Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinéma

  • Upload
    eterlou

  • View
    282

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    1/176

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    2/176

    EditorialNourri de la matire dune mmorableCONFRONTATION, ce numrodouble participe trs videmment dela tradition historienne de notre revue.De plus, cette livraison nous autorise considrer comme gagns, danslimmdiat, deux paris plus rcents :soutenir un rythme de parution

    rgulier et mettre en harmonie la viepropre de la revue et lensemble desactivits de lInstitut Jean Vigo.

    Telles apparaissaient, au sentiment denotre quipe, les conditions delquilibre matriel et rdactionneldune publication parvenue maturit.Telles demeurent aujourdhui lesperspectives de son dveloppement,alors mme que Marcel Oms a dcidde quitter la direction de ces CAHIERS

    auxquels il avait donn la forme et lavie, et quil continue, naturellement, inspirer.

    Pierre GUIBBERT

    LES CAHIERSDe la CINEMATHEQUERevue dhistoire du Cinma

    Fondateur : Marcel OMS

    Directeur : Pierre GUIBBERTAdministrateur : Pierre ROURARdaction : Andr ABBETBarthlmy AMENGUALJos BALDIZZONEFranois de la BRETEQUERaymond CHIRATJean A.MITRYRicardo MUNOZ-SUAYMarcel OMS.

    Gestion et Documentation :

    Martine ALCONHenri BOUSQUETJean-Louis COSTECarles FERNADEZ-CONTRARene-Lise GOMEZAnne MICHEUHlne OMSAlain ROBINOTPierre ROURA

    Editeur : Institut Jean VigoPrsident : Pierre RouraSecrtaires Gnraux : Andr ABET

    Jos BALDIZZONEPierre GUIBBERTAlain MITJAVILLETrsorier : Jacqueline OMS

    Version PDF Mars 2006 :Georges OriolLaurent Ballester

    SOMMAIRE DES IMAGES POUR LENFANCE.

    6. Michel ZINK : Projection dans lenfance, projection de lenfance : leMoyen Age au cinma

    9. Pierre GUIBBERT : Pour les petits et pour les grands21 Franois de la BRETEQUE : Une figure oblige du film de chevalerie :le tournoi

    AU TEMPS DES CATHEDRALES"29. Jean Franois SIX : Franois dAssise35. Vittorio MARTINELLI : Filmographie de Francesco dAssisi

    JEANNE DARC37. Claude LAFAYE : Jeanne Fugitive39. Rgine PERNOUD : Jeanne dArc lcran42. Marcel Oms : De Lavisse Michelet ou Jeanne darc entre deux

    Guerres...44. Henri AGEL : La Jeanne dArc de Dreyer48. Remy Pithon : Joan of Arc de Victor Fleming, de la rsistance la nue

    HOLLYWOOD A BROCELIANE

    57. Marcel OMS. Les Yankees la cour du roi Arthur65. Franois d la BRETEQUE : Robin des Bois ou comment une gestes'installe dans l'enfance

    75. Hlne OMS : Le Seigneurs de la guerre77. Henri BOYER : A propos de promenade avec l'amour et la mort

    MERLIN L'ENCHANTEUR79. Francis DUBOST : Merlin et le texte inaugural84. Franois de la Breteque : L'pe dans le lac ou les alas de la puissance

    (Excalibur)89. Franois de Breteque : La Table ronde du Far West94. Marc Plas : Merlin l'enchanteur de Walt Disney : du roman mdival au

    conte de fes

    DE L'HOMMAGE A LA DERISION97. Dagmar Lorensen et Ulrike WEINITSCHKE : Les Nibelungen, de Fritz

    Lang Harald Reinl

    104. Jean Marcel Paquette : La dernire mtamorphose de Lancelot109. Alphonse CUGIER : Lancelot du Lac de Bresson : Le moyen Age revisitou la dimension tragique du XXme sicle

    115. Joseph MARTY : Perceval le Gallois, un itinraire roman

    DOMAINE ITALIEN122. Germana GANDINO : Le moyen Age dans le cinma Fasciste: un

    territoire vit.133. Guy FREIXE : Le Dcamron, de Pasolini142. Pierre Andr SIGAL : Branceleone s'en-va-t-en aux coisades, satire d'un

    Moyen Age Conventionnel.146. Andr Abet : Le bon roi Dagobert148. Jean Pierre Bleys : Filmographie italienne (1930-1980)

    LA LIGNEE162. Rene HEIM et Nathallie SAISSET : La Chevalerie dans les toiles166. Philippe Bordes : Moyen Age ou Heroic Fantasy

    Photo de la couverture : Mel Ferreret Robert Taylordans Les Chevaliers de la TableRonde de Richard Thorpe.

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    3/176

    LE MOYEN AGEAU CINEMA

    N 42/43

    Coordonn par Franois DE LA BRETQUE

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 4

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    4/176

    Des images pour l'enfance

    Soldats de plomb, images d'Epinal vivement enlumines, illustrations svres des livres de classe,bandes dessines, panoplies de chevaliers, jeux en troupes dans la cour de rcration...Indiscutablement, le Moyen Age participe aux souvenirs d'enfance de chacun de nous. Les imagesdes films prennent place dans cet ensemble. Revenir au Moyen Age, par le biais d'images projetessur l'cran d'une salle obscure, c'est renouer avec l'ge des enthousiasmes, des Qutes chimriques,des fraternits idales.Si nous avons choisi de commencer par les relations du Moyen Age et de l'enfance, ce n'est pas pourrpter l'ide reue selon laquelle le Moyen Age serait l'enfance de l'histoire europenne. Mais poursouligner comment les films mdivaux, qui doivent tant leur entourage iconographique, ractivent

    ainsi les schmas de socialisation, d'aventure, d'initiation, qui sont ceux de tout dbut d'une vied'homme.F. B.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 5

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    5/176

    Projection dans l'enfance,projection de l'enfancele Moyen-Age au cinma. Michel ZINK

    "Le cinma me procure une jouissance infantile et narcissique", dclarait rcemment Fellini. (1)Rien d'tonnant ce que le Moyen Age fasse bon mnage avec le cinma, car il procure la mmejouissance. Dfinir cette jouissance, c'est comprendre l'attrait du cinma pour les sujets mdivaux.

    Mais peut-on la dfinir ? Elle est la fois vidente et obscure, comme la sduction qu'exerce leMoyen Age. Les signes et les thmes de cette dernire, les formes de son imaginaire, sont la qute,le secret, l'aventure, les profondeurs de la fort, l'nigme du chteau o l'on pntre du dehors et,inversement, la clture, le repli enfantin sur soi, du chteau qui entoure et qui abrite. Clturerassurante, mais aussi inquitante, car le chteau, par opposition l'habitat quotidien, est vaste etancien, mergeant d'une tradition obscure, fruit d'une volont qui, pour des raisons secrtes, l'a voulutel qu'il est, inexplicablement compliqu, irrationnel, asymtrique dans le plan d'ensemble ou au moinsdans le dtail, plein d'escaliers, de recoins, de souterrains, de caches, de passages drobs, desquelettes au fond des oubliettes, de zones d'ombre : refuge familier et rassurant, mais recelant enson sein des profondeurs tnbreuses, mystrieuses et menaantes, il est pour chacun une imagetrop aise, trop parfaite pour n'tre pas troublante, de son narcissisme consolant et terrifiant, del'autre, inconnu, qui est tapi au plus intime de moi. Le chteau runit en lui les deux sensations dugemtlich et du unheimlich. Les exemples mdivaux en seraient innombrables, du chteau du Graal,accueillant et opaque, au chteau de la fe Morgain auquel elle donne par magie l'apparence de celuidu pre de Glaris, dans le roman de Claris et Laris, et qui, refuge apparent, est en ralit une prison.

    Des considrations analogues s'appliquent cet autre emblme du Moyen Age qu'est la fort.Celle du roman mdival est, bien entendu, le lieu de l'aventure et du dpaysement. Mais en mme

    temps, il suffit de faire trois pas hors de Camaalot, le chteau du roi Arthur, pour tre dans un payscompltement inconnu, aux coutumes et aux habitants merveilleux et dangereux, il suffit de faire troisnouveaux pas pour tomber sur le roi Arthur et sa cour en train de chasser ou de manger sur l'herbe.De mme, le hros ne cesse de rencontrer des parents et des connaissances, et plus encore despersonnages qui le connaissent, qui savent d'o il vient, ce qu'il cherche, et qui le conseillent ou lerenseignent. Tout se passe comme dans un grand jeu de piste. Mais cette familiarit elle-mme ajouteau mystre, puisque ni le hros ni le lecteur ne savent comment s'est constitu ce rseau deconnaissances et de signes, ni quel est son sens. L'obscurit de la qute et en mme temps lacertitude qu'elle a, prcisment, un sens s'en trouvent renforces. Le hros est partout le centre d'unmonde protecteur et inquitant. L encore, les exemples seraient innombrables, les pluscaractristiques tant, bien entendu, celui de Lancelot et celui de Perceval.

    Ainsi, la dualit du chteau se retrouve dans la fort, et le chteau, sis au cur de la fort, est uncas particulier du monde de l'aventure.

    Voil ce qui apparat au lecteur de romans mdivaux. Pour ceux-l mme qui ne les ont pas lus,le Moyen Age voque cette qute, cette aventure significative, qui fait qu'au prochain tournant duchemin, la prochaine clairire, vous attend peut-tre l'inattendu, le fabuleux, qui comblera vos dsirset qui rvlera rtrospectivement le sens du chemin parcouru, matriellement et spirituellement. Et lesmeilleures illustrations du chteau voqu il y a un instant, ce sont les chteaux dessins par VictorHugo et par Walt Disney.C'est la mme fascination, sans doute, qui s'exerce dans le public l'gard de l'alchimie ou desprtendus mystres de l'histoire, templiers, cathares, etc, ou encore, hors du Moyen Age, l'gard dela prhistoire, de l'archologie, de l'astronomie, dont la combinaison est d'ailleurs une des recettesfavorites de la science-fiction : l'illusion, le fol espoir que l'on pourrait trouver une cl qui donneraitl'explication de tout ; la projection hors de nous-mmes de nos fantasmes et de nos inquitudes, defaon nous persuader qu'une dcouverte extrieure, objective, pourrait les apaiser et que l'onpourrait trouver une rponse matrielle, irrfutable, l'angoisse mtaphysique. L'intrt de Freud pour

    l'archologie n'tait pas un hasard. Et si l'on s'abandonne sans se chercher de prtexte aux dlices dela rgression infantile, on peut se rfugier chez les Hobbits de Tolkien, dont l'action n'est pas situe auMoyen Age mais dont l'atmosphre est vaguement mdivale, et dont l'auteur, qui tait mdiviste, a

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 6

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    6/176

    donc lui-mme trahi doublement, par le choix de sa carrire et par celui de son hobby, ses tendancesrgressives.

    C'est bien ainsi que le cinma a compris la sduction du Moyen Age. Il serait facile, bien entendu,de le montrer en prenant pour, exemples des films destins l'enfance ou des films qui invitent l'adhsion immdiate et l'identification : ceux de Walt Disney, Robin des Bois, non seulement celui

    d'Allan Dwan et celui de Michael Curtiz, mais tous les autres - il en existe une bonne demi-douzaine,dont celui de Disney est le dernier et le plus misrable -, Les Chevaliers de la Table Ronde deRichard Thorpe. Ou encore des films dont l'esthtique se fonde dlibrment sur l'extriorisation desfantasmes : ainsi ceux de l'expressionnisme allemand, avec La Peste Florence, certains pisodesdes Trois lumires et les Niebelungen de Fritz Lang, ou, dans un registre bien diffrent, ceux deRoger Corman d'aprs Edgar Poe, comme Le Corbeau, Le Marque de la Mort Rouge ou Le Puits etle Pendule, dont l'action, d'aprs les costumes, serait d'ailleurs plutt au XVI sicle qu'au MoyenAge.

    Mais il est plus significatif encore de trouver les effets de la mme fascination et de la mmesduction dans des films qui ne prtendent pas particulirement y faire appel, par exemple dans ceuxqui, ces dernires annes, ont trait du thme et du cycle du Graal. Le Lancelot de Bresson jouedirectement et systmatiquement de cet imaginaire, qu'il parat sentir, juste titre, comme li

    l'enfance. Les personnages voluent dans un cadre familier l'enfance campagnarde : granges, avecleurs portes renforts en Z, et fenils sont plus souvent montrs que le chteau. D'une faon gnrale,le film joue de la superposition des poques : le haut Moyen Age, o est situe l'action ; la fin duMoyen Age, dont les chevaliers portent le costume et l'armure plate ; le Moyen Age tel qu'il est vu travers ses vestiges par l'poque actuelle, avec le chteau en ruines o sont rfugis Lancelot etGuenivre, et, plus encore, dans le chteau du roi Arthur, la vitre agressivement moderne la fentrede Guenivre ; le pass proche du folklore traditionnel, avec les bretons chapeaux ronds qui mnentles chevaux boire ; le pass du souvenir d'enfance et de la vie la campagne il y a quelquesdcennies avec l'architecture rurale signale plus haut, et surtout avec les paysannes en sarrau bleuet le lit de fer o Lancelot est soign. Ainsi, la profondeur des temps ramne aux images de lacampagne dont chacun peut se souvenir, et l'poque du roi Arthur est confondue avec celle de notreenfance.

    Pour le reste, tous les traits qui rendent le film si caractristique, et qui ont t relevs par

    l'ensemble de la critique, vont dans le mme sens : jour sombre, profondeur obscure de la fort,incertitude des rencontres dans la pnombre, flots de sang sur la terre noire, galop obsdant deschevaux dont la camra ne montre que les jambes. Tout cela suppose une approche du Moyen Agelie aux fantasmes que lon voquait plus haut en relation avec le chteau et avec la fort, et, possur tout cela, un regard hauteur denfant. (2)

    On sait la force du cheval dans l'imaginaire, ce cheval qui nous pitine le cerveau, si l'on en croitune tymologie du mot cauchemar.On en trouverait, pour rester dans le domaine cinmatographique, de nombreux exemples du dbutdes fraises sauvages de Bergman celui du Testament d'Orphe de Cocteau. Dans le film deBresson, la prsence des chevaux, souligne par la magnifique affiche de Savignac, est siobsdante que, lorsque, peu de temps aprs, le groupe anglais Monty Python ralisa un film sut leGraal, Sacr Graal, il fonda une grande partie des effets comiques de ce film, trs probablement enhommage ironique au cinaste franais, sur l'absence de chevaux. Dans Sacr Graal, les

    personnages sont pieds, mais ils trottinent en sautillant et en tenant des rnes imaginaires, commefont les enfants (toujours les enfants !) quand ils jouent au cheval. Derrire chaque chevalier, uncuyer frappe l'une contre l'autre les deux moitis d'une noix de coco pour imiter le bruit des sabots ducheval. D'o une longue discussion entre les dfenseurs d'un chteau et le roi Arthur sur lavraisemblance de ces noix de coco, sur la faon dont elles ont pu venir en Angleterre, sur la questionde savoir si une hirondelle europenne ou, dfaut, une hirondelle africaine, a eu la force de lesporter dans son bec, etc. Pour en revenir ces chevaliers sans chevaux, ils apparaissent d'autantplus comme des personnages enfantins qu'ils se heurtent sans cesse un monde rel qui nie leurpropre univers et le dnonce comme une fiction drisoire : les paysans ricanent en entendant lesdiscours du roi Arthur et, peu impressionns, lui rpondent par des propos bien sentis sur la lutte desclasses et l'alination du proltariat. Et l'ultime bataille du film est interrompue par l'arrive decamions, de bulldozers, d'ouvriers qui repoussent avec une indiffrence agace tous ces gens quijouent tre au Moyen Age. On ne saurait mieux dire que l'imaginaire mdival est senti comme un

    refuge fragile et enfantin.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 7

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    7/176

    Quand au Perceval d'Eric Rohmer, qui ne se veut rien d'autre qu'une illustration intelligente deChrtien de Troyes, il poursuit le mme imaginaire, mais travers la stylisation littraire - fortssymbolises par les trois arbres styliss d'une miniature, chteaux dors moins hauts qu'un hommeemprunts eux aussi aux miniatures, comme les gestes conventionnels des personnages, prsence travers tout le film d'un chur de musiciens et de rcitants du texte de Chrtien -, si bien qu'il ajouteau plaisir d'une plonge dans cet imaginaire celui d'une plonge dans le rve du lecteur. L'image du

    film ne se substitue pas au texte littraire, qui est au demeurant conserv avec beaucoup de scrupule.Elle est analogue celle qui surgit dans l'esprit du lecteur et qui fait partie du processus mme de lalecture. Elle est la projection de l'imagination particulire au lecteur.

    Or, Perceval, le nice de chrtien, est un personnage qui, au seuil de lge adulte a conserv avecune exagration emblmatique, les vertus et les ignorances de lenfance, sa sensibilit et songocentrisme. Le film, dans sa fidlit au roman, est donc un film de lenfance, et ce titre exemplairede ces quelques pages tendaient souligner : que le Moyen Age lcran est une projection delenfance.

    Car pourquoi le cinma s'embarrasserait-il du Moyen Age si la plonge dans la salle obscure nese doublait alors d'une plonge dans l'enfance propre rendre la "jouissance infantile et narcissique"encore plus aige.

    M. Z.

    P.S. : Ces pages taient crites lors de la sortie du film d'Alain Resnais, La vie est un roman, qui enest une parfaite illustration. Ce film dcrit, on le sait, deux qutes successives du bonheur qui sontcondamnes l'chec parce qu'elles sont, ouvertement ou hypocritement, autoritaires et entendentimposer leurs voies leurs prtendus bnficiaires : celle du milliardaire excentrique au dbut dusicle et celle des psychologues et des ducateurs qui se runissent dans le chteau qu'il a faitconstruire pour un congrs sur le thme absurde et significatif qu'est "l'ducation de l'imagination". Lemilliardaire, pour qui l'accs au bonheur passe par une rgression infantile et mme ftale, a faitbtir, pour servir de cadre cette exprience, un chteau dont les tours, les lourdes portes votes,les galeries, les murs de pierre nues, relvent d'un imaginaire tourn vers le Moyen Age. Les enfantsqui l'habitent de nos jours sont spontanment en communication avec cet imaginaire, qui hante, au

    sens propre, le chteau sous formes de scnes fragmentaires et muettes d'une qute libratricemdivalo-wagnrienne (c'est--dire renvoyant le Moyen Age travers la sensibilit propre l'poqueo le chteau a t construit). Les jeux et les dguisements de ces enfants, dont les comportementssont indiffrents ou hostiles au monde des adultes et dont l'imagination se nourrit de ce que ce monderejette (les ordures), ont eux aussi pour argument une qute mdivale. Celle-ci, enferme dansl'enfance, dans le pass et dans l'imaginaire, est voue au fragmentaire et l'irrel, mais elle chappeau naufrage des deux qutes visant une actualisation dans le rel qui ont successivement eu lechteau pour cadre.

    1 Propos recueillis parGilbert Salachas dans Tlrama 1703, 4-10 sept. 1982; p.. 36-7.

    2 La faiblesse du film est peut-tre, prcisment, de s'tre trop limit cet aspect.. Rpondant, pour Le Monde Yvonne Baby qui lui disait "De toute manire, la lgende pour vous n'est qu'un prtexte", Bresson dclarait : "J'aimemieux, comme pour ce film-ci, inventer des personnages lgrement diffrents de ceux d'une lgende assez vague etles faire parler moi-mme, plutt que d'avoir tre fidle des crivains mme admirables (Dostoievski, Bernanos),comme je l'ai dj fait dans plusieurs films. (.. ..) Vis--vis de ces oeuvres que j'ai abordes avec tant de prcautionset d'gards, je crois aujourd'hui que la plus grande fidlit serait d'tre infidle et de ne garder d'elles que l'espced'illumination que j'ai ressentie leur lecture".. Mais il se trouve que La Mort le roi Artu, dont il s'est inspir, n'est pas"une lgende assez vague", mais un roman aussi labor et aussi compliqu que ceux de Dostoievski ou deBernanos. L illumination qu'il a ressentie sa lecture lui a permis de mettre le doigt avec beaucoup de sret, onl'a dit, sur les ressorts les plus secrets de la fascination qu'exerce le Moyen Age. Mais, faute peut-tre de vouloirconsidrer ce roman du XIII sicle comme de la "vraie littrature", il l'a considrablement appauvri en simplifiant l'extrme aussi bien les personnages que les jeux du destin, qui, dans le roman, sont les uns et les autres d'unecomplexit et d'une cruaut incomparables.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 8

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    8/176

    Pour les petits et pour les grandsPierre GUIBBERT

    L'on a souvent avanc, bien lgrement, que le Moyen Age tait un des chapitres sacrifis del'histoire scolaire. Mais celui qui considre cette production, mme htivement, se convainct tout desuite du contraire. Ainsi, quels que soient les niveaux d'enseignement et quelle que soit l'poque de lapublication, les grands thmes visuels du Moyen Age -Jeanne d'Arc, Saint-Louis ou un chevalieranonyme arm de pied en cap - fournissent les motifs d'illustration de nombreuses couvertures demanuels, davantage que les grands symboles rpublicains : faisceau de licteurs, bustes de Marianneou prise de la Bastille...

    C'est que le Moyen Age est, par excellence, un espace de dpaysement culturel et idologique.C'est que, des poques de notre histoire les plus recules, le Moyen Age est la premire qui soit

    convenablement atteste : la persistance monumentale des cathdrales et des chteaux forts -auxquels, lacit oblige, on accordera une trs large prfrence - est vrifiable par l'enfant dans leprsent.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 9

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    9/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 10

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    10/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 11

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    11/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 12

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    12/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 13

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    13/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 14

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    14/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 15

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    15/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 16

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    16/176

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 17

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    17/176

    Au cur de ce merveilleux transport s'rige donc le chteau fort, image en tous points dominante,objet d'tude et de rve en mme temps que symbole d'une volution heureuse de notre histoire versplus de justice et plus de paix.

    Hlas, cette situation enferme le pdagogue dans un cruel dilemne. Il doit choisir entre deuxvrits inconciliables : la vrit prsente des ruines et la vrit historique de la reconstitution, la vritde l'image et la vrit de la photographie.

    Prtend-il magiquement relever et animer les vestiges des antiques forteresses ? La formidablejeunesse qu'il confre soudain aux ruines de Chteau-Gaillard demeure en quelque sorte fallacieuse.

    Seul le cinma, avec sa force de conviction propre, prenant le relais de l'cole et faisant fonds surses acquis, s'avrera capable de dpasser cette contradiction en confrant ces magnifiques dificesl'clat du neuf et une paisseur indiscutable qui les inscrit d'emble dans notre prsent.

    Revenant, il y aune dizaine d'annes, sur le parcours familier de l'histoire scolaire, nous avionsreconnu, Claude Billard et moi-mme, une double lgitimit la forteresse mdivale. (1)

    Lgitimit nationale d'abord. A un niveau proprement politique, la multiplication de ces monumentsrigoureux de la science militaire tait la rponse fonctionnelle et nationale aux intolrables exactionsde l'Etranger, Huns et Sarrazins, Barbares et Normands, qui n'en finissaient pas de ravager la France

    et empchaient le dveloppement du Progrs.

    Lgitimit pdagogique ensuite. Sur un plan psychologique, le chteau fort et la rude organisationfodale dont il est l'expression correspondaient sensiblement la manire un peu brutale et archaquedont usait l'instituteur, au dbut de l'anne, pour mettre raison les turbulents, les indisciplins,instaurant ainsi un ordre rigoureux, en tout tat de cause prfrable au chaos originel.

    Or, chacun sait qu'une certaine injustice est la ranon de l'efficacit; ou, plus exactement, qu'il estdes situations d'urgence o la force peut et doit momentanment primer le droit.

    Encore - et ceci est davantage une leon de morale qu'une leon d'histoire - ce recours n'est-iljustifiable qu'en tant qu'expdient : passes les ncessits qui l'ont rendu tolrable, il n'en subsisteplus que l'apparence odieuse.

    De ce point de vue, le dmantlement des chteaux forts exprime parfaitement le sens d'unehistoire chaleureuse et optimiste. Il est le dclencheur d'un processus enthousiaste d'mancipationdont le point d'orgue sera la prise d'assaut et l'arrasement du dernier et du plus formidable chteaufort de France : l'orgueilleuse et dsuette Bastille.

    Mais nous voici aujourd'hui installs depuis si longtemps dans une juste Rpublique, que le rappelpolmique de sa gense n'a plus qu'un intrt culturel Dsormais, le chteau fort est devenu un

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 18

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    18/176

    lment innofensif de notre environnement, comme ces ruines photographies des manuels d'histoirecontemporaine, tout juste dignes de figurer au programme d'un circuit touristique...

    Et surtout, aujourd'hui comme hier, le spectateur de cinma a triomph de l'preuve scolaire. Il estdurablement immunis contre les mauvaises pulsions.

    Ds lors, l'esprit libre, en droit de prendre une dlicieuse revanche sur l'injustice de son enfance,

    l'adulte revt son armure, enfourche un merveilleux destrier et reoit en apanage, le temps d'un film,un chteau fort grandeur nature, plus beau et plus vrai que les images qu'il dcouvrit avecravissement, et cependant conforme ces images.

    P. G.

    1 Claude Billard et Pierre Guibbert : Histoire mythologique des Franais (Galile, 1976), L'ge mythologique (H Histoire,Hachette, 1979, pp.81-99). Une machine fabriquer l'histoire (Historiens & Gographes, avril 1981, pp.833.845).

    RFRENCES DES ILLUSTRATIONS

    J. Guiot, F. Mane, Histoire de France, C.E., Delaplane (ant. 1900).M. et S. Chaulanges, Histoire de France, C.M. 7e et 8e, Delagrave, 1963..M. et S. Chaulanges, L'Histoire vivante des Peuples de lAntiquit aux Franais d'aujourd'hui, Fin d'Etudes, Delagrave, 1963.P. Besseige, A. Lyonnet, Histoire de France, G.M. ISTRA, 1934.E. Lavisse, La deuxime anne d'Histoire de France, C.S. A. Colin, 1916.P. Capra, Histoire de France, C.M. et Fin d'Etudes, Garnier, 1915 (?)E. Lavisse, Histoire de France, C.M.2, Fin d'Etudes, A. Colin, 1934.E. Personne, M. Ballot, G. Marc, Histoire de France, C.E.1 et 2, A. Colin, 1949.

    E. Pradel, M. Vincent, Histoire de France, C.E., SUDEL, 1973.P. Bernard, F. Redon, Notre premier livre d'Histoire, C..E., Nathan, 1954.David, Ferr, Poitevin, Histoire, C.M.1, Nathan, 1956.H. Grimal, L. Moreau, Histoire de France, C.M., Nathan, 1960.J. Ageorges, J. Anscombre, Images et rcits d'Histoire, C..E., 10e et 9e, M.D.I, 1969.E. Lavisse, Histoire de France, C.E., A. Colin, 1930.L. Audrin, M. et L. Dechappe, Histoire de France, C.E., Charles Lavauzelle, 1954..H. Gron, A.. Rossignol, Belles images d'Histoire, C.E., Rossignol, 1968.S. et M. Chaulanges, Premires images d'Histoire de France, C.E., Delagrave, 1955.

    A. Bonifacio, L. Mrieult, Histoire de France, C.E., Hachette, 1952.M. et S.. Chaulanges, Images et rcits de l'Histoire de France, C.E., 10e et 9e, Delagrave, 1957.L. Brossolette, Histoire de France, C.M. et Fin d'Etudes, Delagrave, 1935.

    A. Bonnefin, M. Marchand, Histoire de France et d'Algrie, C.M. et C.S, Hachette, 1962.D.Blanchet, Histoire de France, C.M., E. Belin, 1914.L.Brossolette, Histoire de France, C.E., Delagrave, 1938.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 19

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    19/176

    Une ''figure oblige "du film de chevalerie :le Tournoi Franois de la BRETQUE

    Le tournoi semble avoir t fait exprs pour le cinma. Tout, dans son organisation, leprdisposait devenir le plat de rsistance des films de chevalerie : les couleurs, le mouvement etsurtout l'organisation de l'espace.

    Celui-ci est la fois vertical, par les tribunes, les drapeaux, et horizontal, par l'ordonnance de lalice, la trajectoire des cavaliers, la lance pousse en avant et le choc sur les boucliers. Aucunspectacle ne pouvait mieux convenir au cinmascope.

    Par ailleurs, c'est un espace polaris par quelques centres : les champions, les tribunes, le public(qui renvoie la salle une image d'elle-mme). Enfin, le succs du tournoi est d pour une bonne part la fonction sociale, cathartique, de ce spectacle.

    UN PEU D'HISTOIRELe cinma a-t-il t responsable d'une dformation de l'histoire ? "le tournoi n'a jamais eu l'image

    fige que le cinma en a souvent donn", crivent au dbut d'un article sur le tournoi M. Parisse et C.Gauche(1). C'est une activit qui a beaucoup volu au long du Moyen Age, et dont les historiensconnaissent bien les tapes. (2)

    Dans ces mles primitives, on utilisait d'abord toutes les armes ; la lance est apparue la fin duXIe sicle, en tant qu'arme de joute ; c'est propos des mles entre deux ou plusieurs troupes enrase campagne que l'on parle alors de "tournoi" ou "tournoiement", pour les distinguer de la jouteproprement dite, dans laquelle deux champions s'affrontent, et que l'on appelle "tables". Cette formede combat vient la mode au XIIIe sicle. Elle se codifie au XVe sicle, au temps du Roi Ren, sousle nom de "pas d'armes" (dsormais, les champions sont spars par une toile et chacun court dansson rang). Ce modle, codifi, survivra jusqu' l'accident du roi Henri II en 1559.

    C'est cette dernire formule du tournoi qu'ont retenu et fig en canon d'abord le roman, puis lecinma. Srement cause de son ct crmoniel et spectaculaire. Sans doute aussi parce que lecinma s'est intress d'abord l'extrme limite du Moyen Age, voire la Renaissance, sur laquelle ille fait dborder. C'est par exemple le film de Jean Renoir, Le Tournoi (1929), qui se droule l'poque de Catherine de Mdicis. Le cinma recule progressivement dans les profondeurs des ges"tnbreux" Ivanoh (R. Thorpe, 1952), se passe thoriquement au XIIe sicle : Le Cid (A. Mann,1961) nous transporte au XIe sicle. Mais les films de ces dcennies transposent en arrire dans letemps les formules spectaculaires du XVe sicle. Bresson (Lancelot, 1974) et Boorman (Excalibur,1980) dplacent l'action au temps du roi Arthur, c'est dire en principe au Vle sicle... Mais l'un etl'autre savent que le temps de la Table Ronde est un temps mythique, n de l'imagination deshommes du XIIe et XIlle sicles... Ces cinq films me serviront d'chantillon pour tudier comment seconstitue et se dforme un strotype cinmatographique.

    MISE EN SCNE DU TOURNOI :UN ESPACE QUI SE TRANSFORMEOn noncera une vrit de La Palisse en faisant observer que l'espace du tournoi au cinma a

    volu en fonction de critres matriels :- les camras, leur maniabilit, leur profondeur de champ ;- la taille de l'image projete.L'volution du tournoi film est parallle celle de la technique du cinma.

    1) Au temps du muet et de l'image de proportion 1 x 1,50 (qui fut, on le sait, ramene 1 x 1,33avec le parlant), correspond la priode que je qualifierai d acadmique .

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 20

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    20/176

    2) Correspondant la dcouverte de la couleur, puis du format 1 x 2,55 (cinmascope), c'est--dire l'apoge du cinma hollywoodien, s'ouvre une deuxime priode d'utilisation de l'espace : il estdsormais dynamique, dilat.

    3) Enfin, avec l'apparition des camras portables, qui permettent de se rapprocher volont dusujet film (chose que le zoom permet par ailleurs d'autant mieux), la mise en scne, chez lesauteurs inventifs, subit une nouvelle modification : l'espace se fait "abstrait" (au sens

    tymologique) ou contract ; Bresson, Kurosawa, en fournissent l'exemple canonique.LE TOURNOI DANS LA CIT (Jean RENOIR 1929)L'ESPACE HIRATIQUEDans le film de Renoir, l'espace est large, non orient. La camra se tient distance, parce

    qu'elle est lourde, et parce qu'elle a beaucoup de choses montrer : les remparts de Carcassonne, et leur pied un vaste terrain, o commencent dfiler les cavaliers du prestigieux "Cadre Noir". C'taitl, en effet, l'attraction principale du film (3). Visiblement, le cinaste, dans un souci de rentabilit, avoulu tout montrer : les cascades, les mouvements de parade des cavaliers d'lite, les costumes"d'poque"...

    On a vu que le droulement du tournoi n'a pas t immuable travers l'histoire. En fait, c'est lalittrature qui a codifi d'abord ce type de rencontres. Le schma typique est en gros le suivant :

    - Prologue : prparatifs, entre des adversaires, dfi.- 1e temps : assaut cheval. Chute de l'un des cavaliers- 2e temps : combat l'pe, moment d'quilibre entre les adversaires.- priptie : dfaillance du hros.- secours (message de sa dame par exemple), redressement et victoire du hros (4).

    Cette organisation a un double avantage : elle cre chez le spectateur une impression d'attente(comme dans le western...), elle structure l'espace : chaque tape se prte un cadrage particulier.Elle a donc t reprise telle quelle par le cinma.

    Dans le tournoi qui clt le film de Renoir, deux hros vont s'affronter sous les yeux de Catherinede Mdicis pour la main d'Isabelle Gianori, reine du tournoi : Franois de Baynes, champion du partiprotestant, et Henri de Rogier, champion du camp catholique.Le combat obit au schma dfini ci-dessus.

    - ouverture grandiose, en plan gnral (dfil du Cadre Noir).- les champions reoivent la "faveur" de leur dame. Henri porte les couleurs d'Isabelle ; Franois,celles de son pre (tu au combat), mais il porte aussi indment le loup de velours d'Isabelle, qu'il aramass dans la rue. C'est un moment plus intime.

    Dans les trois phases du combat, l'espace va en se resserrant autour des combattants :- duel questre la lance. Un des adversaires est dsaronn.- combat l'pe. Dfaillance du hros (Henri est affaibli par une blessure reue la veille). Secours

    fourni par les encouragements de la dame (coup dil sur les tribunes).- combat la dague. La camra se rapproche au plus prs : les acteurs roulent jusque sous

    l'objectif.- Epilogue : modulation sur le thme : le combat est interrompu (On vient arrter Franois, coupable

    la veille d'un meurtre).

    - Ce coup de thtre permet de sauver le hros et de passer la phase la plus spectaculaire dutournoi : la joute par quipes. Ce qui en tient lieu ici, c'est un vrai combat, que Franois mne contreles 40 chevaliers du guet, avant de succomber hroquement. Le dsordre des mouvements, uninstant, produit dans l'image un effet de saturation ; puis on retourne au calme et l'ordre.

    La recherche de l'expression n'est donc pas absente de ce film, qui vise cependant surtout l'effetesthtique, la contemplation. C'est un bel album de cartes postales. Aujourd'hui, son caractrearchaque saute aux yeux (5).

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 21

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    21/176

    IVANOHE (Richard THORPE, 1952)L'ESPACE DYNAMIQUELe tournoi d'Ashby, pice d'anthologie du film de Richard Thorpe, est film en technicolor, mais

    avec une image de dimensions traditionnelles : ce film n'a manqu que d'un an la commercialisationdu cinmascope. Mais vrai dire, il porte la perfection les virtualits dynamiques du cadre "normal".

    On se souvient qu'au cours de ce tournoi, organis par le Prince Jean, les chevaliers saxonsdoivent affronter les chevaliers normands. Le combat se fera " armes courtoises" (donc, pas demort), et le droulement suit le rituel codifi la fin du Moyen Age : parade des cavaliers ; dfi, leschevaliers frappent de leur lance l'cu de l'adversaire qu'ils choisissent ; puis joute la lance.

    Dans un montage trs serr, on voit le duc de Bois-Guilbert, chevalier normand et templier,renverser tous ses adversaires les uns aprs les autres, au pied de la tribune o prside le princeJean, aux cts du saxon Cedric et de sa pupille, lady Rowena.

    A midi, on le croit vainqueur. Surgit alors un chevalier inconnu, en armure noire, le heaumerabattu. Il dfie le templier " outrance". Premier choc : aucun n'est dsaronn. Deuxime choc : letemplier, atteint au heaume, tombe. Le combat se poursuit pied, l'arbitre l'interrompt.

    Aprs avoir triomph de plusieurs autres normands, l'inconnu est dclar vainqueur et va dposerla couronne aux pieds de Lady Rowena, qu'il dsigne ainsi comme reine du tournoi.

    Le lendemain, a lieu un combat gnralis. Mis en difficult, le chevalier noir est finalementvainqueur, et se dmasque : c'est Ivanoh.

    L'ensemble, dans le film, ne dure que quelques minutes (alors que, dans le roman de Scott, ilcouvre deux chapitres). Le montage efficace va droit aux temps forts du combat, entremlant lesimages de course, de choc, de chute, sans rien perdre de la limpidit narrative. L'espace estvigoureusement dynamis, par les deux couloirs o courent chacun des cavaliers, spars par unetoile (dtail anachronique). La monotonie est vite par les flashs sur les tribunes, introduisant unecomposante verticale. Les costumes somptueux rappellent ceux des tournois du XVe sicle, ainsi queles heaumes empanachs et les chevaux couverts de manteaux chamarrs. Mais la forme des cus,et d'autres lments d'armure, renvoient au XIIIe sicle. C'est un Moyen Age syncrtique.

    La rhtorique visuelle ressemble celle du spectacle sportif, telle que la tlvision l'a codifie un

    peu plus tard, en portant le spectateur, install "sur la touche", au cur de la mle, grce aux focaleslongues. (6)

    LE CID (Anthony MANN, 1961) :L'ESPACE DILATQuand A. Mann ralise Le Cid, le cinmascope a t invent depuis prs d'une dizaine d'annes.

    On pourrait presque dire que le tournoi a alors trouv le langage idal pour l'exprimer.L'tirement horizontal de l'image favorise la perception globale de la lice et de la course des

    combattants.Mais ce qu'on y gagne en clart, on le perd en dynamisme : en effet, la camra n'a plus besoin de

    suivre autant les combattants.On s'loigne du "style direct" de la tlvision (contre laquelle justement a t cr le

    cinmascope).

    Dans le passage considr, - le tournoi pour Calahora -, la camra est en effet assez statique.Mais cette relative pesanteur est rattrape par un montage assez sec.

    Le roi d'Aragon ayant dfi les Infants de Castille, seul Rodrigue a relev le dfi. L'enjeu est lacitadelle de Calahora, pour laquelle vont se battre deux champions.

    - Prsentation des tribunes, distribution des faveurs : Chimne donne la sienne, noire, Don Martin; l'infante, la sienne, blanche, Rodrigue. Les chevaliers mettent leurs heaumes.

    La lice est un vaste espace devant une forteresse. Les trompettes sonnent.Deux pes sont plantes au pied de chaque tribune.

    - Trois "passes" cheval. Chute de Rodrigue.

    - Combat pied, la masse d'armes (plans courts entrecoups de flashs sur les tribunes). Rodrigueperd son casque et fait chuter don Martin. Puis il perd son bouclier et se dfend avec une selle.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 22

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    22/176

    - Il arrive enfin dcrocher son pe et abat son adversaire contre la palissade.- Il reprend les couleurs de Chimne, se dirige vers la tribune (plan subjectif); il traverse l'arne (on

    le reprend en plonge) : Chimne refuse ses couleurs. Il plante son pe dans le sable.La camra adopte dans ce passage un parti-pris ambigu : tantt ct et mme la place des

    combattants ; tantt donnant le point de vue des spectateurs. Cette optique est trs visible dans ledernier plan cit ci-dessus : le hros traverse le vaste espace de la lice, vide et dsol, comme le

    torero traversant l'arne pour se rendre sous la tribune de la prsidence. Sa solitude, alors qu'il vientde triompher du monstre, le grandit comme le matador, et comme lui souvent, il ne reoit en retourque l'ingratitude de la foule (Chimne refuse ses couleurs). L'analogie pourrait tre pousse dans lesdtails ; Rodrigue avec sa selle, fait des "passes" comme avec une cape ; il plante finalement sonpe comme pour un "descabello"...

    LANCELOT DU LAC (Robert BRESSON, 1973) :L'ESPACE CONTRACTEFranchissons encore une dizaine d'annes : le grand cinma de reconstitution historique passe

    dsormais pour naf. La mode du grand cran est retombe. On sort de dix ans de nouvelle vague, etle cinma grand spectacle traverse une crise.

    Dans ce contexte, Bresson, qui n'est srement pas l'homme des descriptions piques, porte

    l'cran un passage fameux de l'histoire de Lancelot du Lac : le tournoi o Lancelot va venir jouterincognito pour imposer silence aux dtracteurs de la reine Guenivre (7). On sait quel morceau debravoure il en a tir.

    Des rumeurs, des dnonciations, accusant la reine d'adultre avec Lancelot, divisent depuislongtemps le groupe des chevaliers. Aussi, Lancelot a-t-il dcid de ne pas participer au tournoiorganis le jour de Pentecte. Lorsque tous les chevaliers sont partis, il demande son valet deprparer une armure blanche.

    On nous transporte alors sur le lieu du tournoi. Bresson utilise sciemment la dimension rduite deson image et le montage trs "sec" pour fragmenter l'espace, donner l'impression de rcurrences.L'obstination avec laquelle il n'a film, de ce tournoi, que des dtails, (on cite souvent les pieds deschevaux), en refusant la vision d'ensemble, est clbre. C'est l'exact contraire de la rhtoriquehollywoodienne ; peut-tre est-ce l, tout simplement, une des cls de son style.

    Le tournoi commence par une srie de plans rpts : les musiciens ; les chevaliers levant leurlance pour saluer ; les spectateurs tournant la tte ; les chevaux galopant le long de la barrire. Untendard monte le long du mat. Puis c'est l'entre du chevalier blanc. Le hnissement de son chevalle prcde. La camra le dcouvre peu peu en partant des pattes. Gauvain le reconnat.

    La joute est rsume par 9 images successives de chutes de cavaliers, dsaronns, et de mainsqui se tendent vers des lances neuves.

    A partir de la 3e, Gauvain se lve en disant : "Lancelot".A partir de la 6e, le montage s'acclre.Enfin, c'est le dpart du chevalier inconnu, qui a triomph, et on ferme la barrire derrire lui.

    Lancelot s'croule dans la fort. Les chevaliers passent sans le voir.

    La camra de Bresson ne cherche pas montrer, faire comprendre le "jeu". Mais crer unrythme, une musique. L'espace de ce tournoi est contract, selon la terminologie de Mitry, ou mme

    "soustrait", pour reprendre un mot d'H. Agel (8). Le remplissage de l'image compense les videsnarratifs, aboutissant un certain effet de saturation.

    Ce n'est pas l'abstraction (au sens de "dsincarnation") que conduit cette formule visuelle,comme on l'a dit trop souvent. L'image de Lancelot est au contraire pleine d'un poids charnel, poidsdes armures, odeur du sang qui filtre travers, bruit du bois qui clate, contact du sable ou desfeuilles sur lesquelles il tombe.

    La bande son restitue la totalit du spectacle, en faisant entendre ce qui se passe "au-dessus" :cris de foule, froissement des armes, respirations pesantes des combattants et des chevaux. M.Mesnil, ce propos, parle des "bruits obscnes de la mort" (9). Il faudrait, pour dfinir ce tournoi,inventer la formule : "ralisme abstrait".

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 23

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    23/176

    EXCALIBUR(John BOORMAN, 1981) :UN ESPACE MENTALUne petite dizaine d'annes encore... et la nostalgie du grand spectacle refait surface, en

    particulier chez les jeunes loups du cinma amricain. Mais on n'a plus la navet de croire que l'on

    fait de la reconstitution historique.

    S'emparant du thme de la Table Ronde, Boorman choisit dlibrment un Moyen Agefantaisiste, purement mental. Pour le montrer, il revient aux dimensions piques du grand cran, auxlarges mouvements de camra. Le sang, la brutalit, ne sont plus ocults, mais pousss auparoxysme, ce qui conduit une nouvelle stylisation. Cette violence, ce ralisme, se trouventsublims par la couleur, l'usage des filtres, le dcor, la musique.

    Le tournoi d'Excalibur raconte l'pisode analogue de celui de Lancelot de Bresson. Lerapprochement des deux films, on s'en doute, est riche d'enseignements.

    Il se droule en pleine fort, dans une clairire o l'on a dress une tribune haut perche sur despilotis, assez prcaire d'aspect, et au fond de laquelle on aperoit par moments les deux bizarresdragons que Boorman a placs l'entre de Camelot (souvenir des dieux paens).

    Le tournoi n'a pas vraiment commenc, quand survient Lancelot, que tout le monde attendait. Le

    prologue avait t un moment de tension : Perceval s'tait propos pour remplacer le championdfaillant, dont il n'est encore que l'cuyer.Lancelot, en armure blanche, bien reconnaissable (il n'y a pas ici d'incognito), affrontera Gauvin.Le premier assaut est montr d'en bas ; paralllement, on voit les ractions sur le visage de

    Guenivre. Les deux cavaliers tombent ; la blessure de Lancelot se rouvre quand il se relve (il vientde subir la nuit d'preuve, au cours de laquelle il s'est lui-mme ouvert le flanc).

    Le duel se poursuit la double hache. Lancelot enlve son casque, avant le 3 temps qui selivrera l'pieu. Le corps corps est film au niveau du sol. Lancelot perd son sang en abondance,mais va avoir le dessus ; il est prt tuer Gauvain, quand il s'effondre, puis. Il n'y a pas de vraivainqueur, conclusion qui correspond bien l'ambiguit de ce film dsabus.

    Ce combat, d'ailleurs, n'est pas spectaculaire : le montage, assez conomique, recherche peul'effet. Les adversaires, films de prs et chargs de lourdes armures, par l'effet du grand cran,prennent la dimension de dinosaures ou de titans antdiluviens.

    PREMIER BILANCes variations dans l'utilisation de l'espace, induisent des effets esthtiques diffrents. On pourrait

    trouver pour chaque tape un rpondant dans les autres langages artistiques : le film de Renoir,statique et dcoratif, correspond la peinture acadmique, au "tableau d'histoire". On n'est pasencore trs loin du "Film d'Art".Ivanho, outre le spectacle sportif, voque la Bande Dessine classique (style Foster).

    Le tournoi de Bresson renvoie la peinture d'un Paolo Uccello ou d'un Altdorfer; tandis queBoorman semble proche des illustrateurs d'heroic fantasy comme Buzelli ou Frazzetta.

    LES FONCTIONS DU TOURNOIDans les textes mdivaux, le tournoi hsite entre la fonction d'intermde dcoratif, et une

    utilisation dramatique, plus violente, celle que l'on trouve dans les Chansons de Geste et le romanarthurien.

    Le cinma lui aussi balance entre ces deux formules extrmes. Donner voir des costumes, deschevaux, des couleurs, des cascades ; polariser l'attention sur un moment de tension dramatiqueviolente.Le film de Renoirreprsente globalement le premier cas de figure. Il vise mettre en scne un corpsprestigieux de l'arme de la Nation, avant tout.

    Dans l'autre postulation, le spectacle s'individualise, se polarise autour de champions (commedans la boxe ou le tennis). Le spectateur est invit prendre parti pour l'un des adversaires. Le Cid enest l'exemple le plus pur.

    A l'intrieur de la mise en scne du tournoi, l'organisation de l'espace fait sens. La dimension

    verticale (tribunes) correspond aux signes du pouvoir, de l'ordre social, de la domination : y prennentplace le roi, et aussi les dames.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 24

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    24/176

    La dimension horizontale, celle de la lice, est l'espace qui chappe aux lois sociales, o s'exprime,par contraste, la violence de l'instinct. La tension entre les deux, visualise diffremment par chaquefilm, est l'essentiel.

    Il faut alors envisager quel est l'enjeu du tournoi, son dnouement, sur le plan des valeurssociales en balance.

    1 - L'enjeu initiatiqueLa fonction essentielle du tournoi est de servir d'preuve prliminaire introduisant l'amour. Ceciest vrai historiquement. On le retrouve dans les romans. Il est naturel que cela rapparaissent dansles films.

    A l'origine, le tournoi est l'occasion pour le jeune chevalier de faire ses preuves (voir PrinceVaillant) (10).

    Dans les films qui sont envisags dans cet article, deux hros sont encore l'ge del'apprentissage, bien qu'ils ne soient plus tout fait des novices : Henri de Rogier (hros du film deRenoir), et Ivanho.

    Dans Le Tournoi, la reine a accept de mettre en jeu la main d'Isabelle. Dans Ivanho, les deuxchampions ne se disputent pas de faon dclare Lady Rowena ; mais le hros espre sans doute sefaire accepter par la jeune fille qu'il aime, alors que le Prince jean, qui prside le tournoi, l'a promise

    un autre chevalier normand.Dans tous les cas, le tournoi donne droit son vainques d'accder la sphre de l'amour.D'une certaine faon, on retrouve mme cela dans Le Cid : Rodrigue se bat en partie pour

    "mriter" Chimne, dont il vient de tuer le pre, bien que ce ne soit pas l'objet dclarde la rencontre.Ce dernier exemple introduit la deuxime fonction du tournoi : fonction de confirmation ou de

    rachat du hros.

    2 - Confirmation du hrosEn effet, si le hros n'est plus un dbutant, l'enjeu du combat est diffrent. Il ne peut plus tre

    purement initiatique.Dans Le Cid, il s'agit pour Rodrigue, comme on vient de le dire, de se "laver" d'un meurtre rel

    (celui de don Gormas). Mais aussi, de se disculper de l'accusation (non fonde) de tratrise, qui psesur lui depuis qu'il a dlivr par magnanimit un chef maure, en opposition aux ordres du toi de

    Castille.Le hros mal aim doit s'affamer les armes la main.Cette fonction d'preuve morale prend tout son sens dans Lancelot et Excalibur, o il s'agit

    vraiment d'un Jugement de Dieu. Dans ces deux films, l'enjeu du tournoi est d'absoudre la reineGuenivre des soupons d'adultre (qui, notons-le, sont fonds). Lancelot y est impliqu en personne,d'o l'ambiguit de ce "jugement", soulign par le dnouement du tournoi dans les deux films, il n'estpas exceptionnel, mme au Moyen Age, que l'on joue avec le jugement de Dieu (voir Iseut).

    Mais, chez Boorman, Lancelot semble prsum innocent, du moins en intentions (cf. la nuitd'preuve). C'est moins vident chez Bresson.

    La blessure de Lancelot prend dans ce contexte un sens symbolique : blessure de la chair, de lafrustration ; blessure au flanc, par une lance, dont le fer lui est rest dans la chair (chez Bresson)dont les connotations christiques sont indniables.

    Le Tournoi est une Passion. Le chevalier porte sur lui le pch du monde. (Chez Boorman, avant

    que le tournoi ne commence ; chez Bresson, la blessure lui est faite pendant le tournoi lui-mme).

    3 - L'enjeu collectifLes champions ne se battent pas pour leur seule cause. Ils sont aussi les porte-parole d'un camp.Dans le film de Renoir, le tournoi, qui se veut au dpart pur divertissement, met en ralit face

    face les leaders des partis catholique et protestant. Trs paradoxalement, l'exaltation de la grandeurnationale se dtache sur fond de guerre civile : il y a l une pice intressante pour les historiens desmentalits des annes 20... Le film semble plaider pour la ncessit d'un regroupement nationalautour d'un camp, cherchant faire accepter comme ncessaire le sacrifice des minorits, quelle quesoit la grandeur morale de leurs dirigeants. Franois de Baynes, d'ailleurs, l'inverse de sa mre, estun hros impur : ses armes noires sont l'emblme d'une double tache morale, ce dbauch tantaussi un meurtrier. Quelque soit son hrosme, il doit tre limin.

    Le rcit d'Ivanoh fait assez directement allusion la situation d'un pays occup par une

    puissance trangre : face l'orgueil des Normands, le chevalier masqu est l'emblme de laRsistance de l'esprit Saxon. On ne saurait oublier que ce film a t ralis en 1952...

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 25

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    25/176

    Par contre, dans les deux films qui mettent en scne Lancelot, le tournoi ne met plus proprement parler deux camps face face. C'est un combat fratricide, dans lequel les chevaliers de laTable Ronde vont s'entredchirer, pour le plus grand malheur du royaume d'Arthur. Le tournoi nepossde plus ce caractre exaltant qu'il avait dans Ivanoh et encore dans Le Cid: c'est un spectacle"crpusculaire".

    4 - Le chevalier masquParmi les divers tournois films, une place pan doit tre faite ceux qui mettent en scne un

    chevalier masqu. Formule que le cinma a beaucoup aim, parce qu'elle est trs visuelle, et qui vienttout droit de la littrature populaire : on la trouve souvent dans la Bibliothque Bleue, qui transmettaitaux temps modernes des rcits d'origine mdivale authentique.

    C'est un thme complexe, qui peut prendre deux grandes orientations, o nous retrouvons lesdeux significations principales du tournoi, rencontres tout au long de cet article.

    Le jeune chevalier doit s'affirmer ou se raffirmer, et il faut pour cela qu'il renonce pour un temps son identit preuve initiatique par excellence. C'est ce que l'on trouve dans Ivanoh, o le hrosporte une armure noire, signe du "deuil" de son me, dit-on dans le roman de Scott ; plusprofondment, signe qu'il faut passer mtaphoriquement par la mort, pour prparer une rsurrection.

    A l'inverse, Lancelot, dans le film de Bresson, comme dans celui de Boorman, revt une armureblanche (11).

    Ce blanc clatant, o l'on aimerait paresseusement voir un symbole de sa puret, porte sansdoute une signification bien plus redoutable (12). Avec le chevalier blanc, c'est la mort qui s'introduitdans le rcit. Dans le film de Bresson, le tournoi tourne alors au massacre, prfigurant le crpusculedu Royaume ; dans Excalibur, la victoire prcaire de Lancelot prcde de peu le dpart de Merlin et ledbut de la dcadence.

    F.D.B.

    1 "Les grandes heures du tournoi", dans L'histoire, n20, dc. 80.

    2 Voir aussi G. Duby, Le Dimanche de Bouvines, et du mme : Guillaume le Marchal, Fayard 1984, p.111..sv.3 Ce film qu'on croyait perdu (cf. Premier Plan sur Renoir), a t sauv et restaur par le Service des Archives du film

    de Bois d'Arcy, et prsent au 1e Colloque de l'lnstitut Jean Vigo en nov. 82, Perpignan. Sur le tournage Carcassonne, cf. Cin Miroir, n174, aot 1928.

    4 Pour le droulement historique d'un tournoi, voir : R. Delort, Le Moyen Age, p.218 SV.5 Renoiravait cependant dclar : A l'poque du Tournoi, je croyais beaucoup aux emplacements de camra, aux

    mouvements de camra... (Premier Plan, p.92). CI. Beylie, lui, croit un laisser-aller volontaire : cf. sonRenoir(Lherminier), p..106 : traiter l'histoire sans la prendre une seconde au srieux

    6 Voir par ex.. ce que A.S. Labarthe crivait dans "Rugby et Football", Les Cahiers du cinma, n141, mars 1963 : latlvision... ajoute l'attrait indiscutable du direct le charme de la dcouverte.... en ajoutant au point de vue de latribune celui du cur de la mle .

    7 Ce passage se trouve dj dans le roman de Chrtien de Troyes.8 Bresson aurait tourn un certain nombre de plans gnraux qui auraient t supprims au montage.9 Dans Esprit nov. 1974.10 Dans Prince Vaillant, la main de la princesse Aleta est mise en jeu par son pre au tournoi. Le hros, qui ne s'est

    jamais battu, l'emporte. C'est l'pure du genre.

    11 La couleur blanche, au Moyen Age, est celle d'un jeune chevalier non encore prouv,.12 cf- les propos de Boorman sur le personnage de Lancelot, prsent comme un fanatique, Tlrama, n.1637.

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 26

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    26/176

    Au Temps des Cathdrales En hommage Georges Duby, historien biographe et... scnariste de film.

    Les figures de vitrail", comme l'expression l'indique, sont plus nombreuses au Moyen Age qu' touteautre poque.L'enseignement de l'Eglise, relaye par l'Ecole rpublicaine, a privilgi certaines biographies - onpourrait dire hagiographies, mais dans ce chapitre nous n'envisagerons que des personnageshistoriques -, pour leur valeur d la fois morale et nationale. Le cinma, son tour, leur a lev devritables monuments. Saints, rois, empereurs, capitaines... se sont vu consacrer des "cathdrales"filmiques.Il fallait choisir dans cette masse. Nous avons retenu deux personnages de l'histoire qui ont connu laplus grande popularit l'cran.

    F.B

    Franois d'AssiseJean-Franois SIX

    Avant de parler des films raliss sur Franois d'Assise, l'historien sent l'imptueux besoind'approcher le plus possible du "vrai Franois d'Assise", en consultant les travaux les plus rcents surle Poverello et son poque et en interrogeant ce faisceau de visages multiples de Franois qui ont tet sont proposs par ceux qui se rfrent lui. La diversit de ces "images", leur caractrecontradictoire, manifestent la complexit du personnage, et les films refltent cette "explosion" queFranois d'Assise continue de provoquer.

    Oui, Franois est explosif, qui nat dans une poque et une rgion explosives : les cits poussentcomme champignons et s'entredchirent ; les changes, le commerce, les voyages partent dans tousles sens, des hrsies et toutes sortes de particularismes surgissent partout. Franois est issu decette socit nouvelle o les marchands s'imposent (son pre est un marchand ; il est d'ailleurs envoyage d'affaires quand part Franois). Et sa parole est explosive, aucunement acadmique ; demme sa rgle qui, au verticalisme prcdent, oppose la part de la "fraternit" : tous sont frresensemble, en galit absolue, sans hirarchie.

    Sa postrit enfin est explosive : ses disciples sont nombreux, qui tirent son personnage et sonmessage dans tous les sens. On compose une biographie officielle et il y a la conscration officiellede la canonisation, deux ans seulement aprs sa mort, mais cela ne coupe aucunement court auxinterprtations diverses qui jaillissent : mille traductions qui sont chacune un peu trahison. "Tout grandhomme a ses disciples, disait Oscar Wilde, mais c'est toujours judas qui crit la biographie" ! Ainsi lesinterprtations vont surtout bon train, en son temps et au del, pour ce qui est de la pauvret. Certainsdisent qu'il voulait une pauvret radicale et dsirait tablir un groupe ne vivant que de mendier, pauvrevolontaire parmi les pauvres forcs. D'autres parlent d'une pauvret beaucoup plus humaine,nuance, avec l'option du travail manuel pour vivre. Les premiers le montrent comme un contestataire,les seconds comme un pilier de l'Eglise institution.

    Aujourd'hui, il y a une tendance interprter le Poverello dans une perspective "cologique" -l'opra sucr de Messiaen ne va-t-il pas dans ce sens ? - alors que Franois d'Assise considraitdans la nature l'ensemble de la cration pour laquelle il louait Dieu, et non pas une desse ou une

    terre-mre dfendre des pollutions. Et une autre tendance fait de lui un "pacifiste" avant la lettre ouencore un "gauchiste". Ainsi, Julien Green rapporte avoir lu rcemment sur un mur, Ble - et ilsemble souscrire ce slogan - "Vive Franois d'Assise, patron des anarchistes !". Peu de saints, en

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 27

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    27/176

    tout cas, attirent autant la fois croyants et incroyants, les premiers voyant en lui une des plus puresincarnations de Jsus de Nazareth, les autres le regardant comme l'une des plus humaines figures del'histoire de notre humanit : Freud s'inclinera devant lui et Clmenceau, l'anticlrical, dira : "Ah ! sichaque chrtien avait dans les veines au moins une goutte du sang de Franois d'Assise !". QueFranois fascine tout ensemble les pieux fervents qui cherchent une communaut fusionnelle et lesrvolts qui se dressent contre les injustices a quelque chose d'tonnant. Cependant, les auteurs de

    films sur le Poverello, comme ses biographes, participent d'une faon ou d'une autre toutes ces"images".Comment le cinma s'est-il empar de Franois d'Assise ? Je voudrais le montrer, non pas d'une

    manire structuraliste, mais d'une faon linaire, toute chronologique, en situant pas pas lesrouvres, les unes par rapport aux autres.

    Si les toutes premires pellicules prennent comme sujet la vie de Jsus et particulirement saPassion (en 1897, on tourne, pour la Bonne Presse, une "Passion", dans un pr aux environs deParis, et c'et un spectacle innarrable, aux mimiques ridicules, avec des auroles tenues rigides pardes fils de fer !), il faut attendre 1911 pour que sorte un film bref sur Saint Franois, produit RomeparGuazzoni. Deux ans plus tard, un autre italien, Gozzano, qui tait pote, commence sur Franoisun film fort "sulpicien" avec nombre de guirlandes ; il meurt tuberculeux avant d'avoir pu l'achever, En1918, est tourn Assise et Gubbio, un film de Mario Corsi, Frre Soleil, "reconstitution franciscaine

    en quatre chants, pour orchestre et chur" ; c'est du thtre film d'inspiration wagnrienne. Enfin,pour terminer cette premire priode, celle du "muet", un film est produit l'occasion du VIIe,centenaire de la mort du Poverello : Frre Franois, d'Antamoro, qui est une narration mais surtoutune dclamation assez grandiloquente. Ces films ont t crits et interprts uniquement par desItaliens.

    Puis rien jusqu'en 1948 o sort Le Pauvre d'Assise, un film d' A Gout (Brsil), qui prsente lesaint d'une manire souvent inexacte, inventant des pisodes et ignorant des faits essentiels, commeles stigmates ou le Cantique de Frre Soleil. Enfin, en 1949, Roberto Rossellini tourne Franois, leJongleur de Dieu, avec des frres franciscains de la province de Salerne et des acteurs pris dans larue.

    Rossellini reprend onze Fioretti et les traduit avec son style : une simplicit qui colle au rel,d'ailleurs toute franciscaine ; chacun des Onze Fioretti est trait selon la ligne habituelle de ce

    ralisateur dont le no-ralisme consiste dcouvrir les tres tels qu'ils sont, dans une sorte deprimitive simplicit, en dehors de l'idologie - "toute idologie est un prisme", disait Rossellini. Plusde trace, ici, de compositions angliques et vaporeuses, mais chaque fois, une peinture aige d'unproblme de la communaut humaine. La beaut de l' Ombrie contraste avec la lpre qui s'yrencontre chaque dtour de paysage, avec une terrible nudit. Rossellini ne fait donc pas deFranois un mythe, il le propose crment, le rend compagnon de l'homme de la rue italienne del'aprs seconde guerre mondiale. Ainsi Rossellini se situe-t-il l'oppos du cinma-message : "Sivous avez une ide prconue, dit-il, vous faites la dmonstration d'une thse. C'est la violation de lavrit". Attitude proche de la phnomnologie de Merleau Ponty qui crivait : "Une histoire racontepeut signifier le monde avec autant de profondeur qu'un trait de philosophie.

    Bien que Rossellini ait pu proclamer "A la base du no-ralisme, il y a d'abord une attituded'humilit chrtienne", et que son style ft minemment franciscain, le film, parce qu'il n'tait pasdifiant, fera hurler le Centro Cinmatografico Catholico qui criera au scandale. Selon le Centro il

    s'agit d'une interprtation purement "externe" : "C'est un film auquelmanque la spiritualitfranciscaine".Or, cette oeuvre, inoffensive premire vue, est, en fait, un film sur la simplicitquotidienne, sur l'attention aux faits, sur le refus de la violence : elle montre la force de Franois et deses compagnons, leur "praxis", leur faon d'agir qui fait triompher les faibles des puissants et lespauvres des riches ; leur foi invincible dans la vie, la joie, la non-violence. L'pisode o Rosselliniimagine la visite de Frre Genivre au campement du tyran de Viterbe qui met la rgion feu et sang est cet gard caractristique. Frre Genivre veut en effet aller prcher la paix au tyran et leconvertir, mais il est pris par les soldats, tourn en drision et frapp brutalement. Frre Genivrepourtant, ne perd pas confiance, et, quand enfin les soldats le poussent au pied du tyran, il gardejusqu'au bout son sourire. Et c'est ce sourire qui atteint le tyran, un sourire non pas niais mais fort etqui russit le vaincre. Admirable squence o Rossellini montre l'aboutissement de la patience etde la paix intrieure en ce Frre Genivre : celui-ci ne cesse pas de croire en l'homme et mme enl"'humanit" qui, ses yeux, demeure dans le cur du tyran devant lequel il est tran.

    Comment, aprs luvre de Rossellini, a-t-on pu encore faire oeuvre hollywoodienne commeMichael Curtiz, en 1961, dans son Franois d'Assise, grande mise en scne o l'auteur se dlecte

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 28

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    28/176

    surtout retracer les aventures paillardes et guerrires du jeune Franois ? ou encore, la mmeanne, La Tragique nuit d'Assise,tourn parR. Pacini Assise, tout aussi mdiocre ? Dcidment,les clichs sont increvables.

    En 1966, sortent simultanment deux oeuvres, l'une de P.P. Pasolini et l'autre de L. Cavani.Uccellecci e Uccellini (oiseaux, petits et grands) c'est le titre du film de Pasolini, qui, marxiste et

    athe, voulait comprendre le message franciscain. Deux ans plus tt, ce marxiste avait ralisl'Evangile selon saint Mathieu, qu'il avait ddi la mmoire de Jean XXIII, franciscain s'il en fut. Or lenouveau film de Pasolini est un film potique, une farce-bouffe o l'on voit un corbeau bavard seprsenter avec l'tiquette d'un militant de gauche. On sait que Pasolini aime briser toutes lesconventions, faire s'clater l'une l'autre diffrentes mythologies. Ici, Pasolini prsente un homme etson fils, en route dans la campagne romaine, qui sont chargs de chasser un fermier qui n'a pas payson loyer. Ils discutent ensemble, au hasard des rencontres, sur Saint-Franois d'Assise, ou encoresur le peuple aux obsques de Togliatti ; ils devisent en style gouailleur sur les problmes de l'hommed'aujourd'hui. Se joint eux le corbeau qui leur conseille de prendre le froc franciscain, ils deviennentainsi frate Cicillo (le pre) et frate Ninetto (le fils).

    Frate Cicillo prche le message vanglique des passereaux et des faucons, mais il agrandpeine se faire entendre et les oiseaux, de toute manire, continuent d'accomplir leurs mfaitset leurs rapines ; inversion, on le comprend, de la russite de Franois d'Assise auprs des oiseaux.

    En cours de route, quelques principes du marxisme sont prchs par le corbeau, qui veutvangliser" les deux frre ; mais ceux-ci n'ayant rien manger, finiront par le tuer pour apaiserleur faim.

    Ce film composite, trs pasolinien de facture, est, selon son auteur "une sorte d'hommage ambigu Rossellini o entrent des sentiments contradictoires : l'admiration pour le Rossellini de Francesco,giullare di Dio et l'ironie l'gard d'une vision prime" (1). Ainsi on peut appliquer ce film ce queJ.L. Bory a crit d'un autre film de Pasolini, l'Evangile selon Saint Mathieu : "Pas d'auroles, Pasolinisauve le Christ de Saint-Sulpice (...)Sa dimension extraordinaire, il faut l'accueillir avec simplicit, au pied de la lettre (...) Et c'est cedtour que ce film matrialiste devient religieux" (2).

    Ainsi le film de Pasolini est tout fait franciscain par le style et le ton et par l'humilit de son sujet,les vocations simples, la vie quotidienne des gens du petit peuple.

    Le film de Liliana Cavani, Franois d'Assise, est une narration. Il a d'abord t produit en 16 mmpour la tlvision italienne, avec un petit budget ; les deux pisodes fondus constiturent ensuite unfilm distribu normalement, d'une dure de 125 mn.

    Liliana Cavani, alors ge d 29 ans, n'avait pas envie de faire ce film, qu'un dirigeant de la RAIlui avit demand ; puis elle lut la biographie de Franois d'Assise parPaul Sabatierdont le point devue, qui fait de Franois un jeune contestataire, la sduisit. Elle dcida alors de raliser un filmprovocant sur lequel il y a lieu de s'attarder (en regrettant qu'il ne soit que trs rarement programmen France).

    L. Cavani suit fidlement le droulement historique de la vie du Poverello. Le film est divis enchapitres dats.

    On voit Franois passer de l'insouciance de ses ftes de jeunesse l'exprience dure de laguerre. Celle-ci, avec ses injustices et ses horreurs, le fait rflchir et il dcide de changer de vie.

    Personne, Assise, ne croit sa vocation religieuse, on est mme scandalis de son choix d'une viepauvre.Vient ensuite, l'histoire des fondations : les premiers frres franciscains, les premires disciples deClaire, et l'approbation de la premire rgle franciscaine par le Pape Innocent III.

    Les disciples deviennent trs nombreux et rclament des normes crites beaucoup plus prcisesque la premire rgle. Franois se retire dans la solitude et dicte la nouvelle rgle qui est juge tropsvre et amende. Franois en est profondment bless et seule Claire lui rend courage et paix.

    Presque aveugle, il s'tend nu mme la terre nue et meurt ainsi dans le dnuement et lapauvret le 4 octobre 1226.

    Derrire cette linarit et cette simplicit apparente du rcit, il y a constamment prsente,l'vocation du scandale vanglique. Voici une scne o Franois, devant la foule rassemble et quiest prte l'entendre, dtache un imposant crucifix byzantin et s'crie : "C'est facile de nous incliner

    devant une image ! Mais voil que devant un homme vivant qui est terre, qui est seul, nous faisonsle contraire de nous incliner : nous nous sentons suprieurs, nous prouvons le got de l'craser. Or

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 29

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    29/176

    jsus a t cet homme mis en croix, entre les mains de ses ennemis. Et quand il est devant nous, surla route, fatigu, affam et nu, nous le rejetons".

    L. Cavani veut manifestement faire passer la ncessit d'une "actualisation" du messagevanglique : Franois voulait vivre l"'Evangile tel quel, sans commentaire qui l'dulcorerait, "sansglose", il voulait qu'on passe l'acte.

    Pour exprimer cette conviction, L. Cavani prsente des scnes et des dialogues qui vont droit au

    fait. Ainsi l'pisode o l'on voit un frre puis par des ascses, disciplines et flagellations qu'ils'impose : "Ne faites pas pnitence de cette manire, dit Franois, de cette manire inutile. C'est ungaspillage d'nergie. Employez plutt cette nergie aider autrui. Tant de gens souffrent du froid etde la faim parce qu'ils y sont contraints. Changez plutt leur condition".

    Les journaux italiens de droite vont se dchaner contre le film, y dcelant une orchestrationpolitique, une interprtation communiste du message franciscain ; et symtriquement, le film devintune sorte de manifeste pour toute une gauche catholique.

    Quinze ans aprs, dans un congrs sur Franois d'Assise dans le cinma, qui eut lieu Assise ent 1982 (3), l'occasion du VIIIme centenaire de la mort de Franois d'Assise, L. Cavani estrevenue sur son film. Elle a soulign qu'en 1966, certaines des ides de 1968 taient dj dans l'air :"Choisir la voie individuelle et non idologique pour faire la rvolution ; donner la rvolution uncontenu d'abord anthropologique et non conomique ; contester la raison l o l'on n'arrive pas expliquer le malheur, l o on ne l'explique qu'en termes troitement historiques".

    L. Cavani raconte ensuite comment le film s'est ralis : "Je fus trs stimule par la figure de cejeune du XIfe sicle. Je le sentis comme un contemporain ; je cherchais ce qu'il y avait de communavec moi et avec ma gnration. Je fus frappe par sa libert et j'ai voulu tourner le film en grandelibert. Je ne portais jamais avec moi le scnario ; les acteurs vrais ou ceux que je prenais dans la vie,les lieux, l'enthousiasme me servaient davantage. Et puis, heureusement, je ne voulais pas livrer unmessage. Franois lui-mme m'apprenait ne pas me fier la rhtorique. Je me souviens que je nevoulais pas illustrer la "vie"' de saint Franois, mais filmer son exprience, une condition d'existencequi se transforme en une autre. C'tait mon premier film et la smiologie pour moi tait importante ; jeprivilgiai le rapport entre signe (image) et signification, ct du rapport entre mise en scne et film.Je pensais et je pense toujours que faire un film ce n'est pas illustrer une mise en scne. La mthodeque j'ai suivie instinctivement se rvlait mon avis trs utile tant donn que je voulais librer saintFranois d'une lgende qui avait cristallis son exprience en une srie d'images strotypes.

    Si je faisais aujourd'hui un film sur saint Franois, qui sait comment je le ferais ? Aprs tous lesdiscours de la contestation, je craindrais de rpter ce qui est trop connu. J'affronterais pourtantcertains aspects qu'avec un seul film je ne pouvais pas approfondir, ou que je n'aurais pas susuffisamment approfondir. Aujourd'hui que j'ai une plus grande exprience je pourrais parler un peuplus de l'amour de Franois pour les cratures et pour la vie, parce que j'ai appris aimer davantage.

    Les films que j'ai faits aprs taient diffrents parce que j'aime faire diverses expriences.Pourtant un signe - je crois - est rest constant, venu de l'effort pour comprendre la rvolution deFranois travers son exprience physique, corporelle, parce que le premier espace de la rvolutionest toujours le corps... C'est--dire que j ai toujours cherch par la suite comprendre l'Histoire travers l'exprience d'individus singuliers. J'ai compris, par exemple, qu'un homme est singulier, nonseulement quand il a des manies mais simplement quand il n'a pas d'ides conformistes ou quand ils'efforce de s'en librer. Dans le cadre de l'Histoire, Franois ou saint Franois est devenu vnrable,

    mais en son temps, il tait un homme de scandale et il fut en partie incompris de ses propresdisciples. Dpouill du vernis de l'Histoire il serait encore en partie incompris aujourd'hui. Ce futprcisment en faisant diverses lectures sur la vie de saint Franois que je me suis rendu compte quel'Histoire est surtout un appareil de notions et constitue une sorte de voile sombre qui ne laisse pastransparatre la vie". Et L. Cavani conclut d'une manire plus gnrale :"Le cinma a besoin de vie pour exister ; il sait enregistrer images et motions et pour cela il a besoinde regarder derrire le voile. Il n'existe pas de films "historiques" dans le sens de films qui enregistrentl'Histoire. Ils seraient seulement Histoire illustre. Un film doit retrouver la vie, doit la rinventer. Il n'apas besoin d'tre objectif avec l'Histoire mais avec soi mme, c'est--dire avec la vie qu'il reproduitdevant l'objectif de la camera".

    Le Franois d'Assise de Liliana Cavani est d'abord un film "pauvre" en moyens, dont le style estextrmement dpouill, les images nues, et tout ceci est conforme au Poverello. C'est donc un filmrsolument antihagiographique, dans lequel les triomphalismes ecclsiastiques sont rejets. L.

    Cavani veut manifester la puret vanglique primitive et son acteur principal, Lou Castel, qui a 23ans lorsqu'il tourne dans le film, traduit fort bien, par sa composition frustre, cette approche d'un

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 30

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    30/176

    Franois qui vit, si l'on peut dire, une existence vanglique ras-de-terre, comme naturelle, dans unesorte de corporit premire qui rend d'autant plus significatif le personnage. R. Rossellini avaitmontr la simplicit franciscaine ; L. Cavani elle, montre que Franois d'Assise est "cohrent" d'unbout de sa vie l'autre. Pas de coupure chez lui entre les paroles et les actes, pas de compromis ; ilest cohrent avec l'Evangile, et cette cohrence s'appelle nudit, depuis le dpouillement de sesvtements devant le riche marchand qu'est son pre (admirable scne) jusqu' la nudit finale de sa

    mort, mme le sol. Dans un livre publi il y a vingt ans, Sagesse d'un pauvre, Eloi Leclerc avaitexcellemment voqu cette nudit existentielle de Franois. De plus, L. Cavani approche de prs,dans son film, la pauvret spirituelle fondamentale du Poverello; cette femme, du plus vif de sonintuition, montre la mthode de vie de Franois, sa faon de ne rien retenir, la manire du Christ qui,comme dit saint Paul, "n'a pas retenu le rang qui l'galait Dieu mais s'est dpouill", du Christ nu encroix. Elle montre par exemple comment Franois, pour dnoncer des) scandales, envoie frre Ruffinoprcher nu dans la cathdrale. Les gens sont horrifis, Franois, alors, se rend lui-mme lacathdrale et y parle, nu, de la nudit du Christ. Et l'on songe encore cet autre pisode o Franoissauve une fillette de la peste en la lavant, nue, dans le ruisseau.

    Ainsi, bien au-del d'un apologue politique, le film de L. Cavani a une tonnante dimensionspirituelle ; il russit peindre une image profonde de Franois - comme certains, qui font lire undiscours sous le discours - une image nue et crue qui exprime admirablement l'tre du Poverello, ses

    mains ouvertes et son coeur vulnrable.En 1972 sort Franois et le chemin du soleil, de F. Zeffirelli, un film anglo-italien produit par laParamount, avec Alec Guiness dans le rle du pape Innocent III et, pour incarner Franois et claire,deux acteurs inconnus, de 23 et 16 ans, que Zeffirelli avoua avoir choisi pour leur beau yeux.Zeffirelli venait de raliser un Romo et Juliette et Franois et le chemin du soleil apparat commeune sorte de contrepoint au film prcdent ; Zeffirelli pendant la prparation du film, dira auborghese : cest une histoire extraodinaire, surtout entre Franois et Claire.Cest autre chose quelhistoire dAblard et Hlose ! Franois et Claire avaient tout pour tre heureux, pour former uncouple modle. Mais par la force de la sublimation, ils se sont imposs le sacrifice d'eux-mmes,s'unissant dans une sphre d'amour transcendant et sublime. C'est une histoire merveilleuse (4)

    Au mme Borghese, il dclare qu'il a dcouvert "une mine d'or dans l'histoire de Franois. Ce nesera pas un film de mysticisme conventionnel, ce sera un film sur l'amour et l'allgresse". (5) Zeffirelliavait reu beaucoup de lettres de jeunes aprs son Romo et Juliette. Avec son nouveau film, il veut

    lutter contre la dgradation des murs. "Le conditionnement provoqu par des films vulgaires etpornographiques n'est peut-tre pas irrparable. C'est pour cela que je veux proposer la vie deFranois et sa merveilleuse histoire avec Claire, parce que je suis convaincu que, malgr tout,certaines valeurs sont restes intactes et qu'on pourrait les renforcer dans ce climat d'horreurspirituelle et psychologique dans lequel ont t plonges les jeunes gnrations". (6)

    Zeffirelli veut donc faire passer un message la jeunesse d'aujourd'hui. Et il veut que ce soit "unfilm trs chrtien" et un message "massif' : "On croit que je ne serais pas capable de faire un filmcomme le Franois, jongleur de Dieu. Je saurais trs bien le faire ; ce n'est pas un film trs difficile, ilsuffit de prendre les Fioretti, quelques franciscains et d'aller en promenade faire des improvisationssur le thme. Mais combien de personnes ont vue le Franois de Rossellini ? En Italie, 8.000personnes au maximum. On ne peut pas faire un discours limit une lite qui connat dj toutes lesrponses. Mon intention tait d'largir, comme une tache d'huile, un discours qu'il faut porter auxgrandes masses'". (7)

    Ainsi, Zeffirelli veut faire oeuvre de prdication et les mises en scne d'une certaine"contestation" de Franois ne seront qu'une manire d'aguicher les jeunes d'aujourd'hui pour fairepasser le message, pour militer contre la "vague paganisante qui dferle sur la jeunesse. Le proposest clair.

    A l'Osservatore Romano, Zeffirelli avouera qu'il sait bien que son film n'est pas parfait, qu'il y a"trop de coquelicots" et que Claire est d'un "blond trop accentu". Mais, dira-til, "le public le veut". Et,de fait, il y a beaucoup de fleurs dans le film : les passiflores des ouvriers de la teinturerie de P.Bernadone, le glaeul Claire, l'asphodle Franois ; et toutes ces fleurs sont l pour toucher lessentiments cologistes des jeunes en 1972. Et le renoncement de Franois et Claire l'un par rapport l'autre tient du mme merveilleux que Love Story.

    Plus grave peut-tre la division entre les bons d'un ct, les mchants de l'autre : les personnagesn'ont pas d'identit psychologique relle, ils n'ont que cette fausse paisseur manichenne. D'un ctles "pres" dtestables : le pre de Franois, prsent comme un trafiquant de guerre et un ngrier (il

    rgne abusivement sur un peuple de travailleurs abrutis par un travail accompli dans une sorte detunnel ressemblant une mine) ; le gros vque Guide, qui fait fermer la chapelle de saint Damien ;

    Cinmathque euro-rgionale Institut Jean VigoyLES CAHIERS DE LA CINEMATHEQUEN 42/43 y Et 1985

    1 rue Jean Vielledent, 66000 PERPIGNAN y Tl. 04.68.34.09.39 y Fax. 04.68.35.41.20courriel : [email protected] y site internet : www.inst-jeanvigo.asso.fr 31

  • 7/27/2019 Cahiers 42-43 - Le Moyen Age au cinma

    31/176

    l'ensemble de la Curie romaine. En face, les bons, enfin, et aprs la thse et l'antithse, la synthse : la fin du film, le pape Innocent III, super-pre, reconnat Franois et ses disciples et, les recevant, sejette aux genoux de Franois et lui baise les pieds ! Prosternation qui doit effacer, aux yeux desjeunes, les mfaits des "pres" : la boucle est boucle !

    Le film s'tait enferm dlibrment dans cette dmonstration, dans la mesure o il se limitait l'illustration des huit annes qui vont de la conversion de Franois la reconnaissance de son

    mouvement par le Pape. Mais une trop grande volont de convaincre n'amne-t-elle pas au rsultatinverse ?Il est intressant de voir que l'establishment catholique, agac parR. Rossellini et L. Cavani et

    leur prsentation d'un Franois "humain, trop humain", trouve enfin son compte avec Zeffirelli etapplaudit le film grands cris. L' Office Catholique International du Cinma lui accorde un grand prixau festival de San Sebastian en 1973 ; les Fiches du Cinma, de l'Office Catholique Franais duCinma voquent l"' admirable beaut plastique du film", "la beaut infinie du sujet et ses rsonancestrs actuelles. Spectacle riche et mditer". Enfin un film qui respecte l'Institution ! "L'important estque Franois soit ici non un rvolutionnaire mais un rformateur, non un activiste qui dtruit l'Eglisemais un simple qui l'aime" (8). Louis Chauvet, dans Le Figaro, parle d"-un Franois d'Assise l'tatpur (...) Luvre s'adresse essentiellement aux mes sensibles, ceux qu'meut la posie de la foi.Je ne crois pas que son accomplissement idal puisse laisser personne indiffrent". Et J.P. Allaux,dans La Vie Catholique (3 octobre 1973) : "Le film est superbe, quoique parfois un peu thtral".

    "L'auteur est parti d'un prsuppos constructif et optimiste dans l'intention de retrouver la composantefranciscaine" (9). Enfin, dans Il Messagero (31 mars 1972), G. Biraghi dira que "l'articulation du rcitest trs prenante" et qu'on trouve dans le film "une grande richesse de nuances psychologiques". Etcette apologie n'a pas cess, aujourd'hui encore : ainsi, Stan Rougier, dans son homlie de Carmeradiodiffuse, du 6 mars 1983, exalte-t-il outrance le film de Zeffirelli.

    Rares furent ceux qui osrent ragir, tel Pierre Leprohon dans Tlrama (n 1237) : "Jamais sansdoute un sujet n'a t trahi avec une telle dsinvolture" crit-il, "disons tout de suite que le rcit quefont les auteurs n'a absolument aucun rapport avec ce que l'histoire, voire la lgende, nous ont apprisde la vie de Franois (...) B s'agit d'une comdie musicale se droulant dans des dcors de Western,le tout en une joliesse d'images, une dbauche de tableaux 'hauts en couleurs', et de dcorations,vestimentaires nota