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Biologie du toxoplasme et toxoplasmose Jean-Franqois Dubremetz Toxoplasma gondii, agent de la toxoplasmose, est un modele privilegie d’etude des Api- complexa, parasites respon- sables de nombreuses affec- tions graves de l’homme et des animaux. Les modalites tout a fait originales de l’invasion de la cellule h8te par ces para- sites, qui creent un nouveau compartiment subcellulaire, sont un domaine de recherches en plein develop- pement. De meme, la decou- verte recente d’un organite proche des chloroplastes chez le toxoplasme et les autres Apicomplexa ouvre un champ nouveau d’investigations qui pourrait avoir des retombees therapeutiques majeures. Laboratoire des mkanismes mokxulaires de la pathogen&se des Sporozoaires. lnstitut de biologie de Lille, lnstitut Pasteur de Lille, 1, rue Calmette, 59021 Lille. jean- [email protected]. armi les protozoaires para- sites, le phylum des Apicom- plexa constitue un groupe tres homogene qui occupe une niche extremement vaste car tous les groupes zoologiques ou presque peuvent @tre hates de Apicomplexa, et leur repartition geographique est quasi universelle. Toxoplasma go?ldii represente au sein du phylum le modele plus ubiquis- te de par sa large palette d’hotes intermediaires (les homeothermes), qui lui assure une distribution pla- netaire. Par contre, il est clair que ce parasite, malgre les dommages qu’il peut causer chez certains individus ou dans les elevages ovins, est loin de constituer une menace sanitaire ou economique, au contraire de cer- tains autres Apicowzplexa comme le genre Plasmodium envers l’homme ou le genre Eimeria et les piro- plasmes pour le betail. Mais le toxoplasme, comme patho- gene opportuniste et comme mode- le d’etude d/agents patho-genes voi- sins plus virulents constitue un objet de recherche fascinant. Les principaux themes d’investigation le concernant actuellement sont de deux ordres : le premier concerne l’invasion de la cellule h6te et le developpement intracellulaire, le second, les modalites de la differen- ciation lors de l’alternance des stades evolutifs. Dans les deux cas, les lecons tirees de l’etude du toxo- plasme eclairent l’etude de l’en- semble des membres du phylum, au-dela des particularites speci- fiques qui, bien qu’importantes, ne temoignent pas des mecanismes de base du parasitisme des Apicom- plexa, lequel est fond6 sur un mode tout a fait original d/invasion de la cellule h8te et qui est partage par l’essentiel des membres du phylum. 1. hasion q 1.1. Site de multiplication Comme la plupart des Apicomplexa, T. gondii est un parasite intracellu- laire obligatoire. Une phase capita- le de son cycle biologique est l’en- tree dans la cellule hate, qui condi- tionne sa survie. Les travaux Scents ont confirm4 ce que de nombreux auteurs ont mis en evi- dence au tours des vingt dernieres an&es, c’est-a-dire la part active majeure prise par le parasite dans l’invasion de la cellule hate. Et ce mecanisme d’invasion repose en fait sur une motilite particuliere, qui est encore loin d’etre comprise au plan moleculaire, m@me si des hypotheses explicatives sont avan- des. Le cycle biologique de T. gondii peut, d’apres la litterature, se derouler selon un mode coccidien monoxene classique, dans la muqueuse intestinale du chat (ou d’autres f&lid&). Dans ce cas, plu- sieurs generations schizogoniques precedent la formation de gametes qui donnent naissance a l’ceuf ou oocyste, qui assure la transmission exterieure vers un autre felide ou vers les hates intermediaires. ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR / actualites (1999) 10, 1,107-112 0 Elsevier, Paris 107

Biologie du toxoplasme et toxoplasmose

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Biologie du toxoplasme et toxoplasmose

Jean-Franqois Dubremetz

Toxoplasma gondii, agent de la toxoplasmose, est un modele privilegie d’etude des Api- complexa, parasites respon- sables de nombreuses affec- tions graves de l’homme et des animaux. Les modalites tout a fait originales de l’invasion de la cellule h8te par ces para- sites, qui creent un nouveau compartiment subcellulaire, sont un domaine de recherches en plein develop- pement. De meme, la decou- verte recente d’un organite proche des chloroplastes chez le toxoplasme et les autres Apicomplexa ouvre un champ nouveau d’investigations qui pourrait avoir des retombees therapeutiques majeures.

Laboratoire des mkanismes mokxulaires de la pathogen&se des Sporozoaires. lnstitut de biologie de Lille, lnstitut Pasteur de Lille, 1, rue Calmette, 59021 Lille. jean- [email protected].

armi les protozoaires para- sites, le phylum des Apicom- plexa constitue un groupe tres

homogene qui occupe une niche extremement vaste car tous les groupes zoologiques ou presque peuvent @tre hates de Apicomplexa, et leur repartition geographique est quasi universelle. Toxoplasma go?ldii represente au sein du phylum le modele plus ubiquis- te de par sa large palette d’hotes intermediaires (les homeothermes), qui lui assure une distribution pla- netaire. Par contre, il est clair que ce parasite, malgre les dommages qu’il peut causer chez certains individus ou dans les elevages ovins, est loin de constituer une menace sanitaire ou economique, au contraire de cer- tains autres Apicowzplexa comme le genre Plasmodium envers l’homme ou le genre Eimeria et les piro- plasmes pour le betail. Mais le toxoplasme, comme patho- gene opportuniste et comme mode- le d’etude d/agents patho-genes voi- sins plus virulents constitue un objet de recherche fascinant. Les principaux themes d’investigation le concernant actuellement sont de deux ordres : le premier concerne l’invasion de la cellule h6te et le developpement intracellulaire, le second, les modalites de la differen- ciation lors de l’alternance des stades evolutifs. Dans les deux cas, les lecons tirees de l’etude du toxo- plasme eclairent l’etude de l’en- semble des membres du phylum, au-dela des particularites speci- fiques qui, bien qu’importantes, ne

temoignent pas des mecanismes de base du parasitisme des Apicom- plexa, lequel est fond6 sur un mode tout a fait original d/invasion de la cellule h8te et qui est partage par l’essentiel des membres du phylum.

1. hasion

q 1.1. Site de multiplication

Comme la plupart des Apicomplexa, T. gondii est un parasite intracellu- laire obligatoire. Une phase capita- le de son cycle biologique est l’en- tree dans la cellule hate, qui condi- tionne sa survie. Les travaux Scents ont confirm4 ce que de nombreux auteurs ont mis en evi- dence au tours des vingt dernieres an&es, c’est-a-dire la part active majeure prise par le parasite dans l’invasion de la cellule hate. Et ce mecanisme d’invasion repose en fait sur une motilite particuliere, qui est encore loin d’etre comprise au plan moleculaire, m@me si des hypotheses explicatives sont avan- des. Le cycle biologique de T. gondii peut, d’apres la litterature, se derouler selon un mode coccidien monoxene classique, dans la muqueuse intestinale du chat (ou d’autres f&lid&). Dans ce cas, plu- sieurs generations schizogoniques precedent la formation de gametes qui donnent naissance a l’ceuf ou oocyste, qui assure la transmission exterieure vers un autre felide ou vers les hates intermediaires.

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Curieusement, il a ete recemment montre que ce cycle monoxene est tres peu efficace ; en effet, les oocystes sont tres peu infectieux pour le chat, et il semble m@me que les sporozoi’tes issus de l’oocyste ne donnent pas lieu directement au cycle enterique, mais que des stades plus profonds, identiques a ceux rencontres chez les h&es intermediaires, soient un passage oblige avant la phase coccidienne typique [5]. Chez l’hote interme- diaire, l’infection est realisee par ingestion soit d’oocystes issus du chat, soit de kystes presents dans les tissus d’autres hates infect&. Elle se propage a partir de la muqueuse intestinale et affecte de nombreux organes lors de la phase aigue, bien que les cellules affec- tees, hors des phagocytes de la lignee monocytaire, soient ma1 connues. Le parasite est alors sous une forme mieux connue, le tachy- zoi’te. Puis l’infection evolue rapi- dement vers l’enkystement dans des cellules perennes (neurones, myofibres) ; le parasite adopte alors la forme bradyzoi’te. Comme tous les stades infectieux des Apicomplexa, chacun des stades mentionnes ci-dessus et qui assure- ront la propagation de cellule a cel- lule, ou vers les cellules d’autres hates, possede une serie de diffe- renciations particulieres d&rites par les cytologistes depuis l’avene- ment de la microscopic electro- nique, mais dont la fonction est encore ma1 connue, m@me si leur implication dans l/invasion de la cellule hate est certaine. 11 s’agit d’organites secretoires (trois types : micronemes, rhoptries et granules denses), associes a un systeme cytosquelettique original compor- tant en particulier des vesicules sous-membranaires et des microtu- bules sous-pelliculaires.

W 1.2. MotilitC

Une particularite majeure de l’in- vasion des cellules hates par T. gon- dii est d’etre un phenomene actif de la part du parasite, lequel induit la formation d’un nouveau comparti-

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ment cellulaire dans lequel il penetre en generant lui-m@me la force mecanique necessaire a l’in- ternalisation [6]. Ceci distingue les Apicomplexa de la plupart des autres agents pathogenes intracel- lulaires qui utilisent generalement les mecanismes d’internalisation de la cellule hate a leur profit. La mobilite parasitaire est ici, de plus, d’un type original chez les euca- ryotes car il s’agit d’un glissement parallele au grand axe du proto- zoaire, consistant en un deplace- ment anteroposterieur d’une adhe- sion entre la surface parasitaire et le substrat. Qu’il s’agisse du deplace- ment sur un substrat quelconque ou de l’entree dans la cellule, il semble que le meme mecanisme soit mis en jeu, reposant sur un moteur actomyosinique localise sous la membrane plasmique para- sitaire 1141. La transduction du mouvement a travers la membrane plasmique reste enigmatique, car on ne connait pas de molecules transmembranaires de surface chez les Apicomplexa mais seulement des proteines superficielles ancrees par un groupement glycosyl phosphati- dyl inositol 1201. Pour expliquer la mobilite, il faut faire intervenir la possibilite pour les parasites d’inse- rer au moins transitoirement dans leur membrane plasmique des pro- teines transmembranaires. Une hypothese assez attrayante, fondle sur des observations realisees chez divers Apicomplexa (Sarcocystis sp., T. gondii, Eimeria sp., Plasmodium sp.) suggere que des proteines stoc- kees dans les micronemes puissent @tre transloquees a la surface et jouer ce role d’interface entre le moteur sous-jacent et le substrat sur lequel se deplace le parasite 1171. Si cette hypothese est demontree, il restera a etablir les mecanismes regulant la specificite de l’interac- tion, en particulier lors de l’inva- sion de la cellule hate, oti une inter- action tres etroite se noue entre parasite et cellule au niveau d’une (< jonction mobile N qui gouverne l’internalisation.

W 1.3. Formation de la vacuole du parasitophore

T. gondii se developpe dans un compartiment neoforme de la cel- lule hate, lequel reste a l’ecart du trafic vesiculaire de la cellule. Cette absence de fusion avec les lyso- somes, autrefois interpretee comme une inhibition du processus de fusion, est a present consideree comme une consequence du meca- nisme particulier d’invasion creant un compartiment incapable de fusion avec les autres vesicules subcellulaires. En effet, la vacuole parasitophore se formant lors de l’invasion est bien continue avec la membrane plasmique de la cellule hate pendant toute la phase d’in- ternalisation, mais la jonction mobile qui se forme entre les deux partenaires joue vraisemblable- ment un role de filtre limitant la diffusion de certaines molecules du plasmalemme vers la membrane vacuolaire, et en particulier celle de toutes les proteines transmembra- naires. 11 semble ainsi, d’apres toutes les observations realisees a l’aide d’une large variete de tech- niques experimentales, que l’essen- tie1 de la membrane vacuolaire neoformee soit constituee de phos- pholipides issus de la membrane plasmique de la cellule hate, mais qu’elle soit depourvue de proteines issues de cette membrane, alors que le parasite ins&e pendant l’in- vasion des proteines (et peut-@tre egalement des lipides) issues de l’exocytose des rhoptries, et dont le role est encore inconnu 1181. La for- mation de cette vacuole est rapide (quelques secondes) et l’internali- sation du parasite est simultanee. Dans la mesure oh la vacuole para- sitophore semble completement isolee du trafic vacuolaire de la cel- lule, les echanges metaboliques avec cette derniere ne peuvent s’ef- fectuer qu’a travers la membrane vacuolaire. Cela suppose l’existen- ce de systemes transmembranaires de transport de metabolites. Ceux- ci n’ont pas encore ete identifies ; par contre, il semble que le parasite mette en place un systeme econo-

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mique d’echanges ; celui-ci consiste en la mise en place de pores trans- membranaires non specifiques per- mettant le passage de molecules de taille inferieure a 1 200 daltons [131. Cela doit permettre un libre acces a l’essentiel des metabolites de base, la presence de ces pores mettant de facto le parasite au contact direct du cytosol, mais restreignant ce contact aux micromolecules en evi- tant, par exemple, les interactions avec les proteasomes ou avec d’autres composants cellulaires indesirables pour le parasite. Les molecules parasitaires qui consti- tuent ces pores ne sont pas encore identifiees. Par contre, sont deja connues certaines molecules trans- membranaires issues des rhoptries ou des granules denses, m@me si leur role reste enigmatique. Une interrogation majeure subsiste quant aux mecanismes de translo- cation des proteines mis en jeu par le parasite : en effet, celui-ci stocke dans des organites secretoires des proteines dont la destinee est de devenir transmembranaires (dans sa membrane ou dans la membrane de la vacuole parasitophore ou ses derives) apres exocytose : cela peut se comprendre si des changements conformationnels permettent a ces proteines d’etre stockees sous forme soluble puis d’etre inserees en situation transmembranaire dans des conditions appropriees. Mais les mecanismes mis en jeu sont encore inconnus.

2. Diffkrenciation

H 2.1. Enkystement

L’enkystement du parasite qui suit la phase a&u@ de la toxoplasmose chez les hates immunocompetents est devenu un objet de recherches approfondies depuis le developpe- ment de l’epidemie de Sida dans la mesure ou T. gondii est l’un des opportunistes le plus frequemment rencontre dans le contexte de cette infection. En effet, la reactivation toxoplasmique se deroule essentiel- lement a partir de la phase enkyst6e du parasite, qui persiste silencieuse-

1

2

3

Figure 7. DBroulement schdmatique de /‘invasion de /a cellule hBfe par T. gondii. (1) Le tachyzoi’te enfre en contact par /a partie apicale avec /a future cellule hbfe ; le contenu de micronkmes a Bt6 exocytk [f/.&he) et contribue A /‘interaction prtkoce avec la cellule (motilif6, reconnaissance, aftachement). (2) Le contenu d’une rhoptrie est exocytk et contribue au d&eloppement de la vacuole parasitophore dont la membrane est continue avec /a membrane de /a cellule hbfe dont e//e est isoke par /a jonction mobile (f/&he) qui gouverne la p&&ration du parasite. (3) Lorsque le parasite est internali&, /es granules denses sont exocyf& dans /a vacuole parasifophore {f/&he) et leur confenu contribue vraisemblablement ti la mise en place des khanges mktaboliques entre parasite et cel- /u/e hbte. CH : cellule h6fe ; G : granule dense ; M : micronkme ; N : noyau ; R : rhoptrie.

ment chez l’hbte immunocompetent (sa seule manifestation supposee &ant le maintien de la reponse immune, vraisemblablement par rappels occasionnels lors de la libe- ration eventuelle de parasites par eclatement de kystes), mais se pro- page sans restriction lorsque la

reponse immune ne permet plus le controle de l’infection. Les an&es 1990 ont vu un developpement considerable des investigations dans ce domaine. Les premiers travaux ont consist6 en une meilleure caracterisation mole- culaire des parasites aux stades aigu

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et chronique. Ces travaux ont per- mis le developpement de sondes anticorps specifiques de stade, auto- risant, a leur tour, le suivi experi- mental de la conversion interstades 1191. Alors que l’essentiel des tra- vaux anterieurs (par developpe- ment de cellules en culture) avaient et6 realis& sur les tachyzoi’tes, il a et4 possible de developper des methodes conduisant a l’obtention in vitro des stades enkystes, mimant ainsi l’evolution naturelle in vivo chez l’hote immunocompetent [ 151. Ces experiences ont d’abord montre que des situations de stress en cul- ture favorisaient l’evolution des parasites vers le stade bradyzdite ; puis il a et6 montre que des effec- teurs plus precis, generateurs d’oxy- de d’azote (NO) ou inhibiteurs du metabolisme mitochondrial, avaient les m:mes effets kystogenes in vitro [2]. A l’heure actuelle, alors qu’il semble bien que la reponse immu- ne, a travers des cytokines ou autres molecules derivees de leur action, declenche la transformation des parasites proliferatifs en parasites quiescents, mais le ou les effec- teur(s) impliques ne sont pas connus. Le NO est un candidat important, mais la capacite de sou- ris ayant perdu le gene codant pour la NO synthase inductible, a former des kystes, suggere que si cette molecule participe, elle n’est ni indispensable, ni la seule impliquee [El. Les progres realises dans la connais- sance des genes exprimes par les deux stades parasitaires ont com- mence a mettre en evidence que des alleles differents de genes codant pour certain enzymes (en particulier jusque la ceux lies a la glycolyse ou au metabolisme energetique) etaient exprimes selon les stades [21]. 11 semble ainsi que des differences metaboliques existent, qui pour- raient devenir la cible d’interven- tion therapeutique specifique sur les kystes parasitaires.

q 2.2. RCactivation

Le mecanisme de la reactivation n’est pas encore connu ; il n’existe

110

pas de modele in vitro pour cette etude, ce qui rend l’experimenta- tion plus difficile. Deux possibilites existent, entre lesquelles les don- nees actuelles ne permettent pas de trancher. Dune part, il se pourrait (cf. supra) que les kystes generes lors d’une infection aigue, chez l’in- dividu immunocompetent, aient une duree de persistance limitee, et finissent par s’ouvrir et liberer les bradyzoltes infectieux qu’ils contiennent. Dans ce cas, si l’indivi- du est toujours immunocompetent, les parasites issus du kyste sont rapidement deceles par les defenses de l’hote, qui les neutralisent ou les conduisent aussitot a se reenkyster, saris phase proliferative patente. Au contraire, a partir du moment ou l’immunodepression est assez avan- tee, l’hote ne peut plus juguler cette autoreinfection spontanee, et le parasite retourne h une phase proli- ferative aigue qui peut @tre fatale. D’autre part, il se pourrait que l’im- munosuppression, a partir d’un cer- tain seuil (et chez certains individus, car tous les patients seropositifs pour T. pndii ne developpent pas la maladie), provoque l’eclatement des kystes et conduise activement a la reactivation. Quelle que soit la voie de reactivation, il est evident que la meilleure solution therapeutique lors de l’immunodepression serait d’etre capable d’eradiquer tous les kystes presents chez le patient, de maniere a eviter toute proliferation. Malgre l’existence de drogues assez efficaces envers la phase aigue, il est actuellement impossible de realiser cette eradication, les parasites enkystes etant refractaires a I’action des drogues connues. Par ailleurs, les etudes experimentales de reacti- vation chez la souris montrent que, malgre 1’immunosuppression, une partie au moins des parasites issus de kystes redeveloppent des brady- zoi’tes [ll]. Cela justifie les efforts actuels visant a elucider de nou- veaux metabolismes susceptibles de devenir des cibles therapeutiques plus efficaces.

3, Un nouvel organite subcellulaire : ~~~~ic~~lw~t~

Une decouverte recente a enrichi considerablement notre vision du parasite et a d’ailleurs et6 conjointe- ment realisee chez T. gorzdii et Plas- modiwn sp. 11 s’agit de la presence d’un troisieme genome present dans ces protozoaires (en plus des genomes nucleaire et mitochon- drial) et represent4 par un ADN cir- culaire de quelque dizaines de kilo- bases [S]. 11 a et6 demontre que ce genome etait contenu dans un orga- nite plurimembranaire connu depuis plusieurs dizaines d’annees en ultrastructure et dont la significa- tion etait jusque la enigmatique [9]. Les comparaisons de sequence ont rapidement permis de trouver l’ho- mologue le plus proche de cet ADN dans les chloroplastes de chlorophy- &es, et de conclure que cet organite conserve universellement chez tous les Apicomyltm devait deriver d’une endosymbiose avec une telle algue &ant intervenue alors que les ancetres du phylum menaient enco- re une vie libre. En effet, la presence de quatre membranes limitantes suggerait que l’organite derivait de l’endosymbiose d’une cellule entie- re et non d’un seul plaste ou d’un seul procaryote, qui auraient conduit respectivement a trois ou deux membranes limitantes. De tels endosymbiontes sont connus chez des protozoaires libres (en particu- lier chez les protozoaires Alueolata - cilies et dinoflagelles - que les etudes phyletiques rapprochent d’ailleurs des Apicomplem, et des intermediaires sont connus ou la symbiose devient permanente avec perte partielle du noyau de l’algue). Les recherches t&s actives sur cet apicoplaste et ses proprietes mon- trent, en effet, que des metabolismes infeodes aux vegetaux sont effecti- vement presents chez les Apicov- plesrz, temoignant de la capture et du maintien de genes nucleaires de l’algue par le protozoaire, en plus des metabolismes plastidiques vrai- semblablement conserves (a l’ex- ception de l’assimilation chloro-

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phyllienne). Limplication de cette decouverte est evidente et illustree de man&e spectaculaire par la demonstration de la sensibilite des parasites aux herbicides [16]. Ces metabolismes d’origine vegetale sont en effet des cibles therapeu- tiques de choix en vue de l’elimina- tion de l’agent pathogene dans son hate vertebre.

4. Questions et perspectives

Les developpement r&cents de la genetique moleculaire experimenta- le chez T. go&ii ouvrent de larges perpectives dans la recherche sur la biologie parasitaire et I/infection [31. Les techniques de transfection ont deja permis des suppressions de genes ou l’attenuation de leur expression par des ARN antisens, l’etude de promoteurs, et le suivi de voies de secretion ou d’adressage dans les divers organites. Si l’absen- ce de promoteurs inductibles chez les Apicomplexa impose encore des limites a l’experimentation, les voies ouvertes sont multiples et facilitees par la manipulation aisle du parasi- te. Une attenuation de la virulence chez la souris a, par exemple, ete obtenue par suppression dun gene codant pour une proteine de gra- nules denses [lo]. Par ailleurs, une banque riche d’environ 10 000 sequences exprimees aux stades tachyzo’ites et bradyzoi’tes a ete pro- duite, ce qui facilite l’identification des genes d’interet dans tous les domaines d’etude du parasite [l]. Un aspect ma1 connu du developpe- ment parasitaire concerne le deve- loppement chez l’hote definitif, le chat. La relative difficult4 d’experi- menter chez ce modele explique le retard dans le domaine. Des travaux recents ont amen& d’interessants resultats montrant que l’interaction entre le parasite et sa cellule hate est differente dans cette phase du cycle [71. Laspect le plus enigmatique de cette interaction concerne la specifi- cite parasitaire : les stades qui infec- tent la muqueuse intestinale du chat s’y developpent sous une forme coccidienne typique, menant a la

differentiation sex&e, alors que, s’il sont places en culture de cellules, ils adoptent un mode de developpe- ment caracteristique de l’hote inter- mediaire. Les particularites de I’en- terocyte qui conduisent a activer ce programme particulier de differen- ciation sont loin d’etre elucidees, mais ce probleme biologique consti- tue un aspect majeur de la transmis- sion parasitaire. Les phase precoces de l’infection toxoplasmique chez l’hote interme- diaire sont egalement peu connues, a cause de la rarete des parasites a ce stade. Pourtant ces premiers moments de l’interaction sont vrai- semblablement cruciaux pour la mise en place de la reponse immu- ne, et ensuite, pour l’inhibition de la reinfection. En effet, les lympho- cytes du tissu intestinal jouent un role capital dans le protection immune, alors que le temps de sejour du parasite dans cet organe est vraisemblablement limit6 [4]. Les investigations dans ce domaine sont techniquement delicates, mais les resultats deja obtenus sont pro- metteurs.

Conclusion

Le toxoplasme est done un modele exceptionnel pour I’etude de l’inter- action entre les Apicomplexa et leurs cellules hbtes, et pour celle de la bio- logie de ces protozoaires en general. Les dernieres annees ont vu un developpement considerable des connaissances et des possibilites experimentales concernant ces orga- nismes. Les outils sont a present dis- ponibles pour que ce developpe- ment s’accelere, ce qui est haute- ment souhaitable quand on sait l’impact considerable sur la Sante humaine qu’ont certains de ces agents pathogenes.

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112 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR / actualites (1999) 10,l