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820\lettre vernimmen\exemplaire\Retour sur Enron.doc Retour sur Enron ou « Avez-vous donc (...) des yeux pour ne point voir ? »* Vous écrivez dans l’avant propos de la dernière édition du Vernimmen 1 : «combien d’investisseurs ont-ils pris la peine de lire le rapport annuel d’Enron ? Et pourtant il est éloquent.» Pouvez-vous préciser ? La lecture du rapport annuel 2000 d’Enron ne permet pas de mettre à jour toutes les turpitudes de ce groupe qui ont été révélées au moment de sa faillite. Elle ne laisse cependant aucun doute sur la nature réelle des activités d’Enron, sur son très grand degré de créativité comptable, sur sa capacité à transférer hors de son bilan des dettes et permet d’apercevoir très nettement des opérations de nature pour le moins douteuse qui doivent conduire tout investisseur avisé à ne pas devenir actionnaire ou prêteur d’Enron. Après tout il n’y avait pas d’obligation ! 1. La nature réelle des activités d’Enron. Dès 2000 il est clair que les activités d’Enron ont une nature de plus en plus financière et de moins en moins industrielle : ? les assets from price risk management activities représentent, à 21Md$, 32 % du total du bilan 2000, en progression de plus de 300 % par rapport à 1999 ; ? les plus values avant impôt de l’activité d’investissements financiers d’Enron représentent sur les trois dernières années 44 % de son résultat avant impôt avec des rendements décroissant très vite : 44 % en 1998, 34 % en 1999 et 6% en 2000 (note 4, page 40) ; ? Enron classe ses plus-values, non en éléments exceptionnels, mais dans son chiffre d’affaires ( other revenues) et évalue ces investissements en fair value, dégageant ainsi des plus values non réalisées ; ? les investissements dans les sociétés non consolidées donc où Enron est normalement très minoritaire représentent 5,3 Md$ soit 46 % de ses capitaux propres ; ? l’instar de tous les groupes financiers, Enron calcule une VAR , Value at Risk , qui, à 89 M$ (+ 162 % par rapport à 1999), est 20 % plus élevée que celle d’HSBC par exemple qui dispose de cinq fois plus de capitaux propres qu’Enron ; ? enfin, page 27, Enron écrit que « Enron’s continued investment grade status is critical to the success of its wholesale business as well as its ability to maintain adequate liquidity». Il n’y a pas de doute, Enron est un groupe financier à la rentabilité déclinante et qui prend de plus en plus de risques pour essayer de masquer ce déclin. Comment alors justifier une valorisation qui atteint en 2000 6 fois les capitaux propres comptables, les meilleurs groupes financiers étaient entre 2 et 4 ? 1 Finance d’Entreprise de Pierre Vernimmen, 5 ème édition, par Pascal Quiry et Yann Le Fur – Dalloz 2002

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  • 820\lettre vernimmen\exemplaire\Retour sur Enron.doc

    Retour sur Enronou Avez-vous donc (...) des yeux pour ne point voir ? *

    Vous crivez dans lavant propos de la dernire dition du Vernimmen1 : combiendinvestisseurs ont-ils pris la peine de lire le rapport annuel dEnron ? Et pourtant il estloquent. Pouvez-vous prciser ?

    La lecture du rapport annuel 2000 dEnron ne permet pas de mettre jour toutes les turpitudesde ce groupe qui ont t rvles au moment de sa faillite. Elle ne laisse cependant aucundoute sur la nature relle des activits dEnron, sur son trs grand degr de crativitcomptable, sur sa capacit transfrer hors de son bilan des dettes et permet dapercevoir trsnettement des oprations de nature pour le moins douteuse qui doivent conduire toutinvestisseur avis ne pas devenir actionnaire ou prteur dEnron. Aprs tout il ny avait pasdobligation !

    1. La nature relle des activits dEnron.

    Ds 2000 il est clair que les activits dEnron ont une nature de plus en plus financire et demoins en moins industrielle :? les assets from price risk management activities reprsentent, 21Md$, 32 % du total du

    bilan 2000, en progression de plus de 300 % par rapport 1999 ;? les plus values avant impt de lactivit dinvestissements financiers dEnron reprsentent

    sur les trois dernires annes 44 % de son rsultat avant impt avec des rendementsdcroissant trs vite : 44 % en 1998, 34 % en 1999 et 6% en 2000 (note 4, page 40) ;

    ? Enron classe ses plus-values, non en lments exceptionnels, mais dans son chiffredaffaires (other revenues) et value ces investissements en fair value, dgageant ainsi desplus values non ralises ;

    ? les investissements dans les socits non consolides donc o Enron est normalement trsminoritaire reprsentent 5,3 Md$ soit 46 % de ses capitaux propres ;

    ? linstar de tous les groupes financiers, Enron calcule une VAR , Value at Risk, qui, 89 M$ (+ 162 % par rapport 1999), est 20 % plus leve que celle dHSBC par exemplequi dispose de cinq fois plus de capitaux propres quEnron ;

    ? enfin, page 27, Enron crit que Enrons continued investment grade status is critical tothe success of its wholesale business as well as its ability to maintain adequate liquidity.

    Il ny a pas de doute, Enron est un groupe financier la rentabilit dclinante et qui prend deplus en plus de risques pour essayer de masquer ce dclin. Comment alors justifier unevalorisation qui atteint en 2000 6 fois les capitaux propres comptables, les meilleurs groupesfinanciers taient entre 2 et 4 ?

    1 Finance dEntreprise de Pierre Vernimmen, 5me dition, par Pascal Quiry et Yann Le Fur Dalloz 2002

  • 820\lettre vernimmen\exemplaire\Retour sur Enron.doc

    2. La crativit comptable

    Outre linclusion des plus-values sur cession de certains titres financiers dans le chiffredaffaires, et donc dans le rsultat dexploitation (voir plus haut), Enron avait dveloppplusieurs traitements comptables audacieux qui doivent au moins faire lever les sourcils detout lecteur normalement comptent en comptabilit. Ainsi, Enron avait cr dans son comptede rsultat un agrgat appel Income before interest, minority interests and income taxes, enapparence proche du classique EBIT (Earing before interests and taxes), mais qui incluait :

    ? les produits financiers, mais pas les frais financiers ;? les profits de dilution ;? et les plus-values de cession dactifs non financiers (gains on sales of non-merchant

    assets).

    Cet IBIT prsentait, sans surprise, une progression plus agrable que celle de lEBIT et cestbien pour cette qualit quil avait t cr.

    En fait, ds la premire page du rapport annuel, la scne est plante : le cash flowdexploitation est prcis comme tant calcul hors la variation du besoin en fond deroulement. Au total, il na rien dun cash flow (qui inclut ncessairement les variations dubesoin en fonds de roulement pour tre un flux de trsorerie) et na rien d'exploitationpuisquil inclut des produits de cession et des produits financiers !

    3. Les transferts de dettes hors bilan

    A la note 9 de son rapport annuel, Enron explique que des filiales dtenues 50 % et doncconsolides par mise en quivalence et non par intgration globale en US GAAP, portent 15,9Md$ (+ 46 % / 1999) de dettes long terme contre simplement 8,6 Md$ son propre bilan.Puis le lecteur peut lire que si Enron ne dtient que 34 % de la filiale Azurix, le groupesupporte 69 % de ses pertes. Autrement dit, il est clair quune sparation entre droits de voteet intrts conomiques a t organise (pour ne pas consolider la dette). Mais si Enronsupporte 69 % des pertes, le bon sens ne nous dit-il pas quEnron doit supporter tt ou tard aumoins 69 % des dettes et que donc celles-ci devraient tre dans son bilan ?

    Enron explique deux tableaux plus bas quil a cd en 2 ans pour 1 369 M$ dactifs financiersau Limited Partnership Whitewing non consolid (Enron dtient 50 % des droits de vote).Naturellement, Whitewing LP sest financ par endettement puisquil est indiqu que sesautres actionnaires ne lui ont apport que 48 M$ de capitaux propres. Rsultat de lopration :1 369 M$ de dettes sorties du bilan dEnron mais portes par une socit contrle 50 %non consolide dont on peut prsumer quelle a moins de 100 M$ de capitaux propres et donton apprend note 16 que lautre actionnaire est membre de ltat major dEnron.

    4. Des oprations de nature suspecte

    Est-il normal quun membre de la direction gnrale soit associ dun LP qui sert dconsolider des dettes ? Non, bien videmment.

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    Et que penser des transactions dEnron sur ses propres actions, toujours avec ce LP dcritesnote 16 Enron (i) contributed to new-formed entities (the Entities) assets valued atapproximately $ 1.2 bn, including $ 150 m in Enron notes payable, 3.7 m restricted shares ofoutstanding Enron common stock and the right to receive up to 18.0 m shares of outstandingEnron common stock in March 2003 (subject to certain conditions) and (ii) transferred to theEntities assets value at approximately $ 309 m, including a $ 50 m note payable and aninvestment in an entity that indirectly holds warrants convertible into common stock of anEnron equity method investee. In return, Enron received economic interests in the Entities, $309 m in notes receivable, of which $ 259 m is recored at Enrons carryover basis of zero,and a special distribution from the Entities in the form of $ 1.2 bn in notes receivable, subjectto changes in the principal for amounts payable by Enron in connection with the execution ofadditional derivative instruments. Cash in these Entities of $ 172.6 m is invested in Enrondemand notes. In addition, Enron paid $ 123 m to purchase share-settled options from theEntities on 21.7 m shares of Enron common stock. The Entities paid Enron $ 10.7 m toterminate the share-settled options on 14.6 m share of Enron common stock outstanding. Inlate 2000, Enron entered into share-settled collar arrangements with the Entities on 15.4 mshares of Enron common stock. Such arrangement will be accounted for as equitytransactions when settled. Avez-vous compris quelque chose ? La complexit ait ellesynonyme de virtuosit ? Bien sr que non.

    Le rapport annuel 2000 dEnron est-il compliqu lire ? Non, il ne fait que 56 pages dont 36consacres aux tats financiers. Il est et tait disponible sur Internet.

    Qui la lu ? Cest une bonne question ; probablement pas ceux qui ont prt Enron, achetses actions ou recommand leur achat.

    Pascal QuiryProfesseur de finance au Groupe HECCo-auteur de Finance dEntreprisede Pierre Vernimmen Dalloz 2002

    * Evangile de Marc, 8 18.