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Bulletin du Groupe Socialiste du Sénat n° 156 Mardi 12 octobre 2010 Notes de travail 3 Interventions 22 Questions d’actualité 61 Communiques de presse 67

Bulletin GS n° 156 bullein gsn · - Une proposition de loi aux autopsies judiciaires - Le Groupe socialiste sera une force de propositions dans le débat sur les retraites NB : les

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B u l l e t i ndu Groupe Social iste

du Sénat

n° 156

M a r d i 1 2 o c t o b r e 2 0 1 0

Notes de travail 3

Interventions 22

Questions d’actualité 61

Communiques de presse 67

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SOMMAIRE

3

22

61

67

Notes de travail...

- Mayotte : le 101ème département français et 5ème d’Outre-mer- Proposition de loi relative au prix du livre numérique- Représentation des Femmes dans les conseils d’adminstration et de sur-veillance

I n t e r v e n t i o n s . . .

- Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des res-sources des collectivités locales : interventions de François MARC, Jean-Jacques LOZACH, Serge LARCHER, Claude LISE et Dominique VOYNET

- Nouvelle organisation du marché de l’électricité : interventions de RolandCOURTEAU, Jean-Jacques MIRASSOU et Jacques MULLER dans la discus-sion générale- Question préalable défendue par Daniel RAOUL- Demande de renvoi en Commission défendue par Martial BOURQUIN- Explication de vote sur l’ensemble du texte : interventions de JacquesMULLER et Roland COURTEAU

- Régulation bancaire et financière : interventions de Nicole BRICQ, FrançoisMARC et Georges PATIENTdans la discussion générale- Explication de vote sur l’ensemble du texte : intervention de Nicole BRICQ

Q u e s t i o n d ’ a c t u a l i t é . . .(séance du jeudi 30 septembre 2010)

- «Réforme des retraites» par Christiane DEMONTES

- «Projet de loi de finances pour 2011» par André VANTOMME

- «Fonctionnement de la justice» par Jean-Pierre SUEUR

C o m m u n i q u é s d e p r e s s e . . .

- Une proposition de loi aux autopsies judiciaires

- Le Groupe socialiste sera une force de propositions dans le débat sur lesretraites

NB : les interventions sur le projet de loi portant réforme des retraites ont faitl’objet de bulletins spéciaux que vous retrouverez sur le site du groupe

Bulletin du Groupesocialiste n° 156

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La population mahoraise s’est largement prononcée le 29 mars 2009 en faveur du passage de Mayotte austatut de département d’outre-mer. Les deux projets de loi (le projet de loi organique n° 687 et le projet deloi n° 688 relatifs au département de Mayotte), présentés en Conseil des ministres le mardi 3 Août 2010 et

qui seront soumis au Sénat le 21 octobre 2010 en procédure accéléré (sous réserve de confirmation), ont pourobjet de rendre effective la départementalisation de Mayotte en mars 2011 dans les versions modifiées etapprouvées par les élus de la collectivité départementale.

MAYOTTE EST AUJOURD’HUI À LACROISEE DES CHEMINS

Cette étape législative vient clore un long processus institutionnel entamé depuis 1958. Elle ouvre également un nouvelavenir à ce territoire situé au sud-est de l’archipel des Comores, entre Madagascar et le Mozambique.

La trajectoire institutionnelle de Mayotte est singulière. Dans le cadre général de la réforme de l’Etat et des collectivitéslocales, l’échelon départemental est sérieusement remis en cause au moment où Mayotte va justement devenir undépartement. De leur côté, les électeurs de Guyane et de Martinique ont approuvé en janvier dernier le principe de lafusion, en une seule collectivité territoriale, du département et de la région. Pour la Guadeloupe et la Réunion, leGouvernement a fait adopter en première lecture un amendement au projet de loi sur la réforme territoriale l'autorisant àprendre par voie d'ordonnance des dispositions spécifiques.

Nombreux son ceux qui pensent que les Mahorais ont fait ce choix par l’attrait des minimas sociaux. Or, cette préoccu-pation est absente des revendications du mouvement départementaliste. L’aspiration profonde des Mahorais puise sesracines dans l’histoire est se caractérise par une volonté politique permanente. Mayotte a voulu la protection françaisepour mettre un terme au régime des sultans batailleurs, puis devenir un département pour ne pas risquer de retournerdans le giron comorien. « Nous voulons être département pour être libres » : voilà une constante de l’histoire de Mayotte.Cet attachement s’est manifesté à chaque occasion donnée à la population mahoraise de s’exprimer.

N o t e d e t r a v a i l . . .Mayotte : le 101ème département français et

5ème d’Outre-mer[Projet de loi organique et projet de loi simple - procédure accélérée]

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 3

CALENDRIERSénat- Conseil des ministres : 3 août 2010- PJLO : n° 687- PJL : n° 688- Procédure accélérée- Examen du Rapport de la commission des lois : mercredi 6 octobre 2010(Christian Cointat)- Discussion en séance publique : jeudi 21 octobre 2010 (DG : 2h00)

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SUR LE PLAN INTERNATIONAL, L’APPARTENANCE DE MAYOTTEA LA FRANCE N’EST PAS ACQUISE, MEME SI LES RELATIONS AVEC

L’UNION DES COMORES TENDENT A SE NORMALISER

L’Union des Comores a toujours contesté les résultats des référendums organisés en 1974 et 1976 à Mayotte. Elle arégulièrement évoqué ce dossier à la tribune des Nations Unies. Cette question ne présente d'autres vertus que de per-mettre aux présidents comoriens qui se sont succédés de rappeler qu'à plusieurs reprises, l'organisation internationalea voté des résolutions condamnant la présence française à Mayotte, notamment la résolution 3391 de l’Assemblée géné-rale en date du 13 décembre 1974 qui réaffirme « l’intégrité et l’unité de l’Archipel des Comores ».

Il en a été à nouveau question le 24 septembre dernier à l’occasion de la 65ème assemblée générale des Nations-Uniesà New-York, par la voix de son président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi qui a consacré la quasi intégralité de sonintervention à la question de « l'île comorienne de Mayotte, sous occupation française ». Si l’Assemblée générale adécidé que l’examen du point intitulé « question de l’île comorienne de Mayotte », reporté lors de sa session précéden-te, serait inscrit à l’ordre du jour de la présente session, elle a cependant précisé « que l’Assemblée générale n’exami-nerait pas cette question jusqu’à nouvel ordre ».

Ce contentieux oppose deux principes essentiels mais assez classiques du droit international de la décolonisation : leprincipe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et celui de l’intangibilité des frontières des entités issues de lacolonisation. L’issue juridique de ce conflit de normes est résolue par la prévalence du droit interne sur le droit interna-tional. La France a privilégié la volonté des peuples sur l’intangibilité des frontières. Dans sa décision du 30 décembre1975 portant sur la loi relative aux conséquences de l’autodétermination des îles du Comores, le Conseil constitution-nel a réaffirmé que Mayotte est un territoire de la République, « en conséquence…cette île ne saurait sortir de laRépublique française sans le consentement de sa propre population ».

La permanence de ce contentieux émeut de nombreux élus mahorais qui ont déclaré ne pas comprendre que la ques-tion soit encore en débat puisque Mayotte est française avant la Savoie et Nice ! Le contexte international a joué unrôle dans le maintien du statut jusque là hybride (TOM puis COM) et censé être temporaire de Mayotte. L’accès au sta-tut de département et région d’outre-mer permet ainsi de sortir de l’ambiguïté.

DANS CETTE LONGUE MARCHE VERS LE DROIT COMMUN,LE TOURNANT FONDATEUR A ETE OPERE EN 2000

SOUS LE GOUVERNEMENT DE LIONEL JOSPIN

Mayotte ne pouvait devenir un département sans une réelle volonté politique qui avait fait défaut jusque-là. Le change-ment s’opère à l’issue de la commission présidée par le préfet François Bonnelle chargée de réfléchir à la possibilité pourMayotte de devenir un département et qui a remis son rapport en 1998. Le Gouvernement de Lionel Jospin a choisid’adopter une démarche pragmatique de la réalité prenant en compte la complexité sociale, historique et culturelle afinde donner plus de lisibilité au statut de Mayotte et d’offrir à cette collectivité les moyens d’assurer, au sein de laRépublique, les conditions de son propre développement.

Notons que cette politique illustre une approche engagée par les socialistes pour l’ensemble de l’outre-mer français.Cette entreprise n’a pas dérogé aux principes qui ont prévalu notamment dans le dossier calédonien : la prise en comp-te de la réalité locale, la concertation avec les forces politiques représentatives, la mise au point d’un document d’orien-tation recueillant l’approbation la plus large, une consultation populaire et la ratification de la démarche par le Parlement.Le 27 janvier 2000, un accord sur l'avenir de Mayotte (le premier pacte) est signé au nom de l'État par le Jean-JackQueyranne, Secrétaire d'État à l'Outre-mer avec le président du conseil général et les principaux partis politiques de l'île.

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Cet accord souhaite mettre un terme « à une trop longue période d'incertitudes liées à un statut provisoire », et organisela marche progressive vers le droit commun tout en conservant le principe de spécialité législative. L'accord de 2000 pré-voit aussi le passage de Mayotte au statut de « collectivité départementale». Cet accord est soumis à la consultationpopulaire par une loi du 9 mai 2000. Le 2 juillet 2000, la population se prononce favorablement à ces évolutions à72,94%.

Les orientations de cet accord sont transposées dans la loi du 11 juillet 2001, qui dote l'île du statut de « collectivité dépar-tementale ». Elle organise en outre la décentralisation et notamment le transfert du pouvoir exécutif du préfet au prési-dent du conseil général. Elle fixe enfin un calendrier décisif : « à compter de son renouvellement en 2010, le conseil géné-ral peut.adopter une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte» (date qui sera avancée ultérieurementà 2008).

Pour la première fois, le Gouvernement prend véritablement acte de la volonté mahoraise de devenir département ets'engage à l'accompagner dans ce mouvement. Tout est écrit dans la loi de 2001 qui a opéré la révolution politiqueattendue par les mahorais et fixé le cap. Dans ce contexte, l’évolution du processus institutionnel est apparue commeune traduction juridique des orientations prises initialement sous la gauche, comme des formalités, certes substantielles.

Ainsi, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 inscrit pour la première fois Mayotte dans la Constitution de la République(article 72-3). La loi organique du 21 février 2007 inverse la logique du régime législatif applicable : désormais, à partirdu 1er janvier 2008, Mayotte est régie par le principe d'assimilation législative : tous les textes s'appliquent à Mayotte,sauf dans 6 domaines identifiés comme étant encore trop spécifiques (impôts, urbanisme, habitat et aménagement rural,protection sociale, droit du travail, entrée et le séjour des étrangers et finances communales). Cette loi organique avan-ce les échéances établies par la loi de 2001 en précisant que le conseil général peut demander la transformation du sta-tut de Mayotte non plus en 2011 mais dès 2008.

Nicolas Sarkozy, dans sa Lettre aux Mahorais en date du 14 mars 2007 affirme que Mayotte « a naturellement vocationà devenir un département d'outre-mer ». Courant 2008, une feuille de route est élaborée par le Gouvernement pour défi-nir le calendrier d'application des lois de droit commun. Elle deviendra le Pacte pour la départementalisation présenté le1er décembre 2008 par le Président de la République. Entre temps, conformément à la loi organique, le conseil générala délibéré et adopté à l'unanimité de ses 19 membres, le 18 avril 2008, une résolution portant sur la transformation deMayotte en département et région d'outre-mer (DOM-ROM). Le Gouvernement en prend acte et annonce alors qu'unréférendum aura lieu en mars 2009 sur le territoire de Mayotte.

Le décret du 20 janvier 2009 organise la consultation des électeurs de Mayotte, qui auront à répondre par oui ou non àla question suivante : «approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée «Département»,régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et régions d'outre-mer ?»Le 29 mars, les électeurs répondent OUI à 95,2%. En réaction à ce résultat, Martine Aubry y a vu une étape décisive dans la longue marche vers l’égalité des droits pourles Mahorais dans notre République moins de dix ans après l’Accord sur l’avenir de Mayotte et la loi de 2001, voulue parun gouvernement socialiste. Elle a ajouté : «je veux demeurer très vigilante, à chaque étape, pour que le calendrier etles engagements pris soient respectés et pour que la départementalisation soit poursuivie sans relâche. L’évolution sta-tutaire doit être accompagnée d’un effort constant et vigoureux de développement économique, de logements, d’équi-pements scolaires et médicaux ainsi que d’infrastructures de transports adaptées au XXIème siècle. C’est aussi de cettemanière que la promesse d’égalité deviendra bien réelle et qu’un progrès durable sera partagé par tous les Mahorais. »

En 2011, Mayotte deviendra ainsi officiellement département et région d'outre-mer, mais si politiquement et juridiquementl'essentiel est fait, l'application complète du droit commun prendra du temps car, il reste encore de nombreuses réformesà conduire.

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IL REVIENT AU SÉNAT D’EXAMINER EN PREMIER LES PROJETS DE LOIQUI ORGANISENT LE PASSAGE DE MAYOTTE VERS LA LEGISLATION DE DROIT COMMUN,

ESSENTIELLEMENT ÉTENDUE PAR VOIE D’ORDONNANCES.

Ces projets codifient la place de Mayotte dans le Code général des collectivités territoriales, précisent les conditions d’ap-plication des lois et règlements de droit commun et définissent l’organisation et le fonctionnement du département deMayotte. Mayotte devant être régi par le principe d'identité législative dont l'application est généralisée, y compris pour les 6matières qui en étaient jusqu'alors exclues1, la réforme proposée étend à cette nouvelle collectivité l'ensemble des dis-positions du code général des collectivités territoriales relatives aux compétences des conseils généraux et régionauxmétropolitains ainsi que les dispositions relatives aux compétences des régions d'outre-mer. Un certain nombre d'adap-tations sont néanmoins rendues nécessaires par la spécificité de la collectivité. Les dispositions d’organisation et de fonctionnement de Mayotte relèvent essentiellement de la loi ordinaire, mais cer-taine sont de nature organique en application des articles 72 et 73 de la Constitution.

La consultation du conseil générale de Mayotte étant obligatoire, ce dernier s'est d'abord prononcé défa-vorablement le 30 juin 2010 sur les projets de loi au motif principal que les élus refusaient le renouvellement inté-gral du conseil général prévu en mars 2011.

La question de l'élection en 2011 est l'une des difficultés apparues entre le gouvernement et les élus du conseil généralprésidé depuis 2008 par l'UMP Ahamed Attoumani Douchina. Bon nombre d'entre eux craignaient qu'un renouvellementintégral du conseil général l'an prochain, juste avant que Mayotte devienne département, se solde pour eux par une défai-te. Marie-Luce Penchard avait dû dépêcher sur place avant son déplacement début juillet son directeur de cabinet, DenisRobin, ancien préfet de Mayotte, pour tenter de lever les "malentendus" avec les élus.

Le Gouvernement a alors adressé une nouvelle version du projet de loi en juillet 2010 ne reprenant plus le principe d'unrenouvellement intégral du conseil général en mars 2011. Le conseil général s'est alors prononcé à l'unanimité des19 conseillers composant l'assemblée en approuvant les projets de loi le 19 juillet 2010 (en 2014, le nombre d'élus devraitêtre porté à 23). Le mode de scrutin utilisé sera inchangé en 2011 (scrutin majoritaire uninominal à deux tours) et pour-ra être éventuellement réformé en 2014, en fonction de l'avancée de la réforme territoriale qui s'appliquera à Mayottecomme en métropole. Il convient de noter que le gouvernement a changé son fusil d'épaule pour le nombre d'élus parrapport à ce qui était inscrit dans le pacte sur la départementalisation soumis aux élus mahorais en décembre 2008.

M. Attoumani Douchina a cependant indiqué que les conseillers généraux, tout en émettant un avis favorable sur l'en-semble des projets de loi organique et ordinaire, avaient formulé deux réserves sur :

- la fusion du Conseil économique et social et du Conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement ;- la mise en œuvre du fonds de développement économique et social prévue en 2013. Les élus préfèrent cette mise enœuvre dès la départementalisation en 2011. La ministre a annoncé que le fonds de développement économique prévudans le pacte sur la départementalisation sera doté de 30 millions d'euros au total pour les années 2011 à 2013.

L’étude d’impact signale également qu’après avoir été consultés sur des dispositions spécifiques du projet de loi, laCaisse nationale des allocations familiales le Conseil supérieur de la mutualité et le Conseil supérieur des chambresrégionales des comptes ont rendu un avis favorable.

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Il est proposé à Mayotte d’évoluer à périmètre financier constant jusqu’en 2014, alors que la collectivité sera dotée, à partir du renouvel-lement de 2011, des compétences à la fois départementales et régionales. Les élus de la collectivité souhaitent avant l’installation dudépartement qui ouvre le transfert des compétences (collèges, lycées, routes, personnel Atos) selon un calendrier variable en fonctiondes matières, que la commission nationale d’évaluation des charges mise en place par le Gouvernement se saisisse du dossier, afin demesurer l’impact financier des nouvelles compétences transférées.

Ils rappellent que la compétence en matière de formation professionnelle a été dévolue à la collectivité à compter du 1er janvier 2008,mais que les moyens ont suivi avec beaucoup de retard.

Sur la fiscalité, ils expriment le souhait de rendre applicable le régime de droit commun au plus tard en 2012. Les élus expliquent que lerythme de travail imposé à la commission pour la rénovation de l’état civil (CREC) permet de penser que les dossiers traités seront défi-nitivement clos d’ici fin 2011 et que les progrès accomplis dans l’identification du domicile des personnes autorisent à être optimiste.Demeure pendant, l’évaluation de la valeur locative des bâtiments. Mais les élus considèrent que cette tâche relève de la compétence del’Etat qui fait preuve de carence sur ce point.

Ils soulignent que depuis 2007, 20% des recettes propres de la Collectivité départementale sont versés aux communes pour alimenter leFonds intercommunal de péréquation (Fip). Ils préconisent une compensation sensible du transfert de ces charges nouvelles par unemajoration substantielle des ressources de la collectivité départementale.

En raison de la faiblesse des ressources financières, la dotation de rattrapage et de premier équipement et des centimes additionnels àl’impôt sur le revenu au profit des communes est prorogée jusqu’au 31 décembre 2013. Les élus proposent que les municipalités soientdotées des ressources nécessaires à leur bon fonctionnement. Et dans le même temps, que le Fip soit limité à 15% maximum des recettesfiscales, en soustrayant de l’assiette celles qui font l’objet de reversement comme par exemple la taxe d’apprentissage.

Une autre dépense est renvoyée dans le camp de l’Etat : il devra supporter les frais relatifs à la rémunération des gents affectés aux mis-sions d’état civil par le versement d’une dotation spécifique, cela revient à financer les postes dans les 17 communes et à intégrer lesagents dans l’administration communale.

Du point de vue économique, ils demandent que le Fonds de développement économique, social et culturel soit installé dès avril 2011 (leprojet de loi fixe une date limite fin 2013). Ils jugent que ce fonds devrait être présidé « conjointement » par le préfet et le président duconseil général. Ils estiment en outre que le soutien à l’investissement économique passera aussi par l’extension à Mayotte des mesuresnon applicables dans l’île dans le cadre de la Lodeom, notamment les dispositions propres aux Zones franches globales d’activité (ZFGA).

Au chapitre social, ils évoquent plusieurs sujets:

- mise en place d’un système de retraite au profit des agriculteurs et des pêcheurs; - alignement des prestations retraite pour les agents de la fonction publique ;- instauration d’une allocation femmes isolées pour inciter cette catégorie de la population à rester sur le territoire et éviter des départsmassifs à la Réunion et en métropole ;- revalorisation de plusieurs allocations, rentrée scolaire, personnes âgées et adultes handicapés. On a vu que le Gouvernement avait faitdes propositions en ce sens.- Ils ont estimé que le renforcement des politiques de santé était essentiel et faisait partie des grandes attentes des Mahorais vis-à-visde la départementalisation. Ils s’inquiètent de la mise en place de la carte Vitale qui tarde à venir, ce qui pénalise bon nombre de seshabitants en déplacement dans les autres départements d’Outre Mer.

- Ils ont demandé la mise en place d'assurances maladies complémentaires, afin de doter Mayotte d’un système de santé comparatif àcelui en vigueur en métropole et dans les Dom, ce que prévoit le projet de loi.

- Ils se sont inquiétés du sort des enfants mineurs résidant à Mayotte et sans référents familiaux, ceux dont le nombre augmente de façoninquiétante. Concernant l'éducation, alors que l'accueil des enfants de deux ans en maternelle est reporté à 2014, la généralisation pro-gressive de l’accueil des enfants de 4 ans en 2010 et de 3 ans en 2011 en maternelle n’a pas prévu de ressources supplémentaires auprofit des communes pour la construction des classes correspondantes. Les élus jugent donc impératif de prolonger jusqu’au31 décembre 2013 la dotation de construction et d’équipement d’établissements scolaires du 1er degré et d’inscrire dans ce projet de loile fonds d’aide à l’équipement communal, créé par le CIOM (Comité interministériel de l'Outre-mer) du 6 novembre 2009.

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Ainsi, à compter du mois d’avril 2011, le régime législatif applicable sera l’identité législative, de manièreimmédiate et intégrale, ou avec des adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières deMayotte.

Ces adaptations peuvent revêtir plusieurs formes : dérogation, progressivité, application différée, prolongation d’une dis-position transitoire etc.

Par exemple, le projet de loi ordinaire :- maintient les dispositions dérogatoires au droit commun relatives au droit d’entrée et de séjours des étrangers et le droitd’asile à Mayotte ;

- étend les prestations sociales de façon progressive en 2010 et 2012 ;- diffère l’entrée en vigueur de la fiscalité locale et douanière, du schéma départemental de l’intercommunalité, de l’or-ganisation des services d’incendie et de secours ainsi que de l’accueil des enfants de 2 ans à l’école maternelle en 2014 ; - maintient jusqu’en 2012 l’IFM de Dembéni, et prolonge jusqu’en 2013 les diverses dotations des communes crées parla loi du 11 juillet 2001 et l’ordonnance du 12 décembre 2002, à l’exception de la dotation relative à la réforme de l’état-civil.

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Mayotte fait parler d’elle souvent à propos de la question lancinante de l’immigration clandestine, véritable puits sans fond en raison desa proximité géographique avec les autres îles composant l’archipel de l’Union des Comores mais aussi des liens humain et familiauximportants (l’île voisine d’Anjouan est distante de seulement 70 km). Mayotte détient le record toutes catégories des « reconduites à lafrontière » : 3.500 reconduites à la frontière exécutées en 2001, 7.700 en 2005, 16.000 en 2008 et autour de 17.500 en 2009. Selonune comptabilité établie il y a un an, Mayotte compte 200 gendarmes et 150 fonctionnaires de la Police aux frontières (PAF). Dans lemême temps, le nombre d'embarcations rapides de la gendarmerie, de la PAF et des douanes s’élève à 8 et, dans quelques jours, 1hélicoptère des gendarmes est opérationnel. Le dispositif compte aussi trois radars, deux au nord de l'île et un à l'ouest, qui devraientcomplétés par un 4ème, au sud. En septembre 2005, le ministre de l'Outre-mer, François Baroin avait même évoqué la nécessité deremettre en cause le droit du sol sur certains territoires comme Mayotte. Dans leur rapport sur la départementalisation de Mayotte suiteau déplacement d’une mission d’information sénatoriale en septembre 2008, Jean-Jacques Hyest, Michèle André, Christian Cointat etYves Détraigne ont considéré que la maîtrise de l'immigration à Mayotte n'est possible que si la population de l'Union des Comores eten particulier d'Anjouan dispose de services comparables à ceux qu'elle vient trouver à Mayotte dans le domaine sanitaire. Ils ontconsidéré qu'une coopération massive entre la France et l'Union des Comores doit être engagée, pour le bénéfice des deux pays et laconstruction d'un équilibre solide dans cette partie de l'Océan Indien. Une telle coopération apparaît indispensable pour préserver lacohésion sociale de Mayotte.

Le 18 janvier 2010, à l’occasion d’une visite éclaire (une dépêche de l’AFP a parlé d’une « visite supersonique ») à Mayotte, NicolasSarkozy a évoqué le pacte de la départementalisation mais a pris soin d'accompagner ce rappel d'une série d'aides destinées à "ne pascréer de déséquilibres" avec le reste de la France. Pêle-mêle, il a promis l'arrivée « dès cette année » de dix chaînes de la télévisionnumérique terrestre, la mise en service d'une piste longue sur l'aéroport de Pamandzi en 2015, la création d'une antenne universitaire,des crédits supplémentaires pour les constructions d'écoles et l'aide de l'Etat pour la construction de 40.000 logements sociaux d'ici 2016.En réponse aux revendications exprimées en décembre 2009 contre la vie chère, le président de la République a aussi annoncé l'aug-mentation de certaines allocations et des retraites, très attendue sur une île quatre fois moins riche que la moyenne européenne et dontle taux de chômage culmine à 26 %. De son côté, Marie-Luce Penchard a annoncé lors de sa visite à Mayotte le 8 juillet dernier une aug-mentation de 42% en trois ans de l'allocation spéciale pour les personnes âgées et de l'allocation pour les personnes handicapées, quipassera à 339 euros en 2012. Le plafond de sécurité sociale permettant de déterminer le niveau des retraites sera revalorisé de 17%,se situant à 1.070 euros, « soit au-dessus du niveau du SMIG au 1er juillet » (85% du SMIC). Les assurances sociales existantes (mala-die, retraite, accident du travail) « augmenteront au même rythme » que les cotisations sociales prélevées sur les salaires et les revenus.

A propos de la mise en œuvre des prestations sociales, le Gouvernement rappelle dans l’exposé des motifs du projet de loi ainsi quedans l’étude d’impact qu’en matière de protection sociale, les besoins de la population mahoraise sont très importants. Toutefois, l'appli-cation immédiate à Mayotte des prestations sociales en vigueur dans les départements de métropole (revenu minimum d'insertion...) nepourrait que bouleverser les équilibres économiques et sociaux de l'archipel.

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En revanche, dès 2011, les indemnités des élus locaux, pourront être alignées sur le droit commun, si les conseils muni-cipaux le décident.Un fonds de développement économique, social et culturel sera créé. Marie-Luce Penchard a précisé que ce fonds de développement prévu dans le pacte sur la départementalisationserait doté de 30 millions d'euros au total pour les années 2011 à 2013.

Enfin, tout un pan de la législation nationale sera étendue à Mayotte par voie d’ordonnances dans les 18 mois suivant lapublication de la loi ordinaire, et notamment des matières relevant de la spécialité législative dans la loi du 21 février 2007dite DSIOM (dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer) et des habilitations déjà étendues dans lecadre de la loi du 27 mai 2009 dite LODEOM (loi d'orientation des états-généraux de l'outre-mer).

L’étude d’impact détaille les principales caractéristiques de la nouvelle collectivité et présente :

- le Conseil général qui exerce les compétences dévolues aux conseils généraux et aux conseils régionaux, ainsi quecertaines compétences dévolues aux conseils régionaux d'outre-mer2, sa composition, son mode d’élection, la liste descommissions instituées en son sein, les modalités d’élection et les fonctions de son président. L’étude d’impact souligneque la collectivité départementale de Mayotte compte à ce jour 3360 agents au total hors instituteurs pour une massesalariale de 95 millions d'euros. - Le Conseil économique et social de Mayotte.- Le Conseil de la culture, de l’environnement et de l’éducation de Mayotte (CCEE).

L’étude d’impact retrace ensuite l’évolution institutionnelle de Mayotte depuis 1946, au sein de l’archipel des Comores,devenu un TOM et le rapprochement progressif avec le droit commun de cette collectivité qui n'a cessé de proclamerson attachement à la République française. A l’occasion des référendums du 22 décembre 1974, du 8 février 1976, du2 juillet 2000 et du 29 mars 2009.

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Concernant la mise en place d’une fiscalité locale, la départementalisation va entraîner l'application d'un impôt sur le revenu dont le pro-duit ne sera plus destiné à la collectivité devenue département, mais à l'État. Aujourd’hui, le Gouvernement considère que la mise enœuvre d’une fiscalité locale est aujourd’hui inapplicable. Le plan cadastral de Mayotte achevé depuis décembre 2004, ne comporteaucune évaluation de la valeur locative des parcelles. La révision de l’Etat civil permettant de disposer de documents fiables n’est pasachevée.

A propos de l’évolution du statut personnel applicable à Mayotte, les règles d'inspiration musulmane dont peuvent bénéficier les Françaisd'origine mahoraise et de confession musulmane ont déjà été en partie réformées pour assurer un meilleur respect des principes fon-damentaux de notre République et des principes européens. De nouvelles modifications ont été apportées à ce statut pour garantir auxpersonnes qui en relèvent les mêmes droits qu'aux personnes ayant le statut civil de droit commun. L’article 28 du projet de loi ratifiel’ordonnance du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compé-tentes pour en connaitre Il s’agit de la poursuite des réformes tendant à assurer l’égalité entre les hommes et les femmes. Ainsi, l'or-donnance interdit de contracter, à l'avenir, de nouvelles unions polygames, et ce sans condition d'âge. Cependant, elle ne remet pas encause les situations acquises, comme le prévoit le pacte pour la départementalisation de Mayotte. Les Mahorais mariés continuerontde vivre sous le régime matrimonial qu'ils ont choisi. L'ordonnance proscrit en outre la répudiation. Pour les personnes accédant, àcompter du 1er janvier 2005, à l'âge requis pour se marier, le mariage ne pouvait être dissous que par le divorce ou par la séparationjudiciairement prononcée. L'ordonnance relève d'autre part de 15 à 18 ans l'âge légal minimum des femmes pour se marier, comme enmétropole et dans les DOM. Elle supprime la justice « cadiale », une justice rendue par des juges musulmans pour des Mahorais rele-vant du statut personnel de droit local, dont le fonctionnement, souligne le pacte, « est incompatible avec des principes républicains »(assistance d'un avocat, procès contradictoire, audiences publiques). Le rôle des cadis, qui sont des fonctionnaires de la collectivitédépartementale, sera désormais recentré sur des fonctions de médiation sociale.

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Le passage progressif au droit commun suppose de procéder :- à l'extension complète ou à la modification du champ d'application de textes législatifs qui ne sont actuellement appli-cables qu'en métropole, le cas échéant avec les adaptations nécessaires ;- à l'abrogation de textes spécifiques à Mayotte ;- à d'autres extensions ou abrogation à préciser, par voie d'ordonnance.

Se fondant sur le principe de sécurité juridique, le Gouvernement a fait le choix, selon l’étude d’impact, d'identifier dansun premier temps l'ensemble des dispositions métropolitaines non étendues à Mayotte et de procéder à leur extensionà Mayotte par la présente loi ou par une ordonnance ultérieure, en précisant à chaque fois les mesures transitoiresnécessaires. Les dispositions qui n'auront pas fait l'objet d'une extension expresse demeureront inapplicables à Mayotte.

L’étude d’impact dresse la liste des mesures concernées qui intéressent le code civil, le code du commerce, le code dela mutualité et le code du travail. Faisant référence à la démarche qui a prévalu pour la départementalisation de laMartinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion, l’étude d’impact affirme que le changement de statut deMayotte a pour objet à terme d'améliorer la situation économique et sociale, de façon progressive et régulière.Cependant, elle ne mentionne sur ce point que la politique de santé publique avec la reconstruction de l'hôpital deMamoudzou et l'organisation des soins autour du découpage de l'île en cinq zones. Elle prévient qu’en matière de pro-tection sociale l'alignement des minima sociaux sur le régime de la métropole et des départements d'outre-mer se ferasur une période de 20 à 25 ans.

L'un des objectifs de la départementalisation étant de faciliter l'accession de Mayotte au statut de Région ultra périphé-rique, l’étude d’impact mentionne que la France fera la demande officielle de l'évolution du statut de Mayotte à laCommission européenne au cours du premier trimestre 2011. L'accession à ce statut permettrait ainsi à Mayotte de deve-nir éligible aux fonds structurels européens lors de leur prochaine programmation pluriannuelle, à compter du 1er janvier2014. Au plan international, l’étude d’impact considère que la départementalisation est un enjeu dans la perspectived'une normalisation des relations avec les Comores.

Sur les compétences dévolues à Mayotte suite à la transformation de la collectivité en Département de Mayotte, l’étuded’impact décline les futurs transferts, les créations et les extensions de compétences, à réaliser soit « dès mars 2011,soit ultérieurement pour certaines matières » et qui feront l'objet, le cas échéant de compensations financières. Le mon-tant des charges compensées devrait s’effectuer dans le cadre de la commission consultative sur l'évaluation descharges. Mais préalablement à l'intervention de cette commission nationale, le projet de loi institue un comité local depréparation des transferts de compétence, composé de représentants de l'Etat et de représentants des collectivités ter-ritoriales de Mayotte et chargé de préparer les éléments financiers nécessaires à la consultation de la commissionconsultative d'évaluation des charges(cf.PJL art 1er).Les compétences particulières de Mayotte en matière de coopération régionale tant en ce qui concerne la communautéeuropéenne que les relations internationales et qui visent à renforcer les relations de Mayotte avec les pays riverainssont conservés dans le projet de loi. L’étude d’impact en dresse la liste.

_________________________

1 Impôts, droits et taxes ; propriété immobilière et droits réels immobiliers, cadastre, expropriation, domanialité publique, urbanisme, construction, habita-tion et logement, aménagement rural ; protection et action sociales ; droit syndical, droit du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ; entréeet séjour des étrangers et droit d'asile ; finances communales.2 Lors de la consultation du 29 mars 2009, la question posée était « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée« Département » régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d'outre-mer ? ». Selon l’é-tude d’impact, le fort attachement des Mahorais au concept départemental a cependant conduit à dénommer la nouvelle collectivité « Département ».

Pour de plus amples informations, je vous invite à consulter la note détaillée sur l’extranet du site dugroupe socialiste : http://www.senateurs-socialistes.fr.

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Al’heure actuelle, le livre numérique ne fait l’objet d’aucune réglementation en France. Il s’agit d’un secteur endevenir mais qui ne représente, pour l’heure, que 0,1% du marché de l’édition1 environ 10 ans après sonapparition, dans l’hexagone. Le prix des livres sur support numérique est ainsi généralement fixé par l’éditeur

aux termes d’un contrat ; néanmoins, quelques rares cas de contrats laissent liberté au diffuseur de fixer le prix. On rap-pellera que le marché du livre, dans son ensemble (support numérique inclus), représente un chiffre d’affaires annueld’environ 5 milliards €.

Le caractère anecdotique du livre numérique est, de toute évidence, provisoire. Ce secteur va certainement se dévelop-per de façon non négligeable et très rapide, à l’instar de la situation constatée aux Etats-Unis ou de celle des industriesmusicale et cinématographique en ligne. Pour ce qui a trait à l’essor numérique de la musique et du cinéma, on rappel-lera que le développement de ces industries, depuis une dizaine d’années, n’a pas été accompagné, assez rapidement,par les pouvoirs publics, ni par une législation ad hoc appropriée. Afin de ne pas essuyer les mêmes problèmes que dansces deux derniers secteurs (mises en place, par certains acteurs, de standards fermés et ne garantissant pas l’interopé-rabilité, téléchargement d’œuvres piratées au détriment du recours aux - tardifs – œuvres des catalogues licites….), ilsemble nécessaire d’anticiper, dans le secteur du livre, l’évolution des pratiques et de légiférer au plus vite pour fixer lesrègles en la matière et notamment quant au prix du livre numérique.

L’exercice se révèle néanmoins complexe notamment :

• quant au périmètre du livre numérique à définir ;

• quant à la personne à même de fixer le prix du livre ;

• quant au maintien d’un équilibre au sein du secteur de l’édition ;

• quant aux garanties à apporter aux ayants droit pour que leur droit à juste rémunération soit toujoursgaranti ;

• quant à la nécessité de ne pas fixer un cadre trop rigide au livre numérique compte tenu des incerti-tudes sur son évolution, afin de ne pas freiner son développement.

N o t e d e t r a v a i l . . .Proposition de loi relative au prix

du livre numérique

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Sénat n°695 – Proposition déposée par Catherine Dumas etJacques Legendre

Rapporteur de la Commission de la culture : Colette Mélot

Séance publique : mardi 26 octobre 2010, à 18 heures

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Rappel : Le prix du livre «papier» fixe, en vertu de la loi n°81-766 du 10 août 1981 sur le prix unique du livre, apermis de préservé la création et la diversité dans ce secteur et un réseau important de libraires indépendants ;en vertu de l’article 1° de cette loi, chaque livre voit son prix librement établi par l’éditeur (ou l’importateur), imposé à l’en-semble des détaillants qui disposent d’une variation de 5% par rapport au prix fixé par l’éditeur pour vendre le livre.

Le bilan de la loi sur le prix unique du livre est jugé positif de façon consensuelle et récente2 : cette loi a favoriséla diversité de la création et de l’offre ; principalement, elle a permis d’éviter la concentration des acteurs de la vente etl’inflation des prix, contenue en dessous de l’inflation générale.

Dans les pays comme le Royaume Uni ou les Etats Unis où aucune régulation sur le prix du livre n’a été mise en œuvre,le nombre de librairies a récemment diminué avec le développement rapide du livre numérique (en avance par rapport àla situation française) et, ce, au profit de grands groupes qui ont récemment émergé.

Rappel : Les droits d’auteurs sont assis sur le prix de vente final du livre hors taxe, au public, ceci, initialement, en vertude l’article 35 de la loi n 57-298 du 11 mars 1957 -abrogé par la loi n°92-597 du 1° juillet 1992 relative au code de la pro-priété intellectuelle – mais, par la suite, confirmé et précisé par une jurisprudence constante.

L’instruction fiscale du 12 mai 2005 (succédant à l’instruction 3C-14-71 du 30 décembre 1971) qui applique le tauxréduit de tva à 5,5% a précisé les termes de la loi sur le prix unique du livre papier en apportant une définition du livre :« ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d’une œuvre de l’es-prit d’un ou plusieurs auteurs en vue de l’enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture ».

L’avis n° 09-A-56 du 18 décembre 2009 de l’Autorité de la concurrence sur le livre numérique donne des pistesfrileuses pour légiférer

L’Autorité de la concurrence a été saisie par le ministre de la culture sur les conditions dans lesquelles les édi-teurs pourraient imposer aux détaillants le prix de vente des livres numériques que ce soit par voie contractuelleou par voire réglementaire.

Dans cet avis, l’Autorité, après avoir effectué un exposé très complet de la situation du marché du livre et des possibi-lités offertes au regard du droit de la concurrence européen et français, se montre extrêmement prudente dans ses pré-conisations. Elle estime qu’il est « primordial de permettre aux acteurs d’innover et de tester le marché (et qu’il ne fautpas) mettre en place de façon trop prématurée un cadre qui pourrait se révéler trop rigide ou rapidement obsolète et quirisquerait au final de ralentir le développement du marché ».A ce titre, l’autorité recommande une « période d’observation » , d’un ou deux ans, durant laquelle «les diffé-rents modèles pourraient cohabiter (fixation des prix par le détaillant ou par l’éditeur, système ouvert oufermé). » L’Autorité estime que, pendant cette période, la question du mode de rémunération des auteurs, dans le mondenumérique, pourrait être réglée.

La solution consistant à étendre la loi de 1981 au livre numérique a été écartée pour plusieurs raisons :

• le livre numérique ne répond pas à la définition posée par l’instruction de 2005 (cf supra) pour le livre papier• l’un des objectifs de la loi Lang qui consistait à préserver la densité du réseau constitué parles librairies phy

- siques est hors de propos dans le contexte numérique• enfin, le livre papier constituait un produit « mature » lors de la mise en place du dispositif de prix unique.

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En conclusion, l’Autorité, voulant concilier les exigences de non entrave à la libre concurrence et celles visant à ne pasfiger le marché par une réglementation inadaptée, semble se prononcer en faveur du contrat de mandat (ou, en droitfrançais, de commission) dans lequel les éditeurs ou les distributeurs fixeraient, en tant que mandants, le prix deslivres numériques aux détaillants, les mandataires.

L’Autorité de la concurrence admet cependant que ce type de contrat entraînerait la perte d’autonomie des librairies(perte de la liberté de sélection voire même de promotion) que souhaite justement éviter le ministre de la culture(dans sa saisine, il souhaitait que « les libraires, mêmes mandataires, puissent conserver la pleine responsabilité de leurassortiment et la promotion des ouvrages… »).

On notera que l’Autorité de la Concurrence se garde de trancher en faveur du distributeur ou de l’éditeur et nerépond pas au vœu du gouvernement de voir les détaillants occuper une place centrale.

Le rapport Zelnik (cf note bas de page n° 1) préconise fermement le recours au prix unique pour le livre numé-rique sous conditions.

Ce rapport recommande que les détenteurs de droits (auteurs et éditeurs) continuent à déterminer le prix du livredans l’univers numérique. Dans ce contexte, le prix unique du livre doit être appliqué au livre numérique mais uni-quement au livre « homothétique » , « c'est-à-dire reproduisant à l’identique l’information contenue dans le livreimprimé, tout en admettant certains enrichissement comme un moteur de recherche interne… », un « fac-similé du livrepapier ».

Le rapport Zelnik (qui traitait un sujet plus large que celui du prix du livre numérique appréhendé par la ppl) préconisait,en outre :

• la création d’une plateforme unique de distribution de livres numériques alors que 5 plateformes existent déjà en France ou sont en projet : Numilog –Hachette ; L’Harmathèque – l’Harmattan ; Eden-Livres- Flammarion, Gallimard, La Martinière, Le Seuil ; E-Plateforme- Editis-Media-participations ; Mybox – vocation àréunir tous les éditeurs sous la houlette d’Hachette d’Editis et de Gallimard ;• un investissement massif dans la numérisation des livres tant pour les livres tombés dans le champ public (le Grand Emprunt doit financer leur numérisation), que pour les livres sous droits relevant du CNL (triple-ment de l’enveloppe actuelle d’1,3 million € attribuée annuellement à ces derniers qui serait portée à 4 ou5 millions €).

Des précédents étrangers à éviter au regard du marché français ayant maintenu une diversité de l’offre grâcenotamment à la multiplicité des éditeurs et une relative bonne santé des détaillants

Le distributeur, Amazon, plateforme anglaise de distribution, constitue l’exemple type de circuit fermé où lesdifférentes activités sont concentrées au sein d’un même groupe au détriment de la diversité de l’offre et dumaintien des différents métiers de l’édition. Le groupe Amazon possède sa tablette de lecture numérique, « Kindle » ;outre sur Kindle, ses fichiers ne peuvent être lus sur PC que grâce à un logiciel Amazon ou, depuis peu de temps, surI phone. Aux Etats Unis, Amazon pratique une politique de prix agressive en proposant les nouveautés numériques à9,99 $ (contre, environ en moyenne 25 $ pour un livre papier) ; ce distributeur a, en conséquence, supprimé le référen-cement d’un éditeur n’acceptant pas de pratiquer sa politique de prix.A l’inverse, Google qui se lance actuellement sur le marché du livre numérique, privilégie, pour sa part, un systèmeouvert où l’interopérabilité est de mise et dans lequel l’éditeur a la faculté de fixer les prix.

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On rappellera qu’en France, du fait de l’hostilité du monde du livre, une tentative de mise en place d’un standardfermé entre l’éditeur Hachette, le détaillant, La Fnac et l’industriel commercialisant des tablettes de lecture, Sony aavorté.Il existe donc des risques non négligeables à dessaisir l’éditeur de sa faculté de fixer un prix (unique) du livrenumérique ; cette faculté peut induire un resserrement du marché entre quelques grands groupes.

Le choix opéré par la proposition de loi ne reprend que très partiellement les préconisations de l’Autorité de laconcurrence

La proposition de loi donne à l’éditeur l’obligation de fixer le prix du livre numérique qu’il édite. Néanmoins, le dis-positif ne précise pas si ce prix sera fixé de façon unilatérale ou contractuelle ; il ne reprend donc pas les préconisationsde l’Autorité de la concurrence qui recommande le concours au contrat de commission. Elle omet également de préci-ser que les auteurs gardent un droit de regard sur le prix comme le suggérait le rapport Zelnik.

A l’instar de ce qui a trait pour la vente de livres papier, la proposition de loi prévoit que l’éditeur puisse rémunérer ledétaillant afin de compenser le préjudice causé par leur perte de maîtrise de marge commerciale, dans des conditionsfixées au cas par cas. Le champ d’application du dispositif est restreint au livre ayant le même contenu que lelivre papier préalablement imprimé, c'est-à-dire au livre dit « homothétique » mais, aux termes de la proposition de loi,le champ est restreint (par rapport à la définition proposée par le rapport Zelnik –cf supra- ) aux livres « préalablement »imprimés. Le champ d’application de la loi est en outre géographiquement restreint aux éditeurs et aux détaillants éta-blis en France.

________________________________

1 Chiffre cité dans le rapport Zelnik « Création et Internet » - Janvier 2010

2 Rapport Gaymard sur la situation du livre - mars 2009 et Rapport Patino sur le livre numérique –juin 2008

Pour de plus amples informations, je vous invite à consulter la note détaillée sur l’extranet du site du groupe socialiste :http://www.senateurs-socialistes.fr.

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L' Assemblée nationale a adopté, le 20 janvier 2010, une proposition de loi relative à la représentation équi-librée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, déposée parJean-François Copé (président du groupe UMP à l'Assemblée nationale) et Marie-Jo Zimmermann (prési-

dente de la délégation aux droits des femmes). Les groupes UMP et du Nouveau Centre ont voté cette proposi-tion de loi. Les députés PS-PC-Verts se sont abstenus.

L’Assemblée nationale a apporté de nombreuses modifications au texte de la proposition de loi initiale. Lavolonté première de ses auteurs visait à mettre en place, un dispositif légal impératif alors que le législateur atoujours préféré renvoyer aux statuts ou aux recommandations émises par les instances professionnelles enmatière de composition de conseils d’administration. C’est dire leur confiance en l’autorégulation des acteurséconomiques directement concernés !

On aurait souhaité que cette démarche soit plus ambitieuse et aille jusqu’à légiférer en matière de rémunération,car de toute évidence l’incitation à la régulation dans ce domaine est un échec alors que ce dernier, de part sesexcès, suscite une désapprobation plus grande encore1.

Quoi qu’il en soit, les auteurs de la proposition de loi aspirent à ce que cette dernière produise un effet levierdans les mentalités et les pratiques afin de corriger la sous-représentation des femmes dans les fonctions deresponsabilités au sein des entreprises, liée au poids encore présent des stéréotypes socioculturels. Toutefois,à ce stade de la navette, il ressort des travaux de l’Assemblée nationale que les députés de la majorité se sontmontrés plus timorés et, bien que partageant les objectifs de la proposition de loi, en ont atténué la portée.

On a pu lire sous la plume de certains commentateurs que cette proposition de loi est « imbécile, inepte ouscélérate » (F.-X Lucas, « La modernitude s’invite dans les conseils d’administration », Editorial, Bull. JolySociétés 2009) et qu’il y aurait lieu de faire plutôt figurer cet objectif de mixité dans les codes de bonnesconduites. Faut-il rétorquer à ces penseurs rétifs à toute régulation externe et endogène au monde de l’entre-prise que c’est peut-être par une loi stupide que l’on arrivera à mettre un terme à la situation caricaturale desous-représentation persistante des femmes dans les instances décisionnelles ?

N o t e d e t r a v a i l . . .Représentation des Femmes dans les conseils

d’administration et de surveillance[Proposition de loi Copé / Zimmermann - adoptée par l’Assemblée nationale n° 223 ]

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 15

CALENDRIER

- Proposition de loi (Sénat) : n° 223 (2009/2010).- Examen du Rapport de la commission des lois : mercredi 13 octobre 2010 (rapporteure : MHDes Esgaulx).- Délai limite pour le dépôt des amendements en séance : jeudi 21 octobre 2010, à 11h.- Examen des amendements de séance en commission des Lois : mercredi 27 octobre 2010, lematin.- Discussion en séance publique : mercredi 27 octobre 2010 ~ DG : 1h30mn, soit 26mn pour legroupe. La Conférence des Présidents a attribué un temps d'intervention de 15 minutes à laDélégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

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Les représentants patronaux (l’Afep et le MEDEF) qui, par nature, souhaitent éviter une intervention législativeet espèrent vider de sa substance la proposition de loi Zimmermann/Copé – même dans sa version édulcorée -ont adopté le 19 avril 2010 une modification du code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées afin deprévoir un renforcement de la présence des femmes dans les conseils2. Il est peu probable que l’adoption decette recommandation stoppe le processus législatif en cours. Elle présente toutefois l’avantage – c’est le para-doxe de la situation – d’une application immédiate aux sociétés cotées.

Le groupe socialiste du Sénat n’a pas attendu l’examen de ce texte en séance pour présenter une contrepropo-sition. Nicole, Bricq, Michèle André et Richard Yung3, premiers signataires, ont déposé le 16 février 2010, uneproposition de loi relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés ano-nymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et desurveillance.

* * * *

L’ESSENTIEL DE LA PROPOSITION DE LOI APRES SON ADOPTION PAR L’ASSEMBLEE NATIONALE

La proposition de loi assigne aux sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché règlementé,dans un délai de 6 ans, un objectif minimal de 40% d’administrateurs de chaque sexe.

Lorsque le conseil d’administration est composé au plus de 8 membres, l’écart entre le nombre d’administrateurs dechaque sexe ne peut être supérieur à 2.

Les nominations intervenues en violation de cet objectif sont nulles, à l’exception des nominations des administrateursappartenant au sexe sous-représenté au sein du conseil d’administration. Cette nullité n’entraîne pas la nullité des délibé-rations du conseil.

Lorsque le conseil néglige de procéder aux nominations requises ou de convoquer l’assemblée générale des action-naires pour remédier à l’irrégularité de sa composition, tout intéressé pourra demander en justice la désignation d’unmandataire chargé de convoquer l’assemblée à cet effet.

Lorsque la proportion des administrateurs de chaque sexe est devenue inférieure à 40 %, le conseil droit procéder àdes nominations à titre provisoire, dans le délai de 3 mois à compter du jour où cette proportion n’est plus respectée.

Ces règles sont étendues aux conseils d’administration des entreprises du secteur public ainsi qu’aux EPIC. Elles entre-ront en vigueur 6 ans après la promulgation de la loi. Toutefois, sont prévues des étapes intermédiaires : la proportiondes administrateurs ou des membres du conseil de surveillance de chaque sexe ne peut être inférieure à 20 %, 3 ansaprès la promulgation de la loi. De plus, lorsque dans un délai de 6 mois à compter de la promulgation, l’un des sexesn’est pas représenté au conseil d’administration ou de surveillance, au moins un représentant de ce sexe doit êtrenommé dès le premier renouvellement de l’un des mandats d’administrateur ou de membre du conseil de surveillanceintervenant à compter de la promulgation.

Selon les auteurs de la proposition de loi, si la loi ne peut tout résoudre, elle peut induire un changement dans les men-talités et les pratiques.

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A l’instar de la législation sur la parité en politique, « seuls une politique volontariste et le recours à la loi permettront auxfemmes d’évoluer plus facilement au sein des instances de gouvernance des entreprises... L’objectif de cette propositionde loi est donc d’envoyer un signal fort». Dans son rapport présenté au nom de la commission des Lois de l’Assembléenationale, Marie-Jo Zimmermann parle d’un « nécessaire électrochoc dont les hautes sphères de notre économie et notreadministration ont besoin. Une telle étape est indispensable pour impulser une évolution que de trop nombreuses per-sonnes morales rechignent à engager d’elles-mêmes ».

Les auteurs de la proposition de loi rappellent que lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le constituant ainscrit à l’article 1er le principe selon lequel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats élec-toraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales4». Il est donc dorénavant possiblepour le Parlement de prendre une initiative en ce sens.

Souvenons-nous que des dispositions similaires à celles de la présente proposition de loi avaient été introduites dans laloi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes afin de prévoir que le conseil d’admi-nistration ou de surveillance des entreprises publiques et des sociétés du secteur privé comprenne, au terme d’une pério-de transitoire de cinq ans, une proportion de représentants de chacun des deux sexes ne pouvant excéder 80 %. Se réfé-rant notamment aux articles 1er et 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais aussi à l’ar-ticle 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le Conseil constitutionnel avait censuré ces dispositions aumotif qu’elles étaient, alors, contraires à la Constitution (décision du 16 mars 2006).

LES AUTEURS DE LA PROPOSITION DE LOI DENONCENT LA SOUS-REPRESENTATION DES FEMMES DANS LES POSTES ARESPONSABILITE.

En France, 17,2 % seulement des dirigeants de société sont des femmes, proportion qui varie fortement selon les sec-teurs d’activité (7% dans la Construction mais 20,5% dans les Services). De même, il n'y a que 10 % de femmes dansles conseils d'administration des sociétés du CAC 40. Si l'on prend en compte les conseils d'administration des cinq centspremières entreprises françaises, ce pourcentage tombe à 8 %. Ils montrent en exemple l’expérience norvégienne (40 %des femmes dans les instances dirigeantes au début de l’année 2009).

La situation à l’étranger est à peine plus brillante. Il apparaît clairement que la sousreprésentation des femmes à la têtedes organes de direction des grandes entreprises constitue un phénomène largement répandu, que peu de pays – laNorvège, essentiellement – ont réussi à infléchir.

LA PLACE ACCORDEE AUX FEMMES DANS LES INSTANCES DIRIGEANTES DES ENTREPRISES N’EST QUE LA FACE EMERGEED’UNE DISCRIMINATION PLUS GENERALISEE

Les femmes et les hommes ne sont toujours pas égaux devant l’emploi. Cette situation est illustrée par les écarts impor-tants de rémunérations (que l’on prenne en compte les différentes critères que sont la rémunération brute totale annuel-le moyenne, les primes liées à des contraintes de poste, les primes de performance individuelle, les heures supplémen-taires). Le niveau de formation (diplôme de deuxième et troisième cycles) n’atténue pas les écarts. Ces disparités seretrouvent dans l’accès aux responsabilités au niveau de l’encadrement des entreprises du secteur privé et semi-public.Et même lorsqu’elles exercent les fonctions de cadre, les femmes ne disposent pas le plus souvent des mêmes pers-pectives et opportunité de carrière que les hommes5.

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Sans éluder la question du cumul des mandats et du cumul des fonctions de directeurs généraux et d’administrateurs6,les auteurs de la proposition de loi considèrent que la mixité dans les instances dirigeantes :

- représente un gage de meilleure gouvernance7 ;- constitue un facteur de dynamisme potentiellement créateur de richesse ;- est un préalable pour une société démocratique ;- est en phase avec la société dans laquelle les entreprises évoluent ;- offre le moyen de diffuser de meilleures pratiques en matière d’égalité professionnelle ;- s’inscrit dans la continuité des objectifs de l’Union européenne.

Ils espèrent que l’adoption de leur proposition de loi donnera davantage d’échos aux inégalités salariales ou d’accès àla formation qui touchent les femmes actives et que notre modèle social et culturel permette, à terme, d’assurer à cesdernières la capacité de mieux concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle.

LES AMBITIONS INITIALES DES AUTEURS DE LA PROPOSITION DE LOI ONT ETE REVUES A LA BAISSE SUR DE NOMBREUXPOINTS

Pourtant, le texte, qui s'appuie sur l'exemple de la Norvège, disait vouloir donner un « signal fort ».

On relève un recul sur l’objectif de parité absolue des conseils remplacé par un quota de 40% d’administrateurs du mêmesexe.

On constate un assouplissement sur l’écart entre personne de même sexe. Le texte initial visait les conseils composésen nombre impair avec un écart de 1. La nouvelle rédaction ne vise que les conseils d’administration composés au plusde 8 membres avec un écart de 2.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale porte à 6 ans (durée légale des mandats des administrateurs ou des membresdu conseil de surveillance), au lieu de 5, le délai laissé aux sociétés cotées pour atteindre le quota de 40 % de membresdu même sexe au sein de leurs conseils;

Le mécanisme transitoire d’application de la mixité a été modifié afin de ne retenir qu’une échéance intermédiaire fixéeà 3 ans après la promulgation de la loi avec un taux de 20 % (au lieu de 30 % dans le texte de la proposition initiale);

- Le régime des sanctions est atténué. Il n’entraîne plus la nullité des délibérations du conseil d’administration ou de sur-veillance et ne vise que la nullité des seules délibérations auxquelles ont pris part le ou les membres du conseil dont lanomination est irrégulière. La rapporteure a dû faire preuve de fermeté pour que les sanctions appliquées au cours de lapériode transitoire ne soient pas amoindries à leur tour.

Le texte ne fixe aucune sanction financière.

Le texte est également silencieux sur le sujet du cumul des fonctions d’administrateurs.

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 18

NOTA. Le quota de 40 % et le délai de 6 ans sont deux critères figurant dans la proposition de loi n° 291 dugroupe socialiste, jointe à l’examen de la présente proposition de loi.

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Pourtant, un récent rapport de l'Institut de l'entreprise qui réunit aujourd'hui plus de 120 adhérents et dont les activitéscouvrent l'ensemble des secteurs économiques, générant un chiffre d'affaires cumulé qui représente plus de 20% du PIBmarchand de la France, a proposé de réduire le nombre maximal de mandats actuellement fixé à 5 (sans compter ceuxexercés dans des sociétés étrangères). « Pour les administrateurs qui exercent des responsabilités exécutives à la têtede grandes entreprises, ce seuil paraît excessif », expliquent les auteurs. Et de proposer de ramener « à trois le nombremaximal de mandats détenus par un administrateur, en prenant en compte l'ensemble de ceux qu'il possède, y comprisceux exercés au sein des entreprises étrangères ».

La question de l’égalité professionnelle est abordée de façon marginale, à travers la publication de rapports sur lesquelsles conseils sont invités à délibérer (articles 6 et 7). Dans ce cadre, deux amendements du groupe socialiste del’Assemblée nationale ont été adoptés.

Certaines améliorations ont été apportées mais elles n’inversent pas la frilosité qui caractérise le texte issu des travauxde l’Assemblée nationale.

Ainsi, ont été adoptées :

- la nomination dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi d'au moins une femme au sein des conseils d'ad-ministration lors de leur prochain renouvellement ;- l’exclusion du champ de la nullité des nominations au conseil d’administrateurs portant sur le sexe-sous-repré-senté ;- la possibilité pour tout intéressé, lorsque le conseil néglige de procéder aux nominations requises ou de convo-quer l’assemblée générale des actionnaires pour remédier à l’irrégularité de sa composition, de demander en jus-tice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée à cet effet.

On peut donc raisonnablement estimer que ce texte ne va pas assez loin car cette proposition de loi ne concerneraqu'une poignée de femmes.

Elle lance un pari sur l’avenir en ne faisant reposer l’évolution du sort des femmes dans l’entreprise que sur une « super-structure » féminisée et consciente de la condition moins envieuse de leurs consœurs « d’en bas ». Les racines de l’iné-galité pour l'ensemble des femmes au travail sont malheureusement plus profondes et de nature complexes à la fois,économiques, sociologiques et culturelles.

On comprend dès lors l’ironie exprimée par François Chérèque, secrétaire général de la CFDT qui a déclaré : « MonsieurCopé aime bien les lois gadgets... Si dans les entreprises, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes res-tent de 20%, on n'aura rien résolu. »

« Au-delà des écrans de fumée parlementaires, il faut des sanctions », a renchéri la CGT, qui aurait souhaité « dès ledépart » 33 % de femmes dans les conseils d'administration.

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 19

Or, contrairement à ce qui est proposé, la proposition de loi du groupe socialiste n° 291 jointe à l’examende la présente proposition de loi (cf. ci-dessous) comporte deux volets jugés indissociables : la fixation d'unquota d'au moins 40 % de mandataires sociaux d'un même sexe, applicable progressivement dans un délaide 6 ans et une limitation plus stricte du cumul des mandats sociaux, destinée en particulier à libérer davan-tage de mandats au profit des femmes.

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LA COMMISSION DES LOIS JOINT LA PROPOSITION DU GROUPE SOCIALISTE N° 291 (NICOLE BRICQ, MICHÈLE ANDRÉ,RICHARD YUNG, PREMIERS SIGNATAIRES) A L’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI COPPE/ZIMMERMANN

Le groupe socialiste a déposé le 16 février dernier une proposition de loi relative aux règles de cumul et d'incompatibi-lité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes ausein des conseils d'administration et de surveillance. Cette dernière a été examinée en séance publique le 29 avril 2010dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire.

Ayant relevé que l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi portant sur le même sujet, la rapporteure,Marie-Hélène Des Esgaulx, avait estimé nécessaire de joindre les deux initiatives afin d'éviter toute navette inutile. Dansl'attente de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de la proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale, elle avaitproposé en conséquence le renvoi en commission de la proposition de loi du groupe socialiste, afin de permettre l'exa-men conjoint des deux textes.

En apparence logique, le choix de la commission des lois consistant à reporter l'examen de la présente proposition deloi était en réalité une décision d'opportunité car si ces deux propositions de loi sont convergentes dans leurs objectifs(40 % de femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en com-mandite par actions, ainsi que dans les organes dirigeants des entreprises publiques), elles ne le sont pas dans leursmoyens (leurs périmètres étant différents) et dans leurs effets.

Là où la proposition de loi de l'Assemblée nationale ne concerne que les sociétés cotées, soit près de 700 entreprises,la proposition de loi du groupe socialiste s'adresse à toutes les sociétés anonymes qui emploient au moins 250salariés et réalisent un chiffre d'affaires d'au moins 50 millions d'euros.

Autre exemple, il est prévu que les nominations qui violent la règle des 40 % sont nulles, sauf lorsqu'elles ont pour effetde tendre vers une représentation plus équilibrée. La nullité de ces nominations entraîne la nullité des délibérationsdu conseil mal composé, ce qui n'est pas le cas dans la proposition de l'Assemblée nationale en dehors de la périodetransitoire d'application de la loi.

Dernière illustration : Alors que la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale ne prévoit qu'un objectif dereprésentation équilibrée entre les femmes et les hommes, assorti de délais et de sanctions, la proposition de loi dugroupe socialiste souhaite s'appuyer, pour parvenir plus concrètement à cet objectif, sur une plus forte limita-tion du cumul des mandats sociaux.

La proposition de loi du groupe socialiste se fonde sur une logique qui lui est propre. Elle devrait enrichir le texte issu destravaux de l’Assemblée nationale afin de lui conférer plus d’autorité et lui donner pus de cohérence.

______________________

1 Rappelons, pour l’anecdote, que le lendemain de l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale, Henri Progilio, nouveau PDG d’EDF avaitannoncé qu’il renonçait à toucher une rémunération annuelle de 450.000 € qui devait lui être versée au titre de son poste de président de VeoliaEnvironnement. Cette double casquette et cette double rémunération avaient suscité la polémique alors que les élections régionales des 14 et 21 marsapprochaient à grand pas et que cette affaire, plus qu'embarrassante, pouvait venir perturber la campagne de l'UMP.

2 La recommandation reprend le seuil de 40 % figurant dans la proposition de loi Zimmermann/ Copé et la proposition de loi du groupe socialiste du Sénat.De même, la recommandation reprend fidèlement l’article 3 de la proposition adoptée par l’Assemblée nationale sur l’entrée en vigueur progressive de laloi avec un premier seuil de 20% dans le délai de 3 ans et de 40% dans le délai de 6 ans. En revanche, aucune disposition ne vise la nullité des nomi-nations ou des décisions prises par un conseil irrégulièrement composé.

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3 Cette proposition de loi a été également cosignée par Jacqueline ALQUIER, Serge ANDREONI, Jean-Etienne ANTOINETTE, Alain ANZIANI,Bertrand AUBAN, Jean BESSON, Maryvonne BLONDIN, Yannick BODIN, Nicole BONNEFOY, Yannick BOTREL, Alima BOUMEDIENE-THIERY,Martial BOURQUIN, Bernadette BOURZAI, Jean-Louis CARRÈRE, Françoise CARTRON, Monique CERISIER-ben GUIGA, Pierre-Yves COLLOMBAT,Roland COURTEAU, Yves DAUDIGNY, Jean-Pierre DEMERLIAT, Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Jean-Luc FICHET, Bernard FRIMAT, SamiaGHALI, Jacques GILLOT, Didier GUILLAUME, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, FrançoiseLAURENT-PERRIGOT, Claudine LEPAGE, Jacky LE MENN, François MARC, Rachel MAZUIR, Gérard MIQUEL, Jean-Jacques MIRASSOU, RobertNAVARRO, François PATRIAT, Jean-Marc PASTOR, Bernard PIRAS, Gisèle PRINTZ, Thierry REPENTIN, Daniel RAOUL, Paul RAOULT, FrançoisREBSAMEN, Michel SERGENT, Simon SUTOUR, Catherine TASCA, Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI

4 JJ Hyest, rapporteur au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle avait repris à son compte la volonté des députésd’ouvrir au législateur la possibilité d’adopter des mesures visant à assurer la présence des femmes dans l’exercice de responsabilités professionnellesou sociales, où elles restent encore sous-représentées… [et]… ainsi instaurer ce qu’il est convenu d’appeler des “discriminations positives”, par exempleau moyen de quotas par sexe. cf. son rapport n° 387 (2007/2008).

5 Pour les données chiffrées, cf. le rapport de Marie-Jo Zimmermann Assemblée nationale n° 2205 (2009)6 Du fait de ce cumul, au sein du CAC 40, 22 % des mandataires sociaux concentrent entre leurs mains près de 43 % des droits de vote.7 Même s’ « il n’apparaît pas envisageable d’établir un lien de causalité automatique entre la présence de femmes dans les instances dirigeantes et larentabilité des entreprises », cf. la démonstration dans le rapport de Marie-Jo Zimmermann, p. 15 et 16.

Pour de plus amples informations, je vous invite à consulter la note détaillée sur l’extranet du site du groupe socialiste :http://www.senateurs-socialistes.fr.

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 21

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Madame la prési-dente, madamela ministre, mes

chers collègues, la péré-quation est un bon sujet.Un sujet de débat,certes, mais l’essentiel ànos yeux est que lavolonté de débattre nese substitue pas dura-blement à la volontéd’agir en faveur de lapéréquation. Or, sur ceterrain, la frilosité duGouvernement et de sa majorité s’est vérifiée maintes foisici même. Nous en avons fait le constat à plusieursreprises, notamment lors de l’examen de notre propositionde loi sur le renforcement de la péréquation des res-sources des collectivités, en 2007.

Pourtant, aujourd'hui, il y a urgence à agir ; deux raisonsde fond le rappellent de manière lancinante.

La première raison de fond réside dans les risques de rup-ture d’égalité républicaine face aux services publics deproximité. Depuis plusieurs années, les transferts decompétences diverses aux collectivités se sont multipliés,sans que les ressources correspondantes aient étéoctroyées à celles-ci pour la mise en œuvre de ces actionsde service public déléguées. Dans le cadre de l’acte II dela décentralisation de 2004, de nouvelles compétencessont chaque année transférées en nombre aux collecti-vités. Mais cette montée en puissance des compétencesest mal compensée et se révèle, de ce point de vue, deplus en plus préjudiciable aux budgets locaux. L’écartentre « décentralisation institutionnelle » et « décentralisa-tion financière » aboutit à un « effet de ciseaux » pour lescollectivités. À cet égard, je rappelle la menace financièrequi pèse aujourd’hui sur les budgets de certains départe-ments.

Par conséquent, sauf à laisser certaines collectivités horsde tout processus de développement local, la péréquationdoit impérativement accompagner l’accroissement descompétences locales.

La deuxième raison de fond tient à l’injuste répartition desressources et à l’iniquité fiscale. Du fait de la diminutionmarquée de la part des ressources fiscales dans la struc-ture du financement des collectivités territoriales, la fisca-lité locale n’assure pas l’équité entre les collectivités sur leterritoire. Selon les conclusions des rapports officielspubliés au cours des derniers mois, il y a en France defortes disparités de potentiel fiscal par habitant. Cela variedu simple au double pour les régions, du simple au qua-druple pour les départements et de 1 à 1 000 pour les com-munes. C’est considérable ! La situation mérite incontes-tablement d’être corrigée. Or aucune réforme ni correctionn’ont été faites sur les bases d’imposition et sur le systè-me de prélèvements fiscaux.

D’une manière générale, les ressources fiscales des col-lectivités locales, qui sont assises sur des basesobsolètes, apparaissent aujourd’hui en décalage avec laréalité des besoins générés par les compétences exercéeset, surtout, ne reposent pas sur un dispositif de réelle jus-tice fiscale. Aussi la péréquation est-il le seul moyen decorriger de telles inégalités de traitement.

Au-delà de ces deux constats alarmants, on doit en outrefaire état – c’est sans doute ce qui justifie notre débat d’au-jourd'hui – d’une aggravation de la situation tenant à la loide finances pour 2010. Les différents rapports officiels deces derniers mois ont apprécié l’effet de la suppression dela taxe professionnelle et du nouveau schéma local enmatière de fiscalité. D’après ces rapports, la compensa-tion par les dotations de l’État d’une partie de la perte derecettes liée à la réforme de la taxe professionnelle pour-rait avoir pour inconvénient une réduction mécanique de lapart de péréquation dans l’ensemble des dotationsversées aux collectivités.

I n t e r v e n t i o n . . .Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition

des ressources des collectivités localespar François MARC, sénateur du Finistère[séance du lundi 27 septembre 2010]

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Elle aurait surtout l’inconvénient de figer les rentes desituation dont bénéficient actuellement certaines collecti-vités en raison de leur assiette fiscale, la réforme de lataxe professionnelle pouvant même accroître certainesdisparités existantes ! En outre, les simulations réaliséespar le journal La Tribune – certains d’entre vous ont pu lesconsulter – ont montré à quel point la suppression de lataxe professionnelle et ses conséquences pouvaientcontribuer, via les mécanismes de substitution, à enrichirles communes déjà riches et à appauvrir les communesdéjà pauvres. Cela a été clairement établi.

Sur tous ces points, l’inaction du Gouvernement depuisl’adoption de la loi de finances pour 2010 reste troublante.Mis en garde contre le risque de « double peine » pour lesterritoires déjà fragilisés, le Gouvernement a, jusqu’à cejour, fait le choix de rester inerte s’agissant du renforce-ment des politiques de péréquation.

J’ajoute que, avec les conséquences prévisibles de laréforme territoriale, ce sont une nouvelle fois les collecti-vités territoriales affaiblies qui ne seront plus en mesure definancer les équipements publics nécessaires à leur popu-lation. En définitive, plus le retard sera important en matiè-re de péréquation, plus on perpétuera les écarts entre lesterritoires.

Que faire pour corriger les inégalités ? Certes, lesquelques réformes conduites ces dernières années ontmodestement contribué à améliorer la situation. Je penseà la légère augmentation de la part « péréquatrice » de laDGF, qui est passée de 12,3 % à 16,5 %.

Je pense également à la dotation de solidarité urbaine, laDSU, qui a été abondée depuis 2005 par la loi de pro-grammation pour la cohésion sociale. Je pense, enfin, à ladotation de solidarité communautaire, qui, depuis la « loiChevènement », offre quelques possibilités de partage etune forme de solidarité à l’échelle de l’intercommunalité.Cependant, malgré la mise en œuvre de ces correctifs,l’efficacité péréquatrice stagne en France, comme entémoignent les travaux des professeurs Guy Gilbert etAlain Guengant. On est donc en droit de se demanderpourquoi le gouvernement français ne se montre pascapable d’honorer les promesses péréquatrices maintesfois formulées depuis 2002. À cet égard, madame laministre, je note que vos propositions correspondent sim-plement à une volonté de corriger les effets réducteurs ou

néfastes de la réforme introduite par la loi de finances pour2010. Il s’agit non pas d’améliorer la péréquation, mais decorriger les effets pervers du dispositif prévu par le budgetde 2010. En bref, vous avez cassé la porcelaine et vouscédez maintenant sous le poids des revendications desélus de la majorité, qui se sont plaints ici même, aux moisde novembre et de décembre derniers. Ils ont demandél’instauration d’une clause de revoyure sur la péréquationmise en œuvre de façon totalement inégalitaire dans la loide finances pour 2010.

Les modifications proposées aujourd'hui visent à répondreà leurs attentes, mais n’améliorent en rien la péréquationdans notre pays, contrairement à ce qui avait été claire-ment annoncé lors de l’examen du projet de loi de décen-tralisation, lequel prévoyait l’adoption d’une loi organique àcette fin.

Pourquoi le Gouvernement se satisfait-il de ces résultats ?Est-ce de l’ordre du renoncement ? Est-ce délibéré ? Est-ce une façon de se conformer à l’idéologie du « chacunpour soi » ? Les clauses de revoyure devaient mettre enplace de nouveaux mécanismes de péréquation. Commemoi, vous constatez, mes chers collègues, que les propo-sitions faites sont très modestes sur ce plan !

Pour conclure, je rappelle que nous avons débattu au seinde notre assemblée de propositions visant à améliorer lapéréquation. Or elles ont toujours été rejetées, ce qui estregrettable. Nous avons mis en avant la nécessité de pré-voir une DGF améliorée, une CSG départementale ainsiqu’une intégration du revenu pour la fiscalité locale. Toutesces mesures, jusqu’à présent, ont été remises à plus tard.

Dans ces conditions, nous sommes aujourd'hui insatisfaitsdes propositions qui nous sont faites. Nous avons bienconscience que la réforme des finances locales dans notrepays était le premier volet de la réforme territoriale qui esten train de se mettre en place. Il s’agissait essentiellementde mettre au pas les collectivités, de geler leurs res-sources, de limiter les possibilités de péréquation. La réfor-me territoriale, véritable reprise en main politique des terri-toires, contribuera à accentuer encore la situation de blo-cage, ce qui est regrettable ! Nous espérons que certainesde nos propositions pourront de nouveau être étudiées etqu’elles seront prises en considération lors de l’examen duprojet de loi de finances pour 2011.

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 23

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Madame la prési-dente, madamela ministre, mes

chers collègues, lesquestions relatives auxressources et auxcharges des collecti-vités locales sont, paressence, au cœur despréoccupations duSénat. Le rapport d’in-formation sénatorialélaboré au printemps2009 au nom de la mis-sion temporaire sur l’organisation et l’évolution des collec-tivités territoriales mettait en avant la nécessité de passerà l’acte pour favoriser l’égalité entre les collectivités territo-riales et améliorer la péréquation, tant verticale – par unrenforcement des dotations péréquatrices de l’État –qu’horizontale – avec une péréquation forte et mieuxciblée –, permettant non seulement d’éviter le creusementdes inégalités, mais surtout de corriger les déséquilibresentre les territoires.

Nous connaissons tous les conséquences de la suppres-sion de la taxe professionnelle sur les finances locales :amputation des recettes et diminution subséquente desservices publics locaux. À l’évidence, les engagements duGouvernement n’ont pas été tenus : la clause de revoyureprévue par l’article 76 de la loi de finances pour 2010 a étéignorée. Le débat d’aujourd’hui apparaît comme unemaigre concession à la mise en œuvre de cette clause derendez-vous avortée.

Le rapport sur les conséquences de la réforme de la taxeprofessionnelle sur les collectivités territoriales, remis parM. Charles Guené et M. Marc Laffineur, le 30 juin dernierau Premier ministre, relève que la suppression de la taxeprofessionnelle allège la charge fiscale des entreprises.Mais quid du lien entre l’impact sur les finances publiqueset l’efficacité économique ?

En outre, cette mission parlementaire note que les méca-nismes de péréquation mis en place dans le cadre de lasuppression de la taxe sont fort insuffisants. Ils ne permet-tent pas une réduction des inégalités. Ainsi l’inefficacité semarie-t-elle à l’injustice !

Les disparités de richesse et les inégalités de ressourcesnécessitent des mesures vigoureuses et pérennes, ainsiqu’une péréquation dynamique et aussi lisible que pos-sible, tous les rapports le reconnaissent. Le potentiel fiscalpar habitant varie du simple au double entre les régions etdu simple au quadruple entre les départements. Il est ainside 232 euros par habitant pour le département de laCreuse et de 991 euros par habitant pour celui des Hauts-de-Seine ! Entre communes, les écarts sont égalementconsidérables.

S’agissant des régions et des départements, le rapportpréconise de fusionner les différents mécanismes de péré-quation instaurés dans le cadre de la loi de finances pour2010 et de redéfinir la notion de potentiel fiscal. Il proposela mise en place d’un fonds national et de fonds régionauxde péréquation pour le bloc communal. Jusqu’à présent, leGouvernement a poliment fait part de son intérêt vis-à-visde ces idées, tout en nous renvoyant aux résultats desarbitrages de préparation du projet de loi de finances pour2011 !

Le 28 juillet, le Conseil des ministres s’est livré à un exer-cice de communication autosatisfaite au sujet de la réfor-me de la taxe professionnelle, les ministres enchérissantsur sa réussite : vous-même, madame la ministre, vousêtes félicitée de ce que les objectifs aient été atteints« sans pour autant peser sur les finances locales », tandisque M. Marleix affirmait que le « dynamisme des nouvellesressources fiscales issues de la réforme » améliorerait lesressources de collectivités locales…Ce refus d’assumerles conséquences des choix nationaux sur la gestion descollectivités locales est de nature à inquiéter sérieusementcelles et ceux qui, au quotidien, gèrent lesdites collecti-vités !

I n t e r v e n t i o n . . .Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition

des ressources des collectivités localespar Jean-Jacques LOZACH, sénateur de la Creuse[séance du lundi 27 septembre 2010]

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 24

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Voilà un dossier majeur sur lequel les élus ont été grossiè-rement, mais méthodiquement circonvenus.

Concernant l’épine de l’implosion des finances locales etdes inégalités de richesses, la devise du Gouvernementpourrait être, en inversant la célèbre formule attribuée àGambetta : « En parler toujours, n’y penser jamais ! » Et,après votre intervention, madame la ministre, j’ajouterai :« Agir à doses homéopathiques ! »

En effet, au cours de ces dernières décennies, combien decolloques sur l’aménagement du territoire ont préconisé unrenforcement de la péréquation ? Combien d’expertises, àl’image des rapports sénatoriaux de MM. Jean François-Poncet Claude Belot de 2003 et 2004 sur les péréquationsinterdépartementale et interrégionale, ont prôné une actiondéterminée et ciblée, afin de rendre attractif l’ensemble del’espace national ?

Il y va de l’égalité des chances des collectivités et des ter-ritoires face au défi du développement et du progrès pourtous ! La Constitution précise : « La loi prévoit des dispo-sitifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre lescollectivités territoriales. » Donnons donc consistance àcet article 72-2, en mettant dès à présent en place, commele proposent le Conseil des prélèvements obligatoires et leConseil national des villes, un objectif chiffré annuel deréduction des inégalités entre collectivités et en créant unobservatoire national des inégalités territoriales.

Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du29 décembre 2009 sur la loi de finances pour 2010, que lapéréquation « peut corriger non seulement les inégalitésaffectant les ressources, mais également les inégalitésrelatives aux charges ; qu’elle peut également être mise enœuvre par une dotation de l’État ou grâce à un fonds ali-menté par des ressources des collectivités territoriales ».

Il est urgent de développer les mécanismes d’aides auxcommunes et aux départements pauvres, de remettre àplat l’ensemble des concours de l’État afin de mettre enplace une nouvelle combinaison des péréquations. L’Étatdoit y consacrer des ressources substantielles et accom-pagner une nouvelle étape de la décentralisation, jouerson rôle de stratège dans les investissements d’avenir,assurer sa mission de cohésion et de solidarité sociale etterritoriale.

Sur ce plan, vos propos ne m’ont guère rassuré, madamela ministre : vous parlez de première application pour 2013ou d’évaluation d’objectifs recherchés à compter de 2015 !

Quant à la « large concertation » que vous avez évoquée,elle relève d’une appréciation qui ne me semble guère par-tagée par les associations nationales d’élus à en juger parles déclarations de leurs principaux responsables.

Oui, les défis sont immenses. Mais, dans l’immédiat, il y aune urgence : l’État doit rembourser ses dettes !

Par exemple, la charge résiduelle du financement desprestations sociales universelles – allocation personna-lisée d’autonomie, revenu de solidarité active, prestationde compensation du handicap – que les conseils générauxmettent en œuvre au nom de la solidarité nationale s’élè-ve aujourd’hui, pour l’ensemble d’entre eux, à 14 milliardsd’euros. Pour un département comme le mien, cette char-ge représente un tiers de son budget annuel. Sur ce point,mon propos rejoint celui du rapporteur général.

Dès à présent, les collectivités territoriales connaissent lespires difficultés pour maintenir un niveau d’investissementnécessaire à l’équipement de la nation. Cette situation degrande tension financière ne peut être traitée uniquementpar une péréquation à caractère financier. Le principe derééquilibrage doit également s’appliquer dans les schémasnationaux d’infrastructures et de services à la population.

En un mot, il faut corriger au plus vite une impressionnéfaste de « laisser-faire, laisser-aller » et répondre ausentiment d’abandon éprouvé dans beaucoup de quartiersurbains défavorisés et d’espaces ruraux en voie de dévita-lisation. Nos concitoyens, l’ensemble des élus locauxattendent des actes, et non plus des discours purementincantatoires !

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 25

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Madame la prési-dente, madamela ministre, mes

chers collègues, il mesemble indispensable, àl’occasion de ce débat,d’évoquer la situationdes collectivités d’outre-mer, en ce qui concernetant sa liaison avec lesproblématiques natio-nales que son particula-risme. La situation desfinances locales en outre-mer est historiquement marquéepar un certain nombre d’éléments : d’abord, le surcoût del’emploi territorial, notamment avec la sur-rémunération ;ensuite, les sureffectifs des collectivités qui ne peuventêtre résorbés que dans la durée, car ils résultent histori-quement de choix politiques visant à compenser la faibles-se de l’initiative économique et l’inaction de l’État en matiè-re de développement ; en outre, le surcoût des achats réa-lisés par ces collectivités du fait des frais d’approches liésau grand éloignement de leur source d’approvisionne-ment, en particulier avec l’Europe ; enfin, les surcoûts deconstruction, de maintenance et de renouvellement deséquipements liés aux conditions climatiques agressives etdestructives.

Comme les membres de la mission commune d’informa-tion sur la situation des départements d’outre-mer l’ontsouligné dans leur rapport, plusieurs adaptations législa-tives visent à prendre en compte les spécificités de lasituation des collectivités ultramarines.

Je rappellerai certaines d’entre elles concernant l’écheloncommunal, qui profite d’un régime supposé préférentiels’agissant des dotations de péréquation. En effet, les com-munes des départements d’outre-mer bénéficient d’unequote-part des dotations de péréquation répartie entrechaque département d’outre-mer. Mais la DGF par habi-

tant des communes des départements d’outre-mer n’estsupérieure que de 2,83 % au montant moyen national. Deplus, ces montants ne sont pas homogènes. Ainsi, laRéunion présente le ratio le plus faible, avec 9,12 % demoins que la moyenne nationale.

Des observations similaires peuvent être formulées à l’é-gard des collectivités départementales et régionales, ainsique des intercommunalités. Ces adaptations législativesne produisent cependant pas l’effet attendu. Il faut doncenvisager plusieurs pistes d’amélioration.

Parmi l’ensemble des raisons qui expliquent l’importancedes besoins des collectivités des départements d’outre-mer, plusieurs facteurs résultent directement de la respon-sabilité de l’État et, parfois, de son incapacité à assurer demanière satisfaisante ses compétences régaliennes : l’ex-tension des compétences des collectivités des départe-ments d’outre-mer justifie pleinement que les concoursfinanciers de l’État soient adaptés.

Pour ce qui concerne l’importance des dépenses sociales,l’État doit cesser de se montrer schizophrène et assumerune part du poids qui pèse sur les départements, eu égardà l’insuffisance de compensation des dépensestransférées ; il en est ainsi en particulier pour l’APA, l’allo-cation personnalisée d’autonomie, ou pour le RMI. EnMartinique, par exemple, ce sont plus de 60 millions d’eu-ros qui ne sont pas compensés à ce jour. Enfin, les inves-tissements résultant de la croissance démographique, plusparticulièrement en Guyane, ont en partie pour cause ladifficulté rencontrée par l’État à faire face aux flux d’immi-gration clandestine.

Au total, la DGF outre-mer n’a progressé que de 0,51 % en2010, ce qui ne peut pas régler les difficultés particulièresque je viens d’évoquer.

Au-delà de la péréquation, c’est bien plus globalement lasituation des finances des départements d’outre-mer qu’ils’agit de traiter.

I n t e r v e n t i o n . . .Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition

des ressources des collectivités localespar Serge LARCHER, sénateur de la Martinique[séance du lundi 27 septembre 2010]

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Page 27: Bulletin GS n° 156 bullein gsn · - Une proposition de loi aux autopsies judiciaires - Le Groupe socialiste sera une force de propositions dans le débat sur les retraites NB : les

Je conclurai par trois propositions courtes et concrètes.

La première d’entre elle vise à apurer la dette sociale. Larestauration des finances locales passe nécessairementpar leur assainissement. Les dettes accumulées enversles organismes de sécurité sociale révèlent une situationpréoccupante, notamment en Guadeloupe et en Guyane :il paraît illusoire de penser que toutes les communesseront un jour à même de les rembourser. Ainsi, la mis-sion que j’ai citée précédemment a-t-elle proposé d’annu-ler les dettes sociales accumulées par les collectivités ter-ritoriales au 1er juillet 2009, sous réserve du paiementdes cotisations aux échéances au cours des dix pro-chaines années. Je souhaite que cette proposition –j’avais déposé un amendement en ce sens – soit enfinexplorée.

La deuxième proposition consiste à juguler une crise sansprécédent des finances locales en utilisant les outils dontdispose l’État. L’octroi de mer représente 38 % desrecettes des communes de la Martinique. Il a subi en 2009une diminution de l’ordre de 17 % par rapport à l’annéeprécédente, dans un contexte de crise mondiale aggravépar la crise sociale majeure dite de « février 2009 ». Cettesituation a littéralement « plombé » les finances de nom-breuses communes qui, jusqu’à présent, parvenaient, bonan mal an, à maintenir un équilibre de façade. Il convientdonc que l’État s’engage à préserver l’octroi de mer et àactiver les outils existants tels que le dispositif dit « cocar-de », le contrat d’objectif communal d’aide à la restructu-ration et au développement.

Depuis 2005, des communes de Guadeloupe et deGuyane ont pu bénéficier de ces prêts de restructurationet d’un accompagnement de l’Agence française de déve-loppement, l’AFD. Au regard de la situation que connaîtactuellement la Martinique, il est très étonnant que ni lapréfecture ni l’AFD n’évoquent en aucune circonstancecette possibilité avec les maires de ce département.

Me faisant le porte-parole de mon ami Georges Patient,qui ne peut intervenir dans ce débat, je dirai que l’État doitrétrocéder aux communes de Guyane les 27 millionsd’euros qui leur font défaut au titre de l’octroi de mer. Ildoit également supprimer le plafonnement qui frappe ladotation superficiaire instituée pour les seules communesde Guyane qui leur fait perdre annuellement près de 16millions d’euros.

J’en viens à ma troisième proposition, l’organisation d’é-tats généraux des finances locales dans chaque départe-ment d’outre-mer. Dans le contexte de crise précédem-ment évoqué, nombre de collectivités d’outre-merconnaissent une dégradation très rapide de leurs financeset se trouvent désormais en déficit.

L’absence de débat dédié à la situation des financeslocales dans le cadre des états généraux de l’outre-merme semble être un grave oubli. Il convient d’y remédier defaçon urgente, afin de réunir autour d’une table l’en-semble des acteurs concernés pour partager un diagnos-tic et mettre en place des solutions portant sur le court etle moyen termes.

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Madame la prési-dente, madamela ministre, mes

chers collègues, dans uncontexte de crise quifrappe plus durementencore les territoiresdéfavorisés que lesautres, la nécessité deconcevoir et de mettreen œuvre des dispositifspermettant de corrigerles inégalités de res-sources entre collectivités territoriales semble unanime-ment reconnue. Dès lors, le problème consiste évidem-ment à trouver des dispositifs adaptés.

Comme certains collègues l’ont déjà bien démontré dansleurs interventions, les mesures qui existent ou qui sontenvisagées ne sont manifestement pas à la hauteur desenjeux pour les collectivités territoriales de l’Hexagone. Ilimporte de se rendre compte qu’elles le sont encore moinspour les collectivités territoriales des départementsd’outre-mer.

Tout d’abord, ces territoires ont le triste privilège de figurerparmi les plus défavorisés. Par ailleurs, dans un contextede difficultés économiques et sociales croissantes, onassiste à l’inexorable dégradation des finances de leurscollectivités territoriales, notamment celles de leurs com-munes – mon collègue Serge Larcher l’a souligné – et deleurs collectivités départementales, qui jouent pourtant unrôle proportionnellement beaucoup plus important queleurs homologues de l’Hexagone en tant que moteur éco-nomique public et, plus encore, en tant qu’amortisseursocial.

C’est pourquoi je tiens à lancer un véritable cri d’alarme,en ma qualité de président de la commission de l’outre-mer de l’Assemblée des départements de France, l’ADF,au nom de l’ensemble des départements d’outre-mer.

La question des ressources des conseils générauxd’outre-mer sera en effet à l’ordre du jour de la réunion queje présiderai à la veille du quatre-vingtième congrès del’ADF.

Mes chers collègues, le problème qui se pose pour les col-lectivités territoriales des départements d’outre-mer estd’autant plus aigu que la situation de ces derniers est véri-tablement alarmante. Quelques chiffres peuvent en témoi-gner.

Le taux de chômage, qui est reparti à la hausse depuis2008, atteint 21 % en Guyane et plus de 29 % à la Réunion; la proportion de jeunes dépourvus d’emploi, y comprisdiplômés, est particulièrement élevée. À la Martinique, parexemple, 61 % des jeunes âgés de moins de vingt-cinqans sont au chômage.

Le nombre de RMIstes, qui est d’environ 15 000 enGuyane, avoisine les 29 000 aussi bien en Martiniquequ’en Guadeloupe et s’établit à 71 000 à la Réunion. Lesdépenses d’aide sociale et de solidarité des conseils géné-raux d’outre-mer représentent 58,4 % de leurs dépensestotales contre 44,2 % pour les conseils généraux del’Hexagone. Ces quelques éléments sont, me semble-t-il,suffisamment éloquents pour que je ne prolonge pas monénumération.

Certains d’entre vous se demandent peut-être pourquoinous en sommes là, après de si nombreux plans de déve-loppement, lois de programmation, trains de mesures spé-ciales qui devraient, pour l’outre-mer, constituer autantd’éléments de péréquation.

Eh bien, mes chers collègues, cette abondance ne doitpas vous leurrer ! En réalité, nous souffrons d’un excèsd’effets d’annonce, auquel s’ajoutent des retards fré-quents, parfois considérables, dans l’application de cer-taines mesures, et l’instabilité – parfois l’inadaptation – desdispositifs mis en place.

I n t e r v e n t i o n . . .Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition

des ressources des collectivités localespar Claude LISE, sénateur de la Martinique[séance du lundi 27 septembre 2010]

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Actuellement, deux éléments essentiels de la dernière loide programmation votée au mois de mars 2009 n’onttrouvé quasiment aucune traduction concrète dans nosdépartements : je veux parler des fameuses zonesfranches et de la réalisation des programmes de loge-ments sociaux en défiscalisation, dont on a tant parlé danscette enceinte. Alors que nous prenons la mesure deslimites de l’orientation de la défiscalisation en faveur dulogement social, c’est tout le dispositif de défiscalisationqui va subir ce qu’on appelle un « coup de rabot »...

Il faut également savoir que, sur les cent trente-septmesures retenues lors du conseil interministériel del’outre-mer du 6 novembre 2009, seules une quarantaineont été mises en application, pour la plupart de nature qua-litative, sans réelle incidence sur le développement écono-mique, aucun moyen budgétaire ne leur étant associé.

On comprend, dans ces conditions, les efforts considé-rables que doivent consentir les collectivités territorialesd’outre-mer pour faire face, dans un contexte de difficultéséconomiques et sociales croissantes, à d’importantsbesoins d’équipement et à une demande sociale qui explo-se. Malheureusement, leur volonté d’agir est de plus enplus contrecarrée par l’insuffisance criante de leurs res-sources.

Elles subissent évidemment, comme leurs homologues del’Hexagone, toutes les mesures aboutissant à la stagna-tion, voire à la réduction, des dotations de l’État.

De surcroît, leurs recettes fiscales – notamment le produitdes contributions directes locales – sont bien inférieures àcelles des collectivités de métropole, et je n’évoque mêmepas la menace qui pèse sur l’octroi de mer.

Les dotations qu’elles reçoivent de l’État ne tiennent pascompte, dans leur mode de calcul, de certaines réalitéssociales : ainsi, par exemple, le pourcentage de personnesâgées percevant les minima sociaux s’élève à 37 % enMartinique, alors que la moyenne nationale s’établit à 10%. Par ailleurs, elles ne prennent pas en considérationcertains surcoûts dus à l’éloignement, au niveau derémunération des fonctionnaires territoriaux, ou encorecertaines contraintes particulières, comme l’exposition àdes risques naturels qui impose le respect de normescontraignantes, notamment lors de la construction deslycées et des collèges.

Enfin, le montant des charges non intégralement com-pensées après les nombreux transferts de compétencesopérés ces dernières années atteint des niveaux sanscommune mesure avec ceux que connaissent les collecti-vités de métropole. Par exemple, à la Martinique, la dettecumulée de l’État en matière de remboursement du RMIatteint actuellement 58,5 millions d’euros, soit près de 10% du budget du conseil général. À la Réunion, cette dettes’élève à 140 millions d’euros.

Que déduire de tout cela ? De toute évidence, les mesuresde péréquation existantes et actuellement envisagées neparaissent absolument pas susceptibles d’améliorer lasituation des collectivités territoriales des DOM. Parailleurs, elles ne sont pas de nature à assurer un minimumd’équité en matière de ressources entre les collectivitésdes départements d’outre-mer et celles de l’Hexagone. Orn’est-ce pas là la véritable finalité de la péréquation ?

Il est donc urgent de concevoir, en concertation avec lesélus concernés, un dispositif qui réponde vraiment à unetelle exigence et puisse en même temps donner aux col-lectivités territoriales des DOM les moyens de relever lesredoutables défis auxquels elles sont confrontées.

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Madame la prési-dente, madamela ministre, mon-

sieur le président de lacommission desfinances, mes cherscollègues, oserai-jeprendre la parole devantun aréopage aussi éruditd’éminents spécialisteset de techniciens émé-rites des financeslocales, alors que jen’appartiens pas à cesérail ? Je ne suis pas membre de la commission desfinances du Sénat, mais, en tant que maire d’une commu-ne de Seine-Saint-Denis, je pense être une élue localeassez représentative de la grande majorité de ces élus qui,sans faire preuve d’une particulière malveillance, ont res-senti, et ressentent encore, une grande perplexité au vudes conséquences de la réforme des finances localesconçue hâtivement, et dont les impacts ont été mal éva-lués.

Comme tous ces élus, je suis confrontée quotidiennement,et plus intensément encore en cette période de l’année,aux questions de nos concitoyens. Ceux-ci ne compren-nent pas que la fiscalité locale pèse davantage sur les ter-ritoires déshérités que sur ceux qui sont bénits des dieuxde l’économie et de la finance, et, au sein de ces terri-toires, sur cette catégorie de contribuables desquels onattend un financement solidaire des services publicsdédiés aux plus fragiles et auxquels on demande de sesubstituer à une solidarité nationale défaillante, alorsmême que les services publics locaux ne sont pasexempts de critiques justifiées, faute de moyens.

Nous sommes donc invités, sur l’initiative duGouvernement, à nous exprimer sur la péréquation. Envérité, on ne compte plus les débats, les rapports, lesconférences sur ce sujet, qui devient, faute de décisions,

une sorte de « marronnier parlementaire » (Sourires surles travées du groupe socialiste.), un simple objet de col-loque.

Ce débat supplémentaire sera forcément un peu vain, caril a fallu renoncer, faute de volonté politique, à l’adoption,avant le 31 juillet 2010, d’un projet de loi censé permettrela mise en place de mécanismes de péréquation pourtantprévu par la clause de revoyure introduite dans la loi definances de 2010.

À n’en pas douter, c’est une nouvelle déception pour lescollectivités territoriales, après l’adoption d’une réforme quin’a répondu ni à leurs attentes ni aux objectifs annoncésinitialement par le Gouvernement.

La situation des collectivités est grave, et parfoisdésespérée. Transferts de compétences non accompa-gnés des moyens budgétaires correspondants, réforme dela fiscalité locale qui plonge les élus, leurs administrations,les acteurs locaux et les habitants dans le brouillard le plusépais : tel est le tableau auquel les collectivités, notam-ment les plus fragiles, devraient se résigner et dont laconséquence est d’importantes et douloureuses coupesdans les budgets des politiques publiques locales.

Certains orateurs ont décrit la situation inextricable danslaquelle se débattent les départements, qui sont contraintsde procéder à des coupes sévères dans certains budgetssensibles pour nos populations, comme la culture ou lesport. Savez-vous, madame la ministre, que nous subis-sons la double peine ? En effet, les départements n’ontpas d’autre choix que de répercuter sur les communes lesconséquences de cette sévérité budgétaire.

Vous avez dressé un tableau idyllique de la mise en œuvrede cette réforme, mais vous avez néanmoins admis qu’el-le était complexe. Vous ne pensiez pas, évidemment,qu’elle vous coûterait si cher... Vous auriez dû ajouter quetous ses impacts n’avaient pas été sérieusement anticipés.

I n t e r v e n t i o n . . .Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition

des ressources des collectivités localespar Dominique VOYNET, sénatrice de la Seine-Saint-Denis[séance du lundi 27 septembre 2010]

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Que répondez-vous, par exemple, aux communes deSeine-Saint-Denis qui découvrent que le transfert de lapart départementale de la taxe d’habitation, perçue hierpar le département, s’accompagnera soit d’une augmenta-tion considérable des impôts locaux, subie par les habi-tants, soit d’une baisse importante des ressources descommunes ? Ces collectivités sont confrontées à un choixcornélien ! Avez-vous prévu un mécanisme de compensa-tion ?

Ne dites pas que je force le trait : dans ma communautéd’agglomération, cette mesure coûtera 1,8 million d’eurossur une seule année !

Plus que jamais, nous avons besoin d’une péréquationjuste et efficace. Nous savons bien qu’elle ne sera qu’uninstrument parmi d’autres du rééquilibrage nécessaire,qu’elle ne pourra compenser les inégalités fiscales liées àl’archaïsme du dispositif de fixation des bases, et qu’ellene suffira pas non plus à justifier l’érosion des outils desolidarité entre les territoires et l’inégale répartition desressources, dont témoigne notamment l’examen quantita-tif et qualitatif de certains contrats de projets.

La mise à contribution des collectivités pour financer desprogrammes ou des infrastructures, comme le TGV ou leschantiers universitaires, qui relèvent de la responsabilitéde l’État, et de lui seul, contribue à amplifier les inégalités.Qu’adviendra-t-il des collectivités incapables de « mettreau pot » pour assurer ces financements ?

Chaque orateur précédent a rappelé la situation danslaquelle nous nous trouvons et qui est liée en particulier àla limitation en 2010 de l’augmentation de la DGF à 0,6 %et au gel en valeur des concours financiers de l’État auxcollectivités à partir du budget triennal 2011-2013.

Dans ce contexte particulièrement préoccupant, la péré-quation n’implique que des sommes très modestes auregard des enjeux et des défis auxquels sont confrontésles territoires : avec un volume de 6,27 milliards d’euros,elle représente à peine 3 % des ressources des collecti-vités territoriales.

Nous avons besoin de plus de péréquation et d’une péré-quation plus efficace, comme le montre le rapport deJacques Mézard et Rémy Pointereau.

Certains territoires bénéficient de programmes spéci-fiques, qui sont parfois considérables. Certains de ces pro-grammes sont menacés, dans leur volume ou leur princi-pe, par exemple les contrats urbains de cohésion sociale,les CUCS ; d’autres sont maintenus. Mais au lieu de ren-forcer et de compléter l’intervention de l’État dans desdomaines prioritaires ou des territoires déshérités, on sub-stitue de plus en plus ces programmes aux financementsde droit commun, qui eux aussi font défaut, comme enmatière de renouvellement urbain ou de logement social.C’est également le cas pour les services départementauxd’incendie et de secours, les SDIS, qui ont été évoqués.On aurait pu citer, par ailleurs, le financement des agencespostales, la contribution des polices municipales à destâches qui, hier encore, relevaient de l’État, le cofinance-ment des réseaux de haut débit, les équipements de cabi-nets médicaux...

La liste est longue des brèches qu’il faut colmater, jouraprès jour !

Si ce chantier est complexe, les solutions à apporter nedoivent pas l’être. C’est un enjeu démocratique majeur etune condition sine qua non de l’acceptation de l’impôt parnos concitoyens que l’adoption de règles simples et justes,et de dispositifs compréhensibles par des non-spécialistesn’ayant pas accès aux contorsions rhétoriques et à l’é-briété technique que nous déployons parfois.

C’est pourquoi je fais miennes les réflexions et les propo-sitions de la délégation sénatoriale aux collectivités territo-riales et à la décentralisation, ainsi que celles du Conseilnational des villes et de Ville et banlieue. Émises par despraticiens du quotidien, elles sont attendues par tous ceuxqui ne se résignent pas au décrochage des territoires, caralors, dans ces derniers, les valeurs de la République neseraient plus que de la littérature.

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Madame la prési-dente, monsieurle secrétaire d'É-

tat, monsieur le prési-dent de la commission,monsieur le rapporteur,monsieur le rapporteurpour avis, mes cherscollègues, « la loiNOME : dernier avatard’un processus délétè-re », ai-je pu lire quelquepart. Désormais, vu l’en-chaînement des épisodes précédents, la question estposée : à quand le coup de grâce pour le système françaisde l’électricité ?

Il s’agit, pourtant, d’un système que la France avaitconstruit avec succès en 1946, après avoir tiré les leçonsd’un passé confié aux compagnies privées de l’eau et del’éclairage.

Ainsi, alors que dans le même temps on assiste à lamontée en puissance d’énormes intérêts privés, nombreuxsont ceux qui parlent de revanche sur 1946.

Il est un peu trop facile d’évoquer les exigenceseuropéennes alors que les plus libéraux d’entre vous pren-nent appui sur ces mêmes exigences pour mieux détrico-ter notre système énergétique. Je rappellerai à la majoritéque très souvent elle est allée bien plus loin que ce qu’exi-geait l’Union européenne. Je reviendrai sur ce point ulté-rieurement.

Cela dit, dans quelle nouvelle galère nous pousse encorele rouleau compresseur libéral alors que partout dans lemonde l’ouverture à la concurrence et la libéralisationconnaissent un retentissant échec ? En effet, pour tousceux qui ont cru aux comptes fantastiques de la fée libé-rale, le retour sur terre est amer.

Dans quel imbroglio kafkaïen nous a-t-on fourrés depuis2002 et quel monument de complexité nous proposez-vous là ? Et dire qu’un slogan publicitaire claironne :« nous vous devons plus que la lumière » ! Tout cela pouraboutir à une concurrence forcée, factice, artificielle. C’estubuesque !

Vous proposez ainsi de contraindre EDF à céder 25 % desa production à la concurrence. C’est le fameux accèsrégulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH. Mais àquel prix ! EDF ne demande pas moins de 42 euros parmégawattheure, soit le prix du TARTAM. GDF-Suez, parexemple, ne revendique pas plus de 34 euros ou de35 euros le mégawattheure. Je vous fais observer, cherscollègues, que la différence entre 34 euros et 42 eurosreprésente 800 millions d’euros.

Un écart d’un seul euro, en plus ou en moins, de l’ARENHse traduit par 100 millions d’euros, en plus ou moins, pourEDF ou pour les fournisseurs privés. Et comme le prix del’ARENH est renvoyé à des mesures réglementaires, cequi, paraît-il, donne déjà bien du plaisir aux fonctionnairesdu ministère, nous allons assister, au fil des ans, à unebataille sans fin pour empocher cette rente nucléaire. Rienn’y changera, car le projet de loi NOME est par natureinstable. Mais, surtout, et quoi que l’on nous dise, ce texteest un texte d’augmentation des prix.

Je m’explique. À quel niveau sera fixé le prix de l’ARENH ?Peut-être à 42 euros le mégawattheure. Peut-être par lasuite à un niveau plus bas. Or 1 euro ou 2 euros, c’est toutde même 100 millions ou 200 millions d’euros de moinspour EDF. Mais dans ce cas, il faudra bien accorder unecompensation à EDF, en autorisant, par exemple, une aug-mentation des tarifs pour les ménages et les petitsconsommateurs.

D’ailleurs, la mécanique infernale a déjà été enclenchée,par anticipation, en plein 15 août, jour de « l’assomptionélectrique » avec une augmentation de 3 % à 5,5 %.

I n t e r v e n t i o n . . .Nouvelle organisation du marché de l’électricité

[NOME - Discussion générale]

par Roland COURTEAU, sénateur de l’Aude[séance du lundi 27 septembre 2010]

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La Commission de régulation de l’énergie, la CRE, ad’ailleurs annoncé que les tarifs bleus pourraient augmen-ter d’environ 11 % pour 2011 et ensuite de 3,5 % par an.Au final, les cadeaux en faveur des fournisseurs alternatifsseront payés par les consommateurs.

Certes, les tarifs réglementés seront maintenus pour lesménages, mais, à terme, d’augmentation en augmenta-tion, nous irons vers un rapprochement des tarifs régle-mentés avec les prix du marché, donc vers la disparitiondes tarifs réglementés. N’est-ce pas en fait l’objectif visé ?C’est alors que, pour faire passer la pilule, de belles expli-cations nous seront fournies.

J’imagine qu’on nous dira, sur tous les tons, que l’énergieest rare, donc chère, et qu’il faut investir dans de nouveauxmoyens de production, donc payer l’électricité plus chère.

Peut-être nous dira-t-on même qu’à quelque chose mal-heur est bon et que l’augmentation des prix obligera lesconsommateurs à économiser l’électricité, ce qui sera trèspositif pour l’environnement. Je parie que l’on osera nousdire que cette augmentation est vertueuse. Ainsi seranoyée la responsabilité des augmentations de prix. Il n’estpas sûr, cependant, que l’on évoquera la baisse du pouvoird’achat des ménages, l’aggravation de la précarité énergé-tique ou l’atteinte grave à la compétitivité de nos entre-prises.

Sur ce point, je ferai une remarque : à partir de 2015, votreprojet supprime les tarifs verts et jaunes, tandis que l’ex-tinction du TARTAM est programmée. L’étude d’impactsemble montrer que les entreprises ne rencontreront pasde problèmes. Elles bénéficieront grâce à l’ARENH d’uneélectricité à un prix d’équilibre inférieur à celui du marché.Or rien n’est moins sûr.

Par exemple, aujourd’hui, dans de nombreux cas, le TAR-TAM couvre toute la consommation du client. Demain,l’ARENH devra être majoré, d’abord de la marge du four-nisseur, mais aussi de la part complémentaire d’électricitéque le consommateur devra acheter au prix du marché.Par conséquent, déjà, le coût sera plus élevé. Par ailleurs,certains économistes font remarquer qu’après la dispari-tion des tarifs jaunes et verts et du TARTAM, l’ARENH –100 térawattheures – ne couvrira pas la totalité desbesoins des industriels estimés à plus de 232 térawatt-heures. D’où un phénomène de rareté, et donc un aligne-

ment des prix sur la bourse de gros de l’électricité. D’oùdes prix en forte augmentation. Déjà, la SNCF annoncequ’elle sera obligée d’augmenter ses tarifs.

Quelles seront les conséquences de ce texte pour nos ter-ritoires quand on sait que le prix de l’électricité est un fac-teur important de localisation industrielle ou de délocalisa-tion ?

Mais tout le monde ne perdra pas à ce jeu.

Les gagnants seront les fournisseurs privés, qui empoche-ront une partie de la rente. Les perdants seront lesconsommateurs, qui, eux, ne la percevront plus. Bref, aunom du dogme de la concurrence, on saborde l’un de nosprincipaux avantages compétitifs. Les industriels apprécie-ront !

Pour l’heure, ce n’est donc pas un concert de louanges quiaccompagne ce projet de loi. J’entends parler de « spolia-tion d’un bien commun », de « patrimoine bradé », de« mise en concurrence forcenée », de « texte juridique-ment fragile ». D’autres, comme vous, monsieur le rappor-teur, font cependant remarquer que « Si le nouveau systè-me donne des parts de marché aux concurrents sanscontrepartie en investissements, nous aurons tout raté. »Vous avez même fait connaître la crainte qui était la vôtreque cette loi ne fonctionne que partiellement. Vous avezindiqué que, dans ce cas, vous pourriez faire d’autres pro-positions, mais elles ne nous conviennent pas davantage.Nous nous en expliquerons lors de la discussion desarticles.

Monsieur le rapporteur, il est erroné de dire, comme vousl’avez fait tout à l’heure, qu’il y a eu ouverture du capitalpour les centrales nucléaires de Fessenheim, deCattenom, de Bugey. Non, il n’y a pas de prise de partici-pation capitalistique. En revanche, il existe des contrats enparticipation, ce qui n’est pas du tout la même chose –nous reviendrons sur ce point au cours de la discussiondes articles. Dans ces cas-là, il n’y a aucun droit de gou-vernance ni de participation aux décisions financières ouindustrielles.

Voilà donc où nous en sommes, chers collègues. Et toutcela, depuis huit ans, sur fond de maelström législatifeuropéen et français.

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Et tout cela, d’ailleurs, sur fond de promesses non tenues.Souvenez-vous : « Il n’y aura pas de privatisation d’EDF etde GDF, c’est clair, c’est simple et c’est net », avait déclaréle ministre des finances Nicolas Sarkozy à Chinon. Il ajou-tait : « Je veux décliner ces deux valeurs que sont laconfiance dans la parole donnée et le respect… », avantde conclure : « Je n’ai pas envie de mentir aux Français,je pense que cela fait trop longtemps que le débat politiquesouffre d’un manque d’authenticité, d’honnêteté. »

Deux ans après, GDF était privatisé ! Une fois de plus,mesdames, messieurs de la majorité, vous êtes allés plusloin que ce qu’exigeait l’Europe.

Et le rouleau compresseur libéral a continué d’avancer,alors que, partout dans le monde, l’augmentation des prix,la panne de l’investissement sont au rendez-vous de lalibéralisation et de l’ouverture à la concurrence. Partout,les prix ont flambé : 49 % d’augmentation en Allemagne,81 % au Royaume Uni, 92 % au Danemark… Pour laFrance, dès l’ouverture du marché aux gros consomma-teurs, même musique ! À tel point qu’il a fallu inventer – etje sais que vous y êtes pour quelque chose, monsieur lerapporteur – le tarif réglementé transitoire d’ajustement dumarché, le fameux TARTAM. Ailleurs dans le monde, on afait marche arrière ; en Europe et en France on persiste !

La recherche de la concurrence – le fameux dogme de laconcurrence – est toujours une fin en soi, à tel point que,faute de pouvoir la faire émerger, y compris aux forceps,dans un secteur comme celui de l’énergie, incompatibleavec les mécanismes concurrentiels, il vous faut aujour-d’hui la créer artificiellement, quitte à casser ce qui a fonc-tionné parfaitement bien pendant plus de cinquante ans.

Toujours, ce trouble obsessionnel de la concurrence, lefameux TOC qu’aime à citer mon collègue Daniel Raoul,éminent spécialiste. Partout dans le monde, on constatel’échec patent de la libéralisation et on persiste malgré toutà faire confiance à la main invisible du marché commemoyen de réguler. Il semblerait même que la doctrine soitla suivante : le libéralisme ne marche pas, parce la libéra-lisation n’est pas poussée assez loin ! Donc, on s’enfonceplus encore. Mais quand on arrive au fond du trou, cherscollègues de la majorité, il faut impérativement arrêter decreuser ! Observez ce qui se passe dans le monde : lespionniers de la libéralisation tous azimuts semblent avoirenfin compris qu’il est temps de faire marche arrière.

Alors, que reproche-t-on à la France ? D’avoir des prix tropbas ! En clair, on nous reproche d’avoir réussi à bâtir unmodèle à part, cité en exemple dans le monde entier. Bref,un vrai crime de lèse-concurrence ! Pour nous récompen-ser d’avoir pris des risques financiers et industriels, onnous demande aujourd’hui, au nom de la sacro-sainteconcurrence, de brader nos productions et notre patrimoi-ne commun. On nous demande d’amputer EDF d’une par-tie de sa production, cédée à prix coûtant aux opérateursprivés. Bel exemple de concurrence artificielle ! Étrangeexemple de concurrence non faussée !

En fait, on demande d’une certaine manière au secteurpublic, jugé peut-être trop performant, de subventionner laconcurrence qui, elle, ne l’est pas assez… « On marchesur la tête », disait Marcel Boiteux. « Quand les bornessont franchies, il n’y a plus de limites… ». Je voudrais bienque l’on m’explique où se trouve, dans tout cela, l’intérêtgénéral du pays.

Je rappellerai aussi que la finalité de la création du marchéeuropéen était l’intérêt des consommateurs. Je vois queM. Jacques Blanc est arrivé ! Or, les consommateurs sont,aujourd’hui, les véritables laissés-pour-compte. Parailleurs, n’oublions jamais que l’acceptation du nucléairepar les Français passe par une politique tarifaire juste etpar le maintien dans un pôle public de notre appareil deproduction. Gardons-nous d’oublier que l’électricité est unbien indispensable, non stockable, de première nécessitéet non une simple marchandise.

Gardons-nous d’oublier que la précarité énergétique estun mal qui est en train de toujours plus progresser.Gardons-nous d’oublier qu’après avoir été un vecteur decorrection des inégalités sociales et territoriales, le secteurde l’énergie ne doit pas contribuer au creusement des iné-galités ! Se chauffer représente aujourd’hui 15 % du bud-get d’un ménage modeste, contre 6 % pour les catégoriesaisées... Et demain, monsieur Jacques Blanc ? Arrêtonsles frais !

Aujourd’hui, le problème n’est plus de faire baisser les prix,mais d’accepter ou non de les laisser monter pour s’alignerprogressivement sur ceux du marché. Beau résultat quevoilà ! Où est l’intérêt du consommateur ? On nous avaitdit qu’il fallait ouvrir l’électricité à la concurrence pour fairebaisser les prix, et voilà qu’aujourd’hui il faut les augmen-ter pour permettre la concurrence.

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Oui, on marche sur la tête !

Pourtant, les fondements d’une alternative existent.Prenons l’article 90 du traité de Rome, devenu article 106,paragraphe 2, de la nouvelle version du traité sur le fonc-tionnement de l’Union européenne. Il stipule, notamment,que « les entreprises chargées de la gestion des servicesd’intérêt économique général ou présentant le caractèred’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités,notamment aux règles de concurrence, dans les limites oùl’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplis-sement, en droit ou en fait, de la mission particulière quileur a été impartie.» Qui peut affirmer ici que le service del’électricité ne relève pas de cette mission particulière ?

Voilà une voie que l’on aurait dû emprunter, afin d’exoné-rer du respect des règles strictes de la concurrence cer-tains services publics d’intérêt général, comme celui de l’é-nergie. Je rappelle que, lors du Conseil informel « Éner-gie » de septembre 2010, plusieurs ministres représentantplusieurs États membres ont reconnu que la concurrencene faisait pas baisser les prix : les choses bougent, ellescommencent à évoluer.

De plus, pourquoi n’avoir jamais soutenu, comme lesgroupes socialistes l’ont toujours demandé, l’adoptiond’une directive-cadre sur les services publics d’intérêtgénéral, pour écarter précisément le secteur énergétiquedes règles de la concurrence ? Ce projet de directive-cadre est toujours réalisable. D’ailleurs, le groupe socialis-te du Parlement européen a déposé une proposition dedirective. Dois-je une fois de plus rappeler, quitte à merépéter, que Lionel Jospin avait obtenu, lors du sommet deBarcelone de mars 2002 – avec M. Chirac ! –, que soit ins-crit dans les conclusions le principe d’une directive-cadresur les services d’intérêt économique général. Pourquoiles différents gouvernements de droite en place depuis2002 n’ont-ils jamais cherché à infléchir l’approche del’Union européenne dans un secteur aussi stratégique quecelui de l’énergie ? En vérité, cette évolution leur convenaitparfaitement !

En effet, c’est bien le gouvernement Juppé qui a signé, en1996, la première directive ouvrant aux industriels le mar-ché de l’énergie. Et c’est bien le gouvernement de M.Raffarin qui, le 25 novembre 2002, a accepté l’ouverturetotale du marché, faisant sauter ainsi le verrou posé par legouvernement Jospin à Barcelone.

En fait, plusieurs lois ont transposé les directiveseuropéennes, en 2000, en 2003, en 2004 et en 2006. Oh! je sais que l’on va me dire qu’un gouvernement degauche était aux commandes en 2000. Effectivement !Mais je vous rappelle que la directive a été transposée aminima, en mettant tout en œuvre pour préserver le servi-ce public de l’électricité.

J’entends encore les cris d’indignation de sénateurs ou dedéputés de droite de l’époque. Par exemple, notre ex-collègue Revol, rapporteur de ce projet de loi, n’a pascessé de dénoncer le choix du gouvernement Jospin d’ef-fectuer « une transposition tardive et insuffisamment libé-rale ». Il regrettait que la France choisisse de limiter auminimum le degré d’ouverture du marché aux profession-nels. Par exemple, à l’Assemblée nationale, M. Borotra,ancien ministre, s’exclama fièrement : « Le projet de loique vous nous présentez est la transcription, à votrefaçon, d’une directive que j’ai eu l’honneur de négocier aunom du Gouvernement. » Et il ajouta que ce projet de loiétait « un parcours d’obstacles pour limiter l’exercice de laconcurrence et vider de l’essentiel de son contenu la libé-ralisation du marché ».

Voilà qui est clair !

Combien de parlementaires de droite s’étaient réjouis, ennovembre 2002, lorsque la ministre Nicole Fontaineaccepta l’ouverture totale du marché à la concurrence. Jeme souviens que l’on se congratulait alors à droite : on sefélicitait même de ce compromis qui n’était en fait riend’autre qu’une capitulation. La suite, on la connaît, et il abien fallu déchanter ! Depuis, d’ailleurs, on n’arrête pas delégiférer, de rapiécer et d’administrer des soins palliatifs.Combien de textes depuis 2000 ? Huit ? Neuf ? Dix ? Etcombien d’autres après le présent projet de loi ?

Et pour nous convaincre qu’avec le projet de loi portantnouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME,nous allons entrer dans un monde merveilleux, l’étuded’impact du Gouvernement, aveuglément optimiste, tentede nous faire croire que tout le monde sera gagnant. Unmonde merveilleux, vous dis-je, avec plus de visibilité, plusd’incitation à investir, plus de garanties pour les consom-mateurs, uniques bénéficiaires de bas coûts de l’électricitéet, bien évidemment, aucun effet d’aubaine ! La réalité,hélas ! ne sera pas si idyllique.

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Concernant, par exemple, la visibilité annoncée par l’étuded’impact, à y regarder de plus près, nous serions plutôtdans le brouillard des incertitudes, mais nous y revien-drons ultérieurement. En fait, l’expérience nous montreque plus un dispositif est complexe, plus il conduit à ungrand nombre de changements, donc à une moindre visi-bilité, toutes choses nuisibles à l’économie !

Quel sera ensuite l’effet NOME sur les investissements ?Négatif, affirment certains économistes. L’étude d’impactse contente d’affirmer, sans le démontrer, que la NOMEinduira des incitations appropriées… Nous sommes peut-être éblouis, mais pas éclairés pour autant ! De plus, defaçon surprenante, la NOME, qui se présente comme undispositif transitoire, ne prévoit aucun mécanisme crédiblede sortie de la régulation, comme une décroissance pro-gressive et échelonnée des volumes de l’ARENH, cédésaux fournisseurs alternatifs. À l’exception d’un éventuelrapport qui, en 2015, pourrait se pencher sur ce problème,vous ne prévoyez même pas leur sevrage. Ils voudrontdonc conserver le biberon le plus longtemps possible.Mais alors, quel intérêt auront-ils à investir ? EDF sera-t-elle incitée à investir, si supportant 100 % des risques, elledoit céder une partie de ses bénéfices à ses concurrents ?Dès lors, notre système électrique ne va-t-il pas connaîtredes défaillances ?

Avant de conclure, je souhaiterais soulever un dernier pro-blème : ce projet de loi pourrait bien constituer aussi unesource d’insécurité juridique au niveau européen. Il s’agitde la question de la portée de la clause de destination quifigure à l’article 1er, même si d’aucuns ne veulent pas lereconnaître. Cette disposition résistera-t-elle aux foudresde Bruxelles ? Je ne le crois pas. L’accord Fillon-Kroes nesera pas suffisant si une plainte est déposée par un clientrésidant dans un autre État membre, pour restrictionsincompatibles avec les règles du marché intérieur. Notezqu’il y a le précédent des poursuites contre GDF et E.ON.Mais je reviendrai sur ce point lors de la discussion desarticles.

Pour conclure, ce projet de loi s’avère d’une grande com-plexité, qui nécessitera de nombreux réajustements, aupoint que je me demande si, en raison de nombreusesincertitudes, vous n’allez pas nous présenter, sous peu,monsieur le secrétaire d’État, un nouveau projet de loi,destiné à corriger celui-ci et puis un autre encore, qui cor-rigera le précédent... et ainsi de suite !

Nous avons déposé un certain nombre d’amendements desuppression. D’autres amendements tendront égalementà ouvrir d’autres voies que celle de la libéralisation totaledu marché de l’énergie. En effet, quel intérêt doit primer ?Celui des consommateurs français, ou celui des opéra-teurs privés, au nom de la sacro-sainte concurrence ?

Bref, nous essaierons, mes chers collègues, de vousconvaincre, tout au long de ces débats, du bien-fondé denos positions. Mais, comme l’affirmait un parlementaire, «une panne d’électricité laisse l’aveugle indifférent », et j’aibien peur qu’il en soit de même pour le Gouvernement.Mais, si vous deviez adopter ce texte tel quel, cherscollègues, ne l’appelez plus jamais NOME, baptisez-leDOME, comme « désorganisation du marché de l’électri-cité ».

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Madame la prési-dente, monsieurle secrétaire d’É-

tat, monsieur le prési-dent de la commission,monsieur le rapporteur,mes chers collègues, laprésente discussiongénérale nous a permisde constater qu’il étaitpossible de disserterpresque sans fin sur cequi s’est passé àBarcelone en 2002, mais notre collègue Roland Courteaua éloquemment apporté, sur ce point, les précisions quis’imposaient. La Commission européenne fronce le sourcilet la ligne de partage entre l’opposition et la majoritédevient très claire : ceux qui entendent répondre avec zèleet célérité aux injonctions européennes y voient l’occasion,au passage, de faire subir à EDF, au nom de l’ouverture àla concurrence, le même sort que celui qu’ont connuprécédemment La Poste, la SNCF et GDF, mettant ainsi àmal un service public à la française.

Or, d’une part, la concurrence paraît, à l’évidence, dange-reuse dès lors qu’elle porte, comme c’est ici le cas, sur unbien de première nécessité, non stockable et indispen-sable à notre économie ; d’autre part, miser sur la concur-rence au détriment de tout mécanisme régulateur revient àcasser l’ensemble des acquis d’un système énergétiquequi date de 1945 et que nous devons au Conseil nationalde la Résistance, système dont la spécificité n’est plus àdémontrer. De plus, la libéralisation du marché de l’éner-gie, telle qu’elle est envisagée dans ce texte, risque d’avoirde lourdes conséquences pour notre pays, par exemples’agissant de l’aménagement du territoire et de l’outilindustriel. L’idéologie, mes chers collègues, peut coûtertrès cher, car ce projet de loi, qui impose la concurrence,pourrait – ce n’est pas le moindre des paradoxes ! – fairebientôt flamber la facture d’électricité des ménages.

Même si, par ailleurs, un maintien des tarifs réglementésest prévu pour les particuliers, ces tarifs, au fur et à mesu-re de la discussion, ressemblent de plus en plus à un leur-re. À ce jour, le tarif réglementé reste très inférieur à lamoyenne des prix européens de l’électricité. C’est lacontrepartie du financement, par des fonds publics, du pro-gramme nucléaire : les usagers contribuables ont participéau financement des installations, bénéficiant en échangede la rente nucléaire, autrement dit d’une énergie moinscoûteuse à produire et représentant 83 % de l’électricitéproduite dans l’Hexagone.

Le scandale de ce projet de loi NOME réside donc dans lefait qu’il va transférer l’avantage de la rente nucléaire dontbénéficient les consommateurs aux fournisseurs d’éner-gie. Certains ont même parlé de hold-up ! En effet, d’aprèsle texte, EDF va devoir céder, pendant quinze ans, jusqu’à25 % de sa production à ses concurrents, à travers le dis-positif dénommé « accès régulé à l’électricité nucléaire his-torique ». Or, tout en maintenant les tarifs réglementés, letexte modifie leur mode de fixation en l’indexant sur le prixauquel les fournisseurs concurrents achèteront l’électricitéà EDF. Concrètement, si ce prix est élevé, les tarifs régle-mentés seront élevés eux aussi. Pour que les tarifs régle-mentés n’augmentent pas, il faudrait qu’EDF cède sa pro-duction à ses concurrents à un tarif bien inférieur à celuiqui a été évoqué, soit 42 euros par mégawattheure. Mais,dans ce cas, l’opérateur historique aurait bien du mal àtrouver les marges de manœuvre nécessaires pour inves-tir dans de nouveaux moyens de production.

Je serais donc tenté de dire qu’à ce moment-là le piège sesera refermé, sur EDF comme sur ses abonnés ! Si l’on faitune projection en se fondant sur la base des 42 euros évo-qués précédemment, les tarifs réglementés proposés auxconsommateurs domestiques et aux petits professionnelspourraient augmenter de 11,5 % dès le vote de la loi, puisde 3,5 % par an entre 2011 et 2025. Pour les entreprises,l’augmentation serait encore supérieure… Est-il nécessai-re de rappeler, au passage, que les tarifs ont déjà aug-menté de 3 % cet été ?

I n t e r v e n t i o n . . .Nouvelle organisation du marché de l’électricité

[NOME - Discussion générale]

par Jean-Jacques MIRASSOU, sénateur de la Haute-Garonne[séance du lundi 27 septembre 2010]

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Ce projet de loi, dans la continuité, entraînerait donc, defaçon mécanique, une explosion des tarifs. On a évoquétout à l’heure le risque de l’extinction des tarifs régle-mentés et, à terme, la perspective de la mise en place d’untarif social destiné à protéger les plus démunis. Mais, dansle contexte économique actuel, il serait irresponsable et,d’une certaine manière, indécent de faire l’impasse sur ceconstat au moment où, par le biais du bouclier fiscal, cer-tains foyers fiscaux reçoivent des sommes de deux à troiscent mille euros.

Je souhaiterais également évoquer la situation des instal-lations hydroélectriques, qui sont très nombreuses dans ledépartement que je représente. Ces dernières, qui bénéfi-ciaient, jusqu’à présent, d’un contrat d’achat garanti deleur production avec EDF, sont désormais dans un videréglementaire qui risque de leur nuire. L’avenir de nom-breuses petites entreprises et de leurs sous-traitants estmenacé. Nous attendons donc avec impatience les propo-sitions du Gouvernement et déposerons, en ce qui nousconcerne, un amendement à ce sujet.

Je ne saurais terminer mon propos sans évoquer, à l’appuide ma démonstration, un amendement « éclair » d’un éluUMP qui entendait privatiser la Compagnie nationale duRhône. Apparu comme une provocation, ledit amende-ment a finalement été retiré. Mais cet aller et retour met aujour, plus que les pensées, les arrière-pensées qui animentsans doute certains membres de la majorité. Et c’est bience qui nous inquiète…

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, meschers collègues, l’électricité est un bien de premièrenécessité et ce principe ne doit en aucun cas être remis encause au nom de la sacro-sainte loi de la concurrence !L’accès de tous à l’électricité doit être garanti. De notrepoint de vue, cela passe, bien évidemment, par une maî-trise des prix incompatible avec la dérégulation officialiséepar un texte qui, au passage, démantèle le service public.Au cours de ce débat, le groupe socialiste ne bradera passes responsabilités. Il présentera de nombreux amende-ments afin de tenter d’améliorer un texte qu’il considèredangereux pour l’avenir du patrimoine énergétiquefrançais.

En l’état, et parce qu’il tourne le dos à la conception del’intérêt général qui est la nôtre, ce texte nous paraît inac-ceptable !

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Madame la prési-dente, monsieurle secrétaire d’É-

tat, monsieur le prési-dent de la commission,monsieur le rapporteur,chers collègues, si leprojet de loi NOME dontnous abordons la discus-sion aujourd’hui poseplusieurs questions defond – elles ont suscitéd’ailleurs quelques étatsd’âme au sein de la majorité, lors des travaux en commis-sion -, il passe clairement à côté des enjeux essentiels.

Premièrement, après les lois de 2000, 2003, 2004, 2005 et2006, ce projet de loi est une nouvelle étape dans la des-truction de l’outil construit au sortir de la Seconde Guerremondiale, à l’époque où un certain général de Gaulle avaitlui-même compris que l’énergie n’est pas un bien commeles autres et que sa production, son transport et sa distri-bution relèvent du service public et non du marché livré àlui-même.

Ce projet de loi NOME constitue un nouvel avatar du para-digme néolibéral qui gangrène depuis trois décenniesnombre de cerveaux, une idéologie dont les effets désas-treux sur les plans financier, économique, social et envi-ronnemental défraient chaque jour la chronique N’endéplaise à ses promoteurs zélés, l’intérêt général n’est pasla somme des égoïsmes particuliers !

Adam Smith lui-même, le père du libéralisme économique,estimait qu’il est des domaines où l’État doit se substituerà la « main invisible » du marché. Il en est évidemmentainsi de l’énergie, bien stratégique qui ne peut en aucuncas être appréhendé avec les approches spéculatives etde court terme qui sont celles des opérateurs privés, obnu-bilés par la recherche du profit immédiat !

Deuxièmement, pour nos concitoyens, la disposition quiobligera EDF à céder contractuellement à ses concurrents25 % de sa production nucléaire, avec pour conséquencela hausse programmée du prix de l’électricité – tous lesacteurs industriels l’ont déjà provisionnée – apparaît àjuste titre comme une véritable usine à gaz. Cette usine àgaz, la NOME, est le reflet de la fracture grandissante quitraverse la majorité – du reste fort peu nombreuse aujour-d’hui -, divisée entre des gaullistes attachés à un secteurnucléaire étatisé et des libéraux tout aussi adeptes de laproduction nucléaire, mais qui continuent de ne jurerenvers et contre tout que par la sacro-sainte loi du marché.Bonjour le grand écart !

Troisièmement, la disposition selon laquelle la cession decourant nucléaire aux opérateurs privés se fera à prix coû-tant, c’est-à-dire au prix de revient, laisse pour le moinsperplexe. Je crois qu’il faut en finir avec le mythe selonlequel le courant nucléaire serait le plus rentable. C’estdevenu un secret de polichinelle : le prix du courantnucléaire affiché aujourd’hui a beau être inférieur à celuide la plupart de nos voisins européens, moins nucléarisés,il n’internalise pas un certain nombre de coûts qui seront,pour l’essentiel, reportés sur les générations futures.

Il s’agit principalement du coût de traitement des déchetsnucléaires, dont les filières s’évaporent à l’étranger,notamment en Russie, et de celui du démantèlement descentrales en fin de vie. À cet égard, force est de constaterque, dans le monde entier, aucun site de centrale nucléai-re définitivement arrêtée n’a été traité. Three Mile Island etTchernobyl ont implosé ; quant aux autres, ils sont deve-nus des sites dangereux, interdits d’accès et fortementsurveillés. Mais nulle part la technologie du démantèle-ment et du traitement n’a été développée.

Il en résulte que les provisions affichées à cet effet nereposent sur rien de tangible. EDF préfère pratiquerl’acharnement thérapeutique, notamment sur des cen-trales manifestement obsolètes, comme celle de

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[NOME - Discussion générale]

par Jacques MULLER, sénateur du Haut-Rhin[séance du lundi 27 septembre 2010]

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Fessenheim, en Alsace, le premier prototype PWR deFrance, qui se distingue par un nombre de pannes quatrefois supérieur à la moyenne des pannes constatées surl’ensemble du parc nucléaire français !

Il s’agit donc d’éviter d’ouvrir la boîte de Pandore, de peurd’être confronté à la vérité des prix... Voilà une posture quel’on peut évidemment mettre en parallèle avec les diffi-cultés que rencontre actuellement le programme EPR,alors que le Gouvernement fait de la relance du nucléairesa priorité en termes de politique énergétique !

Enfin, quatrièmement, ce projet de loi se distingue par uneomission tout à fait emblématique du désormais célèbreadage présidentiel : « L’environnement, ça commence àbien faire ! ». Dans le cadre d’une loi NOME, on ne pouvaitpas éluder la question centrale de la tarification, actuelle-ment fortement dégressive, donc antisociale et anti-écolo-gique : plus on consomme, moins on paie !...

Un tel dispositif, qui pénalise les ménages les plusmodestes vivant dans des appartements mal isolés etchauffés à l’électricité, ne peut que contribuer à la préca-rité énergétique. De surcroît, il encourage la voracité et legaspillage énergétiques, qui se voient aujourd’hui institu-tionnalisés. Une loi NOME effective aurait dû introduireune tarification nouvelle qui récompense la vertu écolo-gique et sociale...

Or telle n’est manifestement pas la priorité de la majoritéprésidentielle. Seule compte la libéralisation du marché del’électricité au profit des grands groupes industriels etfinanciers du secteur privé !

Cela dit, nous avons déposé quatre amendements des-tinés à stimuler les économies d’énergie et le développe-ment des énergies renouvelables. Nous espérons, mon-sieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, qu’ilsseront intégrés dans la loi. Ce serait bien le minimum mini-morum pour un texte dont l’ambition affichée est la réor-ganisation du marché de l’électricité !

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Monsieur le prési-dent, monsieurle secrétaire d’É-

tat, monsieur le prési-dent de la commissionde l’économie, monsieurle rapporteur, permettez-moi tout d’abord dem’associer à laremarque qui vient d’êtrefaite par notre collèguedu groupe CRC-SPG. Jeconsidère que le dérapage d’hier soir n’est pas digne dutexte qui nous occupe et de l’intérêt de nos concitoyens,tout particulièrement des consommateurs d’électricité.

Le projet de loi portant nouvelle organisation du marché del’électricité qui nous est soumis, dit « projet de loi NOME »,prétend établir « de force » un marché artificiel de l’électri-cité que les six lois précédentes – j’y reviendrai tout àl’heure – n’ont pas réussi à établir « de gré ». Vous saveztous comme moi que, malgré l’ouverture du marché de l’é-lectricité depuis le 1er juillet 2007, conformément à ladirective européenne de 2003, EDF continue de bénéficierd’un quasi-monopole de fait de 95 % du marché.

Je voudrais d’emblée corriger les quelques erreurs que j’airelevées, la nuit dernière, dans les interventions deM. Marini et de M. le secrétaire d’État. Je m’inquiète, mon-sieur le secrétaire d’État, que vous ayez déjà, à votre âge,une mémoire si sélective. Je me permettrai de rappelerquelques faits historiques concernant l’élaboration desdirectives européennes et les auteurs de l’ouverture dumarché de l’électricité, tout particulièrement à la concur-rence.

L’idée d’une dérégulation du marché de l’énergie par uneprivatisation des entreprises de ce secteur a commencé àêtre pensée au plan politique lors du contre-choc pétrolierde 1985.

À la suite du renchérissement du coût du baril en 1973 eten 1979, comme je l’avais souligné lors de l’examen dedifférentes lois sur l’énergie, l’État français a courageuse-ment renforcé son emprise sur ce secteur par une politiquevolontariste visant à garantir l’indépendance énergétiquede notre pays et une électricité à faible coût pour leconsommateur.

Le secteur de l’énergie devient alors un domaine surlequel la souveraineté de l’État s’exerce pleinement – jecomprends que cela gêne quelque peu les libéraux – jus-qu’à devenir une question de défense nationale, au sensoù l’entendait l’ordonnance de 1959 à présent obsolète, aumoins du point de vue de l’approvisionnement énergé-tique. C’est donc l’état du marché qui va inciter les libérauxà remettre en avant la réforme. Le début des années deuxmille est marqué par une inversion totale de conjoncture :on grimpe de nouveau l’escalier des prix, sur fond d’iné-galités sociales et territoriales croissantes ; le droit de laconcurrence est devenu le pied-de-biche utilisé par laCommission pour fracturer la porte fermée des politiquesénergétiques nationales.

Pourtant, il est des précédents catastrophiques à éviter.Les cas de la Suède et de la Grande-Bretagne ont étébrillamment évoqués par notre collègue Roland Courteauhier soir, je n’y reviendrai pas. La Suisse, qui a mis enœuvre une libéralisation de son marché de l’électricité – loifédérale du 1er janvier 2008 – a vu le prix de l’électricitébondir de 25 %. La Belgique – qui fait quelquefois la unedes journaux pour d’autres raisons – a fait ce choix en2004. Or un récent rapport du mois d’août 2010 de laCommission de régulation de l’électricité et du gaz belge,la CREG, le régulateur du marché, démontre la fin de l’é-galité des tarifs selon que l’on réside en Flandre ou enWallonie. Le prix de l’électricité a bondi entre 2003 et 2008de 35 % à 55 %, alors que celui du gaz, durant cette mêmepériode, a augmenté entre 50 % et 90 %. La Californie –cas que vous connaissez très bien, monsieur le rapporteur– a décidé le démantèlement des opérateurs concentrésverticalement en trois activités distinctes, la création d’un

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Question préalable

par Daniel RAOUL, sénateur du Maine-et-Loire[séance du mardi 28 septembre 2010]

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marché « spot », autrement dit d’un marché au jour le jour,l’interdiction des contrats de long terme bilatéraux et lagarantie d’un prix maximum pour les consommateurs –toujours dans une optique de baisse de prix. Cette expé-rience malheureuse s’est traduite par le passage du prixdu mégawattheure de 30 dollars en décembre 1999 à 377dollars en décembre 2000 ! Vous comprenez dès lors laposition du gouverneur de cet État ainsi que sa volonté deréguler et de réglementer ce secteur.

Je ferai à présent un bref rappel des étapes de la dérégu-lation du marché de l’énergie.

C’est à partir de 1996 que la libéralisation du marché del’énergie prend son envol. Le 20 juin 1996, le Conseiladopte une position commune sur la première directive «électricité » ; le gouvernement d’Alain Juppé signe la pre-mière directive ouvrant à la concurrence le secteur de l’é-lectricité. Elle sera adoptée par le Parlement européen endécembre 1996. Elle prévoit d’ouvrir le marché à une par-tie des clients industriels en fixant un seuil d’éligibilité à 9gigawatts pour 2003, ce qui représente une ouverture dumarché de l’ordre de 30 %. Sont alors exclus du processusde libéralisation une partie des clients industriels, maisaussi les collectivités locales et, surtout, les petits consom-mateurs, au premier rang desquels les ménages. Parailleurs, la transposition en France sera effectuée dans laloi du 10 février 2000 par un gouvernement qui, face à uneinjonction, une menace de procédure, a pris ses respon-sabilités par une transposition a minima, ce que votremajorité, monsieur le rapporteur, nous avait à l’époquereproché. Après 2002, de retour au gouvernement, la droi-te n’a cessé de légiférer sur les secteurs énergétiques.Parmi les six grandes lois relatives au secteur énergétique,trois ont profondément modifié l’organisation de ce secteuren libéralisant les activités d’électricité et de gaz. La loi du3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électri-cité et au service public de l’énergie, déposée en sep-tembre 2002 par MM. Raffarin et Mer, déclarée d’urgence,est beaucoup plus libérale et va bien au-delà de ce que ladirective exigeait ; elle modifie amplement la loi de février2000 et porte sur les marchés alors que la loi adoptée sousle gouvernement de M. Jospin portait sur la modernisationdu service public. C’est bien là que nous divergeons, entrel’intérêt des consommateurs et celui des actionnaires !

La loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électri-cité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières,signée de MM. Raffarin et Sarkozy, toujours déclarée d’ur-

gence, a prévu une ouverture du capital d’EDF et de Gazde France de 30 %, l’abandon du statut d’établissementpublic à caractère industriel ou commercial et la transfor-mation des deux entreprises en sociétés anonymes. Je mepermets de vous rappeler l’engagement d’un certainministre, à l’époque, concernant la garantie que l’ouvertu-re du capital ne dépasserait pas 30 %. Nous avons vu cequ’il en est à propos de Gaz de France !

Enfin, la loi du 7 décembre 2006 – sur laquelle nous avionslonguement ferraillé avec Roland Courteau –, dite « loiVillepin-Breton », est une transposition de directiveeuropéenne ; elle entérine l’ouverture totale à la concur-rence du secteur énergétique au 1er juillet 2007, doncpour les ménages.

À cet égard, je vous rappelle les propos de JacquesChirac, alors président de la République, lors de la confé-rence de presse donnée à l’issue du Conseil européen deBarcelone : « Alors, nous avons naturellement acceptéd’ouvrir le marché de l’électricité aux entreprises, parcequ’il est normal que les entreprises puissent faire jouer laconcurrence. Mais il n’était pas de notre point de vueadmissible, acceptable d’aller plus loin et, donc, c’est bienla solution que nous souhaitions qui a été reconnue dansles conclusions […] ». Il s’agissait, en fait, dans les conclu-sions, d’avoir une directive sur les SIEG, les servicesd’intérêt économique général. Il n’empêche que, six moisplus tard, le 25 novembre 2002, Mme Fontaine a accepté,lors d’un conseil « énergie », qu’une date finale soit fixéepour l’achèvement du marché intérieur de l’électricité, sanspour autant qu’il soit question d’une directive-cadre sur lesSIEG. Comment pourrions-nous donc vous croire, mon-sieur le secrétaire d’État ? Les engagements pris par unministre concernant le capital de Gaz de France, la décla-ration du président Chirac : tout cela est passé auxoubliettes ! Ce sont en fait des actes de foi que vous nousdemandez, monsieur le rapporteur, même si vous nousdonnez des informations sur ce texte.

Compte tenu de notre expérience, vous nous permettrezdonc d’avoir quelques doutes !

Ces grandes lois ont progressivement libéralisé le secteurde l’énergie en l’ouvrant à la concurrence, sur fond detransposition de directives européennes. Elles ont égale-ment été l’occasion pour le Gouvernement de remettre encause le statut des entreprises publiques, ce qui n’a jamaisfait partie des exigences de Bruxelles.

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Cette dérégulation affaiblit l’Europe et les États. À aucunmoment, la question de l’intérêt général ou d’un servicepublic, même sous la forme d’un SIEG, n’a été évoquée.Dorénavant, elle ne peut plus l’être. Nous sommes là bienloin de l’esprit des fondateurs de l’Europe au moment de lacréation de la Communauté européenne du charbon et del’acier. Or, quand on voit ce qui s’est passé d’un point devue géopolitique entre la Russie et l’Ukraine en matière degaz, on peut légitimement s’interroger.

Le paradoxe est que cette dérégulation a été pensée dansles années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, lors d’uneséquence où les prix étaient bas et où l’approvisionnementn’était pas menacé. D’un point de vue géopolitique, entermes d’environnement comme de marché d’ailleurs,cette ouverture s’effectue à contre-cycle. Elle va à l’en-contre des intérêts des États européens, de l’Europe, etsurtout des consommateurs. Cette dérégulation pénalise-ra les Français. Il s’agit en fait d’une véritable spoliation !En effet, EDF est une propriété qui a été payée par lesusagers, sans financement public. Aujourd’hui, monsieurle secrétaire d’État, vous bradez cette entreprise, quiappartient aux consommateurs. Force est de reconnaîtreque, actuellement, les consommateurs français bénéfi-cient d’un faible prix de l’énergie, en raison, d’une part,d’un parc naturel important et, d’autre part, d’une régle-mentation des tarifs permettant la répartition de la rentenucléaire.

À vous croire, la déréglementation et l’accroissement de laconcurrence contribueraient à créer de fortes tensions surles prix et conduiraient à un alignement tendanciel sur lesprix fixés par le marché. Il n’en demeure pas moins quec’est en amont que vous auriez dû agir en refusant l’ou-verture totale du marché de l’énergie et en faisant en sortequ’elle ne concerne pas les ménages.

Le Gouvernement devrait maintenant avoir le courage derenégocier – il ne serait pas le seul des Vingt-sept à rené-gocier les directives européennes – et de revenir sur l’ap-probation par Mme Fontaine de l’ouverture totale du mar-ché énergétique à la concurrence, mais le Gouvernementen a-t-il réellement la volonté ?

J’en doute fortement, même si le discours sur le pouvoird’achat – que n’a-t-on entendu en 2007 ! – se focaliseessentiellement sur la baisse des prix. L’ouverture totale àla concurrence est une double peine sanctionnant lesménages.

Ceux-ci font face à une véritable entreprise de spoliationen ce sens qu’EDF a bénéficié durant des décennies deressources publiques émanant des consommateurs afind’assurer la pérennité du réseau et du parc électronucléai-re que le gouvernement de Pierre Messmer avait eu lecourage de mettre en place. Non seulement ils se voientconfisquer cette contrepartie, mais, en outre, ils sont assu-jettis aux lois du marché. En conséquence, ils vont faireface à une augmentation importante des tarifs d’électricité.

Vous avez rappelé que nous étions sous la pression dedeux procédures. Or – j’ai rappelé les dates –, qui a prisles décisions, qui les a avalisées lors des conseils « éner-gie » ? C’est vous qui avez procédé à la libéralisation dumarché de l’électricité, nous n’allons tout de même pasvous plaindre. Ce serait un comble ! Nul ne peut se préva-loir de sa propre turpitude ! Vous devriez au contraire rené-gocier tout ce qui a été signé en décembre 2002.

Et je ne parle pas de l’accord entre M. Fillon et Mme Kroes.Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Mme Lagarde,Bruxelles vous a transmis un virus appelé TOC : vous avezété contaminés par le trouble obsessionnel de la concur-rence !

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes cherscollègues, je vous demande de voter la motion tendant àopposer la question préalable, en considérant que le dis-positif de l’ARENH, l’accès régulé à l’électricité nucléairehistorique, en particulier la clause de destination, risque –M. le rapporteur le sait pertinemment – de soulever defuturs contentieux juridiques communautaires. C’est unefragilité considérable. Globalement, nous considérons quece projet de loi porte atteinte à notre service public, à notreindépendance et à notre sécurité énergétique.

Enfin, nous pensons que la nouvelle étape de la libéralisa-tion du secteur de l’énergie prévue dans le projet de loi quinous est soumis aujourd'hui porte un coup fatal au tarifréglementé. Vous le savez très bien, et c’est d’ailleurs ceque vous cherchez !

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Monsieur le prési-dent, monsieurle secrétaire d'É-

tat, mes chers collègues,nous avons déposé laprésente motion tendantau renvoi à la commis-sion pour trois raisonse s s e n t i e l l e s .Premièrement, le projetde loi qui nous est sou-mis constitue une remiseen cause du pactenucléaire. Mes chers collègues, il ne s’agit pas d’uneouverture à la concurrence comme les autres. Dans unpays, deux indépendances sont indispensables : l’indé-pendance alimentaire et l’indépendance énergétique. Or letexte que nous examinons aujourd'hui est très lourd deconséquences, comme je vais m’efforcer de vous le mon-trer.

Les Français ont conclu ce pacte, et ils ont accepté lenucléaire en échange de tarifs bas et d’investissements enfaveur de la sûreté et de la sécurité des approvisionne-ments. Aujourd’hui, non seulement le pacte est rompu,mais on spolie l’opérateur public !

Imaginez que l’on fasse de même pour Total. J’entendsdéjà ce que diraient nos collègues sur certaines travées :« Vous vous rendez compte ? Total, cette grandesociété ! » Or on s’apprête aujourd'hui à brader le grandopérateur public !

Ne nous leurrons pas. Derrière ce projet de loi – je penseque M. le rapporteur a été suffisamment explicite tout àl’heure –, il y a la volonté d’envisager des prises de parti-cipation privée supplémentaires dans des centrales exis-tantes et nouvelles, ce qui commande un débat encoreplus clair.

Certes, nous commençons la discussion par la fin, par cequi vient d’être évoqué par M. le rapporteur. Il serait tout demême normal que la commission puisse retenir un telangle de changement programmé de structure de finance-ment du nucléaire pour en débattre maintenant plutôtqu’en 2015.

Deuxièmement, nous nous interrogeons au plus haut pointsur l’accord Kroes-Fillon, qui a préfiguré le projet de loi.Était-ce le meilleur accord possible ? Hier, M. le rapporteurnous a appelés à nous montrer « raisonnables », arguantque notre pays n’avait pas le choix et était bien obligé desuivre les injonctions de la Commission européenne. Pourma part, j’aimerais bien que l’on mette autant d’ardeur àsuivre les injonctions du Parlement européen sur lesRoms… Sur ce sujet, on défie la Commission européenneet le Parlement européen ; je préférerais qu’on le fasse àpropos de l’énergie.

Je vais vous expliquer pourquoi. Est-il raisonnable demettre en cause l’accord Kroes-Fillon ? Je signale déjàque cet accord est intervenu en pleine crise financière, laprocédure datant de 2007 et la commission Champsaurayant mené ses travaux en 2008. Vous le savez, il y atexte et contexte. Et l’on est en droit de se demander sinous avons le meilleur texte dans ce contexte précis ! Lalettre tue et l’esprit vivifie.

Mes chers collègues, après la crise extraordinaire quenous avons vécue, une crise financière qui a fait tremblerl’ensemble de la planète, nous étions en droit d’attendreun autre accord sur la question de l’énergie !

Nous étions en droit de nous demander si le néolibéralismeéchevelé que nous connaissons aujourd'hui est bien lemeilleur système pour garantir l’indépendance énergétique.Souvenez-vous des déclarations que nous avons entenduesà l’époque sur le « capitalisme sauvage » ! Et, pourtant, onnous présente ce texte-là !

I n t e r v e n t i o n . . .Nouvelle organisation du marché de l’électricité

Demande de renvoi à la Commission

par Martial BOURQUIN, sénateur du Doubs[séance du mardi 28 septembre 2010]

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Notre intention est non pas de chercher des « crosses » –même si le projet de loi résulte d’un accord entre M. lePremier ministre et Mme Kroes – au Gouvernement, maisd’essayer de comprendre ce qui se passe et de tirer la son-nette d’alarme sur les risques encourus.

Mes chers collègues, nous vivons une crise très importante.Actuellement, 4,2 millions de nos concitoyens – j’insiste surce chiffre – sont inscrits à Pôle emploi. C’est sur les consé-quences d’une pauvreté de plus en plus importante que noustirons la sonnette d’alarme. Dans ces conditions, est-il rai-sonnable d’ouvrir la voie à une augmentation du coût de l’é-nergie de 10 % ?

Troisièmement, et ce sera l’essentiel de mon argumentation,dans sa rédaction actuelle, le projet de loi mésestime demanière flagrante, me semble-t-il, les conséquences écono-miques de la nouvelle organisation proposée. Il est fondé surune étude d’impact qui, à mon avis, contient plus d’impactque d’étude…

Ce texte aura des conséquences sur les prix et sur l’investis-sement. Vous le savez bien, la bataille de la concurrence nepeut pas être menée en même temps que celle de l’investis-sement ; il va y avoir de gros dégâts sur des activités et surdes bassins d’emplois industriels.

Je citerai un exemple. Thierry Repentin, Élisabeth Lamure etmoi-même étions à Saint-Jean-de-Maurienne voilà quelquesjours. Nous avons rencontré une dizaine d’industriels, et tousnous ont indiqué qu’une augmentation du coût de l’électricitéserait perçue par certaines entreprises comme une incitationà délocaliser. Après cela, aurons-nous encore une filière alu-minium ? Je ne le pense pas. D’ailleurs, le responsable deRio Tinto le disait lui-même. Aurons-nous une filière silicium,afin que les panneaux photovoltaïques installés sur les toitsfrançais ne viennent pas tous de Chine ou d’Allemagne ?Aurons-nous nos propres panneaux photovoltaïques parceque nous aurons notre propre silicium ? Car c’est bien en cestermes que se pose le problème lié à la nouvelle hausse duprix de l’énergie ! Nous risquons de ne plus avoir de filièresolaire. Ce sont toutes ces questions qui sont au cœur dudébat économique. Or, au moment où nous voulons nousdoter d’une politique industrielle, nous évacuons tous cessujets avec une facilité déconcertante.

Dans les débats sur la « compétitivité », on évoque souvent,trop souvent à mon goût, le coût du travail. Mais on ne parlejamais du coût de l’énergie !

Or si la France attire encore beaucoup de capitaux – notrepays est la première destination pour les investissements àl’étranger –, c’est aussi en raison du coût de l’énergie. Et lesujet est très peu abordé, voire complètement occulté.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez fait un très brefcours sur l’histoire du libéralisme et du communisme. Il fau-drait tout de même se souvenir que cette histoire s’estarrêtée avec l’effondrement du mur de Berlin. Et si l’on veutfaire de l’histoire, il ne faut jamais oublier que nous devonsnotre indépendance énergétique au Conseil national de laRésistance ! On a parlé de Marcel Paul ; il faudrait égalementévoquer Charles de Gaulle !

À un moment donné, un consensus est apparu entre lagauche et la droite en faveur de l’indépendance énergétique.Et vous vous apprêtez – je m’adresse aussi à des gaullistesqui, en d’autres temps, ont défendu cette indépendance – àbrader cet héritage en adoptant le projet de loi en l’état ! Meschers collègues, je suis parfois un peu stupéfait d’entendredes intervenants affirmer de manière systématique que laconcurrence serait le seul moyen de moderniser notre éco-nomie, le seul remède à une situation donnée.

Je pense que nous avons la chance d’avoir l’excellence enmatière énergétique. On nous envie EDF ! Notre politiqueénergétique est un modèle pour l’Europe entière ! Certes, il ya eu des négociations avec la Commission européenne, maisje pense que nous avons été battus en rase campagne et quele gouvernement français a baissé pavillon. Au final, le résul-tat des négociations est tout à fait déplorable pour notre éco-nomie et notre pays.

Mes chers collègues, je vous demande de prendre en comp-te la question fondamentale de la compétitivité de notre éco-nomie, en l’abordant sous l’angle du coût de l’énergie. Il y aau moins deux raisons de rejeter le présent projet de loi.D’une part, le dispositif proposé aboutira à une exceptionnel-le augmentation des coûts de l’énergie. Celles et ceux qui ontopté pour des fournisseurs indépendants ont parfois vu leurfacture énergétique augmenter de 30 % à 40 % ; c’est le casd’un hôpital public de mon département. Cela doit servir deleçon !

Songeons aux responsables d’entreprises qui tirent la son-nette d’alarme ! La semaine dernière, plusieurs d’entre euxnous ont recommandé d’être extrêmement vigilants sur leprojet de loi NOME, soulignant qu’un renchérissement ducoût de l’énergie pourrait porter un coup fatal à la compétiti-vité de l’économie française.

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Ne nous plaignons pas, après de telles décisions, qu’il y aitdes délocalisations en chaîne ! Ne demandez pas toujoursaux mêmes, celles et ceux qui paient beaucoup, d’assumerles frais d’une politique aussi incohérente ! Car je sais bien cequi se passera : un jour ou l’autre, au nom de la compétitivité,on demandera encore aux mêmes de travailler plus pourgagner moins !

Telle est, mes chers collègues, la première justification de laprésente motion tendant au renvoi à la commission. Je penseque nous n’avons pas été suffisamment informés sur l’accordintervenu entre Mme Kroes et M. le Premier ministre ; la com-mission des affaires européennes et la commission de l’éco-nomie auraient dû être saisies et débattre des conséquencesde cet accord bien avant l’examen du présent projet de loi !

D’autre part, nous aurions également dû avoir – c’est absolu-ment indispensable – une réflexion, via une véritable étuded’impact, sur les effets qu’aura la loi NOME sur notre écono-mie.

Je pense à celles et à ceux qui travaillent dur, qui se lèventtôt, qui ont des conditions de vie et de travail difficiles. Jepense à cette pauvreté qui s’étend dans nos villes, dans nosvillages. À mon sens, ils méritent mieux qu’une augmentationexponentielle des coûts de l’énergie ; ce sont déjà eux qui ontpayé les centrales et assuré le financement de cette filièreénergétique.

C’est pourquoi nous souhaitons que le projet de loi soit ren-voyé en commission. Ce texte est funeste pour l’économie,funeste pour les ménages. Il faut recommencer le travaildepuis le début !

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Monsieur le prési-dent, madame lasecrétaire d’É-

tat, monsieur le rappor-teur, mes cherscollègues, à l’issue denos débats au demeu-rant fort courtois, forceest de constater que laloi NOME instaure uneusine à gaz, objective-ment kafkaïenne, dont ilressort in fine que l’onfait un pas de plus endirection de l’abandon au secteur privé de la gestion d’unbien pourtant essentiel et stratégique, l’électricité, aveccomme première conséquence une hausse à court termede 12 % de son prix, préjudiciable aux entreprises et auxménages, particulièrement les plus modestes qui chauf-fent leurs logements mal isolés à l’électricité.

La discussion a cependant permis de mettre sur la placepublique les défis colossaux sur le plan financier pour EDFentraînés par la décision de prolonger de vingt ans ladurée de vie du parc nucléaire – 35 milliards d’euros àtrouver rapidement – dans la perspective de son renouvel-lement estimé par le président Proglio à plus de 230 mil-liards d’euros, sans compter l’explosion du coût du déve-loppement de l’EPR : on comprend ses inquiétudes quantau prix de cession du courant nucléaire à ses concur-rents…

Ainsi la filière électronucléaire française apparaît-elledésormais comme un colosse aux pieds d’argile, essen-tiellement pour deux raisons. D’une part, elle dépend fon-damentalement de gisements fossiles limités et situésdans des zones sensibles : les drames récents au Nigerviennent démontrer combien l’indépendance énergétiquede la France grâce au nucléaire n’est finalement qu’unmythe !

D’autre part, elle est entrée dans un goulet d’étranglementfinancier parce que le parc est vieillissant et que les straté-gies de long terme qui s’imposent ne sont plus de misedans une économie financiarisée où les actionnaires exi-gent des retours de dividendes rapides !

Nous connaissons tous la fameuse injonction : « Boire ouconduire, il faut choisir ! ». Il en est de même en termes destratégie de production électrique : « nucléaire ou renou-velable, il faut choisir », tout simplement parce que noscapacités d’investissement ne sont pas illimitées et que lafilière nucléaire est l’industrie la plus gourmande en capi-tal.

Le couperet est tombé. Rappelons trois décisions emblé-matiques. En adoptant l'amendement n° 245 déposé parla majorité ouvrant la possibilité pour les grands groupesprivés de participer au financement des investissementscolossaux exigés dès aujourd’hui, le Sénat tente de conso-lider la filière nucléaire française, pourtant structurellementfragilisée.

Par contre, en refusant notre amendement n° 213 élargis-sant la possibilité pour des fournisseurs à vocation nonlucrative – notamment les sociétés d’économie mixte et lessociétés coopératives d’intérêt collectif – de bénéficier dela contribution au service public de l’électricité, la CSPE, leSénat refuse un dispositif qui permettait de stimuler ledéveloppement de la production d’énergie renouvelable.

De même, en refusant notre amendement n° 221 permet-tant de mettre à contribution les fournisseurs privés dansle cadre des plans départementaux destinés à lutter contrela précarité énergétique, le Sénat a démontré qu’il préféraitménager le secteur privé plutôt que de le mobiliser pouréconomiser l’énergie et se donner les moyens nécessairespour isoler les logements des familles les plus pauvres.

Pour conclure, je considère que les affirmations ex cathe-dra de M. Apparu concernant le prix de revient du courantnucléaire ne manquent pas de culot.

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Explication de vote sur l’ensemble du texte

par Jacques MULLER, sénateur du Haut-Rhin[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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En effet, les provisions affichées pour le traitement desdéchets, le démantèlement des centrales en fin de vie et letraitement de ces sites gravement pollués relèvent pure-ment et simplement du dumping environnemental : entémoigne le scandaleux moratoire de cinq ans portant surl’abondement par EDF aux fonds dédiés au traitement desdéchets nucléaires, comme si le problème était réglé !

Alors, tentative de ménager le système électronucléairefrançais dans le cadre d’une libéralisation du marché del’électricité, privilèges octroyés aux opérateurs privés,immobilisme coupable en termes d’économies d’énergie,de promotion des énergies renouvelables et de lutte contrela précarité énergétique… Nous votons contre cette loiNOME, qu’il faudra désormais appeler « Nouvelle opéra-tion mainmise sur l’électricité » au profit du secteur privé !

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La démonstrationest faite qu’à l’is-sue de nos débats,

très courtois pourreprendre la formule deJacques Muller, les exi-gences très libérales dela Commissioneuropéenne, faisant pri-mer la concurrence surtoute autre considéra-tion, ont offert une nou-velle fois un appui auGouvernement et à la majorité sénatoriale pour détricoterencore un peu plus notre système énergétique et pourrevenir sur les acquis du mode de régulation mis en placedepuis 1946.

Les spécificités du secteur de l’électricité ne sont pourtantpas compatibles avec les mécanismes concurrentiels,nous l’avons dit et répété. La recherche de la concurrenceà tout prix est néanmoins devenue une fin en soi, à telpoint que, à défaut de pouvoir la faire émerger en France,il vous faut la créer de façon factice, quitte d’ailleurs à affai-blir un système qui donne entière satisfaction depuis desdécennies et que le monde entier nous envie.

Pourtant, l’ouverture à la concurrence, ça ne marche pas.Plusieurs ministres, des États membres de l’Unioneuropéenne, l’ont reconnu, encore récemment, au coursd’un Conseil des ministres de l’énergie. Démonstration estfaite, une fois encore, que ce texte constitue bien une éniè-me étape du mouvement de libéralisation.

La politique énergétique, telle que nous sommes en trainde la subir depuis maintenant huit ans, n’est que bonds enarrière successifs déguisés en symboles de modernité.C’est la revanche sur les acquis de 1946, où la Franceavait justement tiré toutes les leçons d’un passé confié aux

compagnies privées de l’eau et de l’éclairage.

Aujourd’hui, nous assistons à la montée en puissance d’é-normes intérêts privés et la loi NOME, je l’ai déjà dit, est,pour l’instant, le dernier avatar d’un processus délétère.

Ce texte se traduira bien par l’augmentation des prix, et cequoi que vous nous disiez. Nous l’avons démontré et vousne nous avez pas convaincus du contraire.

Ce texte, quoi que vous nous disiez, va compromettre lesinvestissements de production en électricité. Nous enavons fait la démonstration et, là encore, vous ne nousavez pas convaincus du contraire.

Ce texte est par ailleurs ambigu : soit le dispositif mis enplace constitue ce que l’on appelle une clause de destina-tion, et il risque de subir les foudres de Bruxelles ; soit,comme vous l’affirmez, il n’y a pas de clause de destina-tion et rien n’oblige alors le fournisseur à destiner l’électri-cité bon marché qu’il obtient aux consommateurs français.Dans ce cas, cela signifie clairement que le fournisseurayant accès à l’ARENH pourra vendre son électricité sur lemarché de gros, et à des clients hors de France voire horsde l’Union européenne. Merci pour les consommateursfrançais, qui, eux, subiront nombre d’inconvénients liés àla production de l’électricité sans bénéficier complètementdes prix compétitifs !

Dans un cas comme dans l’autre, c’est le piège danslequel tout le monde est tombé. Au final, ce texte n’est pasbon ; il est même dangereux. Nous savons désormais, àl’issue de ces quatre jours et trois nuits de débat, que, s’ilreste en l’état, il n’y aura pas que des gagnants, contraire-ment à ce qu’affirme d’une manière aveuglément optimis-te l’étude d’impact du Gouvernement.

Les perdants seront les consommateurs français, petits etgros. Les gagnants seront les fournisseurs privés, petits etgros.

I n t e r v e n t i o n . . .Nouvelle organisation du marché de l’électricité

Explication de vote sur l’ensemble du texte

par Roland COURTEAU, sénateur de l’Aude[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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En fait, par la grâce de la loi NOME, la rente nucléaire pas-sera en partie de la poche des consommateurs dans celledes fournisseurs d’électricité privés… Et tout cela au nomde l’ouverture à la concurrence et de la libéralisation. Beaurésultat que voilà ! Et nous qui pensions que l’Unioneuropéenne s’était construite autour d’une priorité princi-pale : l’intérêt du consommateur !

D’ailleurs, le rapport Monti, que j’ai cité tout à l’heure, estparfaitement clair sur ce point.

Voilà l’un des résultats de la propagation de ce que l’onappelle souvent l’idéologie libérale !

Ce résultat, vous pouvez le constater : les conséquenceséconomiques, environnementales, sociales démontrentque partout où cette politique a été appliquée il y a euéchec. Or, nous, en France, nous allons persister danscette voie, alors que nombre de pays commencent à fairemarche arrière.

Non, ce texte n’est pas bon ! Il n’est bon ni pour le pouvoird’achat des ménages ni pour les industriels. Il n’est bonnon plus ni pour l’attractivité de notre pays ni pour lesinvestissements dans la production électrique. De plus, laFrance s’expose à un risque de dysfonctionnement et dedéfaillance de son système électrique.

Pour notre part, nous sommes plus inquiets encore quenous ne l’étions sur le risque de privatisation rampante dunucléaire.

Nous avons essayé de vous convaincre en vous propo-sant, par voie d’amendements, une autre solution, uneautre direction, certes aux antipodes de la nouvelle étapede libéralisation que vous mettez en œuvre.

Bref, nul ne sera étonné que nous votions contre ce projetde loi, même si, je l’ai noté, quelques amendements dugroupe socialiste ont été adoptés, monsieur le rapporteur.

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Monsieur le prési-dent, madame laministre, mes

chers collègues, deuxans après la disparitionde la banque d’affairesLehman Brothers, nousdevons nous prononcersur un projet de loiannoncé et attendu,puisqu’il a été présentéen conseil des ministresle 16 décembre 2009.Après avoir reçu le soutien de la Nation, les banques ontremboursé dans leur quasi-totalité les sommes qui leuravaient été prêtées. Elles ont passé haut la main l’épreu-ve, pas trop difficile il est vrai, des stress tests et la finali-sation de Bâle III a été saluée par un rebond de la bourse.Pendant ce temps-là, bonus, stock options et dividendessont toujours d’actualité. On serait donc tenté de conclureque rien n’a changé.

Rien ? Pas tout à fait ! L’Union européenne se dote d’ins-titutions de supervision financière ; les G20, surtout celuide Londres, ont entamé la bataille contre les paradis fis-caux, ou ont tout au moins ouvert un chemin en ce sens ;les États-Unis ont adopté, en juillet 2010, la loi Dodd-Frankqui, malgré ses limites, tourne le dos à la période de ladérégulation, quand elle n’amorce pas une franche ruptu-re. Mais le temps des marchés n’est pas celui de la démo-cratie, et les marchés, il faut bien le dire, ont repris l’avan-tage sur la démocratie, sur la puissance publique.

Dans une phase que l’on pourra sans doute qualifier, auregard de l’histoire, de « grand tournant », la vraie ques-tion qui se pose est de savoir si nous sommes à la hauteurde la responsabilité qui est la nôtre. Il est permis d’en dou-ter.

On ne peut durablement se réfugier dans l’attente d’ac-cords mondiaux toujours hypothétiques ou de décisionseuropéennes pour s’exonérer ainsi de toute action auniveau national, comme je l’ai dit tout à l’heure au cours denotre débat sur les paradis fiscaux, mais j’y reviendrai.

Si nous refusions d’agir au niveau national, ce serait àcoup sûr la meilleure façon de ne pas peser sur les choixeuropéens, comme sur les choix mondiaux. Or l’échelleeuropéenne est bien celle qui est pertinente en la matière.

Nous avons donc, nous, législateurs, l’obligation deprendre nos marques, de réglementer, de réguler et deprévenir, car nous savons que l’État ne pourra plus jouerles pompiers et que les responsables politiques s’expose-ront, s’ils n’agissent pas, à la terrible et légitime rancœurdes peuples auxquels on demande de payer la crise, sansen avoir tiré toutes les leçons pour l’avenir.

Le texte de la commission ne se situe pas au niveau deresponsabilité que nous souhaitons. On prétend renforcerla supervision des acteurs et des marchés financiers touten soutenant le financement de l’économie, objectiflouable, mais les discours ne correspondent pas à la réa-lité. Le texte assure un service minimum et la confiancedans l’autorégulation des acteurs continue à dominer lepaysage.

En commission, le rapporteur général a eu un mot, assezvrai du reste : il a estimé que le texte qui nous arrivait del’Assemblée nationale était une sorte de DDOEF, autre-ment dit un projet de loi portant diverses dispositionsd’ordre économique et financier.

Je vais m’efforcer de commenter ce projet de loi qui, effec-tivement, aborde beaucoup de sujets – après tout, pour-quoi pas ? –, mais dont nous entamons la discussion à uneheure bien extravagante, madame la ministre, pour untexte que vous considérez comme capital.

I n t e r v e n t i o n . . .Régulation bancaire et financière

Discussion générale

par Nicole BRICQ, sénatrice de la Seine-et-Marne[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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Voyez à quelle extrémité nous en sommes réduits… Danscette affaire, le Parlement est à la portion congrue !

Je présenterai tout d’abord les critiques que nous formu-lons sur le texte de la commission. Puis je proposerai desamendements sur des sujets qui n’ont pas du tout été évo-qués, ni par le Gouvernement dans son texte initial, ni parl’Assemblée nationale, ni par la commission.

Peut-on parler d’un « New Deal bancaire », comme le décla-re M. Baudouin Prot après les conclusions de Bâle III ?

Je rappelle que le même agite encore et toujours la mena-ce d’une raréfaction du crédit à l’économie – la menacehabituelle des banques –, tout en oubliant de dire que lesengagements pris en 2008 par les banques en contrepar-tie de l’aide de la Nation n’ont pas été tenus.L’Observatoire de l’épargne réglementée a établi dans sonrapport qu’il existe un écart de 4,2 milliards d’euros entrele total des encours du livret A centralisés dans lesbanques et le montant des prêts alloués aux PME.

Le groupe de travail de la commission des finances n’apas vraiment réussi à faire le départ entre ce qui relève dela baisse de la demande des entreprises et ce qui relèvede celle de l’offre des banques, qui, je le rappelle, ontbénéficié non seulement du soutien de l’État, mais aussid’abondantes liquidités ouvertes par la Banque centraleeuropéenne.

Je crois néanmoins que la commission a eu raison de ren-forcer, sur l’initiative de M. le rapporteur général, le flécha-ge des sommes non centralisées à la Caisse des dépôtset consignations vers le soutien à l’économie réelle, afin derespecter la loi de modernisation de l’économie votée enaoût 2008.

S’ensuit toute une série de dispositions concernantl’Autorité des marchés financiers, les agences de notation,les ventes à découvert, le marché carbone. Je lesreprends l’une après l’autre.

Le renforcement des pouvoirs de l’AMF ne fait pas débat,il est nécessaire. En revanche, même si M. le rapporteurgénéral a voulu encadrer cette procédure, nous ne pou-vons soutenir la démarche, proposée par la commission,qui vise à accorder à l’AMF la faculté de transiger sur desinfractions commises par des acteurs de marché.

Les exemples des États-Unis et du Royaume-Uni sontsouvent cités pour justifier une telle proposition. Je rappel-le cependant que le groupe Goldman Sachs a récemmenttransigé à hauteur de 7,5 millions de livres avec l’autoritéde régulation financière britannique, la FSA., soit à peinele dixième de ce que cette banque génère chaque jour enchiffre d’affaires !

On ne peut pas à la fois renforcer les pouvoirs de l’AMF enlui conférant plus de moyens pour assurer ses missions –une décision juste – et lui en enlever en introduisant latransaction.

La protection des investisseurs de détail est une autresource d’inquiétude.

Aux États-Unis, une agence vient d’être créée pour assu-rer cette mission, qui, en France, revient à l’AMF.Toutefois, dans la réalité, l’Autorité de contrôle prudentiel,l’ACP, qui réunit banques et assurances, s’occupe depuissa création des produits distribués, d’une part, par lesbanques et, d’autre part, par les assurances. Les deux ins-titutions – AMF et ACP – coopèrent sans doute, mais lamission, confiée à l’AMF, de protection des investisseursde détail, autrement dit des consommateurs, devrait pou-voir s’exercer quels que soient les circuits de distributiondes produits financiers.

Nous sollicitons donc, par un amendement, un rapportdressant le bilan des actions menées en matière de pro-tection des investisseurs de détail et du fonctionnement decette coopération entre l’AMF et l’ACP.

Au demeurant, il est essentiel que la surveillance englobel’ensemble des acteurs de marché. Nous ne pouvons lais-ser sur le côté les conseillers en gestion de patrimoine,comme le fait le texte de la commission après suppressionde la référence introduite par les députés.

S’agissant des agences de notation, le texte de la com-mission revient, là aussi, sur une disposition votée parl’Assemblée nationale. Les députés ont voulu renforcer laresponsabilité des agences de notation. Si le Sénat avali-se la rédaction de la commission, il enverra un signalnéfaste, en méconnaissance de la part de responsabilitéqu’ont les agences de notation dans la crise financière etdans son emballement.

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Je pense notamment aux notes attribuées aux produitsque ces agences sont supposées évaluer et sur lesquellesil faudrait revenir. Les agences ont évalué des produits trèssophistiqués comme si elles évaluaient un produit financiertransparent !

La déconfiture d’Enron, au début des années deux mille,aurait pu nous éclairer sur ce rôle des agences de nota-tion, rôle que l’on qualifie de procyclique quand on est gen-til, mais de très néfaste quand on est simplement lucide…

Certes, ces agences doivent s’enregistrer auprès del’AMF, et elles l’ont fait. Mais cela ne suffit pas à nous ras-surer. Tout dépendra du niveau d’information que l’AMFexigera d’elles et, surtout, du contrôle qui sera exercé.

Le directeur général du FMI signalait tout récemment qu’ilne fallait pas trop écouter les agences de notation. Il estregrettable que le texte de la commission ne comporte pasd’injonctions concernant le développement de l’expertiseinterne. C’est ce que nous proposerons à travers plusieursamendements. De la même manière, il nous paraît utile dedisposer d’une pluralité d’expertises.

La question des ventes à découvert a beaucoup agitél’Assemblée nationale en juin, dans le contexte précisé-ment de la décision unilatérale allemande. Ce n’est pas unsujet secondaire. Sur le marché de gré à gré, ces ventes àdécouvert représentent 90 % des transactions et entre450 000 et 600 000 milliards d’euros à travers le monde.

L’Union européenne souhaite développer des centres deconservation des données, dits « référentiels centraux »,ouverts aux autorités de régulation. Mais l’amendementintroduit par la commission des finances au titre d’une «locate rule » nous conforte dans notre volonté d’agir auniveau national.

Je l’ai bien examiné, cet amendement et, à y regarder deprès, il ne nous satisfait pas entièrement, notamments’agissant de la date d’entrée en vigueur, le fameux délaide livraison. Je pense surtout à la dernière version, qui, mesemble-t-il, fait état, après amendement duGouvernement, d’une échéance à 2012. Mais je peux metromper, car ces questions deviennent très complexes…

Tout à fait, monsieur le rapporteur général, et c’est encoreplus grave, car, du coup, il n’y a plus de date !

La date est en fait subordonnée à un accord européendont on ne sait pas quand il interviendra.

Pour notre part, nous voulons que la France négocie avecle mandat d’aboutir au 1er janvier 2011. C’est exigeant. Jel’ai dit, le temps des marchés n’est pas celui de la démo-cratie : leur laisser du temps, c’est leur permettre de s’or-ganiser et, en général, ils sont très bons pour le faire.

Quant aux produits titrisés, nous nous étonnons, madamela ministre, qu’un arrêté paru au Journal officiel du vendre-di 24 septembre transpose une directive de 2009, avecune mise en œuvre au 31 décembre 2010. Pourquoi nepas avoir inscrit cette transposition dans le présent véhi-cule législatif ? Le Parlement est, encore une fois, privé dece débat. C’est regrettable, d’autant que l’arrêté a attenduun mois sur le bureau de je ne sais qui au sein duGouvernement avant d’être publié !

Outre que je trouve détestable cette attitude à l’égard duParlement, je m’interroge sur le fait même que l’on trans-pose des directives de cette importance par simple arrêtéministériel. Par ailleurs – je change encore de sujet, maisla nature du texte m’y contraint – la commission a reprisl’une de nos propositions, contenue dans le rapport deMme Fabienne Keller, en faisant du marché « carbone »,le BlueNext, un marché réglementé.

En revanche, elle n’a pas reconnu le statut juridique deproduits financiers aux quotas d’émission de gaz à effet deserre. Nous proposons un amendement qui vient consa-crer cette définition, l’objectif étant de mandater leGouvernement pour défendre ce statut dans les discus-sions européennes. Enfin, la commission a amendé l’ar-ticle 20 du projet de loi, qui introduit un nouveau produitfinancier dit « obligation à l’habitat ». Conformément auxsouhaits du rapporteur général et de la commission, lecontrôleur spécifique des sociétés de financement à l’ha-bitat se voit conférer un rôle plus prépondérant.

Toutefois, mes chers collègues, pardonnez-nous de vousle dire, ce nouveau produit, introduit sur l’initiative duGouvernement, suscite notre méfiance. M. le rapporteurgénéral a lui-même souligné dans un entretien à la presse– vous confirmerez l’exactitude de ma citation, monsieurMarini, mais, a priori, je sais lire les articles des journaux –le « peu de distance entre cet outil et les subprimes ».

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Nous sommes donc extrêmement réservés sur l’introduc-tion de cette nouvelle obligation.

J’en viens maintenant à ce qui ne figure pas dans le textede la commission, à savoir les rémunérations, les fraisbancaires et les paradis fiscaux. S’agissant des rémunéra-tions, dès octobre 2008, nous avions dénoncé le véritablepousse-au-crime que constituaient ces mécanismes dansle monde de la finance. Nous n’étions d’ailleurs pas lesseuls à le faire, puisque ces critiques émanaient du G24,composé de députés et de sénateurs, réuni avant le pre-mier sommet du G20.

Aujourd’hui, madame la ministre, l’arrêté que vous aviezpris le 3 novembre 2009 est obsolète, puisque l’Unioneuropéenne a adopté un « paquet de supervision financiè-re », comprenant une directive dite CRD3. Il s’agit non d’unchemin départemental, comme le sigle pourrait le fairepenser, mais d’un texte très important. Nous souhaitonstransposer, par la voie législative, les dispositions commu-nautaires et le texte que nous examinons nous permet dele faire. À chaque fois que nous avons voulu traiter par laloi d’un encadrement nécessaire des rémunérations, nousnous sommes heurtés au veto du Gouvernement, appuyépar sa majorité, au motif qu’il ne faut pas nous affaiblir faceaux autres places financières. Pourtant, dans son rapportde 2009, l’AMF, qui est chargée de contrôler l’applicationdu code de bonne conduite de l’Association française desentreprises privées, l’AFEP, et du Mouvement des entre-prises de France, le MEDEF, signale que ce code n’estsouvent pas respecté.

En outre, madame la ministre, les orientations de la mis-sion de contrôle des rémunérations des professionnels demarché, confiée à Michel Camdessus, nous conforte dansnotre volonté d’agir par la voie législative. Plutôt qued’avoir recours, encore une fois, à un arrêté ministériel,nous voulons que la directive puisse être transposée à lafin de l’année 2010.

Ce texte est là, et il est pertinent. Il ne faut donc pas hési-ter ! Un rapport a mis en lumière la cherté des servicesfournis par les banques françaises.

J’entends votre impatience, monsieur le président, mais, sije prends la peine de présenter nos amendements mainte-nant, c’est parce que je ne le ferai pas plus tard.

Donc, s’agissant de la cherté des services fournis par lesbanques françaises, dénoncée de longue date par lesassociations de consommateurs, faut-il rappeler quel’Autorité de la concurrence a sanctionné onze établisse-ments bancaires pour entente illicite en matière de fraisprélevés sur le transfert des chèques ? Cela renforce notrevolonté, encore une fois, d’introduire un encadrementlégislatif des frais bancaires. On ne peut se contenter desconclusions du rapport sur la tarification des services ban-caires de Georges Pauget car, une fois encore, leGouvernement fait confiance à la bonne conduite desbanques à l’égard de leurs clients.

En matière de garanties accordées aux dépôts bancaires,l’Union européenne ayant décidé de porter le dépôt degarantie de 70 000 euros à 100 000 euros au 1er janvier2011, nous demandons que cette évolution soit actée parla loi, sous la forme de l’adoption d’un amendement, et nonpar un arrêté ministériel. Comme cela, le problème seraréglé !

Je rappelle que la régulation et la supervision financièren’auront de portée pleine et durable que si l’on s’attaquerésolument aux paradis fiscaux. La législation américainede mars 2010, que j’ai évoquée tout à l’heure, nous montrela voie.

Nous défendrons donc des amendements répondant auprincipe de transparence et de contrôle. Je veux parler dela transparence de la part des établissements bancaires etfinanciers lorsqu’ils contractent avec l’État – si la régiond’Île-de-France et de nombreuses régions à sa suite l’ontfait, l’État peut le faire – et de la transparence des acteursfinanciers étrangers, qui ont l’obligation d’échanger leursinformations avec notre administration fiscale dès lorsqu’ils souhaitent opérer en France. Enfin, nous renforce-rons le contrôle du Parlement sur le résultat des opéra-tions menées par l’administration fiscale, pour vérifier l’ap-plication des dispositions votées dans la loi de financesrectificative pour 2009.

Nous souhaiterions que la loi soit le véhicule de toutes cesdispositions qui, de toute façon, devront être prises à unmoment ou à un autre si l’on veut vraiment s’attaquer auxeffets de la crise financière, tout en s’assurant, pour l’ave-nir, qu’une nouvelle bulle n’en chassera pas une autre.

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Monsieur le prési-dent, madame laministre, mes

chers collègues, voilàdeux ans, le 25 sep-tembre 2008, lePrésident de laRépublique dressait,dans son discours deToulon, un réquisitoireimplacable contre lesdérives insensées ducapitalisme : il fallait,nous expliquait-il, « moraliser le capitalisme financier ». Ils’engageait à agir en urgence, en déclarant : « LeGouvernement de la République réglera le problème par laloi avant la fin de l’année. »

Deux années se sont écoulées, et le projet de loi qui nousest aujourd’hui soumis ne paraît nullement correspondre àla vigueur de cet engagement, comme en témoignent soncontenu, bien trop modeste à nos yeux, et le faible degréd’urgence de son examen par le Parlement. Dans cesconditions, nous sommes en droit de nous interroger : l’é-tat d’esprit général aurait-il changé au cours de ces deuxannées ? Aux yeux de certains, le capitalisme financierserait-il à nouveau redevenu acceptable, sinon plus res-pectable ? Plusieurs indices conduisent à le penser.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à une chro-nique du journal Le Figaro du 21 septembre dernier. Quenous y explique-t-on en effet avec aplomb ? Selon le chro-niqueur, « le capitalisme va bien », et « non seulement [il]ne s’est jamais aussi bien porté, mais les États sontaujourd’hui des victimes consentantes de cette crise ». Etd’interroger doctement, avec une belle et ostensible assu-rance retrouvée : « Pourquoi le capitalisme est-il autoriséà crier victoire, alors qu’il y a deux ans, on l’enterrait sansfleurs ni couronnes ? »

Eh bien, mes chers collègues, la réponse apportée parl’apologiste du Figaro à sa question laisse sans voix : si lecapitalisme peut crier victoire, c’est parce que « jamais onn’a dépensé tant d’argent public (plus de 5 000 milliards dedollars en dix-huit mois) pour venir à son secours ».Devant cette ahurissante analyse, on se demande s’il fautparler de cynisme, d’arrogance ou de provocation cal-culée !

Le rapport de M. Marini est, lui, empreint de réalisme. Laquestion est néanmoins de savoir si les préconisationsrégulatrices du projet de loi sont à la hauteur des enjeux.On voit en effet aujourd’hui où les excès des marchésfinanciers nous ont conduits : les dégâts sont considé-rables ! Sachant que les mêmes causes produisent tou-jours les mêmes effets, il est essentiel, si l’on veut éviterd’autres catastrophes financières du même type, de pré-voir des mesures législatives qui ciblent réellement lesvéritables causes de la dérive financière constatée. C’étaitlà l’objet des nombreux amendements que nous avionsprésentés en commission.

Certains observateurs se sont accommodés de l’idée quela désignation de boucs émissaires suffirait à dédouanertoute la sphère financière de sa part de responsabilitédans la crise. À cet égard, que n’a-t-on entendu au sujetdes agences de notation ! Certes, elles n’ont pas fait preu-ve d’habileté dans la gestion temporelle de la communica-tion financière sur les firmes et les États.

Doit-on, pour autant, considérer que le thermomètre estresponsable de la fièvre intense du malade ? Non, bienévidemment ! À mon sens, ce qui explique la fièvre de che-val du capitalisme financier, c’est bien moins les dérègle-ments des mécanismes de marché ou les manquementsde telle ou telle catégorie d’acteurs que la dérive généra-lisée des comportements et de la hiérarchie des valeurs etdes objectifs prévalant au sein de la sphère financièreoccidentale.

I n t e r v e n t i o n . . .Régulation bancaire et financière

Discussion générale

par François MARC, sénateur du Finistère[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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« Une rentabilisation maximale à très faible risque pour soiau prix d’une maximisation du risque pour les autres » : telsemble être aujourd’hui le précepte majeur véhiculé par lasocio-culture financière occidentale.

Devant ce constat, monsieur le rapporteur général, on peuts’accorder sur la nécessité d’un retour à la norme guidépar trois principes : transversalité, transparence, respon-sabilité. Nous vous suivons sur ce point.

Cependant, à nos yeux, le principe de responsabilité doitvéritablement être la clé de voûte de tout le dispositif. Il doitconduire tout à la fois à une indispensable clarification dela mission des firmes bancaires et financières, à uneapproche plus collective et intégrée de la gestion du risqueet à une plus juste perception de la place des profits et desrémunérations. À ce sujet, d’ailleurs, on ne peut qu’êtreinquiet de constater que les rémunérations des traders oudes administrateurs de sociétés s’envolent de plus belledepuis 2009.

Le projet de loi qui nous est soumis répond à l’idée qu’ilfaut s’efforcer de faire face et donner une suite à un dia-gnostic largement partagé. Dans le monde, les multiplesdéclarations des autorités publiques et les engagementsdu G20 témoignent qu’un processus lourd de régulationest souhaité, sinon enclenché.

Ce processus conduira-t-il à faire émerger un ensemble degarde-fous suffisamment robustes et à modifier durable-ment les comportements des acteurs de la finance ? C’estlà toute la question ! Il en va en effet de l’addiction à la spé-culation financière comme de l’addiction aux casinos : lafièvre du gain et des bonus gagne les esprits de façonaussi foudroyante que la fièvre du jeu. Si aucune mesurede dissuasion sérieuse n’empêche un joueur invétéréd’entrer au casino, il retourne très rapidement à ses vieilleshabitudes…

Dans ce contexte, on ne peut que se féliciter du courageet de la détermination à agir du président Obama, qui cetété a doté les États-Unis d’une nouvelle réglementationcontraignante, après une lutte sévère contre les lobbiestrès organisés de la banque et de la finance. Il est remar-quable que les États-Unis aient décidé de remettre encause l’architecture même de la fonction financière soustous ses aspects. En ce sens, c’est une véritable réformestructurelle qui est en train de voir le jour.

Quant à l’Union européenne, elle a abordé les problèmesau travers d’approches parcellaires, dans la mesure où ilest très vite apparu impossible d’élaborer un consensussur une architecture nouvelle.

On peut regretter que la réforme institutionnelle des auto-rités européennes n’ait malheureusement pas transféré decompétences d’intervention à l’échelon européen. Celaétant, on peut se féliciter de l’adoption récente par leParlement européen du paquet « supervision financière ».Ces textes instaurent trois autorités de supervision et unComité européen du risque systémique. Ces progrès sontsans nul doute importants, mais pas encore à la hauteurdes promesses faites en 2009, à l’occasion des sommetsdu G20.

On ne peut que regretter, et le rapport le souligne bien, quecertains projets de régulation cristallisent en Europe desdifférences de philosophies, de traditions juridiques, destratégies politiques ou d’approches économiques entreÉtats membres. Je citerai à cet égard l’exemple du projetde directive sur les gérants de fonds alternatifs, dontl’adoption a été plusieurs fois reportée.

C’est donc dans ce contexte européen un peu flottant ques’inscrit le projet de loi de régulation bancaire et financièreaujourd’hui soumis au Sénat. Si les dispositions pré-sentées sont certes utiles, elles résultent, pour beaucoupd’entre elles, de la déclinaison ou de la transposition endroit français de réglementations européennes, telles que,par exemple, la directive du 16 septembre 2009 relative àla réglementation bancaire. Cependant, reste à nos yeuxposée la question de l’entrée en application et surtout dela pleine efficacité des dispositifs introduits par ce projet deloi, tant ils paraissent modestes au regard de l’ampleur duchantier que le Président de la République lui-même s’é-tait engagé à mener à bien dans l’urgence.

Pour illustrer les motifs de notre circonspection, j’évoque-rai la façon dont la question des agences de notation finan-cière est abordée. Mon collègue Jean-Pierre Fourcadevient d’en parler, mais j’irai plus loin que lui dans l’analysesur ce point.

Le projet de loi vise à adapter le droit français aux disposi-tions du règlement n° 1060/2009 du 16 septembre 2009,tendant à mieux encadrer les agences de notation finan-cière, ce qui est un objectif légitime.

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Or, malgré l’adoption somme toute récente de ce règle-ment, la Commission européenne a déjà présenté, le 2 juin2010, une nouvelle proposition législative afin de le modi-fier. L’objet central du nouveau texte est de transférer à lafuture autorité européenne de supervision le pouvoir d’au-toriser et de superviser les agences de notation, sanscréer pour autant, du moins pour le moment, les conditionsde l’instauration d’une agence européenne de notation,demandée par certains, notamment par le commissaireeuropéen Michel Barnier. De nouvelles propositions doi-vent, semble-t-il, être faites dans les semaines à venir, etJean-Pierre Jouyet, président de l’AMF, préconise, quant àlui, la création d’une agence mi-publique mi-privée, sousl’égide du FMI.

Si le présent projet de loi témoigne d’une véritable exigen-ce en matière de transparence pour les agences de nota-tion financière, il ne permet pas de progresser beaucoupdans la voie d’un accroissement de leur responsabilisa-tion.

En effet, s’il est assez simple, pour des superviseurs, decontrôler les procédés d’évaluation utilisés, il est bien plusaléatoire de déterminer si une note émise est fiable ou non! Sur quelles informations se fondent aujourd’hui lesagences de notation financière dans leurs évaluations ? Laréponse est simple : elles s’appuient sur les informationsmises à leur disposition par les entreprises et les États. Or,depuis l’affaire Enron, sans oublier celle, plus récente, desstatistiques trafiquées de la Grèce, chacun a conscienceque les informations comptables et budgétaires, et mêmecertaines données dites officielles des États, ne donnentpas une image fidèle et fiable de la réalité patrimonialesous-jacente.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.Eh oui !

M. François Marc. On doit le reconnaître, la sphère finan-cière internationale est, hélas ! gangrenée par le bluff, lecamouflage des risques et les trucages de toutes sortes.Quelle confiance peut-on aujourd’hui accorder à certainsproduits structurés à haut risque ?

Dans un autre ordre d’idées, peut-on se satisfaire d’un dis-positif de simple encadrement des ventes à découvert à nud’actions ou de CDS ? Si l’on admet que l’informationfinancière est souvent biaisée, les acteurs et spéculateurs

souvent sans scrupules et les bilans comptables souventinsincères, ne doit-on pas dès à présent aller bien plus loindans l’interdiction des produits financiers douteux et lamise en cause de la délinquance en col blanc ?

Ce projet de loi n’apporte pas, à nos yeux, les réformesattendues en la matière. C’est pourquoi les amendementsque nous avons déposés visent à renforcer son dispositif.La détermination à agir affichée dans le discours de Toulonde septembre 2008 a fait place à un manque d’ambitiondans les mesures présentées. La régulation financière doitcertes s’inscrire dans une vision mondialisée, mais cela nedoit pas empêcher notre pays d’adresser un signal législa-tif qui soit à la mesure des exigences imposées par la dou-loureuse expérience de cette énorme crise financière.

Nous appelons de nos vœux un renforcement du disposi-tif, madame la ministre. Nous avons le sentiment que nosarguments n’ont pas été entendus en commission ; s’ils nele sont pas davantage en séance publique, je crains quenous ne puissions approuver ce projet de loi, qui nerépond pas complètement aux attentes de nos conci-toyens, et même de nombreux acteurs de la sphère finan-cière.

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Madame laministre, votreprojet de loi de

régulation bancaire etfinancière s’adresseaussi aux outre-mer,puisqu’il est clairementindiqué, dans l’étuded’impact, que les dispo-sitions du texte s’appli-queront, dans lesmêmes conditions qu’enmétropole et sans adap-tation, aux collectivités régies par l’article 73 de laConstitution ainsi qu’à Mayotte, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour les autrescollectivités ultramarines – la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie –, il est proposé d’ha-biliter le Gouvernement à étendre et à adapter les disposi-tions de la loi par ordonnance.

L’examen de ce texte nous offre une excellente occasionde nous pencher sur les spécificités du système bancairedes départements et collectivités d’outre-mer, même si laconvergence avec le système métropolitain va croissant.En effet, le paysage bancaire des DOM-COM est désor-mais dominé par les cinq principaux réseaux bancairesnationaux – BNP Paribas, Banque populaire-Caisse d’é-pargne, Crédit agricole, Crédit mutuel, Société générale –,qui regroupent à eux seuls vingt-neuf des trente-neufenseignes commerciales installées localement. Le mouve-ment de concentration observé sur le plan national n’aainsi pas épargné les DOM-COM. La quasi-totalité desétablissements locaux ont disparu, la banalisation desplaces financières des départements et des collectivitésd’outre-mer s’accélérant.

Pourtant, malgré cette dynamique de convergence, lesdivergences demeurent fortes en matière de conditionsd’exploitation.

J’insisterai principalement sur deux points : les tarifs ban-caires et l’octroi de crédits aux PME.

C’est un fait reconnu et trop facilement accepté que « lestarifs bancaires sont généralement significativement plusélevés qu’en métropole », pour reprendre les termes durapport sur les frais bancaires d’Emmanuel Constant et deGeorges Pauget. Une unanimité de vues existe sur cepoint entre les sénateurs ultramarins. Vous pourrez aisé-ment le constater à l’examen des amendements qu’ils pré-senteront, madame la ministre, ma collègue Anne-MariePayet parlant même de « différence indécente ».

Il est vrai que la grande majorité des établissements ban-caires continuent de pratiquer des tarifs élevés outre-mer,arguant du fait que, exerçant sur des marchés de faibletaille, ils souffrent encore aujourd’hui du poids de leursstructures, ce qui leur laisse moins de marge demanœuvre pour couvrir leurs risques. Cet argument estcependant à relativiser, tant leur résultat brut d’exploitationse maintient à un niveau élevé.

En ce qui concerne l’octroi de crédits, si la situation paraîtsatisfaisante pour les crédits immobiliers ou à la consom-mation consentis aux ménages, elle l’est beaucoup moinspour les entreprises, malgré les mesures prises dans lecadre du plan de relance et de la politique de développe-ment endogène préconisée par le chef de l’État.

En effet, si, pour la France métropolitaine, leGouvernement a confié à OSEO la mission de mettre enplace des dispositifs facilitant l’octroi de crédits bancairesà court et moyen terme aux entreprises, son choix s’estporté sur l’Agence française de développement, l’AFD,pour les outre-mer. Une convention-cadre a même étésignée le 17 juin 2009 entre OSEO et l’AFD afin d’établirun partenariat renforcé étendant la gamme des produitsfinanciers distribués par l’AFD à l’ensemble des produitsconçus par OSEO.

I n t e r v e n t i o n . . .Régulation bancaire et financière

Discussion générale

par Georges PATIENT, sénateur de la Guyane[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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Cependant, les entreprises ultramarines se plaignent dufait que bon nombre de ces produits ne sont néanmoinspas distribués ou mériteraient d’être mieux adaptés auxréalités locales. Je citerai à cet égard, par exemple, lesprêts directs, les prêts en cofinancement ou complémen-taires, les contrats de crédit-bail mobiliers et immobiliers,le contrat de développement participatif, lequel est pro-posé mais difficile à mettre en place en raison du seuilimposé.

Il convient de rappeler que la production bancaire de cré-dits en faveur des entreprises et de certaines filières esttrès insuffisante dans les DOM-COM. Aussi faut-il veiller, sil’on veut promouvoir un réel développement endogènedans les outre-mer, à ce que l’AFD dispose de tous lesmoyens nécessaires pour distribuer correctement l’en-semble des produits OSEO, à l’instar de ce qui se pratiqueen France métropolitaine et à l’échelle des collectivitésd’outre-mer.

Madame la ministre, la mission Constant-Pauget a recon-nu qu’elle n’avait pas eu suffisamment de temps pour réa-liser une étude approfondie sur la tarification bancaire. Ilest donc indispensable de diligenter une véritable missiond’information sur les banques outre-mer, comme l’asuggéré le président de la commission des finances duSénat lors de l’audition, le 17 juin dernier, de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer, à proposdu règlement des comptes et du rapport de gestion pourl’année 2009.

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Force est de con-stater que leGouvernement ,

suivi par la majorité, n’apas voulu se mettre aumoins à jour avec la lég-islation européenne, nimême garder uneavance par rapport à lalégislation des États-Unis. Il a fallu que l’op-position apporte sonsoutien au président dela commission des finances pour faire adopter, contrel’avis du Gouvernement, un amendement visant à encadr-er les banques pour le financement de l’économie réelle,notamment les petites et moyennes entreprises, durementmises à l’épreuve dans la tourmente que nous vivons.

Quant aux propositions du groupe socialiste, qu’il s’agissede la lutte contre les paradis fiscaux, des frais bancairesou des rémunérations excessives qui ont joué et qui con-tinuent à jouer un rôle dans l’alimentation des crises finan-cières, elles ont été systématiquement rejetées. Et surtout,dans ce débat mené rapidement, même si ce fut sousvotre autorité bienveillante, monsieur le président, depuishier, aucun argument de fond ne nous a été opposé.

Les propos que j’ai tenus dans la discussion généralerestent valides, car, à nos yeux, rien n’a véritablementbougé, et c’est fort regrettable, non seulement pour nous,mais aussi au regard du rôle du Parlement.

Dans ces conditions, vous l’aurez compris, nous voteronscontre ce projet de loi de régulation bancaire et financière,qui n’est de nature ni à lutter contre la crise actuelle ni à enprévenir de nouvelles.

I n t e r v e n t i o n . . .Régulation bancaire et financière

Explication de vote sur l’ensemble du texte

par Nicole BRICQ, sénatrice de la Seine-et-Marne[séance du vendredi 1er octobre 2010]

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Ma questions'adresse à M. leministre du tra-

vail, de la solidarité et dela fonction publique.Monsieur le ministre, noscompatriotes sont deplus en plus nombreux àexprimer leur inquiétudeet leur mécontentementface à la réforme desretraites que vous allezleur imposer. Ce que vous appelez une réforme, et quin’est qu’une série d’ajustements comptables, s’avèreinjuste, brutal, inéquitable et inefficace.

Injuste, parce que le recul de l’âge légal de départ à laretraite de 60 à 62 ans et celui auquel on peut percevoirune pension à taux plein de 65 à 67 ans pénalisent lessalariés qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont tra-vaillé longtemps, ceux qui ont alterné périodes de travail etpériodes de chômage ou de travail à temps partiel – jepense particulièrement aux femmes, monsieur le ministre.

Maintenir le droit au départ à la retraite à 60 ans pour cesderniers, tout en permettant à ceux qui le souhaitent et quile peuvent de poursuivre leur activité serait juste. Maintenirl’obtention d’une pension à taux plein à 65 ans serait juste.

Le projet de loi que vous présentez est brutal. En effet,contrairement à ce qui se pratique dans tous les autrespays, en France, l’application de ces ajustements se faitsur une durée très courte. Sur un sujet nécessitant dia-logue, concertation, construction avant toute décision,vous, ou plutôt le Président de la République, décidez depasser en force !

Ce projet de loi est inéquitable : 85 % des efforts exigés lesont des salariés, alors que les revenus du capital n’ycontribuent qu’à hauteur de 15 %.

Le capital doit être mis à contribution, monsieur le ministre.Il faut augmenter les prélèvements sociaux sur les bonuset les stock-options, et remettre en cause la défiscalisationdes plus-values sur les cessions de filiales.

Ce projet de loi est inefficace : il ne règle rien en matièred’équilibre financier de notre régime de retraite, malgré lescandaleux siphonage du Fonds de réserve pour lesretraites, le FRR.

Il ne règle pas non plus la question de l’emploi des seniorset des jeunes. Vous ne les rencontrez donc pas, monsieurle ministre, ces gens condamnés au chômage parce queleur entreprise estime qu’ils coûtent trop cher ?

Je sais ce que vous me répondrez : il s’agit de sauvernotre système de retraite par répartition. Avez-vousmesuré l’inquiétude grondante de nos concitoyens, en par-ticulier des plus jeunes d’entre eux, qui n’ont plus aucuneconfiance dans l’avenir ?

Monsieur le ministre, quel message d’espoir peuvent-ilsencore espérer de vous ?

Réponse de M. Éric Woerth, ministre du travail,de la solidarité et de la fonction publique.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les séna-teurs, nous débattrons de ces questions pendant plus dequinze jours dans cette enceinte, nous pourrons ainsi lesapprofondir.

Si les discussions durent au-delà, ce sera tant mieux : jesuis favorable au débat ! Je suis d’ailleurs persuadé, mes-dames, messieurs les sénateurs, que vous ferez vivre cedébat.

Vous nous reprochez, madame Demontès, de procéder àdes « ajustements comptables ». Dans votre bouche, cen’est pas très aimable...

Q u e s t i o n d ’ a c t u a l i t é . . .Réforme des retraites

par Christiane DEMONTES, sénatrice du Rhône[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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Pourtant, la France ne peut pas se contenter d’un systèmede retraite qui accumule les déficits.

Ce n’est sans doute pas ce que vous souhaitez.

En raison de la crise, les déficits anticipés de nos régimesde retraites seront réalisés vingt ans plus tôt que prévu.

Le Gouvernement doit bien apporter une réponse appro-priée ! Il s’y emploie.

La première des justices d’un régime de retraite est d’êtreen équilibre.

Un système de retraite en déséquilibre rendrait plus fra-giles les personnes qui le sont déjà, c’est-à-dire celles quin’ont pas pu mettre de l’argent de côté, et elles sont trèsnombreuses en France. Le système de retraite français estbasé sur la répartition, autrement dit sur la solidarité entreles générations.

Madame Demontès, il est logique de considérer que cesont en premier lieu les travailleurs qui le financent. Votrelogique évoque un système par capitalisation. Dans ce casde figure, vos propos pourraient être exacts. Mais nous,nous voulons un système par répartition, financé par lesactifs : ce sont les actifs de l’année qui payent les retraites.C’est notre pacte social et notre lien social !

C’est sur ce principe, dans le droit fil du système élaborépar le Conseil national de la Résistance, que notre réformedu système des retraites est fondée.

Cette réforme est profondément juste.

Ainsi, les personnes qui ont commencé à travailler trèsjeunes ont la faculté de partir plus tôt.

Madame Demontès, lorsque les socialistes ont institué laretraite à 60 ans en 1982, le fait que les personnes ayantcommencé leur activité professionnelle à 14 ans travaillent46 ans ne vous gênait pas !

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Ma questions’adresse à M. leministre du bud-

get, des comptes publicset de la réforme de l'État.Voilà bientôt une décen-nie que la droite est aupouvoir. Aujourd’hui,13 % des ménagesfrançais vivent sous leseuil de pauvreté, et lasituation ne s’améliorepas. Votre politique rela-tive au logement, secteur de compétence de l’État, est ànos yeux caractérisée par des actes répréhensibles suc-cessifs : braquage des crédits immobiliers délestés d’unebonne partie de leurs moyens, hold-up sur les ressourcesdu 1 % logement, racket pour trois ans pratiqué sur lesoccupants des logements d’HLM astreints, par l’intermé-diaire des bailleurs sociaux, à verser à l’État 340 millionsd’euros, soit 80 euros par an et par locataire.

Vous en conviendrez avec nous, monsieur le ministre, lapolitique que vous et votre majorité menez n’inclut pasd’actes positifs pour résoudre la crise du logement. Elle estplutôt le signe évident de la politique d’un État impécu-nieux, qui n’a plus le sou à consacrer à l’une de ses mis-sions pourtant essentielle : faire vivre le droit au logement.

Vous nous soutiendrez le contraire, mais les résultats sontlà, marqués par la dégringolade de la construction depuisplusieurs années.

Pourtant, aux dires des experts, il faudrait construire500 000 logements nouveaux par an pour espérer sortir dela crise d’ici à cinq ans. On vous reverra bientôt, à l’ap-proche des fêtes de fin d’année et des froids hivernaux,vous apitoyer sur le sort de celles et ceux qui restent sanstoit et qu’on veut bien héberger, pour la nuit seulement,dans des structures dites « adaptées ».

L’examen attentif du budget du logement que vous pré-senterez devant le Parlement abondera dans mon sens :pas de moyens suffisants, pas d’ambition, mais des arti-fices et des faux-semblants.

Ainsi va la France sous le règne de Nicolas ! Les richescontinueront d’être abrités grâce au bouclier fiscal.

Des pauvres, trop nombreux, resteront sans toit pours’abriter. Et si par chance les personnes démunies en ontun, elles devront consacrer toujours plus de leurs maigresressources au financement de leur logement.

Monsieur le ministre, quand votre politique fera-t-elle preu-ve de davantage d’équité et d’humanisme à l’égard desplus précaires ? Quand prendrez-vous la mesure de l’indé-cence qu’il y a à maintenir le bouclier fiscal quand ondemande toujours plus aux plus modestes ?

Les locataires, les bailleurs sociaux, les salariés et lesentreprises du bâtiment écouteront attentivement la répon-se que vous allez me faire.

Réponse de M. François Baroin, ministre dubudget, des comptes publics et de la réforme del'État.

Monsieur le sénateur, vous vous demandez quand unevéritable politique du logement sera menée. Vous obtien-drez la réponse à cette question lorsque vous étudierezattentivement le projet de loi de finances pour 2011, lequels’inscrit dans la continuité de tous les budgets préparés aucours des années précédentes.

Retenez un chiffre : au cours des quinze dernières années,le soutien apporté à ce secteur dans le cadre des poli-tiques publiques de l’État représentait, bon an mal an,entre 800 millions à 1 milliard d’euros ; cette année, l’effortsera porté à 2,6 milliards d’euros.

Q u e s t i o n d ’ a c t u a l i t é . . .Projet de loi de finances pour 2011

par André VANTOMME, Sénateur de l’Oise[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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De quelque façon que vous abordiez le problème, cechiffre atteste que le Gouvernement soutient activement laconstruction de logements.

Par ailleurs, vous m’interrogez sur les mesures relativesaux HLM. Considérer que les bailleurs sociaux sont pro-priétaires de l’argent destiné à l’amélioration des loge-ments sociaux à destination des personnes qui en ont leplus besoin est une façon très orientée d’envisager laquestion, ce qui souligne votre engagement politique.

Que faites-vous des 10 milliards d’euros d’aides fiscales,c’est-à-dire des dépenses de l’État sous forme de prêtbonifié de la Caisse des dépôts et consignations, d’exoné-ration sur les sociétés ou sur les taxes foncières ? Quefaites-vous des 5 milliards d’euros d’aide personnalisée aulogement qui permettent de réduire d’un tiers les loyersque les bailleurs sociaux proposent à leurs locataires ?

Le secrétaire d'État chargé du logement, M. Apparu,défend avec courage à l’heure actuelle une mesure. Jedispose de tous les arguments me permettant de vousdémontrer que l’intention du Gouvernement est de mobili-ser la trésorerie dormante, soit 6,5 milliards d’euros, desbailleurs sociaux aux fins prioritaires, d’une part, de pro-mouvoir le renouvellement urbain via le financement del’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, et,d’autre part, de construire des logements locatifs à voca-tion sociale.

La finalité est de permettre aux bailleurs sociaux, qui ontpour mission essentielle, je le rappelle, d’accompagner lapolitique immobilière et sociale des collectivités territo-riales ou de l’État, d’atteindre un objectif simple : offrir desloyers modérés aux personnes qui ne peuvent pas seloger ailleurs que dans une HLM.

Pour conclure, vous ne pourrez pas faire campagne dansles villes, accompagnés de quelques bailleurs sociaux, enclamant que les loyers vont augmenter à cause de l’attitu-de du Gouvernement. Car, justement, le Gouvernementproposera au Parlement lors du prochain débat budgétai-re de bloquer l’augmentation des loyers de façon obliga-toire et non, comme les années passées, de manière inci-tative.

Ne vous en vous déplaise, c’est la vérité !

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Ma questions’adresse àMme le ministre

d’État, garde dessceaux, ministre de lajustice et des libertés.Madame le garde dessceaux, il paraît indis-pensable qu’un juged’instruction indépen-dant soit nommé dansl’affaire Bettencourt. J’aipris connaissance devos déclarations de mardi dernier devant l’Assembléenationale. Si j’ai bien compris, vous avez dit, en substan-ce, que vous n’y pouviez rien, que vous étiez spectatriceet que vous regardiez passer les trains !

Nous ne partageons pas cette conception de votre rôle,madame la ministre d’État : du moment qu’un juge d’ins-truction indépendant n’est pas désigné, la porte est ouver-te à toutes les suspicions, dans une affaire qui implique oupourrait impliquer des personnages éminents.

Madame le garde des sceaux, M. le procureur Courroyerefuse la nomination d’un juge d’instruction. M. le procu-reur général de Versailles la refuse aussi. Une seule per-sonne a donc la possibilité d’agir : vous.

Nous ne vous demandons pas d’intervenir dans une affai-re en cours. Compte tenu de vos fonctions, nous vousdemandons de garantir, ès qualités, l’indépendance de lajustice dans une affaire en cours. À cet égard, fait sansprécédent, M. Jean-Louis Nadal qui, vous le savez, est lepremier magistrat du parquet dans ce pays, puisqu’il estprocureur général près la Cour de cassation, a déclaréqu’il était nécessaire de désigner un juge d’instruction,bien sûr indépendant, afin d’assurer le respect des droitsde la défense dont vous êtes aussi la garante.

Madame le ministre d’État, ma question est double maistrès simple. Premièrement, quelles conclusions tirez-vousde la déclaration de M. Jean-Louis Nadal ?Deuxièmement, allez-vous enfin vous exprimer clairementsur ce sujet et prendre les initiatives nécessaires, ou quipeuvent le devenir ? Vous pouvez faire en sorte qu’un juged’instruction indépendant se voie confier ce dossier : nousle devons – vous le devez ! – à l’indépendance de la justi-ce, pour faire la clarté dans cette affaire très sensible.

Merci de nous répondre sur le fond, madame le garde dessceaux, car nous espérons que vous renoncerez à lalangue de bois que nous avons entendue à l’Assembléenationale.

Réponse de Mme Michèle Alliot-Marie, ministred’État, garde des sceaux, ministre de la justice etdes libertés.

Monsieur Sueur, je n’ai pas l’habitude de manier la languede bois, contrairement à ce que vous soutenez.Connaissant votre honnêteté intellectuelle, permettez-moid’observer que, lorsque l’on cite le procureur général prèsla Cour de cassation, il faut le citer en entier et de façonprécise.

Premièrement, le procureur général près la Cour de cas-sation a estimé qu’il n’y avait pas lieu, en l’état du dossier,de saisir la Cour de justice de la République, comme cer-tains l’avaient demandé. Je conçois que cette positiondéçoive, mais il faut faire ce rappel.

Deuxièmement, M. Nadal a souhaité que l’enquête conti-nue. C’est la moindre des choses, et tel est bien le cas,nous le voyons.

Troisièmement, le procureur général a émis un avis. Il adonné son avis sur le mode procédural le mieux à même,selon lui, de préserver les droits de la défense.

Q u e s t i o n d ’ a c t u a l i t é . . .Fonctionnement de la justice

par Jean-Pierre SUEUR, sénateur du Loiret[séance du jeudi 30 septembre 2010]

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Cela dit, monsieur le sénateur, je dois aussi rappeler uncertain nombre de règles. Le parquet peut, dans tous lescas, décider d’ouvrir une instruction judiciaire, comme ilpeut choisir de poursuivre lui-même l’enquête. Ce choix luiappartient et il ne saurait en aucun cas faire l’objet de pres-sions politiciennes. Je vous le dis très clairement – j’avaispensé l’avoir fait devant l’Assemblée nationale –, je ne voispas ce qui, en l’état, justifierait que quiconque s’immisçâtdans les enquêtes en cours.

M. Jean-Pierre Sueur. Si, l’indépendance de la justice et lagarantie des droits de la défense !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État. D’ailleurs, jenote que ce serait une totale nouveauté, monsieur Sueur.Depuis dix ans, le ministre de la justice n’est jamais inter-venu dans une enquête, et Dieu sait si des enquêtes impli-quant de hautes personnalités ont souvent eu lieu !

Quant à moi, je respecte l’indépendance de la justice,monsieur Sueur, et j’ai beaucoup trop de considérationpour les magistrats pour m’immiscer dans les procédures.

Si j’ai bien compris vos propos, monsieur Sueur, quelquechose m’étonne : vous me demandez, pour garantir l’indé-pendance des procureurs de leur donner des ordres !

Cela me paraît pour le moins étrange, et telle n’est pas maconception.

Vous ne pouvez à la fois louer l’indépendance des magis-trats lorsque leur décision vous convient et la critiquerdans le cas contraire. Ce n’est pas ainsi que je conçoisl’indépendance !

Je crois que c’est faire insulte aux magistrats du parquetque d’agir comme vous le faites : c’est peut-être votreconception de la justice, mais ce n’est certainement pas lamienne !

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Jean-Pierre SUEUR, sénateur du Loiret, et les membres du groupe Socialiste du Sénat ont déposé le 29 septembredernier une proposition de loi relative aux autopsies judiciaires.

Cette proposition de loi vise à mettre fin à des carences juridiques en ce domaine, carences qui avaient été, notamment,mises en évidence par le Médiateur de la République.

Cette proposition de loi consacre l’obligation de restitution du corps dans des conditions respectant la dignité due audéfunt et à ses proches. Elle garantit les droits des proches du défunt qui sont aujourd’hui insuffisamment pris en comp-te. Elle prévoit une formation appropriée des médecins légistes pouvant pratiquer une autopsie. Elle précise enfin lesautorités judicaires habilitées à ordonner une autopsie ainsi que le statut des prélèvements effectués au cours de l’au-topsie.

Jean-Pierre SUEUR a déposé l’article unique de cette proposition de loi comme amendement à la proposition de loi desimplification et d’amélioration de la qualité du droit lors de la réunion de la Commission des Lois du Sénat du 6 octobre2010. Cet amendement, qui a été soutenu par le rapporteur Bernard SAUGEY, a été adopté par la Commission.

Diffusé le 6 octobre 2010

C o m m u n i q u é d e p r e s s e . . .U n e p r o p o s i t i o n d e l o i

a u x a u t o p s i e s j u d i c a i r e s

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Christiane DEMONTES, sénatrice du Rhône, au nom du Groupe socialiste du Sénat considère que le débatsur les retraites aujourd’hui est majeur pour notre pays, majeur pour l’avenir de notre pacte républicain,Majeur pour les générations à venir qui doivent pouvoir avoir confiance en notre pacte social et en l’avenir.

Chacun a conscience que réformer les retraites est un impératif collectif. Mais le projet gouvernemental n’estpas une réforme. Il s’agit tout juste d’un ajustement paramétrique injuste qui fait peser 85% de l’effort sur lesseuls salariés. De plus réformer nécessite la concertation avec l’ensemble des acteurs. C’est un préalable incontour-nable. Le Gouvernement n’en a rien fait. Au mieux a-t-il tenu informé de ses décisions.

Le Groupe socialiste du Sénat sera dans le débat qui s’engage au Sénat une force de proposition et non pasd’obstruction. A chaque article les sénateurs socialistes proposeront une alternative concrète, responsable etjuste. Une alternative qui s’inscrit dans la promotion de l’intérêt général car ce projet de loi en ignore jusqu’à lalettre.

Diffusé le 5 octobre 2010

C o m m u n i q u é d e p r e s s e . . .Le Groupe social iste sera une force de proposit ions

dans le débat sur les retrai tes

Bulletin du Groupe socialiste du Sénat n° 156 - page 68

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L e B u l l e t i n d u G r o u p e s o c i a l i s t e d u S é n a tavec la participation des collaborateurs du groupe

Coordination : Nicolas BOUILLANT

A Ï C H A K R A ÏSecrétaire de rédaction - publication - réalisation et conception

Contact : 01 42 34 38 51 Fax : 01 42 34 24 26 - [email protected]

Site du groupe socialiste : http://www.senateurs-socialistes.fr/

Reprographie : Sénat