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A chaque poussée du pied, on meut des fils par milliers Les navettes vont et viennent Les fils glissent invisibles Chaque coup les lie par milliers Goethe, Faust,I, cité par Freud André Green, de l’« Esquisse » à « l’Interprétation des rêves » : Coupure et Clôture, in Nouvelle Revue de psychanalyse, l’Espace du rêve. Bornéo Du rêve au textile, le tissage comme métaphore du monde Constance de Monbrison, musée du Quai Branly-Jacques Chirac - Fontainebleau, 2018 Le rêve est à l’origine de la création mais il n’est pas la création. Il nécessite une conversion. Jean Gillibert, Entretiens

Bornéo Du rêve au textile, le tissage comme métaphore du monde

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Page 1: Bornéo Du rêve au textile, le tissage comme métaphore du monde

A chaque poussée du pied, on meut des fils par milliers Les navettes vont et viennent Les fils glissent invisibles Chaque coup les lie par milliers

Goethe, Faust,I, cité par Freud André Green, de l’« Esquisse » à « l’Interprétation des rêves » : Coupure et Clôture, in Nouvelle Revue de psychanalyse, l’Espace du rêve.

Bornéo Du rêve au textile,

le tissage comme métaphore du monde Constance de Monbrison, musée du Quai Branly-Jacques Chirac - Fontainebleau, 2018

Le rêve est à l’origine de la création mais il n’est pas la création. Il nécessite une conversion.

Jean Gillibert, Entretiens

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Située sur l’Equateur, Bornéo est la plus grande des îles indonésienne. La forêt tropicale couvre la quasi-totalité de son territoire et a rendu difficile l’exploration intérieure des terres. La présence permanente d’une infinité variété végétale et animale qu’offre la canopée et les sous-bois ont nourri l’imaginaire et activé les récits mythologiques dont les hommes, les animaux et les végétaux sont les acteurs.

Les rivières et leurs affluents constituent le principal réseau de communication pour les habitants. Les populations indigènes se sont donc naturellement installées à proximité des cours d’eau. Elles vivent dans des maisons-longues (longhouses) qui rassemble tout un village sous un même toit et pratiquent une agriculture sur brûlis, la chasse, la pêche et la cueillette.

Originaires de Kalimantan ouest, les Iban ont migré vers le nord. Ils vivent aujourd’hui sur le territoire de Sarawak et forment le principal groupe de la partie malaise de Bornéo. Ils sont mondialement connus pour la singularité et la beauté de leurs textiles. Ces étoffes, parmi les plus virtuoses de l’archipel témoignent de la force et de la richesse de cette expression artistique.

Maison longue, Sarawak © Hedda Morrisson

© 5 Continents, Milan

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Difficultés de navigation dans les rapides © Hedda Morrisson

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Les textiles révèlent des univers porteur de sens: celui du choix du motif, celui de la technique du

tissage, celui de la teinture, et celui de l’usage de ces textiles. Derrière ces espaces balisés par les

règles ancestrales de l’adat, se glissent des strates plus secrètes, celles du rêve des femmes,

celles du chant des hommes au retour d’une chasse aux têtes, celles des récits épiques, des liens

aux ancêtres et à tout ce qui unit ces hommes et ces femmes à la nature qui les entoure, aux

animaux, aux plantes, au vent et à la pluie, aux puissances chtoniennes et au monde des esprits.

Une grande partie des activités de la vie quotidienne des Iban et à fortiori de la vie cérémonielle

est soumis à l’approbation des forces invisibles. Tout est lecture de signes. On lit dans le foie des

poulets, dans celui des cochons, on interprète les chants des oiseaux, leur trajectoire de vols, on

tend l’oreille pour décrypter le souffle des ancêtres dans la canopée…. On est en lien avec les

invisibles, les ancêtres et les déités qui peuvent trouver refuge dans un tronc d’arbre, dans une

pierre, dans un charme. On fait corps avec la forêt qui nous entoure, on la respecte et si elle est

pourvoyeuse de gibier et de fruits, on la redoute aussi. Car entre le visible et l’invisible les

frontières sont poreuses.

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Les récits mythologiques narrent les étapes de la création. Ils sont réactivés durant les festivals

et permettent de réjouir les dieux et de garder contact avec eux et remettre en mouvement les

forces de l’univers.

La chasse aux têtes, tant redoutée, est liée au mythe de Singalang Burong, dieu de la guerre et

au riz.

Calao rhinocéros © Iban Art, Micheal Heppell

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Mythe fondateur

La fête annuelle Gawai célèbre la récolte du riz et rejoue l’un des mythes fondateurs de la société iban à Bornéo. Nous sommes dans une maison longue, dans un temps immémorial. Deux héros cheminent vers la demeure de Singalang Burong, le dieu de la guerre afin de le convier à une fête. Chemin faisant ils traversent les pays des êtres surnaturels, celui de l’esprit bouclier et celui de Tedong, le serpent d’eau. Ils traversent des terres habitées par un gigantesque crocodile et la demeure d’un serpent dont la queue touche le ciel.

À chacun d’entre eux , ils demandent en vain :

• « Avez-vous vu les graines du sanctuaire orné d’une barbe de cheveux humains ? » • « Avez-vous vu les graines dont le rouge ressemble à une fleur épanouie? »

Aucun n’avait vu la tête-trophée qu’ils cherchaient.

Finalement, ils arrivent à la demeure de Sigalang Burong située sur la crête géante du ciel.

Tandis qu’il reçoit l’invitation, Singalang convoque son beau-fils avec un tambour. Lorsqu’ils sont prêts à se joindre à la célébration, la fille de Singalang refuse de s’y rendre tant qu’elle n’aura pas une tête fraîchement coupée pour l’offrir en cadeau. En entendant cela, Singalang et son beau-fils partent en expédition dans le domaine de Bengkong. A leur retour victorieux, la femme accueille les guerriers avec un grand cérémonial.

Accompagnés de leur prise dans un panier, ils descendent sur terre participer à la fête. La traversée du ciel est longue. Ils passent par de nombreux pays mythiques comme celui du « jeune homme qui n’a jamais échoué », et par la demeure de Suri Ai, « les ondulations d’eau dans les rapides ». Finalement, ils arrivent à la porte du ciel, que Singalang ouvre d’un coup de lance. Ils descendent l’échelle de l’arc-en-ciel, entourée de nuages. En route, ils invitent d’autres déités à la fête. Ils arrivent à la maison longue, se baignent, se parent de leur plus beaux vêtements avant d’entrer. Les Iban reçoivent leurs hôtes avec tous les devoirs de leurs rangs. Un cochon est sacrifié. On lit les augures dans son foie et les festivités commencent. Quand Singalang Burong est invité à danser, la tête glisse hors de son panier et tombe à terre. Les femmes reculent, se moquent de la tête sanguinolente. Ridiculisée par les hommes, la tête se met à pleurer. Les femmes tentent de la consoler, mais c’est le shaman qui découvre la raison de sa détresse : la tête voulait être plantée en terre.

Un sabre est forgé et Singalang Burong ouvre la tête pour y révéler la présence de toutes sortes de graines. Aidé par des ogres, Singalang part éclaircir la forêt vierge et prépare la terre pour y semer les graines.

Métaphoriquement à la fin du cycle agraire, ce n’est pas le riz qui est récolté mais une tête.

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Carte cosmographique du monde supérieur, route des âmes des défunts, obtenue par le missionnaire Philipp Zimmermann qui travailla à Bornéo chez les Ngaju de 1903 à 1914 puis de 1920 à 1928.

Circa 1905

La terre ou monde du milieu portée sur le dos d’un naga (serpent cosmique).

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C’est à la femme, rompue à un état de réceptivité qui est

celui de l’accueil, que le motif et sa signification seront

transmis en rêve après invocation de l’esprit tutélaire et

respect des interdits. À partir de ce vaste espace

d’intériorité et de rencontre entre le monde du visible et

celui de l’invisible, la tisserande va mettre en place sa

composition après avoir pris soin de sonder la validation

de son rêve. L’achèvement de cette élaboration sera

révélé aux regards des autres mais le sens profond des

motifs peut rester, lui, secret. Pour les Iban, imprégnés de

mythologie et soumis à la transmission orale de leur

savoir, le tissage est une activité féminine qui fait écho à la

pratique masculine de la chasse aux tête.

Métaphoriquement, ils qualifient le tissage des textiles

rituels, les pua kumbu, et la teinture au morinda citrifolia

de « sentier de la guerre des femmes ». Chasse aux têtes

et tissage passent tous deux par le rêve qui autorise ou

refuse l’action. Ces deux activités, l’une masculine, l’autre

féminine participent d’un système complexe de

reconnaissance sociale et de valorisation du courage qui

fait qu’une tisseuse expérimentée est autant respectée

d’un guerrier.

Femmes iban exhibant des crânes trophées. © Trustees of the British Museum, Londres

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Après le filage, les fils de coton sont tendus sur la véranda de la maison longue où ils seront ensemencés par la rosée du matin. Cette union de la terre et du ciel donnera une partie de son efficacité au textile.

C’est la participation du cosmos. © Derek Freeman, Mujong, 1950

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Seule une femme ménopausée peut teindre les fils de coton tant le mordant du morinda citrifolia pourrait

mettre en danger la vie d’une tisserande non expérimentée tout comme l’équilibre du groupe. L’action de la

transformation de morceaux de la racine d’engkudu (morinda citrifolia) en teinture avec son mordant doit

impérativement être menée par des mains expertes. Procédé que l’on nomme le ngar.

La préparation d’un ikat relève d’une extrême concentration. La tisserande va procéder à la ligature des fils là

où le motif devra apparaître. Les fils, une fois ligaturés, vont former un écheveau qui sera trempé dans un

premier bain de teinture. Et ainsi l’opération se répète autant de fois que de couleurs.

Petites filles regardant leur grand-mère teindre les fils. © Hedda Morrisson

Ligature des fils sous la véranda de la longhouse © Hedda Morrisson

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Les textiles rituels pua kumbu

Les pua kumbu sont des acteurs importants de la vie rituelle. Ils agissent comme des passeurs ou des écrans

protecteurs et sont le réceptacle d’un imaginaire cosmogonique.

Ils peuvent être fixés verticalement et délimitent les espaces lors des fêtes. Ils sont posés sur les épaules des

shamans, enroulés autour des autels, recouvrent les cochons avant leur sacrifice.

Cérémonie Iban avec présentation de pua’ kumbu

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Petits cochons nourris et peignés rituellement afin de favoriser les augures

© Traude Gavin

Autel décoré d’éléments en relation avec la chasse aux têtes : armes, flèches, noix de coco, noix d’arec….

© Traude Gavin

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Cérémonie de mariage © Hedda Morrisson

Danse avec des plumes de calao…. © Hedda Morrisson

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© Thomas Murray

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Sacrées, de grandes tailles, chargées de pouvoir et de saturation visuelle, les couvertures pua’kumbu

relient les Iban aux forces surnaturelles. Elles portent en elles l’union du ciel et de la terre (la rosée

fécondant les fils de coton). Pour que la vie circule, il faut que les opposés se rencontrent (ciel, terre ;

homme, femme). Les balles de coton peuvent être assimilées à des graines. Or les graines sont

métaphoriquement associées aux têtes coupées des ennemis. Cette action réactive l’événement

mythique au cours duquel l’acte de tuer engendra prospérité et bonne santé pour la communauté

humaine. Les têtes des ennemis étaient recueillies dans des pua’ par les femmes au retour de la chasse

aux têtes; elles les berçaient avant leur transfert dans les maisons longues. Cette réception dans les

couvertures sacrées permettait aussi d’intégrer la mort dans le vivant en lui accordant les qualités de la

croissance fertile. Le sacrifice d’une vie ici est l’offrande la plus haute que l’on puisse faire à un dieu. Les

sacrifices avaient pour but de restaurer l’ordre social et cosmique et les festivals au cours desquels les

textiles tiennent une place primordiale vont dans ce sens. Ce qui s’engage dans la réception d’une tête

ennemie a aussi partie liée à l’activation des forces positives qui servent à se prémunir de la vengeance

qui pourrait survenir après cet acte de violence. Les pua qui couvrent les têtes trophées servent d’écran

protecteur. Plus largement, les textiles rituels sont sortis lors des pratiques curatives, des rites de

passage, des rites agraires et au moment des fêtes gawai liées à la récolte du riz et au statut des

guerriers.

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Les motifs

Les couleurs utilisés sont le plus souvent naturelles. Les trois dominantes sont le rouge-brun (morinda citrifolia), le bleu-noir (indigo), le jaune et s’allient pour former des motifs complexes proches de l’abstraction. Ce qui frappe lorsque l’on regarde un pu’a c’est la saturation visuelle qui s’en dégage. On ressent physiquement la fonction de barrière, de clôture que doit exercer le textile. En observant les motifs on reconnaît des figures anthropomorphes, des figures d’esprits, des crocodiles , des serpents, des grenouilles, des oiseaux, des araignées, des insectes ou des éléments végétaux. Toutes ces figures traditionnelles peuvent blesser et entraîner la mort ou a contrario se révéler être de puissants alliés et des esprits salvateurs.

Durant les rites destinés à la protection des pousses, les hommes placent des figures de crocodiles en argile dans les champs pour repousser les insectes nuisibles.

Grenouilles Oiseaux en action Scorpions

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Le motif nising, démon des forêts, montre une large figure frontale portant un masque. Il s’apparente à la figure de l’homme assis que l’on rencontre dans toute l’Asie du Sud-Est. Les démons des forêts sont considérés comme des ennemis, nomades de la jungle, que les Iban rencontrent lorsqu’ils défrichent de nouveaux territoires.

Ils agissent en guides et en alliés alors qu’ils sont quand même victime de la chasse aux têtes. Ces images de nisaing se réfèrent donc à des alliés tout autant qu’à des ennemis et aussi à des esprits familiers rencontrés dans les rêves. En région Saribas en particulier, les familles revendiquent les démons des forêts comme étant leur esprit bénéfique personnel.

Pua’ kumbu Région de la Saribas Autour de 1900 210 x 88 cm Collection Heribert Amann

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Pua’ kumbu Rivière Saribas 19e siècle 221 x 128 cm Figures anthropomorphes Collection Heribert Amann

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Pua kumbu Région de la Saribas Circa 1900 194 x 89 cm Figures anthropomorphes Collection Heribert Amann

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Les motifs

Haddon A.C., Start, L.E. (1936), Iban or Sea Dayak fabrics and their patterns, Cambridge University Press

Les araignées, les jeunes et moins jeunes Une araignée portant une autre araignée Un oiseau dans le corps de l’araignée Un lézard dans le corps de l’araignée

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Alfred Haddon , Laura Start (1936), Iban or Sea Dayak Fabrics and their Patterns, Cambridge, pl. XI

Pua’ Kumbu Région Baleh 19e siècle 218 x 139 cm Collection Heribert Amann

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Les serpents sont présents dans la

cosmogonie Iban. Un mythe important relate

la mort et la dévoration d’un python et le

déluge qui s’ensuit. Le serpent Bunsu Belut

garde la porte qui sépare notre monde de

celui des morts. Sur les textiles c’est Nabau,

un serpent associé aux héros mythique Keling

et Kumang qui vivent sur les bords de la

rivière Panggau. Ce couple mêle les idéaux

mâle et femelle. Invisible sous leur forme

humaine, ils apparaissent sous la forme de

serpents. Le serpent Nabau se souvient de ces

héros idéalisés auxquels les Iban s’identifient.

Les personnages mythiques qui vivent à

Panggau incarnent les esprits qui aident les

guerriers et les tisserandes. Ils apparaissent

dans leurs rêves et leur offrent une assistance

surnaturelle. Pua Kumbu Kalimantan Ouest Groupe Kantu Autour de 1900 182 x 98 cm Collection Heribert Amann

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Collecté en 1983 sur la rivière Katibas Début du Xxe siècle 272 x 116 cm Motifs dit « des nuages »

Collecté sur la rivière Bangkit en 1985 Début du Xxe siècle 257 x 119 cm Motifs dit « des nuages » type 4.

Collection Heribert Amann Collection Heribert Amann

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Collecté en 1982 sur la rivière Katibas. Début du Xxe siècle 236 x 114 cm Motifs dit « croissant de lune »

Collection Heribert Amann

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Pua Kumbu Fin du XIXe siècle 206 x 108 cm 71.1932.32.20 Musée du quai Branly-Jacques Chirac

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Les textiles cérémoniels contiennent une épaisseur symbolique exaltée par une saturation visuelle érigée en barrière. Il s’agit de maintenir à distance les esprits maraudeurs et néfastes. Il s’agit de cloisonner, de matérialiser un dedans et un dehors avec la fluidité du coton, la saturation des couleurs et la complexité des motifs. Et il s’agit aussi de se reconnecter avec les esprits tutélaires.

Écrans, passeur, les textiles délimitent les espaces. Comme enveloppe, ils agissent en double de la peau. Ils offrent une suspension, un entre-deux, un aménagement d’un espace symbolique. Sans le rêve il n’y a pas de textiles rituels , pas de rituels et pas de mouvement.

Le rêve, en venant se déployer secrètement en soi, offre cette incroyable mise en mouvement d’un monde hors du temps, où les invisibles sont invités à se loger dans les signes du textile. La tisserande par son talent, sa concentration, sa précision, réussit l’exploit de la rencontre.

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Bibliographie

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