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Cavalli, le premier compositeur italien vraiment populaire Raymond Leppard s'était déjà attaché à l'édition de L'Ormindo et de La Calisto, Jane Glover de L'Eritrea, Luciano Sgrizzi d'Ercole Amante. Avec Il Xerse, René Jacobs vient de faire un pas de plus dans la lente, la trop lente redécouverte de Francesco Cavalli. Comment, pourquoi Cavalli est-il tombé dans l'oubli? Le fameux Kobbe qui servit de bible aux amateurs d'opéra, malgré son titre The Complete Opera Book, l'ignore totalement, même dans l'index des compositeurs mentionnés. Le professeur Bianconi, spécialiste de Cavalli, rappelle pourtant volontiers que « Cavalli fut l'un des seuls musiciens italiens véritablement populaires avant Rossini et Verdi ... Vers la moitié du XVIIe siècle, les opéras de Cavalli figuraient sans exception en tête du répertoire des entreprises théâtrales publiques qui se créaient. » La vie de Pietro Francesco Caletti, né à Crema en 1602, nous est connue. Nous savons que son père, maître de chapelle à la cathédrale, lui donna sa première formation. Que Federico Cavalli, recteur vénitien à Crema, séduit par la voix de l'enfant, l'emmena et lui assura une éducation, et qu'en reconnaissance, l'enfant prit le nom de son bienfaiteur. Qu'il entra à la chapelle Saint-Marc comme soprano, puis en fut second organiste avant de devenir maître de chapelle. Mais si sa production sacrée est importante, Cavalli devient à partir de sa trente huitième année et jusqu'en 1673 un compositeur d'opéra extrêmement prolifique : trente- deux ouvrages en trente-trois ans. Et la figure majeure parmi les compositeurs lyriques de l'époque. Sa gloire fut telle que lorsque Mazarin décida d'organiser de somptueuses manifestations de réjouissances pour célébrer le mariage de Louis XIV avec l'Infante d'Espagne et de faire construire un nouveau théâtre aux Tuileries, il commanda à Cavalli un opéra, une grande œuvre baroque à machines. Mazarin confie la construction du théâtre à l'architecte de Modène, Gaspare Vigarini et à ses deux fils, le livret à l'abbé Francesco Buti. Cavalli se fait prier puis, soit que la somme d'argent promise ait été suffisamment augmentée, soit qu'il ait eu peur qu'on ne fit appel à son concurrent Cesti, finit par accepter. Le voilà qui entreprend le voyage de Paris via Innsbrück et peut-être Munich, accompagné de deux chanteurs, le castrat Giovanni Caliari et le ténor Giovanni Ponncelli. Ils arrivent à Paris en juillet 1660. Mais si les noces royales ont été célébrées le 9 juin à Saint-Jean-de-Luz, le nouveau

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Histoire de la musique

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Cavalli, le premier compositeur italien vraiment populaire

Raymond Leppard s'était déjà attaché à l'édition de L'Ormindo et de La Calisto, Jane Glover de L'Eritrea, Luciano Sgrizzi d'Ercole Amante. Avec Il Xerse, René Jacobs vient de faire un pas de plus dans la lente, la trop lente redécouverte de Francesco Cavalli. Comment, pourquoi Cavalli est-iltombé dans l'oubli? Le fameux Kobbe qui servit de bible aux amateurs d'opéra, malgré son titre The Complete Opera Book, l'ignore totalement, même dans l'index des compositeurs mentionnés. Le professeur Bianconi, spécialiste de Cavalli, rappelle pourtant volontiers que « Cavallifut l'un des seuls musiciens italiens véritablement populaires avant Rossini et Verdi ... Vers la moitié du XVIIe siècle, les opéras de Cavalli figuraient sans exception en tête du répertoire des entreprises théâtralespubliques qui se créaient. »

La vie de Pietro Francesco Caletti, né à Crema en 1602, nous est connue. Nous savons que son père, maître de chapelle à la cathédrale, lui donna sa première formation. Que Federico Cavalli, recteur vénitien à Crema, séduit par la voix de l'enfant, l'emmena et lui assura une éducation, et qu'en reconnaissance, l'enfant prit le nom de son bienfaiteur. Qu'il entra à la chapelle Saint-Marc comme soprano, puis en fut second organiste avant de devenir maître de chapelle. Mais si sa production sacrée est importante, Cavalli devient à partir de sa trente huitième année et jusqu'en 1673 un compositeur d'opéra extrêmement prolifique : trente-deux ouvrages en trente-trois ans. Et la figure majeure parmi les compositeurs lyriques de l'époque.

Sa gloire fut telle que lorsque Mazarin décida d'organiser de somptueuses manifestations de réjouissances pour célébrer le mariage de Louis XIV avec l'Infante d'Espagne et de faire construire un nouveau théâtre aux Tuileries, il commanda à Cavalli un opéra, une grande œuvre baroque à machines. Mazarin confie la construction du théâtre à l'architecte de Modène, Gaspare Vigarini et à ses deux fils, le livret à l'abbé Francesco Buti. Cavalli se fait prier puis, soit que la somme d'argent promise ait été suffisamment augmentée, soit qu'il ait eu peur qu'on ne fit appel à son concurrent Cesti, finit par accepter.

Le voilà qui entreprend le voyage de Paris via Innsbrück et peut-être Munich, accompagné de deux chanteurs, le castrat Giovanni Caliari et le ténor Giovanni Ponncelli. Ils arrivent à Paris en juillet 1660. Mais si les noces royales ont été célébrées le 9 juin à Saint-Jean-de-Luz, le nouveau

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théâtre est loin d'être achevé. Pour les célébrations on cherche un autre lieu, on demande à Cavalli d'y faire exécuter une de ses œuvres précédentes, réservant la nouvelle pour le nouveau théâtre. C'est Il Xerse,que choisit Cavalli. Pour le mettre au goût des parisiens, il remplace les trois actes traditionnels de l'opéra vénitien Pour la petite histoire, le nouvel opéra, Ercole Amante, ne devait être donné qu'en 1662, au Théâtre des Tuileries construit par Vigarini qui pouvait accueillir des milliers de spectateurs avec une fabuleuse machinerie mais une acoustique déplorable. On vit le Roi et la famille royale y danser sur des ballets intercalés de Lully. Les ballets eurent un succès fracassant. L'opéra passa inaperçu, ni écouté, ni même entendu.

Les mérites de Il Xerse ne sont pas minces. Le livret de Minato est excellent. Il s'agit d'un sujet historique au moment où, face aux sujets de fiction pure, les livrets fondés sur l'histoire, ou sur des personnages de l'histoire, commencent à acquérir un nouveau statut dans l'opéra. C'est lelivret qu'utilisera Haendel, et les deux œuvres commencent par le célèbre « Ombra mai fu », scène un peu mystérieuse du platane dont Xerxès, qui s’apprête à aller détruire Athènes, est amoureux. La musique en est typique de la dernière période de la vie de Cavalli. L'évolution vers le bel canto y est manifeste. Face aux personnages sérieux dont chacun a au moins un lamento, les personnages comiques sont excellemment caractérisés. L'esprit léger de la comédie domine mais avec aussi des moments de pure émotion, destinés à faire couler des larmes, comme Adelanta au deuxième acte, qui aime Arsamène, mais n'en est pas aimée et qui ne participera pas au dénouement final où chacun retrouve sa chacune : « Et pour moi qui n'ai pas de chance, bonjour le célibat. .. ». Dans ces sujets où même les personnages de l'histoire les plus politiques ou les plus martiaux n'agissent qu'en fonction d'intrigues amoureuses (que l'on complique tout le temps qu'il faudra pour différer le dénouement), on trouve déjà, René Jacobs me l'a fait remarquer, tous les éléments de Dallas ou de Dynasty. On pourrait les monter en épisodes télévisés. Peut par une redistribution en cinq actes avec, intercalés, des ballets nouveaux, dont Lully écrira la musique. Le rôle de Xerxès, attribué initialement à un castrat, est donné à un baryton. L'opéra, joué dans la salle des colonnades du Louvre le 22 novembre connut un certainsuccès, moindre assurément que les ballets de Lully. être serait-ce même en cette fin de XXe siècle une autre manière d'être vraiment fidèle à l'esprit de ces opéras vénitiens... (Alain Fantapié)