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Alain A SQUIN Christophe F ALCOZ Thierry P ICQ Ce que manager par projet veut dire © Éditions d’Organisation, 2005 ISBN : 2-7081-3261-X

Ce que manager par projet veut dire - eyrolles.com · terminé, mais aussi comme une réalisation en cours, le passage de l’intention à l’action, le processus méthodologique

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Alain A

SQUIN

Christophe F

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Ce que manager par projet

veut dire

© Éditions d’Organisation, 2005

ISBN : 2-7081-3261-X

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Se repérer dans la diversité des projets

À quoi reconnaît-on un projet ?

■ La diversité des projets dans les organisations

■ Structures et acteurs des projets

Sur le terrain. Dossier : la CAF de Montpellier

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L’objectif de ce chapitre est de proposer des repères simpleset utiles pour la compréhension et l’action. Ces grilles de lec-ture des projets servent à appréhender une réalité bien pluscomplexe, mais le fait de construire des modèles-types qui for-cent au contraste, est un exercice propice à la prise de recul età la production de sens.Nous nous attacherons dans un premier temps à mettre en évi-dence les principales caractéristiques qui permettent d’identifierune « situation à projet », quel qu’en soit le contexte.Nous nous intéresserons ensuite de façon privilégiée à la sphèreéconomique, en distinguant plusieurs types de situations projetsrencontrées dans le monde de l’entreprise. Chaque modèle typeprésente des enjeux, objectifs et attributs qui lui sont propres.Nous verrons qu’il existe plusieurs façons d’organiser la mise enœuvre des projets, d’en piloter le déroulement et de structurer lesrelations entre acteurs, en fonction des contextes et objectifs pro-pres à chaque cas.

■ À quoi reconnaît-on un projet ?

Intuitivement, il est aisé de repérer les ingrédients qui permettent dedéfinir une situation de projet, quels que soient son objet et soncontexte : un projet se définit comme une activité ponctuelle et contin-gente, bornée dans le temps, en vue d’atteindre un objectif précis, issude l’expression d’un besoin.

Le projet présente un caractère dual, à la fois défini comme une inten-tion, l’idée de l’objet final que l’on veut créer et qui n’est pas encoreterminé, mais aussi comme une réalisation en cours, le passage del’intention à l’action, le processus méthodologique qui permet deréaliser l’intention.

Il est intéressant de noter que cette ambivalence du mot projet n’est pasappréhendée de la même façon selon les cultures. Le sens donné par

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les Français au mot projet privilégie le contenu (l’objet en train de seconstruire), alors que le sens anglo-saxon du terme « project » insistesur le processus et les moyens (l’organisation et la démarche pour leconstruire).

Qu’est-ce qu’un projet ?

Au-delà des définitions formelles, les situations de projet peuvent êtreappréhendées par la présence de cinq caractéristiques majeures.

• L’unicité et la singularitéLe projet présente un caractère d’unicité et de singularité, soit par lecontenu des actions à mener, soit par le contexte dans lequel le projetse déroule. En effet, même dans les cas où le contenu des projetsévolue peu, le contexte dans lequel se déploient les actions n’est jamaisrigoureusement identique. Le projet est donc une forme d’organisationdu travail adaptée à l’invention de solutions nouvelles pour résoudreun problème pour partie singulier (organiser un événement, créer unnouveau produit, pénétrer un nouveau marché, …). Il représente uneopportunité réelle de remise en cause, de questionnement et de créati-vité, tant sur le contenu (capacité à développer un nouvel objet tech-nique) que sur le processus (capacité à travailler plus vite, moins cherou différemment que par les routines organisationnelles établies). Cettesingularité incite d’ailleurs à utiliser massivement le mode projet pourgénérer de l’innovation, introduire du changement et expérimenter denouvelles façons de travailler.

• La temporalité et l’irréversibilitéUn projet est une activité et/ou une organisation temporaire, tenduevers un but ponctuel et précis, délimité dans le temps. L’intérêt estmoins d’insister sur l’aspect borné du projet (un début / une fin) quesur son caractère dynamique, marqué par l’écoulement du compte àrebours et le rapprochement inexorable d’une échéance.

Un projet (au sens de l’intention) présente donc la particularité de sedétruire progressivement au fur et à mesure de sa réalisation. Commelors d’une descente de rivière, il est impossible de revenir en arrière !Le processus, une fois lancé, est irréversible et le temps perdu en

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amont ne se rattrape pas en aval. Mais le temps est une variabled’action, sur laquelle le responsable du projet peut agir en posant desjalons, structurer de façon prévisionnelle les actions jusqu’à l’échéanceet, bien sûr, suivre et rajuster en cas de dérive. Un projet est unedémarche séquencée dans le temps, non linéaire, marquée par deschangements fréquents de rythmes et d’intensité.

• L’ouverture à l’incertitudeL’incertitude est au cœur des projets, puisqu’il s’agit de construire pas-à-pas un futur par définition inconnu au départ. De nombreux aléas detoutes natures peuvent émerger à tous moments. L’identificationd’alternatives, la prise de risque et la capacité d’adaptation sont doncdes compétences clés du chef de projet… Les acteurs qui vont influerle déroulement du projet ne sont pas nécessairement tous identifiés audépart de façon précise. Des opposants, ou bien au contraire, desporteurs de ressources peuvent se manifester en cours de route, etsoutenir ou entraver le déroulement des actions. Un projet est donc unsystème ouvert, qui se nourrit de l’incertitude et repose sur des prin-cipes, méthodes et outils spécifiques de gestion des risques, aptes àintégrer au plus vite les inévitables aléas.

• La transversalité et la combinaison de compétencesLes projets contiennent nécessairement une forte dimension collectiveet associent des contributions diverses. Même un projet individuel,pour aboutir, doit pouvoir s’appuyer sur des tiers qui apportent desressources.

La force d’un projet est de pouvoir combiner des compétences pouratteindre un objectif qu’aucune, prise isolément, n’aurait pu atteindre.Constituer une équipe projet, plus ou moins formelle, représente lafaçon la plus classique de réunir des contributeurs de différentes exper-tises – parfois de plusieurs origines (plusieurs organisations d’apparte-nance, plusieurs cultures, …) –, qui n’ont pas vocation à rester ensembleau-delà du terme de leur mission. Une des forces de l’organisation enprojet est donc de créer un cadre propice à la transversalité et la multi-disciplinarité, à condition que les parties prenantes apprennent au plusvite à bien travailler ensemble. L’apprentissage collectif s’avère essentiel,car un projet se redéfinit souvent « chemin faisant ». C’est au fil des inte-ractions, expérimentations, débats, confrontations, essais et erreurs,qu’émergent à la fois le chemin mais aussi le résultat final du projet.

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• Une idéologie progressisteLe verbe « porjeter », qui signifie littéralement « jeter en avant » auraitfait son apparition dans notre vocabulaire au XIIe siècle. L’étymologieporte donc en germe une idéologie du projet qui conçoit ce moded’organisation comme d’emblée porteur de progrès. L’organisation enprojet permet de se projeter dans l’avenir, de mobiliser des compé-tences et de mettre en tension des énergies pour atteindre un objectif.Nous verrons que lorsque cette vision est idéalisée, le projet commeinstrument du développement, qu’il soit individuel, collectif ou organi-sationnel, peut être à l’origine de nombreuses pathologies.

QUELQUES REPÈRES TERMINOLOGIQUES

Projet : activité singulière et non répétitive,bornée dans le temps, irréversible, ouverte àl’incertitude, combinant des compétencesdistinctes mais complémentaires dans uneperspective de progrès ou de changement.

Opération : processus régulier et répétitif,à incertitudes réduites, dans un temps lisse

et continu, regroupant des expertiseshomogènes pour bénéficier des effetsd’expériences.

Programme : ensemble de projets inter-reliés, qui sont conduits en conjonction(programme spatial, programme derecherche, …)..

Comment se représenter un projet ?

Un projet peut être abordé avec plusieurs niveaux de lecture simul-tanés, qui mettent en évidence le caractère multidimensionnel, et donccomplexe, des situations de projet.

Trois dimensions concernent le projet lui-même :

• la dimension technique, qui concerne la capacité à réunir lescompétences et expertises nécessaires pour réaliser techniquementle projet.

• la dimension méthodologique, qui consiste à organiser une actioncollective, en utilisant les outils de délégation, coordination, suivi etcontrôle les plus adaptés à la nature du projet.

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• la dimension managériale : derrière les rôles et tâches se trouventdes personnes avec des niveaux de motivation et de compétencedifférents. La réussite d’un projet passe bien évidemment par lacapacité à animer une équipe plurielle, en créant une dynamiquecollective entre des individus tous différents.

Trois autres dimensions sont extérieures au projet, et concernent l’envi-ronnement dans lequel il se situe :

• la dimension stratégique : un projet ne peut réussir que s’ils’insère dans un contexte organisationnel favorable et qu’il s’inscritdans le cadre d’une stratégie (soit qu’il décline, soit qu’il contribue àdéfinir). De l’alignement stratégique du projet va dépendre sa capa-cité à disposer des ressources nécessaires à son déploiement.

• la dimension politique : un projet génère une tension sur les res-sources. Il implique donc des négociations et des arbitrages qui tou-chent les jeux politiques, car il bouscule les situations de pouvoiren place. Un projet ne peut se développer que s’il est suffisammentaligné avec les intérêts des acteurs influents.

• la dimension symbolique : un projet, d’autant plus qu’il est porteurd’enjeux importants et visibles, peut jouer un rôle symbolique, quidéborde largement de son contenu technique. Cette dimensionexplique souvent le fait que certains projets sont entrepris, alors queleur contenu et leur performance intrinsèque sont loin d’être positifs(voir par exemple le dossier du Concorde ou le cas du Vasa).

Le succès d’un projet dépend donc de facteurs internes (capacité àattirer les compétences adéquates, à organiser le travail de façon effi-cace et à manager des hommes), mais également externes (capacité àaccéder aux ressources organisationnelles et à prendre en compte lesjeux politiques et symboliques).

Le schéma ci-après reprend ces différents niveaux de lecture, en rappe-lant leur caractère dynamique et évolutif dans le temps.

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Plusieurs niveaux d’analyse

■ La diversité des projets dans les organisations

Après ces caractéristiques générales, partagées par tous les projets,nous allons désormais nous intéresser plus particulièrement à cellesrelatives aux organisations et activités productives.

Quatre types principaux de situations projets sont observables dans lemonde économique, en fonction des contextes sectoriels et organisa-tionnels dans lesquels on se situe.

Dimension stratégiqueAccéder aux ressources pertinentes

Dimension dynamiquePiloter un processus dans le temps

Dimension politiqueRallier les soutiens nécessaires

Dimension symboliqueCréer du sens

Dimensionméthodologique

Dimensionmanagériale

Utiliser les méthodologies etoutils appropriés

Manager des individus et des équipes

Dimensiontechnique

Disposer des expertises

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Quels sont les types de situation projet ?

Le modèle « entreprise projet »

Le mode projet est naturel et connu depuis longtemps dans dessecteurs à l’activité unitaire et non reproductible, comme les grandstravaux (Tunnel sous la Manche,…), l’organisation d’événements (JeuxOlympiques, spectacles…) ou encore les activités artistiques (tournaged’un film). Le projet crée sa propre structure, qui disparaît lorsque laréalisation est terminée. On parle parfois « d’entreprise-projet », dotéed’une identité organisationnelle et juridique qui lui est propre. Leprojet est central et l’enjeu principal est de pouvoir fédérer et coor-donner des opérateurs spécialisés qui appartiennent à des organisa-tions distinctes et dont la responsabilité se limite à leur champ decontribution.

Le modèle « Portefeuille de projet »

Le projet est également un mode d’organisation naturel dans dessecteurs dont l’activité est composée d’une succession de missions àchaque fois différentes, mais qui s’appuient sur un fond de compétencespartagées et capitalisées comme les services informatiques, l’ingénierieou le conseil. C’est aussi le cas des entreprises de BTP qui ont plusieurschantiers en parallèle. Dans ces métiers, tout est organisé pour réunir defaçon temporaire les ressources nécessaires afin d’accomplir régulière-ment des missions ponctuelles. Les arbitrages globaux l’emportent surles considérations de tel ou tel projet local, dont aucun n’est réellementvital pour l’entreprise. L’enjeu principal est celui de la gestion optimaledu portefeuille d’affaires en cours. Plus vite on aura su abandonner unprojet aux perspectives modestes, plus grandes seront les ressourcesdisponibles pour les autres. On parle parfois de démarche « stop or go ».

Modèle des « plateaux de projets »

Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une généralisation durecours au management de projet, dans des entreprises de toutestailles et de tous secteurs d’activité, y compris dans des contextes deproduction de masse ou d’activité continue, récurrente et standar-disée. Dans de nombreuses industries, comme l’automobile, lapharmacie et l’électronique, les projets ont fait la preuve de leur

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efficacité quand il s’agit d’innover, de réduire les coûts, d’améliorerla qualité ou encore de conduire des changements. Dans ce modèle,les projets sont généralement peu nombreux mais stratégiques, carvitaux pour l’avenir de l’entreprise.

Modèle du « projet-entreprise »

Enfin, la nouvelle économie a enfanté une nouvelle forme d’entreprise-projet, avec le modèle de la start-up, créée parfois autour d’un seulprojet, comme par exemple dans le secteur du jeu vidéo, où la surviede l’entreprise dépend de la réussite ou de l’échec du « hit » en coursde production. L’entreprise se confond avec le projet de son créateur,émerge et disparaît avec lui. La question qui est posée est bien évidem-ment celle de la pérennité de la structure au-delà du projet et de sacapacité à gérer un portefeuille équilibré d’activités, entre investisse-ment et rentabilité.

Quatre modèles de situation de projet dans l’entreprise1

Entreprise projet Portefeuille de projet(les carrés symbolisent l’entreprise, les cercles les projets)

Plateaux de projet Projet-entreprise

1. Adapté de : ECOSIP, Pilotages de projet et entreprises, Economica, 1993.

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À quoi servent les projets ?

Après la diversité des types de projets, liée à des configurations structu-relles et des contraintes sectorielles, il est intéressant également dedistinguer les projets selon leur finalité. Rappelons-nous qu’un projetexiste pour satisfaire le besoin d’un client. De ce fait, la raison d’êtred’un projet et la valeur qu’il crée sont fonction de l’objectif recherchépar le client. Quatre finalités principales peuvent être distinguées. Ellescorrespondent à une évolution historique de la forme projet qui seradiscutée dans le chapitre 2.

Organiser une mission ponctuelle de façon efficace

Dans des contextes où le degré de reproductibilité d’un projet à unautre est fort (construction d’ensembles immobiliers ou missions deprestations de services comme les services informatiques), l’enjeu estde reproduire, de façon fiable, des méthodes et modes d’organisationqui ont prouvé leur efficacité. Partout où il s’agit de réunir des compé-tences pour mener une mission nouvelle et ponctuelle, sur la based’une expérience accumulée, le mode projet s’avère être performant.Les projets peuvent de ce fait être menés de façon très routinière, voire« taylorienne », avec une séparation entre la conception du projet et samise en œuvre, la formulation de règles et méthodologies standardi-sées, l’emploi d’outils préformatés de planification, de gestion et desuivi. La création de valeur pour le client, généralement externe àl’organisation prestataire, s’exprime en termes d’économie de moyens,de fiabilité, d’efficacité, de capacité à reproduire des démarches degestion de projets en s’appuyant sur les expériences passées, testées etéprouvées.

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Faire évoluer les produits et services

Les projets apparaissent comme des formes d’organisation privilégiéesquand il s’agit de développer de nouveaux produits et services. Laconcourance et la combinaison des apports de spécialistes réunis en« plateaux », s’avèrent plus adaptées à l’innovation qu’un mode detravail séquentiel, par juxtaposition d’expertises. L’autonomie deséquipes projet crée généralement un cadre propice à l’imaginationhumaine et à la remise en cause des routines organisationnelles. Lafinalité des projets de développement est de générer de l’innovationtechnologique au sein d’une organisation donnée, sans changer soncadre global. Les clients des projets, consommateurs des nouveauxproduits et services, sont certes externes, mais le besoin provient égale-ment d’une demande interne : le client est aussi l’entreprise elle-même,confrontée à la nécessité de faire évoluer et renouveler rapidement sesgammes de produits et services pour répondre à des enjeux de compé-tition sur ses marchés. Le projet doit s’appuyer sur l’organisation enplace, puiser dans ses ressources et compétences, mais en même tempsdisposer de suffisamment d’autonomie pour apporter une valeur derenouvellement et d’évolution des activités (nouveaux produits ouservices) ou des processus de travail (faire plus vite, moins cher ouavec un meilleur niveau de qualité).

Provoquer des innovations de rupture

Quand le contexte est radicalement nouveau et / ou turbulent, ouencore quand le degré d’innovation est fort, le mode projet doit satis-faire à la contrainte de répondre de façon efficace et adaptée auproblème complexe et nouveau qui lui est posé. On retrouve ces carac-téristiques dans tous les grands événements (cf. dossier : Coupe dumonde de football 1998), mais aussi dans des contextes organisation-nels où l’innovation est en rupture forte avec les pratiquesinstitutionnalisées : diversification sur un marché nouveau, créationd’une activité radicalement nouvelle, développement d’une techno-logie inédite… Les facteurs clés de succès portent alors sur l’autonomieet la capacité d’auto-organisation du projet. Le client est externe et

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exprime un besoin de création de valeur en termes d’innovation, decapacité à répondre à des challenges, à mobiliser des ressources etmettre en tension des énergies pour inventer des réponses à unproblème complexe et singulier.

Mener des changements socio-organisationnels

L’objectif du projet est ici de conduire des changements qui portent surle cadre organisationnel et l’infrastructure d’une entreprise, au-delà desproduits / services qui composent son offre. Pour illustration : unprojet de certification qualité, de déploiement d’un nouveau systèmed’information ou de restructuration interne (cf. dossier CAF de Mont-pellier). Le projet transforme la structure et les comportements au furet à mesure qu’il se déploie. Il est au service d’un client interne, à qui ilapporte de la valeur en étant le vecteur principal de changement, auniveau organisationnel et humain. On parle de conduite du change-ment par les projets, dont le succès dépend généralement de la qualitéde l’articulation entre le projet et l’organisation qui l’abrite.

Le point d’application de ce type de projet peut également se situer auniveau d’un individu, pour accompagner son évolution personnelle etprofessionnelle, soit dans des périodes de reconversion (licenciement,changement d’emploi, …), soit dans des démarches de développementen continu.

En synthèse, on voit bien que le management de projet est plus qu’unensemble de techniques de gestion. Cette forme d’organisations’impose comme une nouvelle forme de création de valeur : valeuréconomique, liée à l’efficacité dans la conduite de missions ponc-tuelles, mais aussi valeur de renouvellement, de changement, voired’innovation au niveau des produits, des organisations et des hommes.

La forme projet tend d’ailleurs parfois à se généraliser et à devenir unmode de management dominant, dans des contextes turbulents,soumis à des changements permanents. On parle dans ce cas de mana-gement par projet.

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■ Structures et acteurs des projets

Au-delà de l’identification de finalités distinctes, la diversité des projetsse retrouve également dans leur mode d’organisation.

Les structures typesLe modèle le plus évident est celui de l’équipe projet « commando »,composée de membres détachés à plein temps et qui travaillent avec undegré d’autonomie important. Ce mode d’organisation est classiquedans des métiers comme les grands travaux, le cinéma ou la créationd’événements. Dans les organisations structurées par métiers, il permetd’apporter des innovations de rupture, car il s’affranchit des règlesusuelles de l’organisation. Dans ce cas, s’il favorise l’émergence d’unevraie dynamique au sein d’une équipe autonome, sous la responsabilitétotale et claire d’un chef de projet, il reste néanmoins consommateur deressources et risque d’amputer les activités plus récurrentes de l’entre-prise. Cette configuration n’est donc qu’un modèle d’organisation parmid’autres qui ne doit pas être vu comme le meilleur dans l’absolu.

Modèle du projet « sorti »

équipes métiers, fonctions ou services de l’organisation

équipes projet

partenaire extérieur

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À l’extrême inverse, on trouve dans les entreprises de multiples projetsdit « en structure fonctionnelle ». Comme M. Jourdain pour la prose,nous avons régulièrement au sein des entreprises, mais aussi dans lavie courante, de nombreuses occasions de participer à des activités quiimpliquent des personnes aux profils divers, sans relations formelles depouvoir ni existence d’une équipe clairement identifiée. Les rôles sontinformels, souvent flous, et les outils de gestion de projets souventsommaires. Le chef du projet, d’ailleurs rarement identifié en tant quetel, reste localisé dans une fonction et se contente d’un rôle d’incitateuret de facilitateur, dans la mesure de ses moyens.

Modèle de la « facilitation »

Enfin, existent des modèles intermédiaires, qui croisent les responsabi-lités des chefs de projets avec celles des acteurs métiers des entreprises.

Parfois, le chef de projet n’est qu’un coordinateur, détaché de sa fonc-tion et rattaché à la DG, et qui dispose de quelques ressources spécifi-ques ponctuelles (temps, budget, moyens techniques...) mais sans êtredoté d’une réelle autorité hiérarchique sur les membres de l’équipeprojet. Il doit réussir à construire une place pour le projet au sein del’organisation, sans bénéficier toutefois de l’arme hiérarchique pourcontraindre les opposants à sa cause.

Modèle de la « coordination »

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Dans d’autres cas, les rôles sont plus équilibrés et créent une réellestructure matricielle, où projet et métiers se répartissent les ressources.La fonction de chef de projet est reconnue et son titulaire est générale-ment de même niveau hiérarchique que les responsables métiers.L’équipe est, cette fois-ci, bien visible (elle a un nom, un espace géogra-phique, des ressources propres...). L’ajustement mutuel, la coordina-tion directe et la négociation avec les responsables des grandesfonctions instituées sont des points de passage obligés pour assurer lebon fonctionnement de cette structure.

Modèle « matriciel »

Comme souvent, on constate que la réalité des structures-projet est unmixte de ces modèles avec des participations à géométrie variable : àtemps partiel pour certains acteurs, à temps complet pour d’autres,demeurant affectés à leur service d’origine pour certains, complète-ment détachés pour d’autres, en fonctionnement séquentiel surcertains points, en organisation simultanée pour d’autres...

Il n’y a pas de mode d’organisation idéal : seulement des choix adaptésà un contexte, une situation, un objectif et des acteurs.

Une organisation bureaucratique a intérêt à mettre en place deséquipes de « projets sortis » pour générer de l’innovation et desruptures et s’affranchir ainsi des pesanteurs des structures dominantes.À l’inverse, elle a intérêt à s’appuyer sur l’efficacité des procédures enplace, quand le projet peut se contenter d’une suite de contributionsdistinctes et séquentielles.

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Les acteurs et leurs rôles

Un projet se repère également par la présence de multiples partiesprenantes, aux rôles clairement distincts. De façon générique, repéronsquatre grands types d’acteurs :

• le client : « Pas de projet sans client ! » Cette affirmation rappellequ’un projet existe pour répondre à un besoin exprimé par undemandeur. Encore faut-il clairement identifier ce demandeur et cla-rifier ses besoins précis. Il serait plus juste de parler de « système-clients » pour évoquer le fait que la notion de client représente deplus en plus un ensemble complexe d’acteurs inter-reliés : décideurfinal (celui qui achète le projet), utilisateur (celui à qui est destiné leprojet), porte-parole (celui qui représente le décideur ou l’utilisa-teur), prescripteur (celui qui influence le décideur)…Ce réflexe de questionnement du contexte client est également pré-cieux pour garder une attitude critique par rapport aux appelsd’offres, censés décrire de façon précise et exhaustive une demandeindiscutable et indiscutée. Les clients-utilisateurs ont souvent dumal à formaliser de façon rigoureuse leurs besoins. Une approche detype « co-construction » s’avère alors pertinente, où les besoins ducommanditaire se précisent au fur et à mesure des interactions avecle prestataire.

• les organes de pilotage : ce sont tous ceux qui prennent part auxdécisions de lancement, de poursuite ou d’arrêt du projet. Parfois, ils’agit du client lui-même, mais selon les cas, il peut s’agir de repré-sentants multiples regroupant tous ceux qui ont leur mot à dire surl’existence du projet : maîtrise d’ouvrage déléguée, direction de pro-jet, direction générale, comité de pilotage, comité de projet…Ces acteurs sont rarement engagés dans la mise en œuvre. Ils formu-lent des objectifs, libèrent les ressources nécessaires, valident deschoix et orientations, suivent et contrôlent l’avancée du travail parune information régulière et formalisée (revue de projet, reporting).

• les membres de l’équipe projet : ceux qui consacrent tout ou par-tie de leur temps pour réaliser, conduire et piloter la maîtrised’œuvre du projet. L’équipe peut être formelle (avec un nom, unespace géographique, des moyens dédiés) ou informelle, non repé-rée en tant qu’équipe projet. Elle peut à l’extrême se réduire à un

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individu unique, ou à l’inverse constituer une structure organisa-tionnelle complexe, tout en étant temporaire. Le chapitre 4détaillera les conditions de succès de fonctionnement d’une équipeprojet.

• les contributeurs extérieurs au projet : ce sont tous les tiers quisont peu ou prou concernés par le projet, sans faire partie directe-ment de l’équipe opérationnelle. Ils contribuent, soit parce qu’ilsfournissent directement des ressources, en apportant des idées, del’information, du temps, du soutien, des compétences, des finance-ments, soit parce qu’ils seront affectés directement ou non par lesconséquences probables du projet et, qu’à ce titre, ils en suivent ledéroulement. Il s’agit notamment des acteurs métiers, membres desgrandes fonctions de l’entreprise, ou bien des fournisseurs externesà l’organisation, des sous-traitants, des partenaires, experts, ouencore des sponsors, des comités d’usagers, de groupes d’utilisa-teurs… alliés ou opposants en fonction de leurs enjeux.

Dans des grands projets, l’organisation des acteurs peut s’avérer trèscomplexe, avec plusieurs niveaux d’instances décisionnelles, opéra-tionnelles et contributives.

En conclusion

Nous avons brièvement introduit dans ce chapitre quelques grilles delecture pour permettre au lecteur de se repérer dans la diversité dessituations de projet qu’il peut être amené à rencontrer. L’emploi de cesrepères typologiques est utile pour identifier des « modèles types » etanalyser leurs caractéristiques, leurs enjeux, et leurs facteurs derisques.

Nous avons abordé la diversité des situations de projet au travers detrois prismes : les contextes dans lesquels ils se déploient, les finalitésqu’ils visent et l’organisation de leur mise en œuvre.

Ces trois aspects envisagés conjointement forment une grille que nousappliquons, à titre d’illustration, à des cas de projets qui feront l’objetd’approfondissements tout au long de cet ouvrage.

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Par exemple, le cas de la CAF de Montpellier, présenté à la fin de cechapitre, se situe dans un contexte multi-projets, avec une finalité dechangement d’organisation et piloté en mode de « coordination ». Nousverrons dans le chapitre 4 que pour gagner la Coupe de l’America,l’équipe suisse d’Alinghi s’est constituée en « entreprise-projet » pourun événement unique totalement innovant (première participation de laSuisse, pays sans mer, à cette course de voile mythique), organisé en« projet sorti », indépendant de toute autre structure. L’entreprise Eden,présentée au chapitre 2 est, quant à elle, un projet-entreprise.

Construire des typologies comme celle-ci est certes une façon de serepérer, tout en simplifiant une réalité bien plus complexe et multi-forme. En effet, on constate que la réalité des structures projet esthybride, issue d’un mixte de ces modèles. Par exemple, une start up enpleine croissance quitte un modèle de projet-entreprise vers unelogique de gestion de portefeuille d’activité. Toute organisation degrande taille abrite à la fois des projets « sortis », des croisementsmatriciels et des modes de fonctionnement informels. Un objectifd’innovation produit / service peut progressivement amener à réfléchirà des changements organisationnels plus larges, …

Bref, la concomitance et l’hybridation des modèles reflètent lacomplexité des organisations qui les abritent, mais aussi les dynami-ques de transformations perpétuelles auxquelles elles sont soumises.En effet, les contextes, les finalités et les modalités de mise en œuvredes projets évoluent au fil du temps, en fonction du changement desstratégies, de l’apparition d’événements et d’aléas, du mouvement desalliances et des rapports de force entre les parties prenantes concer-nées. L’incertitude généralisée entraîne une obligation d’adaptationpermanente, et donc des allers-retours entre des modèles d’organisa-tion types.

Au chef de projet de faire preuve de vigilance et de se doter des grillesd’analyse aptes à l’aider à se repérer dans un système complexe et enmouvement permanent.

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Utilisation des repères-projet pour la CAF de Montpellier

• Entreprise-projet• Portefeuille de projets• Plateau de projets• Projet-entreprise

Projet de CAF de Montpellier

• Situation de : Portefeuille de projet• Finalité de : Changement organisationnel• Forme : Coordination

Situations

• Projet sorti• Matrice• Coordination• Facilitation

Formes organisationnelles

• Mission ponctuelle• Évolution produits/service• Innovation produits/services• Changement organisationnel

Finalité principale

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Dossier : la CAF de Montpellier

Nom du projet : GEDCORB

Entreprise porteuse : la Caisse d’Allocations Familiales de Montpellier,environ 400 salariés.

Expertise en gestion de projet : première expérience.

Type de projet : changement organisationnel en projet situé.

Durée : deux ans.

Objectif initial : amélioration significative et mesurée de la qualité duservice rendu aux clients, amélioration de la productivité.

Nombre de personnes engagées : 6 à temps non complet.

Cible – client : les clients allocataires et les salariés en charge de laproduction.

Projet : moderniser les processus de production

Les caisses d’allocations familiales agissent dans le cadre de conven-tions d’objectifs et de gestion contractualisées avec l’État, comme beau-coup d’organismes de sécurité sociale. Elles sont entrées dans unephase de prise en compte accrue de la qualité de service à destinationdes clients-allocataires. Cette dernière passe essentiellement par laprise en charge à l’accueil (physique ou téléphonique), par la vitesse detraitement des dossiers et la rapidité du versement des prestations.Tout ceci suppose bien sûr que les différentes étapes soient faites sanserreur, de la vérification des pièces justificatives versées au calcul dumontant des prestations, en passant par la saisie informatique desdonnées concernant la situation de l’allocataire.

La CAF de Montpellier gère avec ses 400 salariés de droit privé, quelque150 000 allocataires à qui sont versés des allocations logement, le

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Revenu Minimum d’Insertion (RMI), des allocations parents isolés(API), des allocations pour charge de famille, des subventions à desassociations dans le cadre de l’action sociale… pour un montant totald’environ de 652 millions d’euros en 2002. Pour améliorer la qualité duservice rendu aux allocataires, il a été décidé de lancer un projet autourde la réorganisation des processus de production. Avec la multiplicationdes prestations dont les CAF ont la charge, celles-ci se retrouvent face àdes allocataires de plus en plus divers (étudiants, rmistes, couple avecou sans enfant, foyer monoparental avec enfants…). Ces profils repré-sentent des âges et des niveaux sociaux différents et peuvent être encontact de façon plus ou moins régulière avec les services de la CAF. Laqualité ne peut donc être perçue de la même manière par des personnesaux attentes aussi variées.

Pourtant, le schéma d’organisation des CAF depuis les années 1980 apour base un allocataire type représentant une entité unique pouvantpercevoir une combinaison de prestations. L’objectif principal du projetest alors de remettre en cause ce processus unique de production quifait face à une demande de plus en plus hétérogène.

Au-delà de cet objectif de transformation lié au profil des « clients », leprojet comporte d’autres enjeux qu’il lui faut prendre en compte,comme l’intégration des nouvelles technologies de l’informationpouvant améliorer l’efficacité de la production, la complexification deslégislations encadrant les allocations, ainsi que l’évolution des profilsdes techniciens-conseils globalement plus qualifiés que leurs aînés. Deplus, ce projet de réorganisation des processus de production a été, dèsle départ, étroitement lié à un projet de construction d’un nouveausiège, permettant d’en matérialiser les objectifs :

• choisir une architecture en lien avec une circulation « papier » uni-quement au rez-de-chaussée ;

• disposer d’un réseau informatique permettant une circulation opti-male des documents scannés ;

• repenser l’environnement de travail des salariés en charge de la pro-duction et de l’accueil.

La finalité de ce double projet est donc bien, au-delà de la réorganisa-tion au sens strict de la production, d’initier un changement d’organi-sation radical, passant par l’optimisation des modes opératoires,l’introduction de nouvelles technologies, la segmentation du fichier

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d’allocataires, la révision des politiques RH et la refonte des conditionsde travail (des postes aux bâtiments). Un projet d’une telle ampleur abien évidemment fait l’objet d’une forte implication de la direction quil’a inscrit au cœur du schéma directeur de l’établissement.

Mais ces enjeux opérationnels, propres à la CAF de Montpellier, nedoivent pas occulter les enjeux politiques et symboliques d’un telprojet. En effet, la direction de la CAF de Montpellier est pilote de lamaîtrise d’ouvrage du projet « optimiser les processus de production »qui associe 9 autres CAF, plus 14 autres au sein d’un groupe de travailélargi. Bien sûr, ce sont aussi les 123 CAF françaises et d’autres collecti-vités locales et institutions publiques qui ont montré leur intérêt face àce projet innovant, et qui n’ont pas manqué de solliciter le responsablede projet pour participer à des colloques, pour lui demander des infor-mations ou pour venir sur place se rendre compte des réalisationseffectives.

Phase 1 : expérimentation sur un sous-ensemble du projet

Une étude préalable du fichier d’allocataires de la CAF de Montpellier(et de 2 autres CAF pour validation externe) a permis de déterminer 3types exclusifs, homogènes et stables de « clients » pouvant servir debase à 3 processus distincts :

• les isolés et couples sans enfant ni grossesse, bénéficiaires unique-ment d’une aide au logement ;

• les isolés ou couples sans enfant ni grossesse, bénéficiaires d’unminimum social ;

• les familles ou allocataires ayant des enfants à charge.

Il a été alors décidé de mener une approche expérimentale sur unepartie du premier segment en ne retenant que les étudiants et en lais-sant de côté les retraités, isolés et couples demandeurs d’aides au loge-ment. Le traitement des allocations logement lors de la rentréeuniversitaire représente environ 26 000 dossiers déposés sur 2 ou3 mois. Une cellule « étudiants » avait été mise en place depuis

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plusieurs années pour gérer cette courte mais importante montée encharge. Elle constituait un pôle idéal pour tester la nouvelle organisa-tion sans toucher aux autres cas plus nombreux et plus complexes.

Une équipe projet réduite a donc été constituée pour mener à biencette première phase. Autour du chef de projet, 3 cadres, le BureauOrganisation et Méthodes et le Service Informatique ont travaillé deconcert en interagissant en permanence avec les 6 techniciens-conseilsde la cellule « étudiants ». Le chef de projet en position de coordina-teur n’avait pas une autorité hiérarchique sur toutes ces personnes quin’étaient de toute façon pas dédiées à temps plein au projet.

Plusieurs chantiers ont été initiés conformément au cahier des chargesdu projet « réorganisation des processus de production », comme parexemple la création d’une opération de contrôle qualité amont consis-tant à vérifier les dossiers lors de leur dépôt, avant de les faire entrerdans le circuit de liquidation. Cette nouvelle procédure a permis dediminuer les délais de traitement, de réduire la « campagne étudiant »d’un mois, de baisser le taux de rejet par le service interne de vérifica-tion et de dégager cinquante jours par techniciens-conseils en termesde charge de travail.

Ensuite, les diverses compétences réunies au sein du groupe projet(ergonome, informaticien, qualiticien, manager d’équipes de produc-tion…) ont réfléchi à la reconfiguration des méthodes de travail surl’ensemble du processus tout en s’appuyant sur une analyse des prati-ques développées par les agents. Les processus de chaînage des opéra-tions, pilotage et affectation du travail, constitution de fichiers desprincipaux bailleurs percevant l’allocation, ont été mis à plat et repensés.

Enfin, un premier niveau de workflow entièrement sans papier a pu êtremis en place. Une plate-forme de Gestion électronique des donnéesamont (GED Amont) a été couplée à l’application Corbeille SDP1 quipermet le traitement dématérialisé des dossiers scannés. Le papier necircule plus. L’ensemble des droits est désormais liquidé à partir de lasource unique que constitue l’écran du technicien-conseil. Cettedernière réalisation a particulièrement impacté les postes de travail quiont fait alors l’objet d’une reconfiguration minutieuse (ergonomie des

1. Application développée par la Caisse Nationale d’Allocations Familiales à partir detravaux auxquels a participé la CAF de Montpellier.

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postes, acquisition d’écrans plats dix-neuf pouces, définition de larésolution optimale…).

De ce prototype est né le projet global GEDCORB, qui a pu bénéficierdes enseignements tirés de la phase d’expérimentation. En effet, il estdevenu clair que la GED amont bouleversait fortement l’ensemble duprocessus de production et que la substitution du support papier parun travail exclusivement sur écran provoquait des craintes chez lestechniciens-conseils. La recherche d’une solution technique fiable dansun délai raisonnable ainsi que l’accompagnement du personnel dans leprocessus de changement, devenaient ainsi les deux principalessources de risques.

Phase 2 : lancement du projet GEDCORB

Une nouvelle équipe projet a été constituée et a commencé à fonc-tionner avec pour objectif de généraliser le nouveau système deproduction. Plus structurée, elle comprenait – outre le chef de projet –quatre référents correspondant à quatre sous-projets : organisation /processus, informatique / réseau, analyse statistique / simulation ainsique traitement / corbeilles tests.

Chaque référent pouvait organiser des groupes de travail thématiquedans son champ de compétences et de responsabilités ; l’équipe projeta rapidement mis en place des réunions hebdomadaires de « point desituation » afin d’assurer un pilotage intégrant une logique d’anticipa-tion des risques.

L’équipe était scindée en deux référents opérationnels (référent circuits /procédures et référent traitement dématérialisé) pouvant exprimer leursbesoins d’études, de précisions statistiques, techniques ou d’approfon-dissement auprès des deux autres référents informatique et statistique.La désignation d’un référent technique a eu des effets particulièrementpositifs sur le développement du projet. Elle a permis, lors de chaqueréunion plénière, de sensibiliser et d’acculturer les autres référents auxpotentialités mais aussi aux contraintes des outils mis en place. Ens’appuyant sur la note de lancement qui précisait le périmètre d’inter-vention de chacun, le chef de projet était chargé, quant à lui, de rendre

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des arbitrages et de veiller au respect du calendrier de mise en œuvre.

L’approche retenue a conservé le principe d’une expérimentationencore limitée sur un groupe polyvalent de vingt-quatre techniciens-conseils rattachés à 30 000 allocataires représentant les trois processus.Un « point de contrôle » a été programmé afin de valider le bon fonc-tionnement en « grandeur réelle », de mesurer les gains de productivitéet de définir les ajustements de procédure permettant une généralisa-tion du nouveau mode de production à l’ensemble des services (unecentaine de techniciens-conseils et 150 000 allocataires).

Cette mise en œuvre progressive était justifiée par la fragilité initiale dudispositif technique. Aux moindres difficultés techniques, et celles-cin’ont pas manqué de survenir, le traitement du flux était impossible.Un retour à une circulation des dossiers papier s’imposait. Les princi-paux soucis techniques au niveau applicatif ont eu trait à la phase« acquisition et indexation des dossiers », mais ont aussi concernél’accès au serveur de stockage des images. Les difficultés rencontréesont rendu indispensable la définition d’une procédure « retourarrière » généralisée du traitement papier. Cette mesure préventivearrêtée et testée, une généralisation devenait envisageable dans uncontexte plus sécurisé. En parallèle de la définition de procédures orga-nisationnelles de repli, une étude « disponibilité / fiabilité » a étéréalisée par la division conseil du prestataire informatique.

À l’issue de l’analyse entreprise par trois personnes durant un mois,une réunion de point d’avancement cruciale a eu lieu afin de décidersoit de la remise en cause du système testé, soit de la mise en stand-byde l’extension du système, soit enfin de sa généralisation sur les deuxderniers groupes polyvalents. Cette première phase « grandeurnature » de GEDCORB a permis :

• de détecter les actions préparatoires à réaliser afin d’optimiser ledémarrage de la corbeille dans les deux derniers groupes ;

• d’améliorer le processus de production initialement défini et d’ajus-ter les procédures de travail ;

• d’appréhender les difficultés rencontrées par les agents et l’encadre-ment de production afin d’adapter les formations et l’accompagne-ment des deux autres groupes ;

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• de définir la structure projet adéquate pour achever le changementd’organisation de la production dans son ensemble.

L’extension à l’ensemble des services de production a été effective. Lenouveau traitement sans papier a permis de faire passer le taux dedossiers traités en moins de dix jours à 96,4 % et à 99,1 % pour lesminima sociaux (RMI, API, Allocation aux Adultes Handicapés). Il aégalement fait disparaître le risque de perte de dossier et permet auxtechniciens-conseils d’avoir sur écran une vue globale du dossier dechaque allocataire.

Le traitement dématérialisé permet ainsi un pilotage plus fin en fonc-tion de toutes sortes de critères (date d’arrivée, type de dossiers…). Lesdélais de traitement comme la liquidation des dossiers des allocatairesen situation de précarité sont alors totalement maîtrisés. La qualité dutraitement est améliorée par la vue globale de l’ensemble des docu-ments envoyés par l’allocataire puisque désormais l’ensemble des fluxest dématérialisé.

Un projet aussi structurant, (passer du traitement papier au traitementdématérialisé), ne pouvait être mis en œuvre que dans le cadre d’unapproche progressive, maîtrisée, limitant tout risque d’arrêt de laproduction. Le recours à un prototype sur le secteur étudiants a étébénéfique à l’ensemble de la démarche. Il a permis d’éprouver le dispo-sitif technique ainsi que les outils de conduite du projet : fiches deprocédures, notes de service…

Cependant, le périmètre initial réduit permettait une proximité et unecomplicité entre les membres de l’équipe projet qui disposaient de peu dechances de perdurer dans le cadre d’une généralisation. Afin de biencirconscrire les responsabilités de chacun et ainsi de « professionnaliser »la structure projet, la nomination de référents a été une étape essentielle.Elle a permis à chacun de travailler et de se positionner à partir d’élémentsobjectifs, opposables à tous les acteurs. Enfin, cette spécialisation descompétences a contribué à une connaissance plus juste des différentsniveaux d’enjeux : technique, organisationnel, managérial… Chaquemembre de l’équipe projet a ainsi participé à la définition des futursmodes de travail de la branche Famille sur un mode participatif, réalisteet soucieux de prendre en compte l’ensemble des contraintes humaines,managériales, techniques et organisationnelles.

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EN QUOI LE PROJET CAF EST-IL UN PROJET ?• Unicité : ce projet est une première pour

la CAF de Montpellier, voire pourl’ensemble des CAF françaises, confron-tées à la remise en cause d’un mode deproduction datant des années 1980 etaujourd’hui obsolète. Ce projet devientun site pilote, en situation d’expérimenta-tion et d’innovation.

• Irréversibilité : une fois le projet lancé, ilva être difficile, sinon impossible de leremettre en cause. En effet, changer defaçon radicale un mode de production,dans les services ou l’industrie, revient à

engager des investissements tellementlourds qu’ils en deviennent irréversibles.

• Incertitude : elle est ici maximum et con-cerne autant le pilotage du projet, soncontenu, que les acteurs à associer

• Transversalité : combinaison de compé-tences avec un modèle original de réfé-rents.

• Idée de progrès : il s’agit bien d’amélio-rer la qualité des relations avec les usa-gers en faisant appel à des technologiesavancées.