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Marcelle Bouteiller La Société des Observateurs de l'Homme (1800-1805), ancêtre de la Société d'Anthropologie de Paris In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, X° Série, tome 7 fascicule 5-6, 1956. pp. 448-465. Citer ce document / Cite this document : Bouteiller Marcelle. La Société des Observateurs de l'Homme (1800-1805), ancêtre de la Société d'Anthropologie de Paris. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, X° Série, tome 7 fascicule 5-6, 1956. pp. 448-465. doi : 10.3406/bmsap.1956.9738 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1956_num_7_5_9738

BOUTEILLER, M. La Société Des Observateurs de L'Homme - Ancˆtre de La Société d'Anthropologie

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Bouteiller

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  • Marcelle Bouteiller

    La Socit des Observateurs de l'Homme (1800-1805), anctrede la Socit d'Anthropologie de ParisIn: Bulletins et Mmoires de la Socit d'anthropologie de Paris, X Srie, tome 7 fascicule 5-6, 1956. pp. 448-465.

    Citer ce document / Cite this document :

    Bouteiller Marcelle. La Socit des Observateurs de l'Homme (1800-1805), anctre de la Socit d'Anthropologie de Paris. In:Bulletins et Mmoires de la Socit d'anthropologie de Paris, X Srie, tome 7 fascicule 5-6, 1956. pp. 448-465.

    doi : 10.3406/bmsap.1956.9738

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1956_num_7_5_9738

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_bmsap_908http://dx.doi.org/10.3406/bmsap.1956.9738http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1956_num_7_5_9738

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    LA SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME, ANCTRE DE LA SOCIT D'ANTHROPOLOGIE

    DE PARIS

    par Mlle M. BOUTEILLER Matre de Recherches au C- N. R. S.

    {Travail du Laboratoire du Muse de V Homme. Prof. H. V. Vallois.)

    En 1869, Broca, dans le premier compte rendu dcennal de l'activit de la Socit d'Anthropologie de Paris, jette un regard en arrire et consacre un assez long dveloppement la Socit des Observateurs de l'Homme. Celle-ci se runit rgulirement, entre 1800 et 1805, Paris, rue de Seine, dans l'Htel La Rochefoucauld. Fonde, dclare Broca, sur des principes peu diffrents des ntres, mais venue avant le temps, elle ne put se constituer d'une manire dfinitive (1). II avait dj, en 1863, soulign cette filiation, reprenant lui-mme une apprciation donne, l'anne prcdente, par le Dr Boudin (2). Topinard, par la suite, met un jugement du mme ordre, puis le Dr G. Herv, charg d'ailleurs en 1909, par la Socit d'Anthropologie, de publier les principales archives des Observateurs (mises au jour grce E. T. Hamy) (3). Il semble donc

    (1) Broca (P.). Histoire du progrs des tudes anthropologiques depuis la fondation de la Socit. Sance solennelle du 8 juillet 1869 de la Socit d'Anthropologie de Paris. Paris, Hennuyer, 1870, p. cvn.

    (2) Id. Rapport lu dans la sance solennelle du 4 juin 1863. Mmoires de la Socit d'Anthropologie de Paris, t. 2, 1863-1865, p. xn. - Boudin. Discours d'ouverture de la sance du 2 janvier 1862. Bulletin de la Socit d'Anthropologie de Paris, t. 3, 1862, p. 1.

    (3) Topinard (P.). Elments d'Anthropologie gnrale, Paris, Delahaye, 1885. Herv (G.). Le premier programme de l'Anthropologie. Revue scientifique, Paris, 23 octobre 1909, pp. 520-528. (Voir aussi dans les Bulletins et Mmoires de la Socit d'Anthropologie de Paris, la sance du 6 mai 1909.)

  • BOUTEILLER. SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME 449

    intressant de retracer l'histoire et les travaux de cette vnrable Socit.

    I. La fondation et le programme de la socit.

    La Socit des Observateurs de l'Homme fut fonde en Frimaire de l'An VII (dcembre 1799). Elle avait pour Secrtaire perptuel le naturaliste L. F. Jauffret. Le premier Prsident en date fut l'historien de Maymieux ; le premier Vice- Prsident, le linguiste Le Blond. Les autres membres fondateurs taient le frre de Jauffret (nomm six ans plus tard vque de Metz), l'Abb Sicard (faisant autorit pour l'ducation des sourds-muets), les citoyens Bonnefoux, La Chausse, Lermi- nier, Mathieu-Montmorency et Portalis (1).

    D'autres personnalits suivirent : Guvier et peu aprs Jussieu qui, avant Guvier du reste, prsida les Observateurs ; une quarantaine de mdecins dont Cabanis, J. Moreau de la Sarthe, Pinel ; le chimiste Fourcroy ; le gologue Dolomieu ; une bonne quinzaine d'explorateurs, parmi eux Bernier, Bougain- ville, Levaillant (dj Prsident de la Socit de l'Afrique Intrieure), Patrin ; des philosophes tels que Laromiguire ; des hellnistes, archologues et historiens comme d'Ansse de Villoison et Millin (Conservateur du Cabinet des mdailles, pierres graves et des Antiques la Bibliothque Nationale) ; le grammairien Destutt-Tracy et d'autres linguistes ; le publiciste suisse Haller ; enfin divers autres spcialistes ; au total une soixantaine au moins de membres (2).

    Quoique son nom ne semble pas figurer dans les crits de la Socit, l'anthropologiste Virey fit peut-tre partie de celle-ci ; il entretint, en tout cas, des contacts avec elle. Par contre, on n'y trouve, semble-t-il, ni Daubenton (g de 84 ans en 1800, mort en 1801, et dont les travaux taient dj considrs par beaucoup comme dpasss), ni Lamarck. Ce dernier ne publia

    (1) Herv. Le premier programme de l'Anthropologie. Ibid., pp. 520-521. (2) Voici la liste complte des membres dont j'ai pu retrouver la mention : Natur

    alistes : Cuvier, Jauffret, Jussieu. Linguistes : Destutt-Tracy, de Grando, Le Blond, Massieu, Sylvestre de Sacy, Sicard, Itard. Philosophes : Laromiguire, Le Moreau, Moreau, Gart. Ecclsiastiques (outre Sicard) : Jauffret. Mdecins : Bou- vyer-Desmortiers, Bojanus, Cabanis, Dumril, Guillon-Pastel, Halle, Lassus, Moreau de la Sarthe, Nysten, Thouret, Sue. Explorateurs : Andrew, Baudin, Bernier, Bougainville, Bissy, Hamelin, Legout, Levaillant, Maug, Michaux, Riedl, Sonnini. Archologues, Historiens, Economistes : d'Ansse de Villoison, Bouchaud, Clermont-Lodve, Larcher, Marcel, Millin, Papon, Pastoret, Pfeffel, Portalis, Sainte-Croix, Volney, Walckenaer. Hellnistes : Coray, Ricard (d'Ansse de Villoison). Publicisles et divers : Bonnefoux, La Chausse, Lerminier, Mathieu-Montmorency, Haller.

    BULL. ET MM. SOCIT ANTHROP, DE PARIS, T. 7, 10e SRIE, 1956, 31

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    d'ailleurs sa clbre Philosophie zoologique qu'en 1809, quatre ans aprs la dispersion des Observateurs de l'Homme (1).

    D'origine provenale et g de trente ans lors de la Fondation, le Secrtaire-Perptuel, Louis-Franois Jauffret, est une figure fort intressante : s'il ne publia qu'en 1801 une Zoographie estime, un prcdent ouvrage de pdagogie morale, Les charmes de l'Enfance et les plaisirs de Vamour maternel, le classait parmi les auteurs la mode (2). Il organisait des promenades la campagne dans le dessein de donner aux jeunes gens une ide du bonheur qui peut rsulter pour l'Homme de l'tude de lui- mme et de la contemplation de la Nature (3). Le 6 Messidor de l'An IX (1801), par exemple, l'excursion se droula Meudon. Aprs avoir tudi la botanique et entendu quatre Discours de Jauffret, les soixante participants se runirent en un dner champtre. Au dessert le citoyen Guillard , de la Socit Philotechnique, lut des fables pleines de got et de moralit et de Maymieux, Prsident, l'anne prcdente, des Observateurs de l'Homme, une traduction en vers d'un pome de Herder. Le citoyen Le Blond , autre personnalit active des Observateurs, fit enfin chanter par Mlle sa Fille, des couplets charmants, appropris la circonstance (4).

    Paralllement, Jauffret professe au Louvre (Salle des Ducs et Pairs) des cours sur les races et leurs coutumes. Il les continuera aprs 1815, au Musum de Marseille ; dans cette dernire ville, il dirigera, jusqu' sa mort, la Bibliothque publique et le Cabinet des Mdailles et des Antiques.

    Ce fut Jauffret qui rdigea un Aperu des travaux entrepris par la Socit , lu la sance publique du 29 Frimaire, an X (21 septembre 1802), et destin servir d'Introduction aux Mmoires publis par les Observateurs de l'Homme (5). Je vais en indiquer les points essentiels.

    Rappelant la devise adopte par la Socit, le fameux Connais-toi, toi-mme , le Secrtaire Perptuel dveloppe le manifeste lu par de Maymieux dans la premire sance publique

    (1) Un compte rendu paru dans le Magasin Encyclopdique, dirig par Millin, 7e anne, 1801, t. 1, p. 421, dit cependant du Systme des Animaux sans Vertbres : Cet ouvrage aurait fait la rputation de son auteur s'il n'occupait dj un rang trs distingu parmi nos savants.

    (2) Traduit en allemand en 1801. Les Idylles de Jauffret furent, la mme poque, mises en vers par une femme du Monde (Mme de France, ne Chompr).

    (3) Les Promenades sont annonces dans le Magasin Encyclopdique, 6e anne, 1800, t. 2, p. 551. Le Magasin en donne les comptes rendus cette anne-l et les suivantes.

    (4) Compte rendu dans le Magasin Encyclopdique, 1801, t. 2, p. 374 et reproduction d'un discours prononc par Jauffret.

    (5) Compte rendu de la sance du 28 Frimaire, Magasin fine, 1801, t. 4, pp. 540-544.

  • BOUTEILLER. SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME 451

    annuelle (18 Thermidor, An VIII) (1). Les Observateurs , dit-il, entendent se consacrer exclusivement l'Histoire Naturelle de l'Homme car d'autres socits s'occupent de perfectionner l'art de gurir . Leur but est de pouvoir hasarder une classification mthodique des diffrentes races (2). Donnant son appui aux expditions de dcouvertes, la Socit fournira les directives ncessaires pour tudier les causes qui distinguent un peuple d'avec un autre et qui altrent, en divers pays, la forme et la couleur primitive de l'espce humaine (3). Comme l'a montr Camper, on voit aii premier coup d'il que non seulement le Ngre diffre du Blanc mais le Juif du Chrtien, l'Espagnol du Franais, le Franais de l'Allemand et que souvent les habitants d'une ville ou d'un village de la mme rgion ont une coupe de tte, une physionomie hrditaire qui les sparent de tous leurs voisins. Ces diffrences n'ont pas encore t assez observes : il appartient la Socit de les constater et de recueillir, par le moyen de ses correspondants, un assez grand nombre d'objets de comparaison pour que les faits qu'elle publiera l-dessus n'aient rien de vague ni d'incertain ... Un travail complet sur l'Anatomie compare des peuples permettra seul de caractriser d'une manire exacte les varits de l'espce humaine (4).

    L'Homme est au sommet du rgne organique : on tudiera la station bipde et l'extrme flexibilit du corps humain qui le rend propre supporter les climats les plus opposs , alors que l'animal demeure cantonn dans le territoire assign par la Nature (5). Pour l'tude des individus humains, la Physiogno- monie, quoique pour le moment science conjecturale , apporte des lments ; loin de repousser les observations sur un sujet si neuf et si intressant , la Socit se fera un devoir de publier celles dues un zle prudent et clair (6). A ct de l'importance primordiale de la tte osseuse, Jauffret souligne donc celle du miroir magique que forment les parties molles et flexibles , comme l'crit en propres termes Lavater (7).

    (1) Le n 3 de Messidor, An VIII du Mag. Enc, expose la fondation de la Socit dont les sances ont dj produit des morceaux absolument neufs et dit qu'elle appellera l'attention de l'Europe , Mag. enc, 1800, t. 1, pp. 408-410. Quant l'Introduction rdige par Jauffret, Herv la reproduit in extenso dans la Revue scientifique du 23 octobre 1909, pp. 522-528. J'y emprunte mes propres citations.

    (2) P. 522. (3) Ibid. (4) Ibid. (5) P. 523. (6) Ibid. (7) Lavater. La physio gnomon ie ou Vart de connatre les hommes d'aprs les traits

    de leur physionomie. Trad. nouv. de Bacharach. Paris, libr. franaise et trangre, 1841, p. 284. On sait que Lavater mourut en 1800 et que ses Essais physiognomo- niques parurent partir de 1775.

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    Les Observateurs de l'Homme tudieront aussi les rapports rciproques de l'Esprit et du Corps (les passions fcondent le germe de presque toutes les maladies ) (1). Notons ici que Cabanis, l'anne o Jauffret met au point cette Introduction, publie son Trait, Rapport du Physique et du Moral de VHomme.

    Ces bases poses, que la Socit attend-elle de ses autres spcialistes ? Historiens et linguistes auront dmler l'origine et les diffrentes migrations des peuples , claircir les points les plus obscurs de notre histoire primitive en comparant murs, langage, industries, surtout ceux des peuples non encore civiliss (2). D'ailleurs : quoi de plus satisfaisant... que de lier pour ainsi dire connaissance avec un nombre infini de peuplades, qui mritent si peu l'injurieux mpris que nous avons pour elles (3). Remarque manant de Rousseau et plus directement de Bougainville. Les Philosophes enfin tudieront les Facults de l'Ame.

    Jauffret communique galement plusieurs projets : Topographie anthropologique de la France , Anthropographie des diffrentes rgions (du Monde) : des aliments divers affectent diversement l'conomie animale... des peuples pcheurs doivent offrir des particularits qui les distinguent de ceux qui ne vivent que de leur chasse (4). (Cette initiative mane de Jussieu.) Dictionnaire comparatif de toutes les langues connues (5). Aide apporte la publication du Dictionnaire des Signes , entrepris par l'Abb Sicard pour correspondre avec les sourds- muets mais moyen utile de correspondre avec les sauvages (6). Runion enfin dans un Musum spcial de tous objets de comparaison pouvant instruire sur les varits de l'espce humaine et ses murs. L'ide vient de Jauffret et fut ralise en partie (en 1803, la Socit avait reu nombre de dons) (7). Puisse cette Socit, conclut son Secrtaire, remplir les glorieuses destines qui semblent l'attendre et mriter qu'on dise un jour d'elle que sa fondation fut utile tout la fois l'avancement de la Science et au bonheur des Hommes (8).

    (1) P. 523. (2) P. 524. (3) Ibid. (4) P. 525. (5) P. 527. (6) Ibid. (7) P. 526. Jauffret publia en 1803 (Paris, impr. de Gill) un Mmoire sur l't

    ablissement d'un Musum anthropologique. (8) P. 527.

  • BOUTEILLER. SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME 453

    IL Les travaux ralises par la socit.

    A. Instructions donnes l'expdition Baudin (1800). Si, par manque de copie et malgr l'arrt d'astreinte pris

    dans la sance du 2 Frimaire de l'An XI, les Mmoires que devait imprimer Didot ne virent jamais le jour, la Socit atteignit au moins, ds ses dbuts, un objectif fondamental : former les voyageurs.

    En 1800, le Musum d'Histoire Naturelle sollicitait l'appui du Gouvernement pour raliser le projet du Capitaine de Vaisseau Baudin : une expdition de dcouvertes reconnaissant les les de la Mer du Sud et explorant la Cte Sud-Ouest de Nouvelle- Hollande (1). Charg de prparer l'expdition, l'Institut, l'instigation de Lacpde, grand admirateur des Observateurs , songea ceux-ci pour tablir des Instructions de recherches. Cuvier rdigea ce qui concernait l'observation de l'Homme Physique, et de Grando, l'observation de l'Homme Moral. Le premier de ces rapports, lu dans la sance ordinaire du 8 Thermidor, devait tre retrouv dans les papiers lgus Lesueur par l'lve zoologiste de l'expdition, Pron. Le second eut les honneurs de la Sance publique (18 Thermidor) et de l'impression. Au dner donn par la Socit de l'Afrique Intrieure en l'honneur de Baudin et de ses compagnons, Jussieu, Jauffret, de Grando portrent des toasts (2). Naturellement c'est sur l'analyse de la Note instructive sur les recherches faire relativement aux diffrences anatomiques des diverses races d'Hommes , due Cuvier, que je vais insister ici (3).

    Dans une matire o les premiers pas ont peine t tents, prcise Cuvier, les instructions doivent encore se rduire un petit nombre. Ce n'est que lorsque les principales bases auront t poses qu'il sera possible de demander aux voyageurs des observations dlicates (4). II faut ragir tout d'abord contre la pnurie de documents et l'imprcision de ceux qu'on possde. Par une opinitret de recherches remarquables , Blumenbach a runi quelque cent crnes. Ils lui ont permis de caractriser

    (1) Le terme d'Australie fut employ en 1844, aprs la publication du Voyage en Terra Australis de Flinders.

    (2) Le Magasin encyclopdique, rendant compte de ce dner, ajoute naturellement que des morceaux de circonstance furent chants avec beaucoup de got par le citoyen Brielle (1800, t. 3, p. 262).

    Il donna frquemment des nouvelles de l'expdition, communiquant des lettres de ses membres.

    (3) Herv (G.). A la recherche d'un manuscrit. Les instructions anthropologiques de G. Cuvier pour le Voyage du Gographe et du Naturaliste aux Terres Australes. Rev. de VEcole d'Anthropologie de Paris, 20e anne, 1910, pp. 289-306. Le texte de la Note de Cuvier est reproduit pp. 303-306. (Gographe et Naturaliste taient les noms des deux vaisseaux de l'expdition.)

    (4) P. 303.

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    nettement trois races : caucasique, mongolique, thiopienne. Il semble avoir moins de certitude en ce qui concerne les trois autres qu'il distingue (lapone ou brune, amricaine ou rouge, et celle des les de la Mer du Sud et la Nouvelle-Hollande, qui varie du jaune au noir) et aussi quant leurs affinits avec les trois premires (1).

    Les matriaux recueillis devront offrir le maximum de garanties. Les plus fondamentaux sont les ttes osseuses (on les fera bouillir dans une dissolution de soude ou de potasse caustique). Car, contrairement ce que l'on a cru longtemps, les diffrents caractres des races ne se bornent pas la couleur de la peau, la forme et la longueur des cheveux . On a trop surestim aussi, pour expliquer la face crase du Ngre et de quelques autres peuples, l'importance de la compression mcanique exerce sur les enfants . Depuis les recherches de Camper, on ne peut plus douter que les proportions du crne la face, la saillie du museau, la largeur des pommettes, la forme des orbites, ne soient soumises des proportions peu variables dans chaque race, mais assez diffrentes d'une race l'autre . L'influence de ces structures sur les facults morales et intellectuelles a t apprcie jusqu' un certain point et l'exprience semble confirmer la thorie de l'existence des rapports entre la perfection de l'esprit et la beaut de la figure (2).

    En prsence de chaque cadavre, le voyageur notera tout ce qu'il sait de sa provenance et, dfaut de matriel ostolo- gique, recourra aux portraits vrais et nombreux , choisissant des modles diffrant par l'ge, le sexe et l'tat. Il s'inspirera de la dissertation de Camper, si imparfaite qu'elle soit ; joindra toujours au dessin de la face, celui du profil pur ; vitera les erreurs anciennes dues l'influence des rgles artistiques admises en Europe et se gardera de reprsenter le Ngre comme un Blanc barbouill de suie . Pour les cheveux, il adoptera toujours le mme arrangement , le plus simple : qui cache le moins le front et altre le moins la forme du crne (3).

    Afin de pouvoir corriger les dessins, il serait facile, prsent, de rapporter des ttes en chair (plonges dans une dissolution de sublim corrosif, elles schent dures comme bois , et conservent peu prs leurs formes ) (4). Mais surtout, il est trs important de rapporter des squelettes complets. Croirait- on qu'on n'a encore dans aucun ouvrage, la comparaison dtaille du squelette du Ngre et de celui du Blanc ? (5) D-

    (1) P. 304. (2) Pp. 303-304. (3) Pp. 304-305. (4) P. 306. (5) P. 306.

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    ment prpares, tiquetes et emballes part, toutes ces prparations anatomiques fourniront au moins un matriel valable dfaut d'avoir pu rassembler tous les Hommes vivants, dans le mme local. Outre l'impossibilit pratique, il ne nous est pas permis... de sacrifier le bonheur, ni mme de violer les volonts de nos semblables pour satisfaire une simple curiosit philosophique (1).

    Linguiste et mtaphysicien (il tudia avec Itard le sauvage de l'Aveyron et remporta la moiti du prix de l'Acadmie de Berlin avec un mmoire De la gnration des connaissances humaines), de Grando donne, pour sa part, un trs remarquable prcis d'tude ethnographique. Ce sont les Considrations sur les diverses mthodes suivre dans l'observation des peuples sauvages (2). En vertu de la solidarit, hautement proclame l'poque, entre le physique et le moral, le point de dpart de ce travail, et certains passages, touchent des thses dveloppes alors par les Anthropologistes.

    Les sauvages, dit l'auteur, sont un objet de choix pour l'observateur ; ils reprsentent les varits de l'espce humaine , modifies essentiellement par le climat, l'organisation, les habitudes de la vie physique. Chez les civiliss, au contraire, les modifications secondaires dues au dveloppement des murs rendent les varits naturelles beaucoup moins sensibles (3).

    Le voyageur tudiera donc minutieusement la nature du climat, non seulement les degrs du froid ou du chaud, mais les proprits de l'air (lasticit, puret, condensation, humidit). Il n'analysera pas seulement les aliments et les boissons, mais l'eau dont on s'abreuve. Il mesurera la force de l'individu sauvage : port des fardeaux, entranement la course, la nage, heures, fixes ou non, de sommeil, caractre des songes . Il apprciera l'intensit de la faim, de la soif, de la fatigue et les effets que dterminent ces besoins (4).

    Chez l'adulte : l'observateur tudiera les effets moraux des maladies, les cas d'imbcilit, de folie, la dure de la vie moyenne et la longvit. Chez l'enfant : la position dans laquelle on le couche, l'poque du sevrage, la frquence des maladies (5).

    Le contexte de V Introduction de Jauffret et des Mmoires de Cuvier et de de Grando. Sans doute est-il intressant de replacer l'Introduction de Jauffret et les Instructions destines l'exp-

    (1) Ibid. (2) Etude du sauvage de VAveyron en 1801, Prix de Berlin en 1802. Les Considrat

    ions publies Paris en l'An VIII (in-4, 57 p.) sont reproduites m extenso en 1883 par la Bvue d'Anthropologie, t. 6 (Documents anthropologiques), pp. 132-182. (Texte p. 133-159).

    (3) P. 155. (4) Pp. 165-166. (5) Pp. 166-167.

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    dition Baudin, dans le contexte scientifique de l'poque : les ides de varits naturelles de l'espce humaine et de l'action modificatrice du climat; de l'alimentation, des murs (habitude de s'craser le nez, se tirer les paupires, s'allonger les oreilles, se grossir les lvres) , viennent en droite ligne de Buf- fon (1). A l'origine, dit celui-ci, l'Homme primitif tait Blanc. En se reproduisant et en s'tendant sur la Terre, il a t modifi par les facteurs naturels et ses propres coutumes. Individuelles, mais caractrisant la fois un grand nombre d'hommes vivant dans les mmes conditions, ces variations se sont transmises par l'hrdit. Si les causes qui les ont dtermines cessaient de se produire, les variations elles-mmes finiraient par disparatre ou tout au moins diffreraient.

    Les successeurs de Buffon reprirent les thmes. Ils insistrent sur des exemples typiques : un froid considrable donne au corps humain un maximum de dveloppement (Sudois et autres Nordiques cits, entre autres, par Zimmermann) (2). Mais le froid extrme comprime et dfigure l'Homme comme les autres cratures (Eskimos, Lapons, Samoydes, etc..) (3). Le climat desschant touffe les germes de toute croissance velue ; de mme les parties saillantes du visage ont d s'aplatir par les mmes raisons (face du Kalmouk) (4). Le froid racornit la peau, rend le tact plus grossier , mais l'acuit sensorielle est dveloppe chez le doux, le sensible Equatorial qui recherche toutes les odeurs avec une sorte de passion . Ainsi s'exprime Virey en 1801 (5).

    Plus la chaleur est grande, plus le teint est fonc rappelle, en 1784, Zimmermann ; et Lacpde, l'anne suivante : mme sans l'exposition solaire, le teint des Ngres attesterait les effets de cette altration profonde et hrditaire, qu'un climat brlant a fait subir au tissu de la peau de leur race (6). Plus paisse et d'une texture plus serre que celle des Blancs, crit Blumenbach, citant les travaux de Mitchell, elle ne transmet aucune couleur (7). Sous l'influence de la chaleur, les cheveux du Ngre deviennent laineux et cotonneux (Lacpde) (8) ; etc.

    (1) Les thories de Buffon sont rsumes trs clairement dans les Elments d'Anthropologie Gnrale de Topinard, pp. 46-47.

    (2) Zimmermann. Zoologie gographique. Article Ier, l'Homme, Cassel, 1784, p. 108.

    (3) Ibid., p. 115-116. (4) Ibid., p. 116, cite Kant. (5) Virey (J.-J.). Histoire Naturelle du Genre Humain, Paris, impr. de F. Duffart,

    An IX (1801), t. 1, pp. 162-163. (6) Zimmermann, p. 131. Lacpde. Histoire Naturelle de V Homme, dite

    par Cuvier, 1827, pp. 93-94. (7) Blumenbach (F.). De l'Unit du Genre humain et de ses varits ; traduit du

    latin, sur la troisime dition, Paris, Allut, impr.-libraire, An XIII (1804), p. 10. (8) Lacpde, ibid.

  • BOUTEILLER. SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME 457

    /T.

    t. Profit & lffpoffa* . 3. ce (mi du nef m '

    Fig. 1. Virey, Histoire Naturelle du Genre Humain, t. 2. p. 134.

  • 458 socit d'anthropologie de paris

    La nourriture a pu acclrer ou retarder la nigrification du Blanc (Schreber, cit par Zimmermann) (1). Du point de vue de l'influence des murs et jusqu' Cuvier au moins, on admet par exemple, que l'enfant port sur le dos de sa mre y crase sa face ; d'ailleurs la gnitrice elle-mme (Hottentote notamment) crase dlibrment le nez de son rejeton pour lui donner un surcrot d'agrments (2).

    Cuvier, on l'a vu, ragit contre l'importance excessive attribue aux compressions mcaniques dans les diffrences de structures propres aux races. Polygniste (Cuvier demeure rsolument monogniste), Virey insistera dans le mme sens : le museau du Ngre, les pommettes extrmement saillantes des joues des Calmouks et Eleuths, le crne et le nez aplatis du Carabe, les yeux obliques des Japonais et des Chinois, ou la tte conique du Siamois, n'appartiennent pas l'art, comme les oreilles allonges ou perces, la peinture ou le tatouage de la peau (3). II discutera aussi l'influence du climat ( jamais le Ngre ne blanchit , quel que soit le climat o il est transtransport) (4).

    Nanmoins Virey lui-mme n'en divise pas moins les races humaines en belles et blanches, en laides ou brunes et noires (5). Les premires correspondent bien aux conditions extrieures de douce chaleur, convenant aux civiliss. Les Polygnistes, comme Virey, Bory de Saint-Vincent et Desmoulins (1826), reconnatront, avec un Lacpde, que l'angle facial de l'Europen semble marquer la supriorit de l'intelligence sur les apptits grossiers (6). Ils soulignent, comme Cuvier, l'existence, les rapports entre la perfection de l'esprit et la beaut de la figure, mme s'ils n'admettent plus, avec un Blumenbach, la dgnration de l'espce humaine partir du type blanc que nous reprsentons. (Par figure , il faut entendre aussi les proportions de tout le corps.)

    D'o l'tablissement d'une chelle physique, esthtique et morale, descendant des plus beaux chantillons de la race blanche ou caucasique (Gorgiens de Blumenbach), aux spcimens les plus repoussants des races laides , moins loignes de l'animal : L'Apollon Pythien, la Vnus, crit Moreau de la Sarthe (membre des Observateurs de l'Homme), dans son His-

    (1) Zimmermann ajoute que les muscles dvelopps des Patagons et leur chair ferme sont dus l'aliment plein de suc , p. 100.

    (2) Steebs. Histoire des peuples polics et des peuples non polics considrs sous le point de vue physique ei moral. Amsterdam, 1769, p. 26.

    (3) Virey, t. 1, pp. 126-127. (4) Ibid., p. 201. (5) Ibid., p. 145. (6) Lacpde, p. 249.

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    l APOLLON ygrife

    Fig. 2. Virey, Histoire Naturelle du Genre Humain, t. 2, p. 129.

  • 460 socit d'anthropologie de paris

    loire Naturelle de la femme... sont spars par un espace immense du dernier comme du premier des singes... le Ngre et le Calmouk plus voisins du Orang-Outang que les individus de la plus belle race (1). Tous les Hommes gardent cependant en commun la flexibilit qui les adapte tous les climats (2).

    Soulignons en outre dans cette trs sommaire revue des thses qui, l'poque des dcouvertes de Baudin, font autorit,

    les dveloppements consacrs la comparaison des complexions, 1' organisation laquelle le mmoire de de Grando fait allusion, et leurs rpercussions dans le domaine intellectuel et moral. Endmique dans chaque climat , la complexion sanguine, proportion heureuse de solides et de fluides de la tige celtique , devient bilieuse dans les nations plus mridionales. Les solides prdominent dans la tige mongole, etc.. (3). Ces vues ne sont pas si loignes des vieilles dfinitions de Linn auquel cependant les Anthropologistes de 1800 ne mnagent pas les brocarts (4).

    B. L'observation du chinois Tchong-A-Sam (1800).

    Sans avoir attendre les matriaux envoys par les voyageurs, la Socit des Observateurs de l'Homme eut, alors mme qu'elle prparait les Instructions destines Baudin, l'occasion de faire de l'observation directe. Elle dut cette opportunit la prsence d'un jeune Chinois, hospitalis Paris (5).

    Tchong- A-Sam, 23 ans, originaire de Nankin, s'tait embarqu avec une demi-douzaine de ses compatriotes, ngociants comme lui ou artisans, bord d'un vaisseau anglais dans l'espoir de vendre de la pacotille. Le bateau fut captur par l'un de nos Corsaires, les Chinois emprisonns Bordeaux, puis Tours, Orlans, Valenciennes. De l on les rapatria, sauf A-Sam, malade, conduit au Val-de-Grce. Il y languit dans l'oubli jusqu' ce que l'instituteur Eustache Broquet s'meuve de son sort, apprenne le chinois pour converser avec son protg dans sa langue maternelle et fasse auprs du Gouvernement, et des Observateurs , de pressantes dmarches en vue du retour

    (1) Compte rendu de Dumril dans le Magasin Encyclopdique, 1803, t. 2. Citation de Moreau de la Sarthe, p. 289.

    (2) Soulign aussi par Blumenbach, p. 7. Cf. Jauffret prcdemment. (3) Virey, p. 1, t. 1, p. 155. (4) L'Europen blanc, sanguin, ardent, cheveux blonds abondants, yeux bleus,

    lger, fin, ingnieux, portant des vtements troits, est rgi par des Lois, etc. Cf. EL Anlhr. Gn., Topinard, pp. 25-32.

    (5) Compte rendu du rapport de Le Blond, Socit des Observateurs de l'Homme. Sur le jeune Chinois , Magasin encyclopdique, 1800, t. 2, pp* 390-393 (sance du 28 Messidor an VIII), rsum du rapport de Le Blond, ibicl.

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    Fig. 3. Virey, Histoire Naturelle du Genre Humain, t. 1, p. 148.

  • 462 socit d'anthropologie de paris

    de A-Sam dans son pays. La Socit des Observateurs fut officiellement charge de vrifier la nationalit du jeune homme car, crit dans son rapport Le Blond (nomm commissaire avec Jauffret par ses collgues), on a toujours regard comme un phnomne de supposer un Chinois hors de ses antiques limites (1).

    Cuvier constata que le crne du sujet, se reculant sous un angle de 40 , offrait bien les caractristiques de la race mongole. Ses autres observations furent, sans doute, plus ou moins textuellement utilises par Jauffret dans un cours profess sur les Chinois, en 1803. Comparant ceux-ci avec les autres peuples mongols, Jauffret explique que, chez les Chinois, le nez est moins difforme et l'os nasal un peu plus sensible . (Il donne, du reste, un signalement anthropologique assez dtaill : membres bien proportionns, visage large et rond, yeux petits et placs obliquement, sourcils grands, paupires leves, nez petit et cras, peu de barbe, cheveux noirs ou bruns.) Virey dit avoir eu l'occasion d'examiner A-Sam, et en reproduit le portrait comme typique du visage en losange des Chinois et de l'adoucissement de la race mongole sous un ciel moins rigide (3).

    Rassurs par Cuvier, les deux Commissaires poussrent la conscience jusqu' poursuivre l'enqute dans le domaine intellectuel et moral. D'o une srie de tests , exposs dans les rapports du 18 Thermidor, an VIII (1800). A-Sam a prouv son caractre national par l'vident plaisir avec lequel il s'est laiss revtir, chez Millin et Sylvestre de Sacy, de vtements chinois. Il a su se servir d'un boulier, montr des connaissances en calcul et sur les planisphres; s'est montr plein de vnration devant un buste de Confucius ; avide d'apprendre toutes choses. Il a tmoign sa dlicatesse et sa courtoisie en se disant, lui-mme, confus des fautes commises dans sa langue par ses interlocuteurs. Il a reu avec une douce motion le prsent du livre de Jauffret, Charmes de l'enfance et Plaisirs de V Amour maternel. Surtout, il a fondu en larmes en imaginant que sa mre, voyant revenir ses compagnons sans lui, s'crieroit : Manque A-Sam, manque A-Sam (4).

    (1) Herv (G.). Le Chinois Tchong A-Sam Paris. Notes et rapports indits, de L. F. Jauffret et de Le Blond la Socit des Observateurs de l'Homme. Bulletin et Mmoires Soc. Anthropologie de Paris, 5" s., t. 10, 1909, pp. 171-179. Cit p. 175.

    (2) Herv. Les premiers cours d'Anthropologie. Revue anthropologique, 1914, pp. 255-259. Suivi de la onzime leon de Jauffret, pp. 261-276. Cit. p. 264. Prospectus notice de Jauffret, p. 260.

    (3) Virey, t. 1, p. 148. (4) En fait, le rapport de Jauffret est extrmement succinct, Herv le publie

    dans son article : Le Chinois Tchong A-Sam Paris , p. 173. Le rapport de Le Blond est publi pp. 174-179.

  • BOUTEILLER. SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME 463

    C. Autres travaux des Observateurs de l'Homme. Fin de la Socit.

    Soucieuse d'encourager tous les efforts, la Socit des Observateurs de l'Homme mit deux prix au concours, en 1801 et 1802. Ils devaient tre dcerns respectivement l'An XI et l'An XII, le laurat obtenant une mdaille de bronze et une somme de 600 francs, ou en 1802, de 400 francs. Le premier mmoire couronn avait pour sujet : dterminer, par l'observation journalire d'un ou de plusieurs enfants au berceau, l'ordre dans lequel les facults physiques, intellectuelles et morales se dveloppent et jusqu' quel point ce dveloppement est second ou contrari par l'influence des objets dont l'enfant est environn et par celle, plus grande encore, des personnes qui communiquent avec lui . Le second sujet tait : dterminer par des observations gnrales et par un choix d'observations particulires, quelle est l'influence des diffrentes professions sur le caractre de ceux qui les exercent. Chaque mmoire soumis devait tre accompagn d'un billet cachet, renfermant nom, adresse et devise. Ne seraient ouverts que les billets correspondant au travail jug le meilleur et celui venant en second (1).

    Par ailleurs, au cours de leurs diverses sances, les membres de la Socit firent un certain nombre de communications : mdicales (Bouvyer-Desmortiers, puis Nysten, sur le Galvanisme, et Pinel sur les espces diffrentes d'alins ), ethnographiques (Patrin parla des murs sibriens et tatars, et Legout de la religion hindoue), historiques, philosophiques. Jauf- fret, l'Abb Sicard, Massieu, prsentrent des essais sur le langage enseign aux sourds-muets, question d'actualit et rapproche de l'tude de la mimique chez le Sauvage par les auteurs du temps.

    Cependant, la Socit n'avait pas escompt que les guerres et le Blocus Continental la priveraient des documents anthropologiques si impatiemment dsirs. Pour meubler l'attente, elle dut se tourner de plus en plus vers ses membres non anthropologistes ou ethnographes. Arriv Paris en 1803, Coray lui proposa son mmoire sur l'tat actuel de la civilisation de la Grce , elle rsolut de l'diter ; se passionna pour le mouvement philhellne et ne tarda pas s'y consacrer, au dtriment de sa propre activit scientifique. (Ce fut donc en obissant une juste reconnaissance qu'en 1820, la revue Melissa, dite en grec moderne,

    (1) Magasin encyclopdique, 1800, t. 2, p. 533 et 1801, t. 4, pp. 540-544. Ces prix furent annoncs par Jauffret lors des sances publiques annuelles, et devaient tre dcerns dans des sances d'une solennit analogue.

  • 464 socit d'anthropologie de paris

    reproduisit, dans leur texte original, les Statuts, quelques procs-verbaux et divers articles des Observateurs de l'Homme.)

    Si le dvouement aux philhellnes cartait de plus en plus la Socit de ses buts primitifs, la proclamation de l'Empire n'allait pas, non plus, sans diviser ses membres, partisans ou adversaires de Napolon. Le dernier procs-verbal de sance, celui du 7 juin 1804, dclarant par la plume de Jauffret qu'il sera fait une adresse sa Majest Impriale pour lui demander la permission de lui ddier les Mmoires de la Compagnie et de prendre le titre de Socit impriale des Observateurs de l'Homme , n'exprime certes pas un consentement unanime. Finalement, la Socit disparut, vers 1805, les membres restants se fondirent avec la Socit Philanthropique. Ainsi que le soulignait Broca en 1869 : Les naturalistes qui l'avaient fonde s'taient trop hts de faire appel au concours des philosophes et des lettrs. L'Anthropologie n'tait pas encore assez solidement constitue pour retenir dans sa sphre les forces trangres qu'elle avait appeles son aide. Au lieu de les fixer sur son terrain, elle avait t entrane leur suite, sur le sol mouvant de la Politique (1).

    Comme le rappelait Broca, dans le mme compte rendu dcennal, un destin analogue attendait, au milieu du sicle, la Socit ethnologique, fonde, elle aussi Paris, en 1839 : oriente au dpart vers l'Anthropologie et l'Ethnographie, elle abandonna peu peu l'Histoire Naturelle de l'Homme pour verser dans la polmique anti-esclavagiste. Et l'Abolition officielle de l'Esclavage la priva finalement de ce qui tait devenu, en quelque sorte, sa vraie raison d'exister (2).

    BIBLIOGRAPHIE

    Blumenbach (F.). De Vunit du genre humain et de ses Varits. Traduit du latin sur la 3" d. par Chardel. Paris, Allut, An XIII (1804).

    Broca (P.). Histoire du progrs des tudes anthropologiques depuis la fondation de la Socit. Sance solennelle du 8 juillet 1869 de la Socit d'Anthropologie de Paris, Paris, Hennuyer, 1870.

    Id. Rapport lu dans la sance solennelle du 4 juin 1863. Mmoires de la Socit d'Anthropologie de Paris, t. 2, 1863-1865, pp. vii-li.

    Boudin. Discours d'ouverture de la Sance du 2 janvier 1862. Bulletin de la Socit d'Anthropologie de Paris, t. 3, 1862, p. 1-3.

    Documents anthropologiques. Revue d'Anthropologie, t. 6, 1883, pp. 132- 182 (De Gerando. Considrations sur les diverses mthodes suivre dans l'observation des peuples sauvages, pp. 133-182.)

    Herv (G.). Le premier programme de l'Anthropologie. La Revue scientifique, Paris, 23 oct. 1909, pp. 520-528.

    (1) Broca (P.). Histoire du progrs des tudes anthropologiques, p. cvn. (2) Id. Ibid., p. cxn. Elle avait t fonde par W. F. Edwards.

  • BOUTEILLER. SOCIT DES OBSERVATEURS DE L'HOMME 465

    Id. A la recherche^d'un manuscrit. Les Instructions anthropologiques de G. Cuvier pour le voyage du Gographe et du Naturaliste aux Terres australes. Revue de l'Ecole d'Anthropologie de Paris, 20e anne, 1910, pp. 303-306.

    Id. Le Chinois Tchong A-Sam Paris. Notes et rapports indits de L. F. Jauf- fret et de Le Blond la Socit des Observateurs de l'Homme. Bulletins et Mmoires de la Socit d'Anthropologie de Paris, 5e s., t. 10, 1.909, pp. 171-179.

    Lacpde. Histoire Naturelle de l'Homme (dite par Cuvier, Paris, 1827). Lavater. La Physiognomonie ou l'art de connatre les hommes d'aprs les traits

    de leur physionomie. Traduction de Bacharach et Notice de Fertiault, Paris, Libr. franaise et trangre, 1841.

    Steebs. Histoire des peuples polics et des peuples non polics considrs sous le point de vue physique et moral. Amsterdam, 1769.

    Topinard (P.). - Elments d' Anthropologie gnrale, Paris, Delahaye, 1885. Virey Histoire Naturelle du Genre Humain, 2 vol. Paris, impr. Dufart, an IX. Zimmermann. Zoologie gographique, Article I, l'Homme. Cassel, 1784. Magasin encyclopdique, Paris (dirig par Millin), 1800-1805.

    BULL. ET MM. SOCIT ANTHROP. DE PARIS, T. 7, 10e SERIE, 1956.

    InformationsAutres contributions de Marcelle BouteillerCet article est cit par :Jean-Luc Chappey. L'Anthropologie et l'histoire naturelle de l'homme en 1800. Les enjeux d'un hritage, Annales historiques de la Rvolution franaise, 2000, vol. 320, n 1, pp. 47-54.

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    PlanI. La fondation et le programme de la socitII. Les travaux ralises par la socitA. Instructions donnes l'expdition Baudin (1800)B. L'observation du chinois Tchong-A-Sam (1800)

    Bibliographie