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UNIVERS ITE DE MONTREAl, FACULT E: DE PHILOSOPHIE L'fTRE ET LA VERITE CHEZ HEIDEGGER ET SAINT THOMAS D' AQUIN '" BERTRAfIIQ RJOUX PRI'OFACE DE PAUL RICŒUR PRESSES DE l 'UNIVERSITE PRESSES UNI VERSITAI RES DE MON T REAL DE FRANCE

Bertrand Rioux , L'être et la vérité chez Heidegger et saint Thomas d

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  • UNIVERSITE DE MONTREAl, FACULTE: DE PHILOSOPHIE

    L'fTRE

    ET LA VERITE

    CHEZ HEIDEGGER

    ET SAINT THOMAS D'AQUIN

    '"

    BERTRAfIIQ RJOUX

    PRI'OFACE DE PAUL RICUR

    PRESSES DE l 'UNIVERSITE PRESSES UNIVERSITAIRES

    DE MONTREAL DE FRANCE

  • UNIVERSIT DE MONTREAL, FACULT DE PHILOSOPHIE

    L'~TRE ET LA VRIT

    CHEZ HEIDEGGER

    ET

    SAINT THOMAS D'AQUIN

    par

    Bertrand RIOUX

    PRFACE PAR PAUL RICUR Pro/eueur la Sorbonne

    PRESSES DE L'UNIVERSIT

    DE MONTRAL

    C.P. 6128, MONTRAL-3

    CANADA

    PRESSES UNIVERSITAIRES

    DE FRANCE

    108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

    PARIS-VIe

    1963

  • Cet ou"rage a t publi grdce une sub"ention accorde par le Conseil canadien de recherches sur les humanits et pro"enant de fonds fournis

    par le Conseil des Arts du Canada

    DPOT LGAL

    1re dition 2e trimestre 1963

    TOUS DROITS

    de traduction, de reproduction et d'adaptation

    rservs pour tous pays

    1963, Presses Universitaires de France

    PRFACE

    C'est une entreprise pleine de prils de comparer deux doctrines qui n'appartiennent pas la mme poque de la pense " l' historicisme qui trane encore en nos penses n'est pas seul lever des objections. Non seulement Heidegger vient aprs saint Thomas, mais ce n'est pas la mme situation, aux mmes questions que le premier fait face; il vient au terme d'un long puisement de la pense mtaphysique; il parat en un sicle marqu par les sciences et les techniques; il mdite sur le nihilisme dcouvert et acclr par Nietzsche; il n'est pas thologien, mais penseur radical, en de de toute thologie et peut-tre de toute philosophie.

    Et pourtant cette confrontation mritait d'tre tente " car si saint Thomas et Ileidegger ne dialoguent pas entre eux, ils peuvent du moins se rencontrer en nous, qui les lisons ensemble. C'est en nous que les sicles se bousculent, que les penseurs s'arrachent leur environnement singulier et en viennent inverser leurs positions dans l'histoire. Ds lors, il n'est pas absurde que saint Thomas parle aprs Heidegger dans un livre qui les interroge conjointement.

    Ce qui plus que tout me parat justifier l'ouvrage de M. Rioux, c'est que l'auteur est lui-mme expos ses propres questions et interrog par elles. J'estime, en ce livre , le bel quilibre de l'coute et de la riposte. C'est docilement que l'auteur, traitant de Heidegger , /.? asse de la vrit du Dasein comme rapport l'tant en totalli, la malation de l'oubli d!. l'tre lui-mme, laquelle est dj inspara.~le ~ de la vry de l'tre. Tout ce qui est dit du renversement - de la

  • IX VIII L'BTJ ET LA Vl\'nlTl~

    l{chrc - me parat juste, mesur, clairant. L'auteur ne sollicite non plus jamais les textes: en particulier il ne tente pas, la diffrence de tant d'apologtes indiscrets, d'arracher une confession de foi chrtienne aux textes hautement nigmatiques de Heidegger sur le divin (125-130). Je sais gr M. Rioux de nous avoir pargn cet hab{fet trouble concordisme. Certes, il n'est pas satistait par la critique heideggerien ne du jugement (24-25) ; mais c'est parce qu'il puise dans la pense de Heidegger la force de reconnatre la vise ontologique du verbe tre lui-mme, en tant qu'il est l'me du jugemenj. Il n'est pas non plus satisfait par la thorie heideggerienne du Nant (53) et voudrait la rattacher encore la ngation

    y'enveloJ2[l.e l'activit de eense com"!..~t~!le; mais c'est parce qu'il a su retrouver. avec l'aide de Heiderl{l~r luimme, cette q.p,hh:upculative du jugement sur l'tre )) (53). Et l'auteur .ne cesse de luller avec le Matre : Peut-on, 4f.mande-t-il, se passer de l'anaJogie el de la participation, de la dcouverte de la Prsence comme d'un lranscendant concrel indpendant, pour expliciter pleinement le dynamisme de ce transcendant concret fini de la prsence du prsent? (90). La question est dj question de thomiste. Mais ce n'est pas une critique qui dlruit, c'est une critique qui claire et qui claire l'un par l'autre.

    Mais, surtoul, l'auteur ne me contredira sans doute pas si je dis que son thomisme ne sort pas indemne de . cette };'Qntrontation. C'est grands frais qu'il le sauve du schme onlo-tho-logique sur lequel, est-il dit (116), Heidefljjr bloque loute l' histoire de la philosophie occidentale. C'est eidegger qui dcouvre en saint Thomas l' unzque penseur qui aurait dh connu et compris la fameuse di rence ontologlque de l'tant el de l'tre. Bref, c'est Heidegger qui rend manz esfe La dstance- de saini Thomas Aristote et fait apparatre chez le Docteur mdival une ontolo ie de la vrit ui repose sur Tcli);;[[ment de tout tre ens dans l'tre IpSUm esse) )) (133 . Celte prsence de l'acte au cur de tori(c(jiii est )) (134), voil l'lre en tanl qu'il n'est pas SSence, mais bien acie d'lre. C'esll'tre comme acte qui est la dcouvene lu Docteur mdival )) (217).

    Est-ce dire que M. Rioux nous donne ici un saint

    Plf(.,PACE

    Thomas heideggerien ? A supposer que cela ail un sens, je ne le crois aucunement; il a autant vit celle erreur que la faule inverse de faire un Heidegger thomiste. Car l'auteur tient ferme de bout en bout sur un point capitaL. La vrit de l'tre n'exige aucun sacrifice de l'intelligence, aucune rgression l'ant-prdicatJ4..parce que ce qui est suprmement intelligible, ce n'est l2!..clsment Ras une essence, mais l'acte mme d'tre; l'tre et l'esJ!ri~ s':"'appartiennent rciproquement; c'est cela la vrit de l'lre habilant la vrit du jugement; pour ne l'avoir pas reconnu HeiderJ.ger reste un no-kantien.

    Ainsi saint Thomas, aprs avoir t redcouvert, la lumire de Ileide[ger, comme le hiloso he de l'esse ipsum subsistens, esl rendu lui-mme dans sa l Trence e t son originalil' : el celle diffrence consiste prcisment dans la thorie de la vrit qui esl l'objet principal de cel ouvrage.

    Tout le mouvement, loute la respiralion de ce livre tiennent dans ce va-el-vienl i de la ressemblance retrouve enlre saint Thomas el Heidegger ~omme p!!nseurs de l'tre, le lecteur esl sans cess.~.renvoy leur diffrence invincible en tant que pen~~!'..~-.1.~ la vrit de l'lre.

    Paul RICUR, Professeur la Sorbonne.

  • AVANT-PROPOS

    Notre intention n'est pas d'entreprendre une tude historique de la pense de Heidegger et de saint Thomas d'Aquin en ce qui concerne le problme de la vrit. Il aurait fallu une rudition que nous n'avions pas et un temps dont nous ne disposions pas non plus.

    Notre but est de choisir dans la tradition mtaphysique, accuse par Heidegger d'tre tombe en dehors de l'tre, le penseur qui nous semble le plus propre mettre en doute une telle accusation. En effet, saint Thomas d'Aquin, par sa dcou- l verte historique de l'tre comme actas essendi, chappe au reproche d'avoir oubli l'tre comme tel, au sens heideggrien. Sa thorie de la vrit comme manifestation de l'tre dans l'intelligence, sur le fondem~l!t de la diffre!!ce ontolog.i.que-.i.e l.'en.. et de 1 :!S~~, cOD~ue la base fondamentale pour un dialogue entrJLJLdocte~~oyen Age et le J>en~ur cont emporain. Enfin, l'achvement ncessaire- d'une rflexion sur la vrit dans le dvoilement radical de l':E:tre comme Esse pur dans une Transcendance absolue, chez saint Tliomas d'Aquin, nous semble donner son sens plll l'exprience ontologique de Heidegger, qu'une mthode foncirement oppose au discours philosophique, retient l'intrieur du sens de l'tre pour un Dasein humain.

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    1l en ipsit.

    Quant il. Scheler et Husserl, s'ils ont compris le sujet en termes d ' intentionnalit, ils n'ont pas atteint l 'tre de la personne, son \\ Ii:>cncc (Wesen), comme un exister . Lorsque Scheler dfinit III personne dans l'accomplissement d'actes intentionnels, en l'opposant aux catgories de chose et de substance, comme si la personne pouvait se trouver derrire et en dehors du vcu im:mdiat, et qu'il la dtermine comme l'unit i:mmdiatement prouve

  • 3') L'ETRE ET LA Vb;RIT.t; CHEZ HEIDEGGER

    L'homme se distingue de tous les autres tants en ce que son tre doit se comprendre selon un mode transitif. Alors que les tants sont des tants-simplement-donns, des tants-t, l'homme n'est jamais donn (vorhanden). Il est comme un avoir tre (Zu-sein). Il n'a pas de dterminations fixes qui permettraient de l'tiqueter, de le cerner dans une dfinition. La quiddit (esseniia) de cet tant, si on peut parler d 'elle, doit tre comprise partir de son tre (ex isieniia) (1). Elle n'est pas a chercher selon des distinctions particulires, comme les concepts de vie et de raison, mais en fonction mme de son existence qu 'e lle peut toujours mettre en question. L'exisieniia doit se muer en ek-sistence. Toutes les caractristiques qui peuvent tre observes dans l'homme, sont comprendre dans un projet fondamental en vertu duquel le Dasein s' existe)) de faons diverses. Il existe ses modalits d 'tre, les rapportant son pouvoir-tre. En ce sens, le Dasein est toujours le mien (isi je meines) (2). Parce qu 'il est toujours en vue de lui-mme dans tous ses comportements en mettant en question son tre lui-mme, il assume l'ouverture de son pouvoir-tre, sa manire dtermine d'tre son Da. L'tant donn dans la pure facticit de son tre tal sous mon regard n'a pas pouvoir sur ses dterminations. Il les subit. Il est engag dans l'engrenage du monde)) sans qu'il y soit pour rien. Le Dasein, au contraire, doit se choisir selon divers modes d'existence, l'existence inauthentique et l'existence authentique. Mon tre-l est toujours le mien, comme ralis dans l'un ou l'autre de ces deux modes. Dj jet au milieu des tants, le Dasein peut se gagner en s'existant comme un soi authentique ou se perdre en se fuyant.

    S'il en est ainsi, on comprend que la subjectivit doive tre interprte partir de l'horizon de l'existentialit. Le je comme substrat de mes actes, loin de constituer l'ipsit (Seibigkeii) vritable de l'homme, n'en est qu'une dgradation qui s'explique par le fait que le Dasein existant s'est perdu d 'abord et le plus souvent dans l'existence inauthentique du souci quotidien et qu'il s'est interprt la manire des tants intra-mondains auprs desquels il s'affaire. Ce soi-mme ontifi ne peut pas tenir lieu de fondement au souci (Sorge). Dans la perspective heideggrienne, le Je n'a pas de valeur spculative propre. Il n'est que l'effet de la chosification de la conscience s'interprtant selon le mode des tants-simplement-donns. Il doit tre rac

    (1) 5Z, p. 42. (2) SZ , p. 41-42.

    f.' f::TRE-n/tN8-LE-MONDE 33

    Lualis dans l'existence authentique et rinterprt partir de cetle ouverture bante que le Dasein est et dans laquelle LonLes les positions lui sont inconfortables, parce qu'elles sont Loujours traverses par un essor de ses possibilits qui remet sans cesse en question toutes ses ralisations prcaires. En dfinitive, le soi-mme que je suis, est toujours une dtermination inacheve qui prend naissance dans le'Dasein qui, comme mouvement de transcendance, se temporalise vers un tant que j'existe sous des formes multiples et vers les autres tants que je ne suis pas. Le soi-mme (du) Dasein est ainsi l'clatement d'un acte de prsence qui peut aller de l'emptement du je dans l'exisLence inauthentique au tenir lieu de l'tre comme verbe dans l'existence voue la Pense de l'tre, mais il demeure toujours dchu en tant que jet. L'ipsit renvoie au pouvoirtre jeL du Dasein.

    L'existence comme l'essence du Dasein tente de dfinir l'tre de l'homme dans son rapport avec la totalit. S'il n'est pas un tant ct d'autres existants, c'est qu'il a affaire au monde . L'essence du Dasein qui est l, au centre)), est ek-statique, c'est-dire ex-centrique (1). Le monde est insparable de l'existence, au point que dans le comprendre du monde est en mme temps comprise l'existence et inversement (2) . C'est pourquoi, sa constitution fondamentale consiste dans l'tre-dans-Ie-monde.

    Dans la poursuite de notre lucidation des conditions fondamentales de possibilit de l'tre-dcouvrant de l'tre-vrai (das Wahrsein ais Endeckend-sein), nous rencontrons l'tre-dans-Iemonde a titre de fondement transcendantal (3). Mais que veut d'abord signifier cette expression? Est-ce l plus qu'un fait banal, que chacun est mme de constater, savoir celui de l'insertion de l'homme dans l'univers? Il est vident que l'homme {( existe)) dans un monde, qu'il se meut dans l'espace et qu'il est siLu dans le temps. Ce qui est intressant, c'est de comprendre que ce fait dcoule d'une condition a priori dans l'homme. Le Dasein n'est pas au milieu du monde, la manire o nous disons qu'une chose est dans Ulle autre, comme le verre dans un bullet. Ce serait l le caracLre purement on tique d'une chose qui se prsente parmi d'autres. Il n'est pas non plus tre-dans-Iemonde dans le sens qu'il y aurait une ncessit absolue ce qu'un tre tel que le Dasein humain existe en fait (4) . C'est une

    (1) WC, p. 42 en note, trad. CORBIN, p. 95. (2) 5Z, p. 152. (3) 5Z, p. 219. (4) WC, p . 21, trad. p 67.

    3B. RIOUX

  • 35 34 L'f~l'RE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER

    affirmation ontologique qui porte sur la possibilit interne du Dasein existant.

    \( :tre-dans veut dire habiter, demeurer. L'habitation, comme le fait remarquer Heidegger dans son commentaire d'un pome d'Hlderlin o il est dit que l'homme habite en pote (1), a un sens beaucoup plus profond que celui de possder une maison qui nous met l'abri des intempries et o nous rentrons chaque soir pour y manger et y dormir. Elle est bien plutt un trait fondamental de l'existence humaine. Par-del les ncessits biologiques d'un gte et les ncessits psychologiques et morales d'un lieu de solitude o l'homme puisse se retrouver dans ses joies et ses peines profondes dissimules au regard d'autrui, l'habitation est l'amnagement de la dimension dans laquelle l'homme se meut comme le projet le plus essentiel de son tre. Si nous pouvons habiter une maison, c'est que fondamentalement notre tre est un tre auprs des choses. Le (( dans de l'expression in-sein, signifie tre (( ouvert pour , tre (( auprs de (sein bei). Cela veut indiquer qu'une certaine familiarit avec les tants comme condition mme de possibilit d 'une rencontre ontique est ncessaire au Dasein. Heidegger parlait dj de cette familiarit au plan antprdicatif. Les scolastiques parlaient aussi d'une connaturalit pralable de l'intelligence et de l'tre. Le Dasein n'est centre de tout qu 'en existant ex-centriquement. Et c'est ainsi qu'il peut tre la fois en vue de lui-mme et en vue du monde. Le Dasein n'est auprs d'un tant que si dj un monde est projet. Deux existants, s'ils sont sans monde, ne peuvent se (( toucher dans un sens fort, c'est--dire habiter l'un dans l'autre, se compntrer. Ils peuvent tre prsents l'un l'autre sans qu 'aucune destruction ne s'ensuive. Dans l'homme, tous les comportements thortiques et pratiques ne sont possibles que sur la base de l'tre-dans.

    C'est ainsi que Heidegger prtend dpasser le ralisme et l'idalisme. L'tre-dans-le-monde constitue l'entre-deux ontologique qui permet la rencontre du sujet et de l'objet. Le Dasein est originellement un (( au-dedans qui est la fois un (( audehors . Seulement, ce recouvrement de l'intriorit et de l'extriorit ne doit pas tre compris au plan de la conscience. Si l'idalisme a raison de soutenir que l'tre et la ralit ne se trouvent que (( dans la conscience (2), il faut l'entendre en

    (1) Vor/rage ... , p. 187. (2) 5Z, p. 120.

    f.' f~TllE-DANS-LE-MONDE

    raisant clater la conscience dans la structure ontologique du JJasein qui la porte et l'tre dans ce qui n'est rien d'un tant. Autrement, l'exigence idaliste rduit le monde une reprDcntation du sujet. Pour donner satisfaction la requte lgitime de l'idalisme, non pas dans sa formulation, mais dans ce qu'il vise, et .par ailleurs, pour garder la dcouverture son caractre de manifester l'tant tel qu'il est en lui-mme, il faut fonder la conscience comme sujet et l'tant comme objet sur une ouverture qui , comme projet du monde, prcontient les dterminations ontiques comme ses temporalisations. Le Dasein est la fois dedans et dehors, centre et ek-stase, ce qui reste dterminer d'abord sous la forme d'un horizon du monde, ensuite comme Dimension de 1':tre. Par l nous sera rvl l'tre-dans-lemonde comme la Vrit de l':tre, en tant que sont imbriqus l'un dans l'autre, (( le dedans comme lieu d'clairement du monde et le dehors comme la lumire elle-mme de l'tre.

    2. L'tre du Da, le souci et la temporalit

    Afin de prparer la problmatique transcendantale du monde comme fondement de la vrit de l'existence, nous allons rsumer grands traits comment s'effectue existentialement l'ouverture de l'tre-dans-le-monde. Nous verrons ensuite comment le souci donne une unit globale aux divers ( lments structurels du Dasein que nous aurons trouvs. Nous fonderons ensuite cette unit structure du souci sur la temporalit comprise comme son sens ontologique. Nous aurons fait alors les analyses ncessaires qui nous permettront de comprendre la transcendance du monde comme instauration de toute vrit.

    Heidegger distingue trois existentiaux qui sont autant de manires galement primitives pour le Dasein d'tre son Da existant ou (( d'exister son ouverture (Erschlossenheii) ou sa transparence 1':tre. Les caractres ontologiques fondamentaux de cet tant sont: l'existentialit, la facticit et l'tre-dchu (1). Ces existentiaux qui sont la disposition (Befindlichkeii) , la comprhension (Versiehen) etl'tre-dchu (Verfallensein) comme modalit de l'existence caractrisant la vie quotidienne, sont enracins dans l'existence ontique de l'homme. Ils ne font qu'expliciter les conditions de possibilit de ses comportements existentiels.

    Le Dasein est avant tout un Dasein dispos . Il prouve

    (1) 5Z, p. 191.

  • 37 36 VETRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER

    tout moment de son existence un certain tat afTectif. On mconnat la nature du sentiment quand on en a fait quelque chose de purement subjectif qui isole le sujet sentant des autres tants. La disposition est un accord affectif qui place l'homme devant son Da (1), devant cette zone dvoilante qu'il est. A travers les sentiments, comme le dgot de tout ou l'indifTrence il. tout, le Dasein est mystrieusement apport devant cette ouverture bante qui reste cache la connaissance. Celle-ci ne s'en rend pas compte, parce que ses possibilits de rvlation ont une porte beaucoup trop restreinte en regard de la rvlation originelle que nous apporte la disposition (2).

    La disposition rvle l'homme qu'il est. Il se sent insr dans un monde et dj enracin en lui. Il dcouvre son tre-jet (Geworfenheit). Il est son Da existant comme englu dans un soi-mme ontique. Mais la condition fondamentale de son trejet n'est pas celle de la facticit d'un faclum brulum, mais elle implique la ralisation de son tre (3). Il ne se voit pas comme un tant-simplement-donn. Ce n'est pas le pur regarder bouche be de la connaissance dont parle Heidegger avec plus ou moins de justesse, mais un cartlement de tou t son tre sous forme de rpulsion ou de dsir d'assumer son tre. Son tre-jet est travers par un appel il. prendre en main son tre. D'o vient cet appel et quel est son rapport avec l'tre-jet, nous le verrons mieux plus loin. Pour le moment, la finitude du Dasein est indique, sans qu'elle soit vue partir du mouvement de sa transcendance et plus profondment encore de la Vrit de 1'.tre.

    La disposition, COmme Source originelle de tous les sentiments particuliers, nous dcouvre aussi l'accord profond du Dasein l'tant en totalit. La disposition est une modalit existentiale fondamentale de la rvlation simultane du monde, de la co-existence (Mildasein) et de l'existence, parce que celle-ci est essentiellement tre-dans-Ie-monde (4). C'est parce que le Dasein est accord il. l'tant en totalit qu'il peut tre dispos vis-a-vis tel ou tel tant particulier. Quant la nature de l'tant en totalit, nous la dcouvrirons dans les deux faces complmentai res du Monde et de l' .tre.

    La comprhension (Verslehen) co-constitue l'tre du Da. En tant que le Dasein existe comme tre-dans (in-sein), il existe sous la forme d'un monde. Par l mme, avons-nous dit, il est

    (1) SL, p. 134, 139, 14l. (2) SZ, p. 134. (3) SZ, p. 135. (4) SZ, p. 137.

    L'ETRE-D.1NS-LB-MONDB

    ouvert (erschlossen) et transparent lui-mme. Le retour de l'intelligence sur elle-mme devient exhauss dans cette comprhension des possibilits du Dasein sur le fondement de la comprhension de l'tre. Parce que celle-ci n'est pas le fait du comportement prdicatif et antprdicatif, bien qu'elle doive le guider, la rflexion sur soi doit tre reporte du plan ontique du sujet au plan ontologique de l'ouverture du Dasein. Elle n'est plus alors un acte de connaissance, ni une espce de connatre qui consisterait dfinir et conceptualiser des objets, mais la source de toutes les possibilits de la vue soit selon le mode de la circonspection (Umsichl) dans la proccupation quotidienne, soit selon le mode de la sollicitude ou encore de la science. Elle fonde tous les modes d'explication possible (1). Tout dcouvrir comme comprhension de ce qui est obscur s'enracine dans le comprendre originel du Dasein.

    Le terme Verslehen doit tre compris dans le sens de pouvoir matriser quelque chose, en tant qu'il se trouve devant nous. On ne comprend une chose que si on peut la matriser, la prendre avec soi et l'assumer, que grce un pouvoir-tre (2). La compr" hension dsigne cette strudure du Dasein qui renvoie fondamentalement lui mme comme tre-dans-Ie-monde. C'est pourquoi, elle est indivisiblement lie au monde. Elle est un cc pur pouvoir de projeter le monde en vue de quoi le Dasein existe comme tredans (in-sein). La comprhension prend ainsi le caractre de projet (3).

    Ce Lerme de projet (Enlwurf) ne doit pas tre compris au plan psychologique comme une reprsentaLion quelconque de ce qui est raliser. Il est bien une certaine construction, en regard de la comprhension de l'tre (4). Mais il ne faut pas l'entendre dans le sens d'une libre invention, car le projet doit s'assurer au pralable de son orientation et de son essor. Autrement dit, le projet est la forme que doit ncessairement prendre la rencontre de l'tre de l'tant pour un Dasein fini. Il doit former l'horizon d'apparition de tout tant, mais en venant se briser sur l'tre puisqu'il tient de lui sa mesure et qu'il doit apprsenter l'tant tel qu'il est. Il n'est pas crateur. C'est sous la forme de nant que le projet est pouvoir de s'objeter l'horizon de tout tant. L'essence de ce libre pouvoir est un laisser-tre l'tant tel qu'il est. C'est en creusant la notion de projet comme projet-jet que nous aurons chance

    (1) SZ, p. 336. (2) SZ, p. 143. (3) KM, p. 288, trad. (4) 1(M, p. 289, trad.

  • 39 L' 1?TRE ET LA VRIT CHE'L HElDEGGEH38

    de la situer sa vraie place, celle de la connaissance ontologique comme besoin de la comprhension de l'tre rendant possible la rencontre de tout tant.

    Enfin, le troisime caractre de l'existence qui s'ajoute la facticit comme tre-jet et l'existentialit comme projet de ses possibilits, est l'tre-dchu (Ver/al/en). Si l'on loigne toute signification morale ou thologique, l'tre-dchu dsigne le mode d'existence du Dasein en tant qu'il est d'abord et d'habitude auprs du monde qui le proccupe en perdant de vue ses possibilits d'existence authentique. Dans la chute, le Dasein comprend son propre tre sur le modle des tants de son entourage comme des choses qui ont une substance et des qualits. Il vit dans le monde impersonnel du on )) o se donnent cours le bavardage, la curiosit et l'ambigut (1). La chute est une possibilit interne de l'existence qui fait manquer au Dasein son pouvoir-tre originel et l'loigne ainsi de son existence authentique. La remonte vers une existence authentique exige une dcision-rsolue (Enlschiossenheil) partir de cet tat d'tre-dchu qui est le fait de tout homme en tant qu'il s'est toujours dj perdu d'une certaine manire (2). Et pour autant que la chute nous fait nous interprter sur le modle des tantssimplement-donns, toute activit spculative )) repose dj sur ce fondement cach.

    C'est le souci (Sorge) qui exprime la structure globale de tous ces lments structurels du Dasein que nous venons de dgager. Heidegger ne veut pas signifier par ce terme une certaine inquitude qui caractriserait l'homme dans ses rapports avec le monde . Il n'quivaut pas non plus la proccupation quotidienne du Dasein en qute d'assurer sa propre subsistance par l'asservissement du monde extrieur ses besoins. Ce n'est l qu'une consquence, la plus immdiate et la plus universelle, de ce que le Dasein est en lui-mme souci. Toutes les formes ontiques du souci que constituent le commerce avec les tants intramondains dans la proccupation quotidienne dont nous venons de parler, les rapports avec autrui sous forme de sollicitude ou bien encore la recherche scientifique, ne sont possibles que parce que fondamentalement le souci comme structure existentiale-apriorique les rend possibles au pralable (3). Cette structure globale, Heidegger la dfinit par la formule suivante: le Dasein est l'tant qui en-se-dpassant-est-dj-dans-(un

    (I) SZ, p. 175. (2) SZ, p. 397. (3) SZ, p. 193.

    L' f'TRE-DA..NS-LE-MONDE

    monde) auprs des (tants-intramondains) - (Sich-vorwegschonsein-in (der WeU) ais Seinbei (innerweltlich begegnendem Seienden) (1) . Le Dasein comme pouvoir-tre originel s'anticipe sous la forme du monde qui est l (Da) comme ce qui est projeter. Il est toujours en retrait)) sur ses possibilits. Il a du large pour dpasser ses possibilits ralises, parce qu'il s'est toujours dj dpass vers son pouvoir-tre comme transcendance rendant possible toutes ses possibilits ontiques. Parce qu'il ne projette un monde que sur le fondement du projet du monde, il s'est toujours anticip en tant que tourn vers le monde. Comme lieu d'clairement de l':tre, il s'est toujours dj ax sur l':tre, comme ce qu'il peut devenir et ce vers quoi et pour quoi il tend. Mais ce dpassement du pouvoir-tre ne s'accomplit que si le Dasein est dj un pouvoir-jet en un monde. Le Dasein est toujours le mien}) avons-nous dit. Il est le pouvoirtre d'un tant qui se trouve dj au milieu du monde comme tre-dchu. Dans ce sens ( l'existentialit est essentiellement dtermine par la facticit (2). Et c'est dans cette ( situation d'tre-jet qu'il existe son pouvoir-tre comme toujours dj perdu dans le monde. Cette ncessit a priori de sa condition, il la tient de la temporalit qui lui sert de fondement ontologique

    ultime.L'analyse existentiale culmine dans cette analyse de la

    temporalit. Elle se dveloppe nous l'avons dit, et n'a un sens fondamental que parce qu'elle cherche conqurir dans le Dasein et ses existentiaux le terrain favorable pour poser la question du sens de l'tre. En regard de cette fin anticipe qui guide toute l'ontologie fondamentale de Sein und Zeit, le sens de l'tre de cet tant que nous nommons Dasein est la temporalit. Toutes les interprtations que nOus avons donnes de la vrit comme dvoilement et, en particulier, de la disposition et de la comprhension comme modes d'exister du Dasein, reoivent ici leur complment de lumire. Le Dasein n'existe qu'en se temporalisant. Ceci est dans la logique d'une interprtation de Kant qui met l'accent sur la priorit de l'imagination transcendantale. Par l, le centre d'quilibre des conditions a priori de la connaissance passe de l'analytique transcendantale l'esthtique transcendantale. Et parce que la question qui est pose est celle de la comprhension de l'tre et non pas seulement celle de la rencontre des tants, le temps se dplace

    (1) SZ, p. 192. (2) SZ, p. 192.

  • 41 40 L'ETRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGEll

    de l'intuition pure l'imagination transcendantale. Il devient l'horizon de projection de la comprhension de l'tre. Le Dasein n'est pas dans le temps, mais il existe lui-mme comme temporalisation . S'il s'anticipe comme pouvoir-tre, c'est qu'il a la capacit de se lancer vers , de se porter vers (1). D'autre part, il ne Pp.ut se projeter vers une possibilit de lui-mme, que s'il peut se re-tourner sur son pouvoir-tre comme le projetjet qu'il est dj. Pouvoir se porter vers sa propre mort dans l'existence authentique, implique que le Dasein existe djd. En tant authentiquement tourn vers , le Dasein est authentiquement pass. L'anticipation de sa possibilit extrme ct donc la plus propre, est un retour comprhensif sur son pass le plus authentique (2). Le pass renvoie vers ce qui va venir en tant que le pouvoir-tre se porte vers un au-del de lui-mme, mais le futur s'enracine dans un pass qu 'il accomplit. Finalement, en se projetant vers un au-del de lui-mme sur la base de son tre-jet, le Dasein se rend prsent les tants en liant avec eux des rapports pratiques et thoriques. En voyant mon avenir dans mon pass, je me rends un compte rel du prsent, j'accde sa vision exacte, je me le rends prsen t (3). Les trois extases du temps s'impliquent rciproquement tout en s'excluant mutuellement. Elles forment ainsi une unit de moments qui explique la structure circulaire du Dasein.

    Il est important de retenir que si la temporalit est le sens uIt.ime du Dasein, elle n'est pas la dernire rponse au sens de l'tre (4). Elle n'est le sens ontologique du souci comme strudure Irlobale du Dasein que parce que le temps (die 7.eil) cs!' lui-mme l'horizon de la comprhension de l'tre. L'nigme qui nous fait signe est l'f:tre comme le Temps originel. La temporalisaLion du Dasein serait comprendre plus originellement partir du Temps comme le prnom de la Vrit de l'tre (5). C'est ce que nous expliquerons dans notre seconde partie.

    3. La tranRcendance commc fondement de la possibilit interne de la vl"it

    La transcendance a toujours t implique jusqu'ici dans tous nos dveloppements tiLre du dvoilement originaire. L'lredans-le-monde signifie identiquement la Lranscendance. Nous

    (1) Alphonse de WAELHENS, La philosophie de M. Heidegger, p. 183. (2) SZ , p. 326. (3) A . W AELH ENg, op. cil., p. 185. (4) SZ, p. 17, 234235 . (5) Prface la 5 d. de WM, p. 19; SZ, p. 437.

    1: BTRE-DANS-LE-MONDE

    avons dcrit cet tre-dans-Ie-monde comme un tre-dans, c'est--dire un tre qui habite auprs des choses en se comprenant comme projet d'un monde. Mais nOUS n'avons pas expliqu ce que cachait de mystrieux ce terme de monde et la manire selon laquelle le Dasein le formait. Ce sont ces problmes que nOUS allons maintenant tudier.

    1. Le problme de la transcendance est celui de la possibilit interne de la vrit (1). Nous avons vu que le monde pragmatique des ustensiles n'tait possible que pour autant que le Dasein avait une comprhension initiale de lui-mme comme l'en-vuede-quoi final des outils. Le Dasein se comprenait sous la forme d'un monde environnant, rendu possible par sa transparence, son tat d'ouverture lui-mme . C'tait l la premire ralisation de l'tre-dans. f:tre en vue de soi-mme pour le Dasein tait se comprendre comme prsence (du) monde. Qu'est-ce que le monde en rapport avec l'ouverture du Dasein en tant qu'elle dvoile le monde qui constitue la vrit transcendantale ?

    Il est essentiel de bien voir en quel sens original Heidegger parle de transcendance. Jusqu'ici les philosophes avaient parl d'un dpassement de l'homme, hors de ses limites, vers un f:tre transcendant qui en justifiait les aspirations profondes ou vers ce qui chappe notre immanence comme situ hors de la conscience. On peut parler avec M. \Vahl de transascendance. Les mLaphysiques infmiListes ont tent d'chapper la finitude de J'homme en lui substitu ant la perfection d'un Lre in fini. EJles ont alin ain:;i leur prrogative essenLielle, ceJle cie roser le problme du [ondementd e la totalit du rel. EllessesonLillusionnes en recherchant le fondement dans une cause de l'tant fini . Le problme de la Lotal i t est devenu un problme rgional et par Iii mme on tique. 11 faut donc descendre au fondement de notre finitude pour redonner la mtRphysique le sens plein de son orientation. La transcendance doit devenir transdescendance selon un autre Lerme de M. Wahl. Elle ne s'exprime plus comme une mlaphySi!]/l e, une transgression du sensible vers l'intelligible. Il ne s'agira plus pour le phiiosophe de regarder ailleurs, de fuir vers l'au-del!l, vers l'extrieur ct le suprieur, mais de revenir vers l'intrieur et vers l'en de. La dmarche du dpassement s'annonce toujours comme une conversion, mais, cette fois-ci, dans le sens d'un retour, d'une rgression vers l'original et le fondement: mtaphysique rebours ou sorte de transdescendance (2).

    (1) \VG , p . 16, trad. p. 10. (2) Pierre THVENAZ, L'homme el sa raison, t. l, p. 215.

  • 43 42 L'ETRE ET LA V'RITJ~' CHb'Z HEIDEGGHR

    C'est l'tre mme de l'homme qu'il faut descendre . Alors que Kant. place la finitude dans l'intuition rceptive et dans l'entendement qui lui est ordonn pour en subsumer le contenu empirique sous des lois universelles et ncessaires, Heidegger dplace cette source de la finitude dans le Dasein comme comprhension de l'tre. Ce n'est pas en tant qu'il doit se donner priori les principes qui rendent possible de rencontrer un tant qu'il est fini; ce n'est pas non plus dans une intentionnalit constitutive des significations comme essences irrelles )) ou comme monde antprdicatif que consiste la finitude de l'homme. C'est en regard de l'tre de l'tant lui-mme, c'est--dire non pas seulement de ce qui le rend possible dans ses dterminations spcifiques, mais dans ses principes mmes d'essence et d'existence (essenlia el exislenlia) , qu'il faut penser le problme du fondement. La comprhension de l'tre est le besoin le plus fondamental du Dasein. En effet, aucun tant ne saurait apparatre dans la conscience s'il n'est rendu possible par la pr-comprhension de l'tre. D'o cette formule nigmatique : Plus originelle que l'homme est en lui la finitude du Dasein (1). )) La rgression doit envelopper l'homme lui-mme comme un tant ralis. Elle ne s'arrte pas dans l'homme la finitude d'un sujet rencontrant l'tant-objet, elle descend au fondement de la temporalisation de l'homme lui-mme, l o la rencontre du Dasein et du monde fonde la Vrit de 1':tre. La transcendance est lie la finitude parce qu 'elle consiste rendre possible la rencontre d'un tant qu'elle ne cre pas et qu'elle doit dvoiler comme dj donn dans l'horizon de l'tre. Elle doit dvoiler l'tant en ce qu'elle est oriente sur lui au pralable, mesure par lui. Parce que l'tant n'apparalt jamais isol, mais sous la forme de l'tant en totalit, l'orientation sur l 'tant est toujours l'orientation sur l'tant en totalit dont nous allons prospecter la mystrieuse richesse dans le concept de monde et finalement de 1':tre. C'est le sens ) de l'tre que la transcendance a pour but de manifester en le formant, en tant que l'tre dpend de la comprhension de l'tre (2). Heidegger, en rflchissant sur la possibilit essentielle de la synthse ontologique, nonce le problme ainsi: Comment le Dasein humain et fini peut-il d'avance dpasser (transcender) l'tant, alors que non seulement il n'a pas cr cet tant, mais que, de plus, il doit lui tre ordonn s'il veut exister comme Dase i/1 ? Le problme de la possibilit de l'ontologie est donc la

    (1 ) KM, p. 285. (2) SZ, p. 230, 207, 212.

    t'TRE-D / I.NS-LE-MONDE

    question relative l'essence et au fondement de la transcendance propre la comprhension pralable de l'tre (1). ))

    Tchons maintenant d 'entrer plus avant dans la nature de la transcendance. Pour tous, elle signifie un dpassement. Si l'on en fait une analyse formelle, en termes classiques, nous y distinguons trois lments : un acte de transcender, ce qui est dpass et le terme vers lequel s'accomplit la transcendance. En nous servant de ce cadre, essayons de mieux faire ressortir l'originalit de la conception heideggrienne.

    D'abord, la transcendance dsigne la structure fondamentale du Dasein. Elle n' en est pas un comportement possible parmi ,d'autres. Au contraire, elle rend compte de tout comportement. Si elle est un ( acte , c'est en tant qu'vnement qui pntre le Dasein de fond en comble et le fait exister en vue de lui-mme comme l'mergence du monde. Le sujet ne commence pas par exister, pour ensuite entrer en rapport avec des objets. De mme, pour Husserl, la conscience est l'acte d 'intentionner lui-mme. Le Dasei/1 comme tel est transcendance. Et si l'on veut parler en termes de mtaphysique, la transcendance dsigne l 'essence du sujet et la structure fondamentale de la subjectivit (2). Sujet et objet sont impliqus et ports par cette dernire couche de l'intentionnalit de la conscience qui se change en condition ontologique, en existence. La vise intentionnelle de l'objet par le sujet n'est possible que dans cette transparence du Dasein comme tre-dans-Ie-monde. Nous dcouvrons quelque chose d'analogue chez saint Thomas d'Aquin dans cette formule si dense, que nous devrons expliquer dans le contexte notique et mtaphysique qui lui est propre, de l'me en ce qu'elle est en quelque manire toutes choses, formule dont Heidegger s'est beaucoup inspir en y maintenant la vise ontologique, mais dans un contexte de problmatique transcendantale. Autrement dit, le Dasein est transcendance parce qu'il existe comme projet du monde.

    Mais qu'est-ce donc qui est transcend, si ce n'est le sujet comme tel , ni l'objet constitu par la conscience? La transcendance, comme le Dasein existant, est pralable ce dpassement entre deux tants. Ce qui est dpass , ce n'est pas la sphre d'immanence de la conscience, tel qu'on l 'interprte l'ordinaire, comme ne barrire qui contraindrait tout d'abord le sujet rester chez lui ou comme un gouffre qui sparerait le sujet

    (1) KM, trad. p. 102. (2) WG, p. 19, trad. p. 63.

  • 45 44 L'ETRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER

    de l'objet (1). C'est l'tant lui-mme qui est concern dans ce dpassement, c'est--dire non pas un tant, mais tout tant. Dans le langage mtaphysique, nous disons ciue c'est l'ensemble des tants. Chaque tant, aussi bien celui que je suis comme (( soi que l'tant intramondain ou purement donn, n'est pas le terme de la transcendance. Ce qui est vis par-del toute la sphre des tants, c'est l'unit qui les rend possibles et qui les fait toujours apparatre dans leur ensemble, mme s'ils ne sont pas dcouverts explicitement. La disposition dvoilait le Dasein comme un accord fondamental l'tanten totalit (im Ganzheii). L'tat afTectif le plus banal , comme l'ennui et l'indifTrence tout, rvle que le Dasein n'existe que comme ( dispos envers le tout. Quelle est cette ralit mystrieuse du tout, quelle est cette unit vers laquelle le Dasein transcende l'tant, c'est ce que le concept du monde va nous apprendre. Mais pour une part seulement, puisque l o nous en sommes, cette unit n'apparatra que dans sa face transcendantale. Ce sera l'objet de la deuxime partie de montrer les diverses mutations que subit le concept de l'tant en totalit en rapport avec la base d'interrogation qui passe de la mtaphysique la Pense de l'gtre.

    Bien que le Dasein existe au milieu de l'tant, il a d'ores et dj et toujours transcend la ( nature n. Il est au-del de son pouvoir-tre facLice. Il a depuis toujours accompli le saut de tout tant vers l'tre de l'tant. Dans Von W esen der ll'ahrlzeil, Heidegger nous dit que celte transcendance consiste dans une rfrence (Verlza/lnis) qui se trouve la source de la relation (Beziehllng) de l'nonciation apprscntative. Celte dernire n 'est que l'accomplissement de la Rfrence qui se ralise originellement et chaque fois comme la mise en branle d'un comportement (2). Le Dasein est rapport absolu)) l'gtre comme nous le verrons dans la perspecLive du renversement (!{ehre) de la problmatique transcendan tale, mais ce rapport est toujours dj temporalis dans des comportements on tiques. Il ne ralise son rapport l'gtre qu'en passant par l'tant, comme d'ailleurs l'gt.re ne suscite ce rapport du Dasein qu'en descendant dans l'tant, en s'y faisant fini Lude sous la forme du temps originaire. Ainsi donc, de la transcendance on peut affirmer qu'elle est pure relation ( eine Beziehung) ou rapport absolu , puisqu' la dilTrence du Verhallen, elle ne dsigne pas une manire de se rapporter ... , mais cette libre ouverture dans

    (1) WG, p. 19, trad. p . 64. (2 ) WW, p. 11, trad. p. 76.

    L' BTRE-DANS-LE-MONDE'

    laquelle se trouve dterminp- n tout ce qui pourra jamais tre terme n d'une quelconque relation (1) . Pour le Dasein essentiellement fini , ce rapport ne sera compris que sous la forme du Nant. Mais comment le monde peut-il tre dcrit comme nant?

    Le monde signifie couramment l'ensemble des tants au milieu desquels nous nous mouvons. La totalit est conue ici selon une unit d'assemblage. Comme chaque tant est parmi d'autres tants, il a un sens de transcendance en ce qu'il renvoie son entourage. Tout tant est ainsi, dans un sens ontique que nous avons rejet pour le Dasein, un tre dans le monde n. Il est une partie du tout. L' arbre renvoie l'univers, parce qu'il s'enracine dans un horizon externe qui s'tend l'infini et que nous totalisons dans le concept de nature puisqu'il faut bien s'arrter quelque part. La nature se dtermine ainsi partir des tants lis ontiquement dans l'espace et le t emps. S'il y a un certain enchanement des tants entre eux en tant qu 'ils dpendent les uns des autres pour leur apparition historique et leur coexistence)) dans l'espace, cet enchanement n'est dtermin que dans le monde. Il prsuppose dj le monde titre de condition a priol'i pour la rencontre ontique des tants. Les existants ne forment un tout qu'au milieu du monde n (2). Leur communication profonde dpend d'une unit plus originelle qui doit tre la source de leur ralit ontique d'essen/ia et d'exisieniia. Loin donc que la nature comme la totalit lie des tants en tant qu 'tants forme le phnomne du monde, c'est le monde qui rend possible la nature et chaque rgion d'tant prleve l'intrieur du tout. Si l'tant doit recevoir son approfondissement de la question transcendale du sens de l'tre , le monde ne peut plus tre l'univers des tants, l'Allnaiur de Husserl comme substrat absolu et sol universel de l'exprience, car on se meut encore ici dans une problmatique on tique de la comprhension de l'tre. Le monde constitu par la conscience prsuppose le monde comme horizon de possibilit de toute nose et de tout nome, mme lorsque ce qui est constitu est cr la totalit ontologique qui contient et unit toutes les particularits rgionales n (3) . La nature dans ce sens et le monde intra-mondain de la proccupation quotidienne ne sont qu'une des temporalisations possibles du monde. Si l'on a manqu l'ouverture fondamentale qui fait merger les tants dans une conqute de

    (1) Existence et vrit d'aprs Heidegger, dans Phnomnologie Exislence Henri Birault, p. 170.

    (2) SZ, p. 64. (3) SZ, p. 65.

  • 47 L'ETRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER46

    l'espace et non pas dans un mouvement au sein de l'espace, l'abstraction gnralisante ne nous fera jamais atteindre le monde. Est-ce dire que l'abstraction doive toujours manquer le phnomne du monde, comme le veut Heidegger, c'est un autre problme qui met en jeu une certaine conception de l'intelligence et des rapports sujet et objet: la pense de saint Thomas d'Aquin nous permettra d'en discuter. Retenons que le problme du monde est li la totalit du rel et qu'il ne peut pas recevoir sa vraie solution au seul plan ontique. Le monde concerne moins l'tant lui-mme, que le comment de l'tre de l'tant, la condition de possibilit implique dans toute liaison ontique d'tants.

    Un deuxime caractre du monde, c'est qu'il est relatif au Dasein. Dans l'histoire de la pense, ce sens existentiel du monde a toujours t vivant. C'est ainsi qu'Hraclite crivait: Les veills n'ont qu'un monde unique et qui leur est commun; chaque dormeur au contraire se porte vers un monde qui lui est propre (1). Le christianisme saisit le monde comme l'tat et la situation de l'tre humain, la faon dont celui-ci prend position envers le cosmos. D'o dcs expressions o le monde est dfini comme un mode d'exister de l'homme, comme celles de sagesse du monde , de folie du monde . Saint-Augustin et saint Thomas ont repris ces thmes vangliques (2) . Kant fait cho la signification existentielle du monde centre sur l'homme, quand il parle de l'homme comme de la connaissance du monde. Et d'une manire courante, le monde c'est notre environnement (Umwell), l'ensemble des tres avec qui nous vivons, la communaut de destin que nous formons entre nous. Mais ce n 'est l qu'une dtermination pr-ontologico-existentielle du monde. Elle comprend ce dernier par rapport l'existence vcue de l'homme, mais non la racine mme du Dasein comme tre-dans-le-monde. L'existencedans ou l'tre-dans-l'univers (sein in universum) dont parle Husserl suppose le monde comme constitutif de l'tre-dans-lemonde.

    Les diverses significations cosmologiques et existentielles du monde dont nous venons de parler, doivent tre approfondies dans le rapport de droit qui unit le Dasein au monde. Ce rapport, nous le rptons, est beaucoup plus large que celui de la relation sujet-objet. Il s'agit d'lever la dimension d'un problme philosophique et ontologique en tant qu'il est motiv par la comprhension authentique de l'tre de l'tant, ces deux traits essentiels

    (1) W G, p. 23 avec rfrence Diels. (2) WG, p . 25, 26.

    L'.ATRE-DANS-LE-MONDE

    du concept du monde: celui de la totalit de l'tant et celui de son appartenance fondamentale au Dasein. Heidegger croit que jusqu'ici on a plutt juxtapos ces deux sens, sans avoir pens leur unit foncire. Dans une premire approche de solution, si le monde a les caractres analyss, c'est que le Dasein existe de telle faon que l'existant lui est toujours manifest dans son ensemble. La totalit peut ici ne pas tre expressment saisie , son appartenance au Dasein peut demeurer voile , l'ampleur de cet ensemble peut galement varier. La totalit est vritablement comprise, sans que pour cela l'ensemble de l'existant manifest soit expressment saisi dans ses connexions spcifiques, ses rgions et stratifications, sans mme que cet ensemble ait t intgralement sond (1). S'il est possible transcendantalement que le Dasein comprenne la totalit de l'tant, c'est parce qu'il est une ouverture indtermine comme rapport absolu l'tre. Il est encore trop tt pour rendre compte de cette ouverture en tant qu'elle est un vnement de l'Ouvert; mais dans l'analyse que nous faisons actuellement, il faut constamment nous rapp eler qu'elle a un caractre incomplet pour autant qu'elle doit reposer nouveau sur la base de la Vrit de l'f:tre. En consquence , le monde qui dans sa face transcendante sera vu comme le pouvoir (Vermogen) (2) de l'f:tre lui-mme, est interprt ici en regard du pouvoir-tre du Dasein. Le Dasein peut le monde comme comprhension anticipative globale (das je vorgreifend-imgreifende Versiehen). Il y a une motivation rciproque du pouvoirtre du Dasein dans le monde comme cela mme d'o le Dasein se fait annoncer (sich zu bedeuien gibt) avec quel existant il peul avoir des rapports et comment il le peut (3) et du monde dans le pouvoir-tre du Dasein comme horizon de manifestation du monde et de rencontre de l'tant dans un monde. Le Dasein existe originellement comme mode rassembl de l'tre (Da-sein) . C'est partir de cette structure mystrieuse qu 'il se donne comprendre le monde, sous forme de l'tant en totalit.

    Heidegger peut affirmer que le monde est un existential du Dasein. Ds que le Dasein existe , il y a la possibilit pour qu'un monde merge , qu'il soit celui de la proccupation quotidienne, de la science ou de l'art. C'est en faisant irruption dans l'tant , que le monde est rendu possible. Heidegger prtend dpasser le plan de l'objectivit et de la subjectivit . Le monde n'est pas

    (1) WW, p. 37, trad. p. 87. (2 ) RH, p. 32. (3) WG, p'. 37, trad. 88.

  • 49 48 L'BTRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER

    objectif, car il n'est aucun tant, ni aucune somme d'tants, mais l'horizon d'apparition de tout tant. Mais il n 'est pas non plus subjectif. En efTet, le monde n'est pas rsorb dans la conscience transcendantale. Il n'est ni cr, ni constitu par des principes ontiques a priori qui donneraient un sens des tants bruts (1). Ce n'est pas sur ce plan ontique que le problme es t pos . L'idalisme de la signification est-il vit ou bien aggrav plutt de ce que le problme est port du plan ontique au plan ontologique? Ici encore, il faut bien voir que le mythe de l'existant brut n'existe pas chez Heidegger , comme M. de Waelhens l'a reconnu d'ailleurs depuis la publication de sa premire tude sur Heidegger (2). Nous en discuterons plus loin. Le monde comme existential n'apporte aucune dtermination l'tant, mme pas celle de l 'tre - et surtout pas celle-lit - si l'tre est le fondement de l'tant. Il se rapporte l'tre, et c'est pourquoi il est projet de l'tant en totalit, mais ce n'est qu'en rendant possible sa manifestation selon une ouverture qui a rapport rien de ce qui est tant, c'est--dire au Nant. C'est sur le mode du laisser-tre de l'tre de l' tant que le Daseil1 est projet du monde.

    La place centrale qu'occupe l'exprience du Nant dans la rflexion heideggrienne, explique l'accusa tion de nihilisme qu'on a lance contre lui. Ses critiques n'ont pas toujours pris la peine d'apprci er les affirmations de H eidegger sur le nant dans le contexte de sa propre pense. Sa dmarche phnomnologique rpudie la valeur ontologique de la pense spculative et labore un nouveau langage pour dcrire le phnomne fondamental de l':tre dans l'occultation qui le caractrise. Cet anti-intellectualisme de Heidegger lui donne-t-il le droit de parler du nant et d'en faire la question fondamentale de la mtaphysique sous la forme: Pourquoi y a-t-il de l'tant et non pas pluLt rien? ) Il semble en tout cas que le nant cause de son rapport avec l'tre, ait une ligne d'volution lie celle de l'tre. Ce qui fait dire Heidegger que la question sur le nant prend forme selon l'ampleur, la profondeur et l'authenticit selon lesqu elles, telle poque, la question sur l'tant est demande; et rciproquement (3). Si cela est vrai, nous pouvons nous demander quelle tait la profondeur de la pense grecque, elle qui s'inLer

    (1) Alphonse de WAELHENS, La philosophie de Martin Heidegger, p. 251 et suiv.; De la phnomnologie l'existentialisme, dans L e Choix, le Monde, l'Exislence, p. 62.

    (2) De l'essence de la vrit, trad. et introduction, A. de WAELI-lENS et \V. BIEMEL.

    (3) EM, p. 18, trad. 32 ; WM, trad. p. 40.

    L'ETRE-DANS-LE-MONDE

    roge toujours sur l'tre, sur la nature, sur quelque chose qui est... et qui ne peut concevoir la possibilit que le nant soit plus ancien que le quelque chose (1). pour Parmnide, par exemple, le nant suit l'tre. Il est non-tre, comme ce qui n'est pas et ne peut pas tre, puisque l'tre seul est. Par consquent, crit M. Wahl, la question du nant n'est pose par Parmnide que pow tre, pour ainsi dire, supprime aussitt (2). Par ailleurs, chez Platon, le nant est d'abord ce qui n'est en aucune manire - la m damas on - ce qui rejoint le nant parmnidien, mais aussi et surtout le non-tre - m on - qui n'est pas le nant, mais l'autre de l'tant, l'tre-autre. C'est le christianisme qui a fait avancer le problme du nant par sa doctrine de la cration. Le nant n'est plus une pure ngation comme pour Parmnide, ni l'autre de l'tant du fait que l'tant fini est diffrent des autres tants. Il est situ au cur mme de la crature, dans son acte d'exister lui-mme (esse et non exislenlia), en tant qu'il est entirement dpendant comme ens per pal'iicipalionem l' gard du Crateur comme Esse per essentiam. En t ermes mtaphysiques, le nant exprime la contingence radicale de la crature en regard de l'acte d'tre par distinction de toutes les causalits ontiques du devenir et de l'histoire. La problmatique de H eidegger vise aussi cet acte d'tre, mais non pas du tout pour l'exprimer en termes de contingence ontologique ou de causalit mtaphysique quant un Esse per essenliam. Elle reste l'intrieur du style propre de sa mthode et tente de faire merger la conscience, cette racine mme du rel que l'tant cache et voile. Elle tentera de rcuprer le non-tre de Parmnide, l'autre de l'tant de Platon, le nant chrtien et de la crature comme ce-qui-n'est-pas, l' indtermination totale de l'tre qui concide avec le nant, sur la base de l'interroga tion ontologique du sens de l'tre dans la contre-possibilit

    du nant. Si s'interroger sur l'tre, c'est questionner sur le nant, cela

    tient ce que la transcendance est lie irrductiblement la finitude. Elle ne dpasse pas l'tant au profit d'un tant suprme. C'est l'tant lui-mme qu'elle dpasse en s'orientant vers le nant. Ce dpassement n'est pas l'objet d'une dmarche discursive et dialectique. C'est dans un sentiment que la question de la transcendance devient demande. Si la pense logique est inapte atteindre la sphre de l'ontologie, si l'tre se drobe la reprsen

    (1) K. REITZLER, Das Nichts und das Andere ... , cit par C. FABRO, RT, 1956, nO 2, p. 252.

    (2) Vers la fin de l'onlologie ... , 12. 1

    B. RIOU X

  • 51 50 L'ETRE ET LA VRIT CHEZ IlEIDEGGl!:H

    tation, il faut tenter de suggrer son mystre, de le rvler en tant mme que cach, par le dpassement provoqu par certains sentiments dits cosmiques qui font perdre l'tant son vidence banale et le font surgir partir de ce qui n'est rien d'tant, savoir le nant.

    C'est l'angoisse, entre autres sentiments cosmiques, qui est le plus susceptible de nous rvler l'tant en totalit, la fois comme pouvoir-tre du Dasein et comme le tout autre de l'tant. Dans l'angoisse, l'homme sent vaciller tout tant sur lui-mme et disparatre dans une sorte d'indiffrence. La totalit de l'tant glisse dans le brouillard qui lui enlve son aspect rassurant et sa signification. Ce qui apparaissait comme subsistant, comme massif et qui permettait de prendre pied en lui, de s'appuyer sur lui, se dissout tout coup et perd tout caractre rassurant (1). Tout devient nantis sous l'assaut... de Rien. Le Dasein n'a plus rien quoi se rapporter . Avant que le nant l'assige, son comportement ouvert tait vise de tel ou tel tant. Maintenant le vide s'est fait. C'est ici le moment ngatif et nantisant de cette exprience qui jette par terre les certitudes les mieux tablies. Aucun appui ne nous est laiss. Dans le glissement de l'existant, il ne reste que ce rien .

    Ce que rvle cette nantisation, c'est la fois le Dasein dans son tre-dans-le-monde et le tout autre de l'tant. Arrach ses rapports ordinaires avec l'tant, le Dasein dcouvre son propre pouvoir-tre dans l'amplitude de son projet qui dborde tout tant. La relation quelque chose selon laquelle j'existe mon tre-dan~-le-monde et suivant laquelle je suis toujours comme tredchu dj ralis selon le mode ontique, s'vanouit. L'angoisse nat de ce que le pouvoir-tre s'exprimente comme pur rapport ... Rien. Ce Rien donne au Dasein son tre et sa vrit en faisant merger son horizon d'ouverture par-del la relation tout tant. Il se dcouvre livr au nant qui l'entoure de toutes parts, comme l'horizon d'o merge sa facticit et devant lequel vient se briser son tre-pour-la-mort. Sans doute, cette exprience du nant en regard du propre pouvoir-tre du Dasein comme horizon de possibilit de tout tant, pourrait-elle tre exprime en termes mtaphysiques, comme l'absence de toute autre relation que celle du rapport constitutif de la conscience l'tre, revtant ainsi d'un caractre contingent notre rencontre avec les tants. En effet, c'est parce que le Dasein est fondamentalement ouvert sur l'f:tre, qu'il peut s'apprsenter des tants et entrer en rapport

    (1) SZ, p. 184-191.

    L' BTRE-DANS-LE-MONDE

    avec eux. L'angoisse dgage cette relation transcendantale du Dasein l'f:tre qui risque de s'identifier aux multiples relations ontiques qu'il existe dans le monde, mais sous une forme obscure qui souligne plutt l'aspect ngatif par o le Dasein est priv de tout terme quoi se rapporter et qui serait de nature le rassurer. En fait, cette exprience privative de tout rapport avec l'tant est motive par le rapport positif du Dasein l'lhre, puisqu'il est l'essence mme du Dasein. Mais en restant dans les limites de la mtaphysique, telle qu'elle est comprise par Heidegger, ce rapport ne s'exprime qu'en termes de nant, s'il est vrai que l'tre n'est rien de ce qui est tant et si, par ailleurs, la mtaphysique ne reprsente que l'tant. Pour dpasser cette description ngative, Heidegger exige le saut hors de la mtaphysique pour la Pense de l'f:tre. Aussi longtemps que l'homme reste crisp dans sa subjectivit comme ce qui donne mesure aux choses, on ne peut le caractriser adquatement que comme celui qui tient

    la place du nant. lVlais l'angoisse claire non seulement le Dasein dans son pou-

    voir-tre dont l'essor dpasse toutes les ralisations ontiques, mais le fondement mme de l'tant. En mme temps qu'a lieu la rvlation du Dasein comme souci du monde et comme relation particulire un tant quelconque, c'est la contingence de l'tant lui-mme qui est prouve. Le Rien n'est pas seulement le corrlatif de l'ouverture duDasein, il se manifeste au fondement de l'tant lui-mme. C'est le Nant lui-mme qui nantise l'intrieur mme de l'tant, non pas la manire d'un existant cach comme le Dieu chrtien auquel toute crature est suspendue et qui retournerait son nant radical si elle cessait d'tre soutenue dans l'tre par l'acte crateur. Il n'est pas l'effet d'une ngation de l'tant dans son ensemble par l'entendement. La ngation logique a son domaine de validit dans l'tant. Hormis ce champ d'application, ses contestations sont nulles. Il faut prserver le nant de n 'tre plus qu 'un nant imagin, conu la manire d'une chose-nie. C'est le Nant lui-mme que l'angoisse rvle. Ce dernier se manifeste d'un seul el mme coup avec l'existant (1) et non pas cl cl de lui. Comme condition de possibilit de l'tant, il est dans l'tant, mais par-del son tantit de chose-donne. Il est le radicalement Autre de l'tant. C'est parce que l'tant est toujours saisi dans une comprhension de l'tre sous la forme du nant comme corn-posant l'tre de cet existant (2), que devient

    (1) WM, p. 33, trad. p . 33. (2) WM, p. 39, trad. p. 40.

  • 52 53

    L'ETRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER

    possible l'activit de ngation. D'o la clbre affirmation de l'antriorit ontologique du nant en regard de la ngation logique et le renversement paradoxal de l'axiome vnrable : Ex nihilo nihil fit, en cette formule : Ex nihilo omne ens qua ens fil (1). Elle nous devient comprhensible, si la description du nant n'est que le voile de l'lhre pour une finitude qui s'essaie dpasser la reprsentation. Tout tant comme tant vient du nant, cela veut dire que le fondement de l'tant ne doit plus tre recherch partir de l'tant donn en tant que donn dans l'tant en totalit compris dans l'tantit en gnral ou le Tout de l'tant. Il s'annonce ici une mutation de l'tant dans son ensemble considr par la mtaphysique traditionnelle comme la totalit du (( monde vers une nouvelle conception de l'tant en totalit qui doit tre cherch dans ce qui est l'Autre de tout tant, non comme caractre fini d'un tant en regard d'un autre, mais ce qui rend possible la rvlation de l'tant comme tel pour le Dasein humain. Si le Nant est cela, on comprend que dans l'angoisse il (( relativise tout tant et exerce cette nantisation qui met en question tout tant, en le faisant chanceler sur son fondement cach . La difTrence ontologique que la Pense de l'f;tre se donnera pour tche de penser de plus en plus profondment, est rvle dans la diffrence de l'tant et du nant. L'angoisse manifeste cet entre-deux de l'tre et de l'tant, d'o origine toute transcendance du Dasein.

    Un dernier point indiquer, c'est que l'angoisse met en lumire le caractre d'impuissance totale du Dasein envers l'tant dans son ensemble. On voit apparatre dans l'imbrication rciproque du pouvoir-tre du Dasein comme projet du monde et de l 'tant en totalit comme (( forme d'unit de l'tant lui-mme, une dfaite du Dasein. C'est partir du nantiser du Nant que le Dasein rvle son pouvoir-tre dans toute son amplitude en tant qu 'il est mis devant l'tant dans sa difTrence d'avec le nant, comme l'tre expriment partir de l'tant (2). Comme Da-sein, il ne nantise qu'en tant qu'il se trouve retenu l'intrieur du Nant (3). lhre un Da-sein, c'est tenir la place de l'vnement ontologique selon lequel (( le nantiser se ralise dans l'f;tre lui-mme et nullement dans le Dasein de l'homme , en tant qu'on pense ce Dasein comme la subjectivit de l'ego cogilo ... L'lhre nantise - en tant qu'il est l'lhre(4) .

    (1) WM, p. 40, trad. p. 41. (2 ) WG, Vorwort zur dritten Au(lage. (3) WM, p. 35, trad. p. 34. (4) BH, p. 154-155; WM, p. 35.

    L' BTRE-DANS-LE-MONDE

    Ces explications corrigent ce que nous expnmlns plus haut comme l'exprience par la conscience de sa propre tendance Il. l'tre, rejetant dans l'ombre toute autre relation l'tant. Il ne s'agit pas pour Heidegger d'un rapport de l'homme comme intelleclus l'tre comme objet, mais d'une ordination essentielle du Dasein manifester l'vnement ontologique et le combat primordial d'un tant qui gagne son tre grce l'occultation de sa source. C'est en ce sens qu 'il tient la place du Nant. Il n'est lui-mme ngativit que parce qu'il reflte le combat originel o l'f;tre s'annonce comme le Non-tant, source de tout tant. Mais ce Non-tant n'est ainsi que parce que la condition de possibilit de tout tant n'est pas elle-mme un tant. Loin d'tre la nullit~ du nant tel que le veulent la science et la mtaphysique qui ne descendent pas assez profondment dans le fondement de l'tant, peut-tre que le ( est ne peut se dire

    que de Lui (1).n reste que si nous comprenons comment Heidegger en arrive renverser les positions traditionnelles sur le Nant en s'appuyant sur la difTrence ontologique, nous ne voyons pas, pour faire suite aux justes exigences de Heidegger d'enraciner hi. ngation une conception de l'tre qui dpasse l'tantit, qu'il faille soustraire le ne pas (das Nichl) du nantiser de l'f;tre oppos au non (Nein) de la ngation l'activit de pense comme telle. C'est pour autant qu'on admet que l 'intentionnalit de la conscience est incapable d'atteindre au domaine propre de l'tre, qu'on transpose au plan ontologique de la structure du Dasein ce qui appartient la sphre spculative du jugement sur l'tre. Mais n'a-t-on pas dfigur les activits thoriques de la conscience en les rduisant au seul plan ontique des rapports d'tants? Et ne prte-t-on pas l'f;tre une activit spcifique de la pense, qui ne s'explique d'ailleurs qu'en rapport avec le caractre de Non-tant de l'f;tre ?

    Afin de clore notre enqute sur la transcendance, il nOUS reste nous demander par quoi elle arrive comme dpassement de l'tant lui-mme vers l'mergence du monde. La transcendance n'a lieu que dans un vouloir qui se projette en une bauche de ses propres possibilits. C'est par cette rponse que nous sommes amens dire que l'essence de la vril eslla libert (2)_ V on Wesen der Wahreil demandait quel tait le fondement de la possibilit intrinsque de l'aprit du comportement qui,

    (1 ) BH, p. 85. (2) WW, p. 12, trad. 79.

  • 55 54 L'{~'THE ET LA Vb'RIT CHEZ HBIDE'(;(jl\lt

    en devant exprimer l'tant tel qu'il est, se donnait d'avance une mesure (1). Alors que dans Sein und Z eit, Heidegger employait le terme plus fort de dcouverture (Entdeckheit) qui soulignait davantage le caractre actif du Dasein auprs de l'tant, dans Von Wesen der Wahreil, il utilise le mot beaucoup moins fort d'ouverture (Offenstandigkeit) en tant que le Dasein dans son mode d'tre-ouvrant, comporte une certaine rceptivit en tant qu 'il prend mesure sur l 'tant.

    Pourquoi la libert pour exprimer cette ouverture? Parce que former )) un horizon de transcendance est le propre d 'un cc Je peux )). L'aperception transcendantale kantienne comme principe suprme de toute reprsentation doit passer de la pense pure l'imagination transcendantale. cc L'imagination productrice remplace l'aperception transcendantale, parce que la conscience de soi pour devenir conscience d'objet (on tique ) doit pralablement se transmuer en un pouvoir pur; elle doit aller l'tant qu'elle n 'est pas et dfinir dans la pure rceptivit de l'intuition la facult de produire un nant (2). Puisqu'il s'agit de former l'cc en vue de qu'est le monde manifest par le nantiser du nant sous la forme de ce qui n 'est rien d 'tant et qui est la source du temps, le centre de la transcendance devient la libert comme fondement ultime de l'horizon transcendantal de toute projection.

    De ce fait, la libert dont il est question n 'est aucun comportement du Dasein comme seraient des actes libres, des reprsentations et des jugements. Ces derniers s'enracinent dans la transcendance, loin d'en tre le fondement. La libert comme le fait de commencer partir de soi-mme qui caractrise le sujet ne tient pas compte du fait que l'ipsit du soi-mme doit tre interprte comme une temporalisation du Dasein. Elle n'est pas premire, c'est la transcendance qui l'explique. La libert doit tre l'origine de tout fondement comme tel, puisqu 'elle libre un horizon pour l'apparition de l'tre de l'tant. Elle est ce qui projette la possibilit d'tre soi-mme, laquelle possibilit dtermine son tour les relations rfrentielles qui constituent le monde.

    Elle aura le caractre fo.ndamental d'un laisser-tre de l'tant (das Seinlassen u.on Seiendem). Parce qu'elle est libert finie, elle doit laisser les choses se donner telles qu'elles sont. Ce terme

    (1) WW, p. 12, trad. 79. (2) Jules VUiLLEMlN, L'hritage kantien et la rvolution copernicienne,

    Presses Universitaires de France, 1954, p. 264.

    L' BTRE-DANS-LE-MONDE

    n'indique ni une abstention, ni une indifIrence comme si elle tait pure rceptivit, ni un sens ngatif comme cc se dtourner de ... )), cc renoncer ... ). Il est aussi l'oppos d'une constitution en termes d'a priori formel. La seule initiative est de se tenir au pralable dans le nant pour pouvoir rencontrer l'intrieur du nant et la place du nant, un non-nant, c'est--dire un tant (1). C'est une libert pour... , une libration qui prend du recul et fai t le vide pour que l'tant ne puisse pas tre dform et assujetti dans sa manifestation. L'cc activit dvoilante est entirement dpendante d'une soumission l 'tant. Elle est une rvlation sur le fondement d'une soumission. La remise de la libert existante l'tant comme tel, telle que l'a rvl l'angoisse, est une remise dans laquelle l'ouverture du Dasein s'accomplit comme l'ouverture de l'Ouvert, c'est--dire au service et en vue de l'Ouvert. La libert n'est donc aucune rgle pour l'tant. C'est l'Autre de l'tant qui sert d'a priori matriel aux tants en tant que l'tant est ce qui est manifeste au sein de l'Ouvert. La libert rend possible la rvlation de l' tant sur le fondement du Non-tant.

    C'est dans l'unit originelle des trois sens suivants de fonder comme instituer et cc crer)) (stijten) , prendre-base (Bodennehmen) et justifier (begrnden) , qu 'il faut entendre la libert comme fondement. Le premier sens qu'on ne peut viter est celui du projet du monde. Il faut que le Dasein institue le monde comme la totalit de ce en-vue-de-quoi, il existe pour qu 'on puisse dterminer dans quelles limites ce projet s'effectue. Il est un rejet-projetant ( entwerfend U berwurf) qui jette le monde projet par-del l'tant. Par ce projet, il rend possible la dcouverture de l'tant, quoique l'existant ne soit pas encore manifest en lui-mme. cc Il [l'tant] devrait mme rester dissimul, si le Dasein projetant, en tant qu'il projette, n 'tait pas dj au milieu des tants (2). )) Le Dasein prend ainsi base dans l'tant en tant que le projet doit lui tre accord pour se mesurer sur lui et le rvler comme cc ce qui est manifeste au sein de l 'Ouvert)) (das Offenbare eines Offenen) (3) . D'o la libert elle-mme tire-t-elle son appel instituer un monde qui rend possible l'apparition de tout tant, sinon de l'tant en totalit auquel elle doit tre accorde pralablement pour le laisser-tre comme il est, savoir le non-cach? Autrement dit, en projetant l'tant lui

    (1) KM, p. 67. (2) WG, p. 45, trad. p. 99; p. 39, trad. p. 90. (3) WW, p. 14, t.rad. p. 82.

  • 56 L'ETnE ET LA VRI1'1;' CHEZ HEIDEGG1W

    mme qu'il dpasse dans la comprhension, le Dasein est toujours dj. travers COmme dispos par l'existant qu'il transcende. Von Wesen des Grundes en rend compte ainsi : La transcendance signifie le pro-jet et l'bauche d'un monde , mais de telle sorte que ce-qui-projette est command par le rgne de cet existant qu'il transcende, et est d'ores et dj. accord son ton (1). n C'est . l'intrieur mme de l'essence du projet qu'il faut comprendre ce renvoi de la libert . l 'tant dans son ensemble comme s'exprime encore Von Wesen des Grundes. Ce renvoi qui accorde et qui limite la libert, Sein und Z eit le dterminait comme disposition (Betindlichkeii) en se contentant de dire que le fait pour le Dasein de se trouver au milieu des tants, tait un existential, une condition a priori de l'ouverture du Da aux tants intra-mondains, sans expliquer comment. Von Wesen des Grundes l'explique en le situant dans l'essence mme du projet. C'est transcendantalement que le Dasein doit se trouver au milieu de l'tant, avant de s'y trouver ontiquement selon les rapports lis avec l'ensemble des tants: f:tre au milieu de ... n, ne signifie pas ici se prsenter parmi les autres existants, ni mme se diriger expressment vers les auLres existants, en entretenant avec eux quelqu e rapport. (c f:trecc au-milieu-de ... )) cela appartient au contraire . la transcendance (2) . )) Ce-qui-transcende (das U ebersiei gende) doit dj. tre ouvert sur l'tant qu'il dpasse et qui doit lui tre prdonn d'une certaine faon pour qu'il lui soit accord pralablement. Il faut attendre Von Wesen der vVahreil pour que soit explicit que l'tant au milieu duquel le Dase in doit tre dj accord, n 'est pas l'tant dans son ensemble ni l' tant y compris le Dasein lui-mme.

    On comprend pourquoi le projet est toujours plus riche que toute ralisation du pouvoir-tre du Dasein , que l'essor de ce dernier s'accompagne toujours d'une privation et d 'un retrait. Du fait que ce qui transcende doit se temporaliser sous la forme d'un soi et des autres tants, la transcendance subit un chec. Des possibilits lui sont retires ; mais cela est ncessaire pour que certaines possibilits soient rencontres elTectivement et qu'elles puissent tre saisies rellement. En dernire analyse, l'essor et le retrait du pouvoir-tre ne sont que la face transcendantale du Nant comme le Non-tant qui com-pose toujours dj avec l'tant et qui a toujours dj. lu le Da-sein pour appa

    (1) WG, p. 45, trad. p. 99. (2) Ibid., p. 45.

    r)7L' tTRE-DANS-LE-MONDE

    raitre comme 't'a &"1)ee;~a, le non-voil. Le projet de la libert ne devient une possession )) et n'acquiert de puissance )) que dans une privation de son essor selon laquelle il subit toujours la

    dfaite de l'tant (1).Projeter un monde en prsupposant que le Dasein est dj

    dispos au milieu des tants, n'est possible que sur la base d'un dvoilement de l'tant comme cet existant qu'il est et tel qu'il est (2). On atteindra la structure originelle de la transcendance, que si l'on montre comment elle rend possible la question mme du pourquoi JJ. La transcendance ne forme un monde et ne prend base dans l'existant en lui tant accord, que si elle justifie (begrndei) tout tant dans la comprhension de l'tre. La prsentation de l'tant (Ausjhrung des S eienden) ne s'accomplit que guide par la pr-comprhension de l'tre. L 'tant ne peut tre cause ou motif . l'gard d'un autre tant dj rvl que s'il est motiv )) pralablement dans l'tre. Le fondement doit s'lever par-del toute vrit ontique pour atteindre la vrit ontologique de tout tant. Ce qui doit tre pr-donn alors au Dasein, ce n'est pas seulement l'tant, mais l'tre comme horizon de projection du monde. Si la libert dcouvre l'tant, ce n'est qu' en formant l'horizon d'tre lui-mme, pour expliquer qu'existentiellement le rapport . l'tant est toujours indivisiblement rapport . son tre. Mais si le fait que la libert doit laisser-tre l'tant tel qu'il est, signifie s'adonner l'Ouvert et . son ouverture , dans laquelle tout tant entre et demeure et que l'tant apporte, pour ainsi dire , avec lui )) (3), fonder dans le sens de justifier tout pourquoi dans la comprhension de l'tre n'est possible que si la libert est accorde . l'f:tre lui-mme pour tre son lieu d'clairement. C'est cet accord originel, dont l'initiative revient l'f:tre, qui est la source de la consigne intime la libert de s'exposer l'tant comme tel et de transposer dans l'Ouvert tout notre comportement (4). En vrit, le Dasein ne projette un monde en prenant base dans l'tant, qu'en accomplissant cette Rfrence (Verhiltnis) originelle selon laquelle il est dans son essence mme Rapport . l'f:tre comme nous l'expliquerons dans la suite. La libert, par cela mme qu'elle est transcendantalement fondement du fondement, est finitude essentielle. Elle est l'abme du Da-sein rpondant . l'abme de l'f:tre dont elle tient lieu d'ouverLure .

    (1) WG, p. 45, trad. p. 99. (2) WG, p. 49, tlad. p. 104 .

    ( ~1) WIV, p. 14, tnltl. p. 84.

    (4) WW, p. 1!). tr8rl. p. 84.

  • 58 L'J~T1 Il'1' LA VJ!:RI1' CIll!,'L llHIDEGG/';1I

    C'est parce qu'elle reste matresse de cette ouverture, qu'elle peut se prter ou non au dvoilement de sa possibilit transcendantale, manquer sa propre essence et instituer le rgne de l'errance. Mais la transcendance, si elle peut tre voile comme telle, est pourtant toujours dvoile d'une certaine faon en laissant clore l'tant sous forme d'un monde dans la structure de l'tre-dans-Ie-monde. La libert finie ne peut jamais chapper la ncessit de tout instituer dans le dvoilement, y compris sa propre ouverture, qu' partir du fondement non-fond de l'abme qu'est l'f:tre. Ce-qui-transcende et ainsi fonde, c'est le Nant lui-mme. C'est lui le dernier fondement fini de la finitude du Dasein. La libert n'est fondement du fondement, que parce qu'elle se tient dans le Nant qu'elle manifeste comme son propre fondement. C'est pourquoi, Heidegger peut crire que (( l 'homme ne (( possde pas la libert comme une proprit, mais tout au contraire: la libert, le Da-sein ek-sistant et dvoilant, possde l'homme, et cela si originairement qu'elle seule permet une humanit d'engendrer la relation l'tant en totalit et comme tel, sur quoi se fonde et se dessine toute histoire (1). Ces derniers mots nous laissent entrevoir que la libert ne se temporalise en rendant possible qu'il y ait un monde que par le Rapport qu'elle (( est l'tant en totalit, qui nous apparatra comme l'origine du temps lui-mme, quand nous aurons dpass la mtaphysique.

    (1) WW, p. 16, trad . p. 87.

    CHAPITRE IV

    VRIT~ NON-VRIT ET ERRANCE

    Nous avons vu que le Dasein dcouvrait les tants sur le fondement de la transcendance du monde. Pour que le jugement puisse se conformer ce qui est, il fallait qu'il inscrive son activit dans la structure fondamentale de l'tre-dans-le-monde. La vrit ontique s' accompagne toujours de la vrit ontologique. Cela veut dire ici, que l'existant n'est manifest que pour autant qu'il est motiv dans la comprhension de l'tre dont la libert forme transcendantalement l'horizon. En tant que l'tre est d'ores et dj compris, il motive ds l'origine. Il est le fondement transcendant dans lequel le Dasein se tient ouvert de par son essence ek-statique. Mais cet aspect doit demeurer encore dans l'ombre. Cc qui nous importe ici, c'est que le fondement n'appartient l'essence de l'tre, que parce qu'il est manifest par la transcendance du Dasein dans l'acte de fonder comme projet du monde, investissement dans l'existant et motivation ontologique de l ' tant. Quelles consquences devons-nous en tirer

    pour la vrit?

    1. Vl't et Dasem

    La vrit comprise comme dvoilement, est un existential du Dasein. Elle lui appartient si intimement qu'elle dfinit son tre le plus intime. L'homme n'acquiert des vrits, ne progresse dans la connaissance du monde que parce qu'il est fondamentalement dans la vrit (1). Cela ne veut pas dire qu'il soit en possession inne de toute vrit ou qu'il puisse y prtendre en droit. Ce serait oublier la flllitude essentielle du Dasein et de l'exp

    (1) SZ,p.221.

  • 60 L'J?lW ET LA Vi!:n11' CHEZ HBIDR(;(;EII

    rience ontologique qui trace des limites infranchissables au penser de l'tre. Les mtaphysiques infinistes peuvent prtendre que rien n'chappe leur vise et que toute vrit est connue sub specie aeternitatis, une pense qui vise le Sens de l'tre sur la base de la transcendance finie du Dasein ne cherche plus instituer toute vrit partir du regard absolu de Dieu, mais dcouvrir tout tant dans la lumire de l'tre clairant de l'intrieur tout tant.

    Le Dasein est toujours dans la vrit , cela veut dire que tout tant n'apparat que sur le fondement de l'ouverture du monde qu'est le Dasein. En tant mme qu'il est , il dploie son tre selon les diverses possibilits de son pouvoir-tre. Cependant, toutes ces possibilits qui sont exerces concrtement ne le sont qu'en vertu du projet fondamental du monde, selon lequel il se tient toujours au-devant de lui-mme. tant au plus intime de lui-mme, rvlation du monde, grce quoi tout arrive au dvoilement, le Dasein se tient toujours dans la vrit. Plus fondamentalement, il est ainsi, parce qu'cc tre dans la vrit , c'est exister dans l'aprit de l'b:tre (1). Si la dcouverture de l'tant n'a lieu qu'avec et travers la transparence du Dasein et la rvlation du monde, c'est que la transparence du Dasein ne souligne que l'aspect transcendantal de la vrit travers laquelle se manifeste l'Ouvert de l'f:tre.

    Il en est ainsi de cette autre affirmation, savoir (( que nous devons toujours prsupposer la vrit (warum wir voraussetzen, dass es Wahrheit gibt) (2). Cela ne dit pas que nous croyons toujours l'existence de vrits qui seraient en dehors de nous ou au-dessus de nous. Cette croyance n'est que la projection hors de nous de l'exprience de la vrit en nous. Si nous prsupposons que la vrit doit exister dans une sphre qui plane au-dessus de nos esprits finis, c'est parce que nous sommes dj dans la vrit en tant que nous ek-sistons. La vrit, comme rvlation du monde, rend seule possible que nous puissions prsupposer quelque chose. En effet, prsupposer, c'est comprendre le fondement de l'tre d'un autre tant. Mais nous avons montr que l'tant ne peut tre cause et raison, que s'il est motiv par la comprhension de l'tre qui repose sur le fondement transcendantal de la libert. C'est donc dire que quelque chose n'est prsuppos en gnral , que parce que la vrit rend possible ontologiquement que nous puissions tre l) ainsi. Comme Da-sein,

    (1) W 1V!, p. 16. (2) SZ, p. 227.

    61VRIT, NON-VRIT ET ERRANCE

    nous prsupposons toujours le dvoilement de tout tant dans le (( sein que nouS manifestons en l'exerant comme ek-sistence. Dployant ce (( est comme fondement de tout, c'est en vertu de notre (( essence II la plus cache que (( nouS II devons (( nous prsupposer comme dtermins travers la rvlation du monde. C'est en empitant sur son propre tre comme lieu d'ouverture l'tre, que le Dasein prsuppose la vrit, c'est-a-dire le dvoilement de l'tre auquel il appartient dans son rapport constitutif l'Ouvert. Cette prsupposition est le (( sens d'tre du Dasein lui-mme l). C'est la Vrit de l'f:tre mme que renvoie le Dasein en tant que par essence, il se meut dans la vrit.

    C'est cette profondeur qu'il faut descendre, lorsque nous discutons de la possibilit d'atteindre la vrit que le scepticisme nie. La rfutation de cette position extrme laisse dans l'obscurit le bien-fond de l'argumentation. Elle dit seulement que tout jugement, y compris celui qui nie la vrit, implique toujours que la vrit doit tre prsuppose pour donner un sens son affirmation. Elle ne va pas la racine mme du problme, pour montrer le fondement ontologique de cette implication de la vrit dans le Dasein lui-mme. Le scepticisme n'a pas tre rfut dialectiquement. Il suffit que le sceptique (( soit II et qu'il se comprenne dans cet tre, pour qu'il se meuve dans la vrit. Oui, mais encore faut-il, dirions-nous, toute cette laborieuse rflexion que reprsente la philosophie de Heidegger pour (( dmontrer l) le caractre inoffensif d'une rfutation du scepticisme. Il faut ajouter aussi, que la mme (( dmonstration peut tre faite sur la mme base des relations de l'tre, de la vrit et de l'intelligence, mais dans un autre contexte pistmologique. La rfutation du scepticisme propose par Aristote pourrait nous servir de base, en approfondissant, comme saint Thomas l'a fait, les implications de base de cette doctrine, notamment quant la connotation de l'tre comme esse.

    La vrit n'est dans un rapport aussi troit avec le Dasein que sur le fondement de l'tre mme. C'est ce qui permet Heidegger d'crire ces trois mystrieuses petites phrases dans Sein und Zeit: (( Il n'y a d 'tre - non pas d'existant- qu'autant qu'est la vrit. Et celle-ci n'est qu'autant et qu'aussi longtemps qu'est leDasein. b:tre et vrit (( sont co-originels (1). Toute la pense heideggrienne tient dans l'affirmation de ces rapports profonds entre l'tre et l'tant, l'tre et le Dasein et l'tre et la vrit. Notre explication sera forcment incomplte, pour autant

    (1) SZ, p. 230.

  • 63 62 L'ETRE ET LA VRIT.' CHEZ HEIDE(jr;/J.'1l

    qu'elle devra prsupposer la rflexion sur la Vrit de l'f:tre comme telle. Ce n'est qu' la fin de ce travail, qu'apparatra avec plus de clart, ce que nous disons ici , en nous tenant plus ou moins dans le cadre de l'analyse existentiale o ces phrases ont t crites. Il nous faudra anticiper quelque peu sur notre exposition, pour ne pas travestir le sens de ces affirmations.

    La premire question que nous allons claircir est celle de l'existence de l'tant. Qu'en est-il de l'existant, si l'tre et la vrit seuls semblent dpendre du Dasein ? Il n'y a d'tre seulement et aussi longtemps qu'est la vrit. comme il n'y a d'tre qu'autant qu'il y a vrit. Si l'idalisme absolu semble cart. ne serions-nous pas en face d'un idalisme de la signification. s'appuyant sur un ralisme de l'existence brute. rditant. sa manire. l'ancienne opposition que le husserlianisme originel tablissait entre l'essence et l'existence )) (1) ? Autrement dit. la rvolution ontologique que Heidegger aurait fait subir la phnomnologie. ne concernerait que le sens )) de l'tre. entendu dans le cadre d'une activit constituante du Dasein. En est-il bien ainsi?

    Pour Heidegger. l'tant est aussi transcendant que l'tre au milieu duquel il apparat. Nous avons vu. en effet, par l'analyse de la connaissance et de la libert. que la finitude du Dasein consiste rendre possible l'tant tel qu'il est. savoir un tant qu'il n'est pas. qui se manifeste comme tant dj )) et au milieu de l'Ouvert qu'il apporte pour ainsi dire avec lui (2). Il ne peu t tre question dans une telle doctrine de crationnisme, ni mme d'idalisme de la signification. L'tant doit exister pralablement sa dcouverte. Si les lois de Newton n'taient ni vraies, ni fausses avant le grand physicien, cela ne peut pas signifier que l'tant qu'elles dsignent en le dcouvrant, n'ait pas t auparavant (sei vordem nichl gewesen) )) (3). Dans le moment mme o l'tant devient dcouvert, il se montre comme ce qui tait dj . Heidegger crit encore ceci: Ainsi, chaque existence humaine opre et se trouve toujours avoir opr une irruption d 'un type spcial dans l'tant, qui, d'ailleurs, peut tre antrieur l'existence de l'homme. Mais cette irruption n'est pas un acte par lequel l'homme s'interpose entre les tants, au contraire, elle se ralise de telle

    (1 ) Alphonse de WAELHENS, De la phnomnologie l'existentialisme dans Le Choix, le Monde, l'Existence, p. 62. Aussi dans La philosophie .. . op. cil., p. 754, 767 et suiv.

    (2) WW, p. 14, trad. p. 84 j SZ, p. 227. (3) SZ. p. 227. 212.

    VRIT, NON-VRIT ET ERRANCE

    manire qu'en elle l'tant devient manifeste en tant qu'tant (1). )) Mais l'existant n'a pas seulement une existence indpendante

    de l'homme, il est aussi significatif en lui-mme. Le Dasein ne projette le monde, que parce qu'il est fondamentalement rvlation du monde. Cette rvlation n'a un sens actif que sur la base d'une soumission l':b:tre. Elle n'est dcouverture que parce qu'ouverture l'tant en totalit. C'est pourquoi, le Dasein ne constitue pas le sens)) des choses. Il leur donne seulement d'apparatre dans l'Ouvert d'o elles tirent leur signification. Le projet n'est un a priori formel )) qu'en tant qu'il rend possible la manifestation en se tenant dans l' a priori matriel)) de l'f:tre, de sorte qu'il est galement vrai de dire que les choses sont signifiantes en regard de l'tre du Dasein, considr selon les deux faces transcendantale et transcendante du phnomne unique de la lumire de l':b:tre, s'clairant dans le Dasein. Le fait que dans la proccupation quotidienne le monde tait projet comme un complexe de relations ne le faisait pas s'vanouir dans un systme de relations purement idales. Les rfrences qui constituent la Bedeulsamkeil ne sont en aucune manire purement idales; bien au contraire la proccupation quotidienne relle )) se tient dj au sein de ces rfrences. Ce systme de relations )) comme constitutif de la mondanit vola tise si peu l'tre de l'tant intramondain, que cet tant n'est dcouvrable dans son en-soi substantiel )) que sur son fondement (2). Dans sa trs belle confrence intitule La chose )). Heidegger montre que l'homme, de quelque manire que ce soit, ne peut se reprsenter que des choses qui se soient d'abord, d'elles-mmes, claires et qui se soient montres lui dans la lumire qu'elles ont ainsi apporte )) (3). L'tant a bien ainsi une existence transcendante et une signification en lui-mme, mais enCOre faut-il bien comprendre l'une et lautre.

    L'originalit de Heidegger est de maintenir cette indpendance )) de l'tant l'intrieur d'une transcendance de l'tre qui n'esl jamais sans un Dasein qui le manifeste. Nous pouvons rsumer de la faon suivante les liens insparables de l'tre, de l'tant et du Dasein dans une doctrine du dvoilement. Les choses apparaissent d'abord dans un rapport constitutif au Sein, en tant qu'il est leur fondement cach . L'tre, comme nous le commenterons plus loin. n'est jamais sans l'tant (das Sein

    (1) Einleitung in die Philosophie, cit par W. BlEMEL dans Le concept du monde chez Heidegger, p. 83.

    (2) SZ, p. 88, W . BlEMEL, Le concept du mOTlde ... , op. ci/., chap. 3. (3) Vor/rage .. . , p. 169, trad . p. 20Z.

  • 64 VETRE ET LA VRIT CHEZ HEIDEGGER

    nie west ohne das Seiende) (1), chacun gagnant, sa manire, son fondement en s'appuyant sur l'autre. L'tre s'prouve toujours dans la finitude de la diffrence ontologique, de sorte que l'tre et l'tant s'appellent l'un l'autre et surgissent toujours ensemble dans le conflit originel qui les met aux prises dans le mme Combat du voilement et du dvoilement de l'tre. Les tants apparaissent ensuite dans un rapport constitutif au Dasein. Ce dernier, en tant qu 'il est lui-mme un tant, se fonde lui aussi sur l'tre, mais comme Da-sein, il occupe une place privilgie dans l'tre, puisqu'il est son lieu d'apparition. En tant qu'il est rendu possible par le Dasein qu'il y ait l'tre, dans le sens que l'tre donne (es gibl Sein) fondement tout, les tants en ce qu'ils disent un rapport constitutif l'tre, renvoient par le fait mme au Da-sein lui-mme. L'tant n'a ainsi une indpendance )) ontologique et un en-soi qu'en cela mme qu'il dpend de l'tre, comme aussi bien l'tre ne peut se manifester comme fondement transcendant qu'en se fondant dans le Dasein et, d'une manire gnrale, dans l'tant. Nous laissons de ct, pour le moment, le problme central de la ncessit absolue qui lie le Sein et le Dasein d'une part, l'tre et l'tant d'autre part.

    Heidegger pense ainsi viter les difficults insurmontables du ralisme et de l'idalisme, tout en cumulant leur vrit partielle. En regard de l'tant que nous sommes, le ralisme a parfaitement raison de maintenir la consistance du monde dans un en soi indpendant de la subjectivit. L'univers ne saurait se rduire nos reprsentations. Mais ce qui rend le ralisme inassimilable, c'est son absence de perspective ontologique. La sphre ontologique n'est pas rductible la croyance au monde extrieur. Elle fait appel une dimension qui pntre tout tant et rend possible la rencontre entre deux tants. Le ralisme oublie que la ralit n'est affirmable dans son en soi qu' travers une comprhension de l'tre qui la comprend toujours pralablement dans le phnomne du monde grce la structure d'tre-dans-le-monde du Dasein. Le monde n'a pas tre prouv puisque nous sommes toujours auprs des tants par le rapport que nous entretenons l'tre. Par ailleurs, si l'idalisme est valable, en ce qu'il croit que l'tre n'est pas explicable travers l'tant, il rend compte faussement de cette ncessit en privi- . lgiant la rgion de l'tant, qu'est le