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Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 1343-4 © 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 1343 Doi : 10.1019/200720020 Séminaire FMC Cannabisme et travail, un problème méconnu J.-D. Dewitte En 2005, 49,5 % des Français de 17 ans et 12,4 mil- lions des 12-75 ans avaient expérimenté le cannabis au moins une fois dans leur vie [1]. Certains de ces jeunes qui arrivent sur le marché poursuivent leur consommation. Or, il est désormais connu que le cannabis provoque, même en prise occasionnelle, des altérations cognitives, avec troubles de la mémoire à court terme, somnolence ou détérioration des perceptions temporelles ou spatiales. En cas d’usage régulier, dix fois ou plus dans le mois précédent des troubles mnésiques antérogrades et rétrogrades peuvent survenir. Ces perturbations ont un retentissement important dans le milieu du travail, ce d’autant que des altérations de la capacité attentionnelle, et de la poursuite visuelle ont été décrites, ainsi qu’une diminu- tion du seuil d’alerte et des capacités de concentration. Lors d’utilisation de véhicules automobiles, il a été bien démontré que l’alcool et le cannabis ont des effets synergiques. Le can- nabis, drogue psycho-active, qui constitue donc un réel dan- ger dès lors que les travailleurs concernés occupent un poste tel que la conduite d’engins, l’utilisation de machines dangereu- ses ou encore en cas de travail en hauteur ou sur des écha- faudages. Ces altérations doivent être prises en compte dans le cadre d’une activité professionnelle car elles peuvent être responsables d’accidents du travail et peuvent mettre en jeu la sécurité d’autrui dans le cadre d’un poste de sécurité. Le danger est réel, que la consommation soit épisodique ou régulière, non seulement pour l’entreprise mais aussi pour des tiers ou pour eux-mêmes. Ceci est d’autant plus vrai que celui qui a fumé présente souvent peu de signes visibles au premier abord, même aux yeux d’un observateur averti. Ainsi le danger est plus important qu’avec l’alcool car l’employé qui a bu est d’une certaine manière protégé par ses collègues qui l’empêchent d’exécuter certaines tâches en l’ayant repéré à l’avance [2]. Tous les secteurs d’activité sont concernés. Cependant, certains secteurs ou postes de travail à fortes contraintes ont fait l’objet d‘études spécifiques. C’est notamment le cas du travail posté, du travail de nuit et du travail isolé, des postes à responsabilité élevée, des postes à forte exigence en terme Centre de consultations hospitalières de tabacologie, CHU, Brest, France. Correspondance : J. D. Dewitte Centre de consultations hospitalières de tabacologie, CHU, 29069 Brest cedex. j[email protected]

Cannabisme et travail, un problème méconnu

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Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 1343-4 © 2008 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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Doi : 10.1019/200720020

Séminaire FMC

Cannabisme et travail, un problème méconnu

J.-D. Dewitte

E

n 2005, 49,5 % des Français de 17 ans et 12,4 mil-lions des 12-75 ans avaient expérimenté le cannabis aumoins une fois dans leur vie [1]. Certains de ces jeunes quiarrivent sur le marché poursuivent leur consommation. Or,il est désormais connu que le cannabis provoque, même enprise occasionnelle, des altérations cognitives, avec troubles dela mémoire à court terme, somnolence ou détérioration desperceptions temporelles ou spatiales. En cas d’usage régulier,dix fois ou plus dans le mois précédent des troubles mnésiquesantérogrades et rétrogrades peuvent survenir. Ces perturbationsont un retentissement important dans le milieu du travail, ced’autant que des altérations de la capacité attentionnelle, etde la poursuite visuelle ont été décrites, ainsi qu’une diminu-tion du seuil d’alerte et des capacités de concentration. Lorsd’utilisation de véhicules automobiles, il a été bien démontréque l’alcool et le cannabis ont des effets synergiques. Le can-nabis, drogue psycho-active, qui constitue donc un réel dan-ger dès lors que les travailleurs concernés occupent un postetel que la conduite d’engins, l’utilisation de machines dangereu-ses ou encore en cas de travail en hauteur ou sur des écha-faudages. Ces altérations doivent être prises en compte dansle cadre d’une activité professionnelle car elles peuvent êtreresponsables d’accidents du travail et peuvent mettre en jeula sécurité d’autrui dans le cadre d’un poste de sécurité. Ledanger est réel, que la consommation soit épisodique ourégulière, non seulement pour l’entreprise mais aussi pourdes tiers ou pour eux-mêmes. Ceci est d’autant plus vrai quecelui qui a fumé présente souvent peu de signes visibles aupremier abord, même aux yeux d’un observateur averti. Ainsile danger est plus important qu’avec l’alcool car l’employéqui a bu est d’une certaine manière protégé par ses collèguesqui l’empêchent d’exécuter certaines tâches en l’ayant repéréà l’avance [2].

Tous les secteurs d’activité sont concernés. Cependant,certains secteurs ou postes de travail à fortes contraintes ontfait l’objet d‘études spécifiques. C’est notamment le cas dutravail posté, du travail de nuit et du travail isolé, des postesà responsabilité élevée, des postes à forte exigence en terme

Centre de consultations hospitalières de tabacologie, CHU, Brest, France.

Correspondance : J. D. Dewitte Centre de consultations hospitalières de tabacologie, CHU, 29069 Brest cedex.

[email protected]

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de vigilance (contrôle de processus sur les sites à hauts ris-ques, postes de surveillance ou de gardiennage), et tout cequi touche à la conduite ou au pilotage (transports, manu-tention mécanique…). Il semblerait que les consommationssoient plus élevées ou plus fréquentes chez les personnes quisont affectées à des postes à risque.

L’usage du cannabis, ou autres drogues, interdit l’exercicede certaines professions et des tests de dépistage sont pratiquéscouramment par des entreprises comme Air France, la SNCF,ou la RATP. Toute tâche qui demande de la concentration, dela vigilance, ou de la mémoire et une bonne appréciation deson environnement est incompatible avec les effets du can-nabis. Un dépistage systématique peut être réalisé par lemédecin du travail dans les conditions décrites ci dessous.

IL existe un cadre légal permettant un dépistage de stupé-fiants au travail

.

Le code du travail autorise la pratique detests de dépistage pour déterminer l’aptitude d’une personne,qu’elle soit salariée ou au moment de son embauche, à occuperun poste de travail. Toutefois, l’employeur doit respecter desrègles d’information individuelle des personnes concernées :la nature et l’objet du dépistage ainsi que les conséquencesd’un résultat positif doivent être expliqués au préalable. Cestests doivent être prévus par le règlement intérieur de l’entre-prise. Les tests sont pratiqués sur prescription du médecin dutravail et les résultats soumis au secret médical. L’employeurn’y a pas accès. Le médecin du travail informe simplementl’employeur de l’aptitude ou de l’inaptitude du candidat oudu salarié. L’employeur n’a donc pas le droit d’imposer undépistage de stupéfiants à un salarié. Toutefois, pour des pos-tes de travail comportant des risques pour les salariés qui lesoccupent ou pour des tiers, il peut demander au médecin dutravail de procéder à des tests de dépistage. Ainsi, des entre-prises de transport procèdent à des tests périodiques pourcertaines catégories de leur personnel. Il n’existe pas de listepréétablie d’emplois pour lesquels un dépistage régulier estautorisé. Un avis du comité consultatif national d’éthiqueindique que seuls les postes comportant de grandes exigencesen matière de sécurité et de maîtrise du comportement peu-vent justifier un dépistage [3].

Un nouveau texte en 2008 doit cependant être pris encompte : il s’agit de la circulaire du 9 mai 2008 relative à lalutte contre la toxicomanie et les dépendances, prise enapplication de la Loi du 5 mars 2007 relative à la préventionde la délinquance. Cette circulaire donne de nouvelles possi-

bilités de procéder à la recherche des infractions au sein desentreprises et des établissements de transports publics. La procé-dure à suivre est précisément décrite dans cette circulaire : entreautre, cette procédure doit établir l’existence de raisons plau-sibles d’usage de stupéfiants pour réaliser un dépistage : enfonction du comportement de la personne ou en présence designes caractéristiques, tels que ceux illustrés par les exemplessuivants : troubles de l’équilibre, démarche hésitante, diffi-culté à tenir la station debout, troubles de l’élocution ou dulangage, sudation, rougeur oculaire et mydriase, ainsi qu’unétat anormal d’excitation, d’euphorie, d’apathie ou d’anxiété[4].

En conclusion, les conduites addictives et leurs liensavec la santé au travail [5] doivent mener à une réflexion surles pratiques professionnelles du médecin du travail, surtoutà l’heure de l’introduction de l’Évaluation des Pratiques Pro-fessionnelles et aux évolutions de la réflexion sur la « cliniquedu travail » et de l’éthique du métier.

Références

1

Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, http://www.ofdt.fr

2

Roger P, Fiche pratique N° 5, sante BTP. http///www.sante-btp.com

3

Article R241-52 du code du travail. Comité National Consultatifd’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé, avis sur le dépistagedes toxicomanies dans l’entreprise, 16 Octobre 1989

4

Circulaire du 9 mai 2008 relative à la lutte contre la toxicomanie et lesdépendances.www.drogues.gouv.fr

5

Walocha D, Villeger P, Chevalier C, Dumont D, Druet-Cabanac M :Cannabis et travail.

Alcoologie et Addictologie

2008 ; 30 : 147-54.

QCM – Réponses page 1368

I) Parmi les postes de travail suivants, lesquels justifientun dépistage de la consommation de cannabis chez unsalarié ?

A. Pilote d’avionB. Conducteur TGVC. Conducteur de carD. CouvreurE. Chirurgien