Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes

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  • 8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes

    1/8

    t

    ' Re\ ue

    des

    sciences religieuses 68 n 2 (1994), p. 159-172

    ECKHART ET

    LE LIVRE DES CAUSES

    L ETRE COMME PREMIER-CRÉÉ

    LA POSSIBILITÉ DE PENSER

    ET D'EXPRIMER LA CA USA PRIMA *

    l. Le premier effet de la cause premiere dans

    le

    développement

    d'un « systeme » originairement cohérent de la réalité est l'objet de la

    quatrieme proposition du

    Liber

    de

    causis

    : « La premiere des choses

    créées est

    l etre

    et avant celui-ci rien d'autre n'est créé (il n'y a ríen

    d'autre de créé) ))

    (prima rerum creatarum est esse et non

    est nte

    ipsum creatum aliud). Cette proposition a souvent été citée par des

    philosophes

    du

    Moyen Age. Elle désigne l'Etre (ou l'Etre

    en

    ·tant

    qu'exister) comme

    une

    chose créée

    et

    produit ainsi une analogie

    oula

    pensée

    de

    la différence entre

    un

    Etre créé et

    un

    Etre absolu, incréé, qui

    est 'origine créatrice

    de

    ce qui est créé. En lien étroit avec la gradation

    de la réalité entiere élaborée par Proclus, le Liber de causis conc;oit

    cependant l'Etre composé

    du

    fini et de l'infini (limité-illimité) comme

    « plus

    un

    »

    (vehementius wzitum)

    que toute autre chose créée. Cela luí

    vient

    de

    sa proxímité immédiate- qui,

    au

    sens littéral

    du

    terme n est

    médiatisée par ríen - avec

    f ~

    pur ou vrai. Alors que Proclus faít

    découler de 1 Etre la

    Vi

    e et 1 Esprit (la Pensée) sans stadés intermédiai

    res, c'est-a-dire

    en

    líen intense avec l'Etre, le

    Liber de causis

    fait ici

    l'économie de la vita et raccroche le concept d inteliigentia a l'Etre.

    considere

    si

    peu la

    «

    suite d'abord établie comme une différence,

    qu'il affirme encore dans le commentaire de la proposition IV une

    identité entre

    esse

    et

    intelligentia ou

    laísse

    du

    moins possibilité de

    soutenir que l'Etre puisse etre immédiatement la Pensée : et esse

    quidem creatum primum est intelligentia totum, verumtamen intellige-

    tia in ipso est diversa per modum quem diximus (1 ).

    Cct article cst

    la

    fin

    de

    1

    article

    paru

    dans

    le

    recucíl :

    Voici

    Maitre

    Eckhart, éd.

    par

    E. ZtJM BRUNN,

    J. Millon, Grcnoble.

    1994

    (Sommaire

    p. 218).

    (1) IV,

    44,

    64, sq.

    - Concemanl

    la Propasitio IV dans

    d'autres contcxtes

    médiévaux :

    R.

    SCIIÓNBERGI:iR

    Die

    Transfonnatimz

    des klassischen Seinsl erstiilzdnis-

    ses. Studien

    zw·

    Vorgesclziclue des neuzeitlichen Seinsbegriffes

    im

    Mittelalter,

    Berlin,

    1986, 270

    sq.,

    317.

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    160 W.

    BEIERWALTES

    La

    proposition portant sur

    l Etre

    comme Premier-Créé est essen

    tielle, en tant que proposition authentique, pour la conception de l Etre

    propre

    a

    Eckhart. Dans les passages ou il nomme cette proposition non

    seulement dans ] ensemble de citations non identiques et donnant a

    penser, on peut dégager les constellations conceptuelles suivantes de

    ses commentaires parcimonieux : Dans l interprétation de I affirma

    tion creavit deus, ut essent omnia, (« Dieu créa afin que tout soit),

    soutenue par le

    Livre de la sagesse,

    la proposition désignant I Etre

    comme Premier-créé vise de maniere tres générale

    la« ratio creabili

    tatis » (2). L Etre ne fonde pas seulement le fait que quelque chose

    soit créable, mais il est tout autant une indication pour ce qui est créé.

    - L Etre ne vient pas s ajouter comme un supplément a ce qui est créé,

    il précede bien plus -les autres modes de 1 etre-créé en tant que

    possibilité fondatrice et réeUe de toutes les différenciations et concré

    tisations dans les multiples formes de l étant : praevenit et prius est

    omnium. Dans le sens du Liber de causis, le fondement se trouve dans

    le fait que

    esse omnium est immediate a- causa prima et a causa

    universali omnium

    (3). L Etre compris comme

    ratio creabilitas

    im

    plique l idée qu un etre vivant ou pensant ne peut l etre que paree

    qu il

    est.

    Ainsi, l Etre, en tant que créé, n est pas isolé en soi ou ne

    s hypostasie pas seulement soi-meme, mais représente pour chaque

    forme individuelle de la réalité dans son ensemble le fondement réel,

    ouvrant toutes les possibilités des possibles, englobant tout en soi soit

    la structure fondamentale qui rend possible et

    «

    réalisable

    »

    toute

    forme particuliere de la réalité. L acceptation de cette proposition sur

    l Etre comme Premier-Créé détermine une maniere de penser et de

    parler différenciée au sujet de

    1

    « Etre

    »

    dans son ensemble : l Etre

    comme e hose créée, considéré sous 1 aspect de la ratio creabilitatis,

    est adistinguer de l Etre meme de Dieu qui est incréé, et qui, de ce

    fait, n est pas soumis a la

    ratio creabilitatis,

    c est-a-dire l Etre pur,

    absolu, qui ne se réfere qu a soi-meme et riche en et de soi-meme.

    Cette auto-référence de l Etre pur comme

    intelligere

    ou

    sapientia

    est

    cependant le fondement de l Etre créé, précédé par l üztelligere

    fondateur de I Etre créatif, mais

    en

    lui-meme en tant que non-créable,

    il est luí est identique. Par ce mode de l Etre intense et identique a son

    intelligere, Dieu agit dans ses créatures. Deus autem se toto est esse

    et operatzir

    in

    creaturis per ipsum esse et sub ratione

    esse

    (

    « comme

    l Etre lui-meme, il agit dans les créatures par l Etre et dans la mesure

    (2) In Sap. 24,

    CEuvre

    latine,

    2,

    344, 5; 5, 41,

    11

    ; la, en 41, 7,

    «

    esse

    »esta

    comprendre comme chose créée : «

    unde statim cum venimus ad esse, venimus

    ad

    creaturam ».

    (3) Prologus generalis in opus tripartitwn 8,

    CEttvre

    latine, l. 143, 4 sq. Pour

    « immediate », cf. H. EBELJNG,

    Meister Eckarts Mystik. Studien

    zu

    den Geisteskiimp

    fen um die Wcnde des

    13.

    Jahrhunderts,

    Stuttgart, 1941, p. 56 sq.

    I

    EC::KHART ET

    LE UVRE

    DES

    CAUSES

    161

    ou il est l Etre » (4). A partir de ce point, on peut rnettre clairem.ent

    en évidence la relation des deux modes de l Etre

    dans

    leur différence:

    Paree que

    Dieu est l Etre lui-meme

    dans

    ou

    en tant

    que sa n s é ~ et;

    paree qu

    il agit dans le créé « par son Etre meme » et sous le mode

    de

    sa pensée identique

    a

    on Etre, ce qui pour lui est premier,

    sa

    pro pre

    essence, est aussi le premier « Résultat » de son agir créatif vers

    J extérieur :

    prima rerum creatarum est esse.

    Cet aspect

    final.de·

    l affirmation du Livre de la Sagesse, creavit, ut úsent onmia, Maltre.

    Eckhart le souligne particulierement lorsqu il désigne le «

    ens sive

    esse

    » comme

    primus tenninus creationis,

    «le premier but de .}a _

    création » (5) ou l identifie avec la

    fin

    (6). C est ainsi que, a travers,

    l activité créatrice de Dieu, qui produit l Etre, se réalise dans cet Etre

    du créé la « premiere cause (immanente) des choses créées et de la

    création » elle-meme.

    La«

    Premiere

    »cause

    immanente, c est-a-dire

    celle agissant a coté des trois autres modes des causes est cependant

    la «fin

    », prima causa causarwn .finis est

    (7). L

    Etre

    posé comme

    premiere réalisation de l agir causal - d apres quoi l Etre est

    déter.:.

    miné comme fin causée ou comme cause de la fin du mouvement de

    la création - est en tant que ratio creabilitatis en meme temps

    fondement pour toute singularisation créative ultérieure. Si

    1 esse,

    compris comme « fin

    »

    du mouvement de la création est une possibi..: ·

    lité de compréhension

    (unus intellectus)

    (8) de la proposition du

    Liher

    de causis,

    une autre interprétation sous l aspect de la

    causa efficiens

    serait alors possible (9). La « fin » mise en valeur englobe, en e(fet,

    l aspect de la

    causa efficiens :

    Dieu comme la cause premiere met en

    reuvre dans son acte créateur l Etre comme fin de ce mouvement.:

    meme, de sorte que

    1

    « effet

    »

    est identique a la « fin » ; ou encore :

    la causa e.fficiens se réalise comme la fin de son propre mouvement.

    Les lignes de fond de la compréhension de la proposition IV, telles

    qu elles apparaissent e hez Maitre Eckhart, sont mises en reuvre

    dal1s

    le commentaire substantiellement différent qu en fait S. Thomas. En

    faisant constamment référence

    a

    Proclus, cet entendement évoque la

    dialectiqué

    du

    simple (ce qui est commun, général) et du multiple

    au

    ·

    sein meme de l Etre créé.

    Il

    exclut l idée que

    l Etre

    en tant

    que

    Premier-Créé puisse désigner un quelque chose comme étant singli

    lier, déterminé et qui serait créé

    (subjectunz creatum).

    Il désigne plutót

    (4) In

    Sap

    23,

    fEII\ re latine

    2, 343, 9 sq .

    (5) In

    Joh 65,

    CEm l e

    latine 3,

    54, 5. . .

    (6) In Sap 26, CEuvre latine

    2,

    346, 7. Expdsitio libri Genesis 141,

    CEuvre,

    latine

    1, 295. 2.

    (7) CEuvre latine 1, 295, 2; 2, 346, 7

    sq.

    (8) CEuvrc

    latine

    I, 295,

    l.

    · :

    (9)

    «

    Utrum in deo sit ídem esse et intelfigere

    »,

    4, CEuvre latine 5, 41, 9 sq.-; bz

    Joh 66, CEuvre latine 3, 54, 6 sq.

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    162 W.

    BEIERWALTES

    l'essence

    a

    proprement parler d'un objet de la création » (propria

    1atio obiecti creationis). L'essence de ce qui est créé n'est pas pour

    luí l'etre-ceci-ou-cela

    (hoc ens),

    mais l'Etre aproprement parler qui

    se réalise sous de multiples aspects dans le singulier. En tant qu'il est

    le plus forme] et le plus

    «simple»,

    l'Etre de la quatrieme

    propositio

    -.le

    Premier-Créé- n'est pas pour autant le concept le plus vide, une

    absence de détermination en soi indifférenciée, un pur Exister qui ne

    ·serait que pour lui-meme, hypostasié. L'universalité, la simplicité et

    tout simplement la« formalité »de l'Etre sont plutot le fondement qui

    rend

    possible toute singularisation, multiformité et détermination

    essentielle de l'autre, c'est-a-dire de l'étant individuel. L'Etre comme

    fondement universel comporte la singularisation (concrétisation,

    iridividualisation) comme

    étant

    toujours une possibilité en soi. Or,

    dans l'horizon de l'infinie multiplicité de possibilités, cette réalité

    possible incluse dans l'Etre parvient au repos dans la forme d'essence

    déterminée d' un

    étant: esse est aliquid.fixwn et quietum in ente.

    Dans

    l'acte de multiplication (multiplicari. diversijicari) de son unité

    originairement posée, 1 Etre, médiatisé

    en

    tant que fin de

    1

    acte

    créateur, se révele ainsi comme fondement de création et de conserva

    tion de chaque étánt. C est aussi dans ce contexte que la proposition

    .súivante peut se comprendre :

    «

    L'Etre est ce qui est en chaque chose

    ce

    qu'il y a de plus intime et qui pénetre au plus profond

    »

    (10). Cela

    ·correspond exactement a la pensée que Maitre Eckhart applique a la

    premiere these du

    Liber de causis : «

    Rien n' esta ce. point Un, rien ne

    . convient mieux, ríen n'est aussi intimement lié a son action et a

    . n'importe quel objet que l'Etre meme et sa cause premiere » (11).

    -Dans

    1

    Etre en tant que Premier-Créé

    se

    révele 1 acte premier de

    l'origine divine et, en tant que constitutíf premier et

    le

    plus intime,

    trouve en tui la base

    de

    l'épanouissement de son agir ultérieur.

    Afin de renforcer et de nuancer cette pensée, Maitre Eckhart

    ·s' appuie assez souvent sur trois a u res propositions du

    Liber de causis.

    Pour le moins, elles représentent des éléments essentiels au sein d un

    probable projet d'ensemble d'une théorie qui expose le mode et

    l'intensité de l'agir de la cause premiere, du Dieu créateur, done de

    son Etre-dans le créé, mais qui en meme temps fait prendre conscience

    (du) et garde

    a

    présent

    a

    la conscience le fait que 'origine divine

    'demeure elle-meme dans 1 agir et en tant qu' étant dans le créé. La

    . : 1 0) Somme Théologique l, q. 8. a. 1esse autem est illud qund est magis illlimum

    cu libet et quod profimdius onmibus inest. Sur ce

    qui

    précede, e . mon étude citéc en

    ·note 3, page

    212. ·. .

    ; (11) In

    Sap 194. (Euvre latine 2,

    529, 7-9 :

    Nihil autem tam wwm nihil tam

    éOJll eniens.

    nihil tam illtimum et coni1mctwn effectue

    et

    reí cui/ibet quam esse ipsum

    et causa sua prima, ut ait propositio prima de causis, In Joh, 34, (Euvre latine, 3,

    28,5

    sq.

    '

    ECKHART ET

    LE

    UVRE

    DES CAUSES

    163

    premiere propositio du Liber de causis souligne l'agir de cause

    premiere, son intensité, qui le fait atteindre jusqu'aux domames les

    plus éloignés du réel : cette cause premiere « ne prend pas sa

    puissance de la deuxieme cause (ou des c a u ~ e s secondes); alors que

    celle-ci se distingue d'elle et dans une certame mesure se meut hors

    d'elle, la

    premiere ne se sépare pas d'elle, ne met pas un terme a son

    «

    influence

    ».

    Bien plus, la premiere cause « aide

    »

    parfaitement

    toutes les (causes) secondes, «elle leur est fortement attachée et les

    maintient »,

    elle « demeure » en elles (12). En vue également de cette

    séquence, Maitre Eckhart défend énergiquement la these selon la

    quelle tout étant et tout objet singulier n'

    a

    pas simplement son Etre

    de Dieu, mais qu ille possede « sans quelque

    m é d i ~ t í o n

    que ce soit »,

    «

    immédiatement

    »

    (inunediate)

    :

    «paree

    que

    D1eu

    est totalement

    Etre, purement Un », il est aussi

    «

    nécessairement par

    l u i m e ~ e

    immédiat, présent achaque réalité singuliere, non pas achaque partle

    l'une apres l'autre,

    ni

    a une partie par

    le

    truchement de l'autre

    »

    (13).

    Paree que I'Etant ne doit pas seulement son Etre, mais aussi son

    unité, sa vérité et sa bonté a

    E t r ~

    divin, qui est ces structures

    fondamentales,

    e

    est-a-dire une identité auto-référée, on comprend

    alors conséquemment

    1

    affirmation suivante :

    es se autem deus esl

    -  «

    l'Etant est Dieu

    »)

    (14). Pour défendre cette these

    c o n t ~ e

    les

    fausses interprétations de panthéisme qui se fondent sur _le fmt

    q u ~

    1 Etre créé par Die u luí serait identique, que

    D ~ e u

    est ce qm est lm

    créé en égalité d'essence, que le monde

    est

    Dteu, une these du L1ber

    de causis

    vient apporter son appui :

    Causa prima reg_if res

    ( c r e a ~ a ~ )

    omnes praeter quod commisceatur cum eis ( « la prem1ere cause reg1t

    toutes les eh oses (créées), sans

    se

    confondre avec elles

    »)

    (15). La

    lumiere di vine agissant, au sens johannique du terme, dans la ténebre,

    e

    est-a-dire dans.1e créé,

    «

    n'y est

    pas

    enfermée, elle ne se confond pas

    avec

    elle»,

    elle n'est pas englobée (comme

    un

    Tout)-en

    elle(l6).

    Dieu, selon un paradoxe antipanthéiste, est · de la meme maniere

    comme un Tout

    dans

    le singulier, mais en tant que Tout il reste et

    ( 12) Líber de causis, prop. I : Non separatur ( .. ) non removetur ( .. ) adiuvat,

    adhaeret, sen·at, il fluit l'Írtutem suam, remanet

    in

    ea.

    .

    (13) Prnlogus in npus propositionum 14,

    CEuvre

    latine I,

    173,

    14-16:

    (

    ..

    )

    q_wa

    deus se tofo esse. simpliciter est wws sive Ullll/11 est, necesse est, tu se roto 1 1 1 1 1 1 1 e d ~ a e

    toti assit singulo, quod non parti post partem ne partí per partem avant cela est CJtce

    la

    premiere propositio du Líber de causis.

    . ·

    (14) /bid.

    173,

    4. Cf. pourcette affirmationW. BmERWALTES,

    «

    Platonismus und

    ldcalismus » Francfort 1972, dans le chapitre Deus est esse, esse est deus, la

    quatrieme

    s ~ c t i o n

    p.

    7

    sq.; A.

    DE

    LIBERA, .«Le pro?leme de l'ctre chez

    ~ a t u : c

    Eckhart: Logiquc ct métaphysique de l'analogJe », Caluers de la Revue de Tlleolog1e

    et de Pllilosoplrie 4, 1980.

    (15) Propnsitio XIX.

    (16) In Jo

    h.

    12, (Euvre latine, 3,

    12,

    6 sq.

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      64

    W. BEIERWALTES

    demeure en-dehors, quia ipse sic totus est in rebus singulis quod totus

    est extra (17). Cette forrnulation paradoxale rappelant 1'ltinerarium de

    S. Bonaventure ( 18), a été développée par Maítre Eckhart comme une

    rétlexion spéculative de la plus haute subtilité qui tente de mettre en

    évidence la relation dialectique de l'Etre-en et de l'Etre-au-dessus de

    Dieu. Pour ce faire, il part dans son commentaire sur la Sagesse d'une

    proposition, qui unit et tient ensemble la divergence et l'unité de la

    différence et de l'indifférenciation:

    « Deus indistinctum quoddam est

    quod sua indistinctione distingitur » « Dieu est un Indifférencié qui

    par son indifférenciation se distingue (de toutes les choses créées)

    » ).

    Cette proposition implique un double aspect de 1' indifférenciation :

    l. L'indifférenciation en Dieu lui-meme comme unité trinitaire, qui

    n a pasen

    elle de véritable altérité. Par cette indifférenciation

    en soi,

    l'unité pure

    se

    distingue de ce qui est différencié en soi et par rapport

    a

    autre chose. 2. Cette proposition vise aussi 1'indistinctum-esse de

    Dieu en rapport avec ce qui par lui est créé :

    i

    s'agit du fondement

    de l'Etant en tant que son Etre intérieur, lié de maniere immédiate et

    «

    sans distinction » a lui. C est par ce intimum es se cuil ibet cependant

    - le meme Etre en Tout chaque fois exprimé différemment de maniere

    singuliere - que l'Etre se distingue du singulier. A cause de son

    indistinctio

    dans le Tout, J'Etre distingue de maniere active les objets ·

    singuliers entre eux et en meme temps de soi-meme (19).

    (17)

    Expositio fibri Genesis.

    166, CEuvre

    latine,

    1 312, 11. Cf. aussi en annexe

    au

    Liher de causis, ibid,

    69, 233, 2 sq. In

    Sap

    135, CEuPre

    latine

    2, 473, 8 :

    Deus sic

    totus est in quolibet, quod totus est extra quolibet. Semron 71 CEuvre állemande,

    3,

    217, 6 sq. : Got vliuzet in allc creáturen, und blibct er doch unberüerct von in allen.

    Er

    enbedarf i r niht.

    ( 18)

    V 8 : Ideo est intra onmia, non inclHswn. exta onmia, non exclusum, supra

    omnia, non elatum, infra omnia, no prostratum.

    Cf.

    BEIERWALTES, Denken des Einen.

    Francfort, 1985. p.

    41

    Osq., aussi p. 424 sq.

    (19) J'ai présenté

    ce

    philosophcme plus en détail dans

    ldentititt und Differenz,

    Fnmcfort , 1980. 97 sq. (Unterschied durch Ununterschiedenhci t). L'uni verselle

    cohércnce de I'agir de la premicre cause a

    été

    explicitée plus précisément par Maitre

    Eckhart en une formulation visib1ement cmpruntée au commentaire de Thomas sur

    la premicre

    propositio. L agir

    de Dieu immédiatcment lié aux choses (agir en elles)

    - actio dei immediatissima est re

    bus est expliqué en licn avec la phrase de Thomas :

    Primo advenir et ultimo recedit;

    In

    Sap

    176,

    (Euvre latine

    2, 511, 7 sq. In

    Joh

    93,

    CEuvre

    latine

    3, 81, 1 sq.

    (primo adest ( .. ) postema abest).

    Cf. Thomas 8,1 Osq. :

    impressio causae primae primo

    ad1•enit

    el ultin¡o reced it,

    l'agir ou l'empreinte active

    que confere aux choses créées la cause premiere

    «

    advient

    en

    premier et se retire en

    dcmicr

    ».

    En lien avec

    Isa ie

    41,4 :

    ego sum primus et novissimus

    dans le

    Prologus

    opus propositiomun

    13.

    (Euvre latine

    1, 173,

    13

    sq.:

    adest primo quia prima (causa)

    abest ultimo, quia novissima.

    De méme

    qu on

    ne peut rien penser au-dela

    «

    du

    premicr-et-ultime-Etre de Dieu

    »,

    on ne pcut pas davantage penscr

    au-deH1

    de la cause

    prcmiere. Lorsqu'est évoqué le fait qu'elle

  • 8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes

    5/8

    166

    W. BEIERWALTES

    . mimiere que Thomas) montre la différence de l'Etre et de l'agir pour

    la création, mais constitue aussi une indication pour une maniere juste,

    .c'est-a-dire conformée a Dieu, de vivre : l'homme, afio d'etre

    « unifié

    »

    et «conformé

    a

    Dieu

    »,

    doit, comme Dieu lui-meme, etre

    . er1 tout conforme aun seul mode (d'etre). Cela signifie qu'il ne doit

    pas s'égarer dans 1 ~ d é t ~ i l des c ~ o s e ~ . s i n g ~ l i ~ r e s

    ni

    se r e ~ f ~ r c e r ?ans

    des modes-d'etre smguhers, mats qu tl dmt bten plus se hbérer d eux

    dans une uni-versio. Ce n est que de cette maniere qu'il est comme

    Dieu « partout

    »

    e.n meme.temps

    q ~ ~

    «

    m l l ~

    part

    »

    et é p ~ s s e ainsi la ·

    .différenciation qm détermme le cree (dtversttas receptwnts ), dans la .

    perspective de son fondement

    i n - d i f f é ~ n c i é

    en une .forme.de

    p e n ~ é e

    et de vie qui soit d'abandon et de retratt. La converston qm

    se

    réahse

    dans un long proces de prise de conscience de soi réalise en l'homme

    lui-meme

    la

    una dispositio procédant

    de Dieu, un état

    de

    l'homme

    ..

    qui, dans les sermons de .Eckhat; est décrit ma.niere pénétrante

    comme une naissance de Dteu en

    1

    homme.

    La

    hbérat10n des représen

    tations et des modes (modi) dans le sens d'une in-différenciation et

    ·d un devenir-un toujours plus intense avec soi-meme et avec son

    propre fondement (quanto quis elongatur a multo unwn inten4it,

    tcútto est pe1fectior e t divinior) (22), l'abandon consctemment réahsé

    de son propre dénuement (egestas) dans lequel l'homme

    se

    cram

    ponne au multiple et singulier, conduit, une f o i ~ de p us de n ~ n i e r e

    paradoxale, a la plémtude ou au Royaume, qu est .1 Un dtvm par

    soi-méme (23). « Tu

    te soucies pour beaucoup de choses, une seule est

    nécessaire »(Le

    10,41) (24) :

    l'un qui est riche par soi-meme est le

    seul nécessaire pour une vie comblée et réussie. -

    . 2. A l'idée que la cause premiere, malgré la participation libre et

    créatrice offet1e par sa propre plénitude d'etre, se distingue de tout ce

    qui est autre par. sa t r a ~ s c e n d a n c e et son

    a ~ t ~ r i t é c o r r ~ s p o n d e n t d.e

    .. maniere tout a fatt consequente deux proposttiOns du Ltber

    de

    causls

    ,ayant trait

    a

    a possibilité de penser et de dire la

    prima causa

    :

    Causa

    .

    pt:ima superior est omni narratione, («la cause premiere est plus

    · élevée que toute affirmation » (2.5), c'est-a-dire qu'el le dépasse toute

    possibilité

    d ' e x ~ r e s s i o n d a ~ s

    sens d'une a f f i r m a t i o ~ de

    l ~ e s ~ e n c e

    par une désignatton ou nommat10n conceptuelle

    (narratw

    =

    szgnifica

    .tio). Des affirmations concemant la cause premiere n'atteignent pas

    son Etre au sens propre (esse ipsius), mais se révelent comme

    'manifestement secondaires, médiatisées par ce qui est second, s' avé

    raht de ce fait comme des manieres de dire imitées et finalement ,

    . f ~ d é q u a t e s

    (non narratur nisi

    per

    causas secun-

    (22) In Joh 113.97, 14 sq.

    (23) Semw 22

    Homo

    quidam erat dives), 209, (Euvres latine,

    4,

    194, 4 sq.

    (24) /bid. 194, 9. cf. la remarque

    2.

    ·

    1

    t l< ; \

    P r n n n . ~ i t i o

    V.

    ECKHART ET

    LE

    UVRE DES

    CAUSES

    167

    das; ipsa ( .. non significatur nisi ex causa secunda) (26). La seconde

    proposition ayant trait au

    meme domaine est la suivante :

    Causa prima

    est super omne nomen quo nominatur,

    la premiere cause est

    au-dessus de tout nom par lequel elle pourrait etre nommée

    »

    (27) .

    Ces deux propositions

    se

    fondent dans la pensée néoplatonicienne

    dans la mesure ou celle-ci repose également sur la conviction que l'Un

    peut etre appréhendé et con qui transforme la reconnaissance du caractere conceptuel

    du caractere ineffable du fondement divin en louange de ce

    qui se

    montre comme

    apparition

    ou

    action de

    J'esse lce de

    I'Un

    ou

    de

    Dieu,

    Cf.

    mon

    interprétation

    de

    fhymne

    'O

    lTÚVTwv ÉlTÉKnva dans·

    Denken des

    Einen; 309 sq. L'affirmation dans le

    commentaire

    de la

    proposicio V du Uber de causis, ipsa causa plima) 11011 significa

    tur nisi ex causa secunda (

    ..

    ) el 11011 nominalllr per nomen causati primi nisi per

    modum altioren et meliorem, correspond aussi bien

    a

    a conception platonicienne

    qu

    ·a

    celle de Proclus dans la these de Elem.

    Tlteol.,

    123 (108, 25 sq.), selon laquelle « lout

    le divin est ineffable

    en

    raison de unité supreme el inconnaíssable pour tout ce qui est

    second, mais saisissable par ce qui participe de luí (= ce qui « dépend

    »

    de

    ce

    qui est

    second).

    La pensée de Plotin (VI,

    9,

    3, 49 sq.). que nous disons plus

    nous meme

    que nous

    n'ex.primons

    l'essence de l'Un

    \orsque

    nous parlons de celui-ci, apparait chcz Maitre

    Eckhart en lien avec une relation qu'il fail directement avec

    le

    li.ber de causis

    Propositio V) : « Notez bien ceci :

    Dieu

    est sans nom, car personne ne peul dire quoi

    que ce soit ou comprendre

    quoi

    que ce soit de lui. Pour cette

    raison

    un mailre profane

    dit :

    Ce

    que nous disons ou comprenons des causes premieres, nous

    le

    disons et le

    comprenons de nous-memes, car les causes premieres sont au-dessus de ce qu ·on peut

    dire

    et

    comprendre » (Sennon 83, Euvre allemande 3, 441, 1-4). Ainsi, toute

    affirmation

    faite

    sur Dieu reste

    malgré

    tout toujours inadéquate : « Ainsi un maitre

    parle de la cause premiere. qu'ellc

    est

    au-dessus (supra) des mots. Cette inadéquation

    provient du langage. Cela provient de \'incommensurabilité et de la pureté premiere

    de l'essence di vine»

    Semzon

    20a,

    Euvre

    allemande,

    1,

    329, 1-3); une autre

    fois,

    en

  • 8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes

    6/8

    168 W.

    BEIERWALTES

    tion, Eckhart les utilise aússi pour la question d' une nomination

    adéquate de l'E tre divin. les relie avec le psaume 137,2 et

    Philippiens 2,9 : magnificasti super omne nomen sanctwn tuum.

    Donavit illi nomen, quod est super omne nomen. Dans son Expositio

    libri Exodi (29), illes met dans un contexte tres suggestif: l'affirrna

    tion

    du

    Liber de causis selon laquelle la cause premiere est superior

    onuzi narratione, serait a comprendre secundum illud Psalmi, selon les

    mots

    du

    psaume et ceux de l'épltre aux Philippiens, de sorte que la

    réflexion théologique converge avec la philosophique, ou ce qui est

    plus : elle appara'it déterminée par celle-ci.

    Dans le contexte du commentaire

    de

    1'Exode de

    Ma itre_

    Eckhart,

    surtout concemant l'auto-définition

    de

    Dieu ego

    swn

    qui

    swn,

    dans

    laquelle Dieu Iivre lui-meme

    son«

    nom

    », il

    convient d' avoir présent

    a

    'esprit que

    narratio

    et

    nomen

    ne signifient pas seulement

    «

    affinna

    tion

    » ou «

    dénomination

    »

    se référant aDieu, mais aussi le

    «

    nom

    »,

    par lequel Dieu lui-meme se désigne et par lequel nous pouvons le

    nommer. Autrement dit, il s'agit la d'un nom qui

    ne

    peut désigner

    que

    Dieu,

    son

    nom propre (30). Dans une séquence d'argumentation

    distincte, Eckhatt tente de montrer que « Etre » (esse) ou « qui est

    (der IST, qui est) est le «premien> et d'entre tous les noms (ou

    désignations) de Dieu le plus « approprié » le plus adéquat dans le

    sens le plus fort du terme (hoc nomen esse est primum et magis

    proprium inter omina nomina dei ( .. ) esse est proprium nomen solius

    dei) (31 ). Ce nom est le plus approprié paree qu'il est le fondement de

    toutes les autres dénominations possibles. Celles-ci ne doivent pas

    seulement se référer ace nom, mais représentent la différenciation

    interne d'une identité relationnelle avec lui-méme. Avant toute autre

    manifestation, c'est dans ce nom que Dieu s'est exprimé lui-meme

    dans l'indication (Anzeige) centrale et en meme temps la plus

    englobante de son étre : Ego sum qui sum (32). Pour cette raison

    évoquant la Propositio V du Uber

    de causis,

    il écrit : « Un maltre profane dit

    qu'aucune langue ne peut fournir de paroles adéquates pour parler de Dieu en raison

    de la grandeur et de la pureté premiere de son essence » (Sennon 20b,

    CEuvre

    allemande,

    346, 3-5

    ).

    (29)

    Euvre latine, 2,

    35 ;

    41,

    sq.

    (30) Cf. les réflexions analogues de Maltre Eckhart concernant les noms propres

    humains

    «

    Martinus

    » :

    E_xpositio

    Libri Exodi

    165,

    CEuvre latine

    2, 144, 18 sq. Pour

    une«

    théorie du nom

    »

    chez Eckhart, cf. A.

    DE LIBERA,

    n. 14,

    Le probleme

    de

    l étre,

    20-27.

    (31)

    Jhid.

    Expositio Libir Exodi 163,

    CEuvre latine

    2, 142, 13 sq. 164; 144, 5.

    165; 145, 8. 168; 147, 6.

    (32) Pour l'interprétation de Ex 3, 14, «Ego

    qui sum

    » dans le contexte de

    l'histoire de son intcrprétation et en regard du fondement néoplatonicien du concept

    d'Etre,

    cf. W. BEJERWALTES, Platonismus und ldealisnms,

    5-28. K.

    ALBERT, Meister

    Ec:kharts

    These

    vom Sein. Umersuchwzgen zur Metaphysik des Opus tripartitum,

    Saarbrücken, Kastellaun, 1976.

    ) }

    . ~ · . •

    ;

    · · ~ ~ ~

    ECKHART ET LE UVRE DES CAUSES

    - compris en tant que « premier Nom » - i1 est « au-dessus de tout

    nom

    »,

    c'est-a-dire « au-dessus » ou « avant » tous les autres noms o.u

    désignations possibles de_Dieu (33). La ve proposition du Liber de,

    causis, «La premiere cause est plus haute que toute expression », ,

    Maí'tre Eckhart la comprend apartir de

    la

    proposition XXI : cdusa

    prima est super onme nomen. Il prétend que par la ne soit aucunement

    et définitivement ex primé 1 « ineffabilité de Dieu » (deus non imiar

    rabilis) (34), mais qu'il s'agit la de l'indication déterminante a ce

    premier nom ETRE qui, de ce fait, est « exclusif » et qui inclut en

    lui-meme- en les

    dépassant-

    tous les noms ou dénominations (35).

    Ainsi le « nom qui est au-dessus de tout nom » peut-il etre compris

    non comme innommable (imzomin.abile), mais comme « nommant

    tout

    »

    (omninominabile)

    :

    Dieu, en vertu de son nom unique et le plus

    approprié qui est

    ETRE

    est en méme temps celui qui a

    «

    tout-nom

    »

    ( «

    Allnamig

    »

    )(36). L'inclusion de tous les

    «

    Noms

    »

    dans ETRE rte

    signifie certes pas que l'idée de Dieu soit transposée sur un concept

    limité, qui pourrait étre pensé sur le meme plan que d'autres concepts

    et de la meme maniere. Cependant, l'ampleur du nom unique ETRE ne

    signifie aucunement une réduction l imitative de tous les autres noms

    a celui-ci -· « ríen n' est plus riche que cette pauvreté » (37). Il· est

    plutót la dénomination du fondeinei1t d' une identi té qui englobe toutes

    les possibilités de l'étant réel_.eñ .Dieu lui-meme, fondement de ·son

    activité créatrice : di ves per

    sé ·

    - .

    3. Les réflexions menées

    jusqu'a

    présent se sont concentrées sur

    la structure inteme et le mouvement de l'origine divine et sur sa mise

    en ceuvre et son agir dans l' Autre. Pour ces deux domaines de pensée

    le concept de relation (Relationalitiit) s'est avéré comme un fil-rouge

    déterrninant. Celle-ci apparait, en se différenciant selon les doma:ines

    respectifs, soit comme un mouvement « stable » en soi (i.e.

    otus

    (33)

    Expositio Lihri

    Exodi,

    166,

    CEuvre

    latine

    2, 146, 3 sq.

    168;

    147, 8

    s q ~

    _ ·

    (34)

    /bid.,

    35,41,

    JI..

    (35)

    /bid.,

    166 ; 146,

    4.

    . . .

    (36) 41,15. 42, l. A part Asclepius, cité dans la remarqu e 1de\' CEuvre

    latine,.

    2,42_

    (éd. WeiB),

    il

    faudrait évoquer Denys qui dés igne le fondem ent divin d'abord comme

    polu-numon, puis comme an-numon et comme hupe r-numon (e f. aussi dans la nouvelle -

    interprétation

    de

    1 hymne OTráVTwv ~ T r É n v a e . supra, noten 28, M.

    SJCHF.RL,

    « Eiq. ..

    neoplatonischer Hymnus unter den Gedichten Gregors von Nazianz », in Go11imos;·

    Neuplato11ic cmd Byza11tine

    Studies,

    presented to LG. Weterink at 75, Buffalo;New ·

    York, 1988, 61-83; p. 77 sq. V. Lossky voit lui aussi cette afftrmation d'Eckhart en

    relation avec Denys qui intitule les deux premiers chapitres de son interprétation

    d'Eckhart se concentran sur l'étude de la négation et du concept d'etre

    Nomen

    innominabile

    et

    Nomen omninominabile,

    in

    Théologie négative et comwissance de

    Die

    uclzez Maftre Ecklzart, Paris, 1960, 13 sq. Ce chapitre développpe la complexitéde

    la réOexion qui n' a pu etre qu' évoquée ici. Cf. assu p. 42 sq., 60 sq. : :

    (37) Eckhar t cite cette phrase du commen taire de l'évangi le

    de

    Jean que fait

    Augustin.

  • 8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes

    7/8

    170 W. BEIERWALTES

    ·

    ~ a ~ i l i s

    et status nobilis, soit en relationnalité « posée » ou donnée se

    reahsant, dans un mouvement temporel, de modes différents.

    . D.ans l'esprit

    ? un Coro lariunz de relatione,

    la réponse a la

    quest10n de la relat10n de Mai'tre Eckhart au

    Liber de causis ne

    devrait

    pas omettre la these qui désigne un Etre-en ou un Etre-dans constitutif

    · de:maniere adéquate tout en continuant d'et re a l'reuvre dans un

    . n ~ u v e a u concept du monde (Nicolas de Cues).

    . . Eckhart relie la these que la tradition dé signe comme

    «

    proposition

    d' Anaxagore

    » (quodlibet in quolibet) a a propositio Xl du Liber de

    c a u s i ~

    :

    Primorum omnium quaedam swtt in quibusdam

    per

    modum

    qm hcet,lft sit unum. eorum in alio) («

    Tout ce qui es t premier est lié au

    pomt qu Il est poss1ble que l'Un du tout peut se trouver dans l' Au

    tre »)

    (38).

    Thomas, lui, la relie

    a

    a

    propositio

    l

    03

    de l'

    Elementario

    . heologica de P r o c l u ~

    :

    omn.ia in omnibus, proprie autem in unoquo

    que. Les deux propos1t1ons mettent en reuvre la question de la maniere

    t

    du mode

    de

    l'Etre-en réciproque, des relations internes et de

    l'affirmation d'essentialités spirituelles, mais elles thématisent avant

    tout I'.E re-en-récipr.ocité ou l'Etre-identique de la Trinité des person

    n ~ ~ · d i v m e ~ . Ce qm vaut pour la ~ a u s e (causa), a savoir qu'« elle

    ~ . h y p o ~ t a ~ I ~ t o t a l e f I e ~ t

    .dans ce

    q_ui

    est

    causé», ~ s t . e ~ c o r e

    plus vrai

    ·

    pour

    1

    ongme

    (prmctptwn).

    Mmtre Eckhart

    fmt

    ICI

    nettement la

    : ~ i s t í p c t i c ; m .

    entre

    c e ~ d ~ u . x

    concepts en désignant,

    d a ~ s hi

    sphere de

    l Etre

    di_vm,

    le

    prmctpwm

    comme le nom le plus approprié en

    comparmson avec la causa : les moments de l'étant du mouvement

    trinitaire, Eckhart les pense comme la relation entre « les causes

    originelles, primordiales ou toute-premieres

    »

    avec ce qui est causé ou

    . «de l'origine a qui est originé». « .. ) L'origine s'hypostasie

    .

    o t a l e f I ~ n t .

    so1-merne) et

    ~ ~ c

    toutes ses

    p ~ i c u l a r i t é s

    dans ce qui

    est

    ongme.

    J ose. affirmer 9u

    Il d e s c ~ n d auss1

    avec ce qui lui est

    propre « Je suis dans le Pere et le Pere est en rnoi » (Jn 14,1

    O)-

    de

    sorte que non seulement ceci est dans cela, mais aussi que ce « cela »

    represente toute chose quelconque : « Moi et le Pere sommes Un »

    (Jn

    0,30)

    ~ 3 9 ) : L ' u n } t ~ trinitairement mue est done comprise, grace a

    ~ n e i ~ t e r p r e t ~ t i o n

    spec1fique de la phrase

    quodlibet in quolibet

    comme

    1dent1té relatmnnelle - ce qui est un exemple de plus de la tentative

    ..

    .

    · · , ( ~ 8 ) Pour la relation antre la

    Propositio

    XI et la proposition d' Anaxagore chez

    ~ c ~ h a " ( , cf. /11 Joh 320, CEuvre latine 3, 269, 8 sq.; Semw 2, 1, 6, C E u ~ · r e La-

    tme· 4,1 8. 5 sq. -

    · · . ' . ( 3 ; 9 ~ /bid., _ C E u v ~ e atine 4, .8: 4-11 :.In causis autem primordialibus sive

    o r z . g u ~ n ~ z b u s pmnoprzmzs, ub1 magzs proprze nomen est principii quam causae,

    p m z c l p u ~ m se toto et com omnibus suis proprietatibus descendit in principiatum.

    Audeo.dzcere quod etiam cum suis prop riis - Joh

    4:

    ego inpatre et pater

    in

    me

    est-

    ut m? -: solwn lwc sit

    in

    illo quodlibet in quodlibet, sed lwc sit illud, quodlibet

    in

    ·

    quolzbet, Joh O : ego et pater unum sw11us.

    ECKHART

    ET

    LE UVR DES CAUSES

    171

    d'Eckhart

    d

    affirmer et de r e p r é s e n t ~ r ~ e s

    «

    d.onnées .» théologiques

    par

    1

    argumentation

    ou

    la conceptuahsatJon philosophiques.

    Pour

    Nicolas de Cues,

    qui connaissait

    ce

    texte - dans. son

    manuscrit sur Eckhart il l a corrigé et souligné par une n o ~ e - le

    quodlibet in quolibet

    devenait le lei motiv,

    p e r m e t t ~ n t

    de repre,senter

    l'univers comme un rapport de relatwns ou de fonct10ns

    e ~ t r e

    1Un et

    le Tout. En référence a son origine,

    il

    relie l'Etre-en

    r é c t p r ~ u e

    de

    'Un dans l'Univers a l'Etre de Dieu dans le Tout. En r a t ~ o n .de

    l'auto-explication créatrice

    d e ~ ·

    Absolu, qu_i pose. t,out premter heu

    la dimension de l'altérité, l umvers- aussi constdere comme

    Tout.-

    1 universum devient une quidditas contracta qui englobe en. s o ~ sem

    tout le singulier, une « essentialité limitée ». En vertu du p n ~ c 1 p e de

    la

    contractio

    cette essentialité universelle supposée etre

    1'umversum,

    est limitée

    «

    d'une maniere dans le soleil et d'une autre dans la lune.

    »

    De la sorte, l'idée de contractio permet d'éviter le d a n g ~ r d'une

    conception de

    1'

    identification qui, en

    r e g ~ r d du

    :rou t mettrmt .tout ce

    qui est singulier sur le meme l?lan. De

    ~ e ~ ~

    qu ?n

    ne

    peut ratsonna

    blement accepter

    l

    dée que D1eu pourrmt s

    I d e n t l f ~ e ~

    avec le

    T o u ~

    du

    monde dans sa propre explicatio,

    dans la mesure

    ou Il

    reste

    l u , t - m ~ m e

    dans son

    auto-explication,

    de rneme

    on

    ne peut penser que

    l umv_er

    sum

    puisse etre le Tout

    n soi t a ~ t

    que, présent dans le

    s m g u h e ~ :

    L'Etre-en de l'univers dans le smguher qu tl englobe est analogue a

    1

    imrnanence du principe divin dans le monde

    d a n ~

    le sens d'une

    auto-différenciation de l'univers. Ce n'est

    qu a

    partir d'elle que le

    singulier est ce qu'il est

    lui-meme.

    L'idée propre a Cues sur la relation entre Dieu. et l londe

    c'est-a-dire sur l'Etre-en de Dieu dans le Touto u dans le smguher (qm

    s'un.ifie dans le tout), dépend d une sféterrnination spécifique de

    l'univers : celui-ci, contrairement au

    Deus ipse sive esse. absolutun:,

    est

    a

    comprendre comme une

    (ptidditas

    contracta».

    SI,

    contra.ctw

    signifie une limitation en direct10n du quelque ~ l w . s e , d un cec1 ou

    d un

    cela

    il

    convient alors de penser le Tout ou

    1

    umvers comme

    u ~ e

    J i m i t a t i o ~

    individuante a chaque singulier dans et

    c o m ~ e

    garantis

    sant-englobant

    (das.

    e w a l r e 1 ~ d

    U m f a s . ~ ~ n d e ) de,

    ce

    smg_uher J ~ s t e

    ment, pour éviter

    1'

    mterpretat10n panthetste

    1

    x p r ~ s s 1 0 n

    bibhque

    selon laquelle « Tout est d a n s . l e , T o u ~ », Cues m.trodUit concept de

    l'univers comme médiation dtfferenctante (medtante

    u m v e r ~ o )

    de ce

    divin Etre-dans le Tout : « Dieu, qui est Un, est _dans , 1 ' \ ~ t v e r s Un:

    L'univers est cependant en

    t o u ~ e

    ch?se

    de

    rnamere

    h ~ t e e » . . ~ c l

    signifie que l'univers est le smguher

    en

    ce sens qu

    Il se

    hm1te

    lui-meme

    a son essence.

    A partirde l'affirrnation de l'Etre-en divin médiatisé

    ~ a r l ' ~ n i v e r s ,

    Nicolas de Cues développe aussi

    1

    Etre-en réciproque du smgulzerdans

  • 8/19/2019 Beierwaltes - Eckhart Et Le Livre Des Causes

    8/8

      72

    W. BEIERWALTES

    1

    univers lui-meme, pour lequel cet univers est un príncipe analogue a u

    príncipe divin: dans l'in-fmi il y a le singulier, ainsi que le réciproque

    et le contradictoire, de telle maniere qu' il peut etre compris comme une

    pluralité relevant (aufueben) l unité en lui. En revanche, dans l'univers,

    en tant qu'imageexplicative de l'in-fini, se trouve l'Etre-en

    du

    singulier

    comme relation chaque fois déterminée d(fféremment.

    Par

    cette rela

    tion, qui est 1 action de

    ce

    príncipe analogique de 1 universum, le

    singulier en tant que concrétion toute particuliere du Tout est lié de

    maniere spécifique out autre singulier dans

    1

    univers, de sorte que

    l'univers devient un réseau de relations étroitement tissées ou une

    cohérence de fonctions (funktionszusammenhang) qui est en mouve

    ment. L'Univers, en tant que cohésion de ce Tout est, dans chaque chose

    particuliere, ce Tout lui-meme, sans pour autant, en raison de satonalité

    et de son universalité, devoir, de par lui-meme,

    s y

    identifier;

    c est

    l analogie de l'action de l'in.,.fini divin. Cependant, tout ce qui est

    singulier représente ou reflete I'univers ou le Tout dans ses réalisations

    singulieres: quodlibet in quolibet (40).

    Abstraction faite de l'esquisse de la question de savoir en quoi le

    projet de

    Nicolas de Cues

    d un

    monde relationnel peut etre lié a la

    réception eckhartienne de la proposition

    d

    Anaxagore, la réflexion de

    Cues pmmait etre bien enrichie, confirmée o u du moins stimulée

    par

    la

    maniere dont Ma tre Eckhart concroit le quodlibet in quolibet appliquée

    a

    ia maniere-d'Etre de Dieu dans son commentaire du livre de la

    Sagesse et de l'Ecclésiaste: ( ..)in mínimo lzabeturmaximum, quodli-

    bet in quolibet , unde ibi maius et minus, multum et paucum locum non

    habent. In divinis quodlibet in quolibet et maximum

    in

    mínimo (41).

    Werner BEIERWALTES,

    Université de MUNICH.

    (Traduit de l 'allemand par Michel Deneken).

    (40) Nicolas de Cucs, De docta ignoramia

    Il,

    5 ; 76, 5-1 O(édition E. Hoffmann

    et R. Klibansky) : Nam

    cwn manifestwn sit ex primo libro Dewn ita esse

    in

    omnibus

    quod omnia sunt in ipso et nw¡c constet Deum

    quasi mediante universo

    esse in

    onmibus, llinc omnia in omnibus esse constar et

    quodlibet

    in

    quolibet.

    Universum

    enim quasi ordine naturae ut perfectissimum praecessit omnia, ut quodlibet

    in

    quolibet esse posset.

    (41) In Sap

    271,

    CEuvre

    latine

    2, 601, 6

    sq. Sennones et Lectiones super

    Ecc/esiastici

    20. CEuvre

    latine 2,

    248, l sq. On peul mettre ceci en relation avcc la

    remarque marginal e 2 de Cues :

    in

    divinis quodlibet

    in

    quolibet, maximum in minimo.