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LADITE " PULSION DE MORT , UNE FORCE INDISPENSABLE À LA VIE SUBJECTIVE (DÉCONSTRUCTION D'ANTÉROS) Bernard Penot P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2006/3 - Vol. 70 pages 767 à 780 ISSN 0035-2942 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2006-3-page-767.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Penot Bernard, « Ladite " pulsion de mort , une force indispensable à la vie subjective (Déconstruction d'antéros) », Revue française de psychanalyse, 2006/3 Vol. 70, p. 767-780. DOI : 10.3917/rfp.703.0767 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - ubc - - 142.103.160.110 - 11/05/2012 00h02. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - ubc - - 142.103.160.110 - 11/05/2012 00h02. © P.U.F.

Bernard Penot - Ladite Pulsion de Mort

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LADITE " PULSION DE MORT , UNE FORCE INDISPENSABLE À LAVIE SUBJECTIVE (DÉCONSTRUCTION D'ANTÉROS) Bernard Penot P.U.F. | Revue française de psychanalyse 2006/3 - Vol. 70pages 767 à 780

ISSN 0035-2942

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2006-3-page-767.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Penot Bernard, « Ladite " pulsion de mort , une force indispensable à la vie subjective (Déconstruction d'antéros) »,

Revue française de psychanalyse, 2006/3 Vol. 70, p. 767-780. DOI : 10.3917/rfp.703.0767

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© P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays.

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Hors thème

Ladite « pulsion de mort »,une force indispensable

à la vie subjective

(Déconstruction d’antéros)

Bernard PENOT

« L’espace est un placement... une distribu-tion, donc un espacement des places avantd’être une distance (...). Il tient dans lapoussée de la séparation grâce à laquelle ça sedistingue, et ça distingue ceci de cela. »

Jean-Luc Nancy, La déclosion

Le Congrès des psychanalystes de langue française de mai 2002 à Bruxellesa amorcé un important débat sur la pulsion dite de mort. Le rapport de DenysRibas (2002) s’étant centré sur « l’intrication et la désintrication pulsionnelle »,Paul Denis (2002) y opposa son point de vue dans le cadre d’une discussionavec notre regretté Benno Rosenberg (dont le propos n’a malheureusement puêtre publié). Il me semble aujourd’hui capital de relancer ce débat crucial, puis-qu’il vise à mieux définir la dynamique que l’on suppose à l’œuvre dans ce quis’impose comme objectif central de notre pratique de psychanalyste : le proces-sus de subjectivation.

Je partage beaucoup des remarques faites par Paul Denis sur ce qu’ilappelle « les inconvénients » du dualisme pulsionnel, tel que Freud en est venuà l’envisager à partir de 1920. Mais force est de constater qu’à partir de cri-tiques communes nous parvenons, lui et moi, à des conceptions fort différentesdu réajustement théorique nécessaire.

Je pense d’abord comme lui qu’il nous faut résolument décoller de certai-nes formulations de Freud lorsqu’il cherchait à donner corps à cet antagonisted’Éros dont la nécessité théorique s’était imposée à lui. Dans son texte « Au-delà du principe de plaisir » (1920), Freud ne parvient manifestement pas àtrouver un support représentatif (clinique) à son idée de forces psychiques demort. Ses recherches du côté de la biologie pour faire état d’une tendance disso-Rev. franç. Psychanal., 3/2006

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ciative inhérente à la matière vivante ne débouchent pas davantage sur uneconstruction convaincante au registre métapsychologique.

Pourtant ma longue pratique de jeunes présentant des troubles graves de lasubjectivation (pathologies délirantes ou comportementales) m’a progressive-ment confirmé dans l’idée que cette intuition de Freud en 1920 contenait unevérité essentielle, consécutive à sa découverte du narcissisme : que le développe-ment psychique ne peut être le produit de la seule dynamique libidinale liante.

Il semble assez largement admis aujourd’hui que la dynamique liaison-déliaison constitue un couple à l’œuvre dans tout développement subjectif. Or ilme semble impossible de concevoir en termes métapsychologiques que surviennede la dé-liaison sans que s’exerce une force dans ce sens (point de vue dyna-mique). Ce que Paul Denis a pu évoquer, après Michel de M’Uzan, d’une dé-liaison pouvant résulter d’une surcharge d’excitation sexuelle est sans doute unfait observable, mais certainement insuffisant pour tenir lieu de facteur généralde fonctionnement et de développement de la psyché.

TROIS QUESTIONS À FREUD

Si Freud a logiquement reconnu la nécessité d’un antagoniste à la libidoliante, on se demande pourquoi il l’a conçu de façon aussi confusionnante.On devrait pouvoir redéfinir cet antagonisme dynamique à partir d’un triplequestionnement.

1 / Il y a d’abord lieu de s’étonner que Freud ait persisté à envisager la ten-dance fondamentale dissociative comme une pulsion particulière. Cela l’aconduit à s’évertuer à en chercher des formes concrètes, en particulier du côtéde l’agression et du sadisme, sans succès. Ce faisant, il nous a légué l’héritaged’une rupture mal accomplie avec sa théorie antérieure des montages pulsion-nels, des couples d’opposés et des pulsions dites partielles (Freud, 1915). Lerésultat en est que de nombreux psychanalystes persistent aujourd’hui à ignorerou à rejeter sa notion de « pulsion de mort »1. En fait, on ne voit pas pourquoil’antagonisme dynamique de base liaison-dissociation viendrait invalider lathéorie antérieure des montages pulsionnels.

Il apparaît bien plutôt qu’aucun montage pulsionnel particulier ne seraiten mesure de se constituer ni de s’accomplir sans faire suffisamment travaillerun tel antagonisme dynamique, au travers des retournements-renversements etdes autres destins possibles...

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1. On constate en somme que, si Freud a bien réussi à faire passer sa notion d’ « au-delà duprincipe de plaisir », il a, par contre, visiblement échoué à faire adopter tel quel son nouvel antago-nisme pulsionnel.

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On ne voit pas davantage pourquoi la deuxième théorie freudienne despulsions viendrait confisquer la notion de conflit intrapsychique, comme semblele croire Paul Denis – puisque le conflit ne tient pas tant à la coexistence de pul-sions différentes qu’à l’opposition irréductible des instances de l’appareil psy-chique (moi-pulsions, ça-surmoi...).

L’essentiel est qu’aucun montage pulsionnel ne saurait fonctionner avec laseule libido liante, mais doit faire jouer simultanément une composante disso-ciative – condition de la dynamique d’organisation-désorganisation qu’impliquetoute réalisation pulsionnelle.

2 / On peut se demander alors pourquoi Freud a tenu à cette étrange idéeque la tendance dissociative serait sans énergie propre – que seule la libido lianteserait énergétique. Cela amènerait effectivement à réduire la composante anta-goniste à ce que Paul Denis appelle « un pur principe » dépourvu, en somme,de réalité psychique (dynamique, économique).

Je rejoins là-dessus Denys Ribas, quand il affirme que « l’énergie dissocia-tive doit être bel et bien réelle » – c’est-à-dire à la jonction du biologique et dupsychique. J’ajouterai que nous devons nous garder de toute dérive spiritualisteou moralisante consistant à parler en termes de principe de vie ou de mort (unpeu comme tel a pu invoquer le combat contre les forces du mal !). Paul Denissemble s’être rallié à cette idée d’un « principe » dépourvu d’énergie physique ;et je trouve symptomatique dans ce sens qu’il en soit venu, dans la discussion,à parler de « compréhension du fonctionnement de l’esprit » – alors quela métapsychologie a été fondée par Freud sur l’idée basale d’un pulsionnelorgano-psychique, en deçà des illusions spiritualistes. La démarche psychanaly-tique postule que l’énergie pulsionnelle est indispensable à toute subjectivation– elle n’envisage donc pas de sujet désubstantialisé.

Pour soutenir son idée d’un monisme énergétique, Paul Denis avance que« l’énergie libidinale n’est pas liante, elle est ce qui s’investit ou se désinvestit » ;et il poursuit, sans craindre la tautologie : « C’est l’investissement qui est liantet le désinvestissement qui est déliant, pas la libido elle-même ! » La rupture estici patente avec la conception promue par Freud d’une libido essentiellementliante. C’est un point majeur de divergence.

La notion d’intrication-désintrication sur laquelle Denys Ribas a centré sonrapport me semble précisément à même d’éclairer le malentendu persistanteautour de cette question d’antagonisme énergétique. Lorsqu’il parle, en effet,de « l’adhésivité de la libido désintriquée », Ribas semble vouloir désigner unedynamique insuffisante de déliaison donnant un investissement libidinal adhé-sif. Or la notion d’intrication est faite pour désigner l’intégration de composan-tes agressives dans la vie libidinale – de sorte que l’agressivité peut se montrerdésintriquée des autres modalités d’investissement. Il est facile, en effet, de

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concevoir l’intrication des composants d’amour et d’agression, puisque les unset les autres sont de nature libidinale. C’est ce qui s’effectue ordinairement dansla « haine-amoration » chère à Lacan. C’est aussi ce qui s’exprime au registre del’oralité par la formule courante : « Je t’aime, je te mangerais ! », laquelle n’estpas illustrative d’un quelconque dualisme mais du destin maturatif propre auregistre oral d’investissement libidinal (voir l’illustration de Gérard Szwec,2002).

Mais les différentes modalités d’intrication libidinale amour-agression nepréjugent pas en elles-mêmes du jeu possible de la déliaison. Contrairement àl’agressivité, la composante de dé-liaison (désinvestissante) ne saurait être diteintriquée au sens propre de ce terme, puisque son antagonisme est, lui, d’ordrepurement dynamique – au sens d’un couple de forces.

Il nous faut surtout cesser une bonne fois pour toutes de confondre dé-liaisonet agression ! La force déliante tend à défaire le lien libidinal, elle est désinves-tissement (d’objet) ; alors que l’agressivité inhérente à l’exercice pulsionnel tendà plus ou moins s’intriquer dans tout investissement libidinal fort (n’oublionspas l’étymologie militaire du terme investir !), de type oral bien sûr (pas seule-ment chez les prédateurs carnivores) mais aussi anal, moteur, etc.

L’échec des tentatives de Freud (1920) pour donner consistance aux « for-ces de mort » tient au fait que le terme destruction n’a de portée que phénoméno-logique. Paul Denis a raison de remarquer que parler de destruction, ce n’estque décrire des effets sur des objets ! L’idée de Sabina Spielrein (1912) d’un« instinct de destruction » semble avoir cristallisé le malentendu – comme si lalibido, notamment orale, ne pouvait être destructrice de son objet1 !

Cela soulève en fait la question fondamentale de savoir si les effetsconcrets, bénéfiques ou destructeurs, peuvent faire définir des natures différen-tes d’énergie en cause. La chaleur qui réchauffe serait-elle autre que celle quicrame ? le vent favorable, d’une autre espèce que celui qui détruit ? Non, biensûr ; et comme Freud a lui-même insisté, cela s’avère bien plutôt une questionde quantité d’une même énergie (Freud, 1914, p. 228).

Freud a par ailleurs perçu assez vite la nécessité de distinguer agression etdé-liaison. Il n’a pas adopté le terme destrudo pour traduire sa pulsion de mort,pensant plutôt que l’antagoniste d’Éros qu’il cherchait à conceptualiser devaitœuvrer comme désinvestissement silencieux, davantage que comme investisse-ment destructeur (Freud, 1929). Dont acte, bien sûr.

Prévert exprime fort bien cela : « Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, toutdoucement sans faire de bruit, et la mer efface sur le sable les pas des amantsdésunis... »

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1. Cela fait penser à ce besoin qu’ont les religions de créer le Diable pour disculper Dieu...

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3 / On se demande enfin, en troisième lieu, pourquoi Freud a tenu à appe-ler « de mort » la tendance dissociative basale dont tout nous indique qu’elle estindispensable à la vie psychique. Paul Denis relève justement qu’une telle idée(philosophique) de principe mortifère amènerait à envisager péjorativement lanégation, le masochisme, le surmoi... Pour le coup, la théorie freudienne enviendrait bel et bien à perdre la tête ! Mais dans son texte clé « La négation »(1925, p. 167), Freud a recentré fort heureusement le propos en posant au con-traire cette opération de négation comme un temps clé du processus de recon-naissance subjective : « La négation est une [première] manière de prendreconnaissance du refoulé », dit-il.

Les considérations récentes de Jean Laplanche (1998) sur ladite « pulsionde mort » sont éclairantes dans ce sens. Il part de l’idée qu’Éros-liaison œuvresurtout « dans un sens narcissique », puisqu’il tend foncièrement, dit-il, à « fairede l’un » (Lacan) – alors qu’une subjectivation différenciée implique plutôtqu’on se soustraie pour ex-sister. Laplanche entend surtout souligner qu’unepure culture de « pulsion de vie », sans contrepartie, serait tout aussi mortifèreque l’autre pure culture ( « de mort » ) évoquée par Freud. La vie psychique setrouve en fait menacée des deux côtés ! Dès lors, pourquoi qualifier « de mort »l’un des termes du dualisme dynamique plutôt que l’autre, vu les effets morti-fères aussi bien de trop de l’un (liaison) que de trop de l’autre (déliaison), ou depas assez de l’un ou de l’autre ?...

Le processus séparateur indispensable à la subjectivation procède de lamise en jeu de l’antagonisme dynamique liaison-déliaison. Ainsi la subjectiva-tion du sexe implique-t-elle l’incomplétude (du sexe qu’on n’a pas) et la sortiedu blocage colmatant, du collapsus unifiant à la mère (on a appelé symbiotiquescertaines psychoses infantiles). La clinique des psychoses s’avère précisémentfaite de liens identificatoires que je dirai insubjectivables...

Tout cela conduit en définitive à considérer que la force dissociative 1 / n’apas à être considérée comme une forme particulière de pulsion, mais 2 / commedynamique fondamentale dé-liante, et que 3 / c’est un fourvoiement imaginairede qualifier celle-ci « de mort ».

LA DYNAMIQUE DÉ-LIANTE DANS QUATRE PROCESSUS

AU SERVICE DE LA SUBJECTIVATION

Depuis son rapport à Rome (1992), Paul Denis semble vouloir s’en tenir àune théorie des pulsions ne considérant que ce qu’il appelle « les deux formantsde la pulsion (...) association de deux courants libidinaux, l’un en emprise... etl’autre investissant le fonctionnement des zones érogènes et l’expérience de la

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satisfaction » (Denis, 2002). Je pense que quelque chose d’essentiel fait défaut àcette perspective pour qu’elle puisse servir une conceptualisation métapsycho-logique des conditions de développement d’une subjectivité.

C’est ce que je propose d’examiner maintenant au travers de plusieurs pro-cessus qui interviennent de façon décisive dans le développement subjectif :

— j’essaierai d’abord de mieux spécifier le rôle de l’antagonisme dynamiquedans cette solution pulsionnelle hautement subjectivante qu’est l’activitésublimatoire ;

— je chercherai ensuite à mieux déterminer quelles sont les qualités d’uninvestissement parental à même de favoriser le développement de la viesubjective d’un jeune enfant ;

— en troisième lieu, j’évoquerai le processus de deuil comme seuil souvent décisifd’accomplissement subjectif – ce en quoi il s’oppose à l’état mélancolique ;

— et mon propos soulignera enfin la visée subjectivante de la cure psy-chanalytique à partir du travail qu’elle réalise sur la fausse-vraie liaisontransférentielle.

Reprenons donc chacun de ces points plus en détail.

La sublimation au-delà du principe de plaisir

Concernant ce destin pulsionnel particulier qu’est la sublimation, il mesemble tout à fait révélateur que Freud n’ait pas été en mesure de rédiger ce quidevait constituer un quatrième volet de sa Métapsychologie (1915). On sait eneffet qu’après les articles « Destins des pulsions », « Le refoulement » et « L’in-conscient », il projetait de spécifier la sublimation comme autre destin pulsionnel.

Il avait pourtant déjà dégagé clairement (Freud, 1914, p. 237) que la voiesublimatoire devait être foncièrement distinguée du processus imaginaired’idéalisation (de l’objet ou du moi). Mais il n’était pas encore en mesure,en 1915, d’en achever la conceptualisation.

Cela pour la bonne raison que cette satisfaction pulsionnelle sans déchargeen quoi consiste le changement de but sublimatoire situe nécessairement celui-cidans l’au-delà du principe de plaisir que Freud n’est parvenu à concevoir,comme on sait, qu’à partir de 1920. Une métapsychologie de la sublimation nepouvait précéder ce nouveau pas de sa pensée vers cet au-delà ouvrant à ce queRené Roussillon a justement appelé sa seconde métapsychologie.

Le but de l’activité pulsionnelle est toujours, bien sûr, la satisfaction. Maiscelle-ci peut varier énormément dans ses modalités : depuis le court-circuit dedécharge expulsive hors psyché (agissement strict du « principe de plaisir ») jus-qu’aux circuits créatifs de la jouissance en tension inhibée quant au but

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(sexuel). On parle généralement, à ce propos, de maturation pulsionnelle ; maiscelle-ci ne saurait s’effectuer sans mettre à profit le dualisme dynamique, sansfaire travailler la dialectique liaison-déliaison vers davantage d’au-delà du pri-mat de simple réduction de tension.

La réalisation pulsionnelle sublimatoire sans satisfaction-décharge s’im-pose à cet égard comme relevant du paradoxe économique qu’il a fallu à Freudthéoriser à propos du masochisme (1924). Ni le seul principe de plaisir ni laseule force libidinale (qu’on la suppose « objectale » ou « narcissique ») ne suf-fisent en effet à rendre compte du masochisme (Rosenberg, 1991). Celui-cioblige à reconnaître une force opposée dialectiquement à la libido érotiqueliante – ce que Freud a désigné de l’expression impropre de pulsion de mort.

Bien qu’il ait manifestement échoué à donner de celle-ci des illustrationsconcrètes (du côté de l’agressivité), Freud ne démordra pas de la nécessité deconcevoir une telle tendance sans laquelle il n’y aurait pas de dé-liaison pos-sible. Et j’ajouterai : pas de négation ni de soustraction, pas d’ex-sistence sub-jective et, bien sûr, pas... d’ana-lyse !...

Freud aimait se référer aux concepts (révisables) de la physique contempo-raine1. On pense ici au jeu antagoniste entre l’expansion centrifuge de l’Universet la force d’attraction gravitationnelle – énergies non équivalentes, bien sûr,mais dont le relatif équilibre dynamique permet le déploiement des corps dansl’espace. Aujourd’hui des physiciens en viennent à postuler une énergie noirepour rendre compte de certains effets antigravitationnels...

On ne saurait s’étonner que les conditions de développement d’une subjec-tivité aient à reprendre quelque chose de cet équilibre dynamique qui empêchela matière cosmique de se précipiter-condenser en naines blanches ou en trousnoirs. Cela mène à considérer la vie psychique comme ayant, elle aussi, à sedévelopper entre deux mortifères possibles : d’un côté, l’implosion liante-fusionnante ; de l’autre, la fuite centrifuge vers la solitude glacée... Le physicienEdgar Gunzig (2004) va jusqu’à considérer la matière condensée (corpuscu-laire) et le vide (quantique) comme deux états bien réels, mutuellement (dyna-miquement) réversibles !...

Il reste que la sublimation constitue une manière souvent heureuse de sur-fer durablement entre ces deux mortifères2. On voit bien que la créativité elle-même implique une capacité de détachement de formes déjà existantes pour

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1. Notamment dans Pour introduire le narcissisme, Œuvres complètes, vol. XII, p. 221.2. Le rapport de Jean-Louis Baldacci pour le 65e Congrès des psychanalystes de langue française

(Paris, mai 2005) a le mérite de mettre en avant l’idée de « sublimation dès le début ». C’est une idéequi m’est chère de considérer que la voie sublimatoire offre très tôt à l’enfant des satisfactions bienplus accessibles que celles impliquant sa sexualité immature ; il n’est pas nécessaire pour cela que lerefoulement intervienne mais bien plutôt l’exemple des investissements effectifs et productifs desparents (noyau spécifique de l’idéal du moi)...

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pouvoir en produire de nouvelles. Les écoles nouvelles (de théâtre, de peinture,de musique) n’ont-elles pas régulièrement commencé par une sorte de mise àmort sarcastique de l’académisme ayant pu prévaloir jusqu’alors ?

Du bon investissement parental pour la subjectivité naissante

L’action univoque de l’énergie liante libidinale (Éros) ne permettrait pasnon plus de répondre à la question de savoir comment caractériser un boninvestissement parental – question évidemment décisive pour concevoir anthro-pologiquement la genèse de certains troubles mentaux. On ne peut se contenterde définir cette qualité spécifique, ni en termes de quantité de libido (liante), nid’énergie d’emprise, ni d’investissement narcissique – pas plus d’ailleurs quedans un dosage quelconque de chacun de ces trois composants ! On ne cesse, eneffet, de vérifier dans la pratique les inconvénients sur le développement subjec-tif de l’enfant de chacun de ces trois modes d’investissement libidinal, ainsi quede leurs combinatoires...

C’est qu’il est indispensable de considérer une autre qualité décisive du« good enough » si bien illustré par Winnicott – à savoir, précisément, le suffisantdétachement qu’il lui faut aussi comporter. L’investissement parental doit êtrecertes animé d’une satisfaction pulsionnelle effective (ni formation réactionnelleni faux self), mais sans pour autant viser la décharge incestueuse dégradantepour l’enfant-objet-sexuel, ni étouffer cet enfant par l’emprise, ni l’instrumentercomme prolongement narcissique... J’ajouterai que l’inhibition du but sexuelproductrice de tendresse ne suffit pas non plus à conférer la qualité nécessaire.

L’investissement libidinal par le parent doit en effet comporter quelquechose de l’ordre d’une distanciation suffisante. La possibilité pour l’enfant dedévelopper une vie subjective propre nécessite donc que la mère puisse être aveclui autre chose que liante libidinalement. Peut-être touchons-nous ici un pointd’aveuglement symptomatique de Freud : les limites de son auto-analyse nesemblent guère lui avoir donné prise sur la complexité dynamique de son rap-port à sa mère de laquelle il ne concevait aucune ambivalence. On dirait mêmequ’il ne pouvait lui supposer ni distraction ni détachement... Je pense ici à lafigure paradoxale de la fameuse vierge gothique toulousaine détournée de sonbébé et qui fascinait tant Jean Cournut.

Un certain détachement parental est de fait nécessaire pour assurer l’espacedu sujet naissant. Les chances du développement subjectif de l’enfant dépendentde la mise en œuvre, dès les interactions premières, d’une composante de dé-liaison objectale telle que le bébé soit sollicité (anticipatoirement) d’ex-sistercomme sujet. On voit que ce « supposé-sujet » qui intervient dans l’investis-sement d’un parent constitue littéralement une forme de transfert, dont les qua-

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lités intrinsèques (la balance d’investissement libidinal et de détachement respec-tueux, de considération) vont conditionner les chances du sujet nouveau.

La pratique des thérapies familiales autour de jeunes psychotiques n’acessé de me montrer la nécessité d’une telle disposition parentale. Il est toutde même surprenant que Paul Denis (2002, p. 1807) puisse se contenter d’envi-sager une limitation (mutuelle) de l’emprise par la satisfaction – les considérantcomme des « éléments complémentaires, l’un servant l’autre et l’autre arrêtantle premier lorsqu’une expérience de satisfaction peut se constituer ».

Doit-on entendre que seule la satisfaction pulsionnelle serait susceptible demettre une limite à l’emprise d’un parent ? Les thérapies au long cours nousenseignent bien plutôt que l’autonomisation subjective d’un jeune s’acquiertdu côté d’une suffisante transformation de but (satisfaction sublimatoire) del’investissement relationnel au parent.

C’est déjà, dès le départ, cette composante d’investissement sublimatoirequi tend à donner au parent l’aptitude à la passivation nécessaire pour se mon-trer réceptif aux accroches pulsionnelles de l’enfant et y répondre de manière àfavoriser les renversements subjectivants (Penot, 2001). Et c’est encore ce mêmedétachement qui va faire qu’une mère accepte de laisser son enfant investir uneautre personne (idéalement, le père) pour y déplacer (transférer) des investisse-ments portés originairement sur elle. Lacan préfère parler de métaphore pater-nelle, mais le sens est le même d’un déplacement-transfert-déménagement surun support secondaire, ou « tiers » (en attendant l’analyste !) utile à dé-symbiotiser le sujet naissant d’avec sa génitrice et permettre le déploiement dansl’espace de ses investissements subjectifs.

Tout cela va dans le sens d’entériner le rôle décisif des protagonistes paren-taux. On sait que Freud a pris soin de rappeler en note de ses « Deux Principes »(1911) que l’économie psychique d’un bébé ne pouvait être envisagée qu’à condi-tion d’y inclure les soins maternels. Il reste qu’il a donné à sa Métapsychologiel’objectif fondamental de rendre compte du fonctionnement de la psyché indivi-duelle en tant que système (intrapsychique) – les instances psychiques, le surmoipar exemple, ne constituant qu’une traduction indirecte, toujours transforma-tive, de la perception acquise des conditions réelles de l’amour des parents...

Aussi ne saurait-on comme psychanalyste se contenter d’attribuer la fonc-tion dé-liante à l’ « objet » pour mieux récuser la nécessité d’une force de dé-liaison à l’œuvre dans la psyché (on se demande bien d’où l’ « objet » tireraitalors cette capacité !)1. Les vues d’André Green (1993) sur la « fonction désob-jectalisante » de ladite pulsion de mort me semblent autrement porteuses : ellesspécifient bien cet antagoniste d’Éros comme force de désinvestissement.

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1. Le refus du dualisme dynamique tendrait ainsi à ne plus conserver que le seul point de vuegénétique...

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Le travail de deuil au service de la vie subjective

La place manque ici pour envisager cet autre processus clé de la vie psy-chique qu’est le travail de deuil. Il revient, pour l’essentiel, à mettre en œuvre uncertain détachement par rapport à un « objet » investi libidinalement et qui aété perdu. Un tel travail ne saurait s’accomplir sans qu’une force de dé-liaisonlibidinale y soit d’abord mise à profit.

La comparaison effectuée par Freud entre Deuil et mélancolie (1915) estfort éclairante à cet égard. Tout se passe en effet comme si l’état mélancoliqueréalisait une sorte de prise en masse d’un lien haineux (libidinal, donc) à un« objet » primordial. Sa caractéristique majeure est son manque de détache-ment, précisément – à l’opposé, donc, du processus de deuil. La mélancoliesemble ainsi fournir un bon exemple du fait souligné par Laplanche que le mor-tifère peut aussi bien résulter d’une insuffisante mise en jeu de la dé-liaison.

Une autre donnée clinique mériterait d’être davantage examinée sous cetangle. On constate souvent, en effet, combien la fixation d’un patient à unefigure parentale s’avère d’autant plus contraignante que l’investissement libidi-nal reçu du parent en question aura été davantage maltraitant (sadique notam-ment). Cela rejoint l’exemple du mélancolique chez qui le détachement-déliaisonne parvient manifestement pas à « jouer », de manière à lui permettre une respi-ration subjective, une ex-sistence minimale.

Déliaison et processus psychanalytique

Il est important enfin de rappeler comment le travail processuel de la curepsychanalytique apporte un autre exemple de l’indispensable mise en jeu liaison-déliaison - organisation-désorganisation1. La perlaboration au long d’une cure(working through) s’effectue avant tout à partir de la liaison de transfert. Freuda pu qualifier celle-ci de « fausse liaison », puisque déplacée anachroniquementdans l’hic et nunc du rapport au thérapeute. Si la tâche première du psychana-lyste consiste bien à « supporter le transfert » (Lacan, 1968), il faut savoir aussil’interpréter à temps (ce que ne faisait guère le même Lacan). L’acte interpréta-tif permet en effet de « restituer » (Freud, 1937) le lien transférentiel dans savérité singulière de passé perdu, le rendant du même coup subjectivable... Cetobjectif ne peut être atteint que dans la mesure où le travail d’ana-lyse aura per-

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1. Je renvoie là-dessus au Congrès des psychanalystes de langue française « Le processus »,Revue française de Psychanalyse, t. LXVIII, no 5, 2004.

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mis au patient d’opérer une dé-liaison suffisante (de sa fixation libidinale) pourrendre possible une telle opération.

Dans cette optique de la « talking cure » et de son efficace, Lacan a faitcoïncider « la pulsion de dissociation... avec le fait que l’être humain parle ». Ilvoulait prolonger par là l’importance donnée par Freud à l’opération de lanégation (1925) dans le développement de la saisie subjective. Lacan a, du coup,considéré la force de dé-liaison comme spécifique de ce qu’il a appelé le « par-lêtre » – la condition langagière propre au sujet humain. En cela, il se situe ennette rupture avec les hypothèses biologisantes du Freud d’ « Au-delà du prin-cipe de plaisir » (1920), mais converge avec un autre connaisseur de la psy-chose, Herbert Rosenfeld, qui remarquait, je m’en souviens, qu’une personne setrouve divisée dès lors qu’elle se parle...

Il faut préciser que, si la négation (Verneinung) constitue le mode premierde reconnaissance de quelque chose (chez le petit enfant, et dans la cure), c’estqu’elle permet une re-liaison secondaire comportant un gain de signifiance(opération méta-phorique). C’est en cela qu’elle s’oppose foncièrement au déni(Verleugnung) qui n’est, lui, que dé-liaison – ou, plutôt, non-liaison – aussitrouve-t-il sa traduction topique dans le clivage. On ne saurait trop insister surce fait que le déni joue dans un sens radicalement inverse de celui de la négationsur le processus symbolisant et la subjectivation qui en dépend (Penot, 1989).

Quant à la compulsion de répétition, son allure « démoniaque » a pu la faireimaginer du côté du mortifère (Freud, 1920) et donc de la prétendue pulsion demort. Freud en est pourtant venu à voir que cette compulsion tendait, par soninsistance diabolique même, à imposer une sorte de liaison quoique rejetée parla logique narcissique du moi. Cela amène à la considérer davantage sousl’angle du « besoin de restitution » (Freud, 1937) – comme un déterminisme« positif », donc, tendant aveuglément à imposer, comme le cauchemar, unemise en forme psychique, une liaison représentative de données traumatiquesen défaut d’image mentale.

LE DÉNI-CLIVAGE EN QUESTION

Je terminerai mon propos en envisageant deux prolongements d’allureparadoxale qui me semblent découler de la perspective théorique que je propose.

On débouche d’abord, en effet, sur la question de savoir si l’on peut consi-dérer la force de dé-liaison à l’œuvre dans le déni-clivage comme étant foncière-ment de même nature que celle qui est mise à profit pour accomplir un proces-sus de deuil.

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Il sembledifficile de concevoirque lamême forcedé-liantepuisseproduiredesprocessus désorganisateurs ou, au contraire, subjectivants. On peut remarquerpourtant que les potentialités de l’énergie libidinale (liante) offrent un paradoxesimilaire : n’est-ce pas la même libido qui peut animer des opérations sauvagementdestructrices d’une proie ou, au contraire, constructives, aimantes, créatives ?...

Il n’est donc pas si surprenant que la même énergie dissociative puisse,d’un côté, en tant que dé-liante, servir la plus radicale des méconnaissances,celle du déni-clivage, et, de l’autre, dénouer dynamiquement des liens mortifèrespour permettre le processus de deuil ouvrant à de nouvelles liaisons.

Cela reste une question quelque peu vertigineuse renvoyant non seulementà la complexité des cas de figure du dualisme dynamique de base, mais aussi àl’étendue des gradients de maturation qualitative des circuits pulsionnels (leurs« destins », comme dit Freud). C’est que la maturation pulsionnelle dépendd’un double travail : celui du jeu liaison-déliaison ET celui de l’intrication del’agressivité dans le rapport d’échange libidinal avec l’objet.

Sans doute notre conceptualisation est-elle encore, là-dessus, loin ducompte (ce qui est en soi motivant !). J’ajouterai que l’optique subjectivanteque je propose n’implique aucunement de se passer de notions aussi précieusesque « l’attaque contre les liens » (Bion), la « fonction désobjectalisante » (Green)ou « l’effort pour rendre fou » (Searles)...

J’avancerai en second lieu une distinction qu’il me semble utile de faire dansune certaine clinique. Ma longue pratique de jeunes en difficulté grave de subjec-tivation (délires, pathologies de comportement...) m’a conduit à distinguer cequi, dans leur famille, pourrait avoir fonctionné comme investissement libidinalnégativiste (sadique haineux) et ce qui relèverait d’une communauté silencieuse dedéni (de signifiance) – la seconde modalité pouvant davantage produire deseffets forclusifs (désymbolisants) sur la dernière génération.

Il me semble capital de bien voir que l’attaque sadique d’un lien est autrechose que son déni. La première relève d’une charge libidinale haineuse, tandisque le déni met plutôt à profit ce que je pense être la composante dynamiquedé-liante, désinvestissante, malencontreusement appelée pulsion de mort. Onpeut apercevoir une prédominance de l’un ou de l’autre dans la genèse despathologies relevant d’un héritage traumatique majeur.

Nous avons poursuivi là-dessus une recherche avec Perel Wilgowicz, ÉvaWeil, Gilbert Diatkine et d’autres, en nous proposant surtout de repérer danscertaines cures les effets de la transmission générationnelle de traumatismesgraves. Cela revient à s’efforcer d’évaluer l’empreinte sur le sujet « dernièregénération » d’un certain investissement parental (au sens envisagé plus haut).La pratique psychanalytique permet précisément de saisir cela au travers del’expérience singulière du transfert dans la cure...

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Je conclurai sur ce registre en disant que j’en suis venu à considérer la cli-nique du déni (pathologies délirantes, comportementales et, peut-être, psycho-somatiques) comme étant la plus à même de fournir des illustrations d’une dé-liaison à l’œuvre sans contrepartie d’investissement libidinal.

La perception du déni-clivage comme dé-liaison – ou, plus exactement,non-liaison – s’est imposée à moi tandis que je cherchais à rendre compte de cer-tains troubles graves de la subjectivation abordés à plusieurs en institution etavec leur famille, et aussi de patients très « limites » sur mon divan. Mais celam’a fait en même temps reconnaître le caractère transindividuel de la commu-nauté de déni (Michel Fain) repérable dans le milieu d’origine.

C’est pourquoi je considère – en apparent désaccord avec André Green(1993) – que le déni-clivage n’a pas à être considéré comme une forme du « néga-tif ». Ce terme de négatif me semble en effet de nature à véhiculer dans lechamp de la psychanalyse des inconvénients conceptuels du même type quela notion (phénoménologique) de destructivité critiquée plus haut. L’idée de« négatif » tend en effet à surimposer imaginairement la phénoménologie dunégativisme sur le rôle symbolisant (et, par là, subjectivant) de l’acte individuelde négation. C’est un terme qui a l’inconvénient de mettre dans le même sacl’opération de la négation et le mécanisme du déni (de jugement) dont les effetsrespectifs sont pourtant foncièrement inverses pour ce qui concerne le proces-sus individualisant d’appropriation subjective (Penot, 1989).

POUR CONCLURE PROVISOIREMENT

C’est dans un après-coup (comme souvent) que je me trouve aujourd’huià même de mieux percevoir la nécessité du parcours qui m’a conduit, en une ving-taine d’années, de l’étude systématique du concept freudien de déni-Verleugnungjusqu’à la présente remise en question de la notion de pulsion de mort, en passantpar l’étude des conditions premières de la subjectivation (Penot, 2001).

À vrai dire, reconnaître le rôle vital de la tendance dé-liante dans le développe-ment de la vie subjective conduit surtout à se poser de nouvelles questions. Il mesemble tout de même qu’on peut mieux saisir l’utilité (dialectique) de la force de dé-liaison une fois levé l’écran imaginaire consistant à la qualifier globalement « demort ». La perspective que je propose pourrait ainsi permettre à notre recherchepsychanalytique de mieux évaluer les possibles effets de mort ou de vie subjectivequi découlent des modalités de mise en jeu du dualisme dynamique freudien, selondiverses conjonctions observables chez nos patients d’aujourd’hui.

Bernard Penot17, rue Beautreillis

75004 Paris

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