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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 4 307 RUBRIQUE PRATIQUE Cathéter stimulant et bloc nerveux périphérique Régis Fuzier (photo), Olivier Choquet, François Singelyn INTRODUCTION Les cathéters périnerveux sont de plus en plus utilisés pour l’analgé- sie après chirurgie des membres (1). Afin d’optimiser la qualité du bloc analgésique, le cathéter doit idéalement être situé au contact du tronc ou du plexus nerveux. Classi- quement, le cathéter est avancé à l’aveugle, au-delà de l’extrémité de l’aiguille ou de la canule d’introduction en espérant qu’il se positionne cor- rectement dans l’espace de diffusion périnerveux. L’effica- cité clinique est vérifiée lors de la première injection de l’anesthésique local. L’inefficacité de la technique peut être liée à un mauvais placement (échec précoce) ou à un déplacement secondaire (échec tardif) du cathéter. Lors de la montée du cathéter à l’aveugle, ce dernier ne reste pas toujours au contact du nerf et il est impossible pour le clinicien de connaître sa position exacte (2). Des dépla- cements secondaires peuvent être responsables d’un taux d’échec tardif avoisinant les 20 % (3). Dans ces cas, une opacification du cathéter peut permettre de vérifier sa position (1). Cependant, l’organisation pratique, le coût et le risque allergique des produits de contraste sont des fac- teurs limitant cette pratique. L’utilisation d’un cathéter stimulant, récemment proposée, (4, 5) pourrait palier cer- tains de ces inconvénients. INTÉRÊT THÉORIQUE DU CATHÉTER STIMULANT Le cathéter stimulant offre de nombreux avantages poten- tiels parmi lesquels : – La garantie d’un placement du cathéter au plus près d’un élément nerveux ; – le choix d’une structure nerveuse spécifique correspon- dant au territoire à analgésier, au contact duquel l’extrémité du cathéter peut être placée (par exemple, placement du cathéter poplité au contact du nerf tibial pour l’analgésie d’une chirurgie de l’hallux valgus) ; – vérification de la bonne position du cathéter à distance de la pose ; – replacement secondaire du cathéter. LE MATÉRIEL Plusieurs dispositifs complets de cathéters stimulants sont disponibles sur le marché (Stimulong Plus ® Pajunk ; Stimu- Cath ® Arrow) (figures 1 et 2). Chaque dispositif présente des particularités, mais le principe général est le même. Le set est généralement composé d’une aiguille isolée, avec une pointe à facette de type Sprotte ou Tuohy, et une gra- duation centimétrique. L’aiguille est généralement de 17 ou 18 G. Plusieurs longueurs d’aiguille sont disponibles. Le cathéter, radio-opaque, de 19 ou 20 G est renforcé par un guide métallique permettant la stimulation. Un filtre anti- bactérien et un système de fixation du raccord complètent souvent le set. LA MISE EN PLACE La technique initiale de mise en place d’un cathéter stimu- lant ne diffère pas de celle habituellement recommandée avec un cathéter non stimulant. Les connaissances anato- miques restent indispensables et le caractère stimulant du cathéter ne change en rien à cet adage. Il en est de même des techniques de ponction, ainsi que des mesures de sécu- rité usuelles. En clair, les bonnes pratiques éditées par la Figure 1. Cathéter stimulant Stimulong Plus ® , Pajunk.

Cathéter stimulant et bloc nerveux périphérique

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 4 307

R U B R I Q U E P R A T I Q U E

Cathéter stimulant et bloc nerveux périphériqueRégis Fuzier (photo), Olivier Choquet, François Singelyn

INTRODUCTION

Les cathéters périnerveux sont deplus en plus utilisés pour l’analgé-sie après chirurgie des membres(1). Afin d’optimiser la qualité dubloc analgésique, le cathéter doitidéalement être situé au contact dutronc ou du plexus nerveux. Classi-quement, le cathéter est avancé à

l’aveugle, au-delà de l’extrémité de l’aiguille ou de lacanule d’introduction en espérant qu’il se positionne cor-rectement dans l’espace de diffusion périnerveux. L’effica-cité clinique est vérifiée lors de la première injection del’anesthésique local. L’inefficacité de la technique peutêtre liée à un mauvais placement (échec précoce) ou à undéplacement secondaire (échec tardif) du cathéter. Lorsde la montée du cathéter à l’aveugle, ce dernier ne restepas toujours au contact du nerf et il est impossible pourle clinicien de connaître sa position exacte (2). Des dépla-cements secondaires peuvent être responsables d’un tauxd’échec tardif avoisinant les 20 % (3). Dans ces cas, uneopacification du cathéter peut permettre de vérifier saposition (1). Cependant, l’organisation pratique, le coût etle risque allergique des produits de contraste sont des fac-teurs limitant cette pratique. L’utilisation d’un cathéterstimulant, récemment proposée, (4, 5) pourrait palier cer-tains de ces inconvénients.

INTÉRÊT THÉORIQUE DU CATHÉTER STIMULANT

Le cathéter stimulant offre de nombreux avantages poten-tiels parmi lesquels :– La garantie d’un placement du cathéter au plus près d’unélément nerveux ;– le choix d’une structure nerveuse spécifique correspon-dant au territoire à analgésier, au contact duquel l’extrémitédu cathéter peut être placée (par exemple, placement ducathéter poplité au contact du nerf tibial pour l’analgésied’une chirurgie de l’hallux valgus) ;– vérification de la bonne position du cathéter à distance dela pose ;– replacement secondaire du cathéter.

LE MATÉRIEL

Plusieurs dispositifs complets de cathéters stimulants sontdisponibles sur le marché (Stimulong Plus® Pajunk ; Stimu-Cath® Arrow) (figures 1 et 2). Chaque dispositif présentedes particularités, mais le principe général est le même. Leset est généralement composé d’une aiguille isolée, avecune pointe à facette de type Sprotte ou Tuohy, et une gra-duation centimétrique. L’aiguille est généralement de 17 ou18 G. Plusieurs longueurs d’aiguille sont disponibles. Lecathéter, radio-opaque, de 19 ou 20 G est renforcé par unguide métallique permettant la stimulation. Un filtre anti-bactérien et un système de fixation du raccord complètentsouvent le set.

LA MISE EN PLACE

La technique initiale de mise en place d’un cathéter stimu-lant ne diffère pas de celle habituellement recommandéeavec un cathéter non stimulant. Les connaissances anato-miques restent indispensables et le caractère stimulant ducathéter ne change en rien à cet adage. Il en est de mêmedes techniques de ponction, ainsi que des mesures de sécu-rité usuelles. En clair, les bonnes pratiques éditées par la

Figure 1. Cathéter stimulant Stimulong Plus®, Pajunk.

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 4308

SFAR en matière de bloc nerveux périphérique s’appliquentaussi dans ce cas (1).

Après anesthésie locale du point de ponction, l’aiguille fran-chit la peau. Le neurostimulateur est réglé sur une intensitéde 1,5 à 2,0 mA, pour une durée de stimulation habituelle-ment à 100 microsecondes. L’aiguille est orientée vers le nerf,en évitant un abord perpendiculaire. La forme du biseau del’aiguille permet généralement une bonne sensation du fran-chissement des fascia, ce qui peut être une aide lors du repé-rage nerveux (exemple du franchissement des fascia lata etiliaca au niveau du nerf fémoral). Lorsque la réponse motricesouhaitée est obtenue, l’intensité du courant de stimulationest diminuée. Le bon positionnement de l’aiguille est obtenulorsque la réponse motrice disparaît en diminuant l’intensitéde courant pour une valeur seuil (environ 0,5 mA) pour unedurée de stimulation inférieure ou égale à 100 microsecondescorrespondant à l’intensité minimale de stimulation (IMS).

Le cathéter stimulant est introduit à travers l’aiguille. Deuxalternatives sont possibles :

– soit le cathéter est introduit à l’aveugle sur plusieurs cen-timètres puis est secondairement connecté au neurostimu-lateur pour vérifier son bon positionnement. En l’absencede réponse, le cathéter est retiré jusqu’à la récupérationd’une réponse motrice adéquate ;

– soit le cathéter est directement relié au neurostimulateuret est avancé sous contrôle de la neurostimulation.

En pratique, le cathéter est laissé à l’endroit où uneréponse motrice persiste pour une intensité minimale (engénéral, < 1 mA pour une durée d’impulsion < 100

μsec).Il est ensuite fixé fermement afin d’éviter un déplacementsecondaire. L’injection de l’anesthésique local est réaliséeà travers le cathéter, en ayant pris soin au préalable des’assurer de l’absence de reflux sanguin. L’injection estlente et fractionnée, tout en maintenant un contact avec lepatient afin de déceler rapidement des signes de toxicitésystémique.

Un pansement stérile termine la procédure. Le type de blocréalisé, le type de cathéter utilisé, la longueur d’insertion ducathéter, les paramètres de la neurostimulation ainsi que lescaractéristiques de l’anesthésique local injecté et la surve-nue d’éventuels incidents durant la procédure sont notésdans le dossier du patient.

LES INCONVÉNIENTS LORS DE LA MISE EN PLACE

L’insertion du cathéter est parfois difficile comme sa ré-orientation lorsque sa position est jugée inadéquate. Dusérum physiologique peut être injecté à travers l’aiguillepour faciliter le glissement du cathéter en « dilatant »l’espace, mais cette manœuvre s’accompagne d’une dispa-rition instantanée de la réponse en électrostimulation etl’IMS est plus élevée dans les minutes qui s’en suivent (6).

L’injection au travers de l’aiguille de la solution d’anesthé-sique local au préalable à l’insertion du cathéter, modifieaussi les propriétés électriques de la neurostimulation (6).De plus, l’installation progressive du bloc sensitivo-moteurdans certains territoires pourrait atténuer voire supprimerla stimulation et les paresthésies mécaniques en cas decontact direct avec le nerf, lors des manipulations del’aiguille et du cathéter.

Il est assez difficile de placer le cathéter exactement àl’endroit souhaité, le trajet du cathéter étant imprévisible.Comme l’opérateur ne maîtrise pas le trajet du cathéter au-delà de l’aiguille, plusieurs tentatives sont habituellementnécessaires pour obtenir et conserver une réponse adé-quate (7). Les techniques échographique ou radioscopiquepourraient faciliter le placement du cathéter à l’endroitdésiré, mais leur utilisation en routine alourdirait considéra-blement la procédure et leur intérêt doit encore êtredémontré.

Le bon positionnement du cathéter au contact du nerf lorsde sa mise en place nécessite des va-et-vient de ce dernierà travers l’aiguille. Il existe de ce fait un risque théorique derupture du cathéter par le biseau de l’aiguille (particulière-ment avec les aiguilles de type Tuohy). Il faut donc éviterdes tractions fortes sur le cathéter et en vérifier l’intégralitélors du retrait. En cas de résistance à la traction du cathéter

Figure 2. Cathéter stimulant StimuCath®, Arrow.

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 4 309à travers l’aiguille, l’ensemble doit être retiré et la procé-dure réitérée.

L’intensité du courant nécessaire pour obtenir et conserverla réponse motrice est souvent plus élevée sur le cathéterpar rapport à la stimulation sur l’aiguille. Dans une étuderécente, l’intensité moyenne de stimulation était de 0,5 mAsur l’aiguille et de 1,6 mA sur le cathéter (9). Ceci traduitprobablement un éloignement du cathéter par rapport aunerf. Chez le volontaire, il a été possible de stimuler le nerffémoral avec le cathéter à la même intensité que celle obte-nue avec l’aiguille, mais au prix de tentatives d’introduc-tion plus nombreuses (7). Dans un cas clinique, uneréponse motrice a été obtenue en stimulant le cathéter àdes intensités extrêmement faibles (< 0,2 mA), sans consé-quence néfaste pour le patient (8). Par ailleurs, le type deréponse motrice obtenu lors de la neurostimulation peutêtre différent entre l’aiguille et le cathéter (9). La charge decourant optimale lors de la stimulation nerveuse à traversle cathéter comme le type de réponse selon le site restentdonc à définir.

LE PRÉSENT ET LE FUTUR

Les principaux arguments en faveur du cathéter stimulantsont la fiabilité de la technique lors du placement ducathéter et l’amélioration du taux de succès (10). Pham-Dang et coll. ont montré sur une série initiale noncomparative de 130 patients que l’analgésie postopéra-toire était satisfaisante lorsqu’une une réponse motriceétait obtenue avec le cathéter stimulant (9). Une étudechez le volontaire sain a montré qu’un cathéter mis enplace au contact du nerf fémoral permettait d’assurer unbloc sensitif et moteur plus profond à volume d’anesthé-sique local égal, laissant entrevoir les possibilités d’amé-lioration de la qualité de ces blocs tout en diminuant laquantité d’anesthésique local nécessaire (7). Toutefois, lasupériorité de l’analgésie postopératoire d’un cathété-risme stimulant sur un cathéter monté à l’aveugle est loind’être évidente (11, 12). En effet, à partir du moment oùl’anesthésique local est injecté dans le « bon espace dediffusion », l’analgésie postopératoire est très souvent debonne qualité.

Il n’est pas démontré que l’absence de stimulation ner-veuse lors de la progression d’un cathéter stimulant permetde prédire un échec de l’analgésie. Par ailleurs, la volontéd’obtenir une réponse nerveuse adéquate augmente lesmanipulations et le temps de la mise en place des cathétersstimulants.

Le risque neurologique lié aux va-et-vient du cathéter lorsde sa mise en place, ainsi que la longueur optimale d’inser-tion restent à définir. Il semble préférable de ne pas avancer

un cathéter non-stimulant de plus de 3 cm au-delà del’extrémité de l’aiguille (2). La stimulation nerveuse lors dela montée du cathéter stimulant pourrait permettre d’insé-rer le cathéter sur une plus longue distance tout en en main-tenant l’extrémité près du nerf. Toutefois, elle ne prouvepas que le cathéter progresse dans l’espace péri-nerveux ;en effet, elle ne détectera pas l’enroulement du cathéter àla pointe de l’aiguille.

Il reste à démontrer qu’un positionnement du cathéter auplus près du nerf diminue la quantité d’anesthésique localnécessaire au maintien de l’anesthésie et/ou de l’analgésie.

En cas d’échec secondaire de l’analgésie, il serait intéres-sant de pouvoir repositionner le cathéter. S’il est possiblede retirer le cathéter pour tenter de le repositionner àproximité d’un élément nerveux, il est toutefois impossiblede le repousser (en raison du risque septique). Quoi qu’ilen soit, il est important d’avoir noté la profondeur d’inser-tion initiale (distance à la peau) du cathéter et de ne pastrop le retirer. Souvenons-nous qu’en cas d’injection conti-nue de l’anesthésique local, la charge de courant néces-saire pour re-stimuler le nerf est plus importante ; uneréponse motrice ne peut être obtenue qu’à distance d’unbolus ou quelques heures après avoir interrompu la perfu-sion continue, c’est-à-dire lorsque l’effet de l’anesthésiquelocal s’amende (13).

CONCLUSION

Le cathéter stimulant est un nouveau matériel intéressantmis à la disposition du clinicien. Ses avantages théoriquessont évidents. Sa place en pratique clinique et ses indica-tions selon le type de bloc restent cependant à préciser.

RÉFÉRENCES1. Recommandations pour la pratique clinique : les blocs périphériques des

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3. Pirat P, Branchereau S, Bernard N, et al. Suivi prospectif des effets adversesnon infectieux liés aux blocs nerveux périphériques continus à propos de1 416 patients. Ann Fr Anesth Réanim 2002;21:R010.

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5. Copeland SJ, Laxton MA. A new stimulating catheter for continuous peri-pheral nerve blocks. Reg Anesth Pain Med 2001;26:589-90.

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8. Wehling MJ, Koorn R, Leddell C, Boezaart AP. Electrical nerve stimulationusing a stimulating catheter: What is the lower limit? Reg Anesth Pain Med2004;29:230-33.

9. Pham-Dang C, Kick O, Collet T, Gouin F, Pinaud M. Continuous peri-pheral nerve blocks with stimulating catheters. Reg Anesth Pain Med2003;28:83-8.

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 431010. Salinas FV. Location, location, location: continuous peripheral nerve

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11. Ganapathy S, Wasserman RA, Watson JT, et al. Modified continuous femo-ral three-in-one block for postoperative pain after total knee arthroplasty.Anesth Analg 1999;89:1197-202.

12. Chelly JE, Casati A. Are nonstimulating catheters really inappropriate forcontinuous nerve block techniques? Reg Anesth Pain Med 2003;23:483-91.

13. Bernard N, Fuzier R, Bringuier-Branchereau S, Olivier M, Capdevila X. Lecathéter stimulant est-il une aide à l’analgésie périneurale ? Évaluationprospective de ses intérêts. Ann Fr Anesth Réanim 2003;22:R067.

Tirés à part : Régis FUZIER,Département d’Anesthésiologie,

Université Catholique de Louvain,Cliniques Universitaires Saint-Luc,

10, avenue Hippocrate,1200 Bruxelles, Belgique.