Berthelot - Posidonios d'Apamée et Les Juifs

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  • 7/25/2019 Berthelot - Posidonios d'Apame et Les Juifs

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    POSEIDONIOS DAPAME ET LES JUIFS

    par

    KATELL BERTHELOT(CNRS)

    Summary

    In this article I have tried to show that both Strabos text (16.2.34-46)and Diodorus text (34-35.1.1-5) about the Jews can be attributed toPosidonius of Apamea and that they do not contradict each other; nordo they contradict Josephus testimony in the Against Apion (2.79), whereit is very diYcult anyway to determine what exactly goes back to Posidonius.

    His vision of the Jews can be summarized as follows: although he con-sidered Moses as a wise and pious man who founded an admirable polit-ical and religious community, for political and philosophical reasonsPosidonius greatly despised and disliked the Judaism of his time, whichhe regarded as a degenerate version of the Mosaic project.

    Poseidonios dApame est une des grandes gures de lpoque hellnis-tique :1 philosophe stocien, il fonda une cole Rhodes; continuateurde Polybe, il crivit une histoire universelle qui rapportait les vnementssurvenus de 145 85 environ;2 devenu prytane de Rhodes, il fut charg

    Koninklijke Brill NV, Leiden, 2003 Journal for the Study of Judaism, XXXIV, 2Also available online www.brill.nl

    1 Sur sa vie, voir K. Reinhardt, Poseidonios, R.E. XXII/1 (1953) 563-567; M. Pohlenz,Die Stoa, Geschichte einer geistigen Bewegung (Gttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1948)208-212; M. LaVranque, Poseidonios dApame : essai de mise au point (Paris: P.U.F., 1964)45-97; J. Malitz,Die Historien des Poseidonios (Mnchen: Verlag C. H. Beck, 1983) 5-33.

    2

    Compte tenu des testimoniaet des fragments attribus Poseidonios, la plupart descommentateurs estiment que les Histoiresde Poseidonios se poursuivaient jusque vers lemilieu des annes 80 av. n. . (cf. la discussion par F. Jacoby, FGrHIIa, Kommentar,156-157; I. G. Kidd, Posidonius as Philosopher-Historian, Philosophia Togata. Essays onPhilosophy and Roman Society [edd. M. GriYn and J. Barnes; Oxford: Clarendon Press,1989] 39; Malitz, Die Historien des Poseidonios, 32). Cependant M. LaVranque nestimecertaine que la priode de 145 96 (Poseidonios dApame, 118-122). Certains, qui soulignentle rapport troit entre Poseidonios et Pompe, nestiment pas impossible quil ait pour-suivi les Histoiresjusquen 63 av. n. . (cf. Reinhardt, Poseidonios, 630; H. Strasburger,Poseidonios on Problems of the Roman Empire, JRS 55 [1965] 44). A partir deStrabon 11.1.6, Reinhardt (suivi par Nock en particulier) adhre lide que Poseidonios

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    dune dlgation auprs du snat romain durant lhiver 87-86; enn,esprit curieux et observateur, soucieux des causes des phnomnes quilobservait, il rdigea de surcrot des ouvrages de mathmatiques dune

    part, de gographie et dethnographie dautre part, ces derniers tantfonds en partie sur ses propres voyages (en particulier le grand voy-age entrepris lOuest, en Espagne et en Gaule essentiellement).3

    Les textes sur les Juifs qui ont t attribus Poseidonios se trouventlun chez Diodore, lautre chez Strabon; de surcrot, daprs FlaviusJosphe (Contre Apion 2.79), Poseidonios fut lune des sources dont serclamait Apion.4 Dans tous les cas, ces textes ont probablement t

    extraits des Histoiresde Poseidonios, dont il semble avoir consacr unepart importante lhistoire du dclin du royaume sleucide;5 commenous le verrons par la suite, un excursus ethnographique sur les Juifsa probablement t rdig par Poseidonios comme prambule au rcitdu sige de Jrusalem par Antiochos VII Sidets, et Strabon semblenous en avoir conserv une version relativement dle.

    ait rdig une monographie sur Pompe, do proviendrait lexcursus sur les Juifs prsentchez Strabon; mais Jacoby exprime des doutes quant lexistence dune telle mono-graphie (FGrH IIa2, 157); voir la discussion de cette question par B. Bar-Kochva,Mosaic Judaism and Judaism of the Second Temple Periodthe Jewish Ethnographyof Strabo, Tarbiz66/3 (1997) 330-331.

    3 Cf. Reinhardt, Poseidonios, 564. Les Istorai comportaient bon nombre depassages ethnographiques, comme le rvlent les fragments conservs chez Strabon enparticulier.

    4 Outre ldition des textes historiques par Jacoby (FGrH IIa; F 69 = C.A. 2.79; F70 = Strabon 16.2.34-45; F 109 = Diodore 34-35.1.1-5, i.e. Photius, Bibl. 244, d.Bekkeri, 379-380), il existe deux ditions des testimoniaet des textes fragmentaires attribus Poseidonios, toutes deux accompagnes de commentaires : celle de L. Edelstein etdI. G. Kidd, Posidonius (4 vols.; Cambridge: Cambridge University Press, 1972-1999),et celle de W. Theiler, Poseidonios. Die Fragmente (2 vols.; Berlin: W. de Gruyter, 1982).Theiler fournit en outre une concordance entre sa numrotation des fragments, cellede Jacoby et celle dEdelstein et Kidd. Ldition dEdelstein et Kidd se distingue decelles de Jacoby et de Theiler en ce que leur parti-pris ditorial consiste ne retenirque les textes explicitement attribus Poseidonios par les sources anciennes. Il faut

    en outre souligner que ldition de Jacoby (qui ne porte que sur les textes historiquesde Poseidonios) a le mrite de distinguer nettement entre les textes explicitement attribus Poseidonios et les textes pour lesquels cette attribution demeure conjecturale. Celareprsente sans doute le meilleur choix ditorial. Sur les problmes mthodologiquessoulevs par ltat fragmentaire des textes attribus Poseidonios, voir I. G. Kidd,Posidonian Methodology and the Self-SuYciency of Virtue, Entretiens Fondation Hardt32 (Aspects de la philosophie hellnistique) (1985) 1-7.

    5 Cf. Jacoby, FGrHIIa2, 155-156, pour la reconstruction du plan possible des Histoiresde Poseidonios. Comparer avec LaVranque, Poseidonios, 119-121. Voir galement lechapitre II de Malitz, Die Historien : Das Problem der Rekonstruktion, 34-59, ainsi

    que la partie sur les Sleucides, 257-302.

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    Cependant lattribution de ces textes Poseidonios ne va pas sansdiYcults. En particulier, il semble quil existe une contradiction insur-montable entre lapprciation positive de Mose et du judasme prsente

    dans le texte de Strabon et la condamnation radicale de ce mme Moseet de ses lois dans le texte de Diodore, condamnation dont le ContreApion fournirait un autre tmoignage. On peut en outre relever dautrescontradictions entre les textes. Si la tendance qui a prvalu a t deconsidrer Poseidonios comme un auteur hostile aux Juifslattributiondu texte de Strabon au philosophe stocien tant alors souvent remiseen question,6 rcemment cette approche a t conteste par B. Bar-

    Kochva, qui voit dans Poseidonios la source de Strabon, et considreque le philosophe porte un regard positif sur le judasme (tout en tanthostile aux Hasmonens).7 En reprenant ici lensemble de ce dossier,je me propose de montrer en quoi lattribution de lexcursus de Strabon Poseidonios est cohrente avec ce que les textes de Diodore et deJosphe nous enseignent de lattitude du philosophe vis--vis des Juifset du judasme, et dexpliciter ce que fut cette attitude.

    1. Lexcursus sur les Juifs dans laGographie de Strabon

    Dans le cadre gnral de la description de la Syrie, et au momentde rapporter la victoire de Pompe sur Jrusalem (63 av. n. .), Strabonintroduit un bref excursus sur lorigine des Juifs et leur histoire jusqulpoque hasmonenne.8 Comme dans tout ouvrage ethnographique en

    6 Cest par exemple la position de M. Stern dans Greek and Latin Authors on Jews andJudaism (GLAJJ) ( Jerusalem: The Israel Academy of Sciences and Humanities, 1974)1.143, qui conclut en outre : Thus, we must pronounce a non liqueton the questionof Posidonius real views on the Jews and their religion. P. Schfer, dansJudeophobia.Attitudes towards the Jews in the Ancient World(Cambridge and London: Harvard UniversityPress, 1997) 23-24, refuse quant lui de prendre rellement parti; faisant valoir quenous ne disposons pas du texte original de Poseidonios, il reste extrmement prudentquant la possibilit dattribuer Poseidonios les ides contenues dans les textes de

    Diodore et de Strabon. Toutefois lorsquil discute les propos dApion propos de lado-ration que les Juifs voueraient une tte dne, et la question de la dpendance dApionvis--vis de Poseidonios sur ce point, Schfer fait intervenir le texte de Diodore (enacceptant donc, cette fois, son attribution Poseidonios), pour rejeter lide quApionreproduise les ides du philosophe stocien (cf. 58-60). Ainsi, mme si Schfer prsentelattribution du texte de Diodore Poseidonios comme une hypothse qui ncessiteraitune dmonstration, concrtement il tend adopter cette hypothse, comme la quasi-totalit des chercheurs.

    7 Cf. Mosaic Judaism and Judaism of the Second Temple Periodthe JewishEthnography of Strabo (voir supra, n. 2).

    8 Cf. Strabon 16.2.34-46; T. Reinach, Textes dauteurs grecs et latins relatifs aux Juifs etjudasme (Paris: E. Leroux, 1895) 95-112; M. Stern, GLAJJ1.294-311 (no115).

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    bonne et due forme, il commence son excursus par un rcit sur loriginedes Juifs, qui sont ici plus prcisment les Judens.9 En eVet, il rapporteque les habitants de la Palestine sont de manire gnrale les descendants

    de mlanges entre les peuplades gyptienne, arabe et phnicienne, quecest le cas en particulier en Galile, Jricho, Philadelphie et enSamarie, mais que, en ce qui concerne les Judens, leur vritable origineest gyptienne (cf. 34). Cest alors que commence lexcursus : Mosetait selon la (ou les) source(s) de Strabon10 un prtre gyptien qui, ds-approuvant les reprsentations animales des dieux gyptiens ainsi quelanthropomorphisme des Grecs, convainquit de sa vision de la divinit

    un nombre important de personnes qui se distinguaient par leur noblessede caractre (ou leur sagesse).11 La conception mosaque de la divinitet du culte quil convient de lui rendre est dcrite en ces termes :

    la divinit nest en eVet pas autre chose que ce qui nous contient, noustous, la terre et la mer, ce que nous appelons ciel, cosmos et la naturede ce qui existe. Or, quel homme sens oserait reprsenter cette divinitpar une image faite sur le modle de lun de nous ? Il faut donc renon-

    cer toute fabrication de statues et se borner, pour honorer la divinit, lui ddier une enceinte sacre et un sanctuaire dignes delle, sans aucuneeYgie. Il faut aussi que, dans ce sanctuaire, ceux qui sont sujets dheureuxrves viennent dormir, an de recueillir des inspirations, et pour eux-mmes et pour dautres; car ceux qui vivent sagement et avec justicedoivent toujours attendre de la divinit des biens, des faveurs, des signes,mais cette attente est interdite aux autres mortels (16.2.35).12

    Mose conduisit ceux quil avait gagns sa vision hors dEgypte,vers la Jude, lemplacement de (la future) Jrusalem, o ils neurentaucun mal stablir, du fait du caractre rocheux et dsertique delendroit, qui navait jusqualors attir personne.13 Rpugnant visible-ment tout usage de la force militaire, Mose instaura comme dfensede la nouvelle nation le culte de ltre divin, et promit ses partisansun type de religion qui ne harclerait les adeptes ni de dpenses (dap-

    naiw), ni d inspirations divines (yeoforaiw), ni dautres pratiques

    9 Sur lambivalence du terme Ioudaow, voir larticle de S. J. D. Cohen, Ioudaowt gnow and Related Expressions in Josephus,Josephus and the History of the Greco-RomanPeriod. Essays in Memory of M. Smith(edd. F. Parente and J. Sievers; Leiden: Brill, 1994)23-38.

    10 Qui dclare lui-mme suivre la tradition la plus rpandue (cf. 34).11 Cf. 16.2.36 : egnmonaw ndraw.12 Traduction daprs celle de Reinach, Textes, 99-100.13 16.2.36 : (. . .) katsxe d =&dvw, ok pfyonon n t xvron, od pr o n tiw

    spoudasmnvw maxsaito: (. . .).

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    absurdes (llaiw pragmateaiw tpoiw). Mose, jouissant de lestime deses compatriotes, tablit un type de pouvoir peu ordinaire, et les peu-ples des alentours se joignirent eux, compte tenu des relations quils

    entretenaient avec lui et des promesses quil leur avait faites. Dans unpremier temps, les successeurs de Mose suivirent son exemple, tantpar la justice que par une pit authentique (37). Mais par la suite laprtrise chut des hommes superstitieux, et plus tard encore destyrans. La superstition fut cause de ladoption de pratiques comme lab-stention de certains aliments, la circoncision et lexcision, ainsi quedautres observances du mme genre; quant la tyrannie, elle engen-

    dra des troupes de brigands, dont une partie se rvolta et harcela tantla Jude que les pays voisins, tandis que lautre partie collabora avecles tyrans, sappropria la proprit des autres et soumit une grandepartie de la Syrie et de la Phnicie. Malgr ces vnements, les Juifscontinurent honorer lacropolis (quil faut interprter comme dsi-gnant le temple)14 comme un endroit sacr, et ne le prirent pas en hor-reur comme reprsentant le sige de la tyrannie.15

    A ce point de lexcursus, lauteur se lance dans une digression surle respect dont les membres dune nation doivent faire preuve enversleurs institutions communes sils veulent vivre en harmonie les uns avecles autres. Ces institutions peuvent tre dorigine divine ou humaine,mais linspiration divine fut davantage valorise par les anciens (et lau-teur de donner une liste de lgislateurs et de prophtes qui furentinspirs par les dieux). Il conclut en aYrmant que Mose et ses pre-miers successeurs faisaient partie de ces hommes, avant que la dgnres-cence nadvienne. Cette digression est peut-tre issue dune autre source.16

    Strabon revient ensuite son rsum de lhistoire juive, en men-tionnant quAlexandre Janne sattribua la royaut, que ses ls se la

    14 Cf. la dmonstration de J. D. Gauger, Eine missverstandene Strabonstelle, Historia28 (1979) 216-224.

    15

    Le texte grec est le suivant : n d mvw eprpei tiw per tn krpolin atn,ox w turanneon bdeluttomnvn, ll w ern semnunntvn ka sebomnvn. Le termeatn (leur acropolis), compte tenu de ce qui a t dit auparavant, semble renvoyeraux brigands ou aux tyrans (cf. Bar-Kochva, qui comprend que les prtres tyranniquescontinuent honorer le temple; voir Mosaic Judaism, 303). Mais si lon considre laphrase dans son ensemble, il est clair quil ne peut sagir que de la population (cf. djReinach, Textes, 102). En eVet, les tyrans ne sauraient prendre en horreur le temple dufait quil reprsente la demeure des tyrans (turanneon)! Le lien avec ce qui prcdeest maladroit, ce qui laisse penser que la digression introduite par Strabon commenceen ralit avec cette remarque.

    16 Cf. Bar-Kochva, Mosaic Judaism, 303-305.

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    disputrent et que ce fut Pompe qui mit n au conit. Il dcrit brive-ment la prise de Jrusalem et la victoire contre les tyrans, puis stendlonguement sur les environs de Jrusalem, en particulier sur la curiosit

    que reprsentait lasphalte du lac Sirbonis (en ralit la mer Morte), propos duquel il cite explicitement Poseidonios. Enn il revient Pompe, dont il nous dit quil ta la Jude certains territoires queles Judens staient attribus par la force, et quil tablit Hrode commegrand-prtre. Le passage se clt avec quelques informations sur les suc-cesseurs dHrode et leurs rapports avec Rome. Ce dernier passagenest bien entendu pas attribu Poseidonios.

    B. Bar-Kochva a avanc plusieurs arguments convaincants en faveurde lattribution Poseidonios de lexcursus sur les Juifs (35-37 daprssa dlimitation) transmis par Strabon.17 I. Ludlam est parvenu lamme conclusion dans ltude quil a consacre la description dudieu dIsral dans lexcursus de Strabon.18 Lide nest certes pas neuve;19

    la rfrence explicite Poseidonios dans la description de la mer Mortey a beaucoup contribu (cf. 16.2.43). Cependant, en lien avec une ten-dance relativement rcente de la recherche sur Poseidonios contesterlattribution de certains textes au philosophe stocien,20 cette ide a elleaussi t remise en question.21 Compte tenu du tmoignage de Josphe,

    17 Voir son article Mosaic Judaism and Judaism of the Second Temple PeriodThe Jewish Ethnography of Strabo. Bien que certains points de sa dmonstration soientcontestables, lattribution de lexcursus Poseidonios est convaincante.

    18 I. Ludlam, The God of Moses according to Strabo, Tarbiz66/3 (1997) 337-349.19 Cf. Reinach, Textes, 89 et 99. En ce qui concerne la description de la divinit,

    Reinhardt crit que le caractre stocien de la thologie de lexcursus ne fait aucundoute (Poseidonios, 639). I. Heinemann pense galement que la source de Strabonest Poseidonios (cf. Poseidonios ber die Entwicklung der jdischen Religion, MGWJ63 [1919] 113-121). Voir de mme J. Morr, Die Landeskunde von Palstina bei Strabonund Josephus, Philologus 81 (1926) 256-279, et en particulier 259-271; E. Bickerman,Der Gott der Makkaber (Berlin: Schohen VerlagJdische Buchverlag, 1937) 130-131;V. Tcherikover, Hellenistic Civilization and the Jews(Philadelphie and Jerusalem: The JewishPublication Society of America and The Magnes Press, 1961) 364; Strasburger, Poseidonioson Problems of the Roman Empire, 44; B. Z. Wacholder, Eupolemus.A Study of Judaeo-

    Greek Literature(Cincinnati and New York: Hebrew Union College and Jewish Instituteof Religion, 1974) 92-94; Theiler, Poseidonios. Die Fragmente, 1.112-114 et 2.96-99; Malitz,Die Historien des Poseidonios, 315-318.

    20 Cette tendance minimaliste est illustre par ldition dEdelstein et Kidd, qui neretiennent que les textes o Poseidonios est explicitement mentionn comme source;elle reprsente une raction face aux excs commis durant la priode prcdente, olon a attribu normment de textes Poseidonios, dune faon souvent trs alatoire.Voir LaVranque, Poseidonios, 1-44 (o elle retrace lhistoire de la recherche sur Poseidonios);Bar-Kochva, Mosaic Judaism, 300.

    21 Cf. W. Aly, Strabon von Amasia (Bonn, 1957) 191-209; A. D. Nock, Posidonius,JRS49 (1959) 5-9; J. G. Gager,Moses in Greco-Roman Paganism (Nashville and New York:

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    qui attribue des propos antijuifs Poseidonios, certains chercheurs ontnotamment estim quun tel loge du judasme mosaque tait suspect,et quil fallait plutt en attribuer la rdaction un auteur juif fami-

    liaris avec les ides de Poseidonios, qui aurait critiqu les Hasmonens.22

    Cette thorie soulve toutefois bon nombre de diYcults, comme lefait dattribuer un Juif un compte-rendu des origines du judasme enrupture complte avec les textes bibliques, o le judasme est de sur-crot fond par un prtre gyptien,23 ainsi que des erreurs grossires(comme au sujet de lexcision des femmes).

    Quant lide dattribuer lexcursus Strabon lui-mme, ou un

    auteur stocien quelconque (et non Poseidonios en particulier), Bar-Kochva y rpond par la dmonstration du caractre spciquementposidonien de plusieurs aspects de lexcursus. Ses arguments les plusconvaincants sont les suivants : le schma qui, des temps originauxidylliques, fait succder une dgnrescence, correspond tout fait lide directrice de Poseidonios dans ses Histoires.24 Par ailleurs, laccent

    Abingdon Press, 1972) 38-47; Stern, GLAJJ1.264-266, 305-306; J. C. H. Lebram, DerIdealstaat der Juden,Josephus-Studien. Untersuchungen zu Josephus, dem antiken Judentum unddem Neuen Testament (edd. O. Betz, K. Haacker et M. Hengel; Gttingen: Vandenhoeck& Ruprecht, 1974) 234-244; Gauger, Eine missverstandene Strabonstelle, 211-224;H. W. Attridge, dansJewish Writings of the Second Temple Period(ed. M. E. Stone; Assen:Van Gorcum, 1984) 171, n. 38; Kidd, Posidonius, 2.951-952; E. Gabba, The Growthof Anti-Judaism or the Greek Attitude Towards the Jews, Cambridge History of Judaism(edd. W. D. Davies et al.; Cambridge: Cambridge University Press, 1989) 2.648.

    22 Cf. par exemple E. Schrer, Geschichte des Jdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi(Hildesheim; G. Olms Verlag, 1964premire dition 1901-1909), 3.156-157; Nock,Posidonius, 8-9; Gager,Moses in Greco-Roman Paganism, 44-47.

    23 Comme le fait remarquer Stern, GLAJJ1.266.24 Cf. dj Nock, Posidonius, 6. Voir aussi Reinhardt, Poseidonios, 631-632. Bar-

    Kochva (Mosaic Judaism, 321-323) souligne que lexcursus dHcate dAbdre surles Juifs (chez Diodore, 40.3.1-8), est pour sa part dpourvu dune telle perspective(mme la phrase nale sur labandon de certaines pratiques, qui est de toutes faonsattribue Diodore, ne correspond pas une thorie de la dgnrescence compara-ble celle de Poseidonios; cf. Jacoby, FGrHIIIa [Kommentar] 52). Mais mon avis,ce nest pas tant la description posidonienne de lge dor (connue par la lettre 90 de

    Snque Lucilius) qui permet de caractriser cet aspect de lexcursus comme posi-donien (la notion dge dor suivi dun dclin nest aprs tout quun toposgrec), que lesparallles avec les textes attribus Poseidonios qui dcrivent le dclin dautres socits,en particulier celui de Rome. Voir les analyses de Strasburger (Poseidonios on Problemsof the Roman Empire), P. Desideri (Linterpretazione dell Impero Romano inPosidonio, RIL106 [1972] 481-493) et de Kidd (Posidonius as Philosopher-Historian,p. 45 en particulier). Rappelons galement lobservation de K. S. Sacks propos deDiodore et Poseidonios : (. . .) where it is reasonably certain that the words are Diodorusown, decadence is not associated with empire; when the narrative appears dependenton Poseidonios, decadence plays a prominent role (Diodorus Siculus and the First Century

    [Princeton: Princeton University Press, 1990] 48).

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    mis sur des rvlations divines directement transmises par des rves, etce des hommes sages et justes, correspond la conception posi-donienne de la divination.25 Bar-Kochva a montr que sur sept carac-

    tristiques de la prophtie prsentes dans lexcursus,26

    six sont prsentesgalement dans les textes attribus Poseidonios propos de la di-vination, et quil est le seul crivain les combiner ensemble.27A cesarguments sajoute la dmonstration dI. Ludlam, daprs laquelle laconception de la divinit prsente dans lexcursus correspond eVectivement des ides posidoniennes.28 Deux autres arguments de Bar-Kochvavalent davantage pour une attribution un auteur stocien ou sto-

    cisant, que pour lattribution Poseidonios en particulier. Dune part,lopposition de Mose la violence rappelle lenseignement de la Stoaen gnral, et louverture de Mose aux peuples des environs retepeut-tre lidal cosmopolite stocien.29 Dautre part, bien que la critique

    25 Cf. Heinemann, Poseidonios ber die Entwicklung der jdischen Religion, 115;Nock, Posidonius, 6 et 9. Le texte de rfrence pour la conception de Poseidoniosse trouve chez Cicron, De divinationeI.64.99. Sur les positions variables des scholarques

    stociens propos de la divination, et la spcicit de Poseidonios par rapport Chrysippeen ce qui concerne la divination naturelle, voir larticle de C. Lvy, De Chrysippe Posidonius : variations stociennes sur le thme de la divination, Oracles et prophties danslAntiquit. Actes du colloque de Strasbourg 15-17 juin 1995 (ed. J.-G. Heintz; Strasbourg:Universit de Strasbourg et diVusion E. de Boccard, 1997) 321-343.

    26 Cest--dire : 1) le rve est la forme de prophtie la plus adquate; 2) le rveurinterprte lui-mme son rve; 3) le rveur doit vivre de manire sage et modeste; 4) ildoit en outre pratiquer la justice; 5) il doit faire preuve dune tendance claire aux rves;6) la signication du rve peut lui tre destine, comme elle peut ltre aussi dautrespersonnes; 7) dormir dans le temple est le meilleur moyen de recevoir des rves (cf.35, et Bar-Kochva, 311-312).

    27 Cf. Bar-Kochva, Mosaic Judaism, 311-319.28 Le point de dpart de Poseidonios a sans doute t lexcursus dHcate, quil a

    reformul en fonction de sa propre conception thologique. Sur les ides de Poseidonios,voir en particulier Diogne Larce 7.138-139 et 148 (F 344, 345 et 347 de lditionde Theiler). Cf. Stern, GLAJJ 1.305 : Both Hecataeus and Strabo regard heaven asthe God of the Jews, but Strabo also equates it with the universe and with the natureof all existence. Both writers declare that this godnamely, heavenencompasses theearth. But here, again, Strabo goes beyond Hecataeus in coupling the sea and mw

    pantaw with the earth. Both writers depict the God of Moses in marked contrast tothe anthropomorphic deities worshipped by the Greeks, and both emphasize the Jewsbelief in the oneness of God. Thus, we may even assume that the concept of the JewishGod as it emerges in Strabo is an elaboration of that represented by Hecataeus.

    29 Cf. Bar-Kochva, Mosaic Judaism, 320-321. Mais je ne suis pas daccord avecBar-Kochva pour comparer la Politiquede Platon (271 b) et la vision de lge dor dePoseidonios dans la lettre 90 de Snque; ce ne sont tout simplement pas des notionscomparables. Je reviendrai plus loin sur la confusion quintroduit Bar-Kochva entre lavision de lge dor et la conception dune socit idale (qui sont mon avis deuxchoses diVrentes, lune issue de la rexion sur le pass lointain, mythique de lhumanit,

    lautre sur le prsent ou lavenir dune socit donne ou de lensemble des nations).

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    30

    Cf. M. Pohlenz, Stoa und Stoiker. Die Grnder (Zrich: Artemis Verlag, 19642

    ) 341(pour Poseidonios prcisment). Sur labsence de temple dans les poleisde ltat idalconu par Znon, voir Diogne Larce 7.33 et Plutarque,De Stoic. rep. 1034 b. Sur la-bandon des ides politiques de Znon par la majorit des Stociens partir de Pantiuset Poseidonios, cf. A. Erskine, The Hellenistic Stoa. Political Thought and Action (London:Duckworth, 1990) 108-110, 151, 156-157 et 205-206; sur les critiques de Cassius leSceptique lencontre de la Rpublique de Znon (Diogne Larce 7.32-35), voirM. Schoeld, The Stoic Idea of the City (Cambridge: Cambridge University Press, 1991)3-21. Contrairement Bar-Kochva, je ne crois pas que lon puisse dduire du texte deJosphe sur le sige de Jrusalem par Antiochus VII une information quelconque surlattitude de Poseidonios vis--vis des temples en gnral ou du temple de Jrusalem enparticulier (cf. Mosaic Judaism, 309-311). Voir infrala discussion du texte de Diodore.

    31 Cf. Reinhardt, Poseidonios, 565.32 Que Thophane de Mytilne ait connu Poseidonios est vident, puisquil rapporte

    des anecdotes sur lamiti de Pompe avec le philosophe stocien.33 Cela expliquerait pourquoi Strabon na pas plac lexcursus sur les Juifs dans un

    compte-rendu sur Antiochos VII. A moins quil nait introduit un excursus sur les Juifs la fois dans la Gographie (o Antiochos VII nest mentionn quune seule fois, en14.5.2) et dans son ouvrage historique, o il est vraisemblable que Strabon consacrait

    davantage dattention au roi sleucide. La plupart des chercheurs voient dans Strabonlune des deux sources du livre 13 desA.J. de Flavius Josphe, et en particulier du pas-sage dcrivant le sige de Jrusalem par Antiochos (13.236-248). Mais comme louvragehistorique de Strabon traitait certainement de la prise de Jrusalem par Pompe, il estplus vraisemblable de supposer que l aussi il avait introduit son excursus sur les Juifsdans le cadre de cet vnement, qui revtait beaucoup plus dimportance dans une per-spective romaine. On remarque dailleurs le mme phnomne chez Diodore, qui choisitde placer lexcursus dHcate sur les Juifs (lequel devait lui sembler plus digne decrdit) dans le cadre du rcit de la prise de Jrusalem par Pompe, et non (daprs lesfragments prservs par Photius) dans celui du sige dAntiochos VII. Comme le faitremarquer Malitz, cela indique sans doute que Diodore ne disposait pas dun compte-

    des sacrices coteux et ostentatoires ne soit pas propre au stocisme,laccent mis sur un culte modeste, sans ostensation ni requtes insen-ses, sans dpenses excessives pour les participants, correspond bien

    aux vues du stocisme tardif; celui-ci, plus raliste que Znon, nest pascomme lui hostile aux temples et aux sacrices, mais estime que chaquetre humain, apparent aux dieux par la raison, peut se les reprsen-ter par lui-mme, sans prtre ni crmonie.30

    Poseidonios doit donc selon toute vraisemblance tre identi commela source de lexcursus de Strabon. Celui-ci avait une connaissancedirecte de luvre de Poseidonios, comme en tmoignent les nom-

    breuses citations qui parsment la Gographie, mais lon nexclura pas lapossibilit que Strabon ait copi louvrage du conseiller et historien dePompe, Thophane de Mytilne,31 qui aurait dans ce cas lui-mmeemprunt Poseidonios son excursus sur les Juifs32 (un excursus ori-ginellement conu comme introduction au rcit de la prise de Jrusalempar Antiochos VII).33

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    Certains arguments avancs par Bar-Kochva sont cependant criti-quables, et leur examen conduit rfuter linterprtation densemblequil propose de lexcursus de Poseidonios. Tout dabord il avance que

    lexcursus est inuenc par Manthon, et que, comme Strabon ne con-naissait pas Manthon, cela constitue un argument en faveur de ladpendance de Strabon par rapport Poseidonios. Cest la prsenta-tion de Mose comme un prtre gyptien qui suggre lutilisation de laversion attribue Manthon. Mais ce type de propos avait connu unelarge diVusion, y compris dans des milieux juifs, comme latteste lefragment dArtapan sur Mose.34 Strabon nous dit que la tradition sur

    lorigine gyptienne des Juifs reprsente la tradition dominante (kratosa mlista fmh), ce qui implique que dautres thories avaientcours, mais que celle sur lorigine gyptienne lemportait.35 Une con-naissance directe de Manthon par Poseidonios est donc une hypothsesuperue. A linverse, lexcursus prsente de nombreux parallles (ainsique plusieurs diVrences) avec celui dHcate dAbdre. Poseidoniosa sans doute connu celui-ci, dont il a librement interprt les donnesen fonction de sa propre conception historiographique et philosophique,ainsi quen fonction dautres sources dinformations (comme celle surlorigine gyptienne des Juifs).

    Ensuite, Bar-Kochva voit dans le fait que Mose ne soit pas prsentcomme un lgislateur, une preuve de la similitude entre la descriptiondu judasme mosaque et la conception posidonienne de la socitidale, qui serait selon lui une socit sans loi,36 sur le modle de la

    rendu posidonien du sige de Jrusalem par Pompe (cf. Die Historien des Poseidonios,313). Malitz rappelle que de manire similaire, Tite-Live mentionne pour la premirefois les Juifs dans le cadre de la victoire de Pompe et non en rapport avec AntiochosVII (Periochae102; Stern, GLAJJ 1.329).

    34 O celui-ci est linstigateur mme des cultes gyptiens (cf. Eusbe, Prparationvanglique9.27.4 et 9). Sur la prsentation dArtapan comme rponse Manthon, voirM. Braun, History and Romance in Graeco-Oriental Literature (Oxford: Blackwell, 1938)

    26-31, ainsi que A.-M. Denis, Le portrait de Mose par lantismite Manthon (IIIes. av. J.-C.) et la rfutation juive de lhistorien Artapan, Le Muson 100 (1987) 49-65.35 Cela implique aussi que la srie dhypothses sur lorigine des Juifs reproduite par

    Tacite dans ses Histoires remonte vraisemblablement au premier sicle av. n. . Parailleurs, un passage des A.J. (14.114-118) tmoigne aussi de la conviction de Strabonau sujet de lorigine gyptienne des Juifs.

    36 Cf. Snque, Lettres Lucilius90.4-6. Au 6 Snque crit (daprs Poseidonios) :(. . .) lorsque les sourds progrs de la corruption eurent transform en tyrannie lamonarchie, il fallut des lois (d. C.U.F., p. 29). Il est donc clair que dans les premierstemps il ny avait pas besoin de lois; la raison en est qualors les hommes suivaient la

    nature (4).

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    Politeiade Znon.37 Cest une des raisons qui amnent Bar-Kochva distinguer la digression des 38-39 de lexcursus mme, dans la mesureo au 39, Mose est prsent comme un lgislateur divinement inspir.

    Or Diodore nous a conserv un autre exemple dune liste de lgislateursinspirs par les dieux, qui comprend galement Mose (1.94.1-2), et ilest probable que Strabon puise ici une deuxime source. Il demeurequ mon sens Strabon na pas introduit ce passage sans raison; il estvraisemblable quen faisant gurer Mose parmi des lgislateurs inspirspar les dieux, il ne pensait pas contredire lexcursus; au contraire, les38-39 taient certainement censs illustrer ce qui venait dtre rap-

    port de Mose; on notera dailleurs que les deux textes ont en com-mun un thme important, celui de linspiration divine ou de la prophtie.De plus, si lon examine lexcursus de prs, Mose ny apparat pasinactif sur le plan politique, mme si la nature du pouvoir quil exeraet ses modalits sont laisses dans lombre.38 Linstitution du culte etdes sacrices requiert dj une forme minimale dorganisation sociale;de plus, les promesses faites aux peuplades des alentours devaient bienavoir un contenu politique autant que religieux. Surtout, il est fauxdaYrmer que ce sont les tyrans qui crrent des lois,39 car le textementionne seulement lintroduction de pratiques absurdes par les prtressuperstitieux, puis linstauration de la tyrannie (qui est un systme poli-tique particulier, non linstauration dun systme politique tout court).En dnitive, si dune part on considre attentivement la lettre Lucilius90 de Snque (o, entre la priode de lge dor et celle de la tyran-nie, interviennent de sages lgislateurs),40 et si dautre part on nexclutpas la tradition bien atteste qui fait gurer Mose dans les listes delgislateurs inspirs (mme si cette tradition nest pas illustre spcique-

    37 Znon exclut en eVet les tribunaux de ses poleis (cf. Diogne Larce 7.33), ce quiest logique, puisque seuls des sages y vivent.

    38 Ce qui conduit Bar-Kochva considrer cette indication comme ngligeable.39

    Comme le fait Bar-Kochva (p. 329), qui confond le passage des Lettres Luciliuset le texte de Strabon.40 Cela amne A. J. Voillat-Sauer conclure que Poseidonios envisageait non pas

    une, mais deux poques idales : lge dor proprement dit, et lre des sages (cf. Entreexotisme et hrosme : les Celtes de Posidonios, Etudes de Lettres 2 [1992] 118). Voirgalement A. Novara, Les ides romaines sur le progrs daprs les crivains de la Rpublique(Paris : Les Belles Lettres, 1982) 1.315-317. Linvention des lois, comme des techniques,est due aux sages, et nest donc pas connote de manire purement ngative; commelcrit A. Novara, avec le pch et les techniques qui en sont leVet et lexcitation,sont apparues la connaissance du bien et du mal, la sagesse. Telle est la raison quil ya de ne pas regretter le bonheur premier (2.735).

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    ment par Poseidonios),41 tout porte classer Mose davantage parmiles sages lgislateurs que parmi les rois de lge dor. Pour ma part,jincline penser que Poseidonios reste discret sur lactivit de Mose

    comme nomothets cause de lassociation entre Mose et les lois con-sidres comme misanthropes42 par un certain nombre dauteurs non-juifs (association que Poseidonios lui-mme rejette).

    De plus, tout en admettant volontiers que Poseidonios ait dpeint lejudasme mosaque comme une socit idale, harmonieuse et sage-ment gouverne, on fera remarquer que le rapprochement avec laPoliteiade Znon ne simpose pas. Le texte clbre de Plutarque sur

    la Politeia de Znon43

    rete peut-tre linterprtation ultrieure quareue lidal de Znon, mais non directement celui-ci.44 En ralit, lapoliteia de Znon nest pas cense rassembler tous les hommes (con-trairement ce qucrit Bar-Kochva p. 320), mais uniquement les sages;cette ide caractrise lancien stocisme en gnral, selon lequel seul lesage a des amis, seul le sage connat lhomonoia, etc.45 Or les popula-tions des alentours ne sont pas prsentes comme des populations desages. De plus, daprs Diogne Larce, Znon ne prvoyait lta-blissement daucun temple; or le temple gure de manire prominentedans luvre de Mose dcrite dans lexcursus. Bar-Kochva fait remar-quer que la vision posidonienne de la socit juive ressemble unmlange du modle de Platon (gouvernement des sages), et de celui deZnon (absence de lois); compte tenu de ce qui a t dit plus haut, ilsemble que ce soit davantage Platon que Znon qui ait inspir Poseidonios.

    41 Un exemple de ces listes gure prcisment dans le passage de la lettre de Snqueattribu Poseidonios, mais Mose ny est pas nomm.

    42 Dont les lois alimentaires reprsentent lexemple par excellence.43 Auquel renvoie Bar-Kochva (p. 320). En voici la teneur : La Rpublique, tant

    admire, de Znon, fondateur de lEcole stocienne, tend en somme vers un seul but : ce que nous ne vivions plus spars en cits ou en communauts rgies par des loisdiVrentes, ce que nous considrions lhumanit tout entire comme une seule com-munaut politique, ce quil ny ait plus quun mode de vie, quun ordre unique,

    comme dun grand troupeau vivant sur le mme pturage (De la fortune ou de la vertudAlexandre329 a-b, d. C.U.F., p. 120).44 Cf. Erskine, The Hellenistic Stoa, 20, 23, 34-35. La conception de Znon reects

    not so much a belief in the unity of mankind as in the necessity of wisdom or good(p. 35); en prtendant quAlexandre avait ralis lidal de Znon dunir tous les hommes,Plutarch may have adapted the idea to t in with the contemporary Stoic idea of aworld state, which was more suitable with the analogy with Alexander (p. 20). MaisM. Schoeld fait remarquer quen ralit, la suite du texte de Plutarque illustre la con-ception de lancien stocisme selon laquelle seuls les sages peuvent vivre ensemble; cf.The Stoic Idea of the City, 104-111 (Zeno and Alexander).

    45 Cf. Erskine, ibid., 18-19, 22-23; Diogne Larce 7.32-33.

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    Sa prsentation de la socit fonde par Mose sexplique en outre toutsimplement par le fait quelle se situe dans lhistoire et non la pri-ode de lge dor, et que la possibilit dune socit sans loi est dsor-

    mais exclue, du fait du processus de dclin historique.En eVet, laYrmation de Bar-Kochva selon laquelle le judasme deMose est une illustration de la conception poseidonienne de lge dor(telle quelle nous est connue par la lettre Lucilius 90 de Snque),dont il reprsenterait un exemple de concrtisation historique, me sem-ble tre errone. Dans les dtails, les textes ne se correspondent pas;ainsi chez Snque il est question de rois, or Mose nest pas dcrit

    comme tel, ni mme ses successeurs, qui sont toujours dsigns commedes prtres.46 Surtout, la signication que Bar-Kochva attribue cerapprochement entre le judasme de Mose et lge dor me semble trscontestable. Bar-Kochva confond deux notions distinctes, lge dor etla socit idale.47 Poseidonios, dont le ralisme et le pragmatisme nedoivent pas tre sous-estims, na certainement jamais cru un retourpossible lge dor, ou lapplication de ce modle en tant que tel une socit donne du monde dans lequel il vivait. A linverse, il anaturellement adhr lide dun pouvoir inspir et contrl par dessages; il a plac beaucoup desprances en Pompe; il a lui-mme con-stamment rappel quels taient les principes thiques qui devaient guiderles rapports de vainqueur vaincu, de matre esclave, de gouver-nant gouvern.48 La lettre 90 de Snque nous fournit elle-mme uneindication prcieuse sur le regard port par un philosophe stocien surlge dor : daprs Snque, les hommes de lge dor baignaient dansune radieuse innocence, mais ils ntaient pas sages, ni mme justes,car ils taient tout simplement ignorants du mal, alors que la sagesserside dans la victoire contre les passions, les pulsions irrationnelles,grce lexercice de la philosophie (cf. 44 et 46). Bien que Snque

    46 Ici Poseidonios savre dle la version dHcate.47 Cest pourquoi il utilise la description de lge dor chez Snque pour prouver

    que Poseidonios tait revenu lidal de la Politeiade Znon. Cest bien sr une erreur.Bien dautres penseurs, mme en-dehors de la Stoa, concevaient lge dor comme unepriode dharmonie et dabondance o les hommes partageaient toutes choses en frres,o la guerre nexistait pas et o il ny avait gure besoin de tribunaux. Cependant danssa PoliteiaZnon ne dcrit pas lge dor, mais une socit idale, peut-tre venir (cf.Erskine, p. 23 : It is an ideal and natural society not located in any particular timeor place). Erskine crit mme que la notion posidonienne de lge dor est opposeaux ides du premier stocisme (dans le premier cas les sages rgnent sur les non-sages,dans le second la socit nest compose que de sages) (The Hellenistic Stoa, 201). Cf.galement H. C. Baldry, Zenos Ideal State, JHS79 (1959) 10.

    48 Cf. lanalyse dErskine, The Hellenistic Stoa, 199-203.

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    parle en son nom propre, il me semble que sa rexion claire la faondont lcole stocienne en gnral (et peut-tre au-del) considrait lgedor : un ge rvolu, un tat de lhumanit auquel il ntait dsormais

    ni possible ni mme souhaitable de revenir.49

    Cela ne les empchaitpas, bien videmment, de rchir sur la meilleure socit possible(fonde sur la recherche du bien et le rle des sages).

    Enn, lide que Poseidonios ait voulu illustrer sa vision de la socitidale par lexemple du judasme mosaque me laisse sceptique pourplusieurs raisons. Dune part, si Poseidonios avait voulu prouver sescontemporains quun modle de socit idale avait t ralis par un

    peuple donn au cours de lhistoire, il est vident quil aurait bas sadmonstration sur lexemple de Rome. Les fragments abondent en pa-rallles autrement plus convaincants entre le mode de vie romain etlidal posidonien.50 Dautre part, compte tenu du regard ngatif quePoseidonios lui-mme et un certain nombre de ses contemporains por-taient sur le judasme de leur temps, il aurait fait preuve de beaucoupdincohrence sil avait choisi une nation dont la dgnrescence tait ses yeux si manifeste pour convaincre ses lecteurs de la ralisationpossible dune socit idale.

    49 Cf. LaVranque (Poseidonios, 495-496), qui conclut qu aux yeux de Poseidonios lesoi-disant ge dor ntait pas demble le meilleur. Cela va de soi, si lhomme est per-fectible, si la sagesse peut et doit senseigner (etc.); elle prcise que ltat de natureou de perfection rside en tout premier lieu dans un certain rapport de forces et dansune certaine structure fonctionnelle : il nest pas attach tel ou tel moment du temps,et la communaut de lge dor est un cas, entre autres, dorganisation sociale parfaite.A Novara conclut dans le mme sens (cf. Les ides romaines sur le progrs, 2.735).

    50 Poseidonios dcrit plusieurs Romains qui lui sont contemporains comme des hommesaux murs honntes et frugales, pleins dendurance, la fois trs modrs dans leurrecours aux esclaves et trs justes dans leurs rapports avec ceux-ci, surtout dans le caso ces Romains sont aussi des stociens (!). La description des murs des anciensRomains est particulirement clairante : ils se distinguaient par leur endurance, leurmanire de vivre frugale, un usage modr des biens matriels, une religion absolu-ment admirable par sa pit, et un comportement juste envers autrui, daprs lequelils sabstenaient de faire du tort aucun homme quel quil soit; enn, ils se consacraient

    lagriculture (qui est traditionnellement associe la moralit, tandis que la ville estassocie la dbauche) (pour ce texte et les exemples individuels, cf. Athne, 6.274 a275 a). Lesbeia (pit) et la dikaiosnh ( justice) de ces anciens Romains (274 a)rappellent la caractrisation de Mose et de ses successeurs comme dikaiopragontewet yeosebew. Ainsi, indpendamment de lge dor, il existe daprs la conception posi-donienne de lhistoire, des socits idales du fait des vertus de leurs membres, mais ilest clair que lexemple de lancienne Rome est le modle par excellence. Cest dailleurscelui qui a le moins subi la dgnrescence, par opposition avec lOrient (dont les Juifsfont partie). Sur le contraste entre la dcadence orientale et le dclin romain, cf.Reinhardt, Poseidonios, 631; comparer avec Strasburger, Poseidonios on Problems

    of the Roman Empire, 47-48.

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    Mais alors, quelles pouvaient tre les raisons qui amenrent Poseidonios rdiger un excursus si logieux, voire enthousiaste, sur les originesdu judasme? Il me semble quil faut apprcier la description posi-

    donienne du judasme mosaque partir de lobservation suivante :celui-ci est lexacte inversion du judasme de lpoque des tyrans,51 cest--dire de lpoque hasmonenne.

    Ainsi, labsence de moyens militaires et la croyance que le culterendu la divinit suYra protger le pays correspondent de manireinverse lactivit militaire des Hasmonens.

    Dans la mme perspective, le choix par Mose dun endroit rocheux

    et dsertique est expliqu comme un souci dviter les conits territo-riaux avec dautres peuples, et correspond en ngatif lexpansion ter-ritoriale violente des Hasmonens (qui est nouveau rappele parStrabon la n de lexcursus, lorsquil prcise que Pompe leur trendre les territoires conquis par la force; le sujet est bel et bien central).52

    Mose promet dtablir une forme de culte et d administrationsacre (36 : eropoian)53 qui ne harassera pas les adeptes de dpenses,ni de pratiques absurdes. Le terme institutionnel eropoow dsignantcelui qui est charg de ladministration dun sanctuaire (dun point devue matriel et nancier),54 le mot eropoia dsigne vraisemblablementle fonctionnement administratif et nancier du temple. En dautres ter-mes, Poseidonios dcrit un type de culte o la gestion du temple nepserait pas trop lourdement sur le peuple, et vise par consquent lepoids conomique du fonctionnement du temple et de lentretien desprtres dans le judasme ultrieur.55 Noublions pas que daprs lex-cursus, les tyrans eux-mmes sont des prtres, et le sanctuaire le sige

    51 Comme le relve dailleurs Bar-Kochva, p. 322.52 On pourrait ajouter que chez Diodore, les conseillers dAntiochos VII commen-

    cent leur discours antijuif en accusant les Juifs de mener des guerres permanentes con-tre tous les autres peuples. Mais peut-on attribuer ces propos Poseidonios ? En outre,dun point de vue mthodologique, lutilisation du texte de Diodore pour prouver lat-

    tribution du texte de Strabon Poseidonios prsupposerait davoir dmontr lorigineposidonienne du texte de Diodore, ce qui nest pas le cas.53 On rencontre ce terme une fois chez Josphe (A.J. 14.257), au sens de service du

    temple.54 Sur les fonctions des hiropes, on trouvera des articles clairants dans Comptes et

    inventaires dans la cit grecque (ed. D. Knoeper; Neuchtel et Genve: Facult des Lettresde Neuchtel et Droz, 1988) partie I (Comptes et inventaires de Dlos) 27-69; voiren particulier larticle de J. Trheux, Une nouvelle lecture des inventaires dApollon Dlos, 29-35, ainsi que celui de T. Linders, The purpose of Inventories: A closeReading of the Delian Inventories of the Independance, 37-47.

    55 Peut-tre se fonde-t-il en partie sur lexcursus dHcate, qui prcise que les prtresjouissent de revenus suprieurs (40.3.7).

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    de la tyrannie (cf. 37); par la suite Strabon rappelle encore quAlexandreJanne fut le premier se dclarer roi plutt que prtre.56

    Par ailleurs, le culte mosaque dpourvu de pratiques absurdes (36 :

    pragmateaiw tpoiw) soppose videmment aux rites introduits par lesprtres superstitieux; Poseidonios critique ainsi la kashrout et la circon-cision ( laquelle il ajoute lexcision), ainsi que dautres coutumes dontla nature exacte nest pas prcise. Il est fondamental de relever quece sont des pratiques constitutives du judasme que Poseidonios rejette,des pratiques considres par les Juifs comme la loi mme de Moseoudans le langage de Jospheles patrioi nomoi, les coutumes ances-

    trales. Il importe aussi de souligner que dans la perspective de Poseidonios,ce judasme nest pas le fait des tyrans : daprs le 37, les hommessuperstitieux et les hommes tyranniques se succdent la prtrise(prton . . . peita . . ., dabord . . . ensuite . . .), et cest de la super-stition (k mn tw deisidaimonaw) que sont issues les pratiques juives,avant donc linstauration de la tyrannie. Contrairement lavis de Bar-Kochva, on ne peut donc pas distinguer chez Poseidonios dune partune attitude positive vis--vis de la religion juive,57 et dautre part unecondamnation radicale des Hasmonens.58

    Enn, la libre adhsion des peuples des alentours la nouvelle entitpolitico-religieuse de Mose et de ses compagnons repose sur la sup-riorit morale et intellectuelle de ces derniers. Comme la soulign

    56 Cf. 40 : prtow ny ervw ndeijen autn basila Aljandrow. En ralitAlexandre Janne fut et prtre et roi, et non roi la place de prtre.

    57 Que Poseidonios ait pu connatre les pratiques juives durant sa jeunesse Apamenest pas exclu, une petite communaut juive y ayant peut-tre rsid (leur prsencenest assure qu partir du premier sicle de n. .). Cf. E. Schrer, The History of theJewish People in the Age of Jesus Christ (175 B.C.-A.D. 135) (revised and edited by G.Vermes, F. Millar and M. Goodman; Edinburgh: T. & T. Clark, 1973-1987) III.1,p. 14; il sappuie surB.J. 2.479, o Josphe crit que durant la guerre, seules les citsdAntioche, de Sidon et dApame pargnrent leurs mtques (tn metoikontvn) etne laissrent ni tuer ni charger de chanes aucun Juif; peut-tre parce que, tant donn

    leur propre supriorit numrique, elles les estimaient insigniants pour la rbellion,mais plutt, mon sens, par piti pour des gens quils voyaient bien navoir aucuneactivit subversive (d. C.U.F., p. 90). Poseidonios a peut-tre aussi rencontr des Juifs Rhodes; E. Schrer (Geschichte des jdischen Volkes, 3.534, n. 73) et L. Troiani (Commentostorico al Contro Apione di Giuseppe (Pisa: Giardini, 1977) 56) estiment que la mentionde Rhodes en 1 M15:23 implique une prsence juive sur lle. Cf. galement J. Juster,Les Juifs dans lempire romain (Paris: Geuthner, 1914) 1.189, n. 4. Mais on tombe dansun raisonnement circulaire, o les crits de Poseidonios et dApollonios Molon sontinvoqus comme argument en faveur dune prsence juive Rhodes.

    58 Cf. son article Antiochus the Pious and Hyrcanus the Tyrant: A Chapter in the

    Historiography of the Hasmonean State (Zion 61/1 [1996] 7-44), sur lequel je reviendraidans le cadre de la discussion du texte de Diodore.

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    A. Nock, le contraste avec la coercition exerce lencontre des Idumens(lexil ou la conversion, daprs Josphe,A.J. 13.257-258) et des Iturens(A.J. 13.318) est frappant.59 En eVet, mme si certains groupes issus

    des populations concernes (Idumens, Iturens, Samaritains, . . .) sesont rapidement rallis au pouvoir hasmonen, la conversion ou pluttla judasation de ces populations a t au moins en partie eVectuesous contrainte.60 Bar-Kochva interprte la sortie dEgypte de Mose etdes hommes sages qui laccompagnent, ainsi que la fondation dans unendroit dsert dune sorte de nouvelle entit politico-religieuse, commeun dsir disolement par rapport au reste des hommes, en vue de ren-

    dre un culte authentique la divinit. Il en dduit que Poseidoniosloue la volont disolement des Juifs. Mais cette lecture ne rend pasbien compte des donnes du texte : on vient de le voir, le choix delendroit rocheux et sec est motiv par le dsir dviter les conits ter-ritoriaux et non par le dsir dtre isol des hommes, comme le prouvepar ailleurs laccueil bras ouverts que Mose et ses compagnons rser-vent par la suite ceux qui se joignent eux volontairement. Javouequil mest diYcile de voir quelque dsir disolement que ce soit danslattitude de Mose, qui ne semble pas avoir cherch isoler la nou-velle socit dinuences extrieures perverses. Dailleurs pour Poseidoniosle dclin historique des civilisations est d une dgnrescence internedes socits, et non des circonstances ou des apports extrieurs.61

    Le judasme de Mose est donc forg par Poseidonios comme uncontre-modle exact du judasme de lpoque hasmonenne, lequel cor-respondait de toute vidence la perception quavait Poseidonios dujudasme de son temps. On est amen conclure que loin de louerlisolement juif, comme Bar-Kochva veut le croire, Poseidonios en ra-lit condamne lattitude hostile des Hasmonens vis--vis de leurs voisins

    59 Cf. Poseidonios, 6. Strabon, au 34, donne de la conversion des Idumens uneversion diVrente de celles de Josphe et de Ptolme (cf. Stern, GLAJJ 1, no146);daprs Strabon, les Idumens sont supposs avoir t rejets de chez les Nabatens et

    avoir rejoint les Judens volontairement par la suite. Sur ces contradictions, voir lesexplications de S. J. D. Cohen (Religion, Ethnicity, and Hellenism in the Emergenceof Jewish Identity in Maccabean Palestine, Religion and Religious Practice in the SeleucidKingdom [edd. P. Bilde, T. Engberg-Pedersen, L. Hannestad and J. Zahle; Aarhus: AarhusUniversity Press, 1990] 211-216), et de S. Weitzman (Forced Circumcision and theShifting Role of Gentiles in Hasmonean Ideology, HTR92/1 [1999] 37-59).

    60 Cf. S. Schwartz, Israel and the Nations Roundabout: I Maccabees and theHasmonean Expansion, JJS42 (1991) 16-21 surtout.

    61 Voir lanalyse de LaVranque, Poseidonios, 496; cela se vrie dabord au niveauindividuel, puis au niveau collectif. La cause du mal est naturelle et invitable, car

    elle repose sur lexistence des facults irrationnelles dans ltre humain (p. 469).

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    et critique les rites alimentaires, qui sont synonymes de refus de lacommensalit grecque, refus de la koinnia.

    Reste expliquer pourquoi Poseidonios, contrairement la plupart

    des auteurs antijuifs, na pas attribu les coutumes superstitieuses directe-ment Mose, et pourquoi il a prsent la sortie dEgypte comme ladcision dun sage, et non comme lexpulsion dune bande de lpreux.Je pense que Poseidonios devait rsoudre un paradoxe : dune partil considrait certains aspects du judasme, tels le monothisme et lanon-reprsentation de la divinit, comme des ides profondment philoso-phiques et dignes dadmiration;62 dautre part il dplorait le comporte-

    ment des Juifs de son temps, et en particulier lattitude des Hasmonenset de leurs partisans. Il imputa alors les ides avec lesquelles il avaitdes aYnits un Mose philosophe, qui lui semblait similaire dautresgures de sages ou de lgislateurs inspirs, tandis quil attribua luvredu dclin et des prtres superstitieux, les coutumes et les rites qui ses yeux avaient dgrad le projet mosaque initial; conformment savision historique gnrale, le dclin conduisit la tyrannie, qui t desJuifs (ou plutt des Judens) les ennemis de leurs voisins, et acheva detransformer le judasme en quelque chose de tout fait contraire cequavait voulu son fondateur.63Au bout du compte, il faut bien con-clure que lloge du judasme mosaque auquel se livre Poseidonios nesert qu souligner la dgnrescence du judasme qui lui est contem-porain.64 Et ce nest pas la description par Poseidonios des Judenscomme sorciers (Strabon, 16.2.43) qui dmentira cette conclusion.

    2. Le rcit du sige de Jrusalem par Antiochos VII

    a) Le texte de Diodore (34-35.1.1-5)

    Le patriarche Photius nous a conserv de Diodore non seulementlexcursus sur les Juifs attribu Hcate dAbdre, mais encore unpisode du sige de Jrusalem par Antiochos Sidets en 135-134 av.

    62 Un des premiers textes grecs sur les Juifs tmoigne de cette perception du judasmecomme doctrine philosophique; il sagit dun fragment duDe Pietatede Thophraste citdans leDe Abstinentiade Porphyre (2.26), o les Juifs sont dcrits comme une race dephilosophes (filsofoi t gnow ntew). Des opinions similaires se rencontrent chezMgasthne (cf. Clment dAlexandrie, Stromates1.15.72.5) et Clarque de Soles (un dis-ciple dAristote) (cf. Flavius Josphe, C.A. 1.179).

    63 Chez Tacite galement, lide que les Juifs ont perverti certains de leurs rites estcentrale dans sa condamnation du judasme (cf. Histoires5.5.1).

    64 Contrairement lavis de Lebram, Der Idealstaat der Juden, 240-241.

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    n. .65 Le texte rapporte que les Juifs rsistrent jusqu ce que, leursrserves puises, ils soient forcs denvoyer une dlgation ngocier lacessation des hostilits.

    La majorit des amis [du roi] lui conseillaient de prendre la ville par laforce et dexterminer la race des Juifs de fond en comble; seuls, en eVet,parmi tous les peuples, ils ne participaient pas aux relations entre les peu-ples (mnouw gr pntvn ynn koinvntouw enai tw prw llo ynowpimijaw), et ils considraient tous [les hommes] comme des ennemis (kapolemouw polambnein pntaw). Ils lui reprsentaient en outre que lesanctres des Juifs, dj, avaient t chasss de toute lEgypte comme im-pies et has des dieux (w sebew ka misoumnouw p tn yen). 2. En vuede purier [le pays], ceux qui prsentaient des marques blanches oulpreuses sur le corps avaient en eVet t rassembls et expulss au-deldes frontires, comme des tres maudits. Ceux qui avaient t bannisstaient empars du territoire autour de Jrusalem et, ayant constitu lepeuple juif, avaient fait de la haine des autres hommes quelque chosedhrditaire (paradsimon poisai t msow t prw tow nyrpouw); de cefait, ils avaient aussi institu des coutumes tranges en tous points, [comme]

    de ne partager la table daucun autre peuple (t mhden ll ynei trapzhwkoinvnen), et de ne faire preuve dabsolument aucune bienveillance [enversquiconque] (mhd enoen t parpan). 3. Ils lui rappelrent galement la haineprouve dans le pass par ses anctres pour ce peuple. En eVet, Antiochos,dnomm Epiphans, lorsquil eut vaincu les Juifs, pntra dans le tem-ple impntrable de la divinit, o la rgle voulait que seul le grand-prtre entrt; y ayant trouv la statue de pierre dun homme la longuebarbe assis sur un ne, qui tenait dans les mains un livre, il pensa quil

    sagissait de Mose, celui qui avait fond Jrusalem et constitu le peu-ple, et qui avait institu pour les Juifs leurs usages misanthropes et con-traires la loi (t misnyrvpa ka parnoma yh); saisi dhorreur devantcette misanthropie dirige contre tous les peuples (tn misanyrvpan pntvnynn), il mit un point dhonneur abolir leurs coutumes. 4. Cest pourquoi,ayant sacri une norme truie devant la statue du fondateur et lautelde la divinit plac en plein air, il versa sur eux le sang; puis, ayant faitprparer les viandes, il ordonna dune part darroser avec leur jus les

    livres sacrs contenant les coutumes inhospitalires (t misjena nmima),dautre part dteindre la lampe dite ternelle qui brle continuellementdans le temple, et [enn] il fora le grand-prtre et les autres Juifs con-sommer les viandes [prpares].

    Ayant rappel tout ceci au roi Antiochos, ses amis lui conseillrentdanantir le peuple juif, ou du moins dabolir ses coutumes et de le

    65 Cf.Bibliotheca244 (618-619 H) (d. Bekkeri, 379-380).

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    forcer changer de manire de vivre. Mais le roi, tant dun carac-tre magnanime (megalcuxow) et doux (merow), se borna prendredes otages, et acquitta le reste de la population; il leur t cependant

    verser le tribut qui tait d et dtruisit les murailles de Jrusalem.Le discours des conseillers contient laccusation de misanthrpiala plussystmatique qui nous ait t conserve de toute lpoque hellnistique.Laccusation de sparatisme, de refus des changes avec les autres peu-ples, constitue en eVet demble le chef daccusation (cf. 1).66 Ensuite,deux sries darguments sont avances, que lon pourrait dsigner respec-tivement comme le rcit gyptien et le rcit sleucide. Mais alors

    que chez Manthon et Lysimaque,67

    le motif de lhostilit envers lesautres hommes restait second par rapport au motif de limpit, chezDiodore les deux rcits saccordent pour mettre systmatiquement enrelief la misanthropie juive. Les conseillers prsentent en fait linter-diction de faire preuve de bienveillance envers les autres hommes commeune consquence dun principe transmis de gnration en gnration,la haine des autres hommes, dont dcoule galement le refus de partagerla table. Lapparition de cet argument, ainsi que lide sous-jacentede la koinnia, indiquent un auteur grec. On remarquera en outre que,contrairement ce que lon peut observer dans lexcursus dHcate(cf. 40.3.4), lexpulsion subie ne justie nullement la misanthrpiajuive.Ensuite, dans le rcit sur Antiochos IV, la profanation du temple etdes objets sacrs (dont les rouleaux de la Torah) est justie par lhor-reur quprouve le roi voir honor lhomme qui avait institu descoutumes responsables dune misanthropie gnrale vis--vis des autrespeuples. Il est donc logique que ce soit une statue de Mose la Torah la main, et non celle dun ne seul, qui soit dcrite dans le rcitdes conseillers.68 Ce qui est vis ici, ce sont les lois juives, caractrises

    66 Cf. le commentaire de Jules Isaac : Demble, Posidonios formule ici laccusationmajeure de lantismitisme paen, au fond la seule qui compte et qui ne soit pas, nouslavons vu, sans fondement (Gense de lantismitisme[Paris : Calmann-Lvy, 1956] 75).

    67

    Cf. C.A. 1.75-90 et 1.232-251 (pour Manthon) et 1.305-311 (pour Lysimaque).68 Si lon en croit le tmoignage de Mnasas (vers 200 av. n. .), une lgende auraitcircul peut-tre ds la n du 3e sicle av. n. . au sujet dune statue dne dans letemple de Jrusalem (cf. Josphe, C.A. 2.112-114; Stern, GLAJJ1.97-101). Bar-Kochvaprtend que lutilisation du terme knyvn (bte de somme) signie quil existait uneversion plus ancienne, dans laquelle ctait un ne mont par Mose qui tait reprsent;cette explication est cependant trs hasardeuse, et il semble prfrable de supposer quela lgende de la statue dne a t transforme ultrieurement par des auteurs sleu-cides soucieux de justier le comportement dAntiochos au temple de Jrusalem. Bar-Kochva lui-mme donne des arguments en ce sens (cf. An Ass in the Jerusalem

    TempleThe Origins and Development of the Slander, Josephus Contra Apionem.Studies in its Character and Context with a Latin Concordance to the Portion Missing in Greek[edd.

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    L. H. Feldman and J. R. Levison; Leiden: Brill, 1996] 313-314). Une statue dne etpeut-tre ridiculis le culte juif, et laurait fait ressembleraux yeux dun Grecauxcultes gyptiens, mais naurait pas entran laccusation de misanthrpia, ni justi lhor-reur prouve par le roi (cf. 3).

    69

    Ce terme, propre 2 Maccabes, vient du verbe splagxnzv, littralement mangerles entrailles de la victime aprs le sacrice. Sur limportance de la consommation dessplgxna dans la tradition sacricielle grecque, voir J. Rudhardt, Notions fondamentalesde la pense religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grce classique (Paris: Picard, 19922)254-255, 262-264, 268 et 292-295.

    70 6:7-9, daprs la traduction dA. Guillaumont, La Bible, d. de la Pliade, p. 1672.71 La plupart des chercheurs saccordent voir dans le compilateur de louvrage de

    Jason un Juif de la diaspora, familier de la langue et de la culture grecques. 1 Maccabessemble au contraire avoir t rdig en hbreu par un historien hasmonen, partisande Simon. Cf. Schrer, The History of the Jewish People, III.1, 180-183; U. Rappaport,A Note on the Use of the Bible in 1 Maccabees,Biblical Perspectives (edd. M. E. Stoneet E. G. Chazon; Leiden: Brill, 1998) 175.

    comme misanthropes et inhospitalires, et tout particulirement les loisalimentaires, comme lindique la coercition exerce lencontre dugrand-prtre et dautres Juifs pour quils mangent du porc.

    Ceci fait cho aux comptes-rendus parallles des premier et deu-xime livres desMaccabes. Cependant, lorsque lauteur de 1 Maccabesrapporte propos de la priode de perscution que lon sacria des porcset autres animaux impurs (1:47), cela nest pas explicitement reli lobligation de consommer des mets impurs (thme qui nest mentionnquen 1:62-63, o il est crit que plusieurs Isralites dles eurent laforce de ne pas en manger). A linverse, 2 Maccabeslaisse entendre que

    lobligation pour les Juifs de consommer des mets impurs tait lie lobligation dassister des clbrations religieuses paennes, elles-mmeslies linterdiction des ftes juives et la pratique de sacrices impurs :

    Chaque mois, on tait conduit par une amre ncessit participer unsacrice suivi de la consommation des entrailles (splagxnismw),69 le jourde la naissance du roi, et quand arrivait la fte des Dionysies, on taitforc daccompagner, couronn de lierre, le cortge de Dionysos. Un

    dcret fut rendu, linstigation de Ptolme, pour que dans les villes grec-ques du voisinage on tnt la mme conduite lgard des Juifs et queceux-ci prissent part aux repas rituels, avec ordre dgorger ceux qui nese dcideraient pas adopter les usages grecs (. . .).70

    Un peu plus loin, lauteur de 2 Maccabesraconte en dtails le mar-tyre dElazar et des sept frres, qui tous refusrent de manger du porc,et il conclut par cette phrase : Nous en resterons l sur la question

    des repas rituels et des tortures monstrueuses (cf. 6:18-7:42). Or, ladiVrence de 1 Maccabes, 2 Maccabesest notablement plus au fait deschoses grecques,71 et porte un regard beaucoup plus nuanc (et par

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    consquent moins ngatif ) sur les non-Juifs, dont les Grecs.72 Sa ver-sion des vnements nous permet daboutir aux rsultats suivants.

    Dun ct nous disposons dun rcit dorigine sleucide rapportant

    comment Antiochos IV fora les Juifs manger de la viande dun porcpralablement sacri sur lautel du temple, et de lautre nous est par-venu un rcit juif qui relate comment les Juifs, durant une priodedtermine, furent contraints participer des clbrations paenneset consommer les viandes sacries. Du point de vue juif, cela estbien videmment prsent comme une perscution sans prcdent, dau-tant plus que dautres mesures avaient t prises pour radiquer les

    pratiques juives comme la circoncision et le shabbat. Du point de vuedes milieux de la cour sleucide, cela est prsent comme une rponse la haine que les Juifs portent aux autres peuples, exprime dans leurscoutumes misanthropes et inhospitalires (et de toute vidence la kashroutgure de manire prminente parmi celles-ci); pour contrer cette haine,il sagit dradiquer ces coutumes et de forcer les Juifs entrer dansla koinnia lie la commensalit sacricielle. Il est possible que lau-teur de 2 Maccabesait lui-mme peru quune telle logique tait lu-vre dans la perscution quil dcrit.73

    En conclusion, lensemble du discours rapport par Poseidonios/Diodore est construit autour de laccusation de misanthrpia. Mais celle-ci ne dsigne plus seulement lisolement des Juifs (comme chez Hcate),elle est explicitement dcrite comme haine des autres hommes (t msowt prw tow nyrpouw). De plus, les propos des conseillers sont clairementantijuifs, puisque leur discours sur la misanthrpiajuive est un argument

    72 Voir par exemple 4:35-36 : lors de lassassinat dOnias, non seulement les Juifs,mais aussi beaucoup de gens des autres peuples (o mnon Ioudaoi, pollo d ka tnllvn ynn) furent indigns et trouvrent intolrable le meurtre inique de cet homme.Quand le roi revint des rgions de Cilicie, les Juifs de la ville et les Grecs qui partageaientleur haine du mal (o kat plin Ioudaoi summisoponhrontvn ka tn Ellnvn) vin-rent le trouver au sujet du meurtre injusti dOnias. On remarquera en outre quen2:21, les braves du judasme mettent en fuite les hordes barbares (t brbara plyh),

    comme si lauteur opposait les Juifs aux barbares, mettant ainsi les Juifs dans la mmeposition que les Grecs!73 Un indice en faveur de cette hypothse rside dans la manire dont lauteur iro-

    nise propos de la philanthrpia de ceux qui prsident le repas rituel o Elazar estcontraint manger du porc (cf. 6:21-22). Dans le mme sens, voir R. Doran, pour quilauteur de 2 Maccabes cherche rpondre laccusation dasociabilit adresse auxJuifs (Temple Propaganda: The Purpose and Character of 2 Maccabees[Washington: The CatholicBiblical Association of America, 1981] 60); il est suivi par S. Weitzman, qui crit :Perhaps by depicting Gentiles in a more sympathetic light, the author of 2 Maccabees(or the ve volume history it abridges) was reacting to pagan charges of Jewish mis-

    anthropy (Forced Circumcision and the Shifting Role of Gentiles in HasmoneanIdeology, 47, n. 46). Cette interprtation est intressante, quoiquun peu force.

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    en faveur de lextermination du peuple juif ou de labolition de ses tra-ditions. Cest l surtout que rside la diVrence fondamentale avec lex-cursus dHcate qui, tout en caractrisant le mode de vie juif comme

    misanthrope, nest pas vraiment hostile aux Juifs.74

    Revenons prsent Poseidonios. Deux questions se posent : luneest de savoir sil est vritablement la source de Diodore, lautre de dis-cerner la position adopte par Poseidonios vis--vis des propos quilrapporte. En ce qui concerne la premire question, lattribution de cetexte Poseidonios sur la base de lanalyse gnrale des sources deDiodore na pas t srieusement mise en doute.75 Quant la source

    de Poseidonios lui-mme, Bar-Kochva a suggr que Poseidonios74 Cf. entre autres I. Heinemann, Antisemitismus, R.E. Suppl. V (1931) 32; M.

    Hengel, Judentum und Hellenismus (Tbingen: Mohr, 1988) 549, n. 257; O. Murray,Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship, JEA 56 (1970) 158; Gager, Moses inGreco-Roman Paganism, 35; Stern, GLAJJ1.21; E. Will et C. Orrieux, Ioudasmos-Hellnismos.Essai sur le judasme juden lpoque hellnistique (Nancy: Presses Universitaires de Nancy,1986) 92; E. Gabba, The Growth of Anti-Judaism or the Greek Attitude Towards theJews, 629; L. H. Feldman, Jew and Gentile in the Ancient World: Attitudes and Interactions

    from Alexander to Justinian (Princeton: Princeton University Press, 1993) 126; A. J. Droge,Josephus between Greeks and Barbarians, Josephus Contra Apionem, 131-132. Onremarquera que ces dernires annes, la tendance des commentateurs est plutt demodrer lenthousiasme de leurs prdcesseurs, et de souligner davantage les rservesdHcate, en particulier pour rompre avec lide que son excursus prsente les Juifssur un mode idalis. Voir en particulier B. Bar-Kochva (Pseudo-Hecataeus On the Jews.Legitimizing the Jewish Diaspora [Berkeley: University of California Press, 1996] 41 et 43),mais aussi J. Mlze-Modrzejewski (Limage du Juif dans la pense grecque vers 300avant notre re, Greece and Rome in Eretz Israel. Collected Essays [edd. A. Kasher, U.Rappaport and G. Fuks; Jerusalem: Yad Izhak Ben-Zvi and The Israel ExplorationSociety, 1990] 115-116), P. Schfer (Judeophobia, 16-17) et E. S. Gruen (The Use andAbuse of the Exodus Story, Heritage and Hellenism, the Reinvention of Jewish Tradition[Berkeley: University of California Press, 1998] 51-52).

    75 Cf. lanalyse classique dE. Schwartz, Diodoros, R.E. V.1 (1903) 690-691 sur-tout; daprs lui, la source principale de Diodore pour les chapitres 32 (en partie) 37ntait autre que Poseidonios. Voir galement Reinhardt, Poseidonios, 630-638; Jacoby,FGrH III c, 157; Strasburger, Poseidonios on Problems of the Roman Empire, 42;A. Momigliano,Alien Wisdom: the Limits of Hellenization (Cambridge: Cambridge UniversityPress, 1975) 33-34; Malitz,Die Historien des Poseidonios, 34-42. Mme Sacks, qui critique

    la manire dont la plupart des chercheurs voient dans Diodore un simple copiste, nercuse pas lattribution de la majeure partie de ces chapitres Poseidonios (cf.DiodorusSiculus, 22, 47-48, 120-121 et 142 en particulier). LaVranque pourtant prfre ne pasutiliser Diodore; elle ne nie pas quil ait puis luvre de Poseidonios, mais elle aYrmede manire un peu premptoire qu cause de la pratique des amalgames de sourcesqui caractriserait Diodore, ses emprunts certains au philosophe dApame ne peuvent(. . .) rien nous apprendre de ce dernier (Poseidonios, 111). Stern pour sa part aYrmeprudemment que lattribution de notre texte Poseidonios est incertaine (GLAJJ1.142-143 et 168), non pas cause de Diodore, mais cause des contradictions quil peroitentre les diVrents textes sur les Juifs attribus Poseidonios. Il me semble que ces

    paragraphes rpondent la plupart de ses objections.

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    dpendait de Timochars, un crivain de la cour sleucide dont noussavons, grce au tmoignage dEusbe, quil crivit un ouvrage con-sacr Antiochos VII,76 et cette suggestion semble trs plausible.

    La seconde question est plus dlicate. Presque tous les chercheursont considr que Poseidonios, qui loue la raction magnanime du roi,ne pouvait en aucun cas adhrer aux calomnies des conseillers.77 Certes,si lon se rfre au tmoignage de Strabon, les propos des conseillersprsentent plusieurs contradictions avec les ides de Poseidonios : dunepart, Poseidonios lui-mme nadhrait pas la version gyptienne dela sortie dEgypte, qui prsentait les Juifs comme des Egyptiens malades

    expulss en vue de purier le pays. De surcrot, Poseidonios sembleavoir t trs critique vis--vis des Sleucides en gnral,78 et comptetenu de ses convictions sur la manire dont un roi devait traiter sessujets, il ne pouvait videmment pas justier le comportement dAntiochosIV, encore moins recommander de massacrer les Juifs.79 Daprs lesfragments conservs chez Diodore, Poseidonios considrait quil fallaittraiter avec modration et humanit les vaincus qui se rendaient, etrecommandait de rgner par lquit et la bienveillance.80 Mais Poseidonios

    76 Cf. Eusbe, Prparation vanglique 9.35. R. Laqueur, dans son article Timochares(R.E. VI.a1 [1936] 1258), identie tort Antiochos avec Antiochos IV. En eVet, lex-trait de la monographie de Timochars prserv par Eusbe dcrit la manire dontJrusalem est approvisionne en eau, ce qui laisse supposer que cette description guraitdans le compte-rendu du sige de Jrusalem par Antiochos VII.

    77 Cependant Schrer (Geschichte des jdischen Volkes, 3.21), F. Sthelin (Der Antisemitismusdes Altertums in seiner Entstehung und Entwicklung[Basel : C. F. LendorV, 1905] 23-24) ouencore Jules Isaac, taient davis que Poseidonios faisait preuve dantijudasme. A pro-pos de la dcision du roi, Isaac crit : Nest-ce pas le signe de quelque repentir et quePosidonios ne prend pas son compte les accusations des amis du roi? Mais la com-plaisance avec laquelle il les transmetsans les rfuterne permet pas de labsoudredu pch dantismitisme (Gense de lantismitisme, 76). Stern conclut pour sa part ladiYcult daYrmer quoi que ce soit quant lattitude de Poseidonios vis--vis des Juifs,tant donn que lhypothse de lantijudasme de Poseidonios repose ses yeux unique-ment sur lallusion de Josphe (C.A. 2.79), qui elle-mme repose sur le tmoignage peuable dApion. A ce propos, voir infra.

    78

    Mme au sujet dAntiochos Sidets, la plupart des textes ne sont gure enthousi-astes; ils mettent surtout laccent sur le luxe de sa cour, ainsi que sur les excs de sonmode de vie, et sinscrivent par l dans le tableau global de la dcadence orientaledpeint par Poseidonios (cf. Athne,Deipnosophistes, 5.210 d [repris en 12.540 c], 10.439e; sur la dcadence orientale en gnrale, voir 4.176 b et 5.210 f ). Cf. Malitz, DieHistorien des Poseidonios, 287-293 et 312.

    79 Quand bien mme les accusations seraient vraies, le stocisme de Poseidonios pres-crit de ne pas se laisser dominer par les lans irrationnelsy compris la haine, dematriser ceux-ci par la raison et de ragir avec mesure et magnanimit. Cf. LaVranque,Poseidonios, 469.

    80 Cf. Diodore 33.15.1, o le roi de Pergame Attale II relche les Thraces prisonniers;

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    sest-il pour autant born transmettre des propos quil aurait entire-ment dsapprouvs ? Outre quil y a l une invraisemblance, on estforc de reconnatre que si le roi sest conduit avec magnanimit, cest

    que les accusations des conseillers, quoiquindment malveillantes, n-taient pas dpourvues de tout fondement. Eussent-elles t sans fonde-ment aucun, le roi aurait fait preuve de sagesse et de clairvoyance,non de magnanimit et de douceur. Lorsque Pompe pargne la viedes pirates qui se sont rendus et leur oVre de se rformer dans lagri-culture, il fait preuve de magnanimit dans la mesure mme o lespirates sont eVectivement des individus nuisibles et dangereux.81

    La comparaison avec lexcursus de Strabon rvle quen plusieurspoints, les propos des conseillers retent des ides attribues par ailleurs Poseidonios. Ainsi, la phrase qui ouvre le discours des conseillers82

    et en rsume par avance les points essentiels nest en rien contradic-toire avec ce que nous lisons chez Strabon propos de lpoque destyrans, caractrise par des guerres incessantes et des exactions contreles pays voisins.83 En outre, on peut avancer un argument philologiqueen faveur de lattribution de cette phrase Poseidonios lui-mme (aumoins en ce qui concerne la formulation) : chez Diodore, lutilisation

    33.18.1; 34/35.3.1 et 20.1; 36.4.8; 37.26.1. Il est vrai que Diodore lui-mme valoriseaussi trs frquemment lattitude magnanime des vainqueurs envers les vaincus, en utili-sant gnralement les termes philanthrpia et epieikeia (cf. Sacks, Diodorus Siculus, 43-44);en 13.22.3, au sujet de Cyrus, il utilise philanthrpia et hmerots. Cependant lide queseul un comportement clment pouvait assurer au vainqueur la loyaut des vaincusdevenus ses sujets tait un topos; on trouve dj ces ides et ce vocabulaire chez Polybe,et il ny a rien dtonnant les retrouver chez Poseidonios (cf. Erskine, The HellenisticStoa, 199-202), puis chez Diodore. J.-L. Ferrary crit ce propos : Sans doute sagit-il l dun thme bien attest dans lensemble de luvre de Diodore, mais il revientavec trop dinsistance, en particulier dans ce qui nous reste des livres 33 35, et il faittrop penser, plus encore qu Polybe utilis par Diodore dans les livres 28 32, ceque le second livre du De OYciisnous apprend de lenseignement de Pantius, pourquon ne soit pas tent dy voir linuence des Histoiresde Posidonius (cf. Philhellnismeet imprialisme. Aspects idologiques de la conqute romaine du monde hellnistique, de la seconde guerrede Macdoine la guerre contre Mithridate (Rome : Ecole Franaise de Rome et diVusion

    E. de Boccard, 1988) 490-491).81 Cf. Plutarque, Vie de Pompe28.4-5 (633 d). Le texte est attribu par Strasburger Poseidonios (Poseidonios on Problems of the Roman Empire, 42-43, n. 35). Voirde mme Sacks, Diodorus Siculus, 151, n. 136. Quand bien mme ce texte ne serait pasde Poseidonios, il permet une comparaison clairante.

    82 . . . seuls, en eVet, parmi tous les peuples, ils ne participaient pas aux relationsentre les peuples, et ils considraient tous [les hommes] comme des ennemis.

    83 Ou mme avec ce que nous lisons dans le premier livre des Maccabes. Dans celui-ci, toutes les nations des alentours sont bel et bien prsentes comme des ennemis desJuifs; seuls des peuples lointains, comme les Spartiates ou les Romains, sont suscepti-

    bles de conclure une alliance avec les Juifs. Cf. U. Rappaport, Les Juifs et leurs voisins lpoque perse, hellnistique et romaine.

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    du terme pimija (relations, changes) est en eVet caractristique oude Poseidonios ou dHcate dAbdre.84 Lutilisation de ce terme sug-gre par consquent que Poseidonios a reformul le discours des con-

    seillers avec ses propres concepts. De surcrot, les termes misanthrposetmisoxenos, si centraux dans ce texte, ne se retrouvent pratiquement jamaisdans les autres textes antijuifs qui reprennent le thme de lhostilit desJuifs vis--vis des autres hommes.85 De tous ces textes, misoxenosest com-mun uniquement Hcate et Poseidonios. Quant misanthrpos, ilest ici lquivalent dapanthrpos dans lexcursus dHcate; lpoquede Poseidonios, en eVet, la signication dapanthrposa volu et le terme

    revt dsormais davantage le sens de cruel que celui de misan-thrope; il serait donc impropre pour dcrire les coutumes juives, puisquele texte ne renvoie aucunement laccusation de meurtre rituel ou des pratiques de ce genre, mais au sparatisme juif.

    Linsistance sur le refus des Juifs de partager la table des autres peu-ples (un point absent de la version de Lysimaque) correspond elle aussi un lment de lexcursus de Strabon, la critique des lois de la kashrout.Il ny a donc l encore aucune contradiction entre la perception dujudasme par Poseidonios telle que nous la saisissons travers Strabon,et le discours des conseillers. Certes, chez Strabon les lois alimentairesdcoulent en premier lieu de la superstition, et non de la misanthrpia.Mais daprs lanalyse de D. Hahm,86 Poseidonios tend expliquer lescomportements des peuples en fonction de leur caractre, et ce carac-tre est lui-mme d aux traditions et coutumes du peuple en question,combines son naturel (celui-ci tant inuenc par le lieu et le climat).On peut donc reconstituer le raisonnement suivant : dans le cas des Juifs,les lois imposes par les prtres superstitieux, qui avaient pour butdriger une barrire entre les Juifs et les autres peuples, ont confr aupeuple juif un caractre misanthrope et hostile aux trangers, qui serete dans une attitude agressive vis--vis de leurs voisins.87 Poseidonios acertainement t sensible latteinte que les lois alimentaires reprsentaient

    84 Le terme epimixiase rencontre une fois dans un passage indiscutablement attribu Diodore lui-mme, en 1.4.4, et aussi en 5.22.1; autrement le terme apparat quatrefois dans des passages attribus Hcate (1.57.2, 1.60.8, 1.88.6 et 40.3.8) et trois foisdans des passages attribus Poseidonios (5.33.1, 5.39.7 et notre texte).

    85 Apollonios Molon qualie lui aussi les Juifs de misanthropes (daprs Josphe, C.A.2.148); mais il dpend trs probablement de Poseidonios.

    86 Posidonius Theory of Historical Causation,ANRWII.36.3 (1989) 1339 et 1344en particulier. Il fonde son analyse uniquement sur les textes explicitement attribus Poseidonios (cf. p. 1327, n. 5).

    87 Toujours daprs D. Hahm, il existe en eVet chez Poseidonios une correspondanceentre le comportement des dirigeants et celui de leurs peuples (ibid., p. 1339).

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    la convivialit et la koinniaentre les hommes,88 ainsi que le conrmepar ailleurs un autre passage de ses travaux ethnographiques.

    Daprs un autre texte de Diodore attribu Poseidonios, ce dernier

    est pratiquement le seul auteur grec attribuer des barbares la capac-it dtre philanthrpoietphiloxenoi.89 Le fait quil sagisse des Celtibres,que Poseidonios a certainement rencontrs lui-mme lors de son voy-age en Gaule et en Espagne, et au sujet desquels nous avons gale-ment un passage de Strabon attribu Poseidonios (3.4.13), ne laissegure de doute sur lidentit de la source de Diodore. Toutefois Strabonnutilise pas les termes pieikew ka filnyrvpoi, qui sont par ailleurs

    trs frquents chez Diodore;90

    on pourrait donc contester lattributionde ces termes Poseidonios. Mais cest tout le dveloppement sur lhos-pitalit des Celtibres qui est omis par Strabon, lequel ne souligne queleur sauvagerie, quil explique par leur habitat dans des forts et desvillages et par le caractre recul du pays.91 Diodore voque aussi lacruaut des Celtibres vis--vis de leurs ennemis, mais il souligne ensuitele contraste entre cette cruaut et leur attitude vis--vis des trangers,et sans doute a-t-il t plus dle que Strabon lexcursus original dePoseidonios. Pourquoi en eVet aurait-il invent une histoire aussi excep-tionnelle propos dun peuple quil ne connaissait pas? Quels quesoient les termes employs originellement par Poseidonios, le fond dupropos est le suivant : (. . .) tous ils rclament que les trangers de pas-sage fassent tape chez eux, et ils rivalisent entre eux pour la pratiquede lhospitalit; ainsi ceux que les trangers accompagnent [chez eux]sont lous et considrs comme aims des dieux (5.34.1). Cet logede laphiloxeniades Celtibres, dautant plus exemplairedans une per-spective ethnographiqueque ce peuple habitait une rgion recule etdonc peu propice au dveloppement de murs civilises, permet desaisir combien le refus de la convivialit avec les Grecs de la part deJuifs vivant proximit de ceux-ci, parfois dans des villes trs hel-

    88 Sur la koinnia comme idal posidonien, voir Reinhardt, Posidonios, 627-628;Poseidonios insiste souvent sur la syngeneiaqui existe entre des peuples ou des individus(cf. par exemple Diodore, 37.15.2; Strabon, 1.2.34).

    89 Cf. Diodore 5.34.1 : Pour ce qui est des coutumes lgard des malfaiteurs etdes ennemis les Celtibres sont cruels (mo), mais lgard des trangers (jnouw) ilssont doux et humains (pieikew ka filnyrvpoi). (. . .).

    90 Cf. Sacks, Diodorus Siculus, 43-44.91 Le lien entre lisolement et la sauvagerie (grithw) est constant chez Strabon, qui

    est donc parfaitement cohrent avec lui-mme en nattribuant pas aux Celtibres la

    capacit dtre hospitaliers; comparer avec 2.5.26, 4.5.4-5, 5.2.7 et 12.3.18.

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    lnises et donc dans un monde civilis, a d choquer Poseidonios. 92

    Pour toutes ces raisons, on ne saurait considrer que Poseidoniossest limit recopier un discours quil aurait par ailleurs dsaprouv.

    Si, de toute vidence, il cite plusieurs propos antijuifs auxquels il nac-cordait lui-mme aucun crdit (comme lorigine lpreuse des Juifs), etqui guraient sans doute dans sa source sleucide, cela ne signie pasquil dsavouait tout ce qui y tait dit. La condamnation de la mi-santhropie juive, en particulier, correspondait ses propres prises deposition vis--vis du judasme hasmonen, et cela met sans doute enlumire le lien existant entre la rvolte maccabenne et les guerres has-

    monennes dune part, et le dveloppement de laccusation de misan-thropie dans le monde sleucide dautre part. Quoi quil en soit, lemotif de la misanthropie tait probablement dj prsent dans le dis-cours des conseillers. Nous verrons que dans les versions parallles dusige chez Flavius Josphe et Plutarque, qui dpendent sans doute dunesource commune distincte de Poseidonios, le discours des conseillers serduit au reproche damixiaet une allusion Antiochos IV, ou bienest compltement pass sous silence. Certes, ces textes tardifs ne per-mettent pas de dterminer le contenu de la source de Poseidonios. Maisprcisment dans la mesure o Josphe ne me semble pas dpendrede Poseidonios (voir le dveloppement infra), le fait quil rduise le dis-cours des conseillers laccusation damixia semble indiquer que cetargument faisait partie du discours originel.

    Les textes de Strabon et de Diodore laissent donc tous les deuxentendre que les murs des Juifs (ou du moins des Judens) contem-porains de Poseidonios lui semblaient critiquables dun point de vuephilosophique et socio-politique. Il est toutefois certain que les ractionsde haine dmesure des milieux sleucides lui paraissaient hautementcondamnables. Dailleurs il ne sest pas fait lcho de laccusation demeurtre rituel dirige contre les Juifs, qui circulait sans aucun doutedj son poque.93

    92 Rappelons que Poseidonios dcrit galement les Gaulois comme hospitaliers, en men-tionnant explicitement le cadre du banquet : kalosi d ka tow jnouw p tw evxaw,ka met t depnon pervtsi tnew es ka tnvn xrean xousin (Ils invitent aussi lestrangers leurs banquets, et aprs le repas [seulement] ils senquirent de leur identitet de ce dont ils ont besoin) (Diodore 5.28.5, Theiler F 169). Comme la remarquA. J. Voillat-Sauer, lhospitalit des Gaulois rappelle ici celle des hros dHomre(cf. Entre exotisme et hrosme : les Celtes de Posidonios, 115). De manire gnrale,le peuple le plus primitif a su conserver une simplicit oublie du monde grec (122).

    93 Quelle que soit lorigine de cette fable, elle a t transmise dans des milieux sleu-cides, de toute vidence avant le premier sicle av. n. .

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    b) Le rcit de Flavius Josphe (A.J. 13.236-252)

    Il existe un rcit parallle celui de Diodore