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L’IE se présente généralement comme une discipline, par nature, proche des centres de décision et des directions générales d’entreprises. Certains spécialistes n’hésitent d’ailleurs pas à considérer le conseil en intelligence économique comme partie intégrante du conseil en stratégie d’entreprise. Paradoxalement, le marché du conseil en stratégie est légèrement en croissance alors que celui du conseil en intelligence économique peine à se développer depuis des années. On peut, dès lors, s’interroger sur les raisons d’un tel décalage. N’y aurait-il pas un problème de terminologie que les entreprises françaises auraient des difficultés à appréhender ? L'IE ne décolle pas en France avec un marché limité à quelques 300 à 400 millions d'euros si l’on consolide les chiffres d’affaires des principaux cabinets d’IE en France. Pour quelles raisons ? Manque de visibilité de cette discipline en France ? Amalgame qui perdure entre IE et espionnage économique ? Mythe de nombreuses entreprises qui rêvent toujours du "tout-gratuit" : informations, outils et compétences en gestion stratégique de l'information ? Offre de services des cabinets d'IE qui semblent quelques fois l’apanage des grandes sociétés ? Rareté des structures d'IE capables d'accompagner leurs clients sur des projets internationaux complexes qui requièrent de multiples expertises de haut niveau ? Divers préjugés entourant l’IE qui apparaît comme « trop éloignée » des problématiques opérationnelles des entreprises… Alors que le marché du conseil en stratégie et management d'entreprises représente environ 5 milliards d'euros en France (1) , on peut s'étonner du faible attrait des entreprises françaises pour l'intelligence économique. … Et si l'IE cherchait encore son positionnement ? La définition officielle de l'IE de la D2IE (2) aurait-elle pour conséquence d'englober au sein des entreprises un grand nombre de métiers différents qui entrent tous sous la thématique « Veille/Analyse – Protection – Influence». Cela engendre peut-être une dilution du concept même d'IE qui se voit ainsi "distribué" sur de multiples fonctions de l'entreprise. Par conséquent, chaque employé a « l'impression de pratiquer l'IE », ce qui est peut-être le cas, d'ailleurs ! Ainsi répartie dans l'entreprise, les dirigeants ne voient alors plus l'intérêt de recourir à un professionnel dédié à l'intelligence économique ! Cela sans parler des questions de terminologies qui « minent » régulièrement l’intelligence économique. En effet, l'IE semble souffrir d'une double difficulté: "Cachez cette IE que je ne saurais voir..." Article paru dans la newsletter du SYNFIE, juin 2015.

Cachez cette IE que je ne saurais voir

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Page 1: Cachez cette IE que je ne saurais voir

L’IE se présente généralement comme une discipline, par nature, proche des centres de

décision et des directions générales d’entreprises. Certains spécialistes n’hésitent d’ailleurs pas

à considérer le conseil en intelligence économique comme partie intégrante du conseil en

stratégie d’entreprise. Paradoxalement, le marché du conseil en stratégie est légèrement en

croissance alors que celui du conseil en intelligence économique peine à se développer depuis

des années. On peut, dès lors, s’interroger sur les raisons d’un tel décalage. N’y aurait-il pas

un problème de terminologie que les entreprises françaises auraient des difficultés à

appréhender ?

L'IE ne décolle pas en France avec un marché limité à quelques 300 à 400 millions d'euros si

l’on consolide les chiffres d’affaires des principaux cabinets d’IE en France. Pour quelles raisons

?

Manque de visibilité de cette discipline en France ?

Amalgame qui perdure entre IE et espionnage économique ?

Mythe de nombreuses entreprises qui rêvent toujours du "tout-gratuit" : informations,

outils et compétences en gestion stratégique de l'information ?

Offre de services des cabinets d'IE qui semblent quelques fois l’apanage des grandes

sociétés ?

Rareté des structures d'IE capables d'accompagner leurs clients sur des projets

internationaux complexes qui requièrent de multiples expertises de haut niveau ?

Divers préjugés entourant l’IE qui apparaît comme « trop éloignée » des problématiques

opérationnelles des entreprises…

Alors que le marché du conseil en stratégie et management d'entreprises représente environ 5

milliards d'euros en France(1), on peut s'étonner du faible attrait des entreprises françaises pour

l'intelligence économique.

… Et si l'IE cherchait encore son positionnement ?

La définition officielle de l'IE de la D2IE(2) aurait-elle pour conséquence d'englober au sein des

entreprises un grand nombre de métiers différents qui entrent tous sous la thématique

« Veille/Analyse – Protection – Influence». Cela engendre peut-être une dilution du concept

même d'IE qui se voit ainsi "distribué" sur de multiples fonctions de l'entreprise. Par

conséquent, chaque employé a « l'impression de pratiquer l'IE », ce qui est peut-être le cas,

d'ailleurs ! Ainsi répartie dans l'entreprise, les dirigeants ne voient alors plus l'intérêt de recourir

à un professionnel dédié à l'intelligence économique ! Cela sans parler des questions de

terminologies qui « minent » régulièrement l’intelligence économique. En effet, l'IE semble

souffrir d'une double difficulté:

"Cachez cette IE que je ne saurais voir..."

Article paru dans la newsletter du SYNFIE, juin 2015.

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1. Certains termes anglo-saxons sont traduits de manière équivoque et créent la confusion.

Citons, par exemple, l'expression générique "business intelligence" qui se traduit par

intelligence économique par les professionnels de l'IE et par informatique décisionnelle par

les informaticiens. Dans son acception française, l'intelligence économique est ainsi

souvent maladroitement transcrite par BI, Corporate Intelligence ou Strategic Intelligence,

alors que sa traduction "la moins fausse" est peut-être "Business Warfare" qui incarne la

notion de méthodes de renseignements appliquées au monde des affaires, mais dans un

cadre légal (excluant de facto toute opération clandestine).

2. L'IE possède également sa propre terminologie, quelques fois héritée des milieux militaires

ou du monde du renseignement et qui n'est pas encore véritablement entrée dans les

grilles de lecture des sociétés françaises. Si le vocable décrivant la veille et l'analyse semble

communément admis, peu d'entreprises ont intégré les concepts « les plus offensifs » de

l'intelligence économique. Ainsi parler d'échiquiers de modélisation, de rapports de forces

asymétriques, de théâtres d'opérations, de dispositifs d'influence ou de technique

d'élicitation risque de nos jours d'effrayer bon nombre d'entreprises pourtant en proie avec

les affres de la guerre économique !

En conséquence, plusieurs conclusions semblent s'imposer aux professionnels de l'intelligence

économique:

Privilégier, autant que possible, un vocabulaire et des descripteurs en français pour éviter

toute ambiguïté malencontreuse et faciliter la compréhension des commanditaires des

missions d'IE.

Réserver la terminologie « spécifique » de l'IE aux discussions entre professionnels de l'IE.

Les organisations et les sociétés consommatrices de prestations en IE sont davantage à l'aise

avec le vocable traditionnel du monde des affaires et notamment les descripteurs proches de

leurs métiers et de leurs processus.

Tout cela constitue alors une impérative nécessité des consultants en IE à toujours vulgariser

leurs expertises et en démontrant davantage la valeur ajoutée qu’apporte l’intelligence

économique à leurs clients…

Eric HANSEN

(1) Cette donnée est tirée de l'étude d'activité annuelle 2013-14 réalisée par SYNTEC Conseil en Management

auprès d'un panel de 120 cabinets représentatifs du secteur, publiée en juin 2014 http://www.syntec-

management.com/7-syntec-conseil-en-management/155-enseignants-etudiants/188-le-conseil-en-quelques-

chiffres.aspx)

(2) Définition de la D2IE : « L’intelligence économique (IE) est un mode de gouvernance fondé sur la maîtrise et

l’exploitation de l’information stratégique pour créer de la valeur durable dans une organisation. Elle se décline en

veille/anticipation, maîtrise des risques (sécurité économique) et action proactive sur l’environnement (influence).

» [http://www.intelligence-economique.gouv.fr]