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Cancers : le sport peut-il être un medicament ? Comment les clubs sportifs deviennent une trousse à pharmacie… LE MAGAZINE DE L’INSTITUT RÉGIONAL DE MÉDECINE DU SPORT DE HAUTE-NORMANDIE DÉCEMBRE 2013 Qu’est ce qu’un cancer ? Un cancer se définit comme une prolifération anormale de cellules de l’organisme. En 2012, on recensait 355 000 nouveaux cas de cancer en France (source INVS) Le cancer du sein chez la femme et le cancer de la prostate chez l’homme sont respectivement les cancers les plus fréquents. Chaque année, près de 50 000 femmes sont concernées par cette pathologie. Être sportif diminue-t-il le risque de développer un cancer ? Depuis une vingtaine d’année, la recherche a permis de mettre en avant les apports de l’activité physique dans le cadre de la prévention et dans la prise en charge de différents cancers. Les bénéfices attendus sont désormais bien connus. La prévention primaire se définit comme l’ensemble des actes visant à diminuer le nombre de nouveaux cas (OMS). Elle fait appel à des mesures préventives collectives ou individuelles, telles que l’activité physique. Pour le cancer du sein, il existe un effet dose-réponse ; plus il y a d’activité physique pratiquée et plus le risque de développer un cancer du sein est diminué ; ce bénéfice en terme de prévention primaire est surtout observé après la ménopause ; on retrouve le même effet en ce qui concerne le cancer du côlon et celui de l’endomètre. Pour d’autres types de cancers (ovaire, poumon, prostate), le niveau de preuve est encore limité. Les sociétés savantes, à travers le PNNS 2011- 2015 (Plan National Nutrition Santé) conseillent de pratiquer « au moins l’équivalent de 30 minutes de marche rapide par jour » pour les adultes, à réaliser de préférence par périodes d’au moins 10 minutes. Quel intérêt à pratiquer une activité physique pour un patient atteint d’un cancer? Plusieurs études portant sur des femmes ayant un cancer du sein ont montré qu’une activité physique régulière, équivalente à 3 heures de marche par semaine, permet une diminution du risque de décès par cancer de l’ordre de 50%. Des bénéfices ont également été retrouvés pour le cancer de la prostate et du côlon mais avec des niveaux d’activité physique plus importants. En plus de la diminution de ce risque, il y a un intérêt majeur pour les patients avec la prise en charge de quelques symptômes dont le plus marquant est la fatigue. La fatigue : il s’agit du plus commun des symptômes ressentis par les patients atteints de cancer. Selon les traitements reçus (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), cette fatigue concerne jusqu’à 60 à 95% des patients et altère significativement leur qualité de vie. À 10 ans du diagnostic, cette fatigue touche encore 25 à 30 % des sujets. Ce symptôme, induit par la maladie et les traitements, est perçu comme une fatigue profonde, physique et psychique, qui peut parfois devenir un réel handicap. Sur ce symptôme, le repos et les médicaments n’ont pas de réel bénéfice, et seule l’activité physique a fait preuve d’une efficacité significative et durable. La prescription d’activité physique en cas de cancer du sein : quand, comment et par qui ? Cette prescription se fait lors d’une consultation avec un médecin du sport, au cours de laquelle les patientes sont sensibilisées à l’intérêt de pratiquer régulièrement une activité physique. Cette consultation est aussi l’occasion de faire un point sur le niveau de pratique sportive des patientes. L’examen clinique, réalisé par le médecin, permet d’identifier certaines précautions à prendre (par exemple : éviter la flexion répétée de genou en cas d’arthrose). À l’issue de cette consultation, le médecin rédige un certificat médical de non contre indication à la réalisation de l’activité physique, avec si besoin des propositions d’adaptation de pratique. Les patientes sont ensuite orientées vers une pratique sportive en fonction de leurs goûts, de leur état de forme et de leur localisation géographique. Le médecin peut, si besoin, proposer aux patientes une étape basée sur une activité physique adaptée, encadrée par un intervenant sportif sensibilisé à cette pathologie. Qu’est-ce que l’Activité Physique Adaptée (APA) et où peut-on la pratiquer ? Il s’agit d’une adaptation des exercices proposés et des objectifs attendus en fonction des conditions médicales, prenant en compte tout particulièrement les conséquences (physiques-psychologiques) du cancer et de ses traitements. L’encadrement de ces séances est réalisé par des intervenants formés. Ce programme relativement court (10 séances reparties sur 5 semaines) a pour objectifs de redonner confiance en soi, d’augmenter l’intérêt pour l’activité physique et d’améliorer le niveau de condition physique. Ces séances d’APA permettent d’orienter un public fragilisé vers une poursuite durable et pérenne de l’activité en association sportive ou en autonomie. En Haute Normandie ? Des consultations de prescription d’activité physique dédiée aux patientes ayant été opérées d’un cancer du sein ont été mises en place. D’abord initiées au centre Henri Becquerel et à l’Institut Régional de médecine du sport, ces consultations suivi d’un programme d’APA sont désormais disponibles à Dieppe, Evreux et Yvetot. Cette initiative menée par le Réseau Onco-Normand, entièrement prise en charge par des subventions, devrait s’étendre à d’autres villes de notre région, sur l’année 2014. La place des clubs sportifs dans ce dispositif ? Que ce soit directement après les traitements ou après les séances d’APA, ce public de nouveaux (ou anciens) sportifs est à la recherche d’un environnement sécurisant, où on sera à l’écoute de leurs difficultés, pour pouvoir s’épanouir pleinement au travers l’activité physique. C’est d’autant plus important que le sport pourrait être vu comme un ‘médicament’ de l’après cancer. À l’heure actuelle, certaines associations sportives sont, à tort, encore inquiètes à l’idée d’ouvrir leurs portes à un public sortant du milieu hospitalier. Il existe des zones d’ombres autour des capacités de ces femmes qui ont pourtant un réel potentiel sportif. Des patientes qui ont de réelles capacités sportives Le canoë club de Belbeuf a participé à l’essor de l’activité de pagaye dans l’après cancer grâce à l’utilisation d’un « Dragon Boat », une embarcation de 12m de long, pouvant compter à son bord 22 personnes. Depuis, une association s’est constituée autour de cette activité : « Unies pour elles ». Ces sportives ont pu montrer leurs

Cancers : le sport peut-il être un medicament · 2014. 5. 7. · LE MAGAZINE DE L’INSTITUT RÉGIONAL DE MÉDECINE DU SPORT DE ... anormale de cellules de l’organisme. En 2012,

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Cancers : le sport peut-il être un medicament ? Comment les clubs sportifs

deviennent une trousse à pharmacie…

LE MAGAZINE DE L’INSTITUT RÉGIONAL DE MÉDECINE DU SPORT DE HAUTE-NORMANDIE

DÉCEMBRE 2013

Qu’est ce qu’un cancer ? Un cancer se définit comme une prolifération anormale de cellules de l’organisme.

En 2012, on recensait 355 000 nouveaux cas de cancer en France (source INVS)Le cancer du sein chez la femme et le cancer de la prostate chez l’homme sont respectivement les cancers les plus fréquents. Chaque année, près de 50 000 femmes sont concernées par cette pathologie.

Être sportif diminue-t-il le risque de développer un cancer ?Depuis une vingtaine d’année, la recherche a permis de mettre en avant les apports de l’activité physique dans le cadre de la prévention et dans la prise en charge de différents cancers. Les bénéfices attendus sont désormais bien connus. La prévention primaire se définit comme l’ensemble des actes visant à diminuer le nombre de nouveaux cas (OMS). Elle fait appel à des mesures préventives collectives ou individuelles, telles que l’activité physique. Pour le cancer du sein, il existe un effet dose-réponse ; plus il y a d’activité physique pratiquée et plus le risque de développer un cancer du sein est diminué ; ce bénéfice en terme de prévention primaire est surtout observé après la ménopause ; on retrouve le même effet en ce qui concerne le cancer du côlon et celui de l’endomètre. Pour d’autres types de cancers (ovaire, poumon, prostate), le niveau de preuve est encore limité.Les sociétés savantes, à travers le PNNS 2011-2015 (Plan National Nutrition Santé) conseillent de pratiquer « au moins l’équivalent de 30 minutes de marche rapide par jour » pour les adultes, à réaliser de préférence par périodes d’au moins 10 minutes. Quel intérêt à pratiquer une activité physique pour un patient atteint d’un cancer?Plusieurs études portant sur des femmes ayant un cancer du sein ont montré qu’une activité physique régulière, équivalente à 3 heures de marche par semaine, permet une diminution du risque de décès par cancer de l’ordre de 50%. Des bénéfices ont également été retrouvés pour le

cancer de la prostate et du côlon mais avec des niveaux d’activité physique plus importants.En plus de la diminution de ce risque, il y a un intérêt majeur pour les patients avec la prise en charge de quelques symptômes dont le plus marquant est la fatigue. La fatigue : il s’agit du plus commun des symptômes ressentis par les patients atteints de cancer. Selon les traitements reçus (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), cette fatigue concerne jusqu’à 60 à 95% des patients et altère significativement leur qualité de vie. À 10 ans du diagnostic, cette fatigue touche encore 25 à 30 % des sujets. Ce symptôme, induit par la maladie et les traitements, est perçu comme une fatigue profonde, physique et psychique, qui peut parfois devenir un réel handicap. Sur ce symptôme, le repos et les médicaments n’ont pas de réel bénéfice, et seule l’activité physique a fait preuve d’une efficacité significative et durable. La prescription d’activité physique en cas de cancer du sein : quand, comment et par qui ?Cette prescription se fait lors d’une consultation avec un médecin du sport, au cours de laquelle les patientes sont sensibilisées à l’intérêt de pratiquer régulièrement une activité physique. Cette consultation est aussi l’occasion de faire un point sur le niveau de pratique sportive des patientes. L’examen clinique, réalisé par le médecin, permet d’identifier certaines précautions à prendre (par exemple : éviter la flexion répétée de genou en cas d’arthrose). À l’issue de cette consultation, le médecin rédige un certificat médical de non contre indication à la réalisation de l’activité physique, avec si besoin des propositions d’adaptation de pratique. Les patientes sont ensuite orientées vers une pratique sportive en fonction de leurs goûts, de leur état de forme et de leur localisation géographique. Le médecin peut, si besoin, proposer aux patientes une étape basée sur une activité physique adaptée, encadrée par un intervenant sportif sensibilisé à cette pathologie. Qu’est-ce que l’Activité Physique Adaptée (APA) et où peut-on la pratiquer ?Il s’agit d’une adaptation des exercices proposés et des objectifs attendus en fonction des conditions médicales, prenant en compte tout particulièrement

les conséquences (physiques-psychologiques) du cancer et de ses traitements. L’encadrement de ces séances est réalisé par des intervenants formés. Ce programme relativement court (10 séances reparties sur 5 semaines) a pour objectifs de redonner confiance en soi, d’augmenter l’intérêt pour l’activité physique et d’améliorer le niveau de condition physique. Ces séances d’APA permettent d’orienter un public fragilisé vers une poursuite durable et pérenne de l’activité en association sportive ou en autonomie. En Haute Normandie ?Des consultations de prescription d’activité physique dédiée aux patientes ayant été opérées d’un cancer du sein ont été mises en place. D’abord initiées au centre Henri Becquerel et à l’Institut Régional de médecine du sport, ces consultations suivi d’un programme d’APA sont désormais disponibles à Dieppe, Evreux et Yvetot.Cette initiative menée par le Réseau Onco-Normand, entièrement prise en charge par des subventions, devrait s’étendre à d’autres villes de notre région, sur l’année 2014. La place des clubs sportifs dans ce dispositif ? Que ce soit directement après les traitements ou après les séances d’APA, ce public de nouveaux (ou anciens) sportifs est à la recherche d’un environnement sécurisant, où on sera à l’écoute de leurs difficultés, pour pouvoir s’épanouir pleinement au travers l’activité physique. C’est d’autant plus important que le sport pourrait être vu comme un ‘médicament’ de l’après cancer. À l’heure actuelle, certaines associations sportives sont, à tort, encore inquiètes à l’idée d’ouvrir leurs portes à un public sortant du milieu hospitalier. Il existe des zones d’ombres autour des capacités de ces femmes qui ont pourtant un réel potentiel sportif. Des patientes qui ont de réelles capacités sportivesLe canoë club de Belbeuf a participé à l’essor de l’activité de pagaye dans l’après cancer grâce à l’utilisation d’un « Dragon Boat », une embarcation de 12m de long, pouvant compter à son bord 22 personnes. Depuis, une association s’est constituée autour de cette activité : « Unies pour elles ». Ces sportives ont pu montrer leurs

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LE MAGAZINE DE L’INSTITUT RÉGIONAL DE MÉDECINE DU SPORT DE HAUTE-NORMANDIE

DÉCEMBRE 2013

capacités physiques et leur engouement pour la pratique sportive, en participant en mai dernier à un grand rassemblement d’embarcations à Venise : la Vogalonga. À cette occasion, elles ont pagayé sans relâche durant les 30km que comportait l’épreuve ! Et les fédérations sportives dans tout ça ? Quelles perspectives ?Certaines fédérations ouvrent la porte des clubs à ce nouveau public de futures (ou anciennes) sportives. La Ligue d’Escrime de Haute-Normandie a formé quelques uns de ses maîtres d’armes au maniement ludique du sabre après le cancer du sein. En parallèle, elle participe activement à faciliter l’accès à la pratique sportive, en proposant 10 séances d’initiation, à travers des créneaux dédiés. D’autres fédérations proposent depuis peu des programmes d’activité « Sport & santé » ; la FFEPGV (fédération française d’éducation physique et de gymnastique volontaire) par exemple propose la « Gym après cancer » pour amener les personnes vers une pratique autonome, pour que les bénéfices sur la santé perdurent. Toutes ces actions sont d’autant plus importantes que la pratique de l’activité physique doit être durable et pérenne. On espère donc voir se multiplier les initiatives à l’échelle des clubs, des ligues et des fédérations, pour faciliter l’accès de ce public à la pratique sportive. En Conclusion…Le sport pourrait être vu comme un ‘médicament’ dans la prise en charge de certains cancers. La pratique régulière d’une activité physique en cours de traitement et après permet d’améliorer différents symptômes tels que l’anxiété, la fatigue et la dépression.Elle a également un impact sur la rechute, pour certains cancers du sein.En Haute Normandie, un programme court d’activité physique adaptée permet aux patientes ayant été opérées d’un cancer du sein d’évoluer vers une pratique sportive autonome ou en clubs. Aujourd’hui, de plus en plus de clubs et de fédérations développent l’accueil de ce nouveau public fragilisé. Ainsi les initiatives dans ce sens devraient se multiplier dans les années à venir. Dr Mehdi Roudesli, IRMSHN

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