Billie French Edition - Gavalda Anna

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  • Anna Gavalda

    Billie

    le dilettante19, rue Racine

    Paris 6ewww.ledilettante.com

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    Couverture

    Titre

    Table

    Copyright

  • aux clandestins

  • On sest regards mchamment. Lui parce quil devait penser que tout tait de ma faute et moi

    parce que ce ntait pas une raison pour me regarder comme a. Des btises, jen ai tellement faitdepuis quon se connat, et il en a tellement profit, et il sest tellement marr grce moi, que ctaitminable de sa part de me reprocher celle-ci juste parce quelle allait mal finir

    Merde, comment je pouvais le savoir ?Je pleurais. a y est ? Tas des remords ? il a murmur en fermant les yeux. Non Je suis bte Les

    remords, tuIl tait trop puis pour avoir la force de men vouloir jusquau bout. Et puis ctait inutile. L-

    dessus, on serait toujours daccord. Moi, les remords, je ne sais mme pas comment a scrit

    Nous tions au fond dune crevasse ou de je ne sais quoi de gographiquement trs embtant. Ungenre de de dboulis dans le Parc national des Cvennes o les portables ne captaient pas, o y avaitpas la queue dun mouton et encore moins celle dun berger et o personne ne nous trouveraitjamais. Moi, je mtais bien amoch le bras, mais je pouvais encore le bouger, alors que lui, ctaitclair, il tait en mille morceaux.

    Jai toujours su quil tait courageux, mais l, vraiment, il me donnait une leon.Encore une

    Il tait allong sur le dos. Au dbut, javais essay de lui bricoler un oreiller avec mes pompes, mais

    vu quil est quasi tomb dans les pommes quand jai soulev sa tte, je lai repose direct et je ny aiplus touch. Cest le seul moment o il a flipp dailleurs, il pensait que sa moelle avait trinqu et iltait tellement terrifi lide de finir intouchable quil ma sole pendant des heures pour que jelabandonne dans ce trou ou que je labrge.

    Bon. Comme javais rien sous la main pour le buter proprement, on a jou au docteur.Hlas, on ne stait pas rencontrs assez tt, tous les deux, pour y jouer en cachette, mais cest sr

    quon naurait pas t les derniers dans la salle dattente De le lui rappeler, a la amus et atombait bien parce que moi, que ce soit en enfer ici ou de lautre ct, ctait tout ce que je voulaisemporter : des petits sourires dj mort-ns et tirs larrache comme celui-l.

    Le reste, franchement, a pourra bien rester la consigne

    Je lai pinc partout et de plus en plus fort. Ds quil souffrait, je bichais. Ctait la preuve que lecerveau sen mlait et que je naurais pas besoin de rouler son fauteuil jusqu Saint-Pierre. Sinon, pasde problme, jtais OK pour lui dfoncer le crne. Je laimais assez.

    Bon, ben a a lair daller Tu fais que de couiner, cest que tout baigne, non ? mon avis, enplus de la jambe, tu tes cass la hanche ou le bassin. Enfin, un truc dans ce primtre, quoi

    MhmmIl navait pas lair convaincu. On sentait que quelque chose le chiffonnait. On sentait que je ntais

    pas du tout crdible sans ma blouse blanche et mon trucoscope autour du cou. Il regardait le ciel en

  • fronant les sourcils et en mchouillant sa vieille chique de scrogneugneux.Je lui connaissais bien cet air-l, je les connaissais tous de toute faon, et je comprenais quil y

    avait encore un nud dfaire.Ctait le mot, tiens Naaan, Francky, naaan jai hallucin, jy crois pas H, tu veux quand mme pas que je te

    tripote pour la checker aussi ? Si ?Je le voyais bien, qui luttait de toutes ses forces pour garder son facis de mourant, mais moi, mon

    problme, ctait pas du tout une question de convenances. Plutt defficacit. Lheure tait grave et jepouvais quand mme pas prendre le risque de lui rgler son compte juste parce que jtais pas songenre

    Ho Cest pas que je veux pas, hein ? Mais enfin, tuJe me faisais penser Jack Lemmon dans la dernire scne de Certains laiment chaud. Comme lui,

    je commenais tre bout darguments et je devais dgoupiller ce que javais de plus dfinitif enmagasin pour quon arrte de me casser les couilles :

    Je suis une fille, FranckEt l, vous voyez l, si jtais en train de donner une confrence trs approfondie sur lAmiti,

    genre en coupe transversale avec schmas, diapos, mini bouteilles deau et tout le bazar pourexpliquer do a venait, en quelle matire ctait fait et comment se mfier des contrefaons, eh bien,je demanderais un arrt sur image et avec ma souris de prof, je pointerais sa rplique.

    Ces trois petits mots tout crevards et tout guillerets murmurs dans un sourire hyper mal imit parun tre humain qui ne savait mme pas sil allait vivre ou mourir, ou continuer de souffrir, mais sansplus jamais baiser :

    Well Nobodys perfectOui, pour une fois, jaurais t sre de moi et tant pis pour ceux qui ne lont pas vu, qui ne

    comprennent rien au film et qui ne sauront donc jamais reconnatre un pur ami dun pauvre travelo, jene peux rien faire pour eux.

    Alors que l, parce que ctait lui, parce que ctait moi, et parce que nous arrivions encore voltiger ensemble et nous rattraper dans les hauteurs dans un moment aussi minable, je lai enjambpour pouvoir poser mon bras valide sur son bas-ventre.

    Je lai juste frl. Bon, il a grogn au bout dun moment, je te demande pas le grand jeu, mmre Juste tu la

    touches et on nen parle plus. Jose pasIl a pouss un profond soupir.Je comprenais son accablement. Ensemble, nous avions vcu des situations tellement plus

    embarrassantes o javais t si peu mon avantage et je lavais berc de tant dhistoires bien fauves,bien rches et bien chaudasses que, l encore, je ntais pas du tout crdible

    Mais alors pas du tout, du tout, du tout !Pourtant ce ntait pas du chiqu Je nosais pas.On ne peut jamais savoir lavance o va aller se nicher le sacr. La main toujours en quilibre, je

    ralisai soudain quil y avait un monde entre mes histoires de cul et sa tobinette. Jaurais bien putoutes les palper sil avait fallu, mais pas la sienne, non, pas la sienne et cette leon-l, ctait moi quime la donnais toute seule pour une fois.

    Jai toujours su que je ladorais, mais je navais encore jamais eu loccasion de mesurer quel point

  • je le respectais, eh bien, la rponse, je la tenais, elle : quelques millimtresSoit linfini de ma pudeur. De notre pudeur.Bien sr, je savais dj que je nallais pas me laisser entraver trs longtemps par cette gne de

    minouchette la con, mais en attendant, jtais la premire tonne. Srieux, a me trouait le pteuxde me voir si dlicate. Intimide, craintive, presque revierge, quoi ! Ctait Nol.

    Bon. Allez. Trve de blabla. Au charbon, la pucelle

    Pour le dtendre, jai commenc par pianoter autour de son nombril en chantonnant Picoti, picota,lve la queue et puis sen va , mais a ne la pas tellement dtendu. Ensuite je me suis allonge prsde lui, jai ferm les yeux, jai pos mes lvres sur son conduit euh auditif, je me suis concentreet je lui ai susurr tout bas, non, plus bas que a encore, en lui explosant des bulles de salive dansloreille et avec tout ce quil fallait de petits couinements bien nervants, ce que je devinais tre lepire ou le meilleur de ses fantasmes les mieux cadenasss tout en longeant dun ongle distrait,paresseux, dmotiv, bon branleur disons-le, le U que formaient les coutures de sa braguette.

    Les poils de ses oreilles se rtractaient de terreur et mon honneur tait sauf.Il a pest. Il a souri. Il a ri. Il a dit tes bte. Il a dit arrte. Il a dit tes con. Il a dit cest bon. Il a dit

    mais tu vas arrter, oui ! Il a dit je te dteste et il a dit je tadore.

    Mais tout a ctait il y a longtemps. Quand il avait encore la force de finir ses phrases et que je nepensais pas quavec lui, je pleurerais un jour.

    prsent, la nuit tombait, javais froid, javais faim, je mourais de soif et je craquais parce que jene voulais pas quil souffre. Et si jtais un peu honnte, je les finirais moi aussi et jajouterais parma faute la fin.

    Mais je ne suis pas honnte.

    Jtais assise prs de lui, adosse un rocher, et je me fanais tout doucement.Je meffeuillais remords aprs remords.Au prix dun effort dont je naurai jamais ide, il a dcoll son bras de son corps et sa main est

    venue toucher mon genou. Jai pos la mienne dessus et a ma encore plus affaiblie.Je naimais pas quil me prenne par les sentiments, ce petit charognard. Ctait dloyal.

    Au bout dun moment, je lui ai demand : Cest quoi, ce bruit ? Tu crois que cest un loup ? Tu crois quy a des loups ?Et comme il ne rpondait pas, jai hurl : Mais rponds, bon sang ! Dis-moi quelque chose ! Dis-moi oui, dis-moi non, dis-moi va te faire

    foutre, mais me laisse pas toute seule Pas maintenant Je ten supplie

    Ce ntait pas lui que je madressais, ctait moi. ma btise. ma honte. mon manquedimagination. Lui ne maurait jamais abandonne et sil se taisait, ctait uniquement parce quilavait perdu connaissance.

  • Pour la premire fois depuis trs longtemps, son visage ne ressemblait plus un reproche et lide

    quil devait moins souffrir ma redonn du courage : dune faon ou dune autre, jallais nous sortir del, ctait oblig. Nous navions pas fait tout ce chemin pour nous la jouer Into the Wild aux petitspieds dans un trou de la Lozre.

    Putain, non, ce serait trop la honte

    Je rflchissais. Dabord, ce ntait pas des loups, mais des cris doiseaux. Des chouettes ou je nesais quoi. Et puis on ne mourait pas dun corps cass. Il navait pas de fivre, il ne perdait pas de sang,il douillait, daccord, mais il ntait pas en danger. Ce que javais de mieux faire pour le moment,ctait de dormir pour prendre des forces et demain, ds laube, lheure o me regaverait cette merdede campagne, je partirais.

    Jirais par cette saloperie de fort, jirais par cette saloperie de montagne et je dposerais dans cettecombe un putain dhlico en fleur.

    Voil, ctait dit. Jallais bouger mes fesses et, foi de potesse, a allait gter dans les Causses.Parce que la randonne en famille, youkadi youkada, avec des crtins dnes bts et des bourricotstrop stresss, a allait deux minutes.

    Dsole, les gars, mais nous, le Quechua, a nous gratte.Tentends, bb ? Tentends ce que je viens de dire ? Sur ta vie, moi vivante, jamais tu ne caneras

    en province. Jamais. Plutt crever.Je me suis de nouveau allonge, jai grogn, je me suis releve pour balayer ma couchette et virer

    cette chienlit de cailloux qui me fusillaient le dos avant de me recaler contre lui en position degisante.

    Je narrivais pas mendormirLes petits lutins qui vivaient dans mon cerveau avaient pris trop dacidesL-haut ctait le bagad de Lann-Bihou remix techno beat.Lenfer.

    Je gambergeais tellement que je narrivais mme plus mentendre penser et puis javais beau le

    coller et me serrer trs fort dans mon bras, javais toujours aussi froid.Je caillais, DJ Grumpy me ptait les trois neurones de vaillance qui me restaient et du coup, des

    petites larmes plus agiles que les autres en profitaient pour se faufiler en rates.Ah, putain. Javais vraiment perdu la main.Pour les rembarrer, jai bascul la tte en arrire et Et l Ooohh

    Ce ntait pas tant les toiles qui me la bouclaient, on en avait dj vu un paquet depuis quon

    crapahutait par ici, ctait leur chorgraphie. Plic ! Elles Gling ! sallumaient les unes aprs les autresen cadence. Je ne savais mme Ding ! pas que ctait possible

    Elles brillaient tellement que cen tait presque louche.Comme si ctait des LED ou des toutes neuves peine dballes. Comme si quelquun avait

  • march sur le variateur dintensit.Ctait magnifique

    Soudain, je ntais plus seule et je me suis tourne vers Franck pour me moucher sur son paule.H, oui un peu de dcence, les cassos On arrte de morver quand le bon Dieu vous prte sa

    boule facettes

    Est-ce quil existait des grandes mares pour les galaxies comme pour les ocans ou est-ce quectait juste pour moi ? Un big up de la voie lacte ? Une immense rave de fes Clochette venues mesaupoudrer un max de poussire dor sur la tte pour maider recharger les batteries ?

    Il en venait de partout et javais limpression quelles rchauffaient la nuit. Javais limpression debronzer dans le noir. Javais limpression que le monde stait invers. Que je ntais plus au fond demon gouffre chipoter ma misre, mais sur une scne

    Oui, daussi bas que je me tortillais (que je me tortillasse ?) (bon, que je faisais la crpe, quoi), jedominais quelque chose.

    Jtais dans une salle de concert immense, un genre de Znith ciel ouvert qui allait dun bout lautre de la terre en plein milieu de la chanson qui tue, et tous ces briquets, et tous ces crans, et tousces milliers de cierges magiques que les anges tournaient vers moi, jtais oblige de men montrerdigne. Je navais plus le droit de pleurer sur mon sort et jaurais tellement voulu que Francky enprofite aussi

    Lui non plus naurait pas su distinguer la Grande Ourse de la Petite Casserole, mais il aurait t siheureux de voir tant de beaut Si heureux Parce que ctait lui, lartiste de nous deux. Ctaitgrce sa sensibilit que nous avions russi sortir de nos tas de fumier et ctait pour lui quelunivers avait sorti son smok en lam.

    Pour le remercier.Pour lui rendre hommage.Pour lui dire : Toi, petit, on te connat, tu sais Si, si, on te connat a fait un moment quon

    tobserve et on la not que ttais obsd par la beaut Toute ta vie, tas fait que a : la chercher, laservir et linventer. Eh ben, tiens Regarde Regarde pour ta peine Regarde-toi dans ce miroirCe soir, on te reverse enfin tes intrts Ta copine, elle, elle est vulgaire, elle fait que de cracherpartout et de jurer comme une vieille radasse. Je me demande bien qui la laisse entrer Alors quetoi Toi, tes de la famille Viens, fils Viens danser avec nous

    Jtais en train de jacter tout hautEn toute modestie et pour un garon qui ne pouvait pas mentendre, je venais de parler au nom de

    lunivers !Ctait con, mais ctait mignonCtait dire quel point je laimais

    Euh sinon un dernier truc, monsieur lUnivers (et en mme temps que je disais a, ctait

    James Brown que je voyais), non, deux, en faitPrimo, vous laissez mon ami l o il est Cest plus la peine de lappeler, il ne viendra pas. Mme

    si je lui fais honte, y me laissera jamais tomber. Cest comme a et mme vous, vous ny pouvez rien,deuzio, je mexcuse de parler si mal.

    Cest vrai, jabuse, mais toutes les fois que je vous corche les oreilles, cest pas par manque derespect, cest la rage de ne pas trouver les bons mots assez vite. Its a mans world, you know

    I feel good, il a rpondu.

  • *

    Je regardais toutes ces toiles et je cherchais la ntre.Parce que nous en avions une, ctait une certitude. Pas une chacun, malheureusement, mais une

    pour nous deux. Une petite veilleuse en colocation. Oui, une bonne petite loupiote qui nous avaittrouvs le jour o on stait rencontrs et qui, bon an mal an, avait fait du bon boulot jusque-l.

    OK, ces dernires heures, elle avait un peu merd, mais tout stait clairci depuisElle se pomponnait, la Pomponnette.Elle vidait son spray paillettes de chez Sephorus.H ! Normal, ctait la ntre ! Elle allait quand mme pas tenir la chandelle de lternel pendant

    que ses copines se barraient au feu dartifice !

    Je la cherchais.Je les passais toutes en revue pour la trouver parce que javais des trucs lui dire lui

    rappelerJe la cherchais pour la convaincre de nous aider encore une fois.Malgr nous.Malgr moi, surtoutOui. Puisque tout tait de ma faute, ctait moi daller lui toquer la pointe pour quelle ractive sa

    hotline.Les autres, elles taient belles aussi, mais jen avais rien f pardon, je men moquais, alors

    quelle, si je la rebriefais de tout mon cur, jtais sre quelle se laisserait de nouveau inflchir

  • Je crois que je la tenais.Je crois que ctait celle-l, tout l-bas Pose au bout de mon doigt et des milliards dannes de

    moiToute petite, toute mimi, toute rikiki Swarovski et lgrement dcale.Lgrement en retrait du troupeau

    Oui, ctait bien elle. XXS, solitaire et mfiante, mais qui envoyait tout ce quelle avait. Qui

    scintillait de toutes ses forces. Qui tait trop contente dtre l. Qui adorait la chanson et quiconnaissait toutes les paroles par cur.

    Qui se la ptillait groovy dans la nuitQui serait la dernire couche et la premire leve. Qui sortait tous les soirs. Qui faisait la fte

    depuis mille milliards dannes et qui avait toujours autant dclat.Hein que je me trompais pas ?Hein que ctait toi ?Pardon, que ctait vous ?

    Dites Je peux vous parler une minute ?Je peux vous redire qui on est, Franck et moi, pour que vous nous aimiez encore une fois ?

    Jai pris son silence pour un soupir de rsignation, genre h, vous commencez me les plir, les

    sauve-qui-peut, mais bon vous avez de la chance, cest le slow et jai pas de mec. Alors allez-y, jevous coute. Vendez-moi votre histoire vite fait que je retourne croquer mon Milky Way.

    Jai cherch la main de Franck, je lai serre de toutes mes forces et je suis reste un moment nousremettre en ordre.

    Oui, je nous ai faits tout beaux tout propres, bien cirs et bien peigns pour nous prsenter sousnotre meilleur jour et aprs je nous ai lancs en lair.

    Comme Buzz lclair.

    Vers linfini et au-del

  • Franck, il sappelle Franck parce que sa mre et sa grand-mre adoraient Frank Alamo (Biche, oh

    ma biche, Da doo ron ron, All Maillot 38-37 et tout a) (si, si, a existe) et moi, je mappelle Billieparce que ma mre tait folle de Michael Jackson (Billie Jean is not my lover / Shes just a girl etc.).

    Autant dire quon ne partait pas avec les mmes marraines dans la vie et quon ntait pasprogramms pour se frquenter un jour

    Lui, sa maman et sa mamie se sont tellement bien occupes de lui quand il tait petit quil leur aoffert le cd du Retour des Yys, le concert du Grand Retour des Yys, le spectacle musical deSalut les Copains, le dvd blou-ray, et mme la croisire qui allait avec.

    Et quand Dadou chri a cass sa pipe, il a pos un jour de cong, il est all les chercher en train, illes a remontes en premire et il les a accompagnes sur le parvis de je ne sais plus quelle glise.

    Tout a pour les soutenir quand elles ont fredonn Sur un dernier signe de la main au moment o ilsrechargeaient le cercueil dans le fourgon

    Moi, ma mre, je ne sais pas si elle a eu dautres gamins aprs moi quelle a appels Bad ou Thrillerni mme si elle a pleur quand Bambi a saut dans le vide vu quelle sest barre quand javais mmepas un an. (Y faut dire que jtais trs chiante aussi) (Cest mon paternel qui ma dit a un jour : Tamre elle sest barre parce que ttais trop chiante. Cest vrai, tu faisais que de brailler tout letemps) (H ! Je sais pas combien de psys y faudrait user pour ponger une explication pareille, maisun bon paquet, si vous voulez mon avis !)

    Oui, un matin, elle est partie et na plus jamais donn signe de vieMa belle-mre, elle, elle a jamais aim mon prnom. Elle disait que a faisait mauvais garon et l-

    dessus, cest sr, jai jamais eu le cur de la contrarier De toute faon, faut pas compter sur moipour lui tailler un costard. Cest vrai que cest une crevure, mais cest pas vraiment de sa faute nonplus Et puis ce soir, je ne suis pas l pour elle. Chacun sa merde.

    Bon. Voil, petite toile, ce sera tout pour lenfance.Franck, il en parle trs rarement et quand il en parle, cest uniquement pour sen loigner. Et moi,

    jen ai pas eu.Dj, que jaime encore mon prnom, vu mes circonstances, je trouve que cest un exploit.Y avait que le gnie de Michael pour russir une pirouette pareille

    *

    Franck et moi, on allait au mme collge, mais il a fallu attendre la troisime pour quon sadressela parole. Cest--dire la seule anne o on a t dans la mme classe. On sest avou depuis quonstait reprs ds le matin du jour de la rentre en sixime. Oui, quon stait reconnus au premiercoup dil, mais quinconsciemment, on stait vits pendant toutes ces annes parce quon sentaitque lautre se trimbalait du lourd aussi et quon ne pouvait prendre le risque de souffrir unmilligramme de plus.

  • Cest vrai que moi, je recherchais surtout la compagnie des filles du style Polly Pocket. Des toutesmignonnes avec des cheveux longs, une chambre pour elles toutes seules, des paquets de gteaux demarque et une maman qui signait bien les carnets de correspondance. Je faisais tout ce que je pouvaispour quelles maient la bonne et quelles minvitent chez elles le plus souvent possible.

    Hlas, y avait toujours un moment o javais moins la cote Les mois dhiver surtout Je ne laicompris que beaucoup plus tard, mais ctait surtout une question de de ballon deau chaude et quede quaussi que dodeur de putain mais h, jen bafouille dans ma tte tellement la honteme reprend. Bon. Next.

    Pendant toutes ces annes, jai tellement menti sur mon compte que jtais oblige de me faire desgenres de rcapitulatifs pour ne pas membrouiller dune rentre sur lautre.

    Chez moi, jtais un lion qui bouffait que de la vache enrage parce quy avait que a bouffer,mais lcole, jai toujours t calme. De toute faon, jaurais pas eu lnergie ncessaire pour tresur la dfensive 24 heures sur 24. Y faut lavoir vcu pour le comprendre, mais ceux qui lont vcu, ilssavent exactement de quoi je parle : la dfensive Toujours, toujours Et surtout quand ctaitcalme Les moments de calme, ctait les pires, a voul Hof, et puis non On sen fout.

    Un jour, en cours dhistoire-go, le prof, M. Dumont, ma renseigne sans le savoir sur ma vie. Lequart monde, il a dit. Il en a parl comme a, comme de lexportation des richesses ou delensablement du mont Saint-Michel, mais moi, je me souviens, javais rougi de honte. Je ne savaispas quil existait dans le dictionnaire un mot invent exprs pour dsigner le gourbi o je vivaisParce que je suis bien place pour le savoir, que ce genre de sous-monde, y se voit pas forcment lil nu. La preuve, les assistantes sociales sont jamais venues Si tas pas de marques et si tu vas lcole tous les jours, la protection de lenfance, tu lui passes au travers laise et ma belle-mre, jedis pas quelle faisait bourgeoise en apparence, mais vraiment, les gens la considraient quand elleallait au supermarch, ils lui disaient bonjour et les enfants a va et tout a.

    Jai jamais su o elle achetait son mazoutY en a, cest la petite souris ou les rennes du pre Nol, mais moi, le grand mystre de mon enfance,

    a restera a : ces putains de bouteilles vides, mais do est-ce quelles venaient ? Do ?Le grand, grand mystre

    *

    Cest pas lcole de la Rpublique qui ma sortie de l. Cest pas les instits, cest pas les profs, cestpas la gentille mademoiselle Gisle qui nous a prpars pour la communion ni les parents dlvestoujours en tat de choc avec le poids des cartables ou ceux, bien volus, de mes gentilles petitescopines qui coutaient France Inter et qui lisaient des livres et tout a, non, cest lui (et je lepointais du doigt dans la nuit) cest Franck Muller.

    Oui, lui, l Cette fiotte de Franck Mumu, qui avait six mois et quinze centimtres de moins quemoi, qui perdait lquilibre chaque fois quon lui donnait une tape sur lpaule et qui se faisait toutle temps emmerder larrt des cars. Cest lui qui ma sauve

    Lui tout seul.

    Franchement, jen veux personne, et mme l, vous voyez, je vous raconte tout a et a va, jyarrive. Cest loin. Cest tellement loin que cest mme plus vraiment moi, en fait

    Bon, javoue, jai toujours un petit flash dangoisse avec les papiers remplir. Nom des parents,

  • lieu de naissance, tout a, direct, jai le bide qui me lche, mais a va, a passe. a passe vite.Le seul truc, cest que je ne veux jamais les revoir. Jamais, jamais, jamais Jamais je ne

    retournerai l-bas, jamais. aucun mariage, aucun enterrement, rien. Dailleurs, quand je croiseune plaque dimmatriculation qui porte les chiffres de ce dpartement, hop, direct je cherche autrechose du regard pour me remettre flot.

    une poque et comme je ne pense pas que jaurai le temps de vous le raconter cette nuit, jercapitule , une poque o je narrtais pas de planter, o mon enfance revenait trop souvent metabasser par surprise et o javais tendance, moi aussi, bien lever le coude soi-disant pour menprotger, jai obi Franck : jai fait reset de force.

    Jai compltement bazard mon disque dur pour pouvoir me redmarrer en mode sans chec.a a t long et je crois que jy suis arrive, mais tout ce que je demande en change, cest de ne

    plus jamais les revoir.Plus jamais.Mme morts. Mme carboniss. Mme en charpie dans un foss.Et mme l, vous voyez je vais tre honnte pour une fois Si vous me disiez : OK, je tenvoie

    deux brancardiers, un jambon-beurre et un pack de San Pellegrino mais en change, tu fais un petitcoucou de la main ta belle-mre ou nimporte laquelle de ces raclures, eh ben, je vous dirais non.

    Non.Je vous rpondrais non et je trouverais une autre solution que vous pour nous sortir dici.

    *

    Donc, voil, on frquentait le mme collge dune petite ville de mme pas 3 000 habitants dansune rgion rurale comme ils disent. Mais rurale , cest encore trop joli comme mot. On y voit descollines et des ruisseaux. Le village do je viens, la rgion o jai grandi, elle navait pas grand-chosede rural. Ctait, cest toujours, un bout de la France qui nest plus irrigu par rien depuis troplongtemps et qui se gangrne force.

    Oui, qui se putrfie Qui nen finit pas de crever Un pays o les bonnes gens boivent trop,fument trop, croient trop en La Franaise des jeux et passent trop leur misre sur leur famille et leursanimaux.

    Un monde o tout le monde se suicide comme a : feu doux et en entranant les plus faiblesderrire eux

    les entendre, le malaise des jeunes, cest toujours dans les banlieues que a se passe, mais lacampagne, ma bonne dame, cest pas facile tous les jours, vous savez !

    Nous, pour brler des voitures, y faudrait dj quon en voie passer une !La campagne, quand tes pas comme tout le monde, cest encore pire que lindiffrence.

    Bien sr, y aura toujours des genres de touristes, que ce soit de la politique, de trucs associatifs, du

    bon manger bio ou de je ne sais quoi dautre de gentiment mytho pour vous dire que jexagre, mais jeles connais, ces gens-l Oui, je les connais Cest comme ceux des services sociaux : au bout ducompte, y ne voient bien que ce quon veut bien leur montrer

    Et je les comprends.Je les comprends parce que je suis devenue comme eux, moi aussi. chaque fois que je vais ou que je reviens de Rungis, cest--dire au moins quatre fois par semaine,

    je sais exactement o je dois me concentrer sur la route. Oui, y a deux moments prcis o je suis fond sur les bandes blanches et o je fais vraiment super gaffe mes distances de scurit. Et voussavez pourquoi ? Parce qu ces deux endroits-l, entre Paris et Orly disons, y a deux petits tas de

  • dtritus sur le bas-ct. Au ras du bitume.Bon, cest vrai, cest moche, mais le problme, cest que cest pas vraiment des dcharges en fait

    Non, cest des maisons. Cest des chambres coucher de petites filles qui sont toujours sur ladfensive

    Allez, acclrons. Comme je le disais plus haut : chacun ses encombrants. Moi, jai tellementcop que je suis devenue un monstre dgosme et mon gosme, cest ce que jai de mieux offriraux petites Billie de lautoroute A6.

    Matez, les puces, matez-moi bien dans ma vieille estafette toute bigne et remplie de fleurs, je suisla preuve quon arrive ne plus en mourir un jour

  • Oui, on stait reprs, mais on svitait depuis toutes ces annes parce quon tait les pestifrs du

    collge Jacques-Prvert.Moi parce que jtais des Morilles (cest pas le nom dun bled ou dun coin champignons, cest

    je ne sais pas je nai jamais su en fait une casse un genre de zone artisanale un genre dedchterie o rien nest tri tout le monde dit les Gitans mais ctait pas des Gitans, ctait justela famille de ma belle-mre son pre, ses oncles, ses demi-surs, mes demi-frres et tout a ceuxdes Morilles, quoi) et que je me tapais presque deux kilomtres de marche pied tous les matins ettous les soirs pour aller un autre arrt que le mien, le plus loin possible de leur bordel et de monHome Sweet Mobile-home de peur que les autres gamins ne me laissent plus masseoir ct deuxdans le car, et lui parce quil tait trop diffrent du reste du monde

    Parce quil naimait pas les filles mais quil naimait quelles, parce quil tait bon en dessin et nulen sport, parce quil tait maigrichon et allergique tout et nimporte quoi, parce quil tranaittoujours tout seul et compltement barr dans son caisson rves et parce quil attendait de passer endernier la cantine pour viter le bruit et les bousculades devant les tourniquets.

    Je sais, petite toile, je sais a fait vraiment trop clich en plastique la faon dont je le raconteLe petit pd souffreteux et sa Cosette des dpotoirs, javoue, a manque un peu de finesse, maisbon quest-ce que vous voulez que je vous ponde la place ? Que je me loge dans du dur les moisdhiver ou que je lui rajoute une mobylette et deux gourmettes pour quon ait moins lair de sortirdun feuilleton la con ?

    Ben, non Jaimerais bien, mais je peux pas Parce que tout a, cest nous Cest lhistoire denotre premire vie Neverland et Dadou Ronron. Rage tendre et tte de bois. Je vais quand mme pasme forcer enjoliver des trucs pour moins faire pleurer la Margot dans sa chaumire

    So, Beat It.Just Beat It.

    En plus, h ? a va, quand mme, non ? Je vous ai pas refourgu des attouchements ou des trucs

    bien glauques dans ce got-lCoup de bol, ctait pas le genre de la maison.Chez nous, a tapait dur, mais on ne touchait pas aux petites culottes.Ouf, ouf, ouf, petite toile, hein ?

    Et puis, vous savez, je ne pense pas quon soit si clichs que a. Je pense que dans tous les collges

    de France et dailleurs, que ce soit la campagne ou dans les villes, y en a plein les salles depermanence, des clandestins dans notre genre

    Des combattants de linvisible, des dlocaliss deux-mmes, des qui sont en apne du matin au soiret qui en crvent parfois, oui, qui finissent par lcher prise si personne les repche un jour ou sils nyarrivent pas tout seuls En plus, je trouve que je le raconte vraiment soft pour le coup. Pas pour vouspargner de la gne ou moi des critiques, mais parce que le soir dun de mes anniversaires, celui de

  • mes vingt-deux ans je crois, jai fait reset.Je me suis rinitialise devant lui et jai jur Franck Muller que ctait fini. Que je ne me

    laisserais plus jamais me faire du mal.Et la petite Cosette, peut-tre quelle manque dimagination, mais en attendant, elle tient ses

    promesses.

    *

    On svitait si bien quon aurait pu se louper pour de bon.On en tait la fin du deuxime trimestre, il nous restait encore quelques mois tirer et ensuite

    chacun aurait fait selon son bonus/malus et ses orientations. Moi je voulais travailler le plus vitepossible et lui lui, je ne savais pas Lui, quand je le regardais de loin, il me faisait penser au PetitPrince Surtout quil avait la mme charpe jaune Lui, personne ne pouvait savoir ce quil allaitdevenir

    Oui, il nous restait encore quelques semaines nous ignorer et on aurait t dbarrasss du fantmede lautre et de tout ce quil reprsentait pour toujours.

    Sauf que voil : On a eu droit un deuxime acte

    Est-ce que ctait Dieu qui avait trop honte de ce quil avait laiss faire jusque-l et qui a voulu serattraper pour soigner ses problmes de digestion ou est-ce que ctait vous ? Ou est-ce que ctaittoi ? Oui, jen ai marre de te vouvoyer, jai limpression de balancer mon cas une aiguilleuse du PleEmploi. Je ne sais pas qui a fait a ni pourquoi, mais en tout cas, ctait exactement comme Charlie etson ticket dor dans la barre de chocolat Wonka. Ctait moins une

    Et l, merde, je rechiale et je me tourne de nouveau contre mon polochon cass pour pas que a sevoie.

    *

    On a eu le bonjour dAlfred et quand je vous disais tout lheure que ctait pas lcole ou les profsqui mavaient sortie des Morilles, jtais injuste. Parce que si et vu comme ils mont mal aime, lesprofs, a me fait mal aux seins de leur dresser une statue, mais voil, si je leur dois bien plus quedes moments de rpit entre les vacances

    Sans Mme Guillet, professeur de franais en classe de troisime cette anne-l et sans sa fixette duthtre et du spectacle vivant, comme elle disait, moi, je serais srement un genre de zombie lheurequil est.

    On ne badine pas avec lamourOn ne badine pas avec lamour

    Onnebadine pasaveclamour

    Oh Comme jaime le redire, ce titre

  • La mre Guillet tait venue ce matin-l avec des petites corbeilles en rotin de sa cuisine. Dans la

    premire, les papiers plis, ctait des scnes jouer, dans la deuxime des noms de filles de la classepour faire des Camille et dans la dernire, des garons-Perdican.

    Quand jai entendu que le hasard mavait choisi Franck Mumu pour partenaire de jeu, nonseulement je ne savais pas encore que la pice en question ne parlait pas danimaux (javais compris Plican ), mais en plus, je me souviens, je suis partie direct en sucette

    Le tirage au sort avait eu lieu, exprs, la veille des vacances de Pques pour que nous ayons letemps dapprendre nos tirades et pour moi, ctait une catastrophe. Quest-ce que jallais pouvoir meconcentrer pour apprendre le moindre truc par cur pendant des putains de vacances ? Ctait fichudavance. Il fallait que je refuse. Il ne fallait surtout pas quil reste avec moi, sinon il aurait une salenote par ma faute. Les vacances, pour moi, ctait synonyme de du contraire de la possibilit dunapprentissage de quoi que ce soit. Et l, tout ce blabla jabot en dentelles et crit tout petit, ctaitmme pas la peine dy penser.

    Du coup, quand il sest approch la fin du cours, je ne lai pas vu arriver parce que jtais djtrop partie en torche sur moi-mme.

    Si tu veux, on peut se retrouver chez ma grand-mre pour rpterCtait la premire fois que jentendais sa voix et Oh Oh, mon Dieu a ma fait tellement de

    bien a ma dmle direct. a ma empche de mtouffer dans mon stress.Pourquoi ? Parce que a mvitait davoir demander quelque chose un adulte

    Comme il a cru que jhsitais (mais non, ctait juste la perspective de passer quinze jours l-haut),

    il a ajout tout timidement : Elle tait couturire Elle pourrait peut-tre nous faire des costumes

  • Je suis alle chez cette dame tous les jours et chaque jour un peu plus longtemps que la veille. Jy ai

    mme dormi une nuit parce quil y avait le film La Parure la tl et que Franck mavait propos dele voir avec eux.

    Ct Morilles, pour une fois, on ne ma pas trop emmerde. Cest affreux dire, mais chez lesquartmondistes, on te respecte si tu couches tt.

    Javais un copain, je frquentais, quinze ans, je me faisais enfin mettre, jtais donc pas un cas sidsespr que a.

    Bien sr, jai eu droit mon lot de rflexions bien humiliantes, bien crades et tout, mais dun,javais lhabitude, de deux, du moment quils mempchaient pas de me carapater, je men foutais.

    Ma belle-mre mavait mme pay des habits neufs pour loccasion. Un copain, a limpressionnaitplus quune bonne note

    Si javais su, je me disais en regardant mon premier jean peu prs potable, si javais su, je meserais invent des tas de plicans avant

    Sans le savoir et par des tas de faons qui taient impossibles analyser ce moment-l, la simpleexistence de Franck et mme pas dans ma vie , non, juste son existence changeait la donne.

    La mienne en tout cas.

    Ce furent les seules vacances de mon enfance et les plus belles de ma vie.

    Ah Fait chierPolochon.

  • Ce qui ma le plus gne au dbut, ctait le calme. Comme la grand-mre de Franck nous laissait

    tranquilles et quil parlait tout doucement, javais limpression quil y avait un macchabe dans lapice d ct. Il narrtait pas de me demander a va ? a va ? parce quil voyait bien que a nallaitpas du tout et je rpondais oui, oui, mais vraiment, jtais super mal laise.

    Et puis je my suis faiteComme lcole, je laissais mes dfenses la porte et je changeais de dimension.

    La premire fois, on stait mis dans cette salle manger qui ne devait jamais servir tellement elle

    tait propre. a sentait bizarre a sentait le vieux Le triste On sest assis lun en face de lautreet il ma propos de commencer par relire notre scne ensemble une premire fois avant de nousorganiser pour les rptitions.

    Javais honte, je ne comprenais rien.Je ne comprenais tellement rien que je lisais comme une patate. Comme si je dchiffrais du

    chinoisIl a fini par me demander si javais quand mme lu la pice ou au moins notre passage de mon ct

    et comme je nai pas rpondu tout de suite, il a referm son bouquin et il ma regarde sans rien dire.

    Je sentais mes piquants qui recommenaient pousser. Javais pas envie quil me prenne la tteavec ces conneries de jactance du quatorzime sicle. Je voulais bien apprendre mes phrases obligescomme un jargon dautrefois, genre phontiquement, mais je ne voulais pas quil fasse le prof avecmoi. Jen avais plein le cul des gens qui me remettaient tout le temps ma place en me faisant sentir quel point jtais une grosse merde. Encore au bahut, je me la bouclais pour viter un supplmentdembrouilles, mais pas l, pas dans cette pice qui puait le Polident. Il fallait quil arrte de meregarder comme a sinon jallais partir. Jen pouvais plus quon me dvisage tout le temps. Jenpouvais plus.

    Jadore ton prnoma ma fait plaisir, mme si, en moi-mme, jai pens : ben tiens, cest sr, cest un prnom de

    garon mais, dquerre, il ma mouche : Cest celui dune chanteuse merveilleuse Tu connais Billie Holiday ?Jai secou la tte.Ben, non Je connaissais rien, moiIl ma dit quil me la ferait couter un jour et il ma demand de le suivre. Viens Installe-toi sur le canap L Je vais te la lire Tiens, prends ce coussin Mets-toi

    bien confortable Mets-toi comme au cinmaComme jtais jamais alle au cinma, jai prfr masseoir par terre.Il sest post en face de moi et il a commenc.

    Dabord il ma expliqu tous les personnages dans ma langue natale : Alors, voil Cest un vieux qui sappelle le Baron quand la pice commence il est tout excit

  • parce quil attend, dune minute lautre, le retour de son fils Perdican quil na pas revu depuis desannes Perdican tait parti faire des tudes Paris et de sa nice Camille quil a leve quand elletait petite et quil na pas vue depuis encore plus longtemps parce quil lavait envoye au couventNe fais pas cette tte, ctait normal lpoque Le couvent remplaait la pension pour les fillesnobles. Elles apprenaient coudre, broder, chanter, devenir des pouses parfaites et en plus, ontait sr quelles resteraient vierges Camille et Perdican ne se sont pas vus depuis dix ans. Ils ontgrandi sous le mme toit et ils sadoraient. Comme des frre et sur et srement mme un peu plus, situ veux mon avis Lducation de ces deux jeunes gens lui a cot bonbon et lui, le Baron, ce quilvoudrait prsent, cest les marier ensemble. Justement parce quils sadoraient et aussi parce que alui permettrait de rentrer dans ses frais. Eh oui 6 000 cus quand mme a va ? Tes toujoursavec nous ? Bon, je continue. Perdican et Camille ont chacun un chaperon Tas vu Pinocchio ?Alors un Jiminy Cricket si tu prfres Quelquun qui soccupe deux et qui les flique en permanencepour quils restent dans le droit chemin. Pour Perdican, cest Matre Blazius, qui tait son prcepteur,cest--dire son unique instit quand il tait gamin et pour Camille, cest Dame Pluche. Matre Blazius,cest un gros plein de soupe qui ne pense qu picoler et Dame Pluche, cest une vieille bique qui nepense qu tripoter son chapelet et faire ksss ksss tous les hommes qui approcheraient saCamille dun peu trop prs. Elle, elle est mal baise, enfin, pas baise du tout, et y a pas de raison quela petite soit autrement

    Dj, ce niveau-l, je me rappelle, jen revenais pas. Je commenais mme avoir des doutesCtait vraiment a, les devoirs que nous avait donns la prof ? Ctait vraiment aussi croustillant ?Javais pas eu limpression pourtant Dj le nom du mec, Alfred de Musset, a sentait son vieuxmachin lorgnon tout rassis et je bon, donc, je souriais et, comme je souriais, Franck Mumu taittout heureux aussi. Des petites ailes lui poussaient dans le dos et il en faisait des caisses et des caissespour garder mon attention.

    Sans le savoir, il tait en train de moffrir ma premire sortie. Le premier spectacle de toute mavie

    Quand il a eu fini de me prsenter les personnages, il a vrifi que je les avais bien emmagasins enme posant des tas de petites questions bien pointues :

    Pardon, mais ce nest pas du tout pour te piger Cest pour tre sr que tu suives bien la piceaprs, tu comprends ?

    Je disais oui, oui, mais je men foutais total de la pice. Tout ce que je comprenais, ctait quuntre humain faisait attention moi et me parlait gentiment et l, dj, ctait plus du franais, mais dela science-fiction.

    Ensuite, il ma lu On ne badine pas avec lamour. Ou plutt, il me la joue. Pour chaquepersonnage, il prenait une voix diffrente et quand ctait le Chur qui parlait, il montait sur untabouret.

    Pour le Baron, il tait un baron, pour Blazius, il faisait le bon gros ppre moiti bourr, pourBridaine, le sale petit ppre qui ne pensait qu la bouffe, pour Dame Pluche, une vieille fille quiparlait dun petit trou de bouche bien serr, pour Rosette, une gentille paysanne totalement dpassepar les vnements, pour Perdican, un beau garon qui ne savait plus sil avait surtout envie de baiserou de se caser et pour Camille, une fille pas trs rocknroll, mais droite comme un i et bien carredans sa tte. Enfin au dbut

    Une fille de dix-huit ans qui ne connaissait rien la vie et qui ressemblait aux bougies quonallumait dans les glises : super simple, super pure et super blanche, mais bien allume.

    Oui, compltement en effusion lintrieur

  • Jtais merveille.Exactement comme tout lheure quand jai voulu ravaler mes larmes et que jai vu le ciel en

    entierLe coussin que je serrais fort dans mes bras, ctait comme si javais pos un sourire dessus.Je ne faisais que sourire.

    un moment, alors quil tait Perdican qui disait Camille avec un ton de mpris un peu sol :

    Ma sur chrie, les religieuses tont donn leur exprience ; mais, crois-moi, ce nest pas la tienne ;tu ne mourras pas sans aimer , il a referm son livre dun coup sec.

    Pourquoi tu tarrtes ? je me suis inquite. Parce que cest la fin de notre scne et que cest lheure de goter. Tu viens ?

    Dans la cuisine, en buvant je ne sais plus quoi, de lOrangina, je crois, et en mangeant les

    madeleines en caoutchouc de sa mamie, je nai pas pu mempcher de penser tout haut : Cest nul de nous couper comme a On a trop envie de savoir ce quelle va rpondreIl a souri. Je suis daccord Le problme, cest quaprs, il y a des gros pavs de texte Des longs, longs

    monologues apprendre, ce serait coton Mais cest vrai que cest dommage parce que le plusbeau de cette scne, tu verras, cest tout la fin, quand Perdican snerve et explique Camille queoui, tous les hommes sont des nazes et que oui, toutes les femmes sont des morues, mais quil ny arien de plus beau au monde que ce qui se passe entre un naze et une morue quand ils saiment

    Je lui ai souri.

    On ne sest rien dit dautre mais, ce moment-l, tous les deux, on connaissait dj la suite.On a fait genre de finir nos verres comme si de rien ntait, mais on le savait.On le savait, et on savait que lautre le savait aussi.On le savait, que ctait notre dernire chance et quon tenait l notre revanche sur toutes ces annes

    de solitude passes au milieu des nazes et des morues du monde entier.Oui. On a rien dit et on a regard par la fentre pour redescendre en pression, mais on le savait.Quen vrai, nous aussi, on tait beaux

  • Je pourrais passer la nuit te raconter ce qui sest pass ensuite. Ces deux semaines avec lui,

    discuter, apprendre, travailler, jouer, nous engueuler, nous rconcilier, jeter mon bouquin, mnerver, renoncer, criser, recommencer, jouer de nouveau et travailler encore.

    Je pourrais y passer la nuit parce que, pour moi, ma vie, elle a commenc lEt ce nest pas une expression, petite toile, cest un extrait dacte de naissance, alors ne badine pas

    avec a, sil te plat. Tu me vexerais.

    *

    Nous avions dcid de nous retrouver tous les aprs-midi pour rpter les scnes que nous avionsapprises le matin mme et, trs vite, jai d trouver un autre endroit que mon doux foyer pour tre aucalme.

    Jai test plusieurs coins : larrire dune carcasse de voiture, le porche de lancienne scierie, lelavoir, mais ctait devenu un jeu, chez les morpions de ma belle-sur (de mon genre de belle-sur,disons, de ma belle-sur la mode de chez nous), de me pister non-stop pour venir memmerder et,au final, jai atterri au cimetire et je me suis installe dans un caveau.

    Toutes ces croix, tous ces ossements, tous ces dbris de pierres casses et de fer rouill, a vouscalmait direct et ctait parfait pour amadouer cette chieuse de Camille et sa manie des crucifix.

    Je ne lai pas fait exprs, mais vraiment, a tombait bien

    Je ne sais pas si ctait li au lieu, si les morts avaient dcid de me donner un petit coup de pouceparce quils sennuyaient et quils voulaient tuer le temps, mais je nen reviens toujours pas, de lavitesse et de la facilit avec lesquelles jai appris ces textes.

    Comme jai conserv prcieusement mon vieux bouquin, il mest arriv de relire notre scne pourle plaisir et chaque fois, jai t oblige de me pincer pour y croire. Mais comment avons-nous fait ?Mais comment ai-je fait ? Moi qui ne sais toujours pas mes tables de multiplication et qui pdalaisdans le vide ds quun prof nous demandait dapprendre par cur un truc de plus de cinq lignes ?

    Je ne sais pas Je crois que ctait pour tre digne de Franck Muller Pour ne pas le dcevoirPour le remercier de mavoir parl si gentiment le premier jour

    Cest bte, hein ?

    Et puis je serais incapable de lexpliquer avec des mots intelligents, mais il me semblait que jetenais l beaucoup plus quune revanche la con sur un monde et des gens qui, en ralit,mindiffraient depuis longtemps

    Je navais rien prouver personne.Rien.Je voulais juste faire plaisir Franck et marracher.

    Jtais trop jeune pour le comprendre lpoque et je nai pas assez de vocabulaire pour le dire

  • aujourdhui, mais javais limpression, quand jtais recroqueville dans mon caveau apprendre lesmots de cette fille qui nen finissait pas de gratter, de gratter et de gratter encore pour trouver unerponse aux questions de folie qui lui mangeaient la tte, que jen profitais aussi. Oui, que je mefaufilais dans ce quelque chose daffam delle pour lui prendre un peu de sa niaque au passage et mebarrer dans son sillon.

    Ce que je devais me dire sans le savoir, cest que si jassurais vraiment avec mes rpliques et que jepermettais ainsi Franck Muller de jouer son rle dans les meilleures conditions possibles, eh bien, jene serais plus des Morilles.

    Je serais de moi-mme. De moi toute seule. De ce caveau abandonn. De ma minusculechapelle

    Oui, jtais cache l, assise au milieu des gravats couter les dlires de cette petite bourge quinavait jamais souffert de rien et qui voulait tout, qui voulait rafler toute la mise avant mme decommencer la partie ou qui prfrait ne pas jouer sinon, qui prfrait ne rien vivre plutt que de vivrecomme les autres et tout ce que javais faire, ctait de la serrer de prs pour quelle me fasse lacourte chelle vers son besoin de plus grand quelle.

    Parce que mme si je ntais pas daccord avec ses fixettes, je ladmiraisJe savais quelle se trompait. Je savais que les bonnes surs lui avaient lessiv le cerveau et que a

    larrangeait bien parce quelle avait les jetons de sauter dans le vide. Je savais quelle se laissaitbouffer par son orgueil et quelle allait en chier toute sa vie cause de son enttement de puret lacon. Je le savais, que si elle avait fait, elle aussi, ne serait-ce quun tout petit tour aux Morilles, elle seserait calme direct et aurait envisag sa vie avec plus de modestie, mais en attendant, et cause de ajustement, ctait la meilleure coquipire possible pour me faire la belle.

    Elle tait tellement bute et psychorigide quelle ne renoncerait jamais et si jassurais de mon ct,tout tiendrait bon.

    Yes. deux ttes de mules pareilles, on allait le faire, ce putain de casse !Bien sr, rien de tout cela ntait conscient, mais javais quinze ans petite toile Javais quinze

    ans et je me serais accroche nimporte quoi pour marracher

    Oui, je pourrais y passer la nuit, mais comme je nai pas le temps, je vais faire avance rapide et negarder que deux moments importants de cette petite aventure

    Le premier, cest la discussion qui a suivi sa lecture du premier jour et le second, cest ce qui sestpass la fin de notre reprsentation .

    Au fait, tes toujours l, petite toile ?Tu me claques pas dans les doigts, hein ?Quand ten as trop marre de mes histoires, tu menvoies un kit avec une civire et deux jolis

    garons pour ressusciter mon Francky et je te lche la grappe direct, promis.(H, te fatigue pas Choure-les chez Abercrombie, comme a ils seront dj monts.)

  • Elle est morte. Adieu, Perdican !

    Et l, Franck sest tu pour faire genre taa dada la suite aprs la pub !

    Et la suite, je lattendais avec impatience.Oui, je me demandais bien comment ils allaient sy prendre pour sauver les meubles encore une

    fois, ces deux-l, vu que la mort dun pauvre, dans ces fanfreluches la monseigneur, a compte pourdu beurre et quune bonne histoire, surtout damour, a se termine toujours par un mariage la finavec des chants, des danses, un tambourin et tout a.

    Mais non.Ctait fini.

    Il tait mu et moi, nerve.Il disait que ctait fort et moi, que ctait nul.Il soutenait que ctait une belle leon et moi, un beau gchis.Il dfendait Camille, son honntet, sa puret, sa qute dabsolu et moi, je la trouvais coince,

    influenable, peine--jouir et masochiste.Il mprisait Perdican et moi Moi, je le comprenaisLui tait convaincu quelle tait retourne son couvent direct. Triste et due, mais rconforte

    dans sa mauvaise opinion des hommes. Et moi, jtais sre quelle avait fini par se laisser choper audtour dun buisson quelques billets doux de raccommodage plus loin.

    Bref, on tenait chacun notre bout de barbaque et on nen dmordait pas.On aurait dit du catch avec des mots.

    Pardon ?De quoi, petite toile ?Tes perdue ?Tu te souviens plus de la pice ?Ah ben, attends. Bouge pas. Je te rsume laffaire ma faon puis celle de Franck et, avec un peu

    de chance, entre les deux tauras plus ou moins celle de Musset

    a) ( ma faon) Camille sort du couvent aprs avoir entendu, pendant toute son adolescence, lesjrmiades de nonnes qui, elles, fermentaient l par dpit, par aigreur ou par dsespoir. Soit quellestaient cocues, ou moches, ou les deux, soit que leur famille navait pas de quoi leur payer une dot.Bon, OK, y en avait srement des plus saintes et des mieux motives dans le lot, mais celles-l, ellesne bourrent pas le mou des jeunes filles. Elles prient.

    Camille est toujours folle de son cousin Perdican sur lequel elle a bien fantasm pendant toutes cesannes, enferme quelle tait dans son Tupperware. Oui, bien kiff, bien moit, bien soupir et jenpasse, mais comme elle est hyper orgueilleuse et quelle pressent quil sest fait plein dautres nanasquand il tait Paris, a lui dfrise grave sa petite moustache de bonne sur et elle le harcle de

  • toutes les faons possibles pour quil lui dise, genre genoux et en saccrochant son jupon de bure :Bon, oui cest vrai jen ai saut dautres Mais ctait juste pour lhygine, tu sais Moi, jenai jamais rien eu foutre de toutes ces filles En plus, ctait que des putes Tu le sais bien, que jenai jamais aim personne dautre que toi, mon amour Dailleurs, je ne regarderai plus jamais uneautre femme de toute ma life Je te le jure sur ton crucifix Allez, pardonne-moi, quoi Pardonne-moi dtre tomb dans des trous fourbes et dissimuls alors quil faisait si sombre et que jy voyaispas plus loin que le bout de mon zgugue

    Mais comme il ne marche pas dans la combine (eh non) (et pourtant, il laime aussi) (eh oui)(mais sans tous ces bruits de chanes la clef) (eh non) (sinon cest plus de lamour, cest unepolice dassurance) (eh si) (et tout a, cest dans notre scne nous), elle dcide de retourner sonbunker et crit une lettre sa copine de dortoir o, au lieu de dire : Hlas, on ne voit pas les chosesde la mme faon, lui et moi. Ressortez mon cuelle et ma paillasse en crin, je raboule , elle en faitdes caisses du genre : Oh, ma sur Oh, l, l Oh, je me suis refuse Oh, le pauvre Oh,quest-ce que je lui ai mis, celui-l Oh, priez pour lui parce que hin, hin, hin je ne sais pas silva sen remettre et tout a.

    Bon, pourquoi pas ? Il faut bien quelle prpare les guirlandes de petits gloussements quilaccueilleront son retour, sauf que, pas de bol, Perdican intercepte la lettre, il la lit (l cest nul, onest daccord), se rend compte quelle mythonne fond les ballons et dcide de la punir en fricotantavec Rosette, la pauvre petite gardeuse doies du chteau qui passait par l au super mauvais moment.

    Camille les voit ensemble, est de nouveau pique au vif, se rend compte quelle laime vraiment etquil faut quelle arrte de dconner, mais dconne encore, et Perdican qui en a plein le le sant detous ses va-et-vient entre Jsus C. et lui fait mine/dcide (point toujours en dbat entre Franck etmoi ce jour) dpouser Rosette pour de bon.

    Du coup, Camille craque pour de bon aussi et lche enfin son chapelet et son amour-propre avec.Ah ! Super ! Ils vont enfin sembrasser aprs stre fait mille scnes pendant trois actes, sauf que, re

    pas de bol, Rosette, qui tait dans les parages, a tout entendu et se suicide de dsespoir. Et la suite,vous la connaissez.

    Eh bClap, Clap, hein ?Ils auraient vraiment mieux fait de badiner avec lamour, ces cons-lIls avaient tout. Le pognon, la beaut, la sant, la jeunesse, un gentil papa, des sentiments lun pour

    lautre, tout Et ils ont tout foutu en lair, et tu quelquun au passage, par par caprice pargosme pour le plaisir denfiler les moucherons et de blablater autour dune fontaine en se donnantdes petits coups dventail sur le nez.

    curant.

    b) ( la Franck) Camille aime Perdican. Elle laime damour pur. Elle laime plus quil ne lajamais aime et quil ne laimera jamais.

    Elle le sait parce quen amour, elle en connat un rayon bien plus grand que lui et sa tobinette, toutebonne pointeuse quelle soit, runis. Pourquoi ? Parce quau couvent, elle a rencontr le Vrai amour, leGrand, le Pur. Le qui ne vous doit jamais et qui na rien voir avec toutes nos petites histoires defesses qui font les choux gras de purepeople.com et des avocats.

    Oui, elle a t touche par la grce et elle est prte sacrifier son bonheur sur cette terre pour servirson Amant Infini.

    L, elle est simplement venue embrasser son oncle et rcuprer je ne sais plus quoi. (Le fric qui luivient de sa mre ? Je me souviens plus) Hlas, elle se rend compte que son cousin Didi, mme silest volage, bcassou et mortel, lui fait encore vachement deffet

  • Damned. La voil toute chamboule.Bon, cest vrai, elle a merd dans sa lettre de petite sainte-nitouche qui se la joue femme fatale,

    mais dun, il navait pas la lire, de deux, il navait qu lui en parler en face au lieu de se servir decette pauvre Rosette pour la faire caguer. (Rosette qui, soit dit en passant, est un tre humain vritable,avec un cur, une me, des larmes et euh des oies et des dindons, donc.)

    Oh, que cette vengeance est mesquine Mais voil, elle laime. Et quand elle aime, elle est cash.Que ce soit avec Dieu ou avec un lche. Quand elle aime, elle ne calcule pas : elle donne tout. Etquand elle lui prenait la tte tout lheure, cest--dire dans notre scne, avec ses angoisses surlamour, la mort, lusure et la fidlit, ce ntait pas du tout pour le gaver, mais pour quil la rassure.

    Rat.Comme elle est mille fois plus mre que lui et quil est quand mme bien sous contrle de sa chipo

    (comment disait-on lpoque ? de sa hallebarde pompons ?) il ne capte rien de ce quelle luidverse et la prend pour une pauvre Missize Freeze exalte et compltement droute par ses mresabbesses.

    Bref, livr sans les pices, le petit baronnetMais comme cest Camille la Sublime, elle est prte bouffer des tas de couleuvres par amour.Oui, par amour pour Perdican, elle est mme prte tre aime sans garantie et en mode random.

    La classe, non ? Surtout venant delle Parce que Camille, cest a : cest la folie dans la droiture. Oncroit quelle est frigide, mais cest tout le contraire. Cest de la lave, cette fille De la lave eneffusion

    Elle aime lamour la folie et cest a qui fait toute sa vulnrabilit. Et toute sa beaut, aussiDes filles comme a, il en passe une par sicle et en gnral, elles finissent mal.Problme de voltage, on va direComme elles sont trop intenses pour les douilles quon trouve dans le commerce, elles ont beau

    essayer de sadapter, chaque fois quon les allume, pof, tout saute.Bon, bien sr, aprs le courant revient et tout le monde fait Aaaah en sen retournant son

    petit train-train quotidien, mais pour elles, cest dj mort : elles ont cram. On les secoue un peu etcomme elles font gling gling lintrieur, on les fout la poubelle.

    Alors quoi, cette Camille ? Est-ce que ctait sa vraie nature ou est-ce quelle avait bouff tropdhosties ?

    Est-ce quelle tait ne avec un cur trop grand pour le bonheur en barquette ou est-ce que la lavese serait refroidie avec les chaussettes sales de son ppredican oublies prs de la chaise perce ?

    On aurait pu le savoir en observant son visage le jour de leurs vingt ans de mariage, sauf que, gameover, ce crtin de fils papa a trop jou avec les allumettes et la pauvre Rosette, cure dtre lapatate chaude de ces deux bons rien de petits rupins qui te gargarisent de la roucoule longueur dejourne, mais qui ne sont mme pas foutus de se dcrotter les bottes avant de marcher sur la tte deleurs gens, se zigouille dans les coulisses.

    Ah, zut Non seulement, a fait mauvais genre, mais en plus, a pourrit lambiance H ! annulezle traiteur, y a le croque-mort qui prend les mesures !

    Adieu amant, serments, mariages, fifres et tambours, la pice est finie et tout le monde se relve, lecur un peu barbouill.

    Rsultat des courses selon, cette fois, les jumelles de Franck : soif de Camille et geste de Rosette,mme combat. Lamour est total ou lamour nest pas.

    Car on, ne, BADINE PAS avec, lamour.Point.Final.

  • *

    L, je le raconte en >> x 64, mais nous, bien sr, a nous a pris des plombes et des plombes dedbrouiller tout ce merdier.

    En plus, Franck a fini par mavouer que cette pice, lauteur lavait crite aprs un chagrin damour,genre pour faire voir la meuf qui lavait plant ltendue des dgts et a, a mavait encore plusconfirme dans le malaise que tout ce gchis minspirait.

    Il y avait l-dessous un petit ct donneur de leons et revanchard masqu qui me gnait auxentournures. Ctait trop compliqu dfendre pour ma petite tte et je nai pas insist, mais jtaisbien daccord avec moi : ce Musset, il ntait pas trs clair. Il se servait de Camille pour ses intrts etses intrts navaient pas grand-chose voir avec lamour de Dieu

    Je nai pas insist parce que je voyais bien que Franck tait sur le point de me mpriser vu quonpouvait pas mlanger comme a lart et les potins de cul, mais je Bon, comme javais 4 de moyenneen franais, je me la suis zippe, mais en attendant, je la captais 5 sur 5, la bonne femme qui lavaitjart.

    Ouais, ouais, ouais Pas trs net, le pote

    Enfin, voil a discutait sec et peut-tre quon y serait encore lheure quil est si Franck navaitpas regard sa montre.

    Mince, il a fait, et il sest lev car il devait se dpcher de rentrer pour le dner. (Chez moi, leshoraires taient euh plus souples)

    (Un garon qui disait mince et qui sinquitait de dranger lorganisation de sa maman, a mefaisait vraiment bizarre Tout me faisait bizarre, tout En ralit, japprenais beaucoup plus quunrle, japprenais une civilisation) (Mais lenvers.) (L, ctait la barbare avec son os dans le nezet son pagne en peaux de bananes qui observait les Blancs en cachette.)

    Franck venait de regarder sa montre et le moment qui compte, celui dont je tai parl tout lheure,eh bien, il ne commence que maintenant. Cest la conversation que nous avons eue, lui et moi, sur lechemin qui allait de chez Claudine (aka Mamie) (mais moi javais le droit de dire Claudine) sonlotissement.

    Comme cest trs important et que jen ai marre de nous rapporter en indirect avec tous ces que qui nous plombent le rcit, je te le fais en dialogues.

    Je te le fais la Alfreds touch

    Toc ! Toc ! Toc ! (les coups de bton)Wouiiiiiiitttt (le rideau qui se lve)Rrrrreucht Grrouinch Frrrrhhh (a cest les vieux qui toussent et qui se mouchent)La, la, reli drela (la musiquette)

    Un chemin

    Jacassent Franck et BillieBILLIE En fait, cest toi qui devrais jouer CamilleFRANCK (comme sil venait de se faire chiquer le mollet) Pourquoi tu me dis a ?BILLIE (qui sen fout total de son mollet) Ben, parce que Parce que tu la respectes ! Tant qu

    faire, dfends-la jusquau bout ! Moi, je veux bien my coller, mais je la sens pas, cette fille Jetrouve quelle se prend trop la tte H, cest pas le problme dapprendre tout son blabla, hein ?

  • Cest juste que jaime mieux PerdicanSilenceFRANCK (sur le ton de Mme Guillet) On ne te demande pas dtre Camille, on te demande de la

    jouerBILLIE (sur le ton de Billie) Oui, ben tant qu jouer, jouons ! Moi, je prfre jouer Perdican. a

    mamuse plus de te dire que si un jour on ne saime plus, on prendra chacun des amants jusqu ce quetes cheveux soient gris et que les miens soient blancs.

    SilenceFRANCK NonBILLIE Quoi, non ?FRANCK Ce nest pas une bonne ideBILLIE Pourquoi ?FRANCK La prof nous a pas distribu les rles comme a et on fait comme elle a dit.BILLIE Mais Mais elle sen fout, non ? Cest la scne qui compte, pas de savoir qui fait quiSilenceFRANCK NonBILLIE Pourquoi ?FRANCK Parce que je suis un garon et que je joue un rle de garon et que toi tes une fille et que tu

    joues un rle de fille. Cest aussi simple que a et voil.BILLIE (qui est nulle lcole mais qui se dfend un peu dans la vraie vie et qui sent fissa quon

    touche l du plus sensible que lair, alors qui prend un ton badin pour allger latmosphre) On nevous demande pas dtre Camille, mon cher monsieur, on vous demande de la jouer !

    FRANCK (qui ne dit rien qui sourit qui samuse bien avec cette drle de fille des Morilles quiremarque quelle a les cheveux propres pour une fois et quelle ne porte pas un affreux bas desurvtement comme tous les autres jours de lanne)

    SilenceBILLIE Bon Tu veux pas ?FRANCK Non. Je ne veux pas.BILLIE Tu ne veux pas dire de tout ton cur un truc du genre : Et que sais-tu de lamour, toi qui as

    les genoux tout uss davoir trop fait le beau sur les tapis de tes ppes ? FRANCK (souriant) NonBILLIE Tas pas envie de crier devant tout le monde Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ! Je

    veux aimer dun amour ternel ! FRANCK (riant) Non.BILLIE (sincrement trouble) Mais pourtant a fait deux heures que tu mexpliques le contraire

    a fait deux heures que tessayes de me convaincre que cest elle qui a raison Que lui, cest quunpauvre minable ct Que lamour, cest vraiment super beau et quil faut pas badiner avec, et touta

    FRANCK (sincrement troubl de voir Billie sincrement trouble, mais pressant le pas en levant lesbras au ciel) Mais Mais ce nest quune pice ! Cest un jeu ! Cest pas comme si on tait devant unjuge ou chez la conseillre dorientation ! Cest du thtre, Billie ! Cest cest une distraction !

    BILLIE (qui ne rpond pas tout de suite, qui cherche ses mots, qui devine sans le comprendrevraiment que son rle elle, que son seul vrai rle jouer, cest maintenant, et que tout le reste,Camille, Rosette, Perdican, Dieu, Musset, Mme Guillet, le romantisme, la vie romantique, le thtreromantique, les corniauds de leur classe, les graffiti qui puent, les messes basses qui tuent, lesgroupes de filles qui scartent quand elle sapproche, les insultes, les rumeurs, les crachats quiseffilochent dans le vent, les groupes de garons qui sapprochent de lui quand il scarte, les

  • histoires avec le prof darts plastiques de lanne dernire, les mots qui dgueulassent tout et quepersonne noublie jamais, le brevet des collges, la fin du collge, la sortie vers lusine, les magasinstous ferms, les maisons toutes vendre, le futur sans avenir, lavenir sans espoir, le formulaire duRSA dj tout prt, la tl dj allume et tout a, eh ben, cest de la gnognotte compar ce qui latrouble maintenant qui se tait, donc, et qui rassemble tout ce que sa vie de merde lui a transmisjusquici, tout ce quelle a vu, vcu, subi et entendu aux Morilles et alentour, tout ce que lui ont apprisde lhumanit ces gens sans foi, sans loi, sans fiert, sans morale, sans rien ; ces gens violents, btes,alcooliques et mchants qui font des gamins tour de bras, dont ils nont rien foutre, des gamins qui ils montrent comment pisser dans des canettes de bire peine bues, tirer la carabine sur deschatons peine ns ou se torcher le cul avec des lettres de la mairie peine dchiffres, qui leurfument non-stop dans les naseaux depuis quils sont tout petits, qui laissent tomber les cendres deleurs cigarettes sur leurs cahiers dcole, qui les talochent pour un oui ou pour un non et qui les fontdormir seuls et dans des caravanes sans chauffage quand ils ont envie dtre peinards et de baisertous ensemble pour refaire des gamins dont ils nont rien foutre, etc., et que)

    FRANCK (inquiet) Tu ne dis plus rien Tu es fche ?BILLIE (pas encore tout fait au point dans sa tte, mais tant pis, qui se lance quand mme et qui

    fera comme dhab, qui improvisera) Non, mais juste, je Je te comprends pas Et je parle pas pourtoi, en fait Je dis toi mais cest pas toi, cest cest au-del de toi Cest valable pour tout lemonde Y en a pas beaucoup des occasions dans la vie o tu peux dire ce que tu penses et en plus, dele dire bien De le dire avec des mots dj trouvs De te servir dun personnage invent parquelquun dautre pour passer en contrebande des trucs que toi aussi, tu trouves prcieux De direqui tu es Ou qui tu voudrais tre Et de le dire mieux que tu ne pourrais jamais le faire si tavaispas dj sous la main des phrases dj si belles

    FRANCK (?!?!)BILLIE Mais euh fais pas cette tte ! Tu vois bien que je les ai pas, moi, les mots ! Alors fais pas

    exprs dtre aussi con que moi ! Ce que jessaye de te dire, cest que quand tas un truc en toi quipourrait taider vivre vivre vraiment genre aspirer et inspirer jusqu ta mort parce quectait l avant toi et que a y sera encore aprs Oui, un truc qui parlera de toi quand tu seras couicet sans jamais te trahir, et qui euh eh ben quest-ce que ten as foutre de lappareil gnital ?

    FRANCK Pardon ?BILLIE Oui, ben tas trs bien compris Tu veux que je dise quoi, la place ? Bite ? Chatte ?

    Nichons ?FRANCK (???) ???BILLIE Ho tu me cherches ou quoi ? Tu comprends pas ce que je veux dire ou cest juste que tu

    veux pas ? Fille ou garon, a compte genre pour la couleur de la chambre du bb, pour les habits,pour les jouets, pour le prix chez le coiffeur, pour les films que tas envie de voir ou les sports que tasenvie de faire ou la jen sais rien, moi ! des trucs o tre fille ou garon, a fait encore unediffrence Mais l les sentiments les trucs que tu ressens et qui te sautent direct du bide avantmme que tu les penses les trucs que ta vie va forcment en dpendre aprs, genre comment tuconois tes relations avec les autres, qui tu aimes, jusquo tes prt morfler, pardonner, te battre, souffrir et tout, franchement, mais quest-ce que ta euh ta forme anatomique a voir avec a, jeme le demande Et je te le demande aussi, dailleurs Si cest Camille, ton quipe, quest-ce queten as foutre dtre un garon pour la jouer ? Et mme pas lAcadmie franaise en plus, maisdans la classe pourrie dun collge pourri dune ville pourrie Hein ? Quest-ce que ten as faire ?Dire tout haut les mots de Camille, cest le contraire de se mettre en danger. Elle est costaud, cettemeuf ! Elle envoie ! Elle est mme prte foutre sa vie en lair pour tre raccord avec ses principes.Ten as dj crois beaucoup des comme elle ? Moi, zro Alors on ne badine pas avec lamour, OK,

  • mais en change, rassure-moi, on a quand mme le droit de badiner avec tout le reste, non ? Ou alors,on na qu tous aller au couvent direct, a sera plus simple ! Nan mais cest vrai, a mnerve touta ! a mnerve tout ce gchis, tout le temps ! a mnerve ! Et ton excuse de fille et de garon, lJe te le dis tout de suite : cest de la merde. a ne tient pas la route une seule seconde. Trouve autrechose.

    SilenceEncore du silenceToujours du silenceFRANCK Cest pas lAcadmie franaise, cest la Comdie franaiseBILLIE (encore nerve davoir t oblige de fouillasser si loin et si bas pour dire si mal ce quelle

    avait dire de si important) On sen fout.SilenceFRANCK Billie, tu sais pourquoi il faut absolument que ce soit toi qui joues Camille ?BILLIE Non.FRANCK (merveill et se tournant vers elle) Parce qu un moment, Perdican ne peut pas

    sempcher de se tourner vers elle pour lui dire, merveill : Que tu es belle, Camille, lorsque tesyeux saniment !

    La conversation sest arrte l. Primo parce quon tait arrivs devant son portail et secundo parceque si Camille lenvoie bouler direct en lui rappelant quelle en a plus rien foutre des compliments,moi, comme ctait le premier quon me faisait de toute ma vie, je je ne savais pas comment leprendre. Vraiment. Je ne savais pas. Alors jai fait la fille genre trop trop sourde pour ne rien dranger.

    Ensuite il a regard sa maison du menton et il a dit : Bien sr, je pourrais te proposer de rentrer un moJtais dj en train de rpondre oh non, non, quand il ma coupe : mais je ne te le propose pas, parce quils ne te mritent pas.

    Et a, bien sr, ctait autre chose que tous les blablas de Perdicana, ctait le sang que les Indiens schangeaient entre eux en souvrant les veines.a, a voulait dire : Tu sais, petite Billie illettre et si grossire, je lai trs bien entendue, ton

    explication de tout lheure, et mon quipe moi, cest toi.Et voil.

    La, la, reli drela

    peine eut-il franchi le pas de sa porte quon se pressa autour de Franck en senqurant, la mine gourmande et lillade entendue,

    de cette demoiselle avec laquelle il flnait dans la rue.Et ni la rponse vasive du fils ni son agacement manifeste neurent raison de la bonne humeur du pre lequel, exceptionnellement

    ce soir-l et pendant tout le temps que dura ldition du journal de 20 heures, ructa un peu moins qu laccoutume.Ainsi, la frle silhouette dune jeune fille pouilleuse, craintive et plus ou moins nourrie par ce qui subsistait des allocations

    familiales et qui tait, elle, en train de parcourir trois kilomtres pied tandis que la nuit tombait et quil se resservait en gratindauphinois, avait tenu tte, pour un soir du moins, au Grand Complot que fomentaient entre eux et depuis la fin de la guerrefroide Jean-Bernard Muller le savait car il tenait ses dossiers trs jour les francs-maons, les juifs et les homosexuels du mondeentier.

    Que Billie paraisse et lOccident tait sauv. (NdA)

  • Et Franck avait raison, petite toile, il fallait quil en soit ainsi, et tu sais pourquoi ?Dabord parce quil tait bon acteur et moi pas. Moi, javais beau couter ses conseils, jtais

    infichue de faire comme lui, de bouger mes bras et mes mains, de mettre du tralala dans ma voix etdes motions dans les mots et que, au bout du compte, ce genre de manche balai que javais dans lederrire ma permis dtre une Camille presque parfaite vu quelle est comme a, elle aussi.

    Aussi stresse, mfiante et coince que je le fus dans lespce de robe en sac patates que mavaitfabrique Claudine.

    Et que lui, en plus dtre un Perdican magnifique et quand je dis magnifique tu peux me croireparce que cest seulement la deuxime fois que jemploie ce mot depuis le dbut de mon histoire etque la premire, ctait pour parler de tes surs et de toi , oui magnifique un Perdican la foisdoux, gentil, cruel, triste, drle, mchant, frimeur, sr de lui, fragile et dstabilis, tout bien gainquil tait dans la veste de garde champtre de son arrire-grand-pre que Claudine lui avait retaillele long du corps avant den astiquer les boutons tte de renard comme si ctait des cus dor etensuite, cause de mon Malabar bigot.

    Je mexplique : dans la dernire tirade, celle que tout le monde attend et dont Franck mavait parlle premier jour, la fameuse scne des nazes et des morues , un moment, Perdican rpond Camille en serrant bien les mchoires pour empcher toute sa colre de sortir dun bloc et de laratatiner : le monde nest quun gout sans fond o les phoques les plus informes rampent et setordent sur des montagnes de fange, etc.

    Nous, quand on en a t l dans les rptitions, a faisait dj presque deux semaines quon sevoyait tous les jours et force de papoter, que ce soit en mode Camille et Perdican ou en Franck etBillie, bien sr, on savait presque tout de lautre et on tait amis pour la vie.

    Donc il na pas eu besoin de me cacher longtemps que quelque chose le tracassait vu que je lavaisdj devin.

    Ben oui Je suis lucide Je me doutais bien que ma faon de jouer laccablait totalementAlors jai t lui tirer encore dautres vers du nez pour quil me latte une bonne fois pour toutes et

    quon nen parle plus. Allez, vas-y. Crache. Je tcoute.Il a roul son bouquin comme si ctait une petite matraque, il a soupir, il ma regarde en

    fronant les sourcils et a fini par murmurer : Cest un des plus beaux passages de la pice peut-tre mme le plus beau et comme cest moi

    qui le joue, il va tre gch. Beuh pourquoi tu dis a ? Parce que il a ajout en regardant ailleurs, parce que quand je vais prononcer le mot phoque ,

    cest Franck Mumu qui va prendre la place de Perdican et ils vont tous se mettre ricanerJe ne my attendais tellement pas (Franck ne montre jamais ses faiblesses et mme l, tu vois, sil

    est tomb dans les pommes, cest pour nous cacher quil souffre) que je nai pas rpondu tout de suite.(a aussi, cest une chose que jai apprise avec lui Cette faon sournoise quont les doutes de

  • toujours se faufiler dans les endroits les plus inattendus et les plus biscornus et surtout chez les gensqui sont beaucoup plus solides que vous.)

    Je nai rien dit.Jai attendu quun ange passe Puis un deuxime Puis un troisime qui, celui-l, enfin, ma fait

    un petit clin dil en levant le pouce, alors je me suis dhanche pour me replacer dans son regard. Je te parie nimporte quoi que tu te trompes.Et comme il ne ragissait pas, jai mis le paquet : Ho, Franck Tu mentends ? Reviens un peu dans mes yeux, sil te plat. Je te parie un Malabar

    bigot que personne ne ricanera

    Et putain, je lai gagn haut la main, ce pari-l ! Haut la main ! Et jen chiale, tiens Jen chialeencore

    Pardon Pardon Cest le froid, cest la faim cest la fatigue PardonJen chiale parce que cen est pas un, quil aurait d me refiler, mais un kilo ! un container ! un

    semi-remorque !Oui, cest sous une avalanche de Malabar quil aurait d mensevelir sil avait eu le courage de me

    faire confiance

    *

    Ordre chronologique de la pice oblige, nous fmes (oui, l, je te le oye oye au pass simple pourfaire genre pique) les derniers rciter. La permission de nous clipser cinq minutes dans le couloirpour nous changer nous fut accorde par gente dame Guillet et, quand nous revnmes en nos lieux desavoir, moi seulement vtue de mes atours en toile de jute et de mon crucifix autour du col et lui, leshanches bien prises dans sa noble redingote boutons dors et bott de ses hautes chausses dcuyerchamptre, dj le vent sembla tourner en notre faveur.

    Oui, dj ces murmures incessants qui nous avaient si souvent pris pour cible, lui et moi, se mirent nettement, nettement moins sentir le moisi

    Notre public nous sembla acquis et ensuite, nous fi nous fu merde, attends, je me repermute env.f., sinon je vais trop misrer, et ensuite nous avons simplement redit ce que nous savions absolumentpar cur force de lavoir rabch encore et encore dans la petite salle manger mortuaire deClaudine.

    Sauf que nous lavons redit beaucoup mieux.Moi parce que javais le mme trac que Camille et lui, parce quil tait dlivr de lui-mmeSans nous soucier du tirage au sort, nous avons jou toute la scne 5 du deuxime acte, soit

    beaucoup, beaucoup, beaucoup plus que ce qui nous avait t impos.

    Combien de fois un honnte homme peut-il aimer ?Si le cur de votre paroisse soufflait sur vous, et me disait que vous maimerez toute votre

    vie, aurais-je raison de le croire ?Lve la tte, Perdican ! quel est lhomme qui ne croit rien ?Vous faites votre mtier de jeune homme, et vous souriez quand on vous parle de femmes

    dsolesEst-ce donc une monnaie que votre amour, pour quil puisse passer ainsi de main en main

    jusqu la mort ?Non, ce nest pas mme une monnaie ; car la plus mince pice dor vaut mieux que vous, et

  • dans quelque main quelle passe, elle garde son effigie.

    Voil. Voil pour moi. Voil ce dont je me souviens.Et ces bribes dinquitude, ou ce peu de Camille quil me reste, je les redis dans la nuit et je les

    redis pour toi, petite toile

    Combien de fois un honnte homme peut-il aimer ?

    Lve la tte, Perdican !

    Est-ce donc une monnaie que votre amour ?

    Cest beau, hein ?Et aujourdhui que jai vieilli et que jai toujours aim pour la vie et que jai toujours quitt pour

    toujours, et que jai pleur, et que jai souffert, et que jai fait souffrir, et que jai recommenc, et queje recommencerai encore, je la comprends mieux, cette petite puce

    lpoque, jtais tellement en tat de guerre que je lai prise pour une chieuse, mais aujourdhui,je sais exactement qui elle tait : une orpheline.

    Une orpheline comme moi qui, comme moi, crevait damourOui, aujourdhui, je la jouerais avec plus de tendresse

    Quant Franck, cest simple, il a mis le feu la salle 204, btiment C, du collge Jacques-Prvert

    en deuxime heure de la matine, ce jeudi davril de lanne je ne sais plus combien.Affirmatif, brigadier Pimpon : le feu.

    Il a virevolt, il a sautill, il ma taquine, il ma tourn autour, il a transform le bureau de la prof

    en margelle de puits, il a soulev sa chaise avant de la reposer dun coup sec, il sest appuy autableau, il a jou avec une craie, il sest adress mon ombre qui stait rfugie entre larmoire desdictionnaires et la sortie de secours, il sest prcipit vers les fayots du premier rang et leur a parlcomme sil les prenait tmoin, il

    Il fut ce cavaleur, ce gamin, ce petit noble de province qui avait encore sur lui le parfum descocottes de Paris, ce dadais, ce couillon, ce grand garon cassant et dlicat.

    Et amoureux Et fier Et bluffeur Et sr de lui Et bless peut-treOui Bless mortAujourdhui que jai vieilli et que etc., cest une question que je me pose aussiComme Franck, Perdican devait souffrir plus quil ntait capable de le montrer

    Bref, tout a pour dire que lorsque vint le moment de songer mon Malabar plutt qu ma

    virginit, jentends par l, quand ces mots qui langoissaient tellement la veille sortirent grosbouillons de son cur enfin dbrid (on disait a chez nous pour les mobylettes si tu veux quellesaillent genre 4 km/heure plus vite et quelles te ptent encore plus les oreilles, tu les dbrides) quandce fut mon tour, disais-je, de lcouter avec bien plus dattention que ne lavait fait Camille en sontemps parce que je savais combien il lui en cotait de les dire, oui, quand il ma balanc comme a

  • (pardon davance pour les erreurs, je lai longtemps su par cur, mais jai srement perdu deux-troistrucs en cours de route), en me regardant droit dans les yeux et la main dj pose sur la poigne de laporte de notre classe :

    Adieu, Camille. Retourne ton couvent. Et lorsquon te fera encore de ces rcits hideuxqui tont empoisonne, rponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs,inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lches, mprisables et sensuels ; toutesles femmes sont perfides, vaniteuses, menteuses, curieuses et dpraves ; et le monde entiernest quun gout sans fond o les phoques les plus informes rampent et se tordent sur desmontagnes de fange ; mais il y a dans ce monde une chose sainte et sublime, cest lunion dedeux de ces tres si imparfaits et si affreux On est souvent tromp en amour, souvent blesset souvent malheureux, mais on aime. Et, quand on est sur le bord de sa tombe, on se retournepour regarder en arrire et on se dit : Jai souffert souvent, je me suis tromp quelquefois, maisjai aim. Cest moi qui ai vcu, et non pas un tre factice cr par mon orgueil et mon ennui.

    HMme toi, tu tes laisse prendre, hein ?Alors, tu penses bien le mot phoque, il a gliss l-dessus comme un pet sur la banquise

    Personne na rican, personne.Et personne na applaudi, non plus. Personne.Et tu sais pourquoi ?Non ? Si, bien sr. Tu le devines, nest-ce pas ?AllonsBen, ils nont rien dit parce quils lavaient grave dans le cul, cette bande de petits pds !Ha ! Ha ! Ha !

    Pardon, petite toile, pardon Jai honte Ctait juste pour entendre mon rire dans la nuit Pour

    me donner du courage et dire bonjour aux chouettesPardon.Je recommence :Personne na applaudi parce quils taient tellement sous le choc que leurs crtins de cerveaux ne

    trouvaient plus le bouton bras sur la tlcommande.Le pire, ctait celui de la prof. Alors lui, il avait carrment fondu dans la bote

    Srieux, a a dur longtemps, longtemps 1 2 3 on aurait mme pu compter les secondes

    comme un arbitre de boxe. Nous, on ne bougeait pas. On ne savait plus trop si on avait le droit deressortir pour aller nous changer ou si on devait retourner nos places avec nos dguisements et puisil y a eu une petite dtonation dans le fond et, bien sr, tous les autres ont suivi.

    Tous. Fous. Dchans.Comme un norme ptard qui nous aurait saut la gueule.Et OhQue ctait joli

    Mais le plus beau, pour moi, ctait maintenant :Quand la cloche a sonn et quils se sont tous barrs en rcr, la prof est venue vers nous pendant

  • quon remballait nos accessoires et elle nous a demand si on tait daccord pour la rejouer devant sesautres classes. Et mme dautres profs et le directeur et tout a.

    Moi, je ne disais rien.Je ne disais jamais rien lcole, je me reposais.Je ne disais rien, mais je ne voulais pas. Pas parce que javais eu le trac, mais parce que la vie

    mavait appris ne pas lui en demander de trop. Ce quon avait vcu l, ctait cadeau. Maintenant,voil. Il tait dball et basta. Laissez-nous tranquilles avec. Je ne voulais pas prendre le risque delabmer ou de me le faire chourer. Javais si peu de jolies choses moi et celle-ci je laimaistellement que je ne voulais plus jamais la montrer personne.

    Mme Guillet nous faisait ses petits yeux de Chapot, mais au lieu de me flatter, a ma rendue unpeu triste. Elle tait bien comme les autres, tiens Elle ne savait rien. Elle ne voyait rien. Elle necomprenait rien. Elle navait aucune ide de du chemin quon avait d parcourir, tous les deux, pourpouvoir leur fermer leurs grandes gueules et les savater la rgulire

    Et maintenant ? Quest-ce quelle croyait ? Quon tait des petits chiens savants ? Ben, nan, magrande Ben, nan Moi, avant den arriver l, jtais dans un caveau et lui, dans un caisson.Aujourdhui, on vous a prouv quon tait libres quand mme, trs bien, cest pli, bonjour chez vous,mais ne comptez pas sur nous pour venir vous manger des susucres dans la main. Parce que pour nous,ctait pas une scne, vous savez

    Ctait pas du thtre, ctait pas des personnages. Pour nous, ctait Camille et Perdican, deuxpetits gosses de riches bien trop bavards et super gostes, mais qui nous avaient pris par la mainquand on tait dans la merde et qui venaient de nous la rendre sous vos applaudissements, alorscirculez avec vos envies de spectacles, circulez. On ne joue plus et on ne jouera jamais plus pour lasimple et bonne raison quon na jamais jou.

    Et si vous ne lavez pas dj compris, cest que vous ne le comprendrez jamais, alors sansregret

    Vous ne voulez pas ? elle a rpt, toute due.Franck ma regarde et je lui ai fait un minuscule non de la tte. Un signe que lui seul pouvait voir.

    Un code. Un frmissement. Un truc de frres indiens.Du coup, il sest tourn vers elle et il lui a dit comme a, genre dfinitif et super dtendu du slip : Non merci. Billie ny tient pas et je respecte sa volont.

    Et a, vraiment, a, a ma percute de plein fouet.a, jai encore la marque et je ferai jamais rien pour la cacher.Jen suis trop fireParce que sa gentillesse, sa patience, la gentillesse de Claudine, sa grenadine prime depuis 1984,

    ses Ppito, son Banga, ses mains toutes chaudes sur ma nuque pendant quelle arrangeait ma robe, lesilence de tout lheure, les applaudissements de folie, la prof qui mavait encore jamais calculeautrement que pour mhumilier ou maligner des zros et qui maintenant se tortillait devant moi pouraller faire sa belle devant le dirlo, tout a ctait bien agrable, je ne dis pas, mais a comptait quedalle compar la phrase quil venait de prononcer

    Que. Dalle.

    Je respecte sa volont.

    On respectait ma volont.Et devant un prof en plus !Mais Mais moi, certains soirs, juste pour avoir de quoi bouffer, y fallait que je me batte ! Moi, y

  • avait des matins, je ne savais mme pas si mes non, rien Moi, le mot respect, il tait tellementvide que je comprenais mme pas pourquoi on lavait invent ! Je croyais que ctait un truc la conpour finir une lettre. Genre mes respects monsieur le prsident avec la signature en bas et tout a etl l ce petit gars, l ce petit Franck Mumu qui devait peser dans les cinquante kilos toutmouill, quest-ce quy faisait ? Y mettait une prof au taquet devant moi et il la forait me regarderdun air suppliant ?

    Oh, mon Dieu. a ctait grand.a, ctait quelque chosePardon ? De quoi, les ploucs ? Vous voulez encore nous emmerder ? Oh, ben, non. Non, merci. Y se

    trouve que Billie ny tient pas tellement et que quelquun respecte sa volont.Ah, aa, a ma mise au mondeDailleurs ds que la mre Guillet a tourn les talons, moi qui nouvre jamais la bouche dans une

    salle de classe, je me suis mise hurler. hurler comme une bte sauvage. Soi-disant pourdcapsuler, mais en fait, et je men rends compte seulement maintenant, ce ntait pas du tout unehistoire de stress qui retombait ou de pression vacuer, ctait le cri du nouveau-n.

    Jai hurl, jai ri et jai vcu.

    Alors, tu sais, petite toile, je vais vraiment tout tenter pour te convaincre de nous aider encore unefois, mais si tu ne veux pas, tinquite, le Francky, je le sauverai quand mme.

    Sil le faut, je le prendrai sur mon dos et jirai jusquau bout du monde en serrant les dents. Oui, sille faut, je me le trimbalerai jusqu la lune et on finira aux urgences de la plante Mars, mais enattendant, pas de souci, toi et tous les autres, vous pouvez compter sur moi pour que ma volont soitfaite.

  • Javoue, jai un peu fait durer le plaisir jusquici mais rassure-toi : la suite ira plus vite. Note, jai

    pas trop le choix, vu que les nuits sont courtes en ce moment et que je ferais mieux de me grouiller sije veux tout dbobiner avant que tu disparaisses.

    Mais l, tu comprends, ctait important parce que ctait la premire saison. Genre la mise enplace et tout a. Aprs ce seront juste des pisodes plus ou moins russis qui senchaneront jusqutoi.

    En plus, tu les connais djTtais lSiTtais l.Bon, des fois, cest vrai, ttais distraite, mais je le sais, que tu tais avec nous. Je le sais.

    Pour le premier pisode, je me suis applique parce quon ne radine pas avec notre rencontre. Le

    cur de notre amiti est enferm dans cette scne. Tout y est, dailleurs, tout Notre faon dtre, dene pas tre, den baver, de papoter, de nous aider et de nous aimer. Comme je lai dit Francky unjour, nous cest les vases communicants sauf que cest de la vraie vase lintrieur, donc oui, ctaitimportant pour moi de bien te raconter nos dbuts dans la vie

    Et puis a va, hein ? Y en a bien qui te pondent des bouquins en six volumes sur leur enfance etencore quatre de plus sur leur premire capote, moi, je te plie le truc en une scne, admets que cestcorrect.

    *

    Je ne dis pas que tout a t plus facile ensuite, mais on tait deux, donc si, je le dis : tout a t plusfacile ensuite. En rcr, dj, on nous appelait Camille et Perdican. H ? a nous posait, non ?

    Justement parce que nous navions pas voulu le rpter, notre exploit est devenu un genre de trucmythique et ceux qui taient absents ce jour-l parce quils taient malades ou je ne sais quoi, daprsles autres, ctait comme sils avaient rat une preuve olympique o la France aurait top lor.

    Les kilomtres de phrases hyper ornementes que la morveuse aux caravanes savait sur le fil durasoir, la colre de Franck Mumu qui expliquait dune voix de killer comment lamour a vousdchirait une femme et nos super beaux costumes sur mesure, ctait devenu norme. Je nai pas eu demeilleure