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Cahiers de La Folie5

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  • NP 1

  • 2 3

    Les Nouveaux Cahiers pour la folie ont fonction de passerelle. Ils font circuler des textes et des images provenant de diverses personnes impliques dans les diffrents bords de la folie.

    Ils ne sont lmanation daucune institution Ils visent simplement recueillir dans leur polyphonie des voix qui se rapportent la folie et qui sont rsolues ne pas se taire

    DIRECTRICE DE LA PUBLICATION : Patricia JanodyDIRECTRICE DE RDACTION : Sophie DufauCOMIT DE RDACTION : Stphanie Beghain, Olivier Derousseau, Jean-Baptiste Gournay, Marion Hull, Jean-Baptise Leroux, Laurence Schiavi, Nicole Schirmann, Tristan Varlot GRAPHISME : Thomas Gabison

  • 2 3

    SommaireEditorial p. 4

    Questions p. 6

    Les foulosophes p. 7

    Le soignant mis nu p. 8

    Va p. 9

    loge du bricolage p. 10

    Lautre que je... p. 14

    Le recours la contrainte p. 15

    Des rumeurs et des ombres p. 26

    Fissure p. 38

    Toc toc p. 39

    Hodinos le rvolteur p. 44

    Un patient en programme de soin peut ngocier ses soins p. 51

    Retour dexprience p. 56

    En cinq ans, les hospitalisations sous contrainte ont augment p. 58

    Je suis malade p. 62

    Bipolaire ordinaire p. 63

    Prisons, asiles et intimit p. 66

    Encore heureux... Dun lieu lautre p. X

    Lamour, la vie p. X

  • 4 5

    dito - Est-ce bien normal dtre normal ?

    T'es moins ?

    Minus !

    ...

    Nullard !

    !!!

    Moins que rien !

    Bon, a va. Je demandais juste : t'es moins ?

    Srieusement, alors. Mais srieusement, je ne me souviens jamais de la dfinition. Et toi, d'ailleurs ?

    Ben oui. Tmoin.

    D'accord, tu m'intresses. Dfinition ?

    Simple : quelqu'un par o a passe.

    Par toi, a passe ?

    Parfois. J'aurais pourtant envie, parfois aussi, de me croire plus .

    Quand on se dit plus , a ne passe plus ?

    a ne passe plus. C'est la nature humaine qui veut a.

    Entendu. Venons-en au fait : t'es moins de quoi ?

    Voil, voil. Si je le dis, je risque la psychiatrie.

    Tu exagres

    Avec la nouvelle loi, a rigole pas. Une parole dplace, et tu risques de te retrouver en programme

    de soin. Piqre obligatoire, pour rsumer.

    Oups ! Il y a des voies de contestation, non ?

    Justement. De l'importance de se dclarer.

    J'ai saisi, cette fois. Alors je vais aller poser la question quelqu'un d'autre : t'es moins ?

    PJ.

  • 4 5

    image ralise au CATTP

  • 6 7

    Je nai pas fait dtudes de mdecine mais jaborde le concept de la folie, me ressentant

    concern de prs, en hospitalisation de jour depuis dix ans maintenant et, parait-il,

    peu prs stabilis. Jajouterai quaprs avoir remarqu, force de les frquenter,

    que les mdecins avaient chacun leurs petites chapelles, je me pose quelques questions

    sur le sujet en tant que malade :

    Un dficient mental est-il fou ?

    Un patient ayant vcu un dlire, mais prsent stabilis, est-il encore fou ?

    Un individu qui est sociologiquement parlant, dviant, est-il fou ?

    Galile, son poque tait-il fou ?

    Un pervers est-il fou ?

    Un croyant est-il fou ?

    Un artiste est-il fou ?

    Un trisomique est-il fou ?

    Suis-je fou ?

    Un dpressif est-il fou ?

    Freud tait-il fou ?

    Un assassin est-il fou ?

    Mon mdecin est-il fou, lui aussi ?

    Ma mre est-elle folle ?

    La socit est-elle folle ?

    Ce professeur est-il fou ?

    Gurit-on de la folie ?

    La folie existe-elle ?

    Je nai pas fait dtude de mdecine, et combien mme, je ny pigerais jamais rien.

    Alexis Duguet

  • 6 7

    Les choses relles ne se passent pas de moi.

    Je suis le garant quelles nont pas de double.

    Llphant rose de tes dlires, cest moi.

    Celui qui garde tes souvenirs au cas o tu en aurais besoin.

    Je suis ton grand frre psychotique,

    Celui qui na pas eu dautre choix que de subir cette grande mort.

    Mes annes derrance, quelquun dautre sen souviendra

    Mieux que moi.

    Ceux et celles que jai rencontr(e)s avant de devenir fou

    Te parleront de moi.

    Eux, ils se souviendront.

    Eparpills sur un morceau de terre terreuse

    Nous nous perdons en nous-mmes et au-dehors.

    Nous partons et nous revenons un peu.

    Egars aux yeux sombres

    En nos noirceurs, nous nous rgnrons.

    O la longue minute noue nos ventres

    Quand nous te voyons passer.

    Toi, la belle comte de nos penses.

    Olivier Roi

  • 8 9

    Mes collgues infirmires et moi-mme souhai-

    tions vous faire partager laspect atypique que peut

    avoir notre rle infirmier lEsquisse.

    Nous accueillons les adolescents sur diffrents

    temps que sont les Accueils informels, les repas th-

    rapeutiques, les entretiens mdicaux et les ateliers

    artistiques.

    En dehors de notre rle dobservation, dcoute,

    de transmission et du fait dtre garantes du cadre

    institutionnel, ainsi que damener du tiers, entre

    autres, nous avons un rle spcifique et atypique

    au sein des ateliers artistiques. Un rle de soutien

    aidant ladolescent en panne ou en difficult dans

    son propre processus de crativit.

    Parfois, nous sommes amenes porter lado-

    lescent pour se faire.

    Notre participation peut tre moteur dans la dyna-

    mique de groupe ou d'un point de vue plus individuel.

    Dautre part, linfirmire est garante du droule-

    ment de latelier, dans sa temporalit permettant

    lartiste dassurer la continuit de son atelier auprs

    du groupe lorsque, justement, un adolescent serait

    en difficult.

    Chaque atelier a un pr et un post-groupe. Cest

    dans ce dernier que lon rapportera les diffrents

    mouvements psychiques reprs pendant latelier

    et que lon se fera porte-paroles des ressentis et des

    motions vcus.

    Ce qui nous amne dire que : cest avec notre propre

    histoire que lon fait, en plus de nos bagages profes-

    sionnels et de nos diverses expriences antrieures.

    Cest un engagement singulier o nous sommes

    directement convoques en tant que sujet, on ne peut

    pas tricher, on donne de soi-mme, parfois on est

    comme mises nues , tout en gardant une distance

    thrapeutique qui doit rester identifiable pour lado-

    lescent.

    Et puisque nous travaillons beaucoup dans la sub-

    jectivit, il est essentiel dchanger et de partager les

    mouvements transfrentiels et contre transfrentiels

    identifis, de les rintroduire dans un travail dquipe

    lors des temps de runion institutionnelle, afin de

    retravailler en entretien avec ladolescent concern.

    Pour illustrer, je vous propose de vous relater une

    exprience vcue :

    Je suis rfrente de latelier dcriture Du cur

    la main et je suis prsente auprs de lartiste, vi-

    demment, en tant que soignante, mais galement en

    tant que sujet puisque, comme les adolescents, je

    suis attendue dans lcriture ce moment-l.

    Le travail avec lartiste nous amne, donc, nous

    dcaler de notre fonction de soignante pour occuper

    une place singulire.

    Il ne ma pas toujours t ais dcrire et il mest

    arriv de caler , de ne rien produire.

    Ladulte que je suis, idalise dans lesprit de cer-

    tains adolescents, devient plus vulnrable, dvoile

    ses propres faiblesses.

    Cest un vrai investissement personnel pour le soi-

    gnant qui peut se sentir comme mis nu parfois.

    Donc, le fait de rencontrer des difficults dans

    lcriture, de caler et de lexpliquer tout simple-

    ment aux adolescents, a eu pour effet, contraire-

    ment ce que je pouvais imaginer, de les rassurer

    dans leurs propres difficults, pour certains de se

    mettre, de sautoriser finalement crire, de quit-

    ter leurs cales qui les empchaient de naviguer

    dans lcriture.

    Rendant possible ce qui pouvait paratre impos-

    sible pour ladolescent.

    Intervention de Mme Christine Benkhedimi, infirmire lHpital de jour lEsquisse lors du colloque

    Adolescence et Cration, Nouveaux Enjeux-Nouvel En-Je des 15 et 16 novembre 2013

  • 8 9

    Je pense partir lintrieur,

    Entr enfin dans un monde meilleur,

    Que vais-je y trouv dans cet ailleurs ?

    Sans doute un endroit o nexiste plus la peur ?

    Jarrive dans ce pays nouveau.

    Tout semble parfait, si beau.

    Les gens sont trs accueillants et chauds.

    Je me sens dj comme en colo.

    Et le temps passe et la ralit sexprime.

    Car de plus en plus rien ne va, rien ne rime.

    Les gens, les mdicaments comme le quotidien sont vides.

    De plus en plus je perds la tte et prends des rides.

    Je hurle, je conteste, jen veux au monde entier.

    Je frappe, je menace, je simule, je mens.

    Rien ne va, cela me va et a se sent.

    Du coup la camisole et la chambre disolement.

    Un rayon de lumire apparat enfin.

    Il vient de mon visage qui sourit en faim.

    Je me nourris despoir et de rve sans fin.

    Jai arrt de dompter en vain.

    Les gens de lintrieur pensent que je dois aller ailleurs.

    Un ailleurs qui est le monde de lextrieur.

    Cet extrieur que jai voulu fuir de lintrieur,

    Cet intrieur que jai voulu quitter de lextrieur.

    Maintenant mon esprit chevauche le vent toil,

    Et je mesure le chemin ncessaire pour lever le voile.

    Sur la mer argente, je hisse les voiles.

    Et la caravelle dessine ma vie sur une nouvelle toile.

    Kim Thomas Nguyen

  • 10 11

    Je me souviens dune confrence de presse, je mtais leve dans la salle pour dire que je voulais tmoigner que psychanalystes et parents sont lis par le fait quils traitent le sujet, que cest ltre quil sagit de faire clore.

    Je ne pensais pas que le titre de Parent me

    conduirait prendre un jour place une tribune.

    Parce qutre parent, cest dabord et fondamentale-

    ment du bricolage. Un bricolage o lon fait ce quon

    peut, avec les embrouilles du rel, entre les exigences

    gloutonnes de la vie professionnelle, les embarras du

    couple, et un certain idal social que lon sefforce de

    transmettre travers la ligne familiale.

    LA GUERRE DU STROTYPE EST DCLARE

    Pourquoi suis-je ici ? Des parents denfants autistes

    ont lanc une guerre. Contre la psychanalyse ? Si ce

    ntait que cela ! La guerre, cest contre eux-mmes

    et contre leur enfant quils la mnent, bien dcids

    radiquer les strotypes dont celui-ci est affect. Le

    terme que lon emploie aujourdhui Trouble Enva-

    hissant du Dveloppement renvoie limaginaire

    de lenvahisseur. Il fait entendre la musique stridente

    de larrive des Aliens. Alors, videmment, tous les

    moyens sont bons, toutes les contraintes sont justi-

    fies, puisque cest lenvahisseur que lon va extirper,

    pour rtablir lenfant normal. Lexorcisme, au nom

    de la science ! Je me sens fortement interroge par

    cette parentalit normative qui revendique de sins-

    rer comme un simple rouage fonctionnel dune soci-

    t entirement tendue vers lefficacit totale. Le zro

    dfaut. Lalliance du capitalisme et de la science, on

    connait a, dj, dans lentreprise.

    UN SAVOIR-Y-FAIRE OPRANT

    Alors, loppos du conditionnement oprant de

    lABA, je voudrais juste vous dcrire comment je me

    suis appuye sur ce que Louis me dit, et comment je

    lentends, et comment lui mentend.

    Jai aussi appris y-faire pour que les diffrentes

    institutions de mon secteur (crche, cole, CATTP,

    CMP, hpital de jour...) collaborent avec le souci de

    lenfant ; jai ainsi constat que, dans chaque institu-

    tion, cest le dsir de la personne, du professionnel,

    qui est en jeu. La chance a voulu qutant analysante,

    et lectrice, jaie pu, dans cette circonstance, trouver

    une inspiration dans pratique plusieurs des insti-

    tutions lacaniennes du rseau RI3, o chacun amne

    sa singularit, dans un cadre conceptuel cohrent.

    Cest de cette aventure et de ses enseignements que

    je me propose de tmoigner.

    La nounou de Louis ma demand lire sur lau-

    tisme. Je lui ai pass lautobiographie de Donna Wil-

    liams. Depuis, elle se rfre souvent ce que dirait

    la grande Donna , confirmant quil y a bien quelque

    chose transmettre dun savoir-y-faire oprant,

    condition de sautoriser de la plus grande singularit.

    Et puis, il y a le faire avec de Georges, le frre

    jumeau de Louis, qui ma dit un jour, en considrant

    les peluches qui lentouraient ; Maman, a ne va pas !

    Mes petits amis, ils ne parlent pas !. Je lui ai alors

    rpondu : Cela ne tempche pas de leur parler. Re-

    garde, Louis ne parle pas, mais pourtant, il te rpond.

    Georges joue parfois se dplacer ttons sous un

    drap, en dclarant ouvertement quil fait comme

    Louis. Il cherche ainsi prouver quelque chose de

    son univers. Georges na pas son pareil pour savoir ce

    que veut son frre. Il dit souvent, en observant les pr-

    paratifs de ballade, ou de repas Louis sera content.

    LES PREMIERS SIGNES DE LOUIS

    U1 ","1--

    Un tout premier signe que Louis nous a fourni de

    son monde intrieur, vers lge de dix mois, peu aprs

    lapparition des premiers symptmes, des premiers

    LOGE DU BRICOLAGE

  • 10 11

    questionnements, fut une jubilation intense jouer

    avec le volant de ma jupe qui lui recouvrait les yeux

    alors quil tait tendu sur le tapis aux pieds de son

    papa. Il jouissait, et cette jubilation avait trouv le

    bord de ma jupe pour sexprimer.

    U1 ,/*,"*/1

    Le deuxime signe arriva comme une effraction.

    Peu de temps aprs que je lai pens sourd, Louis

    dlivra 20 mois son premier concert vocal au beau

    milieu dune salle dattente, rvlant un rpertoire

    impressionnant. Le spectacle tait saisissant : il chan-

    tait avec aplomb, justesse et rythme, une main colle

    loreille comme le font les muezzins, au point que

    le brouhaha ambiant sembla sestomper. Une intense

    posie se dgageait de cette scne. Ce jour-l, je me

    sentis toute fire et ragaillardie. Il tait musicien !

    Que demander de plus ?

    U",1

    Au dbut, quand je portais son biberon Louis, il

    ouvrait la bouche et laissait tomber sa ttine comme

    le corbeau de la fable cest--dire qu linstant

    mme, la ttine nexistait plus. Un objet obturateur

    prenait la place sans quil y ait de transition, sans

    lcher prise, par vaporation de celui quil y avait

    avant. Il ny avait donc pas davant et pas daprs. Pas

    de manque. Je passais mon temps faire rapparaitre

    les ttines vanouies.

    LES INVENTIONS DE LOUIS

    U 6 /" 1"1

    Puis, un jour, Louis se mit me rendre son biberon

    en main propre quand il avait fini de boire. Jaccu-

    sai rception, mais ntait-ce pas contradictoire avec

    la-temporalit radicale que javais cru dceler ? Cest

    en minterrogeant sur ce comportement intrigant que

    jen suis venue la rponse logique : il fallait quil y

    et un double pour que Louis puisse lcher le biberon

    sans que lobjet cesst dexister. Le double est plus

    que le simple outil-prolongement-de-la personne uti-

    lis pour saisir un objet convoit. Ici, il sagit non pas

    de saisir, mais de retourner un objet son envoyeur.

    Le double nest cependant pas vraiment un autre.

    Cest un ddoublement de la personne, qui joue un

    rle fonctionnel, pour pallier labsence de lAutre.

    Cette invention fut essentielle pour Louis, car elle

    lui permit de grer et de matriser des activits cons-

    cutives tout en accdant la possibilit de prparer

    simultanment autre chose. Il pouvait dornavant por-

    ter ensemble ou alternativement sa ttine et son lange-

    doudou, il pouvait confier lun ou lautre ou les deux

    un adulte quand il voulait jouer. Aujourdhui encore,

    il vrifie bien quon ne dpose pas lobjet confi, car

    sil lui est dornavant possible de cder quelque chose

    sans le perdre, la csure reste redoute.

    U 6 /" -" /1,-,618

    Aux premires vacances, Louis ne voulait pas quitter

    le contact mtallique de la voiture, totalement entrav

    dans sa capacit de dcouverte. Conduit au parc, il

    saccrochait un panneau signaltique, et nen bougeait

    plus. Aux vacances suivantes, il accepte de lcher la voi-

    ture et commence trottiner gentiment jusquau pre-

    mier lampadaire. Et l, il reprend une ronde extatique

    autour du poteau mtallique. Il ressemble lallumeur

    de rverbre du Petit Prince, qui allume et teint le

    ciel. Nous sommes forcs de larracher au connecteur

    merveilleux. Heureusement, la plage est au bout du par-

    cours. Le jour suivant, Louis jette un coup dil rapide

    au lampadaire et se dirige directement vers la plage.

    Le trajet du jardin public entre la voiture et la mer est

    devenu le connecteur merveilleux.

    Il y a toutes sortes de connecteurs : les traves hori-

    zontales des btiments, la main de ladulte, la petite

    fourmi qui monte qui monte et qui fait guili-guili, le

    trajet du matin, le bus qui ramne la maison Ils

    permettent Louis dlargir son monde tout en pr-

    servant une sorte de sentiment cosmique de scurit.

  • 12 13

    Le fait quil anticipe la destination est essentiel. Les

    connecteurs sont des objets secondaires rsultant

    dune opration de transformation et tmoignent

    donc du dsir et de la capacit dvolution de Louis.

    Leur rapide rigidification traduit nanmoins leur ca-

    ractre autistique. Si le trajet est identique et rpti-

    tif, alors, toute dviation ou modification accidentelle

    instaurera une dchirure.

    U1 ,/1,1-

    ce stade, mon intervention a consist doser de menues variations dans les programmes quotidiens.

    Une partition qui nest jamais tout fait la mme et

    jamais tout fait une autre, comme le thme et varia-

    tions ah vous dirais-je Maman de Mozart. Loppos

    radical de la programmation comportementaliste qui

    ne peut que renforcer la rigidit de lautiste et lui inter-

    dire toute initiative. Je me suis au contraire inspire de

    la faon quil a doccuper lespace en tournant autour

    de ce qui lintresse, dcrivant des trajectoires parfois

    imprvisibles, mais toujours dune grande prcision,

    dont on peut lire lcriture par leffet dune perma-

    nence rtinienne. Une criture proprement musicale.

    LES PARTENAIRES INSTITUTIONNELS

    Il y aurait beaucoup de choses dire sur les parte-

    naires institutionnels. Jen dirai trois, essentielles.

    U1 \ limportance de laccueil prcoce, sans prre-quis, surtout sans se prcipiter sur le diagnostic. De

    ce point de vue nous avons eu la chance dtre pris en

    charge immdiatement, et sans procdure administra-

    tive, dans un Centre thrapeutique du Tout Petit et de

    bnficier de la coordination entre les quipes de la

    crche et du centre thrapeutique. Larrive des trois

    ans a cependant t une priode de grande angoisse,

    car Louis ntait pas prt entrer lcole maternelle.

    U18\ un accueil qui doit se garder de tout schma simpliste normalisant. La multiplication des interlo-

    cuteurs qui il fallait chaque fois raconter lhistoire

    familiale est certainement la chose la plus pnible que

    nous ayons vcue, car la norme de la famille idale est

    toujours l, en rfrence, avec le mythe de Maman

    et Papa galit, conscients, responsables et dispo-

    nibles, ce qui nest dj pas facile en temps normal

    et qui l devient carrment explosif pour la mre, car

    cest sur elle en dernire instance que se reportera

    lexigence normalisante.

    JE CONSIDRE AU CONTRAIRE, QUIL Y A QUELQUE

    "-, *,/1,1 ,, quand elle

    se trouve institue par son enfant en tant que double,

    ce qui nest pas simple, chacun peut aisment le conce-

    voir. Comme tout objet autistique, la diade mre-enfant,

    quand elle existe, est le partenaire naturel de lenfant, et

    cest cet objet qui va lui permettre dvoluer vers lauto-

    nomie, par la ncessaire intervention de linstitution.

    U/,"- \ lindispensable effet de coupure qui est la fonction de linstitution, quelle soit thrapeutique

    ou ducative, ou de prfrence les deux, condition

    davoir respect les particularits de la construction

    de lenfant, comme je vais lillustrer pour finir.

    U1 1,6",

    Louis vient dentrer lhpital de Jour de la Fon-

    dation Valle. Au regard de la crche, les lieux et les

    modalits daccueil sont configurs diffremment. Il y

    a une sorte de vestibule o je remets Louis son du-

    catrice, qui le salue et le prend en charge. Ds le deu-

    xime jour, Louis franchit le seuil avec enthousiasme

    et slance vers lintrieur. Mais mi-parcours, il se

    retourne et minterroge du regard : Tu viens ? Je lui

    rponds : non, je ne rentre pas avec toi, cest ici pour

    toi, moi, je vais maintenant au travail. Alors, il esquisse

    un petit signe de la main, un geste qui semble bien

    me dire au revoir. Cest la premire fois que Louis me

    salue. Il a fallu que cet espace protg et rserv soit

    dsign par linstitution qui laccueille pour provoquer

    une conscience de la coupure entre lui et moi.

    Une semaine aprs, japprends que Louis a un copain.

    Voil. Louis a aujourdhui quatre ans. Nous avons

    une longue route devant nous, comme pour tout enfant,

    et je ne peux en aucune faon prdire ce quil deviendra,

    comme pour tout enfant. Un point essentiel est acquis,

    cependant : Louis est une personne distincte.

    Mireille Battut - Prsidente et co-fondatrice de lassociation

    La main loreille - lamainaloreille.wordpress.com

  • 13

    image ralise au CATTP

  • 14 15

    Quel est llment transitionnel entre : Quoi ? et Qui ? ;

    eh bien cest : Pourquoi ?

    Quels sont les lments de ma nature inne et exprimente

    qui font que jvolue vers tel ou tel sens ?

    La rponse cest : Comment ?

    La nomination nest quun leurre, car en ralit la nomination

    ne fait que conforter le regard de lautre sur lAutre.

    Mais il faut bien que Je soit diffrent du je.

    Alors Je suis.

    Mais lAutre nest pas rationnel.

    Car il est diffrent du Je.

    Do le Darwinisme.

    Mais alors comment Je ?

    En ralit Jcris et lAutre lit.

    Kim Thomas Nguyen

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    MATTHIEU : Pour parler de la psychiatrie huma-

    niste pour laquelle on milite... il faut parler de la loi

    vote en 2011 que nous avons combattue.

    Elle a introduit le contrle par un juge des liber-

    ts et de la dtention des hospitalisations doffice ou

    des HDT cest--dire que le malade hospitalis va

    le rencontrer automatiquement au bout de quinze

    jours, pour quil sassure que cette mesure nest pas

    abusive. Cette judiciarisation a t salue comme une

    avance concernant le respect des droits des patients.

    Pour moi, cela pose problme car cela assimile lhpi-

    tal et la dtention... Et dans la pratique, le juge nest

    pas comptent pour se prononcer contre lavis mdi-

    cal. Il ne prononce de librations, que si un certificat

    na pas t dlivr dans les dlais impartis, que sil y a

    un dfaut dans le respect de la procdure...

    OLIVIA : Cela ressemble une avance dmocra-

    tique, mais le juge cest vraiment larbre qui cache

    la fort, parce que cette loi a aussi donn la psy-

    chiatrie un tout nouveau pouvoir sur les individus :

    celui de prolonger la contrainte en dehors de lh-

    pital, sous la forme de programmes de soin sous

    contrainte en ambulatoire.

    MATTHIEU : La loi a refond les conditions dhos-

    pitalisation sous contrainte. Maintenant on entre en

    soin psychiatrique sous contrainte la demande

    dun reprsentant de lEtat (lancienne hospitalisation

    doffice). La loi a introduit aussi la possible dhospi-

    taliser sans tiers pour pril imminent (en labsence

    de trouble lordre public, alors quavant, il fallait

    laccord dun proche pour hospitaliser quelquun).

    OLIVIA : Ce qui a bascul, cest quavant, ce qui

    tait contraint ctait lhospitalisation, pas le soin.

    Cela parat peut-tre anodin mais dj, cela donne

    lide que cest quelque chose de possible soigner

    sous contrainte...

    Avant, le recours la contrainte, ctait unique-

    ment si une hospitalisation complte se justifiait,

    un moment donn et limit dans le temps : on res-

    sortait de lhpital en retrouvant son entire libert...

    Alors que par dfinition, le principe de soin sous

    contrainte peut se prolonger lextrieur, cest--

    dire sous la menace dune r-hospitalisation, si on

    ne se prsente pas un rendez-vous, si on vient pas

    chercher son mdicament date fixe, heures fixes,

    tel que le protocole la stipul.

    Nous, on sest mobiliss contre cette loi, qui tait

    lpoque un projet, car lide que les psychiatres

    puissent se dispenser de nous inspirer confiance, de

    proposer une coute qui fait quon na aucune raison

    de fuir, lide quils pourraient prtexter de notre

    dni de la maladie pour prolonger la contrainte au-

    del de lhpital, cest--dire y compris quand a va

    mieux, nous effrayait.

    ROMAIN : Pardon, pour bien comprendre ce qui

    est nouveau dans la loi, les obligations de soins par

    la justice, a existait avant pour les alcooliques par

    exemple...

    MATTHIEU : Il existe des injonctions thrapeu-

    tiques pour lalcool au volant, la drogue etc. mais a

    Le recours la contrainte, pour nous, est un indicateur pour dnoncer le mauvais soin.

    Extraits dune rencontre avec lassociation HumaPsy le 13 avril 2013 en Fonderie au Mans dans le cadre de Encore Heureux... taient prsents trois membres dHumaPsy, des membres

    dun GEM, des membres du Collectif Encore Heureux, des membres des Cafards (collectif de chmeurs et prcaires), des membres de la Fonderie et du thtre du Radeau.

  • 16 17

    sest dans un cadre de dlinquance. Il y avait dj des

    hospitalisations doffice, mais maintenant on ne res-

    sort plus avec tous ses droits de citoyens, on ressort

    avec un programme de soins qui est coercitif.

    OLIVIA : Sans que tu reprsentes une menace

    quelconque pour la socit !

    FRED : La diffrence majeure cest quavant on

    tait contraint au soin par lhospitalisation, maintenant

    on est contraint au soin domicile et la diffrence, elle

    est quand mme assez norme. videment si lhpi-

    tal continue de dgnrer... on va te dire, cest mieux

    dtre chez toi que dedans. Mais un hpital digne de ce

    nom toffre autre chose que des mdicaments...

    On connat en dfinitive les raisons : cest que les

    hpitaux ont moins de moyens et des personnels de

    moins en moins qualifis (le diplme dinfirmier psy-

    chiatrique a disparu) donc il est plus intressant que

    les gens restent chez eux avec juste lobligation de

    venir chercher le mdoc ou une rencontre impose

    par la loi : cest du mdico-lgal, pas du soin.

    MATTHIEU : Ce qui est problmatique aussi l-

    dedans cest que lhospitalisation devient une sanction.

    Dans le mot hpital, il y a hospitalit. Un

    endroit o on est soign, o on est protg. videm-

    ment parfois ils sont ferms mais ce nest pas une

    prison, pas une menace, on nest pas condamn

    aller lhpital ; on peut vous y emmener parce que

    vous allez mal et vous soigner pour que vous en res-

    sortiez. L, on vous dit : vous sortez mais si vous

    dconnez vous y retournez. Le psychiatre devient

    un maton, un auxiliaire de justice.

    BNDICTE : Lhospitalisation, a devrait tre

    une invitation...

    OLIVIA : Oui, quand on a une bonne relation

    avec lquipe et si lhpital na pas t vcu prc-

    demment comme traumatisant, une hospitalisa-

    tion recommande peut tre une hospitalisation

    accepte. Mais depuis la diminution des lits en

    psychiatrie, ce qui se passait parfois, cest quon

    transformait artificiellement une demande dhospi-

    talisation libre en HDT, considre comme situation

    prioritaire pour trouver une place lhpital.

    Cette loi, on pourrait stonner quelle soit passe :

    cette possibilit dobliger prendre des traitements

    en dehors de lhpital, a avait de quoi inquiter...

    Quand jai commenc entendre parler du pro-

    jet de loi, je me suis dit : a va tre un scandale...

    cest trop gros... Les droits de lhomme, a va faire

    ragir. Quelque chose est en train de se passer qui

    pourrait tourner au cauchemar de science fiction...

    Mais, non, on na pas russi veiller lintrt de

    lensemble des citoyens... sur ce choix de socit !

    Sans doute parce que tout un chacun imagine que

    cela ne peut sappliquer qu des personnes trs trs

    malades, qui ne peuvent pas se rendre compte de

    leur folie.

    Et puis, les mentalits, amplement travailles par

    les mdias taient prpares accepter cette vo-

    lution : ce quon entend beaucoup sur les maladies

    mentales, quelles sont des maladies comme les

    autres. Ce discours qui est utilis comme le seul ar-

    gument possible de la d-stigmatisation par presque

    toutes les associations dusagers et par les associa-

    tions des parents, colle celui dune partie de la

    psychiatrie. Cest un discours trs schmatique, qui

    donne lide quon va tout rgler par le mdicament,

    ou bientt la neuro-chirurgie. Si on est absolument

    convaincu que la molcule rgle tout, alors o est le

    problme ? Mais les effets secondaires sur le psy-

    chisme de cette dconsidration de ta parole, ne sont

    pas du tout pris en compte...

    Je ne nhabite pas Reims comme les fondateurs

    dHumaPsy, et jai eu affaire un secteur psychia-

    trique qui tient ce discours-l, qui ramne tout la

    maladie vie, comme le diabte... et qui ne sint-

    resse pas du tout lhistoire de chacun. Des psy-

    chiatres dont on se dit quils rveraient de pouvoir

    utiliser la contrainte, je navais rencontr que a.

    Concernant lapplication de la loi, les chiffres vont

    peut-tre sortir pour mesurer comment les services

    ont recours la contrainte dans la dure.

    Pour nous il parat clair quune quipe qui sins-

    talle durablement dans le recours la contrainte, ce

    sont des gens qui travaillent mal. Se soigner, cest

  • 16 17

    un cheminement, permis par des rencontres, de

    lcoute, il faut trouver des lieux accueillants pour

    avoir une chance de se faire aider. Avec cette loi, la

    psychiatrie est officiellement dispense de crer les

    conditions dun soin possible en prtendant remplir

    sa mission en mdicalisant et cest tout.

    GUY : Il y a quand mme des soignants qui ont

    ragi aussi, qui se sont organiss contre cette loi, qui

    ont cr des collectifs, dont on fait partie. Je suis soi-

    gnant en psychiatrie lhpital de jour et je me sens

    aussi bien sr tout fait concern par ce que vous

    dnoncez. Jai une formation de base dinfirmier

    psy... quand elle existait. Je trouve la loi tout fait

    scandaleuse et on a ptitionn, on sest runi et on

    a essay douvrir dautres mouvements, des fa-

    milles de patients ou aux patients eux-mmes. Alors

    a a pris, a na pas pris, a a cafouill, a se casse

    un peu la figure.

    Il y des gens qui essaient de bouger, de faire que ce

    nouveau gouvernement tienne ses promesses aussi.

    FRED : Si je peux me permettre, les promesses

    ils les tiennent... On rencontrait avant quils soient

    lus, des socialistes puisque cest deux que lon

    parle. Avant mme daccder au pouvoir, ils nous

    avaient prvenu demi-mots, quils ne changeraient

    rien. Au meeting des 39, le reprsentant du P. S. a dit

    nous ne serons pas le gouvernement de labroga-

    tion donc leurs promesses, ils les tiennent. Ils sont

    engags dans cette voie parce que tout cela est li

    deux choses : la politique et largent, voire sur un

    plan international. On parle de sant mentale pour

    toute lEurope, cest le mme programme pour toute

    lEurope, le chemin est trac.

    OLIVIA : Il y a des tas de familles qui se rendent

    compte que la contrainte nest pas la solution, cest

    du bon sens. Et visiblement dans le service o vous

    travaillez, on ne ressent pas le besoin davoir recours

    la contrainte, parce que les malades viennent

    volontairement vers vous. Malheureusement, ce

    ne doit pas tre le cas partout. Du coup, il y a des

    parents qui ont considr le principe de contrainte

    au soin en ambulatoire, comme une solution pour

    contraindre... les quipes de soin ne pas les laisser

    tomber.

    FRED : On nen a rencontr beaucoup des parents

    qui ntaient pas daccord avec la loi. Mais il savre

    quil y a une seule organisation qui les reprsente,

    et qui ne les consulte pas dmocratiquement pour

    porter leurs revendications, alors quelle est linter-

    locuteur privilgi des gouvernements. De la mme

    manire, les associations dusagers qui existaient

    lpoque ont t consultes, mais on na pas tenu

    compte de lavis des patients concerns, personne

    nest all dans les hpitaux leur demander ce quils

    en pensaient, parce quen ralit la parole du patient

    elle na aucune importance. HumaPsy est n de cela,

    du fait que lon ne sest pas senti reprsents par les

    gens qui prtendaient parler en notre nom. Cest de

    l quon a merg. Il y a aussi la prise en charge dont

    on a pu bnficier. En mme temps que cette loi a

    t propose, on a commenc jeter un regard sur

    ce qui se passait en psychiatrie, ailleurs.

    On a dcouvert ce qutait une technique com-

    portementaliste, ou la psycho-ducation, et surtout

    que la pression des lobbies pharmaceutiques, a pse

    lourd. Nous on a pu bnficier dans le CMP o on

    est Reims, en plus des traitements ce qui dans

    la plupart des cas est indispensable de laccueil,

    de lcoute, de la disponibilit du soignant qui est

    propice au mieux-tre et je ne veux pas dire la gu-

    rison ce serait exagr, mais en tout cas au mieux

    vivre, lintgration dans la vie, dans la ville, dans

    la socit, dans un appartement classique... tout a,

    cest quelque chose dont nous, on a pu bnficier

    et on a eu de la chance parce que dans beaucoup

    dendroits ce nest pas comme a. Les gens sont

    lhosto tant quil y a de la place et quand il y a plus

    de place, on les dgage de l parce quon considre

    quils iront peut-tre un peu mieux dehors et quil y

    a quelquun qui est dans une situation plus urgente,

    qui a besoin de cette place, et des places il y en a

    plus trop. Cest comme a, cest un cycle hpital-rue,

    hpital-rue, parfois hpital-rue-prison, on parle de

    30% de gens incarcrs qui seraient en ralit plus

  • 18

    MAIL

  • 18 19

    leur place lhpital, en appartement thrapeutique

    ou dans dautres circuits plus adapts leur tat.

    Ce qui nous donne envie de bouger, ce qui nous

    donne envie de rencontrer des gens un peu partout,

    comme ici, ou dans des CMP on aimerait aller dans

    des hpitaux pour collecter des tmoignages et sur-

    tout aussi pour rpandre un peu despoir. Il y a un tas

    de gens qui se morfondent dans des services, ils ont

    mme pas de perspectives parce quil y en pas pour

    eux... et bien si ! En ralit, il y a des choses faire,

    la vie, elle continue, on peut vivre avec la maladie,

    on peut vivre avec la souffrance, on peut mme att-

    nuer la souffrance suivant la prise en charge dont on

    bnficie. Tout a, nous on en est les tmoins, donc

    on a envie den parler, on a envie que a se sache,

    que les gens gardent, reprennent espoir ou trouvent

    lespoir, cest quelque chose qui nous intresse.

    MATTHIEU : Par ailleurs, le terme de sant

    mentale pour tous vient de la faon dont on

    conoit la mdecine en Amrique du Nord. Les

    anglo-saxons appelle a EBM (Evidence Based Mede-

    cine) base sur la preuve ; ils ont ont mis en place un

    systme de rfrenciels et de diagnostics manuel

    statistique et diagnostic appel le DSM IV [ lheure

    de la publication le DSM V est paru] qui contient

    une liste de symptmes quils appellent maladies, qui

    correspondent chacune un code, et ventuellement

    lindustrie pharmaceutique met en face une petite

    combinaison de pilules. Et cest cela quon apprend

    aux mdecins en France. La psychanalyse, la psycho-

    thrapie institutionnelle ne sont pas enseignes.

    Et pourtant, le psychiatre est le seul diplm qui

    possde doffice le titre de psychothrapeute alors

    que dans la majorit des facults franaises, la psy-

    chothrapie nest pas enseigne...

    INTERVENANT : Il y a une contradiction entre

    la dfinition quon a du psychiatre et du psycho-

    logue. Mais ce que jai pu voir sur diffrents sites

    cest : Ne guris pas, tente de gurir. La nuance

    est faite aujourdhui avec les mdicaments, le trai-

    tement chimique, biologique. Vous parlez dcoute,

    de psychothrapie institutionnelle, de psychanalyse,

    de discussions, de prendre le temps, a cest trs

    important. Parfois on rduit vous allez mal, alors

    mettez trente gouttes au lieu de vingt pourtant on

    aimerait bien expliquer pourquoi on va mal, voir do

    vient le mal, que a vient dun drame de la vie, de plu-

    sieurs drames de la vie. Il y a une phrase quon entend

    souvent entre nous cest : la maladie faut faire avec.

    MATTHIEU : Je parle un peu de moi, mais je me

    considre comme fou et quelque part je le revendique

    maintenant et je nai pas lintention den gurir. Cette

    folie je veux la garder toute ma vie et travailler avec. La

    folie est intrinsque lhumain, elle a toujours exist,

    de tous temps. Elle na pas toujours t traite de la

    mme faon, parfois elle a t accepte, parfois elle

    a t prise comme des oracles et puis trs longtemps

    enferme, cache derrire des murs. Certains aprs la

    guerre ont essay de casser ces murs et de mler tous

    ces gens la socit. On sent que le renfermement

    se fait de plus en plus sentir et lisolement. On a cr

    des UMD (Units pour malades difficiles en France)

    qui sont des forteresse psychiatriques. Il y a des gens

    qui tentent de subvertir a, des psychiatres engags,

    mais tout ce quon a su faire ces dernires annes, cest

    monter les murs, installer des portes fermes cl, des

    nouvelles contentions il y a un kit de contention qui

    sappelle le kit Pinel, a pose question car Pinel avec

    Pussin, ils ont dtach les malades... alors la conten-

    tion Pinel, elle est confortable, vous tes bien attachs

    confortable, cest super sympa...

    INTERVENANT : Je voudrais dire quelque chose.

    Un malade quand il est en crise, il faut le calmer

    aussi, comment on fait ?

    MATTHIEU : On discute avec lui. Il y a des gens

    qui y arrivent. Il y a des moments o on va trs mal,

    on peut vous enfermer, mais thoriquement on de-

    vrait pas laisser quelquun seul. Il y a des endroits

    o on arrive attacher quelquun et fermer la porte

    D Vj ii >iii>iV>`-ment o la personne est attache il devrait il y avoir

    quelquun avec, cest un minimum.

    BNDICTE : Cest vrai quil y a vingt ans un

    malade dlirant on restait avec lui, on laissait jamais

  • 20 21

    un patient tout seul, on devait lui tenir compagnie

    humainement.

    MATTHIEU : Il y a une psychologue qui me racon-

    tait une anecdote : en Algrie, dans un hpital psychia-

    trique pour enfants, une petite fille est attache sur son

    lit tout le temps ; cette psychologue qui tait en stage

    l-haut (sic) demande pourquoi elle est attache et on

    lui dit que si on la dtache, elle se cogne la tte contre

    les murs, quelle est dangereuse pour elle-mme etc.

    Cette psy ouvre la porte, elle va dtacher la gamine

    et elle la prend dans ses bras. Curieusement elle ne se

    tapait plus la tte contre les murs et elle essayait plus

    de se faire du mal. Peut-tre que lhumanit a peut

    tre quelque chose de plus contenant que des sangles.

    OLIVIA : Le recours la contrainte ou la conten-

    tion, ce nest pas une nouveaut mais ctait consi-d-

    r comme une exception, comme le dernier recours ;

    aujourdhui, on sait que dans certains services cest

    banalis surtout la chambre disolement. La com-

    mission qui est en cours [ vidos consultables sur le

    site de lAssemble nationale ], une chose les inter-

    pelle, cest quil y a des diffrences de pratiques : dans

    certains services, la chambre disolement ne sert ja-

    mais, la contention, on sen passe et les gens arrivent

    travailler sans ces mesures de contraintes ; mais

    dans dautres endroits, on en a besoin tout le temps.

    On nous a oppos que le politique ne doit pas se

    mler des guerres de chapelle, des dbats dexperts

    entre les mdecins qui ne sont pas daccord, cest

    trop technique comme dbat , mais le recours la

    contrainte, pour nous, cest un indicateur qui est

    assez utile pour dnoncer le mauvais soin.

    BNDICTE : La rgle, cest quand mme le soin

    libre.

    OLIVIA : La possibilit de contraindre les gens

    prendre leurs mdicaments, a dispense dlaborer

    autre chose avec eux. Il ne sagit pas de dire que les

    mdicaments ne servent rien les mdicaments

    ont fait leurs preuves mais le mdicament seul, on

    pourrait en parler... leffet na rien de miraculeux,

    chacun de nous pourrait en tmoigner mais sans

    doute la rgression dun symptme visible est rep-

    rable, valuable, alors que la psychothrapie... cest

    subjectif ! Le traitement psychotrope, qui se justifie,

    est aussi question de dosage, on peut avoir le droit de

    dire si vous maugmentez je souffre moins, mais au

    passage jai moins dmotions, je perds autre chose.

    FRED : Le jour o la parole du patient dans la

    mesure o il est cohrent a minima sera un peu

    plus prise en compte, peut-tre quil aura de grandes

    avances qui pourront tre faites, mais on en est

    encore loin. Pour le moment, cest le grand gourou

    psychiatre qui va dcider ce qui est bon et ce qui ne

    lest pas sans tenir compte de lavis du patient.

    GUY : Il y a encore des lieux o il y du travail

    dquipe, des runions, de la psychothrapie institu-

    tionnelle. Il y en a encore un peu, ils sont en minorit.

    OLIVIA : Cest difficile quantifier. Le travail que

    vous faites, si vous pouvez encore le faire, cest quil

    ny a pas encore une mainmise administrative, quil y

    a une rsistance qui sest organise.

    GUY : Il y a une mainmise administrative, mais

    on arrive sorganiser collectivement avec les soi-

    gnants, avec les patients et avec des personnes qui

    sont invites tenir face ladministration. Aussi

    comme on le disait tout lheure, avec certaines fa-

    milles qui ne sont pas daccord avec tout a. a cre

    quand mme quelque chose dassez fort, dassez cos-

    taud pour rencontrer les administratifs quil y ait des

    familles dans les conseils dadministrations. a peut

    paratre un peu anecdotique mais a joue pas mal.

    Vous parliez tout lheure des formations, mais

    le programme de dmantlement de la psychiatrie

    publique est luvre depuis trente ans. Je vois les

    choses assez localement mais je participe aussi des

    congrs en province ou ailleurs, cest vrai quil y a

    une dgradation de la prise en charge des patients

    mais aussi des conditions de travail. Le nombre de

    soignants est divis par deux dans les services ; bien

    sr cest compltement dingue de mettre des cam-

    ras aux entres, de fermer des portes et il ny a rien

    qui peut justifier cela mais il y a une politique, un

    programme un niveau europen de casse dun outil

    qui semblait assez costaud. Cest assez fragile tout

  • 21

  • 22 23

    a. La loi dont vous parliez tout lheure remet en

    question plein de principes fondamentaux et cela

    heurte notre quipe de soignants.

    MATTHIEU : Au del de la souffrance du patient,

    on a rencontr beaucoup de soignants qui nous

    disent souffrir de leurs conditions de travail et donc

    souffrir de ne pas pouvoir travailler, dtre obligs de

    se battre sans arrt pour travailler, voire quon les en

    empche, quon les isole.

    GUY : Je tmoigne quil y a des soignants qui ptent

    les plombs, burn out etc. parce ce quil ne sont pas du

    tout en phase mme sil nont pas eu la formation

    adquate ils voient bien quil a plein de choses qui

    dconnent dans ce qui leur est demand qui sort du

    champ dun travail de psychiatrie, humain, relation-

    nel, un travail de confiance. Il y a beaucoup de gens

    qui dmissionnent, qui font un autre boulot. Plutt

    que de mettre des gens forms psychiatres, psycho-

    logues, infirmiers on met des gens moins forms et

    a cote moins cher ; on connat cette politique lib-

    rale qui est luvre depuis vingt-trente ans.

    BNDICTE : Quand la loi tait ltude, on

    sest beaucoup bagarrs ; quand elle est passe, il y a

    eu un passage trs difficile et puis on sest dit ben

    non il ne faut pas lcher, il faut rester l et voir com-

    ment on fait pour dfaire ce truc . Cest vrai que a

    atteint profondment le cur du mtier de soignant.

    OLIVIER : Il y a des choses qui circulent de lentre-

    prise depuis lcole par capillarit, mais selon les lieux

    ce ne sont pas les mmes intensits de douleurs et cest

    dans cette diffrence-l que linscription et la connais-

    sance sont possibles. Les Humains , moi je ne sais

    pas ce que cest ; je vois o a va et o a ne va pas.

    BRUNO : Je suis daccord quand tu dis que ce

    nest pas la mme violence dans la socit, mais les

    points de ressemblance sont tellement grands...

    Je fais partie dun collectif de chmeurs, prcaires

    et on sorganise par rapport a, mais quand je vous

    entends, cest impressionnant les analogies. Le cur

    de ce dont on parle, laxiome, cest le soin libre et que

    cest a qui est mis en cause dans le traitement. L,

    cest la sant mentale , le bien-tre qui sont des

    mots plutt utiliss dans llevage. On dfinit ce que

    cest que le bien-tre, ladaptation cette socit. Ce

    qui est fait aux chmeurs cest pareil, on fait la parti-

    tion entre les bons et les mauvais chmeurs. Un malade

    est responsable de sa maladie , a certaines respon-

    sabilits sur la faon dont il se soigne et un chmeur

    a des responsabilits sur la faon dont il va chercher

    du travail. Il me semble quune des base du travail,

    le droit du travail, cest que le contrat de travail doit

    tre librement sign. Nous forcer au taf, faire du suivi

    obligatoire des chmeurs, cest un peu la mme chose.

    Il faut aller bien pour trouver un travail, il faut avoir

    des connexions et il y a plein de raisons pour lesquelles

    on nen a pas. Cette responsabilisation est trs proche,

    cest le mme mcanisme le cas par cas cest le

    mme discours, on va nous dire ce nest pas du tra-

    vail forc, ce nest pas de la contrainte , cest juste de

    la menace, on ne nous menace pas daller lhpital,

    on nous menace de nous radier. On va dire que ce nest

    pas anticonstitutionnel car on ne peut pas forcer les

    gens avoir du travail, par contre on va multiplier les

    petites formes de contrainte. Pour les chmeurs, on va

    utiliser le mot autonomie , cest dire que lon est

    de plus en plus seuls et de plus en plus dpendants de

    plein de dispositifs.

    JEAN-BAPTISTE : Pour rebondir et pour lier

    plusieurs des interventions on a dcrit les choses qui

    taient en jeu contre un mieux vivre ; mais il y a cette

    possibilit (mieux vivre), et je voulais vous deman-

    der o vous en tes par rapport cette rflexion

    et quest-ce que vous faites aussi concrtement :

    prendre soin les uns des autre et peut-tre sorgani-

    ser en collectifs, quest-ce que cela a apport, est-ce

    quil y a l quelque chose qui transforme une vision ?

    FRED : Pour rpondre la question que vous

    nous posiez, ce quon tente de faire, cest a, cest

    darriver faire comprendre aux patients et ven-

    tuellement aux soignants que ladhsion du patient

    et sa participation sa prise en charge sont essen-

    tielles, a parat vident, a na lair de rien, mais il

    faut rappeler aux gens quils sont matre bord, quil

    ne faut pas tout attendre de la mdecine.

  • 22 23

    TRISTAN : Pour rebondir, dans tout le travail

    quon fait ici : interventions sur le commun, le collec-

    tif de chmeurs... Comment le collectif, face tous

    ces processus dindividualisation, reste un moyen

    de se soigner ? Comment collectivement continuer

    croiser et poser les questions dans la rencontre

    et dans laccueil, dchanger et de faire avancer des

    questionnements. Il y a des gens qui ont un projet, on

    le sait, il est en acte, on le voit au quotidien l o on

    est, mais vous avez fait tout un travail depuis 2008

    qui ne sest pas arrt sur le discours et sur la loi,

    vous avez rencontr plein de gens et vous tes au tra-

    vail sur des propositions avec dautres collectifs (Ad-

    vocacy) et institutions qui mettent au travail de quoi

    on aurait besoin, quest-ce qui ne va pas ou comment

    avancer, comment continuer le travail collectivement

    et diffuser ces choses-l... quoi a tient ?

    FRED : Au del de pointer ce qui ne va pas, ce

    qui nous intresse cest de faire des propositions

    positives dans ce quon pourrait amliorer, dans

    les choses qui fonctionnent et quon pourrait dve-

    lopper. La critique on la fait, ce qui se passe on le

    sait, maintenant il faut passer autre chose, amener

    des propositions concrtes ; cest pour cela quon

    sest alli dautres associations qui ne sont pas

    forcment des associations de psychiatriss dail-

    leurs le CRPA [Cercle de rflexion et de proposi-

    tion dactions] cest plus les abus qui peuvent tre

    constats, cest plutt a leur domaine mais le tra-

    vail est commun, cest dapporter des propositions

    dvelopper.

    MATTHIEU : Sachant quon ne peut pas calquer

    les dispositifs. Les dispositifs sont composs comme

    tout le reste dtres humains, donc spcifiques. Une

    quipe cest une quipe, on ne peut pas la calquer

    sur une autre, le fonctionnement dun lieu, on ne

    peut pas le calquer sur un autre. Chaque endroit va

    crer son faire, son lien, son vivre ensemble. Don-

    ner des recettes on ne peut pas, contrairement aux

    autres qui disent il y a une recette on fait comme

    a . Chaque patient est diffrent, le travail slabore

    entre soignants et patients, individuellement.

    OLIVIA : Avec cette loi, bien sr que tout dpend

    de comment les quipes lappliquent. On peut trs

    bien ne pas abuser du pouvoir que donne cette loi ;

    elle est vote, elle existe, mais des quipes qui tra-

    vaillent avec de lthique, qui ont de lexprience,

    nen avaient pas besoin.

    BNDICTE : La loi telle quest est, personne ne

    peut tre daccord, aucun soignant.

    OLIVIA : Elle sapplique pourtant ! Elle est entre

    en vigueur, elle est entre dans les murs, cest dj

    banalis. Quant aux gnrations qui vont sortir des

    coles et ne connatre que a, a me fait peur...

    Une fois dans un dbat, une psychiatre en colre

    mavait dit Mais cette loi nest pas faite pour

    quelquun comme vous vous vous soignez quest-

    ce qui vous drange ? Cest pour des cas trs prcis,

    on nest pas dans un pays fasciste quand mme ! .

    Mais si jexprime un questionnement sur la rponse

    thrapeutique qui mest propose, je peux tre consi-

    dre comme dans le dni de mon trouble... et donc

    la loi peut sappliquer. Je nai jamais contest a pos-

    teriori la ncessit davoir t hospitalise en HDT.

    Je nen ai pas du tout voulu mes parents qui lont

    signe, mais je naurais pas support, quau prtexte

    que je nadhrais pas spontanment la prdiction

    de la chronicit quon puisse mappliquer un pro-

    gramme de soin sous contrainte.

    INTERVENANT : Je voulais rebondir sur la

    question qui travaille : celle qui allie chmeur-bran-

    leur-psychopathe... Cest un peu comme a dans

    linconscient des personnes. Il faudrait russir tre

    entendus, se faire entendre par des vraies instances

    ou des vrais mdias plutt que de faire du Agoravox,

    du petit site (internet). Il faudrait qu la quatrime

    page de Google, on voit apparatre vos associations.

    OLIVIER : Je peux rpondre ce que tu dis ? On

    avait un peu travailler l-dessus la Coordination

    des Intermittents et Prcaires il y a quelques annes.

    On avait dit Nous sommes les mdias par exemple.

    Le dsir profond cest vrai est de faire remonter ces

    paroles un niveau national parce que les mdias sont

    l, il y a quantit de tls qui diffusent des machins.

  • 24 25

    Sauf que la question est plus complique, car actuel-

    lement, il y a un documentaire par mois qui sort la

    tlvision en loccurrence Canal +, TF1 etc. sur la

    question de la sant mentale et qui sont beaucoup

    regards. Or quest-ce que fabriquent ces films ? De

    la peur, de la connerie, les patients ils ont un ban-

    deau ils ne sont pas responsables donc on ne leur

    demande par leur avis. Les seules personnes que lon

    voit dans ces films, cest les psys et les gendarmes, les

    vigiles de lhpital, les patients on les entend gueuler

    dans le coin mais cest flout. Si tu veux accder cette

    hauteur-l (mdiatique) il y a un certain nombre de

    contraintes formelles quon te colle sur le dos, donc

    ton film va ressembler quelque chose dindigne par

    rapport ce que tu veux y mettre dans lintrt mme

    des personnes soignes, des patients.

    Je rebondis un peu mais cest pour a quon a des

    fusils un peu imaginaires de Robillard. Il ne faut pas

    ngliger les formes dapparition et cest aussi pour

    cela que le collectif les Envoles montrent un travail,

    une forme dapparition de ces paroles-l. Actuel-

    lement dans ce quon appelle les registres mdia-

    tiques, documentaires et compagnie... les formes

    quils fabriquent sont contre nous, ils fabriquent un

    imaginaire collectif qui est vraiment grave, cest trs

    insidieux car a fabrique juste des bonnes intentions

    et de la bonne conscience.

    OLIVIA : Je te rejoins assez sur lide quil y aurait

    une ncessit se faire entendre un autre niveau, et

    notamment auprs de lopinion publique. La faon

    dont on traite les gens en psychiatrie, on aimerait

    que ce soit une question citoyenne qui concerne les

    gens bien au-del du fait quils soient concerns eux-

    mme ou leurs familles.

    Cest ce que vous disiez sur le politique qui coute

    peu et qui est trs dmuni devant ce qui parat tre un

    dbat dexperts cest largument utilis pour igno-

    rer la question politique que cela recouvre ! Avant

    les lections, on avait t reu par Marisol Tourraine

    dans une petite dlgation avec le Collectif des 39 et

    cest ce quelle nous a oppos : Ce nest pas le rle

    du politique dintervenir dans les dbats dexperts.

    Cest pour cela que la parole de lusager ou du patient,

    elle devient cruciale. Concernant les professionnels

    qui se sont mobiliss contre la loi, on a pu leur oppo-

    ser quils dfendent leur chapelle leur pouvoir, ou leur

    mtier, leur faon de le concevoir. Mais, nous on dfend

    notre libert, notre vie, et celle des copains, parce quil y

    a quand mme une solidarit qui est organiser... Il faut

    donc tre prts fournir ce tmoignage.

    JEAN-BAPTISTE : On peut y rflchir puisquon

    est nombreux. Comment vous vous y prenez, com-

    ment a marche, quest-ce que vous entendez faire

    par rapport a ?

    FRED : Par exemple, il y a eu la semaine de la San-

    t Mentale qui a t mise en place depuis un certain

    nombre dannes partout en France. Ils ont mis a en

    place pourquoi pas... sauf que le message quils dis-

    tillent ne nous a pas plu, on a dcid de faire quelque

    chose en rponse dune manire un peu affirmative

    leur proposition. Nous Reims, on a contribu

    mettre en place la semaine de la Folie Ordinaire

    folie ordinaire qui est un terme beaucoup plus

    accessible que cette vague notion de sant mentale

    dont tout le monde en dfinitive ignore ce que cest,

    et qui a peut concerner. Au moins la Folie Ordi-

    naire, a parat plus clair.

    On a organis des expositions qui exhibent le fruit

    de productions de gens en souffrance, on a organis

    des dbats avec des lus locaux, des professionnels,

    des patients, des soignants, le directeur de lhpital.

    Cest une exprience quon a mise en place depuis

    trois ans et qui petit petit prend de plus en plus

    dampleur au sein de la ville de Reims o on rside.

    Cette anne on a eu la surprise de voir dautres

    services se joindre la fte, des gens qui navaient

    absolument pas pris part la Semaine de la Sant

    Mentale les annes davant ; cette anne, pendant la

    Semaine de la Folie Ordinaire, ils ont eux aussi orga-

    nis, qui une expo, qui un dbat, qui une rencontre ;

    dautres ont ouvert leur porte, y compris mme un

    centre daddictologie. Tous azimuts, il y a des gens

    qui se sont saisis de lopportunit de pouvoir prendre

    la parole, de mener leurs revendications.

  • 24 25

    Voil une des choses quon a faite.

    TRISTAN : De crer un lieu et un temps o les

    choses puissent se rencontrer, se coller.

    FRED : Moi je suis assez satisfait de ce qui se passe

    car cest comme si cela devenait un rendez vous o

    peut-tre les gens finiront par se dire que pendant

    le mois de mars ils pourront recueillir des informa-

    tions relatives au domaine. Il y a des gens qui nosent

    mme pas voquer avec leur mdecin gnraliste les

    troubles de leur frre, de leur mari... de peur de la

    faon dont cela va tre peru et de la faon dont cela

    va tre trait surtout. Ils peuvent peut-tre cette

    occasion venir glaner des informations et des indica-

    tions sur des lieux qui seraient un peu plus adapts

    une prise en charge... valable.

    OLIVIA : Oui, une prise en charge valable. On

    peut pendant des annes faire des allers-retours dans

    une clinique o il ny a pas de soins part des mdocs

    et le truc qui redevient la mode, des lectrochocs,

    ou sismothrapies. Cela dure des annes jusqu ce

    que la personne, ou bien lentourage finissent par se

    dire quil y a peut-tre autre chose, que ce ntait

    peut-tre pas valable comme soin. Le partage des

    expriences quand on a la chance davoir des lieux

    de soin qui sont de qualit, cest important parce que

    cela donne un outil critique pour des personnes qui

    ne recevraient pas cette qualit de soin-l, et aussi

    leurs parents qui se seraient habitus lide quil

    ny a pas dvolution possible pour leur proche.

    Les patients qui taient satisfaits de leur prise en

    charge ne voyaient pas la ncessit de le dire et de le

    partager, mais comme il ny a pas beaucoup de lieux o

    a se passe bien, les tmoignages sont aussi importants

    que ceux qui dnoncent des maltraitances. Cela aide

    faire savoir quun soin est possible en psychiatrie.

    FRED : Autre chose quon a fait et quon va conti-

    nuer faire jespre, cest rpondre des demandes

    telles que la vtre. On est all, Matthieu, moi et

    dautres de lassociation, exporter la parole : on a

    t convis dans des universits, dans des instituts

    de formation dassistantes sociales, de travailleurs

    sociaux des gens qui sont en demande dinforma-

    tions, des gens qui pensent que lenseignement qui

    leur est dispens, mme au sein de luniversit, nest

    pas complet, noffre pas une vision totale du champ.

    Dans ce cas-l, on va l-bas, on raconte notre par-

    cours. a me parat intressant et essentiel.

    Lassociation Humapsy a dix-huit mois, pour

    linstant on a fait une seule demande de subvention

    qui na pas abouti parce quon a rempli a trs vite,

    nimporte comment... On a reu une lettre de la mai-

    rie qui disait : cest un peu flou, on comprend pas

    trop ... nous en vrit, on sen fout, on nen a pas

    tellement besoin de leur argent. Cest comme un che-

    val de Troie. Bien sr quils peuvent nous donner,

    on pourrait mme se constituer en GEM et rclamer

    75 000 euros par an, mais je trouve que dune cer-

    taine manire on se compromet en faisant a. Bien

    sr, largent cest comme on dit le nerf de la guerre,

    a peut-tre pratique...

    MATTHIEU : Ouais on va engager des communi-

    cants, des managers !

    OLIVIA : Au dpart il y a eu des adhsions, des

    soutiens, parce que cest une association.

    On a quand mme dpens de largent ! On dit

    quon en a pas besoin...

    On a lou le Petit Bain une barge ! pour faire

    une journe quon a appel le FORUM FOU, on a

    tenu un stand la fte de lHuma (cest pas gratuit),

    donc bien sr, quand on a des sous, on peut faire des

    choses en plus. Jusque-l, un vnement a permis de

    financer le suivant. Mais quand on a pas dargent,

    on fait autrement, on rpond des invitations mais

    on ne peut plus tre linitiative de la mme faon.

    MATTHIEU : Ce que je prfre, cest vraiment

    discuter avec les gens, la relation face--face, en-

    tendre ce que les autre me disent. On veut construire

    avec des gens de proche en proche je te parle toi

    et tu vas parler lautre, puis il va parler lautre .

    Je prfre que a passe par le tlphone arabe que

    par les gros mdias qui dforment tout.

    Pour poursuivre avec Humapsy, voir le blog :

    humapsy.wordpress.com

  • 26 27

    Je vous prsente mon plus grand achvement

    en bande dessine ce jour : Des rumeurs et des

    ombres. Je fais srieusement de la bande dessine

    titre amateur depuis 2009 (je suis patient en psy-

    chiatrie depuis 2005.)

    Cette bande dessine parle de la guerre dIndo-

    chine, un sujet auquel jai commenc mintresser

    il y a quelques annes

    Jai commenc cette bande dessine en 2010 mais

    je lai interrompue pendant environ deux ans. Je lai

    finie en juillet 2013.

    Comme les premires pages sont moins bien des-

    sines, jai choisi de vous montrer les onze dernires

    pages, les plus acheves graphiquement. Le dessin

    me satisfait partiellement. Jai notamment du mal

    conserver un style uniforme et les personnages sont

    difficilement reconnaissables. Cette bande dessine

    na pas vraiment de scnario, cest un enchanement

    htroclite dvnements... Une descente dans la

    folie, ce qui la relie au thme des Cahiers.

    LE DBUT :

    Indochine en guerre, vers 1950. Un vietminh est

    fait prisonnier par les colonialistes franais. Appre-

    nant la prsence dune unit vietminh dans les envi-

    rons de leurs postes, les Franais envoient une pa-

    trouille dune dizaine dhommes en reconnaissance.

    Les soldats senfoncent dans la brousse, trouvent un

    village abandonn o ils installent leur bivouac. La

    nuit venue, clate une fusillade sans quon voit len-

    nemi. Un soldat est nanmoins bless et reprend le

    chemin du poste avec un camarade. Le lendemain,

    le reste de la patrouille se remet en route

    Gal

    DES RUMEURSET DES OMBRES

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    Dsimbriquer, rimbriquer, fissurer trouver linterstice, la ligne de faille du cristal qui chante.

    Dsimbriquer, rimbriquer, laisser taire, laisser chanter.Laisser taire, laisser murer.

    Dsemmurer, rzemmurer, dmurer, fissurer,trouver, retrouver linterstice. Le perdre.

    Dsimbriquer, rimbriquer, fissurer trouver linterstice,la ligne de faille du cristal qui chante.

    B. L.

    Longtemps, jai cru que les murs de surdit psychiatriques,institutionnels, mdico-lgaux, taient faits des briques dun manque de savoirs - un manque--savoir, un manque-d-avoir ; manque davoir lu Freud, Lacan, Winnicott et les uns, les autres

    Joubliais seulement que le savoir est de ces choses les mieux partages au monde. Sans avoir besoin de Freud, ni Lacan ni les uns, les autres

    Le savoir est chose partage au monde, partage du monde sauf qui ne veut pas. Ne veut pas savoir, ne veut pas du monde, et veut sans partage. Pour qui nen veut rien nen veut rien savoir. Le manque--savoir estmanque passionnel. Passion dignorance.

    Le mur dignorance, mur de surdit, mur sourd et muet de la psychiatrie,nest pas un mur fait de manque--savoir. Cest un mur voulu, un mur qui se veut, se veut ne pas savoir, prtend ignorer. Il ne manque de rien.

    Sauf dune fissure.

    B. L.

  • 38 39

    La vrit universelle est dans une cuisine de

    Naples, voire dans une bote, une simple bote. Elle

    est toujours l, entre les personnes, tenue secrte

    ou prte se rvler. Elle est l depuis toujours et

    son destin est li dautres destins. Mais la fin

    son destin est suspendu un seul fil : celui de la

    parole. Paroles dune jeune fille se sachant condam-

    ne une mort proche et qui sadresse aux oiseaux

    et aux fleurs, discours extravagants de la folie... La

    vie porte la mort, la folie porte la vie, la vrit

    est de naviguer entre lune et lautre, sur le radeau

    de la parole. Peut-tre. Car en effet Eduardo entend

    les choses autrement. Si dans la majorit des pro-

    ductions thtrales ou cinmatographiques nous

    pouvons viter, oublier, affronter cette dimension

    et continuer tranquillement notre route, le thtre

    dEduardo accomplit un pas supplmentaire en

    portant chaque parole jusqu ses prmisses et

    consquences morales. Qui sapproche de ce chef

    duvre, de cet immense miroir de lme humaine

    nen ressort pas pareil. Quen est-il de la vrit, qui

    peut prtendre la dire ? Question dlicate.

    Dans les mmes annes 1950, au moment o

    le trs napolitain Eduardo De Filippo compose

    quelques une de ses pices majeures pour le thtre,

    Akira Kurosawa met en scne Rashomon. Devant

    la vrit qui chappe, ce film propose une mthode

    digne de la police scientifique : comparer discours

    et versions des faits. Un horrible dlit mlant sexe

    et sang a lieu dans un bois japonais. Au moment de

    lenqute des services de lordre, les quatre protago-

    nistes, des hommes, saccusent mutuellement mais

    surtout ils prsentent quatre versions bien distinctes

    du mme pisode. Chaque discours conduit pour-

    tant un seul vnement, tout fait indniable : une

    femme est morte.

    Le viol et lassassinat dactes immondes de-

    viennent dans ce film de simples et discutables faits

    de langage. La vrit nexiste pas, seules diffrentes

    vrits coexistent. Pour Kurosawa le bien et le mal

    ne se distinguent pas lun de lautre. La vrit his-

    torique ou matrielle est un serpent qui se mord la

    queue et davantage encore quand on insiste. On

    peut ainsi objecter un viol que la femme tait

    consentante ; on peut objecter un assassinant

    quil tait un acte de lgitime dfense, etc. Il restera

    nanmoins difficile de faire dire une morte quelle

    a cherch se faire massacrer. La thse du suicide

    est dailleurs absente du scnario. Rapporter ce film

    noir et blanc nos thmatiques daujourdhui ne

    changerait probablement rien de son orientation.

    On peut parier que le test de lADN lui-mme serait

    de bien pitre utilit. Mais que faire de cette amre

    conclusion : si la parole ne permet pas de slever

    au-del des faits, cest quelle est leur niveau, au

    mme niveau que le sexe, le sang, la mort.

    ELLE EST TOC ! TOC ! Ces expressions populaires pour dire la maladie mentale

    nont heureusement plus de raison dtre dans les institutions mais certaines dentre elles ont comme qualit de faire image, de constituer un lien et de jouer avec les mots. Certains mots

    malveillants tentent denfermer la peur prouve face linconnu mais rvlent parfois un sens plus profond, une approche intuitive

    et juste de lorigine de la souffrance. Dans ce qui suit, je tente de trouver des liens fructueux entre les mots jets comme a GDQVXQUpH[HGHGpIHQVHHWXQVHQVLQDWWHQGXGDQVOHTXHOQRXV

    DOORQVSXLVHUGHVSRVVLELOLWpVFUpDWULFHVHWYLYLDQWHV

  • 40 41

    Premire considration : une telle mthode ne

    serait-elle pas mettre au compte dun dossier judi-

    ciaire, dune instruction ? Ce film est-il vraiment un

    chef duvre dart et de reprsentation ? Des l-

    ments tels que le sexe, le sang, la mort quand ils sont

    offerts de faon aussi massive, sans tre filtrs par le

    jeu de la mtaphore, provoquent un effet tout fait

    singulier sur lme humaine : ils paralysent le spec-

    tateur. Ils mettent demble en chec la question de

    la parole ou de la vrit car ils appartiennent des

    sphres o rgnent habituellement la pudeur, lhor-

    reur ou le sacr. Autrement dit, et dans une termi-

    nologie plus ambigu, ils fascinent car ils mlangent

    les valeurs. Fascination, phallus et tromperie ont

    dailleurs des origines tymologiques communes.

    Seconde considration : pour ce quil en est de

    la vrit subjective, elle existe bien-sr, mais com-

    ment faire ? Kurosawa montre que son jeu est de

    sopposer elle-mme, demporter son secret dans

    la tombe. Pourtant quest-ce qui nous garantirait

    que la femme morte dirait la vrit sur sa mort, si

    ELLE EST TOC ! TOC ! Ce jour l, Madame C. est diffrente. Dhabitude,

    elle entre, ne sassoit pas et elle tourne en rond en

    jargonnant. La plupart du temps, elle gne la sance

    par ses cris, ses alles et venues qui ne semblent pas

    avoir de fondement. Malgr mon agacement car elle

    me dconcentre, je reste ouvert ce besoin dtre l

    sans y tre vraiment. Mais aujourdhui, par le plus

    pur des hasards, elle est l avant la sance.

    Elle entre dans la salle tandis que je mchauffe

    avec mon accordon pour ma prestation venir.

    Jhsite la renvoyer mais comme elle est cette

    fois (En tant que conteur, je suis trs lcoute de

    ces situations dil tait une fois) souriante et pas

    drangeante, je la laisse tourbillonner lcoute de

    mes mlodies. Il y a donc un temps de calme avant

    larrive du groupe. Et cest comme si aujourdhui,

    jtais l pour elle toute seule.

    Tout coup, elle lance un : Toc ! Toc ! trs so-

    nore. Il ne mest pas adress. Il exprime peut tre

    son plaisir dtre l, seule et tranquille. Je linter-

    prte ainsi. Cette onomatope est exprime de faon

    compulsive comme souvent. De par ma pratique,

    je suis lcoute de ces expressions vibrantes qui

    surgissent sans raison apparente. Je le reprends ce

    Toc ! Toc ! en le mlodisant avec laccordon. Cela

    ne semble pas lintresser plus que a. Tout coup,

    elle se balance le sourire aux lvres. Il y a toujours

    un dcalage souvent invisible entre ce qui est atten-

    du et ce qui vient. Il me semble reconnatre la danse

    de lours que je propose en fin de sance. Ce balan-

    cement minspire un Tic ! Tac ! en cho donc

    son Toc ! Toc !. Et l, elle a un regard furtif. Peut

    tre qu lcoute de ce Tic ! Tac !, il y a un arrt

    dans sa rptition. Je lenvisage ainsi. Dinterprter

    ce qui arrive comme cela me permet dtre toujours

    en mouvement et en dsir. Jen profite pour improvi-

    ser une sorte de chanson. Le Tic ! Tac ! en scande

    la premire partie et son Toc ! Toc ! la seconde.

    Deux autres rsidents se pointent et voil la chan-

    son qui slabore. Le refrain tictaqu et les cou-

    plets toctoqus avec un ajout dun rsident qui

    rpond au Toc ! Toc ! frapp par cest le chien !

    Tic! Tac !, Tic ! Tac !, lhorloge chante !

    Toc ! Toc ! Toc ! Qui frappe la porte ?

    Cest le chien qui tape et qui toque !!!

    Avec le groupe de rsidents, chacun (e) trouvera

    un animal de son choix. Ce que je constate, cest que

    pour la premire fois Madame C. sassoit au sein

    du groupe et restera sur sa chaise toute la sance.

    Elle aura des gestes en lien avec les situations. Elle

    ne fait srement quimiter la gestuelle du groupe

    mais je nai rien contre. En tout cas la voil prsente

    comme jamais elle ne la t. Jajoute quelle est peut

    tre prsente de cette faon parce que jai t aussi

    prsent elle comme jamais je ne lai t. Cela est

    d au hasard, au contexte, ma disponibilit et sans

    doute son tat desprit ouvert de ce jour. Il est

    certain que cette fois, nous nous sommes enten-

  • 40 41

    dus. Cette entente se situe au del des mots et du

    langage. Ce fut bnfique pour tous les deux. Une

    chanson est ne qui naurait jamais exist sans sa

    prsence. Elle fera partie maintenant du patrimoine

    oral du M.A.S. De faon presque naturelle, cette

    situation ma donn envie de reprendre lhistoire

    des trois petits cochons que je racontais au dbut de

    mes prestations. Javais arrt de le raconter parce

    que ctait trop rptitif et pour moi lassant. Mais

    aujourdhui, linattendu de cette rencontre sarticu-

    lait trs bien avec ce conte connu de tous qui me

    revenait en mmoire.

    Alors : Toc ! Toc ! Toc ! Qui est l ?

    IL EST FRAPP ! :Lui, il est grand, massif, impressionnant. Il a tou-

    jours en main des branchages, des vgtaux, des

    feuilles quil regarde avec insistance. Lui aussi, il

    aime venir en avance franchissant la porte comme

    un bulldozer, ferme cl ou pas. Visiblement, il

    a envie dtre l mais comme il est silencieux, il ne

    me drange pas. Il vadrouille mais scarte ds que

    je mapproche de lui. Monsieur M. gre lespace

    en propritaire. Il entre o il veut mais personne

    nentre chez lui. Avec lui, il y a en cho juste un

    sourire, un balancement et une tranquillit silen-

    cieuse qui stablit bonne distance. Le fait dtre

    seul avec moi semble lui convenir et me permettra

    ultrieurement de lui saisir les mains pour une chan-

    son geste.

    Pourtant, durant les sances, il ne rpond gure

    mes propositions que ce soit le coussin des rves

    ou tout autre situation. Entre parenthses, ces

    coussins des rves mont rvl combien le tou-

    cher tait un vecteur essentiel en pralable toute

    prise de contact. Cela ma amen ce jeu de mains :

    Tiens, voil main droite... Par ce toucher convi-

    vial, jai eu donc en main le moyen dentrer en

    relation joyeuse avec chacun et chacune. L o pour

    certains il ny avait que peu de ractions, avec ce jeu,

    le sourire et le rire jaillissaient du fait que je frappe

    et prenne les mains au moment du Tiens ! voil les

    deux. Vous vous en doutez, cela arriva aussi avec

    Monsieur M. mais ce fut une fois et une seule avec

    lui. Il en a lch ses herbes et autres branchages.

    Comme pour Madame C. ce petit temps pralable

    de prsence lun lautre la, me semble-t-il, ouvert

    cette possibilit de le toucher.

    Je constate que la force de frappe de ces jeux

    enfantins deviennent le pivot de la relation et de

    ltre ensemble dun groupe. Japprends aussi quil y

    a des tapes, des seuils franchir, des instants fon-

    dateurs. Une premire de ces tapes serait le temps

    dun tre avec pour lui ou elle toute seule indivi-

    duel. Laissant au silence le temps doprer, laissant

    aux actes lespace de ntre pas avant de pouvoir

    tre, donnant aux mouvements la libert de sinstal-

    ler, le lien relationnel en rsonance trouve sa place.

    Il permettra dans un temps ultrieur au rsident de

    sasseoir sans peur dans le groupe et de participer

    aux jeux oraux que je propose. Quand en ces lieux

    mystrieux de rsonance, je peux articuler du lan-

    gage en cho, cet cho bnficie au rsident dans

    une complexe alchimie dont je suis loin davoir saisi

    toutes les composantes. Mais a marche comme a !

    IL A UNE ARAIGNE DANS LE PLAFOND ! :

    Certains rsidents sont eux dans le langage mais le

    tragique nen est par pour autant moindre. Je serai

    pourtant moins patient (comme quoi la violence

    se tient en chacun de nous, tapie prte bondir.

    Nous sommes des prdateurs qui signorent.) avec

    ces rsidents-l qui semblent tout avoir porte de

    main mais ne font aucun effort pour saisir les oppor-

    tunits offertes. Lui, Monsieur R., il ne veut rien, il

    sennuie mme mcouter. Mais il sennuie telle-

    ment que malgr le peu de plaisir quil a dtre l, il

    ne trouve pas lnergie pour sen aller. Il faudra plu-

    sieurs sances pour quil lche un mot concernant le

    conte que je raconte. Ce mot qui sort de sa bouche,

    sollicit mille occasions (sans jamais faiblir) lui

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    donne un tel plaisir quil se libre de son attitude

    et en redemande. Ce qui l rgnait ne le raie plus.

    Maintenant il est prsent et joue, il a oubli quil

    tait l et du coup il samuse.

    Les expressions Toc ! Toc !, frapp, dingue...

    etc. caractrisent dans le langage courant la ma-

    ladie mentale. Pour moi dans ce texte, jutilise ces

    mots-l, ce qui peut tre peru dans un premier

    temps comme scandaleux. Dans un second temps,

    je remarque quen les utilisant sans vergogne, ils

    mapportent la possibilit den faire du sens. Comme

    si de le positionner sur un autre registre, (faisons

    lhypothse dtre le registre prcisment dans le-

    quel se situe le rsident), crait une ouverture, une

    respiration et un sourire. Pour eux, dentendre la

    comptine qui sest prsente dans cet cho-l peut

    leur permettre de sortir un temps (parfois dun bref

    regard, dun geste esquiss dune respiration plus

    ample) de la compulsion. Quand ils partagent une

    connaissance avec un conteur et quils sy sentent

    reconnus, ils souvrent. Souvent quand cela arrive,

    le rsident sadresse la personne rfrante en lui

    disant Tas vu a ?

    Ce que japprends aussi de la comptine cest

    quelle exprime de faon incongrue et potique

    le rel de la peur. Par exemple, le groupe pour le

    rsident peut tre effrayant. La comptine qui joue

    sur ces bbtes disgracieuses pour nous les rendre

    plus amicales voire humaines se situe par la mta-

    phore au centre du propos. Araigne, limaon,

    mouche miel et rat deviennent complices de nos

    peurs et les relativisent (Une araigne sur le plan-

    cher se tricotait des...). Nous redcouvrons le gnie

    et la fonction de ces petites comptines qui sont au-

    del de notre comprhension le passeport et la m-

    taphore pour saisir lautre au del de son apparence

    et de lide que nous nous en faisons, pour le rassu-

    rer par le langage et pour lassurer quil y l au lieu

    dtre effray matire en rire. Cela sans pathos, de

    faon amusante et a nous fait un bien fou !

    IL A PT UN CBLE ! :De son bras noueux et muscl, il a saisi une chaise

    et la balance dans la salle. Monsieur J. est rapi-

    dement ceintur et transport dans sa chambre. Le

    personnel est secou car ce fut inattendu. Le calme

    tant revenu, les professionnels cherchent com-

    prendre ce qui sest pass. De nombreuses hypo-

    thses sont lances. Ce que jai vu est tout autre.

    Jai constat que ce rsident tait ravi de son geste.

    Il mavait en effet jet une seconde avant son coup

    dclat ce qui ma sembl tre un clin dil. Aupa-

    ravant, au cours des sances, il saccrochait sou-

    vent mes instruments de musique. Si je voulais

    les reprendre, cela savrait toujours violent et dan-

    gereux. Jai appris ne pas paniquer (il y avait de

    quoi car ma flte traversire mest prcieuse) et

    jarrivais rcuprer mon bien en lui souriant et en

    lui disant : Je vous la donne et je vous remercie de

    me la rendre ce quil faisait toujours avec plaisir.

    Jai remarqu que cela se passait toujours en dehors

    du regard des professionnels. Cest entre nous deux

    que cela se concluait. Il mapprend quelque chose

    de lordre du don (sans contrepartie) que jignorais.

    Il prend ce qui ne lui appartient pas mais si je le lui

    donne, il peut me le rendre.

    Japprends que dans sa tentative violente de saisir,

    il y a le dsir de mesurer chez lautre une capacit

    lui donner ce quil pense lui tre d. Donc comme

    ici, quand lexplosion arrive, nous sommes en gn-

    ral dans la stupeur. Cette dernire nest gure bonne

    conseillre. Jessaie alors dtre dans cet tonnement

    qui reconnat son dsir de prendre mais aussi de ne

    pas en rester l. Si cela drape, jessaie de saisir ce

    quil en est du contexte qui fait que nous en sommes

    arrivs l. Les professionnels le sentent bien. Il y a

    comme un seuil ne pas franchir. Comme larai-

    gne au centre de sa toile si elle se permet de faire

    du trampoline, cest quau pralable, elle a tiss les

    mille et un liens qui lui permettent de faire la folle

    sans rien casser. Pour un rsident, cest pareil sauf

    quil est cette araigne folle en partie parce quil

    est dans lignorance de ces liens. Quun lien sen-

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    sible casse, un lien inconnu, inaperu et tout pte. Il

    nous revient de mesurer que si quelques liens sont

    prsents pour que a circule dans le plaisir dtre,

    laventure sera au rendez-vous.

    ce propos, que de tendresse jai vu entre les professionnels et les rsidents. Que de subtiles

    avances, gestes, paroles effectus qui donnent aux

    rsidents lopportunit de se sentir bien. Quand jar-

    rive, si ce nouage se tisse, cela ira dans le bon sens.

    Je ne dois donc pas faire irruption mais tre dans

    une sorte daccueil mme si cest moi qui arrive. Je

    dis bonjour de loin et je mapproche saluant cha-

    cun chaleureusement. Quand le groupe me semble

    acquis, je commence.

    CEST DINGUE ! :Lui, il est puisant, il a la danse dans le sang. Mon-

    sieur V. est toujours en reprsentation et il danse en

    mimant bruyamment lacte sexuel jusqu en baisser

    son pantalon. Mais ce nest ni vulgaire, ni obscne,

    il est au contraire trs joyeux. Pourtant et cest nor-

    mal, ce qui vient lesprit, cest de sen offusquer et

    de lempcher dagir ainsi. Il est dingue. Quand

    cela lui arrive (et cest forcment souvent !) et quon

    larrte, il ny comprend rien. Chaque sance du fait

    de la musique, cest loccasion pour lui de ritrer

    ses avances sexuelles. Ce que jaime chez lui, cest

    quil est toujours partant et exubrant. Cette danse

    de dingue me rappelle les danses frntiques

    dAfrique ou dHati (La dengue est aussi une

    fivre rouge tropicale). Il sagit pour moi de scander

    ces temps forts pour que cela devienne grable. Il y

    aura donc un temps o il sclate (et le mot nest pas

    trop fort) et je laccompagne. Mais une fois ce temps

    pris dans le plaisir ds que je lui dis de sasseoir, il

    obtempre. Ainsi malgr le bruit et son agitation, la

    sance se droule dans des conditions acceptables.

    Mais sil y a un empchement quelconque, cela

    tourne mal. Je prends cet exemple pour comprendre

    quil en est de mme pour chaque rsident mme

    si cela nest pas perceptible. Il est ncessaire den-

    tendre cette folie et sans y adhrer laisser chacun

    ce temps de lexprimer pour pouvoir passer autre

    chose de plus enrichissant (ne serait-ce quavoir du

    plaisir taper dans ses mains). Pour que le mot-

    image sinscrive, il faut du dsir de part et dautre.

    Par le jeu rptitif, linscription a lieu. Lmotion

    saffiche quand il y a mmoire !

    Cette anne, je dcouvre quil peut y avoir plu-

    sieurs temps, chacun ayant ses qualits. Le temps

    dtre avec moi tout seul, le temps de sentir lautre

    par le contact, le temps du don de soi et le temps

    scander pour profiter du plaisir tre. Ce tempo,

    sil est vcu, donne mes interventions une relle

    possibilit de crer des liens.

    Ces temps dexpression de la compulsion me per-

    mettent dy reprer ce qui intuitivement va me gui-

    der vers une articulation ( la rentre, il mest venu

    lide de symboliser mon passage en laissant un

    origami chaque sance). Il est utile donc dtre

    dans le mouvement de ce qui coince et se rpte

    linfini et dy trouver un chemin sinon il ny aura

    pour eux jamais de rponse. Loin de moi lide que

    jy rponds, mais, avec le personnel, il est souvent

    arriv de vivre ce petit pas de cot qui fait que nous

    nous retrouvons tous dans une approbation joyeuse

    de la folie du rsident. Nous nous y reconnais-

    sons une seconde, le temps de nous avouer quil y a

    en eux une humanit que nous avions oublie pour

    nous mmes. En ce sens, leur insu, ils nous font

    un beau cadeau. Notre qualit sera alors de savoir

    laccepter.

    Et je terminerai avec une parole sidrante de v-

    rit de Pascal Quignard :

    Lamour est une folie de lchange !

    Henry Lefebure, juin 2013

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    LISE MAURER : Je crois que ce qui intresse les

    Nouveaux Cahiers pour la folie, cest quil ntait pas

    dupe des abus lgislatifs et thrapeutiques son en-

    contre, et quil en a laiss des traces. Il a certainement

    donn des signes de psychose qui ont motiv son in-

    ternement, ainsi est-il not dans le dossier mdical

    excitation maniaque avec hallucinations , et des

    pisodes d agitations avec perscution . Pour au-

    tant, linternement vie relve de linternement abu-

    sif. Il faut savoir quil a t dclar, ds 1880, priv

    par jugement de ses droits civils. Or, au verso

    dune de ses mdailles, celle de la femme larrosoir,

    lon peut dchiffrer ceci : signature - dchance

    possible dvelopper longuement.... Dchu de ses

    d