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V- Durabilité des céramiques et des verres Ce chapitre se propose de traiter de la tenue à long terme des céramiques et des verres. A partir d’exemples présentés dans une première partie, une démarche générale de prévision est développée. Sont successivement discutées des stratégies de modélisation à différentes échelles spatiales puis temporelles des phénomènes mis en jeu. Enfin, ces modèles sont intégrés dans une démarche de conception fiabiliste de composants contenant des verres ou/et des céramiques. V.1- Différents mécanismes de vieillissement des verres et céramiques Contrairement à la croyance populaire, les céramiques et les verres ne sont pas inertes. Les exemples qui suivent décrivent différents mécanismes de dégradation pouvant intervenir lors d’une utilisation plus ou moins prolongée de ces matériaux. De ces exemples on dégagera des tendances communes applicables de manière générale à la prévision de la durabilité de ces matériaux. V.1.1- Exemples illustratifs de la diversité des situations V.1.1.1- Vieillissement des fibres biosolubles [1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] Les matelas de laine de verre sont constitués de fibres de verre et d’un liant polymère. Les fibres de verre sont d’un diamètre moyen de l’ordre de 5 micromètres, avec une forte dispersion de diamètre liée au procédé de fabrication des fibres, ce qui donne des fibres de diamètre variant entre 1 et 10 micromètres. Le liant polymère donne sa tenue mécanique au matelas et permet également de retenir les fibres les plus fines. Cependant, lors des opérations de manutention et de pose des matelas, certaines fibres peuvent être libérées et éventuellement inhalées pour les plus fines. De nombreuses études ont été menées dans les années 1980 et 1990 pour évaluer le danger représenté par cette fraction de fibres inhalables. Il est maintenant établi que le danger potentiel représenté par les fibres de verre est lié à leur géométrie et à leur composition chimique. A titre indicatif, les fibres de laine de verre et de laine de roche ne font pas partie des matériaux classifiés comme dangereux pour la santé humaine. ALVEOLE pH = 6,5-7,5 Vaisseau sanguin Surfactant Cellule alvéolaire type I Cellule alvéolaire type II Vaisseau sanguin MACROPHAGE ALVEOLAIRE pH = 4,5 Vaisseau sanguin Vaisseau sanguin Figure V.1 : Schéma d’une alvéole pulmonaire.

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V- Durabilité des céramiques et des verres Ce chapitre se propose de traiter de la tenue à long terme des céramiques et des verres.

A partir d’exemples présentés dans une première partie, une démarche générale de prévision est développée. Sont successivement discutées des stratégies de modélisation à différentes échelles spatiales puis temporelles des phénomènes mis en jeu. Enfin, ces modèles sont intégrés dans une démarche de conception fiabiliste de composants contenant des verres ou/et des céramiques.

V.1- Différents mécanismes de vieillissement des verres et céramiques Contrairement à la croyance populaire, les céramiques et les verres ne sont pas inertes.

Les exemples qui suivent décrivent différents mécanismes de dégradation pouvant intervenir lors d’une utilisation plus ou moins prolongée de ces matériaux. De ces exemples on dégagera des tendances communes applicables de manière générale à la prévision de la durabilité de ces matériaux.

V.1.1- Exemples illustratifs de la diversité des situations

V.1.1.1- Vieillissement des fibres biosolubles [1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12]

Les matelas de laine de verre sont constitués de fibres de verre et d’un liant polymère. Les fibres de verre sont d’un diamètre moyen de l’ordre de 5 micromètres, avec une forte dispersion de diamètre liée au procédé de fabrication des fibres, ce qui donne des fibres de diamètre variant entre 1 et 10 micromètres. Le liant polymère donne sa tenue mécanique au matelas et permet également de retenir les fibres les plus fines. Cependant, lors des opérations de manutention et de pose des matelas, certaines fibres peuvent être libérées et éventuellement inhalées pour les plus fines. De nombreuses études ont été menées dans les années 1980 et 1990 pour évaluer le danger représenté par cette fraction de fibres inhalables. Il est maintenant établi que le danger potentiel représenté par les fibres de verre est lié à leur géométrie et à leur composition chimique. A titre indicatif, les fibres de laine de verre et de laine de roche ne font pas partie des matériaux classifiés comme dangereux pour la santé humaine.

ALVEOLE pH = 6,5-7,5

Vaisseausanguin

Surfactant

Cellule alvéolaire type I

Cellule alvéolaire type II

Vaisseausanguin

MACROPHAGE ALVEOLAIRE pH = 4,5

Vaisseausanguin

Vaisseausanguin

Figure V.1 : Schéma d’une alvéole pulmonaire.

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Cet exemple1 présente un résumé des études menées pour comprendre le devenir des fibres de verre dans le cas où leur géométrie les rend inhalables par l’appareil respiratoire humain. La figure V.1 donne un aperçu très schématique d’une alvéole pulmonaire et permet de situer le milieu dans lequel une fibre de verre ou un fragment de fibre peut se trouver. On notera que l’alvéole pulmonaire humaine est tapissée d’un liquide appelé surfactant dont le pH est proche de la neutralité. L’alvéole contient également des macrophages pulmonaires dont le rôle est de phagocyter les corps étrangers. Le pH à l’intérieur des macrophages est légèrement acide (pH = 4,5 à 5).

Plusieurs approches sont possibles pour étudier l’effet des fibres sur la santé humaine : les études épidémiologiques, les études sur animaux et les études in-vitro. Les tests in-vitro sont développés en partant du principe que le danger potentiel des fibres inhalées est relié à leur durée de vie dans les poumons. Ces tests in-vitro permettent de comparer la solubilité de différentes compositions de laines de verre, d’étudier les mécanismes de corrosion des fibres et de développer de nouvelles compositions de laines de verre plus solubles dans les poumons. Les tests in-vitro sont privilégiés pour des raisons évidentes d’ordre éthique et d’ordre pratique, sous réserve d’en avoir vérifié la pertinence. Afin de vérifier la validité des tests in-vitro, il est donc nécessaire de les comparer au préalable à des tests in-vivo plus proches de la réalité. Nous présentons ici une comparaison des mécanismes de vieillissement de fibres de verre de trois compositions différentes dans un test in-vivo par inhalation réalisé sur rat et un test in-vitro réalisé dans un milieu simulant le surfactant, liquide physiologique à pH neutre.

Le protocole du test in-vivo consiste à faire inhaler une dose connue de fibres de verre de diamètre 1 micromètre à une cohorte de rats. Des sous-cohortes sont sacrifiées à différentes échéances de temps (1 heure jusqu’à 52 semaines après l’inhalation des fibres) et les fibres résiduelles sont récupérées dans les poumons des animaux pour être analysées par sonde EDS (Energy Dispersive Spectroscopy équipant un microscope électronique à balayage). On peut ainsi suivre l’évolution de la chimie des fibres en fonction de leur temps de séjour dans les alvéoles pulmonaires des rats.

Le test in-vitro (figure V.2) consiste à faire circuler un liquide simulant le fluide physiologique à travers un fin matelas de fibres de verre de diamètre calibré à 10 micromètres. Le liquide physiologique simulé est une solution saline à pH neutre contenant un acide aminé : la glycine et de complexants (citrate, pyruvate...).

Pompe péristaltique

N2-CO2 gaz

MATELAS DE FIBRES

Récupération du fluide

Fluide physiologique

37 °C

Figure V.2 : Schéma du test in-vitro.

1résultat d’un travail mené à Saint-Gobain en 1994 et 1995 par M.-H. Chopinet (Chef du groupe Formulation à Saint-Gobain Recherche), P. Lehuédé (Chef du service Microanalyse à Saint-Gobain Recherche) et E. Rouyer (Chef du service Produits Composites et Revêtements de Surfaces à Saint-Gobain Recherche)

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On analyse périodiquement la solution pour doser les éléments Si et Ca largués par les fibres de verre, ce qui permet de calculer la perte de masse des fibres et d’évaluer l’épaisseur de verre dissoute dans la solution physiologique et l’épaisseur de verre lixiviée de ses ions alcalins et alcalino-terreux. On réalise périodiquement des analyses des fibres elles-mêmes par EDS. Les analyses des fibres sont alors corrélées aux calculs d’épaisseurs dissoutes et lixiviées réalisés à partir des examens des solutions. Les temps de séjour des fibres dans le test in-vitro sont compris entre 1 jour et 6 semaines.

Trois compositions de verres ont été testées selon le protocole in-vivo et le protocole in-vitro. Les compositions en oxydes de ces verres sont données dans le tableau V.1. La composition « Basalte » correspond à une laine de roche standard telle que produite dans les années 1980. La composition MMVF11 correspond à une laine de verre standard produite à la même époque. La composition C correspond à un verre expérimental spécialement formulé pour accélérer sa dissolution dans les alvéoles pulmonaires. Ces trois compositions représentent une large gamme de cinétique de dissolution in-vitro et de biopersistence in-vivo.

Tableau V.1 : Compositions chimiques des verres testés. Composition, pds% Basalte MMVF11 C

SiO2 47.7 63.5 61.7 Al2O3 13.5 3.76 0.97 Fe2O3 11.8 0.27 0.11 CaO 10.3 7.27 7.15 MgO 8.1 2.77 2.94 Na2O 2.9 15.27 16.06 K2O 1.5 1.38 0.59 BB2O3 0 4.5 9.2 P2O5 0.5 0 1.05 TiO2 2.55 0.062 0.02

Dans le test in-vitro, on a ainsi pu comparer les cinétiques de dissolution et lixiviation

des fibres pour les trois compositions testées. La présence d’une couche appauvrie en alcalins et alcalino-terreux en surface des fibres est confirmée par les analyses EDS et SIMS pour les compositions C et MMVF11. Les fibres de composition Basalte évoluent très peu dans le test in-vitro.

Dans le test in-vivo, les analyses des fibres des trois compositions testées mettent également en évidence une modification de la composition chimique des fibres C et MMVF11 ayant séjourné dans les poumons des rats. On note un appauvrissement global en calcium pour les deux fibres qui évoluent, la fibre de basalte restant stable chimiquement. Enfin, le tableau V.2 présente une comparaison des compositions chimiques de fibres ayant séjourné 4 semaines soit dans le test in-vitro, soit dans les poumons de rats. On met ainsi en évidence des similitudes frappantes d’évolution pour les trois compositions testées : composition chimique stable in-vitro et in-vivo dans le cas des fibres de basalte, évolutions notables pour les fibres MMVF11 et C.

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Tableau V.2 : Analyses EDS sur fibres ayant séjourné 4 semaines in-vivo ou in-vitro.

Basalte SiO2 Al2O3 Fe2O3 CaO MgO Na2O K2O TiO2

initial in-vitro 46.5±0.3 14.4±0.2 12.8±0.3 9.7±0.3 8.6±0.2 3.6±0.2 1.2±0.1 2.6±0.1 4 semaines in-vitro 46.8±0.2 14.5±0.2 12.4±0.2 9.6±0.1 8.7±0.1 3.6±0.2 1.2±0.1 2,6±0,1

initial in-vivo 46.3±5.0 13.5±1.9 13.2±4.2 10.0±1.0 9.1±2.0 3.1±0.7 1.4±0.2 2.6±0.7 4 semaines in-vivo 46.3±3.7 12.5±1.9 14.1±2.6 10.0±2.1 9.5±2.9 3.9±2.5 1.6±0.2 2.1±0.7

MMVF11 SiO2 Al2O3 CaO MgO Na2O K2O P2O5

initial in-vitro 64.5 ± 0.6 3.6 ± 0.3 8.6 ± 0.4 3.9 ± 0.3 18.5 ± 0.5 0.7 ± 0.1 0.1 ± 0.1 4 semaines in-vitro 67.9 ± 0.8 4.3 ± 0.2 7.4 ± 0.4 3.5 ± 0.1 16.0 ± 0.6 0.6 ± 0.1 0.2 ± 0.1

initial in-vivo 63.4 ± 1.4 3.9 ± 0.2 7.5 ± 0.7 2.8 ± 0.3 15.5 ± 6.1 1.3 ± 0.3 n.a. 4 semaines in-vivo 74.4 ± 2.7 5.8 ± 1.2 6.0 ± 2.3 3.1 ± 1.2 7.9 ± 4.9 2.7 ± 0.6 n.a.

C SiO2 Al2O3 CaO MgO Na2O K2O P2O5

initial in-vitro 70.1 ± 0.6 1.5 ± 0.1 7.7 ± 0.3 3.4 ± 0.2 15.4 ± 0.6 0.7 ± 0.1 1.2 ± 0.1 4 semaines in-vitro 82.5 ± 0.7 3.9 ± 0.2 2.2 ± 0.3 1.1 ± 0.2 8.3 ± 0.6 0.2 ± 0.1 0.6 ± 0.2

initial in-vivo 61.7 ± 3.3 1.0 ± 0.4 7.2 ± 0.7 2.9 ± 0.8 16.1 ± 4.1 0.6 ± 0.1 n.a. 4 semaines in-vivo 92.2 ± 8.4 1.8 ± 1.2 1.7 ± 0.9 0.8 ± 0.7 1.8 ± 1.6 1.6 ± 0.6 n.a.

On montre ainsi que le phénomène de lixiviation des fibres les plus solubles observé in-

vitro n’est pas un artefact dans la mesure où il est observé sur des fibres de même composition ayant séjourné dans les poumons de rats lors d’un test de biopersistence in-vivo. Cette étude valide donc la pertinence du test in-vitro pour la gamme des compositions de fibres de verre étudiées.

L’exemple des fibres biosolubles présente une situation de vieillissement de verres à matrice de silice en milieu biologique. On cherche à valider un test de laboratoire in-vitro qui simule de façon pertinente le milieu des alvéoles pulmonaires. On se ramène ainsi à un vieillissement dans un liquide à température égale à 37°C. Le liquide physiologique simulé est un milieu aqueux chargé en sels solubles et additionné d’un acide aminé. Son pH est proche de la neutralité. Grâce à une circulation du fluide physiologique simulé dans le test in-vitro, on assure un renouvellement régulier du milieu de vieillissement des fibres. Dans ces conditions bien particulières de vieillissement, on observe plusieurs phénomènes. Tout d’abord, on note que la cinétique de vieillissement des matériaux testés est très dépendante de leur composition chimique. On remarque ensuite que selon la composition des fibres, on a soit une dissolution dite congruente lorsque tous les éléments chimiques constituant la fibre sont entraînés à même vitesse par le milieu d’attaque, soit une dissolution dite non congruente lorsque certains éléments (alcalins et alcalino-terreux, modificateurs du verre) sont entraînés plus rapidement que d’autres (silice et alumine qui forment le réseau du verre). Une dissolution dite non congruente entraîne la formation d’une couche superficielle de composition chimique enrichie dans les éléments qui partent le moins vite. On peut également interpréter la formation de cette couche ou gel superficiel par une précipitation in-situ d’éléments comme Si et Al qui sont moins solubles dans le milieu d’attaque que les alcalins et alcalino-terreux.

La formation de gels de silice à la surface de verres corrodés est un phénomène qui a été rapporté dans des conditions de vieillissement très variées. La particularité de l’exemple des fibres en milieu physiologique simulé réside dans l’intensité du phénomène observé, avec la formation de gels de plusieurs micromètres d’épaisseur sur les fibres les plus attaquables. La

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figure V.3 illustre le mécanisme de lixiviation. On distingue clairement le cœur sain de la fibre, verre non attaqué et la couronne de verre lixivié qui l’entoure.

Figure V.3 : Fibre C ayant séjourné 4 semaines dans le test in-vitro. Grossissement 20000.

V.1.1.2- Fissuration sous-critique des céramiques et verres Qui n’a jamais fait l’expérience, en tant que conducteur d’une voiture, de voir un (petit)

caillou impacter un pare-brise constitué d’un verre feuilleté ? Généralement, on observe de petites fissures au voisinage du point d’impact. L’une de ces fissures peut alors croître lentement, durant quelques jours ou quelques mois après l’impact, et lorsque celle-ci est suffisamment longue, nécessiter le remplacement du pare-brise. Ceci est une manifestation « macroscopique » du processus de fissuration sous-critique. A contrario, lors de la découpe du verre au diamant, le dépôt d’un film mince d’huile, imperméable à l’eau de l’atmosphère, est efficace pour diminuer la charge qu’il faut exercer pour rompre les deux morceaux et améliorer la qualité du bord de découpe. Ce phénomène peut également être expliqué par le phénomène de « corrosion sous contrainte ». En effet, la fissuration sous-critique induit une diminution du champ de contrainte résiduelle d’indentation de par la croissance de fissures latérales. Ceci conduit à augmentation apparente de la résistance causée par le vieillissement [13]. Une bouteille de verre contenant un liquide gazeux (e.g., soda, bière, champagne) est soumise à un chargement permanent (i.e., une pression interne). L’explosion subite et sans raison apparente de bouteilles de champagne dans des caves a été constatée et attribuée à la croissance sous-critique de défauts de surface de verres de mauvaise qualité. D’autres exemples peuvent être trouvés dans l’article de Gy [13].

Pour les céramiques, on observe également une rupture différée sous charge constante. Ceci est d’autant plus probable que la température est élevée [14]. On parle alors de fatigue statique. De même, pour une vitesse de contrainte croissante, on peut observer un accroissement de la résistance pour ces deux classes de matériaux (figure V.4). On utilise le terme de fatigue dynamique.

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Figure V.4 : Probabilité de rupture en fonction de la contrainte de rupture pour différentes vitesses de contrainte du ferrite spinelle MnZn sollicité en flexion 4 points [15].

Une céramique ou un verre est un matériau à comportement fragile, généralement

caractérisé par une faible résistance à la propagation de fissures (encore appelée ténacité). Une fissure dans un matériau à comportement fragile, dont le facteur d’intensité des contraintes K dépasse la ténacité , se propage de manière brutale et souvent irrémédiable. On observe alors une rupture catastrophique sans signe avant-courreur (e.g., non-linéarité du comportement). De plus, une fissure soumise à des niveaux de sollicitation inférieurs n’est pas sans risque pour une céramique ou un verre. En effet, dans la majorité des verres et des céramiques, on observe une croissance lente ou propagation sous-critique de microfissures qui intervient pour des valeurs de facteur d’intensité des contraintes inférieures à la ténacité .

cK

cK

Figure V.5 : Diagramme de fissuration sous-critique d’un ferrite spinelle MnZn [16]. La droite en trait plein représente une identification avec une loi de Evans-Wiederhorn. Ce phénomène se caractérise par la propagation de fissures initiées des interactions

chimiques entre l’environnement (e.g., les molécules d’eau présentes dans l’atmosphère pour le verre) et les microfissures superficielles du matériau sous contrainte. L’évolution de la taille de la fissure se propageant de façon sous-critique se décrit à l’aide d’un diagramme de

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fissuration dans lequel on porte la vitesse de fissuration dtdav /= en fonction du facteur d’intensité des contraintes K (figure V.5).

On observe généralement trois stades différents, I, II et III (cf. figure V.6), avant d’atteindre une vitesse correspondant à la rupture brutale. Dans la région I, la propagation de la fissure est gouvernée par la réaction chimique qui intervient entre le fond de la fissure (siège de contraintes très élevées) et le milieu environnant [17]. Elle est caractérisée par une vitesse de croissance contrôlée par la vitesse de réaction chimique. Dans ce régime, la vitesse de transport du milieu environnant au fond de fissure est supérieure à la vitesse à laquelle le réactif est consommé. Le début de cette région est caractérisé par des vitesses de propagation très lentes et dans de nombreux cas on suppose l’existence d’un seuil de non-propagation en dessous duquel la fissure ne se propage pas. Une loi de fissuration couramment admise pour décrire la vitesse de fissuration v durant ce stade a été proposée par Evans et Wiederhorn [18, 19]

thK

(V.1) nAKv =

où A et n sont des constantes dépendant du matériau. Plus n est petit, plus le matériau est sensible à la fissuration sous-critique. Dans la région II, la vitesse de propagation dépend très peu du facteur d’intensité des contraintes. En effet, le réactif sera consommé plus rapidement que sa vitesse d’approvisionnement. Le facteur limitant est alors l’accessibilité du réactif au fond de fissure. L’humidité de l’environnement a une forte influence dans cette zone. Plus la pression partielle relative de l’eau est importante, plus ce plateau sera élevé en terme de vitesse de propagation [20]. Dans la région III, il n’y a plus d’influence de l’environnement et c’est le chargement mécanique qui conduit à la rupture. Au voisinage et au-dessus de la ténacité, la vitesse augmente très rapidement avec le facteur d’intensité des contraintes jusqu’à une vitesse caractéristique (de l’ordre de 1500 m/s pour des verres silico-sodocalciques).

Figure V.6 : diagramme typique de fissuration sous-critique. Il existe trois régimes de propagation : le premier (I) est gouverné par une réaction chimique, le second (II) par la diffusion des espèces corrosives, et le troisième (III) correspond à la rupture mécanique

brutale.

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En conclusion, la fissuration sous-critique est la conséquence d’au moins trois phénomènes simultanés : l’existence d’un défaut, d’une contrainte et d’une phase du matériau réagissant avec l’environnement (e.g., l’eau). Elle a pour conséquences l’existence de phénomènes de rupture différée et une sensibilité de la résistance du matériau à la vitesse de sollicitation.

V.1.1.3- Vieillissement des composites à matrice céramique Les composites à matrice céramique [21] sont envisagés pour des applications

structurales à hautes températures (pouvant atteindre 3000°C pour les composites C/C) dans des environnements agressifs tels que l'air, les gaz de combustion (aérospatiale, freinage, nucléaire, etc …). Leur principal ennemi est la dégradation des propriétés car elle risque de conduire à la fragilisation et donc à la rupture prématurée. Celle-ci résulte de l'action conjuguée des sollicitations mécaniques qui génèrent l'endommagement, de la température et de l'environnement qui peuvent l'accentuer. A hautes températures, les phénomènes tels que l'oxydation sont particulièrement ravageurs et conduisent à l'élimination de certaines phases (tels que les interphases) conduisant à une redistribution interne des contraintes et à des déséquilibres. Ils peuvent aussi avoir un effet bénéfique de cicatrisation qui conduit à la restauration des propriétés voire à leur amélioration. Paradoxalement, le vieillissement se traduit alors plutôt par un rajeunissement, ce qui est en contradiction avec l'acception usuelle du terme vieillissement qui implique une détérioration.

On désigne généralement sous le terme de composites des matériaux renforcés par des fibres ou des particules, dont les propriétés sont supérieures à celles des constituants considérés séparément [21]. Dans le cas des composites à matrice céramique, on souhaite bien entendu que les propriétés du composite soient supérieures à celles des céramiques. On s'intéresse donc principalement ici aux composites renforcés par des fibres continues (ou longues) qui présentent un effet dit composite c'est à dire une résistance significative à l'endommagement qui se traduit par une loi de comportement non linéaire. Il existe a priori une infinité de combinaisons de matrices et de fibres. A la différence des matériaux monolithiques, la limite n'est pas fixée par la thermodynamique, mais plutôt par l'ingénierie. On distingue donc trois familles de composites à fibres continues :

les composites oxydes, constitués de fibres et de matrice oxydes ; les composites non-oxydes constitués de fibres et de matrices non-oxydes ; et les composites carbone/carbone, constitués de matrice et de fibres de carbone.

Les composites oxydes sont par définition inoxydables. Cependant ils se dégradent sous l'effet du fluage à haute température, auquel ils sont particulièrement sensibles. Les composites C/C sont par nature très sensibles aux effets de l'oxydation à haute température dans l'air à partir de 450°C. L'élimination du carbone est généralement très rapide, et la durée de vie de ces composites est par conséquent plutôt courte. Il n'en sera pas question ici. L'exposé sera plutôt consacré aux composites non-oxydes à matrice à base de carbure de silicium (SiC) qui concentrent une variété de mécanismes de vieillissement. Ils constituent donc à ce titre un exemple parfait pour illustrer le vieillissement des composites à matrice céramique. En outre, ces matériaux sont l'objet de travaux de recherche importants et on envisage leur application industrielle dans un avenir proche.

Les composites à matrice SiC sont renforcés soit par des fibres SiC (composites SiC/SiC) soit par des fibres de carbone (composites C/SiC). Ces matériaux contiennent des interphases à base de pyrocarbone. Le vieillissement des composites à matrice céramique de type SiC résulte de la conjonction de deux classes de phénomènes :

d'une part, des phénomènes physico-chimiques activés par la température et se produisant dans certains environnements (oxydation) qui peuvent conduire à la dégradation de

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certaines phases (matrice, fibre), à l'élimination de certaines autres (interphases), ou à la cicatrisation des fissures ou des défauts lorsque la production d'oxyde est suffisante ;

d'autre part, les mécanismes d'endommagement sous l'action des sollicitations mécaniques. L'endommagement est constitué de fissures dans la matrice, de décohésions fibre/matrice, et de rupture de fibres.

L'endommagement ouvre la voie pour la migration de l'oxygène vers le cœur du composite, c'est-à-dire les fibres. L'oxygène élimine les interphases fibre/matrice à base de carbone, puis accessoirement oxyde les fibres. L'élimination des interfaces (figure V.7) modifie la distribution des efforts qui se reportent sur les fibres, pouvant accentuer leur dégradation et conduire à leur rupture au bout d'un temps dépendant de la cinétique de cette dégradation ou de l'oxydation. Enfin, suivant la température, les fibres peuvent se déformer par fluage. Dégradation et fluage entraînant leur allongement modifient la distribution des contraintes, contribuent à recharger la matrice et à favoriser l'évolution de l'endommagement lequel va permettre une agression plus importante de la part de l'environnement. Le processus peut donc s'accélérer sous des sollicitations mécaniques constantes.

Sollicitations mécaniques

Fissuration matrice

Dégradation interphases Oxydation HT

Surcharge fibres Fluage matrice(T > 1200°C)

Dégradation fibres Oxydation HT

Fluage fibres T > 1200°C

Fissuration lente fibres Oxydation ?T < 1000°C

Rupture fibres

Rupture ultime

Figure V.7 : Mécanismes qui déterminent la durée de vie des composites de la famille des SiC/SiC en fatigue à haute température.

V.1.1.4- Le comportement des verres nucléaires en situation de stockage Le verre sodique borosilicaté est la matrice actuellement retenue pour confiner les

déchets de haute activité issus du retraitement des combustibles usés de la filière « eau légère ». Le procédé de vitrification mis en place dans les usines de Cogéma (La Hague) garantit les propriétés initiales suivantes du verre :

le maintien de l’état vitreux ; la résistance à l’irradiation ; le pouvoir de confinement des radioéléments.

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Figure V.8 : A gauche, morceau de verre de confinement. A droite, principe du confinement d'éléments dans une structure vitreuse. Par son caractère amorphe, le verre accepte

bien la diversité des éléments présents dans le combustible usé. Les atomes des produits de fission sont incorporés dans le verre en formant des liaisons

avec ses principaux constituants [22]. Dans un éventuel stockage géologique, le rôle du déchet vitrifié est de confiner les

radionucléides suffisamment longtemps afin de limiter leur relâchement, pour protéger l’homme et son environnement et contribuer ainsi à la sûreté du stockage (figures V.8 et V.9).

Milieu géologique

Colis

Barrière ouvragée

Figure V.9 : Représentation schématique d’un éventuel stockage [23]. Les études du comportement à long terme des déchets vitrifiés présentent les

particularités suivantes : le verre nucléaire comprend dans sa composition une trentaine d’oxydes avec certains

radionucléides (dont la nocivité concerne des échelles de temps « géologiques » de l’ordre du million d’années. Sa composition chimique, sur les éléments majeurs, évolue très peu malgré la décroissance radioactive ;

de par sa nature, les caractéristiques intrinsèques du déchet nucléaire vitrifié sont susceptibles d’évoluer compte tenu de leur contenu radiologique ;

les caractéristiques physico-chimiques de l’environnement dans lequel il sera placé évoluent progressivement après les perturbations de la mise en stockage et suite aux différentes interactions avant de se stabiliser géochimiquement.

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Pour caractériser le comportement de ces matériaux et déterminer leur vieillissement sur des échelles de temps aussi importantes et dans des environnements évolutifs, la connaissance et la compréhension des mécanismes sont nécessaires et constituent la garantie d’une évaluation fiable de leur comportement à long terme. Trois facteurs principaux peuvent être responsables de l’évolution du verre : la chaleur, l'auto-irradiation et l'altération par l'eau, inéluctable à très long terme.

Le phénomène d’auto-irradiation correspond à un mécanisme à l’échelle microscopique. Les principales sources d’irradiation (figure V.10) sont dues aux désintégrations α, β et γ des radioéléments contenus dans les verres nucléaires (figures V.11 et V.12). L’auto-irradiation peut engendrer la modification de certaines propriétés physiques du matériau et faire évoluer un certain nombre de paramètres macroscopiques (état vitreux, homogénéité, fissuration, résistance mécanique, …) créer des tensions (gonflement, énergie stockée, bulle de gaz, …). Il est donc nécessaire d’identifier les mécanismes et les paramètres de contrôle pour évaluer leurs conséquences sur le moyen et très long terme et déterminer comment leur effet affecte les paramètres qui sont retenus pour décrire les propriétés initiales du déchet vitrifié lors de sa production.

)α−γ (Act

Na

Si

Al O

BPF

137 Cs, 90 Sr )β−γ (T = ~ 30 ansPrédominance dans les 500 1ère années

Am, Cm , U, Pu, Np, ...

T : Plusieurs milliers d’annéesPrédominance à long terme

Figure V.10 : Sources d’irradiation dans les verres nucléaires. L’effet couplé de l’eau et de l’irradiation est notable particulièrement en présence de

température. Des températures importantes, au-delà de 100°C, où l’eau est sous forme vapeur, spécifiquement des rayonnements βγ, peuvent conduire à la modification :

des caractéristiques physiques du verre (formation et propagation de fissures) ; des mécanismes de dissolution ; par la production d’espèces oxydantes, des paramètres chimiques du milieu environnant.

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NR0.1 MeV

10 à 30 nmα He

4 à 6 MeV

~ 20 µm

~ 85 %~ 15 %

~ 5 %~ 95 %

NR

~200 dépl.~2000 dépl.

α

Figure V.11 : Mécanismes des désintégrations α.

0.1 à 3.5MeV

β~1 mm

γ~ cm

~ 100 %~ 100 %

<< 1 dépl .γ

< 1 dépl .β

Figure V.12 : Mécanismes des désintégrations β et γ associées. L’action de l’eau conduit à (1) la destruction du réseau vitreux, (2) la dissolution des

éléments constitutifs du déchet (verre + radioéléments), (3) l’accumulation et la formation à la surface du verre de produits d’altération − le gel − dont les caractéristiques physico-chimiques vont dépendre à la fois de la composition du verre, des conditions physico-chimiques d’altération et des caractéristiques de transport des solutés dans l’environnement immédiat de la surface du verre ; ces derniers étant influencés par les évolutions physico-chimiques dans le temps et dans l’espace de l’environnement global du stockage.

La destruction du réseau vitreux est le phénomène principal responsable du relâchement des radioéléments. Cependant la vitesse à laquelle les différents phénomènes précédemment cités vont intervenir va fixer celle à laquelle le verre va se dissoudre et par conséquent le

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relâchement des radionucléides. Par ailleurs, il faut s’assurer que les mécanismes de dissolution du verre identifiés restent pertinents avec les évolutions progressives de l’environnement (évolution des paramètres de transport, concentrations des espèces en solution, …).

La dissolution du déchet vitrifié est caractérisée par (figure V.13) : sa cinétique de dissolution initiale, vitesse maximale de dissolution Vo qui est une

caractéristique intrinsèque du verre. Elle décrit la vitesse à laquelle le réseau vitreux se détruit sous l’effet de la corrosion aqueuse. Elle ne dépend que du pH et de la température, pour une composition de verre donnée ;

le ralentissement de la dissolution Vt plus ou moins rapide en fonction des caractéristiques de transport et de régulation des espèces dans l’environnement immédiat du déchet vitrifié, particulièrement dans le gel formé à la surface du verre. Ce dernier possède des propriétés protectrices du verre pouvant réduire sa cinétique de deux à quatre ordres de grandeur par rapport au Vo selon la température.

Temps

Altération

B, Na, Li(traceurs)

Si

V* ≈ 10-4V0V0

Vitesseinitiale

Régimeintermédiaire

Conditions de saturation

Figure V.13 : Evolution de la cinétique de dissolution du verre

en fonction des concentrations en solutions [23].

L’altération (cinétique + masse de verre dissout) du déchet vitrifié en situation de stockage comprend plusieurs régimes :

une altération initiale importante ; un ralentissement progressif favorisé par le développement des propriétés de barrière

diffusive du gel ; l’atteinte d’un régime « pseudo-stationnaire » correspondant à un échange limité entre le

verre et le milieu extérieur avec des caractéristiques d’environnement stabilisées, ayant évolué vers un état proche de l’équilibre géochimique du milieu géologique.

V.1.2- Peut-on extraire de ces exemples une démarche commune d’analyse des phénomènes de vieillissement pour les matériaux verre et céramiques ?

A travers ces exemples, on peut tenter de proposer une grille commune d’analyse des problèmes de vieillissement rencontrés.

Une première étape consiste à caractériser le matériau initial : composition chimique, homogénéité, états de division du matériau, présence éventuelle d’interfaces ou interphases à l’équilibre ou non, etc. La caractérisation des surfaces ou interfaces/interphases en présence apparaît comme un point clé dans l’étude du comportement au vieillissement des verres et

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céramiques. En effet, tous les exemples présentés font référence à des phénomènes d’altération qui concernent la surface, ou sont initiés à la surface des matériaux, ou encore impliquent des interphases dans le cas des composites. Il faut en effet des sollicitations extrêmes pour en attaquer le volume. Dans le cas de sollicitations courantes, les phénomènes de vieillissement sont initiés en surface des matériaux ou des phases.

Une seconde étape consiste à identifier et caractériser l’ensemble des sollicitations subies par le matériau. Les exemples relatés ont décrit des sollicitations liées à l’environnement chimique, au chargement mécanique et à la présence de champs ou de flux de particules. Pour ce qui est de l’environnement chimique, il faut s’attacher à caractériser le milieu de vieillissement (liquide ou gazeux, composition, pH, température, etc.) mais également l’état de confinement du matériau dans le milieu agressif. C’est en effet l’état de confinement, ou surface du matériau mise en regard du milieu agressif qui va conditionner une mise en équilibre possible du matériau avec son milieu d’agression. Les exemples concernant les fibres biosolubles et les verres nucléaires illustrent particulièrement ce point. Plusieurs exemples montrent l’effet lié à la combinaison de plusieurs sollicitations : mécanique et chimique pour la fissuration sous-critique, chimique, thermique et radiative pour les verres nucléaires. Dans une situation nouvelle de vieillissement, l’identification de l’ensemble des sollicitations pertinentes n’est pas forcément un problème trivial.

La troisième étape consiste à étudier les mécanismes de vieillissement du matériau. Il s’agit là principalement d’une étape d’observation, préalable incontournable à toute tentative ultérieure de modélisation. Les échelles des temps d’observation sont le plus souvent conditionnées par le type d’utilisation qui sera faite du matériau. Les exemples présentés ici ont montré des matériaux qui évoluent en quelques semaines (cas de fibres biosolubles) jusqu’à des matériaux que l’on souhaiterait stables à l’échelle des temps géologiques (verres nucléaires). L’observation même des phénomènes de vieillissement consiste le plus souvent à traquer des modifications chimiques, morphologiques du matériau ayant des répercussions sur ses propriétés d’usage. Les exemples présentés dans ce chapitre ont plutôt fait apparaître des modifications dans des échelles comprises entre le dixième et la dizaine de micromètres, sans que cela ne constitue pour autant une règle générale.

V.2- Modélisation à différentes échelles spatiales des mécanismes de vieillissement

Deux tendances, pour l’instant encore difficiles à concilier, se présentent pour modéliser les mécanismes de vieillissement. On peut partir de l’atome et remonter les échelles pour arriver au composant étudié. Inversement, on peut partir de l’objet et prendre en compte de manière plus ou moins fine les différents mécanismes pertinents. Dans la suite de ce paragraphe, on illustre différentes approches envisageables.

V.2.1- Etablir des relations de cause à effet Une première approche de modélisation consiste à essayer d’établir une relation

mathématique entre une mesure du vieillissement du matériau et les paramètres qui influent sur ce vieillissement. On suppose en général qu’il existe une relation multilinéaire entre la propriété de vieillissement et les paramètres influents de type

Y = Σ Ai Xi + Σ BBij Xi Xj (V.2)

Une telle démarche pragmatique est largement utilisée en recherche industrielle appliquée pour mettre au point de nouvelles formulations de verres. En effet, les verres industriels sont le plus souvent des verres complexes composés de plus de dix oxydes différents. Dans un problème de formulation, il faut en général satisfaire à un cahier des charges multicritères, avec des contraintes sur le vieillissement du matériau, mais également sur sa mise en forme

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(contraintes concernant sa viscosité à haute température et ses propriétés de cristallisation au refroidissement) et éventuellement des contraintes sur ses propriétés optiques ou thermiques. Dans un tel contexte, on a rarement le loisir d’étudier indépendamment l’influence de chacun des oxydes sur l’ensemble des propriétés du cahier des charges et d’établir les lois physico-chimiques régissant les phénomènes de vieillissement. Les contraintes que l’on s’impose concernant le vieillissement des matériaux dépendent de l’application visée. Ainsi, dans le cas de fibres de verre destinées à renforcer une matrice polymère, on peut chercher à optimiser la tenue du verre en milieu acide. S’il s’agit de renforcer du ciment, on optimisera au contraire la tenue du verre en milieu alcalin. Pour un verre destiné à la fabrication de flacons pharmaceutiques, on testera la tenue du verre en autoclave, etc. Il en résulte pour chaque application particulière un test de vieillissement du verre adapté, test normalisé ou non selon les cas de figure.

On peut alors suivre la méthode des plans d’expérience [24] qui permet de minimiser le nombre d’expériences à réaliser pour établir les relations mathématiques reliant les teneurs en oxydes des verres et les propriétés du cahier des charges. La première étape consiste à définir le nombre d’oxydes de la formulation qui vont varier (ou facteurs Xi) ainsi que leurs plages de variation (domaine du plan d’expériences). La deuxième étape consiste à définir avec précision le test de vieillissement retenu (réponse Y) en vérifiant l’incertitude sur la mesure réalisée. La troisième étape consiste à définir les expériences à effectuer, dont le nombre est fonction de la complexité de la relation mathématique présupposée. Dans une quatrième étape, on réalise les expériences sélectionnées : synthèse des verres et mesure de la propriété de vieillissement sélectionnée. Enfin dans une cinquième étape, on détermine par une régression multilinéaire les coefficients Ai et BBij de la relation mathématique. On peut alors, dans la limite du domaine étudié, calculer la valeur de la propriété de vieillissement du verre en fonction de sa composition chimique.

Cette approche pragmatique se révèle très efficace quand il s’agit de réaliser l’optimisation de la formulation d’un verre industriel complexe selon un cahier des charges multicritères. Il faut cependant limiter une telle démarche à des domaines de variation de composition relativement restreints, domaines dans lesquels une modélisation de type multilinéaire est valide. Enfin, la relation mathématique définie par le plan d’expériences n’explique en rien les mécanismes de vieillissement observés. Elle ne fait qu’établir une relation de cause à effet valable dans un domaine restreint de compositions de verres. Une démarche complémentaire consiste donc à tenter d’établir les lois physico-chimiques du vieillissement des matériaux étudiés [25].

V.2.2- Etablir des lois physico-chimiques

Une deuxième approche de modélisation consiste à tenter d’établir des lois physico-chimiques décrivant le vieillissement du matériau étudié. Cette approche s’est notamment révélée indispensable dans le cas des verres nucléaires et des composites à matrice SiC.

V.2.2.1- Cas des verres nucléaires La dissolution du déchet vitrifié est un phénomène complexe. Les cinétiques

correspondantes résultent d’une convolution de nombreux mécanismes, qui ne dépendent pas uniquement des propriétés intrinsèques du verre (composition, structure, …) mais aussi de l’environnement. De nombreuses lois cinétiques sont évoquées pour décrire la dissolution du verre et particulièrement le ralentissement de la vitesse. Il est établi, dans l’état actuel des connaissances, que le gel joue un rôle prépondérant dans cette chute de la vitesse. Les expérimentations menées dans des conditions spécifiques (accélération de la dissolution par la température − 90°C −, rapport surface de verre sur volume de solution importante – S/V − pour atteindre rapidement des états « stationnaires ») ont permis de caractériser les paramètres

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qui contrôlent le développement des propriétés protectrices du gel. Il apparaît par exemple, figures V.14 et V.15, que le taux de rétention de la silice dans le gel est un paramètre contribuant au développement du gel protecteur, propriété traduite par le coefficient de diffusion dans le gel de la silice : Dg.

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

0,7

0,8

0,9

1

0 50 100 150 200 250

[Si] (mg/l)

F Si

Thèse DelageThèse AdvocatThèse FilletThèse JégouThèse JégouBloc ech 1Gin non publié1-exp(-0.02xSi)

Figure V.14 : Taux de rétention de la silice dans le gel en fonction

de la concentration en silice dissoute [23].

0

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1

1E-21 1E-20 1E-19 1E-18

Figure V.15 : Coefficient de diffusion de la silice dans le gel en fonction du taux

de rétention de la silice [23].

1E-17 1E-16 1E-15 1E-14 1E-13

Dg (m2/s)

f Si(C

*)

1.25 1050 55-75200 5002000

S/V croissant

(cm-1)

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V.2.2.2- Cas des composites à matrice SiC Les phénomènes d'oxydation dans les composites à matrice SiC nécessitent également

des investigations physico-chimiques [26, 27, 28, 29, 30, 31]. Le carbone et le carbure de silicium sont tous deux présents dans les fibres, dans la matrice et dans l'interphase des composites à matrice SiC. Ils réagissent avec l'oxygène aux températures élevées auxquelles doivent être exposés ces composites. Le carbone est éliminé sous forme gazeuse selon les réactions suivantes, à des températures supérieures à 450°C

C (s) + O2 (g) → CO2 (g)

C (s) + 1

2O2 (g) → CO (g)

La perte de masse correspondante est d'autant plus rapide que la température est élevée. L'oxydation du carbure de silicium est généralement passive. Elle produit de la silice, selon les réactions suivantes

SiC + 2O2 → SiO2 + CO2

SiC + 3

2O2 → SiO2 + CO

Le gain de masse est d'autant plus rapide que la température est élevée. Dans un composite, les constituants en carbone (fibres ou interphases) en contact avec

l'air à haute température seront éliminés suivant les réactions ci-dessus tandis que les constituants en carbure de silicium (fibres ou matrice) se recouvrent d'une couche de silice. Les fibres et les interphases sont en contact avec l'air à la surface du matériau (sauf lorsque le composite est recouvert d'une couche protectrice), ou lorsque des fissures sont présentes dans la matrice. La figure V.16 illustre l'oxydation de l'interphase, de la matrice et de la fibre sous l'effet de l'oxygène qui circule dans une fissure.

O2

Diffusion (Stephan+Fick)

Oxydation de la matrice :autocicatrisation

CO, CO2

InterphaseOxydation interphaseet fibre

Fibre SiC

Figure V.16 : Phénomènes d'oxydation à haute température à travers une fissure dans la matrice d'un composite à matrice céramique de type SiC soumis à un effort de traction.

Lorsque la température est plutôt basse (i.e., inférieure à 1000°C) c'est l'élimination de

l'interphase qui domine : le composite se dégrade (figure V.17). Lorsque la température est plutôt élevée (i.e., supérieure à 1000°C), c'est la production d'oxyde qui est prépondérante. Elle est suffisamment rapide pour que les couches de silice qui croissent sur les lèvres de la fissure se rejoignent et ferment la fissure (cicatrisation).

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Figure V.17 : Evolution du module d'élasticité dans des composites à matrice SiC possédant

une interphase constituée de 8 couches alternées de carbone et de SiC. Les échantillons étaient soumis à une force constante à la température de 850°C. Dans la première partie des

courbes, la chute du module est provoquée par l'élimination des interphases de carbone. Dans la seconde partie, l'augmentation du module résulte de la cicatrisation.

La dégradation du composite est interrompue, et les propriétés du composite sont même

restaurées (figure V.17). Ce phénomène est exploité pour augmenter la durée de vie : dans les interphases multicouches on alterne des couches de C avec des couches de SiC

(figure V.18). Plus l'épaisseur des couches de carbone est petite plus le phénomène de cicatrisation est rapide. Des couches nanométriques peuvent être déposées par les techniques de dépôt en phase vapeur (CVI, figure V.18) ;

MatriceInterphaseFibre

a)

Matrice

Interphase

Fibre

b)

Figure V.18 : Exemples d'interphases multicouches nanométriques dans des composites SiC/SiC : (a) interphase constituée de 10 couches de C (épaisseur 20 nm) alternées avec 10 couches de SiC (épaisseur 50 nm), (b) interphase constituée de 10 couches de BN (épaisseur

25 nm) alternées avec 10 couches de SiC (épaisseur 25 nm).

dans les matrices multicouches contenant des éléments favorisant la production d'oxyde à des températures plus basses (figure V.19). La figure V.20 montre que la dégradation en fatigue est considérablement réduite, si l'on compare à la tendance montrée par la figure V.17. La durée de vie des composites à matrice multicouche dépasse 1000 heures à 600°C en fatigue cyclique.

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Figure V.19 : Phénomène de cicatrisation dans un composite à matrice multicouche de type Si-B-C.

Mod

ule

Rel

atif

Figure V.20 : Evolution du module d'élasticité dans un composite à matrice multicouche Si-B-C lors d'essais de fatigue cyclique à 1100°C.

V.2.3- Identification des mécanismes actifs Les modifications physico-chimiques induites, par exemple, par l’oxydation de

composites à matrice SiC nécessitent une investigation de leur effet sur le comportement mécanique. Une connaissance approfondie des mécanismes actifs est souhaitable en vue d’une modélisation mécanique réaliste. Les phénomènes de dégradation et de cicatrisation dans les composites à matrice céramique ne peuvent se produire que si des fissures permettent l'accès de l'oxygène vers les éléments sensibles du composite, c'est-à-dire non seulement l'interphase qui détermine les transferts d'effort entre la matrice et les fibres, mais aussi les fibres qui maintiennent l'intégrité du composite. Il est donc nécessaire de connaître les mécanismes d'endommagement et de rupture des composites à matrice SiC [32, 33, 34, 35, 36].

La figure V.21 montre la courbe typique du comportement mécanique des composites SiC/SiC sollicités en traction. Celui-ci est dit élastique endommageable. Le domaine non linéaire résulte de l'endommagement de la matrice sous la forme de fissures multiples perpendiculaires à la direction de sollicitation. Ces fissures sont arrêtées par les fibres et déviées dans l'interphase. La pente des cycles de charge-décharge passe par l'origine et indique que le module d'élasticité diminue au fur et à mesure que le composite est

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endommagé. La partie ultime de la courbe correspond à la déformation des fibres qui supportent seules les efforts.

0

50

100

150

200

250

300

350

400

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1

Con

trai

nte

(MPa

)

Déformation (%)

Figure V.21 : Courbe contrainte / déformation en traction d'un composite SiC/SiC à température ambiante.

L'interphase est un élément important, puisqu'il favorise la déviation des fissures par les

fibres, et il confère au composite son caractère endommageable (effet composite). A ce titre, le carbone est le meilleur matériau d'interphase. C'est la raison pour laquelle une couche de carbone est déposée sur les fibres bien que le composite soit destiné à des expositions à haute température. La figure V.22 montre les modes de déviation obtenus à l'aide d'interphases à base de carbone.

Figure 8 : Modes de déviation des fissures au voisinage d'une interphase dans un composite SiC/SiC :

(a) mode adhésif, interphase monocouche (b) mode cohésif, interphase monocouche (c) mode adhésif, interphase multicouche (d) mode cohésif, interphase multicouche.

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On distingue plusieurs échelles d'endommagement et d'interphases dans les composites à renfort textile, c'est-à-dire renforcés par des tissus de fils, chaque fil étant constitué de plusieurs centaines de monofilaments ayant chacun un diamètre de l'ordre de 15 μm pour les fibres SiC et de 7 μm pour les fibres C. Les fissures sont générées d'abord entre les fils longitudinaux (c'est-à-dire les fils orientés dans la direction de sollicitation) et déviées par ces derniers (première échelle d'interphase et d'endommagement). Ensuite, après saturation de cette famille de fissures, les fissures se forment dans la matrice au sein des fils longitudinaux, et sont déviées par les fibres au sein de ces fils (deuxième échelle d'endommagement et d'interphase). Après saturation de ce processus, l'endommagement affecte les fils. Il résulte de la rupture individuelle de fibres. La rupture d'un nombre critique de fibres au sein d'un fil cause la rupture de ce fil, puis la rupture complète du composite. L'importance de l'endommagement, son évolution sous l'effet de l'environnement qui contrôlent la circulation de l'oxygène vers le cœur du composite et l'activation du processus de rupture individuelle des monofilaments vont déterminer la durée de vie des composites. Ce dernier peut résulter de l'oxydation des fibres (fibres de carbone) ou d'un processus de fissuration lente (fibres de SiC) à température intermédiaire (jusqu'à 1000°C) ou de la déformation irréversible des fibres par fluage (températures supérieures à 1000°C).

V.2.4- Etablir des lois mécaniques

Dans le paragraphe V.1.1.2, une loi de fissuration purement macroscopique [équation (V.1)] a été présentée. On peut également faire appel à des analyses à des échelles plus fines pour obtenir ces lois par des considérations permettant une meilleure compréhension des phénomènes physico-chimiques sous-jacents, et une prévision plus fiable du vieillissement.

Il existe un certain nombre de modèles pour décrire la fissuration sous-critique des céramiques et des verres [37] à partir de considérations à l’échelle atomique. La plupart de ceux-ci repose sur le principe que des processus thermiquement activés peuvent casser et reformer des liaisons chimiques à la pointe de la fissure. Ainsi la dépendance de la vitesse de propagation avec le facteur d’intensité des contraintes est de type exponentiel (car basée sur la loi d’Arrhenius) avec un argument qui est une fonction linéaire, voire plus complexe, du facteur d’intensité des contraintes.

Figure V.23 : Modélisation d’une liaison très fortement sollicitée (2) entourée d’un environnement élastique linéaire (1).

Courbe force F / déplacement relatif δ pour le ressort non-linéaire (2).

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Dans ce qui suit, nous allons donner une interprétation simple de la loi de fissuration sous-critique [38]. Pour cela, on considère un ressort non linéaire représentant la zone très fortement sollicitée au voisinage de la pointe de la fissure et une zone saine représentée par deux ressorts de raideur constante (figure V.23). Lorsqu’on utilise un potentiel de Morse décrivant les interactions moléculaires, la relation entre la force F et déplacement relatif δ s’écrit

⎥⎥⎦

⎢⎢⎣

⎡⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛−−⎟⎟

⎞⎜⎜⎝

⎛−=

000

2expexp4δ

δδδFF (V.3)

où correspond à la force maximale et 0F 0δ caractérise un déplacement relatif caractéristique proche de la valeur correspondant à la force maximale. La figure V.24 montre différentes situations pour ces trois ressorts lors de déplacements croissants u. La figure V.24.a correspond à une situation d’équilibre stable (i.e., même lorsque des événements thermiquement activés avec de hauts niveaux d’énergie sont possibles, aucune autre position d’équilibre ne peut être atteinte). La figure V.24.b montre un premier cas limite dans la rupture de liaison. En effet, deux points sont susceptibles de représenter une situation d’équilibre. Ce cas limite dépassé, la figure V.24.c conduit à trois intersections entre les deux courbes. Lorsqu’un événement thermiquement activé avec un niveau supérieur ou égal à ΔU se produit, une nouvelle position d’équilibre δ3 est possible, et la fissure peut se propager d’une taille de maille élémentaire. Cependant, dans le cas où de nouveaux événements thermiquement activés avec un niveau d’énergie supérieur à ΔW sont actifs à l’endroit considéré, ceux-ci conduisent à une diminution de la distance entre les liaisons et celle-ci peut être rétablie. Enfin, une seconde situation limite est donnée sur la figure V.24.d. Les intersections δ1 et δ2 de la figure V.24.c sont confondues. Cette situation correspond à une rupture catastrophique de liaison alors que la tangente commune représente un seuil de rupture de liaison.

Les valeurs seuil et critique de facteur d’intensité peuvent être liées aux déplacements de manière linéaire [39]

c

th

c

thKK

uu

= . (V.4)

La probabilité d’occurrence d’événements thermiquement activés avec une énergie d’un niveau suffisant pour casser des liaisons est décrite par une distribution de Boltzmann

⎟⎠⎞

⎜⎝⎛ Δ

−=kTU

NN exp

0 (V.5)

où est la fraction d’événements dont l’énergie est supérieure à une barrière ΔU et k est la constante de Boltzmann. Afin de pouvoir connaître la fréquence des événements de rupture de liaison, il faut connaître la dépendance de ΔW et ΔU en fonction du paramètre de chargement K / K

0/ NN

c. On peut ainsi montrer qu’une dépendance logarithmique peut être obtenue [39]

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛+=

Δ

cKKBC

UU ln0

(V.6)

où U0 est la surface totale en dessous de la courbe du potentiel.

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Figure V.24 : Points de fonctionnement du système de trois ressorts pour quatre niveaux croissants de déplacement appliqué u.

On peut ainsi exprimer la propagation sous-critique en fonction de la rupture de liaison par

⎥⎦

⎤⎢⎣

⎡⎟⎠⎞

⎜⎝⎛ Δ−−⎟

⎠⎞

⎜⎝⎛ Δ−−

⎥⎦

⎤⎢⎣

⎡⎟⎠⎞

⎜⎝⎛ Δ−−⎟

⎠⎞

⎜⎝⎛ Δ

−=

kTW

kTU

kTW

kTU

vv

exp1exp1

exp1exp

0 (V.7)

L’équation (V.7) montre que lorsque le terme entre crochets tend vers 0, la vitesse de propagation s’annule également. Le facteur d’intensité des contraintes correspondant est le seuil de propagation. Au-dessus du seuil, les termes contenant ΔW deviennent très rapidement négligeables de telle manière que la vitesse de propagation peut être approchée par

⎥⎥⎦

⎢⎢⎣

⎡⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛+−=⎟⎟

⎞⎜⎜⎝

cKKBC

kTU

vv lnln 0

0 (V.8)

équation qui peut être réécrite de la manière suivante

(V.9) nAKv =

avec

kT

BUn

kTCU

K

vA

nc

000 ,exp −=⎥⎦

⎤⎢⎣

⎡−−= (V.10)

D’autres lois peuvent être trouvées à partir de considérations à l’échelle atomique pour les verres ou les céramiques. Une des plus anciennes est basée sur les travaux de Hillig et

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Charles [17] qui ont supposé que la résistance statique et dynamique de verres sous différents environnements est déterminée par une croissance de fissure thermiquement activée et pilotée par la contrainte. Les travaux de Michalske et Freiman [40] modélisent les interactions chimiques entre des molécules H2O adsorbées et la liaison Si-O-Si du verre. Ils peuvent, entre autres, expliquer pourquoi l’eau est si efficace lors d’un processus de corrosion sous-contrainte, alors que la durabilité chimique du verre de silice est par ailleurs très bonne dans de l’eau pure.

Bien que certaines des idées émises à l’aide de considérations au niveau des liaisons chimiques soient admises, il est indéniable qu’un consensus général est encore loin d’être atteint et de nombreuses questions restent ouvertes quant à l’universalité d’une loi de fissuration sous-critique, à l’existence d’un seuil de non-fissuration, pour ne citer que quelques-unes unes des questions en suspens [13].

V.2.5- De l’atome vers la structure : cas des verres nucléaires Pour une meilleure compréhension des évolutions de propriétés pour des échelles de

temps qui excèdent les possibilités de l’expérimentation à l’échelle humaine (i.e., 1000, 10000, 100000 ans), il est nécessaire de disposer de modèle d’évolution, qui ne peuvent en aucun cas être déduit uniquement d’extrapolations issues d’expérimentations à court terme. Ces modèles doivent être construits, dans la mesure du possible, sur la base de mécanismes élémentaires mis en jeu au cours du vieillissement.

Une des approches développée au CEA est la modélisation atomistique dans le cas des verres nucléaires. L’objectif de cette approche est de comprendre le comportement structural de la matrice et d’identifier les mécanismes mis en jeu suite au phénomène d’irradiation. Dans ce domaine, des études de dynamique moléculaire ont été mises en œuvre pour appréhender les effets balistiques induits par la décélération des noyaux de recul émis à l’issue de la désintégration α. Elle permet de simuler le comportement de volumes nanoscopiques de matière en calculant explicitement les trajectoires de tous les atomes sur quelques dizaines de picosecondes (figure V.25). Cependant, compte tenu des échelles de taille et de temps accessibles par cette méthode et des simplifications dans la composition des matériaux nécessaires à leur utilisation, ces techniques sont considérer comme des outils d’investigation.

-200

0

200

400

600

800

1000

0 5 10 15

Dep

olym

eris

atio

n in

dex

Time (ps)

3keV

7keV

Depolymerisation index :Nb Broken bounds -Nb restored bounds

Figure V.25 : Deux types de dépolymérisation en fonction du temps pour un verre simplifié SiO2, B2O3, Na2O, Al2O3, ZrO2 représentatif de la matrice de base du verre nucléaire [41].

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V.3- Prévision de la durée de vie : comment comprimer le temps ? En fonction du problème traité, différentes démarches de prévision de la durée de vie

sont présentées.

V.3.1- Tests accélérés et/ou aggravés ? Dans les phases de conception et de mise au point d’un nouveau matériau, on cherche

toujours, avant sa mise sur le marché sous forme d’un produit, à évaluer sa durée de vie, soit de manière absolue, soit en comparaison avec d’autres matériaux concurrents ou remplissant déjà la même fonction. Il est le plus souvent impossible de faire subir au matériau que l’on développe un test de vieillissement en conditions réelles d’utilisation, pendant un temps égal à la durée de vie que l’on s’apprête à garantir. Le secteur du bâtiment avec sa garantie décennale est un bon exemple.

Lors de la conception du matériau, une démarche très usuelle et pragmatique consiste donc à réaliser au laboratoire des tests de vieillissement dits accélérés qui cherchent à simuler au mieux les sollicitations subies par le matériau en réduisant au maximum le temps de test. Et le plus souvent pour « accélérer » le test de vieillissement, on aggrave la sollicitation subie par le matériau (température plus élevée, puissance UV plus importante, etc.). Il faudrait alors s’assurer que les mécanismes de vieillissement et leurs lois cinétiques restent inchangés et permettent ces aggravations des tests. Un autre écueil réside dans le fait que les tests de vieillissement sont souvent focalisés sur une sollicitation (un agent corrosif par exemple). Cela implique une multiplication de tests « mono-sollicitation » alors que le matériau subit dans la réalité plusieurs sollicitations conjointes dont les effets peuvent être couplés. On peut prendre pour exemple la norme concernant les tests de verres à couches pour la construction (norme NF EN 1096-2) dans laquelle quatre tests sont retenus : 3 tests concernant des vieillissements climatiques différents (résistance à la condensation, résistance aux attaques acides et résistance au brouillard salin neutre) et un test d’abrasion.

Ces tests accélérés et/ou aggravés (i.e., il est fait pour révéler les points faibles d’un produit, et l’une de ses vocations est de permettre une rétro-action immédiate sur la conception et la qualité de celui-ci [42, 43]), souvent indispensables à la mise au point de nouveaux matériaux et produits en milieu industriels, doivent donc être maniés avec précaution et si possible validés par des retours d’expérience sur les vieillissements en conditions réelles.

V.3.2- Une tentative de modélisation fine de la durabilité des verres nucléaires La démarche précédente ne peut pas s’appliquer aux verres nucléaires pour lesquels les

échelles de temps (géologiques) sont très longues. Ceci nécessite la mise en place de méthodes spécifiques. Les études menées depuis une vingtaine d’années au CEA et sur le plan international ont pour objectif de mettre en place une modélisation fine de la durabilité de verres nucléaires [44, 45, 46, 47, 48, 49, 50]. En situation de stockage, sous l’action de l’eau, il s’agit particulièrement d’évaluer le relâchement des radionucléides initialement confinés, sur des durées de l’ordre de la centaine de milliers voire le million d’années. Cette tentative de modélisation, sans retour d’expérience, rentre dans le domaine de la « prédiction » et comprend plusieurs étapes :

étape 1 : l’acquisition et le développement des connaissances pour consolider la compréhension des mécanismes. Cette recherche consiste en des expériences menées essentiellement au laboratoire, sur des verres de composition de type verres nucléaires, inactifs ou actifs, sur des compositions simplifiées ou encore des verres naturels, pour déterminer ou vérifier les mécanismes mis en jeu. Des conditions expérimentales spécifiques sont définies pour traduire au mieux les échelles de temps. Des études paramétriques sont également menées pour comprendre les effets de la composition des

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verres nucléaires, les effets d’échelle et de l’environnement sur la cinétique de dissolution du verre. L’ensemble des connaissances conduit au développement de modèles de cinétique de dissolution du verre ;

étape 2 : l’exploitation des connaissances en fonction des conditions d’environnement spécifiées par l’ANDRA, en charge des études de faisabilité du stockage. Cette étape comprend deux aspects : (i) l’analyse phénoménologique du comportement du colis en situation de stockage pour vérifier la pertinence des mécanismes retenus dans les modèles, pour décrire le relâchement des radionucléides, la pertinence des hypothèses et la cohérence du domaine d’application du modèle aux conditions d’environnement spécifiées, (ii) la mise en œuvre des modèles de dissolution du verre avec une représentation macroscopique de l’environnement pour calculer la masse de verre dissous. Cette deuxième partie est complétée par des études de sensibilité, aussi bien sur les paramètres du modèle de dissolution du verre que sur les paramètres d’environnement pour déterminer le poids des incertitudes ;

étape ultime : l’utilisation des connaissances. Il s’agit d’aboutir à un modèle privilégiant la robustesse des paramètres et des hypothèses associées aux mécanismes de dissolution du verre et de relâchement des radionucléides. La robustesse est définie au regard de la variabilité industrielle des déchets nucléaires vitrifiés, de l’évolution dans le temps des caractéristiques thermiques, hydrauliques, mécaniques et chimiques de l’environnement dans lequel le colis va évoluer (produits d’interaction de la corrosion des enveloppes métalliques, des matériaux de barrières ouvragées et des produits d’altération du verre, le tout en évolution sous les interactions avec le milieu géologique). Ce but ultime vise à fournir les éléments de choix pour l’ANDRA pour le modèle applicable dans ses évaluations de sûreté d’un éventuel stockage des déchets vitrifiés.

V.3.3- Des approches réussies de prévision de durée de vie A mi-chemin entre les deux démarches précédentes, des prévisions quantitatives et

fiables peuvent être obtenues lorsque les phénomènes de vieillissement sont suffisamment bien compris et caractérisés. Les deux exemples qui suivent concernent des céramiques et des verres monolithiques ou composites.

V.3.3.1- Cas des verres et céramiques

Pour la modélisation de la fissuration sous-critique, les vitesses bien souvent élevées (i.e., supérieures à 10 μm/s) des stades II et III de fissuration sous-critique (cf. paragraphe V.1.1.2) conduisent à ne considérer que les temps caractéristiques du stade I [et donc l’équation (V.1)] lors de la prévision de la durée de vie d’un verre ou d’une céramique. On remarquera de plus, que c’est une hypothèse conservative. Dans les développements suivants, on supposera nulle la valeur du seuil de non-propagation. Lorsqu’une charge constante est appliquée et l’on recherche la durée de vie d’un élément de volume, on se place dans une situation de fatigue « statique ». Si la fissuration sous-critique n’existait pas, cet élément de volume contenant un défaut de taille initiale aurait une résistance intrinsèque

0a

0σ égale à

0

0 aYKc=σ (V.11)

où Y est un facteur de forme sans dimension tel que 0aYK σ= . Toute valeur de contrainte σ supérieure à 0σ conduit inéluctablement à la rupture. Par contre, toute valeur inférieure ne conduit pas instantanément à la rupture, mais peut être potentiellement dangereuse. En effet,

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l’intégration de la loi de propagation (V.1), où dtdav /= entre une valeur initiale et une

valeur critique de taille de fissure conduit à un temps de rupture 0a

( 2/ rcc YKa σ= ) rt qui s’écrit (n ≠ 2)

⎥⎥

⎢⎢

⎡−⎟⎟

⎞⎜⎜⎝

⎛=

−−

− 12

)2(2

0222n

rr

ncr tKAYn

σσσ (V.12)

pour une contrainte appliquée 0σσ <r . L’équation (V.12) montre que l’on peut observer une rupture différée, d’autant plus importante que le niveau de contrainte rσ est inférieur à 0σ (figure V.26).

Figure V.26 : Contrainte de rupture normée en fonction d’un temps normé en fatigue statique (n = 15).

Notons également qu’un temps caractéristique de fissuration sous-critique peut être obtenu par la condition

sct

12

2 220

2 =− − s

cnc tKAYn σ . (V.13)

Il correspond à la transition entre un régime pour lequel la fissuration sous-critique n’est pas significative (i.e., 0σσ ≈r ) et on aboutit à un premier régime asymptotique ( ). Le

second ( ) correspond à des temps plus longs où le produit .

scr tt ≤

scr tt ≥ constante0 == s

cn

rnr tt σσ

La fatigue « dynamique » consiste à appliquer une vitesse de sollicitation constante. On observe dans le cas des verres et des céramiques, une sensibilité de la contrainte de rupture à la vitesse de contrainte (figure V.4). Dans le cas de la fissuration simple (i.e., pour des chargements dont la vitesse de sollicitation est « raisonnable »), ce phénomène est également expliqué par la fissuration sous-critique. En suivant la même démarche que précédemment, on peut relier la contrainte à rupture rσ à la vitesse de contrainte σ par

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⎥⎥

⎢⎢

⎡−⎟⎟

⎞⎜⎜⎝

⎛=

+−

−−1

)1(2)2(

20

232 n

r

ncr

nKAYn

σσ

σσ . (V.14)

On obtient ainsi une contrainte à rupture rσ d’autant plus importante que la vitesse de contrainte σ est grande.

Figure V.27 : Contrainte de rupture normée en fonction d’une vitesse de contrainte normée en fatigue dynamique (n = 15).

Notons également, qu’à l’instar de la fatigue statique, une vitesse de contrainte caractéristique

cσ peut être obtenue

1)1(2

)2( 230

2=

+− −

c

nc

nKAYn

σσ

(V.15)

et un temps caractéristique . Cette vitesse de contrainte caractéristique décrit la transition entre un premier régime asymptotique (

)1( += ntt sc

dc

cσσ ≥ ) pour lequel la fissuration sous-critique n’est pas significative (i.e., 0σσ ≈r ) et un second régime ( cσσ ≤ ) qui correspond à

des vitesses de contrainte plus faibles où le produit . constante// 10

1 == ++c

nnr σσσσ

Appliqué au ferrite spinelle MnZn, ce modèle permet de décrire l’augmentation de la contrainte moyenne de rupture en fonction de la vitesse de contrainte (figure V.28). Une valeur n = 25 est trouvée en accord avec les résultats de fissuration (figure V.5).

Remarquons enfin, que dans le cas de fissuration multiple causée par des vitesses de sollicitation extrêmement importantes (e.g., induite par un impact), d’autres phénomènes peuvent être invoqués pour expliquer une croissance de la résistance avec la vitesse de sollicitation [51, 52, 53].

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Figure V.28 : Contrainte moyenne de rupture en fonction de la vitesse de sollicitation pour un ferrite spinelle MnZn. La droite correspond à une identification pour n = 25.

L’approche développée dans ce paragraphe est intéressante, mais pour être complète,

elle nécessite un traitement probabiliste de la contrainte de rupture (cf. paragraphe V.4). On a ainsi montré que la description des phénomènes de fatigue statique ou dynamique peut être traitée dans le même cadre. De ce point de vue, des essais courts peuvent être représentatifs de phénomènes se produisant sur des durées beaucoup plus longues. On peut cependant remarquer que les environnements doivent être similaires sous peine de sur- ou sous-estimer les effets induits par ce dernier.

V.3.3.2- Cas des composites à matrice SiC La modélisation du vieillissement des composites à matrice SiC [30, 54, 55, 56]

nécessite les lois qui décrivent les phénomènes fondamentaux qui interviennent dans la durée de vie, c'est-à-dire :

les lois cinétiques d'oxydation qui modélisent la dégradation des phases carbonées ou la cicatrisation des phases SiC ;

les lois mécaniques qui rendent compte d'une part l'endommagement qui contrôle la circulation de l'oxygène au sein du composite, et d'autre part la fatigue des fibres qui conduit à la rupture ultime du composite.

Dans le cadre d'une approche micromécanique, la modélisation du vieillissement repose sur la combinaison des lois cinétiques d'oxydation et des lois mécaniques.

Les lois cinétiques d'oxydation des constituants sont obtenues à partir de mesures de variation de la masse d'échantillons de SiC et de C, ou de fibres de carbone, ou d'autres éléments entrant dans les matrices multicouches. Les figures V.29 et V.30 montrent des courbes typiques de variation de masse pour le carbone et le carbure de silicium.

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temps (s)

Δm/m

0 (%

)

Figure V.29 : Oxydation active du carbone : mesures de variation de masse en fonction du temps et de la température.

Δm/m

0 (%

)

temps (min)

Figure V.30 : Oxydation passive du carbure de silicium : mesures de variation de masse en fonction du temps et de la température.

Les deux lois cinétiques suivantes ont été proposées respectivement pour la matrice de

carbone et pour des fibres de carbone [26, 27, 28, 29, 30]

02( ) expi

niio

de Ek Pdt RT

a⎡ ⎤− = −⎢ ⎥

⎣ ⎦ (V.16)

02( ) expf

n afo

Edr k Pdt RT

⎡ ⎤− = −⎢ ⎥

⎣ ⎦ (V.17)

où ei est l'épaisseur de matrice ou d'interphase à l'instant t, r est le rayon de la fibre à l'instant t, kio et kfo sont des constantes, P02 la pression partielle d'oxygène, n l'ordre de la réaction du carbone avec l'oxygène, Ea est l'énergie d'activation, T la température et R la constante des gaz parfaits.

Les lois mécaniques [32, 57, 33, 35, 55, 56] décrivent tous les mécanismes qui interviennent dans le vieillissement des composites à matrice céramique, c'est-à-dire la multifissuration de la matrice, la rupture individuelle des monofilaments et la rupture ultime des fils. La loi de multifissuration de la matrice peut être modélisée comme une succession de ruptures localisées dictées par une population de défauts distribués de manière aléatoire dans

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la matrice. Ces ruptures successives sont décrites par des approches statistiques (cf. paragraphe V.4) fondées sur le modèle de Weibull (dans le cas où le champ des contraintes est uniaxial) ou sur d'autres, ou sur la fonction de distribution des contraintes de rupture. Les approches statistiques décrivent le processus complet de multifissuration, c'est à dire non seulement la création des fissures mais aussi leur distribution. La modélisation doit tenir compte du champ de contraintes. Celui-ci est influencé par l'architecture du renfort et est modifié au fur et à mesure que les fissures sont créées dans la matrice. Celles-ci engendrent des gradients de contraintes le long des décohésions fibres/matrice. Le champ des contraintes peut être décrit de manière analytique lorsque le renfort est unidirectionnel et les sollicitations sont des tensions uniaxiales. Il peut être déterminé par des calculs numériques dans le cas de renforts ou de sollicitations plus complexes.

La rupture des fibres au sein des fils suit également une loi statistique. La rupture de chaque fibre est dictée par la présence de défauts répartis de manière aléatoire. La rupture du fil se produit lorsqu'un nombre critique de fibres se sont rompues. Dans le cas des fibres SiC, ce nombre représente environ 20% du nombre total de fibres dans le fil. Il dépend du module statistique de Weibull suivant la loi suivante de Coleman [58]

)/1exp(1 mc −−=α (V.18)

où cα est la fraction critique de fibres rompues et m est le module de Weibull des fibres. La rupture des fibres, et donc des fils, est instantanée lorsque les efforts sont suffisamment élevés. Lorsque les efforts sont insuffisants, elle est lente sous l'effet de l'environnement. La rupture lente résulte soit de l'oxydation des fibres (fibres de carbone) soit d'un processus qui s'apparente à la croissance lente de défauts ou de fissures jusqu'à une dimension critique (températures intermédiaires) soit de déformations irréversibles par fluage (hautes températures).

Dans les fibres de carbone, l'oxydation provoque une diminution de la section des fibres. Il s'ensuit un accroissement local des contraintes, dépendant directement de la cinétique d'oxydation. Dans les fibres SiC, le phénomène de fissuration lente aux températures intermédiaires peut être décrit par la loi (V.1). Le modèle de rupture lente du fil est similaire à celui proposé pour les céramiques ou les verres. Il y a cependant une différence notable dans la mesure où il faut décrire le processus de rupture successive des fibres. Avec l'hypothèse qu'il n'y a pas de contact entre les fibres, la probabilité de rupture α de N fibres s'exprime en fonction de la contrainte à rupture moyenne des fibres fσ en l'absence de

fissuration sous critique et de la contrainte appliquée fσ par la relation suivante

⎥⎥⎥

⎢⎢⎢

⎪⎭

⎪⎬⎫

⎪⎩

⎪⎨⎧

⎟⎠⎞

⎜⎝⎛ +Γ−−==

m

f

fmN

N 11exp10 σ

σα (V.19)

où Γ est la fonction gamma et m le module de Weibull des fibres.

Les modèles de prévision de la durée de vie [30, 54, 56] sont obtenus par la combinaison des lois élémentaires précédentes afin de décrire les effets des dégradations sur le champ de contraintes s'exerçant sur les fibres, et sur certaines propriétés du matériau (fissuration sous critique). Cette approche a été appliquée à des composites C/SiC et SiC/SiC à renfort unidirectionnel. Il faut déterminer le nombre de moles d'oxygène qui diffusent le long des fissures et sont consommées dans l'oxydation du carbone et du carbure de silicium. Il faut tenir compte de l'ouverture des fissures selon les efforts appliqués et la température. Dans

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le cas particulier des composites C/SiC, les lois cinétiques d'oxydation du carbone permettent de déterminer la durée de chaque phase intervenant dans la durée de vie du composite :

l'élimination de l'interphase de carbone ; la réduction de la section de chaque fibre jusqu'à une valeur critique qui entraîne la

rupture individuelle de celle-ci. Les lois mécaniques permettent de déterminer les critères de rupture. La figure V.31 montre les prévisions de durée de vie en fonction de la température, et les résultats expérimentaux.

Figure V.31 : Durée de vie tR(s) de minicomposites C/SiC : (a) résultats expérimentaux et (b) prévision en fatigue statique.

Un modèle équivalent pour les composites SiC/SiC à matrice multicouche est en cours

de développement. Dans ce cas la circulation de l'oxygène à l'intérieur du matériau est lente parce qu'elle est contrôlée par la cicatrisation de la matrice (composite à matrice multicouche autocicatrisante).

1

10

100

1000

104

105

106

107

100 1000

Durée de vie (fils+minicomposite 700°C)Simulation

Dur

ée d

e vie

(s)

Contrainte équivalente appliquée sur les fibres (MPa)

Figure V.32 : Prévision de la durée de vie de minicomposites SiC/SiC en fatigue statique à 600°C et résultats expérimentaux.

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Le modèle se simplifie pour les composites SiC/SiC à matrice SiC monocouche, la circulation de l'oxygène est suffisamment rapide de sorte que les interphases de carbone sont consommées en un temps très court et la durée de vie est déterminée par celle des fils. Aux températures intermédiaires, la durée de vie peut être prédite grâce à un modèle de fissuration lente. La figure V.32 montre la prévision de la durée de vie en fatigue statique de minicomposites SiC/SiC à 600°C.

V.4- Vers une conception fiabiliste Les matériaux étudiés dans ce chapitre présentent la caractéristique commune d’être très

sensibles à des défauts qui peuvent conduire à leur ruine. Ceci nécessite de développer des approches de conception pouvant rendre compte de l’aspect incertain de la durée de vie.

Dans un cas de fatigue statique ou dynamique, les fissures au sein des matériaux peuvent se propager de manière stable. D'autre part, pour des matériaux à comportement fragile, la rupture se produit par extension instable de défauts initiaux distribués de manière aléatoire dans le matériau. La figure V.4 montre le caractère aléatoire de la rupture pour les différentes vitesses de chargement du ferrite spinelle MnZn. La caractérisation de la fiabilité locale nécessite l'étude de l'évolution de la probabilité de rupture en fonction du niveau et de la durée de la sollicitation. Dans ce paragraphe, il est proposé d'étudier l'augmentation au cours du temps de la probabilité de rupture en tenant compte de la propagation sous-critique de défauts initiaux, en fonction de la distribution initiale de défauts.

On considère des défauts répartis suivant une densité de probabilité f. A l'instant initial t = 0, cette densité dépend de paramètre(s) qui caractérise(nt) la morphologie du défaut. Dans la suite, on analysera le cas simple où le défaut est modélisé par une fissure de rayon a et de normale parallèle à la direction de contrainte principale majeure. Lorsque la propagation sous-critique n'est pas prise en compte, la probabilité cumulée de rupture élémentaire , pour une contrainte principale majeure σ, est donnée par

0f

0rP

, (V.20) ∫+∞

=

car daafP )(00

où est la taille critique de rupture [ca ( )2/ σYKa cc = , σ représente alors la résistance intrinsèque d’un défaut de taille ]. Dans le cas de propagation stable, les paramètres morphologiques initiaux évoluent. Dans le cas présent, la taille initiale de fissure augmente pour atteindre une valeur après un instant t. Cette croissance est décrite par une fonction ψ monotone croissante qui dépend de la loi de propagation choisie (cf. paragraphe V.1.1.2)

ca

0a

ta

( )taa ψ=0 . (V.21)

A l'instant t et pour un chargement σ, correspond une probabilité de rupture liée à la répartition de défauts modélisée par la densité de probabilité

0rP

tf

. (V.22) ∫+∞

=

catr daafP )(0

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Si l'on suppose qu'aucun nouveau défaut n'est créé au cours du chargement, c'est-à-dire que seuls les défauts initialement présents conduisent à la rupture, la densité de probabilité est reliée à la densité initiale de probabilité par

tf

0f

( )[ ]dadafaftψψ0)( = . (V.23)

Ce type de relation peut être généralisé à plusieurs paramètres morphologiques [59]. Par l'intermédiaire de l'équation (V.23), la probabilité après une durée t peut être exprimée uniquement en fonction de la répartition initiale [60]

0rP

0f

, (V.24) ∫+∞

=

0

)(00ca

r daafP

où ( cc aa )ψ=0 est la taille du défaut qui deviendra critique après un temps t. L'équation (V.24) montre qu'il n'est pas nécessaire de calculer l'évolution de la distribution de défauts, mais de simplement écrire l'évolution des bornes d'intégration.

Figure V.33 : Isoprobabilité de rupture élémentaire et bornes correspondantes.

Si l’on suppose l'existence d'un facteur d’intensité des contraintes seuil , les quantités et permettent de définir deux niveaux de contraintes,

thK

cK thK 0σ contrainte de rupture sous atmosphère inerte pour la propagation sous-critique et thσ limite d’endurance en dessous de laquelle il n’y a jamais rupture pour une fissure de taille initiale . Ce raisonnement peut être fait pour chaque taille de fissure et ainsi être généralisé de manière probabiliste (figure V.33). En conséquence, deux bornes à la probabilité de rupture

peuvent être données. Une borne supérieure, , qui correspond à , et une borne

inférieure, , faisant appel au critère de non propagation

0a

0rPs

rP 0 cKK >irP 0 thKK < ,

(V.25) ∫∫+∞+∞

==

thc a

ir

a

sr daafPdaafP )(,)( 0000

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où est la taille associée à la condition de non-propagation [ , σ représente alors la limite d’endurance d’un défaut de taille ]. Sachant que le facteur d’intensité des contraintes K est une fonction homogène de degré un du chargement σ, il existe une relation très simple entre ces deux bornes

tha ( 2/ σYKa thth = )

)

tha

(V.26) ),(),( 00 tkPtP ir

sr σσ =

avec . Les résultats obtenus montrent qu'une isoprobabilité de rupture ( ) ne

peut varier qu'entre deux bornes de chargement et (figure V.33). Grâce à l'équation (V.24), une isoprobabilité de rupture est simplement liée à la densité et à

cth KKk /= 10rP

10σk 1

0f ( cc aa ψ=0 qui dépend de la loi de propagation. Ces résultats montrent que l’on peut faire directement un dimensionnement à l’endurance, dans la mesure où l’on connaît le facteur d’intensité des contraintes seuil . thK

En supposant que la distribution de défauts peut être décrite par un processus point poissonien, et que l’on fait une hypothèse du maillon le plus faible, la probabilité de rupture

rP d’une structure Ω est liée à par 0rP

, (V.27) ⎥⎥⎦

⎢⎢⎣

⎡−−= ∫

Ω

dVPP rr 00exp1 λ

où 0λ correspond à une densité de défaut de référence par unité de volume. Lorsque l’on suppose que la distribution en taille de fissure est décrite pour les plus grandes d’entre elles (i.e., les plus nocives) par une loi de puissance [61]

p

aa

apaf

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛−≈

000

)1()( (V.28)

où p et sont des paramètres dépendant du matériau, on obtient dans un environnement inerte

0a

)1(2

0

1

00

−+−

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛=⎟⎟

⎞⎜⎜⎝

⎛=

ppc

r aaP

σσ (V.29)

avec 00 / aYKc=σ , et on aboutit à la loi de Weibull [62, 63]

⎥⎥

⎢⎢

⎡⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛−−= ∫

Ω

dVPm

r0

0exp1σσλ (V.30)

où et sont les deux paramètres de Weibull. La généralisation au cas de la fissuration sous-critique est directe

)1(2 −= pm 00 / λσ m

),()1(2

0

1

0

00 t

aaP

ppc

r σμσσ

−+−

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛=⎟⎟

⎞⎜⎜⎝

⎛= (V.31)

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où ),( tσμ correspond à la fonction de vieillissement. En fatigue statique, cette fonction s’obtient par intégration de la loi de propagation entre une taille initiale et une taille critique

0ca

ca

22

01),(

⎥⎥

⎢⎢

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛+=

nm

scttt

σσσμ , (V.32)

et en fatigue dynamique

22

01),(

⎥⎥

⎢⎢

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛+=

nm

dcttt

σσσμ . (V.33)

Ainsi, par exemple, en fatigue statique, lorsque le temps de sollicitation est inférieur au temps caractéristique , on n’a pas de rupture différée (s

ct 1),( ≈tσμ ) et la loi de Weibull classique [équation (V.30)] s’applique. Dans le cas contraire, pour un volume 00 /1 λ=V soumis à de la

traction, la probabilité de rupture erP s’écrit

⎥⎥⎥

⎢⎢⎢

⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛−−=

−2

0exp1

nm

er t

tP (V.34)

où . Pour les céramiques et les verres, le module de Weibull m est généralement plus petit que n. Ceci implique que le module de Weibull apparent des temps à rupture peut prendre des valeurs petites par rapport à m, en particulier inférieures à 1. Ceci signifie que les temps de rupture se produisent sur un intervalle temporel de plusieurs ordres de grandeur.

nctt )/( 00 σσ=

)2/( −nm

Ce type d’approche, basée sur l’hypothèse du maillon le plus faible, permet de décrire les effets d’échelles couramment observés dans les matériaux à comportement fragile [64, 65, 66, 67]. Mal compris ou omis, ceux-ci peuvent conduire à des sur-estimations souvent catastrophiques de la résistance de structures comparée à celles obtenues sur des éprouvettes en laboratoire. Appliquée à l’analyse des essais de la figure V.4 sur un ferrite spinelle MnZn, une prévision raisonnable peut être obtenue [15].

Notons également que des procédures basées sur des tests d’épreuve, au cours desquelles la structure est soumise à des sollicitations supérieures à celles envisagées en cours d’utilisation normale de manière à éliminer les défauts les plus grands, constituent une parade intéressante à l’aspect aléatoire de la rupture [68]. Appliquées à la fissuration sous-critique, elles permettent d’obtenir une bonne estimation de la durée de vie en utilisant les résultats du paragraphe V.3.3.1 dans lequel la contrainte associée au test d’épreuve est prise égale à 0σ et la contrainte de service correspond à rσ . Dans ce type d’approche, il faut veiller à ce que le temps caractéristique de sollicitation lors du test d’épreuve soit suffisamment petit pour éviter une fissuration sous-critique. Dans le cas contraire, des corrections peuvent être nécessaires [69].

Enfin, remarquons l’existence de démarches de conception fiabiliste (e.g., arbres de défaillance, analyse des modes de défaillances) qui utilisent des modèles assez fins discutés

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précédemment ou des données codifiées en fonction de la défaillance analysée. Couplées à des essais aggravés conduits le plus tôt possible (i.e., le plus en amont dans la phase de conception) et en utilisant différentes méthodes qui nous arrivent des USA (e.g., Halt, Strife, Hass [43]), elles devraient permettre de réduire la durée de développement d’un produit, accélérer sa maturité et diminuer significativement les retours-clients.

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