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Albin Michel Jean-Pierre Foucault CE N’EST PAS MON DERNIER MOTÞ!

CE N’EST PAS MON DERNIER MOTÞ!

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Albin Michel

Jean-Pierre Foucault

CE N’EST PASMON DERNIER

MOTÞ!

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©ÞÉditions Albin Michel, 2008

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À Jean-Louis Sarrequi, il y a quarante et un ans,

a cru en moi

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«ÞJ’adore la télévision. En fer-mant les yeux, c’est presque aussibien que la radio…Þ»

Pierre-Jean Vaillard

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L’œil magique

A VOCATION pour la télé est née… à l’écoutede la radio. Le mot vocation, je le sais,

s’applique davantage à une aspiration religieuse.Mais il décrit bien l’envie que j’ai eue, dès mon plusjeune âge, de faire le métier merveilleux que j’exercetoujours aujourd’hui. Dire que c’est en entendantdes voix que je me suis senti appelé, ce n’est pasblasphémer, car ces voix étaient profanes.

À la maison, quand j’étais enfant, il y avait deuxpostes de radio. Le premier, placé dans la cuisine,servait à écouter les informations. C’était une radioverte Oceanic en bakélite avec son «Þœil magiqueÞ»et un «Þhaut-parleur électrodynamique de grandedimensionÞ», avec des boutons dorés, dont un per-mettant de balader le curseur le long du cadranlumineux. Tout simplement merveilleux. Juste enfaisant tourner ce bouton, je m’amusais à capter desfréquences aussi mystérieuses que cosmopolites, et

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je voyageais en imagination d’un pays à l’autre à unevitesse stupéfiante. Ondes courtes, petites ondes,grandes ondes… Le monde entrait chez moi depuisLondres, Alger, Budapest, Moscou, PékinÞ! Des villesaux noms connus ou inconnus que j’aurais été inca-pable de situer sur un atlas. Sottens, Droitwich,Beromünster, Hilversum, Monte Ceneri… mais desnoms bien réels puisqu’ils étaient inscrits en lettresdorées sur le verre éclairé du poste. À cause des gré-sillements du haut-parleur, ce qui s’articulait là-dedans me semblait avoir parcouru des distancesfaramineuses. Et plus j’avais du mal à comprendre,plus cela me paraissait captivant.

C’est sans doute à cause de cette fascination que jeme suis plus tard découvert une âme de collection-neur. Aujourd’hui je possède une quarantaine de pos-tes de radio en bakélite, tous en état de marche.

Dans le salon-salle à manger, trônait un grandmeuble plaqué d’acajou qui abritait un bar oùétaient rangés les bouteilles et les verres pourl’apéro. Il renfermait aussi un tourne-disque – ondisait encore un «ÞphonographeÞ» –, et c’est là quenichait la deuxième radio qui devenait une boîte àspectacle que, mes parents et moi, nous écoutionsavec la plus vive attention. Sans exagérer, je peuxdire que, dans ma famille, nous regardions la radioÞ!

Régulièrement étaient programmées des pièces dethéâtre, des intrigues policières comme Les Maîtres du

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mystère dont la mise en onde était très efficace. Lesbruitages contribuaient évidemment au suspense. Lesgraviers d’une allée crissant sous des pas furtifs, levent soufflant dans les arbres, une porte qui s’ouvreen grinçant, les glouglous d’une bouteille de whisky,deux verres qui s’entrechoquent, une respirationhaletante… j’adorais entendre ça. Ou plutôt, j’ado-rais avoir peur. Une peur paradoxalement sans dan-ger, raisonnée, puisqu’elle était ressentie bien à l’abri,non loin de mes parents. Souvent mon père me gron-daitÞ: «ÞMonte dans ta chambre, il est tard.Þ» Commeil m’était impossible de passer outre l’injonctionpaternelle, j’ai rapidement trouvé un subterfuge pourne pas manquer la fin de ces histoires. De sonbureau, Papa avait rapporté de vieux interphones.Comme il n’en faisait rien, je les ai récupérés pour lesbricoler. Une des premières radios pirates en quelquesorte. J’ai démonté ces interphones, débranché les filsque j’ai ensuite connectés à l’arrière du haut-parleur,pour faire courir un autre fil le long du mur derrièrele meuble d’acajou jusqu’à l’escalier, puis jusqu’à machambre. Ce bricolage m’a permis de suivre Les Maî-tres du mystère dans mon lit, toutes lumières éteintes,ce qui était encore plus palpitantÞ! Les apparencesétaient sauves, j’étais au lit à une heure décente.

Pour moi, la magie de la radio date de mes septans, un moment où les émotions que me procuraientces histoires finissaient par se fondre avec celles du

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rêve. Combien de fois, tombant de fatigue, je me suisendormi en oubliant d’éteindre ma radio-pirate. Cer-tains matins, je réalisais que l’interrupteur en formede poire que j’avais bidouillé à partir de celui d’unelampe de chevet avait été éteint. De là à penser quema mère n’était pas dupe de mes manigances…

À cette sensation grisante, s’ajoutaient les voixensorcelantes des speakers. J’étais attentif à toutesces inflexions, à ces timbres qui, quoi qu’il arrive,restaient chaleureux ou enjoués. Un seul «ÞBon-soirÞ!Þ» sur Paris Inter, et je reconnaissais Saint-Gra-nierÞ! Je ne ratais pas un seul des éditos fantastiquesde Jean Nocher. Et puis il y avait les chansonniersdu Grenier de Montmartre, je m’interrogeaisÞ: «ÞEteux, comment font-ils pour nous faire rireÞ?Þ» Geor-ges Lourier est le speaker qui m’a certainementdonné le plus envie de faire de la radio. DansSamedi chez vous, il sillonnait toute la France, serendant chez les gens pour les interviewer avec untel entrain qu’en l’écoutant, je me demandaisþ:«ÞComment fait ce type, pour être d’aussi bonnehumeur à sept heures du matinÞ?Þ» Pouvoir parler àdes milliers et des milliers de gens en laissant sessoucis au portemanteau m’a paru être le plus beaumétier du monde. Un boulot magique réservé à desdemi-dieux investis de pouvoirs quasi surnaturels.Je rêvais de devenir moi aussi un faiseur de bonnehumeur. Je m’imaginais parlant dans un micro

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comme mes idoles radiophoniques. Mais quant àparler vraiment un jour dans le poste, ça me parais-sait totalement impossibleÞ!

À l’heure du MP3 et autres technologies cela peutsembler ridicule, mais un autre objet a joué un rôleessentiel dans ma vocationÞ: un magnétophoneRadiola, célèbre appareil à bandes, avec micro. Cen’était pas le mien, mais celui de mon meilleurcopain Claude Moreau. Un cadeau de sa mère alorsqu’il devait garder la chambre à cause d’une jaunisse.

Claude, comme moi, était un passionné desondes. Nous avions les mêmes goûts, écoutions lesmêmes émissions, de quoi souder notre amitié néesur les bancs de l’école de La Salle, à Marseille. Avecce magnéto nous avons inventé des émissions, enparodiant celles que nous écoutions sur France Interou RMC. On imitait tant bien que mal les chan-sonniers dans des sketches que nous écrivions etinterprétions et que, bien sûr, nous trouvions trèsmarrants. On s’appelait les «ÞConteurs à gazÞ», onracontait des histoires drôles en s’inspirant de Fran-cis Blanche qui, à l’époque, s’adonnait à des canularstéléphoniques totalement hilarants. Il avait com-mencé sur RMC en 1954, pour récidiver plus tardsur Radio Luxembourg (future RTL), produisantensuite la plupart de ses impostures sur Europe n°Þ1,

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chaque dimanche, de 1960 à 1973, dans Bonjourchez vous, puis dans Les kangourous n’ont pas d’arêteoù il mystifiait et rendait fous ses interlocuteurs sousle nom de M.þMacheprot. Ces gags téléphoniquesont depuis inspiré d’autres humoristes comme Jean-Yves Lafesse ou Gérald Dahan. C’est d’ailleurs àEurope que j’ai eu la chance de rencontrer cet amu-seur exceptionnel qu’était Francis Blanche, un descomiques français les plus talentueux du XXe siècle.Le dimanche, très tôt, je travaillais comme assistantauprès de Jean Poiret qui animait Jean Poiret esttombé du lit pour vous. Voici qu’un matin débarquedans le studio Francis Blanche accompagné deRobert Willar, alias Chichinou, qui présentait aveclui Les kangourous n’ont pas d’arête. Francis Blanches’approche d’un micro, baisse son pantalon et poseses couilles, et le reste, sur la table en disantÞ: «ÞOh,le joli service trois piècesÞ!Þ» Je ne m’attendais pas àun truc pareil, et j’ai éclaté d’un rire où entraitautant de stupéfaction gênée que de franche gaieté.Les auditeurs ne pouvaient évidemment pas imagi-ner ce qui se passait exactement, et Jean Poiret asauté sur l’occasion en lançant à mon intentionÞ:«ÞQuand on rit, il faut expliquer pourquoi.Þ» Ce quej’ai été bien incapable de faire.

Quelle époqueÞ! Évidemment, Poiret, Blanche etles autres ont nourri, et même attisé mes ambitions.En plaçant un micro sur le téléphone, Claude et

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moi nous tentions de les imiter. Entre chaque paro-die, mon copain envoyait les disques qu’on passaitsur un pick-up. Chaque chanteur était «Þdésan-noncéÞ» comme dans les vraies émissions. Claudefaisait des commentaires, tout en ponctuant sesinterventions de notes de musique piquées à deschansons connues qu’il jouait au piano. On auraitdû breveter le truc, parce que je pense qu’on avaitinventé le jingle. Quelle jubilation de parler dans unmicroÞ! C’était un jeu, mais nous nous y adonnionsavec un enthousiasme qui frôlait l’hystérie. Touteradio se doit d’avoir son sigle, nous avions doncinventé le nôtreÞ: MOFO, formé avec les deux pre-mières initiales de nos deux noms. Nous avionsmême fabriqué un tampon pour l’appliquer sur dupapier à lettres et sur des cartes de visite qui n’ontjamais voyagé au-delà du tiroir de mon bureau.

Grâce à cet «ÞentraînementÞ» acharné, j’étais finprêt pour ma première participation à une vérita-ble émission de radio. C’était sur Radio-Marseille.Y travaillait un mec pittoresque, Jimmy Guieu,que mon copain Claude et moi avions connu àInter Jeunes de France et d’Europe. Romancier descience-fiction, Jimmy était féru d’ésotérisme et dephénomènes paranormaux. Il enquêtait sur les sou-coupes volantes dans une commission baptisée

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Ouranos. Il se passionnait pour le trésor des Tem-pliers et s’était spécialisé dans les châteaux hantés.Sur Radio-Marseille, il animait Les Carrefours del’étrange, une émission qui me rappelait Les Maîtresdu mystère de mon enfance. Un soir, Jimmy nous ademandé de venir pousser des cris d’horreur et desgémissements d’épouvante. On a sauté sur l’occa-sion car, enfin, il nous était donné de pouvoir fairede la radio, de la vraieÞ: des auditeurs allaient nousécouterÞ! Notre innocence nous poussait à croireque nous participions à une œuvre radiophoniqued’envergure.

Ça n’a duré que quelques secondes, mais quellessecondesÞ! Si quelqu’un possède aujourd’hui unenregistrement, je suis preneur immédiatement…

Dans les années cinquante, il n’y avait pas encorede poste de télé à la maison. Les antennes étaientrares sur les toits. Quand on en voyait, on se disaitque cela était le signe d’une certaine richesse, pourne pas dire d’une richesse certaine. Le prix d’untéléviseur était alors astronomique. Ce n’est qu’unpeu plus tard, à la fin des années soixante, que celaa changé, en même temps, d’ailleurs, que le design,qui est devenu résolument moderne. La télé, ilm’arrivait de la regarder dans la vitrine des maga-sins, mais j’allais surtout chez un voisin le mercredi

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soir pour voir La Piste aux étoiles. Cette émission,qui se déroulait sous un chapiteau, aujourd’huicomplètement kitsch et baroque, était à l’époqueune énorme machine. Imaginez trois cents camionset roulottes qui sillonnaient les routes de France,embarquant les équipes techniques et leurs énormescaméras de l’ORTF, et la troupe des saltimbanquesaccompagnée de sa ménagerie. Un spectacle où sesuccédaient clowns, trapézistes, acrobates, écuyèreset dompteurs, que présentait l’indétrônable RogerLanzac, sanglé dans son historique costume bleu àpaillettes, chemise à jabot, chapeau haut de forme etgants blancs. Lanzac, de son vrai nom de Lanzerac(c’était Édith Piaf qui le lui avait soufflé quand ilétait meneur de revue au cabaret L’Amiral), avaitcommencé lui aussi à la radio, en animant Le Jeu des1Þ000Þfrancs, avant que Lucien Jeunesse, égalementancien meneur de revue, ne prenne le relais. La réa-lisation féerique de La Piste aux étoiles était signéeGilles Margaritis, un maître des premiers showstélévisés.

Pour les fêtes de Noël et du jour de l’An, mesparents louaient un téléviseur noir et blanc quemon père installait sur le meuble-bar du salon.C’était vraiment comme un formidable cadeauÞ! Unrituel qui nous réunissait pour suivre les émissionsde fin d’année. Je m’en mettais alors plein les yeux.C’était comme si un monde nouveau et merveilleux

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s’offrait à moi. Habitué à visualiser ce que j’enten-dais à la radio, je n’avais aucun mal à transposer enTechnicolor ce que je voyais en noir et blanc.

Je regardais tout, évidemment, car je savais que,les fêtes passées, il faudrait rendre le poste. Avec, àla clef, la frustration terrible de ne pas retrouver desitôt les héros des séries sans fin qui continueraientd’être diffusées dans les mois qui suivraientÞ: entreautres, Janique Aimée, l’infirmière normande che-vauchant son Solex à la recherche de l’amour.J’adorais Rintintin, et son jeune maître Rusty.Rintintin, le berger allemand américain le pluscélèbre de l’histoire de la télé. Un chien plus popu-laire encore que Mabrouk, mascotte de 30Þmillionsd’amis, émission animée à ses débuts par LéonZitrone. Au passage, je signale que le premier Rin-tintin, héros du cinéma muet, est enterré au cime-tière des chiens… à Asnières. Et Ivanohé, combiende fois n’ai-je pas galopé en rêve à ses côtés sur undestrier caparaçonné pour d’épiques combats à lalance et à l’épéeÞ! Une des premières apparitions deRoger Moore, avant d’être Simon Templar dans LeSaint et d’incarner Brett Sinclair aux côtés deTony Curtis dans Amicalement vôtre. Sans oublierJames Bond dans… James Bond.

Tout me fascinait sur le petit écran. Même quandse pointait la locomotive d’Interlude, je regardaissans me lasser le petit train-rébus. En cas d’incident,

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