9
Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Expertise judiciaire en soins infirmiers Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel Christophe Costes (infirmier diplômé d’État) 18 c, 1, chemin de Larroque, 81150 Terssac, France Disponible sur Internet le 18 mai 2012 Résumé Analyse d’une situation pratique : une infirmière en libéral rec ¸oit des confidences. Comment doit-elle les noter ? À qui et comment peut-elle les transmettre ? © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Le secret professionnel se situe à la confluence de la protection de la vie privée de l’individu et celle de l’ordre public démocratique, et son analyse se place ainsi, d’emblée, dans le conflit de droits. La base est restée le serment d’Hippocrate : « Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l’exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un secret ». Pour les professionnels de santé, et spécialement dans le cadre de l’exercice libéral, le respect du secret est exercice fort délicat, confronté aux exigences de la transparence et de la trac ¸abilité, au travail en réseau ou en équipe. L’exercice en libéral place sous tension les problématiques du secret professionnel. 1. Faits 1.1. Chronologie des faits Une prise en charge en libéral 10 janvier 2011. Mlle Thérèse, infirmière libérale depuis 20 ans, est contactée par la pharmacie de son village afin d’intervenir chez un patient, M. Xavier, 45 ans, ancien toxicomane, actuellement salarié dans une grande surface, pour des pansements à type de méchage de ganglion axillaire infecté, pour une durée de trois mois. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.04.009

Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183

Disponible en ligne surwww.sciencedirect.com

Expertise judiciaire en soins infirmiers

Cas pratique : soins infirmiers à domicileet secret professionnel

Christophe Costes (infirmier diplômé d’État)18 c, 1, chemin de Larroque, 81150 Terssac, France

Disponible sur Internet le 18 mai 2012

Résumé

Analyse d’une situation pratique : une infirmière en libéral recoit des confidences. Comment doit-elle lesnoter ? À qui et comment peut-elle les transmettre ?© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Le secret professionnel se situe à la confluence de la protection de la vie privée de l’individuet celle de l’ordre public démocratique, et son analyse se place ainsi, d’emblée, dans le conflit dedroits. La base est restée le serment d’Hippocrate : « Tout ce que je verrai ou entendrai autour demoi, dans l’exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, jele tairai et le considérerai comme un secret ». Pour les professionnels de santé, et spécialementdans le cadre de l’exercice libéral, le respect du secret est exercice fort délicat, confronté auxexigences de la transparence et de la tracabilité, au travail en réseau ou en équipe. L’exercice enlibéral place sous tension les problématiques du secret professionnel.

1. Faits

1.1. Chronologie des faits

• Une prise en charge en libéral

10 janvier 2011. Mlle Thérèse, infirmière libérale depuis 20 ans, est contactée par la pharmaciede son village afin d’intervenir chez un patient, M. Xavier, 45 ans, ancien toxicomane, actuellementsalarié dans une grande surface, pour des pansements à type de méchage de ganglion axillaireinfecté, pour une durée de trois mois.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.04.009

Page 2: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

176 C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183

Durant la période des soins, Mlle Thérèse se rend compte en observant divers indices concor-dants (localisation de la plaie, profil du patient, prescriptions de traitement à type de trithérapie,discussions avec le patient), que M. Xavier présente certainement une maladie grave dont il nelui a pas parlé.

• Les confidences du patient

17 janvier 2011. Au bout d’une semaine, ayant instauré un climat de confiance avec elle,M. Xavier confie à Mlle Thérèse qu’il est séropositif. Il ajoute que s’il a pu trouver du travailaprès plusieurs mois de recherche c’est parce qu’il a « omis volontairement » de signaler a sonemployeur qu’il était porteur sain du virus VIH, par peur des conséquences que cela pourrait avoirsur sa situation financière et sa vie sociale.

De plus, il lui informe qu’actuellement, elle est la seule à être au courant de sa pathologie etque même son médecin traitant n’a pas été informé.

Mlle Thérèse prend alors acte de cette information et décide de l’inscrire dans le dossier de soinsdu patient à l’attention de l’équipe soignante qui pourrait intervenir ultérieurement au domicilede Mr Xavier, dossier de soins qu’elle laisse au domicile du patient.

• Les divulgations

12 février 2011. Contactant le médecin traitant au sujet de l’évolution du pansement, elleinforme oralement celui-ci de ce que lui a confié M. Xavier.

Quelques jours plus tard, M. Xavier se sentant un peu affaibli fait appel à un service d’aideà domicile qui lui envoie une aide ménagère, afin de l’aider dans ses tâches quotidiennes. Aucours de son travail, Mlle Patricia, aide à domicile, découvre le dossier de soins de M. Xavieret se rend compte qu’il a été transcrit par l’infirmière que celui-ci est porteur du virus dusida.

Celle-ci ne dit rien sur le moment, mais à son retour à la maison, elle en parle à son époux,lui-même employé municipal et collègue de travail de M. Xavier, qui s’empresse d’en faire partau maire de la commune.

• Le licenciement du patient

Trois jours plus tard, M. Xavier est convoqué par son employeur qui lui signifie « qu’il estlicencié car il a omis sciemment de parler de sa pathologie, qui ne serait pas compatible avec lesfonctions qui lui sont confiées ».

M. Xavier accuse le coup, et après réflexion se rend compte que la seule personne à qui il avaitparlé de sa maladie est l’infirmière.

Le licenciement prononcé pour un motif de santé est abusif et M. Xavier saisit le Conseil desPrud’hommes.

Mais, dans le même temps, il décide de porter plainte au pénal contre l’infirmière et l’aide àdomicile pour violation du secret professionnel.

Page 3: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183 177

1.2. Les déclarations

• M. Xavier, le patient

Déclare au cours de son audition : « À aucun moment je n’ai souhaité que mon infirmièredivulgue au médecin ce que je lui avais dit concernant ma séropositivité. . . Je pense que je ne suispas un danger quand même. . . Elle ne m’a pas prévenu concernant le fait qu’elle allait écrire surmon dossier de soins (. . .). Comment vais-je faire moi maintenant que je n’ai plus de travail ».

• Mlle Thérèse, infirmière

Au cours de son audition, Mlle Thérèse déclare que si elle a informé le médecin traitantc’était : « par souci de donner au médecin une information aussi précise que possible afin deprendre en charge de manière optimale la plaie de M. Xavier ». Concernant la transmission écritede l’information confidentielle donnée par M. Xavier dans son dossier de soins, sans l’accordde ce dernier, Mlle Thérèse avance comme argument qu’elle souhaitait « que les intervenantsmédicaux ou paramédicaux éventuels puissent en être informés », car depuis toujours elle pense« que la continuité des soins et une prise en charge optimale du patient passent par le partaged’informations, de toutes sortes, confidentielles ou non. . . ».

Pour elle, il s’agissait aussi de « veiller à ce que les futurs intervenants ayant accès au dossier desoins, puissent être au courant afin de ne pas les mettre en danger compte tenu de la pathologiede Mr X. . . ». Elle rajoute : « Je ne voulais surtout pas risquer de mettre en danger la vie dequelqu’un en ne le signalant pas dans le dossier et ainsi être poursuivie pour non assistance apersonne en danger ! ».

Concernant par ailleurs le dossier de soins en lui-même et sa conservation au domicile dupatient, Mlle Thérèse déclare : « J’ai l’habitude de laisser le dossier de soins dans la chambrede mes patients, car ainsi le médecin ou mes collègues n’ont pas à chercher le dossier » ; et elleprécise : « Vous comprenez, nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous pour nous occuperdes patients, alors si on doit chercher le dossier pendant des heures !... ».

• Mlle Patricia, aide à domicile

Elle déclare : « En faisant mon ménage de la chambre, comme d’habitude, j’ai vu le dossier desoins sur la table de chevet et machinalement par curiosité, je l’ai ouvert et lu. J’ai été surprised’apprendre que M. Xavier était peut être contagieux, alors par peur j’en ai parlé à mon mari,qui le connaît très bien, pour avoir son point de vue ».

2. Les bases juridiques

L’infirmière a-t-elle commis une faute par la divulgation de la pathologie de M. Xavier auprèsde son médecin ? Afin de répondre au mieux a cette question, il convient d’aborder d’abord ladéfinition de la règle du secret professionnel et dans un deuxième temps la notion de partage desinformations confidentielles, c’est-à-dire la notion de « secret partagé ».

Page 4: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

178 C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183

2.1. Le secret

Le texte fondamental est l’article 226-13 du Code pénal : « La révélation d’une information àcaractère secret, par une personne qui en est dépositaire, soit par état, soit par profession, soiten raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de15 000 euros d’amende ».

Il s’agit de la seule règle de pratique médicale clairement et directement définie par le Codepénal. Le secret professionnel est donc protégé par la loi pénale, et celle-ci qui sanctionne toutes lespersonnes qui, s’étant vu confiées dans le cadre de leurs fonctions des informations confidentielles,les ont ensuite divulguées.

L’obligation de confidentialité à laquelle l’infirmière doit s’astreindre est définie par l’articleR. 4312-4 du Code de la santé publique qui précise : « Le secret professionnel s’impose à toutinfirmier(ière) et à tout étudiant infirmier, dans les conditions établies par la loi. Le secret couvrenon seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, lu, entendu, constaté ou compris »1.

Ces deux textes – loi pénal et décret professionnel – protègent donc tout ce qui est confié parune personne, à un « confident » librement choisi ou pas, ou tout ce qui est déduit ou découvertpar celui-ci en raison de sa profession.

La donnée essentielle en matière de secret dans un rapport « soignant-soigné » est la confiance,inhérente à celle de confident. L’une sans l’autre et le secret ne peut exister, comme le rappellele triptyque fameux : pas de soins sans confidence, pas de confidences sans confiance, pas deconfiance sans secret.

Rappelons que le secret professionnel est également une règle pour tous les fonctionnaires (art.26, al. 1er de la loi du 13 juillet 1983) se définissant alors comme l’obligation faite à tout agent dene pas révéler à autrui des renseignements confidentiels sur des personnes ou des intérêts privésrecueillis dans l’exercice de ses fonctions.

Dés lors, le secret peut se concevoir plus comme un droit du patient que comme une obligationpesant sur le professionnel. C’est l’approche de l’article L. 1110-4 du Code de la Santé Publique2 :« Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, réseau de santé ou toutautre organisme participant à la prévention et aux soins, a droit au respect de sa vie privée et ausecret des informations le concernant ».

Ce qui confirme bien que dans le cadre de la relation de confiance qui s’instaure entre unprofessionnel de santé et son patient, les informations collectées, médicales et personnelles doiventfaire l’objet de la protection du secret, et ce dans l’esprit du respect du droit à la vie privée (Codecivil, art. 9).

La loi définit avec précision les personnes soumise au secret et l’infirmière fait partie de cespersonnes du fait de sa fonction et pas de son état.

Le secret « s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenantdans le système de santé ». (CSP, art.1110-4).

L’élément moral de l’infraction consiste en la volonté du dépositaire du secret de le révéleren toute connaissance de cause, la violation du secret reste un délit intentionnel. Deux arrêts de

1 Cette règle a été posée dans le Code de déontologie médicale, devenue l’article R.4127-4 du code de la santé publique :« Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par laloi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire nonseulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».

2 Issu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO no 54 du 5 mars2002 p. 4118.

Page 5: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183 179

principe du 9 mai 1913 et du 27 juin 1967 de la chambre criminelle de la Cour de Cassation onténoncé : « Le délit existe dés lors que la révélation a été faite, avec connaissance, indépendammentde toute intention spéciale de nuire ».

2.2. Le secret partagé

Le partage de l’information ne peut que se concevoir que dans le cadre d’une prise en chargeen équipe, et encore dans le cadre de ce qui est strictement nécessaire.

Cette notion était essentiellement jurisprudentielle. Elle ne fait pas l’objet d’une législationpénale. Comme il ressort des débats parlementaires préparatoires à l’adoption du Nouveau Codepénal, le Parlement avait estimé que la notion de secret partagé présentait un caractère trop imprécispour faire l’objet d’une définition pénale. Ainsi, du fait des nécessités, il existe des situations danslesquelles deux professionnels tenus au secret doivent, en dehors des dérogations prévues par laloi, déroger à leur obligation de confidentialité et échanger des informations de nature secrète. Lacondition est que ce partage soit utile et nécessaire a la prise en charge.

C’est la loi du 4 mars 2002 – loi non pénale–qui a pour la première fois défini cette notionde partage du secret en matière médicale : « Deux ou plusieurs professionnels de santé peuventtoutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives àune même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer lameilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par uneéquipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputéesconfiées par le malade à l’ensemble de l’équipe » (CSP, art. L. 1110-4, al.3).

Un élément établi par la jurisprudence est que l’obligation du secret médical à un caractèreabsolu, ce qui interdit toute révélation à un tiers, même s’il s’agit d’un professionnel lui aussitenu au secret. Cette révélation reste répréhensible quand bien même elle aurait été communiquéedans la confidentialité à une personne unique, fût-il lui aussi tenu au secret professionnel (CAParis, 1er mars 1935 et Conseil d’État, 23 avril 1997).

Enfin, la loi prévoit le partage d’informations et en précise le cadre : « Il convient dans cettehypothèse, de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s’assurer que l’usager concerné estd’accord pour cette transmission ou tout du moins qu’il en a été informé ainsi que des éventuellesconséquences que pourra avoir cette transmission d’informations et de s’assurer que les personnesà qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin, dansl’intérêt de l’usager, de ces informations. Le professionnel décidant de l’opportunité de partagerun secret devra également s’assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités)présentent toutes les garanties de discrétion ».

2.3. Le dossier de soins

Depuis plusieurs années, il est apparu comme primordial pour les équipes soignantes de préciserleur organisation, de clarifier leur mode de distribution des soins et de créer un outil de travail, « ledossier de soins » qui devenait ainsi le support de la démarche de soins. Son utilisation permettantde définir en équipe des objectifs communs ainsi afin d’aboutir a une prise en charge optimale decelle-ci.

Le dossier de soins infirmiers est lui une des composantes du dossier du patient, qui se définitcomme un document unique et individualisé regroupant l’ensemble des informations concernantla personne soignée. Il prend en compte l’aspect préventif, curatif, éducatif et relationnel du soin.

Page 6: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

180 C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183

Il comporte le projet de soins qui devrait être établi avec la personne soignée. Il contient desinformations spécifiques à la pratique infirmière.

L’essentiel de la réglementation concernant le dossier de soins se trouve dans le Code de laSanté Publique. L’infirmière, quel que soit son mode d’exercice se doit de « concourir à la miseen place de méthodes et au recueil des informations utiles aux autres professionnels de santéet notamment aux médecins pour poser leur diagnostic et évaluer l’effet de leurs prescriptions »(CSP, Art. R 4311-2).

Cette obligation de tracabilité trouve également un fondement dans l’article R. 4311-3 du Codede la Santé Publique : « L’infirmier(ère) est chargé de la conception, de l’utilisation, de la tenueet de la gestion du dossier de soins infirmiers ».

Selon l’article R. 4312-28 du Code de la Santé Publique, « L’infirmier ou l’infirmière peutétablir pour chaque patient un dossier de soins infirmiers contenant tous les éléments relatifs àson propre rôle et permettant le suivi du patient. L’infirmier ou l’infirmière, quel que soit sonmode d’exercice, doit veiller à la protection contre toute indiscrétion de ses fiches de soins et desdocuments qu’il peut détenir concernant les patients qu’il prend en charge. Lorsqu’il a recoursà des procédés informatiques, quel que soit le moyen de stockage des données, il doit prendretoutes les mesures qui sont de son ressort pour en assurer la protection, notamment au regard desrègles du secret professionnel ».

3. Les divulgations

Mlle Thérèse, infirmière diplômée d’état, avait bien instauré une relation de confiance avecson patient - à tel point que celui-ci a pu lui confier des informations importantes à ses yeux surson état de santé. Elle était devenue dépositaire du secret de par sa fonction car au moment ouelle a recu l’information, elle se situait dans sa fonction d’infirmière.

Cette relation de confiance est certaine. Mlle Thérèse intervenait en situation professionnelle.Elle avait présumé de la pathologie de M. Xavier, et celui-ci lui avait ensuite livré l’information.Lors de son audition, M. Xavier a expliqué comment il s’était confié à elle car il se sentaitsuffisamment en confiance pour le faire. La confidence était protégée par le secret entre l’infirmièreet son patient.

3.1. Vis-à-vis du médecin

• Sur le plan pénal

La circulation des informations confidentielles ne peut se faire que pour la continuité des soinset elle est limitée aux professionnels intervenant directement auprès du patient, dans la mesureoù ces intervenants sont identifiés et connus par lui, où celui-ci ne s’est pas opposé au partage ets’il a été informé de ce partage.

Pour que ce partage soit nécessaire, il convient de présumer d’une finalité de service, cettefinalité étant la meilleure qualité de la prise en charge qui rend opportun de partager le secret.

En l’espèce, Mlle Thérèse soignait M. Xavier pour une plaie axillaire avec méchage, ce quiprésente donc des risques d’écoulements ou de saignements. Pour elle, dans le cadre de la bonnecontinuité des soins et de la qualité des soins, ces éléments justifiaient le fait qu’elle divulgue aumédecin l’information sur la séropositivité de son patient.

L’infirmière dépositaire du secret a agi en conscience, c’est-à-dire qu’elle a analysé la finalitédu secret, à savoir que pour prendre en charge de manière optimale la plaie de M. Xavier, pour

Page 7: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183 181

décider d’informer son médecin traitant. Mais le patient s’était abstenu d’informer le médecin,et ne l’envisageait pas. De telle sorte, et en droit strict, la transmission l’information n’étant pasindispensable, on doit retenir une violation de la règle. Le patient n’avait pas confié cette prise encharge au médecin, et cette volonté devait être pris en compte.

On peut toutefois estimer que, la situation étant limite, un juge pourrait retenir la nécessitéd’informer, pour une prise en charge à préparer, mais nécessaire. Compte tenu du rôle du médecin,qui est lui-même une référence dans la gestion du secret, cette transmission pourrait bénéficierd’une mansuétude du tribunal. Le juge pénal pourrait retenir que le médecin traitant, prescripteurdes soins, est un tiers confident, pivot de la relation de soins, et que la confidence de l’infirmièrepourrait être justifiée dans la perspective d’une prise en charge globale.

• Sur le plan déontologique

Sur le plan déontologique, l’analyse est sensiblement différente. En effet, l’infirmière a décidéde transmettre la confidence sans avoir discuté de ce point avec le patient, et sans avoir cherché àle convaincre de la nécessité de partager cette information avec son médecin traitant. Elle ne l’ani prévenu, ni informé, et elle n’a pas cherché à obtenir son consentement. Ainsi, elle a manquéà son devoir : essayer de convaincre son patient de l’utilité et de la nécessité de partager cetteinformation avec le médecin traitant, pour une meilleure prise en charge. En agissant de la sorte,elle accrédite l’idée d’une maladie honteuse, ce qui n’est pas professionnel.

Ce qui aggrave la situation, c’est que pour se défendre, Mlle Thérèse a déclaré au cours de sonaudition, que si elle a révélé cette information confidentielle, c’était aussi pour éviter de mettred’autre intervenants en péril et ainsi se protéger elle-même d’éventuelles poursuites pour « nonassistance à personne en danger ». En effet, ce délit (Code pénal, Art. 223-6) suppose la réunionde conditions très strictes : l’existence d’un péril imminent, la conscience d’un danger par lapersonne susceptible de porter secours, et enfin l’absence de danger pour le secouriste lui-même.

L’infirmière ne pouvait se prévaloir d’une « obligation d’assistance à personne en danger »car nous étions loin de l’existence d’un péril imminent et immédiat. Le risque de contaminationpar le virus VIH, bien que possible, ne constitue pas un péril imminent au sens de la loi, etce d’autant plus que tout les professionnels de santé sont tenus de respecter et de connaître lesrecommandations de bonne pratique édictées par la Haute autorité de santé et les appliquer dansl’exercice de leur profession.

Certes, M. Xavier, en choisissant de taire sa séropositivité, place l’équipe soignante dans unesituation compliquée et peut exposer les soignants à un risque de contamination. Mais aucun textede loi n’impose au patient de révéler sa séropositivité.

3.2. Gestion du dossier de soins

Le fait même pour Mlle Thérèse d’avoir mis en place un dossier de soins infirmiers au domicilede son patient, reprenant les informations nécessaires à la bonne coordination des soins est légitimépar la loi. Du point de vue de la loi, l’écriture et les transmissions dans un dossier de soins infirmiersfont partie du rôle propre ou autonome de l’infirmière.

Cette obligation de tracabilité trouve également un fondement dans l’article R. 4311-3 du Codede la Santé Publique : « L’infirmier (ère) est chargé de la conception, de l’utilisation, de la tenueet de la gestion du dossier de soins infirmiers ».

Les informations transcrites dans le dossier de soins sont laissées à l’appréciation del’infirmière. Il en est de même de l’utilisation et la gestion, c’est-à-dire l’archivage de ce dossier.

Page 8: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

182 C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183

En l’espèce, l’information notée par Mlle Thérèse est une information d’ordre médical, obtenuesous le sceau du secret, qui fait partie du dossier médical du patient dont le dossier infirmier estune partie intégrante.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’une information spécifique du rôle propre infirmier, faisantl’objet de soins du rôle autonome de l’infirmière. Même si pour elle il s’agissait d’une informationnécessaire à la prise en charge du patient, il n’est pas établi que cette information sur un diagnosticmédical général, confié par le patient mais non lié à la nature des soins pratiqués, ressortait desobligations liées à la continuité des soins. De plus, Mlle Thérèse n’a pas sollicité l’accord deson patient, ni ne l’a informé du fait qu’elle transcrivait dans le dossier de soins infirmiers cetteconfidence.

Afin d’éviter tout risque de se voir poursuivi pour divulgation d’informations confidentielles,il convient de prévenir le patient avant de transcrire une information de nature confidentielle endehors de celles dévolues au rôle propre infirmier.

En ce sens, en notant sur le dossier de soins infirmiers que M. Xavier était séropositif par soucide donner une information aux futurs intervenants – quelle ne connaissait pas et pour des risqueshypothétiques – Mlle Thérèse a commis une faute.

Si elle avait obtenu cette autorisation, elle aurait tout à fait pu mentionner cette maladie.C’est-à-dire que l’un des fondements des reproches est de ne pas être pleinement entré dans larelation de soin. Si l’infirmière estime que l’information est d’une importance telle – point surlequel il peut y avoir discussion – alors elle doit profiter de la relation de confiance pour aider lepatient à aborder la maladie en face. En agissant de manière dérobée, elle se détache de son rôlethérapeutique.

3.3. Les modalités de conservation du dossier

Y a-t-il eu négligence dans la conservation du dossier de soins au chevet du patient ?Alors que le dossier de soins infirmiers a une réelle existence juridique, son archivage et sa

conservation ne font pas l’objet d’une législation spécifique, particulièrement dans l’exercicelibéral.

Nous savons qu’il répond à une réglementation précise qui fixe dans des conditions définies, sonaccessibilité aux soignants, à d’autres professionnels mais aussi aux patients. Il est conservé dansdes conditions permettant son accessibilité, son intégrité, et la préservation de la confidentialitédes informations qu’il comporte.

D’ailleurs la loi, concernant ce devoir de discrétion le précise : « l’infirmier ou infirmière, quelque soit son mode d’exercice, doit veiller à la protection contre toute indiscrétion de ses fiches desoins et des documents qu’il peut détenir concernant les patients qu’il prend en charge (. . .), ildoit prendre toutes les mesures qui sont de son ressort pour en assurer la protection, notammentau regard des règles du secret professionnel » (Art. 4312-28 du Code de la Santé publique).

Ainsi, Mlle Thérèse ayant admis au cours de son audition avoir l’habitude de poser le dossierde soins de ses patients dans leur chambre, en ne veillant pas - malgré la bonne conception dudossier de soins précisant les personnes qui avaient accès au dossier de soins - à protéger ce dossieret les informations qu’il contenait, contre toute indiscrétion.

Étant entendu également que, l’aide à domicile a commis une indiscrétion en regardant ledossier, alors qu’elle n’aurait pas dû, mais que la négligence vient bien du fait de l’infirmière.

De fait, la responsabilité pour ce défaut de protection de données personnelles confidentiellesest avérée.

Page 9: Cas pratique : soins infirmiers à domicile et secret professionnel

C. Costes / Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 175–183 183

4. Conclusion

Ce cas pratique permet de mettre en évidence la responsabilité d’une infirmière qui n’a pasrespecté son obligation légale de confidentialité et de protection de ces données confidentielles.

La règle du secret professionnel, classée par la loi et la jurisprudence dans les secrets absoluslui confère ce caractère solennel, général et impératif faisant ainsi du professionnel de santé, legarant privilégié de cette valeur et le juge son plus ardent défenseur.

Ce qui est en jeu, c’est la relation de confiance qui s’établit entre le soignant et son patient,cette relation professionnelle fondée sur la confiance qui mène a la confidence. Un patient doitpouvoir tout dire à son médecin ou a son infirmière en étant certain que son secret sera gardé leplus précieusement. Cette relation « intime » initiée par le patient qui vient confier quelque chose,ou simplement une découverte fortuite par le professionnel, suffit à légitimer la règle du secret.

Néanmoins la multiplicité des intervenants au domicile du patient, la pluridisciplinarité desprises en charge, la multiplicité des écrits, font que la protection de l’intimité et le respect de lavie privée, qui sont le socle du droit de la personne, sont plus que souvent bafoués.

La question de la nécessité ou de l’utilité du partage ne se pose pratiquement plus car leséquipes de soins, prétextant une prise en charge dans le cadre de l’accompagnement des patients,font que ce qui est confié à un membre d’une équipe se voit de fait transmis aux autres membresde l’équipe. Et ce, sans se soucier de savoir si le patient a consenti a ce partage ou pas, sans même(souvent) lui avoir demandé son avis.

Ajoutons à cela toutes les discussions au détour d’un couloir, entre professionnels ou bien avecdes membres de la famille dont on ne sait même pas si le patient était désireux de les mettre dansla confidence.

Nul doute que des efforts sont à fournir pour gérer le risque judiciaire, même si les procédurescontre des professionnels pour violation du secret ne sont pas nombreuses.

Cette notion, située aux confins du juridique, de l’éthique et de la déontologie et la questionqu’elle pose quant à l’articulation de ces trois éléments fondamentaux du soin, reste d’actualité.La réflexion qu’elle suscite ou qu’elle doit susciter au sein des équipes soignantes reste pertinente.

Déclaration d’intérêts

L’auteur n’a pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.