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textes de Jean-Claude Capéra, Marie-Élise Gardel et Gwendoline Hancke ET LE PAYS CARCASSONNAIS Regards sur un patrimoine CARCASSONNE LOUBATIÈRES

Carcassonne et le Pays Carcassonnais, regards sur un patrimoine

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Le site de Carcassonne est habité depuis l’époque gallo-romaine et l’ensemble médiéval reste un attrait majeur de la ville. Pour autant Carcassonne ne se réduit pas à la seule Cité. La ville est aussi constituée d’une bastide et s’inscrit dans un environnement de villages, châteaux et abbayes, dans des paysages et des terroirs, qui composent une identité au-delà des remparts. Table des matières Le patrimoine bâti en pays Carcassonnais Géologie et paysages en pays Carcassonnais Les cathares en Carcassès Promenade dans la bastide et la cité

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textes de Jean-Claude Capéra, Marie-Élise Gardel et Gwendoline Hancke

ET LE PAYS CARCASSONNAISRegards sur un patrimoine

CARCASSONNE

LOUBATIÈRES

Ville aux deux sites classés « Patrimoine mondial », Carcassonnea tout pour être admirée et elle l’est ! On peut suivre les itinérairesconseillés dans les guides, mais pour découvrir Carcassonne hors

des sentiers battus, il faut d’abord se rendre sur le Pont Vieux. Au piedde la forteresse, bien visible, ce pont médiéval de 210 mètres est un vé-ritable « trait d’union ». En effet, dès 1628, le géographe Goelnitz s’ex-clame : « Carcassonne est double ! Entre les deux villes coule l’Aude, àtravers une assez large vallée. »

Carcassonne s’est en effet constituée en plusieurs temps. Jusqu’au mi-lieu du XIIIe siècle, elle était massée sur la rive droite de l’Aude, en ungrand bourg entourant la Cité. Puis, suite à un siège qui a failli coûter laville au roi de France, le vieux bourg a été rasé et vers 1260 une agglo-mération nouvelle voit le jour sur la rive gauche, sur d’anciens marécages.Depuis, les deux entités cohabitent de part et d’autre du fleuve. De tousles ponts, mais surtout depuis le Pont Vieux, deux visions différentes deCarcassonne s’offrent à nous : à l’est sur sa colline, la Cité dominant ses

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Le front nord de la Cité, vu du faubourg de la Trivalle.

PROMENADE DANS LA BASTIDE

ET LA CITÉ

faubourgs, à l’ouest la bastide, plus récente et,en apparence seulement, plus quelconque… Enfait chacune d’elles mérite d’être considéréecomme ville historique à part entière et ce n’estpas une brève visite dans la rue principale dela Cité qui permet de croire qu’on a vu Car-cassonne.

Un pont, un lien…Ici, le pont c’est le lien entre deux entités ur-baines bien distinctes, mais aussi entre passéet avenir, entre vie rêvée et vie réelle… De cesdeux agglomérations, l’une intemporelle et lé-

gendaire, l’autre ancrée dans le présent et même un peu rigide dans safroide géométrie, laquelle doit-on choisir, pour commencer une prome-nade? Toutes deux sont médiévales : en 1523, un auteur anonyme décrit« une place très puissante faite de deux villes ». Carcassonne assumepleinement sa « médiévalité », elle en propose deux versions très diffé-rentes. Son pont en témoigne : auparavant, on franchissait l’Aude à gué,puis sur un pont de bois. Un premier projet de pont de pierre est évoquéà la fin du XIIe siècle, mais on ne sait pas s’il est mis à exécution. Enfin,un long pont de pierre comportant des piles à éperons bilatéraux estédifié dans le premier quart du XIIe siècle. Ses quatorze arches témoignentde la volonté royale de développer la toute nouvelle bastide en favorisantle franchissement du fleuve, déviant ainsi, sur la rive droite, la voieprincipale, actuelle rue Trivalle, pour que les deux agglomérations serejoignent.

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Le Pont Vieux relie la Ville basse à la Cité.

Entre deux villesLà, on pourrait choisir, suivant l’humeur, suivant l’envie, de monter versla ville haute, la Cité, la forteresse, ou de descendre vers la ville basse,appelée depuis peu « bastide Saint-Louis ». Mais en fait, pourquoi choi-sir d’emblée? Il est possible de commencer par explorer les marges, leslimites, la « frontière », afin de déceler les clefs d’un mystère : pourquoi

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La rue Trivalle au début du XXe siècle.

est-il si difficile de les réunir, malgré les vœux des municipalités succes-sives? À la lisière, le long de l’Aude, on découvre beaucoup de trésors, etd’abord, les plus beaux angles de vue sur chacune d’elles, qui vont nous

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Carcassonne vue du nord et l’arrière-pays.

permettre d’apprivoiser les lieux, ce noman’s land qui n’est ni la Cité, ni la Bas-tide… Sur cette position particulière, DeThou en 1561 constate que « la rivièreAude et une grande esplanade, qui avaitautrefois de chaque côté un faubourgtrès peuplé, séparent Carcassonne endeux ».

La ville a-t-elle toujours tourné le dosà son fleuve, au lieu de s’ouvrir vers lui,comme on pourrait l’espérer? L’eau c’estla vie, là où tout a commencé, mais onsent bien que le fleuve inspire plutôt lacrainte que l’attirance. Les Carcasson-nais semblent avoir été réticents à trop aménager ces lieux. Car d’abordc’est l’Aude, le fleuve lui-même qui engendre la scission… Son nom an-tique était Atax, un nom à la sonorité un peu agressive qui montre bienque, malgré son air calme, il peut devenir impétueux. Ici, par temps depluies, on dit : « Allons voir si Aude est montée… ». Elle est personnifiéecar elle représente un vrai danger. Ses crues restent encore dans les mé-moires. Celle de 1891 fut particulièrement dévastatrice car le faubourgde la Barbacane était totalement sous les eaux. En 1930 et à nouveau en1940, des témoins disaient naguère avoir vu l’eau tumultueuse arriverjusqu’à l’intrados des arches du pont ! La hauteur atteinte à chaquecrue est marquée sur le chevet de la très belle chapelle Notre-Dame-de-la-Santé, nommée ainsi car elle desservait un des premiers hôpitaux mé-diévaux situés au bout du pont. L’aménagement des berges de la rive

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Inondations de l’Aude.

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R E -G A R D S

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Vue cavalière de 1462 :on distingue au premierplan la ville basse avecses portes fortifiées et ses nombreuses églises.Au second plan, on voitl’hôpital Notre-Dame prèsdu pont et le Moulin du Roi avec sa roue à aubes. Sur une colline à droite est représenté le tenda, petitefortification protégeant le séchage des draps(emplacement de l’actuelcimetière Saint-Michel).Au loin, la Cité et sonimposante barbacanedominent l’ensemble. Les faubourgs de la Barbacane et de la Trivalle ne sontpas encore construits.

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Le passeur sur l’Aude, face au Païchérou.

gauche, du quai Bellevue, où il faitbon flâner en toutes saisons, est re-lativement récent. En continuant,on arrive au Païchérou, lieu singu-lier où un passeur permettait dansun bac d’atteindre l’autre rive,d’une guinguette à l’autre…

De part et d’autre de l’Aude, lesquartiers intermédiaires sont des ri-vages, des refuges… Sur les deuxrives, des moulins, des faubourgsartisanaux, des hôpitaux se sontinstallés. Car la particularité de ces quartiers est la proximité de l’eau.Sur la rive gauche, la rue des Calquières, par exemple, témoigne de l’ac-tivité des tanneurs qui traitaient les peaux dans les bacs de chaux dumême nom. On voit encore les restes de la grille d’entrée et surtout dudôme de la chapelle de l’ancien Hôtel-Dieu, décoré de peintures poly-chromes. Sur la rive droite, plus poétique, on peut longer les berges del’Aude, sur un très agréable parcours ombragé d’où l’on voit constammentla Cité. Les deux faubourgs de la Barbacane et de la Trivalle, offrent aupromeneur leurs ruelles étroites, où l’on découvre parfois, entre deuxmaisons à encorbellement, les plus belles vues sur la citadelle… Le pre-mier est assez attirant car de la charmante place Saint-Gimer, on perçoitles restes de l’ancienne barbacane, ouvrage défensif construit du côté del’Aude, et on peut emprunter la grande côte qui monte vers une desdeux entrées principales de la Cité. Le deuxième est plus vivant, plus

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La montée vers la Porte d’Aude. Au premier plan, le chevet de Saint-Gimer.

riche en témoins du passé. En effet,en longeant la rue Trivalle, on verraavec bonheur l’ancienne manufactureroyale du XVIIIe siècle, où l’on fabri-quait les draps qui ont fait la fortunede la ville à cette époque. On pourravisiter l’église Notre-Dame-de-l’Ab-baye, reconstruite au XIIIe siècle surles ruines de la plus ancienne églisede Carcassonne. Au bout de la rue,après avoir fait une fraîche halte de-vant une vieille fontaine en pierres,on arrive devant la luxueuse maisonde Montmorency, datant du XVIe siècleet caractérisée par ses boiseries sculp-tées en façade.

Rive gauche : la Bastide ou la « modernité »Nous choisirons aujourd’hui de quitterles rives de l’Aude pour « descendre »dans la Ville basse « d’heureuse ren-contre  », comme la décrivait RenéNelli… Allons donc nous perdre danscette ville « neuve », qui pendant dessiècles force l’admiration des écrivainset des voyageurs. Dès sa création, il

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s’agit d’un projet ambitieux : au XVIe siècle, le chroniqueur Froissart yvoit «  sept mille maisons ». On vante ses qualités architecturales : unmarchand italien écrit en 1517, « la Cité est petite et belle, mais le bourgest encore plus beau ; on dirait qu’il a été fait en un seul jour… ». À tous,la ville basse apparaît donc plus belle que la Cité : « Ses rues construitesrégulièrement font plaisir à voir » apprécie Sincerus en 1665 ; Piganiol

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Vue aérienne de la bastide prise du sud-ouest.

Page de gauche : la Maison de Montmorency.

de la Force, en 1724, la dit « prospère, fort mar-chande et bien peuplée » tandis que le Diction-naire universel précise qu’elle est « bien bâtie »et que « tous les bâtiments en sont beaux ». Enfin,Mérimée lui-même, qui va instruire le dossier derestauration de la Cité, constate dans son rapportque « la ville moderne, appelée autrefois Bourg-Neuf, a pris plus d’importance (…). Les rues [dela Cité] sont irrégulières, ses maisons tombenten ruines, tandis que la ville neuve est aujourd’huil’une des mieux bâties de France ».

Quand on est du pays, il est difficile de s’ha-bituer à l’appellation nouvelle de « Bastide-Saint-Louis », tentative de revalorisation artificielle etconvenue de la « Ville basse » par rapport à la« Ville haute ». Tout le monde avait bien comprisque ces deux appellations étaient topographiqueset non sociales. D’ailleurs, la Ville basse, appeléeà l’origine « Bourg Neuf », était mieux considéréeet plus admirée que la Cité, avant sa mise en va-leur. L’extraordinaire attractivité de cette dernièreaurait-elles donné, depuis peu, des complexesaux habitants de la Ville basse?

Il est vrai que son plan de bastide bien carac-téristique, avec ses îlots d’habitations carrés dits« carrons », s’articule autour d’une vaste placecentrale très pittoresque. Stendhal, qui a la mal-

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chance de venir en avril, un jour de « pluie et ventfurieux » anticipe : « La place, garnie de magnifiquesplatanes, doit être charmante en été ; tout doit y êtreà l’ombre. » Flaubert, peu après, décrit les lieux avecplus d’enthousiasme : « C’est là une vraie place duMidi, où il fait bon dormir à l’ombre pour faire lasieste.  » Chacun son tempérament, mais on estpresque surpris de voir là une statue de Neptune duXVIIIe siècle, appelé le « Roi des eaux », en marbreblanc de Carrare, dans une vasque en marbre incar-nat de Caunes-Minervois. Cette vaste fontaine poly-chrome égaie cette place un peu grise, sauf quand elle disparaît les joursde marché sous le vivant désordre chamarré et bruyant du « marché auxherbes ». C’est bien là qu’est la vraie vie des Carcassonnais, la vie au-thentique si prisée des Anglais : trois fois par semaine, les fruits, légumeset autres herbes aromatiques, sont vendus ici traditionnellement par lesmaraîchers des berges de l’Aude, de l’Île et des environs.

Une fortification… fluctuanteSi l’on quitte ce centre vital, ce cœur battant de la ville moderne, on peutchoisir le circuit périphérique des anciens remparts. Trois anciennes for-tifications bastionnées du XVIe siècle subsistent : le bastion de Montmo-rency, très imposant et encore décoré sur ses flancs de cartouches héral-diques, celui de Saint-Martial et celui des Moulins ou de la Tour Grosse,appelé aujourd’hui « bastion du calvaire ». Seule porte encore debout,l’élégant Portail des Jacobins, au sud, dresse fièrement dans un reste derempart médiéval son architecture classique du XVIIIe siècle.

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La place Carnot un jour de marchéau début du XXe siècle.

La place Carnot, Noël 2009.

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frISBN 978-2-86266-617-4

29 €