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wp.unil.ch http://wp.unil.ch/livre-photo/guilde-du-livre/les-albums-sur-paris/la-banlieue-de-paris/ Fig. 1, La Banlieue de Paris , p. 38-39 (planches). Fig. 2, La Banlieue de Paris , p. 46-47 (planches). BLAISE CENDRARS ET ROBERT DOISNEAU, LA BANLIEUE DE PARIS, 1949 La Banlieue de Paris est le premier album photographique de la Guilde du Livre consacré à Paris. Un texte d’une cinquantaine de pages de Blaise Cendrars introduit 130 planches de Robert Doisneau , alors encore peu connu. L’ouvrage est une collaboration entre la Guilde du Livre et l’éditeur parisien Pierre Seghers. La première assure la conception de l’ouvrage et son impression en héliogravure, sur les presses d’Héliographia (Imprimeries lausannoises ) ; les éditions Seghers disposeront, elles, d’une partie du tirage (3'000 exemplaires sur 7’000), avec une page de titre et une jaquette à leur nom pour le marché français . Sorti en octobre 1949, La Banlieue de Paris sera épuisé dès mars 1950. Genèse du livre Le dossier d’archives de la Guilde du Livre offre de précieuses informations sur le travail de conception de l’ouvrage ; on découvr son ampleur et sa complexité dans les nombreuses lettres que se sont échangées Albert Mermoud et Seghers surtout, mais aussi Cendrars, Doisneau et les deux éditeurs les mois précédant la sortie du livre. À Paris, Seghers est en contact étroit avec Cendrars qui rédige son texte entre juillet et août. À Lausanne, Mermoud s’occupe des aspects techniques : assemblage des images en groupes significatifs, mise en page, contacts avec l’imprimeur et le chef maquettiste, éléments financiers. Durant l’été, avant même d’avoir le texte de l’écrivain, Mermoud travaille à l’agencement des photographies de Doisneau, sélectionnées au préalable par Seghers et Cendrars. Le photographe, qui a vécu une grande partie de sa vie en banlieue parisienne, y a réalisé de très nombreux clichés (Cendrars parle de 50'000 négatifs ). Ceux du livre ont été pris entre 1947 et 1949, comme l’indique l’introduction du même Cendrars à la table des illustrations . Quelques-uns sont par ailleurs déjà parus dans le magazine communiste Regards. Pour cet album, Mermoud compose une maquette classique où texte et images sont séparés, le premier servant d’introduction aux secondes. Les photographies se suivent de manière continue, occupant tantôt seules la double page (fig. 1), tantôt par paires ( fig. 2 et 3), reproduites le plus souvent à bords perdus – ou « à vif », pour reprendre les termes de Mermoud. Elles sont regroupées en huit sections thématiques : Gosses, Amour, Décors, Dimanches et Fêtes , Loisirs, Travail, Terminus, Habitations. Cendrars, lui, aurait voulu que les clichés de Doisneau soient organisés selon les points cardinaux, en conformité à son texte, mais Mermoud se montre réticent, comme il l’explique à Seghers : J’ai conservé dans l’iconographie les groupements par thème qui apportent un élément de variété intéressant et qui permettent de doser l’intérêt du lecteur. Des illustrations qui auraient suivi les pérégrinations du texte, selon les points cardinaux, seraient arbitraires et fastidieuses. Recommencer à quatre reprises le thème du DECOR, le thème des GOSSES, etc. dérouterait inutilement le lecteur, tandis que de cette manière, tout est beaucoup plus varié et harmonieux. 1 2 3 4 1/3

BLAISE CENDRARS ET ROBERT DOISNEAU, LA BANLIEUE DE PARIS, 1949

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Fig. 1, La Banlieue de Paris , p. 38-39 (planches). Fig. 2, La Banlieue de Paris , p. 46-47 (planches).

BLAISE CENDRARS ET ROBERT DOISNEAU, LA BANLIEUE DE PARIS, 1949

La Banlieue de Paris est le premier album photographique de la Guilde du Livre consacré à Paris. Un texte d’une cinquantaine depages de Blaise Cendrars introduit 130 planches de Robert Doisneau , alors encore peu connu. L’ouvrage est une collaborationentre la Guilde du Livre et l’éditeur parisien Pierre Seghers. La première assure la conception de l’ouvrage et son impression enhéliogravure, sur les presses d’Héliographia (☞ Imprimeries lausannoises) ; les éditions Seghers disposeront, elles, d’une partiedu tirage (3'000 exemplaires sur 7’000), avec une page de titre et une jaquette à leur nom pour le marché français . Sorti en octobre1949, La Banlieue de Paris sera épuisé dès mars 1950.

Genèse du livre

Le dossier d’archives de la Guilde du Livre offre de précieuses informations sur le travail de conception de l’ouvrage ; on découvreson ampleur et sa complexité dans les nombreuses lettres que se sont échangées Albert Mermoud et Seghers surtout, mais aussiCendrars, Doisneau et les deux éditeurs les mois précédant la sortie du livre. À Paris, Seghers est en contact étroit avec Cendrarsqui rédige son texte entre juillet et août. À Lausanne, Mermoud s’occupe des aspects techniques : assemblage des images engroupes significatifs, mise en page, contacts avec l’imprimeur et le chef maquettiste, éléments financiers. Durant l’été, avantmême d’avoir le texte de l’écrivain, Mermoud travaille à l’agencement des photographies de Doisneau, sélectionnées au préalablepar Seghers et Cendrars. Le photographe, qui a vécu une grande partie de sa vie en banlieue parisienne, y a réalisé de trèsnombreux clichés (Cendrars parle de 50'000 négatifs ). Ceux du livre ont été pris entre 1947 et 1949, comme l’indiquel’introduction du même Cendrars à la table des illustrations. Quelques-uns sont par ailleurs déjà parus dans le magazinecommuniste Regards.

Pour cet album, Mermoud compose une maquette classique où texte et images sont séparés, le premier servant d’introduction auxsecondes. Les photographies se suivent de manière continue, occupant tantôt seules la double page (fig. 1), tantôt par paires ( fig. 2et 3), reproduites le plus souvent à bords perdus – ou « à vif », pour reprendre les termes de Mermoud. Elles sont regroupées enhuit sections thématiques : Gosses, Amour, Décors, Dimanches et Fêtes , Loisirs, Travail, Terminus, Habitations. Cendrars, lui,aurait voulu que les clichés de Doisneau soient organisés selon les points cardinaux, en conformité à son texte, mais Mermoud semontre réticent, comme il l’explique à Seghers :

J’ai conservé dans l’iconographie les groupements par thème qui apportent un élément de variété intéressant et qui permettent dedoser l’intérêt du lecteur. Des illustrations qui auraient suivi les pérégrinations du texte, selon les points cardinaux, seraientarbitraires et fastidieuses. Recommencer à quatre reprises le thème du DECOR, le thème des GOSSES, etc. dérouterait inutilementle lecteur, tandis que de cette manière, tout est beaucoup plus varié et harmonieux.

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Fig. 3, La Banlieue de Paris , p. 30-31 (planches). Fig. 4, La Banlieue de Paris , p. 92-93 (planches)

Chaque section est introduite par un cliché sombre en pleine page au bas duquel est inscrit en majuscules blanches le titre de lasection (fig. 4) :

J’ai cherché à graduer l’intérêt de chacune des parties du livre en mettant, si possible, à la fin des parties une image qui fasse un peufigure de poupe. […] Pour donner une homogénéité satisfaisante au volume, j’ai choisi des images significatives et dont la base soitsombre, afin que le titre ressorte au mieux.

La localisation topographique est finalement renvoyée à la table des illustrations en fin de volume. En outre, lorsqu’il rédige sontexte, Cendrars se fonde sur les photographies de Doisneau, auxquelles il fait constamment allusion : en le suivant, le lecteur estdéjà amené à naviguer dans la section des images.

Fin août, à quelques semaines de la sortie prévue, Cendrars envoie les trois-quarts de son texte à Mermoud. Il profite de l’occasionpour demander des modifications dans la maquette du livre, sur laquelle l’éditeur travaille depuis juillet. Cela donne lieu àquelques frictions entre les deux hommes : Mermoud est pressé par les délais imposés par l’imprimeur, éléments techniques dontCendrars ne semble pas conscient. Seghers parviendra à apaiser les esprits et le livre paraitra finalement à temps.

Avec ce premier album de photographies sur Paris associant le texte d’un écrivain et le travail d’un photographe, la Guilde duLivre s’inscrit dans une tradition éditoriale bien ancrée (☞ Les albums sur Paris). Dans La Banlieue de Paris cependant, ce ne sontplus les bords de la Seine, ni les petites et grandes avenues du centre de la capitale qui sont présentés. L’ouvrage déplacel’attention vers la seule périphérie, avec ses usines, ses HBM (Habitations à Bon Marché), ses jardinets et ses travailleurs…Cendrars et Doisneau portent chacun un regard très différent sur cette partie de la ville, comme Cendrars le commente au début deson texte :

Une fois de plus je sors de la ville et une fois de plus je me mets à arpenter des yeux et des jambes cette banlieue de Paris comme jele fais depuis cinquante ans, inlassablement, chaque fois que j’en ai l’occasion entre deux randonnées autour de la Terre ; mais ici iln’y a pas d’illusion, pas d’ivresse exotique, pas de chiqué littéraire possibles sur les émanations harmonieuses de Dieu ou sur lesgrands tableaux de la nature ; ici, en un mot : c’est la misère.On touche du doigt un monde fadé, sonné, qui a son compte, qui est allé au tapis, un monde truqué, un monde immatérialiste,injuste, dur, méchant, un monde où l’homme est un loup pour l’homme, un monde dégueulasse, j’allais écrire un monde sanshumanité, mais c’est faux… les photos terre à terre de Robert Doisneau, qui ne cligne jamais des yeux, me rappellent à l’ordre. Il nefaut pas exagérer. La réalité suffit. Il ne faut pas en « rajouter ». Toutefois, il ne faut pas oublier que malgré le dégradé de la mise aupoint et la puissance des objectifs, l’œil photographique ne pénètre pas partout et qu’une certaine zone d’ombre justement lui estinterdite. C’est pourquoi mon texte est plus noir que les photos qu’il est censé d’éclairer…

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La « vision personnelle et souvent désenchantée » que porte Cendrars sur la banlieue parisienne entre en confrontation avec « lagentillesse attendrissante (…) qu’a le photographe enthousiaste porté par sa machine vers un optimiste subjectif » . Cettedivergence de point de vue entre le photographe et l’écrivain permet de dresser un portrait nuancé de cet autre Paris, que le public aainsi l’occasion de (re)découvrir.

Ce premier opus parisien ouvre la voie à l’album Paris des Rêves d’Izis, que la Guilde publiera l’année suivante, et qui remporteraun succès exceptionnel.

— Christelle Michel

Notes1. Robert Doisneau nait à Gentilly, dans la banlieue sud de Paris. Entre 1925 et 1929, il est formé à l’Ecole Estienne, spécialisée dans les métiers du livre ;il en ressort avec un diplôme de graveur-lithographe. Il est ensuite employé par les ateliers Ullmann comme dessinateur de lettres ; c’est là qu’il s’initie à laphotographie. En 1931, le photographe de mode et de publicité André Vigneau l’engage comme assistant et lui apprend le métier. Doisneau commence àparcourir Paris et sa banlieue avec son appareil-photo. Après la fermeture de l’atelier Vigneau en 1934, il passe cinq années à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, en tant que photographe industriel. En 1946, il entre à l’Agence Rapho. Il commence également à être publié dans la presse nationale etinternationale (Life, Paris Match, Vogue, etc.), aussi bien pour ses reportages que pour des travaux publicitaires. Ses photographies du monde ouvrier etde la banlieue lui ouvrent en outre les pages de rédactions plus engagées, telle la revue communiste Regards. A partir des années 1950, il devient l’un desgrands représentants de la photographie humaniste, auprès de Willy Ronis et Henri Cartier-Bresson. Les années quatre-vingt sont celles de laconsécration en raison d’une grande médiatisation de son travail, au sein notamment d’expositions et de publications diverses. Robert Doisneau meurt le1er avril 1994 à Montrouge, dans la banlieue parisienne.2. Dossier Robert Doisneau, La Banlieue de Paris , (IS 4359, carton F 139), lettre de Pierre Seghers à Albert Mermoud du 2 août 1949.3. Blaise Cendrars, La Banlieue de Paris , Lausanne, La Guilde du Livre, 1949, p. 16.4. Dossier Robert Doisneau, La Banlieue de Paris , (IS 4359, carton F 139), lettre d’Albert Mermoud à Pierre Seghers du 30 août 1949.5. Dossier Robert Doisneau, La Banlieue de Paris , (IS 4359, carton F 139), lettre d’Albert Mermoud à Pierre Seghers du 16 août 1949.6. Blaise Cendrars, op. cit., p. 11.7. Ibid., p. 17.8. Idem.

BibliographieArchivesFonds de la Guilde du Livre, dossier La Banlieue de Paris (IS 4359, carton F 139), BCU, Département des manuscrits.SourcesCENDRARS, Blaise et DOISNEAU, Robert, La Banlieue de Paris , Lausanne, La Guilde du Livre, (impression : Héliographia, reliure Mayer & Soutter),1949.CENDRAS, Blaise et DOISNEAU, Robert, La Banlieue de Paris , Paris, Denoël, 1987.Bulletins mensuels de la Guilde du Livre , 1936-1976.Littérature secondaireHAMILTON, Robert, Robert Doisneau : une rétrospective , Paris, Paris-Musées/Hoëbeke, 1995.MERMOUD, Albert, La Guilde du Livre, une histoire d’amour , entretiens avec Jean-Michel Pittier et René Zahnd, Genève, Slatkine, 1987.ROTH, Andrew, The Book of 101 Books , New York, Roth Horowitz, 2001, p. 132-133.

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