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RUSSIE Le sexe, travail d’appoint
Document Cinq heures avec Prince
CÔTE D’IVOIRE Cacao en péril
www.courrierinternational.com N° 1029 du 22 au 28 juillet 2010 - 3,50 €
Bel été !Les leçons de la marée noire
par Naomi Klein
3:HIKNLI=XUXZUV:?l@k@c@j@a;M 03183 - 1029 - F: 3,50 E
AFRIQUE CFA : 2 600 FCFA - ALGÉRIE : 450 DA - ALLEMAGNE : 4,00 €
AUTRICHE : 4,00 € - CANADA : 5,95 $CAN - DOM : 4,20 € - ESPAGNE : 4,00 €
E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ - GRÈCE : 4,00 € - IRLANDE : 4,00 €
ITALIE : 4,00 € - JAPON : 700 ¥ - MAROC : 30 DH - NORVÈGE : 50 NOK
PORTUGAL CONT. : 4,00 € - SUISSE : 6,40 CHF - TOM : 700 CFP
COLOMBIE Chanter est dangereux
▶ Les plus de courrierinternational.com ◀
*XLe regard des journalistesde Courrier international
BLOGS
*g INSOLITESDégustez des inédits
4 parmi les sources cette semaine6 éditorial par Philippe Thureau-Dangin
6 l’invité Joschka Fischer, Süddeutsche Zeitung, Munich
10 à l’affiche10 ils et elles ont dit
d’un cont inent à l ’autre
8 franceSOCIÉTÉ Le racisme à visage découvertFRANÇAFRIQUE La dette de sang ne s’effacera jamaisDÉCOUVERTE A Brooklin, “la Petite France” a tout de la grande
12 europeESPAGNE Heurs et malheurs de l’indépendance catalaneALLEMAGNE Tous les extrêmes ne sont pas égauxRUSSIE Mon corps m’appartient, donc je le loueROYAUME-UNI Faire comme si l’Europe n’existait pasALBANIE A nos chers parents, ces oubliés de la démocratieALLEMAGNE La dernière bataille des enfants de la guerre
17 amériquesÉTATS-UNIS Obama dompte Wall Street, pas les électeursINFLUENCE Une réforme qui renforce le ministre des FinancesCOLOMBIE Chanter peut nuire gravement à la santéÉTATS-UNIS Ce crime qui a choqué l’Amérique
20 asieCAMBODGE Quelle justice pour les victimes de Pol Pot ? PAKISTAN Tout est bon pour éliminer les talibansJAPON Un trouble-fête nommé Votre PartiMYANMAR Le chapeau de la discordeINDE La classe moyenne se défile
23 moyen-orientMONDE ARABE Deux morts, deux mesuresIRAN La révolte du bazar fait reculer le gouvernementARABIE SAOUDITE Devenir le plus grand creuset musulmanVU DU MONDE ARABE Un jour on regrettera l’Europe
25 afriqueSOMALILAND Un havre de paix et de stabilité politique TUNISIE Ben Ali n’aime vraiment pas la presse indépendante
enquêtes et reportages
26 dossier Marée noire
32 enquête Le cacao ne fait plus recette
34 la bd de l’été (3/5) par Joe Sacco
45 document Cinq heures avec Prince
intel l igences
37 Le Petit Journal de la criseTaxer les riches, c’est bon pour la croissance
41 multimédiaTENDANCE La presse russe prend ses aises en province
42 sciencesRECHERCHE L’Asie du Sud-Est en panne de scientifiques43 économieTRAVAIL Les ouvriers chinois font désormais la loi
rubriques
52 le livre De Bewaker, de Peter Terrin
52 saveurs Inde : petite graine miraculeuse
54 insolites Corrida : plus la foi, les foies
sommaire●
▶ En couverture : Prince Mike Ruiz/Kikit
26DossierMarée noire
N Plus de 4 000 dessinsde presse à découvrir
CARTOONS
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 3 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
37Le PetitJournal de la crise
45Document
Cinq heures avecle Prince dePaisley Park13
RussieMon corps m’appartient,donc je le loue
23Monde arabeDeux morts, deux mesures
Win
McN
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mag
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les sources ●
PARMI LES SOURCES CETTE SEMAINEAAFAQ (aafaq.org) Arabie
Saoudite (siège à
Washington). “Horizons”
fut fondé à Washington
en 2006 par le journaliste
et écrivain saoudien ansour
El-Haj en tant que site
des réformateurs dans
le monde arabe. Combattre
le terrorisme, défendre
les droits de l’homme
et promouvoir la démocratie
sont au centre de ses
thèmes. Aafaq s’intéresse
aussi aux sujets liés aux
Arabes et aux musulmans
vivant aux Etats-Unis.
LE COURRIER 9 100 ex., Suisse,
quotidien. Humaniste,
progressiste et
altermondialiste : ainsi
se définit le quotidien
des milieux alternatifs
et associatifs genevois.
Une identité bien éloignée
de la défense des intérêts
catholiques dans le canton
de Genève, bastion
protestant, pour laquelle le
journal a été créé en 1868 !
DIÁRIO DE NOTÍCIAS 75 000 ex.,
Portugal, quotidien. Fondé
en 1864, le “Quotidien
des nouvelles” fut l’organe
officieux du salazarisme.
Aujourd’hui, le DN est
devenu un journal que l’on
peut qualifier de centriste.
Grâce au renouvellement
de sa maquette et à ses
efforts pour divulguer une
information complète, le
titre voit son public rajeunir.
FINANCIAL TIMES 448 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien.
Le journal de référence,
couleur saumon, de la City
et du reste du monde. Une
couverture exhaustive de
la politique internationale,
de l’économie
et du management.
THE GUARDIAN 364 600 ex.,
Royaume-Uni, quotidien.
Depuis 1821,
l’indépendance, la qualité
et l’engagement à gauche
caractérisent ce titre
qui abrite certains
des chroniqueurs les plus
respectés du pays.
THE INDEPENDENT 215 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien.
Créé en 1986, c’est l’un
des grands titres de la presse
britannique de qualité.
Il se distingue de ses
concurrents par son
indépendance d’esprit, son
engagement proeuropéen
et ses positions libérales
sur les questions de société.
INSIDEIRAN.ORG (insideiran.org),
Iran. Ce journal en ligne
bihebdomadaire traite
de l’actualité iranienne
en se fondant sur les articles
d’auteurs vivant en Iran
et hors d’Iran. Il est financé
par The Century
Foundation, un think
tank américain.
INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE242 000 ex., France,
quotidien. Le quotidien
mondial par excellence, créé
par des Américains en 1887,
édité à Paris, imprimé
dans 28 villes du monde,
lu dans 180 pays ; le titre est
beaucoup plus que l’édition
internationale du New YorkTimes, son unique
propriétaire.
IN THESE TIMES 17 000 ex.,
Etats-Unis, mensuel.
“Eclairer et analyser les mouvements pour la justicesociale, environnementale et économique” : telle est
la mission que s’est donnée
ce magazine militant fondé
en 1976 par l’historien
James Weinstein.
Une mission qu’il accomplit
en publiant des enquêtes
de très bonne tenue
sur des sujets délaissés
par les grands médias.
THE IRISH TIMES 119 000 ex.,
Irlande, quotidien.
Les prix remportés
par les journalistes de
The Irish Times confirment
régulièrement son statut
de quotidien de référence.
Et tout en gardant une
grande sobriété, il jouit d’un
large lectorat, notamment
pour son édition du samedi.
THE IRRAWADDY 1 500 ex.,
Myanmar, mensuel.
Ce journal d’opposition
démocratique à la junte au
pouvoir a été créé en 1993.
Sa rédaction, basée
à Chiangmai, en Thaïlande,
est composée d’anciens
étudiants ayant fui
la répression du régime.
MAINICHI SHIMBUN 3 960 000 ex.
(éd. du matin),
1 660 000 ex. (éd. du soir,
au contenu différent), Japon,
quotidien. Fondé en 1872
sous le nom de Tokyo NichiNichi Shimbun, le MainichiShimbun est le plus ancien
quotidien japonais. Il a pris
la dénomination actuelle en
1943 lors d’une fusion avec
l’Osaka Mainichi Shimbun.
Centriste, le “Journal
de tous les jours” est le
troisième quotidien national
du pays par la diffusion.
MAPO, Albanie, hebdomadaire.
Fondé en octobre 2006,
ce magazine d’information
ambitionne d’être différent
de ses concurrents (le
marché des hebdomadaires
étant très fourni en Albanie)
par son franc-parler.
Chaque semaine, il s’attarde
ainsi sur un fait marquant
de l’histoire albanaise
ou des Balkans en général.
MILENIO 80 000 ex., Mexique,
quotidien. Né en 2000
à Monterrey, la grande ville
du Nord, “Millénaire”
possède aussi des rédactions
à Mexico et dans d’autres
villes de province.
Son ton irrévérencieux
traduit une approche
incisive de l’actualité
politique mexicaine.
résolument à gauche,
The Nation est l’un
des premiers magazines
d’opinion américains.
Des collaborateurs tels
que Henry James, Jean-Paul
Sartre ou Martin Luther
King ont contribué
à sa renommée.
THE NEWS 120 000 ex., Pakistan,
quotidien. Le titre, fondé
en 1991, se définit comme
progressiste dans ses prises
de position politiques
et économiques.
Son supplément dominical
propose aussi d’intéressantes
observations et analyses
sur les problèmes politiques
et sociaux.
THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex.
(1 700 000 le dimanche),
un magazine d’informations
générales et de reportages
richement illustrés.
OUTLOOK 250 000 ex., Inde,
hebdomadaire. Créé en
octobre 1995, le titre est très
vite devenu l’un des hebdos
de langue anglaise les plus
lus en Inde. Sa diffusion suit
de près celle d’India Today,l’autre grand hebdo indien,
dont il se démarque
par ses positions nettement
plus critiques.
EL PAÍS 392 000 ex.
(777 000 ex. le dimanche),
Espagne, quotidien. Né en
mai 1976, six mois après la
mort de Franco, “Le Pays”
est une institution. Il est
le plus vendu des quotidiens
d’information générale
et s’est imposé comme
l’un des vingt meilleurs
journaux du monde.
Plutôt proche des socialistes,
il appartient au groupe de
communication PRISA.
POLITIKEN 107 000 ex.,
Danemark, quotidien.
Fondé en 1884, Politiken est
aujourd’hui un quotidien de
centre gauche qui se donne
encore l’image d’un certain
“radicalisme culturel”.
AL-QABAS 50 000 ex., Koweït,
quotidien. Certainement
le titre le plus prestigieux
de ce petit émirat pétrolier.
Fondé en 1976, il appartient
à cinq grandes familles et
constitue donc le porte-voix
des intérêts de la bourgeoisie
libérale. C’est aussi l’une
des tribunes du mouvement
démocratique “orange”
de jeunes qui s’opposent
à la pernicieuse islamisation
du pays.
SCIDEV.NET (scidev.net),
Royaume-Uni. Au-delà
de son site basé à Londres,
Science and DevelopmentNetwork tente de développer
des pôles locaux et anime
des ateliers de formation
dans les pays
en développement.
Le site a été développé
par des journalistes
du magazine scientifique
Nature, et est soutenu
par plusieurs fondations.
SEMANA 180 000 ex.,
Colombie, hebdomadaire.
Ce magazine a été créé
en 1946 par Alberto Lleras
Camargo, après avoir
terminé son mandat
présidentiel. De tendance
libérale, il a été contraint
de fermer en 1961 puis
a été refondé en 1982.
Il s’agit d’un des
meilleurs hebdomadaires
d’Amérique latine, pour son
indépendance, sa modernité
et sa qualité d’information.
SHEKULLI 25 000 ex.,
Albanie, quotidien. Fondé
en septembre 1997,
“Le Siècle”, qui se définit
comme “national et indépendant”,
est actuellement le journal
le plus lu en Albanie.
STERN 1 275 000 ex.,
Allemagne, hebdomadaire.
Premier magazine
d’actualité allemand.
Appartient au groupe
de presse Gruner + Jahr.
Toujours à la recherche
d’un scoop, cette “Etoile”
a un peu pâli depuis
l’affaire du faux journal
intime de Hitler.
SÜDDEUTSCHE ZEITUNG 430 000 ex.,
Allemagne, quotidien. Né à
Munich, en 1945, le journal
intellectuel du libéralisme de
gauche allemand est l’autre
grand quotidien de référence
du pays, avec la FAZ.
DIE TAGESZEITUNG 60 000 ex.,
Allemagne, quotidien.
Ce titre alternatif, né
en 1979 à Berlin-Ouest,
s’impose comme le journal
de gauche des féministes,
des écologistes et
des pacifistes… sérieux.
TO VIMA 20 000 ex.
(140 000 ex. le dimanche),
Grèce, quotidien.
L’influence de “La Tribune”
dépasse largement
sa diffusion. Ses éditoriaux
et ses pages culturelles
sont très lus. Son édition
du dimanche, avec
des suppléments spécialisés
et deux magazines,
est remarquable. To Vimaappartient au groupe
Lambrakis.
THE WALL STREET JOURNAL2 000 000 ex., Etats-Unis,
quotidien. C’est la bible
des milieux d’affaires. Mais
à manier avec précaution :
d’un côté, des enquêtes
et reportages de grande
qualité ; de l’autre, des pages
éditoriales tellement
partisanes qu’elles tombent
trop souvent dans
la mauvaise foi la plus
flagrante.
THE WASHINGTON POST 700 000 ex.,
Etats-Unis, quotidien.
Recherche de la vérité,
indépendance :
la publication des rapports
secrets du Pentagone
sur la guerre du Vietnam ou
les révélations sur l’affaire
du Watergate ont démontré
que le Post vit selon
certains principes. Un grand
quotidien de centre droit.
EL-WATAN 50 000 ex., Algérie,
quotidien. Fondé en 1990
par une équipe de
journalistes venant d’ElMoudjahid, quotidien officiel
du régime, “Le Pays”
est très rapidement devenu
le journal de référence avant
d’être concurrencé plus tard
par d’autres quotidiens. Son
directeur, Omar Belhouchet,
est une figure de la presse
algérienne. Condamné
plusieurs fois à la prison
et victime d’un attentat,
il a reçu de nombreux prix
à l’étranger.
Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication
Conseil de surveillance : David Guiraud, président ; Eric Fottorino, vice-présidentDépôt légal : juillet 2010 - Commission paritaire n° 0712C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
RÉDACTION6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16)Directeur adjoint Bernard Kapp (16 98)Rédacteur en chef Claude Leblanc (16 43)Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),Raymond Clarinard (16 77)Chefs des informations Catherine André (16 78), Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme, Marie Varéon (16 67)Europe Odile Conseil (coordination générale, 16 27), Danièle Renon (chef de serviceadjoint Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Emilie King(Royaume- Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), Anthony Bellanger (France,16 59), Marie Bélœil (France, 17 32), Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias(Portugal, 16 34), Adrien Chauvin (Espagne 16 57), Iwona Ostapkowicz (Pologne,16 74), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer(Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Solveig Gram Jensen (Danemark), AlexiaKefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède),Laurent Sierro (Suisse), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas(Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), GabrielaKukurugyova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie,Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie,Est de l’Europe Laurence Habay (chef de service 16 36), Alda Engoian (Caucase,Asie centrale), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Larissa Kotelevets(Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord,16 14), Jacques Froment (chef de rubrique, Etats-Unis, 16 32 ), Marc-Olivier Bherer(Canada, Etats-Unis, 16 95), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine,16 76), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie AgnèsGaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asiedu Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime(Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié(chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (Egypte,16 35), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie(Turquie) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Pierre Lepidi, AnneCollet (Mali, Niger, 16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), HodaSaliby (Maroc, Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique duSud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt Economie Pascale Boyen(chef de service, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Sciences Anh HoàTruong (16 40) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices &saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)Site Internet Olivier Bras (éditeur délégué, 16 15), Marie Bélœil (rédactrice,17 32), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Mouna El-Mokhtari (webmestre,17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Jean-Christophe Pascal (webmestre,16 61), Mathilde Melot (marketing, 16 87), Pauline HardoüinAgence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97), Caroline Marcelin,Emmanuelle Morau (16 62)Traduction Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), MikageNagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol(anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Anne Doublet(16 83), Lidwine Kervella (16 10)Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller, JonnathanRenaud-Badet, Alexandre Errichiello Cartographie Thierry Gauthé (16 70)Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation)Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)Informatique Denis Scudeller (16 84)Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (directrice adjointe)et Sarah Tréhin (responsable de fabrication). Impression, brochage : Maury,45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-BeaubourgOnt participé à ce numéro Torunn Amiel, Edwige Benoit, Gilles Berton, MarianneBonneau, Valérie Brunissen, Isabelle Bryskier, Elise Cannuel, Marianne Dardard,Isabelle Daussun, Geneviève Deschamps, Valeria Dias de Abreu, StéphanieD’Hooghe, Alexandre Dumont-Blais, Sika Fakambi, Marion Gronier, Julie Hammett,Valentine Morizot, Marina Niggli, Jacky Péraud, Françoise Picon, Stéphanie Saindon,Marie-Laure Sers, Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Emmanuel Tronquart, Janine deWaard, Zhang Zhulin, Anna Zyw
ADMINISTRATION - COMMERCIALDirecteur délégué Régis Confavreux Secrétaire général Paul Chaine (17 46).Assistantes : Sophie Daniel (16 52), Sophie Jan (16 99), Natacha Scheubel.Responsable contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05), Julie Delpech deFrayssinet (16 13)Responsable des droits : Dalila Bounekta (16 16). Comptabilité : 01 48 88 45 02Relations extérieures Victor Dekyvère (16 44) Partenariats Sophie Jan (16 99)Ventes au numéro Directeur commercial : Patrick de Baecque. Responsablepublications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chefde produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusioninternationale : Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing, abonnement Pascale Latour (directrice, 16 90), Sophie Gerbaud (16 18),Véronique Lallemand (16 91), Sweeta Subbamah (16 89), Sophie Rousseaux (17 39)Publicité Publicat, 7, rue Watt, 75013 Paris, tél. : 01 40 39 13 13. Directricegénérale : Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher <[email protected]> (13 97). Directrices de clientèle : Karine Lyautey (14 07), Claire Schmitt(13 47), Kenza Merzoug (13 46). Régions : Eric Langevin (14 09). Culture : LudovicFrémond (13 53). Littérature : Béatrice Truskolaski (13 80). Annonces classées : CyrilGardère (13 03). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97) Publicité siteInternet i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeurde la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> Modifications de services ventesau numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146Abonnements Tél. de l’étranger : 00 33 3 44 62 52 73. Fax : 03 44 12 55 34. Courriel: <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international,Service abonnements, B1203 - 60732 Sainte-Geneviève Cedex Commanded’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Au guste-Blanqui, 75013 Paris.Tél. : 01 57 28 27 78
ABONNEMENTS
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Courrier international n° 1029
Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour les kiosques Francemétropolitaine et un CD Prince pour les kiosques France métropolitaine et pour leskiosques Suisse.
Courrier International, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier International SAc/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.
HET NIEUWSBLAD 261 000 ex., Belgique,quotidien. Lancé en 1929 par le journal de réfé-rence de l’establishment flamand De Standaard,Het Nieuwsblad est (avec les autres titres régio-naux comme De Gentenaar et Het Volk du mêmegroupe) le pendant populaire moins politique, plusgénéraliste et plus sportif qui s’adresse au petitemployé conservateur et catholique de Flandre.
Il appartient au puissant
groupe Multimedios.
DE MORGEN 69 000 ex.,
Belgique, quotidien. Créé
en 1978 sur le modèle
français de Libération,le quotidien progressiste
flamand a bousculé la presse
belge par une ligne éditoriale
agressive. Spécialiste
du scoop, “Le Matin”
se distingue également par la
qualité de ses photographies.
THE NATION 117 000 ex.,
Etats-Unis, hebdomadaire.
Fondé par des
abolitionnistes en 1865,
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 4 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
Etats-Unis, quotidien.
Avec 1 000 journalistes,
29 bureaux à l’étranger
et plus de 80 prix Pulitzer,
c’est de loin le premier
quotidien du pays,
dans lequel on peut lire
“all the news that’s fit to print”(toute l’information
digne d’être publiée).
NOW LEBANON(nowlebanon.com),
Liban. Créé en 2007, le site
propose une couverture de
l’actualité, des analyses
et une base documentaire
– ainsi que des cartes –
concernant la vie politique
du Liban sur le plan
intérieur et international.
Une version anglaise
reprend certaines
de ses rubriques.
L’OBSERVATEUR PAALGA 7 000 ex.,
Burkina Faso, quotidien.
Fondé en 1974, L’Obs est aujourd’hui le plus
lu des trois quotidiens
de la capitale burkinabé.
L’essentiel de ses 16 pages
est consacré à l’actualité
politique nationale
et régionale.
OGONIOK 67 000 ex., Russie,
hebdomadaire. Après plus
d’un siècle d’une histoire
mouvementée, “La Petite
Flamme” se présente
aujourd’hui comme
ÉDITORIAL l ’ invi té ●
Joschka Fischer, Süddeutsche Zei tung (extrai ts) , Munich
Le non turc aux nouvelles sanctions contre l’Iran
décidées par le Conseil de sécurité des Nations
unies [ce vote a eu lieu le 9 juin] témoigne de
façon spectaculaire de la distance qui s’est
installée entre l’Occident et la Turquie. Sommes-
nous aujourd’hui en train de découvrir les consé-
quences de la politique étrangère du gouver-
nement AKP du Premier ministre Tayyip
Erdogan, qui vise à faire changer la Turquie de camp,
à la faire revenir à ses racines orientalo-musulmanes ?
Cette crainte est exagérée, voire erronée. Et même si
on en arrivait là, ce serait plutôt le fait de l’Occident,
non celui de la classe politique turque. Car la politique
étrangère “néo-ottomane” d’Ankara, qui vise à mettre
un terme aux conflits entre
la Turquie et ses voisins, et
aux conflits internes de ces
pays, ainsi qu’à engager ac-
tivement la Turquie dans la
région, n’est nullement en
contradiction avec les inté-
rêts de l’Occident – bien au
contraire. L’Occident va
devoir enfin considérer la
Turquie comme un parte-
naire sérieux, non plus com-
me un vassal. Après la déci-
sion sur l’Iran du Conseil de
sécurité, Robert Gates, le
ministre de la Défense amé-
ricain, a violemment reproché à l’Europe d’avoir, par
son comportement, contribué à l’aliénation de la
Turquie. Cette franchise fort peu diplomatique a sus-
cité une vive indignation à Paris et à Berlin – à tort, car
Gates avait malheureusement touché juste. Depuis que
Sarkozy a remplacé Chirac en France et Merkel
succédé à Schröder en Allemagne, l’UE fait patienter
la Turquie.
On ne le répétera jamais assez : la Turquie occupe une
situation géopolitique idéale dans la région, une des zones
clés pour la politique mondiale, en particulier pour la
sécurité européenne. L’est de la Méditerranée, la mer
Egée et l’ouest des Balkans, la région caspienne et le sud
du Caucase, l’Asie centrale, le Proche-Orient et le Moyen-
Orient : l’Occident ne pourra pas faire grand-chose dans
cette zone sans le soutien d’Ankara. Et cela vaut non seu-
lement en matière de sécurité mais également en matière
d’énergie, alors que l’Europe espère trouver dans cette
région des alternatives à sa dépendance croissante
vis-à-vis des fournisseurs d’énergie russes.
L’Europe ne peut simplement pas se permettre de s’alié-
ner la Turquie. Et si celle-ci se détourne d’elle, c’est bien
à cause de la politique européenne de ces dernières an-
nées. La sécurité de l’Europe au XXIe siècle se décidera
essentiellement chez ses voisins du Sud-Est – donc là
où la Turquie est incontournable et le sera encore plus
à l’avenir. Or au lieu de lier la Turquie le plus étroite-
ment possible à l’Europe et à l’Occident, la politique
européenne pousse Ankara directement dans les bras
de la Russie et de l’Iran !
Cette politique est à la fois paradoxale, absurde et témoigne
d’une très courte vue. La Russie, l’Iran et la Turquie ont
toujours été des rivaux et ja-
mais des alliés dans la région.
L’aveuglement européen
ignore cet état de fait.
La confrontation entre la
Turquie et Israël a elle aussi
pour conséquence de ren-
forcer les forces radicales du
Proche-Orient. Une ques-
tion se pose donc : qu’atten-
dent exactement Bruxelles
et les capitales européennes
pour lancer un pont prati-
cable entre les deux pays ?
L’Occident ne peut accepter
une rupture durable entre
Israël et la Turquie si on ne veut pas que la région soit
encore déstabilisée pour longtemps. L’Europe doit agir
en ce sens.
La Turquie n’est pas le seul endroit où l’Europe s’illustre
par son inactivité. Bruxelles devrait s’engager massive-
ment dans les pays du sud du Caucase et de l’Asie cen-
trale (ou encore en Ukraine), où elle devrait, avec l’ac-
cord des petits Etats concernés, poursuivre et faire triom-
pher ses intérêts énergétiques face à la Russie. Car la
crise économique et financière mondiale, ainsi que l’en-
trée de la Chine sur la scène géopolitique, ce nouvel ac-
teur qui planifie à long terme, font considérablement
bouger les choses. L’Europe risque de ne plus avoir as-
sez de temps, y compris dans son voisinage. Car tous
ces pays souffrent de son absence de politique étrangère
active et d’engagement fort. Que disait un homme d’Etat
russe important de la fin du XXe siècle, au juste ? “Ce-lui qui arrive trop tard sera puni par la vie.” ■
Rappelez-vous : en octobre 2007,
au cours du Grenelle de l’envi-
ronnement, la France décidait de
tourner le dos au tout-bagnole, du
moins le croyait-on. En mai 2008,
nouvel épisode, le prix du brut
s’envolait, on évoquait même un
cours possible à 200 dollars le baril qui allait chan-
ger notre civilisation. Fin 2009, à Copenhague, on
a espéré jusqu’à la dernière minute que le sommet
sur le changement climatique aboutirait à un accord
chiffré de réduction des gaz à effet de serre… Mais,
aujourd’hui, il faut déchanter.
La France construit toujours des autoroutes inutiles.
Le prix du brut tourne autour des 75 dollars. Les
discussions de l’après-Copenhague s’enlisent et le
sommet de Cancún, en décembre prochain, ne sera
pas décisif. Quant à Obama, il veut faire passer en
force une loi “climat” au rabais – qui insisterait plus
sur l’indépendance énergétique des Etats-Unis que
sur la limitation des émissions… Même la terrible
catastrophe de la Louisiane, sur laquelle nous reve-
nons dans notre dossier, ne parvient pas à faire
changer les opinions, ni outre-Atlantique ni ici.
Naomi Klein le rappelle : la côte du golfe du
Mexique sera défigurée pour longtemps. Pour
preuve, le sinistre du Torrey Canyon pollue toujours,
quarante ans après.
Pourtant, si terribles que soient ces marées noires,
ce n’est pas là le pire. Notre dépendance au pétrole
a d’autres effets, encore plus irréversibles. Selon
les calculs de la NASA, le début de l’année 2010
est le plus chaud jamais enregistré depuis que l’on
mesure les températures, c’est-à-dire depuis 1880.
Les glaciers de Patagonie comme ceux d’Asie ou
d’Europe fondent plus vite que jamais. Le Pérou
peut bien imaginer de peindre en blanc leurs gla-
ciers pour les protéger du soleil, et l’Italie de leur
mettre une couverture thermique pour réduire
la fonte durant l’été, ces subterfuges sont risibles
face au défi que nos voitures et nos modes de vie
imposent à la Terre. BP est certes une entreprise
arrogante qui se lance dans des expériences sans
en calculer pleinement les risques. Mais nous fai-
sons de même, sans le savoir, comme M. Jourdain
faisait jadis de la prose.
Philippe Thureau-Dangin
Du pétrole comme M. Jourdain de la prose
Ben
jam
in K
anar
ek
Cessons denégliger Ankara
■ Ministre des Affaires étrangères (vert)
du gouvernement Schröder de 1998 à
2005, Fischer a quitté la vie politique en
2006. Diplomate aguerri, il enseigne
depuis lors à l’université de Princeton et
est devenu consultant pour le projet euro-
péen de gazoduc Nabucco. Il a 62 ans. F. R
eiss
/AP-
Sip
a
L E D E S S I N D E L A S E M A I N E
■ ▲ Steve Jobs : “Il marche très bien ; il suffit de le tenir correctement.”L’iPhone 4, dernier-né de la gamme téléphonique d’Apple, souffre d’un problème de réception
qui lui vaut de sévères critiques. Le 16 juillet, Steve Jobs a présenté ses excuses aux clients
et leur a promis pour bientôt une coque supposée régler l’affaire.
Dessin de Mike Keefe paru dans The Denver Post, Etats-Unis.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 6 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
Du 14 juillet au 15 août 2010Danse, musique, cirque, théâtre et plus encore…
www.quar�erdete.com
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le c
arto
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SOCIÉTÉ
Le racisme à visage découvertEn adoptant la loi sur le voile intégral, l’Assemblée nationale a voulu “libérer” les femmes. Mais la libération ne se décrète pas et, surtout, l’Etat n’a pas à se mêler de ce que doivent porter les femmes.
THE GUARDIANLondres
Cela fait froid dans le dos.Les députés français ontvoté, le 13 juillet, une loi quiinterdit le port du voile inté-
gral dans l’espace public. Il faut espé-rer que ce texte extraordinaire [qui serasoumis au Sénat en septembre] finirapar être censuré [par le Conseil consti-tutionnel ou la Cour européenne desdroits de l’homme]. Après tout, mêmele Conseil d’Etat avait signalé en maiqu’une interdiction totale irait à l’en-contre de la Constitution.
Le débat sur le voile permet entoute légitimité de mettre au piloriun tout petit nombre de femmes enraison de ce qu’elles portent. Deshommes politiques français ont décritle voile intégral comme un “cercueilambulant” ; des commentaires diffu-sés sur Internet décrivent des femmes“qui se cachent sous une couverture” et“sortent avec un sac sur la tête”. EnFrance, le nombre de celles qui dis-simulent leur visage sous une burqaou un niqab est estimé [par le gou-vernement] à 2 000, sur un total de5 millions de musulmans. La réaction[des politiques] est donc totalementdisproportionnée. Soyons clairs : leniqab et la burqa sont des interpré-tations extrêmes de la tenue modesteprescrite aux femmes par l’islam. Peud’islamologues préconisent leur portet beaucoup le déconseillent. Le voileintégral est aussi étranger à nombrede cultures musulmanes qu’il l’està l’Occident. Et même s’il existe despatriarcats où des femmes pourraientêtre encouragées, voire contraintes àle porter, ces cas ne doivent en aucuncas être généralisés.
MINIJUPE, SARI, NIQAB OU BURQA : MÊME COMBAT
Aujourd’hui, un nombre croissant dejeunes femmes choisissent de porterle voile intégral parce qu’elles y voientun moyen d’affirmer leur identité. Eninvoquant l’autorité de l’Etat pourréglementer les codes vestimentairesdans les lieux publics, on étend consi-dérablement les pouvoirs de ce der-nier sur un aspect du comportementdes citoyens qui relève largement duprivé. Du moment qu’on est habillé,l’espace public occidental est entière-ment libre : c’est une évidence danstoutes les capitales européennes. Lesfemmes qui portent les minijupes lesplus courtes s’assoient dans le bus àcôté d’autres femmes habillées en sari,en tenue de ville ou en salwar kameez[tenue indienne composée d’un pan-talon et d’une tunique]. Aucun descodes culturels exprimés par ces vête-ments n’est considéré comme relevantde l’Etat. Et ils ne doivent pas l’être.En Occident, les lieux publics ont joué
un rôle crucial dans l’apparition d’uneculture de la tolérance ; c’est dans cetespace que des étrangers se côtoientmême s’ils ne partagent parfois riend’autre qu’un lieu géographiquependant un temps limité – cinqminutes de queue à un arrêt de bus,par exemple. Nous avons surmonté ettoléré des différences de classe, de cul-ture, de nationalité et de race dans nosrues et sur nos places.
Il n’est pas difficile de voir que ledébat français est imprégné de racisme.Il s’agit d’affirmer son identité – sousprétexte de protéger son “mode de
vie” – et, pour cela, on vous impose unchoix : être pour ou contre. Signez oudégagez. Mais il est bien connu quece genre de choix est dangereux. Ledéputé conservateur Philip Hollobone,qui a présenté une proposition de loivisant à interdire le voile au Royaume-Uni, a expliqué que le mode de vie desBritanniques consistait, entre autreschoses, à “marcher dans la rue, sourireaux gens et leur dire bonjour”. Combiende rues britanniques ont-elles jamaisprésenté un tableau aussi idyllique ?On voit là l’absurdité des politiques quicherchent à légiférer sur un passé idéa-
lisé pour l’ériger en norme. Le para-doxe est que ces interdictions révèlentune obsession de l’identité et du visageà une époque où les gens passent plusde temps que jamais à dialoguer enligne dans un anonymat total. Demême, la plupart des gens qui évoluentdans l’espace public urbain évitent soi-gneusement de croiser le regard desautres. Pourtant, la plupart de ceux quiprônent l’interdiction du voile mettentl’accent sur l’importance de montrerson visage pour communiquer.
UNE DOUTEUSE OBSESSION DU VISAGE ET DE L’IDENTITÉ
Il n’est pas difficile de comprendre quecertaines femmes – une petite mino-rité – peuvent être choquées par lasexualisation généralisée de la cultureoccidentale et cherchent à s’en dis-tancier par leur tenue vestimentaire.Or c’est un choix dont des parlemen-taires français majoritairement mâlesont décidé de les priver (les femmesreprésentent moins de 20 % desmembres de l’Assemblée nationale).Ils ont soutenu, le 13 juillet, que lesfemmes devaient être libérées du voileintégral. Forcer les gens à être libresest une pratique déplorable qui a unlong passé derrière elle. Beaucoup ontécrit à son sujet, dont George Orwell,mais les époques sont trop souventaveuglées par leurs préjugés pour sesouvenir que la libération ne peut enaucun cas être imposée.
Madeleine Bunting
f rance ●
FRANÇAFRIQUE
La dette de sang ne s’effacera jamaisLe 14 juillet, Nicolas Sarkozy a annoncé que les retraites des anciens combattants africains seraientalignées sur celles des Français. Mais l’injustice est trop ancienne pour pouvoir être réparée.
Décidément, ce 14 juillet 2010 resteragravé dans les mémoires en Afrique.Encore davantage dans la partie fran-
cophone du continent, au sud du Sahara. Eneffet, pour la première fois, des troupes, aunombre de treize, représentant les armées despays des chefs d’Etat africains invités ontparadé sur les prestigieux Champs-Elysées [àl’exception d’Andry Rajoelina, le présidentde la Haute Autorité de transition malgache,qui n’a pas été convié, et de l’Ivoirien LaurentGbagbo, qui s’est fait représenter par sonministre de la Défense]. Mieux, c’est à ceslointains héritiers des tirailleurs sénégalaisqu’est revenu l’honneur d’ouvrir le défilé mili-taire. Une première. Une marque d’estime,s’il en est, quoique diversement appréciée surle continent noir, que l’ancienne métropole abien voulu exprimer à l’endroit de ses ex-colo-nies pour le cinquantenaire de leur indépen-dance. Cerise sur le gâteau de ce 50e anni-versaire de l’accession des “indigènes” à la
souveraineté : la promesse de “décristallisa-tion” de la pension des anciens combattants.
“C’est pour témoigner de notre reconnaissanceindéfectible envers les anciens combattants ori-ginaires de vos pays que nous souhaitons les voirbénéficier désormais des mêmes prestations deretraite que leurs frères d’armes français. Il y a desdettes qui ne s’éteignent jamais. Il était temps dele reconnaître.” Parole du grand chef blanc,Nicolas Sarkozy, lors du dîner offert, mardi13 juillet, à ses treize invités. Comme gage desa “sincérité”, l’hôte élyséen a annoncé qu’unprojet de loi serait déposé devant le Parlement“à la rentrée prochaine”. Mieux vaut tard quejamais, même si promesse de grand n’est pashéritage. On se rappelle en effet qu’ennovembre 2006, sous le règne de Chirac“l’Africain”, la même Assemblée nationaleavait entériné le relèvement des pensions sansque cela ait été, jusqu’ici, suivi d’effet. Com-bien seront-ils à bénéficier de cette aménitéprésidentielle ? Quelque 30 000 personnes,
soit 10 000 anciens soldats ayant servi sous ledrapeau français et 20 000 veuves de “chairà canon”. Insignifiant. Oui, insignifiant euégard au nombre de tous ces conscrits colo-niaux morts, parfois dans le dénuement total,sous l’empire de cette loi aussi scélérate queraciste de 1959 portant gel des pensions desvétérans des ex-colonies françaisesd’Afrique et d’Asie [loi des finances dite “decristallisation”, votée le 26 novembre 1959].
Certes, la mesure, si elle venait à être appli-quée, pèsera sur le budget hexagonal qui n’estpas, en ces temps de crise, au mieux de sasplendeur. Mais la meilleure façon de faireamende honorable quant à cette iniquité dontont été victimes ces oubliés de la victoire surle nazisme, c’est de faire rétroagir la future loisur le dégel des pensions de retraite. Au moinsça pour éteindre la dette financière. Quant àla dette de sang, elle, elle ne s’éteindra jamais.Jamais ! Alain Saint Robespierre,
L’Observateur Paalga, Ouagadougou
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 8 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
■ Valeurd’exemple“Les Catalans
veulent que la burqa
soit interdite,
comme en France”,
titre La Vanguardia
le 19 juillet.
Selon un sondage,
83 % des Catalans
voudraient que
le voile intégral soit
interdit dans
les bâtiments
administratifs,
et 64 % qu’il
le soit dans la rue.
Le voile intégral
a déjà été proscrit
dans plusieurs
villes, mais début
juillet le Parlement
régional a refusé
d’étendre
l’interdiction à
toute la Catalogne.
▶ “C’est, genre, troprépressif.” Dessin de Clément parudans National
Post, Toronto.
CW
S
DÉCOUVERTE
A Brooklyn, “laPetite France” atout de la grande
Il y a trois ans, Jean-Jacques Ber-nat a entendu parler de l’émer-gence d’une Little France à Brook-
lyn. Il a aussitôt décidé d’y déménagerson bistrot. Il qualifie son établisse-ment, La Provence en boîte, d’“institu-tion de quartier” en raison de l’affluxincessant de clients qui viennent y cher-cher des croissants maison, de crous-tillantes baguettes et des en-cas tels quecrêpes ou quiches ; d’autres s’y ren-dent simplement pour échangerquelques mots dans leur langue mater-nelle. Le bistrot de Bernat a rejoint uneliste déjà longue d’établissements auxnoms français, comme le Bar Tabac,Robin des Bois ou le Café Luluc. Savitrine, où s’alignent tartes aux fruitset macarons multicolores, n’a rien àenvier à celle d’une pâtisserie pari-sienne.
Attirées par l’ambiance villa-geoise et des loyers relativementabordables, familles et entreprisesfrançaises se regroupent dans le sec-teur depuis une dizaine d’années. Unnombre significatif des quelque20 000 Français vivant à Brooklyn aété séduit par cet ancien quartierouvrier (italien) aujourd’hui incon-testablement embourgeoisé. La célé-bration annuelle du 14-Juillet attiredes sponsors tels que Ricard ouEvian, souligne Bernat. Dans unevitrine, une affiche propose les ser-vices d’un professeur particulier fran-çais bilingue ; sur une autre, quel-qu’un cherche à prendre des coursde français. Dans les écoles du quar-tier, les programmes d’apprentissagebilingue sont de plus en plus prisés.
Bernat, comme bien d’autres, estun immigrant satisfait. Arrivé auxEtats-Unis il y a treize ans, avecpresque rien d’autre en poche que saformation de pâtissier, il a d’aborddormi sur le divan de différents amispour ne pas devenir SDF. Aujour-d’hui, il est propriétaire de son bis-trot, d’un bar à vins et d’un petit bedand breakfast. “C’est ça, le rêve améri-cain, dit Bernat. Ici, vous pouvez mon-ter votre affaire plus facilement qu’enFrance.” Kouider Zioueche, un autrehabitant des Carroll Gardens, partageles sentiments de Bernat sur son paysd’adoption. “La vie est plus facile enAmérique”, affirme Zioueche, qui tra-vaille dans l’une des plus grosses bras-series françaises de New York, Bal-thazar [située sur Springstreet, dansManhattan], où l’on “représente laFrance et vend des produits français tousles jours”. C’est une histoire d’amourqui a amené Zioueche aux Etats-Unis.Il a fini par atterrir à Brooklyn, où ilvit depuis 1998. Même si son histoired’amour est à présent terminée, uneautre a commencé – avec l’Amérique,cette fois. “J’aime la France et je suisfier d’être français, dit-il. Beaucoup dechoses me manquent ici, mais pas aupoint de me donner envie de repartir.”
Mildrade Cherfils
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 9 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
à l ’aff iche ●
Etats-Unis Une cartooniste est née
Adepte des pages dessins et mots
croisés du Washington Post, Oli-
via Walch est aussi une lectrice
assidue de la rubrique Style.Mais voilà, en mai dernier, alors
que The Washington Post lançait
son concours du dessinateur
de presse le plus prometteur,
Olivia Walch se trouvait à Oxford, plongée
dans l’œuvre du grand écrivain britannique
Evelyn Waugh.
Etudiante en dernière année à l’université
William & Mary [en Virginie], elle ache-
vait alors un semestre à l’étranger. Inscrite
à un double cursus en mathématiques et
en biophysique, la jeune fille a été infor-
mée du concours par son père. “Tu devraist’inscrire”, lui avait-il dit. Le gagnant se
verrait remettre un prix de 1 000 dollars
et pourrait dessiner pendant un mois dans
la section Style du journal ainsi que sur le
blog Comic Riffs. Walch, qui a eu 21 ans
la semaine dernière, ne dessine sérieuse-
ment que depuis trois ans – pour le jour-
nal du campus, The Flat Hat –, mais elle a
décidé de tenter sa chance. Ils ont été près
de 500 à faire de même mais, selon les lec-
teurs, c’était Walch la meilleure. Près de
8 000 lecteurs du Washington Post ont par-
ticipé au vote ; son strip La Quête d’Imo-gène a été plébiscité aux deux tours.
Olivia était stupéfaite. “Je n’ai jamais sérieu-sement envisagé une carrière de dessinateurde presse”, explique cette native de Prin-
ceton, dans le New Jersey, dont la famille
a déménagé en Virginie alors qu’elle était
âgée de 11 ans. “Dans ma tête, je devaispoursuivre un doctorat en science et peut-êtreen mathématiques. Mais ce concours m’aouvert un nouvel horizon de possibilités.”Lorsqu’elle a appris la nouvelle, Walsh,
ravie, a immédiatement appelé sa mère
et son père, “les parents les plus encourageantsde l’univers”.Est-ce grâce au soutien de ceux-ci qu’elle
a développé ce don pour le dessin ? “Monpère est architecte ; je tiens de lui l’habituded’écrire en lettres majuscules, dit-elle en riant.
Quant à ma mère, j’ai récemment retrouvé desdessins qu’elle a faits quand elle était adoles-cente. Ce sont de très bonnes imitations des per-sonnages des Peanuts.” (Mark Anthony
Walch travaille à présent pour une société
de logiciels, tandis que Sharon Murphy
Walch est professeure de technologie à
l’école primaire de Rockledge, à Wood-
bridge.) C’est son père qui a initié la jeune
Olivia au monde du dessin, de manière
assez cocasse. Ayant remarqué qu’elle ado-
rait Peanuts, il lui a fait découvrir des
auteurs de strips pour adultes dès qu’elle
a été en âge de les comprendre. “Quandj’avais 14 ans, mon père me disait : ‘Tu as
déjà lu Doonesbury ?’ Tiens, je recevais sou-vent son courrier, d’ailleurs.” Apparemment,
le père d’Olivia avait vécu dans la même
rue du Connecticut que Garry Trudeau
– le créateur de Doonesbury – et recevait
régulièrement le courrier du dessinateur.
Comment Mark Walch aurait-il pu imagi-
ner que quelques dizaines d’années plus
tard sa fille serait désignée “dessinateur
le plus prometteur des Etats-Unis” par un
jury où siégerait Trudeau en personne ?
La Quête d’Imogène a reçu des commentaires
élogieux de la part d’autres grands noms du
milieu. Parmi eux, Stephan Pastis, l’auteur
des comic strips Pearls Before Swine, a écrit :
“Ce dessin est d’une intelligence et d’une origi-nalité qui sautent aux yeux. C’est un humourtrès fin, qui ose jouer la carte du pince-sans-rireplutôt que l’humour téléphoné.”Walch explique avoir énormément progressé
en travaillant pour le journal du campus,
auquel elle livrait entre trois et cinq illus-
trations par semaine – “en fonction de l’hu-meur du rédacteur en chef” – sans la moindre
rétribution. “Je le fais uniquement pour l’équipedu Flat Hat, que j’aime et et que j’admire.”Elle a également développé quelques théo-
ries sur la conception d’un dessin de presse.
“J’essaie d’être aussi originale que possible. Vouspouvez passer des heures sur une idée génialeet croire que c’est la meilleure que vous ayezjamais eue mais, si quelqu’un a pensé à quelquechose de vaguement similaire, vous êtes commediscrédité. Il y a quelque chose d’enivrant à voirun dessin évoluer vers une direction inattendue,poursuit-elle. C’est la nouveauté qui me plaît,plus encore que la drôlerie d’un dessin.”
Michael Cavna,
The Washington Post (extraits), Etats-Unis
I L S E T E L L E S O N T D I T
PERSONNALITÉS DE DEMAIN
MARK RUTTE
Ministre-président ?
Plusieurs semaines sesont écoulées depuis
les législatives néerlan-daises du 9 juin, et lesnégociations se poursui-vent pour former un gou-vernement. Une coalitiondes libéraux (VVD) avec
les travaillistes (PvdA), les démocrates (D66)et les Verts (Groen Links) semble aujourd’huipossible – qui sera très certainement dirigéepar le chef du VVD, Mark Rutte. “Il était loind’être le leader rêvé du VVD ou du pays, écritDe Volkskrant, jusqu’au moment où même lacrise économique est arrivée.” Rutte est né en1967 à La Haye. Son père était PDG d’uneentreprise commerciale, sa mère secrétaire.Il a fait des études d’histoire mais souhaitaitdevenir pianiste. Il a travaillé comme respon-sable des ressources humaines pour de grandesentreprises, comme Unilever, avant de deve-nir secrétaire d’Etat chargé de l’Emploi, de laSécurité sociale et des Retraites, en 2002.Sans expérience parlementaire, il est pour-tant élu en 2006 à la tête des libéraux, d’unecourte majorité. Ses débuts sont difficiles :la même année, son parti perd 6 sièges auxlégislatives. Les critiques pleuvent au sein dumouvement. Les élections européennes de2009 (le VVD, qui s’attendait à perdre de nom-breux sièges, a considéré comme une victoirede n’en perdre qu’un) marquent enfin un tour-nant. Les difficultés financières et économiquesont relégué l’immigration au rang de thèmepolitique secondaire et Rutte “a saisi chaqueoccasion pour prévenir que la crise du créditallait gravement toucher les Pays-Bas”.
MINAS KARATZOGLIS
Tête de Grec
Son histoire a faitle tour de l’Europe
pour se terminer devantles tribunaux grecs. Il a77 ans et il est origi-naire de Delphes. Tousles jours, il posait avecles touristes au pied de
l’Acropole moyennant 1 euro, tenue folklo-rique, belle moustache et bonnet rouge derigueur. Depuis quelques jours, Minas estdevenu une star. Au mois d’avril dernier, ila engagé une action en justice contre lasociété suédoise Lindhal. “La célèbre marquede produits laitiers a utilisé son visage pourla promotion de ses yaourts sans son auto-risation”, explique To Vima. “Le comble, c’estque la tête de ce Grec était destinée àconvaincre qu’il s’agissait d’un authentiqueyaourt turc”, s’esclaffe le quotidien.Après des mois de procès, la justice a tran-ché : Minas Karatzoglis a gagné et obtenu undédommagement de quelque 160 000 eurosde la part de Lindhal. “Il demandait 5 millionsd’euros pour l’utilisation de sa photographiesur les pots de yaourt sans son autorisationpendant plusieurs années”, explique le jour-nal grec. La société suédoise a plaidé la bonnefoi, expliquant avoir suivi la procédure tradi-tionnelle d’achat de photographies.
OLIVIA WALCH, 21 ans, étudiante. Elle vientde remporter le concours du dessinateur depresse le plus prometteur lancé par The Washing-ton Post. Cartooniste bénévole pour le journalde sa fac, elle verra son strip régulièrement publiédans les pages du grand quotidien.
DR
Get
ty
o. M
orin
/AFP
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 10 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
CRISTINAKIRCHNER,présidente de l ’Argent ine■ Consensuelle
“C’est un triomphequi élargit les droitscivils : dans quel -ques années, le
débat qu’il pro-voque en Argentineparaîtra anachro-nique.” L’Argentineest le premier pays
latino-américain à autoriser lemariage homosexuel.
(Página 12, Buenos Aires)
NAWAB ASLAM RAISANI ,ministre en chef du Baloutchistan (Pakistan)■ Arrangeant“Un diplôme reste un diplôme !Qu’il soit truqué ou authentique,cela ne fait pas de différence !”
La presse pakistanaise révèle quedes dizaines de députés, tant auniveau fédéral que provincial, sonten possession de faux diplômeset risquent l’inéligibilité. Devant letollé qu’a provoqué sa remarque,le ministre a précisé qu’il était mal-gré tout contre les faux diplômes.Selon lui, les médias avaient malcompris son “sens de l’humour”.
(The News, Lahore)
JOE BIDEN, vice-présidentdes Etats-Unis■ DéterminéBiden maintient le cap du moisde juillet 2011 pour entamer leretrait des troupes américainesd’Afghanistan. “Beaucoup demonde va partir”, déclare-t-il, touten précisant que la préparationdes forces de sécurité afghanespour remplacer les soldats amé-ricains est un processus “long etpénible”. (CNN, Atlanta)
JOHNNY ROTTEN,chanteur punk br i tannique■ Intègre“Je ne vais pas annuler monconcert en Israël malgré les cour-riels haineux que je reçois.” L’an-cien membre du groupe des SexPistols déclare qu’il n’a pas l’in-tention de suivre l’exemple d’El-vis Costello ou du groupe Pixies,qui avaient cédé à la pression. “Jesuis contre ce gouvernement[israélien] et je serai fier de le mon-trer, une fois sur place.”
(Ha’Aretz, Tel-Aviv)
LEE HSIEN LOONG,Premier ministre de Singapour■ ModesteLe taux de croissance singapou-rien va battre tous les recordsen 2010, pour se situer entre13 % et 15 %. On n’avait pas vu
ça depuis 1970. “C’est un bon ré -sultat et nous devons nous réjouir.”
(The Straits Times, Singapour)
MIKHEÏL SAAKACHVILI ,président de la Géorgie■ Précieux“Je suis peut-être le dernier prési-dent géorgien capable de citerPouchkine, Brodsky et Essenine”,a-t-il déclaré dans une interviewaccordée à la télévision bié lo-russe. Tout en louant la culturerusse, il a longuementcritiqué la politiqueagressive de Mos-cou enversTbilissi.(Gazeta.ru,Moscou)
▶ Dessin de Valov, Etats-Unis.
▲ Dessin de Glez,
Ouagadougou.
EL PAÍSMadrid
Depuis près d’un siècle, lesprétentions de nombreuxCatalans en faveur d’uneplus grande autonomie et
d’une reconnaissance de leur identitéont parfois été rejetées et parfois satis-faites. A la suite du jugement rendupar le Tribunal constitutionnel [le29 juin dernier], il peut être utile de serappeler et d’analyser cette séried’échecs et de victoires. En 1918-1919,le premier projet de statut d’autono-mie pour la Catalogne, élaboré par laLigue régionaliste [Lliga Regionalista,parti conservateur créé en 1901, dis-paru avec la guerre civile], est rejetépar le Parlement espagnol. Cet événe-ment marque l’échec du “regenera-cionismo”, mouvement idéologiqueincarné par Francesc Cambó, dontl’objectif est de réformer l’Etat et deredéfinir le concept de nation espa-gnole. Face à ces frustrations, le jour-nal madrilène El Sol craint que ceuxqui souhaitent faire de la Catalogne “lePiémont de l’Espagne” [en référence àl’unité italienne réalisée autour duroyaume de Piémont-Sardaigne] soientsuivis de ceux qui préfèrent “en faireune Irlande”.
Le 14 avril 1931, un “Irlandais”,Francesc Macià, proclame unilatéra-lement la République catalane à la suitede la naissance de la Seconde Répu-blique espagnole [1931-1939]. Macià,pourtant en position de force, se laisseconvaincre de revenir sur sa décisionsi le nouveau régime espagnol adopteun modèle confédéral ou fédéral. Unan et demi plus tard, le projet de sta-tut d’autonomie catalan, qui avait étéapprouvé massivement lors d’un plé-biscite, en août 1931, est revu à labaisse par le Parlement républicain etréduit à un régime d’autonomie régio-nale au sein d’un “Etat intégral”. Prag-matiques, Macià et les siens acceptentla solution proposée dans le but de sta-biliser le régime républicain.
UNE NATION ESPAGNOLE UNIQUEET OBLIGATOIRE
Après quarante ans de dictature fran-quiste, un nouveau processus de chan-gement politique donne finalementlieu à la rédaction d’une Constitutionqui fait de l’Espagne un Etat largementdécentralisé, mais non pas fédéral. Lenouveau régime d’autonomie de laCatalogne, défini par le statut de 1979,se différencie peu des autres, dans lamesure où la Constitution de 1978 ren-dait obligatoire l’autonomie pour toutesles provinces. Toutefois, comme lepacte politique est le fruit des circons-tances de la transition démocratique, laConstitution est interprétée par certainscomme un point de départ marquantla fin de la dictature et le début d’un pro-
cessus démocratique qui peut ouvrir laporte à de futures réformes, et même audéveloppement et à la concrétisationd’une solution pour les nationalités etles régions. D’autres, en revanche, in-terprètent la Constitution comme unpoint d’arrivée, le maximum que l’Etatpeut accorder aux autonomistes. Cesderniers ont réussi à inclure dans letexte de la Constitution “le caractère in-divisible de la nation espagnole”, ce quisous-entend que ceux qui ne s’identi-fient pas à cette nation unique et obli-gatoire n’ont pas leur place en Espagne.
DES ANNÉES DE TENSION NOUS ATTENDENT
En 2006, encouragés par l’“humeur”du président Zapatero, qui, dans sesdéclarations, semblait reconnaître la“pluralité de l’Espagne”, et après plusde trente ans d’une autonomie contra-dictoire, les principaux partis poli-tiques catalans – qui représentent plusde 80 % des votes – élaborent un nou-veau statut. Prétendant tirer le maxi-mum de la Constitution, ils propo-sent d’y inclure la reconnaissance dela nation catalane. Dans ses grandeslignes, le texte est accepté, voté par leParlement espagnol et ratifié par lamajorité des Catalans lors d’un réfé-rendum. Malgré tout, après quatreans de délibérations, le Tribunalconstitutionnel décide d’écarter lesaspects les plus nationalistes du sta-tut d’autonomie. Son jugementmarque la victoire de la vision de la
Constitution comme un point d’arri-vée. En Catalogne, on a de plus enplus l’impression d’assister à une nou-velle défaite de la volonté d’interve-nir et d’influencer la politique espa-gnole afin de trouver des solutionspour la bonne entente et le progrèscommun. Le jugement rendu par leTribunal constitutionnel provoque unsentiment de perplexité politique. Ilsemble suggérer que le peuple cata-lan ne peut ni influencer ce qui estpartagé – une interprétation plus large
de la Constitution –, ni définir ce quilui est propre : le statut d’autonomie.
Ainsi, après l’échec de la vieille“voie piémontaise”, l’épuisement de lavoie autonomiste et le rejet du modèlefédéral, peut-être peut-on s’attendre àun retour en force de la “voie irlan-daise”. Car je doute qu’il y ait enEspagne une volonté gouvernementaledisposée à faciliter la “voie écossaise”,plus civilisée. A mon avis, des annéesde tension nous attendent étant donnéqu’il est inutile de nier les réalités iden-titaires existantes. Les juges du Tribu-nal ont-ils vraiment le droit de formulerun jugement d’ordre politique quirefuse de reconnaître légalement la plu-ralité des identités existant aujourd’huien Espagne ? Si l’on se fie au jugementqu’ils ont rendu, même la définitioncomplexe de l’Espagne comme “nationde nations” n’est plus constitutionnelle.
Est-il si difficile d’accepter que lamajorité des Catalans considèrent laCatalogne comme leur nation, sanspour autant nier l’existence de la nationespagnole ? Pourquoi la Constitutionne peut-elle reconnaître le fait social,politique et objectif que des citoyensse sentent catalans, basques ou gali-ciens ? Devrons-nous attendre encoreun demi-siècle pour que l’approchefondamentaliste cède la place à uneapproche réaliste ?
Borja de Riquer Permanyer *
* Professeur d’histoire à l’Universitéautonome de Barcelone, spécialiste de laCatalogne.
europe ●
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 12 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
■ A la une“La Catalogne
condamne”, titrait
La Vanguardia,
quotidien catalan,
le 11 juillet,
au lendemain
de la manifestation.
“La Catalogne crie
ça suffit”, affichait
pour sa part
El Periódico de
Catalunya. “Nous
sommes une nation,
nous décidons
de nous-mêmes”,
scandaient les
manifestants.
ALLEMAGNE
Tous les extrêmes n’ont pas la même valeurL’amalgame du gouvernement entre les mouvements radicaux de droite et de gauche suscite un vifdébat dans l’opposition.
DIE TAGESZEITUNGBerlin
Les Verts (Die Grünen) critiquent vio-lemment le programme de luttecontre l’extrémisme présenté par Kris-
tina Schröder (CDU), ministre chrétienne-démocrate de la Famille au sein du gouver-nement Merkel. La vice-présidente del’assemblée régionale de Thuringe (Verts) etdeux députés verts au Bundestag ont récem-ment cosigné une tribune dans laquelle ilsreprochent à la ministre d’insinuer à tort quel’extrémisme de droite et l’extrémisme degauche sont “deux courants politiques fonciè-rement semblables”. Elle occulterait, de sur-croît, que les attitudes antidémocratiques etnon respectueuses des droits de la personnehumaine n’émanent pas seulement des pré-tendus “extrêmes”. La ministre de la Familleavait déjà lancé, au début du mois, de nou-veaux projets à l’échelon national – en plus
des programmes anti-extrême droite existants– afin de lutter contre l’extrémisme de gaucheet l’islamisme. En 2011, 5 millions d’eurosdoivent être consacrés à ces projets, soit 3 mil-lions de plus que cette année. Malgré lemanque de clarté du concept, Mme Schrö-der est déjà convaincue depuis des mois que“l’extrémisme, quelle que soit la couleur qu’ilrevêt”, doit être également combattu. “Surle terrain, les comités d’action citoyens et les asso-ciations de lutte contre le racisme, l’antisémitismeet toutes formes d’incitation à la haine contre desgroupes sociaux commencent déjà à ressentir lesconséquences néfastes de cet amalgame entre extré-mismes de droite et de gauche”, dénoncentRothe-Beinlich, Lazar et Kindler. Ces asso-ciations sont, en effet, souvent cataloguées“‘extrême gauche’et seraient donc automatique-ment stigmatisées comme ennemis publics, hostilesà la Constitution”. Interrogées sur la question,de nombreuses associations reconnaissent quecette nouvelle inflexion politique suscite des
craintes dans le milieu de la lutte antifasciste.“Le débat sur l’extrémisme tend à renforcer lavision d’une droite et d’une gauche qui se téles-copent”, dit Tim Bleis, du Centre d’aide auxvictimes du Mecklembourg-Poméranie occi-dentale (Lobbi). Il craint que les punks ou lesjeunes de gauche soient dégradés en “victimesde seconde zone”, quand ils se font agresser pardes néonazis. En juin dernier, une associationde Hambourg a même été jusqu’à annuler saparticipation à une formation du MBT(groupe mobile de conseil contre l’extrêmedroite), justifiant sa décision par la crainted’être cataloguée “trop à gauche”. Le discourssur les extrémismes, souligne Bianca Klose,de l’équipe mobile de conseil contre l’extré-misme de droite à Berlin, “mène à la crimi-nalisation de toute forme d’engagement dans lasociété civile”. Plusieurs associations éviteraientdéjà de se définir comme “antifascistes” afinde ne pas être soupçonnées d’extrémisme degauche. W.Schmidt & A.Speit
◀ Dessind’Enrique Flores
paru dans El País, Madrid.
ESPAGNE
Heurs et malheurs de l’indépendance catalaneLe statut d’autonomie de la Catalogne, raboté par le Tribunal constitutionnel, a jeté 1 million de Catalans dansles rues de Barcelone le 10 juillet. L’Etat ne peut plus nier une réalité identitaire, estime ici un historien catalan.
Mais il ne s’agit là que des per-sonnes dont c’est l’activitéprincipale. Dans les faits, laplupart des relations tarifées sontoccasionnelles et ne rapportent pasforcément de l’argent, mais unecontrepartie en nature par une offred’emploi, une voiture, un rem-boursement de dette, des vête-ments de marque ou des vacancesde luxe. “La prostitution permetd’avoir un style de vie assez dispen-dieux malgré un faible niveau dequalification, explique Mark Lévine.Ce qui retient généralement de s’y adon-ner, c’est la menace pénale, le risque de ma-ladie ou les réticences morales, c’est-à-direla réprobation sociale et la perte d’estimepersonnelle. Ce dernier frein est le plus fortde tous, et dépend des conditions dans les-quelles la personne se prostitue. C’estbeaucoup plus difficile pour celle qui exer-ce dans la rue que pour une escort-girl quitravaille avec une agence, car, en Russie,cette activité-là n’est absolument pas stig-matisée.” “Depuis la fin des années1980, le prestige de la prostitution agrimpé en flèche”, constate le so-ciologue Sergueï Golod, professeurà l’université de Saint-Péters-bourg. “Certains sondages la pla-çaient au même niveau de rêve que,en son temps, la profession de cos-monaute. La raison en est simple,elle tient à son extrême rentabilité.”Et la crise n’a fait qu’accentuerle phénomène. “Toutes les crisesimportantes, quand elles créent duchômage, aboutissent à une valori-sation de l’offre de services sexuels, ob-serve Mark Lévine. C’est en quelque sor-te une façon de mettre du beurre dans lesépinards. Cela dit, ce n’est pas seulementvenu de la situation économique, maisaussi du fait qu’à partir de la fin des an-nées 1980 la prostitution n’a plus été au-tant réprimée, la législation a changé etles barrières morales sont tombées.” A cet-te époque, selon les spécialistes, laprostitution a pu apparaître à certainespersonnes comme une bouée de sau-vetage, une façon de survivre au mi-
lieu du chaos écono-mique d’alors. Mais, au-
jourd’hui, les choses ontchangé. Le commerce du
sexe est entré dans les mœurs etil n’y a plus besoin d’une crise gra-
ve pour pousser les personnes sur letrottoir. L’élément déclencheur n’estplus la misère, mais une simple bais-se de revenus, voire un ralentissementde leur croissance. Puisqu’il est horsde question de restreindre sa consom-mation, il faut bien trouver un moyend’équilibrer le budget…
Cela concerne surtout les jeunes.“De nombreux écoliers, étudiants et jeunestravailleurs se livrent à la prostitution afinde pouvoir s’offrir des loisirs, ainsi quede l’alcool et de la drogue, témoigne MarkLévine. On a remarqué que chez les jeunesles services sexuels tarifés étaient une sourcede revenus assez répandue.”
Les sociologues confirment lesobservations des économistes. Ainsi,
selon [le chercheur] Sergueï Golod,l’âge moyen auquel on entre dans laprostitution a nettement baissé. Il sesituait autrefois au-delà de 18 ans,alors qu’aujourd’hui il est passé à 15ou même 14 ans. Cette tendance s’esten outre développée lors de ces sixdernières années, qui ont été cellesd’une économie florissante et d’uneexplosion de la consommation.
Durant cette période, les Russesont appris à porter un regard deconsommateurs sur un grandnombre de choses, dont leur proprecorps. S’il est possible de le “fairetravailler” afin d’obtenir des biensmatériels, pourquoi s’en priver ?I l faut ajouter que du côté des“clients”, l’attitude aussi est pure-ment consommatrice. Ils ne consi-dèrent pas du tout l’amour tarifécomme quelque chose de honteux.Bien au contraire. Dans certainsmilieux, le recours à des prostituéesest devenu une composante obligéede la consommation ostentatoire quel’on se doit d’afficher. Ainsi, d’aprèsMark Lévine, le trio “sauna, beuve-rie, filles” est désormais une pratiquesolidement ancrée dans la “culturedu business” d’une certaine catégo-rie d’hommes d’affaires russes.
Vsevolod Beltchenko
europe
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 13 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
En Russie, le sexe est presquedevenu un boulot d’appointcomme un autre. Selon unsondage, 61 % des femmes
jugent absurde d’avoir des relationsqui ne rapportent pas d’avantagesmatériels. Ces enfants de la sociétéde consommation piétinent ainsiallégrement le code moral de leursparents.
Cette “décadence” a évidemmentdes causes économiques. Ces quinzedernières années, les relations intéres-sées, voire la prostitution, ont peu àpeu cessé d’être considérées commeimmorales, tandis que le besoin d’ar-gent, de biens et de services augmen-tait à toute vitesse. Pour l’essentiel, lescrédits bancaires, les hausses de salaireou la valorisation du patrimoine(immobilier en particulier) permet-taient d’acquérir une bonne partie dece que l’on souhaitait, mais, avec lacrise, l’offre de crédit s’est réduite, lessalaires ont chuté, et beaucoup ontdécidé de puiser dans leur “capital per-sonnel”, c’est-à-dire de rentabiliser leurjeunesse et leur beauté.
CONSOMMER MOINS ? NON, SE VENDRE PLUS !
A ce jour, il n’existe en Russie qu’uneseule étude économique du marché dusexe, réalisée par Elena Pokatovitch etMark Lévine, professeur d’analyse mi-croéconomique à l’Ecole supérieured’économie de Moscou. Selon leurscalculs, pour l’année 2000, le chiffred’affaires des prostituées de notrepays, dont le nombre est évalué “entre267 000 et 400 000”, aurait été de618 millions de dollars. Si l’on estimeque la croissance de ce secteur a été lamême que celle du PIB du pays sur ladécennie écoulée, ce montant attein-drait aujourd’hui un peu plus de900 millions [environ 710 millionsd’euros], ce qui n’est pas énorme.
RUSSIE
Mon corps m’appartient, donc je le loueLa récente crise a aggravé le phénomène : se prostituer est une façon presque banale d’obtenir les biens matérielsque l’on convoite. Un phénomène qui touche des Russes de plus en plus jeunes.
OGONIOK (extraits)Moscou
◀ Dessin de Boligán paru dans El Universal, Mexico.
■ En France Le phénomène
de la prostitution
chez les étudiantes a
été mis en lumière en
France en 2008 par
le mémoire d’Eva
Clouet, une étudiante
en sociologie dont le
travail a été publié
par Max Milo sous le
titre La prostitution
étudiante à l’heure
des nouvelles
technologies de la
communication. Le
manque d’argent est
l’une des principales
motivations de celles
qui s’autodésignent
volontiers comme
“escort-girl”.
TENDANCE Strip-tease pour toutes
D ans la lignée de la “libérationdes mœurs” de ces dernières
années, du moins dans les grandesvilles, Moscou a vu s’ouvrir de nom-breuses écoles de strip-tease. Selonl’hebdomadaire Ogoniok, la capitaleen compterait à ce jour une cinquan-taine, et le pays serait également l’undes plus intéressés par la pole dance,avec plus de 200 écoles à traversla Russie – ce qui la place en troi-sième position après les Etats-Uniset l’Australie. Les milliers de femmesqui veulent apprendre à mieux dévoi-ler leurs charmes sont très diffé-rentes, allant de la jeune étudiante à
la mère de famille quadragénaire,mais leurs motivations sont sem-blables : se sentir plus séduisanteset pouvoir retenir l’attention de leurpartenaire. Pour Maria, employée debanque de 28 ans qui apprend la poledance, cet exercice a en outre l’avan-tage de s’adapter à toutes les cir-constances : “On peut briller aussibien en discothèque que lors d’unesoirée d’entreprise ou dans unechambre à coucher.” Si la pole dance,assez sportive, commence souventpar causer bleus et courbatures, raressont celles qui se découragent. Beau-coup installent même une barre dans
leur appartement pour continuer às’entraîner ou donner des spectaclesdevant leurs amis. Mais, de l’avisunanime des passionnées, qui voientun agrès possible dans le moindrepoteau ou lampadaire, les zones dejeux en plein air pour enfants recè-lent de parfaits équipements pourleur loisir favori. Loisir qui peut aussidevenir un gagne-pain, même si cen’est pas souvent l’objectif dedépart. Les danses érotiques en clubde strip-tease finissent parfois parconstituer un emploi principal ou decomplément, pour les soirées ou lesweek-ends.
ROYAUME-UNI
Faire comme si l’Europe n’existait pasL’“euro-ignorance”, qui consiste à profiter de l’UE sans s’y investir, est au cœur de la nouvelle politique étrangèrebritannique, analyse Lluís Bassets, le directeur adjoint d’El País.
EL PAÍSMadrid
La patrie de l’euroscepti-cisme a fait un pas de plus.Le nouveau ministre desAffaires étrangères britan-
niques, le conservateur WilliamHague, a proposé de définir au coursdes prochains mois une nouvelledirection politique dans quatre dis-cours. Le premier d’entre eux, pro-noncé le 1er juillet, a donné le ton etle thème de cette symphonie : l’euro -s cepticisme n’est plus nécessaire, ilsuffit de faire abstraction de l’Europeet de considérer l’Union européennecomme une simple institution régio-nale, aux connexions faibles et à l’in-fluence limitée, dont le seul intérêt estde disposer de nombreuses ressourceset de proposer des postes de fonc-tionnaires pour les Britanniques. Ledeuxième discours portera sur l’Asie,le continent émergent du XXIe siècle,dont Londres désire se rapprochergrâce à une nouvelle politique étran-gère, qui ignore Bruxelles et se conçoitfondamentalement d’un point de vuebilatéral.
Cette prise de position survientau moment même où l’Europe orga-nise son Service d’action extérieure(SEAE) [lancé le 8 juillet, ce service,qui est l’une des principales créationsdu traité de Lisbonne, est destinéà devenir le corps diplomatique del’UE], à la tête duquel l’ancien gou-vernement de Gordon Brown, anti-cipant la “doctrine Hague”, a placéla Britannique Catherine Ashton. Lediagnostic du ministre des Affairesétrangères sur la situation mondialeest juste et ne diffère pas de celuides autres chancelleries : le pouvoir
économique se déplace vers l’Orientet le Sud, le nombre de pays décideurss’est élargi à une planète plus multi-latérale ; les nouvelles menaces exi-gent des réponses plus complexes ;la nature des conflits est en train dechanger ; et, enfin, il faut compter avecun nouveau monde connecté grâceaux nouvelles technologies et qui exigeune autre approche de la politiqueextérieure.
Il n’y a pas d’unilatéralisme dansl’approche de Hague. Pas plus qued’attaques du multilatéralisme, qu’ilestime utile et inévitable. Le ministren’ignore rien de la quantité d’inter-dépendances qui lient le pays au restedu monde, en commençant par cellequ’il juge la plus forte et la plus déter-minante, la relation avec Washington.
L’originalité de William Hagueréside dans l’utilisation de l’idée d’unmonde en réseau pour privilégier lebilatéralisme, avec lequel le Royaume-Uni compte bien jouer un rôle déter-minant et récupérer sa puissance pas-sée. Cette diplomatie en réseau si
moderne veut rétablir l’ancienneorganisation à présent maltraitée del’Empire britannique, devenue ensuitele Commonwealth.
LES INTÉRÊTS BRITANNIQUESPRIMENT SUR TOUT LE RESTE
La théorie du réseau permet de consa-crer la dissolution de l’idée européenne.“Le bon côté de l’UE est qu’il s’agit d’unréseau changeant dans lequel les membrespeuvent profiter au maximum de ce quechaque pays met sur la table.” Londresest bien sûr intéressé par la relation,toujours bilatérale, entre l’Allemagneet la France. Mais le pays européenle plus attractif est précisément celuique les Français et les Allemands neconsidèrent pas comme européen : laTurquie, “la meilleure économie émer-gente d’Europe et un bon exemple de paysqui développe par lui-même un nouveaurôle et de nouvelles relations, en partie ausommet et en partie en dehors des struc-tures et alliances actuelles”.
Un détail intéressant est l’enga-gement inscrit dans le programme
électoral, désormais confirmé, concer-nant l’aide au développement, perçuecomme un bras financier indispen-sable au déploiement extérieur.
Contrairement à ce que font denombreux gouvernements européens,en commençant par celui de Zapa-tero, William Hague n’accepte pas deréduire le budget alloué à ce thème,qui atteindra le fameux 0,7 % du PIBen 2013, alors que d’autres départe-ments de son cabinet parviendrontà réduire leur budget de 40 %.
Hague défend férocement les inté-rêts britanniques ; ses idées sont àl’évidence nocives pour l’Europe.Mais il les défend avec compétence,usant de bons arguments et provo-quant même des réflexions utiles pourchacun. “Le pays qui se contente d’êtreréactif dans les affaires extérieures est surle déclin” en est l’une des plus remar-quables, parfaitement applicable àl’UE et à de nombreux pays membres.Londres vient d’inventer l’“euro-ignorance”. Faire comme si l’Europen’existait pas. Eviter même de la cri-tiquer. C’est l’apogée d’une grandemanœuvre stratégique qui a com-mencé avec l’adhésion du Royaume-Uni en 1972, grâce à un gouverne-ment conservateur, a culminé avec ladilution de l’UE dans l’actuel club de27 membres et s’achève avec une poli-tique extérieure qui se contented’ignorer un projet d’unification euro-péenne, qu’elle donne déjà pour mort.
Lluís Bassets
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 14 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
europe
ALBANIE
A nos chers parents, ces grands oubliés de la démocratieIls ont travaillé dur toute leur vie pour voir finalement leur monde s’écrouler et leurs enfants prendre le chemin de l’exil. Un jeunejournaliste albanais rend hommage à la génération perdue du communisme.
SHEKULLITirana
Nous connaissons tous ces héros ano-nymes qui ont construit malgré euxleur propre calvaire. Ils ont travaillé
dur à remettre sur pied une Albanie plon-gée dans la misère et l’archaïsme, et n’enont reçu que peines et privations.
Ils ont vécu et vivent toujours dans cetteAlbanie qu’ils continuent à aimer plus quetout, même si elle les a impitoyablementemprisonnés. Rares sont de tels prisonniers,si naïfs et capables de se sacrifier en tra-vaillant des décennies entières pour une uto-pie. Quel martyre, inconditionnel et sincère !
Ils ont cru bâtir une grande Albanie, etfinalement elle se trouve être si petite qu’elle
n’arrive pas à nous garder tous en son sein.Et ils se sentent coupables de nous voir laquitter si nombreux, comme si leur propresouffrance ne suffisait pas. Ces héros de notrepetit monde, ce sont nos parents, de vraismarathoniens de la souffrance humaine.
Jadis nous leur demandions tout ce dontjouissaient les autres partout ailleurs dansle monde. Sans comprendre leurs larmes,leurs soupirs et leurs problèmes, engendréspar un régime et un temps révolus. Ils nepouvaient nous donner que leur amour, qui,intact, a perduré. Aujourd’hui, on les voiterrer dans les aéroports internationaux avecleur cabas contenant ces tourtes tradition-nelles préparées avec amour comme autre-fois. Et ce sont les plus chanceux. Car la plu-part d’entre eux, faute de pouvoir rendre
visite à leurs enfants partis à l’étranger, s’en-ferment dans les doux souvenirs d’une viepassée. Il suffit alors d’une photographie,d’un coup de téléphone, d’un vieux graf-fiti sur le mur de la maison, de la douce voixd’un des petits-enfants teintée d’un accentqu’ils ne comprennent pas pour que leslarmes fusent.
Nos parents voient naître et grandir àdistance leurs petits-enfants, qu’ils ne peu-vent voir ni embrasser pendant de longuesannées. Souvent, c’est l’argent qui leurmanque, mais plus souvent encore ils sontobligés de composer avec la bureaucratie laplus engluée du monde, qui veut bien lesconsidérer comme des contribuables maisjamais comme des parents désireux devoir leur progéniture. Assurances, visas,
formalités… Les bureaucrates s’affolent : ets’ils venaient à demander l’asile plutôt qued’aller simplement profiter de leurs petits-enfants à l’étranger ?
Ereintés et âgés, nos parents ne veulentpourtant pas devenir un poids pour leursenfants. Alors, ces malheureux ploient sousle poids de leur culpabilité de ne pas nousavoir laissé autre chose que leur amourparental. Ils ont vécu une vie difficile etinjuste. Notre société n’a jamais su voir dansces retraités les vrais enfants de la Répu-blique albanaise. Dès lors, ils méritent notrereconnaissance, celle que ce petit pays leurrefuse pour les rendre finalement coupables.Mais ces coupables qui ne trouvent pas depaix valent ô combien plus !
Igli Totozani
■ Lune de mielDavid Cameron
a la cote. Selon
un dernier sondage,
58 % des électeurs
pensent qu’il fait
bien son travail, soit
10 % de plus qu’à
son arrivée à la tête
du gouvernement,
en mai. Et la presse
britannique ne tarit
pas d’éloges sur
le Premier ministre
conservateur
– même le
Guardian, qui avait
soutenu les lib-dem
pendant la
campagne, affirme
que “Cameron est
parti pour devenir
le meilleur Premier
ministre de l’ère
moderne”. Mais
la lune de miel
pourrait être de
courte durée.
A l’automne,
le détail des coupes
budgétaires,
très claires, sera
annoncé.
▶ David Cameron,Premier ministre du Royaume-Uni.Dessin de Schrankparu dans The Economist,
Londres.
ALLEMAGNE
La dernière bataille des enfants de la guerreNés pendant la guerre d’un père allemand et d’une mère française (ou belge ou néerlandaise), les fils et filles de la “collaboration horizontale” peuvent, pour certains, obtenir depuis peu la nationalité allemande.
FRANKFURTER RUNDSCHAUFrancfort
Danielle Gauthier porte ledeuil. Sa mère est morterécemment. Le noir de sesvêtements ressort d’autant
plus que Mme Gauthier a les cheveuxblond oxygéné et que le soleil printa-nier baigne tout ce qui l’entoure decouleurs vives : les maisons de Walbach,un village viticole proche de Colmar,les fleurs des jardins, les jouets desenfants des voisins. De la terrasse onaperçoit les contreforts des Vosges.
Danielle Gauthier est une soixan-tenaire solide et pleine de ressources.Elle a exercé divers emplois de bureaujusqu’à sa retraite et elle est divorcéedepuis vingt ans. Originaire du nord dela France, elle s’est installée en Alsacepour des raisons professionnelles.
Sur la table de sa cuisine se trou-vent deux piles de papiers soigneuse-ment classés. Au bout d’une demi-heure, ce bel ordre s’est transforméen chaos. Au début, Mme Gauthiertourne autour de la table en bavardantjoyeusement, mais elle finit pars’asseoir. Son rire s’est éteint, elle estvisiblement bouleversée. Sous ses yeuxs’accumulent les témoignages d’unequête inaboutie qui dure depuis desdécennies : celle de son père biolo-gique, le soldat allemand Willi Grotge,de Schackensleben, près de Magde-bourg, mais surtout d’elle-même.
Sur la table se trouve une pochettetransparente. A l’intérieur, deux pas-se ports – un français et un allemand –et un document informatique impriméde la Bundesverwaltungsamt [l’Officefédéral de l’administration, installéà Cologne], sur lequel on peut lire“Certificat de naturalisation” et “remisle 15 octobre 2009”.
Danielle Gauthier a reçu ce docu-ment il y a sept mois, au cours d’unecérémonie au consulat général d’Alle-magne à Strasbourg. Elle était trèsfébrile. Elle ne parle pas un mot d’al-lemand, mais tout le monde s’est mon-tré très gentil et serviable. Ce fut unmoment émouvant.
“Qu’est-ce que cela signifie pour vousd’être aussi allemande ?
— Ça ne peut pas remplacer monpère, mais je suis fière de m’être battue surce dossier. Et je suis fière d’avoir un pèrequi m’a désirée”, répond-elle après avoirpris le temps de réfléchir.
En France, on appelle les genscomme elle les “enfants de la guerre.”Ils se trouvent actuellement dans ledernier tiers de leur vie. Ils ont entre 65et 70 ans. Ils ont souvent été stigmati-sés et exclus dans leur enfance et leurjeunesse. C’étaient les rejetons de l’en-nemi, les enfants de la honte. C’estpour cela que certains d’entre eux sou-haitent désormais obtenir la doublenationalité. Non pour se détourner deleur pays, auquel ils restent fidèles, maispour se tourner vers une autre partie,une partie inconnue de leur identité ;
pour reconnaître un pays qui étaitmauvais avant et qui leur semble bienaujourd’hui.
Pour les enfants de la guerre fran-çais, il est relativement facile de deve-nir allemand – mais seulement poureux. Les deux Etats ont conclu unaccord bilatéral en ce sens il y a un an,en faveur duquel Bernard Kouchner,le ministre des Affaires étrangères fran-çais, s’était fortement investi.
Il suffit à un Français de prouverque son père était soldat de la Wehr-macht pour pouvoir demander lanationalité. Il n’a même pas besoind’avoir un domicile en Allemagne.Les consulats d’Allemagne en Franceont reçu jusqu’à présent environ150 demandes de renseignements ;59 demandes de naturalisation ontété déposées depuis et 26 ont déjà étéacceptées. Danielle Gauthier est lapremière Française à avoir obtenu ladouble nationalité de cette façon.
DES SOIXANTENAIRES À LA RECHERCHE DE LEUR PÈRE
La plupart des enfants de la guerre neconnaissent leur père que par des pho-tos et des récits (quand ils le connais-sent). Les hommes sont souvent mortsau combat ou ont disparu et com-mencé une nouvelle vie après la guerre.Les femmes qui avaient eu des rela-tions avec un Allemand étaient sou-vent harcelées par leurs voisins et leursparents. On les accusait de “collabo-ration horizontale”, il y a eu des actesde violence. Certaines n’ont jamais dità leur enfant qui était leur père ou alorstrès tard, parce qu’elles avaient honte.
Danielle Gauthier avait 7 ans lors-qu’elle l’a appris. Les enfants de son
école en savaient plus qu’elle. Ils luilancèrent un jour : “Tu es une bâtarde,on ne joue pas avec toi !” La petite filleest rentrée à la maison en pleurant,mais sa mère et ses grands-parents nelui ont rien dit et se sont tus encorependant de nombreuses années.
Danielle Gauthier était une jeunefemme quand elle a appris que sonpère s’appelait Willi. C’était le premierindice. Voilà maintenant cinquante ansqu’elle recherche des traces de lui. Surla table se trouvent, entre autres, deslettres de la Croix-Rouge, des autori-tés militaires françaises et de l’admi-nistration allemande, qui s’efforce delocaliser le lieu de résidence des anciensmembres de la Wehrmacht.
Entre-temps, Danielle Gauthiera découvert le nom de famille de sonpère et quelques dates. Willi Grotge estné en 1914 et mort en 1981 en RDA.Elle a quelques photos de lui et un cli-ché de sa tombe. Elle sait qu’il était sta-tionné dans la région de Boulogne-sur-Mer et qu’il s’est retrouvé par lasuite prisonnier de guerre. Après salibération, il a rejoint sa femme alle-mande, avec qui il a eu un fils.
Danielle Gauthier ne sait pasgrand-chose de plus. Son demi-frèrepourrait certainement lui en dire davan-tage. Voilà des années qu’elle essaiedésespérément d’entrer en contact aveclui – elle connaît son nom et sonadresse, en Saxe-Anhalt –, mais il neveut pas lui parler.
Sa mère a fini par raconter son his-toire, tard, très tard : le caporal WilliGrotge avait été son premier grandamour. Lorsqu’elle est tombée enceinte,au milieu de la guerre, elle avait 20 ans.Ils voulaient se marier, mais le grand-père s’y est opposé. Il détournait leslettres du jeune Allemand.
Gerlinda Swillen habite à cinqheures de route de chez DanielleGauthier. Les deux femmes ne seconnaissent pas, mais ont quelquechose en commun. Gerlinda Swillenvit à Bruxelles, dans un appartementmoderne du centre-ville rempli delivres et d’objets d’art asiatique.C’est une femme petite, énergiqueet déterminée, avec de grandes bouclesd’oreilles. Elle aussi a déposé unedemande de naturalisation auprès duconsulat d’Allemagne, il y a quelquessemaines. C’était la première desenfants de la guerre belges à le faire.Elle est venue au monde en août 1942.Son père s’appelait Karl Weigert, venaitde Munich et fut pendant un tempsstationné à Gand, en Flandre. Il avaitdemandé très officiellement la main deson amie belge – en vain. “Mon grand-père n’aimait pas les Allemands qui se pro-menaient avec casque et fusil”, raconteGerlinda Swiller. Weigert fut ensuiteaffecté ailleurs et tomba amoureuxd’une autre femme. Il rompit toutcontact avec la Belgique après laguerre. Il est mort en 1958.
Gerlinda Swillen a fait des étudesde langue et de civilisation allemandes
et a été professeur de lycée jusqu’à sondépart à la retraite. Elle a toujoursrecherché son père, dont elle n’adécouvert le nom de famille qu’il y atrois ans. Entre-temps, elle a étudié sonhistoire à elle. Elle a retrouvé la par-tie allemande de sa famille, l’histoirese termine donc bien pour le moment.
Cette question continue cependantà l’obséder. Elle poursuit ses recherches,elle a interviewé d’autres enfants dela guerre belges et tiré un livre de leursrécits. Elle est actuellement porte-parole d’une association dénomméeBorn of War International Network,qui réunit des associations d’en-fants de la guerre de plusieurs payseuropéens.
DES CAS SIMILAIRES EN IRAK,AU VIETNAM OU EN AFRIQUE
Gerlinda Swillen dit de sa demandede naturalisation : “Je ne fais pas çapour des raisons sentimentales. C’est unequestion de stratégie.” En fait, elle n’ac-cepte pas que l’Allemagne accordeun traitement privilégié aux enfantsde la guerre français. Son associationprépare d’autres demandes pour fairepression sur Berlin. Un enfant de laguerre de Finlande a demandé lanationalité allemande en mai dernier.D’autres s’apprêtent à en faire autantau Danemark et en Norvège.
Gerlinda Swillen et ses compa-gnons de lutte veulent plus que l’éga-lité de traitement : ils demandentque l’Allemagne s’engage auprès del’Europe pour un statut commungarantissant la protection de tous lesenfants de la guerre – sous la formed’une convention ou de directives euro-péennes qui pourraient peut-êtremême contraindre à agir des payscomme les Etats-Unis. “Nous nesommes pas motivés par des considérationsfinancières. Nous ne voulons pas nousposer en victimes, mais faire quelque chosepour les enfants d’aujourd’hui et leur ave-nir”, déclare Gerlinda Swillen.
Chaque enfant de la guerre, quelque soit le conflit en cause, devrait sevoir reconnaître par écrit le droit àla nationalité. Dans le même temps,les Etats devraient s’engager à les sou-tenir de leur mieux dans la recherchede leurs parents. Car il est évidentqu’il n’y a pas que l’histoire desenfants de la Seconde Guerre mon-diale ; partout où les soldats rencon-trent des femmes, des enfants naissent.Au Vietnam, lors des guerres colonialeset civiles d’Afrique, en Bosnie-Herzégovine, en Irak ou aujourd’huien Afghanistan. Trop souvent, lesenfants de la guerre n’apprennentjamais d’où ils viennent. Et ils sonttrop souvent apatrides.
La demande de naturalisation deGerlinda Swillen est actuellemententre les mains des autorités alle-mandes. Celles-ci lui ont fait savoirque l’examen du dossier durerait trèslongtemps et l’ont priée de ne pas télé-phoner ni écrire. Thorsten Knuf
europe
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 16 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
■ ChiffresLes soldats de Hitler
auraient engendré
200 000 enfants
avec des Françaises
pendant l’Occupation
– relations
amoureuses, brèves
liaisons, relations
extraconjugales,
mais aussi viols
ou rapports avec
des prostituées,
précise la
Frankfurter
Rundschau. La
sociologue Ingvill
Mochmann estime
par ailleurs
à 20 000 au moins
le nombre de cas
en Belgique,
15 000 aux Pays-Bas,
12 000 en Norvège
et 8 000 au
Danemark. Deux
livres se penchent
sur le cas français :
Enfants maudits,
de Jean-Paul Picaper
et Ludwig Norz,
éd. des Syrtes,
2004, et Naître
ennemi, de Fabrice
Virgili, Payot, 2009.
▲ Devant le Moulin Rouge,pendantl’Occupation.
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ÉTATS-UNIS
Obama dompte Wall Street, mais pas les électeursL’adoption par le Congrès, le 15 juillet, de sa réforme financière pourrait bien être le dernier grand succèslégislatif du président, estime The New York Times.
THE NEW YORK TIMES (extraits)New York
Si l’adoption de la réforme dela régulation financière montrequelque chose du présidentObama, c’est qu’il sait com-
ment faire voter des projets de lois cru-ciaux par un Congrès rétif. Mais sonsuccès législatif est paradoxal. D’uncôté, il l’emporte au Capitole et, del’autre, il continue de perdre du ter-rain auprès des électeurs en cettepériode de détresse économique, cequi devrait bientôt l’obliger à réviserses ambitions à la baisse.
La réforme de la régulation finan-cière constitue la troisième victoire duprésident après l’adoption de son plande relance de l’économie et de saréforme de l’assurance-maladie. Aucours des dix-huit mois écoulés,Obama et le Congrès à majoritédémocrate ont réussi à faire passer unebonne partie de leur ambitieux pro-gramme. Le président a tenu les pro-messes de sa campagne de 2008. Ils’est ainsi servi du gouvernementcomme d’un instrument pour tenterde réduire le gouffre qui sépare les pos-sédants des démunis. Il a injecté787 milliards de dollars [605 milliardsd’euros] dans l’économie, offert unecouverture santé à 32 millions de per-sonnes qui en étaient privées et vientde réorganiser les relations entreWashington, Wall Street, les investis-seurs et les consommateurs.
Mais pendant ce temps, le con -texte politique a changé autour de lui.Aujourd’hui, avec un chômage quicontinue de friser les 10 % en dépitdu plan de relance, et alors que lamarée noire de BP suscite des inter-
rogations sur les compétences de songouvernement, la politique d’Obamafournit des munitions aux conserva-teurs qui soutiennent que le gouver-nement est plus le problème que lasolution. Avant même les électionslégislatives de mi-mandat de no -vembre, la Maison-Blanche est con -trainte de réorienter sa stratégie. Mi-juillet, Obama et les démocrates duSénat ont décidé d’aller de l’avant etde faire passer un projet de loiamendé sur l’énergie, ayant conclu,après des mois de bras de fer, que lesambitieuses mesures qu’ils envisa-geaient ne seraient tout simplementjamais votées. C’est une tactique àlaquelle le président devra sans doute
avoir de plus en plus recours après lesélections de novembre, alors que lesdémocrates auront probablementperdu des sièges – et peut-être mêmele contrôle de la Chambre des repré-sentants ou du Sénat.
LES AMÉRICAINS REJETTENT SA GESTION DE LA CRISE
Car les électeurs sont vraiment à cransur les questions économiques. Selonun récent sondage CBS News, seuls40 % des Américains approuvent sagestion de la crise. Plus de la moitiédes sondés trouvent qu’il ne consacrepas assez de temps à l’économie. Plusfrappant encore, près de deux tiersaffirment que les choix économiques
du président n’ont amélioré en rienleur situation personnelle, contre13 % qui pensent le contraire. Unepartie du problème pour Obama, c’estqu’il est arrivé à Washington en pro-mettant de mettre fin à l’hostilité par-tisane qui régnait dans la capitale,mais qu’il n’y est pas parvenu pourl’instant. Seuls trois sénateurs répu-blicains ont voté en faveur de la loi derégulation financière, poursuivantainsi la dynamique à l’œuvre au débutdu mandat du président, quand seu-lement trois républicains avaient sou-tenu son plan de relance.
Si les républicains reprennent lecontrôle de la Chambre des repré-sentants, du Sénat ou des deuxchambres en novembre, Obama seretrouvera dans une situation sem-blable à celle de Bill Clinton, le der-nier président démocrate, qui avaitperdu le contrôle de la Chambreen 1994. Clinton avait alors réagi enbarrant au centre, cherchant des thé-matiques plus à même de favoriser lacoopération des républicains.
Si l’on en juge par la nouvelle stra-tégie qu’il a mise en œuvre avec sonprojet de loi sur l’énergie, BarackObama va peut-être chercher à serepositionner comme un homme prag-matique prêt à faire certaines conces-sions en échange de victoires plusmodestes. Les prochaines électionspermettront de savoir jusqu’où le pré-sident, plus au fait de l’ampleur de satâche, ira dans le compromis.
“Nous nous dirigeons soit vers un blo-cage total, soit vers de grandes conces-sions”, estime John Feehery, un stra-tège du Parti républicain. “Et pourl’instant, nous ne connaissons pas laréponse.” Sheryl Gay Stolberg
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 17 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
amériques ●
INFLUENCE Une réforme qui renforce le ministre des FinancesL orsque Barack Obama aura ratifié la nou-
velle loi encadrant Wall Street [ce qu’ildevait faire au cours de la semaine du19 juillet], le ministre des Finances améri-cain, Timothy Geithner, jouira d’une influencesans précédent. Non seulement cette loireprend les grandes lignes du projet initialqu’il avait rendu public l’été dernier, mais ellel’adoube également – tant qu’il reste enposte – à la tête d’un nouveau conseil derégulateurs très influents, le Conseil de sur-veillance des services financiers. Geithnerse retrouve aussi à la tête de la nouvelleagence de protection du consommateur jus-qu’à ce qu’un directeur soit confirmé par leSénat. Il lui reviendra enfin de trancher surune foule de sujets qui n’ont pas été régléspar la loi – par exemple, quels produits déri-vés seront le plus étroitement contrôlés.C’est un remarquable revirement de situa-tion pour le ministre des Finances, alors qu’ily a encore peu plusieurs membres du
Congrès réclamaient sa tête. Le sauvetagedes banques par le Trésor n’avait pas étédu goût de tout le monde. Mais, après lepassage, le 15 juillet, de la réforme finan-cière, tout le monde à Washington s’accordeà dire que Geithner est là pour rester. Selondifférents membres de l’administration, laMaison-Blanche n’a pas manqué de remar-quer que la réponse de Geithner à la crisefinancière s’était révélée parfaitement appro-priée. Il s’était vigoureusement opposé à lavolonté de certains législateurs qui souhai-taient nationaliser les plus grosses banquesdu pays en difficulté au plus fort de la crise.Il a au contraire préféré permettre au sys-tème financier de se remettre d’aplomb,notamment en insistant sur la mise en placede tests de résistance bancaire pour lesgrandes institutions financières. Les résul-tats de ces tests avaient démontré que pra-tiquement toutes les banques étaientcapables de surmonter la crise, ce qui avait
par conséquent rapidement restauré laconfiance des investisseurs.Autre signe de l’influence croissante de Geith-ner, le Trésor a été au cœur de la campagnepour faire adopter la réforme financière.L’époque durant laquelle la Maison-Blanchesurveillait de près ses interventions publiquesne semble plus qu’un lointain souvenir.Certes, Geithner n’a pas remporté toutes lesbatailles. Il a notamment dû accepter quesoient exemptés des nouvelles lois de pro-tection des consommateurs les conces-sionnaires automobiles et les banques dis-posant d’un capital inférieur à 10 milliardsde dollars.Mais la nouvelle loi reflète largement laconfiance que Geithner place dans les orga-nismes de régulation et sa convictionprofonde que les grands établissementsfinanciers peuvent être protégés des bou le-versements s’ils ont des réserves suffisantesen capital. Cette loi constitue une sorte de
compromis : un rejet de l’ère de dérégulationqui a précédé l’effondrement financier, maiségalement un rejet des propositions quivisaient à restructurer en profondeur le sec-teur financier, par exemple en réduisant lataille des grandes banques américaines.Dans une interview l’été dernier, alors queson équipe rédigeait le projet de loi, Geith-ner avait déclaré que tout effort de réformefinancière était indissociable de trois choses :“Le capital, le capital et encore le capital.”La législation adoptée ne retranscrit pas lit-téralement cette idée et ne fixe pas spécifi-quement de nouveaux niveaux de capital.Mais elle incite les autorités américaines àtravailler avec leurs homologues à l’étrangerpour fixer des normes internationales. Geith-ner est à la tête de ce projet – encore unefaçon d’imprimer son sceau sur le secteurdes banques.
David Cho, The Washington Post (extraits),
Etats-Unis
▲ Sur le bouchon :Loi de réformefinancièreaméricaine.
Dessin de Luojieparu dans China
Daily, Pékin.
COLOMBIE
Chanter peut nuire gravement à la santéDe Mexico à Bogotá, les ballades qui abordent les côtés obscurs des sociétés locales sont très populaires. Elles peuvent parfois coûter la vie à leurs interprètes.
SEMANA (extraits)Bogotá
Il s’appelait Sergio Vega. Mais onle connaissait davantage sous lenom d’“El Shaka”, en hommageà “un guerrier zoulou qui n’avait
peur de rien et attaquait toujours de front”.C’est peut-être cette bravoure qui l’in-citait à chanter des narcocorridos, cesballades à la gloire des narcotrafi-quants, en dépit des risques encourus.Il n’imaginait cependant pas que sa vies’achèverait à 40 ans, derrière le volantd’une Cadillac rouge criblée de trenteballes. La mort d’El Shaka, enjuin 2010, s’est ajoutée à celle de plusde quinze chanteurs de corridos ces der-niers mois au Mexique.
Mais, alors que le Mexique s’ef-force de faire taire ses chanteurs popu-laires, en Colombie ce genre musicalconnaît une véritable renaissance. Letreizième volume des Corridos prohi -bidos [Ballades interdites], une série dedisques lancée dans les années 1990,vient de sortir, même s’il est encore dif-ficile de le diffuser à la radio. “Il estimpossible de promouvoir cette musique àla radio. Ce n’est d’ailleurs pas pour rienqu’on les appelle les ‘corridos interdits’ ;c’est parce que les paroles racontent ce quepersonne n’ose dire”, explique AlirioCastillo, producteur et spécialiste dece genre musical en Colombie. “Icinous ne courons pas autant de risquesqu’au Mexique, car, même si les parolesde nos chansons sont fortes, nous faisonsplus attention”, assure-t-il.
Il raconte cependant avoir été unjour contraint de “remiser” une chan-
son parce qu’il avait été menacé demort et que l’un des plus célèbresinterprètes de corridos venait d’êtredésigné comme le chanteur officiel desparamilitaires. Il avait alors choisi deprendre pour quelque temps sesdistances avec cette musique. Maisaujourd’hui tout est différent. Lesmenaces se font plus rares et une par-tie du marché auquel ses chansonss’adressent a changé. “Il y a quelques
années, dans les régions du MagdalenaMedio, du Llano et de Santander, lesgroupes avaient beaucoup de succès,comme le montrait le nombre d’engage-ments qui leur était proposé. La guérillafaisait appel à eux non pour quelquesheures, mais pour plusieurs jours d’affilée.Aujourd’hui, elle est occupée à se défendrecontre l’armée et n’a plus de place pour lesmusiciens”, raconte Alirio Castillo. Cedernier reconnaît sans états d’âme que
le succès de la musique qu’il promeutest directement lié à la guerre qui sévitdans le pays. “Sans violence les corridosn’ont aucune raison d’être. Ça ne medérange pas qu’on dise que c’est unemusique violente. Personnellement, j’aimebien les histoires qu’elle raconte”, dit-il.
Il les aime tellement qu’il les enre-gistre ! Lorsqu’on lui demande de citerle corrido qui, selon lui, a marqué l’his-toire du genre dans le pays, il choisitLa Rondonera, écrite par “John 40”,pseudonyme d’un commandant dufront 43 des FARC. Cette chansonparle de la prise d’un village par desguérilleros. La Rondonera a été inter-dite pendant un certain temps dans leszones contrôlées par les paramilitaires.“Dans les endroits dominés par les para-militaires, on ne chante pas les chansonsdes guérilleros et vice versa, sans quoi ily a des morts”, précise Alirio Castillo,qui n’a plus jamais reçu de chanson de“John 40” après l’interdiction de LaRondonera. “Il a disparu”, dit-il sim-plement. Mais les corridos n’ont paspour autant cessé d’exister. “Il y auratoujours des thèmes à aborder dans leschansons. Actuellement, nous avons la gué-rilla, les paramilitaires, la corruption, lesnarcotrafiquants. Il y a énormément dechoses à raconter ici.” Ce dont se char-gent quelque 600 groupes colombiens– beaucoup moins qu’au Mexique, oùl’on en compte jusqu’à 8 000.
Mais la différence entre ce qui sepasse en Colombie et ce qui se passeau Mexique ne tient pas uniquementau nombre de chanteurs ou auxme naces dont ils sont la cible. SelonCarlos Valbuena, auteur du livre “Le
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amériques
ÉTATS-UNIS
Ce crime qui a choqué l’AmériqueQuatre policiers de La Nouvelle-Orléans viennent d’être inculpés pour avoir tiré, en 2005, sur des rescapés de l’ouragan Katrina.Une affaire qui souligne la faillite de la police locale.
THE INDEPENDENTLondres
Le pont Danziger aurait pu rester unsimple nom sur une carte si la ma -nœuvre des policiers pour couvrir
leur crime avait fonctionné. Mais depuisque quatre officiers de police de la ville ontété inculpés, le 13 juillet, pour avoir tiré surdes civils, tuant deux personnes, noussavons que le pont Danziger restera dansles mémoires comme le lieu où les derniersliens de confiance entre une ville et ses gar-diens de la paix ont été rompus. Les crimesjugés aujourd’hui se sont produits unesemaine après le passage de l’ouraganKatrina, en 2005. S’ils sont reconnus cou-pables, les accusés pourraient passer le restede leur existence derrière les barreaux, voireêtre condamnés à la peine de mort.
Dans les jours qui ont suivi l’ouragan,le chaos régnait à La Nouvelle-Orléans. La
ville était submergée, ses hôpitaux n’avaientplus d’électricité et les centres d’urgencedébordaient de détritus. C’est alors que lesagents d’un commissariat ont été pris defolie et ont commis l’irréparable. Les chefsd’inculpation prononcés le 13 juillet confir-ment ce que les familles des victimes ne ces-sent d’affirmer depuis le début. Le 4 sep-tembre 2005, quatre officiers de police ontouvert le feu sur six civils – partis chercherdes vivres ou vérifier l’état de leur propriétéde l’autre côté de la ville – sans aucun motif.Quatre personnes ont été blessées, unefemme a eu une partie du bras arrachée,son mari a reçu une balle en pleine tête etdeux personnes ont été tuées. Les détailsde l’accusation font froid dans le dos.
On y apprend comment RonaldMadison, un handicapé mental, a reçuune balle dans le dos alors qu’il tentait des’enfuir, et comment l’un des policierss’est acharné sur lui alors qu’il gisait à
terre, mortellement blessé. Les hommesrisquant la peine capitale sont les officiersde pol ice Kenneth Bowen, Rober tGisevius, Anthony Villavaso et l’ancienpolicier Robert Faulcon.
Ils sont également accusés avec deuxautres officiers d’avoir tenté de dissimu-ler la vérité en affirmant avoir d’abord étépris pour cible sur le pont.
D’après l’acte d’accusation, les quatreofficiers sont arrivés sur les lieux aprèsavoir reçu un message radio inquiétantd’un collègue. En arrivant sur le pont, ilssont tombés sur un groupe de piétons.
C’est alors que la fusillade a éclaté.James Brissette, 17 ans, se dirigeait versl’est de la ville avec un ami, en quête devivres. Les piétons ont tenté de s’abriterderrière un pilier en béton du pont. C’estlà que deux d’entre eux ont reçu une balledans la tête et une autre dans le bras.James, lui, a été tué sur le coup.
Ce jour-là, Lance Madison était accom-pagné de son frère Ronald. Après avoirassisté au meurtre de son frère et vu sadépouille rouée de coups, Lance a étéarrêté par les policiers, qui l’ont accuséd’avoir ouvert le feu sur eux. Il a été détenutrois semaines durant, accusé de tentatived’assassinat sur un officier de police, avantd’être relâché faute de preuves.
Pour Tom Perez, le chef de la divisiondes droits civils du ministère de la Justice,“ce procès doit nous rappeler que la Constitu-tion et que l’Etat de droit ne prennent jamaisde vacances, même après un ouragan”. A l’an-nonce de l’inculpation, Berthe Delonde,une habitante de la ville, a exprimé touthaut ce que bon nombre de résidents pen-sent tout bas : la population de La Nou-velle-Orléans ne fait plus confiance à sapolice. “Si ces policiers ont vraiment fait celaà des civils, que vont-ils nous faire à nous ?”s’indigne-t-elle. David Usborne
▶ Le chanteurSergio Vega “El Shaka”,assassiné en juin dernier.
AFP
cartel des corridos interdits”, “auMexique ils se sont exclusivement limitésau thème du trafic de drogue, alors qu’enColombie ils sont très vite passés à d’autressujets, le conflit armé et la corruption, parexemple”. Le gouvernement mexicain,estimant que ces chansons consti-tuaient une apologie de la criminalité,a lancé une véritable croisade contreles narcocorridos. La diffusion des chan-sons qui font l’éloge de personnages etde scènes du narcotrafic est désormaisinterdite et les producteurs qui se ris-quent à diffuser ce type de musiquepeuvent être sanctionnés.
En Colombie, “on a recours à desformes musicales plus ‘lyriques’, qui met-tent en scène des personnages des coulisses :les raspachines [ramasseurs de feuilles decoca], les paysans, les pilotes, les soldats etles combattants de toutes les factions duconflit”, précise Carlos Valbuena. Il acommencé à étudier le sujet il y a dixans, intrigué par “l’existence d’une mu -sique populaire qui s’inscrit en faux contrele politiquement correct et met le doigt surune réalité colombienne occultée par lesmédias traditionnels, qui la qualifientd’‘apologie du délit’”. A l’image d’Ali-rio Castillo, Carlos Valbuena explique :“Lorsque la violence retombe, on s’inté-resse moins aux sujets de prédilection ducorrido, mais celui-ci n’en reste pas moinsun témoignage historique.”
Paloma Bahamón, sociologue àl’Université nationale, estime que ceschansons font bel et bien l’apologie dela culture du narcotrafic. Au terme dedeux années de recherches sur ce sujet,elle souligne qu’il ne s’agit pas plusd’interdire l’expression de ce genre quede le légitimer sous prétexte qu’il“reflète notre réalité”. S’il faut écouterles corridos, il faut selon elle aussi “étu-dier les corridos interdits”. Ce n’estqu’ainsi que ce genre pourra cesserd’être stigmatisé comme une musiqueglorifiant la violence et qu’on pourraen faire “un outil pour dépasser notre cul-ture de l’illégalité”. ■
FEMMESNarcotrafiquantes
Elles sont belles, influençableset se laissent sé duire très
jeunes en échange de vê tementsde mar que, d’argent ou encore definancement d’opérations de chi-rurgie esthétique. C’est ainsi que lelivre Las Muñecas de los narcos,publié en Espagne en juin, décrit leprofil type de la femme de narco-trafiquant. “Elles dirigent la maisonet sont patronnes d’une armée d’em-ployés, les chefs narcos les voientcomme une extension de leur pou-voir”, raconte Andrés López dansl’ouvrage. Ce dernier, narcotrafiquantrepenti, a collaboré avec le journa-liste Juan Camilo Ferrand pourrecueillir six témoignages d’ex-épouses de chefs narcos qui révè-lent leurs rôles parfois très diffé-rents dans le milieu. Certaines sontotages de menaces planant sur leurfamille. D’autres, au contraire, sontparfaitement intégrées et ambi-tieuses. Selon les auteurs, cesfemmes contrôleraient près de 20 %du trafic mondial de stupéfiants.
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CAMBODGE
Quelle justice pour les victimes des Khmers rouges ?Le 26 juillet, le tribunal international qui juge cinq anciens complices de Pol Pot doit rendre son premier verdict.Mais, pour Sophal Ear, l’un des rescapés, il s’agit d’une farce judiciaire.
INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE(extraits)
Paris
Quand ma mère – qui nous asauvés, mes quatre frères etsœurs et moi, de la faminesous les Khmers rouges en
1976 – est décédée, en octobre 2009,à l’âge de 73 ans, j’ai compris que, pourelle, justice tardive avait fini par êtresynonyme de déni de justice. Ma mère,bouddhiste pratiquante, avait cou-tume de dire que, quoi qu’il advienneaux responsables khmers rouges dansleur vie actuelle, la justice karmiques’imposerait dans la suivante : ils renaî-traient sous forme de cafards. Je suissûr que cette conviction a aidé desmillions de survivants à accepter que,plus de trente ans après la chute desKhmers rouges [en 1979, après prèsde quatre ans au pouvoir et 1,7 millionde morts], pas un seul de leurs chefsn’ait été condamné.
D’ailleurs, les Cambodgiens ris-quent fort de manifester un certaindésintérêt quand le Tribunal pour lesKhmers rouges – baptisé Chambresextraordinaires au sein des tribunauxcambodgiens et mis sur pied en coopé-ration avec les Nations unies – ren-dra son premier verdict à propos deKaing Guek Eav, plus connu sous lenom de camarade Duch. L’hommequi commandait S21, un centre de tor-ture où, sur 16 000 prisonniers, moinsd’une douzaine survécurent, a avouéses crimes sept ans avant que le tribu-nal ne siège, disant : “Ma confession est
assez semblable à celle de saint Paul. Jesuis le chef des pécheurs.” Pendant le pro-cès, Duch a déclaré : “Aux survivantsje confirme la reconnaissance de tous lescrimes commis contre vous à S21. Je lesreconnais tant sur le plan moral quelégal.” Après neuf mois de dépositionset des millions de dollars dépensés,quel verdict autre que coupable peut-on attendre quand l’accusé lui-mêmea émis de telles déclarations sous ser-ment ? A quoi a pu servir cette paro-die de justice ?
Que la question soit celle du degréde culpabilité (personne ne préten-dra que Duch était responsable de lapolitique) ou du châtiment pur etsimple (la peine maximale est la pri-son à vie), chaque jour passé repré-sente en lui-même une injustice. Si,après quatre ans et des dizaines de
millions de dollars versés, tout ce quele tribunal peut produire, c’est un ver-dict de culpabilité, les rescapés desKhmers rouges auraient aussi vitefait de parler de déni de justice.
LES CAMBODGIENS GRANDS OUBLIÉS DU PROCÈS
Infesté par la corruption, le tribunala été détourné au profit de prioritésnationales et internationales. Pour lespolitiques cambodgiens, l’objectif étaitde contrôler le déroulement du procès(en installant la cour dans une basemilitaire à une vingtaine de kilomètresde Phnom Penh) et d’en rogner la por-tée (en limitant à cinq le nombre d’in-dividus qu’elle pouvait inculper), touten s’attirant les faveurs internationales(en jugeant, apparemment du moins,les crimes contre l’humanité).
Pour nombre des étrangers impli-qués, le Cambodge n’a été qu’uneoccasion de plus de mettre en avantdes modèles hybrides de justice detransition, tout en créant des emploispour les fonctionnaires internationauxet des perspectives de carrière aux avo-cats étrangers. A défaut d’autre chose,ils peuvent toujours se congratuler ense disant qu’ils ont montré aux Cam-bodgiens comment rendre la justice.Or c’est l’inverse qui s’est produit. Letribunal a été grevé par la corruption,le manque d’indépendance judiciaireet l’absence d’intégrité. La nomina-tion d’une fervente marxiste-léninisteà la tête de l’Unité des victimes enmai 2009, avec le soutien absolu dupré sident du tribunal de l’ONU, ascellé le sort de la cour, qui n’a plus étéqu’une farce internationale et natio-nale. Les grands oubliés de toute cetteaffaire sont ces Cambodgiens qui de -vaient se familiariser avec les critèresinternationaux de la justice et vivre uneexpérience cathartique grâce au tri-bunal. Au lieu de cela, le tribunal a euune influence corrosive. Après avoirassisté, en 1993, à une démonstrationde démocratie sous l’égide des Nationsunies qui a inexorablement basculédans l’autoritarisme, les Cambodgiensont compris la leçon. Il ne faut pascroire aux promesses internationales,elles ne sont pas tenues. Sophal Ear*
* Spécialiste des affaires de sécurité nationale
à l’Ecole supérieure navale de Monterey, en
Californie, il travaille sur un livre consacré
aux conséquences involontaires de l’aide
étrangère au Cambodge.
■ RévocationA deux semaines
de l’énoncé
du verdict, Duch,
l’ancien directeur
du centre
d’interrogatoire
et de torture S21
contre qui quarante
ans de prison ont
été requis, a décidé
de se séparer de
son avocat français,
Me François Roux,
écrit Cambodge Soir
Hebdo. “L’accusé
avait provoqué
un coup de tonnerre
en demandant sa
remise en liberté
alors que François
Roux avait axé
sa défense sur une
reconnaissance de
culpabilité”. Coup
de théâtre pouvant
être attribué
à une interférence
du gouvernement.
asie ●
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 20 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
PAKISTAN
Tout est bon pour éliminer les talibansDans sa lutte contre les islamistes, le gouvernement encourage la formation de milices villageoises – servant surtout de chair à canon.
THE NEWS (extraits)Karachi, Lahore, Islamabad
Les attentats sanglants à Ekkaghund,dans le Mohmand (Zones tribales),à la frontière avec l’Afghanistan,
ont coûté la vie à 106 personnes le 9 juillet.Ils sont la conséquence directe d’une ini-tiative gouvernementale qui vise à mobi-liser les tribus pour combattre les talibans.Ces derniers se sont en effet heurtés à lavigoureuse résistance du lashkar [armée]local, une milice de villageois qui répond,ironie du sort, au nom de Comité amn,“de la paix”. Le porte-parole taliban a clai-rement déclaré que les personnes viséesétaient bien les membres de la milice,réunis ce jour-là en assemblée.
Soutenus par les autorités, les lashkardes communautés villageoises ont parfoisréussi à repousser les talibans dans certainesparties du Khyber Pakhtunkhwa [province
du nord-ouest du pays, anciennementappelée Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest] et des Zones tribales [province situéeà la frontière avec l’Afghanistan], bien queles membres de ces milices aient essuyé despertes sévères et que l’on continue d’exigerd’elles qu’elles soient constamment prêtesau combat. Parfois même, l’aide matériellepromise par le gouvernement ne se maté-rialise pas. Les anciens se demandent sou-vent combien de temps encore il leur fau-dra mobiliser les jeunes du village pouraffronter un ennemi aussi déterminé que lestalibans. Certains se plaignent d’avoir étécontraints par les autorités de lever des lash-kar et de se battre contre les militants. Seloneux, on leur demande de faire quelque choseque le gouvernement et ses forces de sécu-rité ont été incapables d’accomplir.
Des centaines de civils auraient perdula vie dans les Zones tribales parce qu’ils ontmaintenu leurs liens avec les représentants
du gouvernement et de l’armée en dépit desavertissements. Les milices villageoises ven-gent aujourd’hui les victimes : les rebellesislamistes et leurs complices sont désormaistraqués, leurs maisons démolies et leursfamilles bannies de villages ancestraux. LesEtats-Unis et leurs alliés de l’OTAN, s’ef-forçant désespérément de juguler l’insur-rection croissante des talibans, ont eux aussieu recours à des campagnes de mobilisationet de financement des villageois afghans afinqu’ils combattent les rebelles dans leursrégions. Le général David Petraeus avait misen œuvre un plan comparable en Irak, enarmant et payant des tribus sunnites pourqu’elles combattent Al-Qaida dans le pays.Maintenant qu’il vient de succéder àMcChrystal [limogé le 23 juin 2010] enAfghanistan, il tient à développer ce pro-gramme et à doubler le nombre de villagesoù des milices seront équipées pour affron-ter les talibans.
Toutefois, le président Karzai auraitexprimé des réserves devant un tel projet.Le chef de l’Etat afghan redoute que celane favorise d’une part le renforcement deschefs de guerre locaux qui défient de toutefaçon le pouvoir central et, d’autre part,la multiplication de milices qui échappentà tout contrôle. Lui préférerait une arméenationale forte, fidèle au gouvernement, plu-tôt que des groupes privés n’obéissant qu’àdes chefs de guerre. Mais, avec le généralPetraeus à la tête des forces [de l’OTAN],il est peu probable que Karzai soit écouté.
Au Pakistan, beaucoup de gens voientdans les lashkar un moyen légitime et effi-cace de lutter contre les talibans. On ne sesoucie guère des conséquences qu’il y auraità armer des villages entiers… En réalité,on se persuade que des attentats commecelui d’Ekkaghund justifient la formationde milices villageoises dans l’espoir devaincre les talibans. Rahimullah Yusufzai
▶ Dessin deChappatte paru dansl’International
Herald Tribune,
Paris.
JAPON
Un trouble-fête nommé Votre PartiLes élections sénatoriales ont coûté cher au Parti démocrate et permis au Parti libéral-démocrate de retrouver des couleurs. Mais c’est l’émergence d’une nouvelle formation originale qui a retenu l’attention.
MAINICHI SHIMBUN (extraits)Tokyo
Etes-vous sûr de ne pas me faireune fausse joie ?” Le 11 juillet,à 23 h 36, au centre dedépouillement, lorsqu’on a
annoncé à Yoshimi Watanabe,leader deVotre Parti (VP), qu’il était élu dansune des circonscriptions de la capitale,il n’arrivait pas à y croire. Peu après,d’un air plaisant, il a laissé éclater sajoie. “Je pense que c’est une victoire extrê-mement symbolique.” Pourtant, les dis-cours prononcés par les membres desa formation pendant la période élec-torale n’avaient pas attiré les foules.
Le 23 juin, veille de l’ouvertureofficielle de la campagne électorale,Shusei Tanaka, conseiller spécial dela campagne et ancien directeur de
l’Agence de planification économique,montait à la tribune pour déclarer :“Le regard sévère porté par le Premierministre Naoto Kan sur le systèmebureaucratique est juste ; je pensais qu’ilne se laisserait jamais endormir par lesbureaucrates. Mais ses déclarations
concernant l’augmentation de la TVAont clairement montré qu’il était sous leuremprise.”
De nombreux partis ont vu le jourdepuis le mois d’avril, mais aucund’entre eux n’a obtenu un bon résul-tat aux sénatoriales. Alors en quoi VPse distingue-t-il ? Durant la campagne,nous avions rencontré M.Watanabe.“La fondation de Votre Parti s’inscrit dansla suite logique des mouvements de citoyensque j’ai toujours animés. Toute vantardisemise à part, nous avons réussi à présenternos 44 candidats sans bénéficier de grossessommes d’argent et sans avoir recours àun vote organisé. C’est une démarcheconforme à celle d’un mouvement citoyen.Je n’ai pas choisi l’approche directe, quiaurait consisté à créer rapidement un nou-veau parti avec des députés dissidents.Nous ne choisirons pas non plus de former
brusquement une coalition avec le Partidémocrate (PD) quand nous partironsà la conquête du pouvoir politique, car celapourrait devenir un handicap à terme. LePD s’appuie sur les mêmes principes quele Parti libéral-démocrate (PLD), à savoirun gouvernement sans limites et le bureau-cratisme. Nous, nous souhaitons un gou-vernement limité et qui aura pour objec-tif une croissance fondée sur le libéralisme.Comment collaborer avec ces différencesfondamentales ? Désormais, à la lueur desrésultats des élections, la scission au seindu PD et l’effondrement du PLD sontinévitables. Nous recomposerons le pay-sage politique en recrutant des person-nes qui partagent nos idées.” Tout enchoisissant soigneusement ses mots, ilnous regardait fixement.
“Dans le monde politique actuel, lesgens ne comptent plus sur le PD dont leleader, Naoto Kan, ne propose aucunevision sociale très claire. Ils ne sont guèreplus attirés par le PLD, mais sont séduitspar le projet de ‘réduire le nombre des fonc-tionnaires avant d’augmenter la TVA’.Watanabe a toujours montré sa volontéde réformer la fonction publique depuis letemps où il était ministre chargé de laRéforme administrative [2006-2008].C’est pourquoi il est crédible”, estimele journaliste Soichiro Tahara pourexpliquer le succès de Votre Parti. Ence qui concerne l’avenir de VP, il estcertain que “Votre parti et le PD for-meront une coalition. Si Watanabe déclareaujourd’hui qu’il n’en est pas question,dans le monde politique, cela signifie qu’ilfera forcément le contraire.” Le PD ayantessuyé une grande défaite, le mondepolitique est devenu plus fluctuant.Watanabe considère les sénatorialescomme “une escarmouche d’avant-postepar rapport aux législatives à venir”. Lanouvelle formation VP a su gagner l’es-time des électeurs grâce à sa constanceet à ses convictions. Reste à savoir sielle pourra mener à bien son pro-gramme sans trahir ceux qui lui ontfait confiance ?
Yuji Nakayama
asie
THE IRRAWADDYChiangmai (Thaïlande)
Les champions de ladémocratie font exacte-ment ce qu’il faut pour
contenter les généraux au pou-voir. Ils se battent pour un cha-peau en bambou, le kha mauk.Comment ? un chapeau en bam-bou ? Eh bien, oui. Plus précisé-ment, le chapeau traditionnel bir-man que portent les paysans.Mais, avant d’entrer dans lesdétails du combat, rappelons queles dirigeants du principal partid’opposition, la Ligue nationalepour la démocratie (LND), et laformation politique dissidenterécemment fondée, la Forcenationale démocratique (FND),étaient ensemble, il y a encorequelques mois, au siège de laLND à Shwegondaing, à Ran-goon. Ils œuvraient à l’instau-ration de la démocratie. Nombredes principaux protagonistesavaient vécu la même amèreexpérience d’un emprisonne-ment par la junte.
À QUAND UNE OPPOSITIONDÉMOCRATIQUE UNIE ?
Revenons maintenant à l’histoiredu chapeau. Vous avez sansdoute déjà vu l’un des beauxportraits d’Aung San Suu Kyicoiffée d’un kha mauk. Cesimages populaires de la diri-geante de la LND assignée àrésidence resteront pour toujoursgravées dans les pages de l’his-toire du pays : Mme Suu Kyi et le
kha mauk, le kha mauk et laLND, la LND et ses fidèles élec-teurs, qui avaient mis, en 1990,une croix à côté du kha mauk surles bulletins de vote, où figu-raient également les symbolesdes autres partis. “Mettez unecroix à côté du chapeau, assurez lavictoire du peuple”, tel était le slo-gan mémorable du seul scrutinqui s’est tenu au cours des deuxdécennies écoulées. Avec ce sym-bole, la LND avait remporté lesélections haut la main [392 des492 sièges à pourvoir]. Ce cha-peau est ainsi devenu un sym-bole historique, celui de la LND.Voilà la toile de fond de l’affaire.
Et voilà ce qui l’a provoquée :la FND s’est enregistrée, en juin,comme parti politique, avec unkha mauk pour symbole. Mêmesi ce n’était pas une copieconforme de celui de la LND,l’état-major du parti crie au volde son emblème. Les dirigeantsdes deux formations se livrentdepuis quelques jours une guerreverbale. “C’est une contrefaçon pureet simple”, accuse Nyan Win, unporte-parole de la LND. Ce àquoi Khin Maung Swe, l’un desfondateurs de la FND, rétorque :“Cette image n’est pas la propriétéde la LND, ce n’est pas une marquedéposée.” Mais le chapeau n’estpas, bien entendu, le véritableenjeu de la bataille. Cet accessoirecache un différend d’ordre idéo-logique. Le véritable problèmeest de savoir s’il faut ou non par-ticiper aux prochaines électionsorganisées par la junte. La ques-
tion avait déjà constitué un motifde discorde entre les différentesfactions de la LND avant que laformation ne décide de les boy-cotter. Au sein de la LND, cer-tains s’en tiennent aux principesfondamentaux. Pour eux, le scru-tin à venir ne sera ni libre ni équi-table. La loi électorale est répres-sive et exigerait l’expulsion deMme Suu Kyi et des autres pri-sonniers politiques du parti. LaConstitution de 2008 est antidé-mocratique. Cependant, d’autresmembres de la LND voient dansles élections l’occasion de créerun espace démocratique – aussimince soit-il – au sein du futurParlement, même s’ils se disent
conscients du fait que la consul-tation ne sera pas vraiment démo-cratique. La FND partage cettevision des choses. Résultat : laLND est divisée. Il en est demême pour les autres formationsdémocratiques. Mais, à ce stade,certaines factions de l’oppositiondeviennent leurs propres enne-mis, et les généraux doivent sefrotter les mains devant cettefarce. Ce que le peuple souhaiteavant tout, c’est une oppositiondémocratique unie, en mesure decombattre le puissant gouverne-ment militaire. Mais, au bout ducompte, cette guerre du chapeausymbolise la désunion des forcesdémocratiques. Kyaw Zwa Moe
▲ Dessin paru dansThe Economist,
Londres.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 21 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
MYANMAR
Le chapeau de la discordeLa LND d’Aung San Suu Kyi conteste à un groupe dissident le droit d’utiliser, lors des élections à venir, le symbole du parti. Un différend qui fait les affaires de la junte.
OUTLOOK (extraits)New Delhi
Il est facile de comprendre pour-quoi la plupart de nos députésont du mal à protester contre lesprix actuels des denrées ali-
mentaires. La cantine du Parlementleur fournit des rotis [pains plats] à1 roupie [1 centime d’euro], du rizet des haricots rouges pour 7 roupies,du kheer [riz au lait] pour 5,50 roupies– des tarifs qui n’ont d’ailleurs pas étérévisés depuis 2004 ! Ce qui est stu-péfiant, en revanche, c’est le silencede la classe moyenne face à l’aug-mentation des prix. Après tout, l’in-flation supérieure à 10 % pèse lour-dement sur le budget des ménages.
Certains prétendent que la classemoyenne est en fait très remontée,mais qu’elle n’est tout simplementpas capable de prendre la tête de lacolère populaire sur le long terme.D’autres demandent de quelle classemoyenne on parle. En Inde, il y ad’une part des personnes si richesqu’elles ne s’aperçoivent même pasde l’inflation et d’autre part des per-sonnes trop pauvres pour prendre unejournée de congé afin d’aller mani-fester. Il y en a encore d’autres qui semontrent sceptiques. Même si la classemoyenne voulait descendre dans larue, en serait-elle capable ?
Reste à savoir ce qu’est la classemoyenne. Où vit-elle ? Que fait-elle ?Combien gagne-t-elle ? Tout cela resteun mystère. Cette catégorie socialecompte, selon les analyses, de 60 à300 millions de personnes, soit augrand maximum 30 % de la popula-tion. Une petite partie de ce pourcen-tage (le tiers environ) constitue lemoteur de l’expansion économiqueindienne. Même s’ils sont peu nom-breux, les membres de ce groupeconcentrent un grand pouvoir – maismanifester contre l’inflation ne leurvient pas vraiment à l’esprit. L’in-croyable montée en flèche de leursrevenus a réglé la question il y a bienlongtemps. “En Inde, ce qu’on désignecomme la nouvelle classe moyenne repré-sente au maximum 10 % de la popu-lation. Au cours des quinze dernièresannées, ce groupe a vu ses revenus aug-menter considérablement et ne s’inquiètepas des prix”, explique Praveen Jha,professeur d’économie à l’universitéJawaharlal Nehru de New Delhi.
Paradoxalement, s’il y a une chosedont l’Inde est bien sûre, c’est qu’ellecompte au moins 300 millions de per-sonnes qui sont officiellement rangéesdans la catégorie des “pauvres” [vivantau-dessous du seuil officiel de pau-vreté]. La question est donc de savoirsi une catégorie sociale plus favori-sée acceptera d’élever la voix pourdéfendre les intérêts de l’autre. Autrechangement, ceux qui travaillent dansle secteur public ou dans une entre-prise privée continuent à exprimer leurmécontentement comme auparavant,
mais ils ne reflètent plus les préoccu-pations de l’aam admi, l’Indien moyen,car leurs revenus sont désormais tropélevés. Leur opinion n’a donc pas vrai-ment de valeur. Et ceux qui compo-sent la “véritable” classe moyenne, ausens où on l’entend normalement, ceuxqui souffrent aujourd’hui de la chertédes prix, semblent n’avoir trouvéaucune solution pour s’en sortir.
Raghav Gaiha, qui enseigne à laDelhi Management School, penseau contraire que la classe moyenneactuelle porte l’indignation populaireet s’exprime contre l’augmentationdes prix. “La suppression des subven-tions sur le carburant, qui a provoquél’augmentation du prix, a suscité de vivesréactions. Des manifestations ont été orga-nisées [comme celle du 5 juillet 2010,appelée par l’opposition]. Mais cette colèren’est souvent que passagère”, constate-t-il. L’augmentation des revenus pourcertains peut constituer un facteurexplicatif, mais, selon lui, les gens sesont tellement préparés à la flambéedes prix de ces derniers mois qu’ilsfont peut-être preuve d’une “plusgrande tolérance”.
FACE À LA HAUSSE DES PRIX,LES INDIENS SE RÉSIGNENT
On se retrouve donc dans une si tua-tion malheureuse : une classe moyenneéclatée avec une sous-section d’élitesqui ne s’intéressent qu’à la consom-mation ; une “véritable” classe moyen -ne qui ne peut pas se permettre demanifester ; et une opinion publiquede plus en plus habituée aux aug-mentations de prix. Pour C. S. Reddy,le directeur d’une organisation quisoutient des associations de microfi-nance, c’est ce dernier phénomène– s’habituer à l’inflation sur le longterme – qui empêche le déclenche-ment de grandes manifestations
durables dans les zones rurales. Deplus, dans les campagnes, les revenusaugmentent également – dans unecertaine mesure. Le prix de certainesdenrées est plus avantageux qu’au-paravant. La loi garantissant auxfoyers ruraux cent jours de travail paran [National Rural Employment Gua-rantee Act (NREGA), 2005] a contri-bué à améliorer le niveau de vie de lapopulation, dans certaines régions.“Dans l’Andhra Pradesh, par exemple,la population s’en sort grâce à des sourcesde revenus diversifiées, du moins dans leszones que j’ai visitées. En outre, certainspeuvent acheter des céréales à 2 roupiesle kilo, le système de santé fonctionne bien,les pauvres ne sentent donc pas trop lapression”, explique-t-il.
Pour Krishan Bir Chaudhary,de la Bharatiya Krishak Samaj [l’or-ganisation des agriculteurs indiens],s’il n’y a pratiquement pas eu demanifestations dans les campagnes,c’est entre autres parce qu’il n’existepas de groupe de pression efficacereprésentant les agriculteurs au Par-lement. Résultat : le prix des denréesalimentaires est devenu arbitraire etest souvent contrôlé par des inter-médiaires corrompus. Le problème,c’est que, si le prix des denrées ali-mentaires continue à grimper, les gensdevront faire des sacrifices – d’abordsur les quantités consommées, puissur la qualité, avant de renoncer tota-lement à certains produits. Le pro-blème, c’est que la population va peuà peu accepter de vivre selon un seuilde tolérance où les prix ne sont pasassez élevés pour se mettre en grèvemais pas assez bas pour qu’on puissese dispenser de faire ses courses dansles magasins à prix réduits dont lesproduits sont de moins bonne qualité.Et, selon les experts, on en est déjà là.
Pragya Singh
asie
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 22 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
“BANDH”GRÈVE
GÉNÉRALE
L e mot bandh veut tout simple-ment dire “fermé”. C’est un mot
qui, sous forme d’adjectif ou deverbe, est d’une banalité quoti-dienne. On l’emploie pour indiquer,par exemple, qu’on a fermé la portede la chambre des enfants. Mais,lorsqu’il est employé comme nompour indiquer une fermeture, il prendune tout autre importance. Il aver-tit. Il menace. Il peut faire tomberdes gouvernements. Car un bandhest essentiellement une grève, unegrève qui paralyse. Le bandh deschemins de fer indiens, déclenchépar le chef des syndicats ouvriersGeorge Fernandes en 1974, est tou-jours présenté comme l’un des plusréussis dans l’histoire de l’Inde. Ilfut cité par Indira Gandhi, alors Pre-mier ministre, comme l’une descauses du déclenchement de l’étatd’urgence en 1975, auquel son gou-vernement n’a pas survécu.Dans l’imaginaire populaire indien,le bandh évoque des sentimentspatriotiques liés au mouvementindépendantiste, même s’il est vraique le Mahatma Gandhi n’a jamaissoutenu l’idée d’un bandh généralqui serait appliqué, si besoin est,par la force. Car si le mot bandh faitpeur, c’est qu’il comporte une notionde pression, voire de violence. Ilévoque surtout l’image d’un rideaumétallique qu’un boutiquier se hâtede fermer de peur de se faire tabas-ser ou bien encore des bandes dejeunes armés qui rôdent dans lesrues désertes. Pour paralyser lepays, l’opposition politique indiennea donc appelé, le 5 juillet, au Bha-rat bandh, ou à la “fermeture del’Inde”, associant le mot bandh àcelui de Bharat, qui renvoie à l’Indedu peuple.Tenter de bloquer une économiedont le taux de croissance attiretant d’investisseurs étrangerspourra-t-il mettre en danger le gou-vernement ? Car c’est un fait : latrès grande majorité des Indiens,face à des prix qui explosent, nesait plus comment joindre les deuxbouts. D’autant que les 10 % dela population qui bénéficient del’expansion s’enrichissent plusrapidement encore que ne montentles prix. Entre ces deux Inde,l’“India” des riches et le “Bharat”des pauvres, se creuse un abîmedans lequel risque de tomber unjour la démocratie indienne – avecou sans bandh. Mira Kamdar
Calligraphie d’Abdollah Kiaie
■ Les prixs’envolent
2004/2005
Pommes de terre
Farine
Oignons
Riz
Sucre
Lentilles
Ticket de car
En roupies/kilo :
Essence
En roupies/litre :
En roupies/trajetd’environ 2 heures :
g
Gazole
2010
5,611
1114
70
56
45
32
40
35
18
30
15,5
16
25
37
15
7,6
En moyenne, avec60 roupies (1 euro), on peut préparer deux à trois repas végétarienspour une famillede quatre personnes.
(Source : “Outlook”)
INDE
La classe moyenne se défileLe 5 juillet, les Indiens ont manifesté contre l’inflation galopante. Mais les gagnants de la croissance se sentent peu concernés par ces manifestations populaires.
▶ Dessin paru dansThe Economist,
Londres.
MONDE ARABE
Deux morts, deux mesuresLe décès de Fadlallah, une figure atypique du Hezbollah, a suscité un peu partout des éloges funèbres. La disparition d’Abu Zeid, un Egyptien libre-penseur contraint à l’exil, n’a suscité que l’indifférence. Dommage !
NOW LEBANON Beyrouth
La mort, le 4 juillet dernier,de Sayyed MuhammadHussein Fadlallah a suscitéun véritable torrent d’émo-
tion aux quatre coins du monde.Quoi que l’on pense de cet hommede religion – qui ne se laissait pasfacilement apposer une étiquette –,cette unanimité a de quoi laisser per-plexe et illustre parfaitement les dif-ficultés que rencontrent les penseurslibéraux arabes.
Pourquoi une telle effusion ? Laplupart de ses apologistes ne savaientvisiblement pas ce qui faisait la par-ticularité – et l’intérêt – de Fadlallah,à savoir ses conceptions originales dela doctrine musulmane (notammentson approbation du clonage théra-peutique). En revanche, les idées pourlesquelles il était connu, à savoir sonapprobation des attentats suicides etson hostilité envers Israël et les Etats-Unis, n’avaient rien de très original etne reflétaient pas la complexité de cetesprit anticonformiste.
Il faut admirer, par exemple, avecquel art de l’omission l’ambassadricedu Royaume-Uni à Beyrouth, FrancesGuy, a pu écrire sur son blog : “Quandon se rendait [chez Fadlallah], on étaitcertain d’avoir un vrai débat, une dis-cussion respectueuse, et on savait qu’onrepartirait avec l’impression d’être plusintelligent. Le Liban déplore une grandeperte aujourd’hui, mais ce décès se ferasentir bien au-delà des frontières du pays.Le monde a besoin de plus d’hommescomme lui, qui s’efforcent de jeter desponts entre les religions, acceptent la
réalité du monde moderne et osentremettre en question de vieilles traditions.Paix à son âme.” (Ce “post” ayant sus-cité des critiques de plus en plusnom breuses de la part de médias occi-dentaux, l’ambassade du Royaume-Uni à Beyrouth a fini par le retirerde son site.)
Aux Etats-Unis, la responsabledu Moyen-Orient de CNN, OctaviaNasr, a payé cher son éloge deFadlallah sur Tweeter. “Triste d’ap-prendre la mort de Sayyed Fadlallah…Un des géants du Hezbollah que je res-pectais énormément”, avait-elle écrit.Octavia Nasr a finalement été licen-ciée, même après avoir publié unedéclaration pour clarifier ses positions
et notamment dénoncer sans excep-tion le recours aux attentats suicides.
Si ces réactions étaient moinsmarquées que celles venues de larépublique islamique d’Iran et de lacommunauté chiite au Liban – aveclesquelles Fadlallah entretenait desrelations controversées –, elles n’enétaient pas moins révélatrices, ainsique source d’un sentiment étrange,renforcé récemment par la quasi-indif-férence des penseurs libéraux arabeset occidentaux après l’annonce de lamort de l’intellectuel égyptien NasrHamed Abu Zeid.
En 1995, Abu Zeid avait fait lesgros titres des journaux après la déci-sion de la cour d’appel du Caire de lereconnaître coupable d’apostasie. Lesdétracteurs d’Abu Zeid n’avaient passupporté son approche interprétativedu Coran selon laquelle le texte sacrépouvait faire l’objet d’un débat, alorsqu’il est traditionnellement considérécomme la parole sacrée de Dieu. LeDjihad islamique égyptien avait alorsappelé à l’élimination d’Abu Zeid,lequel, face à ces manœuvres d’inti-midation, s’était finalement exiléaux Pays-Bas.
TROUVER UN ISLAM TOLÉRANTAU SEIN DU CLERGÉ
Ce que les panégyriques de Fadlallahnous montrent, face au relatif silencequi a entouré la mort d’Abu Zeid auMoyen-Orient, c’est que dans cettepartie du monde il existe deux poidsdeux mesures pour la pensée libérale.Alors qu’un religieux largementcon servateur est présenté comme unepersonnalité ouverte au progrès etau dialogue, un intellectuel désireux
d’introduire une part de pensée libredans la religion et qui a dû s’exilerpour échapper à une mort probables’est éteint dans une indifférencequasi générale.
A qui la faute ? Les responsabilitéssont partagées. Si les faiseurs d’opinion– les représentants à l’étranger, les jour-nalistes et les intellectuels arabes – n’ar-rivent pas à mettre de l’ordre dans leurspriorités, le reste de la société ne le faitpas mieux. Fadlallah était un hommefascinant, digne d’attention et parfoismême d’estime, mais il semble queles auteurs des portraits que l’on endresse aujourd’hui destinent leurscompliments à un homme fantasmé,produit de leur désir de trouver lereprésentant d’un islam tolérant ausein du clergé.
C’est bien là tout le problème.Pourquoi les diplomates et les médiasmettent-ils autant d’acharnement àvouloir trouver les plus hautes vertuslibérales – notamment la capacité dedialogue et l’ouverture d’esprit – ausein du groupe le plus hermétique-ment fermé des sociétés musulmanes,à savoir le clergé ? Pourquoi continuerd’ignorer les hommes et les femmesqui manifestent ces qualités au quo-tidien, dans leurs études, leur modede vie ou leur travail ? Le clergé et lesmusulmans traditionalistes seraient-ils jugés comme plus authentiques ?Le fait de rendre justice à ces raresintellectuels courageux reviendrait-il à enlever quelque chose au mondearabe ? Ces questions méritent uneréponse, au moins pour que les NasrHamed Abu Zeid de ce monde nesoient plus contraints à l’exil.
Michael Young
moyen-orient ●
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 23 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
IRAN
La révolte du bazar fait reculer le gouvernementLes commerçants iraniens, alliés traditionnels des religieux, font rarement grève. Leur mouvement de protestation, qui a duré deux semaines, a obligé les autorités à changer de politique fiscale.
INSIDEIRAN.ORGNew York
Au début du mois de juillet, le gou-vernement de Mahmoud Ahmadi-nejad a annoncé qu’il avait l’inten-
tion d’augmenter l’impôt sur le revenu desmarchands du bazar, le centre traditionneldu commerce. Cette hausse est significa-tive : 70 % selon les marchands. Le bazarde Téhéran a réagi en lançant une grèvele 6 juillet [elle concernait les commerçantsles plus influents du bazar, les marchandsde tapis, d’or et de tissus]. Malgré desrumeurs d’arrêt dès le lendemain, les mar-chands ont maintenu cette grève [jusqu’au18 juillet]. Craignant de s’aliéner l’aileconservatrice de la société iranienne et de
perdre d’importants revenus économiques,le gouvernement a décidé, le 12 juillet, derevoir sa proposition de hausse des taxes.
Le bazar iranien a un poids politiquetrès fort dans le pays pour diverses raisons.D’abord, il a toujours entretenu d’excel-lents rapports avec les religieux iraniens.Les membres du bazar font partie des sou-tiens financiers les plus importants du clergé.Le gouvernement iranien, qui tient sa légi-timité des religieux, ne peut pas risquerde perdre une grande partie de ses appuis.De plus, et c’est peut-être le plus important,le gouvernement doit empêcher ce segmentinfluent de la société de faire cause com-mune avec le mouvement d’opposition [néde la réélection contestée du présidentMahmoud Ahmadinejad en juin 2009].
Ensuite, des grèves unifiées dans les dif-férents bazars du pays peuvent avoir desrépercussions économiques et psycholo-giques. En dépit du changement des cir-cuits de distribution et de l’augmentationdes grandes chaînes de supermarchés, lebazar traditionnel reste toujours appréciédes con sommateurs. L’économie iraniennepourrait souffrir âprement de cette grève.De plus, la concentration de magasins dansun seul lieu peut amplifier l’impact psy-chologique d’une grève sur la population.
Des instances gouvernementales cléscomme le ministère du Commerce et leministère de l’Economie ont promis deréviser le projet. Le vice-ministre du Com-merce est allé jusqu’à dire que les taxes res-teraient au niveau actuel et qu’il n’y aurait
pas d’augmentation à l’avenir. Le gouver-nement a trouvé un accord avec les bazarisde Téhéran, réduisant l’impact de la hausse[à 15 %]. Mais les marchands d’autresvilles n’ont pas apprécié cet accord, notam-ment à Tabriz, dans le nord-ouest du pays.Le 14 juillet, les commerçants du bazar deTabriz ont lancé leur propre grève pourprotester contre l’accord bilatéral trouvéentre le gouvernement et les marchands deTéhéran. Ils se sont sentis trahis par leursconfrères de Téhéran, prêts à accepter unaccord qui leur convient, mais qui n’est pasdans l’intérêt de leurs collègues de pro-vince. La grève à Tabriz est aussi un indi-cateur important que les tensions à Téhé-ran peuvent rapidement se répandre dansd’autres villes. Arash Aramesh
▲ Dessin de Maykparu dansSydsvenskan,
Malmö.
ARABIE SAOUDITE
Devenir le plus grand creuset musulmanDes millions d’immigrés musulmans installés de longue date dans le royaume n’ont toujours pas été naturalisés.Une grosse erreur pour un pays en manque de main-d’œuvre et aujourd’hui menacé par l’Iran.
AAFAQWashington
Ils sont nés et ont grandi enArabie Saoudite, ils parlent salangue et partagent sa culture,mais ils n’ont pas accès à la
nationalité. On les appelle mawaleed[natifs]. Depuis peu, ils sont au centrede vifs débats suscités par la créationd’un site Internet entièrement dédiéà leur cause (http://mawaleed.net). Aucœur de leur démarche, il y a la de -mande adressée au roi Abdallah binAbdelaziz de les naturaliser. Certainscommentateurs y voient une menacepour la cohérence démographique duroyaume ; d’autres font valoir qu’ils’agit d’une revendication légitime etqu’une telle mesure servirait aussi lesintérêts du pays. Car leur intégrationmettrait le royaume en bonne positiondans la compétition internationale eten ferait un pôle important dans cemonde toujours plus multipolaire.
Les mawaleed sont tous ceux qui,sans être saoudiens, sont nés en Ara-bie ou y sont arrivés enfants ; ils y ontgrandi, ils en ont la culture et ils sou-haitent y rester. Il est tout simplementimpossible de les distinguer des Saou-diens. La seule différence est que lesuns disposent d’un passeport et queles autres n’ont que des cartes deséjour. Ils sont une composante essen-tielle de la société, laquelle est parailleurs constituée de la catégorie desprinces [quelques dizaines de milliersde membres de la famille régnante],puis de celle des nationaux, et enfinde celle des étrangers [ceux-ci for-ment probablement un tiers de lapopulation et sont surtout employésdans des métiers subalternes, au sta-tut souvent extrêmement précaire].Ils se sentiraient étrangers dans leurspays d’origine avec lesquels leurscontacts se limitent à des démarchesadministratives consulaires.
Les mawaleed sont plusieurs mil-lions, et il faut bien se rendre à l’évi-dence que, de toute façon, il serait dif-ficile de les obliger à quitter le pays.Non seulement leur présence est unfait mais, en outre, notre pays trou-verait de nombreux avantages à lesintégrer pleinement. Premièrement,cela irait dans le sens d’une “saou-disation” de l’emploi, puisqu’ils pour-raient investir le vaste secteur desemplois occupés par les travailleursimmigrés : chauffeurs de taxi, employésde maison [presque tous les Saoudiensemploient au moins une bonne et unchauffeur, souvent originaires d’Asie],aides-soignants ou gardes d’enfants.Au moins maîtrisent-ils notre langueet sont-ils porteurs de nos valeurs, cequi éviterait aux familles les nom-breux problèmes actuellement poséspar les immigrés arrivés plus récem-ment, qui imprègnent les enfants devaleurs étrangères.
En outre, leur intégration permet-trait à l’Arabie Saoudite de se consti-tuer la plus grande armée de la région.Il s’agit d’un potentiel de millions depersonnes qui seraient honorées de
servir la terre des deux lieux saints [LaMecque et Médine]. Dans la police,on pourrait profiter de leur connais-sance des bas quartiers, avec leursruelles pleines de voyous. De plus, ima-ginez que les millions de riyals qu’ilstransfèrent chaque année vers leur paysd’origine soient investis sur place.
DE NOMBREUX TALENTS PERDUSAU PROFIT DE PAYS VOISINS
Pour finir, il nous faut introduire unautre élément dans notre raisonne-ment, à savoir l’Iran. Le régime desmollahs cherche à établir sa domina-tion sur toute la région. L’Arabie Saou-dite a la possibilité de couper court àce projet. La naturalisation massivede résidents étrangers changerait tota-lement les rapports de force, puisqueles personnes concernées sont origi-naires de la plupart des pays musul-mans du monde. Ainsi, l’Arabie Saou-dite pourrait devenir le plus grandcreu set du monde musulman. A moyenet à long terme, cela aurait des retom-bées positives. Imaginez comment lespays du monde entier, et surtout ceuxdu monde musulman, percevraient une
telle mesure et comment cela se réper-cuterait sur notre réputation en tantque représentants de l’islam et gardiensdes lieux saints. Cela couperait éga-lement l’herbe sous le pied aux extré-mistes qui, à l’instar d’Al-Qaida, cher-chent à noircir notre pays en l’accusantd’être lié au monde occidental.
Par ailleurs, cela constituerait unapport de créativité artistique, puisquede nombreux mawaleed exprimentleur amour pour notre pays par lapoésie ou la musique. Sans parler desécrivains et des journalistes. Il en vade même pour le sport, domaine danslequel nous avons perdu de nombreuxtalents au profit de pays voisins : leQatar, notamment, mais égalementBahreïn. Le cas le plus connu est celuidu Tchadien Abdallah Omar, né àDjeddah qui n’a pas pu jouer dansl’équipe nationale saoudienne et quia été récupéré par Bahreïn. C’est luiqui a marqué le but décisif contrel’Arabie, éliminant celle-ci des quali-fications pour la Coupe du monde.Plus récemment, un agent français aessayé de recruter un petit Tchadienayant grandi dans cette même ville.Heureusement, son père s’est opposéà son départ pour l’Europe.
Finalement, la naturalisation desmawaleed nous distinguerait de paystels que le Koweït et les Emirats arabesunis, qui comptent parmi leur popu-lation des bidouns [apatrides]. Bref, celaaurait d’énormes répercussions entermes d’image à l’échelle internatio-nale. Ce serait la preuve concrète quetous les musulmans sont égaux et quetous, quelle que soit leur origine, sontégalement dignes de servir le pays desdeux lieux saints. La diversité a été lesecret de l’expansion de l’islam durantles premiers siècles de son histoire.Aujourd’hui, les Etats-Unis tirent puis-sance et prestige de leur diversitéhumaine. L’Arabie Saoudite pourraitfaire de même. Mansour Al-Hajj
moyen-orient
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 24 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
VU DU MONDE ARABE
Un jour on regrettera l’EuropeCoup de colère d’un quotidien populaire koweïtien contre ceux qui dénoncent le racisme européen à l’égard des musulmans alors même qu’ils le pratiquent contre les étrangers dans leur propre pays.
AL-QABASKoweït
L’Europe est parfois appelée le VieuxContinent, mais elle reste la mèrede la civilisation moderne, le centre
de la culture mondiale et l’incarnationde la conscience internationale. L’Europe,et surtout l’Europe occidentale, joue lerôle humaniste qui a fait sa réputation etcombat le sous-développement en ouvrantgrand les bras aux miséreux, aux mal- traités et aux opposants pourchassés pardes dictateurs. Quand elle défend sonidentité et sa façon de vivre, nous n’avons
pas le droit de nous en offusquer. Elle nefait que défendre la démocratie et les liber-tés individuelles contre une pensée reli-gieuse, celle de l’islamisme.
Il faut être objectif pour comprendre lesréactions de colère des Européens face à“l’assaut humain et culturel” musulman.Au bout d’une ou deux générations, lemonde entier, et le monde arabe en pre-mier lieu, regrettera l’Europe telle qu’elleavait été jusque-là. Celle-ci aura été trans-formée sous l’effet de l’immigration musul-mane. Les Européens ont donc raison des’inquiéter. Mettons-nous à leur place : dansles pays du Golfe, ne nous inquiétons-nous
pas de l’influence exercée par les immigrésasiatiques sur nos propres modes de vie ?
Les ghettos musulmans prolifèrentautour des grandes villes européennes, levoile s’y est banalisé, le niqab y progressejour après jour et les mosquées y attirentplus de monde que les églises. Il y auraitquarante-cinq millions de musulmans enEurope, ce qui ne serait pas si grave s’ilsvoulaient vraiment s’intégrer. Or beaucoupsoutiennent le principe des attentats, lescrimes d’honneur sont courants et lesfemmes se voient souvent traitées par leursfamilles comme si elles étaient encoredans leur pays d’origine. C’est effrayant
de voir que ceux qui ont fui des dictaturespolitiques, militaires ou religieuses vou-draient transformer l’Europe en quelquechose qui ressemblerait à ce à quoi ils cher- chaient à échapper.
Nous écrivons cela simplement afin denous élever contre la victimisation quiaccompagne la défense du droit des musul-mans de vivre conformément à leurs convic-tions. Cela est d’autant plus inacceptableque nous-mêmes, dans nos propres pays,nous refusons à toutes les minorités, ycompris aux Européens, de simplementrespirer et ne cessons de vouloir leur impo-ser nos choix. Ahmed Al-Sarraf
▶ Dessin de Hajoparu dans As-Safir,
Beyrouth.
■ SondageSelon l’institut
américain Gallup,
l’Arabie Saoudite
serait le 5e pays
du monde
le plus prisé
par des migrants
potentiels,
après les Etats-Unis,
la Grande-Bretagne,
la France
et l’Espagne, mais
devant l’Allemagne.
Le royaume
wahhabite
est ainsi un pays
d’immigration
au même rang
que l’Australie.
Le quotidien d’Abha
Al-Watan s’interroge
sur ces “30 millions
de candidats”
en soulignant que
l’Arabie Saoudite
n’est pas le pays
le plus riche
de la région
et que, parmi
ces personnes,
se trouvent
de nombreux
non-musulmans.
SOMALILAND
Un havre de paix et de stabilité politiqueDans cette république autoproclamée, les gouvernements se succèdent au rythme d’élections libres depuis vingt ans. Une situation étonnante compte tenu du chaos qui règne dans la Somalie voisine.
THE GUARDIANLondres
Le 26 juin, une élection pré-sidentielle s’est dérouléedans le calme en Afrique.Et, selon les observateurs
internationaux, elle répondait à tousles critères d’une élection libre. Le pré-sident sortant a accepté le résultat duscrutin au moment même où il a étéannoncé. Il a aussitôt remis le pouvoirà son successeur, son adversaire poli-tique le plus farouche. En acceptantla victoire, le président élu a quant àlui remercié et félicité le président sor-tant pour les services qu’il avait ren-dus à son pays.
Ce qui est remarquable dans cetteélection et en fait un exemple impor-tant non seulement pour l’Afriquemais pour l’ensemble du monde endéveloppement – en particulier pourles pays musulmans –, c’est qu’elles’est tenue au Somaliland, républiqueautoproclamée qui s’est séparée dureste de la Somalie, il y a vingt ans, etqui ne reçoit aucune aide internatio-nale. Elle abrite pourtant près de600 000 réfugiés de la guerre civilequi continue de diviser la Somalie [demanière quasi ininterrompue depuis1991]. La semaine qui a précédé lescrutin, Al-Chabab, la branche soma-lienne d’Al-Qaida, a mis en garde legouvernement et le peuple du Soma-liland contre les conséquences qu’au-rait cette élection si elle avait lieu. Plusde 1 million d’électeurs ont ignoré lamenace et fait la queue pendant desheures dans tout le pays pour voter.
Le Somaliland représente uneautre idée de la Somalie devenue réa-lité. A côté d’un pays où règnent
aujourd’hui des pirates, des djihadisteset des kamikazes, voici une nation oùprime la loi plutôt que l’individu, oùles résultats électoraux sont acceptéspar les dirigeants. Hormis l’Afrique duSud, il est difficile de trouver un autrepays du continent africain offrant lemême exemple.
LA RECONNAISSANCE OFFICIELLEEST LE SAINT-GRAAL
Situé dans la Corne de l’Afrique, leSomaliland n’est pas officiellementreconnu à l’étranger, mais il est acceptéde facto comme un pays par de nom-breux Etats et gouvernements qui ontdes ambassades et des bureaux de
représentation dans sa capitale, Har-geisa [400 000 habitants]. Le Somali-land connaît la paix et la stabilité et, envingt ans d’histoire, il a vécu plusieurschangements de pouvoir au termed’élections libres. Ses liens avec laGrande-Bretagne sont particulière-ment étroits, notamment parce que leSomaliland fut un protectorat anglaispendant quatre-vingts ans. Des dizainesde milliers de Britanniques ont encorede la famille là-bas, et certains n’hé-sitent pas d’ailleurs à leur rendre visite.
Pour les Somalilandais, la recon-naissance officielle est le Saint-Graal,une obsession qui définit en partiel’identité somalilandaise et transcende
tous les clivages politiques. S’étantreconstruit sur les cendres de la guerrecivile et sans aide extérieure, le Soma-liland ne comprend pas pourquoid’autre pays, occidentaux en particu-lier, n’établissent pas de relations diplo-matiques avec lui. Maintenant que lereste de la Somalie est devenu l’unedes principales bases d’Al-Qaida et lesite de l’une des pires crises du monde,la question de la reconnaissance estencore plus complexe. Le Somalilandse présente comme une tribune essen-tielle, la seule option tangible pourstabiliser la Somalie et contrer ledéveloppement d’Al-Qaida.
Mais les Somalilandais n’ontjamais voulu voir leur pays de cettefaçon. Ils souhaitent prendre le plusde distance possible avec la confusionqui règne à Mogadiscio, capitale de laSomalie. Soutenue par l’ONU, celle-ci est en grande difficulté et n’a pasd’autres partenaires pourvus d’im-portantes forces de sécurité, d’insti-tutions démocratiques, d’une connais-sance approfondie de la culture, dulangage, du système de clans et de lapolitique somalienne. Jusqu’ici, l’Oc-cident comptait sur des pays commel’Ethiopie, le Kenya et l’Ouganda pourêtre leurs principaux alliés africains,négligeant le seul partenaire directe-ment intéressé par le rétablissementde la paix et de la sécurité à Moga-discio et la fin des islamistes.
Pendant deux décennies, le Soma-liland et l’Occident ont maintenu lestatu quo de l’acceptation sans recon-naissance. Mais la présence d’Al-Qaidaen Somalie fait que nous ne pouvonspas rester dans cette situation mal défi-nie. Une nouvelle voie doit être trou-vée, et vite ! Rageh Omaar
afr ique ●
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 25 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
HargeisaHargeisaHargeisa
Djibouti
Berbera
Aden
Burao
49°
E
12° N
Borama
Erigavo
Las Anod
Vers Mogadiscio
ÉRYTHR.
S O M A L I E
YÉMEN
ÉTHIOPIE
ÉTHIOPIE
DJIBOUTI SOMAL I L AND
Détroit deBab El-Mandeb
O C É A N
I N D I E NOGADEN
P U N T L A N D(province
autonome)
0 200 km
M O N T S O G O
G O L F E D ’ A D E N
2 408 m
Zones
disputées
Mogadiscio
SOMALIE
Superficie : 137 600 km2 (1/4 de la France et environ 1/5e de la Somalie) Population : entre 3,5 et 4 millions d’habitants • Langues officielles : somali, anglais et arabe • Religion : islam sunnite • Statut : République bicamérale ayant fait sécession du reste de la Somalie en 1991 • Ressources : l’élevage, avec plus de 24 millions de têtes (ovins, bovins, camélidés)
Sour
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EL-WATANAlger
Fahem Boukadous a été arrêté à l’hô-pital de Sousse, où il était soigné pourdes problèmes respiratoires”, a fait
savoir son avocate, Radia Nasraoui. Il a étéinterpellé à l’intérieur de l’hôpital FarhatHached, où il était retourné chercher sondossier médical en compagnie de son épouse.Fahem Boukadous, 40 ans, vit à Gafsa, enTunisie méridionale. Sans lui, le monde etles Tunisiens n’auraient pas entendu par-ler de l’agitation sociale dans le bassin minierde Gafsa au premier trimestre 2008. FahemBoukadous en avait rendu compte pour lachaîne indépendante Al-Hiwar, diffusée untemps par satellite depuis l’Europe puis sur
Internet. C’est lui qui a diffusé les seulesimages connues de ces émeutes contre lesautorités locales. A l’époque, en effet, larégion était totalement bouclée. Recherchéau même titre que les syndicalistes de larégion, le journaliste a plongé dans la clan-destinité en juin 2008.
Au cours de cette période, il fut con -damné par contumace à six ans de prisonpour “association de malfaiteurs” et “diffusiond’informations de nature à perturber l’ordrepublic”, une peine qui fut ramenée à quatreans. Fin 2009, quand le pouvoir gracia les“agitateurs” de Gafsa encore en prison,Fahem Boukadous sortit de la clandestinité.Il fut laissé en liberté avant son procès enappel, qui devait débuter à Gafsa. Le 6 juilletdernier, il a été condamné à quatre ans de
prison ferme par la cour d’appel locale, alorsqu’il était hospitalisé depuis le 3 juillet àSousse pour des problèmes pulmonaires.Selon ses défenseurs et certaines ONG, lejournaliste a été puni pour avoir montré aumonde des images d’émeutes sociales dansun régime où tout est contrôlé par la cen-sure officielle. Les autorités tunisiennesdénient la qualité de journaliste à FahemBoukadous et considèrent qu’il est impli-qué dans ces troubles. Pour Tunis, il fait par-tie d’un “groupe criminel” ayant endommagédes bâtiments publics et privés, installé desbarrages routiers et causé des “blessuressérieuses” à des officiers.
Ce jugement a suscité plusieurs réac-tions hostiles au régime. En Tunisie, le Partidémocratique progressiste (légal) s’est
opposé à son renvoi en prison et a demandél’annulation du verdict, également dénoncépar des ONG de défense des droits del’homme. Les Etats-Unis ont dit être “pro-fondément inquiets” quant au recul des liber-tés en Tunisie, et la France a affirmé sonattachement “à la liberté d’expression” dansce pays. Pour Reporters sans frontières, cettecondamnation n’est qu’“un cas de plus mon-trant que le régime tunisien se veut implacableavec les journalistes indépendants”.
L’état de santé de Fahem Boukadousest préoccupant. Ses proches, connaissantles conditions parfois moyenâgeuses des pri-sons, craignent le pire. “On va continuer à sebattre pour sa libération et celle des autres défen-seurs des droits de l’homme emprisonnés”, aconfié son avocate. Ahmed Tazir
TUNISIE
Ben Ali n’aime vraiment pas la presse indépendanteA la suite de ses reportages sur des mouvements sociaux à Gafsa, en 2008, Fahem Boukadous a été arrêté le 15 juillet dernier.
■ RéactionSi la présidentielle
du 26 juin, qui avait
été repoussée trois
fois depuis 2008,
a été validée
par les observateurs,
elle constitue
une provocation
pour les chababs,
ces insurgés
islamistes
qui contrôlent
la majeure partie
de la Somalie.
“Cette élection
est une honte,
a déclaré l’un de
leurs responsables.
Nous voulons
l’union de tous
les musulmans,
et les prétendus
Somaliland
et Puntland
[territoire autonome
somalien] sont
des créations
de l’Ethiopie
pour diviser le seul
fief islamique
de la région.”
THE NEW YORK TIMES (extraits)New York
Le 11 juillet 2005, peu après le passage de
l’ouragan Dennis, le personnel d’un
bateau qui naviguait dans le golfe du
Mexique a été témoin d’une effroyable
scène. Thunder Horse, la gigantesque
plate-forme de BP qui avait coûté 1 mil-
liard de dollars [790 millions d’euros], sem-
blait être sur le point de sombrer. S’élevant à
près de 45 mètres au-dessus de la surface de
l’eau, Thunder Horse devait couronner le
triomphe de BP, incarner son audacieux pari
pour doubler la concurrence dans l’exploita-
tion des vastes réserves d’or noir cachées dans
le sous-sol du golfe du Mexique. La plate-forme
en est plutôt venue à symboliser l’orgueil déme-
suré. Une simple valve installée à l’envers et la
construction s’est retrouvée inondée pendant
l’ouragan. Le projet s’est alors trouvé com-
promis, avant même qu’une seule goutte de
pétrole ne soit extraite. D’autres problèmes ont
été découverts par la suite, dont des soudures
si mal faites que certains conduits sous-marins
étaient fissurés de toutes parts.
Thunder Horse n’est pas une simple ano-
malie, elle illustre plutôt l’habitude de BP de
prendre de trop grands risques. En dépit de la
longue liste de crises et d’accidents évités de jus-
tesse accumulés ces dernières années, la com-
pagnie pétrolière n’a pas su, ou n’a pas voulu,
tirer les leçons de ses erreurs. “Ils sont très arro-gants et ils sont dans le déni”, souligne Steve Arendt,
un spécialiste de la sécurité. “La réussite leur estmontée à la tête.” Les succès enregistrés par BP
ont en effet de quoi forcer l’admiration. En un
peu moins de dix ans, la société est passée du
rang d’entreprise de taille moyenne à celui de
dossier●
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 26 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
La catastrophe dans le golfe duMexique n’est pas une premièrepour la compagnie pétrolière.Elle n’a pourtant pas tiré les leçons des accidents passés.
BP, un colosse pét
■Depuis le 20 avril 2010, le golfe du Mexique vit un cauchemar. Desmillions de barils de pétrole se sont déversés dans ses eaux, souillantcôtes et marais. ■Malgré les espoirs suscités par le couvercle installéle 15 juillet par BP, la catastrophe aura un immense retentissement.■ Il est urgent que l’industrie pétrolière renoue avec le principede précaution, soutient l’essayiste Naomi Klein.
MARÉE NOIRE◀ Un pelican brun maculé de pétrole dans la baieBarataria en Louisiane.
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McN
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mag
es
numéro deux du secteur pétrolier, derrière
ExxonMobil. Depuis son siège social londonien,
elle a multiplié les contrats dans des pays instables
comme l’Angola et l’Azerbaïdjan, et repoussé les
limites de la technologie dans les zones les plus
reculées d’Alaska et dans les fonds marins les
plus profonds du golfe du Mexique. Dans le
même temps, elle s’est également illustrée par sa
chasse aux coûts et son rôle offensif pris dans la
consolidation du secteur. Elle a racheté plusieurs
concurrents américains comme Amoco et Atlan-
tic Richfield, tout en supprimant des milliers
d’emplois. Pendant longtemps, la stratégie de
BP a semblé porter ses fruits. Mais, le 20 avril
2010, son succès a soudainement tourné au cau-
chemar : la plate-forme Deepwater Horizon a
explosé, tuant 11 personnes et provoquant le
déversement dans l’eau de plusieurs millions de
barils de pétrole. L’enquête menée par le Congrès
américain sur cet accident est toujours en cours,
mais ses premiers résultats indiquent déjà que
BP a pris des risques inconsidérés.
BP est loin d’être la seule compagnie pétro-
lière à se lancer dans des projets difficiles en ne
prévoyant qu’un mince filet de sécurité. Mais
son attitude face au risque tranche avec celle de
ses concurrents, notamment celle d’Exxon-
Mobil, qui, depuis la funeste expérience de la
marée noire causée par le naufrage de l’ExxonValdez, en 1989, a radicalement changé sa
manière de gérer les questions de sécurité.
Lorsque Tony Hayward a pris la tête de BP au
mois de mai 2007, il a, lui aussi, promis un retour
aux fondamentaux. Connu pour son franc-par-
ler, ce géologue s’est engagé à résoudre les pro-
blèmes de sécurité, qui avaient contribué à la
chute de son prédécesseur, John Browne. Dans
les bureaux de BP, on trouve des panneaux priant
les salariés de ne pas marcher un café chaud à la
main, d’employer les passages piétons dans les
parkings et de tenir la rampe dans les escaliers.
Dans une récente note adressée aux employés,
il a rappelé qu’avant la catastrophe dans le golfe
du Mexique les résultats de la compagnie dans
le domaine de la sécurité avaient progressé. “Cetaccident est une terrible exception et nous devonsen tirer des leçons, a-t-il écrit. La sécurité est notrepriorité numéro un.”
LE DISCOURS DE L’ENTREPRISE EST ENTOTALE CONTRADICTION AVEC SES ACTES
C’est son prédécesseur qui s’est lancé dans les
projets les plus risqués, les plus chers et poten-
tiellement les plus lucratifs. Sous sa direction,
le cours de l’action de BP a plus que doublé, et
les dividendes versés aux actionnaires ont tri-
plé. Il a finalement été poussé à la démission
en 2007 après une série d’incidents fâcheux. Sa
chute a débuté le 23 mars 2005, après la mort
de 15 personnes lors du pire accident industriel
survenu aux Etats-Unis au cours des vingt-cinq
dernières années : une énorme explosion à Texas
City. Acquise par BP en même temps que la
société Amoco, cette raffinerie texane, la seconde
en importance du pays, transformait chaque jour
460 000 barils de brut en essence. Mais la struc-
ture, construite en 1934, était mal entretenue.
Les conclusions de l’enquête sur l’accident sont
accablantes. De fait, selon le Chemical Safety
Board, l’agence fédérale chargée de mener l’en-
quête après tout accident de ce genre, la fuite a
été “causée par des défaillances en matière d’or-ganisation et de sécurité survenues à tous les niveauxde BP”. Au total, le gouvernement a constaté
plus de 300 violations aux règles de sécurité. BP
a alors consenti à payer une amende de 21 mil-
lions de dollars [16,5 millions d’euros], un
record à l’époque.
Un an plus tard, nouvelle catastrophe : plus
de 6 000 barils de pétrole se sont échappés du
réseau d’oléoducs de Prudhoe Bay, en Alaska.
Une fois de plus, un peu de prévention aurait
pu empêcher l’accident. Les enquêteurs ont
découvert que la corrosion rongeait les tuyaux
sur plusieurs kilomètres. BP a fini par payer plus
de 20 millions de dollars [15,7 millions d’eu-
ros] d’amende. Et tandis que ces deux catas-
trophes attiraient l’attention du public, de graves
problèmes se préparaient aussi sur la plate-
forme Thunder Horse.
La compagnie pétrolière répète à l’envi
qu’elle sait préserver l’équilibre entre la prise de
risques et la sécurité. Mais tout porte à croire
que BP n’a rien appris de ses erreurs. De retour
à la raffinerie de Texas City en 2009, des ins-
pecteurs fédéraux ont relevé plus de 700 viola-
tions des règles de sécurité. Ils ont demandé que
BP soit condamné à une amende d’un montant
record de 87,4 millions de dollars [68,7 millions
d’euros]. BP conteste cependant ces accusations,
affirmant que des améliorations considérables
ont été apportées. Pendant ce temps, en Alaska,
des accidents ont continué de se produire. Robert
Dudley supervise les opérations pour mettre fin
à la marée noire dans le golfe du Mexique. Il
refuse d’admettre que la culture de l’entreprise
puisse être responsable de cette série d’accidents.
Mais Henry Waxman, le président de la com-
mission de la Chambre des représentants qui
mène l’enquête sur l’explosion de la plate-forme
Deepwater Horizon, est d’un tout autre avis. “Lediscours de BP est en totale contradiction avec sesactes. BP n’a cessé de réduire ses coûts pour écono-miser un million de dollars par-ci et quelques heuresde travail par-là. Aujourd’hui, c’est tout le golfe duMexique qui en paie le prix.”
Sarah Lyall, Clifford Krauss et Jad Mouawad
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 27 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
rolier trop sûr de lui
CHRONOLOGIE Série noire
Mars 1967 GRANDE-BRETAGNE Le pétrolier libérien Torrey
Canyon, affrêté par BP, déverse plus de 800 000 barils de brut
au large des Cornouailles.
Septembre 2004 TEXAS CITY (TEXAS) Deux ouvriers perdent
la vie et un autre est blessé lors d’un accident survenu dans
une raffinerie.
Mars 2005 TEXAS CITY (TEXAS) Quinze employés sont tués
et plus de 170 autres sont blessés dans l’explosion de la
raffinerie texane.
Juillet 2005 GOLFE DU MEXIQUE La plate-forme de forage
Thunder Horse, qui n’avait pas encore commencé ses acti-
vités d’extraction, est endommagée lors du passage d’un oura-
gan. Peu après, on découvre plusieurs défauts de fabrication.
Mars 2006 PRUDHOE BAY (ALASKA) Un oléoduc de BP explose
et déverse plus de 6 000 barils de pétrole dans la toundra.
Avril 2010 GOLFE DU MEXIQUE La plate-forme pétrolière
Deepwater Horizon, exploitée par BP, explose, tuant
11 personnes et provoquant la plus importante marée
noire de l’histoire des Etats-Unis.
Mai 2010 (ALASKA) Le débordement d’un réservoir rac-
cordé au réseau d’oléoducs trans-Alaska, dont BP est le
propriétaire majoritaire, cause le déversement de près de
5 000 barils de pétrole dans la nature.
Source : The New York Times, Etats-Unis
■ A la uneL’hebdomadaire
new-yorkais
The New Yorker
est un habitué
des couvertures
mettant en scène
des animaux
anthropomorphes.
Le 7 juin,
l’illustration de une,
signée Barry Blitt,
faisait comparaître
un homme
d’affaires devant un
Congrès composé
d’animaux marins
touchés
par la marée noire.
◀ Dessin de Boligánparu dans El Universal,
Mexico.
THE NATION (extraits)New York
Le public venu assister à la réunion avait été
prié à plusieurs reprises de faire montre de
civilité à l’égard de ces messieurs de BP et
du gouvernement fédéral. Ces éminentes
personnalités avaient ménagé du temps
dans leurs agendas surchargés pour se
rendre, un mardi soir, dans le gymnase de l’école
de Plaquemines Parish, en Louisiane, l’une des
nombreuses communautés côtières où le poison
brun envahit peu à peu les marais, résultat de ce
que l’on évoque aujourd’hui comme le plus grand
désastre écologique de l’histoire des Etats-Unis.
“Adressez-vous à eux comme vous voudriez quel’on vous parle”, avait supplié une dernière fois le
président de séance avant de laisser le public poser
ses questions. Et pendant quelques instants la
foule, composée pour l’essentiel de familles de
pêcheurs, fit preuve d’une remarquable retenue.
On écouta patiemment le très habile Larry Tho-
mas, porte-parole de BP, jurer qu’il faisait son
possible pour “améliorer” le traitement par sa com-
pagnie des demandes d’indemnisations. On ne
broncha pas aux propos du représentant de l’En-
vironmental Protection Agency [agence fédérale
de protection de l’environnement], qui affirma
que les dispersants chimiques répandus sur la
nappe de pétrole n’étaient pas toxiques. Le public
commença toutefois à perdre patience lorsque le
capitaine de la garde côtière, Ed Stanton, monta
pour la troisième fois sur le podium pour leur
assurer que “les gardes-côtes [avaient] bien l’inten-tion de faire en sorte que BP s’acquitte du nettoyage”.“Mettez ça par écrit !” cria quelqu’un. Le pêcheur
de crevettes Matt O’Brien s’approcha du micro.
“Ce n’est pas la peine de nous le répéter”, déclara-t-
il, “de toute façon, on ne vous croit plus !”Toute la
salle l’applaudit bruyamment.
ON NE PEUT RIEN FAIRE POUR NETTOYERUN MARAIS ENVAHI DE PÉTROLE
Même si elle ne servit à rien d’autre, cette réunion
eut en tout cas un effet cathartique. Depuis plu-
sieurs semaines, les habitants du coin étaient sou-
mis à un feu roulant de promesses extravagantes
en provenance de Washington, de Houston et de
Londres. Chaque fois qu’ils allumaient leur télé-
vision, c’était pour entendre Tony Hayward, le
patron de BP, jurer solennellement qu’il “répa-rer[ait] les dégâts”. Ou Obama faisant part de son
absolue conviction que son gouvernement
“remettr[ait] la côte du golfe du Mexique en état”.Tout cela sonnait bien aux oreilles. Mais pour
des gens qui sont mis en contact quotidien avec
la délicate chimie des zones humides, cela avait
aussi un côté absurde. On peut écoper le pétrole
flottant à la surface de la mer, on peut le ratisser
sur les plages, mais on ne peut rien faire pour
nettoyer un marais envahi de pétrole, à part le
laisser mourir. Les larves d’innombrables espèces
pour lesquelles les marais sont des aires de
de cette côte, les habitants ne se rassemblent
pas seulement autour de la pêche. Ils entre-
tiennent un réseau complexe de liens qui
incluent les traditions familiales, la cuisine, la
musique, l’art et quelques langues en voie d’ex-
tinction – et ce réseau agit à la manière des
racines qui assurent l’intégrité de la couche ter-
reuse des marais. Sans la pêche, ces cultures
uniques perdent leur système radiculaire, le ter-
reau même où elles se développent.
Si l’ouragan Katrina a mis à nu la réalité
du racisme, le désastre BP met à nu quelque
chose de beaucoup plus profondément occulté :
le peu de contrôle que nous exerçons sur les ter-
ribles forces naturelles interconnectées avec les-
quelles nous jouons avec une telle insouciance.
BP n’est pas capable de reboucher le trou qu’il
a fait dans la Terre. Obama ne peut pas ordon-
ner au pélican brun de ne pas disparaître. Aucune
somme d’argent – pas même les 20 milliards de
dollars que BP s’est engagé à mettre sur un
compte sous séquestre, pas même 100 milliards
de dollars – ne peut remplacer une culture qui a
perdu ses racines.
Cette crise environnementale touche à de
nombreux problèmes : la corruption, la dérégu-
lation, l’addiction aux combustibles fossiles. Mais
au-delà, elle remet en question la dangereuse
attitude de notre culture qui prétend avoir une
telle compréhension de la nature et un tel
contrôle sur elle qu’ils nous autorisent à la mani-
puler et à la remodeler radicalement en ne fai-
sant peser qu’un risque minimum sur les sys-
tèmes naturels qui assurent notre subsistance.
Comme l’a révélé le désastre BP, la nature n’est
jamais aussi prévisible que le laissent imaginer
les modèles mathématiques et géologiques les
plus sophistiqués. “Les meilleurs esprits et lameilleure expertise ont été réunis” pour résoudre la
crise, a déclaré le patron de BP, Tony Hayward,
lors de sa récente audition devant le Congrès, “àl’exception du programme spatial des années 1960,jamais une équipe plus compétente et plus efficacetechniquement n’a été mise en place.” Et pourtant,
ces spécialistes sont comme la brochette de per-
sonnalités alignées sur la scène du gymnase de
Louisiane : ils font comme s’ils savaient, alors
qu’ils ne savent rien.
Comme tout le monde a pu s’en rendre
compte après l’explosion de la plate-forme Deep-
water Horizon, BP n’avait prévu aucune réponse
efficace en cas d’accident. Quand on lui a
dossier
L’actuelle marée noire n’est pas un simple accidentindustriel mais une blessure profonde infligée à la Terre,souligne la journaliste militante Naomi Klein.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 28 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
INGÉNIERIE Trois mois de vaines tentatives
■ A la uneL’hebdomadaire The
Nation a consacré
son édition du
12 juillet à la marée
noire. L’article de
Naomi Klein publié
ci-contre figure
en une, sous le titre
“Un trou dans
le monde”,
avec une tête
de mort à l’appui.
Une plaie béante dans le golfe du Mexique
▶ Dessin de Burkiparu dans 24 Heures,
Lausanne.
Le 25 avril 2010, cinq jours après l’explosionde la plate-forme pétrolière Deepwater Hori-
zon, quatre robots sous-marins ont été envoyéspour déclencher la valve de sécurité du puits,situé à 4 kilomètres de profondeur. Sans suc-cès. Le 30 avril, BP a injecté des dispersantsà proximité de la fuite. Ces produits chimiquesavaient pour but de dégrader le pétrole avant qu’iln’atteigne la surface ; leurs effets sur l’envi-ronnement restent inconnus à ce jour. Le 2 puisle 16 mai, pour soulager la fuite, la compagniepétrolière a commencé à creuser deux puits dedérivation, aujourd’hui toujours en cours de
forage. Le 7 mai, un premier entonnoir géant aété déposé sur la fuite pour recueillir une partiedu brut qui s’échappait. Il a été retiré deux joursplus tard. Le 26 mai, BP a lancé deux nouvellesopérations, appelées “Junk Shot” et “Top Kill”.La première consistait à injecter des objets(comme des balles de golf) dans le puits pouractiver la valve de sécurité, la deuxième à injec-ter de la boue pour obstruer le puits. Ces opé-rations ont échoué. Le 15 juillet, après plusieurstentatives pour poser des couvercles sous-marins,un nouvel essai plus concluant a été mené, per-mettant a priori d’arrêter l’écoulement de pétrole.
■ L’auteurNée à Montréal
en 1970,
la journaliste Naomi
Klein s’est imposée
comme une figure
du mouvement
altermondialiste
avec son livre
No Logo, en 2001.
Elle collabore
régulièrement
à de grands titres
de la presse
anglo-saxonne tels
que The New York
Times, The Nation
ou The Guardian.
reproduction – crevettes, crabes, huîtres et pois-
sons – seront empoisonnées.
Et puis il y a les roseaux. Si le pétrole s’en-
fonce dans les marais, il ne tuera pas seulement
la végétation au niveau du sol, mais aussi les
racines. Or ce sont ces racines qui assurent la
cohérence des marais en empêchant la terre de
s’effondrer dans le delta du Mississippi et le
golfe du Mexique. Des endroits comme Pla-
quemines Parish risquent donc non seulement
de perdre leurs lieux de pêche, mais également
une bonne partie des barrières physiques qui
atténuent la violence des ouragans comme
Katrina. Combien de temps faut-il pour qu’un
écosystème à ce point ravagé soit “restauré àl’identique”, comme s’y est engagé le ministre
de l’Intérieur d’Obama ?
LES ZONES CÔTIÈRES SERONTDÉFIGURÉES POUR LONGTEMPS
Nous savons en tout cas une chose : loin d’être
rendue à son état originel, la côte du golfe du
Mexique sera, selon toute probabilité, défigurée
pour longtemps. Ses eaux poissonneuses et son
ciel sillonné d’oiseaux seront moins vivants qu’au-
jourd’hui. L’espace qu’occupent de nombreuses
communautés sera amputé par l’érosion. Et la
culture locale dépérira. Parce que, tout le long
demandé pourquoi sa compagnie n’avait même
pas pris la peine d’entreposer à terre un dôme
de confinement, Steve Rinehart, porte-parole de
BP, a répondu : “Je pense que personne n’avaitprévu la situation à laquelle nous sommes confron-tés aujourd’hui.” Ce refus d’anticiper un échec est
sans conteste venu d’en haut. Il y a un an, Hay-
ward déclarait à un groupe d’étudiants de Har-
vard qu’il avait sur son bureau une plaque por-
tant l’inscription : “Si vous étiez certain de ne paséchouer, que tenteriez-vous ?” Loin d’être une
simple devise, la phrase décrit précisément la
façon dont BP et ses concurrents se comportent
dans le monde réel. Lors des récentes auditions
devant le Congrès, le député démocrate du Mas-
sachusetts Ed Markey a questionné les repré-
sentants des grandes compagnies pétrolières et
gazières sur la façon dont elles avaient réparti
leurs budgets. Sur trois ans, elles ont dépensé
“39 milliards de dollars dans la prospection de nou-veaux gisements, alors qu’elles n’ont alloué que20 millions de dollars à la recherche sur les questionsde sécurité, de prévention des accidents et de ges-tion des pollutions de grande ampleur”.
Le “dossier initial d’exploration” que BP a
soumis au gouvernement avant le forage de
Deepwater Horizon se lit comme une tragédie
grecque sur l’arrogance humaine. Même en cas
de marée noire, peut-on y lire, les dégâts envi-
ronnementaux seront minimes. Présentant la
nature comme un partenaire (voire un sous-trai-
tant) prévisible et consentant, le rapport explique
qu’en cas de pollution accidentelle “les courantset la dégradation microbienne élimineraient le pétrolede la colonne d’eau et dilueraient ses composants àdes taux insignifiants”. Les effets sur la faune,
d’autre part, “ne seraient pas mortels” en raison
de “la capacité des poissons et des crustacés adultesà éviter les nappes de pollution et à métaboliser leshydrocarbures”.
Plus fort encore, en cas d’accident, il y aurait
probablement “un risque très faible d’impact sur lelittoral” du fait de la réaction rapide prévue par
la compagnie et de “la distance séparant la plate-forme du rivage” – environ 70 kilomètres. Il s’agit
là de la déclaration la plus stupéfiante du rap-
port. Dans un golfe fréquemment balayé par des
vents soufflant à plus de 60 km/h, et sans par-
ler des ouragans, BP a si peu tenu compte de
la puissance de la houle et des coups de vent que
l’on n’a même pas songé qu’une nappe de pétrole
puisse dériver sur 70 kilomètres. (Mi-juin, un
débris provenant de la plate-forme Deepwater
Horizon a été retrouvé sur une plage de Floride,
●
MARÉE NOIRE
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 29 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
■ A la une“Est-ce terminé ?”
s’interroge USA
Today dans
son édition du lundi
19 juillet. Un
nouveau dôme de
confinement a été
installé le 15 juillet
pour endiguer
le flot de pétrole
s’échappant du
puits endommagé.
Le quotidien se
demande si cette
fois-ci sera la bonne
et si la pire marée
noire de l’Histoire
touche à sa fin.
◀ Dessin de Bromleyparu dans leFinancial Times,
Londres.
à près de 300 kilomètres du lieu de l’explosion.)
Une négligence aussi éhontée n’aurait cepen-
dant pas été tolérée si BP n’avait pas fait part de
ses prévisions à une classe politique avide de
croire que la nature est désormais totalement
maîtrisée. Forer sans la moindre réflexion préa-
lable a été la politique adoptée par le Parti répu-
blicain à partir de mai 2008. Alors que le prix de
l’essence atteignait des sommets, le leader conser-
vateur Newt Gingrich lança le slogan : “DrillHere, Drill Now, Pay Less” [Forons ici, forons
aujourd’hui même, faisons des économies].Immensément populaire, la campagne en faveur
des forages jeta aux orties prudence, études préa-
lables et action mesurée. Dans l’esprit de Gin-
grich, forer partout où l’on pouvait espérer trou-
ver du pétrole ou du gaz était un moyen infaillible
pour tout à la fois faire baisser le prix des car-
burants à la pompe, créer des emplois et donner
un coup de pied au cul aux Arabes. Face à ces
trois nobles objectifs, il fallait n’être qu’une cho-
chotte pour se préoccuper d’environnement.
Obama a donné dans le panneau. Trois semaines
avant l’explosion de la plate-forme Deepwater
Horizon, il a annoncé qu’il autoriserait les forages
off-shore dans certaines zones protégées du
littoral américain.
“L’OCÉAN EST VASTE : IL SURMONTERAÇA”, A CLAIRONNÉ LE PATRON DE BP
L’océan est vaste : il surmontera ça, claironnait
Hayward durant les premiers jours de la catas-
trophe pendant que John Curry, porte-parole de
BP, affirmait avec aplomb que les microbes dévo-
reraient la totalité du pétrole présent dans l’eau
de mer, car la nature, disait-il, “est toute prête àapporter son aide à la résolution du problème”. Or
la nature n’a pas joué le jeu. Le puits jaillissant
de l’océan a emporté tous les obturateurs, dômes
de confinement et autres systèmes d’injection
mis en œuvre par BP. Les vents et les courants
marins se sont joués des dérisoires barrages
flottants déployés pour tenter d’absorber le
ÉCOLOGIE Un désastre difficile à mesurerTrois mois après le début de la marée
noire, les scientifiques sont
divisés quant à l’ampleur des effets
sur l’environnement.
Jusqu’à quel point le golfe du Mexiqueest-il mort ? C’est sans doute la plus
préoccupante des questions relatives àla marée noire causée par BP, mais endépit de leurs efforts les scientifiques nesemblent pas près d’y répondre. Au coursdes trois derniers mois, la zone a été étu-diée par une armada de chercheurs. Maisdu fait des importantes lacunes qui sub-sistent dans leurs données, ils brossentdes tableaux très variés de la situation.Certains chercheurs considèrent qu’unecatastrophe écologique a été évitée, tan-dis que d’autres estiment que les éco-systèmes, déjà menacés avant la maréenoire, sont aujourd’hui au point de rup-ture. Selon Roger Helm, chef de l’équipescientifique chargée par le ministère del’Intérieur d’étudier la marée noire, “la dis-parition des marais est probable, ainsi que
d’importants changements dans la chaînealimentaire”. Au cours des dernièressemaines, son pronostic s’est mêmeassombri au vu de la quantité accrue depétrole qui a atteint les côtes de Loui-siane et de Floride.Les recherches ont été menées hors-champ, alors que l’attention du publicétait concentrée sur l’“opération à cœurouvert” pratiquée à la tête de puits de BP.Le patient est une zone maritime de1,5 million de km2, qui comporte des cou-rants tourbillonnants, des marais salantset des canyons sous-marins parcouruspar des cachalots. De surcroît, le patientétait déjà malade avant le début de lamarée noire.Ces dernières années, sous l’effet de l’éro-sion, la Louisiane a en effet perdu l’équi-valent d’un terrain de football de maré-cages fertiles toutes les trente-huitminutes. Dans le golfe même, des pol-luants venant du bassin du Mississippiont contribué à former une vaste zonemorte, c’est-à-dire à très faible teneur en
oxygène. Pour évaluer les dégâts causéspar la marée noire, il faut donc les dis-tinguer des autres problèmes causés parl’homme [voir CI n° 1018, du 6 mai 2010].Jusqu’ici, même les tentatives les plussimples pour mesurer l’impact de lamarée noire se sont révélées complexes.Le nombre officiel des oiseaux morts estd’environ 1 200, soit bien moins que lesquelque 35 000 découverts après lamarée noire de l’Exxon Valdez, en 1989.Mais ces chiffres sont contestés : lesautorités ne prennent en compte que lesoiseaux trouvés, alors que beaucoup dechercheurs pensent qu’un nombre impor-tant de volatiles maculés de pétrole sesont réfugiés dans les marécages.D’autres scientifiques se sont concentréssur des critères plus subjectifs. Ils ne fontpas le décompte des morts, mais étu-dient le comportement de la faune et dela flore, les mouvements de la nappe depétrole et l’état d’écosystèmes plusvastes. Pour eux, il est encore plus dif-ficile de formuler des réponses claires.
“Les herbes des marais, les joncs, les man-groves sont en train de mourir. Ils sontatteints et meurent”, déplore RobertBarham, secrétaire du département de laFaune et de la Pêche de Louisiane.Scientifiques et chercheurs ne sont pastoujours d’accord non plus sur la pré-sence de nappes de pétrole dissous ousubmergé au large des côtes. Plusieursenseignants ont découvert du pétrolesous l’eau à des dizaines de kilomètresde la marée noire. Il était parfois si dis-sous que l’eau semblait claire. Ils ont éga-lement trouvé des boules de pétrole dela taille d’une balle de golf. Autour dela tête de puits, un scientifique de laTexas A&M University, a découvert despoches d’eau à très faible teneur en oxy-gène dissous. Ce pourrait être le signeque des bactéries consomment le pétrolede la marée noire, mais aussi que lesautres formes de vie maritime vont s’as-phyxier dans cette eau.
David A. Fahrenthold,
The Washington Post (extraits), Etats-Unis
▶
THE GUARDIANLondres
Flop, flop, flop. Le bruit d’un oiseau bat-
tant désespérément des ailes, engluées
d’une pellicule visqueuse de pétrole,
résonne contre les parois de la carrière.
Puis c’est à nouveau le silence. Un pigeon
a plongé dans cette flaque noirâtre, à cent
mètres à peine des eaux turquoise de la mer bai-
gnant la côte occidentale de Guernesey. Il refait
surface dans une ultime tentative d’envol, puis
rejoint les autres petites carcasses gisant dans les
remous de boue noire. Depuis 1967, ce cratère
mortel empli de pétrole sur le promontoire de
Chouet a acquis un nouveau nom : Torrey
Canyon Quarry [la carrière du Torrey Canyon].
Dans la matinée du 18 mars 1967, le TorreyCanyon s’échouait sur Pollard’s Rock, entre l’ex-
trême pointe sud-ouest des Cornouailles bri-
tanniques et les îles Scilly. Au cours des jours sui-
vants, les 119 328 tonnes de brut que transportait
ce supertanker de 300 mètres de long se sont
répandues jusqu’à la dernière goutte dans
l’Atlantique. Des milliers de tonnes de pétrole
ont souillé les côtes des Cornouailles – et des
milliers d’autres, poussées par les vents et les cou-
rants, ont traversé la Manche avant de se
répandre sur les plages françaises [seuls 15 % du
pétrole échappé des soutes du Torrey Canyonse sont échoués sur le littoral britannique. Les
vents et courants ont déposé le reste sur les côtes
bretonnes].
DÉJÀ À L’ÉPOQUE, LA COMPAGNIEPÉTROLIÈRE BP ÉTAIT IMPLIQUÉE
A l’époque, ce fut la pire marée noire jamais
enregistrée. Le désastre occasionné aujourd’hui
par BP dans le golfe du Mexique fait évidem-
ment penser à ce précédent. La marée noire du
Torrey Canyon a mis en péril une belle région tou-
ristique très fréquentée. Les atermoiements ont
été aggravés par le refus des compagnies inter-
nationales impliquées dans le désastre de prendre
leurs responsabilités. Et personne ne savait que
faire. Déjà à l’époque, BP était impliquée, puisque
la compagnie avait affrété le navire chargé de
livrer le brut à la raffinerie de Milford Haven, au
pays de Galles. Mais le désastre du Torrey Canyonne constitue pas seulement une leçon historique :
il est la preuve concrète que les grandes marées
noires dévastent les écosystèmes durant plusieurs
décennies.
Le capitaine italien du Torrey Canyon, qui
voguait sous pavillon libérien, s’est vu reprocher
d’avoir précipité son navire sur un banc de récifs
bien connu pour gagner quelques heures en pre-
nant un raccourci. A la tombée de la nuit, une
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 30 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
En 1967, la première grande maréenoire de l’Histoire a marqué les mémoires et l’environnement,qui ne s’en est pas encore remis.
dossier
pétrole. “Nous les avions prévenus”, raconte
Byron Encalade, président de l’Association des
ostréiculteurs de Louisiane. “Le pétrole va passerpar-dessus les barrages ou s’infiltrer par-dessous.” Et
c’est exactement ce qui est arrivé. Le biologiste
marin Rick Steiner, qui suit de près les opéra-
tions de nettoyage, estime que “70 à 80 % desbarrages déployés ne servent absolument à rien”.
Enfin, il y a la question controversée des dis-
persants chimiques : près de 4 millions de litres
de ces produits ont été déversés par BP dans
l’océan, avec sa désinvolture coutumière. Or très
peu de tests ont été effectués et l’on ne sait abso-
lument pas ce que cette quantité sans précédent
de pétrole dilué dans l’eau va provoquer sur la
faune marine.
UNE PROFONDE BLESSURE INFLIGÉE À UN ORGANISME VIVANT
Heureusement, beaucoup d’autres tirent une
leçon différente de la catastrophe, qu’ils voient
comme la preuve de notre impuissance à maî-
triser les formidables forces naturelles que nous
libérons. Il y a également autre chose : le senti-
ment que le trou au fond de la mer est plus qu’un
simple accident d’ingénierie. C’est une profonde
blessure infligée à un organisme vivant.
C’est sans doute le rebondissement le plus
surprenant de la saga de la côte du golfe du
Mexique. Il semble que ce désastre nous ouvre
les yeux sur une réalité : la Terre n’a jamais été
une machine. Suivre le cheminement du pétrole
dans l’écosystème constitue une excellente intro-
duction à l’écologie globale. Chaque jour, nous
prenons un peu plus conscience que tel problème
terrible survenant dans une région du monde se
répercute selon des chemins que la plupart
d’entre nous n’auraient jamais imaginés. Nous
apprenons que les pêcheurs de l’île du Prince-
Edouard, au Canada, s’inquiètent parce que le
thon rouge de l’Atlantique qu’ils pêchent se
reproduit à des milliers de kilomètres plus au
sud, dans les eaux souillées de pétrole du golfe
du Mexique. Et nous découvrons aussi que, pour
les oiseaux, les zones humides de la côte du golfe
du Mexique sont un gigantesque aéroport : 75 %
de tous les oiseaux aquatiques migrateurs des
Etats-Unis y font escale.
C’est une chose de s’entendre expliquer
qu’un papillon battant des ailes au Brésil peut
provoquer une tornade au Texas. C’en est une
autre que de voir la théorie du chaos se concré-
tiser sous vos yeux. L’universitaire et écofémi-
niste Carolyn Merchant formule de la façon sui-
vante la grande leçon à tirer de ce désastre : “Leproblème, comme l’a tragiquement et tardivementdécouvert BP, est qu’en tant que force active la naturene peut être confinée.” La conséquence la plus posi-
tive de cette catastrophe serait non seulement
une accélération du développement des sources
d’énergie renouvelables comme l’éolien, mais
aussi une adhésion systématique au principe de
précaution scientifique. Exact contraire du credo
“si vous étiez persuadé de ne pas échouer” cher à
Hayward, le principe de précaution établit que
“lorsqu’une activité comporte des risques pour l’en-vironnement ou la santé humaine”, nous devons
procéder avec prudence, comme si l’échec était
possible et même probable. Peut-être pourrions-
nous offrir au patron de BP une nouvelle plaque
pour orner son bureau lorsqu’il signera les
chèques de compensation aux victimes de la
marée noire : “Vous faites comme si vous saviez,mais en fait vous ne savez rien.” Naomi Klein
INDEMNITÉS La bataille des chiffres ne fait que commencer
Il est possible que l’on ne sache jamais avec précision quellequantité de pétrole aura été déversée dans les eaux du golfe
du Mexique. En effet, les compagnies pétrolières n’ont guèrede raisons de mesurer avec exactitude le nombre de barils depétrole engloutis dans une marée noire. La compagnie pétro-lière Exxon savait combien de pétrole contenaient les calesde l’Exxon Valdez lors de son naufrage, il y a vingt et un ans.Pourtant, certains défenseurs de l’environnement et scienti-fiques de l’Alaska qui ont étudié la catastrophe affirment quela quantité de pétrole déversée dans la baie du Prince-Williama été en réalité deux à trois fois supérieure au chiffre avancé.Déterminer le volume de pétrole rejeté dans le golfe du Mexiquesera crucial car, en vertu d’une loi fédérale adoptée à la suitedu naufrage de l’Exxon Valdez, les compagnies pétrolières sonttenues de payer des dommages et intérêts proportionnels aunombre de barils de pétrole déversés. Il sera encore plus dif-ficile de mesurer l’étendue de cette marée noire, car personnene sait exactement combien de pétrole contient le gisement,
situé à plusieurs milliers de mètres de profondeur, ni si le débitde la fuite a toujours été constant. “A en juger par l’expériencedes grandes marées noires précédentes, je suis certain qu’ily aura des divergences de vues au sujet du volume exact depétrole rejeté”, affirme William Lehr, un expert scientifiquede la National Oceanic and Atmospheric Administration [NOAA,l’agence fédérale compétente en matière d’atteintes à l’en-vironnement marin]. D’après les chiffres communiqués fin juin,la plate-forme laissait échapper entre 35 000 et 60 000 barilsde pétrole par jour, soit beaucoup plus que l’estimationde 12 000 à 19 000 annoncée quelques semaines aupara-vant. Une autre équipe fédérale sera chargée d’évaluer l’éten-due des dégâts et de fixer le montant des dommages et inté-rêts. Ces calculs sont d’une importance capitale car, en vertudu Clean Water Act, la société BP pourrait être condamnéeà verser entre 1 100 et 4 300 dollars [entre 850 et3 320 euros] par baril de pétrole rejeté dans le golfe duMexique. Carl Bialik, The Wall Street Journal (extraits), New York
Quarante ans Canyon” poll
W E B +Plus d’infos surcourrierinternational.com
Fuite de pétrole :
“En URSS, on
utilisait des bombes
nucléaires.”
▼ Sous-estimation.Dessin de Bertramsparu dans Het Parool,
Amsterdam.
▶
nappe de pétrole de douze kilomètres de long
s’était déjà échappée de ses soutes fissurées. Le
lendemain, la nappe s’étendait sur trente kilo-
mètres. Auparavant, les modestes pollutions
engendrées par les marées noires avaient été net-
toyées à l’aide d’une combinaison de solvants et
d’émulsifiants. On les appelait détergents, un
terme qui fait penser à un produit domestique
inoffensif mais qui désignait en fait des produits
chimiques hautement toxiques. Douze heures
après le naufrage, la marine tenta de les utiliser
pour traiter la marée noire. Une solution bien
pratique, puisqu’il se trouvait que c’était juste-
ment BP qui fabriquait ces produits.
La “grosse tache noire sur l’Atlantique” était
certes un spectacle déprimant, mais les experts
néerlandais envoyés sur place par l’entreprise
propriétaire du navire, la Barracuda Tanker Cor-
poration, basée aux Bahamas, et sa maison mère,
l’Union Oil Company of California, déclarèrent
avec insistance que le navire pouvait encore être
sauvé. Le gouvernement donna son accord.
Dennis Barker, qui, à 81 ans, écrit toujours
pour le Guardian, a été envoyé à l’époque sur les
lieux pour couvrir les opérations. “C’était le pre-mier grand désastre écologique de l’Histoire. Cela apris du temps pour que l’on commence à prendre lamesure des conséquences”, se souvient-il. Les Hos-
king, un habitant de Marazion, en Cornouailles,
se souvient du jour où le gouvernement a donné
l’ordre de bombarder le navire pour le couler et
tenter de brûler le pétrole en surface. “Nous avonsvu arriver les bombardiers Buccaneer. Ils ont larguéleurs bombes et ça n’a rien fait du tout”, raconte
Hosking. La presse a fait ses choux gras sur le
fait qu’un quart des 42 bombes ont raté leur
cible. D’autres méthodes ont elles aussi échoué.
La nappe a pollué près de 200 kilomètres du
littoral des Cornouailles. On estime que
15 000 oiseaux ont trouvé la mort, ainsi que des
phoques et d’autres animaux marins.
Alors que le gouvernement se faisait étriller
par la presse, l’attitude de l’opinion envers les
compagnies pétrolières responsables a nettement
été plus indulgente qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Dix-neuf jours après le naufrage, une
énorme nappe a atteint Guernesey. Elle était
si épaisse qu’on a pu en pomper 3 000 tonnes
directement dans des tankers. “On s’est dit : ‘On
doit préserver nos plages, nous sommes une des-
tination touristique, bon, il y a là une carrière
abandonnée, mettons les déchets là-dedans.’
C’est une décision qui a dû être prise très rapide-ment”, explique Rob Roussel, un responsable
des services publics de Guernesey.
LE RECOURS AUX DÉTERGENTS : LA PIRE SOLUTION POSSIBLE
Vidanger le pétrole dans la carrière fut une solu-
tion qui créa un nouveau problème. Ce legs mal-
odorant du Torrey Canyon refusa de disparaître.
“Ça chlingue terriblement. Tout le monde est au cou-rant, mais personne n’a jamais rien voulu faire pourrégler la question”, observe Jayne Le Cras, direc-
trice des opérations de la Guernsey Society for
the Prevention of Cruelty to Animals (GSPCA)
[une ONG de défense des animaux]. “En raisonde son aspect lisse et immobile, les oiseaux prennentle plan d’eau polluée pour une surface dure et s’yposent ; ensuite, le poids du pétrole les empêche derepartir.” Le gouvernement de Guernesey déclare
avoir déjà dépensé des milliers de livres pour
essayer de nettoyer la carrière. En 2009, le niveau
de l’eau est monté et le changement de pression
a provoqué de nouvelles remontées de pétrole
du sous-sol. “La compagnie qui était responsabledu Torrey Canyon devrait payer pour tout cela envertu du principe du pollueur-payeur, mais à l’époqueles lois internationales n’existaient pas encore”, sou-
ligne Rob Roussel.
En 1967, devant le coût des opérations de
nettoyage, le gouvernement britannique a tenté
d’obtenir une compensation de 3 millions de
livres auprès des propriétaires du bateau. Ega-
lement soucieux d’obtenir des compensations,
les Français continuèrent durant des mois à pour-
suivre la compagnie et ses navires.
L’ingéniosité humaine n’a pas seulement été
impuissante face au désastre, elle l’a considé-
rablement aggravé. Trois jours après le naufrage,
Anthony Tucker, qui était alors le correspondant
scientifique du Guardian, a écrit qu’aucun test
de toxicité n’avait été effectué sur les détergents
que l’on répandait sur la nappe et que leurs effets
sur la vie marine n’avaient jamais été étudiés.
Le recours aux détergents s’est avéré “la piresolution possible”, estime le Dr Gerald Boalch, un
biologiste marin qui travaille depuis cinquante-
deux ans à la Marine Biological Association of
the United Kingdom (MBA). Après la marée
noire, le personnel de la MBA a consacré toutes
ses journées à l’étudier. Au début, les aspersions
chimiques ont semblé marcher. “Les détergentssemblaient efficaces, se souvient Boalch. Nous noussommes dit qu’ils faisaient du bon travail parce quele pétrole disparaissait.” Mais certains de ses col-
lègues ont effectué des tests en laboratoire et
“on a alors réalisé que les produits rendaient le pétroleplus toxique encore car il devenait plus facilementassimilable par les organismes vivants”. Sur le
rivage, souligne Gerald Boalch, les produits ont
probablement détruit à jamais les lichens et
d’autres formes de vie côtières. Un an après la
catastrophe du Torrey Canyon, la MBA a publié
ses conclusions : elle y condamnait de manière
cinglante le recours désastreux aux détergents,
répandus selon des méthodes “inefficaces et coû-teuses” qui n’étaient qu’un “gaspillage de tempset de ressources”.
Le désastre du Torrey Canyon eut toutefois
des conséquences bénéfiques. Il a suscité la mise
en place de réglementations maritimes inter-
nationales sur les pollutions. Si notre addiction
grandissante au pétrole n’a pas été remise en
cause, nos méthodes pour traiter les marées
noires l’ont été. Lorsque le supertanker AmocoCadiz a laissé échapper sa cargaison de brut au
large de la Bretagne en 1978, Gerald Boalch a
insisté auprès des autorités pour qu’elles ne fas-
sent pas usage de détergents.
A Guernesey, en 2010, les autorités tentent
à présent de nettoyer les dernières traces du
pétrole du Torrey Canyon de manière écologi-
quement responsable. En mai, on a commencé
à injecter des micro-organismes dans l’eau
souillée, qui est aérée par un petit générateur
tournant vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ce procédé de “bioaugmentation” utilise des
bactéries naturelles qui se nourrissent de pétrole.
Grâce à la vitesse à laquelle ces micro-organismes
se multiplient, le gouvernement prévoit qu’ils
auront entièrement absorbé le pétrole d’ici la fin
de l’année. Patrick Barkham
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 31 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
après, le “Torreyue toujours
GuerneseyGuernesey
Iles Anglo-Normandes
Guernesey
IlesScilly
Jersey
Penzance
Morlaix
Etenduede la nappe
le 11 avril 196749° N
6°
O
5°
O
4°
O
3°
O
2°
O
50° N
St-Brieuc
0 150 km
M A N C H E
OCÉAN
ATLANTIQUE B R E T A G N EFRANCE
ROYAUME-UNI
CORNOUAILLES
Naufrage du Torrey Canyonle 18 mars 1967
Cour
rier
int
erna
tion
al
▶ Dessin de Bertrams paru dans Het Parool,
Amsterdam
■ MéthaneIl n’y a pas que du
pétrole brut qui
s’échappe de la fuite
de Deepwater
Horizon. Il y a aussi
du méthane, prévient
le Financial Times.
Ce gaz, l’un des
principaux
composants du gaz
naturel, représente
une énorme
menace pour les
écosystèmes marins,
explique
l’océanologue John
Kessler, de la Texas
A&M University. En
forte concentration,
le méthane
peut entraîner
une prolifération
de micro-organismes
qui se nourrissent
de ce gaz, privant
le milieu d’oxygène
et provoquant la
formation de zones
mortes. Dans
un rayon de 10 km
autour de la fuite,
la concentration
du méthane dissous
dans l’eau est
100 000 à 1 million
de fois plus forte
que la normale,
observe le Pr Kessler.
MARÉE NOIRE
directeur de l’agriculture chez Nestlé, première entre-
prise alimentaire mondiale. Hans Jöhr n’a rien du
cadre supérieur classique. “Je suis moi-même agricul-teur”, explique cet homme apparemment infatigable.
Après une enfance dans la campagne suisse, il est allé
chercher, d’abord au Canada, puis au Brésil, de nou-
velles exploitations plus grandes, sur lesquelles il a cul-
tivé de tout, depuis le soja jusqu’au café. Parallèlement,
il a trouvé le temps d’étudier l’économie agricole et de
décrocher un doctorat. Il a gardé un lien très fort avec
la terre. Sa mission consiste aujourd’hui à assurer à
Nestlé une source continue de matières premières agri-
coles, une tâche titanesque lorsque l’on sait que, pour
augmenter de 5 % ses ventes de céréales destinées au
petit déjeuner, l’entreprise absorbe l’équivalent de toute
la récolte annuelle de céréales de la Suisse. Hans Jöhr
dispose pour l’aider d’une équipe de 950 agronomes
et vétérinaires – plus que beaucoup d’organismes agri-
coles publics – et le cacao est l’un des produits qui l’in-
quiètent le plus. Son pire cauchemar n’est pas que l’en-
volée des cours ait un impact sur les ventes de chocolat
de Nestlé, mais qu’il n’y ait plus suffisamment de cacao
de bonne qualité à acheter.
Il n’est pas le seul à redouter ce scénario catas-
trophe. Pratiquement tous les plus grands chocolatiers
mondiaux s’inquiètent maintenant de la qualité du ca-
cao ivoirien et de son prix. La Côte d’Ivoire détient une
part si importante de la production
mondiale que ce qui se passe dans
le pays a des répercussions mon-
diales. Au cours des cinq dernières
années, la production a diminué de
plus de 15 %, provoquant la plus
grave pénurie que le marché du ca-
cao ait connue depuis quarante ans
et une envolée des cours, qui ont at-
teint leur niveau le plus élevé en plus
de trente ans. Pour la quatrième
année consécutive, l’offre ne suffit
plus à faire tourner à plein régime
les usines de concassage, qui ont en-
La production de fèves a fait la prospérité de la Côte d’Ivoire.Mais aujourd’hui les arbresvieillissants sont malades et le secteur traverse une crise.
FINANCIAL TIMESLondres
Dans les années 1960, Abidjan était surnommé le
Manhattan d’Afrique occidentale et d’immenses
perspectives s’ouvraient alors à la capitale com-
merciale de Côte d’Ivoire. Le pays n’était plus une
colonie française et les bénéfices de son secteur cacaoyer
en plein essor coulaient à flots. Ce sont les “francs
cacao” qui percèrent les boulevards de l’élégant quar-
tier résidentiel de Cocody et édifièrent les gratte-ciel
du pôle d’affaires du Plateau. Des chanteurs et acteurs
célèbres arrivaient par avions entiers de Paris. Les casi-
nos de la ville étaient combles et pétillaient de vie. Le
monde consommait de plus en plus de chocolat et le
pays devint un modèle de stabilité et de prospérité en
Afrique occidentale. Les années 1960 firent place aux
années 1970, puis 1980, le cacao restait pour la Côte
d’Ivoire ce que le pétrole était pour l’Arabie Saoudite
ou le Nigeria : un geyser d’argent sonnant et trébu-
chant. De l’or brun.
Les Français avaient introduit le cacao en Côte
d’Ivoire, mais ce fut Félix Houphouët-Boigny, premier
président du pays et ancien planteur de cacao, qui orga-
nisa le développement d’un véritable secteur cacaoyer
pesant plusieurs milliards de dollars. Grâce à ces condi-
tions de culture idéales, la Côte d’Ivoire et ses voi-
sins, le Ghana, le Nigeria et le Cameroun, fournis-
sent désormais 70 % du cacao mondial.
Houphouët-Boigny est resté au pouvoir trente-
trois ans et, dans les années 1970 et 1980, il a dopé
le commerce du cacao ivoirien avec un cocktail de
subventions publiques et de mesures d’incitation fon-
cière. En 1977, la Côte d’Ivoire avait ravi au Ghana
le rang de premier producteur mondial de cacao
et indissociablement lié son avenir à celui de l’indus-
trie chocolatière mondiale. Aujourd’hui, quelque
800 000 agriculteurs ivoiriens produisent près de
40 % des 3,5 millions de tonnes produites dans le
monde. La production ivoirienne, qui s’établit actuel-
lement à 1,3 million de tonnes, a plus que doublé par
rapport aux années 1980 et a été multipliée par 26
depuis 1960. Pourtant, la place prépondérante qu’oc-
cupe la Côte d’Ivoire sur le marché du cacao et sa pro-
duction en hausse constante depuis des décennies
masquent une triste réalité et un avenir incertain. Après
un demi-siècle d’expansion presque ininterrompue,
la machine à cacao ivoirienne a commencé à s’es-
souffler. Parce que les cacaoyers vieillissants sont
malades et parce qu’un univers archaïque de petits
propriétaires terriens, de politiciens corrompus et d’in-
termédiaires itinérants résiste au changement. Les
multinationales de l’agroalimentaire qui dépendent
d’une source fiable et bon marché de cacao se font
du souci. La tendance est encore récente, mais le sec-
teur du cacao, notoirement discret, a commencé à
parler d’une “crise du chocolat”…
Après la mort d’Houphouët-Boigny, en 1993, la
Côte d’Ivoire s’est lentement enlisée dans la spi-
rale de la guerre civile et, bien que les combats aient
pris fin en 2004, le pays reste divisé entre le Sud
et le Nord rebelle. Depuis 2005, les élections ont été
différées à six reprises et l’impasse politique n’a en
rien favorisé la principale culture du pays. “Le cacaoest en danger en Côte d’Ivoire”, confie Hans Jöhr,
registré leurs plus mauvaises performances depuis la
fin des années 1960. A en croire les négociants, si les
cours ne sont pas plus élevés, c’est uniquement à cau-
se de la crise économique, qui a fait fléchir la demande
dans les pays développés, où le chocolat reste un pro-
duit de luxe. Mais, à l’heure où la consommation mon-
diale se ressaisit, le secteur craint qu’ils ne dépassent
largement leur niveau actuel – environ 2 850 euros la
tonne – pour friser le prix record de 3 500 euros la ton-
ne atteint en 1977, à l’époque des grandes sécheresses
qui s’étaient abattues sur l’Afrique occidentale. Il
semble pourtant que le pire soit encore à venir. Les
courtiers, qui attendent une nouvelle récolte décevante
à la fin de la saison, pensent que pour la cinquième
année consécutive l’offre de cacao ne suffira pas à cou-
vrir la demande en 2010-2011.
Il ne sera pas facile de résoudre la crise du cacao,
en partie du fait de la structure atypique du secteur.
Contrairement à presque toutes les autres grandes
matières premières agricoles – maïs, café, huile de palme,
sucre –, le cacao produit dans le monde est toujours
essentiellement cultivé par de petits paysans qui pos-
sèdent chacun moins de quatre hectares de terres.
L’accroissement de la production ne dépend donc pas
des dirigeants des grandes plantations agroalimentaires,
mais des efforts individuels de milliers de petits pay-
sans ouest-africains, pauvres pour la plupart.
Tietiekon Amankro est le genre de site caractéris-
tique de la culture du cacao ivoirien. Dans ce village
– quelques bâtisses au bout d’un chemin de terre –
auquel il est presque impossible d’accéder pendant la
saison humide, les maisons en pisé sont couvertes d’un
toit de palmes. Il n’y a ni électricité, ni eau courante.
L’endroit est à des années-lumière des chocolats suisses
enveloppés dans leur papier argenté…
Le cacao pousse dans la forêt, en lisière du village.
Les paysans me parlent des menaces qui planent sur
une activité dont les méthodes manuelles n’ont prati-
quement pas changé depuis que le produit a été intro-
duit ici, au début du siècle dernier.
“Nous avons de vieux arbres… La production n’aug-mente pas”, déplore Betran Ejao, producteur de 35 ans.
Il me montre un arbre planté il y a vingt-cinq ou trente
ans, à l’époque d’Houphouët-Boigny, qui donne de
moins en moins chaque année. Comme les êtres
humains, les arbres sont plus fragiles et plus vulnérables
aux maladies en vieillissant. Bertran Ejao explique que
les producteurs de Tietiekon Amankro perdent actuel-
lement près de 10 % de leur rendement à cause de la
pourriture noire de la cabosse, un champignon qui
attaque le fruit du cacaoyer et compromet les récoltes.
Le cacao ne fait plus recetteRESSOURCES IVOIRIENNES EN PÉRIL
enquête●
▲ Hans Jöhr (4e à gauche),responsable de l’agriculture chezNestlé, en visite dans une serre de cacaoyers.
▶ Stocks de sacs de café et de cacao,dans un entrepôt de Gagnoa (au centre de la Côte d’Ivoire).
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 32 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
Rep
orta
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hoto
s:
Nan
a Ko
fi Ac
quah
Il y a des problèmes que seuls les Ivoiriens peu-
vent régler. Le système de fixation des prix, inefficace
et gangrené par la corruption, resté en vigueur jus-
qu’à la fin des années 1990 a ouvert la voie à un com-
merce ivoirien libre mais anarchique, et une série de
hausses d’impôts a alourdi le fardeau des paysans.
Près de 40 % du prix du cacao ivoirien sur le mar-
ché mondial a maintenant remplir les caisses de l’Etat,
ce qui désavantage les producteurs locaux par rap-
port à leurs concurrents et incite nombre d’entre eux
à abandonner purement et simplement la culture du
cacao. En arrachant leurs arbres pour planter des
hévéas, qui demandent moins de travail tant à la
culture qu’à la récolte, ils peuvent percevoir les béné-
fices d’une autre matière première lucrative – qui
atteint aujourd’hui des prix plus élevés que jamais –
sans avoir à acquitter pots-de-vin et impôts. Des
arbres vieillissants, une mauvaise gouvernance et
d’autres cultures plus rentables : autant de facteurs
qui ont contribué à ralentir la machine ivoirienne du
cacao, tant et si bien que les producteurs locaux sont
maintenant en train de se faire damer le pion par leurs
concurrents du monde entier.
Que peut-on donc faire pour accroître la pro-
duction ? Les chocolatiers sont persuadés que la
réponse tient aux arbres et, plus particulièrement,
qu’il faut désormais repeupler les plantations
défaillantes de Côte d’Ivoire avec de nouvelles varié-
tés à meilleur rendement et capables de résister aux
maladies. C’est une tâche colossale : la Côte d’Ivoire
compte environ 2 milliards de cacaoyers et presque
tout le travail doit être réalisé par le secteur privé.
Nestlé, dont les projets sont les plus aboutis, envi-
sage de dépenser quelque 110 millions de francs
suisses (81 millions d’euros) pour replanter 12 mil-
lions d’arbres au cours des dix prochaines années, ce
qui ne représenterait jamais que 0,6 % du total.
Ce n’est donc pas une solution miracle à court
terme, mais ce “plan cacao” est déjà un début et il
a séduit les paysans désireux de revaloriser leurs terres.
Les nouveaux plants, qui seront distribués au rythme
de 1 million par an à partir de 2012, ont déjà été sur-
nommés les “mercedes”, en référence à leur qualité
supérieure présumée. “Ils poussent à une allure extra-ordinaire”, affirme Jebouat Kouassi, 43 ans, qui gère
l’une des pépinières de Nestlé en Côte d’Ivoire.
Les mercedes représentent l’aboutissement de plu-
sieurs années de recherches sur l’hybridation des
cacaoyers, ne requérant aucune technique de modi-
fication génétique mais des croisements avec des varié-
tés ivoiriennes les rendant plus résistants aux mala-
dies locales, y compris aux ravages de la pourriture
noire. “Ils peuvent commencer à produire au bout d’en-viron dix-huit mois. Les autres mettent au moins trois ans”,poursuit Jebouat Kouassi.
S’il est important d’accroître la production, il est
tout aussi essentiel d’enrayer la dégringolade de la
qualité du cacao ivoirien. Depuis deux mille ans, les
producteurs de cacao ont perfectionné l’art délicat
consistant à trouver un équilibre entre le parfum et la
quantité, et nombre des dilemmes qui se posent
aujourd’hui aux paysans de Côte d’Ivoire remon-
tent aux civilisations précolombiennes d’Amérique.
Le cacao que nous consommons aujourd’hui d’un
bout à l’autre de la planète provient à l’origine de
haute Amazonie, d’où il a été transporté au Mexique
par la civilisation olmèque, qui prospéra entre 1500
et 400 avant notre ère. La qualité finale du cacao
se joue en grande partie pendant les phases de fer-
mentation et de séchage des fèves. Chaque cabosse
donne entre 25 et 30 fèves, que les paysans entassent
par milliers dans des clairières avant de les enve-
lopper dans des feuilles de bananier pour les laisser
fermenter. La fermentation prend environ cinq jours
et détermine largement la viabilité d’une récolte. La
pluie ou l’humidité peuvent gâcher le processus, tout
comme un fermier qui laisserait les
fèves trop ou pas assez longtemps.
Et c’est précisément là un autre
aspect des problèmes du cacao ivoi-
rien : tandis que la production
chute et que les prix augmentent,
les producteurs modifient leur comportement, écour-
tant le temps de fermentation pour mettre leurs fèves
sur le marché aussi vite que possible et sacrifiant ainsi
la qualité aux bénéfices rapides. La chaîne des inter-
médiaires va des “pisteurs”, qui collectent les fèves
en camion de village en village, apportant des liasses
de billets, jusqu’aux “traitants”, petites entreprises
de courtage d’origine ivoirienne ou libanaise qui achè-
tent les fèves et les revendent aux gros négociants
américains, comme Cargill et Archer Daniels
Midland, le français Touton ou le singapourien Olam.
A l’autre extrémité de la chaîne, les chocolatiers euro-
péens et américains n’ont donc pratiquement aucun
contrôle sur le procédé.
Sachant cela, chocolatiers et négociants encoura-
gent à présent les agriculteurs à s’organiser en coopé-
ratives auxquelles ils pourraient acheter en direct. Mais
nous n’en sommes pas encore là, tant s’en faut : la
bureaucratie ivoirienne est redoutable et, si l’on en
croit les gros négociants, la plupart des coopératives
ne tiennent que quelques années avant de mettre la
clé sous la porte, à cause de la mauvaise gestion et de
la corruption. Celles qui ont survécu n’ont été main-
tenues en vie que grâce aux subventions et à une
supervision quasi permanente.
Il est encore trop tôt pour dire si toutes ces ini-
tiatives (depuis le “plan cacao” de Nestlé jusqu’aux
interventions des négociants qui se rendent sur le
terrain pour améliorer la culture et la fermentation)
parviendront à revitaliser le secteur cacaoyer de Côte
d’Ivoire. Le défi est immense, mais paradoxalement
il faut apporter des solutions à petite échelle. On ne
pourra en effet régler tous les problèmes qu’en sui-
vant la production clairière par clairière, arbre par
arbre, fève par fève. “Nous ne pouvons pas rester lesbras croisés et ne rien faire pour résoudre le problèmeactuel”, me confie Hans Jöhr. “Nous sommes en trainde voir un orage se former à l’horizon et nous devonsnous y préparer.”
Javier Blas
UN PRODUCTEUR INCONTOURNABLE
39 %
Restedu monde
Ghana
10 %
Equateur
3 %
Brésil
4 %Indonésie
15 %
18 %
Nigeria
6 %
Cameroun
5 %
Production mondialede cacao
Côte d’Ivoire
Sour
ce :
Deut
sche
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k, “F
inan
cial
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es”
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 33 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
▲ Des fermiersivoiriens munis de bâtons tapent sur les cabosses pour en extraire les fèves de cacao.
la bd de l ’été (3/5)
■ ContexteCes dernières
années, des milliers
de migrants
africains
ont échoué à Malte
alors qu’ils
tentaient
de rejoindre
l’Europe. Comment
ce petit archipel
densément peuplé
vit-il cet afflux de
nouveaux venus ?
Joe Sacco,
Américain d’origine
maltaise,
est allé enquêter
pendant l’été 2009
dans son pays natal.
Il en a tiré une
bande dessinée
de 48 pages
qui est parue
dans la revue
américaine Virginia
Quarterly Review
et que vous
retrouverez
par épisodes tout
au long de l’été
dans nos pages.
■ L’auteurNé à Malte en
1960, Joe Sacco a
grandi en Australie,
puis aux Etats-Unis,
où ses parents
se sont établis
en 1972.
Après des études
de journalisme,
il retourne à Malte,
où il publie ses
premières bandes
dessinées.
Revenu à Portland,
dans l’Oregon,
où il vit toujours,
il se lance dans
la BD underground.
A l’issue
d’un long voyage
au Proche-Orient,
il publie en 1993
Palestine
(Rackham, 2010).
Il inaugure avec
ce livre un genre
sans équivalent :
la bande dessinée
journalistique. Ses
dernières
publications sont
Gorazde (Rackham,
2004) et Gaza 1956
(Futuropolis, 2010).
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 34 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
Un reportage inédit de Joe Sacco●
Trad
uctio
n : O
livie
r Rag
asol
Lett
rage
: St
evan
Rou
daut
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 35 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 36 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
la bd de l ’été (3/5)●
IN THESE TIMES (extraits)Chicago
Alors que l’économie mondiale
reste vacillante, l’expression
“pire récession depuis la GrandeDépression” (PRDLGD) a
rem placé la formule tellement gal-
vaudée de “guerre contre le terrorisme”,comme pour celle-ci, les références
à la PRDLGD sont pres que toujours
suivies d’explications vaseuses et contra-
dictoires. Selon les républicains – qui
ont accumulé les déficits –, la récession
est le résultat de dé penses excessives.
Quant aux démocrates – dont les poli-
tiques de libre-échange ont démoli le
marché de l’emploi –, ils rejettent la faute
sur George W. Bush.
Mais ce genre d’affirmations sim-
plistes concourent à occulter les idées
contre-intuitives, qui contiennent sou-
vent les vérités les plus profondes. Dans
le cas de la PRDLGD, la plus impor-
tante de ces idées est que nous sommes
en récession parce que nous payons trop
peu d’impôts.
Cet argument provocant a pour la
première fois été avancé par l’ancien
gouverneur de New York, Eliot Spitzer,
Le Petit Journal de la CRISEChaque semaine, les chiffres, les événements, les analyses
a créé l’illusion que les impôts freinaient
la croissance, les statistiques prouvent
que des taux marginaux plus élevés per-
mettent d’allouer plus d’argent aux inves-
tissements publics créateurs d’emplois
(routes, ponts, ré seaux à haut débit…)
qui soutiennent l’activité. Ils encoura-
gent aussi les investissements favorables
à la croissance. Car au lieu d’empocher
les profits et de payer plus d’impôts, les
riches propriétaires d’entreprise ont inté-
rêt à les réinvestir dans leur affaire.
La combinaison taux d’imposition
élevé/recettes élevées “a toujours fonctionnéjusqu’à ce qu’on l’abandonne”, a conclu
Hillary Clinton. C’était une déclaration
po litique audacieuse, si audacieuse qu’elle
a été, comme tous les autres faits démon-
trant la pertinence d’une hausse des
impôts, ignorée par les hommes poli-
tiques et les médias de Washington. Car
ils ont leurs propres idées reçues à pro-
mouvoir. Et malheureusement, il y a fort
à parier que la PRDLGD a de beaux
jours devant elle. David Sirota
Dans les années 1950, la tranche supérieure du revenu était taxée à plus de 90 % aux Etats-Unis. Etl’économie se portait bien.
Taxer les riches, c’est bon pour la croissance
dans un article publié en février dernier
par le magazine Slate. “Entre 1951et 1963, alors que le taux marginal d’im-position [appliqué à la tranche supérieuredu revenu] était de 91 % ou 92 %, l’éco-nomie américaine a connu une croissancemoyenne de 3,71 % par an, expliquait-il.
Le niveau élevé du taux marginal – qu’onjugerait aujourd’hui confiscatoire – n’a pasentraîné de cataclysme économique, bien aucontraire. Au cours des sept dernières années,le taux marginal maximum a été ramené à35 %, et la croissance moyenne annuelle n’aatteint que 1,71 %.”
Quelques mois plus tard, le quotidien
USA Today notait que les taux d’impo-
sition avaient atteint leur plus bas niveau
depuis soixante ans. La secrétaire d’Etat
Hillary Clinton déclarait quant à elle
devant la Brookings Institution [un cercle
de réflexion américain] que “dans aucunenation confrontée à un important problèmede chômage, les riches ne paient leur justepart – tant les individus que les entrepriseset quelles que soient les formes de taxation”.
Le cas de la Grèce offre un bon
exemple. Les conservateurs affirment
que le pays, criblé de dettes, est victime
des largesses de l’Etat providence. Toute -
fois, selon une analyse du Center for
American Progress [cercle de ré flexion
progressiste], “la Grèce a toujours moinsdépensé” que les autres social-démocra-
ties européennes. “Le réel problème auquelsont confrontés les Grecs n’est pas de trou-ver un moyen de réduire les dépenses, mais
d’augmenter les rentrées d’argent”, conclut
le rapport selon lequel les “recettes fiscalesanémiques” du pays constituent son
principal point faible. Comme l’a fait
remarquer Hillary Clinton, les pays qui
affichent des re cettes et des taux d’im-
po sition élevés sont prospères. “Par rap-port à son PIB, le Brésil a le taux d’impo-sition le plus élevé du continent américain,
a-t-elle souligné. Et devinez quoi ? Il afficheun taux de croissance dément. Les riches con -tinuent de s’enrichir et ils sortent les pauvresde la misère. Ce qui est tout à fait logique.
Même si l’esprit de l’époque reaganienne
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 37 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
“Il faut que les gouvernements qui composent
le G20 mettent au premier plan la notion de justice
pour reconstruire le système économique mondial”,
affirme James Kenneth Galbraith, président
de l’association internationale Economistes pour
la paix et la sécurité et professeur à l’université
du Texas. “Il faut donc mener des enquêtes pénales
et civiles sur les dirigeants d’entreprise qui ont créé
les hypothèques frauduleuses, comme cela a été
le cas aux Etats-Unis lors de la faillite des caisses
d’épargne, au début des années 1990 […].
Ensuite, il faut desserrer l’emprise des banques
sur le pouvoir politique […]. Ainsi, au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, la France a institué
de multiples banques dont la taille était clairement
délimitée. […] La Caisse des dépôts finançait
les infrastructures, le CIC le commerce et les
entreprises, le Crédit agricole le monde paysan, etc.”
Selon l’économiste américain, la crise a été
provoquée “par une fraude financière massive,
une véritable opération de ‘faux-monnayeurs’. […]
Des institutions ont créé des millions d’hypothèques
pour des Américains dont les revenus étaient trop
faibles pour leur permettre d’acquérir normalement
leur maison.” Et elles savaient pertinemment qu’ils
“ne pourraient même pas faire face aux intérêts. […]
Ensuite, ces hypothèques frauduleuses ont été
revendues un peu partout, comme si elles étaient
aussi sûres que des bons du Trésor américain,
alors qu’elles avaient une probabilité de 100 %
de perdre toute leur valeur. C’est ni plus ni moins
que de la fausse monnaie.”
Propos recueillis par Olivier Vilain,
Le Courrier (extraits), Genève
“Une véritable opération de faux-monnayeurs”
V E R B A T I M
Recettes fiscales en 2008(impôts et cotisations sociales, en % du PIB)
LA PRESSION FISCALE S’ALLÈGE
Sour
ce :
Euro
stat
49,4
51,8
45
44,1
41,8
41,9
39,9
36,7
33,9
34,6
31,6
40,6*
Danemark
Suède
Belgique
France
Italie
Allemagne
Pays-Bas
Royaume-Uni
Espagne
Grèce
Irlande
UE 27
Etats-Unis
Japon
En2000
48,2
47,1
44,3
42,8
42,8
39,3
39,1
37,3
33,1
32,6
29,3
39,3
28,3
27,9
* Données recomposées.
(2007)
(2007)
Alors que le chômage reste très élevé
aux Etats-Unis, le monde de la finance
se remet à embaucher. A New York, les sociétés
de Bourse ont créé 2 000 emplois depuis le mois
de février, portant leurs effectifs globaux à plus
de 160 000 personnes. Selon The New York
Times, c’est une bonne nouvelle pour l’économie
locale. Car chaque emploi créé à Wall Street en
génère deux autres, a calculé le Bureau fédéral
d’analyse économique. Cet effet multiplicateur
s’explique en partie par le niveau des salaires,
qui atteint en moyenne 311 000 euros par an
dans la finance, contre 51 000 euros dans les
autres secteurs. Wall Street représente en outre
20 % des recettes fiscales de l’Etat de New York
et 12 % du budget de la ville.
L E C H I F F R E
� Dessin de Mix et Remix paru dans L’Hebdo, Lausanne.
2 000
STERNHambourg
Les piscines ferment. Les chaus-
sées ne sont plus refaites et les
subventions aux associations sont
en baisse. Faute d’argent, les villes alle-
mandes prennent des mesures d’écono-
mie draconiennes. La dette des quelque
12 000 communes atteint des sommets :
elle représentait 112,1 milliards d’euros
en 2009. Le déficit devrait atteindre en
outre 15 milliards d’euros cette année.
“Les villes doubleront presque le tristerecord établi pendant la crise de 2003”,annonce Petra Roth, présidente
chré t i enne-démocrate de l’As -
sociation des villes allemandes. “Nos bud-gets ont complètement explosé.”
Comment a-t-on pu en arriver là ?
D’un côté, les revenus des communes
fondent : les recettes fiscales ont chuté de
11,4 % en moyenne lors de la seule année
2009. De l’autre, les charges ne cessent
d’augmenter – à cause, par exemple, du
nombre croissant des bénéficiaires
d’aides sociales au titre du Hartz IV [allo-
cations chômage ainsi nommées d’après
Peter Hartz, membre de la commission
qui a mis en place en 2002 ce dispositif].
Résultat, les gros investissements passent
à la trappe. Et ce n’est pas tout : plusieurs
communes ont dû augmenter la parti-
cipation des parents aux frais de garde
des enfants, de même que la taxe sur les
chiens et le prix d’entrée pour les équi-
pements publics.
Un état de fait que refusent les habi-
tants de Quickborn, dans le Schleswig-
Holstein. En août 2009, ils ont décidé,
lors d’un “conseil des citoyens”, d’oc-
troyer un crédit à leur ville. En quelques
jours seulement, 80 personnes ont réuni
4 millions d’euros qu’elles ont prêtés
pour un an à la municipalité, à un taux
d’intérêt de 3 %. “Nous avons été litté-ralement submergés, se souvient Meike
Wölfel, la trésorière municipale. Nousavons été contactés par 700 personnes quivoulaient des renseignements. On aurait purécolter le double.”
Cela n’est pas allé plus loin car le
ministère de l’Intérieur du Schleswig-
Holstein et la Bundesanstalt für
Finanzdienstleistungsaufsicht [autorité
fédérale de surveillance des services
financiers] ont interdit à cette commune
de 20 000 habitants de souscrire d’autres
emprunts auprès des citoyens. D’après
eux, cette façon inventive de trouver des
capitaux faisait entrer la ville dans le
domaine de l’activité bancaire, ce qui
nécessitait une autorisation. Or la légis-
lation du Land interdit aux communes
de fonder des établissements bancaires.
Depuis le début du mois de mars, les
personnes qui le souhaitent peuvent tou-
tefois à nouveau prêter de l’argent à la
municipalité. Car elle a cette fois un par-
tenaire : la Bank für Investments und
Wertpapiere de Willich, en Rhénanie. ■
Le Petit Journal de la CRISE
L ’ É D I T O … T h e I r i s h T i m e s ( e x t r a i t s ) , D u b l i n
Les Irlandais avalent stoïquement leur amère potion
Confrontée comme d’autrescommunes à une crise budgétaire sans précédent,Quickborn a eu l’idée d’emprunter de l’argent à ses administrés.
Les villes allemandes sont à sec
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 38 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
La zone euro, une prison
Loin de provoquer le chaos, comme
le prédit la banque néerlandaise ING
(voir CI n° 1028, du 15 juillet),
un démantèlement de la zone euro
serait au contraire le meilleur moyen
de relancer la croissance en Europe,
estime une étude du cabinet d’analyse
britannique Capital Economics, citée
par The Guardian, à Londres.
Une fois le mark ressuscité, sa valeur
grimperait, ce qui ferait fondre
l’excédent commercial de l’Allemagne
et contraindrait ce pays à stimuler
sa demande intérieure pour
ne pas sombrer dans la déflation.
Symétriquement, les nouvelles
monnaies des pays actuellement
les plus faibles (Espagne, Italie,
Portugal, Grèce et Irlande)
se dévaloriseraient, ce qui renforcerait
leur compétitivité. Mais s’ils restent
prisonniers d’une zone euro dominée
par l’Allemagne, conclut Capital
Economics, ces pays seront
condamnés à des années
de dépression et de déflation.
E N B R E F
Si le pays est officiellement sorti de
la récession, le chômage continue à
augmenter. Et la population se résigne.
Alors ça, on ne l’avait vraiment pas vuvenir : juste au moment où on commen-
çait à s’habituer à la rigueur, voilà qu’onapprend que techniquement nous ne sommesplus en récession. [Au premier trimestre 2010,le PIB irlandais a bondi de 2,7 % par rapportaux trois derniers mois de 2009. Cela dit, parrapport au premier trimestre 2009, il a baisséde 0,7 %.]Le rapport de l’Office central des statistiques(CSO) contient néanmoins des avertissementsà profusion, le plus important étant que d’uneannée sur l’autre, “le déclin du PNB [trimes-triel] a été plus fort que celui du PIB.” En consi-dérant que le PNB [qui exclut l’activité desnombreuses entreprises étrangères instal-lées dans le pays] est un meilleur indicateuret que les chiffres montrent une augmenta-tion des exportations sans amélioration del’emploi, il vaudrait mieux ne pas crier alléluiatrop vite. [Le taux de chômage a atteint 13,4 %en juin.]Quoi qu’il en soit, cette bonne nouvelle nefigurait pas dans le scénario. La souffranceinfligée par la récession et, surtout, l’injusticede cette souffrance sont devenues une partessentielle de notre identité nationale depuisdeux ans. La rage provoquée par l’incompé-tence et la cupidité des politiciens, des ban-quiers et des promoteurs s’est transforméeen une émotion particulière, telle que la tris-
tesse, la joie ou l’ennui. De même que nousavions accepté les excès maladroits pendantle boom économique, nous nous sommesadaptés à notre nouveau statut de pauvressans rien faire de plus que de nous lamentercollectivement.Voyez comment nous avons réagi à notre rôlede porte-drapeau mondial de l’austérité. Lescoupes claires effectuées par ceux-là mêmesqui avaient provoqué la bulle immobilièreauraient normalement dû déclencher desémeutes, d’autant qu’elles se sont accom-pagnées d’énormes injections de fondspublics dans les institutions qui avaientfinancé l’expansion. Mais non, noussommes restés plutôt flegma-tiques. Pour employer le jar-gon condescendant dujour, nous prenons notremédicament sans nousplaindre. Chaque foisqu’on nous félicite desupporter stoïquementl’austérité, nous y voyonsune maigre consolation.Nous sommes peut-êtredans la panade, mais aumoins, nous recevonspour cela une juste rétri-bution. Quand le ministredes Finances britannique,George Osborne, a pré-senté son budget d’ur-gence pour le Royaume-Uni,n’avons-nous pas pensé :
Tiens, ils nous suivent maintenant, ils veulenten baver un peu eux aussi ? Quand nousvoyons les Grecs se révolter et les Espagnolsmanifester, est-ce que nous regrettons de nepas avoir fait comme eux ? Ne leur reprochons-nous pas plutôt de ne pas prendre sagementleur médicament ? Quand les dirigeants duG20 ont débattu du bon équilibre entre aus-térité et mesures de relance, combien d’entrenous se sont dit : “Relance ?”Nous sommes les stars de l’austérité danscette crise financière mondiale, et je soup-çonne certains d’entre nous d’être un peu
trop à l’aise avec ce fait bizarre.Cela est devenu flagrant, il ya quelques jours, quand TheNew York Times et The WallStreet Journal ont donné leurpoint de vue sur la manièredont la rigueur nous affectait.Le premier prône l’augmen-tation des dépenses desti-nées à stimuler l’économieaux Etats-Unis tandis que lesecond plaide pour desréductions budgétaires afinde limiter le déficit améri-cain. Et il se trouve quenotre pays sert de cobayedans leur querelle idéolo-gique. The New York Timesn’y va pas par quatrechemins : “Au lieu d’êtrerécompensée pour savertu, l’ Irlande est
pénalisée. Le déclin qu’elle connaît est cer-tainement plus brutal que si le gouvernementavait dépensé davantage pour garder les gensau travail.” C’est aussi noir sur blanc quel’encre sur la page, non ? Voilà maintenantThe Wall Street Journal : “L’île d’Emeraudeconnaît un fort chômage, l’un des déficits bud-gétaires les plus élevés d’Europe et appliquel’une des cures d’austérité les plus rudes ducontinent. […] Les investisseurs commencentà soutenir l’Irlande, en particulier si on com-pare avec d’autres pays endettés de la zoneeuro.” Bonne nouvelle, non ? Pas si vite, tem-père l’éditorialiste du New York Times PaulKrugman : “On lit souvent dans la presse quela fermeté de l’Irlande impressionne et ras-sure les marchés financiers. Mais la réalitéest tout autre : la vertueuse Irlande, l’Irlandequi souffre, ne gagne rien.”Et que pensons-nous de ces analyses contra-dictoires ? Nous sommes tout simplementcontents qu’on ait remarqué notre stoïcisme.Ce n’est pas la peine de souffrir autant si onne récolte pas quelques tapes dans le dos– quelle qu’en soit la raison. Mais notre pré-tendue guérison remet tout en question. C’estvrai, notre PIB va augmenter, bien qu’il soitdouteux que les emplois suivent. Le pire, c’estque nous subirons toujours l’austérité maisque la sympathie s’évanouira. Or si nous nepouvons pas avoir les emplois, nous voulonsau moins conserver la sympathie. Davin O’Dwyer
◀ Dessin de Sequeiros paru dans El Mundo, Madrid
Ils avaient fui la misère en s’installant en Grèce. Aujourd’hui, ils font le chemin inverse.
MAPO (extraits)Tirana
Ils rentrent chez eux. Pour une
bonne raison : une crise écono-
mique que les autorités grecques ne
peuvent plus juguler. Les protes-
tations massives, puis les grèves géné-
rales ont fini de les convaincre.
Ksero M., 45 ans, est rentré en
Albanie dès le mois de février. Son
épouse hésitait, leur fils étant scolarisé et
bien intégré dans ce pays d’accueil. Et
puis restait l’espoir de voir les choses
changer. Mais la situation n’a cessé de
se dégrader et Ksero a tranché : tout le
monde rentre à la maison. A son grand
étonnement, son fils, adolescent, l’a
soutenu dans cette décision. De retour
chez eux, Ksero a créé une petite
entreprise de vente de matériaux de
construction à Tirana. C’est sa femme,
comptable, qui s’occupe de la partie
admi nistrative, essayant de se réadap-
ter aux us et coutumes locales. La Grèce
“ne fait plus partie de notre avenir”, affirme
Ksero, diplômé en histoire de l’art que
rien ne prédisposait à travailler dans le
bâtiment. Mais la vie et surtout l’émi-
gration en ont décidé autrement. Partis
en Grèce en 2000, ces deux intellectuels
ont travaillé, comme bon nombre de
leurs concitoyens, comme maçons ou
agents d’entretien. Parce que cela payait
bien : à eux deux, ils pouvaient assurer
jusqu’à 2 000 euros par mois. Une petite
fortune pour des Albanais. Mais tout cela
est fini. “Nous sommes partis avant que lasituation ne dégénère complètement, et nousavons eu raison, poursuit Ksero.Ton paysreste ton pays ; à part ceux qui se sontembourbés dans des crédits inutiles, tous lesAlbanais de Grèce que je connais songent àrentrer”, affirme-t-il.
Raimond D., 48 ans, avait émigré en
Grèce en 1995 et trouvé un emploi de
chauffeur routier qui lui assurait un bon
revenu. Jusqu’à ce qu’un accident le
ramène à son ancienne profession, gara-
giste. Tout allait bien là aussi, sa femme
travaillait comme dame de compagnie
pour une personne âgée qui vivait seule
et qui, d’une grande générosité, la logeait
gratuitement avec ses trois enfants, tous
scolarisés dans des écoles grecques. Mais,
à sa mort, la femme de Raimond n’a plus
trouvé que des petits boulots. Le salaire
de Raimond ne suffisait plus à couvrir
les besoins de la famille. D’autant plus
qu’à la faveur de la crise économique son
patron a décidé de réduire le rythme de
travail et songe même à fermer son ate-
lier. Raimond et son épouse ont alors
décidé de retourner à Fier (dans le sud
de l’Albanie), leur ville natale, où ils envi-
sagent d’ouvrir un garage “à l’euro-péenne”. Nous rencontrons Raimond,
venu en prospecteur, alors que ses en -
fants et son épouse sont encore en Grèce
afin de préparer cette seconde émigra-
tion. “J’ai fini par suffoquer en Grèce, j’es-père ouvrir mon entreprise ici et être monpropre patron”, dit-il. L’un de ses col-
lègues tempère son optimisme : “Tu asfui la crise grecque, OK. Mais ici il faut sur-vivre”, lui rappelle-t-il. Raimond en est
bien conscient.
Ils sont nombreux, ces Albanais qui
ont franchi le pas ou envisagent sérieu-
sement de revenir dans leur patrie. Pour
d’autres, la question ne se pose pas, soit
parce qu’ils sont intégrés et ont réussi
à s’assurer une très bonne situation, soit
parce qu’ils sont tenus par des crédits
à rembourser. Parmi ceux qui sont reve-
nus, très peu pensent repartir en Grèce
un jour. Les mesures d’austérité prises
par le gouvernement grec, les débats
houleux au sein du Parlement et, plus
généralement, l’atmosphère de radicali-
sation et d’intolérance dans la société ont
confirmé leur sentiment que la Grèce
n’est plus le pays de cocagne dont ils
avaient rêvé.
Les émigrants qui nous ont confié
leur témoignage se rejoignent sur un
point : ils veulent désormais se consacrer
à leur nouvelle vie en Albanie et ont
refermé le chapitre grec de leur vie, du
moins pour le moment. L’Union euro-
péenne et le Fonds monétaire interna-
tional ont accepté de sauver financiè-
rement la Grèce. Le plan anticrise prévoit
une réduction des dépenses de 30 mil-
liards d’euros et une baisse des salaires
et des aides sociales, ainsi qu’une aug-
mentation de la TVA pour certains
produits du quotidien. Les Albanais
qui ont préféré quitter la Grèce ne sont
pas dupes. Ils savent que la situation en
Albanie n’est pas forcément plus miro-
bolante. “Nous passons de Charybde enScylla”, ironise Ksero. Mais, au moins,
ils sont chez eux. Ben Andoni
▲ Dessin d’Eva Vásquez paru dans El País, Madrid.
Le second exode des Albanais de Grèce
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 39 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
La vie de chômeuse,quel bordel !
Dans le cadre de la politique danoised’activation des chômeurs, les demandeurs d’emploi peuvent, au bout de neuf mois, être placés dans une entreprise (pour un stage ou un emploi aidé) par les autorités de leur commune. Avec parfois des résultats pour le moins curieux. Le quotidien Politiken a récemmentévoqué le cas d’une femmevietnamienne, mère célibataire, qui a été autorisée à travailler dans ce qui s’est avéré être un bordel.L’objectif : se former au massage et à la réflexothérapie, “afin de trouverde nouvelles possibilités d’emploi”.Le syndicat de la chômeuse a protesté,tout comme la ministre du Travail, Inger Støjberg (Parti libéral). Le nombre de personnes concernéespar le programme d’activation estpassé de 30 000 en avril 2009 à46 000 cette année. Une progression qui s’explique par l’augmentation du nombre de chômeurs, mais aussipar l’intérêt de ce dispositif pour les communes : alors que la moitié de l’indemnisation d’un chômeur est à leur charge, elles ne payent en revanche qu’un quart du coût de l’activation.
E N B R E F
DÉPRESSION Quand les psys sont débordésPeur du lendemain, angoisse… La crise
pousse de nombreux Grecs dans les bras
des psys. Et les hospitalisations d’urgence
se multiplient.
L a crise économique, l’avenir incertain etl’intervention du FMI [qui, en tant que
créancier du pays, procédera en août à uneévaluation du plan de redressement] rem-plissent les hôpitaux psychiatriques. Cesquatre derniers mois, les admissions à l’hô-pital Dromokratio d’Athènes ont doublé etles cabinets en ville refusent du monde, àcroire que la récession leur profite. Plusgénéralement, les Grecs veulent voir unmédecin et repartir avec une ordonnancepour se procurer des médicaments capablesde les aider à retrouver le sommeil ou l’équi-libre psychologique. La plupart de ces nouveaux patients sontdes retraités qui sont devenus littéralementfous depuis l’annonce de coupes sévèresdans leur revenus. Mais cela concerne aussiles travailleurs proches de l’âge de la retraite.Et puis il y a les familles qui ne peuvent plusse permettre de garder sous leur toit unparent présentant des troubles du compor-tement. “Ils viennent nous supplier de leprendre à l’hôpital”, explique Michalis
Giannakos, médecin et membre de l’Uniondes travailleurs à l’hôpital psychiatriqueDromokratio. “Si nous refusons, certainsappellent la police en prétextant que le maladecrie et délire, pour que nous l’internionsd’office.” La semaine dernière, 25 nouveauxpatients ont été admis à Dromokratio.En un après-midi, 8 se sont présentés. “Siça continue à ce rythme, nous serons à plusde 200 nouveaux cas par mois”, poursuit
le Dr Giannakos. Or il n’y a pas assez depersonnel pour prendre en charge cet affluxde malades. “Nous manquons de cardio-logues, par exemple. S’il arrive quoi que cesoit au patient, nous sommes obligés de letransférer dans un autre établissement”,déplore-t-il.Pour Theodore Megaloikonomou, directeurde la clinique psychiatrique de Dafni, ce n’estqu’un début. “Les conséquences réelles dela crise économique ne sont pas encore appa-rues. Lorsqu’elles seront là, les chiffres aug-menteront vraiment de manière significative”,estime-t-il. L’angoisse et l’incertitude sontles principales raisons qui poussent lesGrecs à se diriger vers les psys. “Ils ne saventpas de quoi demain sera fait”, disent les pro-fessionnels. Selon Ilia Thotoka Chrystomidis,directeur de l’hôpital psychiatrique de l’uni- versité d’Athènes, les crises de panique sontla principale raison des hospitalisations d’ur-gence. “Les gens se sentent impuissants faceaux changements, ils refusent de se battre etdeviennent inertes face à leurs problèmes”,explique-t-il. D’après lui, on observe aussiune augmentation significative de la consom-mation de stupéfiants. “C’est le seul moyenque ces dépressifs trouvent pour s’évader.”
Elena Fyntanidou, To Vima (extraits), Athènes
� Dessin de Mike Hodges paru dans The Wall Street Journal Europe, Bruxelles.
POLITIKEN (extraits)Copenhague
Il est 0 h 40 lorsque le réveil sonne.
Per Olsen enfile son bleu de travail
et un pull à capuche tout en jetant
un coup d’œil par la fenêtre. Il y a
déjà de la lumière sur la plage de
Thorupstrand, dans le Jutland du Nord.
Le vent est discret. Difficile d’avoir un
temps plus propice pour sortir en mer.
Ici il n’y a pas de port. Il faut tirer les
embarcations au-delà des brisants à l’aide
d’un câble, d’une bouée et d’un cabes-
tan. Les travailleurs de la mer de
Thorupstrand sont les derniers pêcheurs
côtiers du Danemark. Depuis des cen-
taines d’années, dans ce coin du Jutland
souvent battu par les vents, on débarque
les prises directement sur le sable avant
de remonter les bateaux. Et c’est ainsi
que les pêcheurs veulent continuer à tra-
vailler. Mais aujourd’hui la petite com-
munauté lutte pour survivre. La crise
financière et la chute des prix du pois-
son l’ont durement frappée. Mais le pire,
c’est la faillite [à l’automne 2008] de leur
banque, l’EBH Bank, et ces financiers
en costume-cravate qui ont leur sort
entre les mains. C’est contre eux que
Thorupstrand se bat. Le bateau bleu
racle le fond jusqu’à la sombre baie de
Jammerbugt et passe le premier banc de
sable. Per accélère. Il a 23 ans. Patron de
son navire, il pêche depuis l’âge de 16
ans. C’est le plus jeune membre de la
corporation des pêcheurs côtiers de
Thorupstrand, créée en 2006 par une
vingtaine de familles, après le décret de
privatisation de la pêche dans les eaux
danoises. Un quota annuel de cabillaud
et de carrelet a été alors attribué à tous
ceux qui possédaient leur propre embar-
cation, sur la base des prises des trois
années précédentes.
C’était la fin de l’accès à la mer pour
tous. Les pêcheurs sans bateau n’obtin-
rent aucun quota, pas même ceux qui
avaient travaillé pendant des années avec
les propriétaires et partagé équitablement
les prises avec eux. En même temps, il
devint possible de négocier les droits de
pêche. La privatisation a ainsi permis à
quelques familles de Thorupstrand de
devenir millionnaires du jour au lende-
main, alors que d’autres ont perdu le
droit de pêcher.
C’est pour assurer l’avenir de la ville
que les pêcheurs ont fondé la corpora-
tion. Ils ont investi chacun 100 000 cou-
ronnes [environ 13 000 euros] pour pou-
voir emprunter 15 millions de couronnes
[2 millions d’euros] et se cotiser pour
acheter des quotas. Les petits pêcheurs
ont ainsi pu empêcher les grands de
rafler tous les droits, et des jeunes comme
Per Olsen ont conservé un accès à la mer
moyennant une somme raisonnable.
PER OLSEN AVAIT 20 ANS SEULEMENTLORSQU’IL A ACHETÉ SON BATEAU
En quelques années, les pêcheurs ont
acquis pour 45 millions de couronnes
[6 millions d’euros] de quotas, ces der-
niers servant de garantie pour emprun-
ter auprès de l’EBH Bank. Le système a
parfaitement fonctionné jusqu’à ce que
la crise financière fasse s’effondrer les
prix, d’abord du poisson, puis des quo-
tas. Et l’EBH Bank a fait faillite.
A une trentaine de kilomètres de la
côte, Per appelle son collègue Kim. Il est
3 h 22 et il est temps de pêcher. Les deux
hommes posent les sennes en formant
un grand cercle dans l’eau. Deux bonnes
heures plus tard, ils remontent le filet.
Les premiers mètres sont tapissés d’une
masse gluante de méduses aux longs fila-
ments. Kim et Per portent des gants en
caoutchouc, mais ils se brûlent quand
même. “Le pire, c’est quand ça va dans lesyeux”, commente Kim.
Per avait 20 ans seulement lorsqu’il
a acheté son bateau. A l’époque, le prix
du poisson était correct et il paraissait
raisonnable d’investir un petit million de
couronnes [environ 130 000 euros] et
de louer des quotas à la corporation. Et
puis la crise est arrivée.
Peu avant Noël 2008, la corporation
des pêcheurs a reçu une lettre de l’or-
ganisme public de défaisance [créé en
2008] en charge de la liquidation d’EBH
Bank. Celui-ci leur annonçait que les
remboursements et les intérêts de l’em-
prunt allaient augmenter. Un mois plus
tard, les pêcheurs ont été priés de se trou-
ver une nouvelle banque et de rem-
bourser leur dette. A défaut, l’organisme
vendrait leurs quotas pour récupérer l’ar-
gent. L’emprunt se montait à 45 millions
de couronnes, mais les quotas, qui
avaient représenté 72 millions de cou-
ronnes, ne valaient plus que 20 millions.
Impossible de payer.
Lorsque Per et Kim remontent pour
la troisième fois le filet, le soleil est brû-
lant. Avec 2,5 t de carrelet, la journée
a été fructueuse. Mais à la criée de
Hanstholm le prix au kilo ne dépasse pas
10 couronnes [1,30 euro], et Per doit
payer le carburant, la location des quo-
tas, la préparation du poisson et son
conditionnement. Etre pêcheur à
Thorupstrand n’est guère lucratif par les
temps qui courent. Lorsque Per est de
nouveau à quai après seize heures en
mer, une réunion avec les autres
membres de la corporation l’attend. Ils
vont essayer de trouver une solution à
leurs problèmes financiers. Et d’assurer
l’avenir de la ville. Ils ont à peine deux
ans devant eux. Hanne Mølby Henriksen
Le Petit Journal de la CRISE
Depuis la faillite de leurbanque, les derniers petitspêcheurs du pays luttentpour leur survie.
Avis de tempête sur la côte danoise
“L’histoire secrète de la
dette britannique”, titre
The Independent.
Selon l’Office national
des statistiques, la dette
publique du pays
est quatre fois plus
importante que prévu :
elle atteint l’équivalent
de 4 800 milliards
d’euros. Selon le quotidien, il faudrait augmenter
les impôts de 30 % pour espérer limiter
le fardeau des prochaines générations. Si rien
n’est fait, les futurs contribuables devront payer
chacun 238 000 euros de plus pour financer les
services publics dont auront profité leurs parents.
À L A U N E
◀ Dessin de Falco, La Havane.
OGONIOK (extraits)Moscou
Un homme politique russe appar-tenant à l’opposition, que la télés’obstine à ne pas inviter, à qui laradio nationale n’offre jamais son
antenne et qui ne parvient pas à s’ex-primer dans les journaux à fort tirage,a récemment eu une idée afin d’éta-blir un contact avec la population. Leprocédé qu’il a mis au point estsimple, même s’il demande pasmal de disponibilité. Il a lancéun appel à ses amis et compa-gnons d’opinion dans diversesrégions du pays, se déclarantprêt à répondre aux journauxde province à n’importe quelleheure du jour ou de la nuit [la Rus-sie s’étend sur 11 fuseaux horaires] età accorder des interviews exclusives àtous ceux qui lui en feraient lademande. Il pouvait communiquer,au choix, par Internet ou par télé-phone car, croyez-le si vous voulez,certains journaux de province n’ontpas Internet et se dé brouillent encoreà l’ancienne.
Il est dès lors apparu que la libertéd’expression existait dans notre pays !Tous les mois, ce politicien donne unetrentaine d’interviews, qui paraissentdans des titres comme La Voix desanciens combattants de Krasnomel ouLes Affaires d’Istra. Lui qui dirige unmouvement interdit, car considéré parla loi comme extrémiste, taille ainsi enpièces l’ordre existant à longueur depages sans s’attirer le moindre pro-blème. Certes, il y a des journaux quirefusent de publier ses déclarations,mais ils le font de leur propre chef,poussés par l’autocensure ou par unsentiment très exagéré de leur impor-tance, fréquent chez les journalistesde province. Ils croient que leur publi-cation pourrait un jour tomber entreles mains de Poutine et redoutent lesconséquences. J’ai personnellementdu mal à imaginer ce qu’il faudraitqu’il arrive à Poutine pour qu’il seretrouve à lire la Chronique rurale de larégion de Tchernopol.
Dans l’ensemble, dans la Fédé-ration de Russie, la marge demanœuvre de la presse de province esttout aussi importante, voire parfoisplus, que celle d’Echo de Moscou[radio indépendante considéréecomme un espace d’opposition]. Onpeut y aborder tous les sujets, à condi-tion de ne pas s’attaquer aux proprié-taires des journaux eux-mêmes. Onpeut y vilipender Russie unie [le partiau pouvoir], la Douma dans sonensemble ou député par député ; onpeut y démolir la police, les juges etles procureurs. On peut aller sur Inter-net glaner des ragots malveillants au
d’être un libéral, je me demande par-fois comment notre peuple, malgrétoute la propagande pro-occidentale,d’une puissance inouïe, qui a déferlésur ces chers citoyens de Russie depuisprès d’un quart de siècle, a réussi àrester conservateur, au bon sens duterme. Comment a-t-il fait pour nepas tomber dans un antisoviétismegrégaire, au mauvais sens du terme ?
Il serait exagéré de prétendre quela presse régionale a sauvé la PetiteMère Russie de la mainmise absoluede l’étranger. Pourtant, les journalistesde province ont contribué à mainte-nir un certain équilibre dans la per-ception nationale de ce qui se passaitdans le pays. Et ils continuent.
Dans les années 1990, lorsque laRussie manquait de sens patriotique
pour faire pendant aux opi-nions importées, la provincea vu apparaître de-ci de-làles rétrogrades, providentielspour cette époque. Dans lesannées 2000, lorsque toutela vermine infréquentable aversé comme un seul hom -me dans le patriotisme, la
province pensante s’est à nouveaudistinguée, devenant marginale ausens noble. Il ne faut cependant pastrop en demander aux médias de pro-vince ; ils ont déjà apporté une largecontribution. Mais il faut reconnaîtrequ’ils tendent souvent à une simpli-fication exagérée.
La presse régionale appartient àde petits barons qui s’en servent dansleur combat pour accéder à tel ou telposte. Malgré toutes ces années pas-sées à participer aux guerres régionalesentre hommes de pouvoir, la provincea réussi à ne pas se déshonorer et,mieux, à accomplir un travail essen-tiel : questionner sans relâche la légi-timité du pouvoir, ce pouvoir qui, endépit de son immoralité et de sa bru-talité, aime tant se considérer commerésolu, efficace, généreux et intelligent,presque saint. D’ailleurs, si la pressede province ne se permet pas de cri-tiquer le président et le Premierministre, elle n’est vraiment pas laseule. L’unique chose à modifier danscette presse serait justement son côtéprovince, un qualificatif peu flatteur,synonyme d’une certaine arriérationet de laisser-aller. L’expression “presserégionale” sonne beaucoup plus dyna-mique et plus attirant – plus énergique.La presse régionale, elle, ne traite pasde la province dépassée et de ses pro-blèmes éculés, mais s’occupe de faireavancer sa région. Il faut espérer quela presse régionale puisse faire du bienà la capitale. Sinon, nous allons nousretrouver comme à deux extrémitésd’une balançoire, avec Moscou d’uncôté et tout le reste du pays de l’autre.Si Moscou s’est énormément gavéeet reste étalée par terre comme un cra-paud, tandis que nous sommes enl’air, il faut additionner tout le poidsde la région de l’Oka, de l’Oural, dela Sibérie et de Sakhaline pour la sou-lever un peu du sol. Et parvenir à laregarder dans les yeux. “Hé oh, Mos-cou ! nous sommes là !”
Zakhar Prilepine
La presse russe prend ses aises en province
sujet de n’importe quel membre dugouvernement, les arranger un peu àsa sauce et publier le tout comme unarticle dont on serait l’auteur. Ensuite,on peut se barricader en retenant sonsouffle dans l’attente d’une descenteà la rédaction avec fouille des bureauxet menaces aux journalistes, commesi les personnages cités avaient quelquechose à faire de ce qui est écrit sur euxdans ce genre de journaux. Cela faitbien longtemps qu’ils s’en fichent etque tout leur est égal. Ils se donnentencore la peine de réagir, à ce qu’ilparaît, dans les journaux de Moscou,mais la province, franchement…
QUESTIONNER SANS RELÂCHE LA LÉGITIMITÉ DU POUVOIR
Je connaissais un journaliste de pro-vince qui, dans la confusion des an -nées 1990, reprenait à son compte lediscours des Alexandre Prokhanov,Iouri Moukhine et autres idéologuesde la nébuleuse ultranationaliste russe,ce qui avait fait de lui, localement, unepersonnalité culte. Il travaillait pour-tant dans le journal le plus libéral quisoit, mais il avait sa propre rubrique,consacrée à la politique nationale, oùil racontait ce qu’il voulait. Résultat :les anciens combattants comme lesjeunes radicaux s’arrachaient ce jour-nal sans se soucier du fait que toutesles autres pages étaient en complètecontradiction avec la rubrique poli-tique. Notre journaliste s’est réjoui del’arrivée au pouvoir de Vladimir Pou-tine [nommé Premier ministreen 1999 par le président Eltsine], maisil eut vite un tel nombre de concur-rents plus assourdissants que lui surce terrain que son statut de grandesignature, qu’il avait mis des années àbâtir, périclita peu à peu.
Vous pourriez croire que je memoque, mais pas du tout. Dans unecertaine mesure, je viens de livrer uneparodie de ma propre carrière jour-nalistique, lentement amorcée dansles années 1990. Comme je suis loin
■ L’auteurZakhar Prilepine,
de son vrai nom
Evgueni Lavlinski,
35 ans, est écrivain,
journaliste et
militant politique.
Le grand public
russe le découvre
en 2004, année
de parution
de son premier
roman,
Pathologies (éd.
des Syrtes, 2007),
inspiré de son
expérience de
la première guerre
de Tchétchénie
(1994-1996).
En 2007, il reçoit le
prix Iasnaïa Poliana
dans la catégorie
“Œuvres de prose
contemporaine
particulièrement
marquantes” pour
son deuxième roman,
San’kia (éd. Actes
Sud, 2009).
On lui doit aussi
Le Péché (éd.
des Syrtes, 2009).
Il milite depuis 1996
au sein du Parti
national-bolchevik
(PNB) de l’écrivain
Edouard Limonov
(lui-même exclu du
PNB en 2006). Il est
également directeur
général du quotidien
Novaïa Gazeta
de Nijni-Novgorod.
mult imédia●
i n t e l l i g e n c e s
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▲ Dessin d’Ulises paru dans El Mundo,
Madrid.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 41 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
TENDANCE � S’appuyant sur sa propre expérience, l’écrivainrusse engagé Zakhar Prilepinerappelle que la liberté des journalistes s’exercesouvent loin de Moscou.
■ sciencesL’Asie duSud-Est en panne descientifiquesp. 42
■ économieLes ouvrierschinois fontdésormais la loi p. 43
la pénurie est telle que les étudiantsde l’Université royale de Phnom Penhse contentent d’un apprentissage théo-rique. Le budget suffit à peine à fairetourner un laboratoire par départe-ment scientifique.
Dans l’archipel philippin, réputépour la mobilité de ses habitants, lafuite des cerveaux est un problèmeconstant, et le gouvernement est cons -cient de la nécessité de créer un envi-ronnement propice aux scientifiques
SCIDEV.NETLondres
Innovations dans les techniquesd’irrigation, réchauffement cli-matique, épidémies de grippe,recherche sur la riziculture, mala-
dies orphelines, biocarburants… Lesdéfis ne manquent pas pour les scien-tifiques d’Asie du Sud-Est. Alorspourquoi sont-ils si peu nombreux àchoisir cette carrière ? Lors de monpériple dans la région, j’ai rencon-tré des scientifiques aux opinions trèsdiverses. Cependant, ils tendaient às’accorder sur une chose : l’un despro blèmes les plus répandus estd’ordre financier. Au Cambodge, parexemple, Chan Roath, directeur dudépartement de la recherche au mi -nistère de l’Education, m’expliquaque le salaire d’un chercheur fonc-tionnaire ne couvrait même pas sesdépenses les plus élémentaires. “Lessalaires versés par le gouvernement nesuffisent pas à faire vivre une famille.La plupart des chercheurs sont obligés deprendre un deuxième emploi pour joindreles deux bouts”, poursuivit-il.
Pour la plupart des scientifiquescambodgiens, y compris pour ChanRoath lui-même, ce deuxième emploicon siste le plus souvent à enseignerleur matière dans l’une de ces nom-breuses écoles privées qui ont récem-ment ouvert leurs portes à PhnomPenh. D’autres trouvent des postes deconsultants.
Aux Philippines, si les scientifiquess’en tirent mieux financièrement que
leurs homologues cambodgiens, lesmétiers scientifiques n’en sont pasmoins largement délaissés au profit decarrières plus lucratives dans d’autressecteurs. Même chose en Malaisie. Laplupart des étudiants les plus brillantspréfèrent chercher un emploi dans lesecteur privé que poursuivre leursétudes avec un doctorat. Mais lessalaires des scientifiques ne sont qu’unaspect du problème. Les ressourcesmanquent elles aussi. Au Cambodge,
et de les aider à rester au pays. Il existed’ailleurs plusieurs programmes quiincitent les scientifiques philippinss’étant fait une renommée à l’étran-ger à revenir dans leur pays partagerleur expérience et former la jeunegénération locale.
DES INITIATIVES POUR ATTIRERLES MEILLEURS CHERCHEURS
Mais comment produire de bonsscientifiques ? En Thaïlande, c’est laquestion que se pose Sakarindr Bhu-miratana, président de l’Agence natio-nale pour le développement de lascience et de la technologie. Les Thaï-landais sont plus doués pour les artset la poésie que pour les sciences et larecherche, explique-t-il. “L’une des rai-sons à cela est que nous n’investissons passuffisamment dans les infrastructuresscientifiques et technologiques. La popu-lation n’en est pas assez consciente et nousdevons travailler là-dessus.” L’absencede gouvernement central fort ces der-nières années [en raison des récentstroubles politiques] n’a guère permisde faire progresser la cause scienti-fique auprès des politiques. MaisSakarindr Bhumiratana est au moinscontent d’une chose : les crédits pourla recherche – environ 0,26 % duPIB – sont restés constants ces dixdernières années.
Singapour, la cité-Etat, se placelargement au-dessus de la mêlée.Doté de peu de richesses naturelleset ne pouvant pas fournir de main-d’œuvre bon marché, ce petit paysa bien compris que sa compétitivitéau plan mondial reposait sur l’inno-vation et la recherche. Résultat : legouvernement a attribué plus de13 milliards de dollars singapouriens[7 milliards d’euros] aux secteursscientifique et technologique pour lapériode 2006-2010, et les dépensesbrutes en recherche et développementreprésentaient 2,6 % du PIB en 2007.Biopolis et Fusionopolis, deux com-plexes intégrés conçus pour favoriserles échanges entre les scientifiques dedifférentes disciplines, illustrent bienla philosophie de ce pays.
A Biopolis, on s’occupe de bio-logie, tandis que les scientifiques deFusionopolis s’intéressent aux sciencesphysiques et de la matière ainsi qu’auxtechnologies de l’information et de lacommunication. Les deux complexescomportent des centres de rechercheet des zones de loisirs – pubs, restau-rants et espaces verts. Cet environne-ment permet aux scientifiques de sedétendre et de se rencontrer, dans l’es-poir de faire naître des idées originaleset transdisciplinaires. Les responsablesde ces complexes espèrent attirer lesmeilleurs scientifiques du monde àSingapour et contribuer ainsi à sondéveloppement. Shiow Chin Tan
L’Asie du Sud-Est en panne de scientifiquesRECHERCHE ■ Dans la région, le secteur des sciences manque toujours de moyens et d’ambition. Seule Singapourparvient à s’en tirer.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 42 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
sciences ●
i n t e l l i g e n c e s
p a s b ê t e s !
Histoire de chimpanzés et de sex-toys
L ’ego humain n’est plus tout à fait lemême depuis le jour où, en 1960, Jane
Goodall a observé, près du lac Tanganyika,un chimpanzé en train de se délecter de ter-mites grâce à une brindille. Après l’avoir soi-gneusement coupée, l’animal l’avait intro-duite dans une galerie de la termitière pouren extraire son repas. Depuis cette date, legenre humain ne peut plus se proclamerl’unique espèce capable de fabriquer et d’uti-liser des outils.Cinquante ans après cette découverte, dansun article publié par la revue Science, le pri-matologue William C. McGrew vient d’asse-ner le coup le plus dévastateur jamais portéà l’amour-propre de notre espèce. Après avoirnoté que, d’après les scientifiques, le nombredes outils utilisés par les chimpanzés se mon-tait à vingt, le scientifique précise qu’ils ont“diverses fonctions dans la vie quotidienne,dont la subsistance, les relations sociales, lesexe et la toilette”. Le sexe ? Les chimpanzésauraient des outils pour le sexe ? Impossible.
S’il y a jamais eu une activité intrinsèque-ment humaine, c’est bien la fabrication desex-toys ! En l’occurrence, poursuit WilliamMcGrew, le sex-toy des chimpanzés est unefeuille. Idéalement une feuille morte, carcela fait davantage de bruit quand l’animal
la déchire avec la main ou la bouche. “Lesmâles doivent attirer et retenir l’attention desfemelles, explique le primatologue. L’une desméthodes auxquelles ils ont recours consisteà déchirer des feuilles, car cela produit un cris-sement. […] Après avoir arraché une ou plu-sieurs feuilles, le mâle s’assied de manièreà ce que la femelle puisse le voir. Il écarte sespattes pour lui faire admirer son érection etdéchire la feuille jusqu’à la nervure centraleen laissant tomber les morceaux un à un. Ildoit parfois déchirer cinq à six feuilles avantque la femelle ne le remarque.” Et alors ?“Normalement elle aperçoit l’érection, en tiredes conclusions et, si elle est intéressée, s’ap-proche de lui, lui présente son dos et les deuxchimpanzés s’accouplent.”On notera cependant que l’“effeuillage” estune pratique locale, observée pour l’instantuniquement dans une colonie de chimpan-zés de Tanzanie.
John Tierney,
International Herald Tribune (extraits), Paris
▶ Dessin de Pudles,Londres.
■ ChiffresLes dépenses
consacrées
à la science
dans les pays
en développement
ont plus que doublé
entre 2002 et 2007,
passant de 105
à 212 milliards
d’euros, selon les
dernières données
de l’Institut
de statistique
de l’UNESCO.
Cependant, ces
chiffres dissimulent
d’importantes
différences entre
pays plus ou moins
avancés, constate
le site spécialisé
SciDev.Net.
Ainsi, cette hausse
des dépenses liées
à la recherche
et développement
est bien plus faible
si l’on ne prend pas
en compte les
statistiques de la
Chine et de l’Inde.
W W W .▶ ◀Toute l’actualité internationale
au jour le jour surcourrierinternational.com
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THE NEW YORK TIMES (extraits)New York
DE ZHONGSHAN (GUANGDONG)
Cherche emploi bien payé, sur unechaîne de montage pas trop rapide,dans une usine climatisée, avec reposle dimanche, Internet sans fil gra-
tuit et machine à laver dans le dortoir.Patron aimable serait un plus.” Ce seraitpar ces termes que pourrait com-mencer le CV de Wang Jinyan, 25 ans,si elle en avait un. Cette ouvrière auchômage n’est pas particulièrementpressée de trouver du travail. Cetaprès-midi, elle se fraie un chemindans la foule de recruteurs rassemblésdans cette mégalopole industrielle.Un fabricant de lingerie propose desrepas subventionnés. Un producteurde radiateurs électriques promet desjournées de sept heures et demie. “Sivous êtes douée, vous pourrez travaillerau contrôle qualité et n’aurez pas à res-ter debout toute la journée”, assure laresponsable d’une usine de chaus-sures. “Ils essaient toujours d’enjoliverla réalité”, commente Wang Jinyan entournant les talons. “De toute façon, jene veux pas fabriquer des chaussures.Je ne supporte pas l’odeur de la colle.”
Ce type de travailleurs, exigeantset sûrs d’eux, pose désormais problèmeaux titans industriels du delta de larivière des Perles, qui faisaient naguèremarcher leurs immenses ateliers grâce
à l’inépuisable et docile main-d’œuvreoriginaire des zones rurales. Depuisquelques mois, alors que ces cham-pions de l’exportation reprennentdu poil de la bête et que nombre detravailleurs migrants ont trouvé unemploi plus proche de chez eux, lesemployeurs ne sont plus en positionde force. Ils doivent se battre pour trou-ver de nouveaux ouvriers – et pourconserver le personnel expérimenté surplace. Dans beaucoup d’usines, 15 à20 % des postes sont vacants.
Cette pénurie de main-d’œuvre adonné de l’assurance aux travailleurset suscité une vague de grèves àZhongshan, paralysant en juin lesactivités du constructeur automobilejaponais Honda. L’agitation socialea ensuite gagné Tianjin [à 100 km ausud-est de Pékin] où la production deToyota a brièvement été bloquée.Même s’il a été étouffé à coups d’aug-
de jeunes sont ambitieux, optimisteset bien informés de leurs droits, ana-lyse Lin Yanling, une spécialiste du tra-vail à l’Institut des relations industriellesde Chine. Il faut également compteravec leur parfaite maîtrise de la tech-nologie – téléphone mobile, courriel etmessagerie instantanée –, qui leurpermet de maintenir le contact avecleurs collègues dans d’autres usines.“Quand ils sont injustement traités, ilsont moins peur de contester l’autorité”,constate la chercheuse.
Avec ses ongles de pied recouvertsd’un verni fuchsia et ses cheveux teintscouleur caramel, Liang Yali, 22 ans, necolle pas exactement au cliché de lafourmi laborieuse “made in China”.Fille de cultivateurs de riz sur l’île-pro-vince de Hainan [sud du pays], elle tra-vaille dans un atelier de serrures, oùelle met en boîte les produits finis. Elleloue un appartement avec deux amies,mange la plupart du temps au restau-rant et passe ses samedis soir à faire latournée des bars et des karaokés. Avantde se coucher, elle joue parfois sur sonordinateur. Liang Yali exprime unesympathie mesurée pour les grévistes,dont elle a entendu parler, mais n’a pasl’intention de suivre leur exemple.“Mon patron est gentil et le travail n’estpas épuisant, alors je n’ai pas de raisonsde me plaindre.”
Son amie et collègue Li Jingling,27 ans, approuve de la tête, ajoutantque leur entreprise parraine des acti-vités sportives et autorise les tenues deville le samedi. Lorsque la conversa-tion s’oriente vers ses parents, la jeunefemme se dit désolée pour eux. “Ils par-tent aux champs dès l’aube et ne rentrentqu’au coucher du soleil, raconte-t-elle.Quelles que soient les difficultés qu’ils ontrencontrées dans leur mariage, ils restentensemble. Nous, qu’il s’agisse du mariageou du boulot, si c’est nul, on s’en va.”
Andrew Jacobs avec Xiyun Yang
Les ouvriers chinois font désormais la loiTRAVAIL ■ Plus éduquésque leurs parents, les jeunes travailleurs se montrent aussi plus exigeants. Et vu lapénurie de main-d’œuvre,le rapport de force esten leur faveur.
économie ●
i n t e l l i g e n c e s
CONCURRENCE Le Vietnam mise sur les bas salaires
Al’entrée du parc industriel Thanh Long I,près de Hanoi, des dizaines de Vietnamiens
consultent de grands panneaux où se che-vauchent les annonces d’emploi. Contre unsalaire mensuel de 1,2 million de dongs(50 euros), ils travailleront dans les immenseshangars blancs – les usines Panasonic, Mitsu -bishi ou Canon – alignés derrière eux.Le salaire d’un ouvrier vietnamien d’une entre-prise étrangère équivaut en moyenne aux deuxtiers de celui de son homologue chinois. Aumoment où le coût du travail augmente enChine, à la suite d’importantes grèves, le Viet-nam y voit un atout pour attirer les investis-seurs. “Pour les multinationales, il représenteplus que jamais une alternative à la Chine”,assure Shinji Onishi, directeur de Thanh Long I,où travaillent 50 000 salariés.Depuis mai et le début de la vague de contes-tations sociales chinoises, le groupe japonaisSumitomo, qui gère Thanh Long I, a accueilliquatre nouvelles firmes. Trois autres suivronten juillet. A la fin de l’année, l’allemand Bosch
investira 55 millions de dollars dans une usinede composants automobiles. Et en 2011, Nip-pon Steel, le deuxième producteur mondiald’acier, s’implantera aussi dans le Sud.Beaucoup misent sur une stratégie “Chine+ 1”. Soit une présence en Chine et une autreailleurs en Asie. “Les groupes s’offrent ainsi lapossibilité de transférer une partie de la pro-duction de leurs usines chinoises vers leurs ins-tallations vietnamiennes en fonction de l’évo-lution des salaires”, décrypte Mathieu Do TienDung, responsable Vietnam du constructeurde circuits intégrés STMicroelectronics.Combien de temps la main-d’œuvre vietna-mienne restera-elle compétitive ? Le pays,comme la Chine, connaît des grèves à répéti-tion. “Nos dirigeants les redoutent en perma-nence, rapporte Shinji Onishi. D’autant quele dialogue social n’est pas organisé. Lesouvriers n’adhèrent pas aux syndicats.” Lerégime interdit les organisations indépen-dantes du Parti communiste.
Hervé Lisandre, Le Soir (extraits), Bruxelles
mentations de salaire, le mouvementa mis à jour une sombre réalité :comme l’avaient prédit les démo-graphes, le nombre de travailleurs âgésde 16 à 24 ans a atteint son maximum.D’ici à douze ans, il aura diminué d’untiers, du fait de la politique rigoureusede contrôle des naissances.
AMBITIEUX, OPTIMISTES ET INFORMÉS DE LEURS DROITS
L’autre fait nouveau, plus difficile àquantifier, est que les jeunes sont demoins en moins disposés à trimer, telsde consciencieux automates, pour untrès bas salaire. Zhang Jinfang, un jeunehomme volubile de 28 ans, a travaillédans une dizaine d’usines depuis qu’ilest arrivé à Zhongshan, après le lycée.“Parfois, je démissionne au bout dequelques semaines parce que le boulot esttrop dur ou trop ennuyeux, confie-t-il.L’argent c’est important, mais c’est toutaussi important d’avoir une vie moinsstressante.” Zhang Jinfang, qui gagnel’équivalent de 205 euros par mois enassemblant des boîtes en carton, nemet pratiquement rien de côté, ce quireprésente un autre changement signi-ficatif par rapport à la génération pré-cédente, qui s’efforçait d’épargner. Auxyeux d’un Occidental, le jeune ouvriertravaille dur – six jours par semaine,parfois plus. Il consacre un cinquièmede son salaire au loyer de son appar-tement, ayant depuis longtemps fui leslits superposés et le couvre-feu des dor-toirs d’entreprise. Son rêve, c’est dediriger un jour sa propre usine. “Maisen attendant, ajoute-t-il, j’adorerais tra-vailler dans un bureau climatisé.”
Le changement de mentalité destravailleurs migrants est la consé-quence, entre autres, d’une stupéfianteélévation du niveau d’instruction :entre 2004 et 2008, le nombre dediplômés du secondaire a augmentéde 3 millions. Résultat, de plus en plus
▲ Dessin de Kopelnitsky,Etats-Unis.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 43 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 45 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
Cinq heures avec le Prince de Paisley Park
20Ten Très attendu par ses fans, le nouvel album de Prince a étédiversement accueilli par la critique, qui ne semble guère apprécier le faitqu’il ait choisi de diffuser son opusauprès du public avant de le soumettre à l’oreille chatouilleuse des gens
de l’art. “Vous pouvez seulement l’écouter en achetant le Daily Mirror. Vous pouvez vous en passer”, résume le New Musical Express. L’hebdomadairebritannique n’est pas tendre avec le Kid de Minneapolis, estimant que l’artiste n’est que l’ombre de lui-même. Néanmoins, le magazine conclut que 20Ten contient quelques bons morceaux, comme Walk in Sand ou Sticky Like Glue,même si “Prince a oublié d’en écrire la fin”.Sortie juillet 2010 Label NPG Records
document●
LE NOUVEL ALBUM DE PRINCE
HET NIEUWSBLADBruxelles
Il faut que tu sautes dans le premier avion. Il est prêtà accorder l’interview demain.” Prince a peut-être
disparu des lumières des projecteurs ces dernières
années, mais rien n’a changé. Le légendaire musi-
cien pop est toujours aussi imprévisible. Cela fait des
semaines que nous essayons d’organiser cette ren-
contre et, juste au moment où je suis convaincu que
cela n’arrivera jamais, je reçois ce courriel de son
manager. “Désolé, mais voilà comment il veut que ça sepasse. C’est à prendre ou à laisser. Bonne chance !”
Quand, trente-deux heures plus tard, à l’aéroport
de Minneapolis, dans l’Etat du Minnesota, j’allume
mon téléphone portable, je vois s’afficher de nouvelles
instructions. “On va venir te chercher cet après-midi àton hôtel. Il faut que tu saches qu’il est strictement inter-dit de prendre des photos ou d’enregistrer l’entretien et quetu devras remettre ton téléphone portable.” Zut ! Les règles
étaient les mêmes autrefois et, manifestement, rien
n’a changé. Les rares personnes qui parviennent à
pénétrer dans le sanctuaire de Prince n’en repartent
pas avec un trophée. Pas de photo pour le prouver,
pas de voix enregistrée.
A l’intention de ceux qui auraient pu l’oublier,
il n’y a pas plus mystérieux que Prince : ce singu-
lier personnage n’accorde que très rarement des entre-
tiens. Au faîte de sa gloire, à l’époque de classiques
de la pop comme Purple Rain (1984) et Sign’o’the
Un journaliste flamand a eu la chanced’être invité à Minneapolis pour rencontrer l’artiste qui vaenflammer notre été. Une entrevue étrange avec un musicien à la parole rare.
Mik
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uiz/
Kik
it
Times (1987), cela a donné lieu à des rumeurs et
à des histoires à dormir debout, qui se sont mises à
mener une vie autonome. Il est devenu impossible
de démêler le vrai du faux. Prince, l’homme qui ne
dormait jamais et travaillait sans relâche. Prince,
l’homme qui séduisait une femme après l’autre.
Prince, l’homme qui mettait ses musiciens à la porte
sans ménagement. Prince, l’homme qui gardait caché
dans son studio de Paisley Park un véritable trésor
d’enregistrements, dont des sessions avec le légen-
daire musicien de jazz Miles Davis. Et voilà que je
suis autorisé à rendre visite à ce Prince.
Ma première surprise, c’est que cela va arriver plus
vite que je ne le croyais. Shelby, la femme qui me récu-
père à l’hôtel, est une de ses choristes. Elle me conduit
jusqu’à une entrée latérale de ce grand complexe blanc
impersonnel qu’est le quartier général de Prince – un
bâtiment grand comme un studio de cinéma, au
bord d’une grande route. Une fois à l’intérieur, Shelby
disparaît derrière une porte. Je l’entends alors dire :
“Je le fais entrer ?” Et, avant même d’avoir eu le temps
de m’en rendre compte, je suis devant lui. Attendez.
N’aurais-je pas dû au préalable rencontrer dix ma -
nagers et vingt responsables des relations publiques ?
C’est bien ce qui se passe d’habitude avec des stars
de la pop d’un tel calibre ? Non, un Prince souriant
me tend la main avec décontraction. “Comment çava ?” J’essaie de reprendre mon souffle et de me con -
centrer. Oui, il est effectivement petit. Il porte de
curieux vêtements : des chaussures blanches, un ample
pantalon blanc, un gilet blanc sans manches sur une
chemise verte aux manches larges. Comme il a l’air
jeune – et presque espiègle ! “Ce que je te propose, c’estde commencer par écouter mes nouveaux morceaux”,dit-il d’une voix qui passe d’un instant à l’autre du grave
à l’aigu. Il m’indique un tabouret dans le coin de l’im-
pressionnante salle de contrôle de son studio d’enre-
gistrement et me met un casque sur les oreilles. “C’estcomme ça que je préfère écouter, dit-il. Avec la musique àla fois dans les haut-parleurs et dans le casque.” Il remarque
mon calepin. “A ta place, je ne prendrais pas de notes.Ce ne serait pas naturel. Ecoute et profite.” Il appuie sur
“lecture” et disparaît. Je me retrouve là. Seul. Au cœur
de l’univers de Prince. L’endroit où tout se passe. Ici
et là brûle une bougie. Sur la table de mixage, je vois
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 46 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
PRINCE : 5 ÉPOQUES, 5 ATTITUDES
MUSIQUE Des artistes de plus en plus proches de leur public
Pendant plusieurs décennies, les maisonsde disques ont fait la loi, imposant aux
artistes des conditions parfois draconiennes.Tant que le disque et la radio, voire la télé-vision, constituaient les principaux canaux dedistribution pour les musiciens, ces derniersne pouvaient qu’accepter le diktat des grandslabels. L’arrivée de la cassette audio, dont ladiffusion s’est accélérée au cours des an -nées 1970, a constitué pour certains artistesune première tentative de s’en affranchir, maisde façon extrêmement limitée compte tenudes difficultés à faire circuler l’information età assurer la fabrication et la distribution descassettes elles-mêmes.La contestation née avec le mouvement punk,à la fin de la décennie 1970, s’est accom-pagnée de la multiplication de petits labelsindépendants qui permettaient aux musiciensd’être plus libres dans leur créativité, maisces derniers se heurtaient encore à l’obs-tacle de la grande diffusion, dominée par lesmultinationales du disque. Même s’il exis-tait des magasins spécialisés dans la plu-part des grandes villes du monde, la majeurepartie des artistes ne pouvait espérer vivrede leur production musicale diffusée de cette
manière. Beaucoup d’entre eux ont dû ren-trer dans le rang et se plier aux règles desCBS, EMI et autres mastodontes.L’avènement d’Internet et la mise au pointde nouveaux formats numériques, permet-tant notamment une diffusion rapide sur laToile, ont bouleversé la donne à compter dela seconde moitié des années 1990. Acette époque, certainsgroupes de rap, mou-vement musical toutaussi contestatairequ’avait pu l’être lepunk à son apogée,veulent se faire en -tendre et refusentd’être sous la coupedes grands labels.Parmi eux figure PublicEnemy, qui va jouer les pionniers. Originairede Long Island, dans l’Etat de New York, cegroupe, qui s’est formé en 1982, s’est faitconnaître par ses prises de position politiquesradicales en faveur de la communauté afro-américaine. Mais pas seulement : fin 1998,alors que le monde découvre le MP3, Chuck Det les autres membres du groupe ont décidé
de diffuser certains de leurs titres surInternet, au grand dam de leur maison dedisques, Def Jam. L’important était de “per-mettre aux artistes de gagner plus d’argenten éliminant les intermédiaires. La techno logieréduit les inégalités dans le secteur”, estimaitalors Chuck D dans un entretien au New YorkTimes. Le rappeur entendait protester “contre
la bureaucratie de l’in-dustrie du disque, quiampute les bénéficesdes artistes”.La multiplication dessites de réseaux so -ciaux comme MySpaceest une étape impor-tante pour les musi-ciens, qui peuventainsi fédérer autour
de leur musique une communauté de fans.Le succès du groupe britannique ArcticMonkeys en a été la première illustration. Ils’agissait moins pour eux de distribuerautrement leur production que de se faireconnaître au-delà des limites locales et natio-nales. Dans le même temps, le lancementpar Apple de son iTunes Store, en avril 2003,
révolutionne la distribution numérique de lamusique. Début 2010, la barre des 10 mil-liards de titres vendus sur cette plate-formea été dépassée. Mais, malgré son impactpositif sur le piratage, iTunes Store n’est pasla solution miracle pour les artistes, qui doi-vent abandonner une grosse commissionà la société californienne. La commerciali-sation de leur musique via ce support estconsidérée comme un complément certesnon négligeable, mais pas satisfaisant. Voilàpourquoi certains musiciens explorentd’autres voies pour distribuer leurs œuvres.Radiohead a ainsi choisi à l’automne 2007de proposer son album In Rainbows direc-tement sur Internet, laissant les internautesfixer le prix. Cette démarche a été couron-née de succès : il s’en est vendu plus de1 million en trois jours. Prince, pour sa part,s’est tourné vers la presse, en montant dès2007 un partenariat avec le quotidien bri-tannique Daily Mail, qui a distribué sonalbum Planet Earth. Estimant que “le Netest dépassé”, il réitère l’expérience en 2010avec plusieurs publications européennes,dont Courrier international, et multiplie lesconcerts pour appuyer cette démarche.
■ 1980 Prince vient de sortir Dirty Mind,
un album produit dans son propre
studio. Pendant sa tournée, le
musicien a des airs de Jimi Hendrix
et enflamme les foules
avec son titre Head, entre autres.
■ 1985Avec son groupe The Revolution, Prince
fait des étincelles. C’est l’époque
de Purple Rain, sorti en 1984,
dont il va vendre plus de 13 millions
d’exemplaires rien qu’aux Etats-Unis.
■ 2000 Nouveau tournant dans la carrière du
musicien. Après s’être fait appeler Love
Symbol, Prince redevient Prince. C’est
aussi l’époque où il choisit de distribuer
sa musique via Internet sur le site
payant NPGOnlineLtd.com.
■ 2007Le musicien prépare un nouveau coup.
Tout en assurant une série de vingt
et un concerts consécutifs à l’O2 Arena,
à Londres, Prince fait distribuer
son album Planet Earth via l’édition
dominicale du Daily Mail.
■ 2009Toujours prêt à surprendre, le musicien
organise deux concerts surprises,
le 11 octobre, au Grand Palais à Paris.
Les 11 000 billets disponibles sont
vendus en soixante-dix-sept minutes.
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documentCinq heures avec le Prince de Paisley Park
▲ Dessin de Reumann paru dans Le Temps, Genève.
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 47 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
le symbole qu’il utilisait durant les années où il ne
voulait plus s’appeler Prince, quand il était en conflit
avec sa maison de disques. Un peu plus loin est posé
un gros dictionnaire. Même les génies ont besoin d’aide.
Dans mes oreilles retentit une musique. Et quelle
musique ! Je redoutais d’entendre un CD plein d’imi-
tations médiocres, comme il en a tant fait ces der-
nières années. Mais là, c’est de la bonne musique. Très
bonne. J’entends des morceaux et des sons qui me
ramènent à l’époque où le monde entier était sous
le charme de ce musicien si inventif. Je commence
à sourire et je me mets à danser sans m’en rendre
compte. Je me ressaisis aussitôt en pensant qu’il y a
sûrement une caméra ici qui lui permet de me sur-
veiller depuis une autre pièce. Shelby réapparaît brus-
quement. “Viens”, me dit-elle. Elle me précède dans
des couloirs aux murs couverts de disques d’or qui
débouchent sur une sorte de salon.
C’est l’heure de la deuxième surprise. Prince est
assis devant un grand piano à queue d’un style à la
fois futuriste et Art déco. Shelby me fait asseoir sur
une chaise et va rejoindre à côté du piano deux autres
femmes, vêtues de noir de pied en cap. Non, ce n’est
pas vrai ! Eh bien, si. Prince commence à jouer et
ils enchaînent avec désinvolture Diamonds and Pearls.Je suis stupéfait. Puis Nothing Compares 2 U. Je me
pince le bras. “Qu’est-ce que tu aimerais entendre ?” me
demande-t-il soudain. Le trou noir. J’arrive malgré
tout à formuler une idée : Sometimes it Snows in April.J’ai de la chance. Ils n’ont encore jamais répété ce titre
calme de Parade, l’album paru en 1986 avec le tube
Kiss. Autrement dit, les dames se taisent, et j’ai Prince
pour moi tout seul, qui tâtonne, improvise sur des
accords de jazz. Naturellement, il s’en sort. “Merci”,arrivé-je à bredouiller quand il a terminé. “De rien”,répond-il en souriant. Je remarque soudain la dou-
ceur de ses yeux bruns timides et l’embarras que tra-
hit sa petite moue.
“Allez, si nous sortions parler un peu ?” Il tient la porte
pour me laisser passer et glisse sur la terrasse deux fau-
teuils en métal autour d’une table ronde. Une fois
de plus, je me dis : où sont les managers et les res-
ponsables des relations publiques ? Où est l’éternelle
personne avec un chronomètre à la main qui vient me
dire qu’à partir de maintenant j’ai droit à quinze
minutes ? Comment se fait-il qu’il n’y ait personne
dans ce grand bâtiment ? Pas même une secrétaire ou
un gardien ? Mais je me rends compte en même temps
que c’est mon interview. Maintenant. Ici. Que voulais-
je lui demander déjà ? Par laquelle de mes trois cent
cinquante questions faut-il que je commence ?
“Je suis désolé de t’obliger à écrire, s’excuse-t-il.
Je n’ai rien contre le fait de parler avec toi, mais je n’aimetout simplement pas les citations.” Je commence à pen-
ser, tout en étant totalement stressé, que ce Prince
est un chic type. “Attends, dit-il, je vais te chercher unebouteille d’eau.” Pourquoi a-t-il soudain décidé de
faire une brève tournée en Europe ? “Simplementparce qu’on m’a fait une proposition que je pouvais dif-ficilement refuser”, répond-il en souriant. Finalement,
il ne résiste pas aux sirènes de l’argent. Comme je
ne sais pas combien de temps il va me consacrer,
“La musique, c’est ma vie, mon métier. Je ne cesse
de m’améliorer.”
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je pose vite l’inévi table question sur Michael
Jackson. Est-ce curieux que Michael ne soit plus là,
la star à laquelle on l’a si souvent opposé ? Michael,
l’ange ; Prince, le petit démon. Car, autrefois, ils ont
été, avec Madonna, les plus grands – Michael
Jackson, la star avec laquelle il allait un jour enre-
gistrer un disque, par l’entremise de Carlos Santana.
Sa réponse, accompagnée d’un sourire, est ultra-
courte : “Question suivante.”Je le complimente sur ses nouveaux morceaux.
“Ah, ces vieux trucs !” me dit-il avec un rictus. “J’aidéjà trois albums d’avance. Tu sais ce qui me met encolère ? Ce sont les gens qui disent : ‘Prince ? Ah oui, je
me souviens de lui quand il était au sommet de sa
carrière.’ C’est absurde. La musique est ma vie. C’estmon métier. Je continue à travailler et à m’améliorer.”“Je suis devenu un bien meilleur guitariste. Quandj’écoute mes vieux disques à présent, j’ai honte de la façondont je jouais à l’époque, explique-t-il. Je me souviensencore que mon père, qui était lui-même musicien, m’afait connaître Duke Ellington. Il était déjà bien avancédans sa carrière. Je n’ai peut-être pas vu le légendaireDuke des débuts, mais j’ai connu le Duke Ellington expé-rimenté. J’ai alors saisi toute la palette de ce grand artiste.Mon père a fait mon éducation sur le plan musical. Ilm’a montré ce qui importait pour quelqu’un commeEllington. Il m’a montré qu’en définitive l’essentiel, c’estla musique.” “Approche, et tu découvriras chez moi aussiune palette tout aussi vaste, ajoute-t-il. Je fais constam-ment de la musique. Ma tête en est pleine. Et il faut queça sorte. C’est comme ranger une chambre. Tu connais cesentiment ? On ne respire à nouveau que lorsque tout esten ordre. La musique fait partie de mon ADN. Et ce qu’ily a de curieux, c’est que, lorsque je ne parviens pas à sor-
ment Prince. “Il n’y a pas d’époque. Les tubes, celadépend de la machinerie autour de la musique. Quand onpasse un morceau assez souvent à la radio, il devient unhit. Quelqu’un comme Sting peut à tout moment danssa carrière produire un hit si son morceau passe assez sou-vent. Moi, je n’aime pas le mot ‘hit’. Ce n’est pas pourrien qu’il a été inventé par des gangsters.” (Rire.)
Bon, alors parlons de la musique d’aujourd’hui.
Il a dit un jour qu’il voulait bousculer le monde si
terne de la musique en y apportant un peu de sus-
pense et de danger. Que pense-t-il quand il voit les
Lady Gaga d’aujourd’hui ? Est-ce que nous ne
sommes pas revenus en arrière – à un monde de la
musique sans grande effervescence ? “Eh bien…,il y avait effectivement de l’excitation et du danger dansles années 1980. Puis, c’est devenu vraiment dangereux,avec un excès de drogue et de violence dans le monde durap.” Et maintenant ? “Eh bien, tout tourne autour dela music of nature. J’essaie de ne faire qu’un avec cettemusique. C’est, tout compte fait, le monde de Jéhovah.Il faut aller là où Dieu se trouve. C’est tellement puissant.Il y a une paix incroyable dans ma vie, et c’est ce que j’es-saie de transmettre aux gens.” Nous y sommes. Malgré
tout. Voilà ce qui a dominé sa vie ces dernières
années : la foi. A travers le musicien Larry Graham,
il est devenu témoin de Jéhovah. J’essaie de l’ama-
douer. Qu’est-ce que cela lui a appris ? “Je ne veuxpas trop en parler”, dit-il comme par timidité. “Si tuveux, je peux te donner des livres, tu pourras chercher partoi-même. Je pourrais décrire la rue où j’habite, mais,même si je le fais avec précision, tu ne me comprendrasque si tu te retrouves toi-même dedans. Tu comprends ?”
J’essaie d’une autre manière. Que pense-t-il
quand il voit, par exemple, sa photo nu sur la pochette
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 48 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
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Soudain, venus de nulle part, une Japonaise et
un chauffeur de taxi.
tir de ma tête une chose que j’ai inventée, je n’arrive pasà fonctionner. Quand on fait trop de tournées en tantqu’artiste, on consume son énergie. J’ai le même problèmequand je ne joue pas ou quand je n’enregistre pas. Je suisalors pris d’une curieuse fatigue. La musique produitbeaucoup d’effet sur les gens. Et je ne parle même pas dusimple fait que de l’électricité vous traverse le corps. Unevie entière à jouer de la guitare électrique, cela te faitquelque chose. Je suis convaincu que, si j’ai encore autantde cheveux, c’est grâce à cette électricité.” Surpris, je lève
les yeux vers lui. Pas la moindre trace de sourire.
Il est sérieux.
Je veux tout de même en savoir plus sur cette
grande énigme à laquelle il vient lui-même de faire
allusion concernant sa carrière. Comment un musi-
cien talentueux comme Prince peut-il être aussi inno-
vant pendant des années, puis totalement s’égarer ?
Je cite des propos de Sting. “Il y a eu un moment oùj’ai eu le sentiment que mes doigts étaient en phase avecleur époque. Les tubes s’enchaînaient. Tout était parfait.Puis les choses ont changé, je n’étais plus en phase, et toutest devenu bien plus compliqué.” “C’est simplement unequestion d’univers que l’on se crée”, me rétorque vague-
documentCinq heures avec le Prince de Paisley Park
de Lovesexy (1988) ou lorsqu’il lit les paroles obs-
cènes qu’il a lui-même écrites pour certaines de ses
chansons d’alors ? Il sourit. “Je vis dans le présent etdans l’instant. Tu devrais le faire, toi aussi. Tu as l’air d’unchic type.” Soudain apparaissent dans le jardin, comme
sortant de nulle part, deux personnes qui viennent
nous rejoindre à notre table : une Japonaise d’un cer-
tain âge et un homme portant un badge autour du
cou. “Monsieur”, dit-il à Prince d’un air paniqué.
“Pouvez-vous nous aider, s’il vous plaît ? Cette dame estvenue du Japon pour voir un monsieur qui travaille ici.Est-ce que vous auriez son numéro ? Pouvez-vous l’ap-peler s’il vous plaît ?”
Prince me fait un clin d’œil malicieux et chu-
chote : “Cela peut devenir amusant.” L’homme s’avère
être un chauffeur de taxi qui a conduit la Japonaise
directement de l’aéroport à Paisley Park. “Et com-ment s’appelle l’homme qu’elle cherche ?” demande
Prince. “Prince”, lui répond le chauffeur de taxi.
“Prince ? — C’est cela ! Vous le connaissez ? Pouvez-vous l’appeler, s’il vous plaît ?” La Japonaise observe
le tout d’un air confus. Elle parvient tout de même
à dire : “Je suis venue spécialement du Japon pourvous voir.” En l’espace d’une seconde, Prince règle
la situation. Il appelle les chanteuses du chœur, leur
demande de trouver un hôtel et un repas pour la
Japonaise. Nouveau clin d’œil. “On n’a pas le tempsde s’ennuyer, ici à Paisley Park.” Et je me demande,
une fois de plus, où sont les managers et les res-
ponsables des relations publiques – et, en l’occur-
rence, où est la sécurité.
de me verser une avance. Après, ils sont mécontents de nepas avoir ma musique. Tu te souviens encore de l’époque oùMTV était populaire ? Puis, à un moment donné, MTVest passé de mode. C’est la même chose avec Internet. C’estdépassé. En plus, tous ces ordinateurs et ces trucs numé-riques n’ont rien de bon. Cela ne fait que remplir la têtede chiffres. Et ce ne peut pas être bon pour les gens. Il y aquelque temps, j’avais un technicien au studio qui étaitobnubilé par les chiffres. Il n’a pas travaillé longtemps ici.Je ne peux pas parler à des mecs comme ça.”
D’accord, il se passe d’Internet. A présent, il dis-
tribue son nouveau CD par l’intermédiaire de la
presse. Mais à quoi ressemble le reste de son modèle
économique et quelle est sa vision de l’avenir ? Il me
regarde droit dans les yeux, éclate de rire avant de
me dire : “Je peux te le dire, mais après je serai obligé dete liquider.” Puis il me tape sur l’épaule et part en cou-
rant dans le couloir. Je le regarde s’éloigner et je pense
à toutes les rumeurs qui ont couru sur lui ces der-
nières années à propos de ses deux hanches qu’il fal-
lait prétendument remplacer. Mais Prince ne voulait
pas être opéré car, en tant que témoin de Jéhovah,
il ne pouvait être transfusé. Je ne sais pas ce qui s’est
produit, mais, en tout cas, cela a marché. Car cet
homme ne fait pas ses 52 ans ; c’est un jeune homme
espiègle d’environ 18 ans, même s’il marche sur des
semelles plates, et non sur ces éternels hauts talons.
Je m’aperçois que j’ai la tête pleine. Trop d’im-
pressions, trop de pensées. Je sors de la petite cui-
sine et je vois un immense symbole de Prince sur le
sol carrelé noir et blanc. Je lève les yeux et j’aperçois
LIVRE Le Prince a dit…
C ’est dès l’âge de 6 ans que Prince Rogers Nelson futfasciné par la musique, en voyant le trio de jazz de son père
sur scène. La musique devint une obsession pour Prince. Elleserait le moyen d’expression privilégié de ses sentiments.” C’estpar ces mots que Jason Draper introduit le musicien dans sonlivre sobrement intitulé Prince, qui sortira en octobre prochainaux éditions Place des Victoires. Dèsla couverture en velours pourpre, oncomprend que l’on a affaire à unou vrage pas tout à fait comme lesautres, qui réserve bien des surprisesau fil des pages. Très richement illus-tré, avec près de 200 photos, le livrerend compte en détail de la carrière àla fois tonitruante, longue et sulfureusedu Kid de Minneapolis, avec ses moments phares – PurpleRain ou Sign’o’the Times – et ses périodes d’éclipse. “Dix ansaprès l’entrée dans le nouveau millénaire, les choix de l’ar-tiste se sont révélés décisifs, non seulement pour son projetartistique mais aussi pour les générations de musiciens à venir”,rappelle Jason Draper, qui tente tout au long de son livre derendre saisissable un personnage qui dit de lui-même : “Je suisquelque chose que vous ne comprendrez jamais.” A la lecturede Prince, le lecteur a l’impression de faire partie de l’uni-vers mystérieux de cet artiste hors du commun.
Jason Draper, Prince, traduit de l’anglais par Sophie Aslanidès, éditionsPlace des Victoires, 39 euros.
LES MEILLEURS ALBUMS DE PRINCEFor You Prince vient d’avoir 20 ans. Il sort ce premier album, dont il a écrit etproduit tous les morceaux. Cette premièreœuvre est d’autant plus impressionnanteque l’artiste joue de tous les instruments.Sortie avril 1978Label Warner Bros. Records
Around the World in a Day Septièmealbum studio de Prince, il est réaliséavec le groupe The Revolution. Parmi les titres encensés par la critique figurent Raspberry Beret et Paisley Park.Sortie avril 1985Label Warner Bros. Records
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 49 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
LES MEILLEURS ALBUMS DE PRINCE
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“Internet, c’estdépassé. Tous cestrucs numériques
n’ont rien de bon.”
La situation a beau avoir été d’une drôlerie sur-
réaliste, je les maudis tout de même. Parce qu’il
est clair que l’incident a mis un terme à mon inter-
view. Je tente une dernière question, mais en vain.
Prince entre dans le bâtiment, dans une petite cui-
sine où il y a une grande télévision à écran plat.
“Viens. Je voudrais te montrer quelque chose.” Il prend
la télécommande et cherche un passage dans un talk-
show de David Letterman qu’il a enregistré. “Qu’est-ce que tu en penses ?” Une jeune chanteuse noire
incroyablement énergique perce l’écran. J’en reste
bouche bée. Son nom est apparemment Janelle
Monáe. “Regarde, tant qu’il y aura des chanteusescomme elle qui feront surface, je ne me fais pas de souci.Voilà le monde de la musique d’aujourd’hui : tout lemonde peut le créer. Tout seul. Moi, il m’a fallu quinzeans pour obtenir ma liberté et me défaire de la maison dedisques qui me paralysait. En 1995, après quinze ans,The Most Beautiful Girl in the World a été le premiersingle que j’ai réalisé en tant qu’artiste entièrement libre.Pourquoi passer encore en 2010 par de grandes maisonsde disques ? On peut tout faire soi-même. C’est pour celaque je propose ma musique par l’intermédiaire des jour-naux et des magazines. Dieu est quelqu’un de généreux,d’aimant et de charitable. Il faut agir comme Dieu,est-il écrit. Les occasions ne manquent pas.”
Oui, dis-je, mais pourquoi vient-il de fermer son
site Internet ? “Internet, c’est dépassé”, dit-il en opérant
une curieuse volte-face. “Pourquoi est-ce que je donne-rais encore mes nouveaux morceaux à iTunes ? Ils refusent
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De gauche à droite :Claudia Schiffer, Kiran Sharma, le manager de Prince,et le chanteur.
au premier étage une porte avec, à côté, le mot
Knowledge. C’est le bureau où, apparemment, sont ran-
gés tous ses livres sur Jéhovah. Et soudain surgit d’un
recoin un autre Prince : sec et impersonnel. “Si cela nete dérange pas, j’aimerais en rester là. Il faut que je donneune autre interview tout à l’heure.” Il prend congé et je
me retrouve dehors aussi vite que je me suis trouvé
à l’intérieur. Dans ma chambre d’hôtel, je me repasse
le film mentalement. A la moitié, j’ai dû m’endor-
mir, car il est 22 heures quand le téléphone sonne et
que je regarde la pendule. C’est Shelby. “Il faut que tuviennes maintenant au studio. Prince donne une petite fête.Ça va être sympathique.” Ça promet, qu’est-ce qui
m’attend maintenant ? Lorsque je me retrouve un
peu plus tard une fois encore sur le parking de Paisley
Park, j’y vois en tout et pour tout une seule limou-
sine blanche aux jantes étincelantes. Une fête ? Où
sont les invités ? La porte latérale s’ouvre, et une
grande femme ravissante apparaît, habillée comme
pour se rendre à la cérémonie des Oscars. “Encoreun peu de patience”, dit-elle en souriant de toutes ses
dents. Elle monte dans la voiture et disparaît. Une autre
porte s’ouvre. C’est Prince lui-même. “Par ici.”Et, par cette autre entrée, j’arrive soudain dans une
sorte de boîte de nuit. Sur deux gigantesques écrans
vidéo fixés au mur, je vois Prince jouer. “Mon concertau festival de jazz de Montreux l’an dernier.” Un peu plus
tard, les trois choristes font aussi leur apparition, avec
deux grands plateaux : un de légumes crus et l’autre
de fruits. En prenant un morceau de mangue, je vois
posées sur la table les Saintes Ecritures. Puis vient
un homme qui pourrait être aussi bien chauffeur de
taxi que témoin de Jéhovah, et le mannequin noir de
tout à l’heure resurgit aussi. Prince la présente : “C’estBria.” Bien sûr : Bria Valente, la chanteuse dont le CD
Elixer accompagnait l’album de Prince Lotusflow3r,sorti l’an dernier. La dame serait sa petite amie.
Je ne parviens pas à croire ce qui va suivre. Sous
un escalier dans un coin de la salle, Prince se faufile
derrière une nacelle et se met à faire le VJ*. Il choi-
sit des fragments de vieux enregistrements de la
légendaire émission télévisée Soul Train. Quand
Marvin Gaye chante, il éjecte aussitôt la vidéo.
“Playback ! La honte !” Quand Sly Stone apparaît
dans un costume trop ajusté, il plaisante : “C’est moiqui ai inventé ces tenues !” Les dames commencent
à danser. Je me frotte les yeux. Les fêtes que donne
la star mondiale Prince se déroulent-elles ainsi ? Où
sont tous les gens ? Mais Prince est manifestement
dans son élément. “Venez, je voudrais vous faireentendre plusieurs choses.” Et hop, nous voilà partis
à travers les sombres couloirs de l’immense bâtiment
vide. Quelque part dans un coin, je vois la célèbre
moto de la pochette de Purple Rain et les grandes
fleurs du décor de Lovesexy. Encore beaucoup
d’autres disques d’or. Et, avant même d’avoir eu le
temps de m’en apercevoir, je me retrouve dans le
studio où tout a commencé cet après-midi.
Il met la musique et, pendant que nous écoutons
tous, il commence à improviser sur le piano élec-
trique installé dans le studio, un morceau après
l’autre. Il conclut par la chanson qui m’a déjà paru
si étrange plus tôt. Un titre sautillant qui a pour
refrain : “I love everybody and everybody loves me.”C’est surréaliste. Lui au milieu et nous l’entourant
comme ses disciples, avec ces paroles : “J’aime tout
le monde et tout le monde m’aime.” La situation
devient encore plus surréaliste. Il veut continuer à
jouer de la musique et entraîne la compagnie vers le
salon où trône le piano à queue. Mais il n’arrive pas
à allumer la lumière. “Bon, eh bien, allons dans lagrande salle.” Nous arrivons dans une grande salle
de concert, avec une estrade couverte d’instruments.
“J’en ai toujours rêvé, quand j’ai commencé et que jem’échinais dans ma cave”, me confie-t-il en souriant.
Bria va se poster derrière la table de mixage, nous
montons sur l’estrade.
Le petit magicien se glisse derrière le piano à queue,
les chanteuses derrière leurs micros. Plusieurs mor-
ceaux sont joués de façon décontractée. Puis Prince
dit : “Tout le monde prend un instrument.” Je m’empare
de deux baguettes. Il entame Come Together des Beatles.
Je tape comme je peux sur les percussions et me dis :
cela dépasse l’imagination. Une interview avec Prince
était déjà inconcevable. Et maintenant pouvoir dire en
plus que je suis monté sur scène avec lui ? C’est de la
folie. Mais je n’ai pas le temps de planer. Trois mots me
font vite redescendre sur terre. “Tu es viré”, s’écrie
Prince en riant. Puis tout se déroule aussi vite que dans
l’après-midi. Soudain, il en a assez. Courtoisement,
Bria et lui raccompagnent tout le monde. Je veux lui
serrer la main, mais il pose les mains sur mes épaules
et me donne une belle accolade. Je fais une dernière
tentative : “Je ne peux vraiment pas faire de photo ?— C’est mieux de l’avoir dans sa tête”, dit-il en riant.
Et je me retrouve là, dans l’obscurité, sur ce parking
désert, à côté de ce grand bâtiment blanc.
Dans ma chambre d’hôtel, allongé sur le lit, j’ai
la tête qui tourne. J’avais encore tant de questions à
lui poser. Ne se sentait-il pas trop seul ? J’ai eu ma
réponse, non ? Je ne sais pas. Je n’avais encore jamais
vu une superstar d’aussi près : ai-je rencontré l’artiste
ou assisté à une magnifique pièce de théâtre ? Pas
de photos, pas d’enregistrement de sa voix, seulement
une tête pleine de souvenirs… et une bouteille d’eau.
Personne ne voudra me croire. Hans-Maarten Post
* Le disc-jockey (DJ) anime les soirées avec des disques, le vidéo-jockey
(VJ) avec des clips.
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LES MEILLEURS ALBUMS DE PRINCESign’o’the Times Réalisé après sa séparation d’avec le groupe The Revolution, cet album, qui contient16 titres, est considéré par denombreux observateurs comme l’un des meilleurs disques de tous les temps.Sortie mars 1987 Label Warner Bros. Records
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 50 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
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“J’aime tout le monde et tout le mondem’aime.” L’ambiance
est surréaliste.
gardiens aient été informés des raisons de leur
départ. Michel et Harry continuent loyalement à
faire leurs rondes sans tenir compte de la soudaine
absurdité de leur activité. Peu à peu, De bewaker se
transforme en une étude de caractère sur la soli-
tude forcée (ou choisie ?), et les deux hommes
en uniforme prennent conscience qu’ils dépendent
plus que jamais l’un de l’autre. Parallèlement, leur
notion de la réalité commence à basculer, ils sont
en proie à des hallucinations, même s’ils restent
imperturbables, surtout Harry. Passer plus d’un
an et demi privé de la lumière du jour et selon
un rituel stérile dans un parking aux apparences
d’un bunker, cela laisse des traces.
Qui garde qui, au juste, et qui se retrouve
enchaîné dans la réalité ? Telle est la question fon-
damentale posée par ce roman, qui se détache du
réel et prend une tournure extrêmement allégo-
rique. Peter Terrin ne craint pas de créer un cer-
tain mystère et impose à dessein un rythme nar-
ratif d’une lenteur exaspérante : dans De bewaker,chaque petite action est décrite dans les moindres
détails. Le lecteur doit s’imprégner totalement
de l’atmosphère de huis clos : telle semble être la
devise. Le malaise oppressant s’insinue en vous
comme l’odeur d’un cadavre. Quand le troisième
gardien finit par se présenter, Harry le considère
comme un “intrus”. “De mon point de vue, Harryet Michel ont, au fond, une relation amoureuse, quis’accompagne d’une aversion pour les tiers et de lacrainte de se perdre l’un l’autre”, a confié Peter Ter-
rin dans une interview.
De bewaker est du Peter Terrin du meilleur
cru, avec ce défilé de menaces envahissantes et
de comportements compulsifs. En ce sens, il s’agit
surtout d’un approfondissement ingénieux des
thèmes de l’auteur. On n’échappe pas, cependant,
à une certaine prolixité. Avec pas mal de pages
en moins, ce livre aurait produit nettement plus
d’effet. Mais Peter Terrin a indéniablement enri-
chi la littérature flamande d’un roman astucieux
sur la paranoïa contemporaine et en même temps
universelle, qui débouche sur un perfide pas de
deux psycho logique.
Dirk Leyman
* Ed. De Arbeiderspers, Amsterdam, 2009. La traduction
française paraîtra fin 2011 chez Gallimard.
INDE ■ Petite grainemiraculeuse
I l m’arrive d’être invité à des dégustations pourgoûter un menu élaboré par un chef. J’ai ainsisavouré l’autre jour un échantillon de cuisine
indienne particulièrement intéressant. En guised’amuse-bouche, on nous a servi une crèmed’ananas en verrine avec un matthi, sorte decracker indien accompagné de chutney. Nousavons poursuivi avec des escalopes grillées à lamangue, puis un duo de soupes au curry, l’unetraditionnelle, l’autre à base de betterave. Cequi m’a le plus impressionné, c’est le plat derésistance : un saumon en croûte de moutardeet graines de pavot, servi avec une sauce moi-lee [curry, piment et lait de coco].La consommation de graines de pavot ou dekhus khus, pâte de graines de pavot mouluesprésente dans de nombreux plats d’Inde orien-tale, n’est pas déconseillée, bien au contraire.Et je ne dis pas cela seulement parce qu’il s’agitd’une plante opiacée. En effet, qu’elles soientgrillées, moulues ou simplement mélangées avecd’autres ingrédients, les graines de pavot appor-tent une saveur et une texture particulières àn’importe quel plat. Entrant généralement dansla recette de pains ou de gâteaux, les grainesde pavot sont plus souvent utilisées pour leurcroquant que pour leur saveur intense.Elles ajoutent une touche crémeuse aux kormas,marinades à base de yaourt et d’épices commel’ail et le gingembre, et donnent plus de tenueà toutes sortes de koftas, comme les kola urun-dai du Chettinad, des boulettes à la viande demouton du Tamil Nadu.Au Bengale, les graines de pavot constituent par-fois l’ingrédient principal de certains plats,comme les posto bora, beignets de graines depavot moulues [posto] ou encore les aloo posto,pommes de terre mélangées à une pâte épaisse,arrosées d’huile de moutarde et servies avecdes piments verts et du riz blanc. Les grainesde pavot ayant tendance à rancir rapidement,il est recommandé de les acheter fraîches.
Pommes de terre au pavotIngrédients : 500 g de pommes de terre nou-
velles, pelées et coupées en dés de 1 cm,
2 cuil. à soupe de graines de pavot, 2 piments
verts, 1 cuil. à soupe de kalonji (graines
d’oignons), 1 cuil. à soupe d’huile de moutarde
ou de ghee (beurre clarifié), sel.
Préparation : Faire d’abord le posto, une pâte
avec les graines de pavot, en versant progres-
sivement de petites quantités d’eau jusqu’à
obtention d’une texture lisse. Faire chauffer
l’huile dans une poêle à fond épais, ajouter les
kalonji et les piments verts, puis les pommes
de terre. Faire sauter les pommes de terre tout
en couvrant la poêle pour permettre une bonne
cuisson. Saler et ajouter le posto en fin de cuis-
son. Laisser mijoter quelques minutes. Les
pommes de terre doivent être cuites et baigner
dans une sauce crémeuse. Servir chaud avec
du riz. Priya Bala, The Times of India, Bombay
é p i c e s e t s a v e u r s
DE MORGEN (extraits)Bruxelles
Le moins qu’on puisse dire du Gantois Peter
Terrin, c’est que, depuis son premier livre, Decode [Le code], paru en 1998, il travaille à une
œuvre cohérente et singulière dont rien ni per-
sonne ne le détourne. Pas même la parenté sty-
listique avec des écrivains de renom comme Franz
Kafka et [les Néerlandais] Willem Frederik Her-
mans ou Ferdinand Bordewijk qu’on lui impute si
souvent et qu’il se laisse volontiers attribuer.
D’ailleurs, qui n’en ferait pas autant ? Il ne cache
pas non plus sa prédilection pour l’existentialiste
Albert Camus et l’évoque même explicitement
dans son recueil de nouvelles De bijeneters [Les
mangeurs d’abeilles]. Ajoutons à ces influences
l’auteur britannique décédé J.G. Ballard, d’autant
que les histoires souvent allégoriques de Peter Ter-
rin renvoient immanquablement à une société sous
l’emprise d’une menace paralysante et qui se com-
plaît dans une pensée sécuritaire. Ce sont les aber-
rations d’un capitalisme à la dérive.
Quand on a entre les mains le nouveau roman
de Peter Terrin, De bewaker* [Le gardien], et que
l’on prend plaisir à regarder la jolie couverture, on
pourrait croire que l’auteur a changé de cap et qu’il
a opté pour la joie et la bonne humeur. Rien n’est
moins vrai. Dans De bewaker, Peter Terrin conti-
nue sur son élan, et la paranoïa est plus que jamais
présente. L’auteur nous entraîne dans un monde
où l’espoir n’existe qu’à travers une mince fente
de lumière dans l’entrebâillement d’une porte.
Les 185 courts chapitres du livre mettent en
scène deux solides gaillards, Harry et Michel. Ils
ont reçu pour mission de surveiller attentivement
un immeuble de quarante appartements de luxe.
Ils se sont postés à cette fin dans un immense par-
king souterrain d’où ils peuvent observer conti-
nuellement l’entrée de l’immeuble. Ils s’acquittent
scrupuleusement de leur mission, en s’astreignant
à une discipline de fer. Malheureusement, Harry
et Michel sont tenus dans l’ignorance de la suite
de leur mission et se coupent bientôt totalement
du monde extérieur. Ils ne cessent de spéculer sur
ce qui les attend. Comme des prédateurs, le doigt
toujours sur la détente de leurs armes, ils guettent
le moindre danger. En même temps, le duo se com-
plaît dans une docilité béate vis-à-vis de l’“orga-nisation” opaque que constituent ceux qui leur ont
confié cette mission. Ils n’ont quasiment aucun
contact avec les riches habitants des appartements
qu’ils sont censés “défendre”. Existent-ils vraiment ?
Leur existence est-elle une “bulle d’air” et le par-
king ne serait-il pas leur “monde réel” ? Et quand le
troisième gardien annoncé va-t-il venir les rejoindre ?
Un beau jour, tous les riches résidents
semblent avoir déguerpi (sauf un ?) sans que les
Haute surveillanceUN PAS DE DEUX PSYCHOLOGIQUE
Deux vigiles sont missionnés pourassurer la sécurité d’un immeuble de grand standing. Un roman sur la paranoïa contemporaine signé de l’auteur flamand Peter Terrin.
■ BiographiePeter Terrin, 42 ans,
s’est imposé
aux côtés
d’Annelies Verbeke
et de Dimitri
Verhulst comme
l’un des auteurs
les plus talentueux
de la littérature
flamande actuelle.
Il remporte en 1996
un concours
de nouvelles
et publie deux ans
plus tard
son premier recueil,
De code.
Son premier roman,
Kras, paraît trois
ans plus tard.
Son dernier roman,
De bewaker, a été
finaliste en 2009
du prestigieux prix
néerlandais Libris.
Ce sera son premier
livre traduit
en français.
le l ivre ●
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 52 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
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Aéroports : détection à distancesous vos vêtements
Du nouveau au rayon sécurité aérienne : voici un appareilqui repère explosifs, armes ou drogue à distance sous lesvêtements. Pas besoin de portique de détection. Ce scan-ner fonctionne à plus de 12 mètres en révélant les varia-
tions de température émanant de différents matériaux, rapporteJonathan Leake dans le Sunday Times. Contrairement à d’autresdispositifs controversés, il détecte les objets sans dévoiler l’in-timité des passagers. Mais, les voyageurs pouvant être scan-nés à leur insu, il risque de susciter d’autres polémiques quantà l’atteinte à la vie privée.
Des aéroports britanniques envisagent d’utiliser ce dispo-sitif qui a déjà subi des tests sur site en Europe, indique sonfabricant, ThruVision. “On peut équiper l’entrée des aéroports pourscanner les passagers avant même qu’ils ne pénètrent à l’intérieur”,a expliqué la société britannique. Des ports et aéroports auxBermudes ont d’ores et déjà adopté ce système dans l’espoir deréduire l’attente causée par les mesures de sécurité, préjudi-ciable au tourisme.
Embouteillage
Ce n’est pas tous les jours qu’on peut faire la fête sur l’autoroute. Le
dimanche 18 juillet, en Allemagne, trois millions de piétons ont rem-
placé les 150 000 véhicules qui circulent quotidiennement sur l’A40.
Un tronçon de 60 kilomètres entre Dortmund et Duisburg avait été inter-
dit aux voitures dans le cadre de La Ruhr, capitale de la culture euro-
péenne 2010. Au programme des festivités : musique, théâtre, folklore,
sport, et pique-nique géant. Vingt-mille tables avaient été dressées sur
l’asphalte, qui a été rendue à la circulation le lendemain matin.
(Stern, Hambourg)
La reine, la pommeet l’arbalète
La reine Fabiola a été priée d’arrêter ses facé-
ties. Menacée d’être abattue à l’arbalète, la
veuve du roi Baudoin avait répondu en sor-
tant une pomme de son sac à main lors du
défilé du 21 juillet. Plus question de clins
d’œil à Guillaume Tell. Les services de sécu-
rité prennent au sérieux les menaces adres-
sées à la reine. Ils lui ont donc demandé
de “ne pas provoquer comme […] lors de la
fête nationale de l’an dernier ”, écrit La
Libre Belgique. Fabiola aurait refusé de por-
ter sous ses vêtements un mince et discret
gilet pare-balles, note le quotidien belge.
Courageux ou lâche ? Depuis le 13 juin, ChristianHernández, 22 ans, fait beaucoup parler de lui : cetorero a pris la fuite par manque de “couilles” enpleine corrida après quelques passes de muleta.
C’était la deuxième novillada* de la saison à Plaza Mexico,la plus grande scène taurine du Mexique. Le jeune mata-dor n’a pas voulu affronter sa première bête malgré lestrois avertissements du président indiquant qu’il avaitdépassé le temps réglementaire. Lorsque son second novilloest entré dans l’arène sous une pluie battante, il n’a pasvoulu le toréer non plus. Au début de la faena, il a pris sesjambes à son cou et sauté par-dessus la barrière. Quelquesminutes plus tard il pénétrait à nouveau dans l’arène ets’arrachait sa mèche de cheveux postiche, la coleta, signi-fiant ainsi qu’il mettait fin à sa carrière.
Conspué par les spectateurs, le torero a été conduitpar la police devant un juge d’arrondissement. Celui-cia pris sa déposition et l’a remis en liberté, estimant qu’ils’agissait d’une simple rupture de contrat. “Je n’ai pasles compétences qu’il faut, je n’ai pas de couilles, je ne suis pasfait pour ça”, a reconnu le matador.
Hernández, qui a débuté voilà quatre ans, a parti-cipé à plus de 50 novilladas. En 2010, il a disputé quatrecorridas qui lui ont valu trois oreilles. En avril, un taureaului a, d’un coup de corne, ouvert le mollet sur 18 centi-mètres, une blessure dont il commençait à se remettre.Déjà blessé au même endroit, il avait eu deux fractures.Hernández était considéré comme un novillero courageux,de grande classe, et pourtant [le 13 juin] il s’est enfui épou-vanté. Sur Internet, la nouvelle a déclenché une polémique
entre adeptes de la tauromachie et défenseurs des animaux.Hernández a été félicité par la directrice de l’antenne mexi-caine d’AnimaNaturalis Internacional [ONG latino-amé-ricaine]. María Teresa Menéndez a salué la décision du novil-lero de renoncer “à ce métier de mort”. “Pour la plupart desmédias et des aficionados, ce qu’il a fait est un acte de lâcheté, onl’a accusé de salir la réputation de bravoure des toreros”, écrit-elle dans une lettre où elle qualifie de “lamentables” les huéesdes spectateurs “déçus de ne pas voir satisfaite leur soif de sanget de mort”.
Christian Hernández, qui reconnaît qu’il a été prisd’une “panique incontrôlable”, compte poursuivre ses étudesd’architecture. Milenio (extraits), Mexico
* Corrida opposant des toreros débutants, les novilleros, à de jeunes tau-
reaux, les novillos.
Tout feu tout flamme
La féministe suédoise Gudrun Schyman a brûlé 100 000 cou-ronnes – 10 500 euros – pour dénoncer les écarts de salaireentre hommes et femmes. La dirigeante du parti FeministiskInitiav (Initiative féministe) a jeté mille billets de 100 cou-
ronnes au feu sur un barbecue devant un parterre de journa-listes et de curieux réunis sur l’île de Gotland. “C’est l’un des plusgrands scandales de notre démocratie : ni le Parlement, ni le gouver-nement, ni les partenaires sociaux ne se battent vraiment pour l’éga-lité salariale, qui est un droit humain”, a clamé Mme Schyman, citée
par le site suédois anglophone TheLocal. A emploi égal, une femmetouche 4 700 couronnes de moinsqu’un homme, soit, extrapolé à lapopulation féminine suédoise, 70 mil-liards de couronnes par an, ou envi-ron 100 000 couronnes par minute,affirme FI sur son site. “Je comprendsque beaucoup soient choqués par une telleinitiative, reconnaît la féministe. Maisnous ne sommes pas une organisation cari-tative, nous sommes un parti politique.”Détruire des billets n’est pas illégal, aconfirmé la Banque de Suède.
Corrida : en avoir ou pas
COURRIER INTERNATIONAL N° 1029 54 DU 22 AU 28 JUILLET 2010
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GAGNEZ LES DERNIÈRES PLACES POUR LE
VENDREDI
PRINCE
DIMANCHE 25 JUILLET 2010 / 20H30 / ESPACE NIKAIA / NICE
23 JUILLET
CONCERT DE PRINCEAU NIKAIA DE NICEPlus d’infos sur rtl.fr et au 3210 (0,34 euros/min)