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59 Bourvil, grand acteur comique et dramatique n 1942, lorsqu’André Raimbourg choisit un pseu- donyme pour exercer sérieusement le métier d’acteur, il ne cherche pas loin. Il prend le nom du village de Seine-Mari- time où il habite et en supprime les deux dernières lettres : Bourvil. Il n’est pas né à Bourville, mais à Pecquot-Vicquemare (aussi en Seine-Maritime), près d’Yvetot, en 1917. Son père décède tôt de la grippe espagnole. Sa mère se remarie avec un autre agriculteur et le foyer s’installe à quelques kilomètres. Enfant espiègle, André répond toujours présent lorsqu’il faut animer une fête familiale ou une kermesse. Il reprend les chansons de Fernandel. À dix-sept ans, il est mitron ; à dix-neuf, boulanger à Rouen. C’est là qu’il assiste à un récital de son idole, qui dé- cide de sa vocation. Ayant appris à jouer du cornet dans la clique de son chef-lieu de canton, il effectue son service mi- litaire dans une fanfare de régiment. En 1936, ses camara- des de chambrée le défient de s’inscrire à un radio-crochet. Sous le pseudonyme d’Andrel, il interprète Ignace. Avec les 300 francs du prix, il s’achète un accordéon. Démobilisé, il fait des petits boulots tout en saisissant les opportunités de se produire. Les imitations de Fernandel E

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Bourvil, grand acteur comique et dramatique

n 1942, lorsqu’André Raimbourg choisit un pseu-donyme pour exercer sérieusement le métier d’acteur, il ne cherche pas loin. Il prend le nom du village de Seine-Mari-time où il habite et en supprime les deux dernières lettres : Bourvil.

Il n’est pas né à Bourville, mais à Pecquot-Vicquemare (aussi en Seine-Maritime), près d’Yvetot, en 1917. Son père décède tôt de la grippe espagnole. Sa mère se remarie avec un autre agriculteur et le foyer s’installe à quelques kilomètres. Enfant espiègle, André répond toujours présent lorsqu’il faut animer une fête familiale ou une kermesse. Il reprend les chansons de Fernandel. À dix-sept ans, il est mitron ; à dix-neuf, boulanger à Rouen.

C’est là qu’il assiste à un récital de son idole, qui dé-cide de sa vocation. Ayant appris à jouer du cornet dans la clique de son chef-lieu de canton, il effectue son service mi-litaire dans une fanfare de régiment. En 1936, ses camara-des de chambrée le défient de s’inscrire à un radio-crochet. Sous le pseudonyme d’Andrel, il interprète Ignace. Avec les 300 francs du prix, il s’achète un accordéon.

Démobilisé, il fait des petits boulots tout en saisissant les opportunités de se produire. Les imitations de Fernandel

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ne faisant plus recette, Andrel se métamorphose en Bourvil. Frange sur le front, veste étriquée, pantalon noir, il est comique rural comme on est comique troupier. L’élocution incertaine, faisant traîner les voyelles, il joue les benêts normands. Ce qui ne plaît pas toujours aux intéressés, benêts ou non. Un soir, à Rouen, ils le sifflent !

Il tourne son pre-mier film en 1945, La ferme du pendu. Il chan-te son premier grand succès, Les crayons. Dans les années 1950, il fait un malheur avec un sketch où un confé-rencier en état d’ébrié-té dénonce les méfaits de l’alcool et célèbre « l’eau ferrugineuse ».

Quand un comé-dien joue les benêts avec un tel talent, on a tendance à penser qu’il

l’est un peu lui-même. C’est tout le contraire. Il dit pour-tant : « je suis né dans une ferme, en face d’une meule de foin. Il m’en reste quelque chose ». Mais il est aussi le meilleur élève de son école. Il observe et travaille le moindre détail de ses mi-miques. Il apprend seul l’anglais. Il acquiert une vaste cultu-re. Lorsque, plus tard, Jean-Pierre Mocky lui fait rencontrer Jean-Paul Sartre, ce dernier est surpris de la connaissance qu’il a de son théâtre.

En 1956, le comique s’impose parmi les grands en partageant la vedette avec Jean Gabin dans La traversée de

 Le premier grand succès de Bourvil : Pas si bête ! avec 6 millions d’entrées

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Paris de Claude Autant-Lara. Il remplace Fernandel, prévu pour le rôle, mais indisponible. Auteur du roman qu’adapte le film, Marcel Aymé proteste. Après la sortie, il présente ses excuses à Bourvil.

En 1958, il impressionne dans le rôle du sordide Thénardier des Misérables, version Jean-Paul Le Chanois. Dans Le miroir à deux faces d’André Cayatte, il joue un assassin. Le public découvre l’étendue de son jeu d’acteur.

Mais son rôle de prédilection, ou plutôt celui dans lequel on le cantonne, c’est le brave type, pas très malin, casanier, que les circonstances conduisent à se comporter en héros, soit que les évènements décident pour lui, soit, plus rarement, qu’il se hausse moralement au niveau de la situation. Au gré des films, il décline ce scénario dans tous les registres, de la franche rigolade à l’émotion voilée. Dans le comique, les metteurs en scène ont tendance à lui demander d’en rajouter. Dans l’émotion, il épure.

Dans Le corniaud, Gérard Oury donne le ton dès la pre-mière séquence, où la Cadillac du trafiquant international Léopold Saroyan, interprété par Louis de Funès, pulvérise la 2 CV du Français moyen Antoine Maréchal, joué par Bour-vil. Le premier, frénétique, machiavélique, sans scrupules, fait tout pour exploiter la simplicité et la bonne volonté du second. À l’arrivée, évidemment, le corniaud n’est pas celui qu’on croit. Énorme succès populaire.

Bourvil s’entend bien avec de Funès alors que sa rencontre avec son idole Fernandel sur les plateaux de La cuisine au beurre est pour lui une déception. Fernandel le traite de haut.

Jean-Pierre Mocky lui confie des rôles à contre-emploi dans quatre films, dont Un drôle de paroissien et La grande lessive. Dans La grande vadrouille, il retrouve Gérard Oury,

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Louis de Funès et la période de l’occupation. Il y incarne un résistant malgré lui. Autre énorme succès populaire. Il participe à une superproduction internationale, Le jour le plus long, où il joue le rôle d’un maire, normand, cela va de soi.

En 1968, lors du tournage des Cracks, il tombe de vélo. Les examens révèlent un cancer. S’il est chauve dans

L’étalon de Jean-Pierre Mocky, c’est en raison d’une chimiothérapie. Au générique du Cercle rouge, Jean-Pierre Melville lui restitue son prénom et il est très sensible à cette attention. Émacié, d’une intensité tou-te intérieure, André Bourvil donne son poids d’humanité au commissaire qui traque Delon

et Montand. Quand il voit les rushes, il dit que c’est son meilleur film. Il souffre énormément sur le tournage du Mur de l’Atlantique de Marcel Camus. Quand les deux films sortent, il est mort, en 1970, à cinquante-trois ans.

Il a joué dans 62 films. L’acteur continue de faire rire et d’émouvoir, l’homme de susciter la sympathie. Dans les années 1960, il a eu une liaison à (petit) scandale avec Pierrette Bruno, sa partenaire dans des opérettes. Ils ont dû se séparer, leur relation ne correspondant pas à l’image que

 Bourvil en mars 1967

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Adolphe d’Ennery attire à Cabourg écrivains et artistes

l a su transformer le désert de Cabourg aussi complètement et heureusement que s’il se fut agi d’un simple changement de décor ». Ce  propos,  cité  par  Françoise  Dutour  et  Marina  Quaglia dans  Cabourg, des origines à 1930,  ne  fait  pas  référence  au théâtre par hasard. Adolphe d’Ennery, qui  lance Cabourg dans  les  années  1850,  n’est  pas  un  investisseur  classique. S’il est riche, très riche, il n’a pas acquis sa fortune dans les affaires, mais comme auteur à succès.

Adolphe  Philippe  est  né  en  1811  à  Paris  dans  une famille  israélite.  Fils  naturel  légitimé,  il  prend  le  nom  de sa  mère,  Dennery,  qu’il  accommode  d’une  particule  que Napoléon III, dont il est proche, l’autorise à utiliser. Il écrit plus de deux cents pièces, dont la plus célèbre est Les deux orphelines.  Observateur  aigu  de  son  époque,  le  journaliste Gustave Claudin relève que d’Ennery « ne se préoccupe pas de la forme littéraire » et qu’il « excelle à trouver le mot qui fait frémir ou pleurer les âmes sensibles » mais que, quand on le rencontre, « il est fin, spirituel, original ». Il  ajoute : « c’est un malin qui d’ailleurs ne sait pas cacher sa malice ».

D’Ennery est un « faiseur » qui adapte au théâtre des romans  à  succès.  Théophile  Gautier,  lui-même  habitué de Cabourg,  l’accuse de  « faire les poches » de Victor Hugo 

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et  d’autres  auteurs  tout  en  observant  qu’il  choisit  avec discernement ses victimes.

Celles-ci ne  lui  en  tiennent pas  rigueur.  Jules Verne, dont il a adapté, entre autres, Michel Strogoff, est son témoin de  mariage  lorsqu’il  épouse  en  1881,  en  secondes  noces, la  veuve  Desgranges  après  trente  ans  de  vie  commune. D’Ennery  dispose  d’un  réseau  exceptionnel  de  relations qu’il  utilise  pour  attirer  à  Cabourg  des  personnalités  du monde  littéraire  et  artistique,  dont  Alexandre  Dumas  et Jules de Goncourt.

En 1855, Cabourg compte 375 habitants (il y en a dix fois  plus  aujourd’hui),  principalement des pêcheurs.  Pour imaginer le site en station à la mode, les autochtones man-quent de recul. D’Ennery a le côté visionnaire indispensable à  la  conception  d’un  tel  projet.  Il  n’est  pas  seul.  L’avocat et homme d’affaires Henri Durand-Morimbau entreprend de niveler des dunes, fait esquisser par l’architecte de Caen Paul Leroux le plan en éventail de la future ville et engage la construction d’un premier casino (en bois).

Publicité vantant la proximité de Cabourg pour les Parisiens

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Lui  et  ses  amis  intri-guent auprès de l’administra-tion impériale et obtiennent la  destitution  du  maire  et son remplacement, en 1855, par Adolphe d’Ennery. Pour accélérer  les  travaux  d’amé-nagement,  celui-ci  crée  une société  immobilière.  Parmi ses actionnaires figurent plu-sieurs  directeurs  de  théâtre et  journalistes  parisiens.  Ce qui  facilite  la  venue  à  Ca-bourg,  en  été,  de  vedettes qui y jouent la comédie et y chantent des opérettes. 

D’Ennery  crée  aussi  la Société des Bains de mer de Cabourg  pour  gérer  les  ins-tallations, comme les cabines qui  font  leur  apparition  sur les plages. Elle fait œuvre pé-dagogique. Un document de l’époque précise, à l’intention des  impatients, qu’il ne faut pas  « se  plonger  ex abrupto dans l’onde amère en descen-dant du wagon ». Il convient de se préparer au bain « en se promenant pendant deux ou trois jours en aspirant les ef-fluves maritimes » !

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Le Grand Hôtel de Cabourg

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La  Société  met  à  la  disposition  des  vacanciers  des « baigneurs » qui sécurisent leur entrée dans l’eau. Souvent anciens  pêcheurs,  ils  se  substituent  aux  amateurs  qui, dans  l’espoir  de  gagner  un  peu  d’argent,  importunaient les Parisiens alors que beaucoup ne savaient pas nager. Le règlement précise qu’« aucun homme ne pourra se baigner dans le quartier réservé aux dames ».

Un premier Grand Hôtel est construit en 1861. À cette époque,  le  voyage  en  train  de  Paris  à  Lisieux  dure  quatre heures. Il en faut encore trois pour arriver à destination. La gare de Trouville-Deauville est inaugurée en 1863, celle de Dives-Cabourg en 1884. 

À cette date, Adolphe d’Ennery n’est plus maire. Il a démissionné en 1868. Son départ relance les querelles entre parisiens  et  locaux.  Mais  l’élan  est  donné.  Les  premières courses  hippiques  ont  lieu  au  début  des  années  1870, l’hippodrome  se  spécialisant  par  la  suite  dans  le  trot.  La construction  de  la  digue  commence  en  1884,  pour  faire obstacle à l’érosion. On construit de superbes villas, le style néo-Louis XIII, d’abord à la mode, cédant bientôt la place au néo-normand.

En 1881, à dix ans, Marcel Proust vient pour la première fois au Grand Hôtel, avec sa grand-mère, pour soigner son asthme. Il y retournera régulièrement, notamment chaque été pendant sept ans à partir de 1907, année où il commence la rédaction d’À la recherche du temps perdu. Cabourg y figure sous le nom de Balbec. 

La ville perpétue avec ferveur le souvenir de l’écrivain, qui  reste  l’un  de  ses  meilleurs  thuriféraires,  alors  que  la mémoire de d’Ennery mort en 1899, à 88 ans, n’est célébrée que par une avenue dont le nom ne dit rien à la plupart de ceux qui  l’empruntent.  Si,  à Paris,  une  annexe du Musée 

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Guimet porte son nom, c’est parce qu’il a légué à l’État une superbe collection d’art asiatique. 

Après  Adolphe  d’Ennery,  deux  maires  marquent  la ville de leur empreinte. Grâce à Charles Bertrand, qui oc-cupe le poste de 1896 à 1927, un train de luxe avec wagons-lits relie Paris à Cabourg en 1905. Plus récemment, Bruno Coquatrix, patron de l’Olympia, prend la direction du Ca-sino en 1956 et se fait élire maire en 1971 ; renouant avec l’ambition du  fondateur de  la  station,  il  attire  à Cabourg des vedettes comme Édith Piaf, Gilbert Bécaud et Dalida. Il meurt en 1979.

Face à Deauville  la mondaine, Cabourg  joue comme les autres stations, Trouville et Villers-sur-Mer notamment, la carte « familiale ». Mais chacune a sa touche personnelle. Protestants, les promoteurs de Houlgate y attirent leurs co-religionnaires dès  les  années 1850  et  le mouvement  s’am-plifie  avec  la  construction d’un  temple  en 1863. Cité his-

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torique  d’où  Guillaume le  Conquérant  a  embar-qué  pour  l’Angleterre, mais  aussi  ville  ouvrière longtemps vouée à  la mé-tallurgie,  Dives-sur-Mer, contigüe  à  Cabourg  et dépourvue  de  plage,  n’a commencé à aménager  le port de plaisance de Port-Guillaume  qu’en  1986, après la fermeture de Tré-fimétaux.

Grâce  à  une  politi-que active de sa municipa-lité,  Cabourg  reste  fidèle  à  l’esprit  qui  a  inspiré  Adolphe d’Ennery, avec son Festival du film romantique, un Prix du roman et un Salon du livre réputés. C’est aussi là que vien-nent passer un week-end (ou plus) de charme les vedettes de la littérature, du théâtre et du cinéma qui souhaitent échap-per au tumulte de Deauville.

 Automobile à voile sur la plage de Cabourg, en 1922

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Gustave Flaubert, une histoire normande

es compatriotes rugiront, car la couleur normande du livre sera si vraie qu’elle les scandalisera ». Dans une lettre du 10 avril 1853 à son amie Louise Colet, Gustave Flaubert se réjouit à l’avance de l’accueil que feront les Normands à son roman Madame Bovary. Celui-ci n’étant achevé qu’en 1856, son auteur patiente trois ans mais il n’est pas déçu !

Les  Normands  ne  sont  pas  les seuls à  réagir. Le Second Empire est dans  sa  période  la  plus  répressive et  le  Ministère  public  engage  contre l’auteur des poursuites pour  atteintes à  la  morale  publique  et  à  la  religion. Flaubert  est  acquitté.  À  trente-cinq ans, le voilà célèbre.

Sous-titré  Mœurs de province,  le roman  frappe  ses  premiers  lecteurs par sa noirceur. Fille de paysans aisés, rêveuse et romantique, Emma fait un beau mariage en épousant un médecin. Mais  Charles  Bovary  se  révèle  un  homme à  l’esprit  épais.  Elle  souhaite  un  garçon, naît une fille. Elle prend deux amants, un 

Caricature de Gustave Flaubert par E. Giraud

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hobereau  libertin  et  un  clerc  de  notaire  falot.  Dupée  par un usurier, elle accumule les dettes et se suicide à l’arsenic. Charles idéalise sa mémoire avant de découvrir la vérité et de mourir de chagrin.

Le roman est aussi une description au scalpel de la so-ciété normande, avec ses notables, ses fermiers et ses domes-

tiques. Flaubert réussit particulièrement  le portrait  du  pharma-cien Homais, pompeux adepte du progrès, qui convainc  Charles  d’ef-fectuer  une  opération d’avant-garde  sur  un pied-bot,  dont  l’échec rend  nécessaire  l’am-putation.

Sans  doute  est-il excessif  de  dire,  com-me  des  critiques  l’ont soutenu,  que  la  Nor-mandie est le principal personnage du roman. 

Mais Flaubert  a une  connaissance  intime de  ses paysages, de son agriculture, de ses habitations, de ses mœurs. L’un des  morceaux  de  bravoure  est  la  noce,  « où l’on resta seize heures à table, qui recommença le lendemain et quelque peu les jours suivants. (…) Les gamins, vêtus pareillement à leurs papas, semblaient incommodés par leurs habits neufs. (…) Tout le monde était tondu à neuf, les oreilles s’écartaient des têtes. (…) Quelques-uns qui s’étaient levés dès avant l’aube, n’ayant pas vu clair à se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez… ».

 Un livre et un film à succès

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Louis Forton et un trio infernal

n 1908, lorsque Louis Forton lâche les Pieds Nicke-lés dans le paysage de la bande dessinée, ils y mettent une sacrée pagaille ! Portés sur la bouteille, hirsutes, débraillés, rigolards, Croquignol, Ribouldingue et Filochard sont les rois des fainéants mais ils ne manquent jamais d’idées ni d’énergie lorsqu’il s’agit de jouer de mauvais tours aux bour-geois, aux militaires et aux policiers. Leur morale est élasti-que. Ils se déguisent en handicapés pour solliciter la charité publique et en milliardaires pour pratiquer la grivèlerie dans les palaces.

Jusqu’alors, tous les personnages de bandes dessinées respectent l’ordre établi. Com-

me ils ne sont pas futés, leurs initiatives tour-nent à la catastro-phe, mais leurs bon-nes intentions ne

sont pas en cau-se. La Famille Fenoui l l a rd

aspire à la res-pectabilité. Bé-

cassine applique

E

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scrupuleusement les instructions de la Marquise de Grand-Air. Le sapeur Camember vénère ses supérieurs. Cosinus se veut bienfaiteur de l’humanité. Certes, Plick et Plock sont facétieux. Mais ce sont des enfants et, à la dernière page, ils promettent de s’assagir.

Comment Louis Forton a-t-il brusquement cassé les codes du 9ème art ? Il naît en 1879 à Sées, dans le département de l’Orne, au cœur d’une région verdoyante vouée au cheval, semée de haras et d’hippodromes rustiques. Ses parents appartiennent à ce milieu. Ils vont à Marly-le-Roi faire commerce de chevaux. Tout naturellement, Louis devient garçon d’écurie, lad puis jockey. Quand les Pieds Nickelés fréquenteront eux-aussi le milieu des courses, mais sans respecter le fair-play cher aux gentlemen-drivers normands, leur créateur saura en quelques traits en restituer l’atmosphère.

Louis Forton aime dessiner et il a le sens de la carica-ture. En 1904, à vingt-cinq ans, il rencontre l’un des quatre frères Offenstadt qui lancent des journaux pour la jeunesse. Il collabore d’abord à L’Illustré.

Il tâtonne. Il raconte les histoires d’Isidore Mac Aron, Anatole Fricotard et Séraphin Laricot. Puis il imagine son génial trio : Croquignol, avec son nez en péninsule, Filo-chard, avec son bandeau de borgne, Ribouldingue, avec sa barbe en bataille. Le premier est inspiré par un chasseur de cercle de jeu, le deuxième par un garçon de café, le troisiè-me par un clochard alors célèbre à Paris. Mais Louis Forton aime dire qu’il fait le portrait de trois des frères Offenstadt.

Reste à baptiser le trio. Louis Forton songe à « Pieds Sales ». Pas vraiment drôle, estiment ses patrons qui proposent les « Pieds Nickelés ». Une expression empruntée à l’écrivain Tristan Bernard qui désigne ainsi ceux qui

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Table des matières

Alphonse Allais, homme d’esprit..................................................... 13Aubert, évêque d’Avranches, fonde le Mont-Saint-Michel................................................................................................................ 18Félix Amiot, des avions aux vedettes de Cherbourg............ 22Jehan Ango vole le trésor de Charles Quint............................. 28Jacques Anquetil, le « chronomaître »........................................... 32Auguste Badin, roi du textile, patriarche de Barentin........ 38Jean de Bethencourt, Roi des Canaries....................................... 44Aristide Boucicaut invente le commerce moderne............... 48Eugène Boudin, peintre des ciels normands............................ 54Bourvil, grand acteur comique et dramatique......................... 59L’abbé Breuil, un curé dans la préhistoire.................................. 64André Breton, pape du surréalisme............................................... 69Armand de Bricqueville, fidèle à l’Empereur........................... 73Louis de Broglie, prix Nobel, père de la physique moderne........................................................................................................... 78Robert Cavelier de la Salle prend possession de la Louisiane......................................................................................................... 83Pierre Corneille brise les tabous....................................................... 87Eugène Cornuché lance Deauville la mondaine.................... 92René Coty enterre avec dignité la IVe République................ 98Adolphe d’Ennery attire à Cabourg écrivains et artistes.... 102Christian Dior fait triompher la haute couture française...108Jean Dubuffet, prophète de l’art brut......................................... 113Marcel Duchamp à l’avant-garde de l’avant-garde............... 118Abraham Duquesne, huguenot au service de Louis XIV...123Dumont d’Urville, la Vénus de Milo et la Terre Adélie.... 128

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Gustave Flaubert, une histoire normande............................... 133Louis Forton et un trio infernal..................................................... 138Augustin Fresnel fonde l’optique moderne............................ 143Théodore Géricault, le radeau de tous les scandales......... 147Guillaume, du Bâtard au Conquérant...................................... 151François Guizot, député du Calvados, homme du juste milieu.............................................................................................................. 156Charles-Louis Havas invente l’information............................. 161Marie-Pierre Koenig, héros de Bir Hakeim............................. 166Pierre-Simon Laplace, le père du déterminisme................... 171Maurice Leblanc invite Arsène Lupin à Etretat.................... 176Jean Lecanuet, une campagne à l’américaine......................... 181Malherbe, le classicisme à la française........................................ 186Jean Mantelet libère la femme......................................................... 190Jean Marais réinvente le romantisme......................................... 195André Marie : « Bonjour, Président ! »...................................... 199Guy de Maupassant : le Pays de Caux comme port d’attache.........................................................................................................205Charles Nicolle, prix Nobel, combat le typhus et les poux... 210Louis-Guillaume Perreaux invente la moto............................. 214Eugène Poubelle, Monsieur Propre.............................................. 219Nicolas Poussin : un classique chez les baroques................. 224Rollon, l’ancêtre Viking..................................................................... 228Erik Satie, l’anticonformiste............................................................. 233Taillevent, premier queux de France........................................... 237Jacques-Guillaume Thouret, le père des départements... 241Alexis de Tocqueville repense la démocratie.......................... 246Urbain le Verrier découvre Neptune........................................... 251