses gars aux États-Unispourqu’ilsobtiennentuneexplicationdeBenny.Le typecontrequiacombattuDavida finiéparpillédans ledésert –et encore,onn’apas retrouvé tous lesmorceaux.NousavonsdesraisonsdecroirequeleshommesenvoyésparTarouappartiennentàceniddeyakuzasqu’oninterrogedepuisdéjàquelquetemps.
Jefronçailessourcils.Toutcelamanquaitdécidémentdeclarté.—Mais comment leneveudeTarou s’est-il retrouvéà jouer leshommesdemainpour
Benny?—Àcausede samère, réponditVal, commesi c’était l’évidencemême.Quandelle est
morte,DavidenavouluàTarou.Ilssontfâchés.DavidestpartipourlesÉtats-Unis.Ilatraînédanslesendroitsqu’ilconnaissait,etaterminédanslesfiletsdeBenny.
—C’estunsacrébordel,votrehistoire.ValregardaThomas,puisrevintversmoi.—OnsavaitqueGrove jouait sur lesdeux tableaux,maisonattendaitpour le coincer.
Maintenantqu’onaétabliunlienavecBenny,onestmal,parcequ’onnesaitpasexactementcequeGroveleuradonnécommeinfo.
—Merde.Etquesait-il,exactement?—Comme je l’aidit,expliquaThomas, j’avaisdes soupçonsdepuisdéjàunmoment.Et
Sawyerétaitchargédesuivredeprèstoutessesactivités.—Quelgenred’activités?Sawyercroisalesbras.— Toutes ses activités quotidiennes – ce qu’il mange, où il crèche. Je sais ce qu’il ne
digèrepasbien,quellemarquedesavonilutiliseetsurquelssitespornoilsebranle.—Super.Sawyerricana.—C’estdelasurveillance,chef.Etjesuisdouépourça.—C’estlemeilleur,confirmaVal.—Merci,luiréponditSawyeravecunsourire.Ellelevalesyeuxauciel.—Vatefairefoutre.—Pourl’essentiel,repritSawyer,MaddoxalaisséGrovedansleflouàproposdeVegas.
Maisquandlesdeuxaffairesontcommencéàs’emmêler,Groves’estmontrépluscurieux…etTarouaussi.BennyarronditlesanglesducôtédeTarou.Aveccesmecs,lefricpeutfacilementtransformer des ennemis en amis. Or, les combats rapportent très gros. Benny veut unchampion,etTravisestunplacementsûr.
—OnmaîtriseàpeuprèscequeGroveapprendici,auFBI.MaissiBennyouTarouparledeTravisMaddoxàGrove,ilferalerapprochement,ettoutserafoutu.
Jesoupirai.—Lemarchépoureffacerl’ardoisedeTravis,etmêmel’accèsd’Abbyà…Thomashochalatête.—Toutel’affaire,oui.Ilfaudraqu’onfasseaveccequ’ona,etqu’ontrouveunesolution
sansTravisniAbby.—EtTravisneseraplusintéressantpourleFBI.Iliraenprison.Thomass’appuyaàmonétagère,commesilepoidsdemesparolespesaittroplourdsur
sesépaules.Jeposailesyeuxsurledossier,toujoursaumilieudemonbureau.—L’InspectionGénéralevientdenouscouperl’herbesouslepied.Sawyersecoualatête.
—Grove n’est pas encore au courant. En passant quelques coups de fil, on peut fairerepoussersonarrestation,etgagnerunpeudetemps.
—Tuauraisdûnousdireque ton contact était Liis, reprochaVal àThomas.Onauraitévitéça.
Thomaslafusilladuregard,maisellenepliapas.— Comment ? demanda-t-il. En quoi vous dire que Liis surveillait Grove allait-il
empêcherlebureaudel’IGdepondrecerapport?Arrêtezunpeudediredesconneries.—Savoirqu’onpouvaitdemanderàLiisdevérifierlestranscriptionsdeGroveauraitété
utile,insistaSawyer.— C’est ce qu’elle faisait, surmes ordres, répliqua Thomas, agacé. Qu’est-ce que vous
croyez?Qu’elleécoutaitTaylorSwift,avecsoncasque?Jesecouailatête.—J’aiquandmêmedumalàcomprendrepourquoitun’enaspasparlé.Thomasouvritlesbras,impuissant,etleslaissaretomber.—C’estleb.a.-badel’espionnage,lesenfants.Moinsilyadegensaucourant,moinson
prend de risques. Je ne voulais pas que Grove sache qu’il y avait un autre traducteur dujaponaisdansl’équipe.Ilfallaitqu’ils’occupedetouslesinterrogatoirespourinformerTarou,et un autre agent parlant le japonais n’aurait fait que gêner le cours des choses. Elle auraitmêmepufinirparêtreunecible,justeparcequelesyakuzastenaientàcequeGroves’occupedesinterrogatoiresseul.
—Ah,jevois,ditVal.Ilfallaitlaprotéger.—C’estabsurde!s’exclamaSawyer. Ilne laconnaissaitmêmepas,commentvoulais-tu
qu’ilchercheàlaprotéger?Il se tut. Ilyeutunsilence,puis, lisant lahontedansmonregard, il restabouchebée.
SonindexnaviguaentreThomasetmoi.—Vousdeux,vousaviezdéjà…Jesecouailatête.—C’étaitavant.Ilnesavaitmêmepasquej’étaisicipourbosserauFBI.—Parlerboulot,c’estlapremièrechosequ’onfaitaprèss’êtreditcommentons’appelle,
ironisa Sawyer. T’as levé la nouvelle pourun coup sans lendemain,Maddox ? Pas étonnantque tu lui aies volé dans les plumes à sa première réunion ! T’aimes pas les surprises. Jecomprendsmieux,maintenant.
—Jenecroispasquecesoitlemoment,ditThomassansdesserrerlamâchoire.Sawyerperditsonsourire.—C’estpourçaqu’elleaeudroitàunepromotion?SurleslèvresdeVal,lepetitsouriredisparutàsontour.—Ohmerde…ThomasseruasurSawyer.Ilfallutnoseffortsconjugués,àValetmoi,pourlesséparer.
—D’accord,d’accord!Jem’excuse!fitSawyer.—Unpeudedécence,c’esttropdemander,bordel?hurlai-je.Noussommesdesadultes!
Etaubureau,enplus!Thomasrecula,Sawyerlissasacravateets’assit.—Arrêteunpeuaveccecomportementpuéril!grognai-jeàl’intentiondeThomas.Ilbaissalatête,faisantuneffortvisiblepoursecalmer.— Excusez-moi, finit-il par lâcher du bout des lèvres. Je vais appeler Polanski. Il faut
enterrercerapportetintercepterlemandatd’arrêtcontreGrove,pourlemomententoutcas.Valrajustasesvêtements.—Tu appelles l’Agent Spécial enChef, etmoi, jeme charge du bureau de l’Inspection
Générale.—Etmoi,jecolleauxbasquesdeGrove,histoiredevoirs’ilsedoutedequelquechose,
conclutSawyer.—Absolumentriennedoitfiltrer,précisaThomasd’untonsévère.—Compris,approuvèrentValetSawyer,enchœur.Ilsquittèrentmonbureau,melaissantseuleavecThomas.Ilyeutunsilence,nousnous
regardâmes.—Tuaslaissétesagentslesplusfiableshorsdelabouclepourmeprotéger?finis-jepar
demander.—Marksétaitaucourant.—Marksnetravaillepassurcetteaffaire.Thomashaussalesépaules.—Maisjesaisquejepeuxluifaireconfiance.—TupeuxfaireconfianceàVal,aussi.—Valesttropbavarde.—Cequin’empêchepasdeluifaireconfiance.Thomasserralesdents.— Je ne devrais pas avoir àm’expliquer. C’est dangereux, Liis. Si les gens à qui on a
affairetombentsurtonnom…—Jamaisjen’aientenduuntrucaussiidiot.Ilclignalesyeux,surprisparmaréaction.—Jetouchemacibleàquatre-vingt-cinqmètresavecuncalibre22,jesaismettreàterre
unagresseurdedeuxfoismataille,etjesupportetescrisesd’egoaumoinsdeuxfoisparjour.JepensepouvoirgérerBenny,lesyakuzasetGrove.JenesuispasCamille,jesuisunagentduFBI,toutcommetoi,ettudoismerespecterentantquetel.Mesuis-jebienfaitcomprendre?
Ildéglutit,réfléchissantavecsoinàcequ’ilallaitrépondre.—Jenepensepasquetusoisfaible,Liis.—Alorspourquoi?
—Quelquechoses’estproduitquandjet’airencontrée.— On s’est bien éclatés au pieu. Je te plais. Ce n’est pas une raison pour écarter tes
meilleurs agents. Voilà pourquoi, entre autres, je pense qu’il vautmieux ne pas chercher àallerplusloindansce…cetruc,dis-jeenagitantlamainentrenousdeux.
—Non,c’estplusqueça.Dèslepremierinstant…jel’aisu.—Tuassuquoi?demandai-jesèchement.—Qu’ilfaudraitquejesoisprudent.J’aiperduunêtrequej’aimais,etcelam’achangé.
J’airenoncéàcellequej’aimais,etçam’abrisé.Jesaisquequandtupartiras,Liis,quoiqu’ilarrive…çam’achèvera.
Jerestaiuninstantbouchebée,avantdebalbutier:—Mais…qu’est-ceque…qu’est-cequitefaitdirequejevaispartir?—C’estcommecelaquetufonctionnes,non?Tut’envas.Tonobjectif,danslavie,c’est
passeràautrechose.Jemetrompe?—Jetetrouveinjuste,là.—Jeneparlepasseulementdecourseàlapromotion,Liis.Onanonpasun,maisdeux
groupes mafieux extrêmement dangereux dans le collimateur. Ils ne savent pas qu’on adémasqué Grove. S’il découvre que tu parles le japonais, et peux donc le faire virer, ilsverront en toi un problème. Et tu sais comment fonctionnent ces gens. Ils maîtrisentparfaitementl’éliminationdeproblèmes.
—MaisGrovenelesaitpas,etValetSawyerneluiauraientriendit.— Je ne voulais pas prendre ce risque, dit-il en se laissant tomber dans le fauteuil
qu’avaitoccupéVal.—Doncmaintenant,nousavonsdeuxproblèmes.Grovevabienfinirpars’apercevoirque
tonfrèreaétérecrutéparleFBI.SituveuxquetonplanfonctionneavecTravis,nousdevonsnousdébarrasserdelui.
—EtnousnepouvonspasnousdébarrasserdeGrovesansqueTaroucomprennequ’onlesadanslecollimateur,Bennyetlui.L’affaireimplosera.
Cettefois,j’étaisàcourtdesolutions.—Maisqu’est-cequ’onfait,alors?—Onvaessayerdegagnerdutemps.Il faudraêtretrèsprécis,onn’aurapas ledroità
l’erreur.—Sijecomprendsbien,onvadevoiraccomplirnonpasun,maisdeuxmiracles.—Ilfaudraêtretrèsprudente,Liis.—Necommencepas.Concentrons-noussurl’essentiel,plutôt.—Maisbordel!Jesuisplusconcentréquejamais!Quandjesuisentrédanscettesalle
de réunion et que je t’ai vue assise là, aumilieu du reste de la brigade… Je le reconnais,d’accord ? Savoir que je t’avais fait venir pour démasquerGrovem’a foutu les jetons, et ça
continue. Et pas parce que tu es une femme ou que tu aurais besoin d’être protégée,maisparcequ’àtoutmoment,tupourraisêtrelacibledecesconnards,etàcausedemoi,enplus!
Ilavaitlittéralementhurlélafindesaphrase,etdanssoncou,jevoyaislesveinespulser.—C’estnotreboulot,Thomas.C’estcequ’onfait,voilàtout.Dansungestede fureur, ilattrapa ledossiersurmonbureauet le jetaentraversde la
pièce.Desfeuillesvolèrentdanstouteslesdirectionsavantdetomberparterre.—Tunem’écoutespas!C’estdusérieux,là!hurla-t-ildeplusbelleenposantlesdeux
mainsàplatsurmonbureau.Cesgensn’hésiterontpasunesecondeàt’abattre,Liis.Pasuneseuleseconde!
Jefisuneffortpourmedétendreunpeuetparlerd’unevoixposée.— Nous partons pour Eakins samedi, et nous sommes attendus à une cérémonie de
mariagedans les ÎlesViergesdimanche.D’ici là, ilnous faudra trouver commentconvaincretonfrèredementiràsafemmepourlerestedesavie,avantderepartir, lundimatin,parcequenotrepatronattenduneréponse.Jeteproposedenousconcentrerlà-dessusd’abord.
Thomasmedévisagea,laminedéfaite.—Je…éviteGrove,c’esttoutcequejetedemande.Tunemenspassibienqueça.—Pourtant,tumefaisconfiancequandils’agitdepersuadertafamillependanttoutun
week-endquenousformonsuncouple.— Je sais ce que je ressens quand je te tiens dans mes bras, répondit-il. En ça, j’ai
confiance.Il referma la porte derrière lui. Il me fallut un certain temps avant de relâcher mon
souffle,quej’avaisretenujusque-làsansmêmem’enapercevoir.
15
—Laisse,jevaisleporter,ditThomasenfaisantglisserdemonépaulelabandoulièredemonsacdevoyageencuir.
—Non,c’estbon.—Liis, lesfillesaimentqueleurmecfasseça. Il fautquetutemettesenmodecouple.
Oubliel’agentspécialetjouetonrôle.J’acquiesçai, à contrecœur. Nous venions d’arriver à l’aéroport international de San
Diego,et jen’étaispasmécontentedeprofiterdu traitementréservéà laclasseaffaires,quipermettaitdesformalitésrapides.Encederniersamedidesvacancesdeprintemps,l’aéroportétaitbondé.Sefrayerunpassagedanslafoulepouratteindrenotreported’embarquementnefaisaitqu’attiserlanervositédeThomas,déjàpassablementangoissé.
— Et dire qu’il va falloir se taper la même comédie demain matin et lundi matin,grommela-t-il.
J’avaisremarquéquelesfemmesseretournaientsursonpassage,etlefixaientderegardsappuyés.Comment,ducoup,aurais-jepurésisteràlatentationdefairepareil?Ilportaituntee-shirtgris,un jeanetunevestebleumarine.Saceintureencuir fauveétaitassortieàsesboots Timberland. Et quand j’étais près de lui, je sentais son eau de toilette, et ne pouvaism’empêcherd’inspirerprofondément.
Ilcachaitsesyeuxderrièreunepairedelunettesdesoleilaviateur,etaffichaitunsourirefigémalgré lepoidsdenosbagages et laperspectivede retrouver sa famille – etCamille –d’icipeu.
Nousnousinstallâmesprèsdelaported’embarquement,etThomasdisposanosbagagesautourdelui. Iln’avaitprisqu’unpetitsac.Lereste,c’étaitmavaliseàroulettes,monsacàroulettes,etunsacdevoyageencuir.
— Qu’est-ce que tu as mis là-dedans ? demanda-t-il en le déposant délicatement parterre.
— Mon ordinateur, mes papiers, mes clés, de quoi grignoter, des écouteurs, monportefeuille,unpull,duchewing-gum.
—Tuasprisunmanteau?—Onneseradansl’Illinoisqu’uneseulenuit,etensuiteonpartpourlesÎlesVierges.Un
pulldevraitmesuffire.Àmoinsquelasoiréed’enterrementdeviedegarçonn’aitlieudehors.—Jenesuispassûrquetusoisconviéeàlasoirée.—TrentdoitdemanderCamilleenmariageàcettesoirée,non?—Ilsembleraitqueoui,dit-ild’unevoixblanche.—Alorssielleyva,jedevraispouvoiryaller.—Elleestbarmaid.—JesuisagentduFBI.C’estmoiquigagne.Thomasmeregarda.—Jeveuxdirequ’elletravaillerasansdoute,pendantlasoirée.—Moiaussi.—Jedoutequ’ilyaitd’autresfemmes.—Çanemeposepasdeproblème.Écoute, jeneveuxpastelaisserassisteràcelatout
seul. Je n’aime pas Jackson, et pourtant, je sais que je serais supermal s’il demandait uneautrefilleenmariageenmaprésence.
—Aufait,tunem’aspasditcommentças’étaitpassé,lelendemain?—Ilétaitpartiquandjesuisrentrée.J’aiappeléchezsamère,etellem’aditqu’ilétait
rentrésansencombre.Onnes’estpasreparlédepuis.Thomaseutunpetitrire.—Sepointercommeçacheztoiettesupplier…Quellelavette.—Reste concentré sur le sujet.On n’a pas le temps deme déposer, de toute façon. Il
faudraallerdirectementaubar,et jen’aipasl’intentiondet’attendretoutelasoiréedanslavoiture.Tun’aurasqu’àdireàtesfrèresqu’onneseséparejamais.Quejesuissuperjalouseetenvahissante.Franchement,jem’enfous.Maissituvoulaisjustedeladécorationd’ambiance,tuauraisdûyalleravecConstance.
Ilsourit.— Jamais je n’y serais allé avec Constance. Elle est quasiment fiancée avec le fils de
l’AgentSpécialenChef.—Ahbon?m’étonnai-je.—Oui,oui.—Encoreuneoccasionquetuasmanquée,àforcederegretterCamille.Thomasfitlagrimace.—Constancen’estpasdutoutmongenre.— C’est vrai. Belle, intelligente et blonde, c’est tellement surfait, rétorquai-je sans
sourire.—Gentillesseetloyauténesontpasforcémentcequecherchentleshommes.—Cen’estpascequetucherches,peut-être?demandai-je,dubitative.
Ilmeregarda,amusé.—Mongenre,ilsembleraitquecesoitplutôtlesfemmesfougueusesetpasdisponibles.Jeluijetaiunregardnoir.—Cen’estpasmoiquisuisamoureusedequelqu’und’autre.—TuesmariéeauFBI,Liis.Toutlemondelesait.—C’estexactementcequejemetueàtedire.Lesrelationsdecouple,c’estunepertede
tempspourlesgenscommenous.—Tupensesqu’êtreencoupleavecmoiseraitunepertedetemps?—J’ensuiscertaine.Jenepasseraismêmepasendeuxième.Jepasseraisentroisième.Ilsecoualatête,perplexe.—Entroisième?—Aprèslafemmequetuaimes.Thomas sembla d’abord trop offensé pour me contredire. Mais au bout de quelques
secondes,ilsepenchaversmoietmesoufflaàl’oreille:—Parfoistumefaisregretterdet’avoirparlédeCamille.—Cen’estpastoiquim’enasparlé,jeterappelle.C’estVal.—Ilfautquetupassesàautrechose.Jepointaiundoigtsurmapoitrine.—Ilfautquejepasseàautrechose?—C’estuneex,c’esttout.Arrêtedetecomporterengamine.Jeserrailesdents,redoutantcequiallaitsortirdemaboucheenréponseàça.—Elletemanque.Commentdois-jeréagirfaceàcela?Tuasencoresaphotodanston
salon.Thomassoupira.—Arrête,Liis.Onnepeutpasfaireçamaintenant.—Onnepeutpasfairequoi?Sedisputeràproposd’uneex?Parcequ’unvraicouplene
leferaitpas,peut-être?Jecroisailesbrasetmecarraidansmonsiège.Thomashochalatêteetrit.—Ah,là,jen’airienàrépondre,tuasraison.Nousattendîmesjusqu’àcequel’embarquementcommence.Commel’hôtesseappelaitles
passagersde la classeaffaires,Thomas se leva,prit tousnosbagages, refusantunenouvellefois que je l’aide. Lentement, nous fîmes la queue, écoutant la machine biper chaque foisqu’unecarted’embarquementluiétaitprésentée.
Ilmesuivitsurlapasserelle,jusqu’àl’entréedel’avion,oùilfalluts’arrêterdenouveau.Une fois encore, je remarquai le regard des femmes – des hôtesses, cette fois – sur
Thomas.Luinesemblaitmêmepass’enrendrecompte.Peut-êtreavait-ilfinipars’yhabituer,depuis le temps, etn’y faisait-il plusattention.Aubureau, il était facilede faire comme s’il
n’avait riendespécial,mais là,dans lavraievie, la réactiondesautresmerappelaitcequej’avaiséprouvéenlevoyantpourlapremièrefois.
Nousnousinstallâmes.Nosceinturesbouclées, jesentisquejemedétendaisenfin.MaisThomasétaittoujoursàcran.
—Jesuisdésolée,dis-jeenposantunemainsurlasienne—Tun’yespourrien,répondit-il.Sesmotsme firentmal. Ils sevoulaient rassurants,mais ils avaientunautre sens,plus
profond. Il était sur lepointde regarder la femmequ’il aimait accepterd’épouserunautre.Mais sesmotsétaient justes.Jen’yétaispour rien,puisque la femmequ’ilaimait, cen’étaitpasmoi.
—Essaiedenepaspenseràelle,dis-je.Peut-êtrequ’onpourrait sortirprendre l’air, lemomentvenu.
Ilmeregardacommesijen’avaisriencompris.—TupensesquejesuisstresséàcausedelademandeenmariagedeTrenton?—Ehbien…Maisjenetrouvaipascommentterminermaphrase.—Sachequelaphoton’estpluslà,dit-ild’untonnaturel.—LaphotodeCamille?Etelleestoù?—Àsaplace.Dansuneboîteàsouvenirs.Jeleregardailonguement,etj’eusunpincementaucœur.—Tuescontente?demanda-t-il.—Jesuiscontente,répondis-je,partagéeentrelahonteetlastupéfaction.Ill’avaitenlevée.Jen’avaisplusd’excusepourmeretenir.Je glissai unemain vers la sienne et nos doigts s’enlacèrent. Il levamamain vers ses
lèvres,fermalesyeux,etenembrassalapaume.Cegestesimplemesemblasiintime,commelorsque l’on tire sur les vêtements de la personne que l’on serre dans ses bras, ou la pluslégère des caresses sur la nuque. Lorsqu’il faisait des choses comme celle-là, il était faciled’oublierqu’ilavaitunjourpenséàquelqu’und’autre.
Unefoistouslespassagersinstallés, lepersonneldebordnousexpliquacommentsortirvivants d’un éventuel crash, puis l’avion s’achemina jusqu’au bout de la piste et, dans unepousséepuissante,s’élança,avantdequitterlesolpresqueimperceptiblement.
Thomasnecessaitderemuersursonsiège.—Qu’ya-t-il?demandai-je.—Jenepeuxpasfaireça,murmura-t-ilensetournantversmoi.Jenepeuxpasluifaire
ça.—Tuneluifaisrien,dis-jeàvoixbasse.Tun’esquelemessager.Illevalesyeuxverslabouched’aération,au-dessusdelui,etl’ouvritàfond,enpleinsur
sonvisage.Puisilserassit,l’airmalheureuxcommelespierres.
—Réfléchis,Thomas.Quellessontlesautressolutions,pourlui?Ilserralesdents,commetoujourslorsqu’ilétaitcontrarié.—Tun’arrêtespasdedirequejeleprotège,maissijen’avaispasparlédeTravisetAbby
àmonsupérieur,iln’auraitpaseuàchoisir.—C’estvrai.Iln’auraiteuquelaprisoncommeissue.Ildétourna le regard, sepenchapourvoirà travers lehublot.Lamerdenuagesblancs
réfléchissaitlalumièredusoleil,ilplissalesyeux,etbaissalerideau.— Ça ne va pas le faire, dis-je. On est ici pour unemission précise, que nous devons
accomplir. Si on laisse tous nos emmerdements perso nous bouffer la vie, on va finir parcommettre une erreur, et toute l’opération partira en sucette. Le problème, c’est que cettemissionrevêtunaspectpersonnel.Taproprefamilleestconcernée.Ettouslesdeux,onestlà,avecnos…histoirescompliquées.Sionnetrouvepasunmoyendesurmonterça,Thomas,onest foutus.SiTravisaccepte…ouplutôt :quandTravisacceptera, si tun’espasà fonddanstonrôle,Grovesentiraqu’ilyaunloup.
—Tuasraison.—Pardon?Tuasditquoi?plaisantai-jeenportantunemainàmonoreille.L’hôtessesepenchaversnous.—Vousdésirezquelquechoseàboire?—Unverredevinblanc,s’ilvousplaît,répondis-je.—Unwhisky-Coca,ditThomas.Elleacquiesça,etpassaàlarangéesuivante,pourposerlamêmequestion.—J’aiditquetuavaisraison,grommelaThomas.—Tuesnerveuxàl’idéedevoirCamille,cesoir?—Oui,répondit-ilsanshésitation.Ladernièrefoisquejel’aivue,c’étaitàl’hôpital,dans
unpiteuxétat.Ilremarquamasurprise,etcontinua:— Trenton et elle ont été heurtés de plein fouet par un chauffard ivre sur une petite
route,danslesenvironsd’Eakins.—Jen’arrivepasàsavoirsivousavezvraimentdelachance,danstafamille,ousivous
avezjusteunetendanceàvousfoutredansdessituationspaspossibles.—Lesdeux.L’hôtessenousapporta cequenousavions commandé,posantd’aborddes serviettes en
papier sur nos tablettes, puis nos verres sur les serviettes. Je bus une gorgée. Thomasmeregardait et je vis qu’il s’attardait particulièrement sur mes lèvres. Éprouvait-il la mêmejalousie que moi lorsque ses lèvres touchaient autre chose que ma bouche ? Je ne pusm’empêcherdemeposerlaquestion.
—JesuisheureuxpourTrent,dit-ilenfin,baissantlesyeux.Illemérite.—Etpastoi?
Ileutunpetitrirenerveux,meregardadenouveau.—Jen’aipasenviedeparlerdeCamille.—D’accord.Maislevolestassezlong.Tupréfèresparler,faireunsomme,oulire?L’hôtesserevintavecunblocetuncrayon.—Mademoiselle…Lindy?—Oui?—Pourledéjeuner,nousproposonspouletgrillésauceaupimentdoux,ousaumongrillé
aubeurrecitronné,avecdescâpres.—Heu…jevaisprendrelepoulet,s’ilvousplaît.—MonsieurMaddox?—Lepouletaussi.Ellenota.—Reprendrez-vousquelquechoseàboire?Nosverresétaientencorepresquepleins,nousdéclinâmes.—Parfait,répondit-elleavecunsourire.—Parler,ditThomasensepenchantversmoi.—Quoi?—Tuasproposédeparler,defaireunsommeoudelire.Jechoisisdeparler.—Oh.Jesouris.—MaisjeneveuxpasparlerdeCamille.Jeveuxqu’onparledetoi.Jefisunepetitegrimace.—Pourquoi?C’estd’unennui…—T’es-tudéjàcasséquelquechose?—Non.—As-tudéjàpleuréàcaused’unhomme?—Non.—Àquelâgeas-tuperdutavirginité?—C’était…avectoi.JecrusquelesyeuxdeThomasallaientsortirdeleurorbite.—Quoi!Maistuétaisfiancée…J’éclataiderire.—Jeplaisantais!J’avaisvingtans,c’étaitàlafac.Rien,nipersonne,demémorable.—Usagedestupéfiants?—Non.—Cuitejusqu’àlapertedeconscience?—Jamais.Thomasréfléchitpendantaumoinstrentesecondes.
—Jet’avaisprévenu,dis-jeunpeugênée.Jesuisunefilleennuyeuse.Alors,avecunsourireencoin,ilposasaquestionsuivante:—As-tudéjàcouchéavectonpatron?Jemerecroquevillaisurmonsiège.—Jamaisdélibérément.Iléclataderire.—Cen’estpasdrôle.J’étaismortifiée.—Moiaussi,maispaspourlaraisonquetucrois.—ParcequetuavaispeurdecequeTarououBennymeferaientsiGrovedécouvraitla
raisondemaprésenceàSanDiego.Thomasserembrunit,déglutit…etregardameslèvres.—Oui.Cette soirée avec toi…a tout changé. J’avais décidéde laisser passer quelques
jours,pournepasavoirl’airtroppitoyablequandjeseraisvenutaperàtaporte.Cematin-là,jesuisarrivéauboulot,et lapremièrechoseque j’ai faite,c’estdedireàMarksqu’ildevaitveniravecmoiauCutter’slesoir.J’espéraist’yrevoir.
Jesouris.—C’estvrai?—Oui,c’estvrai,répondit-ilendétournantleregard.Etjesuistoujoursaussiinquiet.Je
vaisdevoirtesurveillerdetrèsprès.—Mincealors,plaisantai-je.Thomasnesemblapastrouverceladrôle.—Cen’estpasmoiquisurveillelesgens,jeterappelle.—Sawyer?Commeilconfirmaitd’unhochementdetête,j’eusunpetitrire.—Cen’estpasdrôle,dit-iltrèssérieusement.—Si, unpeuquandmême.Tout lemondemedit que c’estun enfoiréouun connard,
maissansjamaism’expliquerpourquoiilestdétestéàcepoint.NitoiniValn’avezvoulumedonner de précisions. Il m’a aidée à défaire mes cartons. Il a passé la nuit chez moi sansessayer de coucher avec moi. Bon, il a ce côté pilier de bar un peu vicieux, mais il estinoffensif.
—Iln’estpasinoffensif.Ilestmarié.Jerestaibouchebée.—Pardon?—Tuastrèsbienentendu.—Non,j’aientenduquel’agentSawyerétaitmarié.—Ill’est.—Quoi?
Mon incrédulité agaçait visiblement Thomas, mais je ne parvenais pas à intégrerl’informationqu’ilvenaitdemedonner.
Ilsepenchaversmoi.—ÀVal.—Quoi!Mavoixavaitchutéd’uneoctave.Cettefois,j’étaissûrequ’ilsefoutaitdemoi.—C’estlavérité.Audébut,c’étaitquasimentRoméoetJuliette,leurhistoire.Etpuisil
s’est avéré quemonsieur avait quelques problèmes avec la notionde fidélité. Val lui a déjàenvoyé les papiers du divorce plusieurs fois, mais il fait traîner. Ils sont séparés depuispresquedeuxans.
J’avaistoujourslaboucheouverte.—Mais…ilshabitentdanslemêmeimmeuble.—Non,ditThomasavecunpetitrire.Ilshabitentdanslemêmeappart.—Arrêtetesconneries!—Dansdeschambresdifférentes.Ilssontcoloc,quoi.—Valmefaittoutraconterdemoi.C’estvraiment…jemesenstrahie.Cen’estpastrès
logique,mais…jemesenstrahie,vraiment.—Ouais,ditThomasenchangeantdepositionsursonsiège.Etunechoseestsûre,elle
vamemassacrer.Jesecouailatête.—Jamaisjen’auraisimaginéunechosepareille.—Jetedemanderaisbiendenerienluidire,maisquandonserarentrés,ellesauradès
qu’elleteverra.—Commentfait-elleça?Ilhaussalesépaules.—Elle estnéeavecundétecteurdemensonges intégré, et leFBI l’a aidéeà affûter ce
don.Dilatationdes pupilles,manquede spontanéité dans la réponse, regard qui part sur lagauche,aucunsigneneluiéchappe.Situajoutesàcelasonintuitioninfaillible,c’estunvrairadar surpattes.Etellen’estpas seulement capablededéceler lemensonge.Si tupensesàuneinfomaisquetulagardespourtoi,Vallesaura.
—C’esttroublant.—Voilàpourquoituessaseuleamie.—C’esttriste,quandmême.— Peu de gens sont capables de supporter le don de Val, ou l’usage parfois un peu
débridéqu’elleenfait.Etc’estpourcelaqueSawyerestunconnard.—Ill’atrompée?—Oui.—Ensachantqu’elleledevinerait.
—Jepense,oui.—Alorspourquoirefuse-t-illedivorce?—Parcequ’iln’arrivepasàretrouverquelqu’unquiluiarriveàlacheville.—Merde.Jehaiscetype,grognai-je.Thomasappuyasurunboutonetsonsièges’inclina.Unsouriresatisfaitsedessinasurses
lèvres.—Jecomprendsmaintenantpourquoiellenem’ajamaislaisséevenirchezelle.Sonsourires’élargit,ilcalal’oreillersoussatête.—As-tudéjà…—Non.Onarrêtelesquestionssurmoi.—Pourquoi?—Iln’yalittéralementrienàdire.—Raconte-moicequis’estpasséentreJacksonettoi.Pourquoiçan’apasmarché?—Parcequenotrecoupleétaitvidedesens,dis-jeenm’efforçantd’articulerchaquemot.—Tuesentraindemedirequetavieétaitundésertjusqu’àcequetut’installesàSan
Diego?demandaThomas,incrédule.Jenerépondispas.—Alors?—Alorsquoi?—Maintenantquejeteconnaisunpeu,jeseraispresquetentédecroirequecettefougue
neteressemblaitpas.Ettouts’explique.Cesoir-là,tuasquittéleCutter’savecmoipouravoirquelquechoseàraconter.
L’arrogancebrillaitdanssesyeux.—N’oubliepasquetunemeconnaispassibienqueça,Thomas.—Jesaisquetuterongesl’ongledupoucequandturéfléchis.TuboisdesManhattan.Tu
aimes les hamburgers de chez Fuzzy. Tu détestes le lait. Le ménage n’est pas l’une de tespréoccupations majeures. Tu couvres une plus grande distance que moi quand on court àl’heuredudéjeuner,ettuaimesl’artjaponaisbizarre.Tuespatiente,tudonnestoujoursuneseconde chance, et tu n’émets pas de jugement hâtif sur les inconnus. Tu es très pro, d’uneintelligenceremarquable,etturonfles.
Jemeredressaisurmonsiège.—Biensûrquenon!Iléclataderire.—D’accord,cen’estpasexactementronfler.Disonsquetu…respiresunpeufort.—Toutlemonderespire.—Toutesmesexcuses.Jetrouveçatrèsmignon.Jetentaideretenirunsourire,envain.—J’aivécucinqansavecJacksonetilnemel’ajamaisdit.
—C’estunsifflementtrès,trèsléger.Presqueimperceptible.Jelefusillaiduregard.—EtJacksonétaitamoureuxdetoi,reprit-il.Doncilyasansdoutebeaucoupdechoses
qu’ilagardéespourlui.— Heureusement que tu ne l’es pas, je vais pouvoir entendre tous les commentaires
humiliantsauxquelsj’aiéchappéjusqu’ici.—Encequimeconcerne,jesuisamoureuxdetoiaujourd’huietdemain.— Alors joue ton rôle, et fais comme si tume trouvais parfaite, répliquai-je après un
silence.—Jen’aipassouvenird’avoirjamaispenséautrechose.Ilsemblaittrèssérieux.Jelevailesyeuxauciel.—Arrête.Faut-ilquejeterappellemonpremierrapportd’écoutes?—Tusaistrèsbienpourquoij’aifaitcela.—Jenesuispasparfaite,grommelai-jeenmerongeantlecoindel’ongle.—Jen’aipasenviequetulesois.Iltournaversmoiunregardtellementaffectueuxquej’euslesentimentd’êtreseuleavec
luidanscetavion.Puisilsepenchaversmoi,lesyeuxrivéssurmeslèvres.Jemepenchaisàmontourlorsquel’hôtesses’arrêtaànotrehauteur.
—Vousvoulezbienabaisservostablettes?demanda-t-elle.Le temps de reprendre nos esprits, Thomas et moi bataillâmes avec le système
permettant de tirer les tablettes des accoudoirs de nos sièges. Il réussit en premier, puism’aida. L’hôtesse nous considéra avec un sourire doux, l’air de dire que nous formions uncoupleattendrissant,puisposadesserviettesenpapiersurnostablettesavantdenousservir.
—Désirez-vousduvin?demanda-t-elle.Je regardaimonverreàmoitiévide. Jenem’étaismêmepas renducompteque j’avais
bu.—Oui,s’ilvousplaît.Ellemeservitpuisallas’occuperdesautrespassagers.Nousmangeâmes en silence, peu enthousiasmés par notre poulet grillé aumicro-ondes
avecsacuillèreàcafédesauceaupimentdouxet sespetits légumes fadasses.Lepetitpainquiaccompagnaitletoutétaitsanscontestelepointfortdurepas.
Devant nous, les pieds en l’air contre la cloison, un homme parlait de sa carrièred’évangélisteenpleinessor.Derrière, l’hommeauxcheveuxpoivreetselparlaitàsavoisinedesonpremierroman,etaprès luiavoirposéquelquesquestionsdebase,celle-ci luirévélaqu’elleenvisageaitelleaussideselancerdansl’écriture.
Je terminais mon cookie aux pépites de chocolat lorsque le pilote annonça que nousn’allionspastarderàamorcernotredescenteversChicago,où l’atterrissageétaitprévuavec
dix minutes d’avance. Cette annonce déclencha une symphonie de cliquetis de ceintures,suivied’unballetdepassagersendirectiondestoilettes.
Thomas ferma les yeux. J’avais du mal à ne pas le dévorer du regard. Depuis notrerencontre, jem’étais évertuée à niermon attirance pour lui en défendant farouchementmanouvelleindépendance.Maisjenemesentaislibrequelorsqu’ilmetouchait.Endehorsdecesmomentsintimes,j’étaisprisonnièredemespensées,del’idéedesesmainssurmoi.
Même si notre couple n’était qu’une mise en scène, j’espérais que faire semblantsatisferaitmacuriosité.SivoirCamillechangeaitquoiquecesoitpourThomas,jepourraisaumoinsmeconsolerdelafindenotrefausseliaisonenmeremémorantlesmeilleursmomentsdeceweek-end,unefoisderetouràSanDiego.
—Liis,dit-ilsansouvrirlesyeux.—Oui?—Dèsl’instantoùcetavionsepose,noussommesenmission.Ilouvritlesyeux,setournaversmoi.— Personne ne doit deviner que nous sommes des agents fédéraux, et surtout pas les
personnesquipourraientêtreenrapportavecMicketBenny.—Jecomprends.—Tupeuxparlerdetout,saufdetavieauBureau.Letempsdeceweek-end,tuesprof
et tu fais un remplacement au département des Sciences de la Culture de l’Université deCalifornieàSanDiego.Ons’estoccupésdetecréerundossierlà-bas.
—Etj’aiprismacarted’enseignante.—Parfait.Ilfermadenouveaulesyeux,secarradanssonsiège.—Tut’esunpeurenseignéesurledépartementdesSciencesdelaCulture,jesuppose?—Oui,etaussisurtafamille,etsurlesquelquesautresdonttuauraispuparlersinous
sortionsvraimentensemble–Shepley,America,Camille,lesjumeaux,Jim–tonpère,Jack–sonfrère,Deana–lafemmedesonfrère,ettamère.
Ilsourit.—Diane.Tupeuxdiresonnom.—Bien,patron.J’avaisditcelamachinalement,sanssous-entendrequoiquecesoit,maisThomasouvrit
aussitôtlesyeux,manifestementdéçu.— Appelle-moi Thomas. Juste Thomas, dit-il en se tournant vers moi. Je pensais
vraimentqueceseraitplusfacilepourtoi.Jesaisqu’êtreàChicagorisquedetedéstabiliserunpeu.Es-tucertainedepouvoiryarriver?C’estimportant.
Jememordis la lèvre.Pour lapremièrefois, jeredoutaisdecommettreunegaffeetdefaire capoter toute l’opération,mais aussi demettre Thomas en porte-à-faux vis-à-vis de sa
famille.Maisjesavaisquesij’énonçaismescraintes,leFBIenverraitunautreagentpourmeremplacer,probablementunerecruedubureaudeChicago.
Jeprissamain,lacaressaidoucementdupouce.Ilregardanosmainsenlacées,puislevalesyeuxversmoi.
—As-tuconfianceenmoi?demandai-je.Ilfitouidelatête,maisjevoyaisqu’iln’enétaitpassicertainquecela.—Quandontoucheralesol,tun’arriverasmêmeplusàfaireladifférence.
16
—Têtedenœud! lança l’undes jumeauxenvenantà larencontredeThomas, lesbrasgrandsouverts.
Il avait le crâne presque rasé, et des pattes d’oie au coin de ses yeux couleur ambrelorsqu’ilsouriait.
—Taylor!Thomasposanosbagagesetserrasonfrèredanssesbras.Ilsétaientdelamêmetailletouslesdeux,c’est-à-direbeaucoupplusgrandsquemoi.Àpremièrevue,unpassantauraitpulesprendrepourdesamis,maisonvoyait,malgré
l’épaiscabandeTaylor,qu’ilsétaientbâtisde lamêmefaçon,ettoutaussimusclés.Thomasétait justeunpeupluscorpulent,commepourconfirmersonstatutd’aîné.Tayloravaitaussila peau un peu plus claire que Thomas, mais cela tenait sans doute à leurs situationsgéographiquesrespectives.
Quand Taylor embrassa Thomas, je remarquai malgré moi qu’ils avaient les mêmesmains, larges, puissantes. Les avoir tous les cinq autour de moi promettait d’être quelquechose.
Thomas donna un bon coup dans le dos de son frère. Taylor ne s’en formalisa pas lemoinsdumonde,alorsquej’auraissansdoutevoléàl’autreboutduhall.Puisilsselâchèrent,etTaylorlançasonpoingdanslebrasdeThomas.
—Pu-tain,Tommy!C’estdubéton,disdonc!s’écria-t-ilentâtantlebicepsdesonfrère.Thomassecoualatête,etilssetournèrentversmoiensouriant.—JeteprésenteLiisLindy,annonçafièrementThomas.Ilyavaitdelarévérencedanssavoix,etilmeregardaitcommeilregardaitCamillesur
laphoto.Jemesentisprécieuseàsesyeuxetmeretinsdem’appuyercontrelui.Quelques semaines plus tôt à peine, il avait prononcé mon nom comme s’il s’agissait
d’unegrossièreté.Aujourd’hui,devantsabouchequil’articulait,jemesentaisfondre.Taylormeserradanssesbrasenmesoulevantdusol.Quandilmeposa,illâchaavecun
souriregêné:
— Désolé de t’avoir empêchée de dormir l’autre soir. J’avais eu une semaine un peudifficile.
—Auboulot?demandai-je.Il rougit, et intérieurement, je sablai le champagne. J’étais arrivée à faire rougir un
Maddox.—Ils’estfaitlarguer,expliquaThomas.Mon sentiment de victoire s’évanouit, et le remords me fit garder le silence. Mais
quelques secondes seulement, car très vite, le souvenir des cris d’extase et dumartèlementeffrénécontrelemurmerevintàl’esprit.
—Ducoup,tuascouchéavec…Jefaillisgafferetdirel’agentDavies,maismerattrapaidejustesse.—…excuse-moi.Celanemeregardepas.Thomaseutdumalàcachersonsoulagement.Taylorinspiraungrandcoupetsoufflalonguement.—Jepensaisattendreunpeupourenparler,maisj’étaisvraimentmalcesoir-là,etj’ai
bu commeun trou.Depuis, on s’est réconciliés, Falyn etmoi, et elle sera à la cérémonie àSaintThomas,doncjeteseraisassezreconnaissantde…enfin,tuvois,quoi.
—Falyn,c’esttapetiteamie?Taylorsemblaitmortdehonte.Lejugerm’étaitdifficile.—Jenet’aimêmepasvu,dis-jeenhaussant lesépaules.Quoique jedise,ceneserait
quepurespéculation.Merde,Liis,arrête,unpeu.Tuparlescommeunagentfédéral.Taylorpritmonsacetlepassasursonépaule.—Merci.—Attends,jevoudraisjuste…dis-jeentendantunbrasversmonsac.Taylorsepenchapourmelaisseraccéderàmonpull,etThomasm’aidaàl’enfiler.Puisil
mepritlamain,etnoussuivîmesTaylorendirectiondelasortie.—J’ai tournéunedemi-heureavantdetrouveruneplace,ditTaylor.Avec lesvacances
deprintemps,toutlemondepartenvoyage.—Quandes-tuarrivé?demandaThomas.Tuasquoicommevoiture?Et j’eus moins de remords. Thomas posait ses questions comme un agent du FBI en
interrogatoire.—Jesuisicidepuishier.Dèsqu’ilsortitdel’aéroport,Taylors’arrêtapourallumerunecigarette.—TuesdéjàvenueàChicago,Liis?demanda-t-ilensoufflantunlongnuagedefumée.—Jesuisd’ici,enfait.Ils’arrêtanet.—Vraiment?
—Ben,oui.—C’est lameilleure. Il y adesmillionsde gens àSanDiego, etThomas sedébrouille
pourpéchounenanadel’Illinois.—Taylor,merde,lemorigénaThomas.—Oups,désolé,meditTaylor.IlavaitlamêmeexpressioncharmeusequeThomas,cellequifaisaittomberenpâmoison
la première jeune fille venue et qui, de toute évidence, était un trait de famille chez lesMaddox.
—FalynestchezPapa?demandaThomas.Taylorsecoualatête.—Non,elledevaitbosser.OnseretrouveàSaintThomas,etondoitrentrerensemble.—C’estTravisquiestvenutechercheràl’aéroport?Ouc’estTrent?demandaThomas.—Chéri…dis-jeenserrantsamaindanslamienne.Taylorrigola.—T’inquiète,j’ail’habitude.Ilatoujoursétécommeça.Taylor traversa en direction du parking, et je vis que l’expression de Thomas
s’adoucissait.Ildéposaunpetitbaisertendresurmamain.—C’estShepleyquiestvenumechercher,expliquaTaylor.Ilpassetoutelajournéeavec
Travis,donc j’aipris lacaissedeTravispourvenir. Ilnesaitpasqu’onest ici. Ilpensequ’ilnousretrouveratousdemainàSaintThomas,commelesfilles.
—TouteslesfillessontdéjààSaintThomas?demandai-je.Thomasmeregardadetravers.Ilsavaitpertinemmentpourquoijeposaiscettequestion.—Non,pastoutes.JusteAbbyetsesdemoisellesd’honneur.Nousentrâmesdansleparkingprincipal,etTaylorpointaundoigtverslefond.—Jesuistoutaubout,prèsdugrillage.Auboutd’unecentainedemètresdansunventglacial,ilsortitsesclésetappuyasurun
bouton.UneToyotagrismétalliséémitunpépiementàquelquespasdelà.— Est-ce que je suis le seul à trouver bizarre que Travis ait une voiture ? demanda
Thomasenregardantlevéhicule.Unechaîneenorpendait au rétroviseuret se séparait enplusieursextrémités, aubout
desquellespendaientdesjetonsdecasinoàbordrayénoiretblanc.Taylorsecoualatêteetappuyasurunautreboutonpourouvrirlecoffre.—Tudevraislevoirauvolant.Unevraiegonzesse.—Ouf,heureusementquejerevendslamienne,soupirai-je.ThomaséclataderireetaidaTayloravecnosbagages.Puisilvintm’ouvrirlaportière.Je
secouailatête.—Merci,maisjevaismonterderrière.Montedevantavectonfrère.
Thomas se pencha pour m’embrasser sur la joue et remarqua que je restais en arrêtdevantlesiègearrière.Àsontour,ilouvritdesyeuxcommedessoucoupes.
—Maisc’estquoi,ça,bordel?—Oh!J’avaisoublié!C’estToto.Jefaisdubaby-sitting,réponditTayloravecunsourire
fierquicreusaitunefossettedanssajoue.Abbymetueraitsiellesavaitquejel’ailaisséseuldanslavoiture,maisjenesuispartiquedixminutes.Ilfaitencorechaudàl’intérieur.
Lechiensesecoua.Ilportaituneespècedemanteauridiculerayébleumarineetdoréetsetenaitsuruncoussinspécialtoutouentissuvelours.
JemetournaiversThomas.—Je…heu…jen’aijamaiseudechien.Taylorrigola.—Tun’aspasà t’enoccuper, justeàpartager labanquetteavec lui.Mais il fautque je
l’attache.Abbyfriselafoliedoucequandils’agitdesonclebs.Taylorouvrit l’autreportièreet installa lechiendanssonharnaisdenylon.Totodevait
avoir l’habitude,car il se laissa fairesansdifficulté,attendantqueTayloraitbouclé tous lespoints d’attache. Puis Thomas retira la housse du siège pourme faire une petite place sanspoils.
—Voilà,machérie.Seslèvrestremblaienttellementilavaitenviederire.Jeluitirailalangueetmontai.Il
refermalaportière,jebouclaimaceinture,etentendisTaylor,dehors,quiriait.—Jerêve,elletemèneparleboutdunez,moncrétin!Thomass’agrippaàsapoignée.—Ellet’entend,là,connard.Maportièreestouverte.Taylorouvritsaportièreetsepenchaàl’intérieur,gêné.—Excuse-moi,Liis.Je secouai la tête, à la fois amusée et incrédule devant leur façon de communiquer.
C’était comme si nous étions tombés dans un terrier pour atterrir dans une fraternité degaminsdetroisanscomplètementbourrés.
Thomas et Taylor montèrent, et Taylor démarra. Tout le long du trajet, entre deuxexplicationssurquicouchaitavecquietquitravaillaitoù,ilséchangèrentinsultesdiversesetnomsd’oiseauxexotiques.
IlsnementionnèrentpasuneseulefoisCamilleetTrenton.JemedemandaicommentlesautresMaddoxprenaientcetterelation.Aprèstout,CamilleétaitsortieavecThomasavantdechoisir Trenton. Il était possible que le reste de la famille la rejette, dans la mesure oùThomas ne venait pratiquement plus jamais àChicago, pour éviter lesmoments de gêne etaussipours’éviterdesouffrirunpeuplus.L’espaced’uninstant,j’espéraiqu’ilsladétestaienttous.Puismaréactionmefithonte.
Taylors’engageaenfindansl’alléeduRestInnetallasegareràl’arrièredubâtiment.Ilyavaitlàdeuxfoisplusdevoituresquedevant.
—Toutlemondeapourconsignedesegarerlà,ditTaylorencoupantlecontact.Pourqu’ilnesedoutederienenarrivant.
—LeCap’s?L’enterrementdeviedegarçonqu’onattenddepuisunanpourTravisalieuauCap’s?ditThomasd’untonunpeulas.
—C’est Trent qui s’en est occupé. Il a repris les cours, il bosse à plein temps et il estfauché. Si j’étais toi, je remballerais mes critiques. C’est pas comme si t’avais proposé del’aide.
JecrusqueThomasallaitexploser,maisilencaissalaremarquesansbroncher.—Touché.—Etpourle…heu…qu’est-cequ’onfait?demandai-jeenmontrantlechien.Cederniermeregardaitcommes’ilallaitmesauteràlagorge.Oualorsilattendaitjuste
unecaresse.Allezsavoir.Une voiture se gara juste à côté de nous, et une jeune femme en descendit, laissant le
moteuretlespharesallumés.Puiselleouvritmaportièreetsepenchaversmoi.—Bonsoir,dit-elleavantdesetournerversThomas.Salut,T.J.—Salut,Raegan,réponditThomas.D’entrée, ce surnomme sortit par les yeux. Taylor ne l’avait pas utilisé, lui. La jeune
femme était une beauté exotique, avec des cheveux auburn qui ondulaient jusqu’à la taille.ElledéfitleharnaisdeTotoetramassasespetitesaffaires.
—Merci,Ray,ditTaylor.Abbym’aditquetoutlemondeallaitaumariage.Ducoup,onmanquaitdebaby-sitter.
—T’inquiète,répondit-elleenévitantdélibérémentderegarderThomas.Kodyestsuperimpatient.Çafaitdesannéesqu’ilveutunchien,maisjenecomprendspascommentfontlesgensquibossentetlaissentleuranimalseultoutelajournée.
ElleapprochasonnezdelatruffedeToto,quilagratifiad’uncoupdelanguesurlajoue.—Papaaproposédes’enoccuperpendant la journée,onverracommentças’organise.
Peut-êtrequegardercelui-lànousaideraànousdécider.Est-cequ’ilfautquejelepromèneunpeu?J’aipasenviequ’ilfassedansmavoiture.
Taylorsecoualatête.—Je l’ai sorti juste avantd’aller les chercher à l’aéroport.Çadevrait pouvoir attendre
quetuarrivescheztesparents.Abbyt’aexpliqué,pourleharnais?—Ellem’aexpliqué.Endétail.Raegan grattouilla le chien entre les oreilles, puis se retourna et ouvrit sa portière
arrière.Elle laissa lechienpasserd’unevoitureà l’autre.Étonnammentbienélevé, il s’assitcalmementtandisqu’elleinstallaitsonharnaisetl’attachaitdenouveau.
—C’esttoutbon!dit-elleenfin.Merci,Taylor!
Son expression changea instantanément, perdant toute chaleur lorsqu’elle s’adressa àThomas.
—Àplus,T.J.Ilsavaientdûsortirensemble,forcément.Entrelesurnomàhurleretcecomportement
froid,ilavaitdûlafairevraimentsouffrir.Ellesouritànouveauensetournantversmoi.—Moi,c’estRaegan.—Heu…Liis.Enchantée,répondis-je,complètementdéstabiliséeparcerevirement.Puis elle courut se remettre au volant, recula, et repartit. Taylor, Thomas et moi
restâmessilencieux.—Bon,ben,c’estparti,ditTaylorauboutd’unmoment.Quelafêtecommence!—Jenecomprendspas,ditThomas.Iln’estpascélibataire.Taylordonnaunetapesurl’épauledesonfrère,avecunetelleforceencoreunefoisque
jeplissailesyeux.—Jeterappellequel’idée,ceweek-end,c’estdefêtercequ’onaratéparcequecepetit
enfoiréafaitleschosesendoucelapremièrefois.Etaussi,jevoulaistedire…LesouriredeTaylordisparut.—Jesais,coupaThomas.Trentm’aappelé.Taylorhochalatête,l’airunpeutriste,etdescenditdevoiture.Quandj’ouvrismaportière,laboufféed’airfroidmeparalysa.Thomasmefrottalesbras.
Sonsouffleformaitdepetitsnuagesblancsdansl’obscurité.—Allez,tuvasyarriver,dis-jeenfrissonnant.—Tuasdéjàoubliéqu’ilfaisaitfroid,ici?Bendisdonc,t’esunerapide,toi.— La ferme, dis-je en me dirigeant vers le bâtiment dans lequel Taylor venait de
disparaître.Thomasmerejoignitàpetitesfouléesetmepritparlamain.—Alors,qu’est-cequetupensesdeTaylor?—Tesparentspeuventêtrefiers.Vousaveztousdesgènesexceptionnels.—Jevaisprendreçapouruncompliment,etpascommel’aveud’uncoupdefoudrepour
monfrangin.Jeterappellequetuesmafemmepourtoutleweek-end.Je lui adressai un sourire narquois et ilm’attira contre lui d’un air enjoué. Je compris
alors quelle vérité recelaient cesmots lancés sur un ton badin.Nous nous arrêtâmes sur leseuil,etjevisThomassepréparerpsychologiquementàcequil’attendaitàl’intérieur.
Nesachantquoifairepourl’aider,jemehissaisurlapointedespiedsetl’embrassaisurlajoue.Iltournalevisage,posaseslèvressurlesmiennes,etcebaiserentraînauneréactionen chaîne. Lesmains de Thomas se refermèrent surmon visage, presque hésitantes.Quandj’entrouvris les lèvres et qu’il glissa sa langue dans ma bouche, j’agrippai le revers de sonmanteau.
Le volumede lamusique qui venait de l’intérieurmonta soudaind’un cran, et Thomass’écarta.
—Tommy!Unautre frère–c’étaitévident tant il ressemblaitàTaylor–venaitd’ouvrir laporte. Il
portaitentoutetpourtoutunmaillotdebainenlycrajaunejusteassezgrandpourcontenirses attributsmasculins, et une perruque assortie, horrible chose en synthétique, choucroutejaune dont s’échappaient boucles et mèches folles. D’un geste efféminé, il fit mine de serecoiffer.
—Jeteplais?demanda-t-il.Puisilfitquelquespasettournasurlui-même,révélantqu’ilneportaitpasunmaillotde
bain,maisunstring.Après m’être, malgré moi, rincé l’œil avec un panoramique de la partie charnue – et
blanchecommeneige–dubasdesondos,jedétournaileregard,gênée.Thomasl’examinasoustouteslescoutures,etéclataderire.—Putainmaisqu’est-cequit’arrive,Trenton?Unpetit sourire creusaune fossettedans les jouesdeTrenton, quipritThomaspar les
épaules.—Çafaitpartieduplan.Allez,entre!Entre!Ilnoustintlaporteouverte,etnousentrâmes.Unpeupartoutauplafondpendaientdespairesdeseinsencarton,etdesconfettisdorés
enformedepénisavaientétérépandussurlesolet lestables.Dansuncoinattendaientdesbouteillesd’alcoolfortetdesseauxremplisdeglaceetdebièresdedifférentesmarques.Iln’yavaitpasdevin,maisungâteautoutroseenformedeseinsénormes.
Thomassepenchapourmurmureràmonoreille.—Jet’avaisditqueveniricin’étaitpasunetrèsbonneidée.—Tupensesquejemesensoffensée?Jebossedansunmilieuessentiellementmasculin,
jeterappelle.Oùj’entendslemotnichonsaumoinsunefoisparjour.Thomasconcédaquejen’avaispastort.Puisilconsidéralamainquivenaitdetaperdans
le dos de son frère. Les paillettes dont Trenton était enduit avaient collé à sa paume etscintillaient sous la boule à facettes qui tournait au-dessus de nos têtes. Une expressiond’horreurlesaisit.
Jeprisuneservietteenpapiersurlatableetlaluitendis.—Tiens.—Merci,dit-ild’untonàlafoisamuséetdégoûté.Il se nettoya et laissa la serviette contre sa paumeavantdemeprendre lamain.Nous
traversâmes la salle. La musique était assourdissante, les basses faisaient vibrer tout monsquelette.Desdizainesd’hommessetenaientlà,debout,pouràpeineunepoignéedefemmes.
Je me sentis très mal tout à coup, me demandant quand j’allais tomber nez à nez avecCamille.
LamaindeThomasétaitchaudedanslamienne,malgrélaservietteenpapier.S’ilétaitnerveux, ilne lemontraitpas. Il saluaplusieurs jeunesgens,desétudiantsprobablement.Àl’autreboutdelasalle,Thomasouvritlesbrasetserracontreluiunhommerobuste,avantdel’embrasser.
—Salut,Papa.—Ah,mais te voilà,mon fils. Bonsoir ! répondit JimMaddox d’un ton bourru. Jeme
demandaissituarriveraisunjour.—Liis,ditThomas,jeteprésentemonpère,Jim.Il était plus petit queThomas,mais avait lamêmedouceur dans le regard. Il posa sur
moi des yeux empreints de bonté et d’une patience acquise au fil d’une trentaine d’annéesconsacréesàd’éducationdesescinqfils.Sescheveuxras,gris,changeaientdecouleuraugrédesspots.
LeregardunpeulasdeJims’éclairaencomprenantcequecelavoulaitdire.—C’esttacopine,Thomas?Thomasm’embrassasurlajoue.—Jeleluirépètetouslesjours,maiselleneveutpasmecroire.Jimouvritlesbras.—Viensicimabelle!Qu’est-cequejesuisheureuxdeterencontrer!Ilnemeserrapas lamain. Ilmepritcontre luietmeserra fort.Etquand ilme lâcha,
Thomas passa un bras surmes épaules, l’air beaucoup plus heureux de retrouver sa famillequejenel’auraispensé.
—Liisestprofàl’UniversitédeCalifornie,Papa.C’estunetête.— Et elle te supporte ? demanda Jim en essayant de se faire entendre par-dessus la
musique.—Pasvraiment,réponditThomasensecouantlatête.Jiméclataderire.—Alorsfautquetulagardes!— C’est ce que je lui répète tous les jours, mais il ne veut pas me croire, dis-je en
donnantuncoupdecoudeàThomas.Jimritdeplusbelle.—Profdequoi,mabelle?—SciencesdelaCulture,répondis-jeenregrettantdedevoirluiaboyeràlafigure.—Unetête,alors!Jen’aipaslamoindreidéedecequecelaveutdire!Ils’étranglaetsemitàtousser.—Tuveuxunverred’eau,Papa?—Jeveuxbien,mongrand.
Thomasm’embrassasurlajoueetnouslaissaseulspourallerchercherdel’eau.Jen’étaispassûred’arriverunjouràm’habitueràseslèvressurmapeau.J’espéraisquenon.
—Tuytravaillesdepuiscombiendetemps,àcetteuniversité?—C’estmonpremiersemestre.—Ah.Etlecampusestagréable?—Idéal,dis-jeensouriant.—SanDiegoteplaît?—J’adore.J’habitaisChicago,avant.EtjepréfèrelamétéodeSanDiego.J’articulaisdemonmieux,pournepasavoiràhurlersystématiquement.—Tuviensdel’Illinois?s’étonnaJim.—Oui.—Ahben c’estmarrant, ça.Moi je regrette queTommy soit si loin,mais il n’a jamais
vraimenttrouvésaplaceici.Jecroisqu’ilestplusheureuxlà-bas.Ilhochalatête,commepoursignifierqu’ilétaitd’accordaveclui-même.—Vousvousêtesrencontréscomment?reprit-il.—J’aiemménagédanssonimmeuble,répondis-jeenremarquant,prèsdelatableoùse
trouvaientlesboissons,unefemmequiparlaitàThomas.Ilavait lesmainsdans lespocheset regardait sespieds.De touteévidence, il faisaitde
sonmieuxpourresterstoïque.Thomashochalatête,ellefitdemême.Puisellelepritdanssesbras.Jenevoyaisquele
visagedeThomas,etlorsqu’illapritdanssesbrasàsontour,jedevinaisadouleur.Dans ma poitrine, le même sentiment d’oppression se ralluma, et mes épaules
s’affaissèrent.Jecroisailesbraspourmedonnerunecontenance.—Thomasettoi…c’estrécent?demandaJim.—Relativement,oui, répondis-jesansparveniràquitterdesyeuxThomasdans lesbras
decettefille.Trentonnedansaitplus.Illesregardaitaussi.Exactementdelamêmefaçonquemoi.—Lajeunefemme,là-bas,avecThomas…c’estCamille?Jimhésita,puishochalatête.—Oui,c’estelle.Uneminute entière passa, et Thomas et Camille étaient toujours dans les bras l’un de
l’autre.Jimtoussota.—En tout cas, je n’ai jamais vumon fils aussi heureux que tout à l’heure, lorsqu’il t’a
présentée à moi. Même si c’est récent, c’est dans le présent… Contrairement à d’autreschoses…quiappartiennentaupassé.
Je ne parvins qu’à lui adresser unmaigre sourire pour toute réponse. Ilme prit par latailleetmeserrabrièvementcontrelui.
—SiTommynetel’apasencoredit,ildevrait.
Je hochai la tête, tentant d’analyser la variété des émotions quime submergeaient enmêmetemps.Éprouverunedouleurpareille,voilàquiétaitsurprenantpourunefillemariée–etheureuse–avecsonboulot.Jen’avaispeut-êtrepasbesoindeThomas,maismoncœurnelesavaitpasencore.
17
Thomasouvritlesyeuxetregardadroitdanslesmiens.IllâchaCamilleet,sansluidirequoi que ce soit ni lui accorder un dernier regard, saisit une bouteille d’eau et traversa lapièceendirectiondeJimetmoi.
—Tul’asinterrogéecommeilfallaitpendantquejen’étaispaslà,Papa?—Tuaurais sûrementmieux fait quemoi, dit Jimavantde s’adresser àmoi :Thomas
auraitdûêtredanslapolice.Jeparvinsàsourire,mêmes’ilétaitdangereusementprochedelavérité.Thomasfitune
drôledetête,luiaussi,puissestraitss’adoucirent.—Toutvabien,chérie?—S’il teplaît,dis-moiquec’étaitunaurevoir, lâchai-jesanschercheràéviterqueJim
entende.C’étaitunerequêtehonnête,quejepouvaisémettresansrisquerdenoustrahir.Thomasmepritdoucementpar lebras etm’entraînaversun coinplus tranquillede la
salle.—Jenem’attendaispasàcequ’ellefassecela,dit-il.Jesuisdésolé.—J’auraisaiméquetuvoiescelaàtraversmesyeux.Difficiledecroirequ’elleappartient
aupasséaprèsunetellescène.—Elles’excusait,Liis.Quevoulais-tuquejefasse?—Jenesaispas…Nepasavoirl’airanéanti?Ilmeconsidéra,stupéfait.Jelevailesyeuxaucieletleprisparlamain.—Allez,viens,retournonsfairelafête.Ilsedégagea.—Je le suis, Liis. Je suis anéanti. J’ai le cœurbrisé.Cequi est arrivé estd’une infinie
tristesse.— Super ! On peut y aller, maintenant ? lançai-je d’un ton faussement enjoué et
dégoulinantdesarcasme.
Jem’éloignai,maisilm’attrapalepoignetaupassage,m’attiracontrelui,portamamainàsajoueetl’ouvritpourembrassermapaume,lesyeuxclos.
—C’esttristeparcequec’estterminé,souffla-t-ilcontremamain.Puisilmeregardadanslesyeux.—C’esttristeparcequej’aifaitunchoixquiachangépourtoujourslesrapportsquej’ai
avecmon frère. À cause demoi, elle a souffert, Trenton a souffert, et j’ai souffert. Le pire,c’estquesurlemoment,j’aicruquec’étaitjustifié.Aujourd’hui,jemedisquetoutça,c’étaitpourrien.
Jescrutaisonregard,inquiète.—Jenetecomprendspas.—J’aimaisCamille…maispascommeça,pascommetoi.Jeregardaiautourdenous.—Arrête,là,Thomas.Personnenepeutnousentendre,tusais.—Maistoi,tum’entends?Commejenerépondaispas,illâchamamain.—Quoi?Quefaut-ilquejedisepourteconvaincre?—Continueàmerépéterquetuestristed’avoirperduCamille.Jesuissûrequeçafinira
parmarcher.—Tun’asretenuquelatristesse,alorsquejet’aiditaussiquec’étaitterminé.—Cen’estpas terminé,dis-jeavecunrireamer.Çanesera jamais terminé.Tu l’asdit
toi-même.Tul’aimerastoujours.Ilpointaundoigtendirectiondel’endroitoùilsetrouvaitavecCamille.—Cequetuasvu,toutàl’heure?C’étaientdesadieux.Ellevaépousermonfrère.—J’aiaussivuvotretristesseàtouslesdeux.—Biensûrqu’ilyadelatristesse!Qu’est-cequetuveuxdemoi,Liis?—Quetunel’aimesplus!Lamusiques’étaitarrêtéeentredeuxmorceaux,ettoutlemondesetournaverslecoin
de la salle où nous étions. Camille et Trenton discutaient avec un autre couple, et Camilleparut aussi humiliée quemoi. Elle ramenaunemèchede cheveuxderrière sonoreille, puisTrentonl’entraînaverslatableoùsetrouvaitlegâteau.
—Etmerde,murmurai-jeenmecouvrantlesyeux.Thomasregardaderrièrenous,etmefitbaisserlamain.—Cen’estrien.Net’inquiètepaspoureux.—Qu’est-cequimeprend?Cen’estpasmoi,ça!Ilpoussaunsoupir.—Jepeuxcomprendre.Ilsembleraitquec’estl’effetqu’onal’unsurl’autre.Non seulement je n’étais pas moi-même au contact de Thomas, mais j’éprouvais des
sentiments que je ne parvenais pas à maîtriser. La colère bouillonnait en moi. S’il me
connaissaitvraiment,ilauraitcomprisquecettesensibilitéàfleurdepeaunemeressemblaitpas.
AvecJackson, jeparvenais toujoursàmecontrôler.Jamais ilnemeseraitvenuà l’idéedeluihurlerdessusenpleinesoirée.Ilauraitétéstupéfaitquejel’agresseainsi.
AvecThomas,j’étaiscomplètementperdue.Matêtemetiraitdansunedirection,Thomaset mon cœur me tiraient dans l’autre. Les résultats étaient imprévisibles, et cela medéstabilisait.Me faisait peur. Il était temps pourmoi de reprendremes émotions enmain.Rienn’étaitpluseffrayantquel’idéed’êtremanipuléeparmespropressentiments.
Quand les autres invités retournèrent à leurs conversations, jem’efforçai de sourire etlevailementonpourtrouverleregarddeThomas.
Ilfronçalessourcils.—Etça,c’estquoi?Pourquoitusouris,maintenant?—Jetel’avaisdit,lâchai-jeenm’éloignant.Quetuneverraispasladifférence.Thomas me suivit. De retour parmi les autres, debout derrière moi, il passa ses bras
autourdematailleetposaunejouecontremanuque.Commejeneréagissaispas,ileffleuramonoreilleduboutdeslèvres.—Leslimitessontdeplusenplusfloues,Liis.Tuessûrequetoutcelan’étaitquepour
donnerlechange?—Jesuisenmission,là.Pastoi?Magorgeseserra.Jamaisjen’avaisproférédemensongeaussiconvaincant.—Waouh,ditThomasenmelâchantpours’éloigner.IlrejoignitJimetunautrehomme,quidevaitêtresononcle.Ilressemblaitbeaucoupà
Jim.Detouteévidence,lesgènesMaddoxétaientdesgènesdominants…chezleshommes.Quelqu’unbaissa le volumede lamusique et éteignit les lumières. Il faisait nuit noire,
j’étaisseuledansmoncoin.Laportepar laquellenousétionsentrés s’ouvritet,aprèsquelquessecondesdesilence,
unhommelâcha:—Heu…Les lumières se rallumèrent pour révéler Travis, et celui qui devait être Shepley,
complètementéblouis.TayloretsonjumeaujetèrentdesconfettisenformedepénisauvisagedeTravis,ettoutlemondesemitàhurler.
—Félicitations,têtedenœud!—Lopette!—Bravo,MadDog!J’observai Travis tandis qu’il saluait ses amis. Tapes sur l’épaule, embrassades viriles,
frontcontrefront,s’ensuivirent,surfondd’applaudissementsetdecrisd’encouragement.Trenton,toujoursentenuelégèreetbrillantdemillefeux,sautaitdanstouslessens,au
rythmedelamusique.ThomasetJimsecouaientlatête,atterrés.
CamilleétaitaupremierrangdelafoulequiencerclaitTrentonenl’encourageant,riantàgorgedéployée.Unecolèrecomplètement irrationnellemontaenmoi.Dixminutesplus tôt,elleserraitThomasdanssesbrasetpleuraitsurleurséparation.Cettefillenemeplaisaitpas.Jenecomprenaispascommentnonseulementun,maisdeuxMaddoxavaientputomberdanssesfilets.
Quandlemorceaus’acheva,Trentons’approchadeCamille,lapritdanssesbrasetlafittournoyer dans les airs. Lorsqu’il la reposa, elle noua ses mains autour de son cou etl’embrassa.
Lamusique reprit deplusbelle, et les quelques filles présentes attirèrent leurs copainssurlapiste.Laplupartselaissèrentconvaincre,pourfairelesguignols.
Thomas était toujours coincé entre son père et son oncle, et jetait régulièrement desregardsdansmadirection.Ilétaitencolèrecontremoi,àjustetitre.Moi-même,jemeseraisgiflée.J’imaginaiscequ’ilpouvaitressentir.
J’étaislà,àfixerCamilled’unregardméprisantchaquefoisqu’ellefaisaitquelquechosepour attirer l’attention, et j’avais traitéThomasde lamêmemanière. Il avaitmanifesté sonintérêt pour moi avant que nous ne partions pour cette mission. En fait, j’étais pire queCamille.Aumoinsn’avait-ellepasjongléavecsoncœurdéjàenmiettes.
Le comportement responsable aurait été de nous en tenir au plan strictementprofessionnel.Unjour,j’allaisdevoirchoisirentreThomasetleFBI,etjechoisiraisleboulot.Maischaquefoisquenousétionsseuls,chaquefoisqu’ilmetouchait,jecomprenaisquemessentiments étaient devenus trop complexes pour être balayés d’un revers de main. Ce quej’avaiséprouvéenlevoyantavecCamillenefaisaitqueleconfirmer.
Val m’avait conseillé d’être franche avec Thomas, mais il refusait d’entendre ce quej’essayaisdeluidire.Jemesentisrougir.J’étaisunefemmeintelligente,forte.J’avaismis leproblèmeàplat,déterminélasolutionàadopter,prisunedécision,etexprimécettedécision.
Ensuite,pensai-jeavecunsoupir,jeluiavaishurlédessusdevantpresquetoussesamisetsafamille.Ilm’avaitregardéecommesij’étaisdevenuefolle.
Peut-êtrelesuis-jevraiment?Ilavaitretirélaphoto,OK.Maisfairedisparaîtreunephotod’unbureaunechangeaitpas
forcément les sentiments. Jim m’avait dit que Camille faisait partie du passé de Thomas,certes.Maisjen’arrivaispasàaccepterqu’elleluimanqueouqu’ill’aimeencore.
Cedontj’avaisvraimentbesoin,c’étaitqu’iltournelapagedéfinitivement.Cen’étaitpasunerequêtedéraisonnable,maiselleétaitpeut-être impossibleàobtenir.Celanedépendaitpasdemoi.CeladépendaitdeThomas.
Pour la première fois dema vie d’adulte, jem’étais laissé entraîner dans une situationquejeneparvenaispasàcontrôler,etcelamerendaitmalade.
Je lançai un regard en direction de Thomas et, cette fois encore, constatai qu’ilm’observait.Alorsjelerejoignis,etsentisqu’ilsedétendaitaussitôt.Glissantlesbrasautour
desataille,jeposailajouesursontorse.—Thomas…Ilposaleslèvressurmescheveux.—Oui?Quelqu’unbaissalamusique,etTrentonsedirigeaversCamille,lapritparlesmainset
l’attiraaucentredelapistededanse.Là,ils’agenouillaetluitenditunepetiteboîte.Thomas se dégagea, plongea les mains dans ses poches, se dandina pendant quelques
instants.Puisilsepenchaversmoietmurmuraàmonoreille:—Excuse-moi.Ilfitquelquespasenarrièreets’éloignadiscrètement,longeantlemurendirectiondela
sortie.AprèsundernierregardversCamille,quiavaitportéunemainàsaboucheetfaisaitoui
delatête,ilpoussalaportevitréeetseglissadehors.Jimbaissalatête,puissetournaversmoi.—N’importequelhommetrouveraitçadur.Toutlemondeapplaudissaitautourdenous,etTrentonembrassaitsafiancée.—C’est dur pour toi aussi, j’imagine, reprit Jim en posant unemain réconfortante sur
monépaule.Lagorgeserrée,jemetournaiverslaporte.—Jecroisqu’onvarentrer,Jim.Onseretrouvechezvous,d’accord?J’aiétéraviede
fairevotreconnaissance.Etd’unpasrapide,jegagnailasortie.Monpetitgiletn’étaitpas le rempartappropriécontre les températuresdecedébutde
printempsdans leMidwest. J’en serrai lespanscontremoiet croisai lesbras.À l’arrièredel’hôtel,dansleparking,ilfaisaitassezsombre.
—Thomas?lançai-je.UnhommeivreapparutdederrièreuneChevroletmalenpointquidevaitavoirplusque
monâge.Ilessuyalestracesdevomisursaboucheets’approchaentitubant.—Téquitoi?bredouilla-t-il.Jemefigeaienlevantunemain.—J’essaiederetourneràmavoiture.Écartez-vouss’ilvousplaît.—T’asprisunechambreici,mabelle?Jehaussaiun sourcil. Il empestait labièreetavait vomi sur sa chemise.Pas forcément
l’idéalpourpécho,auraitditTaylor.Maisdetouteévidence,ilnelevoyaitpasdecetœil.—Moi,c’estJoe,dit-il.Puisilrotaetsourit,lesyeuxmi-clos.—Jesuisraviedevousrencontrer,Joe.Jevoisquevousavezdéjàpasmalbuetjevous
demandedenepasmetoucher.Jeveuxjusteallerjusqu’àmavoiture.
—Laquellequec’est,tacaisse?demanda-t-ilensetournantversleparking.—Celle-ci, répondis-jeen indiquantunedirectionvague,conscientequecelan’avaitde
toutefaçonaucuneimportance.—Ondanse?demanda-t-il en sedandinant surunemusiquequine jouaitquedans sa
tête.—Non,merci.Jevouluslecontourner,maisilattrapamongilet.—Hémaist’envapascommeça!Jesoupirai.—Jenetienspasàvousfairemal.S’ilvousplaît,lâchez-moi.Il tira une fois, je lui saisis les doigts et les retournai d’un coup sec. Il poussa un
hurlementdedouleurettombaàgenoux.—D’accord,d’accord!—Laprochainefoisqu’unefemmevousdemandedenepaslatoucher,dis-jeenlâchant
sa main, écoutez-la. Si vous devez vous souvenir d’une seule chose ce soir, ajoutai-je entoquantdel’indexsursatempe,c’estdeça.
—Oui,oui,madame,lâcha-t-il,essoufflé.Etplutôtquedetenterdeserelever,ils’allongeasurlesoletfitminedevouloirypasser
lanuit.— Vous ne pouvez pas dormir ici, Joe, grommelai-je. Il fait trop froid. Levez-vous et
retournezàl’intérieur.Illevaversmoiunregardempreintdetristesse.—Jemesouviensplusoùestmachambre.— Nom de Dieu, Joe ! T’es pas en train de harceler cette jolie fille, j’espère ! s’écria
Trenton,surgidenullepart.Il retira sonblousonpour le poser sur les épaulesde Joe, puis l’aida à se relever et le
soutint.—Elleaessayédemecasserlesdoigts,putain!ditJoe.—Tul’avaissansdoutecherché,ivrogne,réponditTrenton.Puisilsetournaversmoi.—Toutvabien?Jerépondisd’unhochementdetête.Les jambesdeJoesedérobèrentsouslui, ilchancela.Trentonpoussaungrognementet
lefitbasculersursonépaule.—TuesLiis,c’estça?Secondhochementde tête.Discuter ainsi avecTrentonmemettait extrêmementmal à
l’aise,sansquejesachepourquoi.—Papam’aditqueThomasétaitsorti.Toutvabien?
—Qu’est-cequetufouslà?Thomasavaitlancécelad’untonsec,ets’adressaitàsonfrère.—J’étaissortivoirsitoutallaitbien,réponditTrenton.—Bordelmaisqu’est-cequisepasseici?demandaTaylorenregardantJoesurl’épaule
desonfrère.Il tirauneboufféedesacigaretteetrejetaunépaisnuagedefuméequis’évanouitdans
l’airfroid.—Elleaessayédemecasserlamain,putain!ditJoe.Taylorrigola.—T’asqu’àl’empêcherdetropsebalader,tamain,crétin!Thomasbaissalesyeuxsurmoi.—Ques’est-ilpassé?—Ilm’atouchée,répondis-jeavecunhaussementd’épaules.Taylorritdeplusbelle,ilétaitpliéendeux.Tylerapparutàsontour,derrièreTrentonetTaylor,ets’allumaunecigarette.—C’estici,lavraiefête,alors?—Est-cequeLiist’amisàterre,toiaussi,lapremièrefoisquetul’astouchée?demanda
Taylor,hilare.Thomasnetrouvapasceladrôle.—Fermetagrandegueule,Taylor.Ons’enallait.Tyler sembla se réveiller tout à coup, et sourit. Puis il se mit à fendre l’air avec les
paumesetlançaunpiedenhauteur.—LabeautéasiatedeTommys’yconnaîtenkaraté!Thomasfitunpasverslui,maisjeposaiunemainsursontorse.Tylerlevalesmains.—Ouhlà!Jedéconne,Tommy!Putaint’espasdrôle!LesquatrefrèresdeThomasseressemblaientvraimentbeaucoup,maislesdeuxjumeaux
étaient identiques à un point tel que cela en devenait inquiétant. Même leurs tatouagesétaientpareils.L’unàcôtédel’autre,j’auraisétéabsolumentincapabledelesdistinguer.
—Bref,repritTrenton,Joeestungroscrétin.—Pose-moi!grognacedernier.D’unpetitbond,Trentonlecalaunpeumieuxsursonépaule.—Jevaisallerl’allongerdansl’entrée,avantqu’ilnemeuredefroid.—Tuveuxdel’aide?demandaThomas.Commentvatonbras?—Encoreunpeuraide,maisquandj’aibu,jenesenspresqueplusrien,réponditTrenton
avecunclind’œil.—Àdemain,alors.—Àdemain,frangin,ditTrentonensedirigeantverslebar.
Thomasfronçalessourcilsetbaissalatête.Jeposaiunemainsursonbras.—Onestprêts,dis-jeàTaylor.—D’accord.Pasdeproblème.Travisestdéjàparti.Cemecestdevenuunvraipapy.Taylor nous conduisit à travers la ville jusqu’à une allée gravillonnée quimenait à une
maison modeste en bardeaux de bois blancs, avec une véranda rouge et une porte-moustiquaireencrassée.
Thomasouvritmaportière,maisnem’aidapasàdescendre.Ilrécupéralesbagagesetsedirigea vers la maison, s’assurant d’un unique coup d’œil par-dessus son épaule que je lesuivaisbien.
—Papa et Trent ont fait leménagedans toutes les chambres pour l’occasion. Tupeuxprendretonanciennechambre,ditTaylor.
—Parfait.Laporte-moustiquairegémitlorsqueTaylorl’ouvrit.Puisiltournalapoignéedelaporte
d’entrée,quis’ouvritàsontour.—Tonpèrenefermepasàcléquandilsort?m’étonnai-je.Thomassecoualatête.—Onn’estpasàChicago,ici.Jelesuivisàl’intérieur.Lesmeublesétaientaussiusésquelamoquette,etilflottaitdans
l’airuneodeurdemoisi,defritureetdecigarettefroide.—Bonnenuit,ditTaylor.Monvolestsupertôtdemainmatin.Levôtreaussi?Thomashochalatête.Taylorl’embrassa.— À demain matin, alors. Je pense partir vers 5 heures. Trav m’a dit que je pouvais
prendresavoiture,vuqu’ilvoyageraavecShep.Ils’engageadanslecouloir,puisseretourna.—Tommy?—Oui?—C’estsuperdetevoirdeuxfoisdanslamêmeannée.Ildisparutauboutducouloir.Thomasbaissalatêteetpoussaunlongsoupir.—Jesuissûrequ’ilnedisaitpasçapourteculp…—Jesais,dit-il.Puisillevalesyeuxversl’escalier.—Onestlà-haut,nous.Je le suivis. Chaque marche craqua différemment sous nos pas, comme une chanson
douce-amèrenarrantleretourdeThomas.Desphotosjauniesétaientaccrochéesauxmurs,etsur toutes, on voyait le gamin aux cheveux blonds comme les blés que j’avais vu dansl’appartement de Thomas. Devant une photo des parents Maddox, je lâchai un hoquet destupeur.OnauraitditTravisassisàcôtéd’uneversionfémininedeThomas.Ilavaitlesyeux
de samère, et tous ses traits à l’exception de lamâchoire et des cheveux longs. Elle étaitd’unegrandebeauté,sijeune,sipleinedevie.Commentl’imaginermaladeetaffaiblie?
Thomas entra dans une chambre et posa nos bagages dans un coin. Le lit double étaitpoussédanslecoinopposé,etmalgrécela,ilyavaittoutjustedelaplacepourunecommodeen bois. Sur les étagères étaient disposés les trophées sportifs remportés par Thomas. Lesmursétaientdécorésdepostersdeseséquipesdebase-balletdefootfavorites.
—Thomas,ilfautqu’onparle,commençai-je.—Jevaisprendreunedouche.Àmoinsquetuneveuillesyallerenpremier?Jefisnondelatête.La fermeture à glissière de sa valise émit comme un sifflement haut perché lorsqu’il
l’ouvrit. Il sortitunebrosseàdents,dudentifrice,unrasoir,de lamousseàraser,unboxergrisetunshortdebasketbleumarine.
Sansunmot,ildisparutdanslasalledebainsetvoulutfermerlaportecoulissante,maiscelle-ci était sortie de son rail. Il soupira, se cala contre le lavabo et la secoua jusqu’à cequ’elleseremetteenplace.
—Tuveuxdel’aide?demandai-je.—Non,répondit-ilenlafermant.Jemelaissaitombersur le litensoupirant,nesachantcommentréparer lesdégâtsque
j’avais causés. D’un côté, c’était assez facile. On bossait ensemble. On était en mission. Selaisserenvahirparlessentimentssemblaitidiot.
D’unautrecôté,ilsétaientlà,etbienlà,cessentiments.LesjournéesàvenirallaientêtredifficilespourThomas.Engros,jeluiavaisbrisélecœurparcequej’étaisencolèreàproposd’uneautrefemme,qui,coïncidence,luiavaitelleaussibrisélecœur.
Jeme levaiet retiraimonpull, lesyeuxrivésà laportede lasalledebains.Unraidelumière filtrait par en dessous, dans la pénombre de la chambre. Les tuyaux gémirent,j’entendis ladouchecrachoteravantdeproduirede l’eauàundébit régulier.Laportede lacabines’ouvritetsereferma.
Jerefermai laportedelachambreetposaiunepaume,puisuneoreille,surcelledelasalledebains.
—Thomas?Ilneréponditpas.J’ouvris,etuneboufféedevapeurserépanditdanslachambre.—Thomas?répétai-je.Toujourspasderéponse.Jemeglissaidanslaminusculepièceetrefermaiderrièremoi.
Laparoidelacabinededoucheétaitopacifiéeparlabuée,onnedistinguaitquelasilhouette,trèsvague,deThomas.Lelavaboauraiteubesoind’unnettoyageenprofondeur,avecunbondétartrant,etlelinocouleurpêcherebiquaitdanslescoins.
—Jenejouaispaslacomédietoutàl’heure,tusais.J’étaisjalouseetencolère.Maisenfait,levraiproblème,c’estquej’aipeur.
Ilnerépondaittoujourspas,jevisqu’ilselavaitlevisage.—Jen’aipasaimévivreavecJackson.Avectoi,dèsledébut, j’aicomprisqueceserait
différent.Jelevois,jelesens,maisrecommencersiviteunehistoirealorsquejerêved’êtreseuledepuissilongtemps…cen’estpeut-êtrepasunebonneidée.
Toujoursrien.— Si jamais jeme lance, j’ai besoin que tu aies vraiment tourné la page. À cent pour
cent.Cen’estpastoutàfaitdéraisonnable,commerequête,si?J’attendisunmoment.—Est-cequetum’entends?Silence.Je soupirai et m’appuyai contre le lavabo, avec son meuble en formica fendillé et ses
poignées de tiroirs rouillées. Le robinet fuyait, et avec les années, une tache sombre s’étaitforméeautourdelabondechromée.
J’avais le bout de mon pouce dans la bouche et je mordillais le tour de mon ongle,cherchantquoidireensuite.Peut-êtrenevoulait-ilpasentendrecequej’avaisàluiexpliquer.
Quelques instants passèrent, et jeme redressai, retiraimon chemisier puismes bottes.Monjeanskinnyrésistaunpeu,maismeschaussettesglissèrentsanseffort.Dieumercij’avaispenséàmeraserlesjambeslematinmême.Leslonguesmèchesdecheveuxnoirscouvrirentmapoitrine,etjenemesentisplusaussivulnérable.Jem’approchaidelacabinededouche.
Jetirailaporte.Unefois.Deuxfois.Quandelles’ouvritenfin,Thomasmefaisaitface,lesyeuxfermés,etlamoussedesonshampoingluicoulaitsurlevisage.Illanettoyad’unemainet me regarda, puis se rinça le visage, et me regarda encore, avec des yeux comme dessoucoupes.
Jerefermailaportederrièremoi.—Tum’écoutes?Ilredressalementon.—Jet’écouteraiquandtum’écouteras,toi.—Detoutefaçon,onparleraplustard.Jefermailesyeuxetprissonvisageentremesmainspourpouvoirl’embrasser.Ilmesaisitlespoignetsetmemaintintàdistance.—Jesaiscombienc’estdurpourtoi,ceweek-end.Maisj’enaimarredefairesemblant.
J’aijusteenviedetoi.— Je suis là, dis-je en plaquantmon corps contre le sien, sentant son impressionnante
érectioncontremonventre.Ilinspiralonguementetfermalesyeux.L’eauruisselaitsursonvisage.—Maisturesteras?demanda-t-ilenmeregardant.
Jemerembrunis.—Thomas…—Est-cequeturesteras?répéta-t-ileninsistantsurlederniermot.—Définiscequetuentendsparrester.Ilfitunpasenarrière.Lecharmeétaitrompu.D’unemain,ilempoignalemitigeur,etde
l’eauglacée jaillit dupommeau.Thomasposa sesmains àplat sur laparoi carrelée et, têtebaissée,encaissalechoc.Jepoussaiunhurlementetmeruaisurlaporte.
En sortant de la cabine,mon pied glissa et je chutai lourdement, pourme retrouver àquatrepattessurlelinodelasalledebains.Thomasfutaussitôtàcôtédemoi.
—Merde!Çava?—Oui,dis-jeenmefrottantlecoudepuislegenou.Ilprituneservietteetladrapaautourdemoi,puisensaisituneautreetlanouaautour
desataille.—Tuasmal?—Àmonorgueil,oui.Thomassoupira,puisjetaunœilàmonbras.—Ettongenou?demanda-t-ilensepenchant.Jetendislajambe,ilm’examina.—Quelconnardjefais,grommela-t-ilenlissantsescheveuxmouillés.—Jen’aipasvraimentbrillénonplus,cesoir…Ilyeutunsilencegêné,puisjemelevaipourallercherchermabrosseàdents.Thomas
dévissalebouchondutubededentifrice,jetendismabrosse,ilyposaunpeudepâte,etfitdemêmesurlasienne.
Passagedelabrossesouslefiletd’eau,brossagedevantlemiroirdecettesalledebainsd’adolescent,vêtusentoutetpourtoutdeserviettesàfleursuséesjusqu’àlatrame.Lascèneétaitbanale,quotidienne,etpourtant,cesdixdernièresminutesavaientétésigênantesqu’ilm’étaitdifficiled’enprofiter.
Jemepenchaisur le lavabopourcracheretmerincer labouche,puisThomasm’imita.Avecunsourireencoin, ilessuyaunrestededentifricesurmonmentonpuis,délicatement,pritmonvisageentresesmains.Sonsourires’effaça.
— J’admire ta capacité à disséquer le moindre détail, mais pourquoi le faire là,maintenant?Onpourraitjusteessayer,non?
— Tu n’as pas tourné la page Camille, Thomas. C’était évident, ce soir. Et tu medemandesdepromettrederesteravectoideretouràSanDiego.C’estunepromessequejenepeuxpasteniretquejenetiendraipas.Nouslesavonstouslesdeux.Ilesttoutàfaitnormalquetucherchesunerelationstableaprèscequit’estarrivé,maisjenepeuxpaspromettrederenonceràmacarrière.
—Etsijetedonnedesgaranties?
— Comme quoi ? Et ne me dis pas que c’est de l’amour, on s’est rencontrés le moisdernier.
—Onn’est pas comme les autres, Liis.Onpasse toutesnos journées ensemble, parfoismêmenossoirées,etnosweek-ends.Situfaislecompte,çafaitdutemps.
Jeréfléchisuninstant.—Arrêtedetoutanalyser.Tuveuxdesgaranties?Jenemelancepasauhasard,Liis.J’ai
déjàaimé,maiscequejeressenspourtoi…c’estlemêmesentimentenmillefoisplusfort.—Moiaussi,j’aidessentimentspourtoi.Maisçanesuffitpastoujours.Jemetusuninstant,mordillantmalèvre,avantdereprendre.—Cequim’inquiète,c’estquesinousdeuxçanemarchepas,ceseral’enferauboulot.
Etça,jenepeuxpasl’accepter,parcequej’adoremonboulot,Thomas.—Moiaussi,j’adoremonboulot.Maisjesuisprêtàprendrecerisquepourêtreavectoi.
Çaenvautlapeine.—Jen’ensuispassûre.—Jesaisqu’onnes’ennuierapas.Jesaisquejamaisjeneterefuseraiunepromotionqui
pourrait t’envoyer ailleurs. Peut-être que je finirai parme lasser de SanDiego. J’aime bienWashington.
—TuviendraisàWashington,dis-je,dubitative.—Cen’estpaspourdemain,nonplus…—Etc’estpourcelaquejenepeuxpastepromettrederester.—JeneveuxpasquetumepromettesderesteràSanDiego.Jeveuxjustequeturestes
avecmoi.Magorgeseserra.—Oh.Ça…Jecroisque…oui,c’estpossible,balbutiai-jesanssavoiroùposerleregard
danscetteminusculesalledebains.—Onarrêtedefairesemblant,Liis,ditThomasenfaisantunpasversmoi.Doucement,iltirasurmaserviette,quitombaàterre,puisilretiralasienne.—Dis-le,ajouta-t-ild’unevoixgrave,maîtrisée.Puisilpritmonvisageentresesmainsetsepencha,s’arrêtantàquelquescentimètresde
meslèvres.—D’accord,murmurai-je.—D’accord,quoi?Il posa ses lèvres surma bouche, ses doigts glissèrent dansmes cheveux et ilm’attira
contre lui. Puis, doucement, ilmeplaqua contre lemur.Sa languevint caresser lamienne,comme s’il cherchait là la réponse à sa question. Il s’écarta alors, me laissant affamée, lesoufflecourt.
—D’accord,haletai-je,sansavoirhontedemondésir.Onarrêtedefairesemblant.
Ilmesoulevaetjenouailesjambesautourdesataille.Ilmetenaitjusteassezhautpourquejesentesonsexecontrelemien.
J’enfonçaimesonglesdanssesépaules,mepréparantàlamêmesensationbouleversanteque celle éprouvée lors de notre première fois. En me laissant descendre de quelquescentimètres à peine, il allait satisfaire tous les fantasmes qui m’habitaient depuis troissemaines.
Maisilnebougeapas.Ilattendaitquelquechose.Doucement,jem’approchaidesonoreille,memordantlalèvreàl’idéedecequej’allais
luidireetdecequecelaallaitentraîner.—Onarrêtedefairesemblant,patron.Thomassedétenditet,lentement,maîtrisantchaquemouvement,ilmefitdescendresur
lui, m’arrachant un gémissement dès l’instant où il entra en moi, et jusqu’à ce que sonmembremecombleentièrement.Mesonglesmordirentsapeau,jepressaimajouecontrelasienne.Sansvraimentfournird’effort,ilmesoulevadenouveauetmefitredescendresurluidansungrognement.
—Putainquec’estbon,murmura-t-il,lesyeuxclos.Les va-et-vient se firent plus réguliers, envoyant à travers toutmon être des décharges
d’un plaisir exquis, aux franges de la douleur. Il s’efforçait de rester silencieux, mais sesgrognementsétouffésmontaientsensiblementenintensité.
—Ilfautqu’on…merde…,souffla-t-il,haletant.—Continue…,suppliai-je.—C’esttropbon,lâcha-t-ilsoudainenmeposantsurlesol.Etsansmelaisserletempsdeprotester,ilmeretournaetmepoussaenavant.Poitrine
etpaumesàplatcontrelemur,jesouris.Thomasposaunemainsurmajoue,et j’embrassai leboutdesesdoigts.Puis j’ouvris la
boucheetilglissaundoigtàl’intérieur.Lorsquejememisàlesucerdoucement,ilpoussaunsoupirdeplaisir.
Délicatement, il parcourut avec le pouce la ligne dema joue, demon cou, et demonépaule. De là, il fit glisser sa paume le long de mon échine, s’attardant brièvement sur lacourbe de mes fesses avant de s’arrêter entre mes cuisses. D’une légère pression, il me fitécarterlesjambes.Impatiente,jemeconformaiàsondésir,posantlespaumesàplatcontrelemurtandisqu’ilmeprenaitparleshanches.
D’unemain, il guida sonmembre loin enmoi et, sans se retirer, ondula lentementdeshanches,savourantlamoiteurdemonsexe.
Puis,m’agrippantd’unemain, ilglissa l’autrepar-devant,pourcaresser lapartie laplussensibledemonanatomie.Alorsquesonmajeurdessinaitdepetitscerclessurmonclitoris,ilseretiralégèrement,pourdonneruncoupdereinsquilepoussaunpeuplusloinenmoi.
Frémissante,jemepenchaienavant,pressantmesfessescontreluipourqu’ilmepénètreplusprofondémentencore.
Bientôt,ilimprimaànosdeuxcorpsdesmouvementsdeva-et-vientpuissants,sesmainspétrissantmes cuisses,me guidant jusqu’au bord de l’explosion. Jememordis la lèvre,meretenantdehurlermonplaisir.Alorsquelasueurcommençaitàperlersurmapeau,l’extasenoussubmergeatouslesdeux.
18
Jepassaiunbraspar-dessus le torsedeThomaspouréteindre l’insupportablebruitquefaisait son portable. Ce simple mouvement réveilla la sensibilité de mon entrecuisse,exacerbéeparlesheuresquenousavionspasséesàfairel’amour.Àl’évocationdecesouvenir,jesouris,etposailatêtesursonventremusclé.
Thomass’étira,sesjambesétaienttroplonguespourlelit.Jefisglissermesdoigtssursapeaudouce,parcourantduregardcettechambreoccupéeparlestrophéesetlessouvenirsdesonenfance.
D’unregardensommeillé,ilmeconsidéra,etsourit.Puisilmetiraverslehautpourêtrefaceàmoi,mepritdanssesbras,lovantsonvisagedanslecreuxdemoncou.
J’embrassailesommetdesoncrâneetlâchaiunsoupirdebien-êtreabsolu.Jamaisjenem’étaissentieaussibiend’avoirfaitquelquechosedemal.
—Bonjour,mabelle,dit-ild’unevoixéraillée,presquefatiguée.Ilfrottasespiedscontrelesmienstoutenmecaressantlescheveux,écartantlesmèches
follespourdégagermonvisage.—Dis…,reprit-il.Jesaisquejem’avancepeut-êtreunpeu,maiscommetuesunejeune
personnemariéeàsonboulotetàsacarrière…—Exactement,l’interrompis-je.Monimplantcontraceptifestenplace,etpourcinqans.Ilm’embrassasurlajoue.— C’était juste pour être sûr. Parce qu’hier soir, je crois que jeme suis un peu laissé
emporter.—Jenemeplainspas,dis-jeavecunsourirefatigué.Notrevolestdansquatreheures.Ils’étiradenouveau,en laissantunbrasautourdemoncou,puism’attiravers luipour
m’embrassersurlatempe.— Si ce week-end n’était pas aussi important, je te garderais au lit avecmoi toute la
journée.—OnferaçaquandonseraderetouràSanDiego.Ilmeserracontrelui.
—Çaveutdirequetuesenfindisponible?Jerépondisàsonétreinte.—Ah,non,désolée,dis-jeenriantdesaréaction.Jesuisavecquelqu’un.Ilmeregardadanslesyeux.—Hier soir, en parlant avecCamille… j’ai compris. Ces couples qui ne fonctionnaient
pas, ce n’était pas à cause du boulot. C’est parce qu’on n’était pas assez investis dans larelation.
Jeledévisageai,feignantlaméfiance.—Ettut’investisdanscequ’ilyaentrenous?—J’invoqueledroitdegarderlesilence,maisuniquementpournepastefairepeuravec
maréponse.Jesecouailatêteetsouris.—J’aimequandtuascetteexpression,dit-ilenmecaressantlescheveux.Jelevailesyeuxauciel.—Arrête…—Non,sérieusement.Jenet’ai jamaisvueaussibelle,c’estpourdire.Lapremièrefois
quejet’aivue…jeparledel’instantoùj’aiposéleregardsurtoidepuismontabouretdebar,etoùj’aivutonvisage,j’aipaniqué,enmedemandantcommentj’allaisfairepourattirertonattention,etensuiteencherchantcommentj’allaisfairepourlagarder.
—Tuaseutoutemonattentionaubureaulelendemain…Ilsoupira,honteux.— Je ne suis pas facile à surprendre. Et j’ai sans doute été encore plus odieux que
d’habitude, tellement j’avais la trouilleque lesautresdevinent.Etquand j’ai comprisque jet’avaismiseendanger…
Je posai un doigt sur ses lèvres, puis songeai que je pouvais les embrasser quand jevoulaisdésormais.Pasbesoindemelediredeuxfois.Ellesétaientdoucesettièdes,j’eusdumalàlesquitter,etquandj’yparvins,Thomasposaunemainsurmajoueetmeretinttandisquesalanguecaressaitlamienne.
Seigneur, cet homme était la perfection incarnée. Je m’en voulus d’avoir attendu silongtempspourm’autoriseràenprofiter.
Quand il s’écarta enfin de mes lèvres, ce ne fut que de quelques centimètres, et ilcontinuaàleseffleurerduboutdessiennes.
—J’aitoujoursétédumatin,maislà,jenevoispascommentjevaisarriveràsortirdulittantquetuyseras,toiaussi.
— Tommy ! hurla Jim d’en bas. Ramène un peu tes fesses par ici et fais-nous uneomelettedeMaman!
Ilclignalesyeux.—Hébençayest,jecroisquejevois.
Jepassaiundébardeurunpeulargeetunejupelongue.Thomasenfilauntee-shirtblancetunshortentoilekaki.
— Purée, qu’est-ce que ça caille, dit-il en se frottant lesmains.Mais j’ai pas envie detranspirercommeunbœufquandondescendradel’avionàCharlotteAmalie.
Ilmitsonblouson.—C’estexactementcequejemedisais,commentai-jeenpassantmongilet.—J’aipeut-êtreun…Ilouvritsonplacardetretiraquelquechosed’uncintreavantdemelelancer.Jetinslesweatàcapuchegrisdevantmoi.Ilportaitl’inscriptionESUBULLDOGS.C’était
unetailleM.—Tuportaisçaquand?Enmaternelle?—Enpremièreannéedefac.Jeteleprête.Je retirai mon gilet et enfilai le sweat, capuche comprise, avec l’émotion d’une
adolescente à qui son petit ami donne son pull préféré. Je me sentais toute chose, et trèsnunuche,aussi.
Nos bagages refaits, Thomas les descendit tandis que j’essayais de débarrasser mescheveuxdesnœudshéritésdecettenuitdeluxure.Puisjefislelit,ramassailelingesaleet,avant de sortir, balayai la chambre d’un regard presque nostalgique. C’était ici qu’avaitcommencénotreavenir,quoiqu’iladvienne.
JedescendisetsourisentrouvantThomasdevantlacuisinière,sonpèreluitendantleseletlepoivre.
—Personned’autre queTommyne fait les omelettes aussi bienqueDiane,m’expliquaJim.Alorsquandilestlà,j’enprofite.
—Ilfaudraquej’essaie,unjour,dis-je.Thomas se retourna pour me faire un clin d’œil, et mon sourire s’élargit un peu plus
encore.—Oùmet-onlelingesale?demandai-je.Jimreposaleseletlepoivreetvintversmoientendantlesbras.—Donne-moiça.LuiremettrelesserviettesdetoilettequeThomasetmoiportionsjusteavantunepartie
dejambesenl’aird’anthologie–encequimeconcernait–mefit toutdrôle,mais jen’avaisenvienidediscuternidem’expliquer,alorsjeluiconfiailetout.PuisjerejoignisThomasetglissailesbrasautourdesataille.
—Sij’avaissuquetusavaisfairelacuisine,j’auraispasséplusdetempsdanslachambre.—Onsait tous faire lacuisine,meditThomas.C’estMamanquim’aappris,etensuite
j’aiapprisauxgarçons.Danslapoêle,lebeurrecrépitaetéclaboussamamain.Jelaretiraibrusquement.—Ouille!
Thomaslâchasaspatule,pritmamainentrelessiennesetl’examina.—Çava?demanda-t-il.Jehochailatête.Il portamamain à ses lèvres, embrassa tendrement la naissance de chaque doigt. Un
véritablegouffre séparait cethommedeceluique je côtoyaisaubureau.Mescollèguesn’enauraientpascruleursyeuxs’ilsl’avaientvulà,deboutdanslacuisinedesonpère,àfaireuneomeletteetàeffacerd’unbaiserladouleursurmamain.
—Tuesundesgarçons,toiaussi,dis-jecommeilretournaitàsonomelette.—C’est ceque je lui répètedepuisdesannées,dit Jimen revenantdans lacuisine.Tu
aurais dû le voir habiller Trenton pour son premier jour d’école maternelle. Il a tout faitexactementcommeleurMamanauraitfait.Exagérationcomprise.
—Jeluiavaisdonnéunbainlaveille,etils’estréveillésale,ditThomasenhaussantlesépaules. J’ai dû lui nettoyer le visage quatre fois avant qu’il ne monte dans le bus deramassagescolaire.
—Tut’estoujoursoccupéd’eux.Necroispasquejenem’ensoisjamaisaperçu,ditJimavecunsoupçonderemordsdanslavoix.
—Jesaisbien,Papa,ditThomas,soudainmalàl’aise.JimcroisalesbrassursonventreetmontraThomasdudoigt,avantdeportersondoigtà
seslèvres.—Tu te souviensdupremier jourd’écoledeTravis ?Tu as foutuune raclée à Johnny
Bankonichparcequ’ilavaitfaitpleurerShepley.Thomasrigola.—Oui,jem’ensouviens.Ilssontnombreux,lesgaminsquidoiventleurpremiercocardà
undesfrèresMaddox.Jimsouritfièrement.—Parcequevousvousprotégiezlesunslesautres.—Ah,ça,pourseprotéger…,ditThomasenpliantl’omelettedanslapoêle.— Quand vous étiez ensemble, rien ne vous arrêtait. Vous vous battiez comme des
chiffonniers,etensuite,vousmettiezlapâtéeàceuxquis’étaientmoquésdevousparcequevous vous battiez entre frères.Mais quoi qu’il arrive, rienne changera jamais l’attachementquevousavezlesunspourlesautres.Souviens-toideça,fiston.
Thomasregardalonguementsonpère.—Merci,Papa,lâcha-t-ilenfin,lagorgeserrée.— Tu t’es trouvé une bien jolie fille, là, et je pense qu’elle est plus futée que toi.
Souviens-toideçaaussi.Thomasversal’omelettedansl’assiettedeJimet la luitendit.Cedernier luidonnaune
tapeaffectueusesurl’épauleetallas’installerdanslasalleàmanger.—Tuenveuxune?medemandaThomas.
—Uncafé,àl’aéroport,çamesuffira.—Tuessûre?Parcequemesomelettessontd’enfer.Tun’aimespaslesœufs?—Si.Maisilesttroptôt,jen’aipasfaim.—Parfait.Çaveutdirequejet’enferaiuneundecesjours.Camilledétestaitlesœufs…Ilsetut,regrettantinstantanémentsesparoles.—Putain,jesaispaspourquoij’aiditça…—Parcequetupensaisàelle?— Ça m’est venu comme ça. Je me sens toujours bizarre quand je suis ici. J’ai
l’impressiond’êtredédoublé.Çanetelefaitpas,quandtuescheztesparents?Jesecouailatête.—Oùquej’aille,jesuistoujourslamême.Thomasconsidéramaréponsed’unairsongeur,puishochalatête,lesyeuxbaissés.—Bon,onferaitmieuxd’yaller,jecrois.JevaisvoiroùenestTaylor.Ilm’embrassa sur la joueaupassageavantdedisparaîtredans le couloir. Jeme rendis
danslasalleàmangeretm’assisàcôtédeJim.Lesmursétaientdécorésdejetonsdepokeretdephotosdejoueursetdechiens.
Jimsavouraitsonomeletteensilence,perdudanssespensées.—C’estétrangecommelanourrituremerappellemafemme.C’étaitunvraicordon-bleu.
QuandThomasfaitsonomelette,c’estcommesielleétaitencoreavecnous.—Elledoitbeaucoupvousmanquer,surtoutunjourcommecelui-ci.Àquelleheureest
votreavion?—Unpeuplustard.TrentetCamipasserontmechercher,avecTyler,aussi.Onesttous
surlemêmevol.Cami.JemedemandaipourquoiThomasnel’appelaitpasainsi.—C’estbien,qu’onvoyagetousensemble,ajoutaJim.ThomasetTaylorétaientàlaported’entrée.—Tuviens,bébé?lançaThomas.Jemelevai.—Àcesoir,Jim.Ilmeréponditd’unclind’œil.Thomasouvritlaporteets’effaçapournouslaisserpasser,
Tayloretmoi.Il restait deux bonnes heures avant l’aube, et la petite ville d’Eakins était encore
endormie.Onn’entendaitquelebruitdenospassurl’herberaidieparlegivre.Jeplongeailesmainsdanslapocheventraledusweat-shirtetfrissonnai.Taylordéverrouilla lesportesàdistance.Thomasouvritmaportièreet allamettrenos
bagagesdanslecoffre.—Désolé,ditTaylor,j’auraisdûfairechaufferlavoiture.—Ouais,çaauraitétébien,réponditThomas.
—J’aipasdormidelanuit.J’aipeurqueFalynneviennepas.Ils’installaauvolanttandisqueThomasprenaitplaceàl’avant.Puisildémarraetrecula,
attendantd’êtredanslaruepourallumersesfeux.Ilnevoulaitpasilluminerl’intérieurdelamaison,etcegesteattentionnémefitsourire.
—Elleviendra,luiassuraThomas.—Jecroisquejevaisluidire,pourlafilledubar.Çamebouffe,cettehistoire.—Mauvaiseidée,ditThomas.—Tupensesqu’ilnedevraitpasleluidire?demandai-je.—Pass’iltientàelle.—Jenel’aipastrompée,expliquaTaylor.Ellem’avaitlargué.Thomasluijetaunregardimpatient.—Maisça,elle s’en fout.Tuétais censé temorfondrechez toi,à cherchercomment la
reconquérir.Taylorsecoualatête.—C’estcequejefaisais!Etpuisj’aicrudevenirdingue,alorsj’aiprisunbilletpourSan
Diego.Thomassoupira.—Quandest-cequevouscomprendrezqu’onnepeutpasallersetaperlapremièrevenue
àlasecondeoùunefillevousjette?Vousêtesvraimentqu’unebandedecrétins.C’estpasçaquivavousaideràallermieux,detoutefaçon.Iln’yaqueletempspourguérircegenredeblessures.
—Etçaamarché,pourtoi?Letemps?demandaTaylor.Jeretinsmonsouffle.Thomasseretournapourmeregarder.—Jenesuispassûrquecesoitlebonmoment,là,Taylor.—Désolé.Jevoulais juste…j’aibesoindesavoir,aucasoùelleneviendraitpas.Jene
peuxpascontinuercommeça,putain,j’ail’impressiond’êtremort.Liis,tusaiscommentonseremetd’unerupture,toi?
—Je…heu…onnem’ajamaisbrisélecœur,àvraidire.Ilmeregardadanslerétroviseur.—Ahbon?Jehochailatête.— Jen’ai pas eu beaucoupd’amoureux au lycée,mais il est possible de s’éviter ça. En
analysantlescomportementsetensebasantsurl’observationdemarqueursquiindiquentlafinprobabled’unerelation,quellequ’ellesoit.Évaluerunrisquen’estpassidifficile.
—Waouh,ditTaylorensetournantversThomas.Tuvasavoirduboulot,avecelle.—Liisn’apasencorecomprisquetoutn’étaitpasqu’uneaffairedemathématiquesetde
calculs, réponditThomasavecunsourire.L’amourn’arienàvoiravec lesprédictionsou les
marqueurscomportementaux. Il te tombedessus sansprévenir,et tun’asaucuncontrôle là-dessus.
Je me rembrunis. Ces trois dernières semaines, j’avais eu un avant-goût de ce queThomasvenaitdedécrireet,detouteévidence,j’allaisdevoirm’habitueràcettefaçondevoirleschoses.
— Donc en fait, tu n’es sortie qu’avec des mecs que tu n’aimais pas plus que ça, ditTaylor.
—Entoutcasavecpersonnepourquij’étaisvraiment…investie.—Etmaintenant,tuesinvestie?demandaTaylor.Mêmesanslevoir,jedevinaisqueThomassouriait.—Tulaissestonpetitfrèrefairelesaleboulot?luidemandai-je.—Répondsàlaquestion,ditThomas.—Jesuisinvestie.TayloretThomaséchangèrentunregard.PuisThomasseretourna.—Siçapeutterassurer,j’aifaitmescalculs.Jenevaispastebriserlecœur.—Oh-ho, dit Taylor. Préliminaires intellectuels. Je sais pas sur quoi ça va déboucher,
maisvousmemettezunpeumalàl’aise,là.Thomasluidonnaunetapeàl’arrièredelatête.—Hé!Ilestinterditdemaltraiterlechauffeur!râlaTaylorensefrottantlanuque.
Nous décollâmes juste après le lever du soleil. Prendre l’avion avait toujours quelquechosed’incroyable.Lematin,noussoufflionsdepetitsnuagesblancsetlefroidnousmordaitla peau. L’après-midi, nous nous empressions de retirer nos pulls et de nous mettre de lacrèmepournousprotégerdusoleilcaribéen.
Thomas ouvrit la baie vitrée coulissante et sortit sur le balcon de notre chambre, audeuxièmeétageduRitz-CarltonoùTravisetAbbyavaientchoisidese(re)marier.
Je le suivis et, appuyéeaugarde-fou, contemplai lavuequi s’offrait ànous.Les jardinsétaient parfaitement entretenus, et partout, ce n’étaient que couleurs et sons. Les oiseauxs’appelaient continuellement, sans qu’on les voie. L’airmoite rendait la respiration presquedifficile,maisjetrouvaiscelaagréable.
—C’estmagnifique.Regarde,àtraverslesarbres,ondistinguel’océan.Jem’installeraisicisanshésitersileFBIyavaituneantenne.
—Onpourraittoujoursyprendrenotreretraite,ditThomas.Jelevailesyeuxverslui.Ilfitunegrimace.—Jemeprojettetrop,peut-être?—Tuétaissincère?Ilhaussalesépaules.—Jepensaistouthaut,c’esttout.
Ilsepenchapourm’embrassersurlajoueetrentradanslachambre.—Jevaisprendremadouche,dit-il.Lacérémonieestdansuneheureetdemie.Jemetournaiànouveauverslepaysageetinspiraiunelongueboufféed’airiodé.J’avais
acceptédetenterlecoupaveclui,etvoilàqu’ilparlaitdecoulernosvieuxjoursensemble.Jerentraiàmontour,maisilétaitdéjàsousladouche.Jefrappaiàlaportedelasalle
debains,etentrai.—Nedisrien,prévint-ilensemouillantlescheveux.—Commentça,«nedisrien»?—Cequetuallaisdire,jeneveuxpasl’entendre.Tuintellectualisestrop.Jemerenfrognai.—Jesuiscommeça.C’estpourçaquejesuisbonnedanscequejefais.— Et je l’accepte. Ce que je n’accepterai pas, c’est que tu te serves de cela pour me
repousser.Jevoisclairdanstonjeu,tusais.Unmélangedecolère,d’humiliationetd’anéantissementmesubmergea.—Etmoi, j’accepteque tu soisdouépourvoir à travers lesgensetdécouvrir cequ’ils
sontvraiment,maispasquandtutesersdecedonsurmoi,toutenrefusantdevoirleschosesenfaceencequiteconcerne.
Ilneréponditpas.—Thomas?—Onadéjàparlédeça.—CequeTayloraditcematin,àproposdelameilleuremanièredetournerlapage…—Non,Liis.—Tunesaismêmepascequejevaistedemander.—Biensûrquesi.Tuveuxsavoirsi jemesersdetoipouroublierCamille.Laréponse
estnon.—Alorscommentfais-tu?Parcequejusque-là,tunel’avaispasoubliée.Ilneréponditpastoutdesuite,laissal’eaucoulersursatêteetsonvisage.—Onn’arrêtepasd’aimercommeça,dujouraulendemain.Jenesaispascommentte
l’expliquer,vuquetun’asjamaisvraimentétéamoureuse.—Quiteditquejen’aijamaisétéamoureuse?—Toi.Tuasditquetun’avaisjamaiseudepeinesdecœur.—Beaucoupdegens,surcetteterre,ontétéamoureuxetn’ontjamaiseulecœurbrisé.—Maistun’enfaispaspartie.Jefislagrimace.—As-tutournélapageCamille?Ilhésita.—C’estdifficileàexpliquer.—C’estunequestionàlaquelleonrépondparouiouparnon.
Ilsepassaunemainsurlevisage.—Écoute,bébé,pourladixièmefois…Jen’aipasenvied’êtreavecelle.C’esttoiqueje
veux.—Serais-tuencoreavecelle,siTrentonn’étaitpasarrivé?Ilpoussaunsoupirdefrustration.— J’en sais rien. Ça dépend. Si elle était venue s’installer enCalifornie, comme on en
avaitparlé,peut-être.—Vousavezenvisagédevivreensemble?Nouveausoupir.—Oui.Écoute,detouteévidence,ilfautqu’onreparledetoutçapourclarifiercertaines
chosesetterassurer,maislà,ilfautsurtoutqu’onsepréparepourlacérémonie.D’accord?—D’accord.Mais…Thomas?—Oui?—Lesaffairesnonclassées,jenem’ensatisfaisjamais.Ilmeregardad’unairlas.—Arrête.Jesuisdésolé,j’aiparlédeprendrenotreretraiteici.C’esttroptôt,jet’aifait
paniquer.J’aipigé.—Jenepaniquepas.Jepoursuisuneconversationquenousavonsentaméeilyadéjàun
moment.—Compris.Je lui lançai un regard noir. Il se pinça les lèvres, sur le point de dire quelque chose,
avantdeseraviser.Puisilreprit:—Onvayarriver,tuverras.Maisj’aibesoinquetusoisavecmoi.Jehochailatête,ilesquissaunsouriretimide,etfermalaportedelacabinededouche.—Thomas?Sonvisagereparut,assombriparl’agacement.—C’estjusteque…jeneveuxpastefairesouffrir.Sonregards’adoucit.Etcettefois,ilparutblessé.—Tun’aspasenviedesouffrir.—Tuenconnaisàquiçafaitenvie?—Ilfautvoircequepèselebonheurfaceaurisquequ’ilfaitprendre.Je le laissai se doucher. Les arbres et l’océan étaient visibles depuis le centre de la
chambre,et jetâchaid’oubliermespréoccupationsprésentes,notreavenir,et toutcequ’ilyavaitentrelesdeux.
Jemelaissaitombersurlelit,rebondisdeuxfois.Êtreavecunhommesurquilesfaux-semblantsn’avaientaucunepriseétaitdéstabilisant.Thomasm’avait surpriseà chercherdesexcusespourfuiravantmêmequej’aiecompriscequejefaisais.
Onfrappaà laporte.Jeregardaiautourdemoi.Avions-nousseulementditàquelqu’undansquelle chambrenousétions?Sans fairedebruit, j’approchaide laporteet collaimonœilaujudas.Dansmapoitrine,j’eusl’impressionquemoncœurs’arrêtait.
Non.Seigneur,non.
19
Jenesavaispasquoifaire,alorsjeretirailachaînedesécuritéetouvrisgrandlaporte,avecunsourire.
—Bonjour.Camille hésita. Sa robe bustier bleumarine scintillait légèrement. Il devait y avoir des
filsmétallisésdansletissu.Dèsqu’ellebougeait, ilcaptait la lumière,soulignant lemoindredesesmouvements.Sansdouteétait-elleobligéedes’enteniràdescouleursetàdesmodèlessimples pour éviter de jurer avec le tableau assez bariolé de ses bras. Un vrai livre decoloriage.
—Heu…les…lesgarçonssepréparenttousdanslachambredeShepleyetAmerica.Ilsprennentdesphotos,aussi.
—D’accord,dis-jeenrefermantlentementlaporte.Je…jevaisleprévenir.Elle retint laporte.Je lui lançaiunregardnoir,etelle retirasamainaussitôt,presque
effarouchée.Pourtant,sesbrasetsesmainstatouésetsonboulotdansunbarauraientplutôtlaissécroirequ’ellen’étaitpas facileà intimider.Camille faisaitunebonne têtedeplusquemoi,enplus.Sonattituden’avaitaucunsens.
—Merde,jesuisdésolée,dit-elle.Jevoulaisjuste…Ellesaitquelquechose.—Tuvoulaislevoir?demandai-je.—Non!Enfin,oui,maiscen’estpas…Elle secoua la tête, ses mèches coupées au rasoir tremblèrent comme si elles étaient
nerveuses,ellesaussi.—Ilestlà?demanda-t-elle.—Ilestsousladouche.—Oh.Ellesemorditlalèvre,regardapartout,saufdansmadirection.—Tuveuxrepasser?—Je…jesuisdansl’autrebâtiment.Àl’autreboutdelapropriété.
Jeladévisageaiunmoment,incrédule.Puis,àcontrecœur,luiproposailadernièrechosequej’avaisenviedeproposer.
—Tuveuxentrer?Elleaffichaunsouriretimide.—Siçanedérangepas.Jeneveuxpasm’imposer.J’ouvris la porte, elle entra, et alla s’asseoir exactement à l’endroit que je venais de
quitter, sur le lit. Jeme sentis bouillir. Qu’elle puisse se glisser dansma peau sansmêmeessayermemettaithorsdemoi.
Ladouches’arrêta,etpresqueaussitôt,laportedelasalledebainss’ouvrit.UnnuagedevapeurprécédaThomas,leshanchesceintesd’uneserviettedetoilette.
—Bébé,t’auraispasvumon…Ilvitd’abordCamille,puismechercha.—…rasoir?Lemélangedesurpriseetdegênequejelusdanssesyeuxlorsqu’ilvitCamillefutpour
moiune certaine sourcede satisfaction, tout comme l’entendreutiliser ce termeaffectueux.Maisjemesentisimmédiatementidioted’êtreaussipuérile.
—Tul’asglissédanslapocheintérieuredetonsac,cematin,dis-jeenmedirigeantversleditsacpourfarfouillerdedans.
—Tupeuxm’apporteruntee-shirtetunshort,aussi?Ilrefermalaportedelasalledebains.Jel’yrejoignisaveccequ’ilm’avaitdemandé.Thomaspritsesaffaires,puissepenchaversmoi.—Qu’est-cequ’ellefaitlà?demanda-t-ildansunsouffle.Jerépondisd’unhaussementd’épaules.Ilregardalemurendirectiond’oùellesetrouvaitdanslachambre.—Ellenet’ariendit?— Elle m’a juste dit que les garçons se préparaient dans la chambre de Shepley, et
qu’ensuite,vousdeviezallerfairedesphotos.—D’accord…maispourquoielleestencorelà?Sonairagacémeconfortadansmonsentimentdelégitimité.—Ellenemel’apasdit.Ellevoulaitentrer,c’esttout.Thomashochalatêteetm’embrassasurlajoue.—Dis-luiquej’enaipouruneminute.Jeme tournaipourouvrir laporte,maisThomasme rattrapa,me fitpivoter,pritmon
visageentresesmainsets’emparademeslèvresavecfougue.Lorsqu’ilmelâcha,j’étaisàboutdesouffle,etunpeudésorientée.—C’étaitquoi,ça?demandai-je.Ilsoupira.—Jenesaispascequ’ellevamedire.Jeveuxjustequetunesoispasencolère.
—Tuneveuxpasl’emmenerfaireuntour?proposai-je.Ilsecoualatête.—Ellesavaitqu’onavaitlamêmechambre.Sielleveutmeparler,ellepeutlefaireenta
présence.—OK,maisalors…calme-toi.Tuasl’airterrifié.Ilretiralaserviette,enfilasontee-shirt.Jesortisdelasalledebains.—Ilenapouruneminute.Camillehochalatête.Jem’installaidanslefauteuilquioccupaituncoindelachambre,ettendislebrasversle
magazineleplusproche.—Elleestbien,cettechambre,ditCamille.Jeconsidérail’endroitd’unregardcirculaire.—Oui.—Ilsvousontditquelessmokingsavaientétélivrés?CeluideThomasdevraitêtredans
leplacard.—Jeluidirai.QuandThomassortitdelasalledebains,Camilleselevad’unbond.—Salut,dit-il.Ellesourit.—Salut.Heu…lesgarçonssontdanslachambredeShepley.—C’estcequ’onm’adit,réponditsimplementThomas.—Ettonsmokingestdansleplacard.—Merci.—Je…jemedisaisqu’onpourraitparlerunpeu.—Dequoi?demandaThomas.—D’hiersoir…etd’autrestrucs.Ellesemblaitaussiterrifiéequeluiquelquesinstantsplustôt.—Onenaparléhiersoir.Tuasquelquechoseàajouter?—Est-cequ’onpeut…,dit-elleenindiquantlaportedelachambre.—Jepensequ’ilseraitplusrespectueuxpourLiisqu’onnesortepas.Camilleme regarda, soupira, et hocha la tête en baissant les yeux sur son vernis noir
métallisé.—Tuasl’airtrèsheureux,dit-elle.Tesfrèresvoudraientquetureviennes,T.J.CommeThomasnedisaitrien,elleleregarda.—Jeneveuxpasqu’ilyaitdemalaiseentrenous.Jeneveuxpasqueturestesàl’écart.
Alors jemedisais…commetuas l’airsiheureuxmaintenant…quetupourraisenvisagerderevenir plus souvent. Abby, Liis, Falyn etmoi, on a besoin de former un front uni, dit-elle
avec unpetit rire nerveux. Les frèresMaddox, c’est du boulot, quandmême. Et je voudraisjuste…qu’ons’entende.
—D’accord,ditThomas.Camillerougit,etjenepusm’empêcherd’éprouverdel’empathiepourelle.—Tuaschangé,T.J.Toutlemondel’avu.Thomasallaitrépondre,maisellel’interrompit.—Non,j’ensuisheureuse.Noussommestousheureux.Tuesdevenul’hommequetoutle
mondevoyaitentoi,etjepensequetun’yseraispasarrivéenrestantavecmoi.—Oùveux-tuenvenir,Camille?Ellefitlagrimace.—JesaisqueLiisnetravaillepasàl’université.Ellelevaunemaindansmadirectionavantmêmequejepuisseprotester.—Maistoutvabien.Cen’estpaslepremiersecretquej’auraiàgarder.Jesuistellement
heureusepour vousdeux, ajouta-t-elle en se dirigeant vers la porte. Tu es exactement cellequ’illuifallait,Liis.Je…j’aientenduvotrediscussionhiersoir,àlafête,etjemesuisditquece serait mieux qu’on arrive à en parler. Nous devons absolument mettre cette histoirederrière nous, T.J. Pour la famille que nous formons tous ensemble. Et dont Liis faitdésormaispartie.
Thomasvintsemettreàcôtédemoietsourit.—Mercid’êtrepassée,alors.Etnousessaieronsdevenirrégulièrement.Danslamesure
oùnosboulotsnouslepermettent.Jemetournaiverslui,interdite.—D’accord.Onsevoitàlacérémonie,alors,dit-elleenrefermantlaportederrièreelle.—Ellevatoutraconter?demandai-je,prisedepanique.—Non.J’aiconfianceenelle.J’enfouismonvisageentremesmains,sentantleslarmesmonter.—Qu’est-cequ’il ya ? s’inquiétaThomasen s’agenouillantdevantmoi.Parle-moi,Liis.
Dis-moicequinevapas.Ilsetutenvoyantmesépaulestrembler.—Tu…tupleures?Maisnon,tunepleuresjamais,Liis.Pourquoitupleures?demanda-
t-ild’untonhaché,émudemevoirdansuntelétat.Jelefixaidemesyeuxrougisparleslarmes.—Quelgenred’agent infiltré je fais, là ?Si jen’arrivepasà jouer le rôlede ta copine
alorsquejesuistacopine,c’estquejesuisofficiellementnulle.Ilrigolaetmecaressalajoue.— Purée, Liis, tu m’as foutu la trouille, là. J’ai cru que tu allais répondre un truc
complètementdifférent.Jereniflai.
—Tupensaisquej’allaisdirequoi?Ilsecoualatête.—Peuimporte.SiCamilleacomprisquetuesunagent,c’estparcequ’ellesaitquej’en
suisun.—Anthonyl’atoutdesuitesu,luiaussi.— La clientèle d’Anthony se compose presque exclusivement d’agents, quel que soit le
soirdelasemaine.ÀSanDiego,lesgensappellentnotrequartierleNidd’Aigleàcausedelaconcentrationd’agentsfédérauxquiylogent.
Ilessuyadupouceleslarmessurmesjoues,puism’embrassadélicatement.—Tun’espasnulle.Jamaisjenecraqueraisàcepointpourquelqu’undenul.Jeclignailesyeux.—Tucraquespourmoi?—Enmillemorceaux.Façonpuzzle.J’eusunpetitrire,etdanssesyeuxnoisettelesrefletsvertspétillèrent.Ilcaressamalèvreinférieure.— J’aurais aimé pouvoir rester, là. J’adorerais passer la journée dans un hamac sur la
plageavectoi.Camilleavait raison. Il avait changé,mêmedepuis le soirdenotre rencontre.Dans ses
yeux,iln’yavaitplusriendesombre.—Aprèslaréception?Thomashochalatêteetm’embrassa,s’attardantuninstantsurmeslèvres.—C’estnoté,murmura-t-il.Jeneterevoisplusavantlacérémonie,maisPapategardera
uneplaceaupremierrang.TuserasassiseavecCamille,FalynetEllie.—Ellie?—EllisonEdson.C’estuneamiedeTyler.Illuicourtaprèsdepuistoujours.— Depuis toujours ? J’aurais dû te faire courir après moi un peu plus longtemps, j’ai
l’impression.Tuaseulapartietropfacile.Thomassouritd’unairespiègle.—Lesfédérauxnecourentpas.Ilschassent.Jesouris.—Jecroisquetuferaismieuxd’yaller.Thomasseleva.Aprèsavoirfourréunepairedechaussettesdansdeschaussuresvernies
noires,ilattrapasonsmokingdansleplacardetlepassasursonépaule.—Àtoutàl’heure.—Thomas?Ilseretourna,unemainsurlapoignée.—Tun’aspasl’impressionqu’onvatrès,trèsvite?Ilhaussalesépaules.
—Jem’enfous,dit-il.J’essaiedenepastropypenser.Tuypensespourdeux.—Ma têteme souffle qu’ondevrait enfoncer la pédalede frein.Mais je n’en ai pasdu
toutenvie.—Parfait.Parcequejenepensepasquej’auraisétéd’accordavecça.J’aifaitbeaucoup
deconneries,Liis.Maisêtreavectoin’enestpasune.—Àtoutàl’heure,alors.Ilrefermalaportederrièrelui.Toujoursassise,jemelaissaiglisserdanslesprofondeurs
du fauteuil et inspirai longuement, refusant de trop réfléchir à la situation, cette fois.Nousétionsheureux,etilavaitraison.Peuimportaitpourquoi.
Travis prit Abby dans ses bras et l’embrassa en la penchant légèrement en arrière.L’assistanceapplaudit,Thomasmefitunclind’œil.
Levoiled’Abbyflottaitdanslabrisecaribéenne,jetendismontéléphoneàboutdebraspourfaireunephoto.Àcôtédemoi,CamilleetFalynfaisaientlamêmechose.
Quand Travis redressa enfin Abby, les frères Maddox et Shepley sifflèrent etapplaudirent.Americasetenaitàcôtéd’Abby.Elletenaitlebouquetdelamariéed’unemainet s’essuyait les yeux de l’autre. En riant, elle pointa un doigt en direction de samère, quiessuyaitseslarmes,elleaussi.
—M.etMmeTravisMaddox,annonçalepasteur,dontlavoixpeinaitàcouvrirlebruitduvent,desvaguesetdel’assemblée.
Travis aida Abby à descendre les quelques marches du petit promontoire, puis ilsdescendirentensemblel’alléecentrale,avantdedisparaîtrederrièreunmurdeverdure.
—M.etMmeMaddoxvousprientdebienvouloirlesrejoindreaurestaurantSailspourlevind’honneuretledîner,repritlepasteur.Enleurnom,jevousremercied’êtreprésentsencejoursiimportant.
Puis, d’un hochement de tête, il indiqua que l’assistance pouvait se lever. Thomasmerejoignitavecunlargesourire,visiblementsoulagéquelacérémoniesoitterminée.
—Ouistiti!ditFalynentournantsontéléphonedansnotredirection.Thomasmepritdanssesbrasetm’embrassasurlajoue.Jesouris.Sitôtlaphotoprise,Falynnouslamontra.—Elleestparfaite.Thomasmeserradanssesbras.—Ça,pourl’être,ellel’est.—Oh,vousêtestropmignonstouslesdeux,ditFalyn.Taylorarrivaitderrièreelleetluitapotal’épaule.Elleseretournapourl’embrasser.La tension futpalpableautourdenous lorsqueTrentonpritCamilledans sesbraspour
fairedemême.Maistrèsvite,Jimclaquadesmains,puisselesfrotta.—Allez,lesgarçons,prenezvoscavalièresetonyva.Jemeursdefaim!
Main dans lamain, Thomas etmoi suivîmes Jim, accompagnés de Trenton et Camille.DerrièrenoussuivaientTayloretFalyn,puisTyleretEllison.
—Tayloral’airsoulagé,chuchotai-je.—Tuparles.J’aicruqu’ilallaittomberdanslespommesquandelleluiaenvoyéuntexto
pour lui dire que son avion venait d’atterrir. Je crois que jusqu’au bout, il n’était pas sûrqu’elleviendrait.
Nous marchâmes jusqu’à l’endroit où avait lieu la réception. Les tables avaient étédressées en plein air, abritées du soleil par de grandes toiles blanches. Thomasm’entraînajusqu’àunetableoùsetrouvaientdéjàShepleyetAmerica,encompagnied’uncouplequejereconnuscommeétantJacketDeana–j’avaisbienbossémondossieravantdevenir.Àpeineétions-nousassisqu’unserveurapprochapournousdemandercequenousdésirionsboire.
—Jesuisheureusedetevoir,mongrand,ditDeana.Seslongscilsbattirentsursesyeuxnoisetteauxrefletsverts.—Moiaussi,tanteDeana,réponditThomas.TuconnaisLiis?Ellesecoualatête.—Nousn’avonspaseul’occasiondenousrencontreravantlacérémonie.Votrerobeest
absolument ravissante. Ce violet est si lumineux. Vous scintillez presque. Et cela vaparfaitementàvotreteintetvoscheveux.
—Merci,dis-jeenluiserrantlamain.Jacketelleseretournèrentpourcommanderleurapéritif.Jemepenchaiversl’oreillede
Thomas.—Elle ressemble tellement à tamère. Si je n’avais pas lu qu’elles se ressemblaient, je
croisquej’auraisétéprisedecourt.Shepleyettoi,vouspourriezêtrefrères.—Jesais,chaquefois,celasurprendlesgens.Etaufait,ellearaison.Tuesravissante.
Quand tu es arrivée pour venir t’asseoir, tout à l’heure, j’ai failli descendre du promontoirepourvenirterejoindre.
—C’estjusteunerobedesoiréeviolette.—Jeneparlaispasdelarobe.—Oh,fis-jesanspouvoirretenirunsourire.Abby et Travis apparurent, et les organisateurs annoncèrent leur présence, sur fond de
balladerock.TravisentraînaaussitôtAbbysurlapistededanse.— Ils sont simignons,ditDeana, visiblement trèsémue. Je regrette tantqueDianene
soitpaslàpourlesvoir.—Commenous tous,ma chérie, dit Jack en passant un bras autour des épaules de sa
femmepourlaserrercontrelui.Je jetaiuncoupd’œilàJim.IlétaitassisetdiscutaitavecTrentonetCamille.Quandil
regardaitTravisetAbbydanser,ilavaitencorecesourireunpeunostalgiquesurleslèvres.JesavaisqueluiaussipensaitàDiane.
Le soleil plongea dans l’océan tandis que les jeunes – enfin, pas si jeunes – mariésdansaient sur leur chanson fétiche. Quand ils s’arrêtèrent, tout le monde applaudit, et onservitlepremierplat.
Le repas se déroula dans la bonne humeur générale, les frères se taquinant les uns lesautres,racontantquantitéd’histoiresplusoumoinsreluisantessurleurjeunesseàEakins.
Aprèsledessert,Shepleyselevaetfittintersafourchettesursonverre.—J’aieuunanpourécrirecediscours,maisjel’aiécrithiersoir.L’assembléeéclataderire.—Entantquetémoinetmeilleurami,c’estàmoiqu’ilrevientdefairel’élogedeTravis,
etdeluimettrelahonte.Jevaiscommencerparunehistoirequiremonteànotreenfance.Onétaitàlacantine,etj’avaisposémonburritoàlapuréedeharicotsrougessurmonbanc.C’estlemomentqu’a choisiTravispourvoir s’il arrivait à sauterpar-dessus lebancet s’asseoiràcôtédemoi.
Americaéclataderire.—Travisn’estpasquemoncousin.C’estaussimonmeilleurami.Ilestcommeunfrère,
pourmoi.Jesuisconvaincuquesanssonaide,aufildesannées,jeneseraisaujourd’huiquelamoitiédel’hommequejesuis…avecmoitiémoinsd’ennemisaussi.
Lesquatrefrèrescachèrentleurfourirederrièreleurpoing.—Maintenant,jedevraisvousraconterendétailcommentilarencontréAbby,etjepeux
lefaireparcequej’étaislàquandc’estarrivé.Jen’aipeut-êtrepastoujoursétéleurfanleplusfervent,maisàvraidire,Travisn’avaitpasbesoindemoisurcecoup-là.Dèslepremierjour,il a su qu’il était fait pour Abby, et qu’elle était faite pour lui. Leur mariage n’a fait querenforcer ma conviction et ma ligne de conduite : coller, harceler et pourrir la vie d’unefemmefinittoujoursparpayer.
—Dieuduciel,ShepleyMaddox!gémitDeana.— Mais je ne vais pas vous ennuyer avec ça. Je vais juste lever mon verre à M. et
MmeMaddox.Depuis ledépart,malgré leshautset lesbas, etmalgré cetteannéepasséeàentendre tout lemonde leur répéter qu’ils étaient fous et que ça ne durerait pas, depuis ledépart,donc, ilss’aiment.Leuramourn’a jamaisfaibli,et jesaisqu’ilenseratoujoursainsi.Auxmariés!
—Auxmariés!hurlaJimenlevantsonverre.Nousfîmesdemême,avantd’applaudirquandTravisembrassaAbby.Illaregardaitdans
lesyeuxavecuneaffectionquim’étaitfamilière.Thomasmeregardaitdelamêmefaçon.Lementonaucreuxdemapaume,jecontemplaileciel.Lalumièrebaissaitdoucement,
le zébrant de mauve et de rose. Les guirlandes lumineuses balançaient doucement dans labrise,lelongdestoilesblanches.
America fit elle aussi son discours, puis la musique commença. Personne n’osa danserd’abord,maisaprèslatroisièmetournée,presquetoutlemondeseretrouvasurlapiste.Les
frères,Thomascompris,semoquaientdeTravisetdesafaçontrèsparticulièrededanser,etjefusprised’untelfourirequeleslarmesroulèrentsurmesjoues.
Abbyvints’asseoiràcôtédemoi.NousregardâmesensemblelesMaddox.—Ouhlà,j’ail’impressionqu’ilsessaientdefairefuirlapauvreCami,dit-elle.—Jenepensepasqu’ilsyarrivent,répondis-jeenm’essuyantlesjoues.Abbymeregardajusqu’àcequejemetourneverselle.—Sij’aibiencompris,ellenevapastarderàêtremabelle-sœur.—Oui.Lademandeenmariageaétéassezhauteencouleur.Elletournaunpeulatêteetfitclaquersalangue.—AvecTrenton,c’esttoujourslecas.Tuyétais,donc?—J’yétais.J’aurais aiméqueThomasnememettepas engarde àproposde son intelligence. Son
regardfutéetcalculateurmedonnaenviededisparaîtresousmachaise.—Pendanttoutelasoirée?—Presque.Travisestpartienpremier.—Ilyavaitdesstrip-teaseuses?Jesoupiraidesoulagement.—ÀpartTrenton,non.—Ilestpascroyable,dit-elleensecouantlatête.Ilyeutquelquesinstantsd’unsilencegêné,puisjemelançai.—C’étaitunetrèsbellecérémonie.Toutesmesfélicitations.—Merci.TuesLiis,c’estça?—Oui.LiisLindy.Raviedeterencontrerenfin.J’aibeaucoupentenduparlerdetoi.Pro
dupoker.Jesuisimpressionnée.—Etqu’est-cequeThomast’araconté,àpartça?—Ilm’aparlédel’incendie.—Ilyaunanaujourd’hui.Leregardd’Abbys’éloignaendirectiondesonmari.Sespenséessemblèrentdériververs
quelquechosededésagréable,puisellerevintbrusquementàlaréalité.— Heureusement, nous n’étions pas là. Nous étions à Las Vegas. Bien sûr. Pour nous
marier.—IlyavaitElvis?Abbyéclataderire.—Oui!Ilétaitlà!Ons’estmariésàlachapelleGraceland.C’étaitcommedansunrêve.—Tuasdelafamille,là-bas,c’estça?Lesépaulesd’Abbysedétendirent,maiselledemeuraimpénétrable.Valarriverait-elleà
lireenelle?Jen’enétaispassûre.—Monpère.Maisonnesevoitplus.
—Donciln’estpasvenuaumariage.—Non.Detoutefaçon,onn’enavaitparléàpersonne.— Ah bon ? Je croyais que Trent et Cami étaient au courant. Mais non, ce n’est pas
possible, parce qu’il était au combat, lui, c’est ça ? Ça fait peur, quand on y pense.Quellechancenousavonsdepouvoirleregarderfairel’imbécile,là,sousnosyeux.
Abbyhochalatête.—Nousn’étionspaslà.Certainsdisent,pff…certainsdisentqu’onestpartisàVegaspour
queTravisaitunalibi.Complètementridicule.—Complètement,répétai-jed’untonquisevoulaitdétaché.Ceseraitdingue.Etdetoute
évidence,tul’aimes.—Ça,oui,dit-elleavecconviction.Lesgensdisentquejenel’aipasépouséparamour,
maispourlesauver.Maismêmesic’étaitvrai–etçanel’estpas–c’estjuste…débilecommeréflexion.Sijel’avaisemmenéàVegaspourl’épouseretluifournirunalibi,jel’auraisfaitparamour,non?
Pluselleparlait,plusj’entendaislacolèredanssavoix.—Absolument,dis-jesimplement.— Si je l’avais réellement sorti de là, ça aurait été par amour. Ce serait bien la seule
raisondefaireunechosepareille,non?—Jen’envoispasd’autre,effectivement.—Mais jenel’aipassortidecettehistoired’incendie.Parcequ’onn’étaitmêmepas là-
bas.C’estcequim’agaceleplus.—Je comprends.Ne les laissepas te gâcher ta soirée.Certainespersonnesnepeuvent
s’empêcherdetoutdénigrer,laisse-lesfaire.C’esttoi,ettoiseule,quidécidesdelafaçondonttuvasavancer.Cettehistoirenelesregardepas.
Ellemesourit,bougeantnerveusementsursachaise.—Merci. Je suis contente que tu sois venue. C’est chouette de voir Thomas heureux.
C’estchouettedevoirThomastoutcourt.Ellesouritencore,etsoupira,plusàl’aise.—Promets-moiquevotremariageauralieuici,quej’aieuneexcusepourrevenir.—Pardon?—C’estrécent,entreThomasettoi,jemetrompe?Maisilt’aquandmêmeamenéeàun
mariage. Ce n’est pas du tout un comportement Maddox, ça. À moins qu’il ne soit fouamoureux.Etjesuisprêteàparierquec’estlecas.
Ellesetournaverslapistededanseavantd’ajouter:—Etjeneperdsjamaisunpari.—Ilnevoulaitpasêtreleseulcélibataire.—C’estdesconneries,ça.Vousdeux,c’estévidentcommelenezaumilieudelafigure,
dit-elleavecunsouriremalicieux.
Elleessayaitdememettremalàl’aise,etyprenaitunplaisirnondissimulé.—C’esttaversionduriteinitiatique?demandai-je.Elleéclataderireetsepenchaversmoi.Nosdeuxépaulesnuessetouchèrent.—Tum’asdémasquée.—Qu’est-ce que vous faites, les filles ? demanda America en nous rejoignant. C’est la
fête,là!Fautdanser!Elleprit lamaind’Abby,puis lamienne.Nousgagnâmes lapistededanse.Thomasme
pritpar lamain,me fit tourner jusqu’à ceque jeme retrouvedos contre lui, et referma lesbrasautourdemataille.
Nousdansâmes jusqu’à cequemespiedsdemandentgrâce.Puis jevisAbbyetAmericaembrasser lesparentsd’Americaqui s’enallaient. JacketDeana suivirent, etenfin Jim,quenousembrassâmestouspourluisouhaiterbonnenuit.
Travis et Abby avaient hâte de se retrouver seuls. Après nous avoir tous remerciés, ilsdisparurentdanslanuit.
À notre tour, nous décidâmes de nous éclipser. Thomas m’entraîna en direction de laplage.
—Hamac,dit-ilenindiquantuneformesombreàunevingtainedemètresdelarive.Jeretiraimeschaussures,Thomasm’imitapourmarcherdanslesableblanc.Ils’assiten
premier sur le filet et je le rejoignis. Le hamac tangua, nous fîmes notre possible pour lestabiliser sans tomber. Puis, au moment où il nous sembla que c’était gagné, il versabrusquement,manquantnousdébarquer.J’agrippaiThomas,nousrestâmesimmobiles,figés,avantd’éclaterderire.
Àpeineétions-nousinstallésqu’unegouttedepluies’écrasasurmajoue.D’autressuivirent.Thomass’essuyaunœil.—Naaan…j’ycroispas.Autourdenous,degrossesgouttesd’unepluietièdecriblèrentlesableetl’océan.—Jerefusedebouger,ditThomasenmeserrantdanssesbras.—Alorsjenebougepasnonplus.Jemepelotonnaicontrelui,nousrestâmesainsiunmoment.—Pourquoilababy-sitterdeTotoetCamillet’appellentT.J.?demandai-jefinalement.—C’étaitcommeçaqu’ellesparlaientdemoisansquepersonnenelesache.—ThomasJames.C’estfuté.C’estuneexaussi,lababy-sitter?Ilrigola.—Non.C’étaitlacolocatairedeCamille.—Oh.Thomassortitunejambedufiletetpoussasurlesolpourfairebalancerlehamac.— C’est incroyable. Je pourrais vraiment prendre ma retraite ici. J’ai l’impression
qu’on…jen’arrivepasàtrouverlesmotsquiconviennent.
Ilm’embrassasurlatempe.—J’ail’impressionqu’onestentraindecraquerl’unpourl’autre.Lesnuagescachaient la lune, lecielétaitd’encre.Lamusiquequi jouaitencoreauSails
nousparvenaitparbouffées.Auloin,ondistinguaitdesgensquicouraientsemettreàl’abri.Nousétionscommesuruneîledéserte,dansnotrecoin,aucalme.
—Enmillemorceaux?demandai-je.—Façonpuzzle.Jeleserraicontremoi,ilinspiraprofondément.— Ça me fait mal de dire ça, mais je crois que l’on devrait rentrer. On se lève tôt
demain,ditThomas.Jelevailesyeuxverslui.—Toutvabiensepasser,tusais.Travisvas’ensortir.OnvasedébarrasserdeGrove.Et
toutirabien.—Jeneveuxpenserqu’àcesoir.Demainseraunerudejournée.— Je ferai demonmieux pour te changer les idées, dis-je enme contorsionnant pour
sortirduhamac.Une fois debout, je l’aidai à faire de même et l’attirai vers moi pour l’embrasser,
m’attardantsursalèvreinférieure.— Je n’en doute pas une seconde, dit-il d’un ton enjoué. Tu as su me distraire avec
beaucoupdetalent.Moncœurseserra.—Quoi?demanda-t-ilenvoyantladouleurdansmonregard.—Pourquoitunelereconnaispastoutbonnement?Dis-letouthaut.Tutesersdemoi
pour ne plus penser à elle. Ce n’est pas tourner la page, ça, c’est relire le même chapitreencoreetencore.
Sonvisagesedécomposa.—Cen’estpascequejevoulaisdire.—Cen’estpascraquerpourquelqu’un,ça,Thomas.Tu l’asparfaitementdit.Jenesuis
quel’entracte.Quelque chose, en direction de la terrasse du Sails, attira mon attention. Thomas
regarda, luiaussi.Trenton faisait tournoyerCamilledanssesbras.Ellepoussaquelquescrisdeplaisir,ilséclatèrentderireetdisparurentàl’intérieur.
Thomasbaissalatête,semassalanuque,l’airsoucieux.— C’était une erreur, de sortir avec elle. Trenton en était amoureux depuis l’enfance,
maisjenepensaispasqu’ilétaitsérieuxàcepoint.Jemesuistrompé.—Alorspourquoin’arrives-tupasàlalaisserpartir?—J’essaie.—Teservirdemoipouryarrivernecomptepas.
Ileutunpetitrirelas.—Je t’ai ditmille fois que cen’était pas le cas. Jene vois pas comment te l’expliquer
autrement.—Alorsarrête.J’aibesoind’entendreuneréponsedifférente,ettunel’aspas.—Tufaiscommes’ilsuffisaitd’actionneruninterrupteurpourcesserd’aimerquelqu’un.
Onadéjàeucetteconversationdesdizainesdefois.C’esttoi,quejeveux.C’estavectoiquejesuis.
—Maiselle temanqueet tuauraispréféréêtreavecellecesoir.Et tuvoudraisque jechangetoutdansmaviepourça?
Ilsecoualatête,incrédule.—C’estunesituationimpossible.Jepensaisqu’onétaitfaitsl’unpourl’autreparcequ’on
estpareils,maispeut-êtrequ’onseressembletrop,finalement.Peut-êtrequejesuiscondamnéàsouffriravectoi.
—Condamnéàsouffrir?Toutleweek-end,tum’asfaitcroirequetutombaisamoureuxdemoi!
—Maisc’estlecas!Merde,Camille,commentfaut-ilquejeteledise?Jemefigeai,etlorsqueThomass’aperçutdecequ’ilvenaitdedire,ilsefigealuiaussi.—Ohputain.Pardon.Pardon,pardon,pardon,dit-ilenmetendantlamain.Jesecouailatête,leslarmesauxyeux.—Maisquelleconnejefais.Thomaslaissaretombersonbras.—Biensûrquenon.Aucontraire.C’estparcequetuesunefilleintelligentequetuétais
danslaretenue.Mêmeaprèslepremiersoir,tusavaisqu’ilfallaitgardertesdistances.Tuasraison.Jenepeuxpast’aimercommetulemériterais.Jenem’aimepasmoi-même,alors…
Savoixsebrisa.—Ton salut ne dépend pas demoi, Thomas. Tu dois assumer seul ce que tu as fait à
Trenton.Thomashochalatêteets’éloignasurlapromenadequilongeaitlaplage.Jerestaiseule
faceàl’océan,danslegrondementdesvagues.Lecielpleuraitsurmesépaules.
20
— Tu as l’air tendu, remarquai-je. Il va te voir venir à trois kilomètres si tu ne tereprendspas.
Thomasseretourna,maisaulieuduregardnoirauqueljem’attendais,ilfitpreuved’uneimpressionnanteretenue,secontentantdedétournerlesyeux.
Onfrappaàlaporte,etcelasuffitànousplongerdanslebainaussitôt.D’unpasdécidé,j’allaiouvrir.
—Bonjour,Liis!claironnaTravis,rayonnant.—Entre,Travis.Je m’écartai pour le laisser passer, tâchant de ne pas laisser la culpabilité ternir mon
sourireréjoui.— Tu as passé une bonne nuit ? repris-je. Pas de détails, je t’en prie. C’est juste une
questionrhétorique.Travisrigola,puisremarqual’oreiller,lacouvertureetlesdrapspliéssurlecanapé.—Oh,dit-ilensefrottant lanuque.Meilleurequecelledemonfrère,ondirait.Heu…
c’estpeut-êtremieux si je repasseplus tard?C’est justeque la réceptionm’a laisséunmotcommequoituvoulaismevoirà6heures.
—Oui,ditThomasenplongeantlesmainsdanssespoches.Assieds-toi,Travis.Travisallas’asseoirsurlecanapé,etnousregardad’unairinquiet.—Quesepasse-t-il?Je m’installai sur un coin du lit, le moins raide possible pour ne pas sembler trop
menaçante.Etjemelançai.— Travis, nous devons te parler de ton implication dans l’incendie du 19mars sur le
campusd’EasternStateUniversity.Travisserembrunit.—Quoi?demanda-t-ildansunéclatderirenerveux.Jepoursuivis.—LeFBIenquêtesurcetteaffaire,etThomasaréussiàconclureunaccordentafaveur.
Travissetorditlesmains.—LeFBI?Maisilbossedanslapub,dit-ilenmontrantsonfrère.Dis-lui,Tommy.CommeThomasnerépondaitpas,Travisfronçalessourcils.—Maisc’estquoi,cetteembrouille?Thomasbaissalesyeux,puisregardaenfinsonfrèreenface.—Jenebossepasdanslapub,Trav.JesuisunagentspécialduFBI.Travisledévisageapendantdixbonnessecondes,puiséclataderire.—Putain,mec!T’asfaillimefoutrelatrouille,là!Fautpasmefairedescoupspareils!
Allez,jet’écoute.Dequoiest-cequetuveuxmeparler?Sonrires’évanouitdevantl’absencetotaledesourireducôtédeThomas.—Allez,Tommy,arrête,quoi.Thomaschangeadeposition.— Avec mon patron, je travaille depuis un an sur cette affaire, Travis. À essayer de
négocierunesolutionpourtoi.Ilssaventquetutetrouvaisdanslasallequiaprisfeu.Lepland’Abbyn’apasfonctionné.
Travissecoualatête.—Quelplan?—Lemariage à Las Vegas, qui devait te fournir un alibi et t’éviter la prison, expliqua
Thomasententantderestercalme.—Abbym’aépousépourm’éviterlaprison?Thomasbaissalesyeux,maisd’unmouvementdumenton,réponditparl’affirmative.—Elleneveutpasquetulesaches.Travisbondit,attrapaThomasparlachemiseetleprojetaàl’autreboutdelachambre,
contrelemur.Enmevoyantmelever,Thomasmefitsignedenepasbouger.—Arrête,Travis.Tun’espas idiot.Riendecedont jeviensde teparlern’estnouveau
pourtoi,grondaThomas.—Retireça,sifflaTravis.Retiretoutdesuitecequetuviensdediresurmafemme.—Elleavaitdix-neufans,Travis.Ellen’avaitpas enviede semarier, jusqu’à ceque tu
risqueslaprisonpouravoirparticipéaucombat.TravislançasonpoingendirectiondeThomas,quiesquiva.Aprèsunbrefcorps-à-corps,
Thomaseutledessuset,del’avant-bras,plaquasoncadetcontrelemur.—Çasuffit,maintenant,merde!Ellet’aime,bordel!Ellet’aimetellementqu’elleafait
untrucqu’ellen’envisageaitpasde faireavantdesannées, justepourassurer tesarrièresdepetitcon!
Travissoufflaitcommeunbœuf.Illevalesbrasensignedereddition.Thomaslelâchaetfitunpasenarrière.LepoingdeTravisfrappaplusvitequ’unéclair,
heurtant Thomas en pleine mâchoire. Celui-ci se pencha en avant, appuyé sur ses genoux,dentsserrées.Faisantdesonmieuxpoursecontenir.
Travispointaundoigtsurlui.—Ça,c’estpouravoirmentiàPapa.Thomasseredressa,menaçant.—Jepassel’épongesurcecoup-là,maisc’étaitledernier.Nemepoussepasàtefoutre
uneraclée,jem’enveuxdéjàassezcommeça.Travismetoisadelatêteauxpieds.—Toiaussi,t’esduFBI?Jehochailatête,méfiante.—Nemepoussepasnonplusàtefoutreuneraclée.Ileutunpetitrire.—Jeseraisobligédemelaisserfaire,jenefrappejamaislesfilles.—Moi,jefrappelesgarçons,répondis-je,toujourssurmesgardes.Thomaslevalesyeuxaucielensefrottantlajoue.—T’asfrappéplusfortqued’habitude.—Etj’étaismêmepasàmonmaximum,connard,raillaTravis.Thomasfitfonctionnersamâchoirepourvérifierquetoutallaitbien.—Abbya faitpreuved’unegrandecréativité,Trav,mais le relevéde lacartedecrédit
montrequelesbilletsontétéachetésbienaprèsledébutdel’incendie.Travishochalatête.—Jet’écoute.—Ilsetrouvequejebosseégalementsuruneaffairedeblanchimentd’argentetdetrafic
dedrogueàLasVegas.L’hommequifaittournertoutças’appelleBennyCarlisi.— Benny ? demanda Travis, visiblement perdu. Bordel, Tommy, t’es vraiment sérieux,
là?T’appartiensauFBI?— Concentre-toi, Travis, répliqua sèchement Thomas. On n’a pas beaucoup de temps
devant nous, et c’est très important. Tu es dans de très sales draps. Mon patron veut uneréponseaujourd’hui.Est-cequetucomprendscequejeveuxdire?
—Quelgenredesalesdraps?demandaTravisens’asseyantsurlecanapé.—Tu risques une inculpation pour lesmêmesmotifs qu’Adam.Homicide involontaire.
C’estlataulequit’attend.—Unepeinedecombien?Onauraitditungamineffrayéquilevaitsesgrandsyeuxmarronverssonfrère.—Adamaprisdixans, réponditThomasen restant aussi stoïquequepossible. Je vois
malcommenttupourraist’entireràmoins.Lesmédiasontsuividetrèsprèscettehistoire.Ilsontbesoind’unosàronger.
Travisbaissalesyeux,sepritlatêteentrelesmains.—Jenepeuxpasêtreséparéd’Abbyaussilongtemps.
Moncœurseserra.Ilsemoquaitd’allerenprison.Ilnevoulaitjustepasêtreséparédesafemme.
—Tun’espasobligéd’allerenprison,Travis,dis-je.Tonfrères’estdonnébeaucoupdemalpours’assurerquetun’iraspas.Maistudoisd’abordaccepterdefairequelquechose.
TravisregardaThomas,puismeregarda.—Commequoi?Thomasremitlesmainsdanssespoches.—Ilsveulentterecruter,Travis.—Lestypesdelamafia?Non,jenepeuxpascombattrepourBenny.Abbymequitterait.—Paslamafia,ditThomas.LeFBI.Travisricananerveusement.—Qu’est-cequ’ilsmeveulent,auFBI?Jesuisencoreàlafac…Jegagnemaviecomme
coachdansungymnase,putain.—IlsveulentquetuinfiltreslabandedeBenny,précisaThomas.Travisselevaetsemitàalleretvenirdanslapièce.—Ilmedemanderadecombattrepourlui,Tommy.Jepeuxpas.Jeperdraismafemme.—Ilsuffitdeluimentir,lâchai-jeplatement.Travismeregarda,regardasonfrèreetcroisalesbras.—Allezvousfairefoutre.Touslesdeux.Jerefuse.—Quoi?ditThomas.—JerefusedementiràPoulette.Thomaslefixad’unairmauvais.—Tun’aspaslechoix.SoittumensàAbbyettulagardes,soittuvasentauleettula
perds.—Jeneveuxpasluimentir.Pourquoijenepeuxpasluidire?Elleagrandientouréede
typescommeBenny,ellenelecrierapassurtouslestoits.Thomassecoualatête.—Tulamettraisendanger.—Elleseraendangersijelafaisàl’enversàcestypes!Tucroisqu’ilsmetirerontune
balledanslatêteets’arrêterontlà?Lesgenscommeças’enprennentàtoutetafamille.Quite dit qu’ils se contenteront d’Abby ? Si ça se trouve, ensuite, ils s’attaqueront à Papa, et àTrent,etàTaylor,etàTyleraussi!Bordel,maisqu’est-cequet’asfait,Tommy?
—Aide-moiàlescoffrer,Travis.—Tunousasvendus.Pourquoi?Uneputaindepromotion?Travissecoualatête,l’airdégoûté.Intérieurement,jefislagrimace.JesavaisqueThomass’envoulaitàmort.—Papanousavaitinterditd’entrerdanslapolice!Mamannevoulaitpas!Thomassoupira.
—Dixit lemecquisespécialiseendroitpénal.Tuperdsdutemps,Travis;Abbynevapastarderàseréveiller.
—Tunousas tousmisdans lamerde !Espècede salaud !hurlaTravis endonnantuncoupdepoingdanslevide.
—Bon,t’asfinitoncinéma,là?demandaThomassanshausserleton.—JerefusedementiràAbby.—Doncturefusesnotremarché?Travissepassaunemainsurlatête,l’airdésemparé.—Jenepeuxpasmentiràmafemme,lâcha-t-il,lesyeuxbrillants.Jet’enprie,Tommy,
nemeforcepasàlefaire.T’esmonfrère.Salèvreinférieuretremblait.Thomasleregardadanslesyeux,sansriendire.— Alors peut-être que tu n’aurais pas dû te lancer dans une activité illégale qui a
provoquélamortdecenttrente-deuxétudiants,dis-jelepluscalmementpossible.Le visage de Travis se décomposa, et il baissa piteusement la tête. Une bonneminute
s’écoula,puisilmeregarda.—Jevaisyréfléchir,dit-ilensedirigeantverslaporte.Thomasfitunpasenavant.—Travis…—J’aiditquej’allaisyréfléchir.Je posai unemain sur le bras de Thomas, et sursautai lorsque la porte de la chambre
claqua.Thomasselaissaglisseràterre,lesoufflecourt.Jem’assisàcôtédeluietleserraidans
mesbrastandisqu’ilsanglotaitensilence.
JefisdenouveausigneàAnthony,pourqu’ilresserveThomas.Cederniern’avaitpasditunmotdepuisqueTravisavaitacceptésaproposition.Letrajetdel’hôtelàl’aéroports’étaitfait en silence, demême que le vol retour. À la station de taxis, il avait juste indiqué d’unsignequenouspartagerionsuntaxijusqu’ànotreimmeuble.
Je n’avais pas posé la question, j’avais juste dit que nous allions au Cutter’s. Quand ilrefusaitdeprotester,iln’étaitpasdifficileàconvaincre.
—Merde, dit calmementVal enposant son sac avantde s’asseoir. Il a l’air au fonddutrou.
Marks s’installa à côté de Thomas et laissa son ami picoler en paix. Il jeta quelquescacahuètesdanssaboucheetlevalesyeuxversl’écrandetélévision.
—Çavaaller,dis-jesimplement.CommentvaSawyer?Valfitunegrimace.—Commentveux-tuquejelesache?
—Vraiment ? répliquai-je, impassible.Tuveuxessayerdeme faire croireque tune lesaispas?
EllefusilladuregardlanuquedeThomas.—Maddoxacafardé?maugréa-t-elle.—Oui, et il a eu unweek-enddemerde, alors tu ne peux pas lui en vouloir.Moi, en
revanche, je peux être extrêmement en colère contre toi de m’avoir caché un truc aussimonumentaltouteninsistantpourtoutsavoirdemavie.
Valfitlamoue.— Je suis désolée. Je ne voulais pas que tu le saches. Je voudrais que personne ne le
sache.Jevoudraisqueçanesoitjamaisarrivé.—Oublierseraitpeut-êtreplusfacilesitunevivaispasaveclui.—Ilrefusedesignerlespapiersdudivorce,etsijedéménage,jeperdsl’appart.—Etalors?—Etalorsj’habitaisicienpremier!—Vienst’installerchezmoi.Sonregards’adoucit.—Vraiment?Tuferaisçapourmoi?—Oui.C’estunvéritablecauchemar,cettehistoire.Etpuispartagerlesfacturesneserait
pasunluxe.Jepourraisacheterunevoiture,etenattendant,jeferaislestrajetsavectoi.— J’apprécie ta proposition, dit Val en penchant la tête sur le côté. Vraiment.Mais je
refusedeperdremonappart.Ilestàmoi,etc’estceconnardquidoitdéménager,pasmoi.— Pourquoi tu ne veux plus faire les trajets avec moi ? demanda Thomas d’une voix
troubléeparl’alcool.C’était lapremière foisqu’ilparlaitdepuisdesheures,et l’entendremesurprit, comme
s’ilvenaitd’arriver.—Jeveuxbiencontinuer,dis-je.C’est justequesiValemménageaitavecmoi,ceserait
unéchangedebonsprocédés.Il avait remonté ses manches de chemise, desserré sa cravate, qui pendait un peu de
travers.Ilavaittellementbuquesesyeuxétaientmi-clos.—Pourquoituveuxplusfairelestrajetsavecmoi?—TuemménagesavecLiis?demandaMarksensepenchantenarrièrepours’adresserà
Val.—Non,ditVal.—Pourquoipas? continuaMarks.Elle te leproposeet tu refuses?Pourquoi tuasdit
non?—Parcequec’estmonappartetquejerefusedelelaisseràCharlie!Marksouvrit labouchepour répondre,maisaumêmemoment,Thomassepenchavers
moi.
—T’estropbienpourmavoiture,maintenant?Jelevailesyeuxauciel.—Non.QuiestCharlie?demandai-jeàVal.—C’estSawyer,répondit-elled’untonméprisant.—Maismoi, jepenseque t’enespersuadée,ditThomas. Jepenseque tu te crois trop
bienpouruntasdetrucs.—C’estcela,oui,répondis-jeavectoutlesarcasmedontj’étaiscapable.Plus jeune, cette façon de répondre avait souvent mis ma mère hors d’elle. Dans ces
moments-là, ellememaudissait en japonais, cequ’ellene faisaitabsolument jamais, saufenréponseàcegenred’attitude.Pourelle,iln’yavaitriendeplusirrespectueux.
—Prendstacuite,Thomas,qu’onpuisseteramenercheztoipourqueMarksteborde.—Tuespriéedem’appeleragentMaddox.—Trèsbien.Jet’appelleraicommeçaquandtuneserasplusrondcommeunequeuede
pelle.—Tuoubliesquec’esttoiquim’asamenéici,dit-ilenavalantunegorgée.ValetMarksseregardèrent.—Encoreunetournée?demandai-jeàThomas.Maquestionsemblal’offenser.—Non.Ilvautmieuxqu’onrentre,jecrois.Jehaussaiunsourcil.—Tuveuxdireilvautmieuxqueturentres.—Donctoutcequetum’asditceweek-end,c’étaitdesconneries?demanda-t-il.—Non,dansmonsouvenir,j’aiététrèshonnête.Ilplissalenez.—Ladernièrefoisqu’onestsortisboireunverre,tuesrentréeavecmoi.Marksfitlagrimace.—Écoute,Thomas,peut-êtrequ’ondevrait…—Non,tuesrentréavecmoi,répondis-jeenfaisantdemonmieuxpournepasparaître
surladéfensive.—Jecomprendsrienàcequetudis.Quellelanguetuparles?—Lamêmequetoiquandtun’espasivre.Sonairdégoûtésefitplussévèreencore.—T’esmêmepasdrôle.IlsetournaversMarks.— Elle est même pas drôle. Et ça craint vraiment, parce que, en général, quand j’ai
picolé,jetrouvequetoutestdrôle.Anthonylevaunemain,d’oùpendaitunchiffonbleuhumide.
—Jevoudraispasvousbousculer,là,maisilmerestequ’unbrindepatience,etMaddoxestentraindesetorcheravec.Est-cequevouspourriezpasseràautrechose?
Thomaséclataderire,têterenversée,puispointaundoigtsurAnthony.—Ça,parcontre,c’estdrôle!JeposaiunemainsurlebrasdeThomas.—Ilaraison.Allez,jeteraccompagnecheztoi.—Non!dit-ilenécartantsonbras.—Faudraitsavoir.Tuveuxquejeteraccompagne,ounon?—Jevoudraisquemacopinemeraccompagne!Valrestabouchebée,leregarddeMarksfitunedizained’allers-retoursentreThomaset
moi.Jesecouailatête.—Thomas,onestderetouràSanDiego,là.Lamissionestterminée.—Alorsc’estfini,c’estça?Ilseleva,chancela.Marksseleva,prêtàlerattraperencasdechute.Jequittaimontabouret,faisantsigneàAnthonypourqu’ilnousapportelanote.Ill’avait
déjàpréparée,allalachercherprèsdelacaisseenregistreuseetladéposasurlebar.JelasignairapidementetvoulusprendreThomasparlebras.—Allez,onyva.Ilsedégagea.—Tumelargues,jeterappelle.—Trèsbien.Est-cequeMarkspeutteraccompagner,lui?Thomaspointaundoigtsurmoi.—Non!Puis,enrigolant,ils’accrochaàl’épauledeMarks,etilssedirigèrentverslasortie.D’unsoupir,jefisvolerlesmèchesquibarraientmonvisage.— Il va falloir que tum’en racontes unpeuplus sur ceweek-end, dit Val.Mais pas ce
soir,jepensequet’aseutadose,là.Nous rejoignîmesMarks et Thomas dehors. Le premier avait dumal à faire avancer le
seconden lignedroite.Nousmontâmestous lesquatre jusqu’ausixièmeétage,Marks fouilladanslespochesdeThomaspourtrouversesclésetouvritlaportedesonappartement.
—Allez,mec,disbonsoiràcesdames.—Attends.Thomas agrippa l’encadrement de la porte tandis que Marks, le tenant par la taille,
cherchaitàl’entraîneràl’intérieur.—Attends!Markslelâcha,Thomasfaillittomberenavant.Jem’avançaipourl’aideràseredresser.—T’aspromisqueturesteraisavecmoi,dit-il.
Sonregardétaitd’unetristesseinsupportable.Jejetaiuncoupd’œilendirectiondeVal,quisecouaitlatête.—Écoute,Thomas…commençai-je.Ilyeutunsilence,puisjemetournaiversMarksetVal.—Çavaaller.Jem’occupedelui.Vouspouvezrentrer.—Tuessûre?demandaMarks.Jehochailatête.Valseretournaplusieursfoistandisqu’elleetMarksretournaientvers
l’ascenseur.Thomaslâchal’encadrementdelaportepours’accrocheràmoicommeundésespéré.—Jevaisdormirpar terre. Jeme sens tellementnul.Toutema famillemedéteste, et
ellearaison.Jevoispascommentilpourraitenêtreautrement.—Allez,viens,dis-jeenentrantchezlui.Jerefermailaported’uncoupdepied,misleverrouetaidaiThomasàmarcherjusqu’à
sonlit.Ilselaissatombersurledos,lesmainssurlesyeux.—Hou…çatourne…—Poseunpiedsurlesol,tuverras,çairamieux.—Maisj’aidéjàlespiedssurlesol,marmonna-t-il.Jeletiraiparlesjambesetposaisespiedsparterre.—Maintenant,ilslesont,oui.Ilsemitàrire,etcessapresqueaussitôt.—Qu’est-cequej’aifait?Putain,maisqu’est-cequej’aifait,Liis?Jem’installaiàcôtédeluisurlelit.—Dors.Çairamieuxdemain.Ilsetournaversmoi,enfouitsonvisagecontremapoitrine.Jeprisunoreiller,leglissai
sousmatête.Thomasinspiralonguement,jeleserraidansmesbras.—J’aimerdé,dit-il.J’aicomplètementmerdé.—Ontrouveraunesolution.—Commentveux-tuqu’ontrouveunesolutionsitumelargues?—Arrête,Thomas.Onrégleratoutçademain.Dors,maintenant.Il hocha la tête, inspira profondément avant de souffler très lentement. Peu à peu, son
souffle devint régulier, et je compris qu’il dormait. Je levai un bras pour regarder l’heure.Soupir.Onn’allaitpasêtrefrais,lelendemain.
Jeleserraiencorecontremoi,puisdéposaiunbaisersursajoueavantdem’abandonnerausommeilàmontour.
21
Mesonglescliquetaientsurlestouchesdemonclavier.Casquesurlesoreilles,j’écoutaisl’enregistrement d’une conversation en mauvais japonais. C’était surtout de l’argot, et leschiffresnotéspar l’agentGroveétaientencore faux.Cette fois, il avaitmêmemal traduit ladescription d’un bâtiment prétendument désaffecté, à côté d’un hôpital, qui se trouvait enréalitéàcôtéd’uncabinetmédical,àplusieurskilomètresdel’hôpitalenquestion.
J’empoignai le combiné de mon téléphone fixe et appuyai sur la première touche desnumérospré-enregistrés.
—Bureaudel’AgentSpécialenChefAdjoint.Constanceàl’appareil.—AgentLindypourl’agentMaddox,s’ilvousplaît.—Jevouslepasse.Saréponsemesurprit.Engénéral,ellevérifiaitavecluiavantdepasserl’appel.—Liis?LavoixdeThomasétaitdouce,etnondénuéedesurprise.— Je suis en train d’écouter les enregistrements des yakuzas. Grove…, commençai-je
avantdejeterunœilpar-dessusmonépauleendirectiondemaporteouverte.Groveselâchecomplètement,c’estpresquedutravailbâclé.Ildonnedefaussesadressespourdeslieuxclés.J’ail’impressionquequelquechoseestsurlefeudeleurcôté.
—Jesuisdessus.— De toute façon, il faut absolument qu’on le retire de cette enquête avant qu’il
apprennequeTravisaétérecruté.Qu’est-cequ’onattend?—Unaccidentmontédetoutespièces.C’estlaseulefaçond’éviterqueTarounedevine
qu’onlesadanslecollimateur,Bennyetlui.—Jevois.—Qu’est-cequetufaispourledéjeuner?—Je,heu…jevaischezFuzzyavecVal.—D’accord.Ileutunpetitrirenerveux.
—Etpourledîner?Jepoussaiunsoupir.—Jefaisnocturne.J’aiduboulotàrattraper.—Moiaussi.Jeteramène,onpasseraprendreuntrucàemporter.Je regardai endirectionde l’open spacede labrigade.Val était au téléphone, ignorant
totalementquenousdéjeunionsensemble.—Jetedirai,répondis-je.Ilyaassezpeudechancesqu’ontermineàlamêmeheure.—OK.Tiens-moiaucourant,ditThomasavantderaccrocher.Jereposai lecombinésursonsocleetmerecalaidansmonfauteuil.Lecasqueregagna
mesoreilles,j’appuyaisur«Play»etreprismatranscription.La matinée s’était déroulée comme n’importe quelle autre, si ce n’est que je m’étais
réveillée fatiguée et seule dans le lit de Thomas. Il avait frappé à ma porte alors que jem’habillais,pourmetendreunsaccontenantuncaféetunbagelaufromagefrais.
Le trajet jusqu’au bureau s’était fait dans un silence gêné, et mes pensées avaientrapidementdérivéverslarecherched’uneconcessionautomobile.Pourfinir,jem’étaismiseàredouterdedevoirfaireunaller-retouràChicagoafinderamenermavoitureàSanDiego.
Au moment où l’enregistrement devenait intéressant, ma porte s’ouvrit brusquement,pourserefermerdelamêmemanière.Thomasécartaunpandesavestepourposerunemainsursahancheetrestalà,cherchantquoidire.
Jeretiraimoncasque.—Quesepasse-t-il?Déjà,j’imaginaisdesdizainesdescénarioshorribles,affectanttouslafamilledeThomas.—Tum’évites, etConstancem’aditque tuétaisau téléphoneavecunconcessionnaire
automobilequandelleestpasséedevanttonbureau.Qu’est-cequ’ilsepasse?—Heu…j’aibesoind’unevoiture?—Pourquoifaire?Jet’amènelematinetjeteramènelesoir.—Ilarrivequej’ailleailleursqu’auboulot,Thomas.Ilavançajusqu’àmonbureau,posalesmainsàplatsurleboisvernietmeregardadroit
danslesyeux.—Soisfrancheavecmoi.—Tum’avaisditquetum’expliqueraistoutcequis’estpasséavecCamille.Jetepropose
delefairemaintenant,dis-jeencroisantlesbras.Ilregardaderrièrelui.—Quoi?Ici?—Laporteestfermée.Thomass’assitdansunfauteuil.—Je suisdésoléde t’avoirappeléeCamille.Onparlaitd’elle,onétait tendus,et je les
entendaisrire,Trentonetelle.Etçam’aéchappé.
—Tuasraison,Jackson.Jetepardonne.Thomass’empourpra.—Jemesensvraimentcon.—Tupeux.—Nemedispasquec’estterminépourtoi,Liis.Pasaprèsuneseulebourdeidiote.—Parcequepourtoi,çaavaitréellementcommencé?—J’éprouvequelquechosedetrèsfort.Etjepensequetoiaussi.Jesaisquetun’aimes
passortirdetazonedeconfort,maissachequeçamefaitaussipeurqu’àtoi.Jet’assure.—Jen’aipluspeur.J’aifranchicepas-là.Tunel’aspasfranchiavecmoi,c’esttout.Sonexpressionchangea.Ilregardaitenmoi,cherchaitàdistinguerlesprofondeursqueje
neparvenaispasàdissimuler.—Tufuis.Jetefaispeur.—Arrête.Jevislesmusclesdesamâchoireroulersoussapeau.—Jeneteharcèleraipas,Liis.Situneveuxpasdemoi,jetelaisseraisuivretaroute.— Parfait, dis-je avec un sourire soulagé. Nous gagnerons tous les deux beaucoup de
temps,commeça.Ilmelançaunregardsuppliant.—Jen’aipasditquejevoulaisquetut’éloignes.Jemepenchaienavantsurmonbureau.—Thomas,j’aidutravail.JedéposeraimoncompterendusurlebureaudeConstancece
soir,dis-moisituasdesremarques.Il me regarda, incrédule, puis se leva. Une fois devant la porte, il hésita avant de se
retourner.—Tupeuxquandmêmefairelestrajetsavecmoienattendantd’avoirunevoiture.—Merci,répondis-je.MaisjemesuisarrangéeavecVal.Ilsecoualatêteetsortitenrefermantderrièrelui.Ilpritàdroite,etnonàgauche,vers
sonbureau,etjecomprisqu’ilallaitàlasalledegym.Val fut dansmon bureau, assise dans un fauteuil, avant qu’il ait franchi le portique de
sécurité.—Çan’avaitpasl’airjolijoli.Jelevailesyeuxauciel.—C’estréglé.—Qu’est-cequiestréglé?—Il…ilyaeuuntrucentrenousceweek-end.Maisc’estfini.—Déjà?Ilavaitl’airmalheureuxcommelespierres.Qu’est-cequetuluiasfait?—Pourquoiest-ceforcémentmafaute?répondis-jed’untonsec.DevantlehaussementdesourcilsdeVal,jerepris:
—J’aiacceptéd’essayerunsemblantderelationdecouple,etensuite,ilareconnuqu’ilaimaitencoreCamille.Pourcouronnerletout,ilm’aappeléeCamille,alors…
D’un geste nerveux, je réarrangeai les stylos et crayons dans leur pot, faisant de monmieuxpournepasmeremettreencolère.
—IlaappeléCamille?demanda-t-elle,interloquée.—Non,ilm’aappeléeCamille.Envoulantdiremonnom,quoi.Ils’esttrompé.—Aupieu?s’écria-t-elle.Jefislagrimace.—Non. Sur la plage.On avait une discussion un peu animée. Je ne saismême plus à
proposdequoi.—Hou,toutcelaesttrèsprometteur,quandmême.Onauraitpeut-êtredûdevinerque
deuxobsédésducontrôlecommevousauraientdumalàs’entendre.—C’estexactementcequ’iladit.Ahetpuistantquej’ysuis,ondéjeuneensemble.—Ahbon?—C’estcequej’aiditàThomas,alorsc’estcequ’onvafaire.—Maisj’aiprévudedéjeuneravecMarks.—Ahnon.Tumedoisbiença.—Trèsbien,dit-elleens’accoudantàmonbureau.Maistuvasdevoirmeracontervotre
week-endendétail.—D’accord.Justeaprèsquetum’aurasracontétonmariage.Ellerouladesyeuxcommedesbilles.—Non!gémit-elle.Tuvois?C’estpourçaquejenevoulaispasquetusoisaucourant.—Çaneteferapasdemaldecomprendrequetoutlemonden’apasforcémentenviede
voirétalésaugrandjoursessentiments,penséesetautressecrets.Jenesuispasmécontented’avoirenfinunmoyendepression.
Ellemefusilladuregard.—Méchante,va.Onsevoitaudéjeuner.Jesouris,remismoncasque,etValregagnasonbureau.Lerestedelajournées’écoulanormalement,etlesjoursquisuivirentégalement.Valm’attendaitlematinjustedevantmonimmeuble.Lemieuxétaitquejenerencontre
pas Thomas dans l’ascenseur. Quand cela arrivait, il semontrait courtois. Il cessa de venirdansmonbureau,optantpourlacommunicationparmail,viaConstance.
Nous réunissions le plus de preuves possible contre Grove, tout en nous servant de laconfiancequeTarouavaiten luipourobtenirdes informations.Nous trouvions les réponsesque nous cherchions dans les bribes de conversations et les commentaires méprisants quefaisaient Grove, Tarou et consorts à propos, entre autres, de la crédulité du FBI et de lafacilitéqu’ilyavaitàcontournerlesystèmequandonconnaissaitlabonnepersonne.
Deux semaines exactement après queThomas etmoi avions communiqué à Polanski la«bonne»nouvelleconcernantTravis,j’étaisauCutter’s,seule,etplaisantaisavecAnthony.
—Alorsjeluiaidit«Tumeconnaismêmepas,salope»,conclut-il,latêtepenchéesurlecôté.
J’applaudissansgrandenthousiasmeetlevaimonverre.—Bienjoué.—Jesaisqueçafaitunpeudiva,ettout,mais ilavaitbesoindel’entendre.Alors je le
luiaidit.—Jepensequetuastrèsbiengérélasituation,conclus-jeavantdeboireunegorgée.Anthonysepenchaversmoi.—Dites,pourquoivousnevenezplusavecMaddox?PourquoiMaddoxnevientplusdu
tout?—Parcequelesfemmesdumondeentierseliguentcontreluietrendentinfréquentables
lesendroitsqu’ilpréfère.—Oh.C’estnul,commeexcuse.Etdirequ’onmereproched’enfairedestonnes…Pfff.—C’estqui,«on»?—Voussavezbien,répondit-ilenfaisantungestevague.Lesgens,quoi.Puisilpointaundoigtsurmoi.—Ilvafalloirréglercettehistoire.Mespourboiress’enressentent.Illevalesyeux,lesbaissapresqueaussitôt.—Hem.Brushingà11heures.Jenemeretournaipas.Jen’enavaispasbesoin.Sawyermesoufflaitdéjàdansl’oreille.—Salut,beauté.—Ilsn’ontpasvouludetonfric,auclubdestrip-tease?Ilfitlagrimace.—Hou,t’esd’unehumeurdechien.Jesaisquet’espluslachouchouduprof,maisévite
d’envouloiraumondeentier.Jebusunegorgée.—C’estsûrquetoi,chouchouduprof,çanet’évoquerien.Personnenet’aime.—T’esdure,là,ditSawyer,l’airvexé.—Excuse-moi.J’ysuisalléeunpeufort.Maissachequetuauraisaumoinsuneamiesi
tusignaiscesfoutuspapiers.Ilclignalesyeux.—Attends…dequoituparles?—Detespapiersdedivorce.—Ça,jesais,maistusous-entendaisqu’onn’étaitplusamis?—Onn’estpasamis.
—Putain,Liis,arrêtetonchar.Tupassesunweek-endavecMaddoxettuavalestoutcequ’ontedit.
Ilsecoualatête,butunegorgéedelabièrequ’Anthonyvenaitdeposerdevantlui.—Tumedéçoissurcecoup-là.—Maissigne-les,cespapiers.C’estquandmêmepasbiendifficile,si?—Contrairementàcequedisentlesgens,mettrefinàunmariagen’ariendefacile.—Vraiment?Jepensaisquepourunmariinfidèle,iln’yauraitpasdequoifouetterun
chat.—Jenel’aipastrompée!Jehaussaiunsourcil.—Son…trucmerendaitdingue.Tun’imaginespascequec’estdevivreavecquelqu’un
sanspouvoiravoirunseulsecret.— Mais pourquoi la tromper, alors ? Autant demander le divorce directement. Et
maintenant,tuleluirefuses.Ileutunpetitrire,butunenouvellegorgée,posasabouteillesurlebar.—Parcequejepensaisqu’après,ellenemettraitpluslespiedsdansmatête.Je remerciai d’un mouvement de tête Anthony, qui venait de déposer un nouveau
Manhattandevantmoi.—Cegenrederéponseneredorepastonblasond’imbécile.—C’estcequej’étais.Unimbécile,dit-ilenjouantavecsabouteille.Maisellerefusede
medonnerunedeuxièmechance.Jepenchailatêtedanssadirection.—Tul’aimesencore?Ilcontemplaitsabière.—À tonavis,quiest-cequi luiaoffert le lapinquiest sur sonbureau?PasMarks,ça
c’estsûr.—Merde,ditAnthony.J’avaispariéavecMarksquevousétiezhomo.—Ton«gaydar»estenpanne,ondirait,m’esclaffai-je.Anthonysourit.—Non,moi,jepariaisqu’ilétaithétéro.Sawyerfitlagrimace.—Markspensequejesuishomo?Putain,c’estquoi,cettehistoire?Je fus prise de fou rire. Aumoment où Anthony se penchait pour me parler, Thomas
s’installasurletabouretvoisin.—Anthonyvoudraitt’avertirquejesuisici,ditThomas.Jecessaiderireaussitôtetmeraidis.—Salut,Maddox,répondis-jeenguisedesalutations.
—Pasde lézard,Maddox,ditAnthony.Je luiavais justepromisd’assurersesarrièresàpartirdemaintenant.Bon,jevousserslamêmechosequed’habitude?
—Bourbon-Coca,cesoir,ditThomas.—C’estcommesic’étaitfait.Sawyersepenchasurlebar.—Rudejournée,patron?Thomasneréponditpas.Ilobservaitsesmainsnouéesdevantlui,surlecomptoir.Sawyeretmoiéchangeâmesunregard.—Ellelesait?demandai-jepourpoursuivrenotreconversation.—Biensûrqu’ellelesait.Ellesaittout,réponditSawyer.Deuxjeunestypesentrèrent.Jenelesavaisjamaisvus,maisilsavancèrentdanslasalle
d’unpasassuré,enbombantletorseetenbalançantlesbras.Jemeretournaiaumomentoùl’und’entreeuxmedévisageaitdelatêteauxpieds.
—Jolieveste,Yoko.Sawyerposaunpiedparterreetvoulutselever,maisjel’enempêchaid’unemain.— Fais pas attention à eux. Il y avait un concert de rock à La Casbah ce soir. Ils en
viennentprobablementetcherchentlabagarre.Regardeletee-shirtdugros.Il était déchiré sur vingt bons centimètres à partir du cou. Nous commandâmes une
nouvelletournée.Thomasvidasonverre,jetaunbilletsurlebaretpartitsansdireunmot.—Bizarre,non?ditSawyer.Çafaisaitcombiendetempsqu’iln’étaitpasvenu?—Plusdedeuxsemaines,ditAnthony.—Etlà,ilarrive,ilboitunverreetils’enva.—Ilneboitjamaisplusd’unverre,detoutefaçon,non?demandai-je.Anthonyhochalatête.—Saufquandilfaitcettetête.Jemetournaiverslaporteetvisquelesdeuxjeuness’enallaient,euxaussi.—Beneuxaussi,c’estdesrapides,disdonc.—Je lesaientendusdirequ’ilss’ennuyaient.Apparemment, leserviceest trop lent,dit
Anthonyavecunclind’œil.—Tropfort,dis-jeensouriant,avantdemetournerversSawyer.Tudevraisrediscuter
detoutcelaavecVal.Mettreleschosesàplat.Maissi,malgrétout,elledécidequec’estfinietbienfini,tudoisdéménageretsignercesfoutuspapiers.Tun’espasjusteavecelle.
—Tuas raison. Je tedéteste,mais tuas raison.Etquoique tuendises,Lindy,onesttoujoursamis.
—D’accord.AprèsavoirrégléAnthony,nousquittâmeslebar,traversantlagrandesalledéjàplongée
dans la pénombre. Dehors, il y avait plus de lumière, la circulation était normale, maisquelquechoseclochait.
Sawyerposaunemainsurmonbras.—Toiaussi?demandai-je.Prudemment,nousmarchâmes jusqu’aucoinde larue.Là,ungémissementnousarrêta.
Sawyervoulutjeterunrapidecoupd’œil,maissefigeadevantlascènequil’attendait.—Merde!Jelesuivisetsortisaussitôtmontéléphone.Lesdeuxjeunestypesdubarétaientallongés
là,dansunemaredesang.—Police-secours,j’écoute.— J’ai deux blessés, environ vingt ans, violemment agressés. Il va leur falloir une
ambulance.Sawyerlesexaminabrièvement.—Celui-làestinconscient,dit-il.—Ilsrespirenttouslesdeux,maisilyenaunquiaperduconscience.Puisjedonnail’adresse,avantderaccrocher.Sawyerregardadanslarue.Endehorsd’uncoupled’unequarantained’années,quiallait
dansladirectionopposéeàcinquantemètresdelà,etd’unSDFpiochantdanslespoubelles,l’endroitétaitdésert.
Auloin,nousentendîmesdessirènes.Sawyerplongealesmainsdanssespoches.—Ondiraitqu’ilsonttrouvélabagarrequ’ilscherchaient.—Peut-êtreavecceuxcontrequiilssesontbattusavantd’arriveraubar.Ilhaussalesépaules.—C’estpasdemonressort.—Trèsdrôle.Une voiture de police arriva quelques minutes plus tard, suivie de près par une
ambulance.Nousracontâmescequenoussavions,etaprèsavoirdéclinénotreidentité,nousfûmesautorisésàpartir.
Sawyerm’accompagnajusqu’àl’entréedemonimmeubleetm’embrassasurlajoue.—Tuessûrquetuneveuxpasquejeteraccompagne?demandai-je.Ceuxquiontfait
çasontpeut-êtreencoredanslesparages.Ileutunpetitrire.—Arrête,Lindy.—Bonnenuit,alors.Àdemain.—Non.Jeseraisurleterrain.—Ahoui.Le…truc,dis-je.J’avaislatêtequitournaitunpeu.Nousavionsquittélebaràtemps.—Jefileletraind’unedenossourcesàVegas.Arturo.—LesbiredeBenny?Qu’est-cequ’ilfaitàSanDiego?
—Bennyl’aenvoyérendrevisiteàsanouvellefamilleorientale.Jem’assurequ’ilnefaitpas de vagues. Je voudrais pas que les yakuzas lui foutent la trouille et le poussent à nousalerterourévélerl’intérêtqu’onleurporte.
—Çaal’airtrèsofficiel,disdonc.—Çal’esttoujours.Bonnenuit.Sawyersortitdel’immeubleetjemeretournaipourappelerl’ascenseur.Leboutonétait
couvertdesangfrais.Jeregardaiautourdemoidansl’entrée,puisl’essuyaiavecladoubluredemaveste.
Lesportess’ouvrirentavecleurtintementhabituel,agréableetaccueillant.Jemontai,etmoncœursemitàbattreaussitôt.Leboutondusixièmeétageétaitluiaussicouvertdesang.
Une nouvelle fois, je nettoyai les preuves à l’aide de ma veste, puis attendisimpatiemment que les portes se rouvrent. Au sixième étage, j’allai droit vers la porte deThomasettambourinai.
Commeiln’ouvraitpas,jetapaideplusbelle.—Quiest-ce?demanda-t-il.—C’estLiis.Ouvre,bordel.Il y eut un bruit de chaîne, le verrou tourna, et Thomas ouvrit sa porte. J’entrai en
trombe,lepoussantd’uneépaule,avantdepivoterversluiencroisantlesbras.Ilavaitunsacdeglacesurlamaindroiteetunpansementensanglantésurlagauche.— Seigneur ! Mais qu’est-ce que tu as fait ? m’écriai-je en posant une main sur le
bandage.Délicatement, je le retirai pour examiner sonpoing. Il était à vif. Je fixaiThomasd’un
regardinterrogateur.—Ilst’ontinsultée,cesenfoirésderacistes.—Donctuasessayédelesbattreàmort?m’emportai-je.— Non, ça, c’est venu quand je les ai entendus espérer que pour rentrer chez toi, tu
passeraisprèsd’uneruellesombre.Jesoupirai.—Allez,viens.Jevaistenettoyerça.—C’estbon,j’aiparéaupluspressé.—Mettredelaglaceetunpansement,cen’estpasnettoyer.Turisquesuneinfectiondes
articulationssitunefaisrien.Çatetente?Thomasserenfrogna.—OK,OK.Danslasalledebains,ils’installasurleborddelabaignoire,lesdeuxmainstenduesvers
moi.—Oùest-cequetucachestatroussedesecours?D’unmouvementdumenton,ilindiqualepetitplacard,endessousdulavabo.
—Parlà.Jesortisuneboîtehermétique,l’ouvris,examinaisoncontenu.—Eauoxygénée?Thomaseutunmouvementderecul.—Tucognesdeux types jusqu’à t’enécorcher lespoings,mais laperspectived’un léger
picotementpendantquelquessecondestefichelatrouille?—Au-dessusdulavabo.Appuiesurlemiroir,ils’ouvre.—Jesais.Lemienaussi.—J’aiessayéderentrersans…—Lesattaquer?— Certains connards se comportent éternellement en prédateurs, jusqu’à ce qu’ils
croisentlechemindequelqu’unquileurmetlaracléedeleurvie.Après,ilsvoientleschosessousunangleunpeudifférent.
—C’estcommeçaquetuexpliquestaréaction?Tuleurasrenduservice?—J’airenduserviceaurestedelasociété,répondit-il,bougon.Je versai l’eau oxygénée directement sur ses plaies, il inspira brusquement avant de
retirersesmains.—Jenecomprendspascommenttuaspuperdretonsang-froidàcepointàcaused’une
insulteidioteetd’unemenaceenl’air.Il remonta une épaule pour s’essuyer la joue. Deux taches de sang apparurent sur sa
chemise.—En fait, jepenseque tudevraisprendreunbaindece truc,dis-jeen luimontrant la
bouteille.—Pourquoi?Jetiraiunmorceaudecotonetl’imbibaid’eauoxygénée.—Parcequejesuisàpeuprèssûrequecen’estpastonsangquejenettoie.Thomasmedévisageacommesijel’insupportais.—Désolée.Tuveuxquejem’enaille?—Àvraidire,oui.—Non!rétorquai-jesèchement.—Ah!Là,tutesensinsultée.Jemetrompe?Jetapotaisesplaiesaveclecotonimbibé.—Cequ’uninconnuditdemoinem’affectepas,Thomas.Cequeditquelqu’unpourqui
j’aidel’affection,si.Sesépauless’affaissèrent.Ileutsoudainl’airtropfatiguépourdiscuter.—Qu’es-tuvenufaireauCutter’s?demandai-je.—C’estlebarquejefréquente.—Maispluscesdernierstemps.
—J’avaisbesoind’unverre.—C’étaitunlundidifficile?Maisunlundipouvait-ilêtreautrechosequedifficile?Ilhésita.—J’aiappeléTravis,samedi.—Le1eravril?Tuvoulaisluifaireunpoisson?Thomasmelaissaquelquessecondespourcomprendre.—Oh!C’étaitsonanniversaire.—Ilm’araccrochéaunez.—Ouille.Aumomentoùjeprononçaiscemot,Thomasretirasamain.—Put…Ilserraleslèvres,jevisgonflerlesveinesdanssoncoutandisqu’ilseretenaitdehurler.
Jereculaid’unpas.—Désolée…— Tu me manques, dit-il soudain. Au bureau, je fais ce que je peux pour rester
professionnel,maisjen’arrêtepasdepenseràtoi.—Tufaisunpeul’ours,quandmême.Lescollèguesévoquentlapériodepost-Camille.Ileutunrireunpeutriste.—Çan’arienàvoir.Cequejevislàestbienpire.Jemeconcentraisursesplaies,quej’enveloppaisd’unnouveaubandage.—Alorsfélicitons-nousdenepasavoirlaisséleschosesallertroploin.Ilhochalatête.—Tupeuxteféliciter,oui.Moi,jen’aipasétéaussiprévoyant.Jelâchaisamain.—Dequoituparles?Tum’asditilyadeuxsemainesquetunepouvaispasm’aimer.—Liis…est-cequetuéprouvesdessentimentspourmoi?—Tusaistrèsbienqueoui.—Est-cequetum’aimes?Jescrutaiunlongmomentsonregarddésespéré.Etplusletempspassait,plusilsemblait
malheureux.Jesoupirai.—Je…jeneveuxpasêtreamoureuse,Thomas.Ilregardasespansements,quelesangavaitdéjàimbibésicietlà.—Tun’aspasréponduàmaquestion.—Non.—Tumens.Commentpeux-tuavoirunepersonnalitéaussiforteetpéterdetrouilleàce
point?
—Etalors?rétorquai-je.Toiaussi,tuauraislatrouille,sijetedisaisquej’étaisencoreamoureusedeJacksonetquetuétaisloin,très,trèsloindetazonedeconfortémotionnelle?
—Tuesinjuste,là.Jerelevailementon.—Jen’aipasàêtre justeou injusteenvers toi,Thomas.Jedoisseulementmemontrer
justeavecmoi-même.Jereculaid’unpas,mislamainsurlapoignéedelaporte.Ilsecoualatêteetricanaavecamertume.—LiisLindy,unechoseest sûreetcertaine.Avec toi, jedérouille : je suiscondamnéà
souffrir.
22
Pourredescendre, ilmesemblapréférabledeprendrel’escalier.Arrivéesurmonpalier,jepassaidevantmaporteetallaijusqu’àlafenêtre,auboutducouloir.Delà,jevoyaislecoindelarue.
Ilétaitmaculédesang,maispersonnenesemblaits’enapercevoir.Lesgensquipassaientlà n’avaient pas lamoindre idée du déchaînement de violence qui s’était produit ici,moinsd’uneheureauparavant.
Un couple s’arrêta à quelques pas de la plus grosse tache. Ils se disputaient. La femmeregardad’uncôté,puisdel’autre,ettraversa.Jelareconnusjusteavantqu’ellenedisparaissesous l’auvent de l’immeuble.Marks la suivait. Je soupirai, certaine qu’ils sonneraient àmaportemoinsdecinqminutesplustard.
J’allaiàmaporteet l’ouvris,puisattendis sur leseuil.L’ascenseur tinta,annonçantsonarrivée.Lesportess’ouvrirent,révélantuneValfurieusecommejamaisjenel’avaisvue.
Elle sortit et s’arrêta enmevoyant, repoussantMarksd’unmouvement énervé lorsqu’ilbutacontreelle.
—Tusors?demanda-t-elle.—Non,jerentrejuste.Entre,dis-jeenm’effaçantpourleslaisserpasser.Val entra, mais Marks s’arrêta, attendant que je l’autorise à faire de même. D’un
mouvementdetête,jeluifiscomprendrequ’ilpouvait,etillasuivitjusqu’aucanapé.Laporterefermée,jemetournaiverseux,brascroisés.—Jevouspréviens, jenesuispasd’humeurà jouer lesconseillèresmatrimoniales. J’ai
déjàsuffisammentdemalàyvoirclairdansmaproprevie,alorscelledesautres…D’unemain,jeramenaimescheveuxenarrière,avantdeprendreplacedanslefauteuil,
ramassantaupassageleplaidpliésurl’accoudoirducanapépourm’encouvrirlesjambes.—Tuesd’accordavecmoi,non?commençaMarks.Ilfautqu’ellelemettedehors.—Ilrefusedepartir,ditVal,exaspérée.—Jevaism’enoccuper,tuverrass’ilrefuse,grommelaMarks.Jelevailesyeuxauciel.
—Arrête,Marks.Tuconnaislaloi.Ilssontmariés.Silesflicsvenaient,c’estàtoiqu’ilsdemanderaientdepartir.
Marksserralamâchoire,puistournaleregardendirectionducouloir.—Tuasunechambred’amis.Ettuluiasproposédes’installeravectoi.—Valneveutpasperdresonappart.—C’estexactementcequejeluiaidit,précisaValensecouantlatête.—Jeneveuxplusquetuvivesaveclui,bordel.Çacrainttrop!s’enflammaMarks.—Écoute,Joel,laisse-moiréglerçaseule,ditVal.Situn’aspasenviederester,jepeux
comprendre.Jeplissailesyeux.—Vousêtesicipourquoi,exactement,touslesdeux?Markssoupira.—Jesuispassé lachercherpourdîner,et ilnousafaitunescène.Engénéral, j’attends
dehors,maislà,jem’étaisditquepourunefois,jepouvaislajouergentleman.Etilapétélesplombs.Etcontrequielles’estmiseencolère?Contremoi!
—Pourquoi est-ce qu’on s’inflige des trucs pareils ? demandai-je, surtout àmoi-même.Onestdesadultes.L’amournousrendtellementcons.
—Ilnem’aimepas,ditVal.—Biensûrquesi,jet’aime,opinaMarksenlaregardant.Lentement,elletournalatêteverslui.—Vraiment?— Je t’ai couru après pendant desmois. Et je continue. Tu penses que pourmoi, c’est
justeunepassade?Jet’aime.LevisagedeValsedécomposa.—Moiaussi,jet’aime.Ilssetombèrentdans lesbrasetcommencèrentàs’embrasser.Je levai lesyeuxauciel,
envisageantdefaireuncaprice,là,toutdesuite.—Désolée,finitpardireValenretouchantsonrougeàlèvres.—Toutvabien,répondis-je,impassible.—Ondevraitpeut-êtreyaller,ditMarks. Ilest tard,onn’aréservénullepart,et jene
voudraispasfairetoutelavilleenvoiturepourtrouverunetableetunrepasdécent.Jem’efforçaidesourireetallaiouvrirlaporte.—Désolée,répétaValàmi-voixenpassantdevanttoi.Jesecouailatête.—Toutvabien,répétai-je.Laporte refermée, je gagnaima chambre etme laissai tomber surmon lit, face contre
l’oreiller.
Val et Marks semblaient avoir trouvé une solution tellement facilement, alors qu’ellepartageaitsonappartementavecSawyerdepuisplusd’unanaprèsleurséparation.J’habitaisjuste en dessous de chez Thomas, et j’étais malheureuse comme tout. Mais nos problèmesétaientunpeupluscompliquésquelacohabitationavecunex.J’aimaisunhommequejenepouvaispasaimer,quienaimaituneautretoutenm’aimantdavantageencore.
L’amourpouvaitallersefairefoutre.
Lelendemainmatin,jefussoulagéedenepastrouverThomasdansl’ascenseur.Lessemainespassèrent,etcettehistoiredevintmoinsunproblèmequ’unsouvenir.Thomasfaisaitensorted’arriveraubureauavantmoi,etd’yresterbeaucoupplus tard.
Nosentrevuesétaientcourtes, tendues,etquandunemissionparticulièrenousétaitconfiée,Val, Sawyer et moi redoutions de devoir nous présenter à Constance sans les résultatsattendus.
Le reste de la cinquième brigade courbait l’échine, et me fixait d’un regard méchantquandilspensaientquejenelesvoyaispas.Lesjournéesétaientlongues.Lesimplefaitdemetrouverdansl’openspacedelabrigadeétaitunstresspourmoi,etj’étaisrapidementdevenuelesuperviseurlemoinspopulairedubâtiment.
Huitjoursd’affiléepassèrentparfoissansquejecroiseThomasauCutter’s.Anthony m’avait donné le numéro d’un ami à lui qui connaissait quelqu’un dans le
transportdevoitures.J’avaisappelé,etdèsque j’avaismentionné lenomd’Anthony, le tarifavaitdiminuédemoitié.
En mai, ma Toyota avait été livrée, et j’avais pu explorer San Diego un peu pluslibrement.Valetmoiétionsalléesauzoo,etdemoncôté,j’avaisentreprisdetestertouteslesplages,toujoursseule.C’étaitdevenuuneespècederoutine.
Ilnem’avaitpasfallulongtempspourtomberamoureusedelaville,aupointquej’avaisfini par me demander si craquer de la sorte n’était pas devenu une habitude. Mais cetteimpression disparut après plusieurs sorties en compagnie de Val, quand je commençai àcomprendre que toute interaction avec un homme me rappelait à quel point Thomas memanquait.
Unsamedisoirmoiteetétouffant,jemegaraidansleparkingdurestaurantKansasCityetfourraimesclésdansmonsac.Mêmeenrobedosnu,jesentaislatranspirationcoulersousma poitrine et le long de mon ventre. C’était le genre de chaleur que seul l’océan ou unplongeondansunepiscinepouvaitapaiser.
Mapeauluisaitdesueur.J’avaisrelevémescheveuxenunchignonlâche.Cettehumiditémerappelaitnotreweek-endàSaintThomas,etilfallaitquejemechangelesidées.
Je poussai la porte, et me figeai. Pile dansma ligne demire se trouvait Thomas, quijouait aux fléchettes en compagnie d’une blonde. Plus exactement, qui avait un bras glisséautourdesatailletoutenl’aidantàviseravecl’autre.
Àl’instantoùnosregardssecroisèrent, je fisvolte-faceetretournaiendirectiondemavoiture.Courirentalonscompensésn’étaitpaschosefacile.Ausortirdupatioquiservaitdeterrasseaurestaurant,unesilhouettemassivearrivaàmarencontre.Emportéeparmonélan,jeheurtail’hommeetperdisl’équilibre.
Avantquejenetouchelesol,deuxgrandesmainsmerattrapèrent.—Ouhlà,t’asl’airdrôlementpressé,disdonc!meditMarks.Ilmelâchadèsquejeretrouvail’équilibre.—Désolée.Jevenaisjustedîner.—Oh,dit-ilavecunsourireentendu.EttuasvuMaddox.—Je…jevaisbientrouverdequoimangerailleurs.—Liis?appelaThomasdepuisl’entréedurestaurant.— Elle ne veut pas dîner ici parce que tu y es déjà, lança Marks, une main sur mon
épaule.Tous les clients installés dans le patio se tournèrentdansmadirection. Je repoussai la
maindeMarksetredressailementon.—Vatefairefoutre.Etd’unpasdécidé,jegagnaimavoiture.—TuvoistropVal,toi!melançaMarks.Jenemeretournaipas,sortismesclésetdéverrouillaimaportière.Jen’euspasletempsdel’ouvrir.Desmainss’étaientposéessurmoi.—Liis,ditThomas,essouffléd’avoirtraverséleparkingencourant.Jedégageaimonbrasetouvrismaportièred’uncoupsec.—Cen’estqu’uneamie.ElleavaitlepostedeConstancequandPolanskiavaitlemien.—Tun’aspasàt’expliquer,dis-jeensecouantlatête.Ilplongeasesmainsdanssespoches.—Biensûrquesi.T’esfurieuse.—Bienmalgrémoi. Écoute, dis-je en levant les yeux vers lui. Je vais finir par trouver
unesolution.Enattendant,lefaitqu’ons’évitemeconvienttrèsbien.Thomashochalatête.—Jesuisdésolé.Temettreencolèreest ladernièrechoseque je souhaite.Tu…tues
ravissante.Tudevaisretrouverquelqu’un,ici?Jefisunegrimace.—Non,jenedevaisretrouverpersonne.Jenesorsavecpersonne.Jenevoispersonne,
répliquai-jesèchement.Mais jenem’attendspasàcequetufasseslamêmechose,ajoutai-jeenindiquantlerestaurant.
Jevoulusmonterdansmavoiture,maisThomasmeretintdoucement.—Onnesortpasensemble,dit-il.Jel’aidaisàmieuxviserauxfléchettes.Sonpetitami
estavecnous.
Jelefixaid’unregardmauvais,etdubitatif.—Super.Ilfautquej’yaille.Jen’aipasencoremangé.—Mangeici,dit-ilavecunpetitsourirepleind’espoir.Etjepourrait’apprendreàjouer
aussi.—Jepréfèrenepasêtreuneparmidenombreusesautres.Merci.—Cen’estpascequetues.Ettunel’asjamaisété.—Non,justeuneparmideux.—Quetulecroiesounon,Liis…tuétaislaseule.Iln’yajamaiseupersonned’autreque
toi.— Pardonne-moi, dis-je dans un soupir. Je n’aurais pas dû parler de ça. On se voit au
bureau,lundi?Ilyauneréunionprévueasseztôt,jecrois.—Oui,c’estça,dit-ilenreculantd’unpas.Jememis au volant et plantaima clé dans le contact.Aprèsune rapidemanœuvre, je
sortisduparking,laissantThomasseulderrièremoi.Jem’arrêtaiaupremierrestaurantfast-foodquiavaitundrive-in,passaimacommandeet
rentraimangeràlamaison.Mon sac en papier à lamain, je verrouillaima portière etmarchai jusqu’à l’entrée de
l’immeuble,lemoraldansleschaussettesdevantl’échectotaldemonplan«Changeons-nouslesidées».
—Hé!appelaVal,depuisl’autrecôtédelarue.Jemeretournai,elleagitalebras.—T’escarrémentcanon,cesoir!Tum’accompagnesauCutter’s?Jeluimontraimonsacenpapier.—C’esttondîner?—Enquelquesorte!—ÇavientdechezFuzzy?—Non!—Jette-moiçatoutdesuite!hurla-t-elle.L’alcoolteferaplusdebien.Jesoupiraietregardaiàdroiteetàgaucheavantdetraverserlarue.Valmeserradans
sesbras,maissonsourires’évanouitlorsqu’ellevitmatête.—Qu’est-cequinevapas?—JesuisalléeauKansasCity.Thomasyétait,avecuneblondetrèsgrandeettrèsjolie.Valpinçaleslèvres.—Tuesmillefoismieux.Toutlemondesaitquec’estunesalopefinie.—Tulaconnais?C’estl’assistantedePolanski.—Oh.Non,Allieestsupersympa,maisonvafairecommesic’étaitunesalope.—Allie?lâchai-jedansunsouffled’agonie.
À tous les coups, avec unprénompareil, il allait tomber amoureuxd’elle. Je le voyaisarriverd’ici.
—Achève-moitoutdesuite,grommelai-je.Valglissasonbrassouslemien.—Jeporteencoremonarmedeservice.Çapeuts’arranger,situytiens.Jeposailatêtesursonépaule.—Toi,t’esvraimentuneamie.—Jesais,dit-elleenm’entraînantendirectionduCutter’s.
23
Aupostedecontrôle,j’adressaiunsourirecontraintàl’agentTrevino,puisredémarraiendirectionduparkingsouterrain.Aprèsmonweek-enddésastreux,j’étaisdéjàd’unehumeurdechien,etlefaitquecesoitlundin’arrangeaitrien.
Thomas avait raison. Je détestais prendre l’autoroute, et cette révulsionm’énervait. Jetrouvai une place, me garai, coupai le contact. Après avoir attrapémon sac àmain et masacoche d’ordinateur en cuir brun, j’ouvris ma portière. À quelques voitures de là, l’agentGrovesortaitluiaussidesaberlinebleue.
—Bonjour,dis-je.Il répondit d’un hochement de tête et nous nous dirigeâmes vers les ascenseurs. Mon
doigt tremblait en appuyant sur le boutond’appel, et je fis demonmieux pour queGrove,justederrièremoi,nevoiepasqu’ilmerendaitnerveuse.
Il toussa, j’en profitai pour lui jeter un coup d’œil.Ma queue-de-cheval glissa surmonépaule.
—Lesrhumesd’été,c’estpirequetout.—C’estallergique,grommela-t-il.Lesportesdel’ascenseurs’ouvrirent,jemontai,Grovemesuivit.Sachemisebleupâleet
sacravatetropcourtesoulignaientlaproéminencedesonventre.—Commentsepassentlesinterrogatoires?demandai-je.LapetitemoustachedeGrovetressauta.—Ilestunpeutroptôtpourpapoter,agentLindy.Jehaussai lessourcilsetmedétournaien levant lesmainsdevantmoi.Letintementde
l’ascenseur annonça le septième étage, et je descendis, non sans lancer un regard torve àl’agentGrove,quimerenvoyalemêmejusqu’àlafermeturedesportes.
Valmerejoignitcommej’arrivaisauportiquedesécurité.—Ouvre-toi,ouvre-toi,ouvre-toi,ouvre-t…—Onn’apasterminé,ditMarks,justederrièreelle.Ellesouritetseretourna.
—Pourlemoment,si.— Non, on n’a pas terminé, répéta Marks, dont les grands yeux bleus lançaient des
éclairs.Jepoussailaporte,Valfitunpasenarrière.—Maissi.Si,si,si.QuandlaporteserefermaaunezdeMarks,ellem’attrapalebrasetsoupira.—Ilinsistepourquejedéménage.—Ben…jen’aimeraispasbeaucoupquemoncopainhabiteavecsafemmenonplus.—Marksn’estpasmoncopain,etSawyern’estpasmonmari.—Ton statut en cequi concerneMarks est effectivementdiscutable,mais tu es encore
mariéeàSawyer,sijenem’abuse.Iln’atoujourspassignélespapiers?Nous entrâmesdansmonbureau etVal ferma laportederrière elle avantde se laisser
tomberdansl’undesfauteuils.—Non!IlestrentréduCutter’s,unsoir,etils’estmisàmerépéterencoreetencoreque
Daviesétaituneerreur.—Attends…l’agentDavies?—Oui.—Maisjecroyaisquec’étaittoiqui…Valfronçalessourcils,etlorsqu’ellecomprit,bonditdesonfauteuil.—Non!Beurk!Beuuuurk!Mêmesi j’étaislesbienne,jenetoucheraispasàça.L’agent
DaviesressembleàunsosieaurabaisdeCher,avectoutce…toutcetrucsurlevisage.—DoncquandtuasditquetuavaisdesinfosdepremièremainàlafoissurSawyeret
Davies,c’estparcequ’ilt’atrompéeavecelle.—Oui!dit-elle,révulséeparcequej’avaisimaginéjusque-là.Elleserassit,maisauborddufauteuilcettefois,ets’allongeapresquededans.—Si tu racontes ça à quelqu’un d’autre, je te conseillerais d’être un peu plus explicite
pourévitertoutmalentendu.Val laissacette suggestion faire sonchemin,puis ferma lesyeux,et s’affalaunpeuplus
danslefauteuil.—Merde.—TuasdécidédenepaspardonneràSawyer.—Seigneur,non.—Qu’est-cequiteretientlà-bas,Val?Jesaisquec’étaittonappart,ettout,maisçane
peutpasêtrelaseuleraison,quandmême.Ellelevalesbras,lesfitclaquersursescuisses.—Non,c’estlaseule.—Menteuse.Elleseredressa,croisalesbras.
—Tiens,tiens.Ondiraitquequelqu’uns’estentraîné…—Disonsplutôtque jepratique lebonsens.Bon, si tuasdécidéd’êtreunecopinepas
sympa,filedelà.J’aiduboulot,dis-jeenregardantdespapiers,feignantledésintérêtpourleshistoiresdeVal.
— Je n’arrive pas à lui pardonner, dit-elle d’une petite voix. J’ai essayé. J’aurais pupardonnern’importequoid’autre.
—Ahbon?Ellehochalatête.—Tuleluiasdit?Elleregardasesongles.—Engros,oui.— Tu dois le lui dire vraiment, Val. Il pense qu’il y a encore une chance que vous
recolliezlesmorceaux.—JesorsavecMarks.Sawyerpenseencorequejesuisattachéeàlui?—Tuesencoremariéeaveclui.Valsoupira.—Tuasraison.Ilesttempsdeprendreunedécision.Maisjetepréviens:sijefrappeun
boncoupetqu’ilnebougepas,tuvasteretrouveravecunecolocataire.Jehaussailesépaules.—Jet’aideraiàfairetescartons.Elle sortit demon bureau avec le sourire. J’ouvrismon ordinateur, tapaimonmot de
passeetentreprisde liremese-mails.Troisd’entreeux,émanantdeConstanceetétiquetés«Urgent»,attirèrentmonattention.
J’ouvrislepremier.
AGENTLINDY,
L’AGENTSPÉCIALENCHEFADJOINTMADDOXSOUHAITEUNRVÀ10H00.MERCI DE VOUS LIBÉRER ET DE VOUS PRÉSENTER AVEC LE DOSSIER ENCOURS.
CONSTANCE
J’ouvrisledeuxième.
AGENTLINDY,
L’ASCAMADDOX SOUHAITE AVANCER LE RDV À 9 H 00.MERCI D’ÊTRE ÀL’HEURE,AVECVOTREDOSSIER.
CONSTANCE
J’ouvrisletroisième.
AGENTLINDY,
L’ASCA MADDOX INSISTE POUR QUE VOUS VOUS PRÉSENTIEZ À SONBUREAUDÈSRÉCEPTIONDECEMAIL.MERCID’APPORTERVOTREDOSSIER.
CONSTANCE
Je jetai un coupd’œil àmamontre. Il était à peine8heures. Lamain sur la souris, jecliquai sur divers documents récents, imprimai les dernières infos récoltées. Je pris mondossier,arrachailesfeuillesàl’imprimanteetquittaimonbureauencourant.
—Bonjour,Constance,dis-je,essoufflée.Ellelevalesyeuxetsourit,battantdeseslongscilsnoirs.—Vouspouvezentrer.—Merci,murmurai-jeenpassantprèsd’elle.Thomasétaitassisàsonbureauetmetournaitledos,contemplantlavuemagnifique.—Patron,dis-jed’unevoixaussinormalequepossible. Je suisnavrée, je viensdevoir
le…lesmails.J’aiapportéledossier.J’aiquelquesnouveaux…—Assieds-toi.Après unehésitation, j’obtempérai. Les troismystérieux cadres étaient toujours sur son
bureau,maisceluiducentreétaitcouché.—Jenepeuxpluslesfaireattendre,ditThomas.LeBureaudel’InspectionGénéraleveut
unearrestation.—Travis?Ilseretourna.Sonvisageétaitmangéparlescernes,onauraitditqu’ilavaitmaigri.—Non,non.Grove.Travisdoit commencer sa formation trèsbientôt.SiGroveentend
parlerdeluiparBennyouTarou…onesttrèsmal.» Constance enverra tout ce que tu as au bureau du procureur général. Ils ont prévu
d’organiser un vol àmain armée à la station-service qu’il fréquente. Il sera « abattu ». Destémoins affirmeront qu’il a été tué. Plutôt que de se dépêcher de faire leurs valises et dedétruire toutes les preuves, parce que Grove aura été démasqué et que toutes les pistes
mènentàleursactivitéscriminelles,BennyetTaroupenserontjustequ’ilsn’ontvraimentpasdebol.
—Çaseraitunevictoiresurtoutelaligne,patron.Maréactiontrèsfroideluiarrachaunegrimace.Ils’accoudaàsonbureau,etunsilence
gêné s’installa pendant une bonne dizaine de secondes. Puis d’un geste à peine esquissé, ilindiqualaporte.
—Merci.Ceseratout.Jehochai latêteetmelevai.Arrivéeàlaporte,cefutplusfortquemoi.Jenepouvais
passortir.Jemeretournai,serrantleplusfortpossiblemondossierdansmonpoing.Thomaslisaitunpapier,unsurligneuràlamain.
—Est-cequetuprendssoindetoi…patron?Thomasblêmit.—Est-cequeje…Jetedemandepardon?—Prendssoindetoi.Tuasl’airfatigué.—Jevaistrèsbien.Ceseratout.Serrantlesdents,jefisunpasverslui.—Parcequesitusouhaitesenparler…Illaissatombersesdeuxmainsàplatsursonbureau.— Je n’ai pas besoin de parler, et quand bien même en aurais-je besoin, tu serais la
dernièrepersonneauprèsdequijem’épancherais.—Jetepriedem’excuser,patron.—Arrête…arrêtedem’appelercommeça,dit-ild’unevoixsourde.—C’estque…j’ail’impressionquet’appelerThomasn’estplusvraimentapproprié.—AgentMaddox,ouMaddoxtoutcourt,c’esttrèsbien.Ilbaissadenouveaulesyeuxsursespapiers.—Maintenant,s’ilteplaît…S’ilteplaît,va-t’en,Lindy.—Pourquoim’avoirfaitvenirsituneveuxpasmevoir?Constanceauraittrèsbienpu
s’occuperdetout.—Parcequedetempsentemps,j’aijustebesoindevoirtonvisage.D’entendretavoix.
Certainsjourssontplusdifficilesqued’autres,pourmoi.Lagorgeserrée, jem’approchaidesonbureau.Jevisqu’ilredoutaitcequej’allaispeut-
êtrefaire.—Ne sois pas comme ça, dis-je. Jen’ai pas enviedeme sentir coupable. J’ai essayé…
c’estexactementcequejenevoulaispas.—Jesais.J’assumetouteresponsabilité.—Cen’estpasmafaute.—Jeviensdeledire,souffla-t-ild’untonépuisé.
—Tun’aseuquecequetuméritais.TuvoulaisquetessentimentspourmoiremplacentceuxquetuéprouvaispourCamille.Tuavaisbesoindequelqu’unàquireprochercequetunepouvaisplusluireprocher.Ellefaitpartiedetafamille,désormais,ettudoisfaireavec,etmoijesuisjusteunecollègue…unefilledonttusavaisquesacarrièrel’emmèneraitloind’icitôtoutard.
Thomassemblaittropépuisépsychologiquementpourdiscuter.—Bonsang,Liis,tupensesréellementquej’aiprévutoutça?Commentfaut-ilquejete
le dise ? Ce que j’ai éprouvé pour toi, ce que j’éprouve encore, rendmes sentiments pourCamillecomplètementdérisoires.
Jepassaimesmainssurmonvisage.—J’ail’impressiondetournerenboucle.—C’estcequetufais,lâcha-t-ilplatement.—Tucroisquec’estfacile,pourmoi?—C’estl’impressionqueçadonne,entoutcas.— Eh bien ça ne l’est pas. Je pensais… Ça n’a plus d’importance, maintenant, mais
pendant ceweek-end, j’espérais pouvoir changer. Jeme suis dit qu’on était deux personnesmal en point, et que si on s’investissait suffisamment, si nos sentiments étaient assez forts,alorsonpourraityarriver.
—Onn’estpasmalenpoint,Liis.Onalesmêmescicatrices,c’esttout.Jeclignailesyeux.Jesentaisleslarmesmonter.—Sion se retrouvait en territoire inconnu, c’est-à-direpratiquementpartoutencequi
meconcerne,onpourraitdéfinirdesvariablesd’ajustement,tuvois?Maisjenepeuxpasjeterpar-dessus lesmoulins tousmes projets d’avenir dans l’espoir qu’un jour, tu cesseras d’êtretriste à cause d’elle. Si je devais te confiermon avenir, j’aurais besoin que de ton côté, tutournesledosaupassé.
D’ungesterapide,jeprislecadreposéàplatsurlebureaudeThomasetleluimissouslenezpourleforceràregarderlaphoto.
Sonregardquittalemienet,lorsqu’ileutdétaillélecliché,unpetitsouriresedessinasurseslèvres.
Furieuse,jeretournailecadre,etrestaibouchebée.C’étaitunephotodeThomasetmoi,uninstantanéennoiretblanc,celuiqueFalynavaitprisdenousdeuxaumariagedeTravisàSaint Thomas. Ilme serrait contre lui enm’embrassant sur la joue, et je souriais comme sil’éterniténousappartenait.
Jeprisl’autrecadre.C’étaitunephotodescinqfrèresMaddox.Letroisièmecontenaitunclichédesesparents.
—Jel’aiaiméeavanttoi,ditThomas.Maistoi…tuesladernièrefemmequej’aimerai.Jerestailàunmoment,muette,avantdemedirigerverslaporte.—Heu…jepeuxrécupérermesphotos?demanda-t-il.
J’avaislaissémondossiersursonbureauetprislestroiscadresàlaplace.Lentement,jerevinsverslui.Iltenditlamainetjelesluirendis.
—Je…jevaislaisserçaàConstance,donc,dis-jeenprenantmondossier.Puisjetournailestalonsetpiquaiendirectiondelasortie.—Liis!lançaThomas.Laportetoutjustefranchie,jejetaiquasimentledossiersurlebureaudeConstance.—Bonnejournée,agentLindy!dit-elled’unevoixquiportaitdanstoutl’openspace.Jemeretranchaidansmonbureau,enfoncéedansmonfauteuil, latêteentrelesmains.
Quelques instants s’écoulèrent, et Val entra en trombe.Marks la suivait, et claqua la portederrièrelui.
Jelesregardai.Valpointaundoigtsurlui.—Arrête!Tunepeuxpascontinueràmecollerauxfessescommeça!Yenamarre!—J’arrêteraiquandtutedéciderasàmedonnerdevraiesréponses!hurla-t-ilenretour.—Maisquesepasse-t-il,aujourd’hui?Toutlebureauapétéuncâble?hurlai-jeàmon
tour.LatêtedeSawyerapparutalorsdansl’entrebâillementdelaporte,enmêmetempsqu’il
toquait.—Patron?Val,Marksetmoirépondîmesàl’unisson.—Dehors!—Ouhlà,c’estbon,jerepasserai,ditSawyeravantdes’éclipser.—Etmaintenant,onfaitquoi?demandaMarks.—S’ilrefusededéménager,jem’enirai,lâchaValcommesionlaforçaitàprononcerces
mots.—Enfin!Merci,monDieu!s’écriaMarksenlevantlesmainsauciel.Enfinuneréponse
sensée!Thomasentradansmonbureau.—C’estquoiceshurlements,bordel?Unenouvellefois,jemeprislatêteentrelesmains.— Tout va bien, Liis ? Qu’est-ce qui se passe, Val ? Elle a un problème ? demanda
Thomas.—Heu…désolé,patron,c’estmoi,ditMarks.Ça…çava,Lindy?— Ça va ! hurlai-je. Si vous pouviez juste aller jouer ailleurs que dans mon bureau,
merde!Ondiraitdesmômesenrécré!Ilssefigèrenttouslestrois,incrédules.—De-hors!
ValetMarkssortirentenpremierpuis,àcontrecœur,Thomasmelaissaseule,fermantlaportederrièrelui.
Lerestedelacinquièmebrigademeregardait.Jegagnailacloisonvitréed’unpasrageuretdressaimesdeuxmajeursà leur intention.Puis je lâchaiquelques injuresbien senties enjaponaiset,enguisedeconclusion,tiraid’uncouplaficellequibaissaitlesstores.
24
Pourlaénièmefois, jerecalaimontéléphoneentremonépauleetmonmenton,afindepouvoircontinueràremuercequejepréparais.
—Attendsuneseconde,Maman.Endernier ressort, je posai le téléphone sur le plan de travail. La voix demamère se
mêladanslacuisineauxeffluvesépicés.—Tusaisquejen’aimepasquandtumetslehaut-parleur.Liis,enlèvelehaut-parleur.—Mais je suis toute seule,Maman.Personned’autrene t’entend.Et j’aibesoindemes
deuxmains.—Bon.Aumoins, tute faisàmanger,et tunetenourrispasdeplatspréparés infects.
Est-cequetuasprisdupoids?—Non,àvraidire,j’enaiplutôtperdu,dis-jeensouriant,mêmesiellenemevoyaitpas.—Pastrop,j’espère!gronda-t-elle.—Maman!T’esjamaiscontente!—Tumemanques, c’est tout.Quandest-ceque tuviensnousvoir?Tunevas toutde
mêmepasattendreNoël?Etqu’est-cequetuteprépares,là?Quelquechosedebon?Jejetailesbrocolisetlescarottesdansl’huiledecolzachaude,etremuai.—Vousaussi,vousmemanquez.Jenesaispas.Toutdépenddemonplanning.Sautéde
pouletauxpetitslégumes.Etsitoutsepassecommeprévu,ceseraexcellent.—Tuaspréparélasauce?Ilfautlapréparerenpremier,tusais,pourqu’ellerespireun
peu,letempsquelesparfumssemêlent.—Oui,Maman.Elleestlà,àcôté,dansunpetitbol.—Tuasajoutédesingrédients?Commejelafaismoi,engénéral,elleestbien.Jerigolai.—Non,Maman.C’esttasauce,jen’airienajouté.—Pourquoitumangesaussitard?—Jesuisàl’heuredelacôteOuest,jeterappelle.—Maisquandmême.Ilest21heurescheztoi.Tunedevraispasdînersitard.
—J’aidelonguesjournées,tusaisbien.—Ilstesurmènent,aubureau,jeparie.—Jemesurmènetouteseule.Maisj’aimebien.Ettulesais.—Tunesorspaslesoirtouteseuleàpied,j’espère?—Si!plaisantai-je.Àpiedetenpetiteculotte!—Liis!morigéna-t-elle.J’éclatai de rire, et celame fit un bien fou. J’avais l’impression de ne plus avoir souri
depuistrèslongtemps.—Liis?demanda-t-elled’untoninquiet.—Jesuislà.—Tun’aspastroplemaldupays?—Vousmemanquez,touslesdeux.EmbrassePapapourmoi.—Patrick?Paaaatrick!Liist’embrasse.J’entendismonpère,quelquepartdanslapièce.—Coucou,monbébé!Tumemanques!Soissage,hein!—Ilacommencélescachetsàl’huiledepoisson,cettesemaine.Çaluidonnedesgaz,dit
mamère.J’imaginailaminerenfrognéedemamèrelorsqu’elledisaitcela,etris.—Jevousembrasse,touslesdeux.Àbientôt!Jeraccrochaidupetitdoigt,etajoutailepouletetlechou.J’allaisverserlespetitspois
et la sauce quand on frappa àma porte. J’attendis, pas sûre d’avoir bien entendu,mais onfrappadenouveau,unpeuplusfort.
—Ohnon.Flûte,maugréai-jeenbaissantlefeuauminimum.Jem’essuyailesmainssuruntorchonetcourusjusqu’àlaporte.Aprèsuncoupd’œildans
lejudas,jeretiraifrénétiquementlachaîneetdéverrouillailaporte.—Thomas?murmurai-je,incapablededissimulermaprofondesurprise.Ilsetenaitlà,entee-shirtetshortdesport.Iln’avaitmêmepasprisletempsdemettre
deschaussures,àenjugerparsespiedsnus.Ilallaitdirequelquechose,puisseravisa.—Qu’est-cequetufaisici?demandai-je.—Çasentboncheztoi,répondit-ilenreniflant.Jemetournaiverslacuisine.—Oui.Sautédepouletetlégumes.Ilyenapourplusieurs,siçatedit.—Tuesseule?demanda-t-ilenregardantpar-dessusmonépaule.J’eusunpetitrire.—Biensûrquejesuisseule.Quiveux-tuquej’invite?Ilmeregardaunlongmoment.—Tuportesmonsweat.
Jebaissailesyeux.—Oh.Tuveuxquejetelerende?—Non.Non,pasdutout.Jenesavaispasquetuleportaisencore,c’esttout.—Jeleporterégulièrement.Ilmeréconforte,souvent.—Je…heu…ilfaudraitquejeteparle.Aubureau,onneparleplusquedetonaccèsde
fureur.— Juste du mien ? Je suis une femme, donc je m’emporte plus facilement, c’est ça ?
Classique,grommelai-je.—Liis, tu as parlé en japonais devant toute la brigade. Tout lemonde est au courant,
maintenant.Jeblêmis.—Ohmerde.Jemesuislaisséemporteret…merde.Jesuisdésolée.—L’AgentSpécialenChefadonnél’ordred’interveniretdefairedisparaîtreGrove.—Parfait.Jecroisailesbras,mesentantvulnérable,soudain.—Maisilsnel’ontpastrouvé.—Quoi?EtSawyer?Jecroyaisquec’étaitleroidelasurveillance.Iln’étaitpaschargé
degarderunœilsurGrove?—Sawyerestsurleterrainencemomentmême,etillecherche.Net’inquiètepas,ille
trouvera.Veux-tu…veux-tuquejeresteavectoi?Je le regardai. Son expressionme suppliait de répondre oui. J’en avais envie, mais je
savais que cela entraînerait des conversations sans fin, qui à leur tour entraîneraientd’interminablesdisputes,etnousétionstouslesdeuxfatiguésdenousbattre.
Jesecouailatête.—Non,merci.Çavaaller.Son regard s’adoucit. Il fit un pas en avant et prit délicatement mon visage entre ses
mains.Ilplongeasonregarddanslemien,etjevisàquelpointilétaittourmenté.—Etmerde,souffla-t-ilensepenchantpoureffleurermeslèvresaveclessiennes.Jelâchaimontorchonetagrippaisontee-shirtpourleretenircontremoi,maisiln’était
pas pressé de s’en aller. Il prit son temps, me goûta, savoura la chaleur de nos bouchesréunies. Ses lèvres étaient sûres d’elles, et pressantes, mais s’entrouvrirent dès que lesmiennes prirent l’initiative. Au moment où je crus qu’il allait s’écarter, il referma ses brasautourdemoi.
Thomas m’embrassa comme s’il en avait eu besoin depuis une éternité, et en mêmetemps, c’était pour me dire adieu. Toute sa frustration, sa tristesse et sa colère étaientcontenuesdanscebaiser,douxetgénéreux.Lorsqu’ilmelâchaenfin,jemepenchaienavantmalgrémoi,pourquecelarecommence.
Ilclignalesyeuxplusieursfois.
—J’aiessayédemeretenir.Pardonne-moi.Etils’enalla.—Non,non,jet’enprie.Cen’estrien…répondis-jesurunpalierdésert.Maporterefermée,jem’yadossai,savourantsurmeslèvreslegoûtdecellesdeThomas.
Sonodeurflottaitautourdemoi.Pourlapremièrefoisdepuismonarrivée,cetappartementnemefaisaitplusl’effetd’unsanctuaireetn’illustraitplusmonindépendance.C’étaitjustelerefletdemasolitude.Dans lacuisine,monsautéde légumesaupouletnesentaitplusaussibon que quelques minutes auparavant. Je me tournai vers la toile de Takato, que Thomasm’avaitaidéeàaccrocheraumur,maismêmelesjeunesfillesdutableaunemeréconfortaientplus.
D’unpaslourd,j’allaiéteindrelefeu,puisattrapaimonsacetmesclés.Ilme semblaque l’ascenseurmettaituneéternitéàdescendre jusqu’au rez-de-chaussée.
Je trépignais, impatiente de sortir. J’avais besoin d’être loin de chez Thomas, loin de cetimmeuble.J’avaisbesoind’êtreassisedevantAnthony,unManhattanà lamain,etd’oublierThomas,Groveettoutcequejem’étaisrefusé.
Je venais de traverser la rue à grands pas quand une main se referma sur mon bras,m’arrêtantdansmonélan.
—Tuvasoù,commeça,bordel?demandaThomas.D’un geste brusque, jeme dégageai et le repoussai. Ce fut à peine s’il bougea,mais je
m’envoulusaussitôt.—Ohpardon!Pardon,pardon,pardon!C’étaitunréflexe,riend’autre.Thomasserenfrogna.—Tunepeuxpassortirseulecommeça,Liis.Pastantqu’onn’aurapasretrouvélatrace
deGrove.Àquelquesmètresdenoussetrouvaituncouple,quiattendaitquelefeupasseauvert.
Endehorsdecesdeuxpersonnes,nousétionsseulsdanslarue.Jepoussaiunsoupirdesoulagement,maisj’avaisencorelecœurbattant.—Tunepeuxpassautersurlesgensenpleinerue,commeça.Tuasdelachancedene
pasavoirfinicommeunjeuneconquiatropbuets’attaqueàplusfortquelui.UnsouriresedessinalentementsurleslèvresdeThomas.—Désolé.J’aientendutaporteclaquer,etj’aieupeurqu’àcausedemoi,tuprennesle
risquedesortir.—Ilsepourraitquecesoitcela,effectivement,dis-je,honteuse.Thomas se caladevantmoi,déjàmalheureuxdedevoirprononcer lesmotsquiallaient
suivre.— Je n’essaie pas de te rendremalheureuse. Je suis déjà pasmal occupé àme rendre
malheureuxtoutseul.Ilmefitdelapeine.
— Je ne veux pas que tu sois malheureux. Mais c’est pourtant le résultat. D’un côtécommedel’autre.
Ilmetenditlamain.—Alorsviens,onrentre.Onpeutenparlertoutelanuitsituveux.Jet’expliqueraitout
autantdefoisquetuledemanderas.Nouspouvonsétablirdesrèglesdebase.Jesaisquej’aiété trop insistant. Je le vois,maintenant.Onpeut repartir surunautre rythme, enprenantnotretemps.Onpeutfairedescompromis.
Jamaisjen’avaisdésiréquelquechoseautantquecequ’ilmeproposait.—Non.—Non?répéta-t-il,anéanti.Pourquoi?J’avaisleslarmesauxyeuxetjebaissailatêtepourqu’ellesroulentsurmesjoues.—Parcequej’enaitellementenvie,etcelamefaittellementpeur…Cette bouffée d’émotion m’avait submergée par surprise, mais elle déclencha quelque
choseenThomas.—Regarde-moi,bébé,murmura-t-ilensoulevantdoucementmonmentonjusqu’àceque
nosregardssecroisent.Séparés,onestmalheureuxcommelespierres.Ensemble,çanepeutpasêtrepire.
—Mais nous sommesdans une impasse. Entre nous, c’est toujours lamêmediscussionquirecommence.Laseulesolution,c’estd’arrêter.
Thomassecoualatête.—Tun’aspascomplètementoubliéCamille,repris-je,pensantàvoixhaute.Etçarisque
deteprendredutemps,maisc’estpossible.Etpuisonn’obtientpasforcémenttoutcequ’onveut,danslavie,non?
—Jen’aipasjusteenviedetoi,Liis.J’aibesoindetoi.Jesuisenmanquepermanent.Iltirasurlescôtésdemonchemisieretpenchasonfrontcontrelemien.Ilsentaitsibon,
unmélangedemuscetdepropre.Et le simplecontactde sesmains surmesvêtementsmedonnaitenviedemefondreenlui.
Jescrutaisonregard,incapablederépondre.— Tu veux que je te dise que j’ai tourné la page ? J’ai tourné la page, dit-il d’un ton
prochedudésespoir.Jesecouailatête.Monregardseperditdanslaruedéserteetsombre.—Jeneveuxpasquetuledises.Jeveuxquecesoitvrai.—Liis,regarde-moi.S’ilteplaît,crois-moi.J’aiaiméavanttoi.Mais jen’ai jamaisaimé
commejet’aime,toi.Jem’abandonnaicontre lui, laissaisesbrasserefermersurmoi.Etm’autorisaià lâcher
prise,àabandonner lecontrôlede la situationaux forcesquinousavaientamenés jusqu’ici.J’avais lechoixentredeuxsolutions.JepouvaisquitterThomaset fairedemonmieuxpoursupporter la douleur quotidienne de son absence. Ou alors, je pouvais prendre un risque
énorme et faire confiance à mes sentiments, sans pouvoir me reposer sur la moindreprévision,lemoindrecalcul,lamoindrecertitude.
Thomasm’aimait.Ilavaitbesoindemoi.Jen’étaispeut-êtrepaslapremièrefemmequ’ilaimait, et peut-être que l’amour, pour unMaddox, était un sentiment qui ne s’effaçait pas,maismoiaussi,j’avaisbesoindelui.Jen’étaispaslapremière,maisjeserailadernière.Celanefaisaitpasdemoiunprixdeconsolation.Celafaisaitdemoisonamouréternel.
Unclaquementsecrésonna,del’autrecôtédelarue.Derrièremoi,deséclatsdebriquevolèrentdanstouslessens.
Jemeretournai.Unpetitnuagedepoussièrerougeretombaitlentement,justeau-dessusdemonépaule.Etilyavaituntroudanslemur.
—Bordeldemerde,c’estquoiça?ditThomas.D’un regard circulaire, il balaya la façade, de l’autre côté de la rue, et s’arrêta sur la
chausséedéserte,entrenotreimmeubleetnous.Grove traversait, le bras tendudevant lui, brandissant son armede service. Thomas se
mitaussitôtdevantmoipourfairebarrièredesoncorps.—Posecettearme,Grove!hurla-t-il.Etjenetetueraipas!Groves’arrêta,àunevingtainedemètres.Iln’yavaitplusqu’unevoituregaréeentrelui
etnous.— Je t’ai vu sortir de chez toi en courant pour rattraper l’agent Lindy. Pieds nus. Ça
m’étonneraitquetuaiespristonarme.Tul’asfourréedanstoncaleçonavantdesortir,peut-être?
Pourunpetitgrosmalfagoté,ilétaitterriblementsûrdelui.Sesmoustachestressaillirent,etilsourit,révélantunedentitionabominable.C’étaitdonc
vrai.Lemalrongeaitlesgensdel’intérieur.—Tum’astrahi,Lindy,ricanaGrove.—C’étaitmoi, dit Thomas en levant lentement les bras. Je l’ai fait venir ici parce que
j’avaisdessoupçonssurtoi.Deuxhommestournèrentaucoindelarueetsefigèrent.—Merde!lâchal’und’euxavantqu’ilsnefassentdemi-tourencourant.Lentement,j’approchailamaindemonsac,meservantducorpsdeThomaspourcacher
mesmouvements.Grovetira,etThomasvacilla.Ilbaissalesyeux,posaunemainsursonaine,àdroite.—Thomas!hurlai-je.Ilpoussaungrognement,maisrefusades’écarter.—Tune t’en sortiraspas, lança-t-il àGrove.Ces typesont forcément appelé lapolice.
Maistupeuxteracheter.Donne-nouslesinfosquetuassurlesyakuzas.Grovenousfixaitd’unregardbrillant,fébrile.—Detoutefaçon,jesuismort.Espèced’idiote,va,dit-ilenmevisant.
JepassailamainentrelebrasdeThomasetsontorseettirai.Grovetombaàgenoux.Uncerclerougeassombritlapochedesachemiseblanche.Ils’effondrasurlecôté,etThomassetournaversmoidansungrognement.
—C’estgrave?demandai-jeentirantsursontee-shirt.Lesangcoulaitabondammentdesablessure,jaillissantàchaquebattementdepouls.—Putaindemerde,lâchaThomassansdesserrerlesdents.Jeglissaimonarmedans l’arrièredemon jean tandisqueThomas retirait son tee-shirt
pourleroulerenbouleetl’appuyersursablessure.— Tu devrais t’allonger. Ça ralentira le saignement, dis-je en composant le numéro
d’urgencesurmontéléphone.Lesdeuxhommesreparurentaucoindelarueet,aprèsavoirvérifiéquec’étaitpossible,
s’approchèrent.—Çava?demandal’und’eux.Onaappelélesflics.Ilsarrivent.Jeraccrochai.—Lessecoursontétéprévenus,dis-jeàThomas.Ilsarrivent.Et commepour confirmermesdires, lespremières sirènes retentirent àquelquespâtés
demaisonsdelà.Jesouris.—Çavaaller,hein?—Yaintérêt,dit-ild’unevoixfatiguée.Jet’aienfinrécupérée,c’estpasunpruneauqui
vatoutfoutreenl’air.—Tenez,ditl’undeshommesenretirantsaveste.Pouréviterl’étatdechoc.Thomasfitunpaspourprendrelaveste.Aumêmeinstant,ducoindel’œil,jevisGrove
pointersonarmedansmadirection.—Merde!hurlal’undestypes.Avantquej’aieeuletempsderéagir,Thomassejetadevantmoipourfaireécran.Nous
étionsfaceàfacelorsqueladétonationretentit.Thomastressaillitunenouvellefois.—Ilestretombé!Jecroisqu’ilestmort,ditl’undeshommesenmontrantGrove.Par-dessusl’épauledeThomas,jelesviss’approcherprudemmentdeGrove,etdonnerun
coupdepieddansl’armequ’ilavaitlâchée.—Ilnerespireplus!Avec un regard stupéfait, Thomas tomba à genoux, puis s’écroula sur le côté. Sa tête
heurtaletrottoiravecunbruitsourd.—Thomas?Thomas!hurlai-je.Leslarmesbrouillèrentmavue.Jepalpaisoncorps.Ilavaitunesecondeblessuredansle
basdudos,àcinqcentimètresdelacolonnevertébrale.Lesangcoulaitdeplusbelle.Thomasmurmuraquelquechose,jemepenchaipourmieuxl’entendre.—Qu’est-cequetudis?—Laballeestressortie?
Jelepoussaienarrièrepourexaminersontorse.Ilavaitdeuxblessuressymétriques,enbasdel’abdomen,àl’ainedroitepourlapremièreballeetàl’ainegauchepourlaseconde.
—Oui,dis-je.Lablessureestpropre,laballeestressortie.Jemetus.Laballeestressortie.Ladouleurexplosadansmonventre.Jebaissai lesyeux.Unetacherougeimbibaitmon
chemisier.LaballeavaittraverséThomaspourfinirsacoursedansmonabdomen.Tirantsurmonchemisier,jevislesangcoulerd’unpetittrouaubasdemonventre,surladroite.
Je voyais flou,mais ce n’était pas à cause des larmes. J’avais déjà perdu beaucoup desang. Jem’affaissai sur le trottoir, à côté deThomas, sans cesser de faire contention sur sablessure,etenplaquantmonautremainsurlamienne.
Il me sembla que les sirènes s’éloignaient. Autour de moi, les immeubles se mirent àtourner,etjetombaisurleventre.
Thomastournalevisageversmoi.Ilétaitlivide,ettrempédesueur.—Liis.Resteavecmoi,bébé.Ilsarrivent.Letrottoirfroidsurmajouemefitdubien.Unsentimentdepesanteurs’emparademoi,
d’épuisementtotal,absolu.—Jet’aime,murmurai-jeaveclesdernièresforcesquimerestaient.Une larme rouladu coindemonœil sur l’arêtedemonnez, et tomba sur notre lit de
bétonpourallersemêlerausangquis’ytrouvaitdéjà.Thomaslâchaletee-shirtet,d’unemainfaible,pritlamienne.—Jet’aime,souffla-t-il,leregardtrouble.Je ne pouvais plus bouger, mais je sentais ses doigts autour des miens. Nos mains
s’enlacèrent.—Tiensbon,dit-il.Liis?Liis!J’auraisvoulu luirépondre,calmersonangoisse,maisplusriennebougeait.Je lisais la
paniquedanssonregardtandisquelavies’éteignait,maisjenepouvaisrienfaire.—Liis!hurla-t-il.Maissoncriétaitténu.Monchampdevisions’étrécit,s’assombrit,etl’obscuritém’engloutittoutentière.Jeme
sentis glisser dans le néant, dans une solitude silencieuse où m’attendaient le repos et lecalme.
Etsoudain,lemondeexplosa–lumièresvives,ordreslancés,sirènesetbruitsdetoutessortes.Surmesmainsetmesbras,despicotements.
Desvoixinconnuesprononçaientmonnom.Jeclignailesyeux.—Thomas?Mavoixétaitétoufféeparunmasqueàoxygène.—Elleareprisconscience!hurlaunefemme,justeau-dessusdemoi.
Le lit de béton, froid sousmon corps, étaitmaintenant unmatelas ferme et chaud. Lapièceétaitblanche,etlalumière,tropvive.
J’entendisdesréponsesévoquantmatension,monpoulsetmonoxygénation,maisrienausujetdemonvoisin,demonpartenaire,del’hommequej’aimais.
Unefemmesepenchasurmoi,masquantlalumière.—Liis?dit-elleensouriant.Vousrevoilàparminous.Meslèvresluttèrentpourarticulercequejevoulaisdire.L’infirmière ramena sur le côté lamèchede cheveux tombéeen traversdemonvisage,
sanscesserdepresserlapompereliéeàmonmasqueàoxygène.Puis,commesielleavaitludansmespensées,ellehochalatête.
— Il est au bloc opératoire. Il va bien. Le chirurgien a dit qu’il s’en sortirait sansproblème.
Jefermailesyeux,laissantleslarmesroulersurmestempes,etjusquedansmesoreilles.—Vosamissontdanslasalled’attente.IlyaVal,CharlieetJoel.Je mis quelques instants à comprendre que Charlie et Joel étaient en fait Sawyer et
Marks.— On les a informés que votre état était stable. Ils pourront venir d’ici un moment.
Essayezdevousreposer.Jevoulusparler,sanssuccès.—Comment?demanda-t-elleenretirantlemasque.— Vous n’appelez pas la famille, n’est-ce pas ? dis-je, étonnée par la faiblesse de ma
proprevoix.—Saufsivousenfaiteslademande.Jesecouailatête.Ellepritunmasquepluslégeretleposasurmonvisage.Unsifflement
venaitdel’intérieur.— Inspirez et soufflez profondément, s’il vous plaît, dit-elle en réglant les machines
autourdemoi.Onvousremonteratoutàl’heure,mais lemédecinveutavoirvosconstantesd’abord.
Jeregardaiautourdemoi,unpeugroggy.Mespaupièressemirentàbattre,presqueauralenti.Jemesentis très lourdeànouveau,etglissaidans lesommeilunmoment,avantdemeréveillerensursaut.
—Hé!ditValenfaisantunbondsursachaise.J’étaisdansuneautrepièce.Celle-ciavaitunpapierpeintàfleurs.—OùestThomas?demandai-je,lagorgeplussèchequ’undésert.Valsouritetfitunpetitmouvementdetêtesurlecôté.Jeregardaidanscettedirection
etvisThomas,quidormaitprofondément.Lesbarrièresdesécuritéavaientétéabaisséesetnoslitsd’hôpitalavaientétéréunis.La
maindeThomasrecouvraitlamienne.
—Iladûfaire jouerunpaquetderelationspourobtenirça,ditVal.Comment tesens-tu?
Jeluisouris,maisvisquel’inquiétudemarquaitsonvisage.—Jenesaispasencore,grimaçai-je.Valattrapal’interrupteuretappuyasurleboutond’appel.—Oui?fitunevoixnasale.Le volume avait été mis si bas que je n’entendais presque rien. Val approcha
l’interrupteurdesaboucheetmurmura:—Elleestréveillée.—Jeprévienssoninfirmière.—Stéphanie ne va pas tarder,me dit Val en posant unemain surmon genou. Elle te
donnerauncalmant.Pour ladouleur.Elleestgéniale,cette fille.Jecroisqu’elleest tombéeamoureusedeThomas.
— Comme tout le personnel féminin, non ? dit Sawyer depuis un coin sombre de lachambre.
—Salut,Charlie,dis-jeenmeredressantunpeu.Marksetluiétaientassisàl’opposél’undel’autre.—Tuesdéjàmorteunefoiscesdernièresvingt-quatreheures,ditSawyerenprenantl’air
mauvais.Nemepoussepasàtetuerunesecondefois.J’eusunpetitrire,puisretinsmonsouffle.—Ouille.Çafaitmal.J’oseàpeineimaginercequeçafaitd’enprendredeux.Thomasne
pourrasansdoutemêmepasbougerquandilseréveillera.Jemetournaiversluietserraisamain.Ilclignalesyeux.—Salut,laBelleauBoisDormant,ditMarks.Thomasregardaaussitôtsursagauche.Sestraitssedétendirentetilsouritenmevoyant.—Salut,toi,murmura-t-ilenportantmamainàseslèvres,avantdereposersatêtesur
l’oreiller.—Salut.—J’aicruteperdre.Jeplissailenez.—Naaaan.Sawyerseleva.—Jevaisyaller,moi.Heureuxdevoirquevousallezbientouslesdeux.Onseverraau
bureau.Ilvintm’embrassersurlescheveuxets’enalla.Valsourit.—Ilapromisdesignerlespapiers.
—Ahbon?m’étonnai-je.Markssegaussa.—Àconditiondegarderl’appartement.JemetournaiversVal.Ellehaussalesépaules.—J’espèrequetuneplaisantaispasquandtum’asditquetucherchaisunecolocataire.— De toute façon, ce n’est que temporaire, reprit Marks. Je ne désespère pas de la
convaincredevenirs’installerchezmoi.—Vatefairefoutre,répliqua-t-elleàsonintention,avantdesetournerversmoi.Cequ’il
fautpour l’instant,c’estquetu teconcentressur tasanté.Jem’occuperaide tout.Çatombeplutôtbien, finalement.Tuvasavoirbesoindequelqu’unpourt’aiderà faire lacuisineet leménage.
MarkssetournaversThomas.—T’ascarrémentpasdebol,mec.—Jepeuxm’installerchezelle,moiaussi?plaisantaThomas.Maisladouleurlefitgrimacer.Ilcherchaunepositionplusconfortable.ValfitunsigneàMarks.—Ilvautmieuxqu’onleslaisse.Ilfautqu’ilssereposent.MarkshochalatêteetposaunemainsurlelitdeThomas.—Allez,accroche-toi.Ons’occupedelaboutiqueenattendant.—Exactementcequejeredoutaisdet’entendredire,réponditThomas.MarksrejoignitVal,etilss’enallèrent,maindanslamain.—EtducôtédeGrove?demandai-jeàThomas.Onadesnouvelles?Ilhochalatête.—Marksm’aditqu’ilss’occupaientdetout,ensuivant leplanoriginal.Uncambriolage
quiamaltourné.—Etlestémoins?—C’estréglé.Bennynes’attendpasunesecondeàcequeTravisfrappeàsaported’ici
peu, et Taroupensera juste qu’il a perdu sa taupe au sein du FBI. L’enquête peut continuercommeprévu.
Thomasfrottasonpoucecontrelemien.Jebaissailesyeuxsurnosmainsenlacées.—J’espèrequeçanetegênepas,dit-il.—Paslemoinsdumonde.—Tusaiscequecelasignifie,n’est-cepas?Jefisnondelatête.—Lesmêmescicatrices.Unlargesourireilluminamonvisage.Thomasportamamainàsa joue,puisembrassamonpoignet.Reposantdoucementnos
mainssurlelit,ils’installa,détendu,demanièreàpouvoirs’endormirenmeregardant.
Thomasavaitbesoindemoi.Ilmerendaitheureuseetfolleàlafois,etilavaitraison:nousn’avionsdesensqu’ensemble.Jerefusaisderuminersurcequipouvaitarriverensuite,d’analyser lesprobabilitésou lesconséquencesd’unerelationdurable,d’essayerdecontrôlercequejeressentais.J’avaisenfinrencontrél’amourpourlequelonprendlerisqued’avoir lecœurbrisé.
Ilavaitfalluquenousnoustrouvionspourenfincomprendrequel’amournesecontrôlaitpas. Prévoir, supposer, décréter quoi que ce soit en lamatière, c’était se bercer d’illusions.Mon amour pour lui était imprévisible, incontrôlable, et irrépressible, mais… c’était del’amour.Etc’étaitmaréalité,désormais.
Épilogue
Desannéesavaientpassédepuisque l’ameublementdemonappartement se résumaitàdescartonsàdemidéballés,maislapenséedecechaosorganisémefaisaitencoresourire.Demonpremier chez-moi à SanDiego, et demesdébuts unpeudifficiles là-bas, je gardais debons souvenirs, qui m’avaient aidée à surmonter le stress de ma formation d’analyste durenseignementauCentreNationald’AnalysedelaCriminalité,àQuantico.
Àpeinesixmoisplustôt,j’avaisposémacandidatureaupostedemesrêves.Troismoisplus tard, j’avaisétémutée.Et là,enrobedechambreetgrosseschaussettes, jedéballai lesrobes légères que j’aurais portées si j’avais encore habité en Californie. Au lieu de quoi, jedevaismepromettredenepasmonter–encoreunefois–lethermostat,etjenem’éloignaispasdufeudecheminéequiréchauffaitmachambre.
Jedéfislaceinturedemarobedechambreetsoulevailebasdemonsweat-shirtgrisduFBI pour passer la main sur la cicatrice circulaire, sur mon ventre. Cette blessure merappelleraitàjamaisThomas.Ellem’aidaitàfairecommes’ilétaittoutprèsquandilnel’étaitpas.Noscicatricesjumellesnousdonnaientlesentimentd’êtretoujourssouslesmêmescieux.
Dehors,unbruitdemoteurs’approchaetremontal’allée.Lefaisceaudespharesbalayalapièceavantdes’éteindre.Jepassaidanslesalonetjetaiunœilparlafenêtre.
Lequartierétaitcalme.Iln’yavaitpasdecirculation,endehorsduvéhiculegarédevantcheznous,etpresque toutes les fenêtresdesmaisonsalentourétaientéteintes. J’adoraismanouvellemaisonetmonnouveauquartier.Ilyavaitbeaucoupdejeunescouplesavecenfants,etmêmesilessollicitationspourventesdegâteauxmaisonetautresfêtesdufromageétaientnombreuses,jem’ysentaisvraimentchezmoi.
Une silhouette descendit de la voiture et prit un sac dans le coffre. Les phares serallumèrent, la voiture recula et repartit.D’unpas lourd, la silhouette franchit les quelquesmètresquilaséparaientdelavéranda,engravitlesmarches.Iln’étaitpascenséêtrelàsitôt.Jen’étaispasprête.
Ilhésitauninstant,surleseuil.Jedéverrouillailaporteetl’ouvris.—C’estterminé?—C’estterminé,réponditThomas,visiblementépuisé.Ilentraetmepritdanssesbras.Sansdireunmot.Presqueàboutdesouffle.Depuismamutation,nousavionsvécuauxantipodesl’undel’autre,luisurlacôteOuest,
moisurlacôteEst,etjem’étaishabituéeàcequ’ilmemanque.Maislorsqu’ilétaitpartiavecTravis, quelques heures à peine après avoir accusé réception du reste de ses affaires àQuantico, j’étais morte d’inquiétude. Cette mission n’était pas seulement dangereuse. Avecl’aidedeTravis,ilavaitmisuntermeauxactivitésdeBennyCarlisi.LecrimeorganiséàLasVegasallaitavoirdumalàs’enremettre.
Etàencroire l’expressionsur levisagedeThomas, leschosesnes’étaientpas faitesendouceur.
—Tuasétédébriefé?demandai-je.Ilréponditd’unhochementdetêteaffirmatif.—MaisTravisarefusé.Ilestrentréchezluidirectement.Jesuisinquietpourlui.—C’estleuranniversairedemariage,àAbbyetlui.Tul’appellerasdemain.Maisilfaut
quecesoitfait.Thomasselaissatombersurlecanapé,lescoudessurlesgenoux,têtebasse.—Çan’étaitpascensétournerdecettefaçon.Ilétaittoujoursàboutdesouffle.—Tuveuxqu’onenparle?—Non.J’attendis.Ildisaittoujourscelaavantdeselancerdanslerécitd’unemission.—Travisaétédémasqué.Bennyetseshommesl’ontenlevé.J’aipaniqué,maisSawyera
retrouvéleurtrace.EtonadûlesécoutertabasserTravispendantunebonneheure.—MonDieu…,soupirai-jeenposantunemainsursonépaule.—Etilaréussiàleurfairecracherunpaquetd’infos,dit-ilavecunrirequin’avaitrien
degai.Bennys’est lancédansungranddiscourset luiabalancédestrucsincroyables,parcequ’ilétaitcertainqueTravisallaitmourir.
—Et?— Ce connard a menacé Abby. Il s’est mis à décrire en détail le traitement qu’il
envisageaitdeluiinfligeraprèslamortdeTravis.—DoncBennyestmort.C’étaitplusuneconclusionqu’unequestion.—Oui,soupiraThomas.—Desannéesdeboulot,etBennyneverramêmepas l’intérieurd’unesalled’audience
autribunal.Thomass’assombritunpeuplusencore.
—Travisaditqu’ilétaitdésolé.Maisleboulotn’estpasterminé.MickAbernathyadescontactsauprèsdepleind’autresmafieuxendehorsdeBenny.Onpeut reprendre l’affaireàpartirdelui.
JepassaidélicatementlesdoigtsdanslescheveuxdeThomas.Ilignoraitqu’Abbyetmoiavions un secret. Elle avait décidé de donner au FBI tout ce qu’elle avait sur son père enéchanged’unpostemoinsexposépoursonmari.Ilétaitconvenuqu’elleconfieraitledossieràTravis le jour de leur anniversaire demariage, et qu’il ferait suivre le tout à Val, qui avaitremplacéThomasàSanDiego.
—Jet’avaispromisquetoutseraitdéballéquandturentrerais,dis-je.Jem’enveux.—Cen’estpasgrave.J’avaisenviedet’aider,dit-il.Ilavaitl’espritailleurs.—Je suisdésolé que tun’aiespaspu être là, reprit-il.C’était autant tamissionque la
mienne.Relevant la tête, ilposaunemainsurmonventrerond– lesecondévénement imprévu
quinousarrivait.—Maisj’étaissoulagéquetun’ysoispas,conclut-il.Jesouris.—Jenevoisplusmacicatrice.Ilselevaetmepritdanssesbras.—Maintenant que je suis enfin arrivé, tu vas pouvoir regarder lamienne pendant les
onzesemainesàvenir–àquelquesjoursprès.Jusqu’àcequetupuissesretrouverlatienne.Maindanslamain,noustraversâmeslesalonpourallerdansnotrechambre.Assissurle
lit, nous regardâmes les flammesdanser et projeter des ombres sur les piles de cartons quicontenaientlesphotos,lescadresettouslessouvenirsdenotrevieàdeux.
— C’est à se demander si un jour on arrivera à être efficaces en matière dedéménagement,ditThomasenconsidérantlescartonsd’unairsombre.
—Tun’aimespaslesdéfaire,c’esttout.—Maispersonnen’aimeouvrir lescartonset lesvider.Mêmequandonestheureuxde
déménager.—Es-tuheureuxdedéménager?demandai-je.—Jesuisheureuxquetuaiesdécrochéceposte.Tuytravaillesdepuislongtemps.Jehaussaiunsourcil.—Tudoutaisquej’yarriveunjour?—Pasuneseuleseconde.Maisjen’étaispassûrd’avoirleposted’AgentSpécialenChef
AdjointàWashington.Jecommençaisàredouterquetoutnesoitpasrégléavantl’arrivéedubébé,ettun’avaispasprécisémentl’airpressédemevoirdébarquer.
Jefisunepetitegrimace.—Tonheuredetrajetpourallertravaillernemeréjouitpasvraiment.
Ilhaussalesépaules.—C’esttoutdemêmemieuxquedetraversertoutlepays.Ettun’aspasrépondusurton
manqued’impatiencedevoirlepèredetonenfantdanslesparages.—Cen’estpasparceque j’apprendsà intégrerquelquesvariablesque j’ai renoncéàun
pland’ensemble.Ilmeregarda,surpris.— Et c’était ça, ton plan ? Que je devienne fou tellement tu m’as manqué, ces trois
derniersmois ?Que jepassedesnuits enavionpourpouvoir être ici à chaque rendez-vouschezlegynéco?Quejeredouted’apprendreunemauvaisenouvelleàchaquecoupdefil?
—Tuesicimaintenant,ettoutvabien.Ils’assombrit.—Jesavaisquetuseraiscandidatepourceposte.Jemesuispréparéàcechangement.
Mais rienn’auraitpumepréparerà ceque tum’annoncesquatre semainesplus tardque tuétais enceinte. As-tu seulement idée de ce que ça a été pourmoi de voir celle que j’aime,enceinte,partirs’installer–seule–àl’autreboutdupays?Tun’asmêmepaspristoutestesaffaires.J’étaisterrifié.
J’eusunpetitrire.—Pourquoinem’as-tupasdittoutcelaavant?—Parcequej’essayaisdetesoutenirdansteschoix.— Et tout s’est déroulé exactement comme je l’avais escompté, dis-je avec un sourire,
profondément satisfaite de prononcer cette phrase. J’ai obtenu le poste que je voulais, etemporté juste de quoi tenir quelques mois. Tu as obtenu le poste que tu voulais, etmaintenant,toutesnosaffairessontlà,nouspouvonslesdéballerensemble.
—Jesuggèrequandmême,quandils’agitdenotrefamille,quetumeconsultesavantdeprendredesdécisions.
— Quand on essaie de faire des projets ensemble, rien ne se passe comme prévu,taquinai-jeenluidonnantunpetitcoupdecoude.
Ilpassasonbrasautourdemesépaulesetmeserracontrelui,posantsamainlibresurmonventre.Nousrestâmesainsiunlongmoment,àregarderlefeu,goûtantlatranquillitédenotrenouvellemaison,etsavourantlafind’uneaffairesurlaquellenousavionstravaillétouslesdeuxpendantprèsd’unedécennie.
— Tu n’as pas compris, depuis le temps ? dit Thomas en posant ses lèvres sur mescheveux.C’est toujoursdans l’imprévuque surviennent lesmoments lesplusmerveilleuxdenotreexistence.
Remerciements
Merci, Kristy Weiberg, non seulement tu m’encourages avec énergie, mais tu m’asprésentéAmyThomure,dontlemari,AndrewThomure,estunagentduFBI.
Andrew,j’apprécietapatiencequandturépondsàdesquestionssansdoutetrèsbizarressansjamaismelefaireremarquer.Mercipourtonaide!
Commetoujours,merciàmonformidablemari,Jeff.Impossibledefairelalistedetouteslestâchesquetueffectuesauquotidienpourfairetourner lamaisonnée,déposer lesenfantsoùilssontattendus–etàl’heure!–etsurtoutpourtonrôleencoulisses.Tuesmonsauveur,etsanstoi,jen’yarriveraispas.
Merciàmesenfants,compréhensifsdevantmonemploidutemps«décalé»,etpourleurclémencequandMamanrépondpourlacentièmefois:«Jenepeuxpas,jetravaille.»
MerciàAutumnHulldechezWordsmithPublicity,àJovanaShirley,dechezUnforeseenEditing,àSarahHansendechezOkayCreations,etàDeannaPyles.Vousêtesdesmembresprécieuxdansmonéquipe,etj’apprécievosefforts,quim’ontaidéeàterminerceroman.
TeresaMummert,AbbiGlines,ColleenHoover,grâceàcesauteurs,jemelance,jefaislafête, jesuisoriginaleet jeposedesquestionsidiotes.Vousêtesmonportd’attache, jeseraisperduesansvoussurcetteterre.
MerciàSelenaLee,AmandaMedlocketKelliSmith,quim’encouragentetmefontrire.Kelli,mercidem’avoirlaisséeemprunterleprénomdetonmari!J’aihâtequ’onseretrouvetoutes.Entacompagnie(etcelledeDeanna), j’aipassécertainesdesmeilleures journéesdemonexistence.
ÉNORMEmerciàEllie,dechezLoveN.Books,etàMeganDavisdechezThat’sWhatShe
Said, deux blogs littéraires. Sans leur aide ces deux derniers mois, je n’aurais pas pu meconcentrer sur l’écriture de la fin de ce roman.Merci d’avoir fait le plus gros du travail auSalon du Livre de Las Vegas, pour la promotion de Beautiful Wedding, et merci d’avoirproposévotreaidesansjamaishésiter!
Merci, enfin et surtout, àDanielle Lagasse, Jessica Landers,Kelli Spears et à toutes lesfillesformidablesduMacPackquimesoutiennentsansrelâcheetparlentdemeslivrespartoutoùellesvont!