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Nous poursuivons notre présenta-
tion des principales figures des grands
groupes de réseaux avec un ingénie-
riste : Bechtel. À ce choix plusieurs rai-
sons.
Dans le mouvement d'internationali-
sation de l'économie des réseaux les
ingénieristes en général constituent de
puissantes forces d'intégration. Ce sont
des entreprises « nomades » qui se
déplacent de projets en projets et qui
diffusent les solutions techniques et ins-
titutionnelles, les manières de penser.
Certes on conviendra bien d'une diffé-
rence de nature entre les consultants
financiers (les securities firms) et les très
grands ingénieristes aussi appelés
heavy contractors mais tous participent
de ce mouvement d'homogénéisation.
Dans cette grande famille les groupes
d'ingénierie indépendante occupent
une position originale, emblématique
d'une certaine conception et organisa-
tion des marchés urbains.
Si on les qualifie « d'indépendants »
c'est parce qu'ils ne sont pas intégrés à
un groupe industriel ou à un grand opé-
rateur ; ils ont su échapper au mouve-
ment qui, au fil des ans, a conduit une
partie des ingénieristes à être absorbés
par des industriels, des exploitants de
réseaux ou même des firmes de
construction. Les plus grands n'en réa-
lisent pas moins des chiffres d'affaires
de plus de 10 milliards de dollars qui les
situent autour du 200ème rang des
entreprises mondiales (1) et très nom-
breux sont ceux qui réalisent plus du
milliard de dollars. Il s'agit d'ordre de
grandeurs considérables pour des
acteurs qui ne construisent pas d'équi-
pements et qui font avant tout de la
vente de prestation de service avec,
pour les plus grandes, de la construc-
tion (2).
Cette indépendance leur confère
une place particulière comme conseil
auprès des décideurs et des maîtres
d'ouvrage. Ils définissent les problèmes,
élaborent les solutions techniques,
organisent la sélection des fournisseurs
ou de l'opérateur et suivent les chan-
tiers. Ce type d'organisation des mar-
chés repose sur trois niveaux : un déci-
deur public ou privé qui confie un projet
à un ingénieriste qui en fait l'analyse et,
au stade de la réalisation, le découpe en
lots et en achats de prestations sur le
marché. Depuis peu cette fonction de
maîtrise d'œuvre a parfois été étendue à
de la maintenance d'équipement, pre-
mière étape sur le chemin de l'exploita-
tion. Même si ces ingénieristes ne sont
pas les plus grands en taille, même s'ils
ne bénéficient pas de monopoles
contractuels, leur place originale dans le
circuit décisionnel leur donne une gran-
de influence.
Dans un panorama mondial on relè-
vera que ces firmes sont principalement
américaines et anglaises, quelques
unes sont néerlandaises. Sans doute
parce que dans ces pays les décideurs
ont opté depuis longtemps pour des
architectures de mise en compétition
fort différentes de celle de la grande
entreprise intégrée telle que nous la
connaissons en France, en Allemagne
et au Japon. De sorte que s'intéresser
aux ingénieristes indépendants est
aussi une manière de mieux com-
prendre le modèle anglo-américain.
Tout se tient, les configurations institu-
tionnelles comme les structures d'offre
des entreprises. Les premières confor-
tent certaines familles plutôt que
d'autres ; les secondes pèsent pour
que le système évolue dans un sens qui
leur soit favorable.
L'ingénierie américaine constitue un
ensemble industriel très puissant et
organisé autour d'une dizaine de firmes
historiques dont l'origine remonte au
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
72
Bechtel
PORTRAIT D'ENTREPRISE
Dominique Lorrain
début du siècle avec la construction des
grandes infrastructures : chemins de fer,
canaux, barrages. Elles ont poursuivi
leur développement après la seconde
guerre mondiale avec les centrales ther-
miques, les aéroports et, en participant
à la construction de grandes unités
industrielles, dans la chimie et le pétro-
le. Les plus grandes - Kellogg Brown &
Root, ou Foster Wheeler - font de la
conception et de la fabrication. Une
Portrait d’entreprise
73
Classement des grands ingénieristes américains
Rang 1980-85 (5) Total contrats International Rang 1990 (6) Total contrats International
% %
1. Bechtel (San Francisco) 9,336 65% 3 12,003 26%
2. Kellogg Rust (7) (Texas) 8,481 61% 2 12,903 77%
3. Parsons (8) (N.Y., Pasadena) 7,860 59% 4 11,700 30%
4. Brown & Root 5,846 28%
5. Fluor (Irvine, Cal.) 5,509 55% 1 18,057 26%
6. Morrison Knudsen (Idaho) 3,858 36% 14 3,906 17%
7. Lummus Crest (9) (N.J.) 3,612 66% 7 6,060 70%
8. Foster Wheeler (N.J.) 3,356 72% 12 4,233 63%
9. Ebasco (N.Y.) (10) 2,788 9% 13 4,210 1%
10. Raymond 2,557 38%
11. C.F. Braun 2,204 90%
12. Turner (N.Y.) 2,104 8% 15 3,352 1%
13. Guy F. Atkinson 2,025 50%
14. Stone & Webster (Mass.) 1,843 34% 10 4,737 26%
15. Dravo 1,834 30%
16. Jacobs Engineering (Cal.) 1,544 26% 8 5,157 10%
(5) D'après Strassmann et Wells. The Global Construction Industry, London, Unwin Hyman, 1988, p29.(6) Strassmann, in Campagnac (dir.), op. cité, p69.(7) Kellogg et Rust ont fusionné en 1981 et se sont séparés en 1985.Kellogg a fusionné avec Brown & Root (groupe Halliburton);Rust a été absorbé par Wheelabrator, filiale du groupe de déchets Waste Management.(8) Sous le nom Parsons, on trouve deux groupes, celui de Pasadena et Parsons Brinckerhoff basé à New York.(9) Désormais appelé ABB Lummus, après acquisition par le groupe Suédois.(10) Fait partie du groupe Raytheon, ténor de l'aéronautique et des industries de défense mais diversifié dans l'énergie(Ebasco) et la construction d'usines chimiques (Badger, Boston). Raytheon Engineers & Constructors regroupe désor-mais Ebasco, Badger et United Engineers & Constructors.
firme comme Bechtel se positionne plus
du côté de la conception, enfin cer-
taines comme Stone & Webster ne font
que de l'ingénierie. Ces différences
expliquent largement les tailles (voir
tableau). Ces firmes portent haut et fort
le drapeau américain aux quatre coins
de la planète. Selon les classements de
la revue spécialisée Engineering News
Record (ENR) parmi les 200 premières
firmes d'ingénierie mondiales (3) 80 sont
américaines et 9 parmi les 20 pre-
mières. Sur le seul marché américain les
20 premières firmes ont obtenu 61 %
des contrats et plus d'un quart revient
aux 4 majors (4). Si l'on en croit les tra-
vaux de Strassmann, ces très grandes
entreprises ont trois caractéristiques.
Elles développent une forte activité à
l'international. Elles ont une forte spé-
cialisation dans des installations indus-
trielles (chimie, pétrole), et donc pour ce
qui nous intéresse, les infrastructures
urbaines représentent plutôt une activité
de diversification. Elles opèrent princi-
palement sous deux types de contrats :
design & build et construction manage-
ment. Pour le moment leur incursion
dans les contrats d'exploitation reste
limitée.
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Bechtel représente l'une des grands
figures de l'ingénierie américaine et
mondiale. L'histoire commence en 1898
lorsque le jeune Warren A. Bechtel, âgé
de 26 ans, loue ses services et son atte-
lage de mules à la Rock Island & Pacific
Railroad Company qui étend ses lignes
vers l'ouest à travers les territoires
indiens. Puis vers 1903 il travaille pour
Stone une firme de construction califor-
nienne déjà réputée. Il réalise ensuite
quelques travaux d'irrigation dans cet
État. Mais la véritable fondation de la
firme remonte à 1907, année du trem-
blement de terre de San Francisco.
Warren Bechtel achète une pelle à
vapeur, considère qu'il est désormais en
société et applique un panneau « W.A.
Bechtel Co » (11).
Depuis cette date la firme a accom-
pagné tous les grands défis industriels
des États-Unis, tant la construction du
Boulder « Dam » que l'effort militaire
pendant la seconde guerre mondiale en
participant à la construction des fameux
« Liberty Ship ». Elle s'est développée
en construisant des grandes infrastruc-
tures industrielles aux États-Unis et
dans le monde entier : des chemins de
fer, des routes et autoroutes, des cen-
trales électriques classiques ou
nucléaires, des raffineries de pétrole ou
des pipelines, des usines pétrochi-
miques.
Par rapport aux entreprises qui
interviennent dans l'économie des
réseaux elle présente deux caractéris-
tiques. Premièrement, aujourd'hui enco-
re cette entreprise reste familiale. Elle
n'est pas cotée en bourse et demeure
toujours la propriété de la famille
Bechtel qui la dirige depuis quatre géné-
rations. Riley Bechtel a succédé à son
père Stephen D. Bechtel Jr. Deuxième-
ment, Bechtel reste avant tout une
entreprise de services qui conçoit et
réalise (design & build) mais qui ne pos-
sède ni usine, ni ligne de montage et qui
n'a donc pas d'investissements lourds
en capital. C'est une société qui a pour
actif la valeur de ses collaborateurs et
ses procédures de travail.
On ne peut pas examiner ce groupe
sans évoquer le réseau étroit de rela-
tions d'affaires et d'amitié qui unit
Bechtel aux plus grands dirigeants et
responsables politiques américains et
ce depuis les origines. En simplifiant,
trois cercles peuvent être décrits (12) :
Le cercle politique. Le groupe a tou-
jours eu de solides appuis au plus haut
niveau de l'administration américaine,
mais il a atteint le sommet de son
influence avec l'élection de Ronald
Reagan, en 1980 ; plusieurs hauts diri-
geants du groupe sont alors entrés
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
74
Bechtel - États-Unis
Entreprise familiale créée en 1907, dirigée par la quatrièmegénération de Bechtel, non cotéeChiffre d'affaires 1998 $11,30 billions
Secteurs d'origine DiversificationGrands équipements industriels transports urbains& pétrochimie déchets toxiquesÉnergie eaux uséesGrandes infrastructures aménagement urbainde transport (autoroutes, tunnels) télécommunications
Chiffre d'affaires maximum1984 $14.1 billions ;1990 $5.63 billions ;1992 $7.8 billions,1994 $7,34 billionsEffectifs au début : 1984 44 000 ;22 000 en 1986 ; 29 000 en 1994 et 31 000 en 1998.
Partenaires dans les infrastructures.United Utilities (GB), Sembawang (Singapour), Citic (Chine), Shell.
dans son administration : Caspar Wein-
berger (Pentagon), Edwin Meese
(Attorney General), George Shultz
(secrétaire d’État).
Les grands clients, partenaires de
longue date. On décrit là tout l'esta-
blishment financier du pays. Bechtel a
été associé à General Electric pour
construire une grande partie des cen-
trales nucléaires (l'autre concurrent était
Westinghouse). Il a réalisé une grande
partie des chemins de fer de Southern
Pacific Railroad, a construit la majorité
des hôtels de la Pan-Am. Bechtel est
intervenu pour Atlantic Richfield et
Union Oil au Canada et a réalisé de
nombreuses centrales électriques pour
Pacific Gas & Electric et pour
Southern California Edison.
Le cercle des anciens partenaires
ingénieristes. Quatre noms reviennent
en permanence dans l'histoire du grou-
pe, des années vingt à l'après-guerre. i)
Kaiser Entreprises avec qui Warren
Bechtel s'était associé en 1921, lorsque
ses fils étaient trop jeunes pour l'épau-
ler. Leur association lancera le groupe. ii)
MacCone, avant la seconde guerre ils
ont travaillé ensemble sur de nombreux
projets ; ils ont participé à l'effort de
guerre en produisant une flotte dans
des arsenaux privés (Calship). Plus tard
John MacCone sera nommé président
de la Commission pour l’Énergie
Atomique (AEC).iii) Le groupe est aussi
souvent associé avant la guerre à
Parsons sous le nom Bechtel-
MacCone-Parsons ; leur séparation, en
1944, donnera alors naissance à l'entre-
prise de Pasadena (California), Parsons
Corp. iv) Bechtel a été associé longue-
ment avec Morrison Knudsen (Boise,
Idaho) dans un consortium dénommé
Six Companies, créé pour le barrage de
Boulder en 1931, où l'on retrouve
Kaiser et MacCone ; ce grand équipe-
ment de l'ouest va leur apporter la
renommée et des commandes ; les six
vont maintenir leur association pendant
quelques années.
Bechtel, Parsons font encore partie
des grands de l'ingénierie américaine et
mondiale. IFC Kaiser se situe au niveau
du cinquantième rang selon les classe-
ments de Engineering News Record.
Morrison Knudsen semblait tenir la dis-
tance mais en 1995 les pertes très
sérieuses de son département transport
l'ont conduit à deux doigts de la procé-
dure de mise en faillite.
Dans une histoire contemporaine,
1985 représente un moment d'inflexion
de la politique du groupe. Cette année
là il traverse de sérieuses difficultés.
Viennent se combiner le ralentissement
de la demande pétrolière qui conduit à
un arrêt de certains projets dans les
pays producteurs de pétrole, la remise
en cause du programme nucléaire amé-
ricain (une centrale dans l'Ohio et une
autre dans le Michigan sont annulées) et
une concurrence plus vive sur le marché
de l'ingénierie lourde. Les grands améri-
cains voient leur position soumise à la
concurrence des japonais et de
quelques européens. Le chiffre d'af-
faires s'effondre. On passe du record de
1984, 14,1 milliards de dollars, à 8,2 en
1985 et à 6,5 l'année suivante (voir
encadré). La moitié des salariés du
groupe sont licenciés; l'effectif passe de
44 000 à 22 000 en 1986. Cette crise
va conduire le groupe à s'intéresser à
de nouveaux marchés, plus petits et
plus urbains : centrales électriques à
partir de l'incinération des déchets,
usine de traitement des eaux usées.
Tout en gardant ses anciens mar-
chés (en 1991 contrat au Koweït pour
remettre en état la production de pétro-
le après la guerre du golfe, 16 000
hommes furent à certains moments
employés par le groupe sur ce projet ;
en 1993 un contrat gazier de $1,3bn à
Abu Dhabi en association avec
Technip ; cette même année participa-
tion à un contrat évalué à $20bn pour
développer les ressources pétrolières
du Kazakhstan ; contrat pour moderni-
ser deux fonderies d'aluminium en
Russie ; plus récemment extension du
réseau de transport du gaz naturel en
Californie), le groupe se diversifie dans
les années quatre-vingt dix dans les
transports, la dépollution, l'énergie et
divers réseaux techniques.
Les transports
— Consultant pour les extensions du
port de Hong Kong et du nouvel aéro-
port,
— Segment de 275 kilomètres pour
l'autoroute Trans-Turquie,
— Ingénierie du tunnel sous la Manche,
— Ingénierie du métro d'Athènes,
— Base de lancement de satellites pour
l'armée en Californie,
— Aéroports Internationaux de Miami et
de Las Vegas,
— En association avec Parsons, le
groupe a été choisi par l'État du
Portrait d’entreprise
75
Massachussets pour superviser la
conception et la construction d'une
nouvelle autoroute à Boston en rempla-
cement de l'ancienne « freeway »,
métallique et surélevée qui coupe le
centre en deux. C'est un projet financiè-
rement important ($6,4 billions pour le
seul tunnel reliant le centre à Logan
Airport) et hautement symbolique d'une
possible restructuration urbaine conci-
liant l'automobile et la ville.
— En juillet 1998, associé avec Adtranz
(ABB, Daimler Benz) et Parsons
Brinkerhoff, Bechtel remporte l'appel
d'offre pour un métro léger à Camden
dans le New Jersey, devant quatre
concurrents. Il s'agit du premier BOT
monté pour ce type d'infrastructure aux
États-Unis.
— En septembre de cette même année
le groupe est introduit dans le pilotage
de l'extension de la Jubilee Line pour le
métro de Londres. Il se positionne ainsi
sur le marché de la privatisation du
métro et des chemins de fer britannique
dont les premières franchises vont être
renouvelées à partir de 2003.
L'environnement
et la dépollution
— En complément de ses activités
d'origine - l'industrie pétrolière- Bechtel
s'associe avec des entreprises mexi-
caines pour aborder le marché de la
dépollution de sites industriels dans ce
pays.
— Après avoir été le principal construc-
teur de centrales nucléaires, Bechtel
participe activement au programme de
dépollution, « Super Fund ». Il obtient du
Ministère de l’Énergie - DoE -, à la fin de
l'administration Reagan, le contrat de
gestion du programme de dépollution
des centrales nucléaires. Il intervient sur
plusieurs sites. En juin 1999, le DoE
choisit le consortium piloté par Bechtel
pour gérer un centre de l'Idaho. Dans
cette mission la firme remplace le titulai-
re du contrat passé, Lockheed Martin et
bat son concurrent Morrison Knudsen.
— Le groupe intervient aussi dans le
programme CLEAN de dépollution pour
la Navy. Un autre contrat a déjà été
passé avec Jacobs Engineering Group.
Les autres concurrents étaient Fluor
Daniel, Parsons Environmental Services
et Montgomery Watson.
— Le groupe intervient avec divers par-
tenaires pour dépolluer plusieurs sites
militaires, gérés cette fois par le DoD, où
se trouvaient des armes nucléaires ou
chimiques : sous contractant de Martin
Marietta Energy Systems à Oak Ridge
fin 1993 ; fin 1995 associé à Lockheed
sur le site de test du Nevada. Ces pro-
grammes le conduisent à s'intéresser
aux techniques d'incinération pour éli-
miner un stock de 31 400 tonnes d'an-
ciennes armes chimiques.
La compétition est rude entre les
majors de l'ingénierie pour ces gros
contrats publics. En octobre 1993, le
groupe Parsons conteste devant le
General Accounting Office - GAO -, le
choix de l'offre associant Bechtel à
CH2M Hill pour un programme de $800
millions de reconversion d'un site
d'armes nucléaires. Le GAO demande-
ra au DoE de réévaluer précisément les
deux offres.
L'énergie
Après avoir été actives dans la politique
énergétique américaine que ce soit par
son volet gaz et pétrole ou par les cen-
trales électriques, les équipes de
Bechtel suivent les transformations de
ce marché en faveur de producteurs
indépendants.
— Au début des années 90 le groupe
participe à l'exploitation de plusieurs
centrales thermiques, mentionnons en
Arabie Saoudite celle de Shoaiba II.
— En 1997, il s'associe au pétrolier
Shell pour créer InterGen, une filiale
pour la production d'électricité. Deux
ans plus tard, cette société remportait
en Australie son 9ème projet (840 MW
dans le Queensland) portant sa puis-
sance installée cumulée à 5200MW. Elle
avait aussi des contrats de services
pour des centrales représentant une
puissance installées de 6765 MW.
InterGen intervient en Grande-Bretagne,
en Australie, aux Philippines, en
Colombie, au Brésil, au Mexique, en
Égypte et en Turquie.
Réseaux urbains et
infrastructures urbaines
La première activité urbaine de Bechtel
reste la conception réalisation de
grands ensembles urbains comme ce
fut le cas pour l'Université de Ryad. Le
groupe reste actif sur ce segment. En
1993, est créé Bechtel Construction
International.
— Design du parc EuroDisney,
— En 1992, le groupe obtient un contrat
de gestion pour la réalisation d'un
immeuble de 30 étages à Tokyo.
— Il intervient sur le projet énorme de
Jubail, une ville nouvelle industrielle de
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
76
750 km2 en Arabie Saoudite.
Plus récemment Bechtel s'intéresse
au marché de l'environnement urbain.
La filiale anglaise, Bechtel Ltd. créée
en 1952, ouvre en 1991 un départe-
ment pour le marché européen. Elle
compte à son actif une usine de traite-
ment des eaux, la gestion de sites pour
déchets toxiques et des études de pol-
lution de l'air. Sur ce marché le change-
ment est venu d'une alliance straté-
gique avec United Utilities.
— Ils interviennent ensemble à Manille,
à Manchester (le territoire sous mono-
pole de United Utilities). Bechtel Water
participe au programme d'émissaire
autour de l'agglomération, the
Manchester Ring Main - MRM pour les
spécialistes - et développe des outils de
télémétrie et de calcul pour gérer un
réseau capable d'acheminer 410 000
m3/j.
— Sur le marché américain leur filiale
commune US Water a remporté
quelques contrats de gestion de
réseaux d'eau : reprise de Camden
Water (N.J.), de Reidsville (NCa) et de
Easton (Pa)
Enfin le groupe s'intéresse aux télé-
communications et aux NTIC.
— Il passe un accord général avec
AT&T (1995)
— Il a une joint venture avec Cellnet
Data Systems - BCN Data Systems -
qui gère des communications hert-
ziennes en dehors des États-Unis.
— Après avoir développé pour ses
besoins propres, un logiciel extranet qui
permet des échanges sécurisés entre
les équipes qui travaillent sur le même
projet - Project Net - Bechtel le déve-
loppe depuis la fin 1999 par une socié-
té spécialisée - Pilot Network Services.
Tout ceci fait-il de Bechtel une entre-
prise avec laquelle il faudra compter
pour le développement futur des
réseaux urbains ? La réponse est nuan-
cée.
Jusqu'à présent, Bechtel a réalisé
une large partie de son activité dans
trois secteurs, les grands équipements
industriels dont la pétrochimie, l'énergie
(centrales thermiques et nucléaires), les
grandes infrastructures de transports,
(autoroutes, ports, aéroports). La liste
impressionnante de ses réalisations en
atteste. Dans ces grands systèmes
techniques le groupe va continuer à
avoir un rôle important. Mais celui-ci va
varier selon des éléments qui tiennent
cette fois à la politique américaine
puisque les apprentissages faits sur un
marché national servent de références à
l'étranger ; par conséquent la manière
dont les réformes vont être menées sur
le territoire américain pour le secteur de
la dépollution, de l'énergie et des trans-
ports va s'avérer déterminante. Cette
expérience sera ensuite plus ou moins
démultipliée en fonction de l'influence
américaine : forte en Amérique Latine,
dans les États du Golfe et en Asie du
Sud-Est ; situation plus ouverte au
Japon, en Chine et en Europe.
Pour les réseaux techniques urbains
les choses sont un peu plus compli-
quées. D'un côté, Bechtel comme les
autres grands ingénieristes va y introdui-
re certaines de ses méthodes de travail.
On se trouve bien dans la compétition
entre modèles évoquée au commence-
ment de ce texte. Il y a fort à parier que
ici ou là en fonction des réseaux d'in-
fluence passés le groupe va parvenir à
s'implanter et à exporter dans ces sec-
teurs sa culture du projet. Mais les
réseaux techniques urbains ont leurs
propres spécificités. Par définition ils
sont locaux et leur gestion suppose un
ancrage de longue durée. Sur ces
points, la culture Bechtel se trouve en
partie décalée. Le groupe a plus une
culture de chantier et de projet que
d'exploitant. Ses clients historiques ont
été de grands industriels, des minis-
tères, de grandes autorités publiques
(ports, aéroports, la Nasa), ou des « uti-
lités » dans l'électricité. À l'étranger, ses
terrains d'intervention correspondent
assez bien aux pays sous influence
américaine - Turquie, Grèce, Koweït,
Thaïlande. Bechtel est une organisation
qui maîtrise les réseaux décisionnels au
sommet. Il joue en première division et
ses correspondants sont des chefs d’É-
tat, des ministres ou les directions de
grandes firmes. En se diversifiant dans
les infrastructures urbaines, le groupe
fait son entrée dans le monde des déci-
deurs locaux dont il n'était pas familier.
Il y pénètre alors au moyen d'al-
liances. Partenariat avec North West
Water qui lui ouvre les eaux de Manille
(1997). Partenariat avec la société des
transports de Lyon - Semaly - en 1991
qui le renforce dans les métros ; ils inter-
viennent à Athènes, à Kuala Lumpur, au
Caire. Partenariat avec Sembawang,
l'ingénieriste de Singapour, pour abor-
der l'Asie et le marché chinois. Bechtel
participe à des fonds, comme Asia
Infrastructure Fund, nécessaires pour
Portrait d’entreprise
77
monter les projets en BOT ou conces-
sion. En Chine, associé à CITIC, il inter-
vient pour le développement et l'aména-
gement d'une ville nouvelle sur l'île de
Daxie au sud de Shanghai ; le projet
débute en 1995. Les résultats de ces
initiatives ne sont pas acquis. Est-ce le
prologue à des engagements dura-
bles ? Les marchés urbains vont-ils offrir
une rentabilité suffisante à une firme très
profitable ? Une chose est sûre, cette
présence d'un grand ingénieriste dans
le secteur des réseaux techniques
urbains introduit des principes différents
de ceux des opérateurs publics et des
groupes privés de services tels que
nous les connaissons.
NOTES
(1) Forbes July 27, 1998, TheInternational 800.
(2) Voir les typologies de EngineeringNews Record (ENR).
(3) En fait il s'agit des Top DesignFirms. ENR produit un autre classementpour les Top 225 International Contrac-tors. Chacun repose sur les contratsannuels déclarés par les firmes, d'ou unproblème d'imputation entre chaquerubrique et une cohérence maintenued'une année sur l'autre ; ce problèmeest particulièrement visible si on suit cesclassements sur plusieurs années ; onpeut se demander si les fortes variationsenregistrées s'expliquent par des phé-nomènes réels ou par des changementsd'imputation par les déclarants. De cefait ces chiffres peuvent différer sensi-blement des chiffres d'affaires annuels.Ce même découpage s'applique auxfirmes américaines. Elles sont classéesen 5 familles : design, contractors, desi-gn & build, construction management,environmental firms. Ce découpage, ons'en doute, ne facilite pas les comparai-sons d'ensemble. Néanmoins pour ce
qui nous intéresse, ceci n'affecte pas laliste des plus grandes entreprises.
(4) Strassmann, Les stratégies et lesspécialités des grandes entreprises deconstruction aux États-Unis, in E.Campagnac (dir.), Les grands groupesde construction, Paris, L'Harmattan,1992, p61-69.
(11) Voir le livre de McCartney, cha-pitre 2.
(12) Voir McCartney op. cité.(13) Forbes July 27, 1998, The
International 800.(14) Voir les typologies de
Engineering News Record (ENR).(15) En fait il s'agit des Top Design
Firms. ENR produit un autre classementpour les Top 225 InternationalContractors. Chacun repose sur lescontrats annuels déclarés par les firmes,d'ou un problème d'imputation entrechaque rubrique et une cohérencemaintenue d'une année sur l'autre ; ceproblème est particulièrement visible sion suit ces classements sur plusieursannées ; on peut se demander si lesfortes variations enregistrées s'expli-quent par des phénomènes réels ou pardes changements d'imputation par lesdéclarants. De ce fait ces chiffres peu-vent différer sensiblement des chiffresd'affaires annuels. Ce même découpa-ge s'applique aux firmes américaines.Elles sont classées en 5 familles : desi-gn, contractors, design & build, cons-truction management, environmentalfirms. Ce découpage, on s'en doute, nefacilite pas les comparaisons d'en-semble. Néanmoins pour ce qui nousintéresse, ceci n'affecte pas la liste desplus grandes entreprises.
(16) Strassmann, Les stratégies etles spécialités des grandes entreprisesde construction aux États-Unis, in E.Campagnac (dir.), Les grands groupesde construction, Paris, L'Harmattan,1992, p61-69.
(17) D'après Strassmann et Wells.The Global Construction Industry,London, Unwin Hyman, 1988, p29.
(18) Strassmann, in Campagnac(dir.), op. cité, p69.
(19) Kellogg et Rust ont fusionné en1981 et se sont séparés en 1985.
Kellogg a fusionné avec Brown &Root (groupe Halliburton)
Rust a été absorbé par Wheelabra-tor, filiale du groupe de déchets WasteManagement.
(20) Sous le nom Parsons, on trouvedeux groupes, celui de Pasadena etParsons Brinckerhoff basé à New York.
(21) Désormais appelé ABBLummus, après acquisition par le grou-pe Suédois.
(22) Fait partie du groupe Raytheon,ténor de l'aéronautique et des industriesde défense mais diversifié dans l'énergie(Ebasco) et la construction d'usines chi-miques (Badger, Boston). RaytheonEngineers & Constructors regroupedésormais Ebasco, Badger et UnitedEngineers & Constructors.
(23) Voir le livre de McCartney, cha-pitre 2.
(24) Voir McCartney op. cité.
SOURCES
Base de données à partir d'articlesde la presse financières depuis 1991 :Financial Times, Engineering NewsRecord, Business Week, Forbes, AsianWall Street Journal.
Bases de données informatiques.Analyse de l'offre non française.
Secteur de l'ingénierie. Peat marwick,Mitchell & Co., juin 1981, Paris, Minis-tère de l'Industrie.
Laton McCartney, Friends in HighPkaces, (the Bechtel Story), Ballantine,New York, 1989.
Strassmann & Wells, The GlobalConstruction Industry, Unwin Hyman,London, 1988.
Dominique Lorrain est chercheur auCEMS-CNRS/EHESS54 boulevard Raspail
75006 [email protected]
Flux n°38 Octobre - Décembre 1999
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