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m % » ™ s n BIÉÉM v/^ ^ BIMESTRIEL OCTOBRE-NO 30 E • 4,60 euros US

BIÉÉM v/^horschamp.info/numeroscassandre/Cassandre31.pdf · 2015. 7. 16. · V u de face ' '¿ 'M conversations qui compte che . un auteur ce sont ses œuvres, dans lesquelles la

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B I M E S T R I E L • O C T O B R E - N O 30 E • 4 , 6 0 euros • US

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sommaire

| A r t comeses f r o m t h e f u t u r e / E n t r e t i e n a v e c E d w a r d B o n d 3 - 5 •LIBRES ECHANGES C o r p s à c o r p s ( d e t e x t e ) : E n t r e t i e n a v e c B a k a r y S a n g a r é

sur La P r o c h a i n e fo is le f e u • Le p o è t e a b o y e u r / E n t r e t i e n a v e c R o l a n d F i c h e t 8 -9 • On t h e r o a d a g a i n / E n t r e t i e n a v e c J a c q u e s L i v c h i n e ( M o n t b é l i a r d ) 1 0 - 1 1 L a r u e s ' e n f e r m e ( C h a l o n d a n s la rue ) • A c c e n t s v e n u s d ' a i l l e u r s ( F e s t i v a l d e l ' I s le -su r - la -Sorgue) • Gao X i n g j i a n , c o n t r e l e s I s m e s

• Av i gnon , f e s t i v a l d e s d é b a t s • A u d a c e s t h é â t r a l e s à A i x ( F e s t i v a l d ' A i x - e n - P r o v e n c e ) • Eu rope , d é m o n s e t m e r v e i l l e s ( F e s t i v a l e u r o p é e n d e G r e n o b l e ) 1 2 - 1 5

Partis pris c é r é m o n i e du s o u v e n i r ( V l t e z - C o p f e r m a n n à A v i g n o n ) • Un b e a u rayon de so le i l : T a m b o u r s s u r la d i g u e - T h é â t r e du So le i l • Un Rev lzo r r e v i s i t é :

m i s e s en s c è n e de M a t t h i a s L a n g h o f f e t Jean-Lou is B e n o î t - L a n g h o f f e t les ra t s - Jeu de m a s s a c r e • É p l u c h u r e s e t r o g a t o n s : l ' O d y s s é e s e l o n M l a d e n M a t e r i c

• Q u e l q u e s é c h e c s • B é c a s s i n e e t Pif le c h i e n chez les naz is ( C a s i m i r e t C a r o l i n e m s J a c q u e s N i c h e t ) • Les p e n t e s a n t i s é m i t e s d u M a r c h a n d d e V e n i s e

• B o u r r a s q u e d ' H i s t o i r e (Voyage au b o u t de la n u i t - c i e R a f f a e l l o Sanz io ) 1 6 - 2 0 Contrechant M a i s q u e fa i re de t o u s c e s p i a n i s t e s ?

• A imez -vou s ( e n c o r e ) B r a h m s ? • Dange r sur le R a p 2 2 - 2 5 hors_champs Une h o s p i t a l i t é en c h a n t i e r 2 5 2 8

t

Commission paritaire n° 76567 AS

Directeur de la publication et de la rédaction : Nicolas Roméas

Rédaction : Nathalie Bentolila, Nicolas Bersihand, Myriam Blœdé, Catherine Boskowitz, François Campana, Olivier Claude, Céline Curiol, Gwénola David, iean-Jacques Delfour, Christophe Deshoulières, Alix de Morant, Philippe Renault, Jrène Sadowska-Guillon. '

Secrétariat de rédaction : Elisabeth Gardet.

Ont collaboré à ce numéro : Gilles Bastogy, Annie Béraud, Laetitia Brun, Hélène Coppel, Jamila El Idrissi.

Photographe : Donietta.

Secrétariat : Annaïck Berret.

Design et Mise en page : William Lafarge. Illustrations de couvertures : Olivier Perrot.

Imprimeur: Promo Service, 6, rue de Nantes, 75019 Paris.

01 40 38 00 33.

Diffusion : Dif'Pop 01 40 24 21 31.

Diff., abon. : 01 42 87 43 20. Fax : 01 42 87 43 99.

Internet :

Revue Cassandre : http://www.imaginet.fr~/cassan E-mail : [email protected]

Sites Cassandre-AGIR : httpV/wwwJes-petìts-nàsseauxxom/cassan http:ZAvww.les-petits-nusseaux.com/agir

Base de Données HORS CHAMP : http://www.horschamp.com

Cassandre est édité par Paroles de théàtre-Cassandre 49A, avenue de la Résistance 93100 Montreuil. Tél. : 01 42 87 43 20. Fax : 01 42 87 43 99.

Revue publiée avec le concours du Centre National du Livre

Les pieds sur terre, la tête vers les étoiles. Cassandre, par son travail de défrïchage et son questionnement des formes contem-poraines au plus haut niveau d'exigence, pro; ve qu'il n'y a pas de fossé infranchis-sable entre les expériences artistiques «de terrain» les moins médiatisées et les œuvres les plus fortes, qu'elles soient par exemple le fait de metteurs en scène comme Peter Brook qui questionne avec Oliver Sachs la fragilité et le mystère du fonctionnement de l'esprit humain, ou d'auteurs comme Bond, qui met en ques-tion le drame social d'une humanité mal

«Un peuple qui n'aide pas, qui ne favorise pas son théâtre,

est moribond s'il n'est déjà mort. De même le théâtre qui ne recueille pas la pulsation

sociale, la pulsation historique, le drame de son peuple

et la douleur authentique de son paysage et de son esprit,

éditorial ce théâtre-là n 'a pas le droit de s'appeler théâtre, mais «salle de divertissement local»,

tout juste bon pour cette horrible chose qui s'appelle "tuer le temps".»

Federico Garcia Lorca

Quelques personnalités, diverses, impor-tante chacune à sa façon, de ce monde des arts que l'on dit vivants, s'expriment ici et nous disent des choses que l'on entend rarement sur la réalité de leur démarche.

Du Britannique Edward Bond au Chinois Gao Xingjian, en passant par le Malien Bakary Sangaré, jusqu'à notre farceur local, Jacques Livchine - l'un de nos pre-miers compagnons de route -, chacun, à sa place dans la constellation, raconte son chemin d'homme et d'artiste. Tenir ensemble les deux extrémités de la question de l'Homme et de l 'a it C'est ce que nous continuerons à faire en interrogeant les plus actifs et les plus créa-tifs, partout où ils sont, qu'ils travaillent dans des campagnes reculées, des quar-tiers obscurs, ou qu'ils soient de leur vivant reconnus comme les plus grands, ce qui arrive parfois.

Nous engrangeons de nombreuses signa-tures à notre Appel : l'ART PRINCIPE ACTIF, nous les publierons dans le prochain numéro. Vous pouvez encore nous envoyer les vôtres.1

Les premières Rencontres nationales en région pour l'action culturelle et artistique eurent lieu en mai dernier au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, nous en avons été fortement encouragés à pour-suivre ce travail de rassemblement et de réflexion. Nous préparons les secondes, •les auront lieu les 11 et 12 décembre en région Rhône-Alpes, à Échirolles, précisé-ment : à l'Institut Média et Communica-tion. Vous vous en doutez, de nombreuses questions sont à explorer dans cette région.

Rejoignez-nous si vous le pouvez: contac-tez-nous au 01 42 87 43 20. Continuons ensemble à impulser ce débat essentiel, celui d'un mouvement de reva-lorisation du lien art-société qui est en train de naître.

Nicolas Roméas

1- Si vous n'avez pas encore pu lire cet appel, demandez-le nous.

Les textes reçus sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.

ISSN 1268 0478 N° SIRET : 404 401 036 00011

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V u de face

' ' ¿ ' M

conversations qui compte che .

un auteur ce sont ses œuvres,

dans lesquelles la pensée est

portée et transfigurée. Mais

comme tout véritable créateur,

Botul est un chercheur, il a publié

cle nombreux textes de réflexion,

dont récemment en France

L ' E n e r g i e d u s e n s ' , et comme il

n'est pas fréquent de converser à

bâton rompu avec un grand

auteur, il nous a paru essentiel

d'interroger cette démarche

dévolue à la transmutation en

humains des membres mal

civilisés de notre société

«moderne».

Nous sommes entrés en contact

avec cet «homme remarquable»,

(au sens de Gurdjieff), grâce à

l'équipe du Théâtre-Studio

d'Alfortville2,- qu'elle en soit ici

remerciée - et nous avons pris un

vif plaisir à explorer quelques-

uns des astres de sa galaxie

personnelle.

La rencontre entre Edward Bond et le théâtre français se sera déroulée de manière contradicto i re, désordonnée - avec toutes les intermittences d ' u n e pass ion. Après une première décou-verte «à c h a u d » qu i d o n n a l ieu, au débu t des années 7 0 , à des spectacles légendaires - entre autres, Sauvés, mis en scène p a r C l a u d e Régy en 1 9 7 2 et Lear, pa r Patrice Chéreau en 1 9 7 5 [ . . . ] - et avan t la redécouver te de l 'auteur par le b ia is du t rava i l d ' A l a i n Françon (La C o m p a g n i e des hommes en 1 9 9 2 , P ièces de guerre en 1 9 9 4 ), Bond a connu , à l 'ex-cep t i on d e que lques p roduc t ions sporad iques , une relat ive «traversée du désert» sur les scènes françaises. Pourtant, pen-dan t cette p é r i o d e d ' o u b l i , Bond n 'a cessé d 'éc r i re , d 'exp lo -rer , d e se r e n o u v e l e r r é g u l i è r e m e n t , f u r i eusemen t , systémat iquement .

A ins i , ma lg ré son retentissement actuel et l 'enthousiasme p resque f ana t i qu e qu 'e l l e suscite désorma is , l 'œuv r e n'est connue en France q u e d e manière lacuna i re . [ . . . ]

Bond, p roche en ce la de la p ra t ique de Brecht, écri t tou-jours, à par t i r et au tour d e ses pièces, dans une sorte d 'auto-exègèse continue, trouvant dans l' instant de l 'écriture, dans les doutes et les in terrogat ions qu 'e l le révei l le, une source irré-sistible de réf lexions et d e quest ionnement , c o m m e si l 'œuvre in ter rogeai t l 'auteur sur lui même - d e la même man iè re que, selon Bond, le pe rsonnage d 'une p ièce, comme un détect ive, in te r roge l 'acteur qu i l ' i nca rne sur qu i il est («sa vérité») et sa ph i l osoph ie de la v ie.

Jérôme Hank ins

Extrait de l'avant-propos à L'Énergie du sens - poèmes et essais d'Edwaixl Bond - ouvrage dirigé par Jérôme Hankins. Editions Climats & Maison Antoine Vitez.

1. Éditions Climats & Maison Antoine Vitez. trad.

tiaii Benedetti, au Théâtre-Studio d"Alfort\ille jusqu'au 7 novembre. 16. rue Marcellin Bertlielot 9140 - All'ort-ville Tél: 01 8 93 99 56. Prolongations prévues au mois de novembre.

Cassandre : Votre théâtre est très souvent j o u é en dehors de votre pays, et particuliè-rement en France. Comment avez-vous vécu la d i f férence de t ra i tement de vos pièces dans ce pays, dans des lieux très différents, les uns vraiment proches de leur public, les autres plus institutionnalisés?

Edward Bond : Les lieux sont très diffé-rents, mais le but recherché est le même. J 'a i travaillé avec Chris t ian B e n e d e t t i et l'équipe du Théâtre-Studio d'Alfortville, mais j e l'ai fait aussi au Théâtre de la Colline et au nouveau Théâtre de la Cité à Toulouse (TNT - ndlr). Il faut utiliser toutes les occasions possibles pour é tab l i r un contac t avec le public, de façon à ne pas se laisser enfermer dans un ghetto.

C'est le paradoxe des groupes actifs, pat-exemple ce mouvement de retour à un art populaire en Russie, vraiment proche des gens, à la fin du siècle dernier : les «Narod-niks»... Très bien ! Mais cela a fini par pro-v o q u e r un nouveau p h é n o m è n e d e ghettoïsation, et ça n'a pas vraiment marché. Il faut travailler sur tous les fronts, utiliser toutes les optiques possibles. Certes, si les grands théâtres sont profondément réac-tionnaires, il faut refuser d'y travailler...

L e problème est vaste. La nature de l'ait e t cel le de notre créativité évoluent énor-m é m e n t dans notre soc ié té . On ne peut concevoir une stratégie d'action que si l'on comprend ce processus d'évolution. Dans le passé, des mouvements de toutes sortes sont

nés des besoins essentiels de l 'Homme. Les gens voulaient que la récolte soit abondante : ils ont pour cela inventé des mythes, des dieux.. . Ils voulaient capturer la lune, alors ils l'ont peinte sur les murs des cavernes. Si les Médicis, beaucoup plus tard, ont énor-mément favorisé l'ait, ce n'est pas qu'ils aient é té des gens merveilleux au goût exquis - ils ont été éduqués au fur et à mesure par l'art auquel ils ont é té confrontés - mais parce qu'ils avaient besoin de cet art pour exercer un contrôle sur leur société. C'est une rela-tion injuste, mais l'art peut être très anar-chique et ignorer la justice, poursuivre des buts injustes. . .

Aujourd'hui , la situation est très diffé-rente . La création artistique n'a plus pour mission de répondre à cette sorte de besoins. Pour les peintres rupestres, les Grecs, ou les Médicis, il fallait absolument créer l'image d'un être humain «bon», d'une société «juste», d 'une jus t i ce dans le monde, d'un paradis juste...

Cela correspond à la nécessité d'organisa-tion des sociétés. S'il s'agit seulement, en revanche, de donner aux gens ce qu'ils veu-lent, c'est complètement différent. En don-nant aux gens c e qu ' i l s veulent , vous ne répondez pas à leurs besoins.

Tant qu'elle se contentera de répondre à la demande des gens en leur fournissant des produits manufacturés, notre société sera incapable cle produire quelque chose que l'on pourrait appeler «art».

Vous voulez quelque chose : vous l'obte-nez - dans le cadre des règles du marché. La dernière vidéo, la musique à la mode, etc . Ce n'est plus d'art qu'il s'agit, mais, très sou-vent, d'une sorte de simulacre d'art calqué

C'est très étrange : on peut se demander ce q u e ferait Miche l -Ang e s'il peignait aujourd'hui. Si vous allez à la Chapelle Six-tine voir Le Jugement Dernier, vous remar-quez que le Paradis est en haut et l 'Enfer en bas. L'art moderne les inverse : il met l 'Enfer en haut et le Paradis en bas... Ce que nous considérions comme de l'art devient aujourd'hui chaos. L e marché a besoin de ce chaos. Qu'est-ce qui est vendable dans le monde maintenant ? L'inintelligence, la stu-pidité, sont tout à fait commercialisables.

Si vous voulez vendre de la bonté, ne vous fatiguez pas, c 'est trop compliqué ! Ça ne fera que provoquer des effets pervers et fina-lement ériger encore plus de prisons.. .

Tout cela semble bien pessimiste, car si nous n'avons plus de besoins ordinaires, de manques «basiques» - nourriture, chaleur, e tc . - avons-nous d'autres d'aspirations ? Avons-nous besoin d'être ? Ressentons-nous le besoin de devenir humains ? Cet te ques-tion doit être posée partout.

En France , vous étiez attendu. Quelque chose s'est passé ici, comme si vous aviez été désiré, vous, votre théâtre. . . Avez vous res-senti c e l a ?

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Nous n'avons pas d'inspiration, il n'y a pas d'essence Oui, énormément, car chez vous les

choses sont différentes : aujourd'hui le théâtre est absolument corrompu en Angle-terre. Il s'est totalement «américanisé». Dans le théâtre anglais d'aujourd'hui, nous assis-tons à la satisfaction de désirs immédiats et surtout à une grande production d'ignorance, avec beaucoup d'artistes qui tentent de paraître intelligents. C'est factice, c'est le néant ! J'ai le sentiment que, dans votre pays, la situation est quand même bien moins grave. Je le sais par le courrier que j e reçois de metteurs en scène et d'acteurs français ; ils posent des questions différentes, ils accep-tent la responsabilité de ce t te question

essentielle : Comment créer? Il se peut qu'en France, on souffre également de cette cor-ruption qui provient de la tentative de rendre l'humain commercialisable, mais pas encore à ce point.

Cette question du besoin et de l'aspira-tion est extrêmement complexe. Si j'ai besoin d'un repas, je sais ce que c'est, j e peux l'ima-giner. .. Mais si je dis que j'ai besoin de mon humanité, j e dois la créer. C'est l'autocréa-tivité de l'être humain. Tout le reste, ce sont des habitudes de l'univers. Les êtres humains ne sont pas une habitude de l'univers, ils sont créatifs dans l'univers, tout le reste est plus ou moins mécanique...

Ce qui caractérise les êtres humains, ce n'est pas leur rationalité, c'est leur imagina-tion. Les êtres humains ont cet te faculté d'imaginer. L'imagination et la conscience de soi sont une seule et même chose. L'ima-gination semble n'avoir aucune logique, mais en fait, si vous allez dans le sens de votre humanité, l 'imagination devient alors la chose la plus logique...

Le théâtre est une tentative pour trouver la logique de l'imagination. Nous nous créons nous-mêmes à partir de cet effort. Cela ouvre la porte à toutes sortes d'abus, et s'il y a beau-coup de mauvais théâtre, c'est que l'imagi-nation peut s'y soustraire, se dérober...

Mais l'art dramatique a la capacité de pro-duire des situations auxquelles on ne peut plus se dérober. Bizarrement, le théâtre peut alors devenir plus réel que la vie qui l'en-toure. Il devient la réalité de l'imagination humaine à travers laquelle nous avons la faculté de nous voir et de nous créer.

Quel est votre regard sur l'évolution du théâtre, la pérennité des classiques et la création contemporaine, notamment en France ?

J'ai énormément de respect pour nombre d'écrivains, j e suis fasciné par Molière et par le contraste entre lui et Racine. Les Grecs me fascinent, j'ai un grand respect pour le passé. Mais l'art vient toujours de l'avenir; il vient vers nous. On ne peut pas résoudre un problème avant qu'il ne se soit présenté à soi en bonne et due forme. Il y a presque toujours un fossé entre l 'expérience et la capacité que l'on a de gérer cette expérience pour trouver des solutions aux problèmes du moment, pour rendre ces problèmes créa-tifs. II faut apprendre à être créatifs avec nos problèmes. Le problème, sur le plan de la création, est essentiel.

Nous n'avons pas d'inspiration, il n'y a pas d'essence appelée «art». Ce que nous avons, c'est un problème. Approcher, comprendre ce problème, voilà ce qui nous rend créatifs. Quant à la France, ce qui a tendance à se passer avec mes pièces, c'est que, souvent, elles ne sont pas comprises, parce que j e m'efforce de créer une nouvelle forme de théâtre. J'éprouve le besoin de retrouver confiance dans le théâtre. Nous devons à nouveau apprendre à croire en l'art drama-

tique. Nous ne croyons pas en l'art drama-tique. Brecht ne croyait pas en l'art drama-tique ; il croyait au Parti...

Il a utilisé le théâtre de manière efficace, mais il n'y croyait pas. Il a probablement très bien travaillé pour son époque, surtout en un temps où l'on ne pouvait pas croire au théâtre, à cause de la grande «théâtralité» de Hitler. Aujourd'hui, il nous faut réap-prendre à croire au théâtre. Nous devons retourner à l'essence du théâtre. C'est ris-qué et difficile, mais c'est la seule chance que nous ayons de produire de la créativité humaine. Je le sais parce que j 'ai travaillé pour le cinéma et la télévision : Pour moi,

on ne peut pas être créatif dans ces média. Artaud disait que personne ne peut travailler dans le cinéma sans en ressentir de la honte...

Ce n'est pas que j e sois pour une régres-sion vers le passé et cela ne signifie pas un retour aux mythologies, bien que très sou-vent, le théâtre classique, celui des Grecs, par exemple, évoque des questions humaines étemelles.. .

L'art vient du futur. Nous devons com-prendre ce qui vient à notre rencontre. La question de l'humain crée nécessairement des problèmes qu'il nous faudra résoudre pour pouvoir continuer à être humains, ce qui n'est pas garanti.

Nous sommes les produits de l'évolution, mais nous ne comprenons pas ce dont nous procédons. Peut-être l'évolution nous uti-lise-t-elle comme un «pont» vers quelque chose d'autre. Peut-être ne sommes-nous qu'une passerelle vers une hypertechnolo-gie, qui, à un moment donné, sera capable de fonctionner par elle-même et de s'autopro-duire, sans avoir besoin d'une intervention biologique ou humaine. C'est possible.

Ou nous pourrions aussi nous autodé-truire... Notre problème est radicalement nouveau, même si l'on trouve très souvent dans les formes anciennes, comme celles des Grecs, des situations humaines essentielles. J 'écris en ce moment une pièce pour une école et je remarque que dans l'histoire de Médée qui tue ses enfants - les enfants ne sont jamais autorisés à parler, sauf à la fin -tout ce qu'ils disent, c'est : «Au secours !». Présentez-la dans une école et les enfants comprennent Médée... Antigone est parfai-tement compréhensible pour des masses de gens de toutes cultures et ce sera toujours le cas. Mais quelle est aujourd'hui la nature du pouvoir et de l'autorité ? Créon est-il assi-milable à la technologie ?

Je suis très optimiste quant aux possibili-tés de l'humanité, à une échelle collective. En tant que sociétés nous pouvons résoudre ces problèmes ; c'est une question politique.

Cela implique que l'art retrouve une place importante. «Ait» est aujourd'hui devenu un mot grossier, mais cela changera. Que repré-senteraient aujourd'hui les Grecs sans leur architecture, leur sculpture, leur théâtre ? Ils n'existeraient pas, ils n'auraient pas construit de démocratie. L'art est à l'articu-lation des problèmes fondamentaux ; il n'y a pas de remède au fait d'être humain. Vous ne pouvez pas résoudre le problème généti-quement, il n'y a pas de comprimés, de pilules... et aucune police ne résoudra défi-nitivement les problèmes de criminalité. Pre-nez l'Amérique aujourd'hui : elle s'effondre, elle s'écroule sous nos yeux...

Pas l'Europe? Pas à ce point, non. Nous sommes encore

capables de poser des questions. Mais il y a, j'en conviens, un grand danger. Il me semble

que, par le passé, les problèmes et les manques étaient plus c lairement identi-fiables. Les problèmes des Médicis, ceux des Grecs etc., étaient identifiables. C'étaient la famine, la peste, des choses de cet ordre. J'ai le sentiment que nous approchons d'un désastre que nous ne connaissons pas, dont nous ne comprenons pas le caractère. J 'en-trevois le danger que l'évolution nous uti-lise d'une manière que nous ne contrôlons pas.

Quelles sont vos occupations actuelles sur le plan du travail scénique?

Je passe pas mal de mon temps à travailler avec des jeunes gens. Ils font preuve d'une incroyable confiance, et, d'un autre côté, comme ils sont très anxieux, leur insécurité leur fait désirer leur humanité...

J 'ai parlé avec de j e u n e s Français au Théâtre-Studio d'Alfortville, l 'année der-nière. J 'étais en France, et j e voulais répondre à ma façon à leurs attentes cultu-relles. En un sens, la culture française est trop complète.. .

Selon Sartre, les Parisiens ne se seraient jamais sentis aussi libres que durant l'occu-pation allemande... Je pense que tous les enfants vivent sous un régime d'«occupa-tion». Par conséquent, ils savent ce que c'est que la liberté. Passer de la liberté à la res-ponsabilité de l'adulte est une chose très dangereuse. Nous sommes en train de perdre notre besoin de liberté. Et si cela se confir-mait, l'avenir serait très incertain...

Il faut aujourd'hui c réer un nouveau théâtre qui permettra l'identification, afin que les gens puissent comprendre ce qui leur est arrivé et ce qui leur arrive. En faisant cela au Théâtre de la Colline, ou n'importe où - sauf peut-être à la Comédie Française - , vous commencez à sortir du ghetto. Le ghetto, en ce moment, c'est un processus extrêmement subtil. Cela consiste en la création de besoins aitificiels dans un mouvement de panique, et en un sentiment brutal de perte d'«identité humaine», qui survient lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits.

Votre théâtre est perçu comme porteur d'une grande violence, ce qui n'est pas si courant . . . Pensez-vous que la violence devrait être réinjectée dans nos imagina-tions, nos esprits, au lieu d'être seulement enfermée dans des images diabolisantes du type, par exemple, de celle du FN, pour ce qui est de la France ?

Je traite de la violence. Lorsque quelque chose de violent se déroule sur scène, je le fais paraître réel. La violence n'est pas chez moi dépeinte comme dans les filins ou à la télévison, où tout cela n'est qu'une sorte de farce... La violence ce n'est pas ça. Alors j e tente de la faire apparaître dans sa réalité, car j e pense que c'est un véritable problème... Tout le mal n'est évidemment pas contenu dans M. Le Pen, ou d'autres figures emblé-matiques. La violence explose dans les ban-lieues et les villes de France. La violence et la frustration sont là. Il est très important que le théâtre s'empare de cela pour que les gens le comprennent. Lorsque j'assistais aux répétitions de Sauvés, au Théâtre-Studio d'Alfortville, il y a une scène où des jeunes gens, un gang, tuent un bébé en le lapidant... Une actrice avait du mal clans cette action, et peu à peu elle a compris ce qui se passait vraiment dans cette scène. Tout d'un coup, elle a dit : «Je sais qui je tue maintenant : c'est moi». C'était une révélation pour l'ac-trice et on devrait offrir cette perspicacité au public...

Quelles relations entretenez-vous avec la vie théâtrale britannique ?

Pour l'instant, j e n'ai pas beaucoup de rapports avec le théâtre anglais, sauf avec les jeunes, avec qui j e travaille beaucoup. J'ai éliminé les grands théâtres institution-nels. En principe, j 'aime les endroits assez

grands, mais j e trouve souvent impossible d'y travailler. Nous allons prochainement monter une nouvelle production de Guys and dolls au National Theatre, parce que nous avons besoin d'argent, mais les gens qui y travaillent pensent - ils sont très naïfs -qu'ils peuvent vendre leur âme au Diable par contrat.

Ils disent : «Vous pouvez avoir mon âme les lundi, mardi et mercredi, mais j e veux la récupérer les jeudi, vendredi et samedi». Le Diable, qui est un malin, dit : «Bien sûr, bien sûr !» . Ce qu'ils ne savent pas, c 'est que lorsque vous lui avez vendu votre âme pour cinq minutes, elle est à lui pour l'éternité. Ils se comportent comme des gens qui se serviraient d'une fourchette à trois dents pour manger, et qui diraient : «J'ai de la nour-riture autour de la première dent, un autre aliment autour de la dent du milieu et un troisième... Je peux ingérer ces trois aliments de façon distincte : autrement dit, j e peux jouer tous ces rôles.. . Mais si vous voulez faire quelque chose de créatif, vous devez assumer votre responsabilité d'humain. Aucun enfant ne peut naître sans assumer sa responsabilité vis-à-vis du monde : lors-qu'il se redresse dans sa poussette, il accepte sa responsabilité. L'éducation, l'instruction, la lui retirent. Le théâtre doit restituer cette responsabilité vis-à-vis du monde.

Cela signifie que l'humanité, et donc notre combat pour l 'humain hic et nunc, doit rendre cette responsabilité aux gens, en faire une chose à laquelle ils ne peuvent échapper. Si j e mets le feu à votre manteau, vous ne pouvez pas en faire abstraction, vous devez l'éteindre. Nous déviions être capables de créer sur scène un besoin d'être humain tel, que le public ne puisse absolument pas y échapper. Il se peut que les gens ressortent en disant : «J'ai détesté ça, c'est de la merde !» ou «J'ai trouvé ça ennuyeux, ça ne m'a pas du tout intéressé...», mais leur manteau est en feu ! Et à un moment donné, dans les six ou douze prochains mois, il leur faudra affron-ter ça.

Il ne s'agit pas seulement d'écrire des pièces particulières ; il faut qu'il y ait une orientation dans le jeu et la direction d'acteur qui rende cela possible. On doit travailler en se disant: «Que signifie jouer? Que signi-fie mettre en scène ? Que signifie créer un décor?» Ces trois éléments servent d'ordi-naire à mentir à un public, à tricher.. .

Mais le public ne veut pas être trompé, il veut être placé sur le chemin de la vérité, d'une quête de la vérité. Il est alors heureux, parce que c'est très réconfortant... On doit produire une forme de théâtre, de jeu et de mise en scène, où les mensonges sont rendus impossibles. Brecht , par exemple, en ce moment, peut tout à fait être utilisé pour mentir...

Ne pensez-vous pas que le théâtre doive s'efforcer de retrouver son vrai sens, qui est d'être un art collectif ?

Si, absolument. C'est un art complète-ment social. Si vous voulez être un artiste, de quelque nature que ce soit, vous devez en un sens cesser d'être vous-même.

Mais nous vivons encore avec cette notion terriblement romantique de l'artiste du XIXe

siècle, solitaire. C'est peu excitant et assez inutile, et ça ne me stimule pas du tout. Le parfait égotiste est celui qui a besoin du monde... On ne doit pas se satisfaire de soi-même. Oui, c'est un art collectif - il peut d'ailleurs souvent être faussement démo-cratique. Par exemple, vous savez qu'il existe cette mode des répétitions en public... pour amener le public à dire : «Oui, c'est bon !» ou quelque chose de cet ordre. Parfois, ce n'est pas si bon que ça, ça dépend du degré de connaissance de ces questions...

Acteurs, metteurs en scène, auteurs, devraient être capables de traiter au quoti-dien les questions de la pièce sur laquelle ils travaillent, dans la rue, partout, en inter-

II y a presque toujours un fossé entre l'expérience et la capacité que l'on a de gérer cette expérience pour trouver des solutions aux problèmes du moment, pour rendre ces problèmes créatifs.

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ielée «art». Ce que logeant les chauffeurs de taxi, mais il faut que cela soit fait sans démagogie . . . Il faut avoir une conscience sociale globale.

Si j 'écris une pièce, j e dois m'attendre, en tant qu 'écr iva in , à découvr i r c e q u ' e l l e cont ient dans le processus théâtral, par la réalité des représentations, par les réactions des acteurs et du public. Les acteurs vous -l 'apprendront, le public vous l 'apprendra. Parfois , vous pensez : «J 'a i raison sur ce p o i n t . . . » et les ac teurs ou le publ ic vous demandent : «Pourquoi ?» et vous répondez: « P a r c e q u e j ' a i ouvert c e t t e por te e t j ' a i regardé à l ' intérieur !» et si, en réalité, vous ne l 'avez pas e n c o r e fait, le public sera là pour vous d i re : «Non, vous n 'avez pas regardé.» C e doit être un échange absolu-ment ouvert. Mais la façon dont cet échange peut être mené est variable, il ne doit pas y avoir d e f o r m e d é f i n i e c a r c e l a c h a n g e constamment . . .

Oui, mais certains lieux très institution-nels rendent impossible cet échange. . .

C'est vrai. L'art, en tant que valeur poli-tique, ça ne représente souvent qu'un endroit où, par exemple, le Président de la Répu-blique peut emmener d'autres présidents en visite, et ça, ça ne m'intéresse pas du tout. J e ne pense pas avoir grand-chose à dire à des présidents. . . Mais j e ne m'en fais pas trop, p a r c e que les prés idents auraient e n c o r e moins à me dire (rires).

Pensez-vous avoir des «frères» aujourd'hui dans le monde du théâtre, ou vous sentez-vous seul?

J e me sens assez seul. . . J e pense avoir dit très clairement que j e ne me sens pas chez moi dans des endroits comme la Royal Sha-k e s p e a r e Company, le Royal National Theatre , ou le Royal Court Theatre , ce sont des endroits que j e ressens comme destruc-teurs. J e ne dis pas cela de façon rhétorique, j e pense qu'ils sont réel lement corrompus et qu'ils corrompent leur public. S'il veut ê t re créatif, le théâtre contient toujours ce risque de la corruption. Il doit avoir en lui cet te possibilité. C'est logique et nécessaire.

Il s'agit de comprendre ce qui détermine

< Vu de face > nous avons, c'est un problème. le fait qu'il soit créatif ou corrupteur.. . Mais j e me sens très en phase avec des auteurs et des publics jeunes. Mon travail marche bien auprès des j eunes générations.

J 'entends souvent dire que, lorsque mes pièces sont au programme des écoles , les profs ont beaucoup de difficultés, alors que les lycéens ou les étudiants n'en ont aucune. J e ressens fortement ma relation avec eux, et il faut que j e vous dise - à vous qui êtes une publication française - que j 'ai le sentiment d'avoir un vrai rapport avec de nombreux j eunes français, de nombreux j eunes met-teurs en s c è n e et d e plus âgés auss i . . . Il arrive que certains me posent des questions, et l'on ne comprend pas toujours ce que j e dis.. . En fait, cela arrive assez souvent qu'on ne comprenne pas ce que j e dis (rires)...

Plus souvent avec les metteurs en scène ou les directeurs de salles français, qu'avec leurs homologues britanniques ?

Cela va sembler horriblement patelin et flatteur, mais les questions que j e reçois des gens de théâtre français me paraissent sou-vent beaucoup plus intelligentes, c'est ainsi. Quant à savoir s'ils fournissent des réponses intelligentes, cela reste à voir, car il s'agit de nouvelles formes de création.

En F r a n c e , nous sommes à l'affût d'un théâtre qui retourne profondément à la réalité.

Il me semble, en effet. La réalité est une chose très étrange, bien sûr, et n'est pas tou-jours reconnue.

L u n e des plus puissantes influences de ma vie, c 'est la peinture française du siècle dern ier , j e veux par ler de gens c o m m e Manet, Cézanne, qui sont en quelque sorte mes dieux, et Géricault aussi, les œuvres de jeunesse surtout.

Alors que les Anglais ne produisaient que des pastiches préraphaélites moyenâgeux, ces gens extraordinaires disaient : «Voici à quoi ressemble le monde.» et aussi, en ce qui concerne Manet : «Voici comment faire le monde!» Nous avons désinvei.té l'usage de la peinture. Nous devons réinventer l'usage de l'art, le besoin d'art.

Peut-être, en ce qui concerne le théâtre, l'un de nos problèmes est-il que nous ten-tons de retourner à la signification profonde de cet art communautaire, alors que nous n'avons plus le sentiment d'appartenir à une communauté?

Si vous pouvez articuler le besoin, c'est que, dans un sens, il doit être là ! Ce qui n'est pas là, c 'est : C o m m e n t le réal iser ? Lors-qu'on c o m p r e n d c o m m e n t le faire, alors, c'est arrivé, c 'est fait !

Quel le est votre appréciat ion des der-nières productions de vos œuvres en Europe continentale ?

La production la plus r é c e n t e était Le Crime du vingt et unième siècle, à Bochum, en Allemagne, e t c 'était scandaleusement mauvais. Ça a é té fait par un j eune metteur en s c è n e originaire de Ber l in -Es t qui est passé à l 'Ouest lorsque le Mur est tombé. Dans un sens , il a eu le pire des deux mondes : il a été élevé dans une atmosphère d'académisme frigide où de nombreux profs s'escrimaient à parler de la vie, de l'art et de politique en essayant désespérément d'en éradiquer la question du sens, si vous voyez ce que j e veux d i re . . . Ensui te il a é t é en que lque sorte exposé à la «fraîcheur» de l'Ouest et le résultat a été que cet homme, que j 'appréciais, était alors complètement perdu e t i n c o m p é t e n t . J e le cons idéra is comme une image de la culture allemande depuis la Réunification. Il ne savait tout sim-plement pas ce qu'il faisait, il ne savait pas où il était , il ne connaissait pas la finalité de quoi que ce fût, mais Le Crime du vingt et unième siècle sera produit pour la première fois professionnellement l'année prochaine à La Colline par Alain Françon, et ce sera bien meilleur....

Qu'avez-vous pensé d e Check-Up, d e Carlo Brandt ?

J e ne l'ai vu qu'en vidéo. C e n'était pas vraiment une pièce, mais des extraits de mon théâtre dont j e pense qu'ils formaient un essai théorique, ce n'est pas une pièce que j 'ai écrite. . . J 'ai pensé que c'était très utile. Dans le même ordre d'idée, il y a actuelle-ment, en Italie, un «Projetto Bond» - le Pro-j e t B o n d - dont le sous-t i tre est « D e la Guerre à la Paix».

Quels sont les projets actuels de mises en scène de vos textes ?

En Angleterre, vient de débuter une tour-née de ma pièce Eleven vests, dont j 'espère qu'elle sera traduite et montée en France [sans doute par Stuart Seule - ndlr].

J 'écris des pièces pour des petits groupes, qui peuvent être montées dans des lieux de petite taille, mais aussi des pièces pour des distr ibut ions très nombreuses . Lear, par exemple, compte soixante-dix-huit person-nages, et j e crois qu'il est absolument essen-tiel de faire les deux, faute de quoi la culture trouve des échappatoires, comme si elle était attaquée ou libérée sur tous les fronts.

La tactique est essentielle , pour ne pas

risquer de tomber dans le m ê m e panneau que les Narodniks. Ma situation est idéale à Paris ; comme j e peux travailler au Théâtre-Studio d'Alfortville et que le Théâtre de la Colline a l'amabilité de présenter une bonne partie de mon œuvre, on peut ainsi, j e l'es-père, avoir une influence sur les media sous différents aspects . . . C'est très important ; vous ne pouvez pas bien travailler à Al fort-ville si vous ne travaillez pas bien à la Colline et vice-versa. L'unité de la culture doit se faire maintenant.

Cela peut-il se faire dans notre société en dehors d'un vrai combat culturel ?

Non, naturellement, vous avez raison. Le . marché isole et il n'y a plus de vision uto-pique. Qu'est -ce qu'une vision utopique ? Nous sommes la première société dans l'his-toire de l'humanité qui n'a pas de vision uto-pique . Tout ce q u e nous avons, c ' es t «toujours plus du même» - supermarchés, vacances plus longues et ainsi de suite -, c'est la répétition du même, et plus et plus encore du m ê m e . . .

Dans le passé, les gens avaient toujours tendance à vouloir «que ce soit différent», que ça change ! Et en effet, il faut absolu-ment que ce soit dif férent , ou alors nous nous détruirons les uns les autres. C'est cet élément qui manque.

C e qui pourrait survenir dans les deux, trois, ou quatre cents prochaines années , c'est que nous atteignions un stade où nous ne serions plus les victimes de l'Histoire.

J e suis un matér ia l is te , mais en fin de compte, si nous ne sommes pas dépassés par notre propre évolution, il faudra que vienne un temps où nous changerons l'Histoire, où nous nous en débarrasserons. Et à la place de l'Histoire, nous aurons une histoire humaine. Si nous faisons cela, alors nous nous com-prendrons nous-mêmes, nous ne serons plus les victimes et le produit de l'Histoire.

Tel est selon moi le projet du théâtre.A

Propos recueillis par Nicolas Roméas avec l'aide de François Le Moullac.

Aucun enfant ne peut naître sans assumer sa responsabilité vis-à-vis du monde : lorsqu'il se redresse dans sa poussette, il accepte sa responsabilité. L'éducation, l'instruction, la lui retirent. Le théâtre doit restituer cette responsabilité vis-à-vis du monde.

Edward Bond est né l e l8 juil let 1934 à Holloway, au nord de Londres. Il est évacué en Cor-nouailles au début de la guerre, puis chez ses grand-parents, près de Ely, après le Blitz. En 1953, i l part pour deux ans de service militaire et écrit sa première œuvre sérieuse (une nouvelle) pendant son séjour à Vienne. Sa collaboration avec le Royal Court Theatre commence à la fin des années 50, après qu'il a présenté Klaxon à l'Atreus' Place. Il est invité à rejoindre le Wri-ters' Group et devient lecteur permanent au Royal Court Theatre.

Textes d 'Edward Bond

The Pope's Wedding Royal Court, 1962 - L'Arche édit., trad. Georges Bas (¿es Noces du Pape) Saved Royal Court,1965 - L'Arche édit. trad. Jérôme Hankins (Sauvés) Three Sisters (adaptation) Royal Court,1967 Nar-row road to the deep north Royal Court, 1968 Early morning Royal Court,1968 Black Moss Lyceum Theatre,1970 Passion Alexandra Theatre,1971 Royal Court.1972 Lear Royal Court,1972 - L'Arche édit, trad. Georges Bas The Sea Royal Court,1973 - L'Arche édit., trad. Jérôme Hankins {La Mer) Spring A wa-kening (adaptation) National Theatre,1974 Bingo Royal Court,1974: L'Arche édit trad. Jérôme Han-kins The Fool Royal Court,1975 - Comédie de Caen édit, collection Textes et Documents, trad. Claude Yersin (L'Imbécile The White devil (adapt) Old Vic'Theatre, 1976 Stone ICA (Gay Sweatshop), 1976 AA Ame-rica Almost Free, 1976 We come to the river (livret) Royal Opera House, 1976 The Bundle RSC Ware-house,1978 The Woman National Theatre,1978 The Worlds Royal Court upstairs,1979 Orpheus (Ballet Scenario for Hans Werner Henze) - 1979 Restoration Royal Court,1981 Summer National Theatre,1982, L'Arche édit. trad. J.-L. Besson et René Loyon (Été) Derek RSC (Stratford Youth Festival),1982 Human Cannon RSC, 1984 The War plays I et II: L'Arche édit., trad. Michel Vittoz (I, Pièces de guerre , II, Rouge , noir et ignorant, La Furie des Nantis, Grande pa ix) Jackets I et II : L'Arche édit., trad. Halika B. Durif (Jackets ou la Ma in secrète) Haymarket, Leicester 8i Bush Theatre, London, 1989-90 The Sea (Revival) Royal National Theatre, 1991-92 Lulu (adaptation) Cambridge Theatre Co,1992 At the Inland Sea Big Brum Theatre Co,1995 L'Enfant dramatique: L'Arche édit. trad. Pascale Balcon,1995 The company of men Royal Shakespeare Co, 1996, L'Arche édit trad. Malika B. Durif (La Compagnie des hommes, 1"* version 1990) Cof-fee Royal Court Theatre Upstairs,1997 - L'Arche édit., trad. Michel Vittoz (Café) Eleven vests Big Brum Theatre Co,1997 Check-up: L'Arche édit, trad. Laure Hémain, Christel Gassie et Michel Vittoz Ma ison d'arrêt: l'Arche éd.. trad. Armando Llamas Inédit: Crime of the Twenty-first century (Le Crime du XXIe siècle).

L'Énergie du sens: éd. Climats, trad. Jérôme Hankins et Séverine Magois Commenta ires sur Les pièces de guerre et le Paradoxe de la pa ix, trad. Georges Bas, L'Arche édit. Notes sur le post-modernisme , Malika B. Durif, L'Arche édit. La pa ix: trad. Michel Vittoz et Laure Hémain, L'Arche édit.

1967: Blow Up 1968: Michae l Kohlhaas-Laughter in the dark 1971: Wa lkabout - Nicholas and Alexandra .

1978 : The Sea , BBC. Trad. L'Arche édit. 1984 : Derek, Thames : 1989 Bingo, BBC. L'Arche édit., trad. Jérôme Hankins 1992 : OU/s Prison. BBC Schools TV 1993 : Tuesday - BBC Schools TV. L'Arche édit., trad. Jérôme Hankins (Mardi).

I n t e r n e t : http://wwwJes-petits-mlsseaux.com/agir

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Libres échanges

Dire que le dernier festival d'Avignon ne nous a pas emballés est un tendre euphémisme. À quoi bon gérer raisonnablement des événements créés en leur temps par des pionniers-aventuriers, alors qu'ils sombrent aujourd'hui dans la routine ?

Quoi qu'il en soit c'est dans le off que nous avons trouvé notre miel, et tout particulièrement avec le passionnant travail de Bakary Sangaré intitulé La prochaine fois, le feu, sur des textes de VAfro-américain James Baldwin. Ce corps à corps avec un texte, cette aventure qui consiste à aller voir si les questions que ce texte suscitent ne seraient pas sœurs de celles que Sangaré se pose à l'intérieur de sa vie, constituent une vraie démarche artistique. Cela ne fait que confirmer que nous aurions intérêt, les uns et les autres, à replacer le théâtre dans ce type de démarche, un travail sur soi-même, des questions brûlantes, partagées avec ceux qui sont en face: au Théâtre des Carmes, il y avait bien sûr plus de Blancs que de Noirs dans la salle.

(.a s sandre : C 'est la p r e m i è r e fois q u e vous vivez une e x p é r i e n c e de ce g e n r e ?

Bakaiy Sangaré : La deuxième. La première fois, c'était le Cahier d'un retour au pays natal de Césa i re , avec Gabr ie l Garran. C'est vite devenu une histoire à deux, entre Garran et moi. Il vou-lait monter une pièce avec moi et j'avais très envie de travailler sur ee texte. C'était en 1992, à une période où j e ne travaillais pas et j 'ai dû insister sur mon envie de monter le Cahier de Césaire, qui contient toutes les belles pensées philosophiques, les convictions, les réalités qui m'intéressaient, plus que le théâtre proprement dit. Garran a fait la mise en scène. J'ai amené la matière : le Cahier, et j'ai travaillé un peu sur l'adap-tation. C e t te fois, c 'est moi qui découvre un texte, qui l 'adapte entièrement, à ma façon.

Nos expér iences sont très d i f férentes ,

p a r c o u r s de Baldwyn et le vôtre . C om-ment avez-vous r e n c o n t r é son œ u v r e ?

La première fois que j 'ai entendu son nom, c 'es t en donnant la répl ique à une dame pour le conservatoire. Finalement, elle n'a pas présenté le conservatoire mais elle m'a acheté un livre et j e ne l'ai plus jamais revue. Le livre c'était Et si Bill Street savait parler. C'était signé James Baldwin... J e l'ai ouvert et j e n'ai pas accroché. J e l'ai refermé. Quelques années après, j 'ai vu Black power, sur Arte : Baldwin parlait de la vie à Har-lem, des journées qui ne s'achèvent jamais sans un coup de feu, sans une émeute raciale, où la vie c'est le fusil et la mort. On ne peut même pas s'imaginer ce que c'est... Ça m'a touché. Après avoir travaillé sur le Cahier d'un retour au pays natal, j 'avais envie de retrouver un moment de cette force, parce que j e suis convaincu que le théâtre doit par-ler des gens et aller vers eux. C e que disait Baldwin à l'époque, c'était ça : il parlait aux gens, il remettait tout à plat.

Kl vous ave/ dialogué avec ce texte. . . Oui, parce qu'il correspond à mes convic-

tions. Baldwin et Césaire ont eu les mots pour les dire. Il y a une dimension spirituelle dans cette affaire : le travail sur soi-même, le travail de désintéressement par rapport à la futilité, cela m'interpelle très fortement. J'ai lu Le Coin des «Amen» de Baldwin, c'était du théâtre, ça ne m'a pas trop plu. Baldwin est avant tout un auteur de romans, il a sur-tout écrit sur les conditions de vie à Harlem. J 'en ai lu plusieurs et j'ai eu du mal à trouver un texte aussi dense que le Cahier de Césaire. Un jour, en lisant les premiers mots d'un livre de Baldwin, j'ai senti à quel point il résumait bien l 'humanité; j'ai eu envie de connaître la fin, j 'ai pris la dernière partie et j 'ai vu les notes bibliques, la prochaine menace que Dieu fait planer au-dessus des hommes... J'ai pensé qu'il y avait là quelque chose qui pour-rait m'intéresser, j* ai acheté le livre et j e ne l'ai plus quit té , c ' es t devenu c o m m e une bible . Pour beaucoup de gens, D i e u est devenu une sorte de cousin avec lequel on s 'amuse, avec lequel on parle e t qui ne répond jamais - ou alors peut-être répond-il à sa manière. On fait sur lui toutes les bou-tades qu'on veut et il ne répond pas... Dans ce livre il y a encore une plaisanterie sur Lui, mais, à la fin, il récupère tout en disant qu'il y a une menace qui plane, qu'il possède l'En-fer, ou le feu. J e me suis dit qu'il avait peut-ê t r e répondu à que lque chose . Dès la première lecture, j'ai compris qu'il rejoignait mes convictions. Il est assez lucide : ce n'est pas un discours braillard, revanchard, c'est d'une finesse extraordinaire; c'est ça qui m'a touché, ainsi que sa vie.

J 'étais très admiratif devant cet homme

qui voyait devant lui, tous les j o u r s , des émeutes raciales, devant son désintéresse-ment. Il est assez proche de Martin Luther King, il partage les mêmes valeurs et le voit se faire tuer parce qu'il n'est pas violent... Lui-même est contraint à l'exil. Comment, malgré cela, a-t-il é té capable de produire des choses si fortes ? Où est-il aller chercher cette force ? J e me le demande encore ! Mal-gré les menaces de mort qui planaient sur lui et les siens, il a réussi à écrire un immense chant d'amour à l'humanité, d'amour et d'es-poir ! C 'éta i t suffisant pour q u e j e fasse quelque chose de cette œuvre. Tous les élé-ments étaient là pour m'encourager à le faire.

Ce t te inébranlable conf iance en la vie qui résiste a toutes les agressions subies est une des forces de 1" -esprit africain . . .

Cette confiance, si on ne peut jamais la tuer, peut néanmoins ê t re f létrie par des aggressions répétées , par ce qui laisse les gens dans leur misère.

Le texte dit que les Blancs ont bien assez à faire : apprendre à s 'accepter , à s 'a imer eux-mêmes... Lorsqu'ils y seront parvenus -ce jour n'est pas proche et n'arrivera peut-être jamais - le problème noir n'existera plus : il n'aura plus de raison d'être. En Afrique, les gens ne vivent pas que de spiritualité et de philosophie, mais, effectivement, comme il n'y a rien et que la misère frappe à toutes les portes, ils relativisent beaucoup, et cher-chent en eux l'humour ou la force qui leur permettra de continuer. C'est de cette force qu'ils tirent leur sagesse : ils ne se vengent pas, ils laissent la vengeance à une force supér ieure . Ce l a peut re jo indre , d 'une manière un peu primitive peut-être, l'ana-lyse très méticuleuse, lucide et sûrement très rationnelle, faite par Baldwin. On a ten-dance à s'en remettre à une spriritualité, à une force supérieure, plutôt qu'à créer une justice, nous-mêmes, ici-bas. qui agirait sys-tématiquement en lieu et place de cette force supérieure. La justice ici-bas, avec ses hauts et ses bas, n'est pas forcément idéale. Cha-cun a son tempérament et répond avec les moyens dont il dispose. Quand on met L u t h e r King d ' u n . c ô t é e t Malcom X de l 'autre , on s 'aperçoi t q u ' e n t r e les deux hommes il peut y avoir beaucoup de diffé-rences quant aux moyens à mettre en œuvre pour s'en sortir, et que tous les deux en ont bavé... Les deux démarches ne sont pas les mêmes, mais le but. lui, est le même. A par-tir de là, la différence s'efface : tous les gens doués de bonne volonté pour faire avancer les choses se rejoignent quelque part. Il n'y a pas de doute : à un moment donné, même Malcom X - dans sa démarche un peu plus belliqueuse - rejoint complètement le point de vue de Luther King. L e combat est le

Il y a le r i sque de devenir aussi petit q u e l ' e n n e m i , en se d é f e n d a n t a v e c les m ê m e s armes. . .

Il y a un ras-le-bol qui s'installe quand on est poussé à bout. Il y a des gens qui sont capables d'en faire quelque chose de bien et d'autres qui l'utilisent mal. J e pense au père spirituel de Malcom X, à l'époque où il n'avait pas e n c o r e fait son pèler inage : il croyait à tout ce que lui disait le maître, et à la fin il a eu le sentiment d'être trahi quand il a compris la pureté, la sainteté de l'Islam et de ses propres convictions. Il a pris la mesure du danger de ce que le maître lui avait incul-q u é en lui faisant croire q u e D i e u était Noir... Il est tombé de haut et ce moment est très beau. On ne le verra plus après, puis-qu'il est assassiné...

Voilà un homme qui a été poussé à bout et qui, à la fin de sa vie - c'est ça qui est beau -n'a plus les mêmes amies. Son arme devient beaucoup plus subtile, plus fine. Reprendre les armes de l'ennemi, se mettre sur un pied d'égalité avec celui qui a fait du mal, c 'est un piège.

Dans Chien blanc. Romain Gary raconte - il vivait a v e c J e a n S e b e r g . j e u n e mili-tante amér ica ine de gauche - qu'il a c h è t e un chien e t s 'aperçoi t qu'i l a é t é dressé pour a t t a q u e r les Noirs . . . A c h a q u e fois qu ' i l r e n c o n t r e un a m i Noir , le c h i e n a t taque . Il fait le pari de le r é é d u q u e r et le c o n f i e à un no i r qui est d r e s s e u r d e chien. Ça se t e r m i n e mal : le d r e s s e ur le t ransforme en - B l a c k Dog» . il a t taque les blancs. . .

Q u i c o n q u e avilit les autres s'avilit soi-m ê m e , c 'est une réali té profonde. Il faut continuer à lutter parce que la l iberté, on ne peut pas l'avoir, s'asseoir et 11e plus l 'en-tretenir. Mais ce n'est pas la peine d'avilir les autres parce qu'on a été avili.

Les Africains ont e n c o r e le sens de la c o m m u n a u t é . O r le t h é â t r e , p r o f o n d é -ment , est l 'art d 'une c o m m u n a u t é qui se par le à e l l e - m ê m e .

J e pense - et tant pis si c 'est méchant -qu'on a peut-être, nous les Africains, une compréhension limitée de cet art.

Voyez Sotigui Kouyaté : sa c o m p r é h e n -sion de la f o r c e du K o t é b a en Afr ique de l 'Ouest n 'est pas l imitée.

Sotigui comme moi avons vécu là-bas pen-dant un cer ta in n o m b r e d ' a n n é e s , nous sommes ensuite venus ici, nous avons voyagé, nous avons vu, compris d'autres choses et nous avons fait notre peti te analyse de la situation. Nous nous sommes dit qu'il y avait des choses à faire et qu'il fallait les faire. Dans les pays où les gens essayent, avant tout, de s'auto-suffire d'un point de vue ali-mentaire, cela devient difficile d'envisager la mise en place d'une structure de théâtre. Ce n'est pas une excuse, mais j e dis cela pour que ça puisse être un détonateur dans l'uni-vers du théâtre. Ce détonateur ne peut pas fonc tionner si les gens n'ont pas suffisament d'informations : clans ce cas, ils restent à la surface et ne font que de l'animation. Par-fois, les gens essa ient , cer ta ins font un théâtre qui va vers les gens, un théâtre dit «utile», qui dresse le diagnostic d'une société par rapport à ses crises et met en forme les préoccupat ions du foyer. Dans c e t t e démarche, les choses se mettent en place peu à peu, mais cela ne suffit pas, il faut, partout, des gens «éclairés».

C'est comme si on nous demandait à tous de soulever une grosse pierre très lourde entourée d 'épines : moi, j e connaîtrais la masse de la pierre , quelqu'un d'autre en connaîtrait le diamètre et on réunirait les

C assandre N° 31 OCTOBRE-NO) E-NOVEM8RE 1

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c o n n a i s s a n c e s d e c h a c u n . . . Mais c e s hommes-là , il faut les avoir ! En Afrique ou ailleurs, on ne les rencontre pas à tous les coins de r u e . . .

Pourrai t -on p lacer les griots dans c e t t e c a t é g o r i e ?

C'est une base solide parce qu'il y a là une forte oralité, une manière de s 'adresser aux gens, tout un art autour, pour émouvoir les gens. Mais il n'y a pas beaucoup de gens qui considèrent cela c o m m e du «théâtre», c 'est une autre forme.

M a i s il y a là q u e l q u e c h o s e d ' e x t r ê -m e m e n t v ivant , qui e s t , ic i , e n train d e d i s p a r a î t r e du t h é â t r e .

J e ne m e suis pas posé la question par rap-port au théâtre européen . J e veux que les g e n s a i e n t une pr ise d e c o n s c i e n c e e n Afrique : j e m'appuierais sur le griot pour d o n n e r des exemples aux gens , pour dire qu'il y a un art vivant, encore, qui peut servir d e base . Mais j e veux aller plus loin, avec des éléments nouveaux, une conscience nou-velle. Les griots ont pratiqué une sorte de dénonciation de la société mais c'était quand m ê m e souvent e n a c c o r d a v e c le roi d e l 'époque : la manipulation n'était pas loin.

L a tradition du K o t é b a est assez p r o c he d a n s l e f o n d , d e c e l l e d u c a r n a v a l e n E u r o p e . . .

Dans la tradition du Kotéba, il y a vrai-ment une c o n s c i e n c e , une approche plus complète .

L e s Afr icains doivent savoir qu' i ls ont q u e l q u e c h o s e qui a d e la valeur , qu'i l n e faut pas p e r d r e . L o r s q u e la c o m m u n a u t é se r é u n i t a u t o u r d e ses grands m o m e n t s , m o m e n t s d e crise ou d e j o i e , e l le les théâ-tral ise , e l l e n 'a pas s e u l e m e n t un r e g a r d d e s p e c t a t e u r . . .

Peu d e gens en Afrique ont c o n s c i e n c e de cela. Personne ne peut se permettre de vendre son â m e - parce q u e c 'es t c o m m e une âme - et de passer le reste de son temps, c o m m e Faust, à courir d e n i è r e une ombre , ou derr ière l ' o m b r e des autres, l 'âme des autres. L e griot, le Kotéba, sont des âmes, mais qui le comprend et utilise cela à bon escient ? Copeau était éclairé, il faut des gens c o m m e ça, mais on ne les trouve pas en cla-quant des doigts. Il aura fallu des personna-lités comm e Césaire ou Baldwin, m ê m e s'ils ne sont pas des dieux. . .

I l y a u n e g é n é r a t i o n nouve l l e . . . Q u e peut-el le faire ? C h e z les Africains, on voit

b i e n qu ' i l y a u n e g r a n d e f o r c e d a n s la re la t ion e t q u e c 'es t c e t t e f o r c e que les civil isations u r b a i n e s d é t r u i s e n t . Va-t-on louper ce rendez-vous de l 'Histoire ? Nous allons c o n t i n u e r à a l ler dans le sens d 'une inst i tutionalisat ion qui nous é touf fe , d 'un t h é â t r e qui n e nous c o n c e r n e plus, e t d e l ' a u t r e c ô t é , il y a u r a i t d e s g e n s qui n e c r o i e n t pas à la r i chesse d e c e t t e â m e . . .

Oui. On voit bien qu'on peut se faire bouf-fer par la télévision, par l 'image. L e théâtre est devenu c o m m e une maquette, un porte-manteaux, on met un truc dessus, on s'assoit dans la salle, on peut dormir, se reveiller aux applaudissements et partir. Ef fect ivement , ça ne nous concerne plus.

E t d e temps à a u t r e apparaî t quelqu'un qui vit un corps à corps avec un texte qui le c o n c e r n e p r o n f o n d é m e n t , e t ce la se voit. Que lqu 'un qui nous rappel le q u e le rôle du t h é â t r e est d e r e n d r e a u d i b l e s , p e r -ceptibles, m ê m e les choses insupportables, d e les r e m e t t r e dans le circuit d e la vie.

C'est pour ça que j ' a im e passer autant de temps à lire entre deux spectacles, pour trou-ver la chose qui est là et qu'il faut partager... Si on doit partager quelque chose, apporter aux gens autre chose que ce qu'ils connais-sent, alors c 'est ce qui est imparfait, ce qui est en train de se faire, sous nos yeux... J e suis convaincu qu'il y a quelque chose dans le texte de Baldwin, mais d'autres partagent-ils ma conviction ? La meilleure manière de le savoir c'est de travailler sur cette œuvre. J e l'ai fait seul, parce que la conviction était là. Parfois, m ê m e si la réalité est dure, il y a des gens qui veulent l 'entendre. Ce t t e convic-tion m'aide à travailler et à ne pas avoir peur du travail.

I c i , c e n ' e s t p a s un c o m é d i e n q u i s e c a c h e d e r r i è r e un a u t e u r c o n n u ou qui s 'appuie sur lui : c e ne serait pas possible p a r c e q u e Baldwin n'est pas suff isamment c o n n u , i c i . . . C e n'est pas c o m m e C é s a i r e . Votre d é m a r c h e est diff ici le , mais e l l e est j u s t e e t ç a m a r c h e p a r c e q u e les deuv per-s o n n e s q u e l 'on perço i t , c ' es t Baldwin e t

Il y a, à un moment donné, un sacrifice à faire : le mien, c 'est Baldwin.

C e n ' e s t pas s e u l e m e n t un s a c r i f i c e , c ' e s t aussi u n e j o u i s s a n c e .

Baldwin parlait de la vie a Harlem, des journées qui ne s'achèvent jamais sans un coup de feu, sans une émeute raciale, où la vie c'est le fusil et la mort. On ne peut même pas s'imaginer ce que c'est...

J 'ai lu un article qui disait que New-York était une ville propre... Peut-être, mais à quel prix ? Luther King a dit : «J'ai fait un rêve.. .». E t la phrase a é té déf ini t ivement mise au passé ! Il faudrait que l'on revoie tout cela. Baldwin a eu c e courage de produire une œuvre en étant complètement meurtri, moi j e ne peux pas éc r i r e c o m m e lui. Césa i re aussi a lut té c o m m e il pouvait , il a aussi donné sa langue au chat. . . E t le chat n'est pas forcément doux, il peut ê t re cannibale ! Il faudrait d i re «il a d o n n é sa langue au tigre» ! S'ils ont eu ce t incroyable courage, il faudrait de temps en temps que nous, qui sommes habiles à dire les choses, nous nous

y mettions... C'est une nécessité, c'est ce que j 'appel le un sacrifice.

C o m m e l 'exerc ice d 'une croyance reli-g i e u s e , a v e c des é tapes , des r i tes?

Les gens qui ont perdu Dieu, que propo-sent-ils au fond ? Quant à la jouissance qu'on peut tirer de cela, il y a un vrai plaisir à don-ner quand on a le sentiment de se mettre au service des gens pour leur faire découvrir ou comprendre quelque chose. C'est bien autre chose que le simple espoir d'aller vers im changement. Quand on sait que tout est possible, alors on sait que le combat est utile e t on n'a pas le droit de se laisser aller à la tristesse ou à la mélancolie.

À p a r t i r d e là, on est l i b é r é du poids d e son individu ?

Parfois ce n'est pas le cas. J e n'arrive pas tout de suite à la libération. J 'apprends en m ê m e temps que les spectateurs et après, j e re tombe en moi, dans mes «parts» qui ne sont pas faciles à gommer, dans ma petitesse. Mais Baldwin nous invite à transcender tout cela, alors parfois le combat s'engage et j 'y arrive ! L' accès à ce t te libération est un tra-vail d e longue haleine.

E s t - c e q u e c e l a ne devrai t pas susc i ter à c h a q u e fois un dia logue a v e c le publ ie ?

Oui, il y a des gens qui le demandent. J 'ai rencontré un universitaire qui aurait sou-haité qu'il y ait un vrai dialogue après le spec-tracle. Il pensait qu'il y avait un amalgame avec l'Islam, qu'on le caricaturait. Quelqu'un d'autre disait qu'on attaquait le prophète. Ces deux reflexions m'ont permis de dire que ce spectacle était en devenir, qu'il fallait c o n s t a m m e n t y revenir ; un s p e c t a c le qui reste vivant. On n'attaque pas l'Islam, c 'est une vision de l 'Islam qu'on attaque. C 'est celui qui a menti aux gens en leur disant que Dieu était comm e eux : Noir ; que Dieu était désormais à leur côté . Il faut parler de cela, c 'est un devoir pour rester fidèle à Baldwin.

Il y a c h e z vous une v io lence dont on sent q u ' e l l e n 'es t pas au p r e m i e r d e g r é , e l l e est i n t é r i e u r e , pas i m m é d i a t e m e n t p e r c e p t i p l e . On a l ' i m p r e s s i o n , e n vous voyant, d ' u n e g r a n d e d o u c e u r e t là, c ' es t c o m m e si vous p r e n i e z la violence qui est e n vous p o u r la fa ire d i r e p a r B a l d w i n . C e n'est pas un rapport immédiat ; ce n'est pas un c o m é d i e n v io len t qui p r e n d un texte violent . Il y a c h e z vous un r y t h m e un p e u c a s s é e n t r e v o t r e s e n s i b i l i t é e t v o t r e v i o l e n c e . C o m m e n t le vivez-vous, ce texte q u e vous avez choisi p a r rappor t à c e q u e vous ressentez au jourd 'hui , vous M a l i e n f r a n c o p h o n e q u i h a b i t e z un m o n d e dans lequel , du moins, il n'y a pas u n e é m e u t e c h a q u e j o u r ?

E n vivant à Paris, j e regarde ce qui se passe autour de moi, certes ce n'est pas Har-lem mais j e préfère me méfier du «médecin qui vient après la mort» - celui qui guérit quand le mal est fait. Les choses, ici, ne sont finalement pas très différentes de ce qui se passe là-bas : la violence est partout, sous divers aspects. E t la vie continue.. . Mais il faut toujours avoir en tête cet adage : «Mieux vaut prévenir que guérir», c 'est très impor-tant. La liberté s 'entretient. Tous ces para-mètres font le lien naturellement. Il y a aussi dans cette affaire une dimension visionnaire qui est fort belle.

Si Baldwin est v is ionnaire , on n e peut pas d i r e q u e c e soit v r a i m e n t opt imis te !

J e pense qu'il est optimiste. Il est surtout d'une grande lucidité, il a su faire la paît des choses, ce que quelqu'un de pessimiste ne ferait pas. Il a laissé la d e r n i è r e parole à Dieu.

C 'es t une r e n c o n t r e p e r s o n n e l l e e n t r e ce q u e vous por tez - q u e vous n ' e x p r i m e z p a s c h a q u e j o u r e t q u e vous a v e z pr i s

c o m m e m a t i è r e p o u r t r a v a i l l e r , e t un t e x t e . Il y a q u e l q u e c h o s e p r e s q u e d e l 'ordre d e la psychanalyse dans votre rap-port à c e texte. L 'histoire fonde l ' identité . On sent q u e l q u e c h o s e c o m m e «l 'histoire à t ravers moi , à un m o m e n t d e ma vie».

J e ne connais pas la psychanalyse, j e ne sais donc pas si on peut dire ça ! Mais c 'est vrai que ce texte correspond à un moment de mon évolut ion , à mes convic t ions du moment. Il y a une spiritualité qui se dégage du texte, des valeurs que j e trouve très belles, qui ne sont pas s implement le pouvoir, la sécurité, l'argent etc. Il y a là quelque chose qui correspond à mon état d'esprit.

Vous ê tes en p le ine révol te ? J e ne sais pas. C e que j e sais c'est que tout

cela correspond vraiment à mes convictions. Dans la pratique du théâtre il y a forcément une tendance au mensonge.. . L e comédien fait toutes les acrobaties du monde pour s'ac-crocher à une vérité qui n'est pas toujours la sienne : c 'est un processus plein de tru-cages. Il sait embellir et anoblir le mensonge, il sait, au fond, le rendre juste . Dans ce tra-vail, il y a quelque chose qui n'est pas de cet ordre. On a parfois envie de vérité, au sens banal du terme, pour cont inuer à avancer. J e me sens parfois trop abusé, lésé, j e ne sais plus ce que l'on me donne. Imaginez quel-qu'un qui tombe sur un joyau : ce texte en est un... L e personnage, après avoir vécu tant d'expériences, donne les choses avec telle-ment de sincérité et de lucidité ! C'est là que j e suis «pris», dans le bon sens du terme : c'est exactement ce que j e cherchais. J e veux savoir, j 'ai soif ! J e veux savoir, quelques fois, que lques vérités. C 'est c o m m e lorsque le dentiste dévitalise une dent pour anéantir la douleur : une fois le nerf arraché la douleur s'en va, alors que crèmes et bains de bouche ne calment que momentanément . C e texte-là, c'est ça pour moi. L e texte, c'est comme le nerf d'une dent. C'est une quête du savoir et de la vérité.

Vous avez é t é i n t é r e s s é p a r c e r t a i n e s r e a c t i o n s du publ ic ?

Une petite histoire : un jour, fatigué, j e rentre au diéâtre, j e n'avais pas le courage de mettre des tracts. A l 'entrée du théâtre, il y avait une grande discussion autour de mon spectacle. Les gens, à l'accueil disaient qu'ils ne pouvaient pas en parler, que les gens qui s 'occupaient du spectacle n'étaient pas là. Une dame hésitait en t r e le Baldwin e t un a u t r e s p e c t a c l e qui s 'appel le Athlètes à claques. J 'arrive, on m e présente , j e parle avec la dame et elle m e demande si c 'est de la danse, de la musique, si c'est drôle etc... J e lui explique qu'il est difficile pour moi de la conseiller ; c'est mon spectacle et j e suis très mauvais juge . J e lui dis que si elle veut voir un spectacle drôle, il faut qu'elle aille voir Athlètes à claques. Arrive un couple qui com-plimente mon spectacle et la dame décide d'aller voir Baldwin. Pour m'amuser, j e leur ai dit: "La prochaine fois le feu de Baldwin et Athlète à claques, c'est pas la même claque... L e feu ne brûle pas de la même façon qu'une claque». Nous sommes tous menacés par les mêmes futilités et moi j e n'ai pas envie de faire le médecin après la mort. J e suis frappé par ce texte, j e veux le partager. Il y a suffi-samment d 'éléments pour que j e continue à m e battre et que j e montre ça aux gens. J e trouve q u e ça en vaut la pe ine . S inon, j e pourrais simplement continuer à apprendre mes rôles e t à les jouer.. A

Recueill i par NR

La prochaine fois le feu, ti-xtes de James Baldwyii. par et avec Bakary Sungaré. du 13 décembre au 28 janvier 2000. Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis, Bd de la Chapelle 75010 Paris. Tél : 01 46 07 33 00.

Internet : http://www.imaginet.fr-/cassan

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En 1990, le Théâtre de l'Unité posait ses valises à Montbéliard pour prendre la direction de la Scène nationale. Jacques Livchine, metteur en songe, Hervée de ¡Mfond, Grande ordonnatrice et Claude Acquart, scénographe, tentent une aventure peu ordinaire avec le Centre d'Art et de Plaisanterie. Dix ans plus tard, ils font leurs adieux.

Cassandre : Avec l'équipe du Théâtre de l'Unité tu as fait partie des pionniers du théâtre de me, à une époque où, dans les années 70, cette pratique contestait l'Institu-tion. Comment êtes-vous arrivés à Montbé-liard à la tête d'une Scène nationale ?

Le Théâtre de l'Unité a commencé à jouer dans la me en 1977, bien avant la création des grands festivals. Ça s'est fait malgré nous : nous présentions Le Dernier bal dans une salle d'Avignon et pour attirer le public, nous avions imaginé une parade, la 2 CV théâtre.

Les premières années, le personnel s'habillait en fonction des spectacles. Par exemple, il venait en cuir et chaînes pour un récital de piano.

Le spectacle, qui parlait de la fermeture d'une usine de boulons, n'avait aucun suc-cès, mais la parade marchait très bien. Les programmateurs disaient : «votre pièce, c'est pas terrible, mais la parade, on prend !». On a tourné La 2 CV dans le monde entier.

Pendant dix ans, nous avons vécu un vrai délire. Nous intervenions dans les villes sans prévenir, au milieu de badauds qui ne com-prenaient rien à ce qui se passait. À cette époque, le phénomène était vraiment élec-trique. Puis, peu à peu, sont apparus les grands festivals, avec des aspects positifs quant à la reconnaissance des arts de la me.. . Mais, pour nous, c'était fini. Les festivaliers faisaient de plus en plus écran entre la popu-lation et nos spectacles. Nous étions aussi un peu épuisés du nomadisme permanent.

Nous avons décidé de nous lancer dans une autre aventure. Nous voulions travailler sur une seule ville et la bouleverser totale-ment. Nous avions tenté l'expérience à Saint-Quentin-en-Yvelines, en organisant le Carnaval des Ténèbres de 1983 à 1985. Nous avons alors écrit un «Très Grand Dessein». Le but n'était pas de prendre une institu-tion mais une ville. Nous avons lancé un appel d'offre «le Théâtre de l'Unité cherche son lieu d'implantation». Nous en avions défini les caractéristiques : une ville blessée, traversée de failles sociales, avec un passé

ouvrier, des immigrés. Vitrolles et Montbé-liard ont répondu. C'est l'implantation des usines Peugeot qui nous a attirés à Montbé-liard. Et puis, à Vitrolles, il s'agissait d'un théâtre municipal et l'Etat refusait d'y mettre un sou. Nous nous sommes réveillés un matin à la tête d'une Scène nationale. Tout d'un coup, vous avez des moyens, de belles photocopieuses, un budget de 20 000 francs de dépenses par jour, quinze employés. Une ivresse s'empare de vous : tout devient pos-sible. Evidemment, nous n'avions pas exac-tement le profil pour diriger une institution, nous ne fréquentions pas les préfets, ni les notables. Proposer quelque chose de radi-calement différent nous séduisait d'autant plus. Notre aventure, c'était: «comment se servir d'une institution comme madrier pour enfoncer une ville.» Ça nous passionnait.

Comment se sont passés vos débuts à Montbéliard ?

Nous sommes arrivés avec des utopies plein nos valises. Nous revenions d'une tour-née en Russie où nous avions découvert que les théâtres sont des endroits fantastiques, des lieux d'oxygénation où les artistes réflé-chissent sur le social, avec de grands salons, de vieux fauteuils en cuir, des cendriers tou-jours pleins. Trois mois après notre arrivée, nous avons rebaptisé le Centre d'Action Cul-turel «Centre d'Art et de Plaisanterie», en hommage à Dubuffet. Nous refusions l'en-céphalogramme plat d'un CAC ordinaire. Notre projet, c'était un théâtre ouvert jour et nuit, où les gens puissent passer, se rencon-trer, un lieu de respiration dans la ville.

Justement, comment avez-vous instillé la plaisanterie, la déstabilisation, dans le quo-tidien de Montbéliard ?

Nous avons commencé assez fort pour le baptême de la Scène nationale en envoyant valdinguer avec un élastique le sénateur-maire à six mètres du sol, après son discours d'inauguration. Nous avons attaqué la ville

une armée. Montbéliard est la ville des «3 P» : Peugeot, Pro-testantisme, Puritanisme. Nous nous sommes atte-lés à bousculer le purita-nisme. Ça nous amusait de tenter de violer cette ville un peu frigide. Notre principe, c'était un combat au coips à corps. Le public, pour nous, ça n'existe pas : c'est lui, plus lui, plus monsieur, plus

mademoiselle, plus madame... Notre objec-tif, c'était de rassembler et de connaître tout le monde. Nous avons démarré avec un pre-mier noyau d'avant-garde, les trente per-sonnes qui suivaient nos cours de théâtre, notre premier commando. Très vite, nous avons fondé les Brigades d'Intervention Théâtrales, capables d'agir dans toute la ville à tout moment, qui créaient plein d'événe-ments dont la presse parlait beaucoup. Une fois, j e menais un exercice de théâtre qui consistait à s'endormir dans un supermar-ché. Une des vendeuses, affolée en voyant des gens écroulés dans les rayons au milieu des boîtes de conserves, a téléphoné aux pompiers, s'imaginant qu'un gaz soporifique avait été répandu. S'en est suivi un débat : «Peut-on rire de tout, etc». Nous voulions créer une rumeur, une légende, pour que même ceux qui ne fréquentent pas le théâtre entendent parler de nous.

Nous avons conçu une série de manifes-tations en plus de la programmation «type» de Scène nationale. Nous avons proposé les «Samedis piétons» avec des artistes de me. Il y avait aussi les «Surprises champêtres», grandes promenades à travers la campagne ponctuées d'intermèdes avec des comédiens et des musiciens, qui s'achevaient par un repas sur place et par une «surprise» plus ou moins folle : une fois, nous avions fait

atterrir des parachutistes sur un pâturage où était installée une immense église en toile peinte. Une autre fois, une chanteuse d'opéra et un pianiste filaient en radeau sur un étang... Nous avons organisé une «fête du malheur», un parcours nocturne en bus qui nous emmenait dans un cimetière où des jeunes récitaient des poèmes de Baudelaire, puis dans un supermarché, ces temples d'au-jourd'hui, pour écouter un requiem, puis dans un local de la SPA où une chanteuse de bal musette chantait pour des chiens abandonnés hurlant à la mort. C'étaient des soirées dingues. Et des tas d'autres événe-ments inhabituels pour le public : les «Sar-danapales», les «Machines rient», les «Autocars-Champagne», les «Académies des saveurs»... Et nous avons fait les «Réveillons des boulons». Je crois que les habitants de Montbéliard ne savaient pas qu'ils étaient capables de se réunir comme ça, à vingt ou trente mille, par moins quinze degrés, le 31 décembre, pour faire la fête. Nous nous dis-tinguions vraiment sur ces propositions, qui recueillaient beaucoup de succès que sur la saison à l'intérieur du théâtre, où le taux de fréquentation se était au même niveau qu'ailleurs. Mais nous affichions une pro-grammation très ouverte aux nouveaux cirques, aux arts de la rue ou encore aux-musiques actuelles, avec la création de la salle du Palot-Palot.

Comment traitiez-vous le rituel théâtral ? Nous cherchions à descendre l'art de son

piédestal, à changer le cérémonial, pour que le théâtre ne soit pas une prestation ano-nyme, une consommation qui débute au lever de rideau et finit dès que les lumières se rallument. Nous voulions insérer un grain de folie partout et tout le temps. J'ai sup-primé les billets. Le théâtre ne doit pas com-mencer par une déchirure ! Les gens avaient un carnet, une sorte de passeport, et ache-taient des timbres, dans notre monnaie locale, le Sponeck. Parfois, pour réduire le prix des places, nous faisions baisser le cours du Sponeck. C'était annoncé dans la presse. Les soirées paraissaient un peu bizarres. Il y avait de grands feux devant le théâtre pour créer une atmosphère chaleureuse. L'accueil du public était mis en scène. Les premières années, le personnel s'habillait en fonction des spectacles. Par exemple, il venait en cuir et chaînes pour un récital de piano. Heivée, la grande ordonnatrice, tamponnait les timbres, serrait la main à chacun en l'appe-lant par son nom, un procédé un peu trop familial pour certains; la bourgeoisie était choquée. Mais nous cherchions cette conni-vence affective avec le public. Nous nous inspirions de Vilar.

Nous voulions de l'art partout, ne rien laisser au hasard. Nous avons essayé de trai-ter tous les détails sur le ton de la plaisante-rie. Nous soignions beaucoup les ambiances, la convivialité. Les «Thés musicaux» étaient des moments délicieux où les gens venaient gratuitement écouter de la musique en dégustant des viennoiseries dans les salons XVIIIe de l'Hôtel de Sponeck. Dans ce lieu géré par la Scène nationale, qui servait d'ac-cueil du public, nous avions toujours des expositions de peintres, de plasticiens, de sculpteurs.

Fête, partage, convivialité, Iudisme : ce sont tes valeurs.. Tu le dis : «Je ne suis pas acteur, je joue».

Comment prendre au sérieux une exis-tence dont sait qu'on ne sortira pas vivant ? Nous avons tout un arsenal de phrases comme cela, pour «regarder la vie en farces». La plaisanterie, c'est essentiel. L'homme est le seul animal qui joue pour oublier qu'il va mourir. Nous sommes très attachés à la fête. Nous partons des Grecs, de Dionysos, dieu du théâtre et du vin. Le théâtre doit être une grande ivresse, comme du temps de la Grèce antique, lorsqu'il étonnait, faisait crier

le public. Au fil des ans, le théâtre s'est dévoyé s'est engagé dans des impasses, s'est recroquevillé sur lui-même. Nous sommes à la recherche de «la grande fête perdue il y a très longtemps».

La convivialité permet l'échange. C'est très important. Une des innovations du Centre est la Maison au bord de l'eau, dans laquelle sont reçus tous les artistes pro-grammés chez nous. Comédiens, peintres, sculpteurs, plasticiens, se croisent, discutent. C'est un lieu de métissage. Cette résidence vibre de toutes les palpitations de la vie artis-tique. Elle nous donne beaucoup de liberté en termes de frais. Les artistes peuvent res-ter quelques jours de plus pour travailler.

Tu dis souvent que le théâtre commence bien avant et continue bien après la repré-sentation...

Chaque spectacle était suivi d'un «placo-tage» : les artistes venaient discuter avec les spectateurs, répondre à leurs questions. C'était parfois douloureux. Avec Savary, ça s'est mal passé : il s'est fait attaquer, et il était furieux. La plupart du temps, c'était pas-sionnant. Les artistes n'ont pas l'habitude de rencontrer le public, ils préfèrent discu-ter entre eux de leur travail, de leurs pro-blèmes, de leurs Assedic.

Les gens découvraient une autre façon de penser, d'autres valeurs que celles de la société de consommation.

Tout cela finissait, bien entendu, par un grand dîner tous ensemble. Pour moi, une soirée n'est réussie que si le couple repré-sentation/placotage a bien marché, quand les gens repartent tard dans la nuit parce qu'ils ont longuement discuté.

Sinon, même quand le spectacle a été très applaudi, c'est de la consommation rapide, c'est comme tirer un coup en amour.

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Tu crois que le théâtre peut changer les mentalités ?

Bien sûr ! L e théâtre nous a bien chan-gés, nous... Au début, j 'étais obsédé par Jean-Pierre Foucault : j e me demandais comment faire face à un type qui, à la télévision, touche vingt millions de personnes d'un coup. En fait, au moment du bilan de la saison, ce qui nous importe, c 'est d'avoir fait basculer au moins une personne. L e théâtre peut nous sauver du marasme. C'est le seul endroit où des gens différents peuvent se rassembler. C ' e s t très b é n é f i q u e p o u r la santé d ' u n e population. J e m'amuse beaucoup avec les statistiques. J ' en ai relevé plein sur le sujet : ceux qui ont des activités culturelles vivent

plus longtemps, les jeunes qui font du théâtre se droguent moins, ceux qui vont au théâtre p r e n n e n t moins d e t ranqui l l i sants . . . L e théâtre aide à vivre. L'art sert à cela. J e crois à notre utilité sociale, m ê m e si aujourd'hui on observe un retour de l'«Art pour l'Art». Pour moi, l'art est c o m m e un processus bio-logique. Un aitiste est quelqu'un qui puise sa sève dans la terre, qui peut transformer de ce qu'il voit, ce qu'il vit, en objets artistiques.

C ' e s t c e t t e convic t ion qui nous d o n n e l 'énergie d e poursuivre c e travail d e mis-sionnaire auprès du public. Ici, les gens n'ont q u e fa ire des réputa t ions . L a plupart du temps, ils ne connaissent qu'un seul nom dans toute la programmation. Du coup, ils jugent les spec tacles par eux-mêmes et n'ap-plaudissent pas seulement parce que c 'est un grand nom. Ç a donne parfois des sur-prises... Alors nous prenons notre bâton de pèlerin e t nous expliquons notre saison, par groupes de quatre-vingt à cent, avec un petit spectacle. Une année, nous avons omis d'ef-fectuer ce travail en amont. Nous avons fait c o m m e les autres, posé le produit culturel

Pour moi, une soirée n'est pleinement réussie que lorsque les gens repartent tard

dans la nuit parce qu'ils ont longuement discuté. Sinon, même quand le spectacle a été très applaudi, c'est de la consommation rapide, c'est comme tirer un coup en amour.

et attendu que les fourmis viennent manger le sucre. La fréquentation a chuté de 4 0 % . Nous avons donc recommencé nos tournées, la distribution des tracts, l 'envoi systéma-tique de documentat ion. . .

Vous quittez la direction du Centre d'Art et de Plaisanterie à la fin de la saison. Vous êtes-vous à votre tour sentis touchés par «le c a n c e r des gens de cul ture , la maladie du sérieux», pour reprendre ta formule ?

A notre arrivée, nous avions déc idé d e donner chaque année notre démission à la fin de la saison, pour nous remet t re en ques-tion. Si on s 'ennuie de faire ce qu'on fait, il faut tout de suite arrêter. C e t t e fois, nous avons senti que nous étions au bout de cet te aventure et qu'il nous fallait partir vers autre c h o s e . P e u à p e u , les c o n t r a i n t e s quot i -diennes de la gestion de l 'entreprise cultu-re l le ont eu raison de notre pro je t . Nous avons usé le personnel du théâtre comm e il nous a usés. L e fossé s'est lentement creusé entre nous, qui avons une relation quasiment mystique avec le théâtre , qui y consacrons toute notre vie, et eux qui ont leurs propres préoccupations - voir grandir leurs enfants, cul t iver l eur j a r d i n , m e n e r une vie «nor-male». Nous ne suivions pas le rythme de travail habituel des scènes nationales. D'ha-bitude, le spectacle se termine à 11 heures et tout le monde va se coucher.

Chez nous, les «placotages» peuvent durer jusqu'à 4 heures du matin, il faut ranger les tables, aider les cuisinières à ranger... C'est épuisant. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons repris l 'équipe en place. Nous avons essayé de diriger le Centre comme une com-pagnie. Nous procédions par objectifs , cha-cun étai t l ibre d e faire c o m m e il voulait, pourvu que le but collecti f soit atteint. Nous appliquions le principe de la «défense hol-landaise» : t o u t e s les forces se p o r t e n t e n s e m b l e sur le m ê m e o b j e c t i f . S ' i l faut décharger, on décharge, s'il faut faire la cui-sine, on fait la cuisine, etc . Un peu dans l'es-prit du T h é â t r e du Sole i l . Peu à p e u , le personnel a imposé des limites, de plus en plus n o m b r e u s e s . Il a d e m a n d é q u e les tâches de chacun soient précisément défi-nies . Nous avons é tab l i un vrai organi-g r a m m e . C ' e s t d e v e n u l 'enfer , p e r s o n n e n'acceptant de faire autre chose que ce qui est écrit dans sa fiche de poste. Progressi-vement, le partage des passions s'est érodé. Notre mode de fonctionnement affect i f ne m a r c h a i t pas. Ils ne nous c o n s i d é r a i e n t m ê m e pas c o m m e des d i r e c t e u r s , mais c o m m e des patrons. C e que nous sommes devenus par la f o r c e des c h o s e s . Nous sommes passés à une méthode de direction autoritaire, avec des ordres à exécuter sous peine de sanction. Nous ne nous sommes plus r e c o n n u s . Nous vivions un vér i table drame entre l'utopie d'une entreprise idéale où les gens travaillent avec passion et une réalité où le personnel se plaignait parce que

nous demandions trop. Dans une compa-gnie, tout le monde adhère au projet artis-t ique et se donne à fond pour sa réussite. Dans une institution, c'est différent. Un jour, pour r e m e r c i e r les col laborateurs, j e pro-pose de les emmene r voir une pièce dans un autre théâtre. Ils m'ont répondu «Tu rigoles, J a c q u e s , si tu veux nous faire un cadeau, allons au restaurant». Il devient de plus en plus compliqué de mener les actions qui sor-tent de l'ordinaire de la programmation.

Nous avons décidé d'aller dans les petits villages, souvent le dimanche, avec des spec-tacles de rue. L'équipe technique refusait de suivre. J e m e suis retrouvé à faire de char-gement des décors avec des bénévoles, alors que la Scène nationale reçoit S millions de subventions.

Le Centre d'Art et de Plaisanterie ne res-semble effectivement pas à une Scène natio-nale ordinaire. C o m m e n t cela se passait-il avec les tutelles? L'Institution peut-elle tolé-rer en son sein un élément qui sort du rang ?

Avec la Mairie, les relations se sont dégra-dées il y a deux ans, à la suite du départ de l 'adjoint à la Culture . C 'éta i t un type très dynamique, R P R tendance gaulliste popu. Il aimait notre façon de bousculer la bour-geoisie. L e maire aussi, nous épaulait, parce qu'il sentait que cet te action était bénéfique pour la ville. Puis la mairie s'est ankylosée. Un secrétaire général très procédurier é té nommé. L e nouvel adjoint à la Culture, un sous-marin du Front national, nous a dit qu'il «était temps q u e nous fassions des choses p o u r les g e n s normaux», en pointant le regard sur les immigrés avec lesquels nous travaillons. Nous n'avons pas supporté.

Du c ô t é d e l 'État , l ' incompréhension a é t é constante . Depuis la déconcentrat ion, nous sommes sous la tutel le de la D R A C , qui nous trouve sympathiques quoiqu'un [jeu brouil lons. Nous faisons désordre dans le paysage. L e Ministère avait d'ailleurs refusé le nom : Centre d'Art et de Plaisanterie. Pas sérieux. L'inspecteur qui est venu a jugé que ce que nous faisions ne correspondait pas à une Scène nationale, que nous négligions les formes bourgeoises de la culture. On nous a demandé de mettre en veilleuse le côté MJC, d 'arrêter notre action culturel le , ces rela-tions de proximité avec le public lors des soi-rées conviviales, les peti ts spectac les «de merde» avec les amateurs . . . L e Réveillon des boulons a é t é qua l i f i é de « fê te de la bière». La direction de la D R A C a changé il y a deux ans, mais n'est jamais venue nous voir. L a D R A C nous s u b v e n t i o n n e , a v e c m ê m e 1 , 6 6 % d'augmentation ce t te année. C e n'est pas un problème d'argent, mais de manque de dialogue.

L e discours sur l'élargissement des publics s e m b l e pour tan t t rès à la m o d e en c e moment. . . C'est à se demander si les scènes na t iona les sont des outi ls a d é q u a ts p o u r m e n e r une politique culturelle auprès des populations locales...

C'est la grande question. Le discours de la Minis t re en faveur de l ' é larg issement du public, de la valorisation de l'action cultu-relle et l'attitude des D R A C sont complète-ment dissonants. Les tutelles privilégient les produits culturels d e ré férence nationale, consommés par un public aisé et de super-diplômés. L'Etat donne de l'argent, mais il a toujours méprisé l'action souterraine. Il se déplace très peu dans les lieux. La plupart des journal i s tes en sait plus sur c e qui se passe sur le terrain. L'Etat ne s'intéresse qu'à ce qui brille, notamment dans la presse. L e Théâtre de l 'Unité est obligé d'aller à Avi-gnon et à Paris, pour montrer qu'il existe. J 'ai exposé ce point à Jacques Toubon autre-fois : «Si j e choisis de j o u e r au lycée profes-s ionnel d e B e t h o n c o u r t , a lors qu 'on m e p r o p o s e à la m ê m e date une t o u r n é e au Japon, non seulement vous m e mépriserez, mais en plus j e serai puni par une réduction

de ma subvention. Tandis que si j e ramène un article ou deux sur mon rayonnement au Japon, vous serez content». La politique cul-t u r e l l e d e l ' É t a t , c ' e s t Libération, Le Monde... C'était vrai du temps de Jack Lang. ça l'est encore en partie aujourd'hui.

Alors, nous, nous continuons nos bêtises. Hervée avec ses atel iers dans les classes, Claude avec les j e u n e s des quartiers. Moi avec la Brigade d'Intervention Théâtrale. Ça nous passionne toujours. C e t te année, nous organisons une opération «L'art au lycée»: pendant c inq jours , des j e u n e s musiciens, sculpteurs, danseurs, comédiens , investis-sent les salles de classe et les préaux. Mais, lorsque nous faisons le bilan de notre activité de Scène nationale, les tutelles nous deman-dent d'inscrire ce type d'action à part. Fina-lement, les scènes nationales sont d'énormes machines conçues pour diffuser une culture rayonnante, non pour faire du «bas-arts». Pour l 'État, en dépit des discours, il y a d'un côté l'art «haut», celui des créateurs, et de l'autre celui des animateurs. Il faudrait com-plètement repenser le système, tout mettre à plat, réunir tous les partenaires pour un grand débat de fond. J e doute que l 'État en ait le courage.

Vous quittez la Scène nationale mais pas le pays de Montbéliard, puisque le Théâtre de l 'Unité doit s'installer la saison prochaine à Audincourt, à quelques kilomètres d'ici. Quel est votre projet ?

À l 'annonce de notre départ, la mairie ne nous a pas retenus. La D R A C non plus. En revanche, un comité d'habitants s'est formé et le sous-préfet nous a convoqués pour que nous restions. Nous sommes at tachés aux gens d'ici, nous tenons aux liens que nous avons patiemment tissés au fil des saisons. Nous n e voulons pas tout r e c o n s t r u i r e ailleurs encore une fois.

Audincourt nous a tout de suite proposé de nous installer djms une friche industrielle, les anciennes filatures Japy. un lieu magni-fique, en bordure du Doubs. Il s'agirait d'un troc. La ville fournirait la base logistique, réhabi l i te ra i t les locaux. En é c h a n g e , le Théâtre de l 'Unité donnerait des cours de théâtre. Nous voulons travailler sur l'idée du festif et du populaire, qui a é té dévalorisé depuis vingt ans. Audincourt est une ville ouvrière, avec trois très belles fêtes qui atti-rent b e a u c o u p d e monde . L e T h é â t r e de l'Unité, après dix ans de vie quasi-sédentaire, va reprendre la route et à nouveau parcourir le monde avec ses spectacles. A

Recueilli par Gwenola David

Internet : http://www.horschamp.com

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Fondateur et directeur du Théâtre de Folle Pensée qu'il codirige avec Annie Lucas à Saint-Brieuc, Rolatid Fichet fréquente peu les cocktails mondains, il n'a pas le temps. Il laboure une terre qui lui colle aux doigts. De De la paille pour mémoire à La Famille Huron, en passant par l'expérience collective des Récits de naissances, il écrit, voyage, met en scène, initie des projets fous avec d'autres auteurs, parle avec les gens du cru et les autres, travaille la langue et la mémoire de son «pays».

«peuple qui manque», selon la formule de Deleuze, fait partie du mouvement d'écri-ture et de théâtre clans lequel j e suis.

Vous êtes un peu comme un Burkinabé ou un Malien qui serait à la recherche de tout ce qui n'entre pas aujourd'hui dans l'Histoire et essaie de le faire entrer dans la culture partagée du monde. . .

Toute culture a une pulsion de voyage, de transmission, d'échange.

Toute famille qui a construit une culture peut dialoguer avec les familles voisines. La question de la transmission est cruciale car elle ne repose plus sur les mêmes bases.

J e m'intéresse aux «aboyeuses». Quand j 'étais gamin, mon père me racontait que clans la région d'où j e viens, il v a des gens qui ne parlaient plus mais se contentaient d'aboyer. La légende dit que des femmes au lavoir ont envoyé leur chien sur une men-diante. Manque de chance, c'était la Vierge-Marie. Ces femmes ont été condamnées à aboyer, ainsi que leur descendance. C'est pourquoi Notre-Dame-du-Roncier peut gué-

Cassandre : Racontez-moi votre lien avec le lieu où vous vivez et dont vous refusez de vous éloigner. Comment le local se relie-t-il pour vous à l'universel ?

Roland Fichet : Je suis né en Bretagne, je vis à Saint-Brieuc depuis 1975 et je conti-nue à découvrir mon pays. J'ai besoin d'être en relation avec une communauté et un ter-ritoire. Dans mon travail d'écrivain de théâtre et de directeur de troupe, le senti-ment de la séparation est constant, avec les gens, avec le territoire. C'est cette tension qui m'importe. J'avais, dans mon enfance, un sentiment d'étrangeté avec la langue d'ici, langue arrachée, blessée, dépréciée. Les traces de Breton qu'on trouve dans le Morbihan où j e suis né, m'ont donné un ter-ritoire de langue. À onze ans, j e suis entré

dans une école missionnaire, j 'y ai fait mes humanités classiques et suis donc passé du gallo au latin, au grec et à toute la culture française classique qui me passionnait. Enfant, je lisais beaucoup, embarqué dans la nécessité de mondes imaginaires...

Vous êtes comme un missionnaire dans votre propre territoire à la recherche de la culture qui est à l 'origine de ce que vous êtes. . .

La question de la disparition m'a beau-coup frappé, parce que j e croyais que le monde était stable : une fourche se trans-mettait sur trois générations... Lorsqu'on est passé au plastique, rien ne se transmet-tait plus. La brutalité du constat m a conduit à penser que quelque chose pouvait se trans-mettre dans le symbolique, dans la langue, dans l'histoire de gens dont personne ne parle, les commis de ferme, par exemple. C'est pourquoi clans la première pièce, De la paille pour mémoire, il y en a un qui joue un rôle éminent. J'étais entouré de ces gens, souvent physiquement atteints, qui avaient un rapport très particulier au monde. Ce

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rir les aboyeuses, lors du pèler inage du 8 septembre. Ces aboyeuses ont disparu l'an-née de ma naissance. J'avais entendu parler de cela quand j 'étais gamin et dans ma pre-mière pièce, il y a un «aboyeur».

La rupture de transmission est très grave : devant un pays nié dans ses légendes, dans ses habitudes, dans sa transmission cultu-re l le et dans sa langue, il se produit une condensat ion sur quelques personnalités, riches, puissantes, intelligentes, mais dans une très grande vibration émotionnelle qui fait que certains s 'arrêtent de parler et se contentent d'aboyer.

C e t t e histoire montre l ' écrasement par une autre culture qui ne tient aucun compte de celle qui était là. C'est ce qui s'est passé avec l ' installation de l ' E c o l e publ ique en Bretagne où la langue et les codes culturels ont été interdits. Les légendes passaient pour sans intérêt, le mode de communication a é té cassé et ridiculisé. Il y a de l'humiliation dans mon histoire. J e m e suis senti habité par ça . J ' a i eu envie , après avoir fait des études de Lettres à la fac, flirté avec l'ensei-gnement , de trouver une forme théâtrale et de l ' installer dans mon pays, ou presque, puisque j e suis dans les Côtes d'Armor et non dans le Morbihan. J 'éprouve c e senti-ment que les Africains peuvent ressentir , c'est pour ça que j 'échange avec Kossi Efoui. Nous sommes colonisés de la m ê m e façon. D e plus, on envoyait nos missionnaires les coloniser après que nous avons été archico-Ionisés, etc .

Il n'est plus possible d' inventer sans pas-s e r p a r u n e r u p t u r e s y m b o l i q u e , f o r t e , reconnaissable , percept ible , qui passe par le fait d e n e plus r e s t e r dans le c a r c a n coerc i t i f du fauteuil de velours rouge dans u n e sa l l e p lus ou m o i n s à l ' i t a l i e n n e , contexte parlant e t très c o n n o t é .

Le Théâtre de Folle Pensée n'a pas de lieu. Nous sommes très implantés avec les gens du pays, mais nous n'avons pas de salle de répé-tition. Nous avons un espace administratif, des ateliers de fabrication de décors, mais nous sommes mobiles. Nous avons pris en charge des hangars dans le port du Légué parce que c 'est un endroit oublié, mal vu. Etvmologiquement, on pouvait y passer «à gué».

Vous ê t e s a u t e u r . Or , il n ' e s t pas f r é -q u e n t a u j o u r d ' h u i d e r e l i e r l e s c h o s e s e n t r e e l l e s . O n p e u t t r a v a i l l e r s u r d e s textes novateur s et les r e p l a c e r dans un c a d r e a n c i e n , ou t ravai l ler sur des mises e n s c è n e qui revis i tent les t ex tes . Peut -ê t r e y a-t-il q u e l q u e c h o s e d e plus global à fa i re . L'élu à la C u l t u r e d e la Ville dit q u e c e q u e vous faites est un p e u h e r m é -t i q u e . . . L a q u e s t i o n e s t d e savoi r si ç a p e u t ou non «dia loguer» d ' e m b l é e a v e c le publ ic p o u r l e q u e l c 'est produit .

Les gens ne réagissent pas seulement à un spectacle. Il y a plusieurs spectacles sur plu-sieurs années et on j o u e tout le temps. Mes pièces et cel les d'autres auteurs. L 'espace symbolique est celui de l 'écr i ture d e mes pièces. E t il me fallait faire ce geste d'hos-pitalité ; inviter des auteurs français et étran-gers à ê t r e en dia logue a v e c ma propre écriture et avec le théâtre en général. C'est pour ç a qu 'on a fondé c e va-et -vient , 011 monte mes pièces, on en monte d'autres, et avec Les Récits de naissances, spectacle ima-giné sur dix ans, c 'est un ensemble de dia-logues dans tous les sens. L e public sent la tension entre des choses exigeantes dans leur poétique : j e suis héritier des poètes qui ont écr i t avant moi. Chris t ian Pr igent est d e Saint-Brieuc, il y a un voisinage coriace sur l'histoire de la langue et la façon dont elle se traite, l 'exigence de la nomination.. . Bec-kett est irlandais. J e ne travaille pas sur le fonds r o m a n t i q u e d e la res taurat ion du monde, mais sur une tension vers l'indicible. C e t t e tension échoue toujours, mais c ' es t

notre éthique. Ma fonction n'est pas de res-tauration fragmentée de telle ou telle chose, de faire plaisir dans l'immédiat à tel ou tel, mais de produire un geste d'écriture qui fait travailler du symbolique pour tout le monde. C'est pour ça que j'ai créé une compagnie : j e travaille ce rapport.

J e suis un «aboyeur» , j e pars d ' u n e absence totale de capacité à parler. L'aboie-ment que j e peux produire a plus de force de nomination de que lque chose de profond dans ce qui est ressenti vis-à-vis du monde, que le fait de faire une très bel le phrase, dans la douleur, la b lessure . J ' a i appris à écrire dans la langue classique, mais est-ce q u e ça passe ou pas ? C ' e s t la ques t ion . Depuis des années, toutes nos représenta-tions sont complètes. Les Petites comédies rurales c r é é e s à Binic , ont aussi tourné à Nîmes, à Chartres : c e n'était pas unique-ment pour les ruraux. C e sont des micro-tra-

Je suis le précepte de Thomas Bernhard, quand j'écris une tragédie, je dis que c'est une comédie, et vice versa.

gédies présentées comme des comédies - j e suis le précepte de Thomas Bemhard, quand j'écris une tragédie j e dis que c'est une comé-die e t vice versa - d ' emblée , les gens ont senti qu'il y avait beaucoup de cruauté. Mes pièces ne sont pas rassurantes pour le peuple dont j e parle, mais ils ont adhéré parce qu'il y a une véri té forte là-dedans. Dans une commune de trois mille habitants, il y a trois c e n t s personne s dans la salle. Il y a des débats, j e participe à des réunions, j e suis invité à des repas avec les paysans : ils me considèrent comme quelqu'un qui formule des choses pour eux. C'est mon boulot.

J'ai rencontré des paysans dans un comice agricole, on a beaucoup ri, on s'est raconté des histoires. Pour une fois, ils ne veulent pas parler d'agriculture. Pour eux, j e suis de chez eux, j e suis avec eux. Ils affrètent des petits bus, font deux cent -c inquante kilo-mètres et ne ratent pas une pièce. Il y a énor-mément d'actes violents en milieu rural qui sont masqués. Beaucoup de gens se suici-dent, beaucoup de désespoir. L'inavouable du social m' importe , tout ce qui n'est pas n o m m é : le rapport à la mort, au sexe, à la violence, à l'amour. Il faut que les gens se disent «Ça me regarde, ce t te affaire-là, ça me crève les yeux tellement ça me regarde». Quand on fait un travail social, on a le souci immédiat de la restauration de la capacité à vivre de l'autre.

C o m m e n t c o n c i l i e z - v o us la n é c e s s i t é d e dé ten i r des outils qui soient considérés p a r l e s i n s t i t u t i o n s , e t n o n m é p r i s é s c o m m e l 'a é t é le «sociocul» e n son temps, a v e c le fait d ' ê t r e un a c t e u r du m o n d e t h é â t r a l qui essa i e d e s ' inscr i re dans le r e n o u v e l l e m e n t d e s f o r m e s . C o m m e n t conc i l i e r les deux ?

C'est un de nos travaux d'Hercule. Nous s o m m e s dans la na issance de formes, d e mots, d 'écriture - il m'importe que le rap-port de lieu, de présence physique entre les acteurs et les publics, bouge, qu'il soit en rapport avec ce qui se passe dans le présent. J 'ai toujours détourné les lieux, on a réussi à investir les hangars de la F e r m e du Buisson par ruse ; personne n'y allait.

On peut j o u e r avec les choses, prendre en c o m p t e l ' E u r o p e , le monde . Nous sommes en contact avec des théâtres dans d i f férents pays. Suzanne est j o u é en c e moment à Santiago.. . E11 Tunisie, ils ont tra-duit De la paille pour mémoire en arabe et ils ont traduit le Breton qui est dans la pièce

en Berbère . Ils ont trouvé le m ê m e statut de langue, le Berbère n'avait jamais été joué sur les scènes tunisiennes. Lorsqu'on assume le fait de dire «je», on entre en dialogue avec une autre parole. C'est l'accueil de l'étranger, et de l 'étrange: l 'autre vient chez moi. Ça suppose d'être capable de définir un «chez-moi» ! C e sont des choses délicates, politi-q u e m e n t i n c o r r e c t e s . J e ne fuis pas l 'Institution, j e j o u e avec. C o m m e dans la Bible, il y a les prêtres et les prophètes, ceux qui gardent l ' Institution - les prêtres - e t ceux qui la mettent en cause, j'ai choisi d'être du côté des deuxièmes. Du côté de l'insti-tution, il y a les prêtres, metteurs en scène ou non, e t les a u t r e s . . . Ceux qui sont dans l'autre posture ne peuvent pas nier le dia-logue qu'ils entretiennent avec les premiers. C e dialogue doit inclure le public, la popu-lation, l 'enjeu, l 'écriture, sinon il est mort.

Il y a a u s s i u n e c a t é g o r i e t r è s b i e n r e p r é s e n t é e d e «technic iens» , qui pour-ra ient se sat isfaire d'un f o n c t i o n n e m e n t ou d 'une diffusion par fa i tement bien hui-les , f r u i t - on l ' o u b l i e a u j o u r d ' h u i - d e luttes v iolentes , e t qui , ayant at te int son a p o g é e , s t a g n e . L e f a m e u x m a i l l a g c du t e r r i t o i r e f o n c t i o n n e plutôt b ien : on a t e n d a n c e à s 'en sat isfaire e t à n e plus se s o u c i e r d e c e q u i e s t à l ' i n t é r i e u r d e s conduits , e t à oubl ier , c o m m e tu dis, q u e l e s d e u x sont l i é s . N o u s s o m m e s à un m o m e n t d e n o t r e h i s to i re c u l t u r e l l e où on n e peut plus t o u c h e r au rapport d'in-f l u e n c e r é c i p r o q u e e n t r e la f o r m e , le f o n d , la m a n i è r e d o n t l e s c h o s e s sont m o n t r é e s e t t ransformées p a r leur récep-tion : ce qui est la v ie -même du théâtre , la m a n i è r e dont il se t rans forme .

Autrefois, les Marxistes que nous étions disaient que «les conditions de production déterminent la production», ça reste vrai. C'est le problème d'un Centre dramatique : si les modes de production sont toujours les mêmes, il y a de grandes chances que ce qui est produit se ressemble. Il y a des compa-gnies qui pourraient révolutionner le prin-c ipe , mais qui sont e l l e s - m ê m e s des micro-institutions sclérosées. II n'y a pas d'un côté de magnifiques compagnies qui font tout formidablement, et de l'autre des insti-tutions qui sont pourries, des choses puis-santes se créent dans les institutions. Certains metteurs en scène transcendent les instru-ments qu'on leur donne.

II faut q u e ç a rena isse à c h a q u e fois. C 'es t un sacré pari, lorsqu'on est dans

c e t t e m a c h i n e r i e avec ses n o r m e s e t ses codes. Il faut que certains puisse travailler autrement et déranger les autres. Il faut aller plus loin. Quelque chose est en train de se faire . Il faudrait r e p r e n d r e l 'h is to i re du théâtre des cinquante dernières années : la mission de circulation des œuvres du patri-moine des C e n t r e s dramat iques dans les années cinquante.

Les jeunes metteurs en scène qui ont fait b e a u c o u p de t h é â t r e c o n t e m p o r a i n , dès qu'ils ont une institution, font leurs preuves face à des classiques comme s'ils étaient pris dans l ' inconscient de ces institutions et de leur transmission. Ça fait partie de ce qui qual i f ie les gens les uns par rapport aux autres. Mais l 'urgence d'une parole d'au-jourd'hui, de mots produits avec tout ce qui leur manque, ce qu'ils ont de maladroit, est indispensable. Les metteurs en scène qui ne traitent pas les écri tures d'aujourd'hui en subissent le contrecoup dans leur capacité à mettre en scène les classiques. J e crois au voyage entre les deux. Mais on risque de jjeixlre la frange, qui est en mouvement, dont on ne reconnaît jamais complètement la vali-dité. C e n'est pas nouveau : Samuel Pcpvs va voii" les pièces de Shakespeare et ne les trouve pas bien du tout ; Saint-Simon croise Molière, Corneille, Racine, et se plaint de ne pas vivre à une époque de grands auteurs

dramatiques. Mais si l'on n'a pas accès à des lieux de travail importants, on ne peut être au niveau de son époque. Peut-être n'arrivons-nous pas, nous auteurs, à être au niveau de symbolisation, de condensation du réel, que demande l'époque. Pasolini l'a fait.

Est -ce q u e ce la peut se faire seulement du point d e vue de l ' a u t e u r ?

Absolument pas. Ni uniquement du point de vue de l'auteur ni de celui du metteur en scène. Si le metteur en scène a le pouvoir pendant cinquante ans, c'est le point de vue du metteur en scène qui prévaut. Mais dans les c inquante dernières années , un autre théâtre est arrivé : Kantor, Grotovvski, Pina Bausch. Une lutte complexe des formes. Nous sommes dans une période de passage. J 'essaie de trouver une réponse. Si j e vou-lais être dans un statut d'écrivain qui ne soit pas dans ce rapport de confrontation avec les autres, il faudrait que j e me déplace par rapport au fait d'avoir la responsabilité d'une troupe. La question du rapport est constitu-tive de l'acte poétique, de l'acte théâtral, du rapport à soi, à l 'autre.. . C'est pour ça qu'on revient si souvent sur ces questions du sexe... parce que ça parle fortement de ça. C e rap-port-là, à la société, à tout le monde, on ne peut que le recréer tout le temps, sinon la soc ié té meur t . Dans une pér iode où les formes de communicat ion basculent , j ' a i besoin de creuser ce rapport.

C 'es t un défi lancé à ceux qui ont en charge la poétique. La poétique appartient à tout le monde, elle est «dans l'air», comme disait Pasternak. C e qui est intéressant dans le rapport à la population, c'est que ce sont eux les poètes . On cultive des choses qui viennent de l'extérieur. Le «mot de passe» c'est autre chose que le mot d'ordre, dirait D e n i d a .

C e t t e h is to ire de passage, j ' e s s a i e d'y répondre concrètement , par tâtonnements successifs. Certains de nos discours, de nos formes, sont obsolètes. La réponse est dans l'instauration de nouveaux modes d'écriture, de relation. Et il y à chaque fois une part de balbutiement. •

Recueilli par NR.

Théâtre de La Folle Pensée. 4, rue Jouallan. 22 0 4 3 Saint-Brieuc. Tél : 02 9 6 3 3 6 2 4 1 .

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Villes et festivals vigueur de La demi-finale de Waterclash ou du Roman-photo, en racontant sur lui espace de terre ocre d'Afrique, avec des marion-nettes manipulées à vue, douze histoires, tirées chaque jour au sort. Un théâtre popu-laire nourri d'une rencontre de six mois avec l'Afrique, sans effet d'esbroufe.1

Après d'intéressants spectacles déambu-latoires, Les baisers magiques du cinéma et Les sept péchés capitaux de Brecht , voilà près d'un an que la compagnie OfF avait j e té les bases de c e t t e Carmen, une é b a u c h e lyrique présentée au dernier festival d'Au-rillac. Philippe Freslon et son équipe ont sué sang et eau pour construire une énorme centrifugeuse en métal rouillé, arène tau-rine mystérieuse au sein de laquelle le public pénètre . A la place du taureau, on lève la tête pour voir trois Carmen accompagnées d'un ensemble de cuivres, d'un étonnant danseur noir et de trois actrices évoluer sur les passerelles circulaires qui nous surplom-bent. Une adaptation musicale et théâtrale très libre, des costumes décidés, une intensité dramatique réelle, un bel effet avec la ronde furieuse d'un taureau mécanique, de belles voix, font de cette Carmen un peu verte un spectacle attachant.

Invités officiels du festival, les 26000 cou-verts3 reprenaient en off Invité d'honneur: la Poddémie, dans une cour d'école, spectacle insolite créé en 1996, sur les traditions d'un soi-disant groupe ethnique oublié, présenté par un insupportable animateur de télévi-sion. Tout y est ciselé, de la diction étrange des acteurs proche du phrasé acadien, à leur gestus, à leur gaucherie empruntée pour pré-senter leurs coutumes hors du contexte, et au charme de leurs costumes nordiques. Leur nouvelle création Direct, réalisée à Dijon en 1998, s'attaque aussi aux méfaits de la télé-vision, qui même piratée est encore pire que l'autre. Philippe Nicolle et Pascal Rome ani-ment depuis cinq ans cette équipe inventive qui ouvre des voies théâtrales nouvelles.

Bernard Colin et T u c h e n n 4 explorent depuis longtemps, en Bretagne, le théâtre dans et hors les murs. Après Le marché aux paroles, joli spectacle déambulatoire servi par une distribution inégale, ils présentent La Rue licencieuse, entresort forain conçu par Alain Burkar th . Quelque chose e n t re un ancien passage couvert et l'allée perdue d'un souk oubl ié . Une ruel le é t ro i te à deux niveaux pleine de recoins, des croquis de Fél icien Rops, c inq acteurs jonglant avec des textes de Pierre Louys, Bataille, Sade, Apollinaire, Rimbaud etc.

En pleine rue, la compagnie Kumulus ' détourne les panneaux publicitaires, avec Tout va bien. Les comédiens, glissés entre les glaces Sécurit, campent des personnages décalés, des images gestuelles et sonores : une douzaine de séquences de jour comme de nuit.

Avec Les Squames, S.D.F., Bail à céder et d'autres spectacles, Barthélémy Bompard et son équipe s 'af f irment, depuis quelques années, dans le peloton de tête des arts de la rue.

Toxacatl, joli numéro de corde de Pierre Dumur de Macadam Phénomènes6, La quin-caillerie Parpassanton, un déballage d'objets introuvables dignes de Carelmann par Cir-catomik7 (des anciens de Royal de Luxe), Les Du Tunnel vivant film muet à la Tati sur vacances, mariage, enterrement par l 'Acte

théâtral", Moi émois du Théâtre de la Tou-pille de Thonon-Ies-Bains et Nénuphar, bal-let plast ique du T h é â t r e du Z è b r e d e Besançon".

Parmi les déconvenues: U.P.H., Univers particuliers habités, par l'Arbre à Nomades"' création de Bruno Eckert issue d'une rési-d e n c e à Chalon . C e t t e c o m p a g n i e m è n e depuis des années un véri table apostolat artistique. Soronoume, Aka et Azar présentés dans le cadre du Festival, leurs précédents spectacles, étaient de beaux déambulatoires, avec de grands échassiers aux somptueux costumes orientaux. U.P.H. est un spectacle fixe, cerné par d 'énormes caisses de bois, que les spectateurs sont invités à visiter un par un. On y voit des installations plastiques, tandis que les forces du bien et du mal, mon-tées sur échasses, s'affrontent sur l'aire de j eu centrale. La beauté des images ne com-pense pas la pauvreté de la dramaturgie.

Déception aussi avec la compagnie belge Arsénié et Une Soirée sans histoire : spec-tacle assez pauvre sur le Grand-Guignol, type de la fausse bonne idée.

Aux rencontres organisée à la maison du Festival, la Fédération des arts de la rue a présenté un bilan positif du travail accompli depuis un an pour faire progresser les arts urbains. Trois préoccupations : l 'aide aux compagnies, les lieux de fabrique et la com-mande publique. L'attention portée à ce sec-teur par le ministère de la Culture semble progresser. En affirmant le souci de ne pas opposer ces artistes et ceux qui disposent d 'une bi l le t ter ie , la Fédéra t ion a suivi la répartition des neuf millions de mesures nou-velles par chaque Direction Régionale des Affaires Culturelles, et constaté que plus de huit millions avaient été attribués à ce jour. Deux commiss ions , l 'une sur la f iscalité , l'autre sur les lieux de fabrique, ont entamé une réflexion. Depuis une quinzaine d'an-nées et en dépit des débordements festifs, les grands festivals ont contribué à initier un public. Festivals et artistes sont investis dans des lieux de fabrique, une dizaine en France, autant de relais pour faire avancer les choses. •

Olivier Claude

Treizième édition de Chalon dans la rue, premier abord agréable au sortir du Festival d'Avignon, mais épuisant par son aspect «tonneau des Danaïdes». Dans une ville moyenne libérée des voitures -lacis de rues piétonnes, de places et de parcs : trente spectacles dans le Festival officiel et près de cent-soixante dans le off.

L e paradoxe du festival, c 'est le mouve-ment amorcé depuis quelques années par les grandes compagnies de rue vers un espace clos, limité dans la jauge du public, avec ou sans billetterie : des 26000 couverts qui présentaient Direct, fresque acide sur le piratage d'une chaîne de télévision, en pas-sant par les entresorts forains de Tuchenn et du Grand Guignol , le Zoo T h é â t r e , la compagnie Arsénié, trois compagnies belges, la compagnie A chahuter de Lille, Artonik et le Théâtre du Centaure de Marseille, les Frères Kazamaroffs, jusqu'à Carmen de la compagnie O f f de Tours et aux Petits contes nègres de Royal de Luxe, beaucoup de com-pagnies entendent se protéger des aléas de la circulation urbaine en reconstituant leur espace fermé de représentation.

Quatre heures d'attente pour faire partie des sept cents élus admis sur les gradins à voir la plus mythique des compagnies de rue de retour du Cameroun après la création en Avignon, cela se méritait. Royal, délivré du gigantisme des épopées de La Véritable his-toire de France et du Géant, y retrouve la

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CAOXÍNGJIAN, CONTRE-les "ismes" 7

Cassandre : Dans votre roman La Mon-tagne de l'âme, et dans votre pièce La fuite sur le massacre de Tien An Men, vous réglez vos comptes avec votre pays. Au bord de la vie, écrite (Luis la langue d'exil, ouvre une nou-velle étape en resituant votre écriture dans le contexte occidental. Quel sens prend aujour-d'hui pour vous l'exil ?

Gao Xingjian : Au départ j e l'ai vécu comme le choix en t r e la l iberté d'expression et le retour sous le contrôle d'un pouvoir totali-taire. Il représente pour moi le défi d'un indi-vidu contre un énorme pouvoir, ce qui me fortifie. Il m'a délesté du poids de l'identité collective. L'artiste n'est pas un porte-parole; il doit se débarrasser des identifications cul-turelles. J e revendique mon statut multicul-turel. J e ne me sens pas étranger en France. L e français n'est pas pour moi une langue d'exil. J e l'ai apprise dès l 'enfance. Puis j 'ai travaillé comme traducteur. La littérature fran-çaise était ime sorte de refuge. J 'ai écrit des essais sur Eluard, Aragon, sur le théâtre de l'absurde, le nouveau roman, et j'ai traduit des auteurs français, comme Prévert et Ionesco. Le passage à l'usage actif du français dans mes poèmes, puis dans le théâtre, a é té très sti-mulant.

Y-a-t-il des convergences entre le peintre, l'écrivain et l 'homme de théâtre ?

La peinture crée la vision des choses, l'écri-ture, la parole, ne peuvent que les évoquer. J e 11e me reconnais ni dans l'ait conceptuel, ni dans le réalisme, mais dans une troisième voie entre abstraction et figuration. J e n'abandonne pas la forme mais j e ne la concrétise pas. J e cherche à la nourrir de vie, de sensations, à la rendre sensible. J'essaie de capter qui est produite par l'objet, sa transparence. J'essaie de toucher, aussi bien dans ma peinture que dans mon écriture, ce paysage intérieur de l'existence humaine.

L'art ne peut reproduire le réel. Au théâtre, si on a vraiment touché l 'essence de l'exis-tence, le réel est dans le texte, non dans le jeu. C e qui se passe sur scène est une hypo-thèse de la réalité.

Vous portez un regard critique sur certaines tendances de l'art contempora in en vous situant en dehors de tous les «ismes»....

J e fuis les courants dominants. J e ne pré-tends pas fabriquer une esthétique générale, pour tout le monde, ni pour mie nouvelle ère. J e revendique la créativité individuelle, et j e défends cet te position dans mes essais Une autre esthétique. Sans ismes. Au plus près du réel. En Chine, l'art est soumis au politique, en Occident il subit la pression du marché, de l'argent, des idéologies. J e suis contre l'idéo-logie de la modernité. Au début du XXe siècle

e s u i S m & S ) )

il y a eu une impulsion moderniste dans l'art, aujourd'hui la modernité n'a plus 1? sens de défi ni de force. On renouvelle pour renou-veler. C'est un cliché, une mode, un dogme-idéologique des grandes institutions cultu-relles, qui étouffe la créativité. J e suis contre 1111 théâtre qui sacrifie aux modes et aux cli-chés , contre la d é b a u c h e du d é c o r et la démonstration du pouvoir des metteurs en scène qui fabriquent des images. L'auteur est réduit à un simple «fournisseur de matière». J e ne crois pas que le scénario, le langage du cinéma, soient des issues pour le théâtre. Il faut chercher de nouveaux langages à l'inté-rieur de l'écriture.

Comment vous situez-vous par rapport à l'engagement du théâtre dans l'actualité poli-tique et sociale ?

L'ait est une expression de la conscience humaine, de son existence. La raison d'être du théâtre, c'est qu'il peut toucher l'essentiel des problèmes humains, alors que ni les mass médias ni le cinéma ou la télévision ne peuvent le faire. C'est un lieu privilégié pour un certain public qui cherche à se connaître.

Quels sont les enjeux de votre écriture? C e qui m'intéresse c 'est de chercher des

potentiels, des expressions scéniques. Quand j'écris, j 'imagine l'espace, la mise en scène. A chaque pièce j'essaie d'imprimer une drama-turgie différente qui confroi.te les acteurs à d'autres efforts, à la recherche de nouveaux repères. Pour moi le théâtre est dans le j eu des acteurs, non dans la mise en scène. Il fonc-tionne essentiellement sur la concentration intérieure et le travail sur l'énergie. Mon écri-ture interroge l'existence et tend à intérioriser ces thèmes. Dialoguer/Interloquer, que j e monte en ce moment, pose la question du sujet parlant, de la difficulté de la communi-cation dans le rapport amour-duel, entre homme et femme, et sur le plan de la langue, de la communication avec le public.

À quel les diff icultés de j e u ce t te p ièce confronte-t-elle les acteurs ?

Le festival Auteur en actes. à

l'isle-sur-la Sorgue est à l'écoute

des timbres particuliers que

prend notre langue sous la plume

d'auteurs venus d'ailleurs. J'y ai

rencontré l'écriture de Gao

Xingjian, avec

Dialoguer/Interloquer, dialogue

impossible entre un homme et

une femme qui commence là où

l'amour et la vie s'arrêtent. Ses

tableaux à l'encre, exposés à la

Galerie de la Tour des Cardinaux

à l'Isle sur la Sorgue, éclairent

une démarche en retrait du

tumulte moderniste. Peintre,

romancier, poète, auteur

dramatique et metteur en scène,

Gao Xingjian, né en Chine en

1940, porte un regard sans

concession sur l'art

contemporain. En 1982 il

déclencha dans l'empire

collectiviste chinois une

polémique sur le modernisme et

le réalisme. Signal d'alarme (1982)

marqua le début du théâtre

expérimental, sa deuxième pièce

Arrêt de bus/Ù! interdite. Cible

d'attaques violentes, Gao

Xingjian s'exile en France en

1988. Ses tableaux sont exposés

partout, ses pièces traduites et

jouées dans le monde entier, mais

son œuvre reste interdite en

Chine... La création d'An bord de

la vie en 1993 au Théâtre du

Rond-Point et à Avignon, le

révèle au public français qui a pu

ensuite voir La fuite (1994), puis

L e Somnambule (1999). Le

théâtre de Xingjian est beaucoup

plus joué à l'étranger que dans

son pays d'accueil. Il crée

Dialoguer/Interloquer, en octobre,

au Théâtre Molière-Scène

d'Aquitaine à Bordeaux, puis au

Centre Wallonie - Bruxelles en

et-vient, entre l'acteur qui doit être conscient de son identité d'acteur, et le personnage. C'est 1111 peu comme dans le théâtre Nô. il s'agit non d'incarner le personnage, mais de présenter le rôle au public. Cet état de l'acteur neutre qui n'est ni dans sa vie quotidienne ni clans le rôle, demande une grande souplesse du corps et une grande concentration. La mise en scène doit aider l'acteur à trouver la bonne attitude.

La mise en scène est inscrite dans la dra-maturgie de vos textes. Quel le marge de liberté laissez-vous aux metteurs en scène? Dans chaque pièce il y a une proposition de mise en scène très précise, mais pas d'exi-gences strictes. J e laisse aux metteurs en scène la l iberté de les interpréter. J e m'attache à caler l'image, les rythmes, le mouvement ; ça doit être très visuel. J e n'explique pas le texte aux acteurs: on cherche comment le jouer. Comment le corps peut faire surgir les ten-sions du texte. J'élimine tout ce qui pourrait être d'ordre psychique ou naturaliste. J'aime le jeu des comédiens italiens hérité de la com-media dell 'arte et la rapidité d'esprit qu'il implique. J e demande aux acteurs un jeu très expressif, visuel, toujours dans une tension et qui ne retombe jamais dans une position de repos. L'essence du théâtre, c'est le mouve-ment, la vitalité, l 'action. Dans Dialoguer/ interloquer la circulation de l'énergie, qui peut être parole ou mouvement, se fait comme dans le théâtre Nô. L e mouvement, les gradations de l'énergie, de tension, du duel verbal évo-lutiant jusqu'à la violence de l'acte où les deux personnages se tuent, à pour contrepoint le langage physique du danseur.

Quelle est la fonction du décor dans cette dynamique?

Il n'y a jamais chez moi de décor réaliste. Pas besoin d'une vraie chambre, de chaises ou de table, tout passe dans le jeu des acteurs. S'il n'y a rien sur scène, le jeu doit convaincre le publie qu'on est dans une chambre ou clans un désert. J e fais moi-même les scénographies de mes mises en scène. Dans Dialoguer/lnter-loquer lui bloc de glace et la lumière créent les ambiances. •

Recueillis par Irène Sadowska Guillon

La réfraction du sujet clans le dialogue, sur trois personnes du singulier (je, tu, il), en trois niveaux du discours, crée une distance entre personnage e t acteur, et donne une autre dimension au j e u . E l le engendre une conscience de l'acteur en tant que personne et personnage. La difficulté consiste dans ce va-

Dialoguer/Interloquer est créé par Gao Xingjian. du 15 au 21/10/99. au Théâtre Molière à Bordeaux et en tournée au Théâtre de Bayonne le 21/10/99 et au CDN de Limoges le 9 et 10 /11/99. Du 15 au 19/11/99 clans le cadre du Festival «Métissages» au Centre Wal-lonie- Bruxelles Paris. Les pièces (le Gao Xingjian: La fuite (1992). Au bord de la vie (1993), Le Somnam-bule (1994). Quatre quatuors pour un week-end (1998) sont publiées aux Éditions Lansman. Ses romans et essais sont publiés aux Éd. de l'Aube.

e néophyte débarquant à Avignon le mer-credi 14 juillet, pouvait être stupéfait de la p lé thore d'«ateliers de réflexion» au pro-gramme : un débat tenu par les États Géné-raux de la culture, les Rencontres d'Avignon des socialistes, un débat sur la constitution des réseaux organisé par le Centre National du Théâtre , trois jours de Controverses sur

«Les figures de l'acteur, de la scène à la cité», sans parler des ateliers se penchant sur des points d'esthétiques tel l'écriture théâtrale en Amérique latine. Des salles de conférence du Palais des Papes à l 'Espace Saint-Louis, tous affichaient 1111 programme quasi inin-terrompu jusqu'à la fin du week-end.

Q u e c e t t e profusion témoigne de l 'ur-gence qu'il y a à repenser les arts du spec-tac le , soit . E t il est bon q u e le festival d'Avignon se fasse le relais de cette nécessité.

S DEBATS Pourtant , alors que j e n en étais qu à résoudre ce faux problème du choix rendu nécessaire par ma totale absence d'ubiquité, un doute s'immisça. Cette profusion 11e pose-t-elle pas le problème de la possibilité d'une réflexion à partii" de ces débats ? Tout comme il est devenu impossible de recueillir l 'écho laissé par un spectacle , tant à peine sorti d'une salle on est assailli par la frénésie fes-tivalière, quel temps ce parcours du com-battant laisse-t-il à la maturation des idées ? Quel espace ouvre-t-il pour la mise en dia-

Au vu du nombre de colloques, séminaires et autres débats organisées en Avignon durant le festival, une question se pose : si Avignon n'est pas la capitale du nouveau théâtre, serait-elle devenue celle de la cogitation théâtrale ?

I n t e r n e t : h t t p : / / w w w . l e s - p e t i t s - r u i s s e a u x . c o m / a g i r

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logue avec sa propre expérience des mul-tiples positions soutenues ? Il est à craindre que ce temps de réflexion fasse défaut et q u e de c e t t e mult ipl ic i té ne résul te une absence totale d'efficacité. A moins qu'une s ingul ière force discursive des propos n'oblige à la réaction - situation qui ne serait pas nécessairement souhaitable tant elle s'ac-compagne de risques d'aveuglement. Pour-tant cette crainte devait vite se dissiper - par défaut ! L e temps ne manquerait pas à la réflexion, du fait de la rareté de matériaux à réf léchir . Pour c e que nous avons pu en suivre, Controverses mises à part, nul ne méritait le titre de débat. Loin de donner lieu à la mise en travail d'une multiplicité, Avignon ne devait finalement offrir qu'un simulacre de diversité.

Ainsi du «débat» sur «l 'Europe, les arts et la culture confrontés à un retour de l'AMI au sein de l 'OMC» organisé par les États Généraux de la Culture. Loin de donner lieu à une confrontat ion sur le su jet , c e t t e réimion ne devait réunir à la tribune que M. Jack Ralite. Il est cer tes nécessaire de ne pas s'endormir sur l'ajournement obtenu sur l 'AMI et d 'ê tre a t t e n t i f au ca lendr ier de l 'OMC que la conférence de Seattle déter-minera en novembre. Comme de nombreux exemples nous le rappellent, il y a d'autant plus danger q u e la C o m m u n a u t é Euro-péenne parlera d'ime seule voix au nom des nations membres. Une simple mise en garde suffit-elle ? Peut-on se contenter d'un dis-cours érudit jonglant avec de longues cita-tions? E t celles-ci ne conduisent-elles pas à un flou artistique, comme le suggère l'utili-sation du c o n c e p t de «nouage» d e r r i è re lequel il faudrait voir un «travail avec des experts du quotidien» (sic) ? Il a bien fallu s'en satisfaire. Nulle proposition pratique, sinon un projet de «code de la route de l'ima-ginaire» qui aurait mérité un développement plus ample et moins métaphysique pour ne pas appara î t re c o m m e une lo intaine e t fumeuse déclaration d'intention. Point de débats, sinon quelques questions vite éva-cuées avant de passer au buffet.

Cette réunion avait le mérite de tirer la sonnette d'alarme sur un sujet brûlant, tel ne fut pas le cas des 19e Rencontres Culturelles d'Avignon. Cloîtrés durant deux jours, en

XVe Festival de Théâtre Européen de Grenoble

Européen sans être eurocentrique le XVe Festival de Théâtre Européen de Grenoble a accueilli des compagnies de France, d'Angleterre, de Belgique, d'Espagne, d'Italie, de Tchéquie, de Russie, mais aussi de Sibérie, du Québec et de Bolivie. 22 spectacles dans le In, dont 7 «premières» en France et 5 spectacles de rue, plus une quinzaine de spectacles Off. Sa programmation 99 s'est ouverte au théâtre de texte, aux arts de la rue et propose la découverte d'un «autre» théâtre, qui s'invente avec des populations dîtes «exclues».

séminaire fermé, des élus socialistes plan-chèrent sur les questions artistiques et cul-turelles, avant d'ouvrir les portes au public le vendredi après-midi pour un débat sur « l 'Europe e t la cul ture : quel le pol i t ique pour l 'Union européenne ?» Cet t e séance aurait pu rester privée tant elle fut plate. Car ici on ne débattait pas, au mieux on se débattai t . Cather ine Lalumière , députée européenne, expliqua l'inexistence de toute pol i t ique cu l ture l le e u r o p é e n n e en se défaussant sur les institutions communau-taires et alla jusqu'à soutenir que la diversité culturelle implique nécessairement une libé-ralisation du marché !

Rien ne semblait devoir déranger la som-nolence d'une assistance de plus en plus clairsemée. Pas m ê m e ce coup de théâtre où l'on annonça fièrement à Bernard Faivre d'Arcier que la Commission lui avait accordé une subv ention pour le programme Theo-rème qu'il était précisément en train de pré-senter . T h o m a s O s t e r m e i e r , invité de dernière minute, ne sachant que faire de ses mains, portait régulièrement sur l'as-semblée un regard traduisant un sentiment mêlé de gêne e t de dépit. On lui passa la parole : il bredouilla quelques mots avant de s'en débarrasser et s'éclipsa rapidement !

Les trois jours de Controverses organi-sées par Avignon-Public-Off échappèrent à cette débâcle. C e n'était pourtant pas gagné d'avance ! La consultation de leur site inter-net avait de quoi laisser dubitatif. S'il nous invitait à réagir par la rédaction de textes -invitation sempi ten ie l l ement ré i térée au cours des débats - s'y égrenait une longue litanie de questions sans autre lien entre elles que «l 'acteur». L e sceptic isme était d'autant plus de mise que la salle de la Panè-terie offrait un confort plus propice aux acti-vités de salon qu'à une véritable dynamique intellectuelle. Au coure de la première mati-née , il devait m ê m e se t r a n s f o r m e r en inquiétude sur la suite possible. Après une ouverture cérémonieuse, la première table ronde devait se perdre sur la question : D e quoi est fait l'art et le travail de l 'acteur ? Philippe Avron s'engagea dans une évoca-tion de l'insaisissabilité et de l'imprévisibilité du comédien. La part belle faite à l 'Instant, pouvait alors se développer une théologie négative dont il ressortit que le «projet du

L a XV4 m c édition du Festival interroge la fonction du théâtre face aux mutations socio-économiques et à la fracture entre le modèle culturel dominant et les formes marginali-sées. Alo Europa, de la compagnie basque Markeline donne une vision de la contra-diction entre le mirage d'une Europe pros-père et la réalité de la misère qu'elle réserve aux immigrés. Migrant, pièce pour trois dan-seurs - acteurs de la compagnie Osmosis, explore les t r a n s h u m a n c es humaines en Europe. A coups de scies circulaires et de fûts martelés, Espèce H de Metalovoice livre un c o m b a t inégal c o n t r e le m o n d e qui exploite, exclut, et saccage l'environnement.

Avec Europa de René Kalisky, la destruc-tion d'une certaine Europe prend la forme d'un requiem carnavalesque, d 'une partie d 'échecs , d'un af frontement mortel entre deux êtres, j eu pervers de ruses et de séduc-tion. Le thème du diable renvoie aux démons qui hantent l 'Europe. Dans une délirante adaptation du Maître et Marguerite de Boul-

comédien» ne pouvait être que «soi». Certes, un soi «transposé», «projeté», mais soi tout de m ê m e ! Ma stupéfaction se transforma en effarement en voyant reprendre en chœur cette position insupportablement narcissique. Le comble fut atteint lorsque Michaël Lons-dale mit la figure de la folie sur la table : autant parler directement du «génie», vieil épouvantail avec lequel on pouvait espérer en avoir fini. F i n a l e m e n t resté dans la salle, Bakary Sangaré introduisit alors le travail de l 'acteur dans un processus de confrontation dynamique avec des textes. Cela aurait du ramener ce petit monde sur terre. Il n'en fut rien ! Plus que d'humanité, c 'est d'un élec-trochoc qu'avait besoin l 'assemblée. L e tact et la simplicité avec lesquels ce comédien s'était exprimé avait rendu son propos inau-dible, comme en témoigne l'intervention de Brigitte Fossey qui «adhérait à tout ce qui venait d'être dit» ! Il fallut attendre une réac-tion de la salle pour que soit pointée cet te a tmosphère ecclésiale , «en grève de l 'his-toire» et que la secousse se produise. Trop tard.

Après un cour t i n t e r m è d e au salon, le deuxième acte pouvait commencer . Tandis qu'à la tribune Bruno Boussagol introduisait la séance en une subtile évocation de l 'héri-tage de Vilar, les regards étaient captés par la présence magnétique d'un personnage plein d'assurance qui, trônant seul à la table des débats, contemplait l 'assemblée avec un faux air de garnement préparant un coup. S'ins-tallant dans une posture professorale que la bonhomie du ton ne parvenait pas à démen-tir, Daniel Sibony balaya les premières inter-ventions e t le sujet de la discussion - aux origines, sacré ou sacrilège ? - d'un revers de manche . L e génie de l 'acteur ? Ni plus ni moins que ce qui fonctionne avec «le narcis-sisme du public» ! S'ensuivit une anecdote : quelqu'un lui avait rapporté qu'il n'avait plus rien à donner et que cela le désespérait. Il ne restait qu'un pas à franchir pour reproduire la geste heideggerienne, installer l 'assem-blée dans le néant et l'en sortir d'un mouve-ment de royale générosité. Cet te situation radicale du «rien à donner» nous révélerait que, quelle que soit la situation, elle reste toujours jouable. Dès lors l 'acteur pouvait-il être sauvé et acquérir le statut privilégié de «martyr» de cet te jouabilité résidant en

gakov par les anglais du Kaos Theatre , le diable, ne trouvant plus d'emploi dans une société matérialiste, sème la pagaille. Dans Baal de Brecht, dont Patrick Verschueren et le Théâtre Ephéméride donnent une vision limpide, la bête immonde s'incarne dans les passions ef frénées de Baal. Dans Ubu en Bolivie, de César Brie et du Teatro de los Andes ,Ubu, figure emblématique de l'op-pression sanglante, emprunte les traits des tyrans sud-américains. Un diable omnipré-sent dans la course au profit, la corruption, et dans le système mafieux auxquel fait allu-sion le spec tac l e du Novosibirsk Youth Theatre, adapté d'Une place au soleil d'Os-trovski. L e démon de l'exclusion menace les minorités que notre société re jette à la marge. L e théâtre peut-il l 'exorciser?

En quoi ce travail avec des populations marginalisées est-il utile, se demanda le Forum ? Que cherchent les artistes dans la rencontre avec ces «autres» ? Quelles expres-sions ar t is t iques s ' é l a b o r e n t dans c e s

toute circonstance. N'y a-t-il pas quelque c h o s e d ' é t o n n a n t - p o u r n e pas dire d e comique - à voir un psychanalyste prendre pied dans l'ontologie («l 'Etre est un être en jeu») jusqu'à formuler un impératif catégo-rique : «Tu es encore plus jouable que cela»? Sibony ne nous aurait-il pas j o u é «la jouabi-lité de la situation»? La salle fut médusée par ces lointaines considérations et, malgré quelques timides questions, le débat ne prit pas.

C e n'est que dans l'après-midi, invitée à r é f l é c h i r sur le t h è m e d e l ' a c teu r et le c i toyen , q u e J a c q u e l i n e C o s t a - L a s c o u x , juriste et chercheur en sciences politiques, devait enf in passer d e l 'autre c ô t é de la rampe. D'emblée au cœur du sujet, elle rap-pela que notre citoyenneté était tout sim-plement galvaudée : «On nous fait le coup de la proximité et de la confusion des rôles et c 'est ant i -démocrat ique !» E l l e dénonçai t d'un seul mouvement l 'absence de défini-tion des institutions et la dépendance à une reconnaissance institutionnelle.

F a c e à ces éléments qui nous dérespon-sabilisent, Jacquel ine Costa-Lascoux invi-tait à sortir du consensus pour reprendre l'initiative de la parole, reconsidérer notre histoire collective et nous engager à d'in-dispensables distinctions conceptuelles. Son intervention pouvait paraître brouillonne, mais elle s'élançait dans l'urgence. Un jeune acteur réagit d'ailleurs avec une violence frisant l'hystérie à ces propos. . . Après cette forte intervention, le débat s'engagea pen-dant deux jours ponctués de moments de réflexion ou d'effervescence dont vous trou-verez la trace conservée dans les actes des Controverses, consultables au bureau d'Avi-gnon-Public-Off. •

Gilles Bastogy

1 Www.lafriche.org/manifeste. et également www.avignon-off.org 2 Déjà consultables sur interne!, ces textes seront repris dans la publication de Manifeste pour un temps présent II. il paraître en décembre 1999. 3 Avignon-Public-Off. 105, Boulevard Voltaire. 75 011 Paris. Tel : 01 48 05 01 19.

échanges ? L e pari était d'ouvrir c e débat au-delà du cercle de spécialistes, en propo-sant au public cinq spectacles de compagnies françaises et étrangères. Parmi ceux-là, l'ex-cellent Un riche trois pauvres de Calaferte du Théâtre de Cristal d'Olivier Couder et Caprichos, h o m m a g e à Goya du Studio Marta de Tchéquie, groupe d'acteurs dan-seurs sourds-muets. L e Quatre à quatre de Michel Garneau fut servi avec simplicité par la mise en scène de Michel Bruzat qui donne toute la saveur de la langue de Garneau ; enfin dans la catégorie «théâtre du mouve-ment» Meli Melo de Chicos Mambo Show de Catalogne, deux comédiens, clowns et danseurs, virtuoses ; et une découverte : l'in-solite Berthrand's Totjs de Blacksky White, un théâtre moscovite qui fera parler de lui. •

Irène Sadowska Guillon

Europe, démons et marges XVe Festival de Théâtre Européen de Grenoble

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Surprise, émotion: la 51ème édition du Festival d'Aix-en-Provence, tout en revenant à ses origines avec Mozart selon Stéphane Braunschweig, impose deux lectures dramaturgiques innovantes de Monteverdi, l'inventeur du théâtre musical.

THÉÂTRALES à Aix

I l y a un an, le feu d'artifice (arrogant, snob) du cinquantième Festival ne le laissait pas imaginer : désormais, le Festival d'Aix-en-Provence renoue avec l'esprit de ses débuts ! Tout en affirmant la présence de la mise en scène la plus contemporaine.

A la source d'Aix («ville des eaux»), il y avait la rencontre entre un lieu magique et des voix fraîches, entre la beauté de la nuit et la jeunesse des talents. Il y a cinquante ans, les opéras aixois mélangeaient les mondains et les étudiants, les oisifs et les apprentis-mus ic iens ; e n s u i t e , l 'argent sépara les publics. Mais à notre grande surprise, la nou-velle Académie pédagogique du Festival les réunit à nouveau grâce à son premier «vrai grand spectacle» dans un nouveau lieu : le Gra nd-Sa in t - J e a n . A une dizaine de kilo-mètres du centre d'Aix, le fier domaine du Grand-Saint-Jean est une ancienne propriété de la noblesse parlementaire, léguée à la ville au d é b u t du s ièc le . . . D é s o r m a i s , on n 'y célèbre plus les mariages bourgeois, mais les noces du chant et de la nuit.

L'œuvre choisie pour inaugurer la formule a de quoi désarmer la critique, grâce à son «esprit d 'enfance» : La Flûte enchantée de Mozart. Après plus d'un an de travail et de recherches en Académie, le spectacle mis en scène par Stéphane Braunschweig est une merveille d'intelligente simplicité. Dans ce c o n t e x t e , m ê m e la fragi l i té d e q u e l q u e s solistes et de l 'orchestre renforce l 'émotion.

La nuit, les arbres, le vieux toit de la bas-tide, apportent l eur concours à une be l l e épure scénographique, qui j o u e seulement avec les dessous de la scène (personnages et accessoires apparaissent par des trappes) et avec un ingénieux circuit vidéo : six colonnes d e sept té léviseurs font évoluer un d é c o r tout e n suggest ion ! L ' idée d e départ est géniale : la composite fantasmagorie du livret reflète le rêve d'un jeune dormeur qui s'agite dans son l i t : T a m i n o . M ê m e c h o s e p o u r Pamina, fiévreuse adolescente. . . Et l 'aven-ture les réunira dans le m ê m e ht (sans que cette allégorie de l 'adolescence sexuelle soit entachée de la moindre vulgarité).

Laetitia Casta doublée par Madonna?

J e m e demande si j 'ai dé jà autant a imé une Flûte enchantée dans une salle d'opéra «normale» . . . E t r u i n e u s e ! C a r au pe t i t théâtre du Grand-Saint-Jean, les places les plus chères coûtent 3 5 0 Frs (et celles à 150 Fr. sont peut-être les meilleures). Au théâtre d e l 'Archevêché, le prix d e r é f é r e n c e des places est 1200 frs ! J 'ai déjà (cf. Cassandre Hors-série n°2, «Théâtre et opéra, un conflit nécessaire») dénoncé l'institution d'iui «Fes-tival à deux vitesses». Aujourd'hui, j e nuance mon j u g e m e n t : e n t r e une Belle Hélène moche et kitsch à 1200 frs et une Flûte ado-rable, vraiment enchantée à 2 0 0 balles, choi-sissez l 'économie !

La prétentieuse déconstruction de la Belle Hélène d 'Offenbach à 1200 frs la place, c'est vra iment cher . . . T r i o m p h e de la d é p e n s e propre au théâtre bourgeois ? M ê m e pas... Pour ce prix-là, l 'ironie al lemande du met-teur en scène ne suffit pas ! Cela fait cher le «label culturel Arte». Pour ce prix, on aurait pu se payer un orchestre qui aurait respecté la partition originale, et non cette inepte ver-

sion de chambre, indigne d'un cabaret ber-linois ! Pour ce prix-là, on aurait pu exiger une vraiment-belle Hélène, au moins Laeti-tia Casta doublée par Madonna. . . on aurait pu aller jusqu'au bout du propos, cynique-ment, jusqu'au très mauvais goût, jusqu'à la provocation de l 'argent par l'argent... Mais Herbert Wernicke n'est pas Gombrowicz -ce n'est qu'un vertueux met teur en scène allemand, dont l ' ironie ne dépasse pas les limites du polit iquement correct .

Un « m e t t e u r e n s c è n e a l l e m a n d à la mode» chasse l'autre, et Klaus Michael Grii-ber traduit le cynisme paillard du Couron-nement de Poppée dans une sublime épure mélancolique.

Poppée, fantôme du désir

Monteverdi n'a pas inventé l 'opéra, il a fait mieux : il y a quatre siècles, de Mantoue à Venise, le génial Claudio expérimenta la plupart des formes du «théâtre musical» que notre siècle de mise en scène fait (re)vivre. Avec Ingrid von Wantoch Rekowski et Klaus Michael Griiber, le 51 m e Festival d'Aix-en-Provence prend le risque intelligent de rap-p e l e r au publ i c m o d e r n e q u e p o u r les anciens spectateurs de Monteverdi, tout était e n c o r e possible.. . Où est donc le scandale dont la grande presse s'est fait complaisam-ment l 'écho ?

Le Couronnement de Poppée ( 1 6 4 2 ) , modèle de l 'opéra vénitien en rupture avec l'idéalisme d'Orphée (1607) , suscite l'imagi-nation kitsch des metteurs en scène depuis 5 0 ans... D u «peplum» avec seins nus aux jeux pervers de la Cour baroque, les voyeurs monteverdiens ont dé jà suq j r i s Néron et Poppée s'adonnant à toutes les perversions! E t dans tous les costumes, antiques, XVII siècle et d'aujourd'hui. Dans ce contexte sur-c h a r g é , l ' é p u r e d r a m a t u r g i q u e de Klaus Michael Griiber, discutable - elle oublie cer-taines dimensions du che f -d 'œuvre -, est nécessa i re pour le d é b a r r a s s er des idées reçues.

D e s c l i c h é s , il en res te : les soldats romains, inutilement burlesques, sortent tout droit d 'Astér ix ; Néron ( t rép idante Anne S o p h i e von O t t e r ) n 'es t e n c o r e qu 'un méchant gamin ; l ' impératrice Octavie (bou-leversante Lorraine Hunt) est vêtue de noir comme une veuve, comm e toujours... Mais dès qu'apparaît la séductrice, la Poppée de l 'absolument bel le Mireil le Delunsch , les images traditionnelles de son Couronnement volent en éclats !

L e bras droit flottant comme un drapeau, la silhouette blanche de Poppée traverse len-tement la scène, telle une apparition... Un fantôme ? Poppée, figure vide, forme de tout désir, n'existe qu'à travers les intentions d'un Néron qui détruit plus vite les visages et les corps qu'il ne les caresse. Instruments de son désir obsessionnel, ce sont les mots qui inventent Poppée pour Néron - et seul son chant accrédite sa présence.

Suppor t d e q u e l q u e s pas de danse , la musique seule donne du corps aux person-nages, tous renvoyés à l eur soli tude phy-sique... E t ce n'est pas la version orchestrale archi-dépouillée, supervisée (plus que diri-gée) par Mare Minkowski, qui pourrait leur donner plus d'épaisseur. C o m m e si la nou-velle théâtralité vénitienne perdait ses droits au profit de l 'ancien madrigal ferrarais.

Ce t te lecture proprement «spectrale» de

l 'opéra de Monteverdi souligne le gén ie musical de certaines scènes, auparavant trai-tées avec emphase ou ironie. Par exemple, la scène du suicide de Sénèque (Denis Sedov) est inoubliable : quand il chante son air pre-nant à témoin ses «Amici», le philosophe est aussi seul que Jésus au Mont des Oli-viers... Nous sommes dans le Jardin d'Epi-cure. Ses trois disciples lui répondent de très loin, et lentement, ombres qui se glis-sent parmi les arbres fruitiers, les trois voix d'un sublime madrigal chantent la peur de la mort et l 'amour de la vie. Alors l'écrivain épicurien, grand et beau j eune homme qui n'a plus rien à voir avec le vieux barbu de la tradition, range sere inemen t son bureau avant de mourir au milieu des plaisirs de la vie. I l sera i t plus j u s t e d e soul igner le cynisme du livret, la creuse prétention du c u r é S é n è q u e , la pol t roner ie de ses é tu-diants... Dans le jardin de Poppée, les mots du désir dansent entre des corps qui ne se touchent jamais et croient se posséder. Mais la dignité que Gri iber accorde à Sénèque est alors évidente : le philosophe est la seule ombre qui sait jouir des beautés de son jar-din de voix, parce qu'elle consent à son effa-cement . C o m m e si à travers la musique, le temps n'existait pas.

Pour Ingrid V.W.R.

Contraste total : la sérénité ne règne pas dans le j a r d i n où se t i e n t le Banquet

furieux (Cena furiosa) q u i r é u n i t l e s e x c e l l e n t s c h a n t e u r s m o n t é v e r d i e n s p r é p a r é s p a r Yvo n R e p é r a n t e t l e s i n q u i é t a n t s a c t e u r s c o n d i t i o n n é s p a r I n g r i d von W a n t o c h R e k o w s k i . L'ambiance est au scandale (qu'on croyait disparu, impossible à la fin du siècle des avant-gardes).

«Homard m'a tué !» murmure dans mon dos un cr i t ique finaud à son voisin, qui s ' é t r a n g l e d e r i r e . . . Il est f a c i l e d e se moquer des crustacés en plastique rouge qui prolifèrent sur scène ! Plus révélateur est le malaise prenant certains spectateurs q u a n d le s i l e n c e e t la p a n t o m i m e s e p r o l o n g e n t e n t r e l e s m a d r i g a u x . . . « M u s i q u e , mus iqu e !» cr ient - i l s c o m m e des drogués; ils ont peur du manque.. . de divertissement ; ils ne supportent pas trois m i n u t e s d ' a t t e n t e , un m o m e n t d e c o n t e m p l a t i o n (le s p e c t a c le ne dépasse g u è r e une h e u r e e t quart) . Pourtant , la nuit aixoise est belle, la cour arborée de l 'Hôte l Maynier d ' O p p è d e est digne de recevo i r l ' o m b r e de S é n è q u e , tout ce la i n v i t e à la f a n t a i s i e , à l ' a v e n t u r e , au questionnement.

Ingrid von W a n t o c h Rekowski m e t le doigt là où ça fait mal : sur la gigantesque névrose de l'esprit baroque naissant ! Certes, c 'est inconfortable, pas très «joli»... Mais dans des madrigaux torturés par une sen-sualité ambiguë - ils sont à la fois «amou-reux» et «guerriers» - c 'est Monteverdi qui tord la forme musicale - et les corps des chanteurs ! Ingrid V.W.R. n'a plus qu'à tra-duire la dimension d'hystérie po l i cée de ce t te musique. «Banquet furieux» : les pas-sions de l'Arioste et du Tasse contredisent la raison d e P la ton , c o m m e la d é m e s u r e baroque rompt l'équilibre de la Renaissance.

Cet te «grande bouffe» musicale déploie une profuse allégorie des cinq sens, telle que la peinture baroque, ivre de «vanités»,

aimait à la représenter dans le bric-à-brac de l 'atelier du peintre. Mais ce tableau de Vélasquez est filmé par Bunuel : les manies sophist iquées des convives virent aux tics obsess ionnels , aux ré f lexes animaux ! Léchant , caressant, reniflant, suçant, scru-tant, animés par une gestuelle dépravée, les pr inces délicats ne sont plus q u e de per-verses marionnettes . . . Anamorphose d'un noble banquet, cet te vision de l'orgie esthé-tique baroque, est plus juste que les «jolies baroqueries mode», façon Farinell i . L'âge baroque fut une époque terrible, excessive, qui r e f l è t e not re i n h u m a n i té m o d e r n e . . . Autour de 1600, le rêve humaniste tourne au cauchemar : le Cabinet de Curiosité de la Renaissance est plein, il déborde de tous côtés, la science et l'art perdent la mesure de l 'homme et produisent des monstres !

Que faire quand l'espace de la représen-tation est saturé de signes e t d 'ob jets , de gestes et de corps ? C'est la séquence finale, génia le , du spectac le d ' Ingr id V.W.R. : le cé lèbre Combat de Tancrède et Clorinde. Les autres metteurs en scène se contentent d ' e x h i b e r des chant e u r s avec des é p é e s , quands ils ne chorégraphient pas la lutte... La j eune Ingrid V.W.R. est la première à trai-ter tel quel le «genre représentatif» conçu par Monteverdi pour le concert (et non pour la scène) . Chanteurs et comédiens repré-sentent eux-mêmes leur public. L e combat physique des deux amants se joue sur onze visages, qui semblent suivre avec attention un spectacle hors de notre portée, dans l'ima-ginaire musical.

Dans le clair-obscur de la nuit d'été, ce magnifique portrait de groupe - tableau de regards mêlés - fait vivre idéalement les voix. Il traduit la formule minimaliste de Jean-Marie Villégier au sujet de sa mise en scène d'Atys : «Ce ne sont pas les spectateurs qui doivent avoir quelque chose à voir, ce sont les acteurs. Si les acteurs ont une vision, ils la transmettront à la salle.»

Christie en danger d'infériorité dramaturgique

En juillet 2000, Monteverdi reviendra en Aix a v e c deux s p e c t a c l e s : la repr i se du Couronnement de Poppée selon Griiber, et la création du Retour d'Ulysse par William Christ ie e t les Arts Florissants . . . Mais la mise en scène d'Adrian Noble, metteur en scène anglais très académique, pilier de la Royal Shakespeare Company, sera-t-elle à la h a u t e u r du p r e s t i g i e u x c o n t e x t e d r a m a t u r g i q u e du festival ? C a r l ' a u t r e composi teur à l 'honneur en 2 0 0 0 sera le passionnant Leos J a n a c e k . L e s mises en s c è n e s e r o n t s i g n é e s C l a u d e R é g y e t S t é p h a n e B r a u n s c h w e i g , qui o n t c e r t a i n e m e n t b e a u c o u p à d i r e sur Le Journal d'un disparu e t L'Affaire Mahropoulos !

En faveur de Janacek, on dirait que Sté-phane Lissner se décide enfin à choisir des metteurs en scène dont le style, a priori, cor-respond aux œuvres... Et la Poppée de Gru-b e r est une réussite. L e vieux théâtre de Noble risque de paraître ringard entre les stimulantes propositions de Gruber, Braun-schweig et Régy. Dans de telles conditions d ' infér ior i té dramaturgique , le re tour de Chr is t ie en Aix s 'e f fec tuera- t - i l dans des conditions dignes des Arts Florissants ? •

Christophe Deshoulières

• AIX-EN-PROVENCE : 51° Festival d'Art Lyrique, juillet 1999. A l'affiche : Monteverdi (Couronnement de Poppée, Cena Furiosa). Mozart (La Flute enchan-tée), Offenbach (La Belle Hélène). - Prochaine édition en juillet 2000 (Monteverdi, Janacek). Hens : 04 42 17 34 (K). Ou auprès du Fes-tival d'Art Lyrique. Pillais de l'Ancien Archevêché. 13100 Aix-en-Provence.

Internet : http://www.imaginet.fr-/cassan

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Partis pris

A n t o i n e Vitez, revisité dans ce même théâtre de Chaillot qu'il aima, à travers ces conversations tirées des entretiens qu'il eut avec Emile Copfermann, intitulés De Chaillot à Chaillot et publiés en 19901. Daniel Soulier et Jean-Claude Durand, son ancien et magnifique Don Juan se sont atte-lés à la tâche, aidés par Jeanne, la fille d'An-toine.

Intelligemment, les deux complices ne sont pas tombés dans l'hagiographie ou la complaisance. On retrouve Antoine sous les traits de Durand qui lui ressemble physi-quement un peu. Daniel Soulier, lui, joue si l'on peut dire, le personnage d'Emile Cop-fermann décédé au printemps dernier. Il y a dans cette petite heure et demie, au-delà du plaisir de retrouver la parole et les paradoxes d'Antoine, une leçon d'histoire du théâtre contemporain. Durand/Vitez dit très bien le dégoût et le plaisir mélangé de lire des publi-cités radiophoniques : «Un acteur doit s'ac-

crocher à toutes les aspérités du métier». Leçon d'humilité pour de jeunes acteurs, qui, encore au Conservatoire, exigent de ne pas jouer dans de trop petites villes...

Vitez est là tout entier avec son intelli-gence de la langue française, son athéisme et sa fascination pour l'Ancien et le Nouveau Testaments, l'importance qu'il accordait au jeu de l'acteur et à la notion de théâtre non réaliste, sa passion pour l'enseignement au Conservatoire où il avait vainement tenté d'entrer comme élève, sa reconnaissance envers Tania Balachova, la culture et l'intel-ligence nécessaires à l'acteur, son attache-ment au Parti Communiste et sa décision politique de le quitter... Dans la petite cour du Ivcée Saint-Joseph à Avignon où a été créé le spectacle, il y a eu tout d'un coup une sorte de miracle. •

Philippe du Vignal

Chaillot. du 23 20 h 3 0 du mai ÎO octobre à 15 h. 1. Editions P.O.L 196

•a repris au Théâtre Natío ptembre au 16 octobre. s< Í au samedi, matinée le din

Il s 'agira bien de cu l ture puisque nous voudr ions semer 32 artistes ou groupes d'artistes (musiciens, plasticiens, danseurs, écr iva ins , gens de théâ t re , chan teurs , poètes , v idéastes , cinéastes, photographes, graphiastes, architectes, conteurs...) dans les terres fert i les de 32 de nos plus petits vil lages. Des semai l les associant art et t e r r i t o i r e qu i pou r r a i en t laisser présager de belles récoltes communes et envisager d 'autres modalités de communicat ion et de création.

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Tambours sur la digue est une «pièce ancienne pour marionnettes jouée par des acteurs», imaginée par Cixous à partir des inondations dévastatrices survenues en Chine pendant l'été 1998. La totalité de l'équipe, une cinquantaine de participants, a voyagé un mois en Extrême-Orient, «le pays de l'acteur». «L'art de l'acteur consiste à transformer les maladies de l'âme - les passions - en symptômes physiques. L'ac-teur oriental a mis trois mille ans à cher-cher cela. Et il a des codes. Ce ne sont pas ces codes qui nous intéressent, la plupart

ne sont pas traduisibles, mais les symptômes mis en forme sont universels», déclarait Ariane Mnouchkine1.

Cette exploration a ramené le Théâtre du Soleil à une source ancienne découverte avec la scène des États Généraux clans 1789, celle de la marionnette. Chaque personnage s'incarne dans une marionnette vivante manipulée avec une précision diabolique par deux serviteurs de scène masqués de noir. Le seigneur Khang, vieil homme sage au pouvoir depuis de longues années, se laisse circonvenir par son neveu Hun qui

décime les forêts bordant le fleuve mal pro-tégé par de fragiles digues surveillées du haut de la montagne par une armée de tam-bours. Mille ans auparavant, une crue dévas-tatrice provoquée par la rupture délibérée d'une digue anéantit des centaines de pay-sans vivant dans la plaine, pour sauver la vie des citadins. Furieux cle ce désastre, les pay-sans se vengent en massacrant la ville. L'his-toire ne se répétant pas, Hun ne réussira pas à noyer la campagne pour préserver la ville.

Malgré quelques tunnels, le spectacle est d'une vraie beauté : splendeur des costumes orientaux et des soies peintes qui tombent, précision extrême des gestes des acteurs décomposés à l'infini, effets surprenant des sauts dans l'espace, beauté cle la musique surgie de centaines d'instruments. Hélène Cixous a remis cent fois le fer à l'ouvrage et réécrit son texte jusqu'à la veille de la créa-tion, en symbiose avec les comédiens. •

Olivier Claude

1. Le Monde du 8 septembre 1999. Tambours sur la digue. Cartoucherie de Vincennes. Les mercredis, jeudis, vendredis, samedis à 19 h 30 et dimanches à 13 h. Tél : 01 43 74 24 08.

Tambours ; Ariaue Mnoueb Vingt-cinquième spectacle du Théâtre du Soleil, Tambours sur la digue créé le 10 septembre 1999 à la Cartoucherie de Vincennes est sans doute le plus beau d'une compagnie qui n'a jamais transigé sur ses principes de travail : un lieu, la Cartoucherie de Vincennes investi depuis 1971, sans cesse réinventé, un collectif en perpétuelle remise en question autour d'Ariane Mnouchkine : Guy-Claude François pour l'espace, Ehrard Stiefel pour les masques, Jean-François Lemettre pour la musique, Hélène Cixous pour le texte. Et, exception rarissime, des temps de répétitions très longs, allant de plusieurs mois à une année.

Page 17: BIÉÉM v/^horschamp.info/numeroscassandre/Cassandre31.pdf · 2015. 7. 16. · V u de face ' '¿ 'M conversations qui compte che . un auteur ce sont ses œuvres, dans lesquelles la

Montant le texte de

Nicolaï Gogol, dans line

atmosphère de

cauchemar grotesque,

Matthias Langhoff donne

une vision hallucinée de

la bureaucratie russe.

Un chef-d'œuvre.

J e ne sais plus qui disait, il y a quelques années , qu'avant d 'être communistes , les soviét iques é ta ient Russes . D e la m ê m e façon, on pourrait dire qu'avant d'être sta-l i n i e n n e , la b u r e a u c r a t i e fut tsar is te . Antoine Vitez, qui monta Le Revizor en 1980, notait que «Gogol, en 1836, pour la p r e m i è r e fois dans l 'h is toire du t h é â t r e européen, faisait de la bureaucratie le per-sonnage principal d'une comédie. Et elle demeure aussi intacte, telle qu'il l'a peinte.» C'était avant l 'effondrement du bloc sovié-tique. Matthias Langhoff vient après, alors que la corruption bat son plein à Moscou et ailleurs, et que l 'effondrement du pouvoir central laisse le champ libre aux potentats des anciennes provinces. Il a fait peindre dans le ciel du fond de scène une fresque r e p r é s e n t a n t Le Jugement Dernier de Michel-Ange. Jean-Marc Stehlé, qui incarne le bourgmestre, prête son \isage au Damné dont la pièce raconte la chute, celle de tout un système.

D e ce t te satire de la gabegie adminis-trative, on connaît l'histoire, inspirée d'un fait réel : dans une ville de province où il fait une e s c a l e f o r c é e , d e v a n c é par la rumeur de l'arrivée incognito d'un inspec-teur général de l'administration, un j eune j o u e u r désargenté est pris malgré lui pour celui qu 'on r e d o u t e . S e piquant au j e u , chance pour lui de régler ses dettes et de manger à sa faim, Khlestakov profite des largesses de toutes les autorités de la ville qui c h e r c h e n t à se conc i l i e r ses b o n n e s grâces, séduit la femme et la fille du bourg-mestre qui se voit déjà promu général, puis disparaît opportunément avant la venue du véritable revizor. C'est sur ce principe émi-nemment théâtral du faux révélant le vrai, q u e Gogol a construi t sa farce noire : la méprise aura fait éclater au grand jour les malversations, vices cachés , pots-de-vin, que chacun connaissait en feignant de n'en rien savoir, dans le j eu subtil et tamisé de l'échange d'intérêts bien compris. Elle aura surtout révélé l'incurie de tous les notables, juges, professeurs, médecins, directeurs des postes... et l'incroyable vulgarité du bourg-mestre et de sa petite famille qui n'a d'égale que leur mégalomanie. Au terme du qui-proquo, la comédie de l 'honneur en a mon-tré l ' imposture, et la pyramide du pouvoir s 'écroule. L e rire devient rictus lorsque le bourgmestre, humilié, se tourne rageuse-ment vers nous : « D e quoi riez-vous ? C'est de vous-mêmes que vous riez!» Gogol avait écrit en épigraphe la phrase suivante, que Langhoff fait projeter sur le rideau de fer à la reprise d e l 'entracte : «N'accuse pas le miroir si ta gueule est tordue.» Rappel de la fonction crit ique de la comédie. Manière de dire , aussi, qu'on a le g o u v e r n e m e n t qu'on mérite. Balayons donc devant notre porte : s'il y a bien un système bureaucra-tique, les ramifications voire les tentacules d'un pouvoir plus ou moins mafieux ne sont pas l'apanage du seul appareil d 'État .

C'est cette machine bureaucratique, avec ses étages de corruptions diverses enchâs-sées les unes dans les autres, que donne à

les Rats voir LangholT. Mariage du constructivisme et du travail de Meyerhold, le dispositif scé-n ique s ' inspire d'un monument conçu en 1919 par l 'architecte russe Tatline en l'hon-neur de la Révolution : La Tour. Cette œuvre métallique, qui devait abriter les organes du nouveau pouvoir soviétique, ne vit jamais le jour , mais une m a q u e t t e d e q u e l q u e six mètres de haut en a é té reconst i tuée . En forme de double spirale, cet te s t incture se composait de volumes superposés tournant autour d'un axe diagonal suivant des rythmes différents. L 'ensemble devait se présenter comme un symbole de dynamisme et d'éner-gie révolutionnaire. C e que les difficultés de l 'époque ont empêché de réaliser, Lan-ghoff et les techniciens de l'Atelier Prosce-nium de Rennes l'ont réalisé sur le plateau. On pouvait c ra indre , c o m m e p o u r les Femmes de Troie, l 'écrasement des comé-diens. Mais cet édifice impressionnant, qui multiplie les aires de j e u jusqu'au vertige, est une formidable m a c h i n e à j o u e r . Ils apparaissent et disparaissent dans cette Babel théâtrale avec une souplesse d'acrobate d'au-tant plus remarquable que, la musique et les chansons russes tenant une grande place dans la mise en scène, le rythme de la machi-ner ie et le l eur devaient ê t r e ca lés de manière quasi opératique.

Mise en scène et j eu échappent au réa-lisme, problème toujours d'actualité lorsqu'il s'agit de crit ique sociale. La question avait été âprement débattue à l 'époque où Meye-rhold monta Le Revizor, en 1926 : le réa-lisme du Théâtre d'Art de Stanislavski avait encore pignon sur m e , m ê m e s'il cherchait dé jà à s 'a f f ranchir d'un natural isme trop étroi t . T â c h a n t de ne pas séparer le gro-tesque d'un réalisme «astringent» ou «musi-cal», Meyerhold intègre dans ses mises en scène les recherches constructivistes et, dans le jeu, ses expériences sur la biomécanique et le théâtre de foire. Langhoff intègre l'héri-tage: perspectives bancales, portes dispro-portionnées, planchers en pente, rotations, c réent un espace baroque que la mét icu-leuse folie humaine rend fantastique. Tra-duction plastique d'un réel déjanté dont le grotesque, heurt de différents niveaux de réalité, est l 'équivalent dans le j e u .

C e qui est roboratif chez Langhoff, c'est la déglingue progressive de l 'univers par à-coups qui vont crescendo dans une euphorie délirante. Ainsi de la scène où les notables viennent se présenter au faux revizor sur un rythme endiablé : à chacun des sept passages descend, chacune plus grande que la précé-dente , une couronne de lampes qui vient orner l ' énorme lustre central . Ainsi d e la scène où Anna Andrejevna et sa fille (Muriel Mayette et Emmanuel le Wion) se querel -lent à propos de leurs toilettes : la dispute jalouse, reprise jusqu'à la rage ad libitum, s'achève dans le vacarme capitonné de leur c h a m b r e . D e c e l l e où Anna e t Petrovna Pochliopkina (Patricia Pottier) partent d'un rire inextinguible jusqu'à l'épuisement. Ainsi, enfin, de la scène de réception où les bou-teilles dégorgent sur le sol comme des vomis-sures. Accumulation, saturation, explosion, sont les lois de ce réel vu à la loupe.

Mario Di Fonzo Bo passe en virtuose du j eune désœuvré famélique - beau numéro à la Keaton - au pacha enivré de jouissances au point de s'identifier à celui qu'on veut qu'il soit. Il tr imballe sa si lhouette é t o n n é e de grand enfant qui redécouvrirait le droit au caprice, banal mystificateur que la crédulité des autres ent ra îne dans l ' engrenage des mensonges. On veut des anecdotes sur la vie

mondaine de Sa int -Petersbourg? Khlest-kov en fournit jusqu'au délire. Personne n'est réduit à la caricature - au contraire de la version de Jean-Louis Benoît, à la Comé-die Française, où les rôles de femmes sont sacrifiés sur l'autel de la farce ou du vau-deville. On éprouve même une singulière compassion pour ce bourgmestre féroce, jouet des ambitions de son épouse carnas-sière, qui sait, dans son chant final, faire vibrer l'âme slave. Pitoyable chute. Tragédie des empires bâtis sur le sable : ils s'édifient patiemment, s'effondrent en un instant. En bas, le peuple souffre. A l 'époque du ser-vage, on savait mater les récalc i t rants à coups de knout.

Avant de devenir monstrueuse, c'est-à-dire bureaucratique, l'administration de l 'E-tat se fonde sur le principe du service de la Nation. Aussi insens ib lemen t q u e quelques grains de sable deviennent un tas, l'édifice administratif devient une machine saturée de lois, de circulaires, d'arrêtés qui finissent par former un dédale opaque où seuls circulent les initiés et où les autres doivent payer pour entrer ou sortir. Dans c e t t e Russie transposée à l 'époque stali-nienne (le spectacle se termine par un chant russe à la g loire du «peti t p è r e des peuples»), Kafka n'est pas loin, dont Lan-ghoff monta il y a deux ans L'Ile du Salut. Et n'oublions pas que Gogol, l 'auteur du Nez, achève sa pièce par la scène cauchemar-desque des pou]>ées figées, ici supprimée au profit de l'irruption de rats géants qui gri-gnotent tout sur leur passage. Là où Jean-Louis Benoît finit sur le drame personnel de la fille du gouverneur bafouée, Langhoff p r é f è r e t e r m i n e r par le c a u c h e m a r du b o u r g m e s t r e , t ragédie h is tor ique d'un peuple. Car l 'anivée du véritable inspec-teur général en teen-ager-cool-américanisé ne laisse rien augurer de bon : il y a lort à paiier qu'il faudra procéder avec lui comme avec l 'autre. Mais en toute légalité : cela s'appelle la concurrence, ou la loi du mar-ché . Chez El f , on en sait quelque chose. Mais aussi au C I O ou à la Commiss ion européenne . Les scandales qui secouent régulièrement nos institutions promettent un bel avenir aux rats de L'Inspecteur Géné-ral.

D'une société l'autre, ce serait donc la m ê m e chose. . . C'est pire, dit Langhoff, car dans la première on admirait Pouchkine et on brûlait de f réquente r l ' intelligentsia : dans la seconde, on adule les vedettes du shovv-biz et on rêve de jet-set . D'Ouest en Est, les rats dévorent aussi la culture. •

Philippe Renault

L'Inspecteur général, de Gogol.Mise en scène Mat-thias LanghofT. Coprod.Théâtre National de Bre-tagne, Théâtre de Nanterre, Théâtre National de Dijon.Tournée de janvier à juin 2000.

G o g o l , génial précurseur, écrivit dès 1836, une comédie remarquable de férocité mais aussi d'humanité qui a pour thème la mal-honnêteté et la bêtise de la bureaucratie pro-vinciale . C e n t - c i n q u a n t e ans après , les mœurs ont sans doute bien changé, mais la corruption, les passe-droits, les achats de compla isance payés dix fois leur prix, les magouilles en tout genre, existent toujours en Russie comme ailleurs. Que dit Gogol ? Que la sottise et l'arrivisme sont contagieux, dès lors qu'un personnage intelligent et dénué de scrupules déc ide d e semer le doute et la confusion dans les esprits.

Comment s'emparer aujourd'hui d'une des plus célèbres comédies russes ? Langhoff n'y va pas par quatre chemins. A coup de machi-nerie et de signes expressionnistes, il finit par imposer tant bien que mal sa vision per-sonnelle du Revizor. Jean-Louis Benoît est lui, plus prudent, mais plus fin. Il réussit à traduire la violence souterraine et la folie qui s'empare de la petite ville à l'arrivée de cet inspecteur général diabolique e t eff icace. Alain Chambon a concocté une scénogra-phie au plus serré des intentions de Jean-Louis Benoît. Le résultat évoque Daumier et Labiche, les pantins du Théâtre du Radeau de Tanguy et le génial Tadeusz Kantor. . .

Chacun v reconnaîtra les siens. La distri-bution est de premier ordre. Denis Podalv-dès en j e u n e faux revizor Khlestakov, mais aussi les très r e m a r q u a b l e s P i e r r e Vial, Michel Robin et Alain Pralon. Roland Beitin campe le gouv erneur avec son savoir-faire habituel, même s'il a tendance comme d'ha-bitude à envahir le plateau. Intelligente, pré-cise, la mise en scène de Benoît est efficace ; cela fait plaisir à voir les acteurs du Fran-çais aussi bien dirigés. On aurait aimé qu'un soupçon d'humanité e t de tendresse vienne colorer ce j eu de massacre. A cette réseive près, Jean-Louis Benoît , comme avec Sca-pin, signe un beau e t grand succès popu-laire, except ion notab le dans le paysage tristounet de la Comédie Française . . . A

Philippe du Vignal.

I A- Revizor de Gogol, mise en scène de Jean-Louis

< Cassandre >N°31 > OCTOBRE-NOVEMBRE 1999 > 17 >

Internet : http://www.imaginet.fr-/cassan

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rOdysÊée selon Mladen Materie OGATONS Sans doute l'un des spectacles les plus nuls

de cette saison. Si j ' en parle c'est que cette compagnie, le Théâtre Tattoo, est soutenue par la D R A C et les hauts lieux ministériels dont l ' aveuglement est dans ce cas une énigme. Il peut arriver que le «pouvoir cul-turel» se trompe. Et lourdement. C'est le cas ici où il nous a été donné de voir un spec-tacle d'une ringardise qui, même volontaire, serait restée peu supportable.

Comme le titre le laisse subodorer, il s'agit d'une adaptation du poème d'Homère. Aède parmi les aèdes, que de crimes - culturels, certes - a-t-on commis sous ton égide ! C'est une c h o s e de r e p r e n d r e vaguement une intr igue qui, quoique très c o n n u e , doit demeurer identifiable, c 'en est une autre de faire subir au spectateur un ennui abyssal. Mladen Materic a choisi de faire un spec-tacle sans parole ni texte ; seulement du j eu d'acteur, des gestes, des situations. Pourquoi pas ? Le metteur en scène est libre de son choix ; mais il doit s 'efforcer de parvenir à un résultat fort esthétiquement et cohérent intellectuellement, suffisamment autonome de façon que la référence - écrasante - au grand auteur ne soit ni superflue ni outra-geante. Le metteur en scène interprète une œuvre, il l 'investit d'un sens, d'une vision globale qui atteste la qualité et la détermi-nation d'im regard. Au fond, on demande au metteur en scène non de bricoler un bazar hétéroclite en amassant pêle-mêle idées et expériences, tenues ]>our admirables au motif qu'il les a vécues, mais d'investir l 'œuvre avec un regard et une position interpréta-tive élaborés.

i f D E S C E N D U S ?>

Or, ici, que voit-on ? Un attirail compo-site fait d'un peu de cirque, de morceaux de situations caricaturales, où des comédiens figés, font trois pas ici, une - longue - pause, quatre pas là, demi-tour, long arrêt durant lequel une j e une femme (peut-être Nausi-caa), sembl e réf léchir à la couleur de ses chaussures, alors que son partenaire, l 'air aussi ébloui et expressif que Zitrone sur son lit de mort, fait de même, se déplace, pivote, puis se fige dans la position hiératique de celui qui se demande s'il reste du camem-bert, tout cela dans un silence de plomb.

Ces séquences, épuisantes de lenteur, sans contenu narratif identifiable, se répètent à l'envi, au risque de pousser le spectateur au suicide ou à la révolte. Tout est esquissé, aucun parti n'est pris ; sur cette succession de tableaux d'une pauvreté sidérante, de bouts de d é c o r raflés sans doute sur une friche industr ie l le , c e t t e musique digne d'un o r c h e s t r e familial voulant parodier une ambiance confusément mélancolique, sur-nagent de brefs numéros de cirque qui for-ment le seul moment un peu distrayant de cette débâcle. Je ter des légumes pourris sur un tel naufrage eût é té indigne. Pour les légumes.

La commisération du public fut sans doute remuée car il y eut des applaudissements. Il y a en effet quelque chose de touchant dans ce ratage. B ie n que se planter à ce point demande du savoir-faire, le spectateur peut s'imaginer capable d'en faire autant ! Peut-être le public est-il reconnaissant qu'on lui demande si peu d'effort, et que le metteur en

Wrota de Scena Plastyczna U t i l e pour apprendre ce qu'il ne faut pas faire. L'idée est simple - et peu neuve. L e spectateur est plongé dans un espace tout à fait noir ; au fin fond de l'obscurité, quelques formes lumineuses apparaissent, sans qu'il sache ce que c'est ni comment elles sont pro-duites. L'esprit flotte, attiré par la pure appa-rence , dans le plaisir s imple de voir, sans question ni désir de signification.

Pour que ce principe e s t h é t i q ue fonc-tionne, il est évidemment nécessaire que le spectateur ne perçoive pas le truc ou le pro-cédé employé. C'est pourtant ce qui se passe très vite avec Les Portes de cette compagnie polonaise. L e dévoilement de la technique utilisée désamorce complètement le spec-tacle dont on attend alors impatiemment la fin.

s c è n e s e m b l e se m o q u e r d ' H o m è r e . On r icane de l'art et de son sérieux ; il y a là c o m m e un poujadisme d iscre t . . . Ou cela vient-il de ce que L'Odyssée est incompa-t ible avec la pe inture du quot idien dans laquelle Materic a déjà fait montre de réelles qualités ? C'était le cas de Le ciel est loin, la terre aussi (que l'on pourra revoir à La Haye, le 3 1 mars 2000) .

Comment un tel travail peut-il être sou-tenu par la D R A C et par un t h é â t r e - le Garonne - qui nous avait habitués à autre chose ? Materic a quitté l'ex-Yougoslavie en 1992 . E s t - c e là le mot i f de l 'aveuglement général : la culpabilité des occidentaux qui ont abandonné les Balkans à une violence sans nom ? La crit ique suppose un espace politiquement homogène, où régnent l'éga-

lité des chances, l 'équivalence des moyens, de sorte que l 'objet du jugement soit la per-tinence et le travail du metteur en scène et de sa compagnie. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, lorsque ce dernier vient d'un pays exsangue, déchiré par une dicta-ture nationaliste dans l ' indifférence géné-rale, la mauvaise conscience inhibe jugement et sent iments . C 'es t sans doute pourquoi presque personne n'aperçoit l'indigence d'un tel finit, que dis-je, d'une telle épluchure. •

Jean-Jacques Delfour

Tournée: Séville, 11 et 12 février 2000: Grenade. 15 et 16 février 2000. Maison des Arts de Créteil. 24. 25 et 26 février 2000.

PETITS ECHECS (VUS AU F ESTIVAL D 'AURILLA C 9 9 )

Les Bonnes par le Théâtre du Centaure I V I o n t e r la fameuse pièce de Genet après Jouvet (1947) et quelques autres, n'est pas interdit . L e réper to i re n'est la propriété exclusive de personne. Mais le faire à cheval, l ittéralement, voilà qui ne manque pas de «sel». C'est pourtant tout à fait raté.

L e texte de Genet est dit, prononcé certes intelligiblement, non joué : on ne peut être à la fois excellent cavalier et comédien ; et si c'est le cas, il est bien difficile d'exercer les deux arts en même temps. Donc un texte pla-t e m e n t dit non seu lemen t à cause de la contrainte équestre, mais aussi parce que l'at-tention se déplace vers les chevaux dont le j eu de scène est quasi nid. L e cheval obéit, précisément et constamment (il défèque aussi sur scène et bave un peu : il s'agit là, on en conviendra, d'un j eu peu significatif). Objec-ter à cela que le cheval exprime le chaos et la force des désirs est une vue de l'esprit : les chevaux ont des mouvements très réguliers ou se contentent de suivie les instructions. Peu de rapport avec les sœurs Papin dont le crime a inspiré Genet.

L e cheval est 1111 animal puissant, porteur d'une rêverie séculaire ; il était prévisible que la coexistence avec ce texte très âpre des Bonnes tournât au détriment de ce dernier.

Tout va bien de Kumulus

L ' i d é e était pert inente : t ransformer les panneaux urbains où défi lent des images publicitaires, en espaces scéniques où un comédien présente 1111 sketch ou une sav-nète . Mais les comédiens de Kumulus se sont donnés deux limites qui se sont révélées des obstacles. Les thématiques sont courtes car la critique de la publicité est devenue un exercice universel dont la pertinence est nécessairement limitée.

Esthét iquement parlant, la forme de la communication propre à l'image ou à l'af-fiche est unilatérale ; comme le comédien ne s'adresse à personne (sauf dans un cas), les paroles sont inutiles ou condamnées à la répétition. Cet te communication à sens unique, onaniste, sans échange, reproduit le schéma de la communication publicitaire où le spectateur est passif et se contente de se laisser fasciner. C e mode de communi-cation dominant, commun à la publicité et au pouvoir, n'est pas remis en cause ici : d'où l 'échec relatif de cet te tentative. A

Jean-Jacques Delfour

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Bécassine e t PIF LE CHIEN

CHEZ LES NAZIS

LES PENTES ANTISEMITES DU MARCHAND

DE VENISE J a c q u e s N i c h e t , nouveau d i r e c t e u r du Théâtre National de Toidouse, a monté Casi-mir et Caroline, écrite en 1931 par le fameux O d ô n von Horvâth, a u t e u r de t h é â t r e et romancier, mort à trente-sept ans ans sous la chute d'un marronnier parisien - arbre métaphysique depuis Roquentin.

Odôn est stendhalien d'esprit, mais vien-nois d'inspiration : «On m e reproche d'être grossier , r é p u g n a n t , t rop inquié tant e t é trange. . . On oublie que ma seule ambition est de peindre le monde tel qu'hélas, il est »' .

«L'unique sujet dramatique, non seule-ment de Casimir et Caroline mais de toutes mes pièces [ . . . ] est la lutte de la conscience sociale contre les pulsions asociales, et inver-sement. L'action dite dramatique est secon-daire, elle fournit seulement le cadre. [ . . . ] J ' entends toujours par dramatique l'affron-tement de deux tempéraments, la métamor-phose, e tc . Dans chaque scène dialoguée, un personnage se métamorphose. [ . . . ] Mon u n i q u e o b j e c t i f est d e d é m a s q u e r la conscience. Non de démasquer un homme, une ville, ce serait trop facile ! » 2 .

Montrer le monde de son temps, l'intri-cation entre les désirs et les faits sociaux, tel est l ' ob jec t i f de Odôn von Horvâth ; donc-une tension entre réalisme politique et social et réalisme psychologique.

C o m m e n t ce t te tension se manifeste- t -elle ? C'est la manière personnelle d'habiter des situations en mouvement, traversées par des forces sociales et psychiques, qui défi-nit le point de vue d'où la pièce est écrite. L e s d o n n é e s soc ia les sont c e r t e s impor-tantes : la fête de la b ière , le chômage de Casimir, la pauvreté conduisant à la prosti-tution, sexuelle pour les femmes et morale pour les hommes. Juppmann, tailleur-cou-peur de son état, échange une liaison pos-sible avec Carol ine contre une promotion dans son entreprise dont le directeur veut se taper Pex-fiancée cle Casimir.

Mais l 'essentiel est la façon d'habiter ces données sociales, de les assumer ou de refu-ser ce qu'elles font surgir clans la vie des per-sonnages ; ainsi les volte-face de Carol ine sont-elles autant de prises de conscience et d'erreurs dans lesquelles l 'amour et l 'ambi-tion soc ia le se d isputent l ' e s t i m e de soi. Quant à Casimir il hésite entre l 'acceptation de sa condition et le désir de vérifier si son l i c e n c i e m e n t a des e f fe t s sur l ' amour d e Caroline. Il ne choisit ni la coupure ni le lien entre son rôle social et sa vie sentimentale. Les pré tendants de Carol ine s 'af frontent indirectement, le désir passant par-delà les

différences de conditions sociales. Ces pro-cessus sont le thème profond de la pièce ; mais ils ne peuvent être étalés aisément. Ils apparaissent indirectement, à travers les dis-cours des personnages, et dans les nombreux silences.

Ainsi, dans les trois premiers dialogues, treize didascalies : «Un silence». Mais il y a un s i lence d 'une autre forme, celui d'un dis-cours qui se substitue comm e un symptôme à sa signification refoulée. L'intéressant n'est pas d e voir les pensées de- fami l le -e t -de -classe aliéner les individus, mais d'observer c o m m e n t leur usage trahit une pulsion inavouée, im sentiment réprimé. C'est le cas de Casimir qui, au début de la pièce, je t te au visage de Caroline, pour la tester, sa crainte qu'elle ne l'aime plus parce qu'il a perdu son emploi. Il ne voit pas que ses propres senti-ments sont dominés par le social.

L e m e t t e u r en s c è n e doit m o n t r e r des processus invisibles, un texte implicite qui se glisse entre les lignes, entre les répliques, entre les personnages, et maintenir l 'équi-libre entre ce subtil réalisme psychologique e t un réalisme politique.

Jacques Nichet n'a pas choisi. Ou plutôt, devant la difficulté, il a choisi de rester à la surface et de ne retenir que le kitsch mélan-colique et la fresque historique stylisée. La fête de la b ière est très propre, très loin-taine. L e carton-pâte bien poudré du décor a un étrange effet cle stérilisation. C e décor dit constamment que la crise économique e t l 'ambiance politique délétère de l'Alle-m a g n e d e l ' e n t r e - d e u x - g u e r r e s ne sont qu'une toile de fond sans profondeur. Caro-line est inutilement abêtie : cervelle d'oiseau, geignarde et stupide. L e dégingandé Micha Lescot suijoue et simplifie Casimir. L'éternel orchestre slave, très tendance - séquelle de l 'effet Underground associé à la honte euro-péenne de la Bosnie - souligne la facture mélo du spectacle.

L e classicisme de la mise en scène ne par-vient pas à soul igner les m é t a m o r p h o s e s internes, les basculements et bifurcations. Pour compenser la brutalité du j eu des inté-rêts, Jacques Nichet a joué la carte du sen-timent. Il a choisi un traitement esthétisant qui détruit la tension de ce texte. A

Jean-Jacques Delfour

1. 2. Mode d'emploi (au public).

Vu au Théâtre National de Toulouse (Théâtre de la Cité). (25 février au 13 mars 1999)

Shakespeare selon Stéphane

Braunschweig

L Marchand de Venise de Shakespeare est une pièce réputée controversée, mais c 'est une pièce à double fond. D'un côté, elle est d'un antisémitisme radical, complet , morti-fère et dramatiquement très efficace. Shy-lock, l 'usurier, est la vict ime tous azimuts non seulement de ses ennemis qui le cou-vrent constamment de propos antisémites, dont l 'éminent Antonio qui risque un peu de sa chair, mais aussi de sa propre fille qui le vole, le fuit, et convole avec un idiot indif-férent au malheur de son beau-père.

La pièce n'est injouable que pour ceux qui se bouchent le nez devant la violence et la haine : el le expose par ailleurs la méca-nique qui fait du Ju i f le perdant nécessaire de la ruse antisémite. Celle-ci se drape dans le droit vénitien pour spolier légalement Shy-lock de ses biens et de son identité religieuse. Tout est réuni pour l 'accabler-s ' i l est ins-piré par la vengeance, c'est qu'il subit depuis trop longtemps la haine - puis pour nous le fa ire o u b l i e r : la p i è c e finit dans une ambiance de comédie où l'on rit et danse. Seule la fille de Shyloek, qui s'enorgueillit d'avoir volé son père et n'a pas un mot à son sujet , nous rappelle que Shyloek fut. Son anéantissement dramatique est plus efficace que de longs discours ou que l'image de sa déchéance.

C h a q u e m e t t e u r en s c è n e doit se d é b r o u i l l e r a v e c les équivoc i tés et les nuances du Marchand. La défense du Ju i f (Acte I I I . scène I) est une justification de la vengeance ; la pièce est une inversion d'une anecdote de l 'époque où le Pape sauva un Jui f insolvable ; Bassiano faisait partie de la famille des musiciens juifs de la cour d'An-gleterre depuis Henri VI I I . On peut gloser sur le sens du nom «Shyloek» (celui dont les boucles sont timides) et sur les allusions au judaïsme séfarade. L e problème du metteur en scène est surtout d'éviter les écueils du

procès quelle qu'en soit la cible. Braunschweig ne s 'en sort pas mal. La

mise en scène est sobre et bien enlevée, clans une atmosphère ludique. Les comédiens sont parfois flottants - c'est le cas d'Antonio, ridi-cule et inutilement grandiloquent, parfois remarquables : Hugues Quester dans le rôle de Shyloek. Mais la réussite de la mise en scène vient surtout de l'astuce qui consiste à utiliser un même panneau de bois, pour figu-rer tantôt la façade de la maison de Shyloek, tantôt le plancher de la maison de Portia, tantôt le sol en pente du tribunal vénitien qui condamnera l'usurier.

C e dispositif rappelle la pente courbe du décor que Dominique Pitoiset avait imaginé pour Le Procès de Kafka ou le plateau de bois mobile, agité comme sous l'effet d'une houle, sur lequel Matthias Langhoff , dans Richard III. plaça Gloster (Martial di Fonzo Bo) écoutant le récit du meurtre des enfants : le sol tanguait comme un bateau dans la tem-pête ; le crime était si atroce que le sol deve-nait instable. La scène naviguait sur la crête de l'horreur.

Chez Braunschweig, ce plan de bois sym-bolise l'instabilité du sol, mais aussi la fra-gilité des murs de la maison ; le plan oblique signifie l ' injustice du jugement , comme la balance aux plateaux en équilibre symbolise la justice. Enfin, comme plancher de la mai-son de la riche Portia, fiancée de Bassiano, il signifie que la richesse des uns repose sur la spoliation des autres , q u e la guerre ou l'application inique du droit en soit l 'occa-sion. La p ièce est traitée c o m m e un apo-logue à la signification transparente. . . pour un public averti. •

Jean-Jacques Delfour

Coproduction Théâtre de la Cité (Toulouse), Théâtre Machine, Boulïes du nord. Théâtre de Caen.

I n t e r n e t : littp://www.les-petits-misseaux.com/agir

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Engagée dans un corps à corps sans concession avec le Voyage au bout de la nuit, la Compagnie Raffaello Sanzio a fait trembler Avignon. Spectacle éprouvant de crudité, il ne pouvait que provoquer des réactions à chaud.

L ' œ i l égaré et l 'épiderme traversé de ce frisson qui refuse de passer après une heure quarante-cinq de spectacle, nous sortons hagards de la cour du Lycée Saint-Joseph. L e sport avignonesque peut alors reprendre ses droits et les diffuseurs de tracts se frayer un passage dans la foule pour déverser leurs lots de cartons, flyers et autres papillons sur les badauds. Là, une j eune femme - qu'elle excuse ma virulence ! - prend position et nous tend une carte pour une quelconque lecture célinienne. «C'est du vrai Céline», dit-elle d'un air entendu. D'un seul coup, ce qui n'était qu'une pratique, épuisante, mais sympathique, du marathon festivalier, tourne à l'ignominie.

«C'est du vrai Céline !». Comme si justement, là, ce n'était pas du Céline ! Comme si le Voyage n'avait été, et probablement pour la première fois, pris au mot et poursuivi jusqu'au bout de sa nuit que pour produire sur scène cette monstruosité : le verbe de Céline ! Comme si cette langue pou-vait se prêter aux péroraisons de quelques cabots poseurs, avides de faire valoir leur diiictiiion. Toute entreprise de ce genre doit être tenue pour une infamie. Double infamie : injure faite à une langue dont elle est inca-pable de rendre - et de percevoir ? - l'écho singulier, elle n'est pas moins une insulte à l'Histoire. Une abjection banalisant un souffle haineux pour en faire une langue de salon ! Non ! Si Céline doit être monté, c'est ainsi : dans ce flot chaotique où les mots s'envolent, éructent, claquent, grognent, s'enrou-lent, rampent, se ramassent, jappent . Où les syllabes se détachent pour déverser ce même dégoût bilieux sur toutes choses. C'est bien dans ce fiel que se situe la passion et la folie de Céline. E t qu'importe si ne sont mon-tées que quelques bribes de texte, le plus souvent inaudibles : le magma de sang et de boue est vomi !

Pourtant cet argument - «c'est du vrai Cél ine !» - n'est pas gratuit. Il surfe sur la polémique entourant ce spectacle. Quand ce n'est le dégoût ou l'hostilité - mais comment pourrait-on «aimer» ? - il a provoqué un scepti-cisme traduisant l 'hébétude, mais non l'indifférence. Cet électrochoc a fait revivre le théâtre - et ce n'est pas une de ses moindres vertus. En effet, que penser en France, dans ce pays où le théâtre se pratique trop souvent avec des précautions de mauvais augure, de cet objet visible mais non identifiable. E t d'abord, est-ce du théâtre ?

Il est regrettable que la Societa Raffaello Sanzio ait présenté ce spectacle comme un concert , ce qui permet d'évacuer la question et de se rassurer à bon compte. Dès lors cette dénégation - «ce n'est pas du théâtre!»- peut être reprise en chœur dans un soupir de soulagement coupant court à tout débat. A moins qu'il ne s'agisse d'une manœuvre tactique, une échappatoire pour mieux voir qui s'y engouffrerait des inquiets, timides et autres thuri-féraires de formes compassées. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse sédui-sante, la question mérite d'être posée.

Donc : est-ce encore du théâtre ? Non, si l'on entend par là cet art de la représentation qui, telle une maladive D a m e au Camélias, n'en finit plus d'agoniser. Pas plus s'il doit ê t re un art de l 'acteur où celui-ci jouerai t comme rempart d'identification - sinon psychologique, du moins maté-rielle - à partir de laquelle quelque chose comm e une parole pourrait être portée. Pourtant, les mots de la vieille Henrouille ne doivent-ils pas être pris à la lettre ! «T'en as pas fini de le laver!» Il empuantera encore longtemps, le sang d'assassin ! Ah ! il y en a qui vont au Théâtre pour se faire des émo-tions ! Mais j e vous le dis : il est ici le Théâtre ! Et un T h é â t r e pour de vrai !»

On pense évidemment au Théâtre de la Cruauté. Mais s'il est question de catharsis, ce ne saurait être par quelque ritualisation définissant un pro-je t de théâtre métaphysique. Une recherche en paternité nous conduirait probablement plus vers Carmelo Bene . Là aussi, images, sons, paroles se constituent en autant de masses impénétrables où l'autonomie tourne en déréliction et se creuse jusqu'aux pires bassesses. Pourtant, il ne s'agit pas

avec ce Voyage d'une superposition ou d'une conjonction de plans : il y a bien imbrication entre les strates musicales (espaces sonores schizophréniques générés par l 'utilisation de nouvelles technologies) , f i lmiques (scènes d'équarrissage de chevaux, de combats rituels africains, d'usines empor-tée dans la frénésie machiniste, extraits de films pornographiques) et tex-tuelles (interprétations vocales individuelles ou polyphoniques d'extraits «malmenés»). D e cet te confrontation avec un univers sonore torturé, avec des images d'époque d'une insoutenable crudité projetées sur deux écrans circulaires en fond (les yeux de Bardamu ?), c'est à une ré-historicisation du Voyage que se livre la Compagnie Raffaello Sanzio. C'est toute l 'horreur d'une époque qui se produit sur la scène. L'écriture cél inienne apparaît comme une entreprise d 'émergence sur fond de ce flux tendu. Entreprise malheureuse, si l'on prend au sérieux le caractère inaudible du texte ! Dou-blement malheureuse, si l'on considère qu'il n'a fait que redoubler la mons-truosité de son temps.

Les moyens mis en œuvre sont colossaux. A elle seule, une des scènes laisse rêveur : une armée en ligne de jambes de fer commandée à distance y martèle le sol suivant un rythme évolutif. On peut se demander quelle struc-ture serait susceptible - si tant est qu'elle en ait l'intention - de recevoir un tel spectacle. Nul excès pourtant, et l 'effet que produit ce t te machinerie -araignée galopant avec fracas sur le monde pour tisser sa toile d'inhumaine standardisation - est assuré. Loin de se perdre dans les dédales d'une struc-ture démesurée et de se ferrer dans l'esthétisation, les effets sont au service d'une ligne fermement tenue. Quelle est-elle ? Difficile d'en décider tant ce Voyage échappe à nos catégories. Pourtant, cela ressemble à ce que pour-rait être aujourd'hui un théâtre de la subjectivité. Une mise en scène du pro-cessus dialectique selon lequel un corps ou une voix ne peut se constituer à l'écart de l'Histoire. Et , au passage, les notions moribondes de psycholo-gie et de personnage, sont évacuées. A

Gilles Bastogy

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• U n e nouvelle col lect ion, Les voies d e l 'acteur, dirigée par Patrick Pezin, ancien édi teur de la revue Bouf fonner ies , vient de publ ier aux éditions L 'entre temps , un passionnant recuei l d e 2 8 textes d ' E u g e n i o B a r b a écr i ts e n t re 1964 et 1995 , au fil de son parcours avec l 'Odin Teatre t , t roupe installée depuis plus de t rente ans à Holstebro , dans le Jut land danois.

E n exergue une phrase d e Niels B o h r : «Toute phrase q u e j e prononce doit ê t re e n t e n d u e c o m m e une question e t non c o m m e une aff irmation». C 'es t ce qui a guidé toute sa vie, c e c h e r c h e u r infatigable, parti de son Italie natale pour travailler c o m m e soudeur à Oslo , c o m m e matelot sur le navire Talabo en 1956 , puis vers l 'Orient e t l ' Inde, dont il gardera la t race indélébi le , enf in pour O p o l e en Pologne où Je rzy Grotowski lui ouvre les portes d e son théâtre-laboratoire d e 1 9 6 1 à 1963 . Il fonde l 'Odin Teatre t à Oslo, que lque a n n é e s plus tard, dans un abri ant ia tomique humide, avec un groupe de quatre j e u n e s gens , refusés c o m m e lui par les éco les de théâtre traditionnelles . Trois d ' e n t r e eux sont e n c o r e m e m b r e s d e la c o m p a g n i e aujourd'hui . E u g e n i o B a r b a est devenu un maître qui a su guider l 'Odin Teatre t et ses vingt et

• «Trotsky, Léon : le 2 0 août 1940, un communiste espagnol nommé Ramon Mercader enfonça un pic d'alpiniste dans le crâne de Lev Davidovitch Bronstein à Coyoacan, une banlieue de Mexico City. Trotsky mourut le j o u r suivant.» Nous sommes le 21 août 1940 et Trotsky, assis à son bureau, un pic d'alpiniste enfonçé dans le crâne, apprend sa propre mort dans une encyclopédie de 1999. Absurde ? Pas pour David Ives. L e dramaturge new-yorkais fait j ouer à son personnage principal huit fois sa mort pour finalement arriver à un scénario décemment dramatique. Tout est dans le timing est à l'image de son auteur. Six pièces de théâtre intelligentes sur un monde bizarre, voir déstabilisant, sorti de l'imagination d'Ives. Il j o u e avec les mots et avec ses personnages, comm e avec Bill et Betty qui se rencontrent par hasard : leur conversation tourne court et l'auteur, à chacune de leur maladresse, fait sonner

un spectac les répétés pendant de longs mois, j o u é s plus d 'une centa ine de fois dans le monde, avec la rigueur, l 'exigence et la s implici té des plus grands. D e son d é n u e m e n t initial, il fait son miel . Il rappelle dans l ' introduction c e qui les a fait grandir : «Ne pas avoir é té pendant longtemps acceptés , le besoin d e nous c h a n g e r nous-mêmes sans prétendre c h a n g e r les autres, la nécess i té d ' inventer notre savoir théâtral en partant d 'une situation d'autodidactes , l 'exigence d 'une discipline qui nous rend l ibres, la volonté de rester é d angers , l 'appétit des voyages hors des terri toires habituels du théâtre. . .» Au fil d e c e s textes, c o n f é r e n c e s ou articles publiés pendant trente ans dans di f férentes revues internationales , E u g e n i o Barba impose la vivacité i ronique d 'une intel l igence aux aguets. Pour ceux qui ont eu la c h a n c e d'assister à ses spectacles , d e Min Far Hus à Mythos, c e livre est un régal .A

0 .C

Eugenio Barba. Théâtre solitude métier révolte, col-lection les voies de l'acteur. Éditions l'entretemps, 342 pages.

une cloche, puis le dialogue reprend quelques répliques plus tôt. Iront-ils finalement voir un film de Woody Allen ?

Les personnages d'Ives plongent à l'oc-casion dans des trous noirs contraignants appelés «Philadelphias». Pour avoir ce qu'il veut, Marc doit demander le contraire de ce qu'il désire. Son ami Al, quant à lui, nage dans Los Angeles. Il vient de perdre son travail et sa petite amie le quitte, pour-tant «la vie est bel le » Mais méfiez-vous, la Philadelphia,c'est comm e cet te dernière création de David Ives, contagieux... A

Romuald Mondet

Tout est dans le timing de David Ives Éditions du Laquet, collection Théâtre de poche. 96 p., 69 F

• D e ses premiers poèmes publiés en 1946 sous le titre de Soliloques à la publication de Le poète comme un boxeur (1994) en passant par la longue l'élaboration du Polygone étoilé, l'œuvre de l'écrivain algérien Kateb Yacine se déploie en une arborescence infinie. À la charnière des genres littéraires traditionnels, publiant simultanément différentes versions d'un texte dans des revues introuvables et refusant de donner un caractère achevé à ses textes, la nature du travail de Yacine appelait, dans sa restitution, la publication de ces fragments, excroissances et œuvres délaissés. C'est à juste titre que l'ouvrage réédité dans la collection Sindbad - Actes Sud s'intitule : L'Œuvre fragmentaire, titre qui évoque les Fragments de Novalis ou ceux cent fois remaniés, de Walt Wittmann. Présentés et choisis par Jacqueline Arnaud, avec la collaboration de l'auteur, ce volume présente, outre l 'intérêt de donner à lire d'authentiques joyaux du père fondateur de l 'écriture algérienne, l'avantage d'être lisible et didactique, faisant apparaître clairement les croisements du théâtre et de la poésie, du combat politique et de la verve satirique de Kateb Yacine. A

Nicolas Bersihand

Édition Sindbad, Actes Sud. 169 Frs.

• Quand et quelle mort pour le théâtre? Apparu dans le monde héllénistique en m ê m e temps que la philosophie, il n'en finit pas, comme elle, d'agoniser sous les austères prédications de ses détracteurs. Ainsi, de l'apparation du cinéma puis, cheval de Troie mortel, de la télévision, bourreaux cent fois annoncés d'un théâtre toujours croupissant. L'Age d 'Homme publie Les écrans sur la scène

Fruit d'un travail collectif de l'équipe Théâtre et c inéma du Laboratoire de Recherches sur les Arts et les Spectacles du C N R S , l'ouvrage analyse la capacité d'intégration, de déplacement et d'utilisation des écrans par le théâtre, à travers les exemples les plus fameux de son histoire, de Meyerhold à Sellars, toujours en quête et en redéfinition de son imprenable trésor.

N. B.

Éditionsl'Age d'Homme. Collection Théâtre - XX ème siècle

BRÈVES

•Alix de Morant (textes) et Catherine Réchard (photos) fixent quelques instants du parcours de La Famille Magnifique dans le livre qui vient de paraître : /y voyage des Magnifiques. Regards croisés sur les fragments d'un théâtre itinérant, d'Avranches à Port-Bail. Le voyage des Magnifiques est édité par le Conseil Régional de Basse-Normandie. Disponible au Nord-Ouest Théâtre. 11, me des carrières Saint-Julien. 14 000 Caen. Tél : 02 31 23 32 70.

• L'Harmattan public, dans la collection «Critiques littéraires» Ariane Mnoucltkine, un parcours théâtral, par Laurence Labrouche, préface de Robert Abirachcd. Essai sur les trente années d'activité du Théâtre du Soleil.

•Défense et illustration d'une «vivante redécouverte du passé», cet ouvrage retrace la geste des Arts Florisants qui. "des prières intimes de Charpentier aux fastes de l'opéra selon Lully» rend à cette forme accomplie un attrait contemporain et une nouvelle histoire brillamment narrée et analyséepar un spécialiste du genre. 130 Frs.

William Christie et les théâtre des Arts Florissants, par Christophe Deshoulières aux éditions Armand Colin.

Internet : http://www.imaginet.fr~/cassan

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La fin du millénaire rend fou le marché du disque... Tous les labels discographiques prétendent offrir (au prix fort des anthologies du XXe

siècle comme de «deux mille ans de musique» ! C'est à celui qui vendra le plus gros coffret pour les fêtes de Van 2000. En l'honneur de Sire le Piano, Philips est en train de battre le record détenu par Warner-Classique avec «l'Intégrale Jean-Sébastien 2000» : Bach ne réunit que cent-cinquante-trois CD, alors que le coffret-valise des pianistes en contient deux cents ! Qui dit mieux ? Soixante-douze pianistes seulement... Et déjà, des dizaines de versions (plus ou moins) différentes de la même sonate de Beethoven. Telle accumulation devrait

finir par obliger la critique musicale à réviser ses critères absolus, transcendants, de jugement... A faire l'éloge de l'esprit de variations... Au milieu de cette orgie de «produits culturels», il en va de notre santé mentale ! Trop de culture tue la culture. Quand toutes les œuvres, toutes les interprétations numérisées seront virtuellement disponibles chez soi grâce au Grand Réseau Mondial Unique, seule la capacité de comparer déterminera la qualité de civilisation du prochain millénaire.

L e d isque a c e n t ans ; on ne peut d é j à plus s é l e c t i o n n e r les dix mei l leures ver-sions d ' u n e s o n a t e d e B e e t h o v e n e t les salles de c o n c e r t sont vides - alors c o m -ment promouvoir cent j e u n e s pianistes sur les mill iers d ' in terprètes valables en cir-culation ?

«- Oh, c'est un excellent musicien.

- Comment le situez-vous à l'échelle mon-diale ?

-Je pense qu'on peut à coup sûr le classer

parmi les cent meilleurs compositeurs. »

W. Gombrovvicz

Mélancolie de minuit - alcoolic'anémie. J e pose mes coudes sur le couvercle d'un piano-bar . . . Dialogue avec le pianiste pendant la pause. On en vient aux confidences :

«Mon fils fait du violon.» affirme le pia-niste .

- J e l'ai obligé à choisir le violon. C'est bien, le violon.

- Oui, c'est beau. - Non, ça grince, ça couine, c 'est épou-

vantable. Mais c'est une garantie pour son

- L e moindre orchestre de chambre offre plus d'emplois aux violonistes qu'un pays entier au même nombre de pianistes. Quant aux orchestres symphoniques et philharmo-niques, ce sont de vraies usines ! Honorable-ment médiocre, un violoniste ou un altiste ne manquera jamais de travail ; même excel-lent, le pianiste, il peut crever.

Il y a trop de pianistes. Il y a trop de tout, d'ailleurs : comédiens , peintres, écrivains, sans parler des éleveurs de porcs, des sidé-rurgistes, des coiffeurs et autres journalistes. Mais du fait de l'héritage romantique qu'il assume ( l 'hypertrophie du «Moi» à la (dé)mesure du piano à queue), le cas des pia-nistes est e m b l é m a t i q u e . . . I l permet cle r e m e t t r e en cause la notion exclusive de «valeur artistique» dans le système quantita-tif de «l'économie culturelle».

Dans un long passage de son Journal1 plus provocateur que jamais, Witold Gombrovvicz posait p r o p h é t i q u e m e nt le p r o b l è m e du Nombre en art :

«La concience qui vit en nous est celle.

solipsiste, d'un Adam. Notre philosophie est une philosophie adamique. Notre art est un ait adamique.»

«Jamais encore l'homme n'a abordé le pro-blème de sa quantité. [ . . . ] Si j e suis un parmi deux milliards, ce n'est pas la m ê m e chose que si j 'étais un parmi deux cent mille.»

Economiste des âmes, Witold Gombro-vvicz ne cherche pas à évaluer l'art à la hausse ou à la baisse comm e un commissaire-pri-seur en objets rai es ou, à l'inverse, comme im commissaire jdanovien, soucieux de mesu-rer la pénétration cle la récréation culturelle dans les masses ; Gombrovvicz n'est pas non plus un es t hè t e malthusien qui se serait converti au scientisme au nom d'une quel-conque peur de la surpopulation qui mena-cerait ses privilèges ; non, l 'écrivain singe l'esprit de système pour dynamiter tout sys-tème - alors, pourquoi poser la question du Nombre ?

C e t t e méthode de détournement de la question ontologique rappelle l 'étonnante stratégie de dénégation de la poésie dans Contre les poètes : comme Gombrovvicz ne supporte la poésie que sous la métaphore du sucre mélangé à la prose des aliments, délirer sur le Nombre est une arme fictionnelle ; non seulement pour attirer l'attention sur les rela-tions ambiguës de l'ait et de la culture dans la civilisation moderne, mais surtout pour obli-ger l'écrivain à excéder les structures litté-raires établies . . . Aujourd'hui, des millions de «lycéennes modernes» regardent la télé-vision - c 'est comme ça - le romancier qui serait tenté de l 'oublier renouerait avec la pose et la forme de «l'art adamique».

Tout pianiste travaille son instrument et Beethoven, Chopin, Brahms, Debussy en cul-tivant le sentiment exclusif et profond cle ne plus vivre que dans l ' intimité directe avec ces génies de la musique. . . Solitude fictive-ment partagée de plus en plus difficile à vivre dans notre société de masses. Dans Actes de la recherche en sciences sociales , Robert Alford et Andras Szanto, ont étudié le cal-vaire de milliers de jeunes pianistes qui, tous, vivent et espèrent en leur art comme s'ils étaient «uniques» :

«Les j eunes pianistes développent leurs talents dans une atmosphère d'anonymat, iso-lés des autres, entraînés à se penser comme

psychologiquement et physiquement uniques et différents. Certains survivent, d'autres dis-paraissent. [ . . . ]

«Les conservatoires forment les futurs vir-tuoses qui a leur tour rehaussent la réputation des conservatoires, ce qui aide à recruter de j e u n e s prodiges. Les concours offrent un tremplin pour les aspirants virtuoses. Les organismes de gestion des artistes recrutent les virtuoses et font leur promotion : les salles de concert doivent les engager pour remplir leur parterre. Les publications abondent en anecdotes sur eux à l'usage cle lecteurs avides de détails sur leurs pianistes révérés, depuis leurs t ics de j e u j u s q u ' à leurs habitudes sexuelles. On les retrouve dans les colonnes des médias consacrées aux cé lébr i tés qui chantent leurs louanges ou les condamnent, dithyrambiques ou meurtriers, tout en gar-dant le silence sur les pianistes moins en vue. L e public se presse au concert des virtuoses,

délaissant les pianistes de moindre standing.

[...] «Alors que les écoles de musique conti-

nuent à produire toujours plus de jeunes pro-diges, les exécutants sont confrontés à un rétréc issement du marché du concer t qui n'est qu'en partie compensé par l'expansion du marché des médias. Par la suite la sélec-tion d'im petit nombre se fait de plus en plus sévère, on se focalise sur la perfection de la note, sur la puissance de l'exécution, ce qui accroît toujours plus le stress émotionnel et physique.»

E tc . C 'est terrifiant. Ainsi la sociologie confirme les craintes (jusqu'à la nausée) de quelques écrivains. Avec son roman Le Nau-

fragé, Thomas Bernhard exposait dé jà le c loaque psychologique clans lequel s 'ébat-taient ces orphelins cle l 'Idéal romantique rassemblés en troupeaux d'élèves : le piano était un Dieu jaloux dont le nouveau favori -un certain Glenn Gould - renvoyait par sa seule présence tous ses camarades à l'enfer de la médiocrité, de l'anonymat. E t la critique journalistique s'acharne à ne parler que des «dix meil leurs pianistes du monde» alors qu'une honnête culture musicale en dénom-brerait au moins une bonne centaine depuis quarante ans. Aujourd'hui, l'explosion mon-diale de l 'enseignement moderne du piano classique produit des milliers d'excellents pianistes - virtuoses, intelligents, sinon vision-

< 22 > Cassatldre > N°31> OCTOBRE-NOVEMBRE 1999 >

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naires - de l 'Europe au Japon . . . L'école du j eune piano français compte environ vingt-cinq quadragénaires de dimension interna-tionale sans attendre la promotion tapageuse de la génération des cinquante j eunes pia-nistes géniaux qui v iennent d 'avoir vingt ans . . . Ces très grands talents se réduisent vite à 1111 tourbillon de chiffres dans lequel le star-system, qui ne tient qu'en fonction de la croyance en la «rareté du génie», ne digé-rera qu'un tout petit nombre de noms, en les choisissant presque au hasard. E t la cri-tique ne s'intéresse à eux qu'après la sélection naturelle opérée par les agents et surtout les maisons de disques.

A la fin du XX' ' siècle, le star-system de la musique dite classique ne fait que mettre les techniques modernes de communication au service du petit nombre d' interprètes élus par le système de production artistique du X I X ° s ièc le . C o m m e d 'après un dessin panique d e Roland Topor, le culte média-tique de l'art nous fait adorer une quinzaine de corps hantés par des milliers d'âmes.. .

«Mais que faire de tous ces pianistes ?» La

solution possible, si une époque de Renais-sance avait un sens aujourd'hui, appartient à l 'utopie parallèle à notre monde : par exemple, l 'Etat pourrait nommer un vir-tuose pianiste municipal dans toutes les communes de plus de sept mille habitants. L e pianiste de proximité aurait l 'obliga-tion de donner deux concerts gratuits par semaine, dont un concert-lecture, les soirs de couvre-feu télévisuel, des cours d'éveil dans les écoles, etc. Cet te esquisse d'une nouvelle de science-fiction et d 'humour noir peut sembler absurde, mais relisons Le Docteur Faustus de Thomas Mann : que fait d 'autre le Professeur K r e t z s c h m a r devant le public attentif d'un petit village d'Allemagne ? Entre Renaissance et Bar-barie, notre époque aurait-elle inventé le troisième terme imprévu par le romancier, celui de la production indifférenciée des produits artistiques, l'un chassant l'autre, sans aucune considération pour ce dont ils sont les vecteurs ?

«Dans les arts plastiques s'est imposée une façon de voir et de reproduire qui fait

qu'une personne tout à fait médiocre peut créer une oeuvre tout à fait passable. Quelle aubaine ! Si dans chaque petite ville il y a quelques dizaines de peintres, combien y en a-t-il à Buenos Aires ? Et à Paris ?»

Gombrowicz sait qu'il est inconvenant de souligner le rapport qualité/quantité dans l'univers idéaliste des valeurs artistiques ; alors que le nombre des artistes était le fac-teur, dans l'Italie des X V e et XVTsiècles, de ce phénomène de propagation qualitative qu'on appelle «Renaissance», le Nombre de la culture de masse contemporaine ne fait qu'accentuer la prolifération d'œuvres et d'interprétations vidées de toute valeur -sinon la réitération infinie du kitsch.

La surpopulation actuelle des pianistes et des peintres impressionnistes révèle le phé-n o m è n e i r répress ib le d'un nive l lement mondial des qualités, lié à la fonctionnali-sation petite-bourgeoise de la production de l'art et de la consommation de ses pro-duits médiatiques (donc en ignorance d'un rapport plus intelligent avec ses contenus ou «sens» supposés et autres «messages»).

Tapi dans la faille épistémologique qui sub-siste entre le sociologue et le critique d'art, entre le cynisme du constat sociologique et la condamnation globale que prononce le juge-ment esthétique le plus lucide, l'écrivain n'a pas fini d'interpréter le mystérieux fonction-nement de ce cancer culturel mondial qui relève d'une perverse économie des formes et des signes. A

Christophe Deshoulières

1. Witold Gombrowicz: Journal, tome III: 1961-1969. Bourgois & Nadeaii. Paris. 1981.

2. Robert Alford et Andras Szanto: Orphée blessé - L'expérience de la douleur dans le monde profes-sionnel du piano in revue Actes - De la recherche en sciences sociales n°l 10 : Musique et musiciens. Sous la direction de Pierre Bourdieu. Seuil. Paris, décembre 1995.

3. Thomas Bernhard : Le Naufragé. Gallimard, etil Du monde entier ». Paris, 1986.

A I M E Z - V O U S , ( e n c o r e ) Brahms

D u 10 au 1S septembre derniers à La Vil-lette, avec Alternative lyrique, festival bien-nid européen des compagnies lyriques, Île-de-France Opéra et Ballet produisait la pre-mière manifestation publique de l'associa-tion h o m o n y m e ' . A u - d e l à de la possibilité donnée aux professionnels de se rencontrer et «de tisser des liens» lors de tables rondes consacrées à la diffusion ou à la production d'œuvres nouvelles, c e festival avait pour intention de «témoigner de l'originalité, de la diversité et d e la qualité» des compagnies briques qui, depuis quelques années, se mul-tiplient en Europe.

Avec ce programme d e n e u f spectacles provenant de six pays, le spectateur pouvait d o n c s 'o f f r i r une format ion intens ive au br ique et à ses expressions contemporaines. Cohérente avec l'esprit de l'association Alter-native lyrique et de ses membres , I fob en t ê t e , l ' initiative s 'annonçait d 'autant plus louable que les conditions tarifaires restaient modérées et que le cadre hautement démo-cratique du Parc de La Villette, loin du faste des circuits opératiques traditionnels - qui ne sont d 'a i l leurs , qu 'a l te rnat ivement , le salon de thé des compagnies concernées - , était apte à lever les inhibitions du curieux timide.

Or, le parcours, certes sélect i f (sélection fondée sur le hasard), de la B é o t i e n ne d e service se révèle plutôt décourageant. Guère plus in formée sur la spécif ic i té du genre , elle en ressort un peu triste, écrasée par un s e n t i m e n t d ' e n n u i pro fon d e t l e s t é e de quelques questions existentielles.

C o m m e disait l'autre, tu n'as rien vu à La Villette. Rien non, mais rien de mémorable , c 'est sûr. Tout pas non plus, mais j 'ai vu des ruisseaux d'hémoglobine et des coulées de dégueulis, j 'ai vu de petit marquis en per-ruque et de jeunes divas étliérées, j 'ai vu des projections et des vvorks in progress, j 'ai vu du trash et de l 'hygiénique, j 'ai vu des sou-rires f igés e t du t rag ique à la c h a î n e , d e pauvres ef fets, en pagaille, pour surpendre, faire rire, frémir et pleurer.

J 'ai entendu des voix de toutes couleurs, parlées, scandées, chantées, en français et en langues étrangères (même du japonais, dis !), j 'ai entendu de l'acoustique, de l'élec-trique et de l 'électro-acousti que. J 'ai même entendu des calembours à faire rougir M. Vennot.

J 'ai vu et entendu, ici ou là, de la satura-tion, de la surcharge (d'effets, de moyens), du narratif, de l ' i l lustration, de la redon-dance. Figures de style ? Pauvres masques à l ' indigence du propos ? Ou traduction du doute à faire sens ou simplement à retenir l 'attention (à défaut de l ' intérêt) des créa-teurs ?

J 'ai trouvé long le temps, m ê m e si l'aga-c e m e n t m'arrachait parfois à ma torpeur. En vrac et au hasard : pourquoi une fesse nue, fût-elle tatouée, ou une pièce de lin-gerie, fut-elle féminine et séparée du cul de sa propriétaire, devraient-elles nécessaire-ment m e t roubler (Plage Tattoo/Circum-stances par Muziek Transparant) ? Pourquoi un acteur-chanteur de douze ans et demi, balourd ou gracieux, devrait-il nécessaire-m e n t m e m e t t r e dans sa p o c h e (Choc, lyrique de chocolat par l ' E n s e m b l e Just i -niana) ? Pourquoi la gent i l le devrait -e l le nécessairement être blonde, j eune , jo l ie et dotée de tous les attributs conventionnels d e la p u r e t é - p ied nus/robe b l a n c h e et soprano - et la méchante nécessa i rement brune, vieille et moche à tessiture grave (The Last Virtuoso, dont il y a tout lieu de craindre qu'il ne soit pas «le dernier», par le B e r l i n e r K a m m e r o p e r ) ? Pourquoi le drame devrait-il nécessairement se cristalli-ser dans une note poussée puis tenue ?

J 'a i m ê m e trouvé à bo i r e e t à manger. M é d i o c r e s variat ions c a c a o t é e s (Choc encore), destinées sans doute à «faire passer» la maigreur d'un argument et la soupe fade ou a m è r e , c ' es t selon, de ses développe-ments dramatiques et musicaux - où l'on apprend que Quetzalcoalt est le dieu maya du chocolat. . . et, en extrapolant légèrement, que Moctezuma et son empire durent leur

ruine à un abus de mole poblano. Si l'on écarte le souci d'originalité affi-

ché par les producteurs de cet te manifes-tation - car il s 'agit là par principe d'un critère à haut risque et de peu d'intérêt - , si l'on admet la diversité des spectacles pré-sentés - encore qu'«éclectisme» serait plus approprié - , si l'on veut bien saluer la qua-lité de certains interprètes (ceux du Pocket Opéra , par e x e m p l e , ou la c o m é d i e n n e Hélène Rodier), que dire des compositions et des mises en scène ? On se souvient, un rien nostalgique, des lointaines Conversa-tions d 'Aperghis , des facét ies d ' E l e c t r i e Phoenix , du ré jouissan t Noir sur Blanc d'Heiner Cœbbels ou encore de Morning Song" de Jan Lauvvers, percutante réflexion sur le langage dans tous ses états (visuel, textuel, musical et chorégraphique) sous ses allures loufoques et disloquées.

E t on s ' interroge . E n t r e happening et missa solemnis , c ' es t quoi l 'art lyrique ? Quelle est la différence (et qui me la dira ? mais, j e l'en prie, en peu de mots) entre cet art et le théâtre ou la comédie musical(e) ? et la danse théâtre ? e t le récital ? et le Grand-Guignol ou le peep show ? Toutes questions qui ne se poseraient pas - et d'ailleurs celle du genre n'est pas très à la mode - si l'émo-tion ou un quelconque frémissement de la pensée étaient au rendez-vous.. . A

Myriam Blœdé

Île-de-France Opéra et Ballet, 4, nie de la Micho-dière, 75002 Paris. Tél. 01 42 a5 06 58. e-mail [email protected]

1. Créée en 1997. Alternative Ivrique regroupe des structures de formation et d'insertion profession-nelles, des compagnies lyriques et des structures de diffusion (notamment Ifob). afin de favoriser les

«nouvelles pratiques, de nouvelles formes et de nouveaux répertoires». Cf. Cassandre hors série n°2. Théâtre opéra, un conflit nécessaire. 2. Deuxième volet d'un diptyque dont le titre. No beautyfor me there where liuinan life Ls rare.

C o n t r e les éphémér ides de la mode et autres publicités médiatiques, une seule solu-tion: les ressources de l'érudition lumineuse. C'est l 'exercice auquel se livre le label Fré-meaux & Associés qui vient de sortir une R é t r o s p e c t i v e o f f i c ie l l e des musiques cubaines, résultat de dix années d'enregis-trement du C e n t r e de la recherch e et du d é v e l o p p e m e n t d e la mus iqu e C u b a i n e . Al'exception des chansons Afro-cubaines, tous les styles (Rumba, Son, Guaracha, Punto Cubaine, Danzón, Musique Traditionnelle) sont présentés dans leur évolution et leur authenticité sur quatre C D , accompagnés d'un livret substantiel et explicatif. A noter la sortie, toujours chez Frémeaux & Associés, d'un coffret ( deux C D ) des Negro Spiri-tuals: La tradition de concert. A

Nicolas Bersihand

Éditions Frémeaux & Ass Cirandineau 9300 Vincenne Tel : 01 3 7-190 24:

r-s. 20. rue Robert

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< Contrechant >

Depuis cinq ans The truth multiplie les

entrevues avec des rappeurs qu'il interroge

JLonce^n-EntreUen

avec se, rédacteurs, témoins privilégiés d un

mouvement qui ne tient

pan toujours ses promesses.

danger. Quelle place reste-t-il pour les labels indé-

pendants ? Y.C. : Leur viabilité est précaire, comme l'a

montré la faillite d'Arsenal. Ils ont du mal à dépasser trois ou quatre ans d'ancienneté, mais le renouvellement est permanent. Ils sortent principalement des maxis ou des compilations et de moins en moins d'artistes ont recours à ces labels. Certains montent leur propre structure pour sortir leur disque et les grandes maisons de disques signent de plus en plus de forma-tions.

S.L. : Les indépendants n'ont pas l'assise financière nécessaire à la sortie d'un album. Mais ce milieu reste très compétitif. Tous les aitistes qui ont fait sensation sont venus de l'in-dépendance. Les majors ne font que phagocyter les indépendants et récupérer les non signés. Ils n'ont rien inventé.

Le tableau est sombre. Y.C. : Les media ne font pas leur boulot, un

travail de recherche de talents et des critiques qui soient fonction de la qualité des artistes. Ils ont tous la même ligne rédactionnelle : entrer dans le jeu des maisons de disques. Ils suivent les tendances commerciales sans faire de travail à long terme sur les groupes, hormis s'ils pren-nent de la pub.

Le cercle vicieux se perpétue. C'est ce qui a tué la presse rock. Tous les titres ont périclité. Ils donnaient en pâture ce que les maisons de disques leur donnaient à vendre! Même chose avec le rap. Il y a bien des petites rubriques underground. Tout ce qui n'a pas une repré-sentation officielle en France n'existe pas, même si c'est distribué dans les Fnac. S'ils ne reçoi-vent pas les disques en service de presse, les journalistes n'en parlent pas ! Les aspects sociaux et humains sont laissés de côté. Ils n'essaient pas de voir pourquoi des groupes mettent des sujets en avant... C'est d'autant plus absurde que ça fait partie des racines du hip-hop. Et ils prétendent représenter un art! C'est à se deman-der s'ils aiment cette musique...

Les rappeurs n'ont-ils pas une part de res-ponsabilité ? Les textes tournent autour de l'ar-gent, de la drague et véhiculent le modèle consuinériste dominant. Qu'en est-il de la parole ?

S.L. : Ils ont développé une mentalité com-mune ; ils réagissent en fonction de leurs potes. Certains ne prennent jamais de recul par rap]X)i1 au marketing considéré comme le nec plus ultra.

Y.C. : Les textes reflètent leur situation per-

Cassandre: Quelle a été votre motivation pour monter ce magazine ?

Yann Cherruault : Avec la disparition d'1-tox en 93, il y a eu un véritable ride. Outre l'excel-lent Cet Buzy, il ne restait plus en France que L'Affiche et un périodique américain en perdi-tion, The Source, catalogue des sorties sans aucun esprit critique qui faisait la part belle aux publicités et autre publi-rédactionnel. Cette récupération mercantile du hip-hop dans sa forme musicale était oppressante. Il n'y avait aucune presse digne de ce nom. En 94, nous avons travaillé pendant un an avec d'anciennes grapliistes d'1-tox sur le premier numéro. Nous avions décidé de faire un magazine gratuit qui couvre la musique hip-hop dans son ensemble, sans se limiter à la France et aux Etats-Unis. Pour ce qui est du graffiti, la parution étant en noir et blanc... En danse, il y a des choses inté-ressantes, mais pas à tous les coins de rue.

Faut-il entendre par là que le mouvement hip-hop...

Y.C. : Il n'y a pas de mouvement ! Il y a une globalité hip-hop, mais pas de réelle solidarité entre les disciplines. Certains y ont des points communs, et c'est ce qui fait que l'ensemble est solide. Mais les ponts relèvent d'initiatives indi-viduelles.

Il n'y a pas de liens déterminants entre la street dan ce, le rap et le graffiti ?

Y.C. : II y a des ponts historiques. Mais l'in-timité des années 80 à New-York n'existe plus. La scène hip-hop est complètement atomisée. Il reste quelques irréductibles qui arrivent encore à lier graffiti, danse, DJing et rap. Mais la majo-rité ne se consacre qu'à un seul domaine. La plupart des rappeurs eux-mêmes ne connais-sent rien au graffiti ou à la break-tlancc, et à peine le DJing.

Quand on évoque le rap, on parle surtout de disques. Qu'en est-il de la scène ?

Y.C. : Dans les années 80, et jusqu'au début des années 90, il y a eu une véritable scène rap en France. Aujourd'hui, il n'y a plus rien. Il y a eu pas mal de problèmes liés à la violence, et à l'image négative véhiculée par les média. Il n'y a pas de lieu de rendez-vous. Quelques villes font des efforts, mais cela reste lié aux munici-palités et aux associations locales. À Marseille c'est plus facile du fait de la notoriété d'IAM. En Ile-de-France, hormis des MJC et quelques scènes de banlieue, il ne se passe rien. Même à Paris, il n'y a pas de salle consacrée au rap. Res-tent les radios. Mais ce n'est pas très représen-tatif. Pour ce qui concerne Skyrock, qui s'est consacrée au rap par opportunisme, certains

artistes n'y passeront jamais quelle que soit leur qualité. Quant aux radios spécialisées - Géné-rations, FPP, TSF- elles n'ont qu'une faible audience. Les seuls relais sont les mix-tapes. Elles font office d'émissions de radio. Ces cas-settes sont des condensés de l'actualité musi-cale. Ce sont souvent des pirates, mais elles ont pris une vraie ampleur, au point de représenter un chiffre d'affaire supérieur au CD chez cer-tains disquaires.

Doit-on établir un parallèle entre la dispari-tion du caractère scénique et l'atomisation ?

Y.C : La passion s'est détachée du hip-hop, elle a été confisquée par l'intervention de puis-sants acteurs économiques. Quand le mercanti-lisme a mis la main dessus, tous les excès du hip-hop - artistiques ou de comportement - ont gêné. Et les événements se sont fait plus raies.

Dans quelle mesure l'intervention des grandes maisons de disques a-t-elle changé la donne ?

Sylvain Lehoux: Par un formatage! Il faut faire des singles accessibles, vendre et rem-bourser l'investissement initial. Seuls les impé-ratifs financière sont pris en compte. Les maisons de disques agissent comme des banques qui refuseraient tout prêt parce que cela comporte des risques. C'est pourtant leur rôle! Les majors investissent dans des groupes rentables dont la notoriété est acquise. Elles ne fonctionnent jamais au coup de cœur.

Y.C. : Le personnel est piégé par cette logique. Certains directeurs artistiques ont pu refuser de sortir un album de peur que leur prime de fin d'année soit entamée en cas de faible rentabilité ! Ça fait très longtemps que les maisons de disques ont abandonné toute politique de déve-loppement d'artistes. Les nouvelles signatures se font par cooptation.

Il n'y a plus de recherche dans les salles de concerts. Et si une expérience avec un groupe n'est pas immédiatement concluante, elle est stoppée. A tenue, ça pose la question de leur existence. D'autant qu'avec les nouvelles tech-nologies et les possibilités de piratage, leur pérennité est loin d'être garantie.

Les rappeurs se prêtent-ils au jeu ? Y. C. : Certains ont résisté un moment. Pour

beaucoup, c'est terminé ! La plupart diront qu'ils jouent avec le système. Leur discours consiste à dire qu'ils ont beaucoup trimé et qu'ils veulent en récolter les fruits : des zéros au bout d'un chéquier, et non une reconnaissance artistique ou l'avancée d'une culture qu'ils ne perçoivent plus que comme la poule aux œufs d'or. Il y a

S.L. : Aider les gens n'est pas facile quand tu veux éviter les contrats véreux. L'aspect juri-dique a été remis en cause. Tout le schéma qui régissait l'industrie du disque a volé en éclat. La plupart s'étaient débrouillés sans l'aide de maisons de disques. Ils sortaient leurs disques à travers des associations ou de petites SARL et s'attribuaient des pourcentages astronomiques. En vendant 20 (XX) disques sans promotion, cer-tains gagnaient plus que s'ils avaient fait un disque d'or. Du coup, quand les majors sont allées chercher les artistes, ils ont pu imposer leurs conditions. Elles ont été obligées de chan-ger de discours économique et de réviser leurs ridicules pourcentages. Aujourd'hui, les altistes sont au courant des rouages de la production. Et ils demandent des comptes !

Y.C. : S'il y a eu des avancées dans la rému-nération des altistes, c'est grâce au rap. Grâce à des coups de gueule. Avant qu'ils aient vendus des millions de disques, les artistes étaient inca-pables d'obtenir plus de dix pour cent sur les ventes. Ils signaient des contrats ahurissants qui pouvaient porter sur dix albums ! Il fallait qu'ils aient acquis un poids pour pouvoir renégocier. Aujourd'hui, aucun rappeur ne signe ça. Ça a pu donner de mauvaises affaires pour les maisons de disques. C'est le jeu !

Les rappeurs ont-ils manqué le rendez-vous politique ?

Y.C. : Pour ce qui est des Etats-Unis, il y a une telle inculture politique que seule une infime minorité possède ime conscience des réa-lités économico-politiques. En France, il y a des gens qui s'investissent sur le terrain. C'est lié au monde associatif : Droits devant, MIB... Il y a des initiatives un peu partout en France, à Toulouse avec Cercle Fermé, à Nîmes avec les Disciples ou à Bobigny avec Boboch lpakt et Kabal. Il y a un parallèle entre la possibilité mili-tante et sociale d'une ville et leur engagement. En Ile-de-France, dans les villes universitaires ou là où l'extrême-droite est forte, il y a plus d'en-gagement. Mais ça reste au niveau du discours.

En dehors de l'Île-de-France, on parle de Marseille. Les autres régions sont-elles aussi actives ?

S.L : Le drame, c'est le parisianisme. Tout est centralisé : distributeur, maisons de disques, presse. Un jour ou l'autre, tu es obligé de passer par Paris. Les groupes de province ont du mal à passer d'un rayonnement local à un rayonne-ment national. Les Marseillais ont compris qu'il

sonnelle. Beaucoup ont très tôt quitté l'école et n'ont jamais travaillé. Mais ils ont un appétit énorme. Beaucoup cherchent à argumenter, mais ils manquent de bagage. Quand ça marche, ils en viennent à dire que le système n'est pas fondamentalement mauvais. Ils oublient tout : famille, amis. Ils rentrent dans un système qui les avait écrasés au début. Et là, la concurrence est féroce ! Il a fallu attendre longtemps pour que certains groupes renvoient l'ascenseur à ceux avec lesquels ils étaient liés au départ, en tra-vaillant sur le même matériel. Au moment où ils auraient pu tirer d'autres gens, ils n'ont rien fait. Ils n'ont vu que le veau d'or, ils ont laissé tout le monde derrière. Pour ce qui est d'IAM, ils ont mis longtemps à s'investir, mais quand ils l'ont fait, ils l'ont lait à fond.

á u m i J M i i i r i M m H m i L i . B T m

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y avait une machine à faire plier, et ils ont attendu d'être mûrs. Artistiquement, ils étaient solides et cohérents. Une des raisons de leur succès, c'est de n'être pas tombés dans la com-promission commerciale.

Y.C. : Malgré tout, des disques sortent de par-tout. Certaines villes où il ne se passait rien se sont propulsées. A Lyon, il a fallu attendre une décennie pour voir apparaître un groupe solide. Aujourd'hui, un collectif comme La Lyonnaise des Flots est très actif. À Grenoble, trois albums intéressants sont sortis en l'espace de trois mois! Dans l'Ouest, il y a eu une ébullition autour de Sysmix, un label qui a drainé tout l'entourage nantais dans son sillon.

D e nombreux groupes revendiquent leur enracinement... Que se passe-t-il au plan local ?

Y.C. : Ça bouge dans tous les sens. Emission sur des radios indépendantes, organisation de concerts quand les municipalités ouvrent leur salle... Depuis peu, la création de fanzines est

Certains hôpitaux psychiatriques ne sont plus fermés au public et abritent des salles de spectacle, des cinémas, des expositions. On y pratique l'expérience d'une culture non exclusive favorisée par le plan interministériel «Culture à l'hôpital». Après l'antipsychiatrie et pour une médecine humaniste, après la mutation vers les hôpitaux de jour, ces cités autarciques autrefois excentrées loin de la normalité, sont incluses dans le tissu urbain. Les anciens pavillons d'internement ou de service deviennent le champ d'expériences culturelles et artistiques offrant aux patients et aux soignants un temps libéré de la pathologie et du rythme des soins.

A u centre de l'hôpital Montperrin d'Aix -en-Provence, le 3bis f, lieu d'arts contem-porains, placé sous les tutelles des minis-tère de la Culture et de la Santé, repose sur l 'économie primitive d'un troc. Des ateliers de résidence pour les plasti-c iens , une salle pour les compagnies d e danse et de théâtre en échange d'ateliers. L e contrat entre les altistes et la structure s'établit sur le risque l ibrement consenti de s ' impliquer ensemble dans un lieu très sensible, accessible à tous, et dont la folie

repartie. Et il y a les ateliers d'écriture ! Cette structure est spécifique à la France et à la fran-cophonie. Aux États-Unis, la pratique du rap est très ancrée: ça se fait naturellement. Ce n'est pas vrai du reste de l'Europe. De ces ateliers, des morceaux ou des disques ont pu sortir, à Mar-seille autour de Ptodige Namor, à Bruxelles avec FRJ. Il y a une émulation. C'est un des miracles du hip-hop : dès gens que l'école rebutait passent des heures à écrire, à améliorer leur syntaxe. Ça les fait vivre intellectuellement. Du coup, ils s'intéressent a fond. Ils écoutent les groupes engagés ; ils développent une conscience poli-tique. On parle d'«impIication citoyenne» ; mais s'il y a des citoyens, c'est bien eux !

Le rap travaille la langue en profondeur. Mais peut-on parler d'une création de langue ? Et s'agit-il d'une langue ou de patois de cité qui ne communiqueraient pas entre eux ?

S.L. : C'est un vecteur qui véhicule beau-coup de choses : le verlan, un certain argot. Et il y a des effets de mode: certaines expressions

n'a pas été évacuée. Cet ancien pavillon de force pour f e m m e s rénové en 1992 a res-pecté dans sa nouvelle architecture les stig-mates d e son passé . L e s t r a c e s d e l ' internement dégagées de la brutalité ordi-naire d e la médec ine , un mur symbolique p e r c é e d'une si lhouette , les bureaux amé-nagés pour la conversation, !e travail à vue des artistes, ont permis d'introduire un grain de sable qui a grippé les rouages de ce que Jean Maviel, médecin psychiatre responsable de la s t ructure n o m m e «la métaphys ique pour singes». Lorsque l'expérience a débuté, en 1 9 8 4 , il s 'agissai t p o u r l 'associat ion Entr 'acte de combattre la perte de mémoire des lieux et de redonner à chacun sa part de souveraineté. Dans un contexte où se déve-loppait une spéculation sur les bienfaits du «tout thérapeutique», l 'association a tenté un travail de non spécialiste perçu c o m m e suspect par une médec ine qui n ' interroge pas tou jour s le s y m p t ô m e . S e d é g a g e a n t d 'une stratégie compassionnelle l'esprit du 3 b i s f met en re l ie f la prise de c o n s c i e n c e d'une fragilité partagée. Pour Sylvie G e r -bault, la directrice, «C'est le seul lieu de l'hô-pital où les malades peuvent avoir un autre statut. On voudrait nous faire jouer le rôle de l 'occupationnel. On est dans un lieu du non-faire et où on peut le revendiquer.» On y développe un rapport très personnel à l'art. L e s ar t i s tes travai l lent e n t r e eux dans le domaine de la psychiatrie publique et dans celui de la culture comm e réponse à l'exclu-sion. L e dialogue avec les malades et le per-sonnel entraîne une prise de conscience de la responsabilité c i toyenne : «Pour m e n e r des ateliers de pratique quotidienne, il faut de l 'endurance. On a besoin d'artistes capables de se ressourcer et de répondre». Deux infir-miers accompagnent le processus ; ce sont eux qui payent le plus c h e r la jus tesse de leur propos. Pour eux, le rapport qui s'ins-taure au delà de la folie et de la souffrance demande d 'abandonner la maîtrise du rôle pour parier sur le collectif. La relation n'est plus dans Pimmédiateté du soin, mais dans la densité du quotidien. Il faut accompagner le regard des ar t i s tes c o m m e ce lu i des malades e t assumer une parole forte sur la

durent une saison et disparaissent. L'utilisation du vocabulaire anglais dans les textes a été aban-donnée et n'est plus défendue que par un petit bastion.

Y.C. : Des dialectes sont apparus, comme le Veul Tout autour de la Mafia Underground, dans le Val-de-Marne. Un charabia incompréhen-sible, sorte de franglais contracté où chaque terme constituait une expression. C'était une spécificité qui faisait marrer. Mais quand il a fallu faire passer des idées, ils en sont revenus.

L'abandon de ces singularités n'a-t-il pas appauvri le rap ?

Y.C. : Au contraire, il y a eu une émulation pour s'approprier un vocabulaire. Il n'y a pas eu de révolution en terme d'écriture ou de structure des textes; le nombre de pieds est respecté: c'est assez académique. C'est pour ça qu'il peut v avoir des ateliers d'écriture de hip-hop dans des MJC.

maladie mentale . «C'est la relation aux per-sonnes qui importe. Les infirmiers sont les garants du respect mutuel», dit Sylvie Ger-bault, «les glissements sont rapides. La mani-pulation n'est jamais un problème réglé e t le succès de l 'expérience est lié à la qualité des personnes.» La situation du lieu, vécue au départ c o m m e handicapante, a gagné en reconnaissance pour devenir un des princi-paux lieux d'accueil de la ville d'Aix. L e mur de l'hôpital comm e frontière à franchir pour relativiser l 'ordre apparent, pose à tous la problématique de l'autre comm e miroir de son étrangeté.

C o m m e il n'existe aucune «modélisation» de c e s e x p é r i e n c e s , q u e la ques t ion de l 'homme est infinie, chaque hôpital déve-loppe son projet en relation avec un art en particulier ou en fonction d'une géographie.

La F e r m e du Vinatier est un lieu hybride inscrit dans le patrimoine de l'institution psy-chiatrique. L'hôpital de Bron près de Lyon est , après Sa inte-Anne, le plus important asile de F r a n c e : mille lits d'hospitalisation. L'ancienne ferme tombait en ruines, et les cochons nourris par les restes des repas et leurs résidus neuroleptiques ont disparu. La direction de l'hôpital hésitait entre tout raser ou restaurer , Car ine D e l a n o ë , pressent ie pour faire une étude de viabilité pour un écomusée, transforme la commande en pro-posant un lieu interdisciplinaire. La ferme du Vinatier, actuellement en travaux, s'écha-faude depuis un an sur des axes patr imo-niaux, a r t i s t iques , d e r e c h e r c h e e t de médiation. Carine veut faire de la ferme un sas entre la ville et l'hôpital. L' imprimerie a permis la création d'un livre d'art avec des adolescents, le cinéma accueille chaque mois le public avec Séances tenantes, projections suivies d'un débat avec le réalisateur, et une polit ique d' incitation permet aux malades d'aller pour dix francs au cinéma les Alizés de Bron. Actions ponctuelles, résidences, ciné-club, ont pour o b j e t de dé jouer les méca-nismes de la psychiatrie et de fabriquer du secret en travaillant sur l 'institution et ses mythes, à travers la mémoire vivante de la maladie et de sa médecine .

E n octobre 1999, La ligne 28 ou le ticket

Y-a-t-il des tentatives politiques de censure ou de banalisation de discours jugés trop violent, comme cela peut être le cas aux États-Unis ?

Y.C. : Il y a une crainte des politiques. Il a fallu attendre cette année pour qu'il y ait une grande scène à la Fête de l'Humanité. Il y a eu des tentatives de récupération de la part du PS, via SOS Racisme, qui se sont soldées par de cui-sants échecs. Ils ont été vite débordés par les municipalités. Il y a eu des velléités de censure en Angleterre, mais pas en France. En revanche, des poursuites contre des groupes ont pu se sol-der par des amendes ou des peines de prison. Généralement le tollé est tel que les peines sont révisées en appel. Mais c'est ridicule ! Faire taire la colère en muselant les gens n'est pas une solu-tion : ce n'est pas comme ça qu'on arrête l'in-cendie. •

Propos recueillis par Gilles Bastogy

< Hors-champ >

liberté, d o c u m e n t a i r e réal isé par Patr ick Viron et un groupe de patients, retrace les iti-néraires fantasmés d'une folie autorisée et méprisée. Car si l'on perçoit l'évolution et les révolutions mentales de la psychiatrie contemporaine, l 'approche des lieux d'inter-n e m e n t est v é c u e c o m m e synonyme d e craintes et d'aliénation. Quant aux œuvres produites en «art thérapie», elles ont sou-vent perdu leurs propriétaires, mais non leurs destinataires, et nombre d'objets d'arts bruts disparaissent des ateliers. L'exposition L'ar-rière-patjs embrassé a permis à Car ine de m e t t r e au point u n e «char te d'art e t d'éthique», exigeant des personnels soignants qu' i ls n ' a c q u i è r e n t pas les œuvres d'un malade pendant son hospitalisation et Les Sept propos sur le septième ange, en novembre, promèneront le visiteur au tra-vers de sept propos sur la psychiatrie dans les espaces scénographiques de l 'ancienne ferme. Entre lieu de soins et lieu d'asile pour populations marginalisées, l'hôpital cherche sa vocation. Un chant ier de réhabilitation qui ne doit pas être fait sans mesurer l'impact d'une politique qui a pour ob jec t i f l'hospi-talité. Pour transgresser les valeurs de l'ins-titution qui visent à rectif ier le passé pour le neutraliser, le premier acte de la ferme a é té de signer une convention entre l'hôpital et les Facul tés , en débloquant des alloca-tions de recherche pour des enquêtes socio-logiques et anthropologiques . Un consei l scientifique, la F . E . R . M . E (Fondation pour l 'Étude et la Recherche sur les Mémoires et l 'Expression) accompagne le travail culturel pour initier le public à un lieu qui provoque encore le re jet et la peur. L e lien entre l'ex-térieur et l ' intérieur est analysé à travers les composantes de la population hospitalière d'hier et d'aujourdhui. Du Café-mémoire où l 'on évoque la banal i té du quot idien, aux entretiens scientifiques qui croisent les dis-ciplines de connaissance de l'homme, le Vina-tier édifie sa dynamique sur plus d'un siècle d'histoire collective. •

Alix de Morant

3bisf, Lieu d'arts contemporains Hôpital Montperrin. 109, av. du petit Barthélémy 13617 Aix-en-Provencc. Tél: 04 42 16 17 75 Carine Delanoë La Ferme du Vinatier CH le Vinatier 95 boulevard Pinet 69677 Bron Cedex Tél: 04 37 91 51 11 [email protected]

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11—...BALADE AUVERGNATE [ I l 12—...BALADE AUVERGNATE 121 13 -AVIS DE TEMPETE... 14—LA CULTURE EN RESISTANCE 15—FRAGMENTS DU MONDE

16 -LE FIL INVISIBLE 17 -DOSSIER EDUCATION ET THEATRE . 18 -WAITING FOR LEFTY 19 -LE THEATRE EN SES NON-LIEUX 20 -UN COMBAT CULTUREL 21 -LE PUBLIC, CE HEROS 22- - "MUR" PRIVE / PUBLIC A OUAND LA CHUTE ? 23—NORMANDIE(S) HAUTS ET DEBATS 24 -3 CLES POUR LE SPECTACLE VIVANT 25—UN COMBAT CULTUREL (SUITE) SUPPLEMENT : LES DENTS DE L'AMI 26 -REGARDS SUBIECT1FS, PARTIS PRIS... SUPPLEMENT : SPECIAL MARSEILLE 27 -AGIR 28 -L'ART PRINCIPE ACTIF 29—RENCONTRES : ACTE 1 30 -RENCONTRES : ACTE 2

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Je désire acheter un ou plusieurs anciens numéros de Cassandre au prix de 20 FF/3,05 ^ port compris pour la France et de 30FF/4,550 pour l'étranger. Je règle un montant de... FF (Xfois 20 FF/3.05O ou 30 FF/4,558 ). Je souhaite recevoir les numéros suivants:

Je désire souscrire un abonnement d'un an à Cassandre et soutiens, comme membre actif, l'association Paroles de théâtre - Cassandre . Je recevrai une carte de membre et participerai à l'assemblé« générale. Je règle un montant de 310FF/47,25/24,4n (abonnement: 210FF/32/24,4n + cotisation: 100 FF/15,25n).

Ces tarifs sont indiqués pour la France métropolitaine. Dom-tom et étranger: 50FF/7,62n supplémentaires pour frais d'envol,

abonnement : USA S80 - Canada S 1 0 0

Je souhaite m'abonner et devenir membre bienfaiteur en soutenant l'action de Paroles de théâtre-Cassandre et j'envoie un montant de 500 FF/76,22n ou plus.

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Retournez ce coupon, et votre règlement à l'ordre de: Paroles de théâtre-Cassandre 49A, avenue de la Résistance - 93100 Montreuil - France Tél. : 01 42 87 43 20 - Fax : 0 1 42 87 43 99

Cassandre N* 31

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HORS SERIE : N°2 : THEATRE OPERA : 50 FF N°3 : THEATRES DES MONDES ARABES : 70FF

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VI es-teti Is PRODUCTION V j ^ . GESTION

DIFFUSION COMMUNICATION

( u l s s e a u X DU SPECTACLE VIVANT

L L i L i i i i P . l e s - p e t i t s - r u i s s e a u H . c o m

COLLECTIF DE T H E A T R E ET DE COMPAGNIES

P ar t e n a ire des spe c t a c l es C R E A T I O N S / D I F F U S I O N S

Les escargots vont au cie l de Dominique PAQUET avec la complicité tutélaire de Gaston Bachelard Mise en scène Patrick Simon (Cie 3.5.81) Jeune Public Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

La double vie de Fé lida de Dominique PAQUET d'après l 'œuvre du Docteur Eugène Azam sur une idée de Guy Samama Mise en scène Patrick Simon (Cie 3.5.81) Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

La Héronnière de Dominique ZAMBON {création février 2000)

Mise en scène Yves Chenevoy (Cie Chenevoy) Contact Edna Fainaru : 01 46 44 35 26

Terres mortes de Frantz Xaver Kroetz Mise en scène Marc-Ange Sanz (L'empreinte et Cie) Contact Edna Fainaru : 01 46 44 35 26

Chlore de Karine SERRE et Froissement de nuit de Dominique PAQUET Mise en scène Patrick Simon avec Bruno Netter et Monica Companys (Cie du 3* Œil) Jeune Public, Tout Public Contact Edna Fainaru : 01 46 44 35 26

Jeunes poètes fin de siècle Lecture spectacle de poésies contemporaines vivantes à l'initiative de Antoine Girard avec la participation de Jean-Marie Villégier (Cie La Chair des Mots) Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

Théâtre Ta lipot (Ile de la Réunion) Direction et mise en scène Philippe Pelen Les Porteurs d'eau Passage (création octobre 1999)

Contact Edna Fairanu : 01 46 44 35 26

P R O D U C T I O N S

Les possibilités de Howard BARKER Mise en scène Jerzy KLESYK (Cie Va-Nu-Pieds) avec Nathalie Richard, Nada Strancar, François Clavier (distribution en cours) Contact Edna Fainaru : 01 46 44 35 26

Un hibou à soi de Dominique PAQUET (création mars 2000)

inspiré de l'œuvre de Gilles Deleuze Mise en scène Patrick Simon (Cie 3.5.81) Tout Public Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

G E S T I O N / A D M I N I S T R A T I O N / C O N S E I L

Suiv i et ges t ion comptab le des compagn ies

La Compagnie Va-Nu-Pieds (Martine Derrier) Gaby-Théâtre (Martine Derrier) La Chair des Mots (Martine Derrier) Babel'Art (Martine Derrier) Aria-Théâtre Ultime and Co (Compagnie Sylvain Maurice) Cie de l'Équipage

L E S P E T I T S R U I S S E A U X U L T I - M E D I A L E S I T E T H E M A T I Q U E D E S P E T I T S R U I S S E A U X

Quelques chiffres : 55 Mo, 5000 fichiers, 140 000 visiteurs à ce jour... Les rubriques : - spectacles en production et en diffusion des Petits Ruisseaux - services professionnels - spectacles en diffusion des compagnies hébergées - festivals - CV des artistes - formations - auteurs contemporains - revues de presse - les salles à Paris - Avignon (informations In et Off) - programmation des Théâtres hébergés - les réseaux (AGIR-Cassandre, Fédercies, les OS) Réalisation Thanos Kollyris Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

C R É A T I O N E T R É A L I S A T I O N D E S I T E S I N T E R N E T

Concept ion de si tes (Charte graphique, définition de l'arborescence, ergonomie) Hébergement Votre site profite des visites de l'ensemble du site thématique des Petits Ruisseaux Dépôt du nom de doma ine Votre site a son nom propre, hébergé ou non aux Petits Ruisseaux Référencement Votre site répertorié dans tous les moteurs de recherche Mises à jour à la demande Réalisation Thanos Kollyris Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

c a p t a t i o n v i d é o Réalisation Jean-Yves Bertrand Contact Martine Derrier : 01 49 59 93 69

L e s P e t i t s R u i s s e a u x - 2 , c o u r d u L i é g a t , 75013 P a r i s - T é l / F a x 01 49 59 93 69 - L i c e n c e N ° 3 753072 S i t e T h é m a t i q u e : h t t p : / / w w w . l e s - p e t i t s - r u i s s e a u x . c o m - E - m a i l : c o u r r i e r @ l e s - p e t i s - r u i s s e a u x . c o m

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Danse

• Du 9 au 13 novembre : 3 e Rencontres de la Création

Chorégraphique d'Afrique et

de l 'Océan Indien, avec la finale du 3 concours chorégraphique interafricain, à Antananarivo (Madagascar).

compagnies de danse contemporaine vivant et travaillant sur le continent Africain et dans l 'Océan Indien. Dix compagnies sélectionnées (Afrique du Sud, Burkina-Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Madagascar, Tunisie). Rens. : 01 42 46 30 70.

• Dans le cadre du Temps du Maroc. l 'Institut du Monde Arabe présente La Veuve rouge, chorégraphie de Khalid Benghrib, chorégraphe d'appartenance culturelle française et marocaine qui nourrit sa compagnie Hors Champs des expériences d'interprètes algériens, japonais, colombiens et français. Son travail explore les limites du mouvement dans un espace dense. Le corps-support, le corps-vecteur, le corps-prison, la dualité et l'opposition de ses forces et de

d'une vision artistique dont on rencontre des constantes à travers l'œuvre de K. Benghrib. Les 19 et 20 novembre 1999. Institut du Monde Arabe.

I , nie des Fossés St-Bernard 75236 Paris cedex 05 . Té l . : 01 40 51 38 14.

Festivals

d é c e m b r e . lé Fes t ival 3 8 e

rugissants , débordant d' inventivité, propose à G r e n o b l e de la musique, de la poésie, du théâ t re vocal, des parcours artist iques, des installations. . . venues du monde entier .

I I , rue J e a n - J a c q u e s Rousseau G r e n o b l e T é l . : 0 4 76 5 1 12 9 2 .

• L e tout nouveau festival Résidanse accueille du 15 au 28 octobre cinq chorégraphes en résidence en Seine-Saint-Denis. Invitation à découvrir, «à domicile", la diversité de la création chorégraphique. Opération «prenez une place, venez à deux».

Rens. : 01 43 93 83 55.

• Le Théâtre International de Langue Française ouvre la saison avec le festival Francophonie au féminin, écrire au féminin. Des lectures scéniques, des spectacles et des soirées poétiques feront entendre, les écrits d'Agotha Kristof. Andrée Chedid, Véronique Olmi. . . jusqu'au 30 novembre. Théâtre International de Langue française, Parc de la Villette. Tél . : 01 40 03 93 95 .

• Huit ième festival d e l 'Union des T h é â t r e s de l 'Europe au Théâtre National de Strasbourg, du 5 octobre au 7 novembre. Créations des théâtres membre de PUTE, cycle de lectures de pièces contemporaines, rencontre de trois écoles de théâtre, rencontre de la critique internationale, débat public sur «le théâtre dans l 'Europe mondialisée».

• Danse, théâtre, musique, performances, à l'Atheneum, à l 'École des Beaux-Arts et à l'Usine pour le festival Nouvelles s cènes de Di jon , du 21 au 3 0 oc tobre . Une sélection de la jeune création

Première rétrospective de l'autrichien Gervvald Rockenschaub présentée au Consortium et nouvelles les installations-sculptures de Claude Lévêque à l'Usine. Nouvelles scènes, l'Usine. 37, rue de Longvic. 21 000 Dijon. Tél . : 33 3 8 0 66 70 49. [email protected]

• Huit ième édition des Rencontres internat ionales du C a m e r o u n (Ret ic ) à Yaoundé. Douala et Buéa du 15 au 22 novembre. C e festival entend servir de tremplin au développement d'une chorégraphie et d'un théâtre inspirés des rites africains et faciliter le dialogue entre les valeurs nouvelles et les techniques dramatiques conventionnelles.

Retic. BP 8 1 6 3 Yaoundé. Tél . : 237 23 3 0 22. [email protected]

Champs croisés

• Le théâtre de-Benoît Brade l et ses complices de Zabraka

croisent la danse, la musique et le music-hall. D e leur découverte de l'œuvre de John Cage est née l'idée d'un cirque

mêlant les facéties de Cage, Satie et Duchamp. Cage circus : Petites histoires, nouvelles règles du jeu, hasard, sérieux et la loufoquerie. Du 15 novembre au 11 décembre. Théâtre de la Cité internationale, 21, boulevard Jourdan, 75 014 Paris. T é l . : 01 43 13 5 0 50.

• L e ca fé La P ê c h e propose-deux rendez-vous africains à Montreuil. Aller-Retour Panamako, théâtre-forum franco-malien organisé par l'association Panamako (Paname-Bamako) autour d'un plat africain, le 18 novembre et L'Afrique vue par Monique Paupartlin. exposition de pastels et matières, du 9 au 26

16, rue Pépin (Esplanade Missak Manouchian). 9 3 1 0 0 Montreuil. Tél : 01 48 70 69 65.

• L e s 9, 10 et 11 décembre, l 'association Les Murs d'Aurelle (Animations et créations artistiques en milieu psychiatrique) organise, avec le Centre Chorégraphique National de Montpellier et les Éditions Théétète , des journées d'étude. Il s'agit d'interroger le sens des pratiques artistiques pour retrouver la question de l'identité à partir de celle du singulier. Ateliers de réflexion (art et quotidien, transfiguration du banal), spectacles - dont une création du Théâtre de l 'Expérience et rencontre avec des écrivains. Centre de Formation du Personnel Hospitalier. 1146, av. du Père Soulas 3 4 2 9 5 Montpellier Cedex 5. Tél . : 04 67 3 3 99 52.

• Documentaires, théâtre, danse, musique, contes et cinéma à La filature de

Mulhouse, du 2 n o v e m b r e au

19 d é c e m b r e . Avec notamment une série de documentaires sur la Shoah ; Le

Chant du Dire-Dire de Daniel Danis m/s Alain Françon ; Apnée Tango, chorégraphie de Serge Campardon; Au premier

temps du monde, spectacle de

Grégoire Callies ; L'Avare de

Roger Planchon et une conférence sur la nourriture dans le théâtre de Molière. La Filature. 20,allée Nathan Katz. 68 090 Mulhouse Cedex. Tél . : 03 8 9 3 6 28 04. [email protected]

• Le Parc de la Villette présente les R e n c o n t r e s des Cultures urbaines , du 2 7 o c t o b r e au 15 novembre .

Hommage aux danses urbaines : une des aventures de cette fin de siècle. Le site internet cogéré par la Villette, la Friche de La Belle de Mai de Marseille et l'Agence de Développement des Relations Interculturelles cherche à constituer un «Carrefour-

urbaines. Un répertoire permettra l 'accès aux références des acteurs. Parc de la Vilette. 211 avenue Jean Jaurès. 75 019 Paris. www.la-villette.com

Expositions

• Pour marquer le passage à l'an 2000, le Parc de la Villette explore les relat ions d e l ' h o m m e et de son e n v i r o n n e m e n t . Le jardin planétaire ou comment réconcilier l'homme et la nature, exposition-promenade à la Grande Halle de la Villette. Jusqu'au 23 janvier.

Tél . : 08 03 30 63 06. www.la-villette.com

• L e C e n t r e d'Art et de P la isanter ie -Scène Nationale de Montbél iard vous accueille au pays des inventions pour la 4 édition de Quand les machines rient au Pays de Montbéliard. Jusqu'au 31 décembre, grande exposition de machines inutiles : artistes reconnus, bricoleurs amateurs, retraités, écoles maternelles... Centre d'Art et de Plaisanterie, Hôtel de Sponeck. 54, rue Clémenceau, B P 236, 25204 Montbéliard cedex.

T é l . : 03 81 91 3 7 11. www.district montbéliard.fr/cap

• L e B a r F loréa l propose Ballast, exposition de Jean-Pierre Vallorani qui interroge la notion de travail. Photographier les mondes du travail : une entreprise chère à l'atelier du bar Floréal. (Mémoires d'usine, sur l'usine Alsthom de Saint-Ouen ;

La grande nuit, sur le travail de nuit etc.). Jusqu'au 31/10. Galerie du Bar Floréal. 43, m e des Couronnes. 75 020 Paris. T é l . : 01 4 3 4 9 5 5 22.

Musique

• Jazz à la Goutte d'or du 5 au 27 novembre. Alain Jean-Marie ; George Brown Trio ; Jean-Charles Richard Quartet; François Tusques Trio, Frédéric Ravel Trio et Larry Brovvne Quartet.

Té l . : 01 42 58 63 33 .

• F a m a et la Fondation

Argentine de la Cité

Internationale Universitaire

de Paris présentent Paris-

Banlieues-Tango : 60 jours de tango à Paris et dans une douzaine de villes de banlieue. Concerts, bals, ateliers danse, cinéma, théâtre, débats, ateliers de chant, d'écriture, expos, cabaret et gastronomie. Tél . : 01 4 8 87 4 7 23.

Infos

• L e Fourneau de Brest fait suivre : «Eléonore Soliotopoulos recherche comédien professionnel 40/50 ans, belle voix, si possible accent, marqué physiquement, en vue d'un spectacle fin avril à Brest. T h è m e : La perception de la guerre de l'intérieur.» Infos: [email protected]

Tél . : 06 81 84 82 85.

• Le Théâtre Dodona, théâtre de la jeunesse et des marionnettes de Pristina, est depuis une décennie le lieu ou résonne la part la plus active de la création théâtrale au Kosovo. Le théâtre est parvenu à

matériel des pillages lors du récent conflit. Mais son j e u orgue est très ancien et très réduit, son matériel bureautique

obsolète, et le moteur de leur camion hors d'usage, rendant toute tournée impossible. Le Théâtre Dodona ne dispose pas des fonds nécessaires à l'achat d'un tel matériel. Nous lançons cet appel afin de leur procurer un moteur de Renault Trafic, un jeu d'orgue (avec racks) ainsi qu'un ordinateur. Merci d'entrer rapidement en contact

Dominique Dolmieu. Cie L'Espace d'un instant. 86. blv Diderot. 75 012 Paris. Tel/Fax: 01 43 40 4 9 10. [email protected]

• CASSANDRE AINSI QU'UNE EXPOSITION D'ŒUVRES D'OLIVIER PERROT SONT AU SALON DE LA REVUE DU 15 AU 17 OCTOBRE 1999. ESPACE TAPIS ROUCE, 67, RUE DU FAUBOURG ST-MARTIN 7 5 0 1 0 PARIS.

• L e G r o u p e de r e c h e r c h e pour l 'éducation et la prospect ive ( G r e p ) présente le dernier numéro de POUR : La formation professionnelle continue revisitée. Le financement qui lui est consacré en France répond-il aux besoins les plus importants? Permet-il un accès pour tous à la formation «tout au long de la vie»? Grep, 13/15, m e des Petites Ecuries. 7501 0 Paris. T é ) : 01 5 5 33 10 40.

• La Fédéra t io n (Association Professionnelle des Arts de la Rue) demande réparation publique pour les préjudices portés à la compagnie L'Arbre à Nomades. Le spectacle UPH, à l'affiche du festival La Mouette Rieuse organisé par le Syndicat Intercommunal des Dunes de Flandres ( S I D F ) et programmé le 21 août dans la commune de Malo-Les-Bains, a été interrompu par la Police, pour «obscénité sur la voie publique», l 'acteur principal s'étant présenté nu, dans le spectacle. Bruno Eckert, directeur artistique exige réparation publique ù la ville de Dunkerque, en la personne de Michel Delebarre. La

Fédération : Mas le Barret, Rte de Port Saint-Louis. 13200 Arles. Tél : 04 9 0 9 3 74 24.

• Quatorzième édition du Festival des Arlequins (théâtre amateur) du 22 au 29 avril 2000 Dossiers déposés avant le 31 octobre. Seize troupes seront séléetionneés, les trois

arlequins d'or, d'argent et de bronze et se partageront une bourse de 5 0 0 0 0 frs. Festival des Arlequins. BP 2135. 49 321 Cholet Cedex. T é l . : 02 41 49 25 58. [email protected]

Stages

• L e C h e m i n s d e La voix: Les postures corporelles et la résonnance vocale, les points d'appui de la voix. Voix et philosophie, anthropologie de la voix et du chant, voix et théâtre. Atelier dirigé par Jorge Lopez Palacio, chanteur et anthropologue. Les 23 et 24 octobre. Jorge Lopez Palacio. 8,av. de Ternier, 7 4 1 60 St-Julien-en-Genevois. Tél . : 04 50 49 42 95.

• L e TéATr ' é P R O U V è T e et la C o m p a g n i e T u r b u l e n c e

proposent un stage de rap social, le 20 octobre et un stage de capoeira (pratique brésilienne qui allie les techniques corporelles, théâtrales, musicales et vocales les 16 et 18 octobre. Invitations à 4 soirées à thème, les 17,18 et 21 octobre : philo, musique, théâtre. Abri culturel de Nevers. Tél . : 03 86 61 01 55 .

• Stage conventionné A F D A S du 8 novembre au 3 décembre, 10, 15 participants. Fomiation à la pratique du théâtre en direction de publics dits en difficulté, pour comédiens, metteurs en scène. Dirigé par le C I T H E C , Groupe d'Intervention Théâtrale et cinématographique. Maiosn de quartier des Courtillièrcs Pantin 93 .

Rens. : 01 4 8 3 5 4 2 10. Fax : 01 48 35 32 87.

Théâtre

• L 'Équipe de Créa t ion Théât ra le présente La Femme de Cilles de Madeleine Bourdouxhe, travail avec les acteurs Chantai Morel. du 1er au 31 octobre au Théâtre de la Tempête et du 5 novembre au 5 décembre à 1' Atelier du Plateau. 5, m e du Plateau, 75019 Paris. Tél : 01 42 41 28 22. Chantai Morel présentera La Révolte de Villiers de l'Isle-Adam, du 12 au 3 0 octobre et du 9 au 4 décembre. Le Petit 38, 38, m e Saint-Laurent, 38000 Grenoble.

Tél. : 04 76 54 12 30.

• La c o m p a g n i e Dies I r a e propose Trafic, une pièce écrite et mise en scène par Matthieu Boisset d'après Edouard 11 de Christopher Marlowe. Création au T N T du 15 au 2 3 octobre à la Manufacture de Chaussures, 226, Bd Albert 1er. 3 3 0 00 Bordeaux. Tél : 05 56 85 82 81. et le 19 novembre au Krakatoa, 3 . avenue Victor Hugo, 3 3 7 0 0 Mérignac. Tél . : 05 5 6 12 19 45.

• La compagnie Ariadne présente Méfions nous de la nature sauvage, d'après Elfriede Jelinek. Les 19 et 2 0 octobre au Grand Angle à Voiron, le 16 novembre au Relais culturel Château-Rouge à Annemasse et du 17 au 21 novembre au Théâtre St-Gervais à Genève, Suisse. T é l . : 04 74 47 10 17.

• Kaléidoscope et la

compagnie d e l'Autobus

joueront 1993, d'après Mehdi Belhaj Kacem. Une introspection douloureuse, rapportée dans une langue produisant à force de tensions, l 'effet du spasme. Du 3 au 27 novembre au Théâtre des Songes. 157, m e Pelleport, 7 5 0 2 0 Paris. Tél . : 01 46 36 52 12.

Invitations À reserver impérativement à Cassandre : 01 42 8 7 43 20.

• Ali cœur du baroc/ue. Les vingt ans des Arts Florissants. Exposition à l'Opéra National de Paris et à la Bibliothèque-musée de l'Opéra, du 18 septembre au 31 décembre.

Place de l 'Opéra. 75009 Paris. 10 invitations pour 2 personnes

• Le Théâtre 71 Malakoff présente Littoral, texte et mise en scène de Wadji Mouavvad, par le Théâtre 0 Parleur, jusqu'au 29 octobre. Théâtre 71. 3, Place du 11 novembre. 9224 0 Malakoff.

5 invitations pour 2 personnes

• La compagnie de création et de formation théâtrale Paroles organise la quatrième édition de son festival Paroles de quartiers, du 16 au 29

Paroles. 9, m e Fénelon. 8 7 0 0 0 Limoges. 3 invitations pour 1 personne

• La Compagnie L e Ricochet solaire et le Théâtre 13 présentent Fric -Frac, une comédie d'Édouard Bourdet. m/s Aurore Prieto. Jusqu'au 6

Théâtre 13. 24, rue David 7 5 0 1 3 Paris. 5 invitations pour 2 personnes

• Le Théâtre Lucemaire et la compagnie Acte 1 présentent Le Joueur d'échecs, ms. Nani Noël d'après une nouvelle de Stefan Zweig. Lucemaire, Centre National d'Art et d'Essai. 53, m e Notre-Dame des-Champs

7 5 0 0 6 Paris. 25, 27 10 et 1/11. 5 invitations pour 2 personnes

• L e Loup du Faubourg vous invite au spectacle de Mariana Montalvo : Cantos del alma à la Chapelle des Lombards, le jeudi 28 octobre à 20h30. Chapelle des Lx>mbards.

19, m e de Lappe. 75011 Paris. 2 invitations pour 2 personnes