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164 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016 CAS CLINIQUE Grand Prix 2015 2 e lauréat Un nouveau regard sur la maladie de Crohn Keeping an eye on Crohn’s disease N. Hammoudi*, M. Maillet*, N. Lourenco*, A.M. Zagdanski**, J.M. Gornet*, M.L. Tran-Minh* * Service de gastroentérologie, hôpital Saint-Louis (AP-HP), Paris. ** Service de radiologie, hôpital Saint-Louis (AP-HP), Paris. D eux à quatre pour cent des patients atteints de la maladie de Crohn présentent des manifestations oculaires (conjonctivite, sclérite, épisclérite, uvéite antérieure). L’atteinte inflammatoire des muscles oculomoteurs (myosite orbitaire) est une manifestation plus rare. Nous décrivons le cas d’une patiente de 46 ans, ayant développé une myosite orbitaire corticodépendante. Observation Une patiente de 46 ans, suivie depuis 1984 pour une maladie de Crohn avec atteinte du grêle en rémission clinique (après échec des 5-ASA, corticorésistance et résections itératives du grêle), consulte en février 2006 pour des douleurs oculaires de l’angle interne gauche et une diplopie de l’œil gauche d’apparition brutale. Le diagnostic de myosite orbitaire touchant le muscle droit médial gauche a finalement été posé par l’IRM oculaire (figures 1 et 2A) . Le bilan étiologique (bilan thyroïdien et dosage d’anticorps spécifiques de polymyosites) était négatif. Une corticothérapie a été introduite avec une amélioration rapide des symptômes mais aussi l’apparition d’une corticodépendance conduisant à un traitement par infliximab (IFX) qui permit la rémission clinique sur le plan oculaire (figure 2B) . Une rechute ophtalmologique à l’arrêt de l’IFX a motivé la reprise du traitement en entretien en bithérapie avec du méthotrexate, permettant la rémission oculaire et le maintien de la rémission digestive. En 2011, l’interruption du traitement pour mélanome a entraîné une rechute digestive et oculaire 2 mois après, nécessitant la reprise des corticoïdes. Devant la persistance d’une corticodépendance malgré l’instauration de l’azathioprine, l’IFX a été repris en monothérapie permettant une rémission clinique en quelques semaines. Discussion Nous décrivons ici une myosite orbitaire, dans une période de rémission digestive, dont la négativité du bilan étiologique et la réponse à un traitement par IFX sont en faveur d’une manifestation extra-digestive de maladie de Crohn. La revue de la littérature montre une vingtaine de cas décrits (1) le plus souvent conco- mitants de symptômes digestifs. Les immunosuppresseurs et les anti-TNF semblent être efficaces dans les myosites orbitaires de maladie de Crohn (2) avec, dans notre cas, l’apparition d’une dépendance à ce traitement. Conclusion La myosite orbitaire est une atteinte extra-digestive rare et peu connue de la maladie de Crohn pouvant parfois être sa manifestation prédominante. Légendes Figure 1. IRM orbitaire, séquence T1 avec injection de gadolinium et saturation des graisses (réalisée en 2006) : hypersignal du muscle droit médial gauche en faveur d’une atteinte inflammatoire. A. Coupe axiale. B. Coupe frontale. Figure 2. IRM orbitaire séquence T2. A. Diagnostic en 2006. B. Évolution après traitement en 2009. Maladie de Crohn, myosite orbitaire, infliximab. Crohn’s disease, orbital myositis, infliximab. 1. Vargason CW, Mawn LA. Orbital Myositis as Both a Presenting and Associated Extraintestinal Sign of Crohn’s Disease. Ophthal Plast Reconstr Surg 2015. [Epub ahead of print]. 2. Verma S, Kroeker KI, Fedorak RN. Adalimumab for orbital myositis in a patient with Crohn’s disease who discontinued infliximab: a case report and review of the literature. BMC Gastroenterol 2013;13:59. Références bibliographiques N. Hammoudi déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

CAS CLINIQUE 2 lauréat Grand Prix 2015 · L’atteinte inflammatoire des muscles oculomoteurs (myosite orbitaire) est une manifestation plus rare. Nous décrivons le cas d’une

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164 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016

CAS CLINIQUE Grand Prix 20152e lauréat

Un nouveau regard sur la maladie de Crohn Keeping an eye on Crohn’s disease N. Hammoudi*, M. Maillet*, N. Lourenco*, A.M. Zagdanski**, J.M. Gornet*, M.L. Tran-Minh*

* Service de gastroentérologie, hôpital Saint-Louis (AP-HP), Paris.

** Service de radiologie, hôpital Saint-Louis (AP-HP), Paris.

Deux à quatre pour cent des patients atteints de la maladie de Crohn présentent des manifestations oculaires (conjonctivite, sclérite, épisclérite, uvéite antérieure).

L’atteinte inflammatoire des muscles oculomoteurs (myosite orbitaire) est une manifestation plus rare. Nous décrivons le cas d’une patiente de 46 ans, ayant développé une myosite orbitaire corticodépendante.

Observation Une patiente de 46 ans, suivie depuis 1984 pour une maladie de Crohn avec atteinte du grêle en rémission clinique (après échec des 5-ASA, corticorésistance et résections itératives du grêle), consulte en février 2006 pour des douleurs oculaires de l’angle interne gauche et une diplopie de l’œil gauche d’apparition brutale. Le diagnostic de myosite orbitaire touchant le muscle droit médial gauche a fi nalement été posé par l’IRM oculaire (fi gures 1 et 2A) . Le bilan étiologique (bilan thyroïdien et dosage d’anticorps spécifi ques de polymyosites) était négatif. Une corticothérapie a été introduite avec une amélioration rapide des symptômes mais aussi l’apparition d’une corticodépendance conduisant à un traitement par infl iximab (IFX) qui permit la rémission clinique sur le plan oculaire (fi gure 2B) . Une rechute ophtalmologique à l’arrêt de l’IFX a motivé la reprise du traitement en entretien en bithérapie avec du méthotrexate, permettant la rémission oculaire et le maintien de la rémission digestive.

En 2011, l’interruption du traitement pour mélanome a entraîné une rechute digestive et oculaire 2 mois après, nécessitant la reprise des corticoïdes. Devant la persistance d’une corticodépendance malgré l’instauration de l’azathioprine, l’IFX a été repris en monothérapie permettant une rémission clinique en quelques semaines.

Discussion Nous décrivons ici une myosite orbitaire, dans une période de rémission digestive, dont la négativité du bilan étiologique et la réponse à un traitement par IFX sont en faveur d’une manifestation extra-digestive de maladie de Crohn.

La revue de la littérature montre une vingtaine de cas décrits (1) le plus souvent conco-mitants de symptômes digestifs. Les immunosuppresseurs et les anti-TNF semblent être effi caces dans les myosites orbitaires de maladie de Crohn (2) avec, dans notre cas, l’apparition d’une dépendance à ce traitement.

Conclusion La myosite orbitaire est une atteinte extra-digestive rare et peu connue de la maladie de Crohn pouvant parfois être sa manifestation prédominante.

Légendes

Figure 1. IRM orbitaire, séquence T1 avec injection de gadolinium et saturation des graisses (réalisée en 2006) : hypersignal du muscle droit médial gauche en faveur d’une atteinte infl ammatoire. A. Coupe axiale. B. Coupe frontale. Figure 2. IRM orbitaire séquence T2. A. Diagnostic en 2006. B. Évolution après traitement en 2009.

Maladie de Crohn, myosite orbitaire, infl iximab.

Crohn’s disease, orbital myositis, infl iximab.

1. Vargason CW, Mawn LA. Orbital Myositis as Both a Presenting and Associated Extraintestinal Sign of Crohn’s Disease. Ophthal Plast Reconstr Surg 2015. [Epub ahead of print]. 2. Verma S, Kroeker KI, Fedorak RN. Adalimumab for orbital myositis in a patient with Crohn’s disease who discontinued infl iximab: a case report and review of the literature. BMC Gastroenterol 2013;13:59.

Références bibliographiques

N. Hammoudi déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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