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BIBLIOGRAPHIE COMMENTÉE 1994-2017 Si vous ne lisez que 5 textes en prose français Patrick Deville Taba-Taba (Seuil) De 1860 à nos jours, l’auteur- narrateur raconte la France telle que sa famille l’a connue, traversée, habitée. Ce, en fouillant dans la malle que sa tante Monne a laissée. Mais comme toujours dans les romans de P. Deville, le monde qui change apparaît et l’Histoire devient tourbillon, tourmente ou cataclysme. Le Temps évoqué est celui des inventions, des découvertes et des créations, avec, en passagers clandestins, Cendrars, Malraux, Proust et quelques poètes. L’élégance de l’écriture fait le reste. Jean Echenoz Envoyée spéciale Minuit Le général a besoin d’une femme. Pour accomplir une délicate mission en Extrême-Orient. Paul Objat la trouve : c’est Constance. Elle n’a rien d’une femme d’action et la préparer à cette aventure n’est pas évident. D’autant qu’autour d’Objat nul n’est vraiment capable. Sur la trame d’un roman d’espionnage, Echenoz bâtit un roman aux multiples intrigues, de Paris à la Corée en passant par la Creuse, avec des personnages qui semblent autant de marionnettes s’agitant sous la houlette d’un narrateur pas très volontaire pour faire son travail. On rit beaucoup ; surtout quand on s’attache aux détails. Pierre Michon Vies minuscules (Folio 2839) des récits traçant le cadre familial, mais aussi la généalogie quasi légendaire d’un enfant de la campagne. Livre à bien des égards difficile, mais d’une rare puissance, tant par l’écriture que par la « mise en scène ». Patrick Modiano Dora Bruder (folio 3181) A travers l’histoire d’une jeune fille juive dans le Paris de la fin 1941, Modiano évoque sa propre vie. L’enquête d’identité est double, les échos nombreux. Eric Holder Mademoiselle Chambon (J’ai lu) : Un maçon, marié, tombe amoureux de l’institutrice de son fils. Cela se passe à Montmirail, bourgade de province à deux heures de Paris. On imaginerait le vaudeville, l’histoire pourrait être écrite au conditionnel passé. Si vous en lisez 15, ajoutez Carrère Emmanuel D’autres vies que la mienne POL : La vie du narrateur et auteur a basculé lors du tsunami qui a dévasté l’Asie du sud est. L’un des compagnons de voyage a perdu sa petite fille dans la catastrophe. Puis Emmanuel Carrère a appris que la sœur de sa compagne était atteinte d’un cancer dont elle ne survivrait pas. De ces morts brutales, injustes, il a tiré un récit tourné vers la vie, rempli d’une énergie qu’il n’avait jamais connue. Egoïste et égocentrique, il s’ouvre au monde, rencontre des êtres lumineux. Il raconte et on lit comme on lirait un roman à suspens. On en sort ébloui quand on aurait pu s’en trouver affligé. Ecrire sert aussi à affirmer, à dire oui.

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BIBLIOGRAPHIE COMMENTÉE 1994-2017Si vous ne lisez que 5 textes en prose françaisPatrick Deville Taba-Taba (Seuil) De 1860 à nos jours, l’auteur-narrateur raconte la France telle

que sa famille l’a connue, traversée, habitée. Ce, en fouillant dans la malle que sa tante Monne a laissée. Mais comme toujours dans les romans de P. Deville, le monde qui change apparaît et l’Histoire devient tourbillon, tourmente ou cataclysme. Le Temps évoqué est celui des inventions, des découvertes et des créations, avec, en passagers clandestins, Cendrars, Malraux, Proust et quelques poètes. L’élégance de l’écriture fait le reste.

Jean Echenoz Envoyée spéciale Minuit Le général a besoin d’une femme. Pour accomplir une délicate mission en Extrême-Orient. Paul Objat la trouve : c’est Constance. Elle n’a rien d’une femme d’action et la préparer à cette aventure n’est pas évident. D’autant qu’autour d’Objat nul n’est vraiment capable. Sur la trame d’un roman d’espionnage, Echenoz bâtit un roman aux multiples intrigues, de Paris à la Corée en passant par la Creuse, avec des personnages qui semblent autant de marionnettes s’agitant sous la houlette d’un narrateur pas très volontaire pour faire son travail. On rit beaucoup ; surtout quand on s’attache aux détails.

Pierre Michon Vies minuscules (Folio 2839) des récits traçant le cadre familial, mais aussi la généalogie quasi légendaire d’un enfant de la campagne. Livre à bien des égards difficile, mais d’une rare puissance, tant par l’écriture que par la « mise en scène ».

Patrick Modiano Dora Bruder (folio 3181) A travers l’histoire d’une jeune fille juive dans le Paris de la fin 1941, Modiano évoque sa propre vie. L’enquête d’identité est double, les échos nombreux.

Eric Holder Mademoiselle Chambon (J’ai lu) : Un maçon, marié, tombe amoureux de l’institutrice de son fils. Cela se passe à Montmirail, bourgade de province à deux heures de Paris. On imaginerait le vaudeville, l’histoire pourrait être écrite au conditionnel passé.

Si vous en lisez 15, ajoutez• Carrère Emmanuel D’autres vies que la mienne POL : La vie du narrateur et auteur a basculé

lors du tsunami qui a dévasté l’Asie du sud est. L’un des compagnons de voyage a perdu sa petite fille dans la catastrophe. Puis Emmanuel Carrère a appris que la sœur de sa compagne était atteinte d’un cancer dont elle ne survivrait pas. De ces morts brutales, injustes, il a tiré un récit tourné vers la vie, rempli d’une énergie qu’il n’avait jamais connue. Egoïste et égocentrique, il s’ouvre au monde, rencontre des êtres lumineux. Il raconte et on lit comme on lirait un roman à suspens. On en sort ébloui quand on aurait pu s’en trouver affligé. Ecrire sert aussi à affirmer, à dire oui.

• Echenoz Jean Les grandes blondes (Minuit double) Les amateurs d’Echenoz auraient du mal à choisir un titre dans son œuvre. On peut néanmoins voir dans cette épopée de l’image, l’un des romans les plus aboutis (et les plus drôles) du romancier. Gloire Abgrall ne supporte pas qu’on la poursuive. Même s’il s’agit de la faire participer à une émission de télévision sur les blondes (lesquelles au juste ? Les femmes ? Les bières ? Les cigarettes ?). Des producteurs la traquent, de la Bretagne à l’Australie en passant par l’Inde, et quelques stations de métro. On rit et on pense : tout l’art du roman, nouveau ou pas.

• Ernaux Annie Les années Gallimard : porté pendant trente ans, ce livre qui part de quelques photos raconte une vie parmi des vies. A travers ce qu’elle appelle des marqueurs d’époque, l’écrivain rend compte de tout ce qui s’est passé depuis les années d’après-guerre, en une sorte de « Je me souviens » grave et intense. Une somme qui incite à écrire ses propres années.

• Forest Philippe Sarinagara Gallimard 2004 : Philippe Forest évoque trois artistes japonais, tous trois confrontés à la mort d’un ou de proches. Les évoquant, il se rappelle le décès de son enfant, cet « Enfant éternel » dont la vie et la mort étaient racontées dans un précédent livre.

• Gailly Christian Un soir au club (Minuit double 2004) : Simon Nardis pense avoir renoncé depuis dix ans à la passion qui faisait sa vie, la musique. Or, un soir, dans un club, il retrouve vie grâce à un piano, grâce à une femme. Ces quelques heures qui rapportent sa renaissance font la matière de ce roman qui a la grâce.

• Germain Sylvie Petites scènes capitales (Albin Michel 2013) Lili a longtemps été enfant unique. Sa mère a disparu et elle s’interroge sur ce mystère comme sur bien d’autres. L’arrivée, par un mariage, d’une fratrie nombreuse transforme sa vie, l’appartement qu’elle partageait avec son père jusque là. On suit son parcours sur quarante ans à travers ces petites scènes qu’on peut lire comme autant de petites capitales, entre l’écriture cursive et la majuscule, entre prose romanesque et poésie.

• Charles Juliet Lambeaux 1995 (folio 2948) Charles Juliet dresse le portrait de ses deux mères : celle qui l’a mis au monde, celle qui l’a accueilli lorsque la première, déclarée folle, n’a plus pu s’occuper de lui. Ce double portrait est bouleversant, l’écriture en est pudique. On ne sort pas indemne de la lecture.

• Lenoir Hélène Le magot de Momm (Minuit 2001) : Trois générations de femmes vivent sous le même toit : Momm, la grand-mère, héberge Nann, veuve, Lili, seize ans, et les jumelles dix ans. Deux hommes sont là, proches et lointains. Lorsque Lili fugue, tout éclate. Le huis clos est dans l’espace autant que dans les consciences que le lecteur découvre, à travers les monologues qui se croisent.

• Mauvignier Laurent Des hommes (Minuit-Double) Bernard alias Feu-de-bois offre un bijou à sa sœur. Avec quel argent, lui qui vit aux crochets de sa famille depuis si longtemps ? L’événement, anodin, réveille de vieux souvenirs, une histoire que son cousin Rabut, le narrateur, aimerait bien oublier. Mais voilà, la guerre d’Algérie ressurgit, une nuit d’insomnie, dans un petit village français plus que banal. Mauvignier écrit comme on enfonce un couteau dans une plaie. On n’en sort pas indemne.

• Modiano Patrick Un pedigree (folio) : Ce récit autobiographique éclaire l’œuvre de Modiano. A travers son histoire d’enfant négligé par ses parents l’auteur de La petite Bijou donne les clés de son univers. On devinait le malheur, on en mesure l’intensité.

• Obiégly Gaëlle N’être personne Verticales 2017) Une hôtesse d’accueil se trouve enfermée dans les toilettes un vendredi, en fin de journée. Tel est le fil ténu de ce livre qui se déroule pendant deux jours dans cet espace des plus limités, avec pour seuls recours du papier hygiénique et un stylo bille. La narratrice se rappelle, écrit. C’est un flux de souvenirs ou de réflexions, d’aphorismes et de pensées diverses, souvent cocasses, imprévues, imprévisibles. C’est un livre pour picorer et penser, que l’on peut toutefois lire dans sa continuité.

• Quignard Pascal Terrasse à Rome (folio 3542) : Défiguré par un homme jaloux, Meaume quitte le Nord de l’Europe où il a fait son apprentissage de graveur, pour Rome. Cet exil est aussi une renaissance, un retour à l’essentiel, qui n’exclut pas le souvenir, qui n’empêche pas le passé de revenir. Un roman qui explore toutes les formes, prend toutes les libertés et révèle la puissance de ce genre.

• Rolin Jean Traverses (Points Seuil) : Explorant une France des marges, un pays que nul ne voit disparaître, Jean Rolin erre d’un coin perdu à l’autre, et il décrit, en reporter et écrivain, ces paysages et les gens improbables qui les habitent. Il est sans doute le meilleur géographe que l’on connaisse dans la prose française. A la fois désinvolte et méticuleux : un touriste plongé dans le réel.

• Rolin Olivier Le météorologue Le Seuil. C’est l’histoire d’un savant qui envoie des lettres à sa fille, avec des dessins de fleurs, des devinettes, de quoi éclairer et distraire l’enfant. Lui est enfermé dans le Goulag. En 1934, il disparaît. Ce météorologue a réellement existé, et en racontant son parcours, Olivier Rolin raconte le rêve d’une nouvelle société, et l’horreur des purges et assassinats.

• Toussaint Jean-Philippe Faire l’amour (Minuit 2002) Le romancier distant et désinvolte qui a connu le succès avec quelques romans subtils et légers, raconte une passion amoureuse finissant, dans un Japon à la fois proche et étrange. Cette nouvelle manière de Toussaint est un pari. La suite, Fuir (2005), lui a donné raison : on a envie de comprendre ce qui unit le narrateur à la fantasque Marie, pour qui il accomplit une curieuse mission entre Shanghai et Pékin, avant de la retrouver (ou de la fuir ?) à l’Ile d’Elbe. Deux romans violents, tourmentés, et étranges.

Si vous êtes un(e) grand(e) lecteur (-trice)

• Adam Olivier Falaises L’Olivier 2005 : Roman d’une génération, celle qui a trente ans en 2005, Falaises a quelque chose d’un texte romantique : l’amour et la mort y sont indissolublement liés. L’histoire se déroule dans la grande banlieue de Paris, et met en scène, autour du narrateur qui cherche à sauver sa peau, quelques personnages marqués par le chagrin, la solitude, et une formidable envie de vivre, autrement.

• Adam Olivier Le cœur régulier (L’Olivier 2010) Nathan vient de mourir dans un accident. Sa sœur, Sarah, avec qui il entretenait des relations de quasi-gémellité ne se remet pas de ce décès, pas plus qu’elle ne supporte une existence anesthésiée au côté d’Alain, son époux. Elle perd son emploi de cadre sans regret et décide de partir au Japon où un certain Natsumé avait sauvé la vie de Nathan, près, une fois parmi d’autres, de se donner la mort. Sarah découvre qui elle est, change d’existence. Si l’on peut reprocher à Olivier Adam quelques épisodes manichéens, une certaine tendance au bon sentiment, on ne doit pas oublier l’essentiel : il sait parler des liens entre frères et sœurs, décrire la famille comme lieu de mort, et, dans ce roman né d’un séjour au Japon, se placer au plus près de la sensation.

• Adam Olivier A l’abri de rien. (L’Olivier) Marie vit au bord de la mer du Nord, avec ses deux enfants et un mari chauffeur de car scolaire. Elle cherche sa place, dans un quotidien limité au lotissement sans grâce que la famille habite. Un petit accident met sur sa route un réfugié tentant de passer en Angleterre, survivant dans le centre ville sous la pluie, dans la faim. De ce moment, Marie fera tout, au risque de se perdre, pour venir en aide aux « Kosovars », rejetés par une partie de la population locale, en butte à l’hostilité de policiers agressifs. L’écriture économe d’Olivier Adam touche et émeut, sans jamais altérer le jugement.

• Adam Olivier Les lisières Flammarion On lira ce roman comme une somme, un bilan d’une partie de son existence par le romancier qui s’invente un double presque transparent. L’époque est noire, les lieux (la banlieue sud de Paris) plutôt sinistre et les êtres que rencontre le narrateur composent une fresque douloureuse. Le roman pose un critique et autocritique sur son auteur et sur ses engagements.

• Azoulai Nathalie Titus n’aimait pas Bérénice P.O.L. Au départ, Bérénice, Titus et Roma : Bérénice aime Titus mais Titus aime Roma. Les appels téléphoniques et autres SMS n’y peuvent rien. La narratrice part de ce trio d’aujourd’hui pour raconter l’histoire d’une autre Bérénice et surtout celle de son « créateur », Racine. De son enfance à Port Royal avec ses maitres jansénistes à sa carrière auprès du Roi Louis XIV, on découvre son parcours intense et contradictoire, entre interdits religieux et passion amoureuse, dans une écriture limpide. Un roman subtil et éclairant sur un grand dramaturge finalement méconnu.

• Audeguy Stéphane Fils unique (folio) Le frère de Jean-Jacques Rousseau n’occupe qu’une place réduite dans les écrits de l’autobiographe et philosophe. L’auteur de ce roman a imaginé ce qu’il aurait raconté du siècle qu’ils ont partagé. Ce n’est bien sûr pas le même regard et le libertinage du frère, sa façon de vivre la révolution et ses suites donne un éclairage aussi surprenant que passionnant sur l’époque.

• Audeguy Stéphane Histoire du lion Personne Le Seuil De 1786 à 1796, deux animaux ne se sont jamais séparés : un lion et un chien. Leur histoire est la matière d’une fable sur l’amitié et la fidélité. Mais le roman est aussi l’évocation des années qui précèdent et suivent la Révolution française. Elles révèlent l’étroitesse d’esprit des hommes, leur stupidité, mais montrent aussi des hommes intègres et ouverts, qui feront tout pour sauver ces deux animaux au cours de l’Odyssée qui les mène du Sénégal à la Ménagerie du Jardin des Plantes.

• Audeguy Stéphane Une mère Le Seuil Sabine Audeguy est décédée en juillet 16. Son fils lui consacre une élégie, texte relatant sa vie plutôt que sa mort. A travers l’histoire de cette femme, ce sont les femmes qui prennent leur élan, trouvent la liberté que l’auteur raconte. Il le fait en démontant les mécanismes sociaux et culturels qui rendent la tache difficile et évoque les rencontres qui font d’une vie apparemment terne et banale, une existence réussie.

• Bailly Pierric Michael Jackson (POL) Luc aime Maud. Ils vivent à Montpellier et sont étudiants. Ils ont beaucoup d’amis, les retrouvent lors de soirées. Ils discutent, de tout et de rien, passent le temps, comme il va plus que comme ils veulent. On ne fait pas grand-chose dans cette

histoire écrite au présent et qui décrit si bien le présent d’une jeunesse qui ne sait pas trop où elle va. Si on devait faire un rapprochement, on songerait aux cinéastes de la Nouvelle Vague, à Jacques Rozier ou à Jean Eustache parce que sous le dérisoire de toute chose, c’est la réalité qui transparaît.

• Bailly Pierric L’Homme des bois (POL) Le père du narrateur vient de mourir, de façon accidentelle. Le fils doit vider l’appartement qu’il occupait et essaie de comprendre ce qui s’est passé, dans cette forêt du Jura qui lui était familière. Mais loin d’être une enquête policière, ce récit, dont on ne sait s’il s’agit d’une fiction ou d’un texte autobiographique est le portrait d’un homme engagé dans son époque, attaché à son lieu d’origine, ce Jura, qui est nommé dans ses moindres recoins.

• Bassmann Lutz Danse avec Nathan Golshem (Verdier) Dans un pays lugubre qui pourrait ressembler au nôtre, vivent des résistants qui ont tout perdu, sauf la poésie, l’amour et l’humour. Djennifer Goranitzé vient ainsi danser, chaque automne, sur ce qui sert de tombe à Nathan Golshem, son compagnon assassiné. Ils se rappellent les camarades, ils réveillent les voix, ils rêvent aussi. Un roman à part, aussi beau qu’étrange.

• Beaune François La lune dans le puits (folio) La Méditerranée, ses villes, ses langues variées font la matière de ce récit unique et singulier. L’auteur a demandé à des habitants du bassin méditerranéen de lui raconter des histoires de toutes sortes : évoquant tel moment de leur vie, drôles ou tragiques, étranges ou réalistes. Cela donne une mosaïque faite de courts récits, que François Beaune classe selon l’ordre chronologique, de la naissance à la mort. Sa propre vie de natif du Massif Central s’intercale dans ces histoires qu’on peut lire dans l’ordre, le désordre, ou en se référant à l’index final assez intrigant.

• Beaune François Une vie de Gérard en Occident (Verticales) En attendant Marianne, la député locale, Gérard parle, beaucoup. Il présente le village, les voisins, parle de ceux qu’il apprécie, de ceux qu’il aime moins, il relate son parcours d’apprenti charcutier et d’ouvrier en intérim, requis à l’occasion. Son auditeur, c’est Iman, un réfugié érythréen qu’on n’entend jamais. On sait tout ou presque du narrateur, mais aussi de la région qu’il habite depuis toujours, une Vendée qui ne ressemble pas du tout aux clichés qu’on s’en fait.

• Bégaudeau François Entre les murs Verticales 2006. Professeurs et élèves, personnels administratifs, on ne quitte pas le collège dans ce roman qui ne se contente pas d’être un témoignage. Le souci de la langue, la mise en scène des lieux et des êtres montrent que l’on peut faire autre chose que du document vécu, et chercher autre chose que l’apitoiement et le scandale, en la matière. Faire rire par exemple.

• Beinstingel Thierry Retour aux mots sauvages (Fayard 2010) : Eric a longtemps été ouvrier, travaillant avec ses mains, parlant peu. Or l’entreprise évolue et il doit changer de poste. Il devient téléopérateur, répond aux questions et aux demandes de clients anonymes. Aussi anonymes que lui qui n’est qu’une voix, et un pseudonyme. L’entreprise connaît de graves problèmes : des employés se suicident, le malaise va grandissant. Eric, quant à lui rendra sens aux mots et aux choses en ne respectant pas la « procédure ». Un grand roman sur le travail aujourd’hui, et d’abord une manière unique d’écrire le travail.

• Beinstingel Thierry Ils désertent Fayard On le surnomme l’ancêtre et l’entreprise considère ce vendeur exceptionnel, usant de méthodes à l’ancienne, comme l’homme à abattre. Elle, une jeune diplômée, a été chargée de le faire partir. Mais rien ne se passe comme prévu parce que la poésie, le goût des belles choses et l’humanité de chacun l’emportent sur les logiques « managériales ». L’auteur a le goût des mots, de la précision et du sens du moindre d’entre eux. Et les mots peuvent unir.

• Bergounioux, Pierre La mort de Brune (folio 3012) : Récit d’une enfance et d’une vocation dans une ville de province. Ainsi pourrait-on tenter de résumer ce livre. Mais ce serait passer à côté de son écriture unique, faite d’un bloc, à la fois dense et subtile.

• Bergounioux Pierre Jusqu’à Faulkner (Gallimard L’un et l’autre 2002) : l’un des meilleurs essais sur Faulkner, mais au-delà, sur le roman comme genre placé devant l’Histoire. Bergounioux est romancier lui-même, mais il sait se faire pédagogue pour éclairer l’histoire d’un genre capable du meilleur, quand ce ne sont pas des histrions qui le manipulent.

• Blottière Alain Le tombeau de Tommy folio. Thomas Elek était un jeune résistant de dix-sept ans dont le visage figure sur l’Affiche rouge, apposée par les nazis et leurs collaborateurs sur les murs de Paris en 1944. Le narrateur, réalisateur de films, veut raconter son existence au cinéma. Le roman entremêle, entre documentaire et fiction, l’histoire du jeune résistant, celle du scénario qui se construit, et celle du jeune acteur choisi pour le rôle qui, s’identifiant peu à peu au jeune héros de 44 se trouve possédé. L’écriture précise et élégante d’Alain Blottière permet de rendre les nuances, d’entrer dans cette histoire qui pourrait paraître bien lointaine, et qui prend un relief, trouve une présence ou un présent. Un beau roman sur la transmission.

• Bober Robert Quoi de neuf sur la guerre ? (Folio 2690) : Quelques survivants, ayant connu la peur ou la déportation sont rassemblés dans un atelier de confection, après la seconde guerre mondiale. On veut oublier, on veut penser à l’avenir, et surtout ne rien dire du chaos qui a détruit les familles et les âmes. Cela ressemble à une sonate mélancolique et joyeuse. On essaie de sourire pour se sauver du malheur.

• Bober Robert On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux POL 2010 Bernard fait de la figuration dans Jules et Jim. Sa mère lui apprend qu’elle a vécu une aventure semblable avec le père de Bernard, qui est mort en déportation et son beau-père disparu dans un accident d’avion. A travers le Paris des années soixante, le jeune homme reconstitue le puzzle d’une existence guidée par la passion du cinéma, le goût des rues (de Belleville en particulier), l’amour. Il fait son éducation et on le suit dans la ville, au gré des histoires « ininventables » qui s’entrelacent. Un livre léger comme une balade et mélancolique.

• Bon François Rolling stones Une biographie (Livre de poche 2004) : L’histoire du plus grand groupe de rock est aussi celle d’une génération qui a eu vingt ans dans les années soixante dix.

• Bon François Daewoo (Livre de poche) : Une usine s’implante dans l’un des bassins de Lorraine qui a tout perdu avec la fin de la sidérurgie. Et puis l’usine quitte la région. Restent les travailleurs, bientôt seuls, sans ressources. Bon utilise les ressources du roman pour dire ce malheur qui frappe un peu partout et que l’on nomme la crise, pour simplifier. Un livre très puissant, dans lequel se mêlent l’enquête journalistique, le dialogue théâtral et le récit.

• Bordas Philippe Chant furieux (Gallimard) Auteur d’un texte sur le vélo, Les forcenés, Philippe Bordas propose ici son premier roman : 500 pages, des paragraphes comme autant de blocs singuliers pour dire la saga d’un champion, au sommet de sa gloire et au moment de sa chute, Zidane en 2006. Mais autant qu’un récit épique dans lequel Mémos, le narrateur rapporte l’histoire de ces cent jours à son ami Wakami, un aveugle érudit. Ce roman raconte dans une langue emportée, devant beaucoup à Saint-Simon, Paris et son quartier de la Gare du Nord, la banlieue et ses « zoniers ». Un pari unique.

• Boltanski Christophe La cache (folio) La famille Boltanski, cellule soudée à l’extrême par les traumatismes de l’Occupation, est depuis longtemps locataire d’un hôtel particulier rue de Grenelle. Christophe, petit fils d’Etienne, qui a passé vingt mois dans « la cache » raconte l’histoire de cette famille à la fois étrange et belle, hors norme. Son oncle le plasticien Christian, son père le sociologue Luc, mais aussi bien d’autres personnages font ce roman vrai dont le plan suit celui des pièces ou espaces de la famille.

• Boyer Elsa Mister POL : le corps vanté, détruit, refait, métamorphosé ; l’image, les images de triomphe ; l’argent comme un flot immense qui ne cesse de couler : ce sont les véritables personnages de Mister. Mister existe dans la fiction comme dans la réalité. C’est un entraineur de football qui mène ses joueurs en stratège et en esthète. Il achète un attaquant ou un gardien comme on apprécie un animal pour ses crocs ou ses tentacules. L’animalité est dans Mister le stade ultime de la performance sportive. La langue poétique d’Elsa Boyer donne à ce roman une dimension qui excède, et de loin, le simple documentaire sur le sport le plus populaire de la planète.

• Cathrine Arnaud La disparition de Richard Taylor Verticales 2007 Un homme quitte son domicile, son épouse, l’enfant qu’elle attendait de lui. Pas d’explication claire à cette décision brutale, inattendue. Des femmes qui l’ont croisé, connu, aimé, parlent de lui. Ces divers récits brossent le portrait d’un homme, aujourd’hui, quand les repères traditionnels viennent à manquer.

• Cathrine Arnaud Le journal intime de Benjamin Lorca Verticales 2010. Ils sont quelques amis ou proches de Benjamin Lorca. Ce jeune écrivain s’est suicidé dans les années quatre-vingt dix laissant un journal intime que certains voudraient lire, d’autres détruire, pour rester fidèle au jeune homme,. Qui était-il ? Que voulait-il ? Le saurait-on en lisant ce texte ? Le roman fait entendre les voix, à travers les époques, donne à comprendre un peu mieux cette sorte de feu follet insaisissable, contradictoire qu’il était.

• Cathrine Arnaud Je ne retrouve personne Verticales Aurélien, écrivain en pleine promotion pour son nouveau roman doit se rendre à Villerville pour mettre en vente la maison familiale . Il devrait rester une nuit ; il passera l’automne et l’hiver. L’agent immobilier, un ancien camarade de classe, lui apprend la mort de Benoit, leur meilleur ami. La mélancolie teinte les journées du narrateur qui, de rencontre en rencontre, sent tout ce qui le différencie de ce monde qu’il a quitté. Seule Michelle, la fille de Junon qu’il a tant aimée et dont il s’est séparé ouvre la porte à des sentiments plus sereins, rendant possible un nouveau départ après cette halte.

• Carrère Emmanuel La classe de neige (folio 2908) Carrère raconte l’histoire d’un enfant à qui il est arrivé quelque chose de douloureux, dans le cadre d’une colonie. Dans ce cadre ou autour ? Tout repose sur la terrible ambiguïté des personnages, et notamment d’un père qui ressemble aux ogres des contes de fées.

• Carrère Emmanuel Roman russe (folio) Une histoire d’amour, une histoire de famille : on pourrait ainsi résumer ce roman russe qui a l’instar des poupées du même nom contient des récits rangés les uns dans les autres. Le narrateur enquête sur son grand-père d’origine géorgienne, arrivé en France au moment de la révolution bolchévique et mort en 1944 dans de curieuses circonstances. Sa mère supporte mal cette enquête qui réveille des souvenirs douloureux. Dans le même temps, une passion pousse ce narrateur à se livrer et à livrer celle qu’il aime au regard de millions de lecteurs. Un « roman » qui remue en nous beaucoup de choses, pour user d’une formule plus que convenue.

• Carrère Emmanuel Limonov (folio) Limonov n’est pas le héros d’un roman, mais c’est un personnage romanesque. La biographie d’Emmanuel Carrère met en relief les ambiguïtés et les contradictions de cet écrivain né en 1943 dans l’Union soviétique de Staline, aujourd’hui opposant au régime d’inspiration libérale, apparemment démocratique. Limonov a tout connu, comme son pays : exilé misérable puis serviteur d’un milliardaire à New York, bohème chic à Paris, militant pro-serbe en ex-Yougoslavie, prisonnier politique sous Poutine. Son existence est celle d’un aventurier à la Dumas qu’on aura du mal à juger.

• Carrère Emmanuel Le Royaume (POL) Luc est le personnage principal de ce livre énorme qui raconte les débuts du christianisme, entre 58 et 90 de notre ère. Enquête ? Roman ? Récit autobiographique ? Ce livre est tout cela à la fois et y rencontre aussi bien Paul de Tarse que Néron, Domitien, Sénèque ou Juvénal. Le romancier ne joue pas la reconstitution soignée mais multiplie les esquisses, donne à lire cette histoire incroyable qui fonde la foi de millions de fidèles avec intelligence et drôlerie.

• Carrère Emmanuel Il est avantageux d’avoir où aller (POL) Une trentaine d’articles, reportages et textes rendent compte du parcours de l’écrivain et dresse son portrait, de façon indirecte. Il évoque la Russie, sa seconde patrie avec laquelle les relations ne peuvent être qu’ambigües, l’affaire Romand à la source de L’adversaire, l’un de ses récits les plus complexes, parle de ses amis, vivants ou disparus, comme Déon ou Claude Miller.

• Chamoiseau Patrick. Texaco (folio 2634) : l’histoire d’un bidonville sur les flancs de Fort-de-France est l’occasion de retracer l’histoire de la Martinique, à travers une épopée mêlant les voix multiples de celles et ceux qui ont fait l’île.

• Chevillard Eric L’œuvre posthume de Thomas Pilaster (Minuit 1999) : Thomas Pilaster meurt deux fois : tué par quelqu’un, et assassiné par son biographe et exécuteur testamentaire. Un roman drôle, et une variation virtuose sur les genres par un écrivain complètement à part.

• Chevillard Eric Le vaillant petit tailleur (Minuit 2003) Tout le monde connaît le conte de Grimm. Si encore les frères Grimm sont bien les auteurs… Car le narrateur de ce roman prétend

réécrire le conte. Des passages très drôles et une réflexion subtile sur la littérature, comme toujours avec Chevillard.

• Chevillard Eric Oreille rouge (Minuit 2005 ; collection double) Un écrivain qui se sent très bien dans son jardin français, est envoyé en Afrique. Il y composera sans doute un grand poème. Pour peu qu’il s’y rende vraiment ce dont on n’est jamais sûr. La fantaisie de Chevillard est aussi une façon détournée d’ironiser sur un certain type d’écrivain et ici de voyageur.

• Chevillard Eric Le désordre AZERTY (Minuit) L’auteur se livre à un autoportrait qui passe par la lettre Z comme zoo (on sait combien les bêtes sont présentes chez l’auteur de Du hérisson), la lettre S comme style (celui de l’auteur fait de lui un écrivain pour happy few heureusement fidèles) et la lettre F comme filles, dans lequel Chevillard se dévoile en père. Une excellente entrée dans l’œuvre très riche de Chevillard qui préfère le détail au gros (voir entrée « chevillard »)

• Dalembert Louis-Philippe Avant que les ombres s’effacent Sabine Wespieser De Lodz à Port-au-Prince, en passant par Berlin et Paris, c’est l’histoire du docteur Ruben Schwarzberg, figure à la fois réelle et imaginaire, entre les années trente et janvier 2010, en ces jours du tremblement de terre qui ébranle l’île déjà fragile. Cette épopée qui commence avec la montée du nazisme est l’histoire d’un exil heureux. Le docteur a trouvé sur l’île l’asile que le monde entier refusait alors à ceux qui fuyaient l’horreur naissante.

• Delerm Philippe La première gorgée de bière (L'arpenteur Gallimard) Des instants très français. Cela se lit avec plaisir, à petites doses. Il faut du talent pour enfoncer les portes ouvertes sans se faire mal. Delerm est très doué.

• Deck Julia Viviane Elisabeth Fauville Editions de Minuit Une femme quittée par son mari, seule avec son enfant, assassine son analyste. Ce pourrait être une histoire mélodramatique. L’humour transforme l’intrigue en un objet insaisissable. La dénomination de l’héroïne, jamais identique traduit le trouble qui a gagné cette femme. Et tout ce dont nous étions sûr vacille, pour notre plus grand plaisir de lecteur. Paris sert de cadre à cette déambulation qui désarçonne. Un premier roman maîtrisé.

• Deck Julia Le triangle d’hiver Editions de Minuit. Quel est le point commun entre Bérénice, la constellation de Sirius, et le trajet SNCF entre Le Havre et Saint-Nazaire via Paris ? Ils ont la forme du triangle. Lequel est aussi ce qui lie « Mademoiselle », l’Inspecteur et Blandine Lenoir. Mademoiselle vole et ment, suit à la trace l’Inspecteur qui l’entretient financièrement : elle ne veut pas travailler. Derrière la fantaisie formaliste, on distingue nettement un univers, le nôtre, ici incarné dans les architectures sévères des villes reconstruites après 1945. Le monde du travail, celui des rapports de classe et de sexe apparaît dans toute sa triste apparence. On sourit, jaune ou noir, c’est selon.

• Desarthe Agnès Un secret sans importance (Points roman) : quelques destins se croisent. Une histoire sensible et juste. Difficile d’en dire plus mais on ne regrette pas sa lecture.

• Desarthe Agnès Le remplaçant (L’Olivier). L’auteur narratrice de ce court récit n’a pas connu son véritable grand-père, mort dans les camps. Elle a eu un remplaçant, surnommé Triple B et il a été plus qu’un substitut : formidable conteur, inventeur permanent de sa propre vie, amoureux de l’existence et de la bonne vie, il lui a communiqué un certain nombre de ses dons. Plus qu’un hommage, ce petit livre est un art poétique, et un délice pour le lecteur.

• Desbiolles Maryline C’est pourtant pas la guerre Le Seuil : L’auteur est allée dans le quartier de l’Ariane, une « cité » de Nice. Elle a écouté celles et ceux qui y vivent, et elle leur rend la parole. Un livre politique et poétique, qui sait montrer la beauté et l’espérance là où tout semble détruit, ravagé par tous les maux.

• Desbiolles Maryline Primo Le Seuil 2005 : Pourquoi la grand-mère de la narratrice, une Italienne émigrée en Savoie à la fin des années vingt, décide-t-elle de mettre au monde son deuxième enfant à Turin ? Et comment meurt Primo, le premier né ? Un deuxième deuil, le jour de la libération d’Annecy marque l’histoire de cette femme, et partant celle de sa petite fille qui enquête, des années après. C’est l’objet de ce récit dans lequel la poésie irrigue chaque page.

• Desbiolles Maryline La scène (Le Seuil) : les repas sont des mises en scène, improvisées ou pas. Ce sont aussi les moments de retrouvailles de part et d’autre de frontières qui ont existé (entre

le Piémont et le pays niçois par exemple, ou la Savoie). La narratrice raconte quelques-uns de ces repas et la vie des siens, en creux, comme en écho à Primo ou à La Seiche, de précédents romans. Même si c’est un cliché, osons écrire que ce roman se savoure. Mais aussi qu’il se contemple, s’écoute, se sent, comme une œuvre plastique, musicale, ou un bon plat.

• Desbiolles Maryline Ceux qui reviennent (Le Seuil) Cela commence par un rêve autour du père décédé. Et cela se déroule sur ce territoire réel imaginaire décrit dans la plupart de ses romans par Maryline Desbiolles : près de Nice. Mais avec des incursions à Ugine, en Savoie. On retrouve la famille et Primo, l’enfant disparu. On retrouve cet art unique de digresser, entre prose et poésie, avec un humour et un goût des mots pour ce qu’ils cachent assez singuliers.

• Deville Patrick La tentation des armes à feu Le Seuil. Pendant la rédaction de Pura Vida, Patrick Deville a écrit cette variation en quatre parties, autour des armes à feu, et à partir d’un amour malheureux. Roman, essai sur le « Mac Guffin » que rendit célèbre Hitchock, journal de voyages en Uruguay et dans le Caucase, il est diverses façons de lire ce livre ; elles sont toutes réjouissantes.

• Deville Patrick Pura Vida (Le Seuil) Suivant en Amérique centrale les traces de William Walker, révolutionnaire nord-américain du XIXème siècle, le narrateur (auteur) mène une sorte d’enquête, sur une partie du continent. Faisant des allers et retours entre les divers pays, il s’interroge sur le sort des révolutions depuis Bolivar jusqu’au Sandinisme, et l’on voit en filigrane un autoportrait s’ébaucher : celui d’un écrivain dans sa cinquantaine, avec l’expérience des années soixante dix en Europe, et l’empreinte puissante en lui de la culture latino.

• Deville Patrick Equatoria (Le Seuil) Quatre ans après Pura Vida, Patrick Deville poursuit son périple à travers le monde, vers l’est : l’Afrique, traversée elle aussi d’Ouest en Est : géographe, historien, biographe de Brazza et Savimbi, du Che et de Stanley, Deville raconte des vies parallèles et brosse le portrait d’un continent toujours à explorer. L’art du détail est celui du romancier, du journaliste aussi. Mais en même temps qu’exploration d’un continent, dans une tradition qui emprunte à Jules Verne, ce livre explore les limites d’un genre, le roman.

• Deville Patrick Kampuchéa (Points Le Seuil) L’histoire du Cambodge, depuis le milieu du XIXème siècle, est une histoire française. De Mahot qui découvre les temples d’Angkor en poursuivant un papillon, aux épurateurs Khmers rouges, Patrick Deville déroule l’histoire foisonnante, dense comme la forêt, lente comme le cours du fleuve Mékong que le narrateur remonte jusqu’à l’actuel Laos. Le mot roman qui figure en couverture peut étonner. Nul personnage de fiction dans ces pages, pas d’intrigue au sens où on l’entend. Mais la folie sanglante des uns, les rêves des autres suffisent à donner son épaisseur à cette histoire passionnante.

• Deville Patrick Peste & Choléra (Le Seuil) Yersin appartient à la bande de Pasteur. Il a étudié avec le grand médecin puis a découvert le bacille de la peste. Mais pas seulement. Il a navigué entre les Philippines et l’Indochine, fondé le site de Dalat, découvert les vertus du caoutchouc, transformé son hâvre indochinois en paradis fécond. Yersin était un encyclopédiste curieux de tout, inventif, sans cesse sur la brèche. L’élégant roman de Deville est une sorte d’écho à Kampuchéa qu’on avait pu lire l’an passé.

• Deville Patrick Viva (Le Seuil) Deux révolutionnaires ont vécu au Mexique à la fin des années trente : l’un rêvait de la révolution permanente et est mort assassiné, c’est Trotsky. L’autre voulait bâtir le roman total, c’est Malcolm Lowry. Leur vie parallèle est au cœur de Viva. Là se rencontrent aussi Frida Kahlo et Antonin Artaud, le mystérieux Traven et le volcanique Rivera. Là s’affrontent staliniens et compagnon du Vieux. L’écriture de Deville est toujours aussi vive, pénétrante et élégante.

• Echenoz Jean Un an (Minuit double) : Craignant d’être accusée pour le meurtre de Félix, Victoire fuit. Ce court roman est une sorte de descente dans l’univers des SDF. Heureusement, l’ironie d’Echenoz évite toujours le pathos.

• Echenoz Jean Je m’en vais (Minuit double) Félix n’était pas mort et ce roman raconte sa vie pendant que Victoire fuyait. Entre Issy - les - Moulineaux et la banquise, un roman très drôle expliquant combien on s’ennuie dans le Grand Nord, surtout le dimanche.

• Echenoz Jean Au piano (Minuit) : Max Delmarc, pianiste célèbre que le trac paralyse, n’a plus que quelques jours à vivre au moment où l’intrigue débute. La suite de son existence n’est pas sans intérêt… la fantaisie d’Echenoz s’allie ici à une réflexion « métaphysique » toujours drôle.

• Echenoz Jean Ravel (Minuit) : Partant de la silhouette mince du musicien français, Echenoz raconte les dix dernières années de l’existence d’un homme élégant et insomniaque qui souffre, dans les années trente. Portrait d’une époque en même temps que de l’homme, un roman qui condense et qui en même temps donne à voir ce qui est caché.

• Echenoz Jean Courir (Minuit) : C’est un coureur tchèque, un certain Emil Zatopek, maintes fois champion olympique qui est au cœur de la nouvelle fiction biographique de Jean Echenoz, après Ravel. Histoire d’un homme modeste et contraint, histoire d’un pays discret et souvent sous la menace de ses redoutables voisins, ce court roman est une fresque, en raccourci.

• Echenoz Jean Des éclairs (Minuit) Troisième « fiction sans scrupules biographiques », Des éclairs raconte l’existence de Nikola Tesla, l’inventeur du courant alternatif. Ce n’est pas la seule invention de cet homme aussi étrange qu’hyperactif. Atteint de quelques phobies, il est capable de soigner les pigeons avec un dévouement qu’il ne manifeste pour nul autre être vivant. Tout à fait désintéressé, il ne protège pas ses créations par des brevets, connaît la fortune, le luxe des palaces puis la misère et l’oubli. Il ne cesse de travailler et le roman qui le met en lumière est d’une grande profusion comme pour faire écho au personnage. Dans les moments de pause, on retrouve le regard oblique et ironique d’un Echenoz qui semble dominer son sujet comme jamais.

• Echenoz Jean 14 (Minuit) En condensé, en coupe, en surplomb, au ras des tranchées, quelques années d’une guerre effrayante, racontée avec la désinvolture qui convient. Autant que roman, 14 est une interrogation sur ce que peut le roman quand il se confronte à un événement aussi souvent raconté. Mais on ne réduira pas 14 à l’événement : entre Charles, Anthime et Blanche, une histoire d’amour sert de fil conducteur. On ne répètera qu’Echenoz est l’un des plus brillants écrivains de son temps, maître de son tempo, toujours.

• Ernaux Annie Mémoire de fille (Gallimard) Pendant de nombreuses années, la « fille » qu’elle a été à 18 ans semblait de plus exister. Cette fille sortie de sa campagne et se retrouvant monitrice de colonie connaît sa première expérience sexuelle. Dès lors, elle fait l’objet de moqueries. Elle n’en a pas conscience. L’auteure la retrouve, reconstitue son univers, et met en lumière celle qu’elle a été, celle qu’elle est devenue. La honte, sociale, celle d’être femme est au cœur de ce récit puissant, intense.

• Ernaux Annie L’événement (folio) : on connaît, depuis La place, le parti-pris autobiographique de l’auteur. Elle évoque ici l’avortement subi au début des années soixante, et le rôle que cet événement, vécu par tant de femmes dans le silence, a joué pour elle.

• Ernaux Annie La honte (Folio 3154) Une scène a marqué Annie Ernaux : un jour son père a voulu tuer sa mère. Cette scène génère une réflexion sur le monde dont elle est issue, sur les codes qui prévalaient dans ce monde désormais disparu.

• Fellous Colette Pièces détachées (Gallimard) La mort d’un ami, les attentats qui ensanglantent la Tunisie en 2015, voici des événements qui font écho à d’autres faits, plus anciens, comme la mort du père, les images d’une terre aimée, douce au cœur de la narratrice. Elle passe d’un lieu à l’autre, mêle les souvenirs, crée des échos, réveille le romanesque qui bat dans la plus simple histoire de femme, en Normandie. Le « combat pour la douceur » que mène Colette Fellous rappelle aussi la figure noble et discrète de Roland Barthes, dont elle a tout appris.

• Ferrier Michaël Mémoires d’outre-mer Gallimard Parti sur les traces de son grand-père à Madagascar, l’auteur raconte à la fois l’histoire de cet outre-mer qui a longtemps été la France, et celle de Maxime, parti comme acrobate dans un cirque, devenu riche commerçant, amoureux de la belle Pauline (mais aussi d’une désirable Carmen), toujours vif, singulier, échappant à la bêtise coloniale et à la violence du régime de Vichy. L’évocation donne à l’Histoire (ou à la géographie) une dimension poétique et sensuelle.

• Filhol Elisabeth La centrale (Folio) Des hommes de peu, des précaires viennent à la centrale. C’est à la fois le lieu menaçant et celui qui donne du travail. La centrale nucléaire est en effet le cadre de ce roman singulier, écrit dans une langue précise et sobre, minimale sinon minimaliste. On y

retrouve la tension que génère cette industrie pas comme les autres, porteuse de mort, une mort qui vient subrepticement vous atteindre, dans cet univers aux apparences aseptisées. Un roman politique, au sens où il parle du monde tel qu’on préfère ne pas le contempler.

• Filhol Elisabeth Bois II (POL) Autrefois, les luttes ouvrières avaient quelque chose d’ardent, de bouillonnant, et elles débouchaient parfois sur des victoires. La lutte que mènent les ouvriers dans Bois II est d’abord un affrontement en huis-clos, avec un patron qui semble lointain. La narratrice fait partie du « collectif soudé » qui négocie les licenciements. La romancière montre des visages, des corps, donne à entendre des voix. Peu de certitudes, beaucoup d’inquiétudes. L’entreprise au temps de la mondialisation est aussi désorientée que les chefs sensés la mener. L’écriture précise, factuelle d’Elisabeth Filhol rend les nuances, toutes les nuances.

• Forest Philippe Un siècle de nuages (Folio) Un homme rêve devant un hydravion qui glisse sur les eaux de la Saône en 1937. Il deviendra aviateur, pilotera des 747 après avoir fait son apprentissage pendant la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis. L’histoire de Jean Forest, père du romancier, est aussi celle de son pays qui se transforme, des mentalités qui changent, des paysages et des hommes de ce XXème siècle marqué par deux inventions majeures : celle du cinéma et celle de l’aviation.

• Forest Philippe Le nouvel amour (Gallimard) L’auteur narrateur raconte un nouvel amour, sa naissance, ses instants de pur bonheur, et sa dégradation. Expérience classique, tout autant que le récit qui en est fait. La grande beauté de ce roman autobiographique tient à la qualité de la langue, et au côté anachronique de cette aventure amoureuse. Ecrire devient le recours, à la fois considéré avec dégoût, et pris par la nécessité, pour comprendre la passion.

• Gailly Christian La passion de Martin Fissel-Brandt (Minuit) : Il est toujours question de musique, d’amour perdu, de trahison, et des façons de survivre, ou de recommencer. Une variation de Gailly sur ces thèmes.

• Gailly Christian Lily et Braine (Minuit 2010) Braine revient de guerre et retrouve les siens, dont Lily, qui l’aime et qui l’a tant attendu. Mais Rose Braxton est là, aussi, belle tentatrice qui veut ouvrir une boîte de jazz et compte sur l’ancien musicien qu’il était pour refonder le groupe qu’il animait. La musique, la rivalité amoureuse et la tragédie qu’elle engendre sont au cœur du roman. Mais chez Gailly, l’intrigue n’est rien sans le swing, sans le rythme qu’il imprime à la phrase, sans la façon unique qu’il a de donner l’impulsion par un changement de temps, par un jeu sur les mots. L’émotion n’en est que plus intense.

• Germain Sylvie La pleurante des rues de Prague (Folio 2590) Une déambulation dans Prague entre légende et réalité. Sylvie Germain est une conteuse et on adhère ou pas à son univers.

• Giraud Brigitte J’apprends Livre de poche n°30824 : Le verbe est ici employé de façon presque intransitive. Une petite fille apprend le monde. D’abord sa simplicité, son évidence, puis très vite, ce que les adultes ne disent pas ou cachent, la complexité des choses, et la souffrance. Elle apprend qui elle est, et elle grandit. Les ellipses disent tout.

• Giraud Brigitte L’amour est très surestimé Livre de poche : Quelques nouvelles sur le couple tel qu’il se fait ou se défait, des scènes d’enfance, un monde tout simple, très proche, rendu par une écriture aussi simple et proche.

• Giraud Brigitte Avoir un corps Stock Il subit des métamorphoses, connaît des maux divers plus ou moins graves, il témoigne de nos émotions, de nos souffrances morales, il vit nos plus grandes joies, nos découvertes les plus précieuses : c’est notre corps et c’est à travers lui que la narratrice raconte sa vie. Autour d’elle, les parents, le frère, le garçon tant aimé et perdu dans un accident, les amies… L’auteur écrit au présent, décrit les menus moments qui font une existence. Celles et ceux qui ont lu J’apprends retrouveront le regard aigu de Brigitte Giraud, jamais narcissique ni complaisante.

• Giraud Brigitte Un loup pour l’homme (Flammarion) Antoine vient d’être appelé à servir en Algérie. Il doit quitter Lila, sa jeune épouse, enceinte. Elle supporte mal de vivre sans « son mari confisqué ». Antoine ne veut pas combattre. Il sera infirmier. Les mois passent, les saisons, Antoine remplit des missions, découvre la réalité de cette entreprise de « pacification » qui mutile et détruit

et qu’on appelle une guerre, même si le gouvernement de l’époque préfère l’euphémisme « d’événements d’Algérie ».

• Grenier Roger Les larmes d’Ulysse (folio 3424) : Le premier qui reconnut Ulysse à son retour d’Ithaque est Argos, son chien. C’est l’un des épisodes les plus émouvants de l’Odyssée. Partant de cette histoire, Roger Grenier évoque d’autres chiens de la littérature, et parfois leurs maîtres.

• Guibert Hervé Mes parents (folio n°2582) : Guibert a accédé à la célébrité par ses récits ou romans autour du SIDA qui l’a ensuite tué. Mais ce récit autobiographique, violent et impudique, est sans doute l’un de ses livres les plus forts. L’écriture de Guibert brasse l’anodin et l’étrange, sans cesse.

• Haenel Yannick Jan Karski (Gallimard) Messager du ghetto de Varsovie, Karski témoigne dans Shoah de Claude Lanzmann. Il est ce résistant polonais, à la dignité d’un aristocrate qui a voulu révéler à la « conscience du monde » l’immensité du crime en cours, en Pologne. Nul n’a voulu l’écouter ou l’entendre. Dans ce roman, Haenel utilise les ressources du documentaire comme de la fiction pour rendre le propos de ce Juste parmi les nations. Une œuvre de fiction qui a fait polémique.

• Harang Jean Baptiste Bordeaux- Vintimille Grasset Un jeune touriste algérien dans un train de nuit, quelques pauvres types avinés, excités, un sous-officier censé les encadrer, qui ne le fait pas et voilà un crime ordinaire dans la France des années 80. Le récit de J-B Harang prend appui sur un fait-divers que jeune journaliste, il a suivi pour Libération, lors du procès. Son texte est à la fois glacial et brûlant : il rapporte des faits, il donne à sentir ce qu’ils ont de terrifiant et d’horriblement humains.

• Hatzfeld Jean La stratégie des antilopes (Le Seuil) Que se passe-t-il quand victimes et bourreaux se retrouvent ? Prolongeant son travail d’écoute au Rwanda, l’auteur d’Une saison de machettes et de Dans le nu de la vie, recueille les témoignages et récits des survivants tutsies, et de leurs assassins, sortis de prison lorsque le régime en place a décidé la mise en place des tribunaux populaires en vue d’une réconciliation entre les deux peuples vivant sur le territoire. Au-delà du Rwanda, Hatzfeld s’interroge sur les génocides, la mémoire qu’on en garde, et le pardon.

• Hatzfeld Jean Englebert des collines folio C’est l’histoire d’un survivant. Il n’aurait jamais dû échapper au sort de ses compagnons tutsis. Et rien non plus ne le destinait à cette existence de vagabond. Hautement éduqué, formé chez les Jésuites, Englebert aurait pu suivre la voie royale, connaître une brillante carrière. Jean Hatzfeld l’a écouté, des heures durant, comme il aime le faire. Le court récit qui en ressort est intense et émouvant.

• Heams – Ogus Thomas Cent seize Chinois et quelques Le Seuil En 1941, une centaine de Chinois pris dans des rafles dans les grandes villes d’Italie, sont internés dans un camp des Abruzzes. Leur pays est considéré comme ennemi de l’Italie fasciste et ces vendeurs ambulants ou travailleurs discrets, constituent soudain un danger. Mais on ne sait que faire d’eux et le temps passe sans qu’une solution n’apparaisse. Thomas Heams-Ogus raconte dans une langue très dense, poétique, cette histoire oubliée. C’est son premier roman et l’ambition affichée est à la mesure de ce qu’on éprouve à lire ces cent et quelques pages : de l’admiration et de l’émotion.

• Holder Eric On dirait une actrice (Librio n°183) Quelques nouvelles de Holder, aussi denses et belles que ses romans. Gracieux et mélancolique.

• Holder Eric La Baïne (Le Seuil) : Le Médoc ressemble à une île, et ses habitants sont fiers et jaloux. Sandrine, une étrangère, a épousé Julien, un homme né en ces terres. Elle a une liaison avec Arnaud, un jeune cinéaste et photographe venu là en repérage. Epiée, repérée, elle ne peut échapper à un sort terrible. L’écriture de Holder a quelque chose d’insaisissable, et pourtant elle enserre les êtres et les lieux dans les filets qui les étranglent. Un roman d’une grande simplicité, et d’une grande force.

• Holder Eric De loin on dirait une île (Le Dilettante) L’auteur narrateur vit depuis quelques années dans le Médoc. Il raconte son installation dans cette terre à part, cadre de La Baïne. Il évoque quelques figures toutes simples rencontrées en ce lieu, il dit les charmes et mystères d’un lieu secret. Une sorte de confidence faite à l’oreille du lecteur.

• Holder Eric Bella Ciao (Le Seuil) Plutôt que de se laisser quitter par Myléna, le narrateur décide de se noyer. Mais la mer le rejette. Survivant, il retrouve l’envie de vivre et de lutter pour reconquérir celle qu’il aime, pour abandonner l’alcool et ses fuites perpétuelles, pour redevenir l’écrivain qu’il était, père aimé et aimant de ses deux grands enfants. Cela passe par le travail dans les vignes, par une attention au monde, à ses couleurs, à ses climats. Holder écrit peu, c’est dense et précis, délicat comme une toile.

• Holder Eric La saison des Bijoux Le Seuil Bruno et Jeanne sont forains. Fabriquant des bijoux, ils ont choisi de faire la saison en Médoc, avec leur fils Alexis, et leur ami Virgile. Entre avril et septembre, tréteaux posés au village, ils croisent Nanou, Château Migraine, et quelques autres marchands avec qui ils sympathisent. Mais il faut aussi compter avec Forgeaud, maitre tout puissant des lieux, apparence de brute et prêt à tout pour « posséder » Jeanne. Le roman décrit un univers singulier et méconnu. Il prend parfois les apparences d’un western, avec ses affrontements dans la lumière écrasante de l’été.

• Houellebecq Michel Extension du domaine de la lutte (J’ai lu) Ce premier roman de Houellebecq est aussi le meilleur, le plus épuré, le moins scandaleux. Et pourtant ce qu’il raconte est scandaleux puisqu’il décrit l’univers ordinaire d’un cadre d’aujourd’hui. Un roman dans la lignée des Choses de Perec, modèle de Houellebecq qui aurait pu trouver pire.

• Jauffret Régis Lacrimosa Gallimard Cela commence comme un roman de Jauffret, par un suicide. Mais entre Charlotte, passée dans l’autre monde, et l’auteur narrateur, un échange épistolaire fait le récit d’une histoire d’amour qui mêle conte et lyrisme, dimension fantastique et dérision. Sur le plan formel le projet le plus accompli de l’auteur. Mais un roman également plein d’émotion contenue.

• Jauffret Régis Univers, univers (folio) : Le temps que cuise un gigot, une femme endosse de multiples identités, s’imagine dans des peaux toutes différentes, cependant marquées par le malheur. Les fantasmes de cette héroïne sont les nôtres, dans un monde marqué par l’omniprésence des images. 600 pages de folie, pleines d’un humour si noir que le rire est la seule issue.

• Jauffret Régis Fragments de la vie des gens (folio 3584) : Cinquante mini - romans, tous complets, racontent le pire, ce que nous n’osons pas craindre. Heureusement, on lit Jauffret au dixième degré et on sourit souvent. Sinon ce n’est pas lisible, ni vivable.

• Jeanmart Hedwige Blanès (Gallimard) Eva et Samuel sont allés à Blanès, non loin de Barcelone, pour la journée. Au retour, Samuel disparaît. Mais ce n’est pas ce que dit Eva à qui l’interroge, déclarant : « Il est mort. » et ajoutant aussitôt : « c’est une figure de style ». Elle retourne à Blanès, s’y installe un temps. On se dit qu’elle va enquêter ; tel n’est pas vraiment le cas. Elle rencontre des passionnés de Bolaño, romancier qui a vécu dans cette station balnéaire, elle traine dans la ville, contemple, s’interroge. Un roman étonnant sur le temps qui rappelle certains textes de Jean-Philippe Toussaint.

• Jenni Alexis L’Art français de la guerre Gallimard Victorien Salagnon était adolescent en 1943 à Lyon. Trop jeune pour faire cette guerre-là, il en fera d’autres, en Indochine ou en Algérie. Le narrateur a lui, vu la guerre d’Irak à la télévision. Roman, épopée, mémoires, réflexion sur la France, ce gros premier roman est à peu près tout cela. Impressionnant à tous égards.

• Juliet Charles L'année de l'éveil (Folio) Enfant de troupe, l’auteur-narrateur connaîtra en cette année des treize ans toutes les émotions qui feront de lui un adulte. Emotions d’adolescence et souffrances liées aux contradictions qu’elles engendrent. Un récit dont la lecture ne laisse pas indemne.

• Kaddour Hédi Les prépondérants (Gallimard) On est à Nahbès, ville imaginaire d’Afrique du Nord, au début des années vingt. Une troupe de cinéma venue de Hollywood tourne un film d’aventures à proximité de cette ville coloniale où demeurent les prépondérants, fonctionnaires, militaires, patrons et propriétaires français, qui tiennent encore les locaux sous leur domination. Raouf, un jeune bachelier attiré par les courants nationalistes, rencontre une actrice américaine avec qui il voyagera dans une Europe meurtrie et ruinée, après 14. Ce roman ample met en scène la rencontre entre des mondes différents, voire opposés, en des temps nouveaux.

• Kaddour Hédi Les pierres qui montent notes et croquis 2008 Gallimard A travers les fragments écrits chaque jour, Hédi Kaddour met en relief ce qui constitue son engagement dans l’écriture : des esquisses prises sur le vif, des commentaires stylistiques d’écrivains aimés, des notes de lecture. Professeur de littérature et d’écriture journalistique, Kaddour est aussi romancier et ces notes préparent ou éclairent Waltenberg ou Les Prépondérants.

• Kaddour Hédi Waltenberg folio Entre 1914 et 1991, ce roman raconte un siècle en Europe : Hans et Max se lient d’amitié sur le champ de bataille, Michaël Lilstein et Lena se combattent à distance, espion, chacun au service d’un camp qu’ils servent sans adhérer à son idéologie. Waltenberg est le havre dans lequel se croisent les intellectuels européens en 1929. Entre La Montagne magique et Les trois mousquetaires, Kaddour écrit un roman «total ».

• de Kerangal Maylis Réparer les vivants Verticales Un jeune homme meurt accidentellement près du Havre ; une femme attend une greffe de cœur à Paris. Ailleurs, d’autres malades attendent. Vingt-quatre heures durant, on suit les protagonistes de cette épopée contemporaine qu’est la greffe d’organes. Médecins, chirurgiens, infirmiers sont à l’œuvre dans cette épreuve qui est à la fois technique et éthique. La prose poétique de l’auteur transforme en chanson de geste ce récit passionnant.

Kundera Milan La lenteur (folio 2981) Quelques personnages se retrouvent dans un hôtel de province, pour un congrès. Et à partir de ce prétexte romanesque,une réflexion sur la lenteur dans une civilisation agitée, toujours prise par la hâte, et l’indifférence qui succède à l’exaltation.

• Kundera Milan L'art du roman (folio n°2702) Un essai sur le genre privilégié par l’auteur de La Plaisanterie et d’autres œuvres clés de ce vingtième siècle. De Rabelais à Kafka, la réflexion est précise, et dense.

• Kundera Milan L’ignorance (Folio 4155) Un homme et une femme qui ont pu se connaître autrefois dans leur République tchèque natale, se retrouvent dans ce pays qu’ils ont quitté au moment de l’invasion soviétique. Leur histoire est mise en parallèle avec le voyage du plus célèbre « exilé », Ulysse. Réflexion et roman ne font qu’un.

• Kundera Milan Les testaments trahis (folio n°2703) : De Janacek à Hemingway, de Kafka à Stravinski, nombreux sont les artistes qui ont été trahis par leur exécuteur testamentaire, par un interprète ou par des traducteurs. Mais où commence la trahison ? Brod devait-il brûler les textes de Kafka comme le lui demandait l’écrivain ? L’essai esquisse des réponses, mais chacun a la sienne. D’où l’intérêt de l’essai.

• Lapeyre Patrick La Splendeur dans l’herbe POL Homer et Sybil se rencontrent et dialoguent. La femme de l’un, Emma, est partie avec le mari de l’autre, Giovanni. Au début, cet abandon occupe une place importante. Mais bientôt ils se rendent compte qu’ils sont attirés l’un par l’autre. La conversation prend un tour plus intense. En parallèle, on remonte trente ans en arrière : Homer n’est qu’un enfant sensible et inquiet, sujet de dispute entre Arno, son père, homme plutôt rigide, et Ana, sa mère. Le couple, le sentiment amoureux, la place que prend l’argent dans la relation et les enjeux de pouvoir que cela crée, ce roman les évoque par des touches légères, allusives, des échos entre les deux histoires.

• Laurens Camille L’amour, roman (folio 4075) L’amour est un mot qui sert à dire de nombreuses réalités. On n’aime pas son amant comme son enfant, son chien comme la glace à la vanille. Camille Laurens a un goût certain pour l’énumération, le tableau détaillé, et sa plume est légère et subtile, pour capter la nuance d’un mot, d’un sentiment.

• Laurrent Eric Remue-ménage (Minuit) Eric Laurrent est un virtuose, un collectionneur de mots précieux, et ce avec la modestie d’un gourmet. Il raconte l’histoire de quelques contemporains plus ou moins bien installés dans leur époque. C’est vif et drôle. Toujours juste. Un proche d’Echenoz dans sa manière d’observer.

• Laurrent Eric Clara Stern et Renaissance italienne (Minuit) : Il est difficile de ne pas lier les deux romans dont l’un a paru en 2005 et l’autre en 2007, tant ils se complètent : histoire d’un amour déçu, frustrant, Clara Stern met en scène un narrateur en quête d’une femme qui s’amuse de lui. Renaissance italienne montre le même homme un temps inconsolé, trouvant enfin celle qui l’aimera, autant qu’il l’aimera. Le tout sur fond de société, au gré des événements anodins ou graves qui se

déroulent en ces années, tous brassés par une phrase au vocabulaire fouillé et à l’impeccable syntaxe parfois longue de trois pages. De la saveur, de l’humour et de l’intelligence !

• Laurrent Eric Les découvertes (Minuit) Comment le goût de la beauté vient à un garçon. Le dernier roman d’Eric Laurrent décrit un parcours qui conduit un jeune garçon à l’écriture, à travers quelques visions ou moments d’une initiation aux femmes et à leurs appâts. Le narrateur évoque les instants, les rencontres, les images qui l’ont amené à ce qu’il n’aurait pas connu, pas de cette façon du moins, de la beauté. Un tableau célèbre, une double page centrale dans un magazine de charme, un spectacle forain dans une bourgade de province transforme le jeune garçon issu d’un milieu populaire en un jeune homme raffiné. C’est toujours drôle (comme du Laurrent) et intelligent.

• Laurrent Eric Un beau début (Minuit) Qualifier ce qui arrive à Nicole Sauxilange est une façon de voir…D’autant que ce début ne sera pas vraiment suivi du meilleur. Enfant, elle voulait accéder à la sainteté. Sa vie avec les grands-parents l’y préparait ; mieux que celle avec sa mère. Elle a troqué la foi contre le désir de célébrité. Les longues phrases sinueuses de Eric Laurrent décrivent les détours d’une existence, ses à-côtés, mais revient au cœur d’une intrigue. De l’intérêt (et du charme) des effets de retardement.

• Lê Linda Les aubes (Presses pocket 2000) : L’histoire d’une renaissance, après le deuil. Linda Lê est l’une des rares romancières françaises _ on pourrait écrire conteuse - à savoir créer un univers aux limites du fantastique, tout en décrivant le monde réel dans lequel nous baignons.

• Lê Linda Le complexe de Caliban (Christian Bourgois 2005) Comment on devient une « grande liseuse » quand, née dans une autre langue, on choisit le français. Sur le même thème, et du même auteur on lira en 2009, Plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau, recueil de portraits d’écrivains « contre », d’étrangers en leur propre langue, de singuliers, de rebelles discrets.

• Lê Linda Œuvres vives Christian Bourgois Antoine Sorel est un écrivain méconnu, un « dépenaillé de l’existence » qui vient de se suicider. Le narrateur enquête à son sujet, découvre une œuvre déroutante et passionnante, et la ville qui a servi de cadre à l’existence de Sorel, Le Havre. Le roman contient les récits croisés de celles et ceux qui ont aimé ou connu Sorel et il dresse le portrait de cet être à part. C’est aussi la matrice du livre que tente d’écrire le narrateur. Les obsessions de Linda Lê, la solitude, l’exil, l’écriture, l’asphyxie familiale, le racisme, reviennent. Sa langue à la fois classique et singulière, emporte le lecteur.

• Léger Nathalie Supplément à la vie de Barbara Loden (P.O.L. 2012) La narratrice doit écrire une note sur l’actrice Barbara Loden, auteur d’un seul film, « Wanda », et ex-épouse du cinéaste Elia Kazan. Mais bientôt, cette note prend les proportions d’une vaste enquête qui pourrait aboutir à une énorme biographie. Si ce n’est qu’elle restera une quête, une sorte de voyage entre cinéma et lieux réels, parmi des êtres de fiction et des personnes qui existent, comme la mère de la narratrice, et des femmes, qui sont autant de reflets possibles de la comédienne et réalisatrice au cœur de ce récit qui ouvre des pistes, donne à rêver, et à penser.

• Lenoir Hélène Le répit (Minuit) Véra est partie chez Ludo, leur fils, en Finlande. Mais le mari de Véra ne supporte pas de voyager. Or il doit la rejoindre, elle est à l’hôpital. Le roman décrit, du point de vue de cet homme brisé, la destruction d’un couple, le malheur qui s’installe. Un roman étouffant et impressionnant.

• Lenoir Hélène La folie Silaz (Minuit) Odette Silaz vient de mourir et on se réunit autour de sa tombe pour qu’une nouvelle vie commence. Mais George, le fils attendu n’est pas là. Do, son fils et celui de Carine est présent. Mais ce grand adolescent un peu trop mou, livré à lui-même, séparé de sa mère qui a refait sa vie ailleurs ne représente pas grand-chose aux yeux des siens. Quant à Carine, qui doit revenir sur les lieux d’une vieille histoire, elle ne sait pas comment elle sortira intacte de cette folie Silaz.

• Lenoir Hélène Pièce rapportée (Minuit) : Claire, fille de Frédéric et Elvire Bohlander, est victime d’un accident de la circulation. Tout explose alors : le passé ressurgit, les liens familiaux sont mis à nu, la présence et surtout l’absence de certains membres de cette famille, Nathalie, la sœur suicidée, Pierre, le patriarche aimé et craint, Claas, le « cousin » apparemment si lointain prennent tout à coup un relief insoupçonné. Elvire comprend qu’elle n’a jamais été qu’une pièce rapportée.

• Lenoir Hélène La crue de juillet Thérèse est venue dans une petite ville du sud de l’Allemagne pour rencontrer un célèbre artiste vivant là en reclus. C’est très important pour elle. Et donc rien ne se passe comme prévu d’autant qu’elle rencontre Karl Ritter et que leurs yeux se rencontrent, enfin presque. Le roman d’Hélène Lenoir tranche sur le ton avec les précédents : plus léger, pas loin du marivaudage et en même temps…

• Lesbre Michèle Un certain Felloni (Sabine Wespieser) Connue grâce au Canapé rouge, Michèle Lesbre s’est ici glissée dans l’œuvre trop méconnue de Giorgio Bassani pour imaginer l’histoire de Felloni, ouvrier constituant juste une silhouette dans « Une nuit de 43 », nouvelle du Roman de Ferrare. Et cette modeste figure prend alors un relief qu’on ne lui imaginait pas. Une écriture toute en finesse que l’on appréciera aussi dans Sur le sable, son dernier roman imprégné de l’œuvre de Patrick Modiano.

• Lesbre Michèle Ecoute la pluie (Sabine Wespieser) Il suffit d’un geste fatal et tout ce que prévoyait la narratrice, retrouver un homme aimé au bord de la mer, bascule, le temps d’une nuit d’orage. Le suicide d’un vieil homme se jetant sur les rails du métro réveille des émotions, provoque une errance douloureuse et en même temps belle, dans Paris en été. C’est un roman qui se ressent autant qu’il se lit.

• Littell Jonathan Les Bienveillantes (Gallimard) Ce roman est monstrueux à tous égards. Adoptant le point de vue d’un S.S. le narrateur raconte la guerre sur le front soviétique lorsqu’y débute l’extermination des Juifs, jusqu’à Berlin. Max Aue, le narrateur, est un idéologue tourmenté, dont la vie privée, les pulsions secrètes, sont à la démesure de ce qui se passe sur le continent européen en ces années d’apocalypse. Littell utilise une langue des plus classiques, emprunte à la grande tradition romanesque, mais rend à la fiction tous ses droits perdus pendant des années de « moi je ».

• Louis Edouard En finir avec Eddy Bellegueule Le Seuil Eddy est collégien dans un village de Picardie. Ses parents s’occupent à peine de lui, trop occupés qu’ils sont à vivre un quotidien fait pour le père de télévision, de cuites et de paroles macho, pour la mère de ressentiment, de résignation et de difficultés diverses. Eddy se fait cracher dessus, insulter parce que ses gestes, sa parole sonnent comme efféminés. Il prend conscience de son identité, tente d’abord de la nier, avant de l’assumer, en quittant les siens. Un roman d’éducation à trame autobiographique, qui mêle le récit et l’analyse, dans le sillage de Pierre Bourdieu et de Annie Ernaux.

• Majdalani Charif Le dernier seigneur de Marsad (points Le Seuil) Chakib Khattar est maître d’un territoire et maître chez lui, les siens gouvernent le Liban. Il est riche et puissant jusqu’à ce que Hamid, son bras droit, un jeune homme qu’il a considéré comme son fils ait tenté d’enlever sa fille Simone. La fuite des deux amoureux ne dure pas. Mais elle rend difficile la succession de Chakib. D’autant que les vents tournent et que le pays connaît des guerres qui mettent les chrétiens à l’écart. La disparition du seigneur est proche. En de longues phrases sinueuses et envoûtantes, Charfi Majdalani raconte le Liban, et la passion des hommes.

• Majdalani Charif Villa des femmes (points Le Seuil) La maison de Skandar Hayek est aussi solide que l’homme, en apparence. Il est le maitre de tous et de tout dans cette banlieue de Beyrouth au milieu des années soixante. Mais quand il disparaît, l’opposition entre sa femme et sa sœur s’avive, ses enfants semblent incapables de prendre la suite et la guerre civile qui menaçait, éclate. Cette épopée d’une écriture somptueuse, racontée par Noula, fidèle serviteur de Skandar prend des allures de conte et de roman d’aventure.

Majdalani Charif L’Empereur à pied Le Seuil Un inconnu arrive dans un lieu aride et le transforme en jardin. Sa descendance, comme lui, transforme tout ce qu’elle touche en or. Mais une loi impitoyable s’impose à chaque génération : seul un des enfants se mariera et aura des enfants. Les autres devront se soumettre ou renoncer à tout héritage. C’est ainsi que les fils Jbeili découvrent le monde, du début du XXème siècle à sa fin, du Mexique à la Chine, en passant par l’Italie. Un roman d’aventure servi par une écriture d’une rare élégance, dans la ligne des précédents romans de l’auteur.

• Mauvignier Laurent Loin d’eux (Minuit) : Un jeune homme apparemment bien portant vient de se suicider. Sa famille s’interroge. Les monologues croisés, comme souvent chez Mauvignier dont c’était le premier roman, approchent dans la violence des paroles, une vérité. Mais rarement la paix.

• Mauvignier Laurent Apprendre à finir (Minuit double 2000) Un homme revient chez lui après un accident. Sa femme l’attend autant qu’elle craint la fin de sa convalescence. Il partira alors vers une autre femme. La tragédie racinienne chez des « gens de peu ». Une écriture singulière.

• Mauvignier Laurent Dans la foule (Minuit) : Quelques personnages se croisent un soir de mai 1985 à Bruxelles. Un match entre la Juventus et Liverpool a drainé les foules, et les plus violents des hooligans commettent le pire. Mauvignier, utilisant comme il l’a fait dans ses précédents romans le monologue, montre des êtres aux prises avec le destin. Plus rien ne sera comme avant, le désespoir, le chagrin et la rage ne quitteront plus ces personnages.

• Mauvignier Laurent Autour du monde (Minuit double) Le Japon a subi le tsunami de 2011, et ses suites. L’événement est le point de départ de ce roman qui se déroule autour de la planète. Des histoires de toutes sortes, mettant en scène des anonymes ; racontant la rencontre, la solitude, l’ennui, la grâce aussi, d’un instant. L’écriture déliée, légère de Mauvignier donne leurs contours aux détails. L’émotion affleure à travers l’anodin.

• Mauvignier Laurent Continuer (Editions de Minuit) Un voyage vers des terres lointaines peut-il ramener des êtres à une vie heureuse ? Les réparer, pour reprendre la métaphore de Tchékhov ? Sybille, le croit. Samuel, son fils, est ce compagnon qu’il faut sauver. En même temps qu’elle, dont l’existence ne tient pas les promesses qu’on pouvait en attendre. Les vastes espaces du Kirghizistan qu’ils traverseront à cheval peuvent être le lieu d’une réconciliation.

• Meur Diane La carte des Mendelssohn Sabine Wespieser L’auteur intéressée par Abraham Mendelssohn, fils de Moses le philosophe allemand des Lumières, et père de Félix, le compositeur, enquête sur la famille entière. Un arbre généalogique n’y suffit pas. En plus de 765 histoires, anecdotes, Diane Meur raconte cette famille qui s’étend sur divers continents et qu’une carte plus vaste qu’une nappe ne suffit pas à dénombrer. Elle-même devient un personnage de son roman, réflexion astucieuse sur les origines et les filiations.

• Michon Pierre Maîtres et serviteurs (Verdier) A travers trois récits mettant en scène des artistes (Goya, Velasquez et un assistant de Piero della Francesca), trois façons d’envisager le métier, la gloire ou le malheur qui s’attache à cette vocation.

• Michon Pierre Corps du roi Verdier Des portraits d’artistes, et une réflexion de Michon sur lui-même. Le texte consacré à Hugo est bouleversant, (même si Michon réfuterait l’emploi de ce terme.)

• Michon Pierre Le roi vient quand il veut Albin Michel : à travers les entretiens rassemblés se lit la conception que se fait l’auteur, peut-être l’un des rares grands écrivains français d’aujourd’hui, du roman, de la littérature : un livre essentiel.

• Modiano Patrick Des inconnues (folio 3408) : Trois destins de femmes, trois façons d’être privées de sa vie.

• Modiano Patrick L’horizon Gallimard 2010 Margaret Le Coz est née à Berlin. Jean Bosmans la rencontre à Paris, par hasard. Tous deux fuient des fantômes, essaient d’échapper à la foule, se cachent dans les replis secrets des quartiers, quêtent l’horizon en scrutant les saisons intermédiaires, un ciel bleu en janvier, une lumière différente. Le temps passe et l’avenir s’ouvre à eux quand quarante ans après qu’ils se sont aimés, Jean rejoint Margaret dans la capitale allemande.

• Modiano Patrick L’herbe des nuits Gallimard Entre rêve et réalité dans un Paris nocturne ou brumeux, un homme tente de se rappeler Dannie, celle qu’il aimait, dans les années 60. Trame connue toujours reprise par l’auteur de Dans le café de la jeunesse perdue. Dannie a participé à quelque chose de louche. Et tous ceux que le narrateur a fréquentés étaient des gens peu fréquentables. On n’en saura guère plus. Mais la poésie, celle des promeneurs qui traversent la ville, la peuplent de leurs songes et de leurs mots, tel est sans doute la vraie matière de ce roman.

• Nadeau Maurice Grâces leur soient rendues (Albin-Michel) : Les mémoires de l’éditeur de Miller, Lowry Sciascia, découvreur de Perec et Houellebecq, ami de Beckett, Michaux et Pascal Pia.

Un récit modeste et précis, qui montre au lecteur ce qu’était le métier d’éditeur avant que des « gestionnaires » capables de compter mais rarement de lire, s’en chargent.

• N’Diaye Marie Trois femmes puissantes (Gallimard 2009) Roman miroitant, écrit dans une langue majestueuse, très riche et proche dans le même temps, ce livre raconte trois parcours de femmes : toutes trois ont en commun le souci d’être, d’exister pleinement, face à leurs proches comme face aux monde. L’une retrouve un père déchu autrefois superbe, l’autre est l’épouse d’un homme qui a tout perdu, avec sa dignité de professeur, après un incident violent dans la cour de son lycée, la troisième connaît toutes les souffrances sans jamais cesser d’être Khady Demba. La romancière crée un univers qui conjugue banalité et mystère, ordinaire et métaphysique.

• N'Diaye Marie Rosie Carpe (Minuit 2001) : Une histoire de famille, étrange, compliquée, entre Brive et les Antilles.

• N'Diaye Marie La sorcière (Minuit) Une mère est dotée de pouvoirs extraordinaires. Elle en fait bénéficier ses filles. Cela ressemble à un conte, c’est souvent drôle, mais aussi effrayant, comme la réalité très banale qui sert de toile de fond à cette histoire provinciale.

• Nimier Marie La Reine du silence (Folio) Fille d’un célèbre romancier, d’une figure de la société de son temps, Marie Nimier brosse le portrait d’un homme qu’elle n’a pas eu le temps d’aimer. Elle ne cache rien de ce qu’il était mais ne se laisse pas aller à l’impudeur du dévoilement si à la mode dans une société qui croit tout ce que lui montre la télévision, et surtout des exhibitionnistes.

• Obiégly Gaëlle Mon prochain Verticales Si la lecture est une façon de partir à l’aventure, sans chercher à connaître d’avance le chemin, ce livre est un bréviaire à emporter et à savourer. On peut en effet lire Mon prochain de son début à sa fin, mais on pourra aussi picorer, feuilleter, se laisser prendre par un chapitre, par un autre. La narratrice utilise l’anecdote, l’observation, le reportage, le carnet de croquis, pour parler du monde et des humains, « Mon prochain » parmi les autres. Il y est question du travail, de l’amour, de la guerre lointaine et proche, des gens les plus simples, pris dans le dépourvu d’un instant. C’est beau !

• Oster Christian Une femme de ménage (Minuit double 2001) le narrateur laisse son appartement à l’abandon depuis que Constance l’a quitté. Or un jour il choisit de prendre une femme de ménage. Sa vie en est peu à peu bouleversée. Tout est dans le peu à peu. L’hésitation est tout, dans les romans d’Oster.

• Oster Christian Sur la dune Editions de Minuit Paul, le narrateur, a du mal à se situer dans le temps. Il ignore de quoi sera fait l’avenir, ne parle pas de son passé, et le présent fait l’objet de toutes ses hésitations. La rencontre d’Ingrid, et celle de Brigitte du côté des Landes y changera peut-être quelque chose.

• Oster Christian Dans la cathédrale (Minuit 2010) Jean quitte Paris après une rupture. Il s’installe dans la Beauce, fait du vélo, rencontre Anne. La suit le jour de son mariage dans la cathédrale de Chartres. Il n’en faut pas beaucoup pour qu’à partir de rien, de l’ordinaire d’une vie un peu contrariée, hésitante ou délicate, tout prenne des contours magiques. Oster a l’art de se servir des détails les plus simples pour enchanter. En trouvant le rythme, pour commencer.

• Oster Christian Rouler (Points Seuil). Jean, le narrateur, prend la route. Pourquoi ? On ne le saura jamais. L’essentiel, on le sent, est d’être en chemin, de traverser les paysages, de retarder le moment d’arriver à Marseille, but affiché, sans cesse repoussé. Des rencontres, bien sûr, des équivoques sur les mots, des doutes mais aussi l’élan d’un homme qui veut changer. C’est un roman différent des précédents, et dans la continuité : le détail y prend un relief tel que notre perception du monde en est encore bouleversée.

• Oster Christian En ville L’Olivier 2012 Quelques amis se réunissent pour préparer des vacances. Mais chacun est, qu’il le sache ou non, à un tournant. L’un est gravement malade, l’autre, quitté, retrouve l’amour, un troisième va déménager et être père, sans y tenir. Le roman, dense, touffu, relate les discussions, les hésitations, les doutes des uns et des autres. A l’aridité de Rouler, son précédent roman ,fait écho la profusion de celui-ci, ancré dans Paris.

• Pennac D. Comme un roman (folio 2724) Un essai sur l’amour de la lecture et des conseils pour tous ceux qui sont démunis parce qu’ils ont des idées très arrêtées sur la façon dont il convient de faire lire les enfants, et qui bien sûr n’arrivent à rien, sinon à se mettre en colère.

• Prudhomme Sylvain Légende (L’arbalète Gallimard) : La Crau, entre Arles et la Camargue est une plaine peuplée… de brebis, de moutons et de bergers. Nel est fils et petit fils de berger. Matt est son meilleur ami. Tous deux retrouvent un bar discothèque qui a connu ses heures de gloire dans les années 80. La « Chou » était en effet un point de ralliement. Et parmi ceux qui y faisaient la fête, deux frères, deux « papillons » ou deux « sauvages », Fabien et Christian. Leur histoire est celle d’une époque pleine de vie et d’enthousiasme, d’excès avant que vienne le temps de la peur

• Quint Michel Effroyable jardin (folio) Une histoire de résistance, dans le Nord de la France, un court récit qui a connu un énorme succès pas immérité cependant.

• Ravey Yves Sans état d’âme Editions de Minuit Gu n’a plus de maison, depuis que son père avant de mourir, en a signé l’acte de vente en faveur de Blanche. Laquelle a une fille Stéphanie, dont il est amoureux. Mais la jeune femme aime John Lloyd, un Américain qui aimerait la ramener chez lui. Gu a besoin d’argent pour récupérer la maison paternelle, et ne supporte pas d’avoir un rival amoureux. La solution est vite trouvée. C’est compter sans Mike, le frère de John qui mènera l’enquête. Sur une trame de roman policier, une histoire tendue à l’extrême, avec sécheresse. L’amour, l’argent, la mort, tout est là, rien de plus.

• Ravey Yves Trois jours avec ma tante Editions de Minuit Une enveloppe kraft, une encre violette, un chèque sans ordre : voici les trois objets autour desquels se construit un suspens. Et celui qui attend, outre le lecteur, c’est Marcello Martini, qui a fui la France quittant Lydie, enceinte de Rebecca qui est peut-être sa fille. Il a aussi quitté sa très riche tante Vicky Novak qui l’hébergeait et qui l’a aidé à fuir. Le retour est délicat. C’est tendu, serré, sans adjectif inutile, sans l’expression du moindre sentiment. Mais on ne lâche pas.

• Reinhardt Eric Le système Victoria Stock David, le narrateur, a trouvé refuge dans une auberge de la Creuse. Il s’est séparé de sa femme Sylvie et de ses filles, après la mort de Victoria, sa maîtresse. Il se rappelle la passion qui les a unis, l’excitation qui les a conduits à franchir toutes les limites aussi bien dans leur relation que dans leur vie professionnelle. Victoria, DRH dans une entreprise mondialisée, et lui maître d’œuvre bâtissant une tour gigantesque à la Défense s’affrontent autant qu’ils s’aiment. Notre monde contemporain, sa démesure, sa complexité dans un roman qu’on pourrait qualifier de balzacien.

• Rolin Jean L'organisation (folio 3153) Une épopée comique dans la France des années soixante dix. L’auteur narrateur, militant maoïste, n’était pas très doué pour la lutte et l’obéissance aux slogans simplistes. Ce récit en témoigne souvent avec drôlerie. On pourra comparer avec ce que raconte le frère, Olivier, dans Tigre de Papier.

• Rolin Jean La clôture (folio 4067) Jean Rolin a choisi un quartier de Paris, du côté des portes de Clichy et Clignancourt, une zone de pauvreté, d’exclusion. Ce pourrait être pathétique, c’est juste, plein d’humour et de finesse : l’un des meilleurs regards sur la ville et ses exclus de toutes sortes, aujourd’hui.

• Rolin Jean L’homme qui a vu l’ours (POL) Pendant plus de vingt ans, Jean Rolin a travaillé comme reporter en Afrique, en Europe centrale, sur les mers, dans les zones où vivent oiseaux et mammifères. De ces nombreux périples restent des articles patiemment rassemblés. Cette somme est aussi un art d’écrire en flânant.

• Rolin Jean L’explosion de la durite (folio 4800) Le narrateur doit emmener une vieille automobile en Afrique, pour rendre service à Foudron, ex- colonel désormais vigile porte de Clichy. Le voyage est lent, semé d’embûches. Les diverses péripéties sont ponctuées de retours en arrière où l’on apprend que lire Proust et Conrad peut aider à éviter le pire : l’ennui et la mort.

• Rolin Jean Un chien mort après lui (folio 5080) Jean Rolin traverse le Chili, la Russie, le Liban ou l’Australie pour mener une vaste enquête sur les chiens errants. Occasion aussi de dresser un portrait de la planète comme elle ne va pas. Les chiens errants ou féraux sont des indices du malaise des humains. On les chasse, on les tue, on les craint et ils disent la guerre, la pauvreté, la misère.

Mais rien de pathétique dans ce « roman » : le ton Rolin, mélange d’érudition, de digressions et d’ironie évite toute lourdeur à ce livre, comme à La clôture ou à L’explosion de la durite.

• Rolin Jean Le ravissement de Britney Spears (folio 5543) Des terroristes auraient décidé d’enlever l’ex star people et on a chargé le narrateur, qui ne se distingue pas par son adresse et qui ne sait pas conduire d’assurer sa sécurité à Los Angeles. Mais on comprend dès les premières lignes du roman que la mission a échoué : difficile de suivre une vedette en moyens de transport. Faux roman policier, Le ravissement de Britney Spears est un vrai livre sur Los Angeles, portrait d’une ville immense et complexe, dans laquelle cohabitent les people et les immigrés, et dont les frontières entre quartiers prestigieux et zones incertaines est mince. Un vrai texte de Rolin, explorateur des marges, observateur toujours aux aguets, attentif aux détails qui disparaissent.

• Rolin Jean Ormuz (POL) Le détroit d’Ormuz n’est pas connu pour ses léopards des neiges (certes empaillés) mais pour le trafic pétrolier. Environ 30% du pétrole et du gaz produits sur la planète transite par ce lieu également connu pour les menaces que font peser les gardiens de la révolution iraniens sur les navires américains ou occidentaux. Mais Ormuz n’est pas un reportage sur ce détroit. C’est l’histoire de Wax, un personnage un peu étrange qui décide de traverser le détroit à la nage. Le narrateur, qui arpente la région, prend des repères et cherche les contacts nécessaires, raconte cette équipée dont tout laisse à penser qu’elle sera délicate à entreprendre. Tout l’art de Rolin est de transformer cette aventure en roman à la fois documenté et drôle.

• Rolin Jean Les événements (POL) Une guerre civile déchire la France. Pourquoi s’est-elle déclenchée ? On l’ignore. Qui sont les protagonistes ? Difficile à dire. Des milices s’affrontent. Le narrateur traverse le pays, de Paris à Marseille. Apparemment en quête d’un fils. Rivières, paysages, animaux, voici tout ce qui fait la trame de son voyage en un pays soudain semblable à ces zones de guerre que Rolin a bien connues. Distance ironique et précision du détail : du Rolin dans le texte.

• Rolin Jean Peleliu (POL 3.16) « De septembre à novembre 1944, l’île de Peleliu, dans l’archipel des Palaos, a été le théâtre d’une des batailles les plus meurtrières de la guerre du Pacifique. » Fidèle à son goût du reportage, de l’investigation distanciée et d’apparence digressive, Jean Rolin raconte.

• Rolin Olivier Bakou, derniers jours Le Seuil 2010. Il y a quelques années, Olivier Rolin avait imaginé sa mort dans une chambre d’hôtel de la capitale d’Azerbaïdjan. Malgré les objurgations de ses amis, il est allé à Bakou et y a passé du temps. Flânerie mélancolique et amusée, souvent amusante, ce récit est constitué de courts chapitres qui mêlent rencontres, lectures, légendes contemporaines et promenades, jusqu’au Turkménistan voisin. On suit et on se laisse égarer.

• Rolin Olivier Tigre de papier (Point roman) Une automobile tourne autour de Paris. Un narrateur conduit et raconte, à la jeune fille qui l’accompagne, fille d’un compagnon de lutte, les années soixante-dix et la tentation révolutionnaire. Pour Rolin, une sorte d’autobiographie romancée, distancée. A la fois drolatique et terrible.

• Rolin Olivier Le météorologue (Le Seuil) On oublierait presque la machine à broyer que fut le stalinisme, surtout en ses périodes de terreur, si un écrivain comme Olivier Rolin ne menait pas l’enquête sur celles et ceux qui ont été victimes de l’immense massacre. Tel était le cas de Vangengheim, météorologue soudain jeté dans le goulag, tué en 1937. Le travail d’investigation est précis et restitue la mémoire de cet homme parmi les autres, pas un héros. Un homme parmi des millions qui écrivait à sa fille et rêvait d’un monde meilleur.

• Rolin Olivier Veracruz Verdier Ce roman en contient deux. On pourrait parler d’enchâssement. Le premier est l’histoire du narrateur, venue dans la ville mexicaine pour une conférence. Il tombe fou amoureux de Dariana. Elle disparaît. Il reçoit bientôt une enveloppe contenant quatre récits. Chacun met en avant un des personnages d’un sombre huis-clos, dans un palais autrefois glorieux de la cité. Entretemps, l’infanticide, l’inceste et les crimes divers ont marqué cette famille. Le narrateur tente de tisser des fils entre ce qu’il a vécu avec Dariana et ce que cette histoire raconte. Peut-il ainsi la retrouver ? Un roman dense et mystérieux qu’on peut aussi lire comme art poétique.

• Rosenthal Olivia Mécanismes de survie en milieu hostile (Verticale) Conte initiatique autour de la peur, récit du décès d’une sœur, réflexion éclatée sur certains phénomènes liés à la mort,

roman à suspens sur la fuite, l’art de se cacher, de se rendre invisible ? Ce livre est tout cela à la fois. On n’a pas une « histoire », une intrigue, mais des pièces de puzzle à rassembler. C’est à la fois intelligent et émouvant parce que l’auteur sait montrer ou dire autant que taire et suggérer. Le lecteur travaille, pour le meilleur.

• Rosenthal Olivia Toutes les femmes sont des aliens (Verticale) « Et si le cinéma servait surtout à attiser et magnifier nos folies ? » La narratrice des trois récits descriptifs qu’on lit évoque la série des aliens, attend vainement les duos fétiches de Hitchcock dans Les oiseaux, et s’interroge sur les liens entre deux films de Walt Disney, Bambi et Le livre de la jungle. Prétextes bien sûr pour parler de la maternité, de la parentalité des événements traumatiques qui ont marqué l’Europe, et des blondes.

• Rouaud Jean Le monde à peu près (Minuit) Le narrateur est myope. Ce pourrait être un handicap, c’est un avantage. Tout est flou, incertain, et cela vaut souvent mieux quand on est adolescent et que l’on ne se remet pas de la mort brutale, un soir de Noël, du père, figure presque légendaire. La phrase de Rouaud longue et sinueuse, cherche son chemin (et le trouve toujours) comme le myope tâtonne à la recherche de ses lunettes.

• Rouaud Jean Pour vos cadeaux (Minuit 1998) Ce quatrième tome du projet de Rouaud, entre roman et autobiographie, est axé sur le personnage de la mère, marchande de produits ménagers, quincaillerie et jouets dans une petite ville de la « Loire Inférieure » aujourd’hui Atlantique. Ce portrait tout en digressions est aussi un autoportrait de Rouaud en amateur de chemins de traverses ou en équilibriste marchant sur le fil ténu de la phrase.

• Salvayre Lydie La compagnie des spectres (Points 561) Deux femmes se font face, dans une tour de banlieue. La mère ne s’est jamais remise des souffrances infligées aux siens par des miliciens pétainistes. La fille essaie d’expliquer à l’huissier venu pour saisir leur mobilier ce qui se passe. Un monologue grinçant, à la fois pathétique et drôle.

• Salvayre Lydie Portrait de l’écrivain en animal domestique (Points 2121) Un écrivain est chargée par Tobold, le roi du hamburger, de rédiger un nouvel évangile. Malgré son dégoût profond pour le patron et ce qu’il incarne, notre romancière se prend au jeu. Quant au roi du hamburger, il connaît une curieuse évolution. Un roman plein de verve, toujours drôle, et intelligent.

• Salvayre Lydie Hymne (Points 2885) Jimi Hendrix a joué l’hymne américain à Woodstock, en juillet 69. L’exécution (à tous les sens du mot) de cet air presque sacré sert de point de départ et de prétexte à une multiple exploration. Portrait de l’Amérique de ces années Viet Nam, le texte de Lydie Salvayre est aussi la biographie admirative d’un musicien légendaire, artiste de la dissonance et l’autoportrait en creux d’une romancière qui aime l’exagération quand elle est synonyme de générosité, qualité ou valeur devenue rare.

• Salvayre Lydie Pas pleurer (Le Seuil) En cet été 36, Montsé, « une mauvaise pauvre » fait l’expérience de la liberté et du bonheur. Son mois d’août restera unique : Barcelone qu’elle découvre, est insoumise et joyeuse, libertaire. En cette même saison, à Palma, Bernanos découvre l’horreur de la guerre civile, assiste aux massacres commis par la Phalange avec la bénédiction du clergé. Sa vision du monde et du christianisme en particulier en est bouleversée. Le roman raconte cette double histoire, et celle d’un village à l’heure de la guerre d’Espagne. C’est Montsé, mère de la narratrice qui dit cela dans sa langue rebelle et drôle, reprise par l’auteur, au style aussi soutenu que caustique.

• Schuhl Jean-Jacques Ingrid Caven (Gallimard 2000) : Dandy étranger à notre temps, Jean-Jacques Schuhl dresse ici le portrait de son épouse, ex-égérie de Fassbinder, chanteuse et comédienne. A travers elle renaît toute une époque, celle des années soixante-dix et sa lumière si singulière qu’une écriture élégante et fluide rend proche, et aussi distante que les étoiles.

• Semprun Jorge L'écriture ou la vie (folio 2870) Jeune résistant, Semprun a été arrêté et déporté à Buchenwald. Ce récit écrit quarante ans après les faits est une réflexion sur son existence, ses engagements, ses croyances d’homme confronté à la barbarie et aux totalitarismes, en un siècle qui n’en fut pas avare.

• Serena Jacques Plus rien dire sans toi (Minuit 2002) Le narrateur s’est réfugié chez la « Great Lady », vieille femme excentrique dont il s’occupe pour oublier sa jalousie et les dégâts qu’elle a

provoqués. Serena est d’abord une voix, lancinante mais drôle, car les obsessionnels nous font rire autant qu’ils nous agacent. Sauf en littérature où d’abord, ils nous amusent.

• Serena Jacques L’acrobate (Minuit 2002) Entre Lagrange, l’épouse sans histoire toujours aux petits soins, et Sophie Roche, la fiévreuse, le narrateur balance, comme entre sa vie brûlante et son travail d’écrivain réfugié dans la mezzanine. Par-delà l’histoire d’un « acrobate », une façon de s’interroger sur ce qu’est le travail d’un écrivain.

• Serena Jacques Sous le néflier (Minuit 2007) Nouvelle variation autour de l’amour et de ses tourments. Le narrateur revient d’un examen médical à la bouche, rempli de bonnes résolutions, désireux de changer de vie, et d’en convaincre Anne, son épouse. Laquelle ne l’entend plus de cette oreille. A partir de là, valse hésitation, allers-retours entre le domicile et un studio dans lequel il vit en célibataire, rencontres, et tentatives de retour à la case-départ. Avec le rythme bien à lui de Serena.

• Seyvos Florence Le garçon incassable L’Olivier Henri, frère de la narratrice par l’effet d’un remariage, est handicapé. Cela n’en fait pas un être faible ou dépendant, mais quelqu’un de différent, souvent drôle par ses manies, ses façons de faire et d’être. Son histoire, nous la lisons par ricochet ; elle ressemble à celle de Buster Keaton, autre garçon incassable qui traversait toutes les épreuves sans se faire mal. A travers ces deux êtres drôles et mélancoliques, Florence Seyvos parle de la fragilité, la sienne et la nôtre, et raconte des histoires simples et pleines d’émotion.

• Thorens Jacques Le Brady, cinéma des damnés Verticales Ni roman, ni témoignage ni essai, ce livre est un peu tout cela. Le Brady a été le dernier cinéma de quartier à proposer du cinéma permanent. Et ce jusqu’au milieu des années 2000. Il accueillait toute la misère d’un quartier, celui de Strasbourg Saint-Denis. Jacques Thorens, projectionniste et caissier de la salle raconte l’histoire du lieu, des gens qui le fréquentent, des habitants du coin en de courts chapitres, souvent drôles, parfois poignant. Clochards, marginaux, prostituées, ce sont les damnés qu’évoque le titre.

• Toussaint Jean-Philippe Football Editions de Minuit Le football est pour l’auteur le filtre qui permet de parler de l’enfance bruxelloise, du lien avec son père récemment décédé, de l’écriture, du Japon, pays familier, et de la Corse, autre lieu d’élection. Les Coupes du Monde de 98 à 2006 servent de point de départ, faisant écho à La mélancolie de Zidane, L’urgence et la patience mais aussi Nue, essais et romans de l’auteur pendant cette période de son existence. Un délice d’intelligence, d’humour et d’émotion.

• Toussaint Jean – Philippe La vérité sur Marie (Double, Minuit) Troisième volet d’un cycle commencé avec Faire l’amour et poursuivi avec Fuir, ce roman met en scène le narrateur et Marie, son ex-amante, en des lieux et des circonstances où le fantastique le plus ordinaire (on permettra l’oxymore) semble régner. La mort brutale du compagnon de Marie, en une nuit d’orage, la fuite folle d’un étalon sur le tarmac de Tokyo, un incendie dans un haras sur l’île d’Elbe sont les cadres d’un triptyque qui renvoie autant aux installations d’Art Plastique qu’au roman. La méditation sur l’amour se poursuivant en sourdine.

• Toussaint Jean – Philippe Nue (Minuit) Le cycle de Marie s’achève par un retour en arrière, à Tokyo, alors que le narrateur assistait ou imaginait la rencontre entre son rival Jean-Christophe de G et son amante, puis par une ultime étape à Elbe, riche en révélations et aveux. Comme dans les contes de fées, tout sera bien qui finit bien, mais on reste fasciné par l’écriture élégante et précise de Toussaint, amusé par son humour qui met à distance ce qu’il pourrait y avoir de trop sérieux dans la passion qui unit le narrateur à Marie.

• Toussaint Jean-Philippe Made in China, Minuit L’auteur dresse le portrait de son éditeur chinois, devenu au fil des ans et des séjours, son ami. Chen Tong est un artiste autant que l’éditeur de Beckett et Robbe-Grillet. Il sera aussi l’organisateur, voire le producteur des courts métrages que l’auteur tourne en Chine, à partir de Fuir, Faire l’amour ou Nue. Le récit de ces tournages donne au récit sa dimension romanesque et l’art du détail incongru, de la digression ou du portrait transforme le réel en fiction.

• Viel Tanguy L’absolue perfection du crime (Minuit Double) Un roman noir sur la fidélité, la trahison, dans un lieu qui ressemble aux décors des films de John Huston ou de Melville. Avant tout une question d’atmosphère.• Viel Tanguy Insoupçonnable (Minuit 2006) Quatre personnages, un kidnapping manqué, un

amour clandestin (et dans clandestin il y a destin, note Sam, le narrateur). L’écriture de Tanguy Viel impressionne, et sa confiance dans la forme romanesque, à rendre à la fois l’intrigue et celle qu’elle sous-tend, cache et révèle, de ce qui oppose les classes sociales ou les êtres.

• Viel Tanguy Paris-Brest (Minuit double 2009) Règlements de compte dans une famille brestoise : le narrateur, influencé par le fils Kermeur, son âme damnée selon sa mère, a fui la ville, la valise remplie de billets volés à sa grand-mère. Quand il rentre dans la cité bretonne, cette même valise contient un manuscrit qui fera des dégâts autour de lui. Sa mère, notamment, n’est pas épargnée. Argent, différence de classes, différence de génération, le cœur du roman est brûlant, comme on le dit d’un réacteur. Mais il y a l’humour de l’auteur, et en particulier, cette façon de ressasser, de construire ses phrases en jouant sur l’oralité, qui désamorce ce que les thèmes ont de trop sérieux.

• Viel Tanguy La disparition de Jim Sullivan (Minuit double) Un romancier français décide d’écrire un roman américain, dans un paysage américain, avec des héros américains. Autrement dit de jouer avec les clichés et l’écriture du roman tel qu’on le conçoit outre Atlantique. Exercice d’admiration (ou de moquerie ? voire les deux à la fois) le roman de Tanguy Viel est aussi le portrait des Etats-Unis ruinés par Bush et ses guerres, un roman policier à suspense, et une histoire d’amour. Mais bien sûr une réflexion sur le roman tel qu’il s’écrit conjointement entre romancier et lecteur.

• Viel Tanguy Article 353 du code pénal (minuit 2017) On attendait la construction d’une station balnéaire à la place du vieux bourg, dans un coin de la rade de Brest. C’est un certain Lazennec qui est censé la faire bâtir. La mairie a beaucoup investi, espérant gagner beaucoup d’argent. Et Martial Kermeur a lui aussi investi, mettant sa prime de licenciement dans l’affaire. Mais rien n’a été bâti. Kermeur a poussé Lazennec dans la mer, et au moment où le roman débute, il est dans le bureau du juge d’instruction, qui veut comprendre.

• Viscogliosi Fabio Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit (Stock). Une vie est un puzzle. Les pièces s’assemblent, collent plus ou moins bien entre elles, si on se hâte de les unir. L’auteur de ce récit évoque sa famille, mais aussi Laurel et Hardy, les musiciens de rock qui ont rythmé son adolescence, l’Italie dont les siens sont originaires, les oiseaux, les nuages… Chaque chapitre, très bref, ressemble à un poème en prose, à la fois limpide et mystérieux.

• Viscogliosi Fabio Mont-Blanc (Stock) Les parents de l’auteur-narrateur ont péri dans l’incendie du tunnel du Mont-Blanc. Le récit qu’on lit tourne autour de ce sommet et par petites touches, selon une sorte de hasard pas tout à fait incontrôlé, on voit comment les coïncidences, les rapprochements de faits ou de mots, les événements peuvent éclairer le mystère de cette mort brutale. C’est à la fois désinvolte et grave, léger et profond.

• Vuillard Eric 14 Juillet Actes sud Quand a eu lieu le 14 juillet ? La réponse semble évidente ; le récit d’Eric Vuillard montre que tout a débuté avant et que les acteurs de cet événement ne sont pas ceux qu’on croit : le peuple de Paris, dans sa diversité, est le personnage principal de ce récit plein de verve et de vitalité, énergique et joyeux, s’attachant aux détails oubliés, tournant les pages méconnues d’une aventure exceptionnelle. Vuillard, après Congo et Tristesse de la terre ou La bataille d’Occident, montre que l’Histoire est un superbe roman.

• Vuillard Eric L'ordre du jour Actes sud "Les catastrophes s'annoncent à petits pas" écrit l'auteur de ce récit. Il raconte les coulisses d'une tragédie, la guerre menée en Europe par les nazis. Tout commence dans des salons ou salles de réunion. Les propos sont brutaux, parfois cachés sous le vernis de bonnes manières. On connait le "style Vuillard", et on le retrouve, comme toujours en adéquation avec son objet et avec une vision du monde, perçu sous d'autres angles que ceux trop connus.

• Weitzmann Marc Quand j’étais normal (Grasset 2010). Marc Weitzmann consacre son œuvre romanesque à décrire une société qui se défait. Dans ce roman peut-être son plus abouti, il évoque les années 2000 et en particulier le tournant que marque l’attentat du 11 septembre. Au

printemps 2003, la guerre contre l’Irak exacerbe quelques passions, met à jour des haines jusque là latentes. Gilbert, dont les parents n’ont cessé de travailler pour le théâtre populaire dans les banlieues les plus démunies, est victime d’un harcèlement par mél, dont il ne parvient pas à connaître l’origine. Il soupçonne Didier Leroux, ex-camarade de classe, sorti de prison après un meurtre crapuleux d’être l’auteur des méls, en même temps qu’il s’est introduit dans le cercle familial pour prendre sa place. L’intrigue policière sous-tend cette histoire de famille, évocation d’une France assez nauséabonde.

A lire sur le roman contemporain, pour entendre un autre son de cloche :Dominique Viart Bruno Vercier La littérature française au présent Bordas seconde édition en 2008

sans doute un livre qui fera référence.Dominique Viart Anthologie de la littérature contemporaine française Armand Colin Sceren CRDP

2013Simon Daireaux Amélie Pacaud Nouvelles formes du récit folioplus classiquesLaurent Flieder Le roman français contemporain, Seuil Mémo 1998 (pour aller très vite).Bruno Blanckeman Fictions singulières, Prétextes 2002 réédition en 2008Viart Proguidis Salgas Braudeau Le roman français contemporain Ministère des Affaires Etrangères

ADPF disponible en téléchargement sur le site du MAEMichel Volkovitch Verbier Maurice Nadeau 2000Michel Volkovitch Coups de langue Maurice Nadeau 2006Pierre Jourde La littérature sans estomac Presse pocket (polémique et drôle, mais un peu facile

avec le recul)Si vous cherchez de bonnes librairies à ParisLibrairie Tschann Boulevard du Montparnasse (le libraire me connaît)Librairie Le Divan, Rue de la Convention (métro Convention)Librairie Compagnie rue des Ecoles (métro Cluny) (le libraire prénommé Raphaël me connaît)Librairies des Abbesses rue Yvonne Le Tac (métro Abbesses) (la libraire me connaît)