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BIBLIOGRAPHIE Hervé ALIQUOT, La chronique d'Avignon. Avignon, Aubanel, 1990.290 F. Plus que d'autres, certaines villes privilégiées fournissent une matière abondante aux amateurs d'art et d'histoire. C'est le cas d'Avignon. Nombre d'ouvrages de qualité lui avaient déjà été consacrés mais beaucoup étaient épuisés (comme, par exemple, l'Histoire d'Avignon, publiée en 1979, chez Edisud) et, pendant quelques temps, les li braires de la cité des papes ont déploré l'absence à leur devanture d'un livre qui soit mieux qu'un si mple guide pour touriste pressé. Mais cette carence n'a guère duré: en l'espace de quelques mois, toute une série de titres Ont fait leur apparition, parmi lesquels le petit livre de P. George , dont Provence Historique a rendu compte dans un récent numéro (tome XLI, fascicule 164) et celui de H . Aliquot dont il sera ici question. Ce dernier ne manquera pas de retenir l'attemÎon, d'abord, en raison de sa présentation séduisante qui en fait un excellent livre-cadeau: reliure de toile rouge, jaquette en couleur reprod uisant la partie centrale du retable des Perussis, conservé aujo urd' hui à New York (l'ensemble du retable est donné p. 88), qui représeme une vue d'Avignon prise de la rive droite du Rhône, avec le célèbre pont, dans toute son étendue, depuis la tour de Philippe le Bel jusqu'au pied du Palais des Papes, beau papier, typographie aérée et soignée, nombreuses illustrations, souvent originales, comme cette horloge (p. 165) offerte par la ville d'Avignon au marquis de Rochechouart, commandant des troupes fran- çaises, lors de la dernière occ upation sur ordre de Louis XV de 1768 à 1774. Beaucoup de photographies sont en couleurs, fréquemment en pleine page (c'est le cas pour celle qui vient d'être citée), de très bonne facture. Les autres reproductions sont traitées dans une teinte bleutée, un peu surprenante au premier abord mais fina lement très agréable à l'oeil ct qui donne beaucoup de relief aux images. Vues anciennes, cartes postales, gravures ou photographies, elles évoquent de façon très variée tous les grands moments de l'histoire de la ville, depuis la préhistoire jusqu'à notre époque, en illustrant un texte qui suit,lui aussi, le fil des temps. Mais j'auteur n'a pas voulu écrire véritablement une « histoire d' Avignon et il a bien marqué les limites de ses intentions en intitulant son ouvrage <le la chronique d'Avignon ». En dix chapitres strictement chronologiques qui nous conduisent des origines jusqu'à l'époque des papes, puis passent en revue chacun des siècles du XV, au Provence Historique - Fascicule 169 - 1992

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BIBLIOGRAPHIE

Hervé ALIQUOT, La chronique d'Avignon. Avignon, Aubanel, 1990.290 F.

Plus que d'autres, certaines villes privilégiées fournissent une matière abondante aux amateurs d'art et d'histoire. C'est le cas d'Avignon. Nombre d'ouvrages de qualité lui avaient déjà été consacrés mais beaucoup étaient épuisés (comme, par exemple, l'Histoire d'Avignon, publiée en 1979, chez Edisud) et, pendant quelques temps, les libraires de la cité des papes ont déploré l'absence à leur devanture d'un livre qui soit mieux qu'un simple guide pour touriste pressé. Mais cette carence n'a guère duré: en l'espace de quelques mois, toute une série de titres Ont fait leur apparition, parmi lesquels le petit livre de P. George, dont Provence Historique a rendu compte dans un récent numéro (tome XLI, fascicule 164) et celui de H . Aliquot dont il sera ici question.

Ce dernier ne manquera pas de retenir l'attemÎon, d'abord, en raison de sa présentation séduisante qui en fait un excellent livre-cadeau: reliure de toile rouge, jaquette en couleur reproduisant la part ie centrale du retable des Perussis, conservé aujourd'hui à New York (l'ensemble du retable est donné p. 88), qui représeme une vue d'Avignon prise de la rive droite du Rhône, avec le célèbre pont, dans toute son étendue, depuis la tour de Philippe le Bel jusqu'au pied du Palais des Papes, beau papier, typographie aérée et soignée, nombreuses illustrations, souvent originales, comme cette horloge (p. 165) offerte par la ville d'Avignon au marquis de Rochechouart, commandant des troupes fran­çaises, lors de la dernière occupation sur ordre de Louis XV de 1768 à 1774.

Beaucoup de photographies sont en couleurs, fréquemment en pleine page (c'est le cas pour celle qui vient d'être citée), de très bonne facture. Les autres reproductions sont traitées dans une teinte bleutée, un peu surprenante au premier abord mais fina lement très agréable à l'œil ct qui donne beaucoup de relief aux images. Vues anciennes, cartes postales, gravures ou photographies, elles évoquent de façon très variée tous les grands moments de l'histoire de la ville, depuis la préhistoire jusqu'à notre époque, en illustrant un texte qui suit,lui aussi, le fil des temps.

Mais j'auteur n'a pas voulu écrire véritablement une « histoire d' Avignon ~ et il a bien marqué les limites de ses intentions en intitulant son ouvrage <le la chronique d 'Avignon » . En dix chapitres strictement chronologiques qui nous conduisent des origines jusqu 'à l'époque des papes, puis passent en revue chacun des siècles du XV, au

Provence Historique - Fascicule 169 - 1992

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XX', il évoque, cn quelques pages, les principaux traits de la période mais sans s'astreindre à cn présenter chaque fois un tableau complet et équilibré. Foin des considérations savantes, des références e l des notes érudi tes; même pas la moindre bibliographie: da ns son récit, H. Aliquot choisit de mettre cn vedette tel événement ou tel person nage, selon ses goû tS Ct au gré de ses humeurs

Chacun de ses chapitres est complété par une panic intitu lée oc Textes et documents '", imprimée en caractères italiques. Ce sont effectivement des extraits de documen ts très variés : passages de chro niques ou de journaux, descriptions de voyageu rs, transcript ions de pièces des archives communa les ou de registres de nouires qui donnent au li vre une note de pittoresque e n même temps qu'un cachet d'authenticité.

Il est regrettab le que dans un ouvrage aussi soigné, l'éditeur négl igent ait lai ssé sub­sister quelques lapsus orthographiques (<< percés de flèches» p. 9 ou «oppidum des Cavares régi t par le droit latin,. p. 12) ou bien, plus fâcheux encore, la coquille qui, dans la légende de j' illustration de la page 136, nous présente une vue d ' Avignon par le père Martelange, avec la coupole de .. Saint-Loué ,.. Mais ces petits défauts ne choquent que parce que l'ensemble est de haute qualité et qu'il const itue un très beau recueil qu'on aura p lais ir à posséder et à feuilleter.

René MOULINAS

Régis BERTRAND et Lucien TIRONE, Le guide de Marseille. La Côte Bleue, les Calanques, la Sainte-Baume, Allauch, Aubagne, Cassis, Gardanne, Besançon, 1991 ,377 p.

Après Avignon, Aix et Martigues, les éd itions de la Manufactu re consacrent un nou­veau guide à no tre région . Comme les précédents, ce petit vo lume d 'un format maniab le est p lus qu'une collection d'itinéraires rouristiq ues . Il donne les clés pour comprendre un si te, une histo ire, une évolution topographique, un climat social et une atmosphère spirituelle. Près de la moitié de l'ouvrage est consacrée à cette analyse spectrale d 'une ville. Les chapitres d'introduction présentent success iveme nt le si te, l'histoire, l'évolution du paysage urbain et l'ident ité culture ll e de la cité. De nombreux encadrés enrichissent le cheminement du visiteur "<le rega rds hîstorîographiques ou ethno logiques su r les paysages traversés, qu'ils évoquent la vie des galériens à propos des quartie rs des anciens arsenaux ou qu 'i ls décri vent le filtre marse illais sur son si te de product ion dans la va ll ée de l'Huveaune. Aucun aspect de la vie u rhaine n'est négligé et l'on trouvera, à côté des notices attendues sur les mon uments, les écrivains Cl les artistes, de précieux ct de nses déve­loppements qui traitent de la toponymie, des objets de la vie quotidienne, des matériaux de la construction, des jeux et divertissements. La langue, « le français parlé à Marse ille ,. fai t même l'objet d'un savoureux exercice de sty le. L'illustration, abo ndante et de qua · lité, a été mieux se rvie par l'impression que ne le fut celle du guide d 'Aix. La mise en page seule laisse insatisfait: la dispos ition des encadrés nuit souvent à la lecture des tex tes dont clic brise la continu ité, un défau t particulièrement sensib le dans les itiné raires que l'u tilisateur devrai t pouvoir su ivre autrement qu'en zig-zag.

Le survol hi sto rique est un petit tou r de fo rce: 26 siècles d 'histo ire cn 26 pages ! La guerre de l'Union d'Aix y est curieusement présentée p. 40 : Charles de Duras qualifié

BIBLIOGRAPHIE 565

d'. héritier italien» méritait bien davantage la qualité de« parent de la reme1eannc» recon­nue à Louis d'Anjou. D'autant que cette formulation pourrait faire croire que les Marseillais étaient des partisans acharnés de l'indigénat dont ils se souciaient fort peu . Et dire que Marseille soutient « victorieusement» la cause angevine est bien excessif: le triomphe de la seconde maison d'Anjou est moins dû à leurs armes qu'à la politique de Marie de Blois !

Les auteurs sont attentifs à faire vivre la mémoire des lieux. Quelques lacunes pour­raient être comblées lorsque le succès de cc volume amènera à le rééditer. Il serait bon d'évo­quer les béguines de Roubaud à propos de la place de Lenche et Louis Gaufridi sur le site des Accoules. Il faudrait surtout faire plus de (J'lace à Giono qui mérite plus que les trois lignes que lui valent son emprisonnement au fort Saint Jean. C'est sur le boulevard Baille, le long du mur du Refuge que le romancier rencontra« un personnage qui devait tenir une grande place dans (sa) vie »,« un cavalier qui semblait un épi d'or sur un cheval noir » ,

Angelo qui naît ainsi (Noè) dans la ville où Giono fera également mourir Pauline, rue Consolat (Mort d'un Personnage).

Noël COULET

Pierre ECHINARD, Marseille au quotidien. Chroniques du XIX' siècle, Aix, Edisud, 1991, 160 p., nombreuses illustrations.

Pierre Echinard nous livre ic i le recueil des chroniques qu'il tient chaque dimanche depuis 1989 dans Le Méridional. Ce livre élégant, fort bien illustré, porte comme l'indique son titre pour l' essentiel , mais non exclusivement, sur le XIX' siècle, P. Echinard n'hésitant pas à remonter parfois dans les siècles antérieurs. Ses thèmes favoris sont les faits -dive rs significatifs et savoureux, les menues célébrités de la rue et de la scène souvent oubliées et surtout les loisirs. les lieux de sociabilité et de spectacles des Marseillais d'antan. Si la chronique hebdomadaire est dans la presse marseillaise une ' longue tradition, et si ces dernières années d'autres historiens locaux ont pareille ­ment réuni la brassée de leurs « zigzags dans le passé », l'on ne peut qu'être frappé de la qualité de l'information de l'auteur, qui semble souvent de première main et en grande

partie inédite.

L'on doit cependant regretter que ces chroniques aient été reprises telles qu'elles parurent, simplement rassemblées selon quelques chapitres thématiques, alors que l'occasion était belle d'ajouter les références d'archives, une bibliographie générale et sur­tout des textes de présentation soulignant l'intérêt de cette contribution marseillaise à plusieurs chantiers importants de la recherche historique récente: l'histoire du sport, des divertissements, des rapports de l'homme avec le monde marin ou l'analyse des significations multiples du fait -divers. Cet ouvrage qui est riche d'informations et se lit avec un vif plai­sir aurait ainsi eu chance de gagner hors de Marseille une audience qui risque de lui faire défaut. P. 53, une citation une peu hâtive du chant des targaires toulonnais doit être réta­blie ainsi: «Qui a gagné la targue? C'est patron Cayol (il s'agirait du vainqueur de 1777). Du vin de Lamalgue (et non La Margot), Buvons tous un coup ».

Régis BERTRAND

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Alain VENTURINI, Pages de l'Histoire de Vence et du pays vençois au Moyen Age, Vence, 1991,101 p., 1 canch.t.

L'Association pour la défense et la promotion du patrimoine vençois publie, avec J'aide de la municipalité, le quatrième numéro de la collection d'histoire locale qu'clle a lan­cée en 1987. L'initiative est trop exceptionnelle pour ne pas mériter d'être d'abord saluée. Contrairement à tant d'autres, elle se refuse aux succès faciles et se p li e à d'authentiques exigences scientifiques. Le choix pour le présent volume d'Alain Venturi ni, chartiste et médiéviste confirmé, suffit à le démontrer.

Probité n'est pas toujours synonyme d'ennui et d'« élitisme ». Au contraire, le but

fixé à J'auteur était, au premier chef, de « mettre à la disposition des habitants d'aujourd'hui les éléments» de leur patrimoine (p . 7). Aussi, l'histoire de Vence et du pays vençois au Moyen Age est-elle retracée au travers d'un dossier de quinze documents, répar­tis du XIe au XV" s., traduits et accompagnés d'un commentaire méthodique. Inutile de souligner que cette option suscite ct soutient l'intérêt des lecteurs non avertis. Elle offre

pareillement des textes aisément exploitables aux enseignants soucieux d'initier leurs élèves au passé de leur« petite patrie ».

Il y a plus. Le travail d'Alain Venturini doit encore retenir l'attention de tous les historiens de la Provence en raison de la qualité de ses commentaires. En eHet, ceux-ci fourmillent d'idées pertinentes et apportent des informations nouvelles: je retiendrai, comme exemple, la précieuse« dissertation» sur l'Hôpital Saint-Laurent-du-Var (pp. 86-95), jusqu'à présent si mal connu.

Jean -Paul BOYER

André REY NE. abbé Daniel BREHIER, Saint Eutrope, évêque d'Orange au Vc siècle Avignon, Aubanel. 1991.

Le livre sur saint Eutrope d'Orange, signé conjointement par André Reyne et Daniel Bréhier, fleure la bonne tradition érudite du clergé provençal et se recommande par son écritu re simple et sa lecture facile. En huit chapitres suivis d 'un complément, il nous met en mains le dossier d'Eutrope qui fut évêque d'Orange dans le troisième quart du V'· siède, prit parr aux conciles d'Arles de 463 et 475 (ou 473), fut en correspondance avec Sidoine Apollinaire ct mourut en une année inconnue avant la fin de ce siècle.

Son épitaphe, retrouvée en 1799, est aujourd'hui au Musée Calvet d'Avignon. Elle avait été gravée au revers d'une façade de sarcophage portant une scène de retour de chasse au sanglier. Elle nous est parvenue mutilée à la fin. Ses hexamètres élégiaques sont rédigés dans un style qui pourrait être du VI' plutôt que du VlI< siècle, mais nc doivent sans doute rien à Vérus, que J'on considère comme le successeur d'Eutrope. Ils ne témoignent pas non plus qu'un culte lui ait été rendu à l'époque de leur composition, car ils expriment en termes conventionnels l'éloge de l'évêque défunt.

Les premiers documents que nous ayons conservés sur son culte sont d'époque caro­lingienne et ne sont pas de provenance provençale. C'est d'abord le manuscrit le plus ancien de la Vila S. Eutropii Arausicani, du VUI' siècle finissant, conservé à la Bibliothèque de

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la ville de Chartes, Ms 16 (al. 5, liA), fol. 179-184. Ce sont aussi les martyrologes historiques du IX' siècle, de Florus,« le Petit Romain », d'Adon et d'Usuard où il est fait référence expresse à la Vita. Il est vraisemblable que ces témoignages du VIlI<-IX' siècle se font l'écho d'une tradition orangeoise plus ancienne. Ils servent à leur tour de source à la tradition liturgique dans les sacramentaires, missels et bréviaires à l'apogée du Moyen Age.

Ces relais non provençaux compensent pertes et lacunes de la documentation provençale au Moyen Age. Celle des temps modernes. consécutive aux troubles de la Réforme, nous permet de suivre le développement du culte de saint Eutrope jusqu'à nos jours. Les meilleurs chapitres du livre lui sont consacrés et concernent les reliques, le culte à Orange et en Provence, l'iconographie et les miracles du saint. On lira ces pages avec intérêt et profit.

Ce livre mérite de figurer dans la bibliothèque de tout Provençal cultivé et amou­reux du passé de son pays.

Victor SAX ER

Paul AMARGIER, Un âge d'or du monachisme - Saint- Victor de Marseille (990-1090), Marseille, P. Tacussel, 1990, 195 p., 120 F.

Il est inucile de présenter ici le Père Paul Amargier qui collabore depuis des années à Provence historique: cette référence est à la fois la meilleure recommandation et la meilleure introduction à la lecture de son dernier ouvrage.

La meilleure introduction, parce que les pages sur Saint-Victor que l'auteur a données à la revue constituent, avec d'autres études publiées ailleurs, comme l'ébauche de ce travail de synthèse (voir ainsi J'étude parue dans le t. 30,1980, p. 165-170, ici reprise en annexe, p. 179-181); la meilleure recommandation aussi, parce que l'on retrouve les qualités habituelles de P. Amargier dans cet ouvrage élégant.

Elégant dans sa présentation d'abord : ce dont on ne saurait que louer l'imprimeur A. Robert et j'éditeur Tacussel, en regrettant seulement, pour la typographie, que le cor­recteur se soit montré bien incertain parfois dans l'emploi de l'accent circonflexe et pour l'iconographie, que l'échelle trop réduite adoptée pour la reproduction de certaines cartes (p. 102 et 124 en particulier) les rende pratiquement illisibles.

Elégant dans sa conception ensuite, car tout a été fait pour fuir pesanteur et sécheresse qui sont souvent le lot des synthèses: les 160 pages de l'exposé proprement dit (suivies de 40 pages d'annexes) sont distribuées en seize courts chapitres, eux­mêmes généralement subdivisés en plusieurs parties, et tout appareil de notes ou de réfé­rences aété banni.

De là un exposé très alerte, qui laisse cependant entrevoir avec bonheur, comme à l'arrière-plan, ce qui le légitime: les acquis de la recherche historique récente d'une façon générale et, s'agissant de Saint-Victor, les travaux propres de P. Amargier, investigateur passionné depuis quelque trente ans des archives de l'abbaye, qui a su aussi bien y repé­rer des richesses nouvelles que présenter sous un jour éclairant les documents plus connus,

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La juxtaposition de courts chapitres dans J'ouvrage n'en dessine pas moins fermement, pour SaÎnt-Victor,la traj eçtoirc d'un siècle essentiel: renaissance de J'an mil, à proximité de ces rel iques de sa ints Innocents chères à Isarn ; diffusion contagieuse de la « liberté victorine:+ des années 1040- 1065; puis, sous les ab bés millavois et le cardinal Richard en particulier, expansion p lus ambitieuse du dernier tiers du siècle, en Espagne et en Italie notamment, qui eS t an nonciatrice pourtant d 'un ce rt ain déclin.

Toute la familiarité, tout l'attachement - Sartre aurait dit: toute l'empathie - de l'auteur pour son sujet se mesurent au fil de tant de pages. desquelles l'humour n'est jamais absent (voi r ainsi, p. 25, cette définition du monachisme victorin comme un « monachisme d 'agri ­culture", autant que de culte ou de culture); un sujet, d'ailleurs, plus vaste qu'il n'y paraît, et qu'on ne saurait limiter à l'histoire religieuse: car à propos de Saint-Victor, c'est bien le panorama complet d'un temps, d'une société et d'une région que P. Amargier esquisse par petites touches. Un liv re bien séduisant, décidément.

]eanGUYON

Le monde des chanoines (X/<-XIV' s.). Cahiers de Fanjeaux 24, Toulouse, Pri vat, 1989, 406 p. 12 planches de photographies, 5 cartes ct tableaux.

Tout un monde, en effet, et qui reste encore largement à explore r. Ce cahier en renète bien la diversi té: chapi tres des cathédrales et des collégiales (présentés ici par J.L. Biget sur l'exemple double de Ste Cécile ct St Salvi d'Albi), congrégations comme les ordres de Saint Ruf et de Prémontré (dont traitent Y. Lebrigand, P.M. Gy Cl P.R. Rocha) ou encore, fo rme plus insolite, J'ordre canonial et hospitalie r des Antoinins (qu'étudie D. Le Blévec) et, ph éno mène rare en dehors de l'E mpire, les chanoinesses q ue sont les moniales augustiniennes de Béziers (objet de J'article de M. Moreau). Pour décrire ce vaste monde, ceue session des colloques de Fanjeaux présidée par J. Avril qui en dégage les conclu­sions a adop té une chronologie plus vaste qu'à l'ordinaire, du XI' aux dernières années du XIV< siècle. C'est dans ce cadre temporel que dom]. Becquet analyse en ouvcnurc l'évo­lu t ion des chapi tres cathédraux: le mouvement de régularisation des XI'-XII< siècles et la sécularisation qu i s'amorce dès le XIII' siècle dans la province de Bourges mais s' avère plus tard ive dans les provinces d'Arles ct d 'Avignon. L'aire géograph ique, elle auss i plus étendue que dans beaucoup de cahiers précédents, englobe plus largement le Midi aquitain ct la Prove nce. La richesse fo iso nnante du vo lume o bli ge à re ten ir quelques questions seulement parmi to us les thèmes abordés. Ce monde est- il un monde clos au sein de l'espace urbain? Y. Esquicu dégage les caractéristiques de ces quar­tiers canoniaux et de ces bâtiments claustraux, objet de sa thèse de doctorat, montre que ces quartiers ont été très tardivement organisés. Les chap itres cathédraux du Midi o nt­ils des traits originaux par rappon au reste de la France? J. Avril qui étudie la participation du chapitre cathédral au gouvernement du diocèse constate que « les chano ines furent assoc iés p lu s qu'ailleurs au pouvoir épiscopal et fu ren t parfois présents dans les paroisses "'. Les chanoines sont-ils des intellec tuels? J. Verger au terme de son enq uête propose une conclusion mesurée: si « dès le XII" les chanoines ont été d ans ces régions, tout à fa it ouverts à la nouvelle culture scolaire,.,. et si +:; à partir du XIII< il s on t été largement présents dans les universités ", il reste qu' à partir du XIV' siècle, il est dif­fic ile de considérer les chapitres comme de véritables foyers de vic culturelle .. dans la mesure

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où une bonne partie de ces chanoines gradués étaient non résidents. On touche par là au même problème que soulève l'enquête de prosopographie d'A.M. Hayez sur les chanoines des chapitres méridionaux à la lumière des documents pontificaux d 'Urbain V : ce corpus apprend finalement peu ..: su r les chanoines présents dans leurs chapitres )1-

mais « a du moins le mérite de nous faire connaître de façon assez précise ceux qui auraient dû y figurer )lo . Au rappel du succès de la réforme du X I" qui ouvrait le volume fait écho, dans la dernière partie du cahie r, l'échec des projetS de réforme de Benoît XII que F.J. Felten étudie dans le cadre de la province de Narbonne.

Noël COULET

La papauté d'Avignon et le Languedoc (1316-1342), Cahiers de Fanjeaux, 26, Toulouse, Privat. 1991,470 p., 20 planches photo, cartes et plans.

La chronologie retenue pour ce cahier couvre la du rée des pontificats des deux papes qui ont enraciné la cour pontificale à Avignon, Jean XXII et Benoît XII, un Quercinois et un homme du pays de Foix.

La personnalité du premier, sa politique bénéficiale et les faveurs q u'i l dis­pensa avec largesse à ses compatriotes SOnt bien connues depuis les travaux de Louis Cai llet et du chanoine Albe. On n'en trouvera pas moins dans ce cahier quelques nou­veaux éclairages su r l'entourage du pape, avec ]a monographie richement documen­tée que P. Jugie consacre à ce cardinal du Pouget que le traducteur du Nom de la Rose n'a pas su reconnaître derrière la figure du cardinal 4( da Poggeto '" du texte italien, la patiente recherche prosopographique que A.M. Hayez a menée sur les fonctionnaires languedoc iens d e la cour pontificale et les port raits de juristes languedociens au service du pape que trace Henri Gi ll es. L'affrontement de Jean XX II avec les Sp irit uels fait l'objet de deux études, celle d'Alan Friedlander qui montre qu'en dépit du jugement de 1319 qu i négligeait les accusations de participation au mouve­ment des Spirituels, Bernard Délicieux, cet 4( agitateur populaire JO , comme le définit B. Guillemain, s'était sincèrement attaché à cette cause 4( avec sa passion accoutumée '" . Marco Bartoli revient sur les Joachimites du Midi, ces Spirituels et Beguins, objet d'un beau livre de Raoul Manselli enfin traduit en français, pour 4( situer la question de la confrontation entre Jean XXII et les Joachimites à l'incérieur de l'évolution de la pen­sée du pontife JO .

J acques Fournier, évêque de Pamiers, est mieux connu du grand pub lic que le pape Benoît XI1, du faie du succès de librairie qu'ont connu ses enq uêtes à Montaillou. Néanmoins, on s'est davantage attaché au contenu de la procédure qu'à leur auteur et à sa méthode de travail. Jacques Paul comble ce vide en brossant avec son acu ité cou­tumière un portrait de Jacques Fournier en inquisiteur. Si la politique bénéficiale du pape a fait l'objet de la thèse complémentaire de Bernard Gui llemain, il n'y a pas eu de chanoine Albe pour traquer les familles du comté de Foix dans la société ecclésiastique durant son pontif icat. Jean Duvernoy s'y essaye et "on constate à le lire que le pape n' a pas été 4( aussi insensible qu'il l'a prétendu aux influences et aux amitiés sû res JO (B. G u illemain). L'utilisation d e la Gallia d'Albanès aurait peut-être, sans modifier cette conclusion, enrichi le dossier, c'est du moins ce que l'on peut penser à partir de

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la notice incomplète sur Jean Peysson li, qui fut évêque de Digne et plus tard arche­vêque d'Aix. Deux faits marquants du pontificat sont mis en lumière dans cc cahier. La construction du palais qui marque la volonté d'installation de la papauté dans sa nouvelle capitale fait l'objet d'une substantielle notice de Roberte Lentsch. La volonté de réforme des ordres religieux apparaît ici sous un aspect négatif: un échec, la résistance des Prêcheurs et une conséquence durable, l'image péjorative qui s'attache par la suite à Benoît XII dans l'historiographie dominicaine que présente Franz J. Feltcn.

A la charnière des deux pontificats, cn 1336, Benoît XII apaise les troubles susci · tés par les thèses de Jean XXII sur la vision béatifique ct fixe les frontières de la géographie de l'au-delà. En examinant plusieurs recueils méridionaux d'exempla constjlUés à la fin du XIII' ou au début du XIV' siècle, en particulier la Scala Codi de Jean Gobi, prieur du couvent des Prêcheurs de Saint Maximin, Anne-Marie Polo de Beaulieu met en relief« la vivacité des dévotions individuelles envers un défunt et l'émergence de dévotions col ­lectives envers les âmes du purgatoire ». Michèle Fournié illustre la réception des formulations de Benoît XII par l'analyse des statuts synodaux de Mirepoix et du retable sculpté, - un Jugement dernier? - récemment découvert à Narbonne. Sa conclusion s'élargit à une ques­tion de plus vaste portée que sa thèse en voie d'achèvement devrait approfondir: par delà ces exemples d'influence d'Avignon sur le Languedoc, ne doit-on pas discerner, dans l'impor­tance que revêt alors le problème du réceptacle des âmes un effet de l'origine languedocienne des pontifes qui« auraient exporté jusqu'en Avignon des préoccupations familières à leur milieu».

C'est à ces problèmes d'influence que s'attachent les deux communications d'his ­toire de l'art qui clôlUrent de cahier. Henri Pradalier examine les « rapports entre l'architecture civile et religieuse d'Avignon et celle du Languedoc occidental» et Alain Girard, qui pone son attention sur la basse Provence rhodanienne ct la ville même d'Avignon, se demande si, « en s'établissant sur les rives du Rhône, les papes (y) ont créé une architecture particulière ». Il s'attache notamment à la jeune génération de lapicides méri ­dionaux qui travaillent sur les chantiers de ce temps au contact d'architectes venus du Nord et qui « ont moins subi l'influence de l'art septentrional qu'ils n'om cherché dans celui-ci les éléments nécessaires au dévcloppemem de leur tempérament ».

Mis à part cette communication et J'évocation d'un certain nombre de person­nages qui, comme Pierre des Près ou Armand de Narcès, firent carrière sur les sièges des provinces d'Arles, Aix ct Embrun, l'axe Avignon-Languedoc laisse dans l'ombre les rapports emre ces pontifes de langue d'Oc et la Provence. Relevons toutefois deux aspects négatifs de leur influence dans le comté. Jean-Louis Gazzaniga, recherchant

. les explications de la création de nouveaux évêchés au détriment de J'ancien diocèse de Toulouse, y voit un effet de la volonté de Jean XXII de briser l'influence de très grandes maisons monastiques dont Saint-Victor de Marseille dont dépendent Mirepoix ct Saint-Papoul. Jacques Verger montre que ni Jean XXII - qui du temps où il érait chan­celier du comte de Provence fut associé à la création du studium avignonnais - ni son successeur n'ont marqué de faveur particulière envers l'Université d'Avignon, ct encore moins n'ont cherché à en faire« leur université ». Aussi bien est-ce sous le pontificat de Jean XXII que le roi Robert envisage de transférer à Aix l'université qui végète à Avignon.

Noël COULET

BIBLIOGRAPHIE 571

1388 La dédicion de Nice à la Savoie. Acles du colloque international de Nice (septembre 1988), Paris, Publications de la Sorbonne, 1990; 1 vol. in_So, 528 p., 6 cartes, Il ill., (Histoire ancienne et médiévale, 22).

Le colloque organisé à Nice en septembre 1988 dans le cadre des manifestations com­mémoratives du 600' anniversaire de la dédition à la Savoie envisagea cette « auto­donation» niçoise sous deux aspects principaux: J'événement et ses répercussions dans le destin ultérieur de la ville, du XV· siècle à nos jours. Le programme, on le voit, était copieux et diversifié. L'aperçu que nous en proposons ici ne pourra évi­demment prétendre à "exhaustivité.

Le livre s'ouvre par une évocation du cadre dans lequel s'inscrivit la résolution niçoise de l'automne 1388. Tandis que R.H. Bauthier et E. Hildesheimer s'intéressent au contexte international (Schisme et politique napolitaine), A. Venturini consacre une cen­taine de pages à l'examen du cadre local. Son exposé sur la guerre de l'Union d'Aix - essen­tiellement événementiel ct chronologique - s'attache à une vision« pan-provençale .. du conflit et insiste en particulier sur le volet niçois et oriental des faits.

Sur ce canevas, se greffent en'suite des études plus ponctuelles. Epinglons par exemple quelques articles relatifs à des figures marquantes de ces événements niçois tels Jean de Grimaldi de Beuil, l'artisan de la dédition (M. Bourrier et C. Bourrier-Reynaud) ; ou encore les comtes Humbertiens dom B. Demotz étudie le rôle à la tête de la Savoie au cours des XIII< et XIV" s. et la politique habile d'octroi de privilèges aux territoires annexés (entre autres, celui de Nice).

La position des villes dans la guerre ou les rapports entre communautés et Etat sont également au centre de différentes études. Ainsi, les circonstances de l' entrée des Tuchins à Arles en juillet 1384 (L. Stouff) illustrent les divisions politiques au sein d'une population urbaine et les collusions qui s'y nouent avec les différents protagonistes du conflit: Angevins, Carlistes ou roi de France. Analysant le rôle de la communauté aixoise dans la guerre de l'Union d'Aix, N . Coulet souligne éga lement la diversité des attitudes au sein de la classe politique aixoise. Il observe en outre une évolution dans les enjeux. Au fi l du temps, les Aixois paraissent se concentrer davantage sur des questions d'auto­nomie urbaine et de part réservée au pouvoir communal dans le gouvernement du comté, plutôt que sur l'objet du débat initial. Enfin, M. Hébert examine le rôle des Etats de Provence durant la guerre. Au travers des relations entretenues par cette assemblée avec la reine Marie de Blois, il montre l'affrontement de deux conceptions du pouvoir. Celle de type représentatif est incarnée par les Etats. Marie de Blois, en revanche, tend à la souveraineté, une forme de pouvoir déjà bien ancrée au sein de la famille royale fran­çaise et dont elle-même paraît également empreinte.

Au-delà de l'événement, d'autres études portent sur la spécificité de la dédition,la confrontent aux règles du droit féodal et savant, ou la comparent avec d'autres dédirions, proches dans le temps (seconde moitié du XIV' s.) ou l'espace (déditions de la Corse à Gênes, ou de communes piémontaises à la maison de Savoie) ... Des articles relatifs à J'immé­diat après-dédition clôturent cette première partie. M.R. Reynaud, qui étudie les réac­tions angevines entre 1388 et 14'19, observe l'évolution qui conduit Louis II et son entou­rage du sentiment d'occupation illégale de la Provence orientale par les Savoisiens, jusqu'à la renonciation définitive, signée en 1419 par Yolande d'Aragon. La ville de Nice au XV< siècle fait également l'objet d'études, sur le plan du patrimoine architectural (L. Thévenon), ou celui de l'idiôme (A. Compan), tandis que H. Bresc évalue les retombées

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économiques et culturelles du séjour effectué à Nice par le pape Benoît XIII, de janvier àmai 1405.

Quel fut le poids de la dédition sur le destin ultérieur de la ville, du XV' au xx" siècle? D'un point de vue législatif, la dédition fut une source de lensions entre les Niçois ct leurs nouveaux souverains. A plusieurs reprises, les Niçois attachés à leurs anciennes cou­tumes, dont la dédition garantissait le maintien, se dressent contre les volontés savoέSÎCIUlCS d'unifier les différents codes en vigueur sur leurs domaines (1. Soffietci). En 1699 encore, le refus par les Niçois d'une nouvelle assiette pour l'impôt. suscite la rédaction par l' inten­dant Pierre Mellarède d'un mémoire déniant (Oute valeur juridique à l'acte de 1388 et ôtant cout fondement aux protestations niçoises, qui s'appuient sur lui (H. Costamagna). La dédi­

tion se répercute également sur les relations franco-niçoises, du XVI' s. à l'unification en 1860: revendications de François 1" sur le comté (P.G. Patriarca), déboires des premiers consuls français en poste à N ice, au XVIII' s. (F. Hildesheimer); cheminement qui, enfin, condui­sit de la restauration sarde au plébiscite de 1860 en faveur de la France. Pour M. Bottin, deux facteurs principaux se conjuguèrent alors: la remise en cause par les Sardes de l'unité ter­ricoriale du comté, progressivement incorporé dans les structu res de l'Etat, ct l'influence de plus en plus sensible de la France dans la région de Puget-Théniers.

Les derniers articles concernent l'historiographie de la dédition et l'histoire de sa commémoration. Les auteurs montrent notamment comment, sous les Sardes, raviver le souvenir de l'auto-d onation de 1388 contribue à raffermir le li en entre Nice et ses souverains, issus de la maison de Savoie (O. Vernier). Dans les années trente enfin, notent P. Isoard et J. Basso, l'intérêt se porte sur la question de l'identité niçoise: française, pro­vençale ou italienne. Le débat paraît alors d'autant plus crucia l que la propagande fas ­ciste s'efforce de récupérer la dédition pour justifier les prétentions italiennes sur la région de Nice. C'est alors que la France reconnaÎ( le « particularisme niçois ». Celui-ci résulte d'une tradition d'autonomie née du statut particulier du comté, issu de la convention de septembre 1388 et des garanties politiques qui furent alors accordées par le comte Amédée VII à ses nouveaux sujets .

Geneviève XHA YET

La France pré-révolutionnaire, ouvrage co llectif sous la direction de Pierre- Léon FERA L, Paris, Publisud, 1991,216 p.

La« France pré-révolutionnaire» présente les actes d'un colloque tenu à Lectoure en septembre 1988 dont le but était d'offrir un tableau de la France à la veille de 1789, de façon à mieux cerner les antécédents des événements révolutionnaires.

Les problèmes politiques et, en particu lier la « pré-révolution », sont traités par Maurice Bordes pour la Gascogne et François-Xavier Emmanuelli pour la Provence.

Maurice Bordes montre la diversité des projets de réforme des assemblées provinciales avant la Révolution. L'édit de 1787 établit finalement l'assemblée provinciale d'Auch, mais ses travaux se déroulent dans un climat d'indifférence voire d'hostilité de la part de la population. Il est vrai que cette assemblée, comme les assemblées d'élections. mani ­festa de nettes tendances conservatrices et qu'elle se garda bien d'évoquer certai ns pro­blèmes, en particulier celui de la dîme. François-Xavier Emmanuelli propose une « relec-

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ture » de la pré-révolution provençale: il s'interroge en effet sur les « vrais" enjeux des événements qu'il décrit, accompagnant ce récit du tableau fouillé de la situation provençale qui s'avère complexe. François-Xavier Emmanuclli remet en cause la dimension sociale de cette pré-révolution, il y voit plutôt "ultime assaut des groupes socio-professionnels, tels que les hommes de loi et les nobles non-fieffés, qui affirmaient progressivement leur domination sur la Provence. Il remarque que leur victoire sur les privilégiés se fjt au prix de la trahison de la « constitution» provençale.

La question des origines de la Révolution est évoquée dans deux communications. Dans son son étude de la Franc-maçonnerie française Michel Taillefer met en doute une forte influence réformiste des loges. Il observe qu'elles reproduisent les hiérarchies, cli­vages et tensions de la société profane et que, malgré la densité du réseau des loges, elles étaient en crise au moment de la Révolution, comme le reste du régime. Francis Castex s'interroge sur l'influence des nobles qui ont combattu pour l'indépendance américaine à travers l'exemple de jean joseph de Gimat, compagnon de La Fayette.

Plusieurs communications portent sur les problèmes religieux.

Pierre Gardeil souhaite s'interroger sur les rapports entre christianisme et philo­sophie des Lumières. jean-Claude Meyer étudie les différentes tendances de l'Eglise en pays toulousain, il en montre la diversité, évoque les conflits doctrinaux et confirme l'escime assez générale de la population pour le bas clergé séculier et son animosité vis-à-vis des moines. Elisabeth Labrousse, Daniel Ligou et Daniel Poton évoquent, .avec des démarches différentes la situation des protestants avant la Révolution. Elisabeth Labrousse compare l'édit de 1787 à l'édit de Nantes et y voit, à l'insu de leurs auteurs, une des premières bases de la laïcité, Daniel Ligou montre que, malgré une évolution posi­tive depuis 1750, la tolérance vis-à-vis des protestants n'est pas encore complète en 1789. L'édit de 1787 qui n'accordait pourtant qu'un statut légal a provoqué l'hostilité du clergé; pour les hommes éclairés (et les protestants) il était considéré comme le premier pas vers la reconnaissance de la liberté de culte et l'égalité politique. Didier Poton illustre l'évo­lution de la situation des protestants au XVIII< siècle et les effets de l'édit de 1787 par l'étude d'une communauté cévenole en 1788: Saint-Jean de Gardonnenque.

Les problèmes matériels, la vie des populations sont évoqués dans de nombreuses communications, Georges Courtès étudie très précisément, données chiffrées à l'appui, la population du Gers à la veille de la Révolution. Trois textes de Pierre Léon Féral abor­dent les problèmes économiques, Il évoque, de façon générale, la situation écono­mique et sociale de la France avam la Révolution, momrant que le pays est prospère mais que cette richesse ne concerne que la frange supérieure de la société et que la situation financière de l'Etat monarchique est structurellement désastreuse. Les problèmes de fis­calité, de centralisation, sont ensuite abordés dans une perspective évolutive et comparative de 1788 à 1982.

Par ailleurs, Pierre Léon Féral analyse de façon détaillée les charges qui pèsent sur les métaieries gasconnes à la veille de la Révolution et montre de façon très précise l'évo­lution de la dîme, de la coussure et de la glane, et de leur poids sur le monde rural.

Le docteur Bierer décrit l'armée royale en 1788, montrant dans un exposé technique que la période pré-révolutionnaire, malgré une certaine faiblesse et un manque d'esprit de suite du ministère de la guerre, est une ère de perfectionnement dans les domaines de la vie militaire, de l'organisation, de l'armement, de la tactique et de la stratégie.

La communication de Jacques Bertaux reprend une interrogation de Ferdinand Brunot: les bouleversements révolutionnaires ont-ils eu des incidences sur la langue française clas-

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siquc ? Résumant diverses études sur J'évolution de la langue, il montre une évolution des notions concepts avec leurs charges positives ou négatives. La parole est considérée comme très importante pendant la période, cette reconnaissance du langage comme enjeu politique s'accompagne de la vo lonté de francisation. Mais du point de vue de la langue elle-même il ne semble pas que les événements révolutionnaires aiem cu de véritables réper-cussions.

Le volume se compose donc d'un ensemble de communications assez héréro­gènes dans leur problématique, ct leur intérêt. La majorité des amcurs, tout en vou lant montrer une évolution positive de la société française, ne peuvent éviter de mettre en lumière, volontairement ou non, les contradictions de la France d'Ancien Régime à la veille de la Révolution; tentatives de projets de réformes, hésitations, échecs, montrent à la fois l'influence des idées nouvelles mais aussi les oppositions qu'elles rencontraient ct les blo­cages de la société.

Martine LAPIED

Jacques GUILHAUMOU, Marseille républicaine. 1791-/793, Paris, Presses de la fon­dation nationale des sciences politiques, 1992.

Jacques Guilhaumou travaille depuis longtemps sur les révolutionnaires mar­se illais. Il analyse ici la parole et l'action, indissociables, des républicains de Marseille, tant jacobins que sectionnaires, de 1791 à la fin de 1793, époque où la mise en œuvre du gouvernement révolutionnaire étouffe largement, sous le poids des institutions centrales, les formations locales.1acques Guilhaumou, en tant qu'analyste du discours, se donne pour but de circonscrire les catégories explicatives de l'histoire politique, sur la base des énoncés d'archives. Les catégories explicatives émergent ainsi de discours historiquement attestés. De plus, l'entreprise se siwe dans un vaste mouvement d'intérêt actuel pour le ïédéralisme en général, Ct ses manifestations méridionales en particulier.

Dans un chapitre préliminaire, l'auteur dégage, des adresses envoyées aux assem­blées en 1791 par les jacobins marseillais, les principaux thèmes de leur discou rs politique. Celu i-ci se réfère constamment aux droits de l'homme, droits naturels déclarés en 1789, et qu'il s'agit de réaliser. Pour cela, le rôle du législateur est fondamental. Par contre, les adresses critiquent vivement le pouvoir exécutif, exprimé par le triptyque roi/loi mar­tiale/veto, qui va à l'encontre des droits naturels, avec la complicité de certains députés. Les jacobins marseillais adhèrent au programme cordelier du Champ-de-Mars: remplacer le pouvoir exécutif et organiser la République. Mais ils vont plus loin . Si le gouvernement, y compris les mandataires des citoyens, échoue à dire le droit, la communauté récupère la faculté de le dire elle-même, et peut, dans un acte d'auto-souveraineté conforme aux droits naturels, faire parler la loi, par l'intermédiaire de ses institutions, essentiellement les sociétés populaires, Ct de ses porte-parole.

Ces thèmes VOnt certes s'infléchir dans les années suivantes, voire rencontrer des thèmes contradictoires chez les sectionnaires. Mais ils vont marquer fondamentalement le discours jacobin jusqu'en 1793.

J. Guilhaumou analyse alors la mise en œuvre de ce discours, à travers l'action des promenades civiques et des missionnaires patriotes, émanations du club marseillais, appuyés

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sur des collègues locaux, d'abord en 1792, Les expéditions d'Aix, d'Arles, les mis­sions dans la région d'Apt et dans les Basses-Alpes, d'où émerge sunout la figure de François Isoard, marquent la volonté de faire parler la loi, autour du mot d'ordre de défense de la constitution. La mission patriotique, appuyée sur des hommes armés, est cepen­dant tout à fait différente de l'expédition punitive: elle réconcilie, convainc les municipalités

d'appliquer les lois (rentrée des impôts, mesures contre les réfractaires), fait enlever les emblèmes de la féodalité, désarme les suspects, obtient aussi des démissions. A la fin de 1792, le républicanisme se divise. Il y a désormais un républicanisme radical, qui se réclame

de la loi de salut public de la patrie en danger, d'une légitimité due à l'insurrection du 10 août, de l'usage de la force armée, et d'un rôle de médiateur social privilégiant les pauvres en face des riches. Cependant que les républicains modérés désignent désormais la loi comme la loi objective, celle qui est faite par l'assemblée, et dénient à la commu­nauté citoyenne le droit de se substituer au législateur supposé défaillant.

Tout est en place désormais pour le développement de deux expériences fédéralistes. D'abord celle d'un fédéralisme jacobin, qui connaît deux moments: le printemps et l'automne de 1793. Il s'agit bien, sur la base du républicanisme de droit naturel, de faire parler la loi au nom de la souveraineté, mais le discours et les actions sont ici radicaux. On dénonce l'aristocratie des richesses. L'affaire de Salon le montre au début de 1793, et le congrès des sociétés populaires à Marseille à l'automne. Et nous sommes nettement en présence d'une action autonome. Au printemps, le département et la société populaire de Marseille prétendent régler les problèmes par eux-mêmes. A l'automne, le congrès des sociétés populaires demande à la Convention une organisation des sociétés, avec pério­dicité des réunions communes de ces associations. Le représentant Fréron obtient l'auto-dissolution du congrès, et le décret du 14 frimaire an 11 interdit toute réunion natio­nale ou régionale des sociétés populaires, « comme tendant au fédéralisme» et contraires àlacentralitélégislative.

Le fédéralisme sectionnaire se développe en mai et juin t 793. C'est une expé­rience fondée, dans ces quelques semaines, sur la démocratie dans les sections et sur l'acte de souveraineté. Mais celui-ci, à la différence de l'acte jacobin, ne consiste pas à faire par­ler la loi. La loi est un commandement, une réalité objective, issue du législateur. D'autre part, le fédéralisme sectionnaire oppose la dénonciation de l'anarchie à la critique de l'aristocratie des richesses. Enfin, il n'est nullement question de se séparer du pouvoir central, mais de le rétablir dans sa légalité, sous la forme de la République une et indivisible. J. Guilhaumou laisse le discours sectionnaire au moment où la pratique démocratique des sections fait place à l'autorité contraignante du comité général de celles-ci.

L'apport le plus intéressant du livre me paraît être la mise en évidence du mouvé­ment populaire, qui, dès 1792, lance sur les routes de Provence les missionnaires du club de Marseille, puis du département, avec la proclamation du droit des citoyens à faire par­ler la loi. Le réseau des sociétés populaires, nombreuses dans la région, constitue le relais local de l'entreprise. Redoutable pouvoir de fait, dont la Convention ne tolèrera pas long­temps les manifestations les plus éclatantes.

D'autre part, l'opposition entre centralisme jacobin et fédéralisme girondin paraît, à la lumière des faits, définitivement condamnée. Il y a bien des fédéralismes, dont aucun, remarquons-le bien, ne se réclame d'un état fédéral. Tous som des stratégies de conquête du pouvoir régional, en liaison avec un enjeu national. Il faut revoir l'histoire des rapports Paris-province en prenant en compte des réalités provinciales irréductibles à un schéma national.

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On peut regretter, cependant, que "auteur, dans sa stratégie d'analyse de dis­cours qui renfermeraient en eux-mêmes leur propre signification, ne réponde que par­tiellement à la question qui parle. On sait comment ça parle. mais "identité sociale des locuteurs n'est pas indiquée, sauf pour les individus les plus marquants. Certaines contradictions à l'intérieur des lextes mériteraient aussi d'être soulignées: chez les jacobins, le respect des personnes et des propriétés s'affirme parallèlement au thème de la lutte contre l'aristocratie des richesses; chez les sectionnaires,lc droit à l'insurrection sc juxtapose avec la conception de la loi comme énoncé juridique objectif. Ceci étant dit, on lira avec profit ce livre qui, précisons-le, est parfaitement accessible au non-linguiste.

Monique CUBELLS

Malcolm CROOK. Toulon in war and revolution. From the ancien regime to the Restoration, 1150-1820. Manchester University Press. 1991. 1 vol. 270 pages.

Le livre de Malcolm Crook retrace l'histoire de Toulon de 1750 à 1820. Le point cen­tral de l'étude est la période révolutionnaire, mais mise en perspective dans la longue durée. Ce choix, entièrement justifié, permet à l'historien de mettre en évidence les origines des événements sous l'Ancien Régime Ct leurs répercussions jusqu'au début de la Restauration, ct par là même de souligner les ruptures et les continuités. Les trois premiers cha­pitres sont consacrés à l'Ancien Régime: les rapports de la ville ct de l'Arsenal, la population et la société urbaine, les principaux points de tension. Les quatre suivants por­tent sur la Révolution: ses débuts, la prise du pouvoir par les Jacobins, la révolte fédé­raliste, la période 1794-1799. Les deux derniers et la conclusion analysent la situation de Toulon sous le Consulat, l'Empire, et au début de la Restauration. A chaque étape, Malcolm Crook mène une étude forte du fonctionnement des institutions et de l'enracinement social des événements politiques: situations de crise, composition sociale des corps et assem­blées, foules des journées révolutionnaires (plus difficiles à cerner), élections, exercice du pouvoir, etc.

Quelques faits majeurs apparaissent. Et tout d'abord, le rôle écrasant de l'Arsenal et de la flotte. Cet énorme rassemblement de marins et de travailleurs, avec son état-major civil et militaire, impose à la vie toulonnaise son rythme et souvent ses péripéties. La pros­périté de l'Arsenal est celle de Toulon. Les difficultés de l'Arsenal pèsem sur toute la ville. Et naturellement, l'alternance de la guerre et de la paix constitue l'aspect majeur de ces fluctuations. En face du géant, l'économie proprement toulonnaise fait bien pâle figure. La démographie toulonnaise elle-même est largement commandée par la vie des chan­tiers et de la marine. Que la guerre ou le programme naval d'un ministre stimulent l'acti ­vité des quais, ct la population de Toulon augmente. Que la paix ou la détresse financière ralentissent la vie du port de guerre, ct la population stagne, voire décline. Il faut noter cependant que, contrairement à ce que l'on a longtemps cru, le recrutement des travailleurs qualifiés de l'Arsenal reste dans l'ensemble largement local. Les immigrants sont surtout des ouvriers sans qualifications.

Le second fait majeur est la révolte fédéraliste. Elle apparaît favorisée par la rela­tive modération des Jacobins, maîtres de la municipalité, soucieux de garder J'ordre et la loi après la première Terreur de 1792, et en perte d'influence auprès de leurs soutiens

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populaires. Situation qui diffère de celle de Marseille, où s'exerce au même moment la dictature du club de la rue Thubaneau. Les conséquences immédiates de la rébellion sont lourdes: chute de la population, sévère répression, fuite d'une bonne partie des élites loales, mais aussi de gens plus modestes, afflux de nouveaux venus dans la ville épuisée, deve­nue pour un temps Port-la-Montagne. Mais finalement, sous le Consulat, les familles de la vieille oligarchie se retrouvent nombreuses dans la ville, et beaucoup récupèrent leur fortune et leur influence.

L'artisanat et la boutique, plus que les travailleurs des chantiers, accèdent au pouvoir, conjointement avec les notables jacobins, de 1791 à l'an III. Cette participation est de courte durée, et décline dès l'an III. Le corps de ville de 1804, pourtant désigné toUt autrement que celui de l'Ancien Régime, ressuscite le caractère oligarchique de l'Hôtel de Ville. L'analyse des élections, faite méthodiquement de bout en bout, marque bien les rythmes de l'intérêt porté à la vie politique par les Toulonnais, intérêt qui ne va jamais au-delà d'une participation de 38% des électeurs en juin 1791. On peut noter aussi la fai­blesse du rôle de la religion. Un clergé assez peu influent sous l'Ancien Régime, une franc­maçonnerie très active (et pas seulement chez les officiers du port, mais bien dans le milieu local), l'évolution des pratiques testamentaires encore plus rapide qu'à Marseille, autant de signes qui nous conduisent à comprendre pourquoi le culte n'a pas repris dans la vi ll e avant le Concordat. Finalement, si les institutions politiques ont été largement bouleversées, si des mutations mentales, dès longtemps commencées, se poursuivent, l'ébranlement des structu res sociales reste limité, en-dehors d'une progression des groupes mercantiles et de quelques enrichissements par l' achat de biens nationaux.

Enfin, Toulon fut' certes fédéraliste, et s'ouvrit aux forces alliées en 1793 (par peur des responsables plus que par l'effet d'un complot), mais le port de guerre se trouva de bonne heure dominé par les Jacobins (dès 1791). Ille redevint après la chute des sections, et resta, au sein d'une Basse-Provence blanche, la ville rouge, jacobine (au moins au sens d'un jacobinisme modéré), puis bonapartiste. D'un bout à l'autre de son histoire révolutionnaire largement comprise, Toulon aura ainsi marqué son originalité.

L'accent est mis fortement sur le politique, l'économique et le social, à juste titre. Peut-être pourrait-on regretter cependant une évocation trop brève des aspects cultu­rels de l'histoire de Toulon (déchristianisation, religion révolutionnaire, enseignement notamment). Et une chronologie aurait été la bienvenue.

Au total, ce livre dense, clair et précis, solidement informé, fourmillant de ren­seignements, deviendra un outil de travail indispensable pour les historiens, en même temps qu'une source d'agrément et d'instruction pour le public cultivé.

Monique CUBELLS

René BRUNI, Un Girondin provençal Lauze de Perret, Etudes, Apt, 1990, 159 p.

La liste des ouvrages d'histoire locale que nous devons à M. Bruni est déjà longue. Presque tous parlent du pays d'Apt et du Luberon qu'il connaît si bien. Mais, avec ce nou­veau livre, il élargit ses horizons et, à la suite de son héros, Lauze de Perret, il nous entraîne même en dehors des limites de la Provence.

Celui dont il a choisi de nous retracer la biographie est pourtant bien né à Apt, en 1747,

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mais sa famille était d'origine cévenole; c'cst dans la région de Saim-Eriennc-Vallée-Françaîsc

qu'clle possédait ses biens patrimoniaux, c'est là que se trouvait la modeste seigneu rie de Perret dont elle avait pris le nom Ct c'est là que le futur député vint, en 1771, conclure son mariage avec une jeune fiJIe du cru. Ces origines om-elles contribué à façonner la personnalité

de Lauze de Perret? M. Bruni le croit et, dans sa conclusion, il écrit que son personnage a conservé" toutes les composantes du peuple cévenol en son éternel triptyque: dureté du granit, mais aussi instab ilité du schiste et fragilité du calcaire »,

Néanmoins c'cst à Apt que Lauze de Perret a passé sa jeunesse ct une partie de son âge mûr. Il y a participé activement aux débuts de la Révolution et son éloquence a fa it de lu i le principal orateur du club loca l des Amis de la Constitution, l'aile avancée des « patriotes» de 1790. Il n'est donc pas étonnant qu'en septembre 1791, il ait été élu par le département des Bouches-du-Rhône, dont Apt, à cette époque, faisait partie, pour repré­senter ses concitoyens à l'Assemblée Législative. Il sera réélu en 1792 pour siéger à la Convention et sa carrière politique se déroule donc désormais essentiellement à Paris, même s'il conserve des liens, surtout épistolaires, avec ses électeurs provençaux.

Dans les débats politiques, il se trouve presque toujours du même côté que ceux que les historiens ont pris l'habitude d'appeler les« Girondins» mais que les journalistes du temps désignent plutôt sous le nom de « Brissotins » ou de « Rolandins », d'après leurs principaux chefs de file. Il prend parti, lors du procès du roi, en faveur de l'appel au peuple du jugement de Louis XVI, puis du sursis à la condamnation, cc qui lui vaut l'hostilité des Montagnards qui s'opposent de plus en plus violemment aux Girondins. Ce conflit entre les factions atteint son apogée au printemps de J 793: les dépu­tés, pendant les séances de la Convention, s'apostrophent, sc huent, s' insultent, se défient ct menacent d'en venir aux mains. Dans cette ambiance t rès chaude, Lauze de Perret

Dans ce petit ouvrage, de diffusion limitée puisqu'il n'a été tiré qu'à 500 exempla ires numérotés, M. Bruni ne prétend pas renouveler nos connaissances sur la période révo­lutionnaire (il lui arrive même d'écrire trop rapidement que le Vaucluse n'existait pas encore lors de la mort de Lau:lc de Perret (p. 7), alors qu'il avait été créé en juin 1793, ou que (p. 63) le club de Marseille prend parti pour les Girondins au printcmps de 1793), mais il il

attiré l' attention sur un personnage peu connu, même des habitants d'Apt, bien que le nom de Lauze de Perrel ait été donné à une esplanade de leur ville, ct il a évoqué pour nous, à travers la destinée d'un héros local pour lequel il éprouve manifestement la plus vive sympathie, les grands débats qui ont agité notrc pays pendant les années critiques de 1789 à1793.

René MOULINAS

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Une terre de Provence sous la Révolution - Le Pays d'Apt. Préface de Jean-Denis Bredin, de l'Académie Française. Apt. Archipal, 1990.446 p., illustrations.

Plusieurs auteurs se sont associés pour présenter cette étude détaillée du pays d'Apt pendant la Révolution, établie à partir d'ouvrages d'histoire locale et de recherches dans les fonds d'archives cn particulier communales. Ce travail collectif. mené par une équipe de chercheurs bénévoles a été mis cn œuvre et publié par l'Associat ion d'histoire erd'archéologie du Pays d'Apt et des Pays du Lubéron dans le cadre de la com­mémoration du bicentenaire de la Révolution Française.

Le livre est divisé en grands thèmes à J'intérieur desquels sont décrits les événements locaux, ce plan plus intéressant qu'une énumération par communautés n'empêche pas les auteurs de fournir des tableaux très précis du « vécu» de la Révolution dans différents villages du Pays d'Apt, néanmoins il amène parfois à des répétitions dans la mesure où il est difficile de séparer certains thèmes. L'ouvrage est illustré de représentations ico­nographiques de l'époque révolutionnaire et d'extraits d'archives mais on regrette l'absence de cartes qu'il s'agisse de la situation géographique des localités évoquées ou de la compréhension de certains événements, par exemple la Grande Peur ou les trajets de l'armée fédéraliste.

La première partie traite la vie politique de 1789 à 1795, elle est due à Francis Berjot, ingénieur de l'Ecole Centrale des Arts ct Manufactures de Paris. De petits paragraphes présentent de façon très simplifiée les événements nationaux, avant de décrire leurs réper­cussions locales. Le pays d'Apt apparaît plutôt calme dans les débuts de la Révolution, l'œuvre de la Constituante qui satisfait les revendications des cahiers de doléances semble bien accueillie, mais la région est loin de faire preuve de zèle révolutionnaire lorsque les événements nationaux se radicalisent. Un mouvement contre-révolutionnaire se développe mais l'attitude la plus commune semble l'attentisme prudent. Cette étude de la vie politique dont la principale qualité est la clarté offre par contre des analyses souvent superficielles et comporte quelques inexactitudes.

La deuxième partie est une étude fournie des affaires militaires menée par le général Lucien Bourgues qui évoque de façon détaillée la création des milices 10cales,l'agi­tation contre-révolutionnaire pour laquelle il utilise principalement le li vre de Barruol, avec, heureusement, quelques réserves. La crise fédéraliste est évidemment le gros morceau de ce chapitre, les opérations militaires sOnt décrites non seu lement avec compétence mais avec clarté ce qui n'était pas évident étant donné la complexité des évé­nements et la confusion des allées et venues des troupes fédéralistes et de celles de la Convention. L'auteur décrit ensuite l'organisation des levées d'hommes et les réquisi-tions.

Le poids de ces prélèvements est ensuite apprécié dans la troisième partie sur la vie rurale rédigée par Em ile Obled, professeur d'histoire ct géographie, inspecteur d'Académie. Il mène en particulier une étude précise et intéressante de Saint-Saturnin à

partir des archives locales. Appuyée sur des tableaux de renseignements chiffrés, l'ana­lyse montre les difficultés, en grande partie liée à l'état de guerre, mais aussi que la situa­tion pouvait profiter aux propriétaires et aux ménagers dans la mesure où leur production excédai t leur consommation.

La quatrième partie concernant l'Eglise et le Clergé a été rédigée par Robert Harbonnier, également professeur d'histoire, il étudie les mesures religieuses et leurs réper­cussions à partir d'une riche documentation. Une chronologie nationale et locale permet

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de suivre facilement le propos de l'auteur, on regrette, par contre, de voir peu apparaître les réactions des populations.

Christiane Faivet, professeur d'histoire honoraire, a étudié l'école et les enseignants, dans une partie très intéressante aussi bien pour J'histoire de l'école, en général, que pour la vision concrète qu'clle donne des problèmes de la scolarité dans les petites communautés du Pays d'Apt. Elle montre qu'en ce qui concerne l'enseignement primaire les réalisa­tions ne suivirent pas toujours les idées généreuses et que dix années nc permirent pas à la Révolution d'atteindre son but: mettre l'instruction à la ponée de tous.

La sixième partie s'anaque au délicat problème de l'économie et des impôts, elle est due à Michel Wanneroy, docteur ès sciences économiques qui, après un rappel clair des impôts d'Ancien Régime, explique le nouveau système fiscal mis en place par la Révolution. 11 donne ensuite une description des différents aspects de l'économie dans certaines communautés du Pays d'Apt, à partir d'un dépouillement précis des archives, montrant comment la terre, et les problèmes de la terre, marquent profondément ces com­munes rurales. Après avoir obtenu l'abolition de la féodalité leurs habitants se montrent socialement, et souvent politiquement, prudents, essayant d'échapper le plus possible aux levées et aux prélèvements.

Yvette Dalou, ex-assistante sociale, enchaîne avec un chapitre sur les affaires sociales qui se borne le plus souvent à présenter des documents classés par communautés sur les hôpitaux, les hospices, et les différents secours accordés aux habitants en difficulté qu'il s'agisse des indigents, des enfants abandonnés, ou des familles des défenseurs de la patrie.

L'ouvrage sc termine par deux contributions annexes, l'une, d'André Boüer, décrit le pillage du château de Lacoste en J 792, l'autre, de Thierry Boissei, étudie la confron­tation du discours officiel et du discours local en l'an Il à Bonnieux, Lacoste et Oppède, il y analyse principalement les rapports entre pouvoir local et hiérarchie politique.

Au total, malgré des contributions d'un intérêt inégal, l'ensemble du livre s'avère intéressant grâce à une importante utilisation d'archives locales, il fournit une vision détaillée et concrète du Pays d'Apt pendant la Révolution, ainsi qu'un éclairage sur la situation pendant l'Ancien Régime. Cc type d'initiative est fort précieux pour l'histoire car il aide à une meilleure compréhension de l'impact réel d'un événement politique aussi impor­tam pour les mentalités collectives que l'a été la Révolution Française.

Martine LAPIED

Paul-Albert FÉVRIER, Approches du Maghreb romain, Il, Edisud, Aix-en-Provence, 1990,222 p., 30 fig. et 11 clichés hors-texte, 100 F.

En rendant compte dans une précédente livraison de Provence historique du pre­mier tome de cet ouvrage, paru en 1989, je disais tout ce que ce travail, pourtant destiné à un large public, devait aux recherches et à l'enseignement de P.-A. Février à l'Université de Provence, ajoutant d'ailleurs que ses étudiants et ses collègues y retrouveraient avec plaisir la substance et jusqu'au ton de nombre de développements dont ils avaient pu connaître les ébauches ou les premiers linéaments au détour d'un cours ou lors d'une séance de séminaire.

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Je ne me doutais pas alors de la résonance singulière que prendrait un an plus tard ce jugement, du fait de la disparition brutale de P. -A. Février enlevé en quelque mois par un cancer contre lequel il a lutté jusqu'à J'extrême limite de ses forces: l'ouvrage fait désor­mais figure de testament spirituel, et ce n'est que justice s'agissant d'un travail dans lequel P.-A. Février a certainement mis beaucoup de lui-même.

Rappelons que seule, des nécessités éditoriales ont conduit à séparer en deux volumes ces Approches du Maghreb romain: dans cc tome II qui succède sans transition au volume 1, on retrouve donc le même ton si personnel que dans le premier tome mais aussi - autant le dire tout de suite -les mêmes imperfections techniques. L'ouvrage a mani ­festement souffert d'une relecture trop rapide, qui a laissé passer des coquilles dont on ne signalera que celles qui pourraient nuire à sa compréhension: p. 12, le plan de Timgad a été inversé; p. 35, il faut lire .. synaxc » et non .. syntaxe» ; p. 63, .. cecus » ct non .. eocus » ; p. 66,« otium » et non .. opium» ; p. 91, « peut» et non « veut ».

Si le premier volume devait faire une large place à l'historiographie d'abord, puis aux conditions de la conquête et aux institutions, le deuxième introduit plus intimement aux réalités du Maghreb antique, en une série de six chapitres que l'on peut répartir en deux masses d'un volume à peu près égal. Les trois premiers dressent un tableau géné­ral de la société en présentant successivement le pouvoir, les villes puis la campagne (et les échanges); les trois suivants traitent des marges et des conflits, en étudiant d'abord les différents espaces (en entendant le mot au sens géographique et culturel) ; les Maures et les barbares; la religion et ses conflits enfin.

On est frappé à chaque fois par le regard neuf de P.-A. Février sur son sujet, qui le conduit à une présentation renouvelée (a insi dans le chapitre sur le pouvoir, qui débute par la religion ou celui sur la ville, qui s'ouvre sur les nécropoles) et, plus fondamenta­lement, à un nouveau rapport aux sources; voir le beau chapitre sur les Maures, qui se clôt sur une approche de la .. Johannide » de Corippe promue au rang de .. Chanson de Roland» maghrébine. Et toujours aussi, ce recours à la longue durée, voire à la très longue durée, qui suffit à lui seul à modifier bien des éclairages reçus, et qui est particulièrement net dans cc volume II où sont aussi bien abordées les réalités d'une Afrique antérieure à la conquête que celles d'un Moyen Age avancé que nous font connaître les voyageurs et les géographes arabes.

L'ensemble se clôt sur un dernier chapitre sobrement intitulé .. En guise de conclusion» parce que P.-A. Février, p. 187, se refuse à }' .. outrecuidance de pré­tendre trouve r des solutions JO. Du moins livre-t-il avec sa fermeté coutumière son intime conviction: celle que le Maghreb fut certainement aussi romanisé (et christianisé) que le reste de l'Occident et que son devenir ultérieur doit donc peu à des invariants eth­niques et culturels ou à l'échec du colonisateur. Thèse qui pourra être discutée (mais non pas ignorée) conformément d'ailleurs au vœu de son auteur dont les derniers mots sont pour .. inciter de nouvelles générations à poursuivre un travail qui n'est qu'ébau­ché ». Nul doute que sera entendu cet ultime appel d'un ouvrage au ton si attachant (et volontiers passionné) qui devrait lui valoir un large public, très au-delà du cercle des spé­cialistes de l'Antiquité.

Jean GUYON