419
« Je connais le monde, le monde m’appartient » Balzac Introduction générale La guerre du savoir a commencé, écrivait Baumard (1999 :61). Les organisations se différencient désormais par leur capacité à créer de nouvelles connaissances et à mobiliser l’intelligence et l’imagination de leurs ressources humaines (Parent et al., 2007). Leur avantage concurrentiel est tributaire de leur aptitude à se construire des savoirs et des savoir-faire distinctifs, à renouveler leurs idées et pratiques au regard d’un environnement continuellement en mouvement. Dans un marché marqué par la compétition où le changement est devenu la règle et la stabilité l’exception, la connaissance est considérée aujourd’hui, pour l’ensemble des théoriciens et des praticiens du management, comme la ressource refuge ; un levier de développement essentiel. Pour Jacob et Pariat (2000 : 7), elle est « le carburant de la nouvelle économie » et pour nombreux experts, c’est le seul véritable avantage compétitif qu’une organisation peut s’approprier face à ses concurrents. La connaissance est ainsi devenue non seulement une capacité pour entamer les difficultés et résoudre les problèmes rencontrés mais aussi un substrat crucial pour l’efficience et le développement de l’entreprise. Objet, à la fois, productif et de production, la connaissance se déploie et en même temps se renforce et s’enrichit. Dans un procès dynamique, elle autorise la production et se reproduit. L’exploitation du savoir devient ainsi source de création de richesse et d’expansion. De nouvelles approches de connaissance voient le jour, de nouvelles manières de faire apparaissent. Aujourd’hui, l’économie du savoir est une activité économique à part entière. Dans cette nouvelle économie, la connaissance y est prépondérante et parmi les 1

Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

«  Je connais le monde, le monde m’appartient » Balzac

Introduction générale

La guerre du savoir a commencé, écrivait Baumard (1999 :61). Les organisations se différencient désormais par leur capacité à créer de nouvelles connaissances et à mobiliser l’intelligence et l’imagination de leurs ressources humaines (Parent et al., 2007). Leur avantage concurrentiel est tributaire de leur aptitude à se construire des savoirs et des savoir-faire distinctifs, à renouveler leurs idées et pratiques au regard d’un environnement continuellement en mouvement. Dans un marché marqué par la compétition où le changement est devenu la règle et la stabilité l’exception, la connaissance est considérée aujourd’hui, pour l’ensemble des théoriciens et des praticiens du management, comme la ressource refuge ; un levier de développement essentiel. Pour Jacob et Pariat (2000 : 7), elle est « le carburant de la nouvelle économie » et pour nombreux experts, c’est le seul véritable avantage compétitif qu’une organisation peut s’approprier face à ses concurrents.

La connaissance est ainsi devenue non seulement une capacité pour entamer les difficultés et résoudre les problèmes rencontrés mais aussi un substrat crucial pour l’efficience et le développement de l’entreprise. Objet, à la fois, productif et de production, la connaissance se déploie et en même temps se renforce et s’enrichit. Dans un procès dynamique, elle autorise la production et se reproduit. L’exploitation du savoir devient ainsi source de création de richesse et d’expansion. De nouvelles approches de connaissance voient le jour, de nouvelles manières de faire apparaissent. Aujourd’hui, l’économie du savoir est une activité économique à part entière. Dans cette nouvelle économie, la connaissance y est prépondérante et parmi les facteurs de production : capital et travail, elle est la ressource la plus prometteuse ; la plus féconde. Dans les entreprises à haute valeur immatérielle, en effet, « la part du capital intangible dépasse celle du capital tangible dans le stock réel de capital » écrivait Foray (2000 : 3).

L’avènement de l’économie de la connaissance et son importance grandissante dans la création de la valeur ont suscité, tout au long des deux dernières décennies, l’intérêt de nombreux analystes et fait l’objet de plusieurs recherches et investigations. Les premières conceptualisations de cette nouvelle économie ont été toutes marquées par les questions afférentes à la production et l’acquisition

1

Page 2: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

du savoir. Elles ont été entreprises essentiellement par les grandes institutions de recherche et d’éducation. Depuis, la recherche sur l’économie de la connaissance se trouve progressivement élargie pour intégrer d’autres dimensions en rapport plus ou moins direct ou indirect avec son développement et les conditions de son renforcement. Ainsi, plusieurs recherches prennent aujourd’hui pour analyse diverses questions telles que les processus d’apprentissage, la formalisation et la conservation des savoirs, les méthodes de leur transfert, la détection des meilleures expertises et pratiques, la protection et le développement des compétences, etc. Plusieurs, parmi ces recherches, voulaient voir les rapports d’interférence entre le contexte organisationnel et l’ensemble des savoirs produits et partagés. Comment au sein d’une organisation donnée, les acteurs, à travers leurs interactions quotidiennes, s’échangent-ils leurs expériences et mettent-ils en partage leurs expertises ? Une telle orientation a donné lieu à une abondante littérature portant sur l’apprentissage organisationnel, l’organisation apprenante et plus récemment la gestion des connaissances.

L’avènement et le développement de l’économie du savoir ont poussé les organisations à focaliser leurs intérêts sur leurs activités immatérielles et à structurer leurs fonctions pour servir et tirer profit de leurs richesses immatérielles. L’entreprise doit ainsi chercher à développer et protéger ses connaissances ; à favoriser les mises en réseau pour créer une dynamique d’innovation, bref, la gestion des connaissances est devenue pour plusieurs entreprises, une pratique managériale déterminante. Ainsi, toutes «les pratiques visant la création, l’acquisition, le partage et l’application des savoirs afin d’autoriser l’apprentissage et la performance des organisations » (Scarbrough, 1999 : 18) sont devenues des maîtres mots pour les entreprises et des principes de conduite incontournables pour les gestionnaires. Appliquer les connaissances au travail, accéder aux nouvelles connaissances, les mettre à la disposition de tous les utilisateurs, les actualiser et les améliorer constamment…, telles sont les principales actions nécessaires pour entamer et réussir une gestion des connaissances1.

Outre son importance dans l’équation de la compétitivité, la gestion des connaissances serait aussi en mesure de remédier aux dysfonctionnements en matière de gestion du capital intellectuel. Une gestion efficiente des savoirs présume que les organisations, pour ne pas se retrouver contraintes à les réinventer continuellement, doivent pouvoir les sauvegarder et les mettre, à chaque fois qu’il est 1 Les termes de gestion des connaissances, gestion des savoirs, management des connaissances et knowledge management renvoient à la même signification. Nous les utilisons de manière indifférenciée.

2

Page 3: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

nécessaire, à la disposition de l’ensemble des utilisateurs. Sans une gestion adéquate, l’entreprise sera dans l’obligation de recourir à des expertises externes ou à retracer le parcours historique de leur fonctionnement. La déperdition des expertises par oubli ou simplement en raison de comportements claniques et territoriaux chez certains experts, serait source de dépense et de gaspillage (Jacob et Pariat, 2000).

L’adoption de la gestion des connaissances par les organisations s’est faite selon des perspectives très diverses. Dans certains cas, la gestion des connaissances est mobilisée pour identifier les ressources porteuses d’expertise dans l’organisation. Plusieurs organisations de grande taille éprouvent en effet du mal à les identifier et les préciser. Elles s’en trouvent ainsi privées d’un capital d’intelligence qui échappe à leur contrôle et qui peut être copié ou encore spolié par les concurrents (O’Dell et Grayson, 1998 ; Ballay, 2003). Face à de tels risques, la gestion des connaissances intervient pour cartographier les savoirs et les sources d’expertises internes, en les formalisant, les stockant en vue d’assurer leur protection.

Dans d’autres entreprises, le management des connaissances vise à développer simultanément les capacités de partage et de création des connaissances. En intervenant sur les deux plans, en même temps, les organisations espèrent motiver leurs collaborateurs à partager horizontalement leurs connaissances et expertises. En deuxième lieu, elles cherchent à développer les capacités d’innovation de l’entreprise en structurant les processus de création des savoirs. A ce niveau, l’entreprise tente de réunir les conditions techniques et humaines nécessaires pour permettre l’extériorisation des connaissances tacites des membres de l’entreprise et leur mise en commun afin de déclencher une dynamique d’innovation collective (Geisler, 2007). Enfin, certaines entreprises considèrent que les pratiques de gestion des connaissances sont l’une des solutions possibles aux problèmes de perte de compétences et d’expertises. Confrontées à des phénomènes de turnover fréquents sous l’effet conjugué des pratiques de downsizing et de la mobilité croissante des travailleurs intellectuels, plusieurs organisations se voient incapables de retenir les porteurs d’expertises parfois cruciales et choisissent d’orienter leurs pratiques de gestion des connaissances vers la pérennisation du capital intellectuel acquis (Aramburu et Saenz, 2007).

La connaissance et les tentatives d’un enracinement techniciste

3

Page 4: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La pertinence de la question du knowledge management pour les théoriciens et pour les managers sur le terrain est aujourd’hui évidente. Depuis la publication en 1991 de l’article fondateur du japonais Ikujiro Nonaka sur l’entreprise créatrice de savoir, la recherche sur le management des connaissances s’est constamment enrichie par de nombreux travaux conceptuels et diverses investigations sur le terrain. Le management des connaissances est devenu un objet de recherche central et une problématique constamment sollicitée dans les sciences de gestion.

Cependant, en dépit de l’intérêt constant pour cette thématique, la lecture de l’ensemble de la production théorique révèle une orientation plutôt techniciste de la recherche. La littérature sur le knowledge management foisonne d’ouvrages et de discours dont l’empreinte est, à notre avis, essentiellement instrumentale. Dans la plupart de ces écrits, l’intérêt a été souvent focalisé sur l’importance des systèmes d’information et des technologies de communication sur la production et le développement des connaissances, sur leurs répercussions « salutaires » sur la conduite et le contrôle des organisations. Dopées par une industrie du conseil en pleine euphorie, les organisations se laissent rapidement séduire par l’introduction et la mise en place d’outils techniques et de démarches formalisées pour gérer leurs connaissances. Les systèmes informatiques, les répertoires électroniques, les pages jaunes, les dispositifs de retour d’expériences, les référentiels normatifs et bien d’autres procédures et instruments ont vu le jour avec pour seule fin la codification et le stockage des informations et des expertises de l’organisation.

L’approche techniciste, formée par l’ensemble des outils, instruments, procédures formelles et systèmes informatiques, considère que c’est la formalisation qui autorise l’utilisation et le développement des connaissances. Cette approche est représentée par trois écoles : l’école des systèmes, l’école de la cartographie et l’école de l’ingénierie de la connaissance. L’ensemble des adeptes de ces écoles considère que les TIC sont essentielles à l’acquisition de nouvelles expertises et à l’enrichissement des expertises individuelles et collectives. Ainsi, la connaissance n’est plus l’apanage des humains et de leur mise en organisation, elle est principalement l’œuvre des systèmes. « Le paradigme de l’ordinateur », selon l’expression de Varela (1989 : 12), devient aujourd’hui une réalité de plus en plus probante. Par le biais de l’intelligence artificielle et des systèmes experts, la « machine » est désormais capable de simuler des raisonnements complexes et pertinents, d’accroître les connaissances et d’aider à la prise de décision, soutient Pirat (1987).

Problématique et question de recherche 

4

Page 5: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

En dépit de l’importance cruciale de l’informatique et son développement extraordinaire dans le domaine du knowledge management, plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui, dans un mouvement de balancier de plus en plus fort, pour rappeler les multiples écueils d’une telle approche et les nombreux échecs qu’ont connu les démarches technicistes de la gestion des savoirs (Grimand, 2006 ; Christensen, 2007). De plus en plus de décideurs sont déçus par les faibles retours sur investissements que les techniques et systèmes de gestion des connaissances ont finalement généré (Mc Dermott, 1999). Par delà les pétitions de principe et l’évocation consommée de success stories, les retours d’expérience restent souvent décevants : intranets ou portails de connaissances sous-exploités, forums de discussion désespérément vides, réticence des experts à partager leur savoir-faire et prégnance des logiques de territoire, désintérêt pour les connaissances acquises et mises en commun, etc. (Grimand, 2006). Dans ce mouvement de questionnement critique, plusieurs auteurs se demandent si cet excès de « technicisation » de la gestion des connaissances n’a pas en définitive porté préjudice à la connaissance ? Si le formatage des savoirs et le partage canonisé des savoir-faire ne sont à l’origine d’une véritable désaffection à l’égard d’une telle gestion ?

L’enracinement du management des connaissances dans un registre techniciste est porteur d’écueils pour son développement et d’inefficience dans ses résultats et finalités. Selon la logique techniciste, l’outil serait investi d’une force autonome ; il n’a besoin ni d’être contextualisé, ni d’être approprié par les opérateurs. Il traduit ainsi sa propre volonté. Ses injonctions sont atemporelles et son mode de faire décontextualisé. L’acteur est simplement utilisateur. Il est autre et entretient avec l’instrument un rapport d’extériorité. Etranger à son travail, ses comportements sont le produit d’une prescription extérieure. C’est un acteur désincarné, sans désirs, buts ou stratégies. L’ordre  techniciste uniformise les différences et conforme les agir. Il inhibe toute alternative de faire autrement, de modifier la trajectoire de l’action.

La logique instrumentale évacue dans les procès de gestion des savoirs toutes les questions relatives au vécu social, à la coopération, au pouvoir, aux interactions, bref à la gestion des ressources humaines, à la structuration des facteurs et au contexte de l’action. Pourtant, la connaissance est une production sociale. Son déploiement et ses mouvements s’inscrivent totalement dans les rapports inter sociaux. Evacuer les ressources humaines et le contexte de leur action porterait préjudicie à la connaissance et son devenir.

5

Page 6: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Parce que la connaissance est le produit renouvelé d’acteurs sociaux situés, le management de la connaissance, loin de se contenter des approches et instruments technicistes, doit principalement tenir compte des acteurs et de leur mise au travail. De la manière de les commander, organiser, conduire et contrôler. Dans ce cadre, notre question de recherche sera posée comme suit.

La gestion des ressources humaines est-elle un levier essentiel dans la gestion des connaissances ?

Autrement formulée, nous chercherons à voir dans ce travail si la manière de manager les RH a de l’effet sur les processus de création, de partage et d’application des connaissances ? L’objectif est de démontrer que la gestion des savoirs et des savoir-faire de l’entreprise est fortement dépendante de sa manière de gérer ses ressources humaines.

A travers cette problématique, nous sérions, en outre, appelés à apporter des éclairages sur plusieurs questions connexes dont notamment les trois dimensions suivantes :

Au regard des nombreuses insuffisances conceptuelles associées à la recherche sur le management des connaissances, nous nous donnons comme sous objectif la réhabilitation des dimensions sociale, humaine et culturelle du management des connaissances.

En dépit de l’importance des ressources humaines dans la création de la richesse de l’entreprise, l’insuffisance de fondements théoriques et la rareté de confirmations empiriques rendent difficile l’évaluation de sa contribution dans l’aboutissement de la gestion de la connaissance. Une seconde ambition de cette thèse est de proposer un cadre conceptuel intégratif qui permet d’apprécier le rôle des pratiques de GRH dans le développement des habiletés et des savoirs circulants dans l’entreprise.

Outre le cadre conceptuel que nous chercherons à élucider à travers la recherche théorique, notre travail se veut aussi pratique. Nous nous intéressons au concret réel des entreprises tunisiennes et nous investiguons leurs méthodes et manières de gérer leur potentiel immatériel. L’analyse d’un contexte spécifique nous permettra de dégager des enseignements spécifiques et d’annoncer, le cas échéant, des recommandations de nature à promouvoir de nouvelles pratiques de gestion des expertises.

6

Page 7: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Tel est l’axe mobilisateur de notre recherche. Au regard de celui et à la lumière des questionnements et des ambitions que nous nous sommes donnés, nous organisons notre analyse de manière conséquente.

Organisation de la thèse

Pour répondre à notre question centrale et aux trois ambitions retenues, nous adoptons le plan de travail suivant :La première partie est réservée à la spécification du cadre théorique de l’étude. Le chapitre 1 a pour objectif de définir la gestion des connaissances ainsi que ses différents soubassements théoriques. La valeur fonctionnelle des processus de gestion des connaissances y est également discutée. Thème nouveau et relativement peu exploré dans les milieux de l’entreprise et de la recherche en Tunisie, le management des connaissances est analysé dans ses principales facettes. Le chapitre 2 poursuit plusieurs objectifs. Il ambitionne de dévoiler les multiples insuffisances inhérentes au cadre conceptuel actuel. A travers une lecture critique de la littérature, ce chapitre cherche à dépasser les impasses résultant du réductionnisme technique qui marque les travaux actuels sur le knowledge management. L’importance de la construction d’un cadre théorique renouvelé est démontrée. Face à la nécessité de développer les capacités de gestion des connaissances, la recherche ne peut pas se permettre de faire l’économie d’une réflexion sur l’importance de la dimension organisationnelle. La mobilisation des apports de la théorie de l’encastrement social (Grannovetter, 1985 ; 1992) permet d’apprécier l’importance du capital humain et du climat d’apprentissage dans l’amélioration des capacités d’appropriation des connaissances par les organisations. Le chapitre 3 propose l’intégration de la gestion des connaissances dans une problématique de gestion des ressources humaines. Il permet d’apprécier l’importance, sur les plans théorique et pratique, de considérer des stratégies et des pratiques de GRH comme levier de gestion des savoirs. Nous y spécifions les choix définitionnels de la recherche, en particulier celui se rapportant aux pratiques de GRH censées favoriser le knowledge management. Ce chapitre sera focalisé sur la modélisation des liens entre la GRH, le capital humain, le climat d’apprentissage et les processus de gestion des connaissances. Les hypothèses de recherche sont alors présentées.

7

Page 8: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La seconde partie de cette recherche comporte la validation empirique du modèle construit.Le chapitre 4 est consacré à une discussion des choix méthodologiques. Si cette thèse se positionne dans l’épistémologie positiviste, l’appareil méthodologique qu’elle mobilise consacre ouvertement le principe de la complémentarité des paradigmes. Approche qualitative et quantitative sont ainsi combinées de manière à permettre de cerner au mieux toutes les composantes rendues nécessaires par la problématique de recherche. Exploratoire, notre enquête se base essentiellement sur une analyse d’entretiens auprès des DRH et des cadres opérationnels d’exploitation. L’analyse de contenu est choisie comme mode d’interprétation des données.Le chapitre 5 propose dans un premier temps de tester l’évaluation de la fiabilité et de la validité de l’instrument de mesure utilisé. A l’aide d’outils statistiques, en l’occurrence par le recours aux méthodes de régression, nous apprécions ensuite le modèle de recherche. Les résultats de cette recherche sont enfin discutés et confrontés aux résultats disponibles. Dans la mesure du possible, les données issues de l’analyse de contenu des entretiens exploratoires seront utilisées pour discuter les résultats de la recherche quantitative. Au regard des informations collectées, des comparaisons seront établies et par référence aux apports théoriques, nous chercherons à dégager des enseignements « actionnables » quant aux pratiques de GRH à même de favoriser la construction et le développement des connaissances.

Figure 0-1. Schéma général de la recherche Introduction générale : contexte de l’étude, problématique, objectifs de la recherche et organisation générale de la thèse.

Première partieLe management des connaissances revisité : pertinence et apports d’une

lecture par le rôle de la GRH IntroductionChapitre 1 : pour une meilleure compréhension du management des connaissances : soubassements théoriques, contextes d’entreprises et principes structurants.

Chapitre 2 : réhabilitation de la dimension « organisationnelle » du management des connaissances : rôle du capital humain et de la structure organisationnelle.

Chapitre 3 : contribution à la perspective organisationnelle : production d’un modèle théorique sur le rôle de la GRH dans la gestion des connaissances.

8

Page 9: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Deuxième partieMise en œuvre d’un modèle sur le rôle de la GRH dans les processus de gestion des connaissances : exploration et validation dans le contexte

tunisien. IntroductionChapitre 4: spécification du cadre opérationnel de la recherche : une étude qualitative exploratoire et conception du questionnaire de recherche

Chapitre 5 : vers une meilleure compréhension du rôle de la GRH dans le management des savoirs : validation empirique du modèle théorique.

Conclusion générale : apports théoriques et empiriques de la recherche, limites conceptuelles et méthodologiques et perspectives de recherche.

Première partie

Le management des connaissances revisité : pertinence et apports

théoriques d’une lecture par le rôle de la gestion des ressources humaines.

9

Page 10: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Introduction de la première partie

La gestion des savoirs paraît s’inscrire dans un déterminisme techniciste assez réducteur. Selon les protagonistes technicistes, la connaissance serait plutôt un objet désincarné ; une production tout à fait extérieure, à la fois, aux acteurs impliqués et au contexte de son déploiement. Le savoir serait un bien neutre, un ensemble d’informations codifiées et formatées mis à la disposition de tous les utilisateurs pour s’en servir et le développer sans crainte d’altération ou une quelconque appropriation ou interprétation possibles. Ainsi instrumentalisé, le management des connaissances fait l’économie d’une réflexion nécessaire sur les questions relatives aux acteurs connaissants, aux ressources humaines et au contexte social de leur interaction.

L’objectif de cette recherche est l’intégration du management des connaissances dans une problématique de gestion des ressources humaines. Ce qui nécessite préalablement une véritable remise en question de la recherche présente sur cette question et un réexamen de ses hypothèses et ses conclusions. Après avoir défini le management des connaissances dans toutes ses dimensions, nous procédons à une lecture critique de la littérature dominante. Cette déconstruction théorique du corpus devrait permettre de pointer les insuffisances conceptuelles actuellement en circulation. Une telle lecture permettra aussi de jeter les bases d’une approche « organisationnelle » du management des connaissances.

10

Page 11: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

En outre, la mobilisation des apports de la théorie sociologique de l’encastrement social constitue l’une des principales options conceptuelles de notre recherche. La théorie de l’encastrement social est mobilisée comme « théorie heuristique » qui permet surtout d’apprécier l’importance de la prise en compte du contexte social du knowledge management. Elle sert ainsi indirectement à l’intégration du rôle de la gestion des ressources humaines dans la question de gestion des connaissances.

L’apport de la théorie de l’encastrement social est surtout perçu quand on intègre dans l’analyse du knowledge management des variables comme le capital humain et le climat organisationnel. Selon la construction théorique suivie dans cette première partie, la génération, le partage et l’application des savoirs sont tributaires de deux éléments : les compétences des individus et le degré auquel le « climat organisationnel » semble favoriser l’apprentissage. Ces choix conceptuels justifient la prise en compte et l’analyse du rôle de la gestion des ressources humaines dans l’amélioration des capacités de gestion des connaissances.

Orientée vers l’analyse du rôle de la GRH, la problématique posée nous fournirait au moins deux apports théoriques essentiels. D’abord, elle enrichit le corpus sur le knowledge management en proposant une approche renouvelée de la question. L’approche organisationnelle est très peu explorée quand il s’agit de la gestion des connaissances. Cette analyse devrait permettre d’en esquisser une conceptualisation significative. Ensuite, elle présente un intérêt probant pour le champ du management stratégique des RH. En effet, notre problématique serait opportune pour montrer la contribution de la GRH à la performance organisationnelle.

11

Page 12: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Chapitre 1

Pour une meilleure compréhension du management des connaissances :

soubassements théoriques, contextes d’entreprises et principes structurants.

La gestion des connaissances s’inscrit dans le champ des nouvelles problématiques organisationnelles. Elle incarne la réponse managériale aux nouveaux postulats d’une économie fondée sur les connaissances (Foray, 2000). Le savoir, cette ressource immatérielle à grande valeur ajoutée, est aujourd’hui à l’œuvre dans les principales problématiques qui lui sont familières : l’innovation, le changement organisationnel, le management de la qualité totale, la veille stratégique, le renouvellement du management des ressources humaines et le développement durable. Le management des connaissances devient un thème de recherche fortement sollicité en sciences de gestion. Les écrits spécialisés à ce sujet sont nombreux et extrêmement variés. Cependant, une première lecture de la production théorique permet de repérer certaines insuffisances. La première de ces insuffisances

12

Page 13: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

découle du flou sémantique de la notion de connaissance. Souvent indifférenciée de l’information, la connaissance est appréhendée par plusieurs chercheurs comme une somme organisée d’informations. La deuxième insuffisance est directement attribuable à l’idée selon laquelle le management des connaissances est une problématique principalement opérationnelle et mécanique. Dans le prolongement de cette idée, plusieurs auteurs dénoncent le faible ancrage théorique du management des connaissances et le considèrent simplement comme une mode de management (Swan et al, 2000 ; 2001). Une telle assertion semble occulter deux faits importants: d’abord, l’enracinement théoriques du management des connaissances dans l’approche par les ressources et les connaissances; ensuite, la valeur stratégique que représentent les activités de gestion des connaissances pour l’entreprise.

Ce premier chapitre vise à définir ce qu’est au juste le management des connaissances. Cela nécessite dans un premier temps d’expliciter le cadre conceptuel relatif à la notion de connaissance (Section I). En deuxième lieu, il est indispensable de revenir sur les implications théoriques du management des connaissances. Les développements de l’approche par les ressources et les connaissances permettent d’illustrer l’importance stratégique du management des connaissances. Une telle importance est souvent critiquée et mise en difficulté dans la littérature (section II). Enfin, dans la section III, nous rappellerons comment les processus de gestion des connaissances sont différemment mobilisés par les entreprises et comment se déploie sa démarche au concret-réel.

13

Page 14: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section I : la notion de connaissance dans les sciences de gestion : les nécessaires  clarifications conceptuelles

La connaissance n’est pas une notion nouvelle. Qu’il s’agisse du domaine de l’école, de la société ou du travail, la connaissance a fait l’objet d’importants écrits et ce, depuis la Grèce antique. Ce qui est nouveau dans la connaissance, c’est qu’elle est de plus en plus présente dans la littérature économique et gestionnaire. De plus en plus de recherches en management portent sur la notion de connaissance. Cet intérêt ne peut être dissocié des discours actuels sur l’économie fondée sur le savoir (Foray, 2000)2. Les chercheurs comme les praticiens y voient une nouvelle ressource organisationnelle qui contribuerait à la performance de l’entreprise. Oubliée pendant un siècle et demi d’industrialisation, la connaissance est aujourd’hui considérée comme une ressource vitale pour les organisations qui évoluent dans des environnements hypercompétitifs.

L’examen de la littérature spécialisée montre que la connaissance a été analysée selon différentes perspectives. Ainsi, il n’existe pas une 2 A titre d’exemple, l’Union Européenne s’est donné, depuis Mars 2000 à l’occasion du sommet économique et social de Lisbonne, un nouvel objectif stratégique pour la première décennie du millénaire : « Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. »

14

Page 15: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

définition complète et unanimement acceptée de cette notion. Ce flou sémantique est renforcé par le nombre croissant de typologies proposées par les théoriciens de la connaissance. De telles typologies ne sont pas forcément complémentaires car elles sont développées dans des contextes de recherche particuliers. Elles construisent également leurs hypothèses sur des travaux qui ne sont pas forcément convergents. Ceci renforce les difficultés à cerner la portée de la notion de connaissance et à en apprécier l’utilité à la fois gestionnaire et théorique. Pour certains, cette pluralité de perspectives est importante pour la richesse du concept et pour une meilleure compréhension de ses dimensions. Ceci est vrai dans le sens où le champ de la théorie de la firme basée sur la connaissance est en plein développement.

Afin d’améliorer notre compréhension de la notion de connaissance, nous proposons de revenir dans le cadre de cette section sur l’ensemble des travaux relatifs à cette notion et de les prendre en analyse. Une attention particulière sera accordée à la distinction, capitale et utile, entre les notions de connaissance et d’information.

I.1 Définitions de la connaissance

La connaissance a été définie de plusieurs manières et suivant différentes perspectives. Les définitions que nous avons puisées dans la littérature ne sont pas forcément convergentes. Il est généralement difficile de voir un lien solide entre une définition et une autre. Cette multiplicité de définitions pourrait s’expliquer par le fait que le champ du management des connaissances est actuellement en pleine constitution. Des divergences au niveau sémantique sont acceptées à cette phase. Toutefois, le rythme de diffusion de ces définitions est très poussé sans qu’un effort d’harmonisation de l’ensemble des perspectives ne soit entrepris au niveau de la communauté des chercheurs. L’on aboutit ainsi à une sorte de tintamarre sémantique qui creuse les divergences et empêche de voir les possibilités de synergie et de complémentarité entre les définitions. En effet, il s’avère difficile de pouvoir ramener les définitions de la connaissance à des écoles particulières et d’en dresser une typologie stable. Egalement, il n’est pas difficile de remarquer que quasiment aucun article n’a été jusque là consacré à la confrontation des différentes définitions du concept de connaissance. Même les travaux sur la théorie de la firme centrée sur la connaissance3 ne semblent pas partager une définition claire et stable de la notion de connaissance.

3 Knowledge-based theory of the firm.

15

Page 16: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Ikujiro Nonaka, pionnier de l’approche centrée sur la connaissance, remarque que le discours sur la connaissance a fait couler beaucoup d’encre. Selon l’auteur, « l’histoire de la philosophie depuis la Grèce antique peut être regardée comme une recherche infinie du sens du concept de connaissance » (Nonaka, 1994: 15). L’approche suivie par Nonaka considère la connaissance comme une croyance personnelle qu’il faut justifier.

De leur coté, Bollinger et Smith définissent la connaissance comme étant la compréhension, la conscience ou la familiarité acquises par l’étude, l’investigation, l’observation ou l’expérience à travers le temps (Bollinger et Smith, 2001). Cette définition met l’accent sur le caractère dynamique de la connaissance. Celle-ci évolue avec l’expérience des individus et s’enrichit de leurs réflexions. Ces auteurs rejoignent l’idée de Schulz selon laquelle la notion de connaissance ne peut être dissociée de l’apprentissage des individus dans l’organisation (Schulz, 2001). Pour Schulz, la connaissance évolue au travers d’infinis processus d’apprentissage, des expériences et des problèmes rencontrés. En effet, plus l’individu rencontre des situations problématiques, plus il capitalise des savoirs et savoir-faire propres à améliorer ses capacités de résolution des problèmes. La connaissance pour Schulz consiste en un ensemble d’hypothèses sur les problèmes et leurs solutions. Cette définition met en avant une caractéristique fondamentale de la connaissance. Celle-ci n’évolue que par l’action. La connaissance n’est pas un stock détenu d’une manière définitive par l’individu. Elle est le plus souvent le fruit d’apprentissages et d’enseignements tirés des expériences passées.

Une autre perspective de la connaissance permet de l’examiner comme étape dans le processus de transformation de l’information. Ainsi pour Bollinger et Smith, la connaissance serait aussi une interprétation individuelle de l’information qui se base sur les expériences, les talents et les compétences personnelles (Bollinger et Smith, 2001). Afin de développer sa théorie de la firme basée sur la connaissance, Julia Liebeskind définit la connaissance comme « de l’information dont la validité a été établie à travers des tests et des preuves » (Liebeskind, 1996: 94). A l’origine donc, la connaissance est définie par Liebeskind comme essentiellement de l’information. Une telle acception, nous le verrons ultérieurement, n’est pas exempte de limites. Cependant, ce qui semble original dans cette définition, c’est la volonté de l’auteur de distinguer la connaissance comme information prouvée et testée des opinions, spéculations, croyances ou autres types d’informations non prouvées.

Une première comparaison entre l’idée de Nonaka et celle de Liebeskind s’impose ici. Alors que Nonaka définit la connaissance

16

Page 17: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

comme processus dynamique de justification des croyances personnelles, Liebeskind y voit un état fini d’une information prouvée et testée. Le niveau d’analyse des deux auteurs n’est donc pas le même. Les conséquences de cette différence sont importantes pour les développements théoriques des deux auteurs. C’est ainsi que Nonaka s’engage dans une réflexion sur la création de nouvelles connaissances (caractéristique dynamique), alors que Liebeskind fonde sa théorie de la firme sur les capacités de protection de la connaissance (état fini de la connaissance qui existe et qui attend à être protégée).

I.2 Connaissance et information : des différences significatives

Pour plusieurs auteurs, la connaissance et l’information sont simplement synonymes. Pour Mayère (1995), « la société de l’information » et « la société du savoir » signifient la même chose… Pourtant, la connaissance, dans sa substance, ses procès d’acquisition et dans sa démarche n’est pas l’information. Elle ne procède pas de la même logique et ne présume pas les mêmes trajectoires et conditions. Connaître est une « opération active qui suppose des capacités de mémorisation (…), des mécanismes de raisonnement applicables aux connaissances mémorisées » (Gallaire, 1987 : 267). Résultat d’un flux continu d’expériences, de praxis, de raisonnement et d’ouverture sur l’environnement et sur les expertises circulantes, la connaissance serait une aptitude en mue, un potentiel d’apprentissage, une capacité cognitive à même d’inférer de nouvelles informations et connaissances. Dans un procès continu d’assimilation- accommodation suivi à chaque fois par une équilibration au niveau perceptif, l’individu change de significations et de modes d’action (Piaget, 1967). La prise d’une nouvelle connaissance (co-naissance) serait pour l’individu connaissant équivalente à une nouvelle naissance.Si le connaître est un procès poïétique, c'est-à-dire, qu’il est à la fois « formatif » et « productif », informer serait simplement une action visant à donner une forme aux données recueillies. C’est un procès de formatage et d’organisation d’un ensemble de signaux souvent « inertes ou inactifs, ne pouvant par eux-mêmes engendrer de nouvelles informations » (Foray, 2000 : 9) et dont la signification serait plutôt « codépendante et construite, plutôt que (…) représentationnelle et instructive » (Varela, 1989 : 12). Ainsi, prendre connaissance d’une information, c’est chercher à la traduire au regard d’une sensibilité construite, d’une perception préalable. A partir de sa représentation, ces « cadres d’interprétation du réel, de repérage pour l’action » (Jodelet 1984 : 26), l’individu forme ses significations et décide de ses choix. Ainsi, comme le précisait Piaget, l’important n’est

17

Page 18: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

pas le signal reçu, le stimulus, « mais la sensibilité au stimulus et celle-ci dépend naturellement la capacité de donner une réponse » (Piaget, 1967 : 63). La connaissance serait une capacité de réponse, le produit d’informations « travaillées », pensées et traduites en fonction d’une structure cognitive d’accueil et à la lumière des pratiques et des interactions quotidiennes. Cette connaissance n’est jamais définitive. En s’informant, l’acteur re-forme ses schèmes et change de sensibilité ; il comprend autrement les informations recueillies. Le plus essentiel n’est donc pas dans l’utilisation, la duplication et la transmission des informations mais plutôt dans la construction des sensibilités, des cadres cognitifs. Des sensibilités à construire par des apprentissages appropriés. Pour tirer profit des informations circulantes et des TI, le savoir apprendre est crucial pour développer l’intelligence de chacun et renforcer sa capacité d’analyse et son imagination. Un savoir apprendre à même de retoucher les structures d’accueil donnant ainsi sens et affinement aux informations collectées. Sans un tel savoir apprendre appuyé par un management des ressources humaines idoine, les informations collectées et l’ensemble des technologies de l’information ne seraient que d’un apport marginal. Plusieurs enquêtes et analyses l’affirment.

En analysant les échecs des projets de gestion des connaissances à vocation technologique, McDermott (1999) focalise sur la nécessaire distinction entre informations et connaissances. Il présente six caractéristiques qui différencient les deux concepts.

La connaissance est un acte humain La connaissance est le résultat de la réflexion La connaissance est créée dans l’ici et le maintenant La connaissance appartient aux communautés La connaissance circule entre les communautés de manières

différentes La connaissance nouvelle est créée à la frontière de l’ancienne.

De leur coté, Fahey et Prusak sont parmi les auteurs les plus attachés à l’idée d’une différenciation entre donnée, information et connaissance. Selon eux, cette différenciation conditionne la réussite ou l’échec de la gestion des connaissances dans l’organisation. Pour ces auteurs “si la connaissance continue à être assimilée à une donnée ou à une information, alors le management des connaissances ne nous apportera rien de nouveau” (Fahey et Prusak, 1998: 265). Selon ces deux auteurs, une donnée est une représentation discrète et objective qui découle le plus souvent d’une observation. Il n’existe pas de sens et de contexte inhérents à une donnée. Pour un décideur, une donnée ne porte pas en elle même une grande signification. Si elle peut servir à quelque chose dans la compréhension du phénomène, elle ne peut toutefois pas servir de base à la décision. L’information est par contre

18

Page 19: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

subjective. Elle obéit à une intention de la part de l’émetteur. L’information est une collection de données organisées pour donner forme à un message sous une forme visible, imagée, écrite ou orale (Mack, 1995).

Bhatt affirme quant à lui que la distinction entre données, informations et connaissances est quelque peu difficile (Bhatt, 2001). L’information est considérée comme un ensemble organisé de données alors que la connaissance est considérée comme une information qui inclut du sens. Le sens inhérent au concept de connaissance lui ajoute une dimension contingente et contextuelle dans la mesure où le sens découle d’une certaine interprétation de l’information. Cette interprétation est elle-même sujette aux compétences et expériences des individus (Bollinger et Smith, 2001) et se fait en référence à un schéma mental particulier. Ceci suppose que pour une même information, plusieurs interprétations peuvent être faites et des connaissances différentes peuvent être inférées. La connaissance semble donc être individuelle. Pour parler de connaissance de groupe ou d’organisation, il faut qu’il y ait un modèle d’interprétation commun, un référentiel organisationnel public d’analyse et de traitement des informations. Il faut qu’il y ait une cognition collective dans l’organisation. Pour y voir plus clair, nous reprenons ici un exemple développé par Jacob et Pariat (2000). Dans cette illustration pédagogique, les auteurs avancent que la connaissance est une étape dans la chaîne de transformation des données brutes en une forme d’intelligence pratique, qu’il qualifie ensuite de compétence.

Tableau 1.1- Connaissance et concepts voisins Niveau Définition Exemple

DonnéesDes faits non reliés entre eux

Prix d’une action d’une société à la clôture des transactions.

Informations

Données reliées entre elles

Augmentation de 10% du prix de l’action d’une société sur une semaine.

Connaissances

Informations intégrées dans un contexte spécifique

Intégration de la tendance du prix de l’action face aux variations de prix des autres actions dans un portefeuille de placement.

CompétenceConnaissances appliquées aux

Décision de vendre ou de conserver les actions d’une société dans un

19

Page 20: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

s décisions portefeuille de placements. Source : Jacob et Pariat (2000 :7)

Mais en dépit de ces différences, les quatre concepts peuvent se rejoindre. Ainsi, données, informations et connaissances ne sont pas mutuellement exclusives. Bien plus, elles semblent se construire en véritable chaîne de transformation. Les données deviennent de l’information via un mécanisme d’organisation, alors que l’information devient de la connaissance via des mécanismes d’interprétation. Les mécanismes d’organisation font intervenir les capacités de l’organisation, plus précisément celles de son système de traitement des données. L’interprétation, elle, fait intervenir les individus, leurs croyances, leurs modèles mentaux et leurs compétences personnelles (Nonaka, 1994; Bollinger et Smith, 2001). Bhatt (2001) défend la thèse selon laquelle la relation entre les trois concepts est récursive et dépend largement des degrés d’organisation et d’interprétation. Il affirme cette relation en définissent l’information comme ce bien qui est capable de produire du savoir. Ce que le signal d’une information nous montre est exactement ce que l’on peut en apprendre, dit-il. Ce que ces auteurs ne précisent pas cependant, c’est comment ces séquences de transformation (données informations connaissance) peuvent être récursives. En d’autres termes, comment la connaissance pourrait-elle devenir information? Et comment l’information peut-elle devenir donnée? Par quels mécanismes ce processus de « dégradation » du savoir et des informations peut-il avoir lieu? Le silence de la littérature s’étend également aux processus d’organisation des données et d’interprétation des informations. Peu d’analyses sont fournies à ce niveau et le lecteur est laissé aux évidences proposées par les auteurs.

Comme cette brève revue de la littérature le montre, une certaine divergence caractérise les écrits sur le concept de connaissance. Si les uns le voient comme une étape dans la chaîne de transformation des données et des informations, d’autres y voient l’aboutissement d’un processus d’apprentissage. Pour d’autres, c’est simplement des vérités absolues alors que certains y voient des croyances personnelles cherchant à être justifiées. Cette divergence ne doit pas nous surprendre. Le concept a toujours intrigué les grands penseurs du monde de Platon à Popper et peu de consensus est remarqué.

La littérature contemporaine semble prendre conscience de l’ardeur de la tâche quand il s’agit de proposer une définition stable et unanimement acceptée au concept de connaissance. La littérature s’oriente actuellement vers la proposition de typologies de connaissance. Les auteurs cherchent à comprendre la connaissance non en tant que concept abstrait, mais plutôt en tant que construit à

20

Page 21: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

niveaux multiples. La communauté de chercheurs sur la connaissance opte ainsi pour une approche pluraliste en postulant qu’il n’existe pas un seul type de savoir. Une telle approche se base sur le constat implicite que la connaissance est un concept polymorphe, complexe et multidimensionnel.

I.3 Approches typologiques de la connaissance

La communauté de chercheurs sur les connaissances a adopté une approche pluraliste en postulant l’existence d’une multitude de types de connaissances. Les typologies présentes dans la littérature spécialisée prennent en charge l’analyse des différentes dimensions afférentes à la connaissance, concept complexe comme nous l’avons déjà souligné. Le recours aux typologies est quasi-systématique dans les travaux sur la connaissance. Ceci se justifie, à notre avis, par le fait que les typologies permettent de « scinder» le thème en un ensemble de dimensions étroitement reliées et facilitent ainsi sa manipulation empirique. L’analyse des connaissances doit reconnaître qu’il existe différentes formes de savoir qu’il convient de distinguer (Reix, 1995). En effet, chaque dimension et type de connaissance a ses implications sur la stratégie des organisations (Narasimha, 2000). Nous relevons dans la foison des travaux sur la connaissance un ensemble de typologies largement sollicitées. Nonaka (1994) distingue par exemple les connaissances tacites des connaissances explicites. Cette distinction est à la base de sa théorie dynamique de création du savoir où l’oeuvre de création de nouvelles connaissances se modélise à travers un processus de conversion sociale entre connaissances tacites et explicites. D’autres auteurs analysent conjointement les connaissances individuelles et organisationnelles (Cook et Brown, 1999; Von Krogh et al, 1994; Spender, 1996).

Ces deux axes de distinction (tacite/explicite et individuel/organisationnel) feront l’objet d’un intérêt particulier dans cette section. Ce sont en effet ces approches qui ont généré le plus de réflexion dans la littérature. Il est ainsi rare de trouver un article sur la gestion des connaissances qui ne fait pas référence aux travaux de Nonaka (1994) sur les connaissances tacites et explicites ou ne construit pas (explicitement ou implicitement) sur la distinction entre connaissances individuelles et connaissances collectives (ou organisationnelles).

I.3.1 Connaissances tacites / connaissances explicites

La distinction entre connaissances tacites et explicites revient aux travaux fondateurs du chimiste et philosophe Hongrois Michael Polany

21

Page 22: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

qui affirme “We can know more than we can tell” (Polanyi, 1983). Ceci suppose l’existence de deux types de connaissance. La première est une connaissance que l’on peut expliquer aux autres, articulable en des termes clairs et concrets. C’est la connaissance explicite. La seconde est différente. Elle est difficilement articulable et ne peut être transmise via le verbe. C’est la connaissance tacite.

Cette typologie a été largement reprise dans la littérature sur la gestion de la connaissance. Un intérêt particulier a été accordé à la notion de savoir tacite, considéré par les entreprises comme source majeure d’innovation (Nonaka et Takeuchi, 1995; Leonard et Sensiper, 1998). Le savoir explicite est associé aux informations, potentiellement transférables et faciles à imiter par les concurrents. Sa valeur stratégique est souvent remise en cause.

Le savoir explicite:

La connaissance explicite est abstraite, partagée, codifiée et communicable par les symboles. Est explicite toute connaissance pouvant être exprimée en termes concrets. Cette connaissance se partage sous forme d’informations, de formules scientifiques, de procédures écrites…etc. La connaissance explicite renvoie au « know-what », le savoir théorique abstrait qui relève du domaine du public. Étant codifiée, elle est facilement partageable et communicable dans une organisation. Elle circule aussi facilement en dehors de l’organisation et peut être aisément copiée par les concurrents. La question de la protection des savoirs ne se pose pas pour la connaissance explicite puisqu’elle est par définition sujette à toutes les imitations. La connaissance explicite peut revêtir des formes différentes. Ainsi, Zack (1999) distingue la connaissance déclarative qui s’attache à décrire quelque chose, la connaissance procédurale qui explique comment les choses et tâches se réalisent dans l’entreprise et la connaissance causale qui explique pourquoi les choses sont telles qu’elles sont. Cette dernière forme de connaissances se transmet dans l’entreprise sous forme d’histoires et de narration.

L’importance du savoir explicite pour l’organisation ne doit pas être sous-estimée comme semble être le cas dans le corpus. Toute organisation a besoin de savoirs codifiés et connus par tous. Ces savoirs validés, reconnus et utilisés par tous forment les routines de l’organisation. Sans de telles routines qui assoient les règles de production et de fonctionnement, il est difficile d’imaginer un ordre ou un équilibre organisationnel. Dans des environnements hypercompétitifs, toute organisation aura certainement besoin d’une certaine flexibilité et une remise en question de ses savoirs et savoir-

22

Page 23: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

faire afin d’innover et de s’adapter aux stratégies externes. Mais une telle gestation ne doit déboucher sur une refonte chaotique des mécanismes de fonctionnement et des savoirs procéduraux existants. Le savoir explicite et codifié représente ainsi le noyau dur de l’organisation sans lequel il ne peut y avoir ordre et stabilité. Son importance pour l’avenir de l’organisation est équivalente à celle du savoir tacite.

Dans une perspective sociétale, Cook et Brown (1999) affirment que les organisations occidentales sont fondées sur le savoir de type explicite. En cherchant à objectiver, codifier et neutraliser le savoir porté par les employés, ces organisations assoient le rôle des règles formelles et écrites et s’approprient le contrôle des activités, des processus et des compétences dans le travail. Au contraire, les organisations japonaises sont fondées sur le savoir de type tacite. Encourageant l’accumulation des talents, des tours de mains et des savoir-faire individuels, ces organisations font des individus, et non des processus et procédures, la vraie force d’innovation dans l’organisation.

Le savoir tacite:

La connaissance tacite est définie comme étant contextuelle, personnelle, non codifiée et communicable seulement à travers l’activité. Pour Nonaka (1999), la connaissance tacite n’est pas facile à exprimer. Elle est difficilement formalisable et donc à transmettre aux autres. La connaissance tacite revêt deux dimensions: la première est faite de compétences techniques, difficiles à définir et à formaliser. Ces compétences renvoient à une expertise particulière et à un savoir-faire propre aux individus et à l’organisation. L’autre dimension est cognitive. La connaissance tacite est en effet faite de croyances, d’idéaux, de valeurs, de schémas et de modèles mentaux profondément ancrés dans l’esprit des individus.

Dostaler et Boiral (2000) distinguent quatre propriétés relatives à ce type de connaissances, à savoir leur caractère personnel, leur caractère implicite, la difficulté de leur formalisation et leur pertinence opérationnelle.

En premier lieu, la connaissance tacite est personnelle. Cette connaissance appartient aux individus. Elle fait partie intégrante de leurs vécus et expériences. L’acquisition de ces connaissances relève d’une expérience propre à l’individu, d’une appropriation singulière de la réalité. Cette idée est soutenue par Davenport et Prusak (1997) selon qui la connaissance tacite est majoritairement faite de résultats d’apprentissages individuels passés. L’encastrement du savoir tacite

23

Page 24: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dans l’apprentissage individuel rend difficile, voire impossible la séparation de ce savoir de la manière avec laquelle l’individu agit dans l’organisation. Cette première propriété semble être mise en difficulté car certains travaux tendent à montrer que la connaissance tacite peut également être collective ou organisationnelle. Ainsi, et en se basant sur la théorie évolutionniste de la firme de Nelson et Winter (1982), Spender définit l’organisation comme un corps de règles, implicites et explicites, encastrées dans les routines qui guident l’action des individus et restreignent leurs comportements discrétionnaires (Spender, 1996). Les savoirs tacites collectifs font donc partie intégrante des routines de l’organisation. La culture de l’entreprise représente l’exemple type de ces savoirs.

En deuxième lieu, le développement des connaissances tacites se fait essentiellement par apprentissage de type implicite. En observant son maître à l’œuvre, l’apprenti assimile de manière vicariante les routines, savoirs et savoir-faire relatifs à son métier. La connaissance tacite ne se révèle que dans l’action et la pratique. Elle est souvent le fruit des expériences et enseignements tirés des situations passées. Le savoir tacite semble se former en deux temps. Il s’agit d’abord de “mettre la main dans la pâte”, de vivre l’expérience telle qu’elle est. Ensuite, un processus implicite de retour sur l’expérience se déclenche. Cette forme de réflexivité permet de purifier l’expérience de la subjectivité de son contexte et d’en déduire un savoir particulier. Le processus de transformation de l’expérience en savoir, permis par ce retour réflexif, est donc entièrement implicite. Il en résulte que le savoir tacite est indissociable des individus qui le construisent à partir de l’interprétation de l’expérience propre.

La difficulté de leur formalisation représente la troisième caractéristique des connaissances tacites. Celles-ci sont en effet profondément inscrites dans l’action et dans l’engagement individuel. Elles ne sont pas faciles à exprimer et ne peuvent être aisément transmises. Etant donné leur valeur stratégique pour l’entreprise, la codification et la diffusion de ces savoirs subjectifs et personnels représentent des défis majeurs pour les entreprises. Cependant, les tentatives d’explicitation des savoirs tacites se heurtent le plus souvent à plusieurs barrières. Ces barrières sont d’abord relatives à la nature même de cette connaissance: difficile à séparer de son porteur, parfois insaisissable même pour son porteur4 et non inscrite dans des 4 En effet, si Polanyi (1983) affirmait que “nous savons plus que nous pouvons dire”, Leonard et Sensiper (1998), en étudiant l’influence de la connaissance tacite sur l’innovation des groupes vont plus loin et affirment que “nous savons plus que nous ne pouvons réaliser”. Ainsi, l’existence et la valeur de certains savoirs tacites peuvent échapper même à leur porteur.

24

Page 25: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

formes verbales. Elles sont ensuite d’ordre motivationnel dans le sens où les individus refusent de partager leurs savoirs tacites. Stenmark (2001) affirme que les employés n’ont pas intérêt à partager leurs savoirs tacites avec leurs collègues à partir du moment où ils en tirent un avantage compétitif dans leurs organisations. Toujours dans cette perspective individuelle, rien ne motive l’explicitation du savoir tacite quand ses porteurs sont en mesure de l’utiliser dans des situations de production réelles. De telles contraintes ajoutées à des facteurs culturels et structuraux sont des freins au partage des connaissances tacites dans l’organisation.

En dernier lieu, la pertinence opérationnelle est une caractéristique de la connaissance tacite. Celle-ci résulte en effet d’un apprentissage localisé et contingent. Elle répond à un souci d’expertise dans l’accomplissement d’une tâche particulière (Reigner, 1995). La connaissance tacite s’exprime dans l’action. Elle est souvent observable par le résultat des actions des individus. Pour mesurer cette connaissance, il faudrait mesurer son impact sur l’activité et ses résultats directs.

La connaissance tacite est d’une importance stratégique pour l’organisation. D’abord, elle supporte l’innovation entreprise par les acteurs organisationnels dans le sens où la créativité nécessaire à toute innovation émane le plus souvent de ces réservoirs d’expertise invisibles et informels. Ensuite, le caractère tacite et peu formalisable rend difficile l’accès des concurrents aux savoirs de l’entreprise. Mais ce même caractère inhibe en quelque sorte le potentiel de création d’avantages compétitifs. Le transfert interne de ces connaissances étant difficile à réaliser, l’organisation ne bénéficiera véritablement que d’une proportion faible de ces savoirs (Narasimha, 2000).

La distinction entre connaissance tacite et explicite a été comprise, à tort, comme étant l’argument que ces deux connaissances sont différentes, voire exclusives5. Ceci doit être nuancé autant que faire se peut car, comme l’affirmait Polanyi, les connaissances tacites et explicites sont mutuellement fondées (Polanyi, 1983). Cook et Brown (1999) pensent à cet effet que les connaissances explicites ne peuvent être construites qu’en se basant sur un référentiel de connaissances tacites. Toujours dans cet esprit de continuité, Spender (1996) affirme que les frontières entre connaissances tacites et explicites sont floues et poreuses et qu’un va et vient entre ces deux connaissances existe. Nelson et Winter adoptent une position évolutionniste de la théorie de 5 Dans plusieurs recherches récentes, on explique comment la connaissance tacite, contrairement à l’explicite, participe à l’innovation et à la création d’avantages compétitifs durables.

25

Page 26: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

la firme qui s’appuie entre autre sur cette idée de co-existence des connaissances explicites et tacites. Selon ces auteurs, la firme fournit un contexte spécial dans lequel les connaissances tacites et explicites sont sélectionnées via l’interaction avec la réalité économique externe et sont ensuite emmagasinées dans les routines de l’organisation qui seront disponibles pour les prochaines générations d’employés (Nelson et Winter, 1982). Mais les développements les plus conséquents dans ce sens viennent des travaux de Nonaka et ses collègues sur la théorie de la firme créatrice de savoir (Nonaka, 1994; Nonaka et Takeuchi, 1995; Nonaka et Konno, 1998). Leur hypothèse centrale, comme celle de Polanyi, affirme que l’origine de toute connaissance est l’intuition individuelle. Ainsi, leur théorie s’intéresse à la transformation et à la communication du savoir qui existe déjà chez les employés6. La connaissance organisationnelle est l’ensemble des savoirs partagés par les membres de l’organisation. Dans ce processus de partage, la connaissance individuelle est amplifiée et améliorée.

I.3.2 Connaissances individuelles / connaissances organisationnelles

Deux écoles de pensée s’affrontent sur l’aspect individuel ou collectif de la connaissance. Pour certains, la connaissance est avant tout individuelle. Ces auteurs n’envisagent pas d’étendre les concepts de « connaissance », « apprentissage », « mémoire » ou encore « cerveau » au niveau collectif. Pour eux, les organisations n’ont ni mémoires ni connaissances et ne peuvent apprendre comme le font les individus. D’autres auteurs souscrivent à la thèse contraire et estiment que les organisations ont des connaissances qui leur sont propres et peuvent apprendre au même titre que les individus.Nous examinons successivement ces deux types de connaissance. Nous nous arrêterons cependant au niveau de la connaissance organisationnelle (ou collective) pour mieux saisir ses différentes implications.

La connaissance individuelleLa vision cartésienne suppose que l’individu est sinon l’exclusif, du moins le premier dépositaire et manipulateur de la connaissance. Cet intérêt porté à l’individu comme ultime porteur du savoir est reflété dans les propos de Simon  « …all learning takes place inside the heads

6 La théorie de la firme créatrice de savoir de Nonaka et ses collègues s’intéresse à la manière avec laquelle les employés apprennent ce qu’un autre individu a déjà découvert. Elle est de ce fait différente de l’approche de Nelson et Winter (1982) qui stipule que l’apprentissage se fait au niveau de la firme elle même à travers l’acquisition de meilleures routines.

26

Page 27: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

of individuals »7. Ceci est vrai si l’on assume que toute nouvelle innovation commence par une idée implicite qui se niche dans la tête de l’individu. La personne qui détient une connaissance spécifique peut ne pas la divulguer, s’abstenir à la partager ou encore renforcer son caractère tacite et individuel. Cette situation est problématique pour l’organisation. Le départ de ces personnes, pour une raison ou une autre, pose le défi de remplacer ce savoir « isolé » et méconnu pour le collectif. L’entreprise est alors appelée à adopter une position proactive en imaginant des modèles de management de la connaissance individuelle pour assurer sa pérennité au départ de l’individu qui la possède.

La connaissance organisationnelleLes individus possèdent un savoir « privé » qui peut être rapidement converti en savoir organisationnel. La narration, la discussion et la négociation sont autant de moyens permettant le partage de la connaissance. Pour assurer ce partage, l’organisation est appelée à favoriser l’émergence d’une infrastructure communicationnelle où les individus peuvent discuter, échanger des avis et faire émerger des savoirs pluriels (Qureshi et Hlupic, 2000). Les groupes projets, les cercles de qualité ou encore les espaces virtuels de communication sont autant de variantes de cette infrastructure.

La connaissance organisationnelle se développe dans des communautés de pratique (Brown et Duguid, 1998 ; Cook et Brown, 1999). Ces communautés regroupent des personnes s’investissant dans un même domaine ou relativement à un même contexte et interagissant pour donner lieu à un produit ou service final. A travers l’expérience, et au fur et à mesure que l’action progresse, des normes sont créées, des savoirs communs sont discutés, négociés construits et reconstruits pour donner lieu à un savoir organisationnel. La connaissance organisationnelle se développe donc au travers des communautés de pratique. Elle résulte d’une construction sociale qui lui confère un caractère contextuel, tacite et ambigu qui affaiblit les tentatives d’imitation par les concurrents. Le rôle central de la connaissance collective tacite n’est plus à prouver. En effet, si la connaissance est d’abord individuelle, celle qui permet l’innovation et la création d’avantages compétitifs résulte de l’action et de l’expérimentation des groupes. La connaissance tacite collective est partagée par les acteurs de l’organisation. Souvent d’ailleurs elle s’exprime dans leurs représentations communes et les schémas d’action qu’ils mettent en œuvre dans l’entreprise. Cependant, elle demeure implicite, ambiguë, complexe et inaccessible pour les 7 Cité par Cook et Brown (1999 : 385).

27

Page 28: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

groupes externes. Elle tire donc toute son importance de cette capacité à constituer à la fois un centre mobilisateur et un mécanisme isolant.

Section II : la dynamique de compétition par les connaissances : les fondements théoriques

La réussite d’une organisation dépend grandement de la qualité de ses actifs immatériels. A l’ère où les ressources physiques de l’entreprise ne permettent plus de renouveler l’offre de l’entreprise et d’améliorer sa performance, la connaissance s’impose comme le nouvel actif stratégique de l’entreprise (Bounfour, 2000), son « nerf de guerre » pour affronter la compétition (Barney, 1991 ; Bollinger et Smith, 2001). Nonaka (1999) affirme à cet effet que les organisations performantes sont celles qui détiennent une expertise et des connaissances difficilement imitables et entretiennent un climat organisationnel qui favorise l’innovation, la créativité et le renouvellement. Afin de se forger des capacités compétitives, l’entreprise doit faire de l’innovation son lubrifiant de performance. L’innovation permet le renouvellement de l’organisation et la mise en place de nouvelles stratégies, sans cesse remaniées, rediscutées et réajustées selon les circonstances de l’environnement externe. Pour innover, les organisations sont appelées à mobiliser et mettre en commun les connaissances de leurs employés afin de créer une intelligence collective. Les idées, les intuitions, les savoirs procéduraux, les savoir-faire, les expertises et les tours de main sont autant de types de connaissances qui se révèlent dans des situations de travail concrètes. Certaines d’entre elles sont explicites. Elles permettent de créer des références, des codes communs qui définissent les actions et renforcent le contrôle dans l’organisation. D’autres sont tacites. Elles restent la propriété de leurs porteurs et demeurent difficilement exploitables par l’organisation. Elles sont cependant centrales dans les démarches d’innovation car souvent faites d’intuitions, d’idées originales découlant d’une expérience nouvelle et singulière (Leonard et Sensiper, 1998).

28

Page 29: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La scène de la compétition sur les marchés est entrain de glisser vers le modèle de l’immatériel où les organisations les plus performantes seraient celles qui investissent dans leurs richesses immatérielles. L’avènement des technologies d’information et de communication et leur démocratisation au niveau des entreprises est sans doute l’un des facteurs clefs expliquant l’émergence du paradigme de l’immatériel. Cependant, les TIC, et en dépit de leur importance stratégique, ne peuvent expliquer à elles seules une telle ascension. Le paradigme de l’immatériel se base de plus en plus sur la révision des processus internes et la reconfiguration de l’organisation (reconfiguration de la structure, du travail, du relationnel et du social) dans un sens à favoriser la création de nouveaux savoirs et à en assurer le partage par les membres de l’organisation. Le management des flux de savoirs qui circulent dans l’organisation et leur adaptation à la stratégie et à l’offre de l’organisation représentent l’essentiel de la gestion dans l’ère de l’immatériel. Ainsi, la gestion des actifs intangibles, et plus particulièrement le savoir devient aujourd’hui source de richesse et de performance. Sans une telle capacité, l’organisation ne pourrait innover et rivaliser sur le marché.

L’objectif de cette section est d’analyser les fondements théoriques de la compétition par les connaissances. Dans un premier temps, nous nous appuyons sur les postulats de l’approche par les ressources pour expliquer la valeur stratégique de la connaissance pour l’entreprise. Les développements relatifs à la théorie de la firme basée sur la connaissance seront exposés dans une seconde partie de cette section.

II.1 La connaissance comme actif stratégique 

L’analyse de la connaissance comme actif stratégique s’explique sur le plan théorique par la courant de l’approche par les ressources8(Resource-Based View). L’examen des travaux du courant de recherche « resource-based », en l’occurrence ceux de Barney (1991), Teece, Pisano et Shuen (1997) et Foss (1997), montre la prédominance du thème de l’avantage compétitif de la firme dans sa relation avec ses ressources, capacités et compétences spécifiques. L’idée axe de cette approche par les ressources est la suivante: l’avantage concurrentiel de la firme se construit principalement en interne. A partir de ses ressources rares (qu’elle est la seule en mesure 8 Certaines contributions dans le champ de la RBV haussent ce courant au rang d’une théorie. Ceci a été critiqué par Foss (1997) selon qui les développements actuels ne permettent pas de parler d’une théorie. Des inconsistances internes relatives au concept central, en l’occurrence les ressources, existent encore.

29

Page 30: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de posséder) et inimitables (c'est-à-dire qui demeurent largement tacites, ambiguës et donc difficilement copiables), la firme peut créer des produits et services nouveaux, de qualité supérieure dont l’imitation serait difficile pour les concurrents. Une telle démarche de construction d’un leadership durable sur le marché prend le contre-pied d’une vision « éco-logique »de la stratégie fondée soumise aux exigences de l’environnement et aux contraintes structurelles de l’économie telles que développées par Porter (1980, 1985). L’approche « resource-based » opère une refonte de la construction de l’avantage concurrentiel. Celui-ci serait moins lié à la structure de l’industrie et du marché (facteurs clés de succès, tickets à l’entrée sur un marché, nature de la concurrence) qu’à la capacité de l’entreprise à engager un processus original d’accumulation, de consolidation et de combinaison de ses ressources et compétences clefs (Grimand, 1999).

L’approche par les ressources renvoie au second plan les analyses fondées sur l’environnement. Elle réhabilite le rôle des ressources de l’entreprise dans sa réflexion stratégique et dans la construction d’un avantage concurrentiel durable. Par extension, cette approche appréhende l’organisation comme un portefeuille de ressources spécifiques (Wright et al, 1995; Tarondeau, 1998). Elle jette ainsi les bases d’une nouvelle approche de la firme où les compétences, capacités et connaissances clefs de l’entreprise fonderont l’action des acteurs et orienteront le système d’offre (Mayère, 1995).

L’approche par les ressources stipule l’existence de deux types d’actifs ou ressources: stratégiques et non stratégiques. Les ressources non stratégiques ne contribuent pas à la performance dans le long terme. Celles considérées stratégiques permettent, au contraire, de soutenir durablement l’innovation et la différenciation par rapport aux concurrents sur un marché donné. Dans un article fondateur, Barney (1991) propose quatre conditions à partir desquelles une ressource devient stratégique. Ces conditions sont: la valeur, la rareté, l’imitabilité imparfaite et la non substituabilité. Avec ces quatre propriétés, deux conditions doivent être vérifiées pour aboutir à un avantage compétitif: la concurrence limitée ex-ante et la concurrence limitée ex-post. La première veut dire que les configurations de ressources permettant d’établir un avantage compétitif ne sont pas connaissables a priori. La seconde stipule que les ressources que les concurrents peuvent facilement copier ne peuvent pas générer un avantage compétitif durable. Les entreprises doivent en effet compter sur des combinaisons de ressources inimitables. L’exemple des processus et routines organisationnels semble intéressant. Ces processus et routines sont difficilement reproductibles car construits socialement par les différents acteurs de l’organisation. Ces

30

Page 31: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

constructions sociales demeurent largement tacites et constituent par voie de conséquence une sorte de mécanisme isolant qui empêche les concurrents de reproduire la stratégie gagnante ou d’en limiter les gains (Tywoniak, 1997).

La valeur d’une ressource peut être expliquée par sa capacité à exploiter une ou plusieurs opportunités sur le marché ou à neutraliser une menace. La rareté tient au fait que la ressource est détenue par peu d’entreprises dans une même industrie. La rente qui en découle sera également exploitée par peu d’entreprises sur le marché. Par ailleurs, l’imitabilité imparfaite tient au fait que la ressource et les revenus qui en découlent peuvent être exploités longtemps sans qu’un concurrent ne puisse les copier intégralement. Enfin, la non substituabilité des ressources suppose qu’elles n’ont pas d’équivalents stratégiques.

Les chercheurs dans le courant de l’approche par les ressources semblent unanimes quant au fait que la connaissance constitue l’actif stratégique clef de l’organisation (Barney, 1991 ; Bollinger et Smith, 2001). En effet, Bollinger et Smith montrent que la connaissance est la seule ressource organisationnelle qui peut satisfaire les quatre conditions énoncées par Barney (Bollinger et Smith, 2001). Cependant, il ne s’agit pas de la connaissance détenue par les individus, mais plutôt de la connaissance organisationnelle, c’est à dire celle qui est encastrée dans les routines, la culture et les processus de production de l’entreprise. La connaissance individuelle ne peut pas être stratégique. La mobilité du capital humain est en effet une première caractéristique qui s’oppose aux propriétés de l’imitabilité imparfaite et de la rareté des ressources stratégiques (Handy, 1996). Seul le savoir collectif, organisationnel peut être source d’avantage compétitif. Ce savoir, appelé aussi capital organisationnel, ne rentre pas le soir à la maison. Il est incorporé dans les routines, dans les schémas de fonctionnement collectif, dans les relations avec les clients et les parties prenantes et dans la culture de l’entreprise. Il est socialement construit et donc complexe. Il se forme à travers une histoire particulière et transcende les individus pour se « nicher » dans les processus de l’organisation. Cette complexité du savoir en fait une ressource dont l’imitation et la substitution sont difficiles. La rareté de la connaissance revient au fait qu’elle est le fruit d’une combinaison de l’ensemble des savoirs et savoir-faire des employés. Enfin, la non substituabilité découle des trois premières propriétés.

II.2 La dynamique de compétition par les connaissances: vers une nouvelle théorie de la firme

31

Page 32: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La compétition par les connaissances appelle l’organisation à s’investir dans la construction et l’élargissement de son répertoire de savoirs. Cette compétition engendre en effet une dynamique interne de questionnement incessant des routines et compétences existantes. Plus encore, les fondements même de la firme, à savoir sa raison d’être, ses frontières et sa structuration interne se trouvent largement affectés par le nouveau “paradigme de la connaissance”. La compétition par les connaissances appelle ainsi à renouveler le cadre de réflexion sur la théorie de la firme.

L’idée d’une nouvelle théorie de la firme qui succède à la théorie des coûts de transaction prend aujourd’hui chemin et trouve appui dans les communautés du management stratégique et de l’économie des organisations. La nouvelle théorie, encore en phase d’émergence, il faut le signaler, fera de la connaissance la raison d’être des organisations modernes.

La théorie de la firme centrée sur la connaissance a fait l’objet d’un intérêt croissant depuis 1992, date de publication des premiers travaux fondateurs de Bruce Kogut et Udo Zander sur la question. Les développements théoriques qui s’en suivent ont investi les trois questions fondamentales quand il s’agit d’une théorie de la firme: L’existence de la firme (pourquoi la firme existe-t-elle?), les limites de la firme (quelles sont les frontières de la firme?) et la structuration interne (Quels sont les mécanismes de structuration et d’organisation internes à l’organisation?). Dans la présente section, nous synthétisons et analysons les principaux apports de cette théorie en nous référant aux principaux travaux actuels. Les trois questions précédemment citées constituent notre axe d’analyse. Cependant, nous commencerons par expliquer le contexte théorique d’émergence de la nouvelle théorie.

II.2.1 Origines théoriques de la théorie de la firme centrée sur la connaissance

La théorie de la firme centrée sur la connaissance s’est voulue avant tout différente (pour certains, elle est complémentaire) de la théorie des coûts de transaction. Cette dernière considère l’existence de la firme en termes d’optimisation des coûts de transaction9. Les auteurs 9 Certaines divergences existent quant à la nature du mécanisme spécifique. Ainsi pour Coase (1937), la firme existe parce qu’elle est plus efficiente que le marché dans l’utilisation des mécanismes de prix pour découvrir l’information pertinente et négocier les contrats. De plus, il suggère que les firmes font valoir des coûts inférieurs parce que l’autorité de l’entrepreneur permet de mieux diriger les ressources et contrôler les termes des contrats. Williamson (1975) explique à son tour que les firmes sont plus efficientes que les marchés parce qu’elles contrôlent l’opportunisme associé à la spécificité des actifs.

32

Page 33: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de la knowledge-based ont critiqué cette théorie sur deux niveaux. Le premier est relatif à son incapacité à expliquer l’hétérogénéité de la performance de la firme. Le second est relatif à la manière avec laquelle le concept de la connaissance est utilisé. Ces faiblesses ont été reprises par certains auteurs de la knowledge-based pour construire leurs propres hypothèses (Grant, 1996; Liebeskind, 1996). Ceci montre qu’une certaine complémentarité peut exister entre les deux théories.

La théorie de la firme centrée sur les connaissances s’est également inspirée des travaux de l’approche par les ressources. L’idée est que la connaissance peut être vue comme une ressource susceptible de produire un avantage compétitif durable sur le marché. Selon Barney (1991), les connaissances des individus et les capabilités10 de l’organisation sont encastrées dans l’histoire et les routines de l’organisation et des individus. Elles sont de ce fait socialement complexes, difficiles à copier pour les concurrents et sont donc susceptibles de générer une position compétitive sur le marché.

La théorie des organisations a également influencé la théorie de la firme centrée sur la connaissance. Plus précisément, l’idée de la rationalité limitée des individus (March et Simon, 1958) était “pour quelque chose” dans la définition du concept de connaissance tacite et de la cognition distribuée (Kaplan et al, 2003). Dans la lignée des premiers travaux de March et Simon (1958), Williamson (1975) affirme que la rationalité des individus est limitée à deux niveaux: le premier est neurophysiologique. Les individus sont limités par la quantité restreinte d’informations qu’ils peuvent recevoir, stocker et travailler sans erreurs. Le second est linguistique. Les limites du langage font en sorte que l’individu est incapable d’articuler tout son savoir ou ses sensations. La connaissance que les individus expriment n’est donc pas théoriquement tout ce qu’ils possèdent ou connaissent. Polanyi (1983 :6) affirmait à ce niveau que “ nous connaissons plus que ce que nous pouvons dire ou énoncer”. Ajoutant une dimension d’inconscience, Leonard et Sensiper (1998) vont plus loin en postulant que “nous connaissons plus que nous pouvons réaliser”. Ces deux affirmations renforcent la perspective choisie par Conner et Prahalad (1996) selon laquelle les limites linguistiques permettent la formation du savoir tacite. Nous aboutissons ainsi à la distinction entre connaissance tacite et connaissance explicite, hypothèse centrale de la knowledge-based. Cette distinction représente pour certains auteurs la première différence entre les connaissances et les autres ressources de la firme (Kogut et Zander, 1992).

II.2.2 La question de l’existence de la firme10 Le terme “capabilité” est une traduction libre du terme anglais “capability”.

33

Page 34: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le constat que l’on peut faire ici est qu’il n’existe pas de consensus sur la raison de l’existence de la firme dans cette théorie. Si toutes les explications tournent autour du concept de connaissance, chaque auteur a essayé de donner une perspective nouvelle et qui semble parfois contredire les précédentes. Dans les développements suivants, nous reprenons l’essentiel de ces différentes acceptions.

Grant (1996) considère les firmes comme des institutions qui produisent des biens et services parce qu’elles peuvent créer des conditions à partir desquelles plusieurs individus peuvent intégrer leurs savoirs spécialisés. Il emprunte aux arguments des auteurs évolutionnistes selon qui la production requiert la coordination des efforts de plusieurs individus qui possèdent des savoirs et des expertises différents. Pour ces deux auteurs, les firmes existent parce qu’elles permettent mieux que le marché de résoudre ces deux problèmes: l’immobilisme de la connaissance tacite et le risque de l’expropriation de la connaissance explicite par les acheteurs11. Il faut aussi voir dans la question de l’intégration des savoirs individuels une hypothèse faite par les deux auteurs que le savoir est la propriété des individus et non de l’organisation. Grant affirme à ce niveau ce qui suit “my approach is distinguished by two assumptions: first, that knowledge creation is an individual activity; second that the primary role of the firm is the application of the existing knowledge to the production of goods and services11” (Grant, 1996:112).

Spender (1996) et Nonaka (1994) adoptent une autre perspective. Ils pensent en effet que le rôle premier de la firme n’est pas d’intégrer le savoir spécialisé des individus comme le supposent Grant (1996) et Grant et Baden-Fuller (1995), mais plutôt de créer le savoir organisationnel. Spender définit l’organisation comme un corps de connaissances sur les circonstances, les ressources, les mécanismes causaux, les objectifs, les attitudes et les politiques de l’organisation. De sa part, Nonaka (1994) considère la création de la connaissance comme le rôle premier de la firme. Cette création se réalise à travers un processus social de conversion entre les savoirs tacites et explicites.

D’autres hypothèses sur l’existence de la firme existent et méritent d’être mentionnées. Kogut et Zander (1992) pensent par exemple que

11 L’organisation peut gérer l’immobilisme de la connaissance tacite (Celle-ci est en effet largement encastrée dans les modes d’action et les schémas mentaux des individus et est difficilement transférable) en mettant en place des mécanismes d’intégration. Elle peut également protéger le savoir explicite des individus à travers les contrats qu’elle passe avec ses employés.1

34

Page 35: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

la firme existe parce qu’elle permet, mieux que le marché, d’organiser la combinaison des différentes connaissances. Parce qu’elle est essentiellement une communauté sociale ayant développé une identité propre, l’organisation atteint cet objectif en réduisant les coûts de la communication et de coordination.

Liebeskind (1996) s’intéresse, quant à elle, à la question de la protection des savoirs comme raison d’être de la firme. Dans cette perspective, plus que la création et l’intégration, ce sont les mécanismes d’isolation et de protection du savoir contre l’expropriation externe qui prévalent. La firme existe parce qu’elle permettrait mieux que le marché de protéger les connaissances stratégiques. L’auteur remarque dans cet esprit que les dispositifs juridiques de protection des savoirs (brevets, marques déposées, trade secrets…) ne permettent qu’une protection partielle et fragile du savoir-faire des organisations. La solution serait donc de développer cette compétence collective de l’interne.

II.2.3 La question des frontières de la firme

Cette question est peu étudiée dans la littérature. Certains s’intéressent aux frontières de la firme avec son environnement. D’autres mettent l’accent sur les frontières internes de la firme. Tarondeau (1998) s’intéresse dans ce sens aux frontières entre les différentes fonctions de l’entreprise. Ces frontières nuisent au partage et à l’intégration des savoirs spécialisés. Elles créent l’hostilité au “réseautage” des expertises et renforcent les comportements claniques. Ces frontières internes sont donc appelées à disparaître au profit de structures moins verticales et plus flexibles, temporaires et communautaires (Nonaka, 1994; Hedlund, 1994).

II.2.4 La question de la structuration interne de la firme

Une gestion des savoirs efficace suppose une certaine structuration de l’organisation. La discussion théorique a porté sur le rôle des structures hiérarchiques dans le développement, l’intégration et la protection des savoirs. Conner et Prahalad (1996) affirment que l’hiérarchie peut fournir des moyens qui autorisent la coordination des savoirs locaux et spécialisés. Grant et Baden-fuller (1995) estiment qu’elle requiert la définition de règles et de directives qui autorisent l’intégration des savoirs spécialisés. D’autres auteurs rejettent la structure hiérarchique et défendent des modes d’organisation flexibles, transversaux et temporaires. Tarondeau (1998) affirme par exemple qu’une gestion des savoirs efficace s’appuierait sur une organisation transversale où les processus et les flux et non les fonctions et les divisions classiques assurent la coordination des

35

Page 36: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

différentes expertises. Hedlund (1994) et Nonaka et Konno (1998) considèrent les structures temporaires (équipes multifonctionnelles, groupes projets…) comme de véritables mécanismes qui assurent la création et l’intégration des connaissances.

Au bout de cette analyse, il ressort que la dynamique de la compétition par les connaissances a favorisé l’éclosion d’une nouvelle théorie de la firme. Cette théorie, comme le montrent les développements précédents, est encore en quête d’harmonie et d’équilibre. C’est pourquoi certains auteurs comme Kaplan et al (2003) développent des approches intégratives afin de réduire les divergences théoriques actuelles.

Section III : Pour une compréhension améliorée de la gestion des connaissances : définitions, processus clefs, contextes et stratégies de savoir

III.1 De l’économie des connaissances à la gestion des connaissances

« L’économie de la connaissance se développe quand se met en place progressivement une économie dans laquelle la part de l’emploi

36

Page 37: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

intensif en connaissances s’accroît considérablement, le poids économique des secteurs d’information devient déterminant et la part du capital intangible dépasse celle du capital tangible dans le stock réel de capital ». C’est dans ces termes que Dominique Foray définit l’économie fondée sur la connaissance (Foray, 2000 :3). Historiquement, l’avènement d’une telle économie s’explique par deux phénomènes concomitants : d’une part une tendance longue, relative à l’augmentation des ressources consacrées à la production et à la transmission des connaissances (R&D, éducation, formation…) et d’autre part l’avènement des technologies de l’information et de la communication. Les effets de l’économie fondée sur la connaissance se produisent dans de nombreuses activités économiques, notamment la recherche scientifique, les services, l’éducation, l’industrie, la culture et la santé. La science et la technologie jouent un rôle fondamental dans cette économie. En effet, les secteurs qui exercent un effet d’entraînement sont caractérisés par la centralité des technologies et de la science : recherche pharmaceutique et médicale, technologies de l’information, aéronautique et autres services.

Les premières conceptualisations de l’économie fondée sur la connaissance sont marquées par la centralité des questions de production et d’acquisition des savoirs par les grandes institutions de recherche et d’éducation. Cependant, la notion d’économie de connaissance se trouve aujourd’hui progressivement élargie pour intégrer les processus d’apprentissage et de développement des compétences individuelles et collectives mobilisés par les organisations. Il s’agit de prendre en compte les situations où les savoirs sont produits, distribués et mis en application dans le cadre des opérations régulières des entreprises. Ainsi l’état de santé d’une économie fondée sur la connaissance dépendra grandement de la capacité des entreprises faisant partie de cette économie à s’engager durablement dans des processus de création, de transfert et de mise en application des connaissances. De tels processus ne sont pas isolés puisqu’ils sont naturellement incorporés dans les activités régulières de l’entreprise, c’est à dire dans ses routines de production, pour citer Nelson et Winter (1982), pères de la théorie évolutionniste de la firme.

Plus que jamais, l’avènement d’une économie fondée sur la connaissance appelle les entreprises à développer des compétences distinctives en matière de gestion des connaissances. La gestion des connaissances est un investissement lourd, un projet fondamentalement transformateur qui vise à charpenter l’organisation autour de ses richesses immatérielles. La démarche s’inscrit forcément dans la durée car les retours sur investissements se réalisent généralement à moyen et long termes (Bally, 2003). Les flux de production, les relations entre acteurs de l’organisation et les pratiques

37

Page 38: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de management doivent de ce fait être revus de manière à soutenir la dynamique de gestion des connaissances dans l’entreprise. Le projet de gestion des connaissances est particulièrement délicat car au delà des reconversions organisationnelles et humaines qu’il nécessite, il fait intervenir directement la capacité de l’entreprise à contrôler des actifs intangibles difficilement observables, difficilement maniables et quelque fois même inexplorés par celui ou celle qui les possède. L’aspect crucial de la gestion des connaissances est qu’elle est porteuse de projet de changement pour l’organisation. Au delà des compétences techniques liées aux TIC, l’entreprise qui opte pour une stratégie de gestion des connaissances doit être en mesure de mobiliser des compétences d’adaptation au changement programmé et parfois même de destruction créative.

En termes économiques, toute démarche de gestion des connaissances doit être soumise à l’analyse du coût d’opportunité. Les bénéfices qui en découlent sont importants (III.5). Les coûts de création, de transmission et d’application le sont également. Cela appelle l’entreprise à opérer des choix judicieux en matière de gestion de ses connaissances qui permettrait d’optimiser la démarche. Le premier choix se rapporte au contexte du projet. A partir d’une autoévaluation critique en matière de connaissance et de capital intellectuel, l’entreprise se prononcera clairement sur ses besoins spécifiques en matière de gestion des connaissances. Ces besoins doivent être traduits en objectifs opérationnels, c’est à dire des problématiques de terrain (III.2). Le deuxième choix consiste à focaliser l’action sur des processus clefs. Directement lié au premier, ce choix permet d’opérationnaliser la démarche de gestion des savoirs choisie par l’entreprise (III.3). Enfin, le troisième choix est relatif à la stratégie de connaissance à mettre en place (III.4). Il s’agit de décider du mode d’apprentissage à promouvoir et à valoriser dans l’entreprise.

III.2 Définitions et objectifs du management des connaissances

Aujourd’hui, définir le management des connaissances se fait au regard de plusieurs variables : les objectifs visés par la mise en place de tel projet, les processus de mise en œuvre de la gestion du savoir et l’infrastructure qui autorise ce management. L’examen de la littérature sur le management des connaissances fait ressortir une multitude de définitions. Chacune essaye de montrer la pertinence opérationnelle du thème ainsi que sa philosophie et raison d’être.

Nous cherchons dans ce qui suit à définir le management des connaissances. Pour ce faire, nous présentons quelques définitions relevées au niveau de la littérature spécialisée, celles que nous

38

Page 39: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

jugeons les plus pertinentes. En suite, au regard de ces définitions nous dégagerons des traits caractéristiques du concept. Par cela, nous ne cherchons pas à présenter une nouvelle définition du concept. Notre objectif est de pouvoir en définir les caractéristiques centrales. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux différents objectifs et contextes relatifs aux projets de gestion des connaissances.

III.2.1 Examen de quelques définitions

Bouteiller (1999) définit le management des connaissances comme   une nouvelle science visant à réorganiser l’entreprise autour de sa richesse immatérielle.  Si le concept « science » semble être quelque peu « léger » et porteur d’une exagération, l’idée de la réorganisation de l’entreprise est à retenir. En effet, la gestion des connaissances s’inscrit dans une vision plus large de l’organisation comme un système apprenant. Cette logique appelle à une rupture importante (d’autres diront fondamentale) avec le paradigme de l’entreprise physique. La richesse immatérielle, représentée dans l’intelligence et la connaissance des employés, et les actifs tangibles procèdent de manières différentes. La gestion des connaissances fait intervenir nécessairement des changements au niveau des modes d’organisation et de design du travail.

D’autre part, Amidon (1999) définit le management des connaissances comme une compétence centrale que les entreprises doivent développer pour réussir dans l’environnement de demain. Le management des savoirs est donc source de démarcation pour les entreprises et permet la création de positions concurrentielles favorables. Ceci rejoint notre analyse relative à la dimension stratégique du knowledge management.

Bassi (1997 :26) présente la définition suivante: « c’est le processus qui vise l’identification, le repérage et l’utilisation des connaissances afin d’améliorer la performance de l’organisation ». Cette définition met l’accent sur les processus de gestion des connaissances.

Les experts du groupe de consulting international Ernst & Young (1997)12 définissent le management des connaissances comme le modèle ou le système créé par les entreprises en vue d’identifier, générer, et utiliser le savoir organisationnel dans le processus de prise de décisions. Cette définition pointe un autre objectif du management des savoirs. La construction des savoirs répond en effet à un besoin de prise de décision dans l’entreprise. Aujourd’hui, dans un 12 Cité par Jacob et Pariat, 2000 : 22.

39

Page 40: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

environnement caractérisé par l’imprévisibilité et l’émergence de modèles d’affaires dits de rupture, les décisions managériales sont prises sous deux contraintes : l’urgence et l’incertitude. Face à de telles situations, la construction de nouveaux savoirs et l’identification de nouvelles sources d’informations semblent être deux priorités de tout système de management des connaissances.

Wharton13 définit le management des connaissances comme l’amélioration systématique des informations et expertises afin de perfectionner les capacités d’innovation, de réponse et d’apprentissage de l’organisation. Cette définition met l’accent sur deux éléments. D’abord, la gestion des connaissances prend en compte deux types de savoirs : le savoir explicite, codifié et représenté essentiellement dans les informations ; et le savoir tacite, subjectif inscrit dans les actions, expertises et compétences relatives aux groupes et aux individus. En effet, le management des connaissances ne se limite pas à la gestion des seules informations et connaissances explicites. Il doit aussi faire remonter à la surface les savoirs obliques, parallèles et souvent de hautes valeur et pertinence opérationnelles. La deuxième implication de cette définition s’intéresse aux finalités du management des connaissances. L’amélioration des compétences individuelles et collectives permet aux membres de l’entreprise d’entreprendre des actions d’innovation. Entretenir un climat d’innovation permet à la longue de générer des gains de productivité dus à la réduction des cycles d’innovation. Enfin, avec une culture d’innovation, l’entreprise sera mieux outillée, en termes de compétences et de savoirs, pour faire face aux sollicitations incessantes de ses partenaires externes, en particulier ses clients.

Swan et al. (1999) appréhendent le management des connaissances comme un ensemble de processus organisationnels portant sur la création, l’acquisition, l’identification, le partage et l’utilisation des connaissances, des talents et des expertises. La gestion des savoirs s’articule autour de certains processus sus-identifiés. Il va de soi que chaque organisation choisit ses propres processus et ce, au regard de sa position, ses objectifs et ses propres ressources. La gestion des savoirs obéit à plusieurs variables de situation. La mise en place du projet est donc indissociable d’une réflexion sur les différentes variables de contingence propres à l’entreprise.

Dans une perspective d’apprentissage organisationnel, Scarbrough et al. (1999) définissent le management des connaissances comme étant tout processus ou pratique visant la création, l’acquisition, le partage et l’utilisation des connaissances afin d’autoriser l’apprentissage et la performance des organisations. 13 Idem.

40

Page 41: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

En s’appuyant sur les travaux de March sur l’apprentissage organisationnel (March, 1991), il est possible de définir le management des connaissances comme une démarche visant à la fois l’exploitation des savoirs circulants et l’exploration de nouvelles idées et pratiques. Dans toute organisation, cet équilibre dynamique entre les activités d’exploitation et d’exploration est nécessaire pour produire au quotidien et pour faire des prévisions. Le fait de privilégier l’exploitation au détriment de l’exploration fait courir à l’entreprise le risque de la rigidité et de l’autodestruction. Par contre, s’inscrire uniquement dans l’exploration peut perturber l’ordre organisationnel nécessaire aux activités de production. Prise dans ce dilemme, la gestion des connaissances « doit s’inscrire, en même temps, dans la stabilité et dans le mouvement » (Gaha et Mansour, 2004 : 19). Ainsi, au terme de cette analyse, il est possible de synthétiser les principales caractéristiques du management des connaissances dans l’encadré suivant.

Encadré 1.1- Propriétés du management des connaissancesS’insère dans une stratégie organisationnelle de compétitivité centrée sur le capital en connaissances.S’inscrit dans une logique d’apprentissage et de performance organisationnelle. Compose avec des savoirs de sources et de natures différentes (individuels et collectifs / explicites et tacites).S’articule autour de processus clefs. En effet, toutes les définitions font appel à la notion de processus comme moyen de gérer ce projet. Les principaux processus sont : la création des savoirs, la codification et le transfert des savoirs et meilleures pratiques (best practices) et l’utilisation des savoirs créés dans de nouveaux produits et services ou encore dans la prise de décisions.Appelle à la mise en place d’une véritable infrastructure organisationnelle. Une telle infrastructure permettra la création d’outils et de contextes favorables à la production, au transfert et à l’utilisation effective des savoirs.Nécessite une approche qui prend en considération les variables situationnelles et les facteurs de contingence propres à l’entreprise.

Ce sont donc là les principales caractéristiques et dimensions afférentes au management des connaissances. Ensemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés qui interviennent dans la mise en œuvre d’une gestion des connaissances. Notons cependant que l’importance de ces dimensions varie d’une entreprise à une autre. Si les unes préfèrent par exemple axer le projet sur l’infrastructure accompagnante, d’autres s’attachent à la mise en action du système selon des processus clairement identifiés sans pour autant se soucier du rôle et de l’importance de l’infrastructure organisationnelle qui va avec. Toutes ces différences au niveau de la pratique du management des connaissances en font un thème riche, ouvert et « à découvrir au cas par cas ».

41

Page 42: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.2.2 Contextes et objectifs du management des connaissances

Plusieurs questions se posent à ce niveau de l’analyse : Comment pourra-t-on expliquer ces différences de pratiques de knowledge management ? Pourquoi les entreprises éprouvent-elles des besoins différents en matière de connaissance ? Enfin, si la connaissance devient la seule source d’avantage compétitif, aux dires de Drucker (1999), comment les entreprises construisent et perçoivent réellement cet avantage ? Ces questions sont importantes car elles nous renvoient aux substrats du KM, à sa raison d’être pour chaque entreprise. En effet, nous pensons qu’au-delà de la relation, désormais reconnue, entre connaissance et avantage compétitif, il y a lieu de dire que la montée du management des savoirs s’explique par des contextes relativement différenciés. Si la préoccupation stratégique de compétitivité reste la raison majeure, d’autres motifs d’ordre beaucoup plus « terre à terre » et témoignant de soucis opérationnels sont relevés. En effet, la connaissance est à l’œuvre dans toutes les questions qui lui sont familières : l’innovation, la veille stratégique, la gestion des compétences et du capital intellectuel, la qualité totale, la gestion des relations clients…etc.

D’abord, les organisations gèrent leurs connaissances pour faire face à l’explosion du flux de connaissances qui y circulent. Face à ce problème, le management des savoirs intervient pour structurer la richesse immatérielle de l’entreprise. Il s’agit de répertorier, capitaliser, traiter, distribuer et utiliser les connaissances nécessaires à la décision. En deuxième lieu, gérer les connaissances est une réponse aux problèmes de pertes de mémoires et d’érosion des compétences. Plusieurs organisations, notamment celles dans le secteur des hautes technologies, souffrent de problèmes de départ volontaire de leurs employés clefs. Elles perdent de la pratique, de l’expertise et une mémoire de choix. La gestion des connaissances intervient dans une logique proactive afin de réduire ou de neutraliser les effets de ces départs. Ensuite, la gestion des connaissances peut être un vecteur d’innovation. Elle permet de créer de nouvelles connaissances et de les intégrer dans les produits ou les décisions de l’organisation (Byosière et Ingham, 2001). Enfin, le knowledge management est une solution au problème de la roue réinventée. En effet, plusieurs organisations ont du mal à identifier les savoirs détenus dans leurs différentes unités. Les structures fonctionnelles et divisionnelles ont renforcé cette myopie et cette incapacité à s’ouvrir sur le savoir de l’autre. Souvent des ressources colossales sont investies dans une tâche particulière, alors qu’elle est déjà développée, testée et validée dans un autre département. Le management des connaissances intervient ici en deux temps : en premier lieu, développer des moyens

42

Page 43: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’identification et de repérage des connaissances ; en second lieu, permettre le partage des connaissances entre les unités et les individus. Le premier s’appuie sur les outils technologiques, le second a trait à la culture et aux comportements.

Cette recension d’objectifs de gestion des connaissances ne peut pas être complète. Il existe autant de projets que de besoins organisationnels. La littérature empirique sur le thème est très riche. Elle révèle la diversité des approches et méthodes de gestion des savoirs mobilisées par les organisations. L’idée de la diversité d’approches est très importante et doit être prise en compte dans cette recherche. En effet, l’étude des processus de gestion des connaissances dans plusieurs entreprises nécessite la prise en compte des spécificités managériales, culturelles et structurelles de chacune d’elles. D’autre part, faire une « bonne » recherche sur le management des connaissances dans des entreprises tunisiennes passera par la restitution de la dynamique de management propre à ces organisations. Il sera ainsi très utile de distinguer les approches de management des connaissances fortement structurées dans les entreprises occidentales de celles actuellement à l’œuvre dans les entreprises tunisiennes, marquées par leur faible ancrage dans la culture et les pratiques de management des entreprises (Ben Hamouda, 2001).

III.3 Analyse des processus clefs de gestion des connaissances

Le management des connaissances ne peut se réduire à une intention ou vision stratégique exprimée par la direction générale. Il n’est pas seulement un ensemble d’idéaux qui gouvernent la vie d’une entreprise comme ceux qui caractérisent le concept d’organisation apprenante. Loin d’être une utopie et une philosophie d’ordre général, le management des savoirs est un projet organisationnel réel et concret. Il se traduit donc par et dans l’action. Foncièrement, le management des savoirs est un processus dynamique articulé autour de capacités clefs. Comme nous l’avons souligné, de telles capacités obéissent à des spécificités et contingences relatives aux entreprises. Mais, les auteurs sont unanimes quant à l’existence d’un certain nombre de capacités fondamentales qui constituent ainsi le noyau dur du management des connaissances. L’examen de la littérature nous permet de retenir trois travaux importants. Ils seront respectivement discutés. Ensuite, une synthèse de ces travaux sera présentée. Son objectif est de retenir les capacités de gestion des connaissances les plus importantes pour notre recherche.

III.3.1 L’approche de Sarvary (1999)

43

Page 44: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le modèle de Sarvary considère le management des connaissances comme un processus managérial qui permet à l’entreprise de créer et d’utiliser à des fins stratégiques son savoir collectif ou institutionnel. Ce modèle considère la connaissance comme un élément ultime dans la chaîne de transformation de l’information. Il s’inscrit dans une approche information de la connaissance. Le management des connaissances inclut ici trois capacités clefs :

L’apprentissage organisationnel  : c’est le processus à travers lequel l’entreprise acquiert de nouvelles informations.

La production des connaissances  : c’est le processus qui permet aux membres de l’entreprise de transformer l’information brute en connaissances organisationnelles. Ceci se fait au moyen d’analyse et de croisement de plusieurs informations.

La distribution des connaissances  : c’est le processus qui autorise aux membres de l’organisation l’accès aux connaissances collectives de la firme et leur utilisation.

III.3.2 L’approche de Gupta et Govindarajan (2000)

Gupta et Govindarajan considèrent que le capital intellectuel d’une organisation est fonction de deux éléments : le stock de connaissances accumulé par les individus et les différentes unités de l’entreprise et le degré auquel les connaissances sont mobilisées et partagées. Partant de cette équation, leur modèle de management des connaissances s’appuie sur deux capacités : l’accumulation et la mobilisation des savoirs :

Les capacités d’accumulation des connaissances sont analysées en trois sous capacités. D’abord, la création des connaissances. C’est l’apprentissage par le faire et l’expérimentation qui autorisent une telle création. Ensuite, l’acquisition des connaissances : elle passe par l’internalisation du savoir externe. Enfin, la rétention du savoir interne peut minimiser les déperditions.

Les capacités de mobilisation des connaissances créées peuvent être subdivisées en trois sous capacités, à savoir : motiver les transmetteurs potentiels du savoir au partage, construire des canaux efficients de transmission des savoirs et motiver les destinataires potentiels de la connaissance transférée à l’intégrer dans leurs schémas de réflexion et d’action.

III.3.3 L’approche de Gold, Malhotra et Segars (2001)

44

Page 45: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le modèle développé par Gold, Malhotra et Segars est l’un des plus cités dans la littérature. Il s’articule autour de quatre capacités clefs.

La capacité d’acquisition  : elle s’oriente vers l’accumulation des savoirs. L’innovation est une forme particulière de création et d’acquisition de nouveaux savoirs en s’appuyant, entre autres, sur les savoirs déjà existant dans l’entreprise. Le benchmarking et la collaboration sont cités par les auteurs comme exemples types illustrant des processus d’acquisition des connaissances.A travers le benchmarking, une entreprise identifie les meilleures pratiques chez les concurrents, compare ces pratiques avec les siennes et porte l’action sur les écarts identifiés et mesurés. Ainsi, à travers un effort de surveillance et d’analyse, elle arrive à créer et acquérir de nouveaux savoirs. Nous l’avons déjà mentionné : le savoir est à l’œuvre dans les grandes problématiques qui lui sont familières. L’intelligence économique et la veille concurrentielle en font partie.

La création de connaissances passe aussi par la collaboration. Il s’agit de favoriser le partage et la dissémination des savoirs et des expertises personnelles. La collaboration peut se situer sur deux niveaux : dans l’organisation et entre celle-ci et ses partenaires.Dans une organisation, la collaboration entre les individus est à la base de ce que Nonaka (1999) et Nonaka et Konno (1998) appellent la socialisation du savoir, c'est-à-dire le passage des connaissances tacites et des expertises d’un état individuel à une sphère collective.En collaborant avec ses partenaires externes, l’entreprise arrive aussi à créer des interfaces de savoir. En expérimentant en permanence avec ses clients, ses fournisseurs voire avec ses concurrents, l’entreprise intègre de nouveaux savoirs et élargit ainsi son portefeuille connaissances.

La capacité de conversion   : La capacité de conversion vise essentiellement à rendre utilisables et exploitables (donc utiles) les connaissances créées dans l’entreprise. Comment l’organisation peut-elle arriver à rendre utiles ses savoirs ? Certains appellent à organiser les connaissances de l’entreprise de manière à ce qu’elles soient destinées à une forme particulière d’utilisation (Davenport et Klahar, 1998 ; Brown et Duguid, 1998). D’autres appellent, dans une logique métier, à la combinaison et l’intégration des différents savoirs organisationnels de manière à construire des groupes de savoirs homogènes reliés à une fonction ou activité particulière de l’entreprise (Hamel et Prahalad, 1990). Malgré leurs différentes approches, les deux courants semblent unanimes quant à la nécessité de rendre utiles les connaissances créées. Plusieurs

45

Page 46: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

entreprises excellent en effet dans l’acquisition des savoirs, mais elles éprouvent du mal à les intégrer dans leurs produits ou dans leurs décisions (Garvin, 1993). Leur potentiel d’innovation et leur compétitivité se trouvent par suite sérieusement affectés.

La capacité d’application   : cette capacité concerne la mise en place des moyens permettant l’utilisation des savoirs. Ceci passe d’abord par le transfert des connaissances dans l’organisation. Ensuite, il s’agit de réfléchir sur la manière de mettre ces savoirs en action. L’entreprise peut améliorer « l’utilisabilité » de ses connaissances en identifiant dès le départ les connaissances cruciales qu’elle veut construire. Construire un savoir obéit à une intention, une finalité stratégique exprimée par l’entreprise. Ce n’est guère un acte gratuit. Partant de là, l’identification des savoirs à construire devient un impératif et un préalable nécessaire à tout management des savoirs. Ceci deviendra certainement plus aisé en inculquant aux gens dans l’organisation une vision stratégique. Celle-ci leur permettra de comprendre les grandes orientations de l’entreprise et les types de connaissances qui vont avec.

La capacité de protection   : une telle capacité devrait permettre la sécurisation des savoirs et savoir-faire de l’entreprise. En effet, pour que la connaissance génère une rente stratégique, elle doit être protégée contre les tentatives d’imitation et de reproduction (Couret et Calvo, 1995 ; Liebeskind, 1996). Aujourd’hui, il semble que les brevets, les marques et les copyrights- longtemps considérés comme des moyens légaux de protection des savoirs- ne sont plus en mesure d’assurer convenablement cette protection. Gold, Malhotra et Segars proposent une autre solution. Il s’agit de concevoir dans l’entreprise un mécanisme isolant permettant de protéger ses savoirs contre l’expropriation. Dans ce sens, les organisations s’orientent de plus en plus vers la mise en place de pratiques organisationnelles qui atténueraient l’hémorragie du savoir de l’entreprise dans l’environnement. Le système de rémunération, le code de conduite des employés et le design du travail sont autant d’exemples de ces pratiques cités par ces auteurs. Liebeskind s’inscrit dans la même logique organisationnelle et considère l’action sur le contenu et la coordination du travail comme mécanismes primordiaux et suffisants de protection des savoirs (Liebeskind, 1996).

Les travaux présentés montrent la multiplicité des approches qui ont traité la question des capacités de gestion des connaissances. Afin de les synthétiser, nous présentons le tableau suivant où nous retenons les principales capacités. Celles-ci seront utilisées ultérieurement dans notre recherche.

46

Page 47: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Tableau 1.2- Capacités clefs de gestion des connaissances : une synthèse des principaux travaux

Capacités Description

Identification

Repérer et cartographier l’ensemble des savoirs appartenant aux individus et à l’organisation. Aussi, il faut identifier les individus qui construisent les savoirs et les lieux de construction (Ballay, 2003) . L’identification des connaissances permet à l’organisation d’éviter le syndrome de la roue réinventée. Elle lui permet d’imaginer les moyens de transférer les savoirs entre les unités et les individus et de protéger les savoirs de l’organisation en cas de perte de collaborateurs clefs.

Création

C’est la capacité à combiner deux connaissances différentes pour produire un output dont la valeur est supérieure à la somme des inputs (Teece, 1998). La création des connaissances aboutit à l’innovation. Selon Nonaka (1994), la création se fait à travers la conversion entre connaissances explicites et tacites. Quatre modes de conversion existent alors. Le premier est appelé socialisation (de la connaissance tacite vers la connaissance tacite). Le second est appelé combinaison (de la connaissance explicite vers l’explicite). Le troisième est l’externalisation (du tacite vers l’explicite). Le dernier est l’internalisation (de l’explicite vers le tacite). Ces quatre modes forment le modèle SECI de création des connaissances. Pour Nonaka, la création des connaissances a lieu lors de l’externalisation et l’internalisation, c’est à dire lors de l’échange entre connaissances tacites et explicites.

Intégration Absorption

L’intégration des connaissances se fait aux niveaux interne et externe. En interne, il s’agit de créer des mécanismes d’intégration et de coordination qui permettent d’intégrer les connaissances individuelles fortement spécialisées à cause de la division du travail (Grant, 1996). La structure hiérarchique permet de coordonner les différents savoirs spécialisés. Au plan externe, les organisations cherchent à intégrer les connaissances et les expertises de leurs partenaires dans les alliances de même que celles de leurs filiales sœurs pour les multinationales (Grant et Baden-Fuller, 2000). Au niveau externe, l’intégration des savoirs suppose également une capacité d’absorption (Cohen et Levinthal, 1990), c’est à dire que la firme doit avoir une base de connaissance suffisamment riche et variée pour pouvoir absorber le savoir des partenaires.

Transfert Partage

C’est la capacité de l’organisation ou d’une unité à susciter chez les individus une volonté de transférer leurs connaissances et de les partager avec leurs collègues. Les démarches technologiques dédiées à cette finalité aboutissent souvent à de piètres performances. Les capacités de transfert des connaissances butent sur un ensemble de barrières organisationnelles, contextuelles et humaines. Selon Szulanski (1996), ces barrières sont de quatre types: des barrières relatives aux expertises et

47

Page 48: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

connaissances transférées, des barrières émanant de l’émetteur, d’autres émanant du récepteur et enfin des barrières de contexte. Pour une meilleure compréhension de ces barrières, voir chapitre trois.

Utilisation C’est la capacité à appliquer dans des schémas de production concrets les connaissances créées et partagées par les individus. L’organisation est appelée à encastrer la connaissance nouvelle dans les nouveaux produits, services ou décisions (Garvin, 1993).

Protection /Rétention

C’est la sécurisation des savoirs et savoir-faire de l’entreprise. En effet, pour que la connaissance génère une rente stratégique, elle doit être protégée contre les tentatives d’imitation et de reproduction (Couret et Calvo, 1995 ; Liebeskind, 1996). La protection passe par la mise en place de dispositifs légaux. Ceux-ci n’étant plus efficaces aujourd’hui, l’organisation doit mettre en place des dispositifs internes de protection des savoirs.

48

Page 49: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.4 Choix organisationnels et stratégies de connaissance

La théorie de la firme centrée sur la connaissance stipule que le premier rôle de l’entreprise est de créer, partager et utiliser des connaissances afin d’améliorer ses capacités d’apprentissage et sa performance. Mais étant donné le fait que chaque organisation a ses propres visions, objectifs, ressources et contexte; les stratégies de déploiement des connaissances ne sont pas identiques d’une entreprise à une autre. Une stratégie de connaissance14 est définie par les principes et les activités choisis par une entreprise afin d’exploiter sa richesse immatérielle et rentabiliser l’apprentissage de ses employés et ce, au regard de ses compétences distinctives et l’environnement dans lequel elle opère.

Dans la course effrénée à l’innovation et l’exploitation des richesses intellectuelles, les gestionnaires sont appelés à prendre des décisions quant au déploiement des connaissances de l’organisation. Ces décisions ne sont pas aisées car, contrairement aux autres ressources de l’organisation, la connaissance est difficile à repérer, à évaluer et à partager. Elle est inextricablement liée aux individus qui la portent et au contexte social dans lequel elle est « encastrée ». En outre, étant donné que les stratégies de connaissances engagent la ressource clef de l’entreprise, des « calculs stratégiques » doivent être mis au point par les organisations afin de sécuriser cette ressource contre les tentatives d’expropriation. Les contraintes pesant sur le choix d’une stratégie de connaissances sont donc multiples. Seule une prise en compte de l’ensemble de ces variables permettra la formulation d’une stratégie « sur-mesure » permettant d’améliorer les capacités d’apprentissage de l’entreprise.

Appliquée au management des connaissances, la théorie de la contingence nous apprend que chaque organisation est appelée à identifier sa propre stratégie de connaissance. Au regard de son métier, de ses propres compétences et de la situation de son industrie, l’organisation peut opter pour une stratégie ou pour une autre. Les décideurs de l’entreprise disposent d’un ensemble de critères qui peuvent aider à la formulation d’une stratégie de savoir. Ces critères regroupent la nature de la connaissance stratégique de l’organisation (explicite ou tacite), la source d’apprentissage (interne ou externe) et la vitesse d’apprentissage (radical ou incrémental). Ces différentes stratégies seront présentées, synthétisées et commentées dans les développements suivants.14 Certains auteurs utilisent le concept de stratégie d’apprentissage au lieu de connaissances. Il n’existe pas de différences entre les deux concepts puisque la finalité est la même: rentabiliser la richesse immatérielle de l’entreprise pour améliorer la performance.

49

Page 50: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Bierly et Chakrabarti (1996) ont analysé les stratégies de connaissance dans 21 groupes pharmaceutiques américains entre 1977 et 1991. L’objectif de leur recherche était d’identifier des groupes d’entreprises avec des stratégies de connaissances similaires. En s’appuyant sur une revue extensive de la littérature sur l’apprentissage organisationnel, Bierly et Chakrabarti (1996) postulent qu’une stratégie de connaissance se définit en répondant de manière collective aux quatre exigences suivantes: (1) trouver l’équilibre entre l’apprentissage interne et l’apprentissage externe15, (2) focaliser sur l’apprentissage incrémental ou radical16, (3) décider de la vitesse optimale de l’apprentissage17 et (4) trouver l’équilibre entre la largeur et la profondeur de la base de connaissance de l’entreprise18. L’analyse typologique menée par les auteurs a révélé l’existence de quatre groupes d’entreprises ayant chacun sa propre stratégie de connaissance. Le premier groupe est dit groupe des innovateurs. Les entreprises appartenant à ce groupe adoptent une stratégie de connaissance agressive. Elles ont des niveaux d’apprentissage interne et externe élevés. Elles focalisent sur l’apprentissage radical et incrémental et apprennent rapidement. Le deuxième groupe est Celui des isolés. Ce sont des entreprises qui se concentrent sur des savoirs spécifiques et qui ne sont pas capables d’intégrer leurs savoirs. Aussi, elles sont lentes au niveau de l’application des nouveaux savoirs. Le troisième est un groupe d’exploiteurs. Ce sont des entreprises qui focalisent sur l’apprentissage et utilisent généralement des connaissances externes. Le dernier groupe est celui des explorateurs. Ce sont des entreprises qui jouent sur l’exploration sans occulter l’exploitation. 15 L’apprentissage interne se réalise quand les nouvelles connaissances sont développées dans l’entreprise. L’externe a lieu via l’acquisition ou l’imitation des savoirs externes. L’apprentissage interne permet à l’entreprise de développer ses propres compétences centrales et de s’approprier plus de profits. L’externe permet cependant d’élargir la base de connaissance de l’organisation et d’augmenter son degré de flexibilité. Les deux types d’apprentissage ne sont pas mutuellement exclusifs. Selon Bierly et Chakrabarti, il y a un sorte de va-et-vient entre les deux.16 Il s’agit ici du degré de radicalité du processus d’apprentissage et non du produit final (quoi qu’ils se rejoignent parfaitement). L’entreprise doit choisir entre l’apprentissage qui transforme radicalement ses routines et hypothèses centrales et celui qui change graduellement sa base de connaissance (Argyris et Schon réfèrent au premier par apprentissage en boucle double, le second est en boucle simple).17 Cette décision rejoint celle relative à l’apprentissage interne ou externe. L’apprentissage interne est plus rapide. L’externe est lent dans la mesure où il faut développer des capacités d’absorption (Cohen et Levinthal, 1990) et faire face au syndrome du Not Invented Here (Jacob et Pariat, 2000). 18 La base de connaissance doit être suffisamment large pour pouvoir combiner l’ensemble des ressources de l’entreprise de manière complexe et qui rend impossible toute tentative d’imitation pour les concurrents (Reed et Defilippi, 1990). Dans certains cas, elle doit être étroite afin de se concentrer sur quelques compétences spécifiques (surtout en cas de ressources limitées).

50

Page 51: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

De leur coté, Hansen, Nohria et Tierney (1999) ont analysé les stratégies de connaissances dans les grandes entreprises de conseil aux Etats Unis. Ils distinguent entre la stratégie de codification et celle de personnalisation. La première stratégie a pour objectif de codifier le savoir détenu par les meilleurs employés afin de le stocker et de le réutiliser. Dans cette logique, le management exproprie le savoir et l’expertise des employés clefs et les utilise dans des situations différentes. C’est une approche “people-to-document” qui est largement utilisée chez l’ex-géant du consulting international Arthur Andersen (Hansen et al, 1999). La codification permet de construire une base de connaissances, un référentiel de meilleures pratiques qui peut servir dans des situations futures. Cependant, son premier atout est de renforcer le contrôle du management sur les compétences et connaissances spécifiques de l’entreprise. Le départ de personnes clefs n’aura que de conséquences légères puisque leurs savoirs et savoir-faire sont déjà codifiés et stockés dans l’organisation. En d’autres termes, la codification assure le passage du « capital humain », qui demeure la propriété de l’individu, au capital organisationnel, propriété de l’entreprise (Legnick-hall et Legnick-hall, 2003). Elle permet de remédier aux effets négatifs sur la mémoire de l’entreprise de la forte mobilité géographique du capital humain.

Au contraire, une entreprise de conseil comme McKinsey opte pour une stratégie de personnalisation des connaissances. Elle met l’accent sur le dialogue et la narration comme moyen de développement des savoirs. L’approche se base plus sur une culture de partage, de dialogue et de confiance (Von Krogh, 1998) que sur l’infrastructure technologique et les bases de données. La personnalisation ne veut pas dire l’appropriation complète des savoirs par le consultant. En effet, ces derniers sont encouragés via des mécanismes d’incitation appropriés et un climat organisationnel propice à partager avec leurs collègues les connaissances développées dans les missions de conseil.

D’autre part, Schulz et Jobe (2001) identifient quatre stratégies de connaissances déployées par les entreprises multinationales. Ces quatre stratégies sont déterminées en fonction de deux critères : le degré de codification des connaissances et le degré de focalisation de la stratégie.

La stratégie de codification, comme expliquée ci-dessus, s’appuie sur un stockage et un partage des connaissances dans l’entreprise. Dans le cas d’une multinationale, la codification permet d’améliorer le flux de connaissances qui circule entre les différentes filiales dispersées géographiquement. La mise en connexion de savoirs géographiquement dispersés est facilitée par l’arsenal technologique

51

Page 52: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dont disposent de telles organisations (Intranets, bases de données partagées, groupware…). La technologie devient le mécanisme de codification le mieux prisé aujourd’hui.

Dans le cas d’une multinationale, les bénéfices d’une stratégie de codification sont multiples. L’environnement international actuel exige un partage rapide des connaissances entre les différentes filiales. La réponse stratégique à cette exigence est donc de “…codifier une bonne partie des connaissances de l’organisation afin de les rendre facilement transférables” (Schulz et Jobe, 2001: 143).

Mais la stratégie de codification présente certaines limites. Kogut et Zander (1992) affirment que la codification du savoir augmente le risque de son imitation par les concurrents de l’entreprise. La connaissance ne pourrait dans ce cas générer une position concurrentielle favorable. C’est pour cette raison que plusieurs multinationales préfèrent la deuxième stratégie, celle de la tacité. La stratégie de tacité s’appuie sur cet argument cher à la théorie évolutionniste de la firme selon lequel le savoir tacite est difficilement imitable par les concurrents de l’entreprise et qu’il peut être à lui seul source d’avantage compétitif durable. Certaines multinationales préfèrent garder secrets leurs savoirs et les maintenir dans “ les têtes de leurs employés”. Procéder par stratégie de tacité permet à l’entreprise de maintenir le savoir tacite en état de “gestation fluide” (Schulz et Jobe, 2001: 144). Le savoir tacite renforce en effet la créativité des individus et crée des réponses nouvelles (Leonard et Sensiper, 1998).

La stratégie de focalisation permet quant à elle, de mieux repérer les types de connaissances à codifier et celles qui seront conservées à l’état tacite (par exemple: codifier toutes les connaissances en étude de marché et laisser tacites toutes les connaissances relatives à la négociation avec les partenaires locaux pour le cas d’une multinationale). La stratégie de focalisation apporte de la restriction aux choix de codification et de tacité. Contrairement, la stratégie de non focalisation permet d’augmenter au maximum le degré de codification et d’augmenter aussi au maximum le degré de tacité.

III.5 Management des connaissances, innovation et apprentissage: l’apport de la gestion des savoirs à l’organisation

L’avènement d’une économie fondée sur les connaissances opère une refonte de la notion de compétition. En effet, de plus en plus, les entreprises sont appelées à faire preuve d’apprentissage et à

52

Page 53: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

développer de nouveaux savoirs. L’apprentissage organisationnel devient une préoccupation centrale dans la mesure où il améliore les capacités de l’organisation à reformuler son offre et à construire de nouvelles stratégies. Apprendre est synonyme de performance. Sans cette capacité à aller explorer de nouveaux horizons et à mobiliser l’intelligence collective autour de l’innovation, la survie dans un environnement hypercompétitif est impossible. Sans la volonté de s’engager dans des révisions des stratégies de fonctionnement actuelles, qu’elles soient mineures ou majeures; il n’est point possible de survivre. La question de l’apprentissage est inextricablement liée à celle de connaissance. L’objectif de tout processus d’apprentissage- qu’il soit programmé ou émergent, individuel ou collectif, par exploration ou par exploration- est de développer et pouvoir mobiliser des connaissances dans un champ d’action donné. Dans cette perspective, le management des connaissances peut être appréhendé comme « le versant opérationnel » de la théorie de l’organisation apprenante. Développée et popularisée par Peter Senge en 1990, la théorie de l’organisation apprenante a cruellement manqué de réalisme. Ses détracteurs n’ont pas tardé de signaler son caractère philosophique, utopique et difficilement « opérationnalisable ». L’intérêt accordé par les chercheurs au management des connaissances, seulement quelques années après les premiers travaux sur l’organisation apprenante, peut être compris comme une tentative d’opérationnaliser la notion d’organisation apprenante à travers la focalisation sur des processus et des stratégies d’affaires centrés sur la connaissance et qui soient parfaitement identifiables et mesurables.

Par ailleurs, le management des connaissances est indissociable d’une réflexion sur les processus d’innovation dans l’entreprise. L’importance de l’innovation dans le développement des organisations est aujourd’hui incontestable (Hamel, 1998; Roberts, 1998). Pour les économistes, elle est considérée comme élément critique de toute politique de croissance. L’une des questions centrales quand on aborde la problématique de l’innovation est la suivante: Que peut-on faire pour améliorer notre potentiel d’innovation? La réponse à cette question semble aujourd’hui s’appuyer de plus en plus sur les capacités de gestion des savoirs dans les organisations. La création, le transfert et l’utilisation des savoirs exercent en effet une influence positive sur les capacités d’innovation dans l’organisation. Dans une recherche récente, Darroch et McNaughton (2002) ont essayé de mesurer empiriquement la relation de causalité entre les activités de gestion des savoirs et deux types d’innovation: incrémentale et radicale. Malgré le fait que leurs hypothèses étaient partiellement confirmées, les résultats ne manquent pas de pertinence et leur apport pour la recherche est certain. Ces résultats stipulent que certaines pratiques de gestion des connaissances étaient en mesure d’améliorer

53

Page 54: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

le potentiel innovation incrémentale de l’organisation. Ces pratiques sont essentiellement: l’ouverture de la base de savoir de l’organisation à toutes les connaissances fonctionnelles, l’acquisition des informations sur le changement des attitudes des consommateurs sur le marché et l’acquisition des nouvelles technologies et des nouveaux savoir-faire. Il s’agit ainsi d’activités d’acquisition de savoirs externes et de documentation des savoirs internes. Leur effet se limite à l’innovation incrémentale. Par ailleurs, les auteurs ont trouvé que deux stratégies de gestion des connaissances influent sur l’innovation radicale. Ces activités sont la conclusion de partenariats et d’alliances internationaux et l’investissement intensif en capital humain. La première permet d’acquérir des savoirs et savoir-faire non existants sur le marché de l’entreprise et augmente les chances de construire des compétences originales, nouvelles et d’aboutir à des innovations radicales (qu’elles soient au niveau des processus internes ou au niveau des produits et services offerts). La seconde permet de construire un capital humain innovateur, doté des compétences et comportements nécessaires pour s’investir dans des processus d’apprentissage et d’innovation radicaux.

Le management des connaissances permet également de renouveler l’avantage compétitif de l’organisation. En effet, toute organisation est appelée à renouveler son avantage compétitif quand il ne peut plus lui fournir la position et la performance escomptées sur le marché. Elle doit ainsi s’engager dans un processus de destruction/reconstruction. Ce processus, dit également de renouvellement organisationnel, permet de reconfigurer les savoir-clefs de l’entreprise et de reconstruire ses compétences distinctives. Une telle dynamique innovatrice prend place à travers des activités de création de connaissances et de reconversion des savoirs tacites détenus par des employés clefs en savoirs déclaratifs et articulables (Nonaka et Takeuchi, 1995). Le tableau suivant résume les principaux travaux sur les effets de la gestion des savoirs sur l’innovation et la performance de l’entreprise.

Tableau 1.3- Gestion des savoirs, innovation et performance: principaux travaux

Les processus de création des connaissances influencent positivement les capacités d’innovation des entreprises. Egalement, la gestion des savoirs tacites dans les groupes permet de renforcer le niveau d’innovation, notamment en procédant aux décryptages et au transfert systématiques des savoirs détenus par les individus.

-Nonaka (1994)-Leonard et

Sensiper (1998)

La documentation des savoirs internes et l’acquisition de nouvelles informations sur le marché renforcent l’innovation de type incrémental dans l’organisation. Par ailleurs, le partage des savoirs avec des alliés

-Darroch et McNaughton

(2002)

54

Page 55: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

internationaux et l’investissement intensif en capital humain permettent l’innovation radicale.

Le management conjoint des connaissances tacites et explicites est une fonction managériale vitale quand il s’agit de développer un nouveau produit. En effet, le nouveau produit est fait de la combinaison originale et unique d’un ensemble de savoir-faire pratiques et de savoirs procéduraux. Un tel processus appelle à la mobilisation des savoirs et des idées des individus autour d’un objectif commun. La gestion des connaissances ne doit pas adopter une approche d’expropriation des savoirs tacites des individus pour renforcer le contrôle managérial. Elle doit plutôt adopter une démarche mobilisatrice et intégrative.

-Kreiner (2002)

- Leonard et Sensiper (1998)

Le design de processus d’acquisition et de développement des connaissances fiables permet à l’organisation d’apprendre plus vite et d’accroître ses capacités de réponse aux évènements externes. La gestion des savoirs influe sur l’agilité de l’entreprise.

- Dove (1999)

Conclusion

L’objectif de ce chapitre était d’améliorer notre compréhension du cadre conceptuel et théorique du management des connaissances. Le savoir, nourri de soubassements théoriques solides et mis à l’épreuve du terrain des entreprises, est à l’œuvre dans de nombreux contextes et dans les principaux enjeux stratégiques et opérationnels des organisations. Le management des connaissances est cette capacité organisationnelle capitale qui permet à l’entreprise de structurer, organiser, créer, partager et mobiliser différents types de savoirs relativement à des projets et contextes organisationnels spécifiques. A qui appartient le savoir ? Quelle relation entretient-il avec l’information et les données ? Pourquoi le considère-t-on aujourd’hui comme actif stratégique ? Quels sont les processus et les stratégies de savoir ? Telles sont les principales questions auxquelles nous avons essayé d’apporter des éléments de réponse dans ce premier chapitre. Loin d’être une simple compilation d’informations puisées dans la littérature, ce chapitre a cherché en premier lieu à clarifier les principes qui structurent le concept de management des connaissances.

55

Page 56: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Une telle problématique doit désormais être lue dans une double logique stratégique et de changement. Stratégique d’abord parce qu’elle traite directement de la performance et de la compétitivité de l’entreprise à travers la structuration et la gestion efficace de ses ressources immatérielles ; relative au changement parce qu’elle interpelle les capacités de l’entreprise à favoriser le contexte nécessaire au déploiement de ses différents processus. Les implications de cette double perspective sont importantes. D’un côté, l’entreprise ne doit plus considérer la gestion des savoirs comme un luxe. De l’autre, elle doit développer en interne un ensemble de compétences associées au management de ses savoirs. Découlant d’une intention stratégique et réclamant la mobilisation de plusieurs compétences organisationnelles, le management des connaissances ne peut se limiter, comme c’est le cas aujourd’hui chez plusieurs entreprises, à la mise en place de moyens technologiques dédiés à la codification et au transfert des connaissances. De telles démarches montrent aujourd’hui toutes leurs limites et semblent être inefficaces. Elles seront examinées dans le cadre du deuxième chapitre. En procédant à une lecture critique des approches actuelles au management des connaissances, nous plaiderons dans le chapitre suivant en faveur du renouvellement du cadre d’analyse du management des savoirs. La perspective « organisationnelle » au management des connaissances sera alors présentée.

Chapitre 2

Rétablissement de la dimension « organisationnelle » du management des

connaissances : rôle du capital humain et du climat organisationnel

La recherche sur le management des connaissances s’inscrit en droite ligne dans le champ des problématiques associées à l’apprentissage et au renouvellement organisationnel. Enjeu fondamental du développement et de la pérennité de l’entreprise, la gestion des connaissances est aujourd’hui placée au centre des débats sur le management des organisations. En dépit de cette importance, plusieurs insuffisances semblent se dégager. La première concerne le

56

Page 57: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

taux d’échec assez élevé que connaissent les projets de gestion des connaissances initiés par les entreprises au cours des dix dernières années (Mc Dermott, 1999). La deuxième insuffisance découle de la prééminence des approches technicistes dans le domaine du management des connaissances. Souvent normative et réductrice, l’approche techniciste opère une confusion entre les notions d’information et de connaissance. Une telle approche réduit la gestion des connaissances à une logique « stock d’informations », ce qui empêche de fonder une recherche conceptuellement rigoureuse sur la gestion des connaissances.

Afin de dépasser ces insuffisances, une lecture critique de la littérature s’impose. Cette lecture serait d’un grand apport. En effet, elle permettrait de mieux fonder l’analyse de cette problématique. La critique concerne surtout le déterminisme techniciste dans lequel s’enlise la recherche (et la pratique) sur le knowledge management. Il s’agit de révéler les insuffisances conceptuelles et pratiques ainsi que les multiples impasses sur lesquelles bute l’approche techniciste au knowledge management. Les apports théoriques utilisés, notamment la théorie de l’encastrement social de Grannovetter (1992) et la conception « représentationniste » définie par Lorino (2002), permettent alors de soutenir une idée-force de cette thèse selon laquelle la production, le partage et l’utilisation des connaissances relèvent d’un processus fondamentalement social. Une telle assertion plaide en faveur d’un renouveau de la recherche dans un sens qui permet d’explorer davantage le versant organisationnel du knowledge management.

Par la réflexion critique, ce chapitre vise à démontrer les impasses d’une instrumentation excessive des technologies de l’information et de communication dans la gestion des connaissances. En effet, la persistance d’une conception mécaniste du knowledge management enferme l’analyse dans la recherche de nouvelles « technologies managériales », simples et bien marketées, c’est-à-dire des manières de faire efficaces de type « One Best Way » (Grimand, 2006). Notre positionnement critique appelle donc à rétablir l’importance de la dimension organisationnelle dans la gestion des connaissances. Notre objectif ultime est de montrer que la recherche sur le management des connaissances ne peut faire l’économie d’une réflexion nécessaire sur le contexte organisationnel dans lequel ses processus clefs prennent lieu. Cela suppose les trois conditions suivantes :

- La nécessité de comprendre le phénomène techniciste rattaché à la gestion des savoirs et de situer ses principales limites (section I). Nous verrons plus particulièrement comment la logique dominante évacue « dangereusement » les dimensions sociales inhérentes aux processus

57

Page 58: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de l’apprentissage comme le phénomène de la coopération, le rôle des acteurs, la question du pouvoir ou encore la dimension culturelle sous-jacente à cette problématique.

- L’intégration des apports de la théorie de l’encastrement social (Grannovetter, 1985 ; 1992) dans la problématique de gestion des connaissances (Section II). Les échecs subis par les entreprises et les insuffisances théoriques mentionnées relèvent d’une lecture naïve du savoir organisationnel. Les apports de la théorie de l’encastrement social permettraient de recadrer cette question et de situer la production de la connaissance dans son contexte humain, social et culturel.

- La focalisation sur le rôle que jouent respectivement le capital humain de l’entreprise et le climat organisationnel « d’apprentissage » dans la promotion d’un environnement favorable à la gestion efficace des connaissances (Sections III et IV).

Section I : Réflexion critique sur le management des connaissances : pour une remise en cause des lectures technicistes

I.1 Le management des connaissances quinze ans après : expliciter les termes du débat

Depuis le début des années 90, on assiste à un intérêt grandissant pour la notion de gestion des connaissances. Dès 1991, Nonaka estimait que les organisations performantes seraient celles qui créeraient le plus de connaissances et qui réussiraient leur application dans leurs schémas de production et d’innovation. Quinze ans après

58

Page 59: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

ses débuts, la gestion des connaissances anime des débats passionnants entre les chercheurs en sciences de gestion. Les auteurs qui ont travaillé sur ce thème se sont intéressés à diverses problématiques, parmi lesquelles : pourquoi les entreprises décident de gérer leurs connaissances ? Quels sont les types de connaissances à l’œuvre dans l’entreprise ? Quelles sont les démarches de mise en application de la gestion des connaissances ? En quoi la connaissance peut-elle constituer une source d’avantage concurrentiel pour l’entreprise ? Quelles sont les conditions préalables à la gestion des connaissances ? Comment organiser le transfert et l’intégration des connaissances dans l’entreprise?...Tous ces questionnements ont débouché sur une meilleure compréhension de la problématique du savoir dans l’organisation. L’analyse de ces différentes contributions laisse paraître la co-existence de trois « paradigmes » concurrents. Le premier est technologique. Comme nous le montrerons dans les prochains développements, ce paradigme est dominant. Les travaux s’inscrivant dans ce genre d’approche ont mis en évidence le rôle central des technologies d’information et de communication et les systèmes d’information dans les activités de gestion des connaissances. La connaissance est approchée comme phénomène cognitif, un objet qu’il est possible de cartographier, d’extraire, de stocker et d’utiliser au moyen de technologies appropriées. La gestion des connaissances serait dans cette logique une affaire techniciste, une question de logiciels, de base de données, d’intranets et de systèmes de communication. Pourtant, des auteurs comme Fahey et Prusak insistaient dès 1998 sur les dérives d’une approche technologique de la connaissance et mettaient en lumière ses incidences néfastes sur la réussite des démarches de gestion des connaissances. Le deuxième paradigme est stratégique. Il construit sur les travaux fondateurs de Coase (1937), Planyi (1983) et Barney (1991) pour proposer une théorie de la firme basée sur les connaissances. Dans ce cadre, Grant (1996), Liebeskind (1996) et Spender (1996) estiment que la connaissance est un actif intangible spécifique. La gestion des connaissances devrait donc renforcer les propriétés stratégiques de cet actif. En particulier, elle doit permettre d’en dégager de la valeur. La gestion des connaissances s’oriente également vers la protection du savoir contre les tentatives externes d’expropriation. Bien que différente de la première, l’approche stratégique partage la même vision cognitive du savoir en tant qu’actif pouvant être stocké, mesuré et transféré. Le dernier paradigme est organisationnel. Son influence académique reste moins importante que les deux autres écoles et ses développements pratiques sont encore faiblement pris en charge par les managers sur le terrain. Le paradigme organisationnel s’appuie sur une vision dynamique du savoir. La connaissance serait encastrée dans la tête des individus et dans les relations sociales qu’ils

59

Page 60: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

établissent et maintiennent dans l’organisation (Tsoukas, 1996 ; Von Krogh, 1998 ; Cook et Brown, 1999). Les auteurs de cette école accordent une grande importance aux notions de capital humain et capital social comme leviers fondamentaux de management du savoir dans l’entreprise.

Parler d’approches de gestion des connaissances signifie donc, pour une large part, discuter des postulats, des apports et des limites de chacun des trois courants de recherche mentionnés. Mais il s’agit aussi de décrypter les incidences pratiques de ces différentes approches sur le déploiement opérationnel des processus de gestion des connaissances dans les organisations. De ce point de vue, les approches et pratiques de gestion des connaissances varieraient fortement en fonction de telle ou telle approche retenue par l’entreprise. Les stratégies de savoir s’en trouvent également affectées. A titre d’exemple, le choix d’une option techniciste appelle l’entreprise à se focaliser sur une stratégie de codification des savoirs alors que l’option organisationnelle mettrait davantage l’accent sur la stratégie de personnalisation. Nous réservons une bonne partie de ce chapitre à l’analyse des principales orientations des théories sur la gestion des connaissances en mettant en avant l’hégémonie manifeste des approches technicistes. Mais dans le dessein de clarifier davantage les termes du débat en gestion des connaissances, nous présentons deux tableaux qui permettent respectivement de synthétiser les trois approches évoquées ci-dessus et de mettre en relief leurs apports et limites.

Tableau 2.1- Les trois paradigmes du management des connaissances

Paradigme Statut du savoir

Processus de gestion

Stratégie de savoir

Acteursclefs

Littérature restituée

techniciste stock extractionstockage

codification des savoirs

systèmes d’information

importante

60

Page 61: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

utilisation .

stratégique actif spécifique.stock

capitalisationstockageprotectionutilisation

protection valorisation

Equipe dirigeante.

moyenne

organisationnel

fluxdynamique

créationpartageintégrationUtilisation

rôle des personnes

capital humain et social.Communautés de pratiques.

faible

Tableau 2.2- Apports et limites des trois paradigmes du management des savoirsParadigme Apports Limites

Techniciste

- permet de profiter des opportunités qu’offrent les TIC- démarche facile à mettre en œuvre - démarche largement sollicitée par les entreprises

- considère, à tort, que le savoir est un stock d’informations- ignore toute la dimension humaine et sociale de la connaissance en postulant implicitement le consensus autour du projet. - connaît un taux d’échec assez élevé

stratégique

- place la connaissance au centre de la stratégie de l’entreprise- contribue au développement d’une théorie de la firme basée sur les connaissances- prolonge les travaux de l’approche par les ressources- explore les mécanismes de création de valeur à travers la connaissance.

- considère la connaissance comme un stock - absence de consensus sur les processus stratégiques clefs de gestion des savoirs- confine le projet de gestion des savoirs au sommet de la hiérarchie de l’entreprise.

organisationnel

- considère la connaissance comme un flux dynamique- met l’accent sur le caractère « socialement encastré » du savoir et réhabilite ainsi le rôle de l’individu et du contexte social.- rompt avec la « facilité » des solutions technicistes et replace la connaissance au cœur du système social de l’organisation

- ignore les possibilités que les TIC sont en mesure d’offrir- complexité d’analyse due à la multiplicité des variables en jeu : capital humain, social, réseaux sociaux, pouvoir, culture, comportements, pratiques de GRH…- approches d’analyse centrées sur l’infrastructure et n’explorant que partiellement les processus opérationnels de gestion des savoirs.

61

Page 62: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

I.2 Un déterminisme techniciste réducteur…

Dans deux recherches successives, Swan, Newell et Robertson (2000) et Swan, Robertson et Brensen (2001) ont analysé la littérature sur le management des connaissances et l’ont comparée à celle relative à l’apprentissage organisationnel. Les résultats auxquels aboutissent les auteurs confirment l’idée que la littérature sur le knowledge management est envahie par des approches centrées sur les technologies et les systèmes d’information. Les auteurs trouvent que le domaine du management des connaissances devient depuis 1996 un sujet de publication fortement sollicité avec plus que 150 articles publiés en 1998. Parallèlement à cette ascension, le domaine de l’organisation apprenante connaît une baisse notoire de la quantité d’articles publiés. Les publications passent en effet de 95 articles publiés en 1995 à moins de trente publiés en 1998. Cette baisse peut être expliquée en partie par le fait que l’intérêt des chercheurs s’est orienté vers le management des connaissances. Les résultats les plus importants sont relatifs aux centres d’intérêt des chercheurs sur le management des connaissances (les publications parues en 1998). Toujours dans une perspective de comparaison avec l’organisation apprenante (les publications parues en 1993), les auteurs ont mis en évidence les différences fondamentales entre les préoccupations de chaque communauté de chercheurs. Le tableau suivant reprend les résultats de ces recherches.

Tableau 2.3- Thèmes de recherche en KM et apprentissage organisationnel

Thèmes de l’organisation

apprenante (1993)

Nombre % Thèmes du management des

connaissances (1998)

Nombre %

Prescriptions managériales générales

17 39 Technologies d’information

73 40

Formation 7 16 Systèmes d’information 51 28Qualité et MQT 6 14 Management stratégique 35 19Leadership 4 9 Ressources humaines 9 5Ressources humaines 3 7 Consulting 8 4Systèmes d’information, NTIC

2 5 Autres: comptabilité, marketing…etc.

8 4

Contexte sociétal 2 5Source : Swan, Newell et Robertson (2000 :3)

En premier lieu, il ressort de ce tableau que l’axe des TIC et des systèmes d’information ne concerne que 5% de la littérature sur l’organisation apprenante ; ce même axe s’accapare 70% des publications dans le domaine du management des connaissances. Ceci montre à quel point ce domaine de recherche se développe au rythme des nouvelles technologies. La première conséquence de cette

62

Page 63: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

situation est le peu d’intérêt accordé aux dimensions humaine et sociale du management des savoirs. Avec seulement 5% des publications, l’axe humain semble être le « parent pauvre » de la recherche sur la gestion des connaissances. Peut-on conclure que la dimension humaine et technologique sont mutuellement exclusives? En effet, et sans fournir des réponses hâtives, nous pensons que la faiblesse des approches humaines et sociales de manière générale, est expliquée par la représentation même de la notion de connaissance: peu d’attention est en effet accordée à la dimension sociale du savoir et aux mécanismes humains et sociaux de création des connaissances. L’approche “traitement d’information” domine les représentations actuelles de la notion de connaissance (Malhotra, 1998).

Swan et al (2000; 2001) réfèrent à cette situation par le concept de colonisation. En effet, la communauté de chercheurs en TIC/SI colonise le terrain de recherche et essaye de perpétuer sa propre logique. De plus, il semble qu’il y ait conflit entre les discours des différentes communautés de recherche (TIC, GRH, stratégie, comptabilité…); peu de perspectives communes et intégratives sont ainsi proposées dans la littérature (Swan, Robertson et Brensen, 2001). Selon ces auteurs, la colonisation du knowledge management par la communauté technologique est l’un des signaux forts que le champ ne peut pas évoluer, vu les insuffisances inhérentes aux TIC. C’est d’ailleurs l’une des raisons fortes pour laquelle certains commencent à voir le management des connaissances comme une mode managériale éphémère (Swan, Robertson et Brensen, 2001)19.

I.3 La gestion des connaissances « au pays de la technologie » : état des lieux

L’adoption des technologies d’information et de communication est sans doute le phénomène majeur qui a marqué la vie des organisation dans ce début de millénaire (Granstrand, 1998). A l’origine des

19 Dans leur analyse de la littérature, Swan et al (2000 et 2001) utilisent la théorie des modes du management développée par Abrahamson (1996) pour montrer que le knowledge management n’est autre qu’une de ces modes du management. En effet, le management des savoirs en tant que pratique des organisations et champ de recherche académique présente les caractéristiques d’une mode managériale. Ces caractéristiques sont les suivantes: l’ambiguité du concept, discours normatif, large recours aux TIC et aux solutions pratiques mises en oeuvre par des groupes de consulting et enfin (plus important dans le sens de Abrahamson), la publication sur le knowledge management suit une courbe en cloche avec une certaine baisse dans l’intérêt accordé par la communauté au thème depuis l’an 2000. D’autre part, les auteurs soulignent que le knowledge management est une mode de gestion qui a émergé aux frontières d’une autre, en l’occurrence le Business Process Reengineering (BPR).

63

Page 64: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

multiples reconversions organisationnelles, les TIC ont révolutionné les processus d’organisation, changé les modes de travail, renforcé la collaboration inter-entreprises et refaçonné les relations et les liens sociaux dans le monde du travail. Le modèle d’organisation centré sur les notions d’emploi, de poste et d’opérations cède le pas, sous l’effet des TIC, à la proximité électronique et à la collaboration virtuelle dans des espaces de travails atypiques, éclatés et nomades. Internet et ses produits dérivés offrent aux organisations de nombreux services permettant la circulation d’innombrables transactions économiques, financières, informationnelles et idéologiques. Sous l’effet de cette ouverture électronique, les frontières classiques des organisations se trouvent aujourd’hui progressivement démantelées, ce qui permet l’émergence de nouveaux types d’organisations dits virtuels ou sans frontières.

Les TIC n’ont pas tardé à prendre en main l’affaire de gestion des connaissances dans l’entreprise. Aujourd’hui, elles sont au centre des pratiques d’acquisition, de transfert et d’utilisation des savoirs dans l’organisation. Pour certains, elles sont même à l’origine du nouveau paradigme de l’immatériel et de la société du savoir. Pour les managers comme pour plusieurs chercheurs, ces nouvelles technologies sont les leviers fondamentaux de toute activité de partage des connaissances (Anand et al, 1998). Elles sont au centre des préoccupations managériales et académiques. Cet engouement pour les TIC n’est pas sans explication. Deux raisons peuvent l’étayer. La première est empirique. Elle tient au fait que le champ du knowledge management s’est particulièrement développé au travers de démarches pragmatiques menées par des consultants en organisation, ce qui explique la domination de la perspective techniciste (Barthèlme-Trapp et Vincent, 2001). La seconde est conceptuelle et tient au flou sémantique qui entoure les notions de connaissance et d’information. La gestion des connaissances est réduite dans cette logique à la gestion des bases de données et des systèmes d’informations. Les capacités technologiques de l’entreprise deviennent de ce fait les principaux leviers de création, de partage et de mise en application des connaissances dans l’entreprise.

Le recours aux TIC dans les démarches de gestion des connaissances se fait généralement sous le concept de système de gestion des connaissances. Un système de gestion des connaissances englobe l’ensemble des outils et systèmes d’information développés par une entreprise afin de faciliter l’acquisition et le partage des connaissances (Alavi et Leidner, 1999). Les recherches portant sur le rôle des TIC dans la gestion des savoirs poursuivent deux objectifs majeurs: le premier est d’expliciter au mieux les types de technologies les plus à même de provoquer un meilleur partage des connaissances; le second

64

Page 65: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

est de mesurer, de manière qualitative et quantitative l’apport des TIC à la gestion des connaissances et la performance de l’entreprise. Ces deux objectifs constituent l’essentiel des recherches qui souscrivent aujourd’hui à la thèse d’un management des connaissances techniciste. Les développements suivants permettront de revenir sur leurs principaux résultats.

Dans une recherche menée auprès de 50 responsables d’entreprises ayant mis en place un système de gestion des connaissances (tel que défini ci-dessus), Alavi et Leidner (1999) ont abouti aux résultats suivants:

Trois perspectives sur le knowledge management ont émergé: une perspective centrée sur l’information (les responsables pensent que le premier objectif de la gestion des connaissances est de permettre de stocker et filtrer les quantités faramineuses d’informations recueillies chaque jour), une perspective centrée sur la technologie (qui associe la gestion des connaissances à des outils technologiques : Intranets, Data warehousing, systèmes experts. Les responsables interrogés pensent même que la gestion des connaissances vise à promouvoir une infrastructure technologique puissante dans l’organisation). La dernière perspective est centrée sur la culture. Certains responsables pensent que les dimensions de la communication et de l’apprentissage sont fondamentales dans un projet de gestion des connaissances. Ce premier résultat montre l’importance que requièrent les dimensions centrées sur les technologies de l’information pour les responsables des entreprises.

Afin d’asseoir sa gestion des connaissances, l’entreprise doit développer deux compétences clefs. La première est relative à la construction et la mise en place de l’infrastructure technologique adéquate. La seconde doit permettre d’améliorer la sécurité des données.

L’intranet représente l’outil premier de transfert et de partage des savoirs chez les entreprises interrogées.

Dans l’esprit de la recherche de Alavi et Leidner (1999), Ruggles (1998) rend compte d’une recherche menée par le group Ernst & Young auprès de 413 entreprises américaines et européennes. Les résultats de la recherche montrent que les organisations concernées considèrent la production, l’accès et l’utilisation des connaissances comme leurs préoccupations centrales. Elles utilisent toutes des moyens technologiques importants afin de réaliser leurs objectifs. L’intranet et les data warehouse sont les outils les plus utilisés. L’intranet est souvent introduit dans le but de faciliter l’accès aux

65

Page 66: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

connaissances et le partage des expertises. Ce système fonctionne par mot de passe pour des raisons de sécurité. Il est également interne à l’entreprise. Cependant dans certains cas, certains partenaires externes (clients et fournisseurs) sont autorisés à utiliser ces réseaux internes et bénéficier du savoir de l’entreprise.

Les data warehouse ou encore les dépôts de connaissances sont des lieux de stockage des connaissances explicites des employés. L’accès à ces connaissances suppose ensuite une capacité de leur donner du sens afin de pouvoir les utiliser dans d’autres situations. C’est pourquoi les formes actuelles de stockage des données cherchent à identifier le contexte des connaissances et des expertises afin de pouvoir les consigner. La recherche s’est également intéressée aux objectifs futurs des entreprises en termes de gestion des savoirs. Selon les résultats, la priorité sera donnée à la création de moyens de travail collaboratifs. L’objectif est de mettre en réseau l’ensemble des employés et de promouvoir le travail en équipes. Dans cet ordre d’idée, les entreprises comptent recourir au groupware comme outil de travail collaboratif. Cet outil a toujours été considéré comme moyen de partage des idées et donc de génération de nouveaux savoirs. Il autorise une circulation des savoirs plus libre et moins formelle que les data warehouse (Ruggles, 1998).

Plus récemment, Sher et Lee (2003) ont mené une recherche dans le contexte de l’entreprise taiwanaise. Leur préoccupation centrale était de savoir si l’utilisation des TIC pour des fins de gestion des connaissances (identification, partage, intégration des savoirs) permettrait d’améliorer les capacités dynamiques de l’entreprise au sens de Teece et al (1997). Les résultats montrent que les TIC permettent de modérer la relation entre la gestion des connaissances et les capacités dynamiques de l’entreprise. Elles sont considérées comme variable clef dans une démarche de management des savoirs.

L’approche techniciste considère que ce sont les outils et méthodes informatiques qui autorisent et permettent le développement des connaissances. Un effort de synthèse de la littérature nous permet de considérer que cette approche est représentée par trois écoles essentielles : l’école des systèmes, de la cartographie et de l’ingénierie de la connaissance. La première s’intéresse à la mise en place de systèmes formels de management des connaissances. Par la construction d’un ensemble de technologies spécifiques, elle cherche à codifier les savoirs tacites en vue de les rendre explicites et transférables. La deuxième école s’intéresse à la cartographie des savoirs. Sa finalité est « la fabrication d’une carte cognitive à partir de représentations discursives » (Cossette, 2003 : 37). Enfin, la troisième école s’appuie sur l’ingénierie des processus. Elle s’intéresse aux outils

66

Page 67: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

et mécanismes de transfert des connaissances dans l’organisation. Son but est d’établir des capacités de transfert des savoirs. Les adeptes de l’école techniciste reconnaissent la centralité des TIC dans toute œuvre visant à développer de nouvelles expertises et à enrichir l’intelligence individuelle et collective. Grâce à ces techniques, plusieurs avancées spectaculaires sont réalisées et la connaissance n’est plus, aujourd’hui, l’apanage des humains. « Le paradigme de l’ordinateur » selon l’expression de Varela (1989 : 12) est présentement une réalité probante. Par le biais de l’intelligence artificielle et les systèmes experts, « la machine » est de nos jours capable de simuler des raisonnements complexes et pertinents, d’accroître la connaissance et d’aider à la prise de décision (Pirat, 1987).

L’idée qui sous-tend les approches technologiques du management des connaissances est qu’il est possible de construire des bases de données, des mémoires et des systèmes d’information qui fourniraient rapidement des réponses aux problèmes de l’organisation. De telles réponses sont puisées dans les bases de meilleures pratiques de l’entreprise. La construction de telles bases permet d’améliorer le benchmarking des pratiques internes gagnantes et améliore le transfert des connaissances. Le management des connaissances à dominante technologique vise donc le stockage des informations et des meilleures expertises et autorise leur utilisation rapide en cas de besoin.

En guise de synthèse, le tableau suivant (tableau 2.4) permet de comprendre les objectifs et les processus de management des connaissances sous l’approche technologique. Il est suivi par un encadré (encadré 2.1) qui expose les principales technologies utilisées dans les projets de gestion des connaissances

Tableau 2.4- La dimension technologique du management des savoirsLe management des connaissances porte sur la recherche intelligente, la catégorisation, et l’accès aux données. Il s’agit aussi de s’assurer que les données emmagasinées sont pertinentes. En général, le management des connaissances cherche à organiser et rendre disponibles les savoir-faire importants au bon moment et au bon endroit. Ceci inclut les processus, les procédures, les références, les formules et les meilleures pratiques. Les Intranets, les groupware, les data warehouse, les réseaux…sont autant d’outils technologiques qui autorisent la distribution de l’intelligence dans l’organisation.Le knowledge management est défini comme le processus de collecte, d’organisation, de classification et de distribution des informations dans l’organisation. C’est l’identification des types de connaissances nécessaires pour la stratégie d’ensemble et le renouvellement des bases de connaissances obsolètes.C’est l’organisation et l’analyse des informations stockées dans les bases de données de l’entreprise pour faciliter le transfert et le partage dans toute l’organisation.

67

Page 68: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Cartographier les sources d’informations et de connaissances, former les utilisateurs à la manipulation des cartes de connaissances.Source : adapté de Malhotra (1998 :3)

Encadré 2.1 Les technologies de communication du knowledge management* E-mail: pour la communication quotidienne et le transfert des documents.* Courrier vocal: moyen de communication audio asynchronique* Téléconférences: des discussions téléphoniques entre plus de deux personnes.* Vidéoconférences: réunion de groupe d’individus géographiquement dispersés.* Listes de discussion: L’information peut se partager à travers des séquences question-réponse, encourageant ainsi la codification des expertises portées par les employés clefs de l’entreprise.* Bases de données et d’informations: servent à emmagasiner les données et les informations nécessaires et autorisent l’accès de chaque membre de l’entreprise. * Groupware: devient de plus en plus commun aujourd’hui (Lotus notes…) et inclut l’ensemble des technologies citées ci-dessus. Source: adapté de Roberts (2000 :437)

I.4 Les impasses multiples du réductionnisme techniciste

I.4.1: Un ensemble de mythes leurrant

L’approche technologique offre une vision particulière sur les problématiques de la connaissance dans l’entreprise. Partant de l’hypothèse que le savoir est un objet qui se prête facilement à la codification et au stockage, cette perspective met l’accent sur le rôle de l’infrastructure technologique dont dispose l’entreprise pour maîtriser les processus de gestion des connaissances. Dans cet ordre d’idée, l’organisation doit être en mesure de construire des systèmes d’information et d’emmagasinage qui autorisent la consignation et le transfert des expertises et des meilleures pratiques entre les différents départements et les individus dans l’entreprise. Les autres dimensions de l’organisation comme la culture, la structure ou le système de management sont tout simplement occultées sous cette approche. Tout en reconnaissant la centralité fonctionnelle des TIC dans les activités de « ramassage » et de traitement des informations, il serait légitime de se poser des questions sur l’apport d’une approche strictement technologique au management des savoirs. L’un des objectifs assignés à cette thèse est de nuancer cette coloration technologique en expliquant d’abord en quoi elle peut être leurrante et en proposant une approche alternative qui mettrait davantage l’accent sur le contexte organisationnel de gestion du savoir. L’idée qui sous-tend un tel positionnement est que les TIC ne peuvent à elles seules donner lieu à un apprentissage significatif qu’il soit individuel ou

68

Page 69: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

organisationnel. Cette incapacité tient essentiellement à deux facteurs : l’insuffisante inhérente à ces outils et la complexité de la problématique de la connaissance qui ne peut être prise en charge qu’à travers une meilleure compréhension du contexte général de sa mise en oeuvre. Dans la continuité de la perspective critique que nous choisissons d’adopter, il serait utile d’identifier l’ensemble de mythes qui ont été construits autour du « tout TIC » et d’expliquer les leurres sur lesquels butent les prosélytes d’un management des connaissances à « coloration technologique ».

Le premier de ces mythes est la capacité des nouvelles technologies à soutenir tous les processus de gestion des connaissances. Une telle affirmation nous semble leurrante dans la mesure où de telles technologies n’offrent que des possibilités de stockage de données et de transfert des informations. Or, le management des connaissances est bien plus complexe et riche puisqu’il se structure autour de plusieurs capacités clefs: l’identification, la création, le partage, l’intégration et la protection des connaissances. Ce que les TIC permettent, c’est seulement le transfert des connaissances. D’ailleurs, même cette mission semble difficile à réaliser puisqu’elle suppose une certaine proximité physique et une communication face-à-face.

Le deuxième mythe autour des technologies d’information et de communication est qu’elles sont valables en tous temps et lieux, dans tous les types d’environnements. Malhotra (1998) et Lang (1999) insistent cependant sur l’idée que les TIC ne sont pas compatibles avec l’environnement d’aujourd’hui, en mouvance perpétuelle et caractérisé par des changements radicaux dans les modèles de stratégie. En effet, aujourd’hui, les organisations sont constamment appelées à renouveler leurs bases de connaissances pour anticiper les surprises, innover et être performantes et viables. Les TIC, qui servent essentiellement à stocker les informations et permettre leur transfert ne peuvent à l’évidence composer avec une telle dynamique de questionnement des connaissances actuelles et de renouvellement de la base de savoirs de l’organisation. Les TIC renforcent uniquement les capacités d’utilisation des informations, elles n’en permettent pas l’enrichissement. Elles améliorent l’exploitation de l’existant et ne peuvent autoriser l’exploration de ce qui est en devenir.

Enfin, les TIC véhiculent implicitement l’idée du consensus dans l’organisation. En construisant des bases de données et en encourageant le transfert des connaissances et le benchmarking des meilleures pratiques, elles tendent à faire converger les idées et les pratiques dans l’organisation vers un one best way. Ceci occulte toute la dimension conflictuelle, dialectique et critique des rapports inter-individuels et leurs impacts sur les capacités de partage et de création

69

Page 70: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

des connaissances. Comme il sera analysé plus loin dans ce travail, la question de gestion des connaissances est inséparable d’une réflexion sur la structure du pouvoir, la confiance et la coopération entre les acteurs de l’entreprise.

I.4.2 Une logique « stock » qui affaiblit les capacités d’exploration

Les limites d’une approche strictement techniciste soulevées dans les deux paragraphes précédents viennent lubrifier notre scepticisme quant à la capacité des outils technologiques à assurer une gestion efficace du capital connaissances. Dans les développements suivants, nous mettons en lumière l’ensemble des dangers que fait recourir à l’entreprise l’adoption d’une approche strictement technologique pour gérer les savoirs. Nous parlons de dangers parce que plusieurs auteurs restituent aujourd’hui à travers des études de cas d’entreprises, l’échec cuisant de plusieurs expériences centrées sur l’unique dimension technologique et les coûts exorbitants que supportent les entreprises (Mc Dermott, 1999 ; Bhatt, 2001) . Le prix à payer semble être fort élevé et parfois la compétitivité de l’entreprise s’en trouve affectée. Deux grands dangers peuvent être identifiés. D’abord, la réduction du knowledge management à une logique stock plutôt que flux. Ensuite, l’affaiblissement des capacités d’innovation et d’exploration dans l’entreprise.

Les approches technicistes réduisent la gestion des savoirs à une logique stock, c’est à dire que l’objectif central est de capter les connaissances des employés et de les stocker dans des bases de données afin de permettre l’accès rapide aux meilleures pratiques et aux solutions de l’entreprise. C’est là une vision réductionniste car la gestion des connaissances suppose d’abord une capacité à créer de nouvelles connaissances et assurer leur application et protection (Garvin, 1993; Nonaka, 1994; Liebeskind, 1996). Malheureusement, sous une logique technologique, il ne serait pas possible de favoriser la création des connaissances. Ceci requiert des interactions sociales continues, une fertilisation croisée des connaissances, de la discussion, du dialogue et de la critique constructive. La communication face-à-face est inévitable et la proximité physique est plus que nécessaire. Les TIC n’offrent pas à l’évidence l’infrastructure sociale nécessaire à la création des savoirs. Dans cet ordre d’idée, le danger pour l’entreprise est de voir ses capacités de création de nouvelles connaissances s’affaiblir.

Le deuxième danger des TIC est leur focalisation excessive sur le transfert des meilleures pratiques dans l’entreprise (Szulanski, 1996; O’Dell et Grayson, 1998). En amenant les individus à “benchmarker”

70

Page 71: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

les meilleures pratiques en circulation, l’entreprise instaure une logique de one best way qui fait perpétuer les pratiques anciennes qui ont déjà fait leurs preuves. On dépasse ici le stade de la routinisation des savoirs (qui est nécessaire pour toute activité de production) au stade d’uniformisation de l’agir et du penser organisationnels. Ce monisme intellectuel englue l’organisation dans une pure logique d’exploitation des savoirs, certainement bénéfique à court terme puisqu’elle permet de faire l’économie de la recherche et de l’innovation, mais dangereuse à long terme puisqu’elle fossilise le savoir et réduit le dynamisme de l’entreprise. Le benchmarking des meilleures pratiques, notamment par le recours aux bases de connaissances, asphyxie les capacités d’innovation et atrophie la créativité des individus. Il aboutit à une apathie collective et inhibe toute tentative d’explorer, de mieux faire et de dépasser les modes de fonctionnement à l’oeuvre et la théorie à l’usage dans l’organisation (Argyris et Schon, 1978; March, 1991). Toujours dans cette ligne critique, Grant se pose la question si le transfert des connaissances est réellement ce dont les entreprises ont besoin aujourd’hui (Grant, 1996). Le transfert des savoirs, qui représente l’essence et l’objectif de l’approche TIC, ne permet pas d’enrichir le capital connaissances. Ce dont les entreprises ont besoin, c’est une capacité d’intégration, de mise en interface et de fertilisation croisée des expertises de chacun (Grant, 1996), chose que les systèmes d’information ne peuvent garantir.

I.4.3 une « objectivation » du savoir et un réductionnisme techniciste qui débouchent sur l’exclusion de l’acteur

L’approche technologique du knowledge management procède d’une logique instrumentaliste : la connaissance y est « naturalisée », posée et définie comme une réalité préexistante, traitée comme un objet, un bien de consommation abondant qui peut gagner ou perdre en substance. Hildreth et Kimble (2002 :4) posent la question en ces termes « plusieurs projets de gestion des connaissances évoquent explicitement des connaissances qui peuvent être quantifiées, canonisées, extraites, codifiées et archivées ; une approche qui mérite davantage l’appellation de management de l’information ». Dans ce genre d’approches, les répertoires électroniques, les pages jaunes, les dispositifs de retour d’expérience, les référentiels normatifs…participent d’une même démarche qui vise à expliciter et codifier les savoirs de l’organisation. Notre objectif dans cette recherche n’est pas de diaboliser ce genre d’approche qui trouve sa légitimité dans la volonté des organisations de normaliser certains modes de faire et comportements et de stabiliser leur fonctionnement. Néanmoins, il est

71

Page 72: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

tout à fait légitime de questionner l’épistémologie de « possession » (Cook et Brown, 1999) qui sous-tend la logique techniciste. Ancrée dans une philosophie gestionnaire résolument instrumentale, la logique techniciste débouche sur une lecture objectivante du savoir qui ignore et rejette l’acteur organisationnel comme sujet connaissant, ce dernier étant vu comme source d’erreurs et facteurs d’aléas (Lorino, 2002. Grimand, 2006). De fait, la confusion entre information et connaissance peut être expliquée à la lumière de cette volonté affichée de dissocier la connaissance de son détenteur et de réduire la dépendance de l’organisation à l’égard des individus.

Lorino (2002 :5) considère que cette approche procède d’une conception « représentationniste » des outils de gestion dont il nous fournit les principes structurants :

L’efficacité de l’outil dépend de sa capacité à répliquer le réel. En d’autres termes, les propriétés intrinsèques de l’outil, la qualité de son design suffiraient à le définir. La connaissance est dans l’outil. Cette conception conduit inéluctablement à faire porter aux systèmes d’information une responsabilité qui les dépasse, celle d’encapsuler la connaissance. Or les systèmes d’information ne sauraient déterminer les comportements ou les schèmes interprétatifs des acteurs de même qu’un archet de violon ne détermine le geste que l’on va exécuter en le brandissant.

L’outil est investi d’une force autonome ; il n’a besoin ni d’être contextualisé, ni d’être approprié puisqu’il s’impose à l’acteur. L’acteur lui-même entretient un rapport d’extériorité totale à l’outil. C’est un acteur désincarné, sans désirs, buts ou stratégies. La logique technologique conduit donc à expulser hors de l’action toute interprétation par l’acteur susceptible de modifier la nature de l’action. Elle occulte par ailleurs la question du pouvoir, comme si l’acte de codification des savoirs pourrait se faire selon une « génération spontanée » et indépendamment du cadre politique qui caractérise toute cellule sociale.

De cette analyse, on retiendra que l’approche technologique débouche sur une objectivation de la connaissance en particulier et de l’activité humaine en général. La logique techniciste procède d’une philosophie gestionnaire qui relègue au second plan le rôle de l’acteur. Plusieurs auteurs avancent ces arguments pour expliquer le bilan en demi-teinte que présentent aujourd’hui la recherche et la pratique du management des connaissances (Swan et al, 2001 ; Lorino, 2002 ; Grimand, 2006). Ainsi, il serait judicieux d’explorer l’apport possible de l’approche organisationnelle au management des connaissances. Contrastant avec la philosophie techniciste, l’approche organisationnelle s’inscrit

72

Page 73: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dans une logique de construction sociale du savoir où les acteurs organisationnels ainsi que le contexte social dans lequel ils agissent seraient de véritables leviers d’apprentissage dans l’entreprise.

I.4.4 Une évacuation de la dimension « politique » du knowledge management

L’une des insuffisances majeures dont souffre l’approche techniciste est qu’elle pose implicitement l’hypothèse du consensus organisationnel, en occultant les conflits de pouvoir qui risquent d’éclater dans des organisations où la maîtrise de la connaissance et ses procès de production « rapporte gros » pour son détenteur. L’approche représentationniste, décrite par Lorino (2002), suppose en effet que la connaissance est encapsulée dans l’outil et que l’acteur ne peut exercer aucune action allant dans le sens de l’appropriation de cette dernière. Dissociée de son porteur, la connaissance est ainsi considérée comme un bien public, neutre, qui ne peut faire l’objet de transactions internes, de marchandage et qui ne peut suivre une logique d’offre et de demande. Critiquant une telle approche, Davenport et Prusak (1998) préfèrent voir l’organisation comme un véritable marché de connaissances. Un marché où des offreurs de savoir maîtrisent des informations, des expertises et des connaissances stratégiques que des demandeurs (d’autres personnes ou départements) sont prêts à acquérir via un mécanisme de prix déterminé. Nous croyons que cette logique transactionnelle de type « marché » cadre mieux avec la nature des organisations du savoir. Plutôt que les décrire comme étant des entités de consensus et de convergence, ces organisations devraient être considérées comme des lieux où l’apprentissage et le développement des connaissances s’inscrivent, entre autre, dans un registre politique particulier. L’approche informatique, il faut le mentionner, reste largement incapable de restituer toute la richesse caractérisant le registre politique (pouvoir, conflit, coopération) activement à l’œuvre dans les procès de développement et de partage des connaissances. De ce fait, la description des processus d’apprentissage qu’elle offre demeure unidirectionnelle et forcément naïve.

Plusieurs auteurs associent aujourd’hui la maîtrise de la connaissance au phénomène de pouvoir. Nous devons une telle idée au travail déjà classique de Crozier et Friedberg (1977). Ces deux auteurs nous ont livré une description très fine de la problématique du pouvoir dans les organisations, celles-ci étant appréhendées comme un espace politique. Pour ces auteurs, le pouvoir est d’abord une question de ressources. Ainsi, la connaissance que détient une personne est une de ces ressources quand elle permet de maîtriser un aléa, une incertitude qui compte pour d’autres. L’importance de cette ressource

73

Page 74: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

augmente s’il dépend de son détenteur de la donner ou non aux autres. Pour Bailly et al. (2006 :225), « La capacité d’ouvrir des portes, d’assurer de bonnes relations avec des interfaces importantes pour l’organisation (clients, gouvernements) est une ressource importante pour l’employé qui la maîtrise. La direction de l’organisation dispose également d’un ensemble de ressources, allocation de moyens ou de gratifications, capacité de fixer certaines règles du jeu, de sanctionner. Ainsi se nouent entre les divers acteurs organisationnels, entre direction et employés, des rapports de force. Il appartient ensuite à chacun de monnayer ses ressources, d’être plus ou moins fin stratège, pour atteindre ses propres buts : servir au mieux l’organisation et atteindre ses objectifs, ou encore accéder à un revenu ou à une position sociale plus élevés, disposer d’un meilleur confort au travail, etc. Qu’on le veuille ou non, nous disent Crozier et Friedberg, chacun est pris dans ces jeux de pouvoir. Même s’il ne cherche pas à maximiser ce pouvoir, il est amené à en jouer pour se défendre des intrusions des autres.

Comme le soutient Coopey (1996), la question du pouvoir a été insuffisamment traitée dans la littérature sur l’apprentissage et la gestion des connaissances. Sous l’emprise des approches fonctionnelles et instrumentales, dont l’approche techniciste, les auteurs ont adopté une vision consensuelle de l’organisation oubliant que les individus diffèrent, parfois fondamentalement, dans leur manière de concevoir le dialogue, la confiance et la coopération dans le travail. Adoptant une épistémologie critique, Blackler et McDonald (2000) s’appuient sur les travaux de Coopey pour renforcer l’idée que la maîtrise des connaissances clefs dans une organisation particulière renforce la « maîtrise » qu’a son détenteur des processus organisationnels. Les auteurs estiment que le pouvoir est un construit social dont la configuration et la portée évoluent constamment en fonction des interactions sociales qui prennent lieu dans une communauté donnée. Mais ils pensent aussi que l’exercice de ce pouvoir fait partie intégrante de l’activité collective au sein de l’organisation et qu’il façonne en bonne partie les résultats de cette activité. Ainsi, le pouvoir, dans les organisations du savoir, semble être à la fois un produit et un phénomène structurant qui se laisse façonner et façonne les interrelations sociales au sein de l’entreprise. C’est dire ici l’importance que revêt ce phénomène et la nécessité de le prendre en analyse lorsqu’il s’agit d’aborder l’apprentissage dans l’organisation.

Cette question de pouvoir est d’autant plus importante que le travail dans les organisations du savoir fait nécessairement appel à la combinaison de compétences individuelles (créativité des individus, expertises accumulées dans le temps, sagesse des seniors, etc.) et de

74

Page 75: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

compétences collectives (coopération entre acteurs, confrontation constructive, compétences de travail en équipe, réseautage des savoirs, etc.). Dans ce cas, la question de la coopération et du conflit se pose avec acuité. Comment amener des experts à partager des expertises fortement prisées qu’ils ont développées au fil des années avec des collègues embarqués dans un même projet ? Comment persuader des individus affichant et défendant des identités professionnelles différentes à éviter les conflits « identitaires » et coopérer » pour le bien de l’organisation ? Comment faire en sorte que les employés s’engagent dans des processus stables de génération de la créativité collective ? Comment développer les compétences « politiques » associées à la culture projet dans l’entreprise ? Autant de questions se posent. Elles nous renvoient toutes à cette idée selon laquelle le travail dans les organisations du savoir est inextricablement mêlé aux questions de pouvoir, de maîtrise d’expertises et de coopération. Nous retenons aussi de ces questions que l’analyse pertinente de la gestion des connaissances doit nécessairement prendre en considération la présence de ce registre politique. L’approche organisationnelle que nous tenterons d’introduire dans cette recherche intègre explicitement cette dimension dans les analyses qu’elle présente. Nous y reviendrons dans la dernière section de ce chapitre.

Section II : Réhabiliter la dimension organisationnelle du management des connaissances : les apports d’une logique d’encastrement social de la connaissance

75

Page 76: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.1 Regard général sur l’approche organisationnelle

En dépit de l’importance cruciale de l’informatique et de son développement extraordinaire, plusieurs auteurs soutiennent aujourd’hui que les outils technologiques ne permettent pas à eux seuls de soutenir la gestion des connaissances. Ils appellent les managers à prendre en compte le rôle que le contexte organisationnel est susceptible de jouer dans la mise en œuvre de la gestion des connaissances. A cet effet, les rôles de la structure, comme cadre d’organisation du travail et d’agencement des compétences, ainsi que sa culture ont été particulièrement analysés. Pour les tenants de cette approche, le système de valeurs ambiant et la structure de l’entreprise sont deux dimensions centrales pouvant influer sur l’efficacité des processus de management des connaissances.

En effet, la manière de concevoir le travail, de penser la communication et la coopération dans et en dehors l’entreprise et de répartir les responsabilités peut stimuler ou, au contraire, freiner la création, le transfert et la protection des connaissances de l’entreprise (Hedlund, 1994 ; Tarondeau, 1998 ; Gold et al, 2001 ; Métais et Moingeon, 2001). L’importance accordée par ces auteurs à la structure de l’entreprise ne doit pas nous surprendre. La connaissance de l’entreprise est en effet dynamique. Elle se construit dans les réseaux de coopération et les flux d’interaction que les individus, les groupes et les communautés de pratique établissent et maintiennent dans l’organisation (Brown et Duguid, 1998; Swan et al, 1999). A partir de là, le rôle de la structure, comme moyen de design du travail et des relations, devient déterminant dans la production et le partage des connaissances (Mansour et Gaha, 2003).

Tarondeau (1998) affirme que les structures fonctionnelles et divisionnelles ne fournissent pas les conditions nécessaires à la gestion des connaissances. Dans de telles structures, le principe de division des savoirs est à l’œuvre. La logique de spécialisation régit les règles et les relations. Il s’ensuit un cloisonnement des savoirs de l’entreprise. Le transfert des connaissances et des expertises tacites devient délicat, voire irréalisable. Ces deux types de structures finissent par créer des « silos » qui ne partagent pas horizontalement leurs savoirs (Jacob et Pariat, 2000). Une telle situation hypothèque les possibilités d’apprentissage et affaiblit le potentiel innovateur de l’entreprise.

La structure qui favorise le knowledge management sera souple, ouverte et démocratique. Organisation transversale, structure fondée sur les projets, entreprises réseaux… les termes ne manquent pas pour qualifier les structures apprenantes. Le modèle de structure en N de Hedlund (1994) permet d’intégrer l’ensemble de ces nouvelles

76

Page 77: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

configurations de travail. Selon l’auteur, cette structure est la mieux adaptée aux exigences de la gestion des connaissances. Elle s’articule autour du principe de la combinaison des connaissances au lieu de la division (qui caractérise les structures fonctionnelles et divisionnelles). Dans cette structure, le travail se fait dans des équipes temporaires et flexibles (équipes projets, équipes multifonctionnelles, équipes de résolution des problèmes…etc.), la communication sera fluide et horizontale et l’encadrement intermédiaire sera la vraie courroie de transmission et d’intégration des connaissances (Nonaka, 1999).

Outre l’aspect structure, l’approche organisationnelle du management des connaissances s’intéresse à la culture d’entreprise comme facteur de réussite du management des connaissances. La variable culturelle suscite de plus en plus d’attention et s’est construite une légitimité dans les milieux gestionnaires. Elle est aujourd’hui considérée comme un facteur de performance et comme variable essentielle dans l’analyse stratégique (Hachiche, 2001). La culture de l’entreprise est définie comme un système de représentation et de valeurs partagées par tous les membres de l’entreprise (Lemaître, 1984). Dans le management des connaissances, la variable culturelle joue un rôle central. Favoriser un contexte culturel d’innovation, de partage et de transfert des connaissances conditionne pour une large part la réussite du projet de management des connaissances (Davenport et klahr, 1998 ; Nonaka, 1999). Une culture marquée par la confiance, la discussion et l’ouverture serait favorable aux échanges et à l’apprentissage. Par contre, une culture caractérisée par l’évitement, le silence et le mépris fait obstacle à l’apprentissage et au changement (Argyris et Schon 1978). March (1991) montre ainsi qu’il peut être avantageux pour une entreprise de ne pas converger trop vite vers une homogénéisation des savoirs et des pratiques et de favoriser une culture de déviance contrôlée. Une telle culture encouragerait la présence d’individus qui rentrent moins vite que les autres dans le processus de socialisation (slow learners) car si les croyances et les perceptions de l’organisation et des individus convergent trop vite, les opportunités d’amélioration déclinent rapidement et l’équilibre ainsi atteint reste inchangé (March, 1991). Une telle culture risque d’alourdir davantage les mécanismes de coordination, mais elle va certainement dans le sens d’un apprentissage réel (Roux-Dufort, 2002).

Ainsi, pour les tenants de l’approche organisationnelle, l’exploitation et le développement des savoirs et des pratiques seraient dépendants de la structuration mise en place et de la culture organisationnelle. Les connaissances seraient davantage le produit des échanges et des relations entre les acteurs que le produit des TIC. Le management des connaissances serait plutôt le résultat d’une stratégie de mise en

77

Page 78: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

ordre, de la qualité de gouvernance et de commandement que le résultat immédiat d’une quelconque technologie.

Au delà des conditions structurelles et organisationnelles, Lam (1998) montre combien la formation et le développement des connaissances tacites au sein des organisations embarquées dans des joint-ventures internationales dépendent intimement des contextes sociétaux et institutionnels dans lesquels elles sont inscrites. Le système éducatif et le marché du travail sont considérés par l’auteur comme les deux institutions phares dont la qualité affecte grandement les modalités de formation et de transfert des savoirs tacites au sein des organisations. Nous retenons de l’analyse faite par Lam (1998) que le système éducatif affecte la configuration du savoir organisationnel selon que les formes d’acquisition des connaissances acquises par les individus se fondent sur du savoir théorique abstrait ou sur une expérience concrète des problèmes.

Dans ce même cadre d’analyse, Ben Hamouda (2001) explique qu’en raison de certaines particularités sociétales, notamment la structure de l’économie et le faible ancrage des traditions de gestion, les entreprises tunisiennes, y compris celles opérant dans le privé, semblent peu préparées aux implications gestionnaires des mutations de la société du savoir. L’auteur estime qu’une adaptation des théories de l’apprentissage au contexte de l’entreprise tunisienne devrait passer par une lecture sociétale qui mettrait l’accent sur le degré de réceptivité des institutions de l’économie quant aux pratiques de gestion associées aux démarches d’apprentissage et de gestion des connaissances.

Au terme de cette analyse, il est clair que le débat sur les leviers du management des connaissances marque actuellement la littérature spécialisée. Entre les protagonistes des nouvelles technologies menés par les consultants en organisations d’une part, et les protagonistes des approches centrées sur la culture et la structure de l’autre, le débat sur la gestion des connaissances semble passionnant, ouvert et susceptible d’enrichir le corpus et les pratiques en place. Le choix opéré dans cette thèse porte sur la dimension organisationnelle du management des connaissances. A partir d’un questionnement critique de l’approche techniciste, nous avons révélé la nécessité d’une lecture qui prend en considération le caractère social du savoir. Seule une approche organisationnelle qui prendrait en considération le rôle des acteurs et du contexte organisationnel de l’apprentissage serait en mesure de nous fournir des éclaircissements sur la problématique posée dans cette thèse.

78

Page 79: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.2. La théorie de l’encastrement social comme fondement théorique à l’approche organisationnelle

La dimension technologique du knowledge management considère la connaissance comme une donne neutre, objective et externe à son porteur. Les stratégies de codification et de transfert du savoir s’appuient largement sur ce genre d’idée (Hansen et al, 1999). En effet, les organisations cherchent à codifier le savoir de leurs employés et à le consigner dans des bases de données et dans des systèmes experts. Leur objectif est de faciliter le transfert de ce savoir et de le garder dans l’entreprise, réduisant de la sorte leur dépendance vis-à-vis de leurs employés clefs20. De telles pratiques montrent aujourd’hui leurs insuffisances (Lang, 2001 ; Roberts, 2000). En effet, les manœuvres de codification, aussi sophistiquées soient-elles, ne peuvent restituer toute la richesse de la connaissance et de l’expertise humaines. Les procédés de codification ne permettent pas de capter, dans leur dynamique, le contexte, les relations et les multiples formes d’encastrement de la connaissance. Bref, seule la partie visible de l’iceberg sera accessible aux membres de l’organisation.

S’inscrivant ouvertement dans le cadre du paradigme organisationnel, cette recherche ne peut faire l’économie d’une approche qui prend en compte le caractère socialement encastré du savoir. C’est que la connaissance, loin d’être une donne neutre, a-contextuelle, apolitique et exogène, est avant tout le produit de situations organisationnelles dans lesquelles interagissent des acteurs ayant des apports variés et différents en matière de compétences, d’attentes, d’attitudes et d’intérêts. Une analyse par l’encastrement social doit alors prendre en considération, et de manière simultanée, le rôle des acteurs de l’entreprise dans leur singularité ainsi que l’ensemble de leurs interactions, qu’elles soient coopératrices, conflictuelles ou conciliatrices. La discussion sur l’apport de la théorie de l’encastrement social nous permettra dans un premier temps de définir l’essence et le périmètre de cette théorie. Il sera ensuite question d’analyser la question de la connaissance sous les postulats de cette théorie. Enfin, nous engageons la réflexion sur les implications 20 Le savoir qui repose dans les bases de données de l’entreprise et dans les systèmes experts qu’elle construit est appelé capital organisationnel. C’est le savoir qui ne rentre pas le soir. Ce savoir est donc la propriété de l’organisation et non celle de l’individu ou du groupe. En développant leur capital organisationnel, les entreprises essayent de renforcer leur contrôle sur leur savoir et leur expertise. Elles cherchent également à réduire leur dépendance et leur vulnérabilité vis-à-vis de leurs knowledge workers, ceux qui détiennent l’expertise spécifique et donc le pouvoir dans l’organisation (Elakremi et Trabelsi, 2003).

79

Page 80: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

théoriques d’une approche par l’encastrement social pour la recherche en gestion des connaissances. L’accent sera particulièrement mis sur deux éléments centraux : le capital humain et le climat d’apprentissage.

II.2.1: Essence de la théorie de l’encastrement social Le sociologue et économiste américain Marc Grannovetter est sans doute le père fondateur de la théorie de l’encastrement social (social embeddedness). Pour Grannovetter (1985, 1992), l’encastrement renvoie au fait que les institutions, les individus et les comportements sont en permanence contraints par les relations sociales. Des relations encastrées signifient, pour l’auteur, l’existence de modèles d’interaction permanents qui sont basés sur la coopération et la confiance. L’encastrement social en tant que théorie d’analyse du comportement humain et institutionnel s’appuie sur les postulats de la théorie du traitement de l’information sociale. Selon cette théorie, les individus seraient majoritairement influencés par ceux avec qui ils manifestent une proximité en termes d’attitudes, de comportements, de capacités de jugement et de perception. Leur comportement est également influencé par le contexte culturel et social dans lequel ils s’inscrivent. Dans des relations socialement encastrées (ou inscrites), les individus tendent à influencer les gens avec qui ils interagissent fréquemment. A travers de telles interactions, les acteurs partagent leurs connaissances et leur « sagesse », ce qui pourrait conduire, au delà de la simple valeur communicationnelle, à développer une forme de « croyance collective » partagée par les différents acteurs. Selon la théorie de l’encastrement social, plus ces interactions (appelées liens ou tuyaux) sont denses, mieux sera la capacité de l’organisation à partager et intégrer les différents savoirs individuels.

Les travaux sur l’encastrement social ont fourni le substrat théorique à plusieurs recherches en sciences de gestion, notamment celles portant sur l’apprentissage intra et inter-organisationnel, le développement des connaissances, la gestion des équipes de travail, le développement des réseaux sociaux et le capital social.

Ayant opté dans cette recherche pour une approche organisationnelle du management des connaissances, nous jugeons pertinent et utile de mobiliser les apports de la théorie de l’encastrement social dans le cadre de cette problématique. Les développements suivants permettront de situer la vision que nous offre cette théorie sur la question de la connaissance dans l’entreprise.

II.2.2 La question de la connaissance selon la théorie de l’encastrement social

80

Page 81: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La théorie de l’encastrement social (Granovetter, 1992) nous offre ici une nouvelle perspective sur la connaissance. Plus qu’une donnée neutre, atemporelle et a-contextuelle, la connaissance serait davantage socialement encastrée. Elle serait singulièrement le produit d’acteurs situés, d’une intersubjectivité distribuée. Les implications de la théorie de l’encastrement social sont fortes. Sous cette logique, la connaissance de l’entreprise serait dépendante du contexte social dans le cadre duquel elle est développée. Elle serait le fruit de la variabilité qui marque les échanges entre les acteurs, de leurs positions, attentes, motivations, aspirations et prédispositions à s’engager dans des processus de coopération. Vue sous l’angle de l’encastrement social, la question de la connaissance s’inscrirait principalement dans une lecture organisationnelle qui rompt avantageusement avec les lectures simplificatrices du savoir associées au prisme technologique. Toute connaissance explicite aurait inéluctablement un versant tacite, socialement encastrée, enchâssée dans un flux complexe de relations, de jugements personnels et de situations professionnelles. L’analyse faite par Tsoukas et Vladimirou (2001) et reprise par Grimand (2006) montre à quel point les connaissances mobilisées par des télévendeurs dans un centre d’appel grec revêtent une dimension de construction sociale. L’essentiel du cas est repris ici dans l’encadré 2.2.

Encadré 2.2. L’inscription sociale du savoir dans un centre d’appelL’étude de cas concerne un centre d’appel, en charge du service à la clientèle de Panafon, leader grec de la téléphonie mobile. La majorité des demandes est susceptible de trouver une réponse dans les bases électroniques de connaissances à la disposition des opérateurs du centre d’appel. Cette possibilité ne préjuge cependant pas de la rapidité de la réponse, critère essentiel pour la qualité de service. Pour se conformer à cette exigence, les opérateurs expérimentés mobilisent ainsi deux catégories de ressources, résistibles à la codification :Un réseau relationnel au travail, les opérateurs échangeant fréquemment avec leurs collègues au cours même de leur activité sur des problèmes inconnus de leur part. Les pauses sont également l’occasion de renforcer les liens de la communauté, de consolider la mémoire collective, de faciliter l’apprentissage individuel, notamment par la circulation et la mise en commun de récits évoquant des demandes inattendues, non répertoriées ou le cas de clients étrangers.

Une capacité à discerner derrière la demande officielle l’état émotionnel du client et à adopter le comportement adéquat. Les opérateurs expérimentés ont ainsi développé des capacités perceptuelles leur permettant d’intégrer toute une palette de nuances dans la tonalité de la voix du client et d’agir en conséquence (pacifier un client agressif, faire preuve de pédagogie à l’égard d’un client déconcerté…). Un tel savoir est par essence tacite et extrêmement difficile à verbaliser.

La connaissance tacite des opérateurs possède ainsi indéniablement une dimension de construction sociale, et parait fortement encastrée dans une pratique, un réseau relationnel. Dès lors, toute tentative d’abstraire cette connaissance du contexte pour en faire une information « stockable » parait vouée à l’échec.

81

Page 82: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les implications de la théorie de l’encastrement social de la connaissance sont essentiellement au nombre de trois. La connaissance est d’abord socialement distribuée. Elle est ensuite un ensemble de flux dynamiques. Enfin, sa production prend vraisemblablement place dans le cadre de communautés de pratiques plus ou moins structurées.

II.2.2.1 La connaissance est socialement distribuée Dans deux articles fondateurs, Tsoukas (1996) et Tsoukas et Vladimirou (2001) s’appuient sur la théorie de l’encastrement social afin de développer l’idée de la firme comme un système de connaissances distribuées. Ils avancent l’idée que le savoir de l’entreprise est distribué dans plusieurs sens. Le savoir est distribué dans la mesure où il est impossible de restituer toutes les dimensions spatio-temporelles de la connaissance. Ce qui est plus important cependant, c’est que le savoir est distribué dans le sens où il est foncièrement indéterminé. Pour Tsoukas, « …more radically, a firm’s knowledge is distributed in the sense that it is inherently indeterminate: nobody knows in advance what knowledge is or need be. Firms are faced with radical uncertainty: they do not they cannot know what they need to know. Viewed this way, firms are not only distributed, but decentered systems-they lack the cognitive equivalent of a control room » (Tsoukas, 1996: 22). L’idée à retenir est que la connaissance ne peut être une donnée garantie, qui existe ex ante et attend tout simplement à être découverte. Elle est un produit social en devenir, et jamais achevé. Selon Tsoukas, la connaissance serait d’abord encastrée dans l’esprit des acteurs de l’entreprise. Ceux-ci apportent de la complexité à la situation de production de savoir. Cette complexité tient à leurs hypothèses antérieures, leurs attentes, leurs expériences et leurs dispositions (Berger et Luckmann, 1966). Cette idée est soutenue par les travaux de Nonaka et Takeuchi (1995) qui estiment qu’une bonne partie de la connaissance repose dans la tête des individus, dans leurs compétences et leurs modèles mentaux. Le deuxième niveau d’encastrement est organisationnel ou social. Dans cette logique, la connaissance serait un construit social qui se développe dans les réseaux de coopération et les flux de d’interaction que les individus, les groupes et les communautés de pratique construisent et maintiennent dans l’organisation (Brown et Duguid, 1998 ; Leeman et Whymark, 2001). Le troisième niveau d’encastrement est sociétal. La connaissance est partiellement inférée du contexte industriel et de l’environnement dans lequel l’entreprise évolue (Lam, 1998). Le milieu culturel influe également sur les valeurs de l’organisation et sur ses représentations. L’effet de ces variables sociétales sur le processus de production sociale des connaissances, s’il est bien reconnu, est cependant difficilement identifiable.

82

Page 83: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.2.2.2 La connaissance est un flux dynamiqueContrairement à l’information qui peut être facilement stockée dans des bases de données, la connaissance est difficile à saisir du fait qu’elle n’obéit pas à cette logique stock. La connaissance est un flux qui se construit dans l’action. C’est un construit dynamique en construction et enrichissement permanents. Elle ne peut être tout simplement extraite des bases de données. Elle est fluctuante, fluide et résulte de situations d’interactions complexes. Le flux de connaissances appelle à une vision dynamique du travail dans l’entreprise. Un flux implique plusieurs acteurs, des relations sociales intenses, des feed-back et une persistance dans le temps qui ne veut pas dire une sclérose, mais plutôt un renouvellement constant. Sous la logique flux, la connaissance est molle, ambiguë et transcende parfois les frontières de l’entreprise. Elle est difficile à localiser et à cerner avec précision. C’est pourquoi il est difficile pour le management de l’entreprise d’exercer un contrôle parfait sur ces flux de savoirs. Egalement, les flux de connaissances sont influencés par les positions et les représentations des acteurs, par l’histoire de l’entreprise, sa stratégie et les caractéristiques de son environnement. Le flux de connaissances est une notion complexe, contingente et dynamique.

Selon Roberts (2000), le caractère dynamique et fluctuant de la connaissance met en évidence l’incapacité des TIC à jouer un rôle moteur dans le développement et l’exploitation des savoirs de l’organisation. Ce sont donc les structures sociales de l’apprentissage qui seraient les catalyseurs de la création des savoirs. Dans leur livre pionnier, Nonaka et Takeuchi (1995) focalisent sur cette idée de connaissances dynamiques en montrant que la connaissance tacite et explicite interagissant et s’inter-échangent dans le cadre des activités créatives des individus. Par ailleurs, Lundvall et Johnson (1994) considèrent qu’il existe quatre types de connaissances: le know-what (le savoir-quoi), le know-why (le savoir-pourquoi), le know-who (le savoir-qui) et le know-how (le savoir-comment). Les deux premières formes sont de nature explicite. Elles peuvent être emmagasinées dans des dépôts de connaissances. Par contre, le savoir-qui est inscrit dans les réseaux de relations professionnelles des individus et ne peut faire l’objet d’une classification systématique. Egalement, le savoir-comment renvoie aux pratiques et à la maîtrise professionnelles des individus qui sont encastrées dans des contextes particuliers (Dostarel et Boiral, 2002).

II.2.2.3 Les communautés de pratiques comme lieux de construction du savoirDans la logique de l’encastrement social, le chercheur s’intéresse à la compréhension des processus sociaux et des structures sociales qui permettent la création et le partage des savoirs (McAdam et McCreedy,

83

Page 84: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

1999). De telles structures encouragent en effet les processus d’inter-échange social et permettent la création, le partage et l’implantation de nouvelles manières de produire et de réfléchir (Demarest, 1997). Les travaux pionniers de Wenger, de Brown et de Duguid présentent les communautés de pratiques comme des lieux privilégiés de production des connaissances (Wenger, 1998; Brown et Duguid, 1998; Brown et Duguid, 2000). Une communauté de pratique est une constellation d’individus qui, de manière collective, créent et partagent du savoir à travers des pratiques partagées. Une communauté de pratique est également dotée d’une identité propre; elle a sa propre histoire, sa propre culture et ses propres repères et modes de fonctionnement. C’est une structure vivante dans laquelle les individus peuvent innover.

Ces communautés ne sont pas des lieux de cohésion, de consensus et de convergence totale des idées. Le partage des expertises qui prend lieu dans ces communautés ne doit pas être confondu au transfert des informations qui caractérise les approches TIC. En effet, selon Fong (2003), le partage des savoirs est une étape dans le travail résolutoire de ces communautés21. Typiquement, la création des connaissances dans ces communautés peut être analysée comme un processus s’articulant autour de cinq phases: décloisonnement des frontières fonctionnelles et mentales entre les individus, partage des idées et des perspectives, génération de nouvelles perspectives, intégration des idées dans une nouvelle connaissance et enfin apprentissage collectif des membres de la communauté via la mise en action du nouveau savoir. Cette perspective soci-constructiviste montre encore une fois que la connaissance est une entité complexe qui ne peut être tout simplement extraite des dépôts technologiques de l’entreprise. L’intégration des différentes idées et perspectives dans une communauté de pratique ne se fait pas sans douleurs. Le travail du savoir est en effet dominé par la communication, la discussion, la narration, l’argumentation, le débat et la négociation (Lang, 1999). Construire une nouvelle connaissance, c’est réussir l’intégration d’expériences et de positions différentes. C’est également gérer des tensions inévitables entre des acteurs ayant chacun ses propres intérêts, dispositions et attentes. Cette complexité sociale s’ajoute à la complexité de la connaissance, dynamique et fluide et qui doit être sans cesse renouvelée et réajustée.

Dans un processus de construction de savoir, une attention particulière doit être accordée à la communication interpersonnelle. Le langage et la conversation sont considérés comme des moyens d’échange 21 Fong (2003) prend l’exemple des équipes projets comme communautés de pratiques spécifiques. Ce choix nous semble judicieux dans la mesure où ces équipes ont les mêmes propriétés que les communautés de pratiques.

84

Page 85: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

importants. La narration (story telling) et le dialogue sont selon Nonaka (1994) des mécanismes à l’origine du partage des connaissances. Webber (1993) mentionne que les conversations sont les moyens par lesquels les travailleurs du savoir découvrent ce qu’ils connaissent et le partagent avec leurs collègues. Dans la conversation face-à-face, il y a nécessairement alignement cognitif sur l’interlocuteur. Une situation de communication sociale saine appelle les parties prenantes à faire preuve d’une certaine décentration. Goleman (1985) définit la conversation comme la calibration de nos propres modèles mentaux vis-à-vis de ceux des autres interlocuteurs. C’est donc à travers cette ruée vers l’autre qu’émerge la connaissance collective. Deetz avait raison de dire que la connaissance n’est pas communiquée, mais qu’elle est plutôt un produit social critique accompli dans la communication (Deetz, 1992). Il ressort de cette analyse l’importance de la conversation et la communication comme mécanismes sociaux de partage et de développement des savoirs. De tels mécanismes ne peuvent avoir lieu et produire leurs effets en dehors d’une structure sociale appropriée qui leur donne naissance et les encourage. La construction et le partage des connaissances dans les communautés de pratiques sont des processus sociaux complexes qui font intervenir nécessairement les représentations des individus et les mécanismes de construction de sens (sensmaking). Le sensmaking renvoie à cette nécessité de comprendre comment les individus construisent ce qu’ils construisent, pourquoi ils le font et avec quels effets (Weick, 1995). Il tient à l’idée que la réalité est une construction en devenir qui émerge des efforts des individus à créer de l’ordre et créer un sens rétrospectif des événements (Weick, 1993). En donnant un sens à leur contexte et à leur action et en enactant une partie de leur environnement, les acteurs vont créer leurs propres identités et vont exprimer leurs connaissances. Leurs représentations entrent également en jeu. Leurs cadres d’interprétation traduisent le contexte et donnent du sens (Jodelet, 1984). La connaissance serait alors une inférence, une production des représentations collectives.

85

Page 86: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section III : Au cœur de la perspective organisationnelle : capital humain et dynamique de l’apprentissage

L’importance de reconnaître la dimension organisationnelle du management des connaissances est postulée par plusieurs auteurs (Von Krogh, 1998 ; Tsoukas et Vladimirou, 2001). La mobilisation de ressources technologiques et d’excédents financiers n’est toujours pas suffisante pour instaurer une dynamique d’apprentissage au sein de l’organisation. Des conditions organisationnelles permissives doivent ainsi exister afin de soutenir les processus de création, de partage et de mise en application des connaissances. Les notions de capital humain et de climat organisationnel découlent directement de l’idée défendue dans cette thèse selon laquelle la connaissance est socialement inscrite et que son management dépend des acteurs (essentiellement leurs compétences et engagement dans l’apprentissage) et du contexte organisationnel dans lequel leurs multiples interactions prennent place. Ces notions permettent de comprendre comment les acteurs détenant des compétences spécifiques et agissant dans un cadre organisationnel orienté vers l’apprentissage seraient des leviers fondamentaux dans tout procès de gestion des connaissances. Les individus (entendu dans le sens capital humain) peuvent donc avoir un effet important et durable sur les

86

Page 87: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

situations d’apprentissage dans l’organisation (Stenmark, 2001). En mobilisant des compétences hautement spécifiques, ils apporteront de la valeur aux processus innovateurs. En s’appuyant sur les postulats de l’approche par les ressources (Resource-Based View), Bowman et Swart (2006) ont démontré que le capital humain dans les organisations du savoir, et notamment dans les firmes spécialisées dans le conseil, est créateur de valeur et de performance pour l’entreprise. Les consultants mobilisent des connaissances qui sont hautement spécifiques leur permettant de différencier leur offre et de créer de la valeur pour l’organisation. Plusieurs autres recherches sont venues nous fournir des preuves sur l’importance de considérer le capital humain de l’entreprise comme levier d’apprentissage dans l’organisation. Largement immatériel et inséparable de son détenteur, le capital humain bouleverse les logiques de gestion des personnes dans les organisations. Devenu aussi vital que le capital financier, il doit faire l’objet d’un management spécifique. 

L’objet de cette section est de montrer l’importance du capital humain dans une lecture organisationnelle du management des connaissances. Pour ce faire, nous revenons d’abord sur la genèse du concept et notamment ses racines économiques. Il sera ensuite question d’analyser l’intégration du concept dans la stratégie de l’entreprise, ce que certains appellent la perspective gestionnaire. L’apport de ce concept aux questions d’apprentissage et de gestion des savoirs sera débattu en fin de section. III.1 Capital humain : généalogie du concept et intérêt d’une lecture « stratégique »

III.1.1: l’approche économique du capital humain : apports et limites Les chercheurs en gestion sont de plus en plus enclins à utiliser le concept de capital humain pour designer les hommes et les femmes qui travaillent dans l’entreprise. Pour Autier (2006 :63), « les promoteurs de cette analogie postulent que capital humain capture, mieux que ressources humaines, l’idée que les compétences des salariés constituent un capital clef pour le développement et la différenciation de l’entreprise. Ils indiquent aux directions des entreprises que désormais tout doit être fait pour attirer, développer et retenir cette forme vitale de capital. Ils anticipent qu’elle sera valorisante et qu’elle devrait être perçue comme telle par les salariés, qui se voient ainsi élevés au rang de capital vital, au même titre que le capital financier ». Toutefois, le concept de capital humain a été d’abord développé dans le champ de l’économie. Deux chercheurs américains sont à l’origine de ce concept : Theodore Schultz et Gary Becker. Le premier, prix Nobel de l’économie en 1979, affirme que les savoirs, l’expérience, les

87

Page 88: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

talents, mais aussi l’aptitude des individus à résister aux maladies peuvent être considérés comme un capital en ce sens que les investissements opérés donnent lieu à un retour sur investissement qui peut être mesuré. Ce concept sera ensuite précisé par le deuxième, Gary Becker (1964, 1976), connu pour ses tentatives de vouloir élargir le champ de la micro-économie aux comportements humains. Tout comme le capital physique ou financier, le capital humain peut être acquis (par l’éducation par exemple), développé (la formation, la prévention contre les maladies) et rentabilisé (à travers l’augmentation de la productivité de son détenteur). Ce concept a servi de base solide pour le développement de l’économie du développement, de l’économie de l’éducation et récemment de l’économie du savoir. Dans ses premiers développements économiques, le concept de capital humain était «posé» par les chercheurs afin de répondre à une question simple : quel est le rendement d’un investissement en éducation pour un individu donné ? Afin d’évaluer ce retour sur investissement, les économistes ont tout d’abord cerné le coût afférent à l’investissement en formation. Le bénéfice attendu se mesure quant à lui par le surcroit de rémunération que l’apprenant peut obtenir sur le marché du travail tout au long de sa vie active. Ainsi, en investissant dans l’éducation et la formation, les individus augmentent leur « capital humain », ce qui leur permet d’occuper des emplois plus rémunérateurs. La perspective économique du capital humain focalise donc exclusivement sur l’individu et relègue au second plan le rôle de la firme dans le management de ce capital. Elle examine le concept du point de vue de l’offre et reste distancée des approches qui étudient la manière avec laquelle le marché du travail recherche ce type de compétences, les intègre dans l’économie et les rémunère. En outre, elle ne permet de définir les conditions organisationnelles qu’il faudrait réunir afin de permettre à ce capital de se développer et de générer les retours sur investissements escomptés. Pierre Louart (1996 :3) résume les insuffisances de l’approche économique du capital humain comme suit « Quand on le réduit à un facteur de production, l’homme n’est plus un partenaire de l’action collective mais un effectif contrôlé par surveillance, contrat ou idéologie. Au mieux, c’est un actif à entretenir et à gérer dans la logique beckerienne du capital humain. Cet actif a une valeur monétaire caractérisée par l’ensemble de ses aptitudes, de ses connaissances et de ses savoir-faire. Son acquisition et son adaptation entrainent des investissements qu’il faut compenser en résultats productifs. Dans cette vision objectivante, les dysfonctionnements sociaux sont vus comme des risques à prévenir ou à anticiper, au même titre qu’une perte de compétences. » L’approche économique est également mise à mal par des recherches qui ont montré que les différences de performance dans une même industrie sont plus importantes que les différences intersectorielles. Bounfour (2000) n’hésite pas ainsi à attribuer ces différences aux

88

Page 89: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

types de combinaison de ressources plutôt qu’à la structure du marché. On retrouve ici les idées de l’approche par les ressources qui focalise sur la dynamique de constitution de l’avantage concurrentiel de l’entreprise à partir de sa configuration distinctive de ressources et de compétences.

III.1.2: L’approche gestionnaire et l’intégration du concept dans la stratégie

III.1.2.1 L’approche par les ressources et le capital humain L’approche économique, qui sert de substrat théorique au concept, a été rapidement reléguée au second plan par d’autres approches. Ces nouvelles approches sont centrées sur la stratégie interne de l’entreprise. C’est le cas de l’approche par les ressources et les compétences qui fournit un nouveau cadre théorique pour analyser le capital humain de l’entreprise. Le développement remarquable de cette nouvelle approche a permis de recentrer l’analyse du capital humain sur la dimension stratégique. Les travaux fondateurs de Barney (1991) sur les conditions de formation de l’avantage compétitif durable ont influencé les nouvelles approches sur le capital humain. Dans le cadre de cette synthèse, nous proposons de revenir sur les trois principaux développements qu’a connus le concept de capital humain, toujours dans cette nouvelle perspective centrée sur les ressources et les compétences.

L’approche KSAOs (Knowledge, Skills, Abilities and others) Dans cette approche, le capital humain est défini comme la somme de plusieurs variables, à savoir : la connaissance, le talent, l’expertise et d’autres éléments incluant le comportement, les valeurs et les croyances. Selon Edvinsson et Malone (1997), le capital humain peut être représenté par les capacités individuelles, la connaissance, le talent et l’expérience des employés et des managers de l’entreprise. Dess et Pickens (1999) estiment que le capital humain se compose des éléments suivants : les différentes formes de talents, l’expérience qui découle des expérimentations passées, le savoir, les compétences sociales telle que la capacité à travailler en groupe, à coordonner ses activités avec les autres et enfin les valeurs, les croyances et les attitudes qui donnent une forme à la perception des individus et en dernier degré à leurs performances dans leurs postes.

L’approche KSAOs a le mérite de recentrer l’analyse du capital humain sur des dimensions internes qui sont relatives à l’emploi des individus, aux expertises qu’ils développent dans leurs postes et à leurs attitudes. Elle rejette donc les anciennes formes de mesure du capital humain centrées sur les diplômes et le niveau d’éducation. Dans la nouvelle approche, le capital humain n’est pas appréhendé dans cette

89

Page 90: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

logique « éducation », qui est d’abord statique mais qui est surtout externe aux situations de travail et à la réalité de l’entreprise. Il est plutôt analysé dans une logique d’emploi et de compétences.

Mais l’approche KSAOs semble souffrir d’une limite importante. En effet, cette approche peut paraître restrictive dans le sens où elle renvoie à la performance locale des individus et uniquement par rapport à leurs postes de travail et les opérations qui leur sont assignées (Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 2003). Ceci s’explique historiquement par le contexte dans lequel cette approche a été forgée. Ce contexte se caractérise par une focalisation totale sur les notions de poste, d’emploi, d’opération et de performance individuelle. Aujourd’hui, il est difficile de continuer à utiliser l’approche KSAOs comme cadre d’analyse du capital humain. Les considérations sont multiples. D’abord, le contexte change. Le cadre stable et relativement intensif en travail dans lequel cette approche a été développée n’est plus d’actualité aujourd’hui. Ensuite, le travail dans l’organisation change de manière rapide et radicale. Les situations de travail individuel sont de moins en moins rares. Le travail se fait le plus souvent de manière collaborative dans le cadre de communautés de pratiques. Il devient aussi intensif en connaissances. Enfin, la gestion du travail devient fortement ancrée dans la stratégie d’ensemble de l’entreprise, ce qui donne aux impératifs stratégiques (et non aux postes de travail) la force de définir et de façonner le capital humain.

Le modèle VRIO comme cadre d’analyse du capital humainLe modèle VRIO (Barney et Wright, 1998) s’inspire largement des travaux de Barney (1991) sur les conditions de formation de l’avantage compétitif dans l’entreprise. Il stipule que le capital humain est une source importante d’avantage compétitif et de démarcation pour l’entreprise. Le modèle place donc l’analyse du capital humain dans une dimension stratégique. L’idée de base du modèle est la suivante : afin de contribuer à la compétitivité de l’entreprise, le capital humain doit répondre aux quatre conditions suivantes : être de valeur, être rare, inimitable et être soutenu par une gestion efficace. Les auteurs avancent également que l’avantage compétitif provient des compétences spécifiques à la firme et non des compétences génériques. Les compétences spécifiques à la firme ne peuvent être appliquées ailleurs. Elles sont généralement développées dans l’organisation. Les connaissances génériques sont importantes, mais elles ne permettent pas la construction d’un avantage compétitif propre à l’entreprise. Une telle idée peut être critiquée. En effet les connaissances génériques peuvent comporter les connaissances spécifiques à l’industrie par exemple. Dans la logique du modèle VRIO, de telles connaissances ne sont pas en mesure de contribuer à la démarcation par rapport aux concurrents. Ceci est critiquable dans la

90

Page 91: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

mesure où les managers sont appelés à assimiler toutes les connaissances qui circulent dans l’industrie afin de mieux comprendre le cadre général de la concurrence. D’autre part, Mohrman (2003) affirme que les employés doivent développer des compétences génériques (relatives à l’industrie par exemple) et spécifiques. Cette multiplicité de compétences leur permettra de mieux travailler dans les groupes multifonctionnels et de mieux intégrer les connaissances de leurs collègues dans d’autres départements.

L’approche architecturale : l’unicité et la valeur du capital humain

L’approche architecturale a été introduite dans les travaux de Lepak et Snell (1999), Snell, Lepak et Youndt (1999) et Lepak et Snell (2002). Les auteurs sont partis de l’hypothèse que le capital humain de l’entreprise n’est pas une entité homogène et que les compétences et les connaissances détenues par les individus diffèrent selon leur valeur stratégique pour l’organisation. En centrant l’analyse du capital humain sur deux dimensions : l’unicité et la valeur ; ils définissent quatre modes d’emploi, à savoir : le développement interne, l’acquisition, le contrat et l’alliance. A chaque mode d’emploi, les auteurs associent une relation d’emploi particulière. Ils définissent également des modes de gestion du capital humain différents d’une catégorie à l’autre ; l’idée étant toujours que les employés doivent être gérés différemment dans l’entreprise (Lepak et Snell, 2002). Les concepts d’unicité et de valeur sont centraux à l’approche architecturale. Il convient alors de mieux les comprendre.

L’unicité du capital humain signifie qu’il est spécifique à l’entreprise. Les auteurs de la théorie des coûts de transaction stipulent que les ressources idiosyncrasiques sont essentielles à la compétitivité de l’entreprise (Williamson, 1975 ). L’avantage compétitif découle de la détention d’un capital humain spécifique à la firme et qu’il est difficile d’imiter par les concurrents. Ainsi, plus le capital humain de l’entreprise devient unique, plus l’entreprise a intérêt à investir dans sa gestion et capitaliser sur son potentiel (Perez et De Pablos, 2003). Selon Lepak et Snell (1999), l’unicité du capital humain exerce une influence sur les coûts de transaction ce qui pousse à penser qu’elle influence également la décision d’internaliser le mode d’emploi. Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi le capital humain est unique. Par exemple, lorsque les compétences des individus s’expriment dans un contexte particulier ou dans des arrangements particuliers, il serait impossible de les transposer à d’autres situations ou contextes. Lepak et Snell (1999) affirment à cet effet que l’organisation de la production dans des équipes permet d’augmenter l’ambiguïté causale et la complexité sociale. Dans ce genre de configurations organisationnelles, les compétences des

91

Page 92: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

individus sont extrêmement encastrées dans les modes d’interaction de l’équipe. Elles sont par conséquent hautement uniques. De manière générale, plus le capital humain de l’entreprise est spécifique, plus il est en mesure de contribuer à la construction de compétences stratégiques inimitables et donc sources d’avantage compétitif durable. Mais des auteurs montrent que la question de l’unicité du capital humain risque de poser des problèmes de gestion plutôt que d’aboutir à des rentes stratégiques (Roos et Roos, 1997). Selon eux, plus le capital humain est unique, plus il est encastré dans les expériences des individus et leurs savoirs tacites. A la base, le capital humain est détenu par les individus et non par la firme. Ceci pose le problème du contrôle relatif au capital humain. Coff (1997) analyse ce problème particulier et montre que si le capital humain est la propriété des individus et non celle de l’organisation, celle-ci va devoir faire face à une incertitude élevée en essayant de prédire les comportements, la performance et le degré d’engagement de ses employés.

La valeur du capital humain, quant à elle, découle de sa capacité à ajouter de la valeur pour l’entreprise, à améliorer l’efficience et l’efficacité, à exploiter de nouvelles opportunités sur le marché et à neutraliser des menaces potentielles (Ulrich et Lake, 1991 ; Wright et McMahan, 1992 ;  Lepak et Snell, 1999 ). Selon Snell et Dean (1992), la valeur du capital humain peut être influencée par plusieurs facteurs. Les plus importants sont l’implantation d’une technologie avancée et la stratégie choisie par l’entreprise. D’autres facteurs peuvent exercer une influence sur la valeur du capital humain. Il s’agit de l’organisation du travail, de la politique de formation et de développement des compétences et plus généralement des politiques de GRH mises en place dans l’entreprise.

Le modèle développé par Lepak et Snell (1999) s’appuie sur les degrés d’unicité et de valeur du capital humain. Il résulte de la juxtaposition de ces deux variables, une matrice avec quatre quadrants. Quatre relations et modes d’emploi sont déterminés. D’autre part, des configurations (ou systèmes) de pratiques de GRH ont été associées à chaque type de relation et de mode d’emploi. L’idée qui soutient cette architecture est que le capital humain n’est pas une entité homogène et qu’il est possible de concevoir autant de systèmes de GRH dans l’entreprise. Le modèle est présenté et analysé dans les développements qui suivent.

Figure 2.1- L’architecture du capital humain

92

Page 93: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Uni

cité

fort

e

Uni

cité

Quadrant 4* Mode d’emploi : Alliance* Relation d’emploi : partenariat* Configuration RH : centrée sur la collaboration

Quadrant 1* Mode d’emploi : développement interne* Relation d’emploi : focalisée sur l’organisation* Configuration RH : centrée sur l’engagement (commitment-oriented)

Uni

cité

fa

ible

Quadrant 3* Mode d’emploi : contractuel* Relation d’emploi : transactionnelle* Configuration RH : Conformité

Quadrant 2* Mode d’emploi : acquisition* Relation d’emploi : symbiotique* Configuration RH : centrée sur le marché

Valeur faible du capital humain Valeur élevée du capital humainSource : Lepak et Snell (1999 :34)

Le quadrant 1 met en évidence un capital humain de valeur élevée et hautement spécifique à l’entreprise. Ce genre de ressources est susceptible d’améliorer la performance opérationnelle et stratégique de l’entreprise. Les organisations fondées sur le savoir cherchent à recruter de tels profils, valeureux et uniques et donc susceptibles d’améliorer la dynamique d’innovation propre à l’entreprise et de lui fournir les raisons de son succès. Préserver de telles compétences est une priorité pour les entreprises. C’est pourquoi le mode d’emploi tend à focaliser sur le développement interne. En investissant dans la création et le maintien de ces compétences, les organisations s’offrent une compétence spécifique qui pourrait les démarquer de leurs concurrents. La relation d’emploi qui relie ces employés à l’entreprise est focalisée sur l’organisation. Selon Rousseau (1995), ce type de relation exprime un engagement mutuel de la part de l’employeur et l’employé pour développer les compétences critiques de la firme. Il s’agit donc d’une relation à long terme où l’organisation, via des mécanismes d’incitation spécifiques provoque des comportements positifs chez les employés. Dans une telle relation d’emploi, les entreprises tendront à adopter des systèmes de GRH tournés vers l’engagement et l’implication organisationnelle (Arthur, 1992). De tels système se composent des politiques de partage des informations, de développement des compétences, de mise en réseau des individus, d’empowerment et de rémunération selon les performances (Huselid, 1995 ; Mac Duffie, 1995 ; Becker et Huselid, 1998).

Le quadrant 2 porte sur le capital humain ayant une valeur élevée, mais qui n’est pas spécifique à la firme, c’est à dire largement présent sur le marché du travail. La haute valeur de ce capital humain peut inciter l’entreprise à investir dans son développement interne. Mais sa faible unicité pose le problème de sa transférabilité potentielle vers

93

Page 94: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’autres entreprises, ce qui décourage les managers à investir dans l’option du développement interne. Afin de résoudre ce dilemme, les entreprises choisissent l’option de l’acquisition. L’entreprise peut acheter sur le marché de l’emploi les compétences qui ne nécessitent pas une formation supplémentaire significative. L’atout d’une telle option est la possibilité pour l’entreprise de profiter des compétences qui ont été développées ailleurs. La relation d’emploi proposée pour ce genre de capital humain est du type symbiotique. Elle est basée sur cette idée de l’utilitarité respective. Tant que les deux parties continuent à bénéficier de leur relation, la relation d’emploi a tendance à s’allonger. Concernant les dispositifs de GRH associés à ce genre de capital humain, Lepak et Snell (1999) estiment que la configuration GRH tend à être du type centré sur le marché. En effet, une telle catégorie de capital humain ne peut bénéficier d’actions de formations et de développement extensives. A la différence de la relation basée sur l’engagement à long terme, la relation de type symbiotique s’appuie sur une sélection rigoureuse des individus visant à tirer profit de leurs compétences dans l’immédiat. Nous sommes donc dans une logique d’acquisition (buy) et non de développement interne (make).

Contrairement aux quadrants 1 et 2, le quadrant 3 focalise sur l’externalisation de la relation d’emploi. Il représente le capital humain qui, techniquement parlant, peut rester en dehors de l’entreprise (Lepak et Snell, 1999). L’organisation n’a pas intérêt à investir dans l’acquisition ou le développement interne des compétences qui sont à la fois génériques et sans valeur ajoutée réelle. Le contrat semble être le mode d’emploi privilégié avec ce type de capital humain. D’autre part, la relation d’emploi qui les relie à l’entreprise est du type transactionnel, c'est-à-dire qu’elle focalise sur l’échange économique à court terme. Dans cette logique, la configuration GRH ne doit pas accorder d’importance à la formation et au développement des compétences. Aussi, la rémunération et l’appréciation des performances ne portent que sur les transactions exécutées et n’englobent pas les compétences acquises.

Enfin, le quadrant 4 rend compte d’un capital humain unique mais de faible valeur ajoutée pour l’entreprise. Faudrait-il alors internaliser ou externaliser ce genre de capital humain ? La solution à ce paradoxe est qu’il est possible d’établir un mode d’emploi du type alliance. La collaboration imprègne les relations entre les parties alliées aussi bien au niveau de la relation d’emploi que des dispositifs de GRH à mettre en place.

Les auteurs reconnaissent la complexité de l’architecture présentée et mettent l’accent sur la dynamique qui relie ses différentes composantes. En dépit du fait que certaines de ses hypothèses

94

Page 95: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

peuvent être questionnées, l’architecture du capital humain développée par Lepak et Snell a le mérite de mettre l’accent sur la dimension stratégique du capital humain tout en l’inscrivant dans les problématiques de gestion des ressources humaines et des relations d’emploi. L’architecture, qui s’appuie sur les concepts d’unicité et de valeur du capital humain, fait avancer notre compréhension de la problématique du capital humain dans l’entreprise. L’enseignement majeur est que la création d’un capital humain source de démarcation et de leadership durables sur le marché passe par l’amélioration substantielle de l’unicité et de la valeur des individus qui s’investissent dans l’entreprise. Les dimensions de l’unicité et de la valeur renforcent l’acception stratégique du capital humain.

III.2 Pertinence du capital humain dans une problématique de gestion des connaissances

Selon l’approche stratégique, le capital humain renvoie aux compétences spécifiques et de valeur que détiennent les ressources humaines de l’entreprise. Dans les organisations du savoir, ce capital est souvent appelé knowledge workers ou travailleurs du savoir. Ce sont en effet les hauts potentiels de l’organisation, les individus dont les compétences spécifiques participent à l’innovation organisationnelle et à l’enrichissement de la base des connaissances de l’entreprise (Starbuck, 1992 ; Alvesson, 1995). La logique de compétition des organisations du savoir (knowledge-based organizations) est fortement basée sur la créativité des individus, c’est à dire sur leurs capacités à s’engager dans des processus créatifs de production des connaissances (Oldham, 2003). Aussi, elle suppose une capacité de l’organisation à assurer le partage et le transfert des connaissances et des expertises. Ces nouvelles exigences s’ajoutent à la complexité de la gestion du nouveau contrat psychologique. En effet, la relation d’emploi dans l’entreprise fondée sur le savoir est particulière. Ces entreprises cherchent à conserver leurs travailleurs intellectuels et pérenniser leurs connaissances alors que ces derniers, volatiles et conscients de leur valeur marchande, préfèrent le nomadisme aux carrières stables. Par ailleurs, il faut rappeler que le travail intensif en savoir est différent du travail au sens classique (industriel) du terme. Centré sur la résolution des problèmes plutôt que sur une routinisation des tâches et des opérations, le travail du savoir est complexe, dynamique et résolutoire. Contrairement au modèle industriel de l’organisation, le travail du savoir opère une rupture quasi-totale avec les notions d’emplois, de postes et d’opérations. Les flux et les processus se substituent aux opérations routinières. La gestion du travail devient sous cette logique ambiguë, floue et complexe.

95

Page 96: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le capital humain de l’entreprise (ou les travailleurs du savoir) renferme essentiellement les connaissances tacites des individus, développées dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ce sont ces connaissances qui servent de base à la création de nouvelles connaissances dans l’organisation (Nonaka, 1994). Les entreprises qui réussissent sont généralement celles qui arrivent à entretenir ce capital de manière à l’impliquer durablement dans le développement de nouvelles connaissances hautement spécifiques aux activités et à l’environnement de l’organisation. L’apprentissage des organisations commence d’abord par celui des individus. Plus le capital humain de l’entreprise renferme de la valeur intrinsèque, mieux seront ses chances de négocier les processus d’apprentissage et de développement des connaissances.

Dans une étude sur les organisations dynamiques, Dyer et Shafer (2003) ont montré que la spécificité du capital humain et la valeur qu’il recèle sont deux variables qui améliorent considérablement les capacités d’apprentissage de l’organisation et sa position sur le marché. La valeur du capital humain permet de renforcer la qualité des services offerts par l’organisation. L’unicité joue cependant un autre rôle. Elle renforce les compétences spécifiques de l’organisation dans la mesure où les employés mettent en œuvre des compétences particulières et inimitables. L’unicité et la valeur, comme deux dimensions fondamentales du capital humain, contribuent ainsi à la différenciation de l’entreprise en terme d’offre et améliorent substantiellement ses compétences distinctives sur des marchés de plus en plus hyperconcurrentiels (Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Teece, 1998).

Le capital humain de valeur se déploierait mieux dans des organisations dynamiques caractérisées par le changement continu, l’adaptabilité, l’exploration et l’innovation. Dans pareil contexte de travail, les individus compétents auront suffisamment de mobiles pour s’engager durablement dans des processus d’apprentissage continu.

96

Page 97: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section IV : Culture d’entreprise, « climat d’apprentissage » et gestion des connaissances : Repérage des liens

La position adoptée dans cette recherche inscrit le savoir dans sa perspective organisationnelle. La théorie de l’encastrement social discutée précédemment permet de rendre compte de la richesse d’une telle option épistémologique. Vue à travers la théorie de l’encastrement social, la problématique du knowledge management semble fondamentalement reliée au contexte organisationnel dans lequel les processus de création, de partage et d’utilisation des connaissances sont inscrits. Au delà des questions de technologie et de structure, l’apprentissage de l’organisation appelle à la mobilisation d’un registre culturel favorable au développement et à la dissémination des connaissances dans l’entreprise. Ainsi, la problématique de gestion des connaissances, vue comme relevant fondamentalement d’un registre social, est indissociable d’une réflexion sur la culture de l’entreprise, notamment dans sa dimension orientée vers l’apprentissage. Schein (1985) et Kettinger et Grover (1995) n’affirmaient-ils pas que la culture de l’entreprise influence considérablement ses capacités à partager les informations, à prendre les bonnes décisions et à apprendre de manière significative ?

L’objectif de cette section est de montrer l’importance de considérer la perspective culturelle quand on évoque la dimension organisationnelle du management des connaissances. Il sera question d’analyser le concept de culture dans le cadre des théories de l’apprentissage. Le croisement de ces deux champs donne naissance au concept de « climat d’apprentissage ». Ce concept constitue, à côté du capital humain, la seconde variante permettant d’opérationnaliser l’approche organisationnelle du knowledge management.

97

Page 98: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

IV.1 De la culture de l’entreprise au climat organisationnel

IV.1.1 Culture de l’entreprise et contrôlabilité de l’organisationLa culture de l’entreprise est aujourd’hui un concept central dans les sciences de gestion. C’est pourtant en anthropologie que le concept fut d’abord développé. Tyler (1871) était le premier à en donner une définition claire. Le concept renvoie selon l’auteur à cette entité complexe qui regroupe les connaissances, les croyances, les valeurs morales, les lois, les coutumes et toutes autres capacités acquises par les Hommes dans leurs activités sociales. La culture est un concept multidisciplinaire. Il a fait l’objet de recherches intensives en anthropologie, en sociologie et en archéologie. Dans leur étude désormais classique, Kroeber et Kluckhohn (1952) ont recensé environ 164 définitions du concept « culture » dans la littérature sur l’anthropologie et la sociologie. En dépit de leurs différences, ces définitions évoquent souvent les concepts de traditions, valeurs, de rites et de partage. Ces mots devraient façonner par la suite l’acception managériale du concept de culture.

Comme plusieurs autres construits théoriques, le concept de culture a été d’abord développé dans un champ disciplinaire différent puis transposé dans le champ des sciences de gestion. Au milieu des années quatre-vingt, le concept avait le vent en poupe et la culture d’entreprise jouissait de statut de panacée comme en témoigne le « best seller » de Peters et Waterman, le prix de l’excellence. Mais au delà de ce phénomène de mode, par ailleurs largement questionné dans la littérature managériale critique, la variable culturelle semble susciter de plus en plus d’attention et s’est progressivement construite de la légitimité dans les milieux gestionnaires. Elle est aujourd’hui considérée comme un facteur de performance et comme variable essentielle dans l’analyse stratégique. La culture de l’entreprise est désormais un levier de performance majeur que les chefs d’entreprises n’hésitent pas à mobiliser dans l’espoir de « cimenter » le corps organisationnel et créer la cohésion humaine à l’ère des grandes ruptures humaines, économiques et sociales.

Dans la littérature managériale, la culture de l’entreprise est souvent définie comme l’ensemble des valeurs partagées par les membres d’une entreprise, les hypothèses de base de l’organisation, les normes professionnelles et morales à l’usage ainsi que les traditions, les habitudes, les rites et rituels qui y prennent lieu. Définie ainsi, la culture de l’entreprise est censée être le ciment qui colle les parties de l’organisation, le système de valeur autour duquel l’entreprise mène ses activités.

98

Page 99: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Pour comprendre les mécanismes qui sont à la base de la formation des cultures organisationnelles, il est nécessaire de retourner aux fondements théoriques du concept même de l’organisation. Celle-ci étant tantôt définie comme un système social, tantôt comme un système politique. En tant que système social, l’organisation réunit des personnes qui s’acquittent de responsabilités différentes selon un ordre hiérarchique particulier. La structure de l’organisation, qu’elle soit mécaniste ou organique, distribue les rôles entre les acteurs, produit des règles de fonctionnement et contribue à la création de valeurs spécifiques à l’entreprise. Parallèlement, les individus s’organisent selon une structure émergente, un ordre social informel et produisent des valeurs qui ne sont pas forcément compatibles avec les valeurs produites par la structure formelle.

En tant que système politique, l’organisation est conçue comme un lieu de pouvoir, de négociation et de rapports de forces qui favorisent certains (individus ou groupes) par rapport à d’autres au sens où ils peuvent faire prévaloir leurs propres valeurs et faire de leur culture la « culture organisationnelle dominante ». Le système politique de l’organisation renvoie, selon Jarniou, au choix d’un système de normes qui déterminent l’ensemble des actions, décisions et relations mises en œuvre par l’organisation en son sein ou dans ses rapports avec l’environnement. Cependant, si la politique oriente l’action, elle est fondée en même temps sur les grandes orientations qui expriment les valeurs dominantes, lorsque certains groupes qui composent l’organisation sont en mesure de les faire prévaloir, ou les compromis nécessaires dans un système de pouvoir partagé ou instable.

L’instrumentation de la culture dans le domaine de la gestion peut être expliquée par deux facteurs principaux. D’abord, les avancées faites dans le domaine de la sociologie des organisations qui a mis en valeur l’existence d’un système de codes et de symboles régissant la vie sociale au sein des organisations. Ensuite, l’engouement pour le modèle de gestion japonais qui accorde une place de choix aux valeurs de cohésion et d’engagement affectif envers l’organisation, une sorte de patriotisme d’entreprise. Cet ensemble de croyances et d’idéaux organisationnels ainsi que les comportements qui s’en suivent représentent pour l’entreprise des leviers de performance dans la mesure où ils favorisent l’émergence de comportements professionnels « extra-rôles » animés par le souci de la réussite de l’entreprise et orientés vers la productivité du travail. On est donc porté à croire que le succès des organisation dépend en bonne partie de sa capacité à élaborer des valeurs culturelles orientées vers la performance et l’engagement durable des collaborateurs (l’un des huit commandements de Peters et Waterman). Cela signifie que la culture de l’entreprise représente pour les managers un levier majeur

99

Page 100: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

permettant d’assurer la contrôlabilité du fonctionnement organisationnel. Elle oriente les comportements individuels et collectifs vers les priorités de l’organisation. Le slogan « chez nous, le client est roi », par exemple, agit de manière directe sur les représentations et les comportements des vendeurs de l’entreprise. Son intériorisation par les salariés de l’entreprise permet de façonner des comportements « types » allant dans un sens de satisfaction et de fidélisation de la clientèle. Cette conviction que la culture permet de « contrôler » et de « prévenir » les comportements des individus dans l’entreprise était d’une grande importance dans le développement des pratiques de gestion des cultures organisationnelles. Dayan (1999 :114) explique que « de là est venue l’idée de gérer les cultures organisationnelles de manière à développer chez les employés des représentations, des formes de pensée susceptibles de générer des comportements performants. Cela revient à réaliser une sorte de socialisation des membres de l’organisation aboutissant à l’intériorisation d’un ensemble de valeurs, de croyances, de normes de comportements, toutes orientées vers la réalisation des objectifs de l’organisation ».

En dépit des critiques sévères qui ont été adressées aux approches fonctionnalistes et instrumentales de la culture de l’entreprise, cette lecture nous parait encore d’actualité et suffisamment légitime. En effet, et sans tomber dans le piège de la facilité avec laquelle certains consultants manipulent le concept, il est tout à fait légitime de postuler que l’organisation peut, et devrait, élaborer des valeurs culturelles « maison », compatibles avec sa philosophie gestionnaire et les contraintes de son environnement et orientées vers la réalisation de ses objectifs spécifiques. Dans cette perspective, la structure de l’entreprise semble être un facteur déterminant dans le choix de la « stratégie culturelle » de l’entreprise. Les organisations virtuelles développent par exemple des valeurs culturelles basées sur la confiance car leurs membres communiquent sur des bases uniquement électroniques. Les organisations basées sur les projets, quant à elles, forment leurs collaborateurs aux compétences de la transversalité et à la culture du travail en projet. Les structures bureaucratiques génèrent la culture de la rationalité, de la previsibilité et de l’optimisation de l’emploi des ressources, etc. Les différences en termes de cultures peuvent êtres dues aux différences au niveau des métiers. Dans les organisations, il y a plusieurs cultures de métiers, des cultures qui font perpétuer des traditions, des valeurs et des modes de faire propres à des activités professionnelles spécifiques. De telles cultures forgent et renforcent des identités professionnelles multiples, souvent d’ailleurs sources de conflits mais aussi de variété pour les organisations. Nous retenons de tout cela que le sous-système culturel de l’organisation gagnerait à être inscrit dans une logique de

100

Page 101: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

contingence : structurelle, stratégique, technologique, etc. Une logique qui en fait une variable hautement spécifique à chaque organisation et parfois même source de démarcation concurrentielle sur le marché. Nous verrons dans les prochains développements de cette section comment il est possible d’intégrer la problématique culturelle de l’organisation dans une logique d’apprentissage et de management des connaissances. Nous nous poserons alors des questions sur la faisabilité et la pertinence d’une telle option et nous nous efforcerons de clarifier son concept central : le climat d’apprentissage (learning climate).

IV.1.2 Le climat organisationnel : définition et relation avec la culture Comme construit générique, il est possible de définir le climat organisationnel comme une « description individuelle psychologique claire et logique de l’environnement du travail » (James et Jones, 1976 ; Jones et James, 1979). Selon Campbell et al., (1970 :390), « le climat organisationnel est un ensemble d’attributs propres à une organisation particulière qui peut être appréhendé en fonction de la manière avec laquelle l’organisation compose avec ses membres et son environnement. Pour l’employé, le climat organisationnel prend la forme d’un ensemble d’attentes concernant les comportements individuels et leurs résultats ». Le climat organisationnel consacre la congruence individu-organisation. En effet, il est également défini comme étant un ensemble de perceptions qu’ont les individus sur les questions de confiance, d’autonomie, de cohésion, de soutien, de reconnaissance et de justice dans l’organisation (Moran et Wolkwein, 1992). Le climat organisationnel ne signifie pas « l’environnement du travail » au sens strict du terme, mais plutôt la manière avec laquelle les employés perçoivent cet environnement et lui apportent des réponses cognitives et affectives. Il est en quelque sorte, le « medium perceptuel » à travers lequel la culture de l’entreprise et les caractéristiques du travail influencent les comportements des individus dans l’entreprise.

La notion de climat organisationnel s’inscrit, théoriquement, dans la lignée des travaux sur la culture de l’entreprise. En effet, les deux concepts se rejoignent dans le sens où ils s’intéressent à l’analyse du « contexte organisationnel du travail ». D’ailleurs, ils sont parfois utilisés de façon indifférenciée par les auteurs. Pourtant, l’examen minutieux des deux concepts laisse entrevoir quelques différences qu’il y a lieu d’identifier et de prendre en considération. En effet la culture diffère du climat organisationnel dans le sens où le premier concept renvoie à des valeurs et croyances partagées à l’échelle de l’organisation entière ; alors que le deuxième concerne « des perceptions et des interprétations » individuelles de l’environnement

101

Page 102: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

du travail dans l’entreprise (Reichers et Schneider, 1990). En effet, le climat organisationnel émerge de ces aspects du contexte organisationnel que les individus perçoivent comme importants, voire déterminants pour la réalisation de leur travail. Pour cette raison, on est tenté de croire que le climat organisationnel est un phénomène façonné par la culture de l’entreprise, étant donné que les valeurs culturelles de l’organisation donnent lieu à des interprétations, des attentes et des perceptions différentes du contexte général du travail. Il est donc possible, sur un plan théorique, de dire que le climat organisationnel entretient des relations solides avec la culture de l’entreprise. Dans tous les cas, les deux concepts semblent extrêmement utiles pour l’analyse des phénomènes organisationnels, notamment ceux reliés aux problématiques de l’apprentissage et du développement organisationnel (Reichers et Schneider, 1990).

De manière générale, les chercheurs reconnaissent que le climat organisationnel est un phénomène psychologique, multidimensionnel et complexe qui exerce de l’effet sur le turnover des individus, la satisfaction au travail, l’apprentissage et la performance de l’organisation (McMurray, Scott et Pace, 2004). Les recherches menées jusque-là ont essayé de montrer le lien entre le climat organisationnel et certaines variables de performance organisationnelle et humaine. Le climat organisationnel y est considéré comme un antécédent du succès organisationnel. Le tableau suivant reprend rapidement les principales recherches menées dans cette perspective ainsi que les résultats auxquels les auteurs ont abouti. Il est important de remarquer l’absence d’un consensus sur les dimensions clefs du climat organisationnel. Ce construit semble être défini et opérationnalisé par les chercheurs en fonction des objectifs spécifiques de chaque recherche. Cette approche « contingente » est, certes, utile pour mieux apprécier le concept dans le champ de l’étude, mais elle nuit aussi à l’essence même du construit puisque ce dernier ne semble pas posséder une définition stable et unanimement reconnue.

Tableau 2.5- Synthèse des recherches sur le climat organisationnel

Objectifs de la recherche

Dimensions du climat

Résultats Auteurs

Relation entre le climat

organisationnel et l’engagement

organisationnel des employés

- Autonomie

- Soutien du chef

- Cohésion du groupe

Relation significative et

positive entre ces trois dimensions et

l’engagement organisationnel des

employés.

- Wallace, Hunt et Richards (1996)

- Benson (1996)

- Buchanan (1974).

102

Page 103: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Relation entre climat

organisationnel et satisfaction et engagement professionnel

- Autonomie

- Confiance

Relations significatives et

positives entre le climat

organisationnel et la satisfaction et

l’engagement professionnel.

Steers (1977).

Relation entre climat

organisationnel et indicateurs de

performance dans l’entreprise

- Confiance dans le management de

l’entreprise

- Une relation significative avec le développement et

la performance

- Golembiewski (1986)

- Culbert et Mc Donough (1986).

Impact de l’engagement

organisationnel sur le climat

organisationnel dans l’industrie

manufacturière en Australie

- Autonomie

- Reconnaissance

- Soutien du chef

- Confiance

Relations significative et

positive entre les construits

- McMurray, Scott et Pace (2004).

Impact du climat organisationnel sur l’apprentissage coopératif dans des entreprises américaines de high-tech basées sur les projets

-Risque (encouragement

des activités d’exploration

- Reconnaissance

- Chaleur du climat (degré auquel le climat est bon

enfant)

- Soutien de l’organisation

Relation positive et significative entre les deux construits

- Janz et Prasarnphanich (2003).

Rôle de variable intermédiaire que

joue le climat organisationnel entre la culture

d’apprentissage et l’innovation

organisationnelle

- Le ratio Effort/Performances

- L’ouverture au changement

- Les feedbacks du chef

La culture d’apprentissage

détermine le climat organisationnel. Ce

dernier est un antécédent de l’innovation.

- Bates et Khasawneh (2005).

103

Page 104: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Analyse de la relation entre la

GRH, les attitudes d’apprentissage et

le climat de renouvellement organisationnel

- Innovation

- Ouverture

- Coopération

- Discipline

- Confrontation constructive

Les pratiques de GRH innovantes

influencent positivement les

attitudes d’apprentissage qui, à leur tour, favorisent un

climat de renouvellement organisationnel.

- Jaw et Liu (2003)

IV.2 « Climat d’apprentissage » et gestion des connaissances

Comme précisé auparavant, l’utilisation du concept de climat organisationnel dans les sciences de gestion a suivi une logique de contingence. Cela veut dire que les dimensions de ce construit varient en fonction du champ de l’étude dans lequel on l’intègre. Appliquée aux questions de l’apprentissage organisationnel et de management des connaissances, cette notion donne lieu au concept de climat d’apprentissage. L’idée défendue dans ce chapitre est que la recherche sur la gestion des connaissances gagnerait à considérer le rôle du climat d’apprentissage dans le succès des pratiques de gestion des connaissances. Nous poursuivons ainsi les deux objectifs suivants : d’abord définir brièvement le climat d’apprentissage ; ensuite analyser sa contribution aux différents processus de gestion des connaissances.

Selon Janz et Prasarnphanich (2003 : 353), un climat d’apprentissage se définit comme « un ensemble de croyances détenues par employés sur la capacité du contexte du travail à dynamiser, ou au contraire freiner, l’apprentissage des individus et de l’organisation ». La littérature sur le climat d’apprentissage met en évidence l’existence de certaines dimensions du contexte du travail qui facilitent l’apprentissage organisationnel (Slater et Narver, 1995 ; Mikkelsen et Gronhaug, 1999). En effet, le climat d’apprentissage semble jouer un rôle déterminant dans le succès des pratiques de création, de partage et de mise en application des connaissances dans l’entreprise dans le sens où il détermine les valeurs d’apprentissage de l’organisation et permet de structurer un environnement propice au déroulement des différents processus de gestion des connaissances (Leonard, 1995 ; Gold, Malhotra et Segars, 2001). La littérature sur l’innovation organisationnelle et la création des connaissances accorde, en effet, un intérêt particulier au climat d’apprentissage. Kotter et Heskett (1992) affirment dans ce cadre que la présence d’un climat

104

Page 105: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’apprentissage adaptatif dans l’organisation est fondamentale pour les entreprises qui s’inscrivent dans une stratégie d’innovation à long terme. Ce type de climat permet l’anticipation et l’adaptation de l’entreprise aux multiples changements de son environnement interne et externe.

La question qui se pose concernant le climat d’apprentissage est de définir ses dimensions clefs. En effet, et au delà des considérations générales sur les cultures d’apprentissage, il est utile de pouvoir stabiliser le concept de climat d’apprentissage en définissant ses composants, sachant que c’est un concept multidimensionnel. Le constat relevé lors de l’analyse de la littérature est tout simplement l’absence d’un consensus sur la question. Il est cependant possible de recenser certaines dimensions clefs qui font l’unanimité des chercheurs et que nous prendrons en analyse dans les développements suivants.

L’une de ces dimensions concerne l’autonomie au travail. Selon la théorie des caractéristiques du travail (Hackman et Oldham, 1980), des niveaux d’autonomie supérieurs améliorent considérablement le niveau de satisfaction des employés et leurs niveaux de performance opérationnelle (productivité, qualité du travail, etc.). Il existe deux formes d’autonomie. Une autonomie psychique d’abord, qui consiste pour l’individu à être capable de penser par soi-même, pour s’orienter dans la vie. La deuxième est l’autonomie de l’action qui renvoie à la capacité d’agir de façon libre, compte tenu des contraintes de l’organisation. Cela suppose bien sûr de disposer des marges de manœuvres nécessaires permettant de faire des choix entre plusieurs alternatives, sans pour autant empiéter sur la liberté des autres, ni sur les règles communes de l’organisation. Selon Nonaka (1999) et Garvin (19993), L’autonomie opérationnelle dont bénéficient les acteurs de l’organisation contribue à décloisonner l’espace organisationnel en facilitant la migration des flux de savoirs entre les personnes ou les différents départements de l’organisation. Une culture organisationnelle favorisant l’autonomie incite également les acteurs à expérimenter de nouvelles manières de faire, ce qui pourrait déboucher sur la construction d’une nouvelle connaissance organisationnelle. L’autonomie des individus, si elle est bien dosée, pour reprendre Handy (1996), permet à l’organisation de tirer profit de toute la créativité que recèlent ses ressources humaines. De plus, l’autonomie se répercute généralement de manière positive sur la prise de décision, c’est à dire sur le processus de mis en œuvre des savoirs dans l’organisation.

Une autre dimension du climat d’apprentissage concerne l’échange et l’interaction intensive. Cette propriété découle de l’idée même

105

Page 106: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de l’apprentissage qui n’a de sens que s’il est partagé par tous les membres de l’organisation. Les valeurs de partage et d’échange sont ainsi fondamentales pour réduire d’abord l’hostilité des employés à partager leurs connaissances avec leurs collègues et former ensuite cette compétence collective en matière de travail collaboratif. L’échange et l’interaction sont importants parce que le management des connaissances est un processus fondamentalement social. Si les idées originales commencent d’abord dans la tête des individus, elles ne deviennent cependant du savoir organisationnel utile qu’à travers leur dissémination. Les théories sur le passage du savoir individuel au savoir organisationnel ont toujours mis en valeur le rôle de la coopération et de l’interaction dans la promotion de l’apprentissage collectif (Spender, 1996 ; Floyd et Lane, 2000). Les processus interactifs prennent place dans un cadre de travail qui encourage la communication ouverte et intensive. A cet effet, l’organisation doit focaliser sur le langage et les conversations comme leviers principaux de communication interpersonnelle. Dans la littérature sur l’apprentissage organisationnel, la narration (story telling) et le dialogue sont appréhendés comme des mécanismes pouvant être à l’origine de comportements positifs en termes de partage de connaissances (Nonaka, 1994). Dans cette même perspective, Webber (1993) mentionne que les conversations sont les moyens par lesquels les travailleurs du savoir découvrent ce qu’ils connaissent et le partagent avec leurs collègues. Goleman (1985) définit la conversation comme la calibration de nos propres modèles mentaux vis-à-vis de ceux des autres interlocuteurs. C’est donc à travers la communication ouverte, cette forme de ruée vers l’autre et d’alignement cognitif, voire émotionnel, qu’émerge la connaissance collective dans l’organisation. Deetz (1992) avait raison de dire que la connaissance n’est pas communiquée, mais qu’elle est plutôt un produit social critique accompli dans la communication.

Au delà de la communication, les échanges intensifs entre acteurs appellent ces derniers à s’imprégner d’une culture d’ouverture et de confrontation constructive. L’ouverture est l’une des caractéristiques des entreprises qui ont ce potentiel d’auto-renouvellement. Elle signifie que l’organisation tolère les idées nouvelles, originales et qui remettent en question les certitudes à l’œuvre dans l’entreprise. Dans ce genre d’organisation, les comportements innovatifs et parfois déviants sont à la fois encouragés et bien encadrés. Dans sa théorie sur l’apprentissage par exploitation/exploration, March (1991) insistait sur l’idée que certaines personnes entrent moins vite que d’autres dans les processus d’apprentissage organisationnel du fait de leur attitude souvent critique et caractérisée par la prise de recul. Ces apprenants « lents » représentent, selon l’auteur, une immense source de richesse pour

106

Page 107: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’organisation. Dans ce même registre, l’analyse faite par Beer et al., (1990) sur les conditions critiques du renouvellement organisationnel a révélé l’importance que revêtent les idées des « minorités » professionnelles dans les organisations apprenantes. De telles idées, souvent incompatibles avec la logique dominante de l’organisation, doivent être acceptées et discutées avec ouverture d’esprit et responsabilité par tous les membres de l’organisation. Elles peuvent assurer la coordination de positions intellectuelles et d’activités complexes entre les différents groupes constituant l’organisation (Argyris, 1994). On retiendra de ces recherches qu’un climat d’apprentissage doit consciemment permettre les contradictions et les paradoxes. Ainsi, la confrontation stérile, de type conflits d’identité ou d’intérêts, cèderait avantageusement la place à une confrontation constructive où l’opposition de certaines membres organisationnels pourrait contribuer au développement de nouvelles connaissances, ce qui devrait permettre d’ajuster certains choix de stratégies, jusque-là pris pour irrépréhensibles.

Au terme de cette analyse, il est utile de rappeler que l’objectif était de mettre en valeur la contribution du climat d’apprentissage dans le management des connaissances. La coopération, l’autonomie, l’interaction, l’échange, la confrontation constructive et l’ouverture sont considérés comme des valeurs culturelles fondamentales pour promouvoir la gestion des connaissances et l’apprentissage de l’organisation.

Conclusion

107

Page 108: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Afin de mieux situer le débat sur la gestion des connaissances, un renouvellement du cadre d’analyse s’est imposé. Ce renouvellement implique surtout un retour sur la notion de connaissance ; celle-ci est désormais définie comme relevant d’un processus social. Les apports de la théorie de l’encastrement social ont permis d’apprécier l’importance de considérer la gestion des connaissances dans son contexte humain, social et culturel. La connaissance est inextricablement encastrée dans des processus sociaux d’échange, de coopération et d’innovation. Cette option conceptuelle a contribué à démontrer l’importance de la dimension organisationnelle du management des connaissances. L’objectif principal assigné à ce chapitre était ainsi de réhabiliter cette dimension organisationnelle, ce qui devrait permettre d’élargir le cadre de réflexion sur la gestion des savoirs à une sphère jusque-là peu explorée par les chercheurs.

Les travaux respectifs sur le capital humain et le climat organisationnel ont servi l’analyse de cette dimension organisationnelle. Ils démontrent que le succès des stratégies de création, de partage et d’utilisation des connaissances appelle l’entreprise à s’approprier un capital humain unique et diversifié et à promouvoir un climat de travail orienté vers d’apprentissage. Ce sont donc le développement des compétences humaines et la création de conditions favorables à leur mobilisation qui deviennent l’outil managérial générateur d’un potentiel d’apprentissage. Une telle assertion ne tardera pas à démontrer le rôle fondamental que la gestion des ressources humaines est susceptible de jouer dans l’amélioration des capacités de gestion des connaissances dans l’entreprise.

Les pratiques de GRH peuvent, en effet, contribuer au développement des capacités organisationnelles de gestion des savoirs en intervenant sur deux plans. Au premier plan, il s’agit de promouvoir la création et l’enrichissement continu d’un répertoire diversifié de compétences chez les employés de l’entreprise. Cela devrait permettre de soutenir activement les processus de création et de mise en application de nouvelles connaissances dans l’entreprise. Au second plan, l’objectif est de constituer une “infrastructure culturelle apprenante” qui permet d’accroître l’autonomie, de responsabiliser et d’encourager les salariés à mettre en pratique leur créativité et leur potentiel d’innovation et à s’engager dans des processus de partage de connaissances et d’expertises (Cooke, 1994).

Ainsi, le renouvellement du cadre d’analyse du knowledge management devrait contribuer à placer la GRH, et non les TIC, au centre des débats sur les facteurs clefs de succès du knowledge management. Le prochain chapitre aura logiquement pour objectif de proposer une modélisation fiable des liens potentiels entre la gestion

108

Page 109: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

des ressources humaines et la gestion des connaissances. Le capital humain et le climat d’apprentissage, dont les contours ont été balisés dans ce deuxième chapitre, seront alors considérés comme deux variables médiatrices dans cette relation.

109

Page 110: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Chapitre trois

Contribution à la perspective organisationnelle : construction d’un modèle

théorique sur le rôle de la GRH dans la gestion des connaissances.

En définissant la connaissance comme relevant d’un processus d’encastrement social, l’objectif, dans les deux premiers chapitres, était de mettre l’accent sur la nature dynamique et socialement complexe du management des connaissances. Considérer la connaissance selon une logique de construction sociale fournit un certain nombre d’apports. D’une part, cela permet de remettre en cause les travers des modèles technicistes du knowledge management et de montrer leurs limites intrinsèques et extrinsèques. De l’autre, pareil positionnement encourage l’exploration de la dimension organisationnelle des processus de gestion des connaissances. Selon les choix opérés dans les deux premiers chapitres, ce sont surtout les ressources humaines de l’entreprise et le contexte organisationnel de leur action qui influenceraient les capacités de création, de partage et de mise en application des connaissances dans l’entreprise. Le fait que la connaissance soit le produit d’acteurs organisationnels situés dans un cadre spatio-temporel donné implique la nécessité de comprendre les mécanismes à travers lesquels les individus interagissent, échangent des connaissances et développent les capacités d’apprendre de l’organisation.

Bien que la GRH ne soit pas le seul domaine susceptible d’influencer les capacités de gestion des connaissances dans l’entreprise, l’importance croissante des ressources humaines est justifiée, d’une part, lorsque le management des connaissances et défini comme un processus foncièrement social, et d’autre part lorsque la réussite des initiatives de gestion des savoirs repose sur les compétences des salariés et leur volonté à faire preuve d’initiative et de coopération, et à mobiliser leurs savoirs et savoir-faire individuels et leurs capacités intellectuelles dans les situations de travail. L’importance de la gestion des ressources humaines pour le knowledge management découle de sa contribution à la création et au développement à la fois des compétences humaines solides, inimitables et diversifiées, et des conditions organisationnelles qui permettent aux acteurs d’intégrer, de

110

Page 111: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

coordonner et de mobiliser leurs connaissances. La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure les pratiques de GRH peuvent contribuer à soutenir les processus de gestion des connaissances.

En dépit de l'importance des ressources humaines dans les activités associées au knowledge management, il semble surprenant que très peu de recherches aient explicité le rôle de la GRH dans ce domaine. Dans les quelques travaux dédiés à cette problématique, l’intérêt reste souvent limité à la description générique de l’apport de telle ou telle pratique de GRH à un processus spécifique de gestion des savoirs (Mansour et Gaha, 2004). Par ailleurs, les validations empiriques sont plutôt rares. Peu de recherches ont analysé empiriquement en profondeur l’impact de la GRH sur la gestion des connaissances. Partant de ces insuffisances, ce chapitre propose l’intégration de la GRH dans une problématique de gestion des connaissances. Transcender les lectures partielles et limitées de cette question suppose un approfondissement de l’analyse qui permet d’intégrer divers facteurs organisationnels et individuels. Ainsi, dans l’esprit de ce chapitre, les pratiques de GRH censées favoriser la gestion des connaissances devraient influencer d’une part, le répertoire des compétences des employés en l’enrichissant davantage, et d’autre part, le contexte organisationnel en favorisant l’émergence d’un climat d’apprentissage qui stimule la coopération et l’échange constructif.

Dans le cadre de ce chapitre, l’objectif est de produire un modèle de recherche qui explicite le rôle de la GRH dans la gestion des connaissances. Pour ce faire, il serait d'abord important d’inscrire la contribution de la GRH dans sa dimension désormais stratégique (section I). En outre, une lecture ciblée de la littérature devrait permettre d'expliciter les multiples approches d'analyse associées à cette problématique et de repérer tous les liens possibles (section II). Sur la base de ces lectures, nous définirons les options conceptuelles de base de cette recherche. Enfin, une analyse approfondie de la question permettrait une modélisation théorique de la problématique étudiée et la formulation des hypothèses de recherche (section III).

111

Page 112: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section I : La tendance stratégique de la GRH

La gestion des ressources humaines est la fonction de l’organisation qui a en charge la conduite des travailleurs et leur développement socio-professionnel. Son objectif et ses attributions ont évolué avec l’évolution des contextes économiques et sociaux et sa contribution aux activités de l’entreprise est passée par des étapes historiquement distinctes. Il y a un consensus dans la communauté GRH que la fonction est passée au cours du siècle précédent par trois phases de développement. La première correspond à l’administration du personnel. L’organisation, marquée par un contrôle strict et une séparation entre les ingénieurs qui pensent et les travailleurs qui exécutent, a adopté les principes et les postulats de l’école classique en organisation. La division scientifique du travail réduit la contribution des individus à l’entreprise à quelques tâches répétitives et la production était standardisée. Dans cet environnement statique, la structure fonctionnelle permettait de répartir les responsabilités entre les différents départements de l’entreprise. La gestion en général et celle des individus en particulier portent sur les dimensions administratives, c’est à dire la composante juridique et disciplinaire du travail. La deuxième phase est relancée par les investissements technologiques importants qui caractérisent les trente années glorieuses (1945-1973). Sur le plan théorique, l’école systémique et l’approche socio-technique de l’organisation commencent à focaliser l’attention sur les dimensions sociales de l’organisation. On reconnaît l’importance de l’individu dans l’organisation, mais toujours autour du système technique qui est supposé donner à l’organisation sa rationalité et lui fournir les raisons de sa survie. Avec un environnement marqué par des mouvements de libéralisation des économies et l’apparition des conséquences néfastes du taylorisme-fordisme, la gestion des personnes s’est orientée vers la satisfaction et l’épanouissement des individus. La motivation dans le travail, l’élargissement et l’enrichissement des tâches, les cercles de qualité sont de nouveaux concepts dans la gestion des individus. Les premières formes d’actionnariat salarié commencent à émerger aussi. Enfin, la troisième étape marque des changements importants dans les lieux du travail, avec l’apparition de nouvelles formes de travail et de structuration des entreprises. La rémunération au mérite prend place dans les dispositifs de GRH. Celle-ci devient de plus en plus individualisée, tournée vers les besoins spécifiques des individus, désormais considérés les clients internes de l’entreprise. La GRH devient individualisée, mais surtout éclatée et partagée par les différentes fonctions de l’entreprise. Elle joue un rôle de conseil auprès

112

Page 113: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de la direction générale de l’entreprise. On reconnaît également l’importance de la dimension culturelle des organisations. Les services RH sont ainsi pleinement impliqués dans les processus d’élaboration et de diffusion des valeurs de base de l’organisation. Mais une telle période est également marquée par l’essoufflement des modèles classiques de l’emploi à vie, entrainant ainsi des mouvements de licenciements collectifs colossaux. Ce qui ne tarde pas à plonger les partenaires sociaux, à l’échelle de la planète, dans des conflits sans cesse renouvelés.

I.1. Aux origines des mutations profondes de la GRH

Ce bref retour sur l’historique de la GRH montre que sa genèse est fortement influencée par les multiples reconversions à la fois internes et externes qui ont eu lieu au cours du siècle précédent et qui continuent aujourd’hui à changer la vie des organisations. Pour mieux comprendre les mutations de la GRH, il est impératif d’opter pour une pensée systémique. Selon les postulats de base de cette école de pensée, la GRH en tant que fonction organisationnelle fait partie d’un système d’entreprise plus large qui l’englobe et délimite ses mouvements. Il est donc logique que la GRH se trouve influencée par les mouvements internes des autres sous-systèmes. Egalement, comme tout système est nécessairement ouvert, la GRH se trouve sous l’effet des reconversions externes qui transforment l’environnement de l’entreprise. Soumise à des tensions à la fois internes et externes, la gestion des ressources humaines est au carrefour de multiples reconversions qui s’avèrent aujourd’hui de plus en plus soutenues et rapides. Son adaptation aux transformations en question est nécessaire pour assurer sa pérennité et gagner une légitimité dans l’organisation.

Il est important, avant de s’interroger sur les nouveaux rôles et défis de la gestion des ressources humaines, de comprendre les forces externes et internes qui gouvernent ses principes et accélèrent sa métamorphose. Nous devons cependant comprendre ces forces dans leur dynamique actuelle puis qu’elles aussi sont sujettes à des transformations rapides. Pour simplifier cette analyse, nous distinguons deux forces majeures : la première est relative aux transformations environnementales, la seconde traite du renouvellement organisationnel.

I.1.1 Changements de l’environnement externePlusieurs composantes de l’environnement des entreprises ont connu des transformations majeures qui ont affecté les modes d’organisation en place et plus particulièrement les modes de gestion des personnes. Ces changements sont relatifs à l’avancée technologique réalisée

113

Page 114: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

grâce aux TIC, à la globalisation et à l’avènement de nouvelles formes de compétition sur des marchés atypiques et de plus en plus hyper-compétitifs.

I.1.1.1 L’avancée technologiqueLa démocratisation et la diffusion sur une large échelle des technologies d’information et de communication ont opéré des transformations majeures dans la manière avec laquelle une organisation est gérée. En réduisant les handicaps géographiques, les TIC ont permis aux entreprises et à leurs employés de construire des réseaux de collaboration trans-natioanux et de profiter d’expertises, de savoirs et d’informations géographiquement dispersées, jadis inaccessibles. Dans l’organisation, la technologie affecte la manière avec laquelle le travail est fait. En effet, la mise en communication électronique de l’ensemble des travailleurs permet de réduire les temps de travail, d’augmenter la coopération et de transcender les barrières culturelles et fonctionnelles au partage des informations et des connaissances. Au delà de cette fonction de partage, les nouvelles technologies affectent le lieu du travail : les espaces de travail deviennent de plus en plus virtuels et le travail à domicile devient une nouvelle composante de la vie des organisations. Les gestionnaires des ressources humaines voient dans les mutations technologiques une opportunité réelle permettant de gérer autrement les employés. Le système d’information ressources humaines, matérialisé par des bases de données exhaustives sur les compétences et la valeur des individus, est un outil précieux entre les mains des gestionnaires du personnel pour évaluer le potentiel humain de l’organisation et permettre son évolution en fonction des mouvements stratégiques de l’entreprise. Il permet également de repérer les individus externes à l’organisation porteurs de connaissances stratégiques. Une gestion efficace de cet outil autorise un meilleur management des recrutements dans une époque marquée par une véritable guerre pour l’acquisition des talents et des hauts potentiels. D’autre part, les TIC permettent l’intégration des informations fonctionnelles dans des combinaisons originales et uniques. En servant de support électronique pour la discussion et le dialogue, les TIC participent au décloisonnement des silos et des poches d’informations. Il demeure entendu que l’efficacité des outils technologiques est conditionnée par la présence de valeurs culturelles et sociales de partage, de coopération, de courage et de confiance (Von Krogh, 1998). Sans cette dualité socio-technologique, il serait difficile d'imaginer un quelconque changement des attitudes au travail.

I.1.1.2 Le rôle de la globalisationLa globalisation signifie entre autres la compression des contraintes spatio-temporelles pour les organisations. La présence globale des

114

Page 115: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

organisations a certainement des bénéfices importants. Elle permet d’élargir le marché, d’offrir des gammes de produits et de services variées et de réaliser des économies d’échelles substantielles. Une présence globale requiert cependant des compétences organisationnelles importantes. En effet, le premier souci est la complexité des processus de coordination entre les différentes filiales et la maison mère. Quel mécanisme de coordination faut-il mettre en place pour veiller à la cohérence globale de la stratégie de l’entreprise tout en prenant en considération les contingences locales de chaque filiale ? Egalement, la présence globale requiert de gérer une main d’œuvre différente d’un pays à un autre. Cette diversité est de nature à faire varier les pratiques de gestion des personnes selon les spécificités sociétales de chaque pays. Un défi pour la GRH serait alors de mettre en place des dispositifs variés tout en préservant une cohérence interne (entre les différentes pratiques de gestion des personnes) et externe (avec la stratégie locale adoptée par la filiale).

I.1.1.3 La nouvelle donne concurrentielleLes transformations de la concurrence peuvent être analysées sur deux niveaux : celui des facteurs de succès et celui de la vitesse avec laquelle ces transformations prennent lieu. Ensemble, ils bouleversent les modes de concurrence en place. Les facteurs de succès des stratégies de l’organisation ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Dans un environnement stable, les organisations excellent grâce à leurs capacités à produire plus que les concurrents et à offrir des prix concurrentiels. Aujourd’hui, la compétition des entreprises se fait surtout par rapport aux ressources internes dont elles disposent. La régulation externe du marché n’est plus le premier, voire le seul, déterminant du succès. Celui-ci se mesure par la nature des ressources développées dans l’entreprise et des compétences qu’elle construit. Afin de renforcer leurs positions compétitives sur les marchés, les entreprises doivent se doter de compétences stratégiques distinctives, c’est à dire des compétences que les concurrents ne peuvent imiter ou développer. De telles compétences doivent être dynamiques et changeantes (Teece, Pisano et Shuen, 1997). Parce que le positionnement des entreprises est de plus en plus aléatoire et changeant, les compétences développées à l’interne doivent être suffisamment flexibles pour autoriser un ajustement rapide et efficace aux données externes. Pour l’organisation, ces exigences de « compétences flexibles » appellent au développement des compétences et des connaissances des employés pour faire face à ces deux impératifs. La compétence de l’organisation, celle à caractère stratégique, se forme par la combinaison originale et unique des apprentissages des individus et des ressources technologiques (Hamel et Prahalad, 1990). Les individus doivent alors développer des

115

Page 116: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

compétences à la fois spécifiques et génériques afin de pouvoir intégrer leurs expertises avec celles de leurs collègues.

La concurrence change également de vitesse. Les modèles de compétition mis en place par les entreprises ne sont plus les mêmes. Le facteur surprise fait désormais partie intégrante de toute stratégie compétitive. De plus en plus d’entreprises optent aujourd’hui pour des modèles de rupture qui opèrent des changements radicaux dans leurs manières de produire et d’offrir leurs biens et services. C’est par exemple le cas des entreprises qui changent leurs modèles d’affaires du « business to business » au « business to consummer ». Des changements aussi radicaux posent des défis énormes pour la gestion des ressources humaines. Cette dernière doit être en mesure d’ancrer cette culture de changement dans les valeurs des individus. Pareillement, toutes les pratiques de GRH doivent être tournées vers cette capacité à changer rapidement et de manière efficiente. Le design du travail doit par exemple intégrer des dimensions de flexibilité et de changement. La politique de recrutement doit pouvoir identifier les ressources externes susceptibles d’enrichir la dynamique interne d’innovation et de changement. En outre, les plans de formation devraient contribuer à l’amélioration des capacités d’innovation et à la promotion de comportements de créativité et d’agilité chez tous les acteurs de l’organisation.

I.1.2. Les reconversions internes

Depuis le milieu des années quatre vingt, les organisations ont connu des mouvements de transformation divers. Qu’il s’agisse du Business Process Reeingeering, de la flexibilité organisationnelle, du management de la qualité totale, de l’apprentissage organisationnel ou plus récemment du management des connaissances ; les finalités ne sont pas différentes : assurer la nécessaire adaptation de l’entreprise face aux mouvements et aux reconversions externes. Nous synthétisons ces reconversions internes autour de deux moments forts : les transformations des formes organisationnelles d’une part et l’apprentissage et le changement organisationnel, de l’autre. Ces transformations, qui ont opéré au niveau micro ont clairement contribué à la métamorphose des rôles de la gestion des ressources humaines.

I.1.2.1 Métamorphose des formes organisationnellesDans leurs essais pour comprendre les transformations de la société de l’information et du savoir, des auteurs comme Hamel et Prahalad (1996), Hitt et al (1998) et Whittington et al (1999) avancent l’idée que les changements externes induisent une véritable révolution des structures et des formes organisationnelles. En effet, sous l’effet des

116

Page 117: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

nouvelles formes de concurrence et des nouveaux impératifs stratégiques, les organisations ont tendance à adopter de nouvelles structures et de nouvelles manières d’organiser le travail. De nouvelles logiques de management apparaissent. La littérature sur les nouvelles formes organisationnelles est hétérogène. Elle fait état de plusieurs nouvelles formes d’organisation. Une telle variété revient au fait que les auteurs ne sont pas concluants quant à la définition du concept de « forme organisationnelle ». Reportant des études empiriques antérieures sur des nouvelles formes d’organisation, Child et Mc Grath (2001) reconnaissent l’hétérogénéité de ces formes. Ainsi, Clegg (1990) parle de l’organisation post-moderne. Volberda évoque la firme flexible (Volberda, 1998) capable d’ajuster ses modes de fonctionnement et de management aux transformations externes. Nohria et Eccles (1992) s’intéressent à la firme en réseau, constituée d’unités ou de nœuds dispersés et reliés via des relations d’échange et de coopération intensives. Hedlund (1994) présente la firme en forme de N comme structure type de gestion des connaissances explicites et tacites. Cette forme d’organisation s’appuie sur le concept de combinaison et non de division des connaissances. Les équipes temporaires et flexibles constituent la configuration de base du travail. La communication est latérale et les frontières de l’entreprise sont floues et autorisent un partage des connaissances avec les partenaires externes. Dans cette même logique, Nonaka et Takeuchi (1995) parlent de l’entreprise créatrice de savoir, celle qui permet l’innovation et l’apprentissage. Tarondeau et Wright (1995) et Tarondeau (1998) s’intéressent à la transversalisation des structures. C’est autour des processus et non les tâches traditionnelles que le travail se fait et l’organisation crée de la valeur. Le contrôle hiérarchique disparaît et s’appuie désormais sur les processus organisationnels. De manière générale, on peut comprendre ces transformations comme le passage d’une forme d’organisation hiérarchique, mécanique à une autre flexible et organique (Burns et Stalker, 1966). Un tel passage s’accompagne généralement par les mouvements suivants : la mise en réseau de l’organisation avec son environnement externe, l’amélioration de la collaboration avec les partenaires externes ; la flexibilité des modes de travail avec des modèles de fonctionnement temporaires et auto-organisés ; la décentralisation des droits de décision en faveur de ceux qui détiennent les connaissances et les informations stratégiques (Jensen et Meckling, 1992) ; l’amélioration des capacités d’adaptation de l’entreprise, car selon Volberda (1996), dans l’ère de l’hyper compétition, les rentes ne proviennent pas des routines spécialisées mais des capacités d’adaptation et enfin l’apparition de nouvelles formes de gouvernance et de coordination du travail dans l’entreprise.

117

Page 118: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les transformations des organisations affectent directement les modes d’organisation du travail et les compétences nécessaires aux individus pour accomplir leurs missions. En effet, dans les organisations traditionnelles et mécaniques, la division du travail appelle à l’investissement dans des compétences spécifiques et souvent élémentaires. Par contre, dans une organisation organique, les individus doivent se doter de compétences en forme à la fois spécifiques et génériques pour pouvoir s’adapter à tout changement dans le travail. Les mutations touchent également la nature de la relation de l’emploi (ou le contrat psychologique) dans l’entreprise. Les nouvelles formes organisationnelles sont porteuses de nouvelles formes d’emploi basées sur le partenariat et l’expertise. L’individu peut avoir des appartenances, et donc des identités, organisationnelles multiples. Les carrières nomades sont encouragées à travers la pratique de la mobilité externe, appuyée par des outils types comme le bilan des compétences ou les schémas de redéploiement des métiers, etc. La gestion des personnes se trouve ainsi soumise à de nouvelles tensions. Avec le nouveau paradigme organique des organisations, la GRH est appelée à s’inscrire dans la mouvance et l’adaptation continue.

I.1.2.2 L’apprentissage et le changement organisationnelDans un contexte d’hyper compétition, l’organisation doit s’inscrire dans la mouvance et la rupture. Le changement et l’apprentissage s’imposent comme deux capacités organisationnelles critiques susceptibles d’améliorer la compétitivité et la performance de l’entreprise. Le changement organisationnel suppose d’abord une capacité d’oublier les anciens repères et modes de fonctionnement. Pour changer, l’organisation et les individus doivent apprendre à désapprendre et à oublier. La phase d’oubli ou de destruction est suivie par une phase de construction de nouvelles manières de faire et de penser dans l’organisation. Le changement peut porter sur les structures, les modes de gestion, la stratégie ou même sur quelques techniques élémentaires. C’est pourquoi on reconnaît l’existence de deux modes de changement : incrémental et radical. Le premier nécessite un apprentissage de type simple boucle ; le second fait appel à l’apprentissage en double boucle (Argyris et Schon, 1978). L’apprentissage en simple boucle modifie légèrement les modes de fonctionnement dans l’organisation. Il conserve l’ordre établi. C’est ce que Handy (1996) appelle le changement dans la continuité. Ce type de changement stabilise l’ordre en place. Souvent d’ailleurs, il renforce les routines existantes en permettant leur exploitation (March, 1991). Au contraire, l’apprentissage en double boucle change en profondeur

118

Page 119: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

les modes de fonctionnement et de raisonnement dans l’entreprise. C’est un apprentissage du type transformatif qui permet de modifier les présupposés centraux et la théorie à l’usage dans l’organisation en explorant de nouvelles manières de faire, d’agir et de penser. Ce type d’apprentissage nécessite souvent un changement identitaire conséquent et l’adoption de nouvelles valeurs et de nouveaux comportements. C’est pourquoi il est plus difficile à réaliser et engendre des coûts exorbitants.

Dans une dynamique concurrentielle poussée, le changement en double boucle s’impose comme impératif stratégique. Les changements incrémentaux, malgré l’avantage de la faiblesse de leurs coûts, ne permettent pas de créer de nouvelles stratégies et de « surprendre » les acteurs sur le marché. Toutefois, le management efficace du changement consiste pour toute organisation à gérer la tension entre l’apprentissage par exploitation et celui par exploration en trouvant l’équilibre entre les deux extrémités (March, 1991). En des termes plus simples, l’organisation est appelée à faire preuve à la fois de capacités de conservation et de renouvellement ; de stabilité et de mouvement. Cet impératif paradoxal est aujourd’hui visible dans les dispositifs de gestion des ressources humaines. Prise entre les exigences de l’exploitation et celles de l’exploration, la GRH continue à miser sur la loyauté des employés clefs afin de perpétuer les pratiques gagnantes tout en recherchant des compétences extérieures permettant de voir autrement les choses et de produire des connaissances différentes. D’autre part, le changement organisationnel pose aux gestionnaires des ressources humaines la question de la flexibilité des systèmes de gestion des hommes et leur capacité à composer avec des stratégies renouvelées. Les gestionnaires des ressources humaines sont également appelés à assurer la cohérence entre la stratégie de compétition choisie par l’entreprise et le dispositif de GRH à mettre en place.

I.2 Une dimension stratégique confirmée

Les transformations des forces de l’environnement et le changement radical du monde du travail ont exercé des forces d’entrain sur la fonction Gestion des Ressources Humaines. Désormais, les organisations reconnaissent que la création de valeur pour les actionnaires et les clients dépend des compétences, des connaissances et des comportements de leurs ressources humaines et de leur engagement et contribution à la vie de leurs organisations. Au regard des multiples reconversions internes et externes, la gestion des ressources humaines se trouve aujourd’hui dotée d’un rôle stratégique : contribuer à la performance et la compétitivité de l’entreprise. Selon Ramlall, la contribution de la GRH à la compétitivité

119

Page 120: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de l’entreprise appelle à la gestion stratégique du capital humain, la gestion des changements et des transformations, la gestion de l’infrastructure et la gestion des contributions des individus (Ramlall, 2003). Dans le cadre de l’analyse du rôle stratégique de la GRH, la revue Human Resource Management a consacré un numéro spécial en 1997 pour identifier les principaux défis pour la fonction GRH dans le 21ème siècle. L’idée défendue par l’ensemble des auteurs est que la GRH est en train de connaître une transformation allant du sens administratif vers le rôle stratégique (Ulrich, 1997), avec pour corollaire la nécessité de gérer une main d’œuvre hautement qualifiée dans une organisation sans frontières et des contrats psychologiques différents et différenciés. De plus en plus de recherches empiriques viennent conforter cette conviction selon laquelle la GRH est une source précieuse d’avantage compétitif durable sur le marché. D’ailleurs, c’est autour de ces recherches que le champ émergent du management stratégique des ressources humaines se constitue et se renforce aujourd’hui. L’examen de la littérature portant sur la GRH montre une intensification des recherches dans cette direction : comprendre et (surtout) mesurer le rôle stratégique de la gestion des ressources humaines.

Rappelons ici que l’objectif de ce chapitre est de construire une approche théorique au rôle de la gestion des ressources humaines dans les processus de knowledge management. Le rôle de levier attribué à la GRH dans ce cadre construit explicitement sur cette acception « stratégique » de la GRH. Une conception qui considère que les dispositifs de gestion des personnes sont générateurs de valeur et de performance pour l’organisation et ses employés. C’est pourquoi nous jugeons utile à ce niveau de nous arrêter sur la dimension stratégique du MRH, d’analyser ses versants théorique et pratique et d’apprécier sa pertinence pour la problématique soulevée dans le cadre de cette recherche.

I.2.1 Management stratégique des RH et approche par les ressources (RBV)

Le management stratégique des ressources humaines s’est développé autour de l’idée que les ressources humaines ainsi que la manière dont elles sont gérées constituent une source d’avantage concurrentiel pour l’entreprise. Il opère une rupture fondamentale avec la perception traditionnelle de la GRH dans le sens où il analyse les ressources humaines de l’entreprise dans une perspective d’investissement rentable et non de coûts à comprimer. Ce nouveau champ de recherche, soutenu par des signaux forts émanant des entreprises les plus modernes, s’intéresse aux mécanismes par lesquels la GRH serait en mesure d’influer sur la performance et la compétitivité de

120

Page 121: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’entreprise. Il convient de noter que le MSRH s’est établi aujourd’hui comme champ de recherche prometteur dans le domaine des sciences de gestion avec un agenda de recherche particulièrement intéressant. Toutefois, et en dépit de cette importance, l’examen des travaux actuels montre qu’il n’existe pas de consensus sur la définition même du management stratégique des ressources humaines. C’est l’une des raisons pour laquelle des problèmes de conceptualisation importants se posent devant les chercheurs et empêchent l’émergence d’une théorie du MSRH. En dépit de cette lacune, il est possible de présenter les principales définitions suivantes retenues dans la littérature.

Wright et McMahan (1992) étaient les premiers à proposer une définition claire du management stratégique des ressources humaines. Selon ces auteurs, le MSRH regroupe l’ensemble des activités et des déploiements des RH afin de permettre à l’organisation d’atteindre ses objectifs. Une telle définition ne permet pas cependant de voir le niveau de contribution de la GRH aux objectifs de l’entreprise (objectifs opérationnels, tactiques, stratégiques…). Snell, Youndt et Wright (1996) sont plus précis et définissent le MSRH comme l’ensemble des systèmes implantés par l’organisation afin de construire un avantage compétitif durable à travers les hommes. Cette définition met l’accent sur deux éléments. D’abord la notion de système organisationnel vient montrer que les pratiques de GRH doivent être intégrées dans un système cohérent qui regroupe d’autres fonctions et activités non classiques (design du travail, communication, construction de relations, apprentissage et gestion des transformations). Ensuite, les auteurs définissent le niveau de contribution de la GRH à la compétitivité de l’entreprise. Selon cette définition, la GRH est un facteur de compétition durable pour l’entreprise. C’est donc une capacité critique qu’il convient de construire et de maintenir.

Ulrich et Lake (1991) adoptent une autre logique en définissant le MSRH comme le processus qui relie les pratiques de gestion des ressources humaines à la stratégie d’ensemble de l’organisation. Le concept stratégique est ici défini non pas en relation avec l’avantage compétitif, mais en rapport avec la stratégie concurrentielle suivie par l’entreprise. Alors que les définitions précédentes parlent de la notion de système et de cohérence interne (alignement horizontal) entre les différentes pratiques de GRH, Ulrich et Lake (1991) s’intéressent à la cohérence externe entre les pratiques de GRH et la stratégie de l’entreprise (alignement vertical). Une telle différenciation entre alignement horizontal et vertical marque actuellement la littérature en MSRH. Elle constitue même un point de divergence entre les auteurs et ne permet pas l’émergence d’une vision intégrée de ce qu’est le management stratégique des ressources humaines. Ulrich et Lake (1991) reconnaissent l’existence de ces divergences, mais rappellent

121

Page 122: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

que les deux approches s’inscrivent dans un cadre stratégique puisque leur finalité est de montrer la contribution de la GRH à la réussite de l’organisation. Plusieurs recherches ont pris en analyse la relation entre les dispositifs de gestion des ressources humaines et la compétitivité de l’entreprise en s’appuyant sur les postulats de l’approche par les ressources. Cette approche qui domine aujourd’hui la recherche en management stratégique stipule que la compétitivité de l’entreprise n’est plus le produit d’un positionnement externe efficace ou d’une analyse méticuleuse de l’industrie et de l’environnement, mais plutôt le résultat des ressources et des compétences internes (Wernerfelt, 1984). C’est Barney (1991) qui explique les conditions de la formation de l’avantage compétitif sous l’approche par les ressources. En effet, pour être stratégiques, les ressources et les compétences doivent être de valeurs, rares, inimitables et non substituables. Pour plusieurs auteurs, ces conditions n’existent que chez les ressources humaines de l’entreprise. En centrant l’analyse sur les ressources humaines, l’approche par les ressources a servi de substrat théorique important au développement des recherches en management stratégique des ressources humaines (Mc Mahan, Virick et Wright, 1999 ; Wright, Dunford et Snell, 2001).

L’utilisation de l’approche par les ressources comme cadre de référence pour la recherche en MSRH s’est faite aux deux niveaux théorique et empirique. Théoriquement, Wright et McMahan (1992) et McMahan, Virick et Wright (1999) ont insisté sur la nécessité pour les recherches en MSRH de s’appuyer sur les hypothèses de l’approche par les ressources et notamment les quatre conditions de formation de l’avantage compétitif énoncées par Barney (1991). A titre d’exemple, Wright, McMahan et McWilliams (1994) s’appuient sur les travaux de Barney et avancent que les pratiques de GRH ne peuvent constituer une source d’avantage compétitif durable, puisque toute pratique individuelle (recrutement, compensation, développement) peut être facilement imitée par les entreprises concurrentes. Ce qui peut être à l’origine de l’avantage compétitif, soutiennent ces auteurs, c’est le capital humain de l’entreprise qui doit disposer de compétences uniques et faire preuve d’engagement et de motivation afin de contribuer significativement à la production de l’entreprise. Le travail, désormais classique, de Lado et Wilson (1994) stipule le contraire en mentionnant que les systèmes de GRH qui regroupent dans une combinaison unique l’ensemble des pratiques de gestion des personnes, peuvent être difficilement imitables et causalement ambigus pour les concurrents. Ils constituent ainsi une source de compétitivité en agissant directement sur les compétences organisationnelles. Les auteurs en MSRH stipulent que les pratiques

122

Page 123: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

individuelles ne peuvent pas améliorer les compétences des individus et de l’organisation. Ils proposent de les regrouper dans des systèmes cohérents permettant de dégager des effets de synergies et de complémentarités entre les différentes pratiques. Les effets d’interdépendance entre les éléments du système accroissent son ambigüité pour les concurrents et renforcent son inimitabilité. Ils peuvent ainsi constituer une source de démarcation par rapport aux concurrents (Snell, Youndt et Wright, 1996 ; Ferris et al, 1999). Dans une logique architecturale, Lepak et Snell (1999 ; 2003) proposent que le capital humain de l’entreprise n’est pas homogène et qu’il existe des différences entre les employés et ce, au regard de la valeur et l’unicité de leurs compétences. Ils élaborent ainsi quatre types de capital humain avec pour chacun des modes d’emploi et de gestion associés. Pareillement, il faut noter qu’une attention particulière a été portée aux comportements des individus comme élément indépendant du MSRH. En effet, ce sont les individus et non les organisations qui possèdent le capital humain (Legnik Hall et Legnik Hall, 2003). L’avantage compétitif dépend donc de la volonté des individus de s’engager dans des comportements coopératifs et productifs. Les comportements discrétionnaires des individus ou encore la décision de contribuer (March et simon, 1958) sont influencés par les systèmes de GRH mis en place. Ceci montre que dans le MSRH, il y a une interdépendance entre trois composants clefs : les systèmes de GRH, le capital humain de l’entreprise (en termes de connaissances et de compétences) et enfin les comportements discrétionnaires des individus.

La relation entre ces trois variables est apparente dans le modèle des ressources-compétences utilisé par Kamoche (1996). En se basant sur la définition des capabilités comme le déploiement efficace des ressources, il conclut que l’interaction des ressources (capital humain de l’entreprise) et des capabilités (Systèmes de gestion des personnes) contribue à la formation des compétences RH qui seraient source d’avantage compétitif durable si elles sont alignées sur les compétences centrales de l’entreprise.

Au delà des aspects théoriques du MSRH, l’approche par les ressources a servi de support pour plusieurs recherches empiriques qui ont essayé d’analyser la relation entre les dispositifs de gestion des personnes et la création d’avantage compétitif durable pour l’entreprise. A titre d’exemple, Swierez et Spencer (1992) ont analysé la relation entre les pratiques de GRH et l’avantage compétitif de Delta Airlines. En s’appuyant sur le modèle des quatre conditions de Barney (1991), ils ont trouvé que le système de GRH de l’entreprise a contribué à la création d’un capital humain de valeur, rare, inimitable et non substituable. Pour sa part, Paauwe (1996) a étudié la relation entre les

123

Page 124: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

systèmes de GRH et la compétitivité des entreprises aux Pays-Bas. Il a conclu que les modèles qui se basent sur l’approche par les ressources sont prometteurs pour les stratégies des entreprises à partir du moment où ils considèrent la centralité des compétences et des capabilités des ressources humaines plutôt que celle des traditionnels couples produits/marchés.

D’une manière définitive, l’approche par les ressources a servi de base théorique pour le management stratégique des ressources humaines. La littérature théorique et empirique stipule que l’avantage compétitif est souvent le fruit de l’interaction entre les systèmes de pratiques de GRH complémentaires et le capital humain détenu par les individus. Une attention particulière doit également être portée aux comportements des individus qui doivent s’inscrire dans la ligne stratégique de l’entreprise. L’examen de la littérature montre que la gestion des ressources humaines peut être un facteur de construction de compétences stratégiques (Hamel et Prahalad, 1990), de capacités dynamiques (Teece, Pisano et shuen, 1997) et de développement du knowledge management (Liebeskind, 1996 ; Yahia et Goh, 2002). L’importance stratégique des modes de gestion des personnes est ainsi irréversiblement établie.

I.2.2 Différentes approches à l’étude du rôle stratégique de la GRH

Selon des perspectives parfois très différentes, plusieurs chercheurs ont essayé de montrer que la gestion des ressources humaines influence positivement la performance de l’entreprise. L’idée défendue dans ce cadre stipulait que des pratiques de GRH particulières pourraient influencer positivement la performance de l’entreprise (financière, sociale et opérationnelle). Cette relation est cependant indirecte. Il existe selon les auteurs du MSRH une véritable « boîte noire» dans cette relation entre GRH et performance. Un « black Box » qui joue le rôle de liant, de variable intermédiaire entre ces deux construits. L’examen des recherches faites sur cette question montre l’absence d’unanimité sur la nature de cette variable intermédiaire. On s’accorde cependant à dire qu’il s’agit bel et bien d’une dimension comportementale, renvoyant souvent aux questions de satisfaction, d’engagement et de motivation des employés. Mais l’absence d’unanimité touche également les deux variables « hard » de cette relation. Quinze ans après les premiers écrits sur la question, les auteurs ne parviennent pas à stabiliser théoriquement le construit de « GRH orientée vers la performance » et celui de « performance ». L’examen des principaux travaux dans ce cadre laisse montrer une panoplie de définitions et de choix d’opérationnalisation faits par les auteurs (voir la figure 3.2). Une telle « cacophonie » réduit

124

Page 125: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

considérablement les chances de voir émerger prochainement une théorie solide et efficace du MSRH (Boselie, Dietz et Boon, 2005). Généralement, ces recherches sont groupées autour de trois approches : universaliste, contingente et configurationnelle. L’approche universaliste suggère l’existence de meilleures pratiques de GRH qui améliorent la performance financière de l’entreprise et ce, indépendamment de la stratégie suivie par l’entreprise (Huselid, 1995 ; Delery et Doty, 1996). Les travaux regroupés dans cette catégorie ne sont pas unanimes quant au nombre et à la nature des meilleures pratiques en question. L’approche contingente (Arthur, 1994 ; Dyer et Reeves, 1995 ; Jackson et Schuler, 1995 ; Youndt, Snell, Dean et Lepak, 1996) établit un lien entre les systèmes de pratiques de GRH et les stratégies suivies par les organisations. Schuler et Jackson (1987) affirment à cet effet que les pratiques de GRH incompatibles avec la stratégie de l’entreprise risquent de nuire à la performance de l’organisation. L’approche configurationnelle stipule, quant à elle, que c’est le mode d’agencement (ou la configuration) des pratiques de GRH qui permet d’atteindre une position compétitive. Selon cette approche, il existe certains systèmes de GRH idéaux-types qui permettent à la fois l’alignement interne (cohérence entre les pratiques de GRH dans un même système) et externe (la cohérence du système avec la stratégie de compétition de l’entreprise). Encore, il n’existe pas de consensus sur la nature de ces systèmes et leurs composants. Dans la littérature, on retrouve les systèmes de RH centrés sur la performance, sur l’engagement ou encore sur l’apprentissage.

Figure 3.2- GRH, performance et « black Box »

Pratiques de GRH

- Recrutement/ sélection- Planification des RH- Récompenses- Management des performances- Participation/ consultation- Décentralisation de la prise de décision- Formation/ développement des compétences- Opportunités de promotions internes- Autonomie développée- Procédures formelles- Coaching- Evaluation des performances au mérite.

Black Box

- Satisfaction des RH- Motivation des RH- Rétention des employés (réduction du turnover volontaire)- Discipline et présence des employés- climat organisationnel favorable (confiance, soutien du supérieur hiérarchique, soutien des collègues)- Implication et engagement organisationnels- Loyauté envers l’organisation.

Performance

- Profit- Valeur au marché- Part de marché- Augmentation du chiffre d’affaires- Productivité- Qualité des produits/ services- Satisfaction des consommateurs- Innovation/ développement de nouveaux produits et services- Investissements futurs.

125

Page 126: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Sources : Huselid ((1995), Paauwe et richardson (1997) et Boselie et al., (2005). Section II : Le management des connaissances comme nouvel enjeu pour la GRH : repérage des liens

II.1 Le lien GRH- knowledge management : les fondements théoriques

La proposition d’un modèle de recherche qui établit un lien de causalité entre la GRH et la gestion des connaissances passe sans doute par la clarification des fondements théoriques de l’option. La question qui se pose à ce niveau est la suivante : Sur quelles bases théoriques peut-on légitimer la modélisation d’une telle relation ? Or, une bonne partie de la réponse a été développée dans la section précédente avec la mise en relief du rôle stratégique de la GRH. Pour compléter cette analyse, nous tenterons de clarifier davantage les soubassements théoriques possibles à cette relation. Deux perspectives théoriques sont alors retenues et leurs apports pour la question étudiée mis en évidence : l’approche par le management stratégique et l’approche comportementale. Ces deux approches doivent être vues dans leur complémentarité pour saisir leur contribution à la question étudiée.

II.1.1 Le management stratégique comme fondement théoriqueLe management stratégique peut être défini comme le champ disciplinaire relevant des sciences de gestion qui s’intéresse aux

126

Page 127: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

stratégies des entreprises et à l’analyse de leurs politiques de développement. Il recouvre plusieurs problématiques d’actualité comme la formation de l’avantage concurrentiel, les types de stratégies, l’apprentissage organisationnel, l’approche par les ressources, les connaissances et les compétences, etc.

L’approche par les ressources et celle par les connaissances figurent aujourd’hui comme deux principales théories qui inspirent les recherches les plus récentes dans ce domaine. Les deux stipulent que la formation de l’avantage concurrentiel de l’entreprise se fait en interne, à travers la mobilisation d’une combinaison originale, inimitable et performante de ressources humaines, technologiques, managériales, etc. L’autre point de rencontre est que les deux placent les ressources humaines de l’entreprise au centre des mécanismes de développement de l’organisation. L’idée peut être présentée de la manière suivante : les organisations se différencient grâce à leurs connaissances et compétences distinctives. Or, seules les RH sont en mesure de développer cette forme de « capabilité » stratégique. Nous nous trouvons ainsi dans un paradigme stratégique qui relie explicitement la nature et la valeur des RH de l’entreprise à sa capacité à innover, à apprendre et à renforcer ses niveaux de performance. Par voie de conséquence, cela met en lumière l’importance des dispositifs de gestion des ressources humaines dans le développement des connaissances et des compétences de l’entreprise. Cette assertion théorique a eu pour conséquence de provoquer plusieurs recherches qui ont eu pour objectif de démontrer la contribution de la GRH aux mécanismes de développement des compétences distinctives des organisations. Parce que la réalisation de l’avantage compétitif passe par la promotion d’un capital humain unique et de valeur (Lepak et Snell, 1999), la gestion des ressources humaines se trouve fortement interpellée par ce nouvel impératif stratégique. C’est dans cet esprit que Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003) identifient la gestion des connaissances comme préoccupation future et centrale des gestionnaires des ressources humaines et l’inscrivent dans leur agenda stratégique. Parce que la gestion des connaissances fait intervenir les individus créateurs et porteurs de cette connaissance, les moyens de développer ces individus et de les amener à créer, partager et mettre en application des connaissances sont importants pour toute démarche réussie.

L’approche du management stratégique renseigne essentiellement sur la contribution de la GRH aux processus de création et d’utilisation des connaissances. Sur ce plan, certains travaux ont montré comment la GRH est susceptible de développer les capacités d’innovation de l’entreprise. En effet, dans une recherche récente portant sur les pratiques de GRH dans vingt-deux entreprises britanniques, Shipton et

127

Page 128: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

al. (2006) ont montré que certaines pratiques de GRH influencent positivement les capacités d’innovation et d’exploration de nouvelles connaissances par les membres de l’entreprise. Selon cette recherche, la formation, l’induction, le travail en équipe, l’évaluation du personnel et les pratiques de travail focalisées sur l’expérimentation sont autant de « nouvelles » pratiques de GRH censées développer la capacité innovatrice de l’organisation. Leurs résultats stipulent même que la présence ou l’absence de ces pratiques explique les disparités inter-entreprises observées en matière d’innovation technologique et de développement de nouveaux produits. C’est dire ici l’importance que revêtent ces pratiques dans l’équation de la performance organisationnelle.

II.1.2 La perspective comportementale comme fondement théoriqueEn sciences de gestion, la perspective comportementale a servi de fondement théorique à plusieurs recherches, notamment celles relevant du domaine du comportement organisationnel. Elle a permis d’investiguer des questions de recherche aussi importantes et diverses que l’absentéisme du personnel, la motivation, la satisfaction au travail, l’engagement organisationnel, la confiance, le comportement de citoyenneté organisationnelle, la perception de la justice, les comportements coopératifs, les comportements discrétionnaires, les comportements extra-rôles, etc. Elle est, par ailleurs, largement sollicitée dans les recherches sur le management des ressources humaines. Le modèle de base en management stratégique des RH montre en effet que l’influence de la GRH sur la performance de l’entreprise est opérée de manière indirecte. La GRH influencerait ainsi les comportements du personnel, ce qui devrait créer les conditions organisationnelles favorables à la performance. Intégrée dans une problématique de gestion des connaissances, l’approche comportementale est fort intéressante. Elle permet notamment de comprendre les mécanismes de partage et de transfert des connaissances. Ces mécanismes, comme le soutient Szulanski (1996) sont foncièrement comportementaux. En effet, le partage des connaissances entre les membres de l’entreprise appelle à la mobilisation de comportements positifs comme la coopération, la confrontation constructive, l’ouverture d’esprit, la reconnaissance de l’autres, etc. (Jaw et Liu, 2003). La mobilité « intellectuelle » est également une compétence comportementale fortement prisée chez les travailleurs du savoir. Elle signifie l’engagement des employés envers les activités d’apprentissage. Cela peut se faire par rapport à leurs métiers ou à des activités transversales, associées à d’autres métiers organisationnels. La perspective comportementale éclaire également l’activité de création des connaissances. En effet, selon Nonaka et Takeuchi (1995), le processus de création des

128

Page 129: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

connaissances dans les entreprises s’appuie essentiellement sur l’échange et l’interaction intensifs entre les membres d’un groupe. Dans l’échange, de nouveaux concepts naissent, des idées se croisent et le groupe, arrivé à la phase de maturité, devient en mesure de stabiliser sa « production intellectuelle » et de faire émerger une connaissance collective. Une telle considération met certainement l’accent sur l’importance des dispositifs d’organisation du travail et des qualités de direction et de leadership chez les leaders des équipes. Mais elle renvoie aussi à l’importance des processus interpersonnels qui sont à l’œuvre dans ce genre de groupes de travail (équipes de projets ou de développement de nouveaux produits). Ces processus s’expriment généralement en termes de comportements au travail. Il s’agit de comportements positifs qui peuvent être à l’issue d’une performance supérieure comme la créativité, la discipline, la motivation, l’engagement et l’apprentissage. Il est aussi possible d’imaginer la situation contraire, celle que les organisations rejettent et cherchent à éviter à tout prix. On peut ainsi imaginer une situation où les « valeurs» de l’évitement du risque, de l’apathie intellectuelle, de l’hostilité interpersonnelle et du statuquo dominent la scène de l’organisation. Dans pareil « modèle comportemental », il n’est pas possible de parler de gestion des connaissances. Cette dernière, par essence dynamique et foncièrement interpersonnelle, ne se développe pas dans ce genre d’univers organisationnel. Elle prend lieu dans des contextes organisationnels favorables à l’émergence de comportements positifs au travail. Or, c’est la GRH qui semble aujourd’hui en pleine mesure de favoriser ce genre de situations.

Nous retiendrons de cette brève analyse que l’intégration du management des connaissances dans une problématique de GRH est une option qui s’adosse à des fondements théoriques rigoureux. Ensemble, le champ du management stratégique et l’approche comportementale (relevant du champ du comportement organisationnel) fournissent un cadre théorique adéquat permettant une analyse conceptuellement fondée de cette relation.

II.2 La contribution de la GRH au management des connaissances : une lecture « ciblée » de la littérature

Il existe plusieurs raisons qui soutiennent la contribution de la GRH au management des connaissances. D’abord, comme nous l’avons souligné dans les deux premiers chapitres de cette thèse, la connaissance est profondément ancrée dans les expériences des individus et leurs rapports et transactions sociales. De ce fait une attention particulière doit être accordée aux modes de structuration de l’entreprise, à sa culture et aux modes de gestion des hommes comme éléments de structuration et de développement des connaissances.

129

Page 130: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

D’autre part, la gestion des connaissances intègre directement les efforts de la GRH dans le processus de création de valeur. Il est aujourd’hui reconnu que les modes de gestion des hommes sont à l’origine de la création et de l’accumulation de valeur pour les entreprises. Ceci rapproche les finalités de la GRH et de la gestion des connaissances. Par ailleurs, la GRH peut contribuer aux transformations organisationnelles induites par la mise en place d’une politique de gestion des connaissances. Elle saurait prendre en charge les diverses mutations structurales et culturelles, la transformation du travail et l’orientation vers de nouveaux processus. Elle assurera de ce fait pleinement son rôle de partenaire stratégique (Ulrich, 1998). Enfin, selon Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003), la GRH est l’unique fonction de l’organisation qui soit en mesure d’intégrer les multiples éléments intervenant dans la mise en place d’une gestion des connaissances (technologies, individus, cultures, design du travail..). « Les individus fournissent en effet la plateforme nécessaire à l’intégration des idées et des actions à travers l’organisation. » (Lengnick-Hall et Lengnick-Hall, 2003 :93).

La contribution de la gestion des ressources humaines au management des savoirs de l’organisation fait partie de ses nouvelles préoccupations stratégiques. Il n’en demeure pas moins que c’est une mission délicate qui représente un défi réel pour les praticiens de la fonction. En effet, la gestion des connaissances est un projet organisationnel qui vise à organiser l’entreprise autour de sa richesse immatérielle. Ceci appelle à une rupture totale avec l’ancien paradigme physique de l’organisation et les modes de gestion qui lui sont associés. La dynamique de la gestion des connaissances va introduire des transformations, parfois radicales, dans tous les sous-systèmes de l’organisation : la culture, le travail, la technologie, les rapports interpersonnels…etc. L’enjeu est de taille pour la GRH qui doit intégrer tous ces éléments dans son rôle de facilitateur de la gestion des connaissances. Ceci appelle en effet à concevoir une GRH transversale qui dépasse ses frontières classiques avec un souci d’intégrer de nouveaux rôles et de nouvelles fonctions. Egalement, ce sont toutes les pratiques de gestion des RH qui doivent évoluer dans l’objectif d’autoriser une gestion efficace du capital immatériel de l’organisation. Enfin, ce sont les compétences et les connaissances des DRH qui seront appelées à évoluer de manière à pouvoir assurer pleinement les nouvelles responsabilités. De manière plus précise, les gestionnaires des ressources humaines doivent acquérir des compétences en forme de T, c’est à dire des compétences spécialisées assez profondes et des connaissances génériques permettant d’ouvrir leur champ cognitif et de comprendre le fonctionnement des autres systèmes de l’organisation.

130

Page 131: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

En effet, le poids des ressources humaines dans la gestion des connaissances ne cesse de provoquer l’intérêt des chercheurs. Plusieurs contributions viennent en effet rappeler l’importance des dispositifs de gestion des ressources humaines dans le développement des compétences organisationnelles en matière de knowledge management. A cet effet, Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003) considèrent que la gestion des ressources humaines joue aujourd’hui un rôle de facilitateur pour les processus de gestion des connaissances. A travers des politiques et des activités de gestion des personnes spécifiques, la GRH pourrait stimuler l’œuvre de création, de partage et d’utilisation des connaissances. Le tableau 3.1 retrace d’une manière générale les principales contributions de la GRH au management des connaissances telles que définies par les deux auteurs.

Tableau 3.1-GRH et processus de gestion des connaissances

Processus Définition Activités RH

Création/ acquisition Acquérir la connaissance exigée par l’organisation en l’achetant ou en la développant en interne (make or buy)

* Identifier les sources de connaissances disponibles et potentielles* Servir d’intermédiaire dans l’acquisition des connaissances

Codification Expliciter les connaissances tacites et locales afin de faciliter leur partage dans l’organisation

* Identifier les connaissances à codifier

Distribution Rendre les connaissances accessibles à ceux qui veulent et peuvent l’utiliser

* Construire des systèmes de partage des connaissances centrés sur les individus.* Former les utilisateurs au partage et à la distribution des connaissances

Utilisation La connaissance est appliquée dans la résolution des problèmes et la création de nouvelles idées.

* Récompenser l’utilisation des connaissances

Source : Lengnick-Hall et Lengnick-Hall (2003:93). Force est de constater cependant que le travail de Lengnick-Hall et Lengnick-Hall reste générique et n’éclaire pas vraiment sur la nature des dispositifs de gestion des ressources humaines à mobiliser dans le cadre du knowledge management. Ceci d’autant plus que certaines propositions avancées par les auteurs ne relèvent pas explicitement des compétences de la fonction GRH. Par ailleurs, il est utile, pour les besoins de ce chapitre, de faire une recension aussi complète que possible des travaux de recherche sur cette question. Ainsi, une revue ciblée de la littérature a été opérée. Une telle revue de la littérature

131

Page 132: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

s’est basée de manière principale sur des contributions dans le domaine de la GRH pour apprécier les modalités d’intégration du knowledge management dans ce genre de problématiques. La première idée qui se dégage est la multiplicité des approches pouvant servir de base à l‘analyse du rôle de la GRH dans la gestion des connaissances.

La revue ciblée de la littérature montre la présence d’au moins cinq perspectives théoriques qui ont proposé une analyse du rôle de la GRH dans la gestion des connaissances. Ces approches sont : l’approche des meilleures pratiques, l’approche de la congruence, l’approche « kowledge work », l’approche sociale et l’approche par l’apprentissage. Il y a lieu de mentionner que cette richesse d’approches doit être comprise dans la complémentarité. Les différentes approches ne doivent pas être vues comme étant mutuellement exclusives. Bien au contraire, leurs apports sont synergiques. Mais en dépit de cette importance, certaines approches serviront plus que d’autres l’esprit d’analyse de cette recherche. C’est ainsi que l’approche congruence et l’approche meilleures pratiques ne seront pas considérées dans le modèle théorique que nous développerons dans la prochaine section. Ces deux approches demeurent toutefois importantes dans le cadre d’autres recherches. C’est pour cela qu’elles seront prises en analyse dans cette revue de la littérature.

II.2.1 L’approche des meilleures pratiques : « l’universalité » de la GRH

Cette approche promeut une vision universalisante de la gestion des ressources humaines. Elle s’inscrit en toute logique dans le courant qui rejette les spécificités organisationnelles et contextuelles pour offrir une lecture homogénéisante des pratiques de GRH. La philosophie d’une telle approche est qu’il existe un one best way, une seule et unique vérité, manière de faire quand il s’agit d’organiser le travail des personnes dans l’entreprise.

Concernant la relation avec le knowledge management, la perspective des meilleures pratiques stipule qu’il est possible de mettre en œuvre des pratiques de GRH censées développer l’engagement des employés. Une illustration de cette approche peut être vue dans le travail de Nonaka et Takeuchi (1995) qui pensent qu’il est possible de définir un certain nombre de pratiques de GRH applicables de manière universelle dans tous les types d’organisations, y compris celles fondées sur le savoir. Cette approche promeut donc une vision selon laquelle il ne serait ni nécessaire, ni souhaitable de « confectionner » des pratiques spécifiques de GRH pouvant améliorer les capacités de

132

Page 133: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

gestion des connaissances de l’entreprise. En dépit de l’engouement qu’elle suscite chez les managers, l’approche des meilleures pratiques demeure largement critiquée. D’abord, et compte tenu du nombre important des meilleures pratiques dans la littérature, on se demande lesquelles faut-il retenir ? Devant cette prolifération cacophonique, peut-on d’ailleurs encore parler de « meilleures » pratiques ? Ensuite, l’absence de toute considération du contexte organisationnel (la stratégie de l’entreprises, ses capacités dynamiques, la culture de l’entreprise, les spécificités des projets organisationnels) doit être regardée comme une question profondément problématique. En outre, les meilleures pratiques ne peuvent jamais s’appliquer de la même manière dans toutes les entreprises. L’exemple des cercles de qualité est illustratif. Cette innovation nippone n’a pas été introduite de la même manière au Japon qu’aux Etats-Unis, en France ou en Tunisie. Les différences constatées dans le succès d’implantation de ces initiatives témoignent de la présence de facteurs contextuels facilitateurs ou, au contraire, inhibiteurs. Ainsi, les pratiques de GRH ne sont jamais bonnes ou mauvaises dans l’absolu. Leur contexte d’application est fondamental pour comprendre leur mise en œuvre.

Au bout de cette brève analyse, il en ressort principalement que l’approche des meilleures pratiques ne semble pas en mesure de fournir des arguments puissants en faveur d’une GRH orientée vers la gestion des connaissances. Le fondement universaliste qu’elle promeut ne permet pas de prendre en considération les spécificités des pratiques de création, de partage et de mise en œuvre des connaissances dans l’entreprise.

II.2.2 L’approche de la congruence : stratégies de savoir et stratégies de GRH

Développée par des chercheurs de Harvard Business School, l’approche congruence prend en contre-pied les approches universalistes. Elle s’appuie en bonne partie sur les principes du « fit » pour proposer une vision où le « système de GRH » à mettre en place doit s’aligner sur la « stratégie de savoir » suivie par l’entreprise. Cette approche stipule aussi que la GRH et le knowledge management doivent s’appuyer sur la stratégie de l’entreprise. Elle peut être schématisée de la manière suivante.

Figure 3.3- L’approche de la congruence : le modèle de base.

Dans la logique de Hansen et al. (1999), il peut exister deux grandes stratégies de savoir : la codification et la personnalisation. L’intérêt

Stratégie globale de l’entreprise

Stratégie de gestion des connaissances

Système de GRH adéquat.

133

Page 134: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’une telle distinction est que chacune de ces options s’appuie sur une logique particulière de gestion des ressources humaines. Les organisations qui utilisent la stratégie de codification valorisent le savoir explicite, codifié, quantifié et stocké dans les bases de données organisationnelles. Ce genre de stratégie valorise aussi la culture de l’écrit, la traçabilité et la transmission des connaissances dans des supports physiques, visibles et facilement accessibles. C’est pour cette raison qu’elle s’appuie sur une utilisation intensive des technologies de l’information et de la communication. Intranets, portails d’entreprise, corporate yellow pages, annuaires électroniques, retours d’expériences sont autant d’outils et de mécanismes de codification et de « réutilisation » du savoir mis en œuvre par les organisations optant pour la stratégie de codification. La stratégie de personnalisation se focalise sur le savoir tacite. Ce genre de stratégie valorise les modes de transmission des connaissances basés sur l’échange et la communication face-à-face. Dans cette perspective, la connaissance est définie comme relevant fondamentalement d’un processus de construction sociale. L’interaction intensive, la proximité physique, les réseaux sociaux y sont autant de moyens autorisant un partage efficace des savoirs dans l’organisation.

Les auteurs estiment que les organisations choisissent généralement l’une ou l’autre de ces stratégies, rarement les deux. Les implications pour la GRH sont fortes. Les pratiques changent quand on passe d’une stratégie à une autre. Il y aurait ainsi deux stratégies types de GRH selon Hansen et al. (1999). Le tableau suivant reprend rapidement les implications des deux stratégies pour la GRH.

Tableau 3.2- Stratégies de savoir et stratégies de GRHStratégie de codification Stratégie de personnalisation

Usage des TIC Usage intensif des TIC. Usage réduit des TIC

Le recrutement

- recruter des employés capables de codifier leurs connaissances et de réutiliser le savoir.

- recruter des individus qui tolèrent l’ambigüité et qui préfèrent la résolution des problèmes.

La formation - former les employés à distance (e-learning)

- former les employés à travers le système de tutorat.

La rémunération

- Rémunération selon la contribution au processus de codification.

- Rémunération selon l’engagement dans le partage informel des connaissances avec les collègues.

Source : Hansen et al. (1999 :114).

En dépit de son importance, l’approche par congruence souffre de quelques limites. C’est ainsi qu’elle limite le choix d’une stratégie de

134

Page 135: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

savoir à deux seules options alors que d’autres options sont toujours possibles. Par ailleurs, elle ne focalise que sur le processus de transfert des connaissances. Très peu de choses sont dites sur les mécanismes de création et d’application des connaissances. Cela réduit nécessairement sa portée et son « utilisabilité » pour une recherche qui prend en compte l’intégralité des processus de gestion des connaissances.

II.2.3 L’approche du “knowledge work” (ou le travail du savoir)

La notion de travail du savoir (knowledge work) a été récemment traitée dans la littérature spécialisée en management des connaissances et en théorie des organisations. En dépit de cet intérêt, cette nouvelle notion soulève encore des questions. Selon Mohrman (2003), le travail du savoir porte sur l’application des connaissances, l’analyse des informations et la génération de nouvelles connaissances. Iivari et Linger (1999) remarquent qu’il est difficile de saisir en entier la nature du travail du savoir. En effet, le travail du savoir n’est pas un corps de pratiques homogènes donnant lieu à des modes d’actions et de comportements spécifiques. Le travail du savoir présente plutôt plusieurs propriétés qui sont parfois contradictoires. Certains auteurs insistent par exemple sur la dimension individuelle du travail du savoir alors que d’autres le définissent comme étant essentiellement collaboratif (Iivari et Linger, 1999). D’autre part, certains le considèrent comme étant largement complexe et original alors que pour certains auteurs, le travail du savoir peut être routinier et répétitif. Par ailleurs, certains auteurs considèrent que le travail du savoir est limité à certaines fonctions intellectuelles. Pour d’autres cependant, tout travail (industriel ou intellectuel) est un travail du savoir dans la mesure où il exige la mise en application d’une certaine connaissance (Beyerlein, Johnson et Beyerlein, 1995). Plusieurs auteurs ont essayé d’identifier les principales caractéristiques du travail du savoir. Iivari et Linger (1999) avancent l’idée selon laquelle le travail du savoir est essentiellement hétérogène et qu’il convient de gérer chaque type de travail de manière spécifique. En se basant sur la classification des technologies de l’organisation proposée par Perrow (1967) et sur celle du travail avancée par Daft et Lengel (1986) ; ils proposent de classer le travail du savoir selon deux dimensions : la variété du travail et son applicabilité. L’applicabilité signifie qu’il est possible de mettre en action les schémas construits dans le travail. La variété renvoie à la multiplicité des situations rencontrées dans le travail. Une applicabilité faible signifie pour l’organisation que le savoir doit être plus concret et spécifique pour s’appliquer à la situation en place. Par ailleurs, une grande variété du travail signifie que la connaissance doit être généralisée pour couvrir

135

Page 136: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

les nouvelles situations. La classification peut être présentée par le schéma suivant. Figure 3.4- Typologie du travail du savoir

Haute applicabilité Travail du savoir routinier Travail professionnel

Faible applicabilité Travail du savoir du type métier

Travail du savoir créatif

Faible variabilité Haute variabilité Source : Iivari et Linger (1999 :5)

Les auteurs distinguent quatre niveaux (ou types) différents du travail du savoir : routinier, professionnel, créatif et travail centré sur l’expertise individuelle. Le travail du savoir « routinier » se caractérise par une faible variété et une applicabilité élevée. Il porte donc sur l’exploitation des routines en place. L’accumulation de connaissances spécifiques dans le temps permet l’exploitation ultérieure. Cependant, la seule logique d’exploitation risque d’abraser la base de connaissances de l’entreprise. Si elle permet à court terme de faire l’économie de la créativité, l’exploitation des routines risque à long terme d’atrophier les capacités d’innovation de l’organisation. Le travail du savoir du type « métier » présente une faible variabilité, mais une applicabilité faible également.

Dans l’autre dimension, le travail du savoir est analysé comme étant hautement variable. Il s’organise non autour de tâches routinières et non répétitives, mais plutôt autour de la résolution de nouveaux problèmes. La variabilité des problèmes rencontrés exige du capital humain de l’entreprise une capacité d’adaptation et de changement. D’autre part, ses compétences doivent être multiples pour autoriser une compréhension de toutes les situations rencontrées. Iansiti (1995) suggère que le capital humain de l’entreprise doit pouvoir développer des compétences « en forme de T ». Ces compétences sont caractérisées par une connaissance technique profonde du domaine d’activité et une connaissance générique des autres disciplines. Développer des compétences en T permet aux travailleurs du savoir de résoudre des problèmes non familiers pour lesquels il n’existe pas de réponses programmées dans leurs domaines d’expertise. De telles compétences sont aussi nécessaires pour travailler en groupes multifonctionnels où l’intégration des différentes connaissances fonctionnelles devient plus facile quand la base de connaissances de l’individu est plus large. Le concept de compétence en T a été transposé dans la littérature au niveau organisationnel. Ainsi, Narasimha (2000) suggère que la base de connaissances de l’entreprise doit être à la fois large et profonde pour augmenter les

136

Page 137: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

chances de développer de nouvelles expertises. D’autre part, Bierly et Chakrabarti (1996) estiment que l’organisation peut faire varier la profondeur et la largeur de sa base de connaissances dans le cadre des stratégies de connaissances génériques. La dimension « haute variabilité » donne lieu à deux types de travail du savoir : professionnel et créatif. Le premier est variable, mais applicable dans tous les cas. Il s’agit du travail de l’expert doté d’une expérience professionnelle lui permettant d’appliquer ses connaissances à des situations de travail multiples. Le second est le cas le plus représentatif de la nature du travail du savoir. Ce dernier est décrit comme étant essentiellement créatif. Il s’agit d’un travail varié avec des possibilités d’application non évidentes. C’est donc un travail créatif ou l’individu et le groupe font usage de leurs capacités d’imagination pour résoudre de nouveaux problèmes et permettre leur application dans l’organisation.

En outre, le travail de Blackler (1995) est l’un des plus influents dans la littérature spécialisée. L’auteur, étant critique aux recherches de vulgarisation, reconnaît la complexité de définir le travail du savoir. L’approche de Blackler se distingue par l’intégration simultanée de plusieurs facteurs. Il distingue d’abord entre les organisations qui travaillent sur des problèmes standardisés ou routiniers et celles qui ont pour mission la résolution de nouveaux problèmes. D’autre part, il distingue entre le travail individuel et collectif. Chaque type d’organisation donne lieu à une forme de travail du savoir.

Figure 3. 5- Travail du savoir et types d’organisations

Cadre de travail collectif

Organisation centrée sur les routines. * Accent mis sur la connaissance encastrée dans la technologie, les rôles et les procédures (embedded knowledge)* Compétences de bases requises.

Organisation intensive en communication* Focalisation sur les connaissances construites dans les échanges sociaux (encultured knowledge).* La collaboration et la construction d’une compréhension collective sont des processus fondamentaux dans ces entreprises.

Cadre de travail individuel

Organisation dépendant des experts. * Focalisation sur les compétences portées par certaines ressources (embodied knowledge) * Les compétences et la réputation des experts sont au centre de la stratégie de l’entreprise.

Organisation intensive en connaissance * Focalisation sur les connaissances théoriques et conceptuelles des individus (Embrained knowledge and skills of core employees)

Problèmes routiniers Problèmes variables

137

Page 138: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Source : Blackler (1995 :1031)

En juxtaposant les deux dimensions retenues, l’auteur établit une matrice (2x2), faisant ainsi ressortir quatre types d’organisation. Dans les organisations focalisées sur des activités stables et où la contribution du collectif est plus importante que celle des individus, le travail est généralement centré sur les connaissances routinières (Knowledge-routinzed organization). L’accent est mis sur l’exploitation des connaissances encastrées dans les technologies, les rôles et les procédures. Le travail du savoir dans cette logique ne requiert pas des compétences élaborées. Le second type d’organisations se caractérise par un travail routinier accompli par des individus clefs. C’est le cas du travail des experts et professionnels. Selon la typologie de connaissances établie par Blackler, ce genre d’organisation s’appuie sur la connaissance embodied, c'est-à-dire celle portée exclusivement par des personnes clefs, en l’occurrence les experts. C’est le cas des bureaucraties professionnelles comme les hôpitaux. La compétence, la réputation et le pouvoir des experts forment le noyau dur autour duquel ces organisations construisent leur stratégie de compétition. C’est pourquoi elles cherchent à tout prix à recruter ces experts et à forger chez eux un sentiment d’appartenance et d’engagement (El Akremi et Trabelsi, 2003). Par ailleurs, les organisations dont l’essence est la résolution de problèmes non conventionnels dans un cadre de travail collectif doivent intensifier les efforts de communication. Dans ces entreprises, l’accent est mis sur la connaissance encultured, c'est-à-dire la connaissance qui émerge de la compréhension collective construite par les acteurs dans leurs échanges sociaux. La communication interpersonnelle permet d’intensifier les transactions sociales et de créer une perspective et une vision communes (a collective understanding). L’intensification de la communication permet de construire du sens (sensmaking). Ceci est important surtout quand les problèmes varient et nécessitent l’adaptation des cadres de réflexion construits par le collectif du travail. Selon Alvesson (1993), les managers de ces entreprises doivent développer chez les employés un sens de communauté en ancrant chez eux les valeurs culturelles de l’organisation. Le contrôle est dit, dans ce cas, idéologique. Ces organisations se basent également sur le principe de l’ad-hocratie où les capacités d’intégration et de coopération sont vitales pour accomplir le travail. Le dernier type d’organisation est celle qui travaille sur la résolution de nouveaux problèmes avec une centralité accordée aux individus. C’est le cas des Knowledge-Intensive Firms. Elles focalisent sur le savoir conceptuel et empirique de leur capital humain, comme c’est le cas des entreprises de consulting, d’ingénierie informatique ou de biotechnologie.

138

Page 139: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La perspective par le « knowledge work » offre des clarifications importantes sur le mode de GRH adapté aux travailleurs du savoir. Il s’agit de pratiques qui visent à acquérir les meilleurs profils d’employés, à développer leurs potentiels et à les retenir dans l’entreprise. Plus précisément, les leviers suivants peuvent être actionnés par l’entreprise.

La politique de design du travail qui doit permettre la rotation des postes, le travail dans le cadre d’équipes multifonctionnelles, le développement de compétences transversales et génériques chez les employés.

La promotion d’une culture de travail en équipe qui renforce les liens entre les membres de l’entreprise et qui instaure une tradition de mise en réseau des connaissances individuelles.

La mise en place de pratiques qui améliorent l’autonomie opérationnelle des employés. Il s’agit des pratiques de l’empowerment.

La mise en place d’une politique de management des performances qui reconnaît les contributions individuelles et qui les rémunère équitablement.

La conception d’une politique de formation qui aide les employés à enrichir leurs répertoires de compétences spécifiques et génériques.

La mise en place d’un système d’information RH qui renseigne sur les « lieux vivants » de la connaissance dans l’entreprise et qui permet de cartographier ses principales ressources intellectuelles.

II.2.4 L’approche sociale

Cette approche reconnait la nature fondamentalement humaine et sociale des organisations. Pour ses tenants, les questions de GRH et de gestion des connaissances peuvent être comprises comme relevant fondamentalement de processus humains et sociaux. Cette approche met en valeur le rôle du capital humain et du contexte social de l’organisation dans la promotion d’une culture d’innovation, de créativité et de partage des connaissances. Les implications de cette approche sont intéressantes. En effet, au lieu de proposer un alignement des pratiques de GRH sur la stratégie de connaissances (comme le stipule l’approche de la congruence), cette approche focalise sur le développement des compétences humaines de l’entreprise et sur la promotion d’un climat d’apprentissage. Elle s’inscrit ainsi dans la durée, à travers le développement de compétences organisationnelles distinctives. Contrairement à l’approche de la congruence, l’approche sociale s’intéresse à une autre dimension du savoir. Alors que la première s’intéresse au savoir comme stock organisationnel, la seconde le

139

Page 140: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

considère comme un flux dynamique. Dans la première acception, ce sont les routines organisationnelles et les systèmes de codification qui sont au centre des démarches de knowledge management. Dans la seconde, la connaissance est socialement encastrée. Elle est inextricablement liée aux individus, à leurs perceptions, leurs compétences, leurs modèles mentaux. Elle est également déterminée en fonction des liens et des réseaux sociaux que les membres de l’organisation créent et tentent de maintenir. L’approche sociale met en relief l’importance des communautés de pratiques dans le développement et l’intégration des connaissances. Elle reconnaît aussi l’importance des savoirs informels, des tours de main, des secrets, des savoir-faire « clandestins » que seules quelques ressources sont en mesure de faire valoir. Elle plaide ainsi en faveur d’une intégration rapide des différentes formes de connaissances dans l’organisation. L’approche sociale est riche d’implications pour la GRH. Elle plaide en effet en faveur d’une GRH qui appréhende l’organisation comme une institution sociale et les démarches de gestion des connaissances comme moments de construction sociale de nouvelles expertises organisationnelles. Elle met surtout l’accent sur les capacités de réseautage et d’intégration des connaissances entre les membres d’une communauté. Dans ce cadre, les politiques de socialisation, d’organisation du travail et de mise en réseau des compétences individuelles constituent les piliers de base des systèmes de GRH censés favoriser la gestion des connaissances.

II.2.5 L’approche par l’apprentissage

Pour certains auteurs (Senge, 1990 ; Carter et Scarbrough, 2001), l’intersection entre la GRH et la gestion des connaissances s’exprime dans le développement des processus d’apprentissage organisationnel. La GRH s’intéresse en premier lieu à développer les capacités de l’individu et de l’organisation à apprendre. Selon Senge (1990), une organisation apprenante est une organisation où les individus améliorent continuellement leurs capacités à atteindre les objectifs voulus, où de nouveaux modes de réflexion sont développés et où les individus apprennent toujours comment apprendre ensemble.

Une approche par l’apprentissage organisationnel a pour conséquences de mettre l’emphase sur la création d’un environnement favorable à l’émergence de comportements de créativité. Dans ce cadre, la gestion des ressources humaines joue un rôle important en focalisant sur le développement des compétences intellectuelles des employés et sur la promotion d’un climat organisationnel qui autorise l’expérimentation et tolère l’erreur. Les pratiques de formation sont ainsi d’un réel apport dans la mesure où elles permettent d’enrichir le répertoire des compétences chez les

140

Page 141: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

employés. En outre, la présence d’un système de management des performances (management par objectifs, évaluation et rémunération des compétences) permet d’orienter les processus de créativité et de renforcer les comportements positifs de partage des connaissances. Mais l’apport principal de l’approche par l’apprentissage est qu’elle centre l’analyse sur le rôle déterminant des communautés de pratiques comme lieu privilégié de création et de partage des connaissances entre les membres d’un même groupe. Une communauté de pratique peut être définie comme un groupe de l’organisation dont les membres partagent un engagement commun envers un métier ou un projet organisationnel quelconque. La notion de communauté de pratique rappelle le concept japonais « BA », développé par Nonaka et Konno (1998). Pour ces auteurs, le BA renvoie au lieu physique, virtuel ou mental dans le cadre duquel les processus d’échange et d’intégration des connaissances prennent lieu. Cela appelle nécessairement à une organisation du travail qui favorise le travail collectif, la mise en réseau des expertises et la communication horizontale intensive. Ainsi, la contribution principale de la GRH dans le cadre de l’approche par l’apprentissage consiste à définir un mode de design organisationnel qui permet d’organiser le travail de manière à favoriser les comportements d’échange et d’intégration des connaissances. Par ailleurs, la GRH devrait favoriser l’autonomie nécessaire chez les employés. Sans des niveaux d’autonomie opérationnelle et décisionnelle importants, les communautés de pratiques ne peuvent fonctionner. Ces « constellations temporaires », pour reprendre l’expression de Hedlund (1994), fonctionnent sur la base de la créativité collective. Une telle « gymnastique intellectuelle » ne peut prendre lieu en dehors de cadres de travail marqués par la responsabilisation des individus et l’autonomie.

II.2.6 Synthèse des approches et implications pour la recherche

Notre objectif dans ce paragraphe était de recenser l’ensemble des approches qui ont servi de base à l’analyse de la relation entre GRH et gestion des connaissances. En cohérence avec le positionnement « organisationnel » choisi pour cette recherche (chapitre deux), nous avons cherché à montrer la diversité des approches trouvées dans la littérature. Au bout de cette lecture ciblée, les quelques remarques suivantes s’imposent :

La contribution de la GRH au mangement des connaissances peut être analysée de différentes manières. Chacune de ces manières offre une vision particulière de cette relation et propose des pratiques spécifiques de gestion des RH;

141

Page 142: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les perspectives « sociale », par « le travail du savoir » et par « l’apprentissage » cadrent le mieux avec les besoins et les objectifs de cette recherche. Ces trois approches s’appuient sur une lecture « organisationnelle » du savoir. Elles reconnaissent que le management des savoirs s’inscrit dans une lecture socio-dynamique. De ce fait, la GRH censée favoriser ce genre de processus est fortement orientée vers l’organisation du travail collaboratif, l’autonomie, le développement des compétences et la mise en réseau des expertises et des savoirs individuels. Tous ces éléments seront par ailleurs pris en considération dans la prochaine section, où il sera question de définir l’un des choix optionnels les plus importants de cette recherche, à savoir les variantes du système de GRH censé favoriser le knowledge management ;

En dépit de l’existence d’un certain nombre de contributions, l’analyse de la relation entre la GRH et la gestion des connaissances souffre de deux insuffisances majeures. La première est l’absence d’une vision intégratrice qui prend simultanément en considération les apports de ces différentes approches. Prises individuellement, les multiples approches ne fournissent qu’une vision incomplète et tronquée de la question. La seconde insuffisance est relative à l’absence d’appuis empiriques concernant la relation entre la GRH et la gestion des connaissances. La quasi majorité des recherches recensées reste à un niveau d’abstraction élevé, fournissant des considérations théoriques. Au meilleur des cas, une recherche qualitative limitée est menée pour montrer l’effet d’une variable de GRH sur un processus de gestion des connaissances (par exemple, l’effet de la formation sur la création des connaissances) ;

Au regard de ces éléments, notre objectif dans la prochaine section est de modéliser les liens entre la GRH et la gestion des connaissances en proposant une approche qui intègre les trois perspectives susmentionnées. Il s’agit aussi de montrer les liens de médiation que représentent les variables de « capital humain » et de « climat d’apprentissage ».

142

Page 143: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section III : Modélisation des liens entre GRH et gestion des connaissances et construction du modèle théorique de la recherche

L’objectif de ce chapitre est de présenter une modélisation conceptuellement rigoureuse du rôle de la gestion des ressources humaines dans la gestion des connaissances. Pour ce faire, nous avons veillé dans une première section à montrer la contribution de la GRH à la performance de l’entreprise. En effet, le champ du management stratégique des ressources humaines offre le substrat théorique nécessaire pour analyser le rôle de levier joué par la GRH dans le développement d’une compétence organisationnelle distinctive, en l’occurrence le knowledge management (figure 3.6).

Figure 3.6- La GRH, levier de gestion des connaissances

Nous avons ainsi passé en revue l’ensemble des approches théoriques et empiriques sur la contribution de la GRH au développement de la performance organisationnelle et à la création de valeur. Considérant la gestion des connaissances comme une compétence distinctive et

Rôle de levier

Pratiques de GRH

Compétence distinctive

La gestion des connaissances

143

Page 144: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

stratégique, nous cherchons à voir dans quelle mesure la GRH pourrait développer cette capacité organisationnelle critique. Ainsi, la deuxième section a servi à expliciter les apports des différentes approches qui ont servi à l’analyse de cette question. L’analyse focalisera, dans cette section, sur la construction d’un modèle théorique explicitant davantage la relation entre ces deux construits. La modélisation du lien entre la GRH et la gestion des connaissances doit refléter le rôle médiateur du capital humain et du climat organisationnel dans cette relation. L’hypothèse principale de cette recherche est que la GRH exerce un effet directement observable sur le capital humain de l’entreprise et sur le climat d’apprentissage, ce qui devrait contribuer par la suite à améliorer les capacités organisationnelles de création, de partage et de mise en application des connaissances. Le modèle de base de la recherche est illustré par la figure 3.7.

Figure 3.7- Le modèle de base de la recherche

III.1 Les pratiques de GRH dans le domaine du knowledge management : les options conceptuelles retenues.

La désillusion suscitée par la mise en place de solutions de gestion des connaissances technologiques (cf. chapitre deux) montre l’importance de prendre en compte les éléments sociaux, humains et culturels de ce type de projet. Qualifiée par ces théoriciens de dynamique, la gestion des connaissances s’est en fin de compte cantonnée dans un déterminisme techniciste fortement réducteur. Retranchés derrière le pouvoir « transformateur » des TIC, les décideurs ont fait l’économie d’une réflexion nécessaire sur les leviers humains et organisationnels de la gestion des connaissances. Or, la transformation des connaissances individuelles en une capacité organisationnelle distinctive génératrice d’innovation et de performance repose plutôt sur des éléments sociaux, organisationnels et surtout humains (Narasimha, 2000). Ce constat quant à l’échec des solutions technologiques nous a permis de soulever des questions relatives à la dimension organisationnelle des processus de gestion des connaissances. Dans ce cadre, la compétence et la valeur du capital humain de l’entreprise sont deux atouts majeurs pour pouvoir créer des connaissances nouvelles et les appliquer dans les schémas décisionnels et productifs de l’organisation. Le partage des connaissances entre les membres de l’entreprise s’inscrit quant à lui

Pratiques de GRH Capital humain et climat d’apprentissage

Gestion des connaissances.

144

Page 145: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dans une perspective comportementale. Ce processus s’exprime donc en termes de comportements.

La gestion des ressources humaines peut contribuer au développement des différentes facettes du management des savoirs (Evans, 2003). Cette contribution est de plus en plus importante compte tenu des faits suivants :

le passage de la GRH (recherche et pratique) d’une acception administrative vers une logique stratégique qui lui permet d’accompagner les projets de changement et de renouvellement organisationnel.

l’inscription des processus de gestion des connaissances dans des sphères humaine et culturelle dont la gestion relève en premier chef des prérogatives des gestionnaires des ressources humaines.

La prise de conscience progressive chez les décideurs de l’entreprise des limites propres aux approches technicistes de gestion des connaissances. Une telle réalité aura pour conséquence de déplacer l’intérêt pour les leviers du knowledge management de la sphère techniciste vers la sphère organisationnelle (et notamment les dispositifs de management des hommes).

En matière de gestion des ressources humaines, la distinction entre les trois processus de gestion des connaissances est importante. Chacun de ces processus (création, partage, utilisation) appelle à la mobilisation de pratiques spécifiques de gestion des personnes. L’entreprise peut ainsi développer son potentiel de création des savoirs par les pratiques d’empowerment, d’organisation du travail et de formation. Concernant le partage des connaissances, elle pourrait mobiliser les pratiques d’organisation du travail et de réseautage. Ces deux pratiques auront en charge de soutenir l’émergence d’un climat d’apprentissage favorable aux comportements positifs de partage et d’intégration des expériences et des expertises individuelles. Enfin, les capacités d’utilisation des connaissances se développent en présence d’un système de travail focalisant sur la création de l’autonomie et le management des performances des collaborateurs. La finalité de ces pratiques est d’activer des comportements de coopération, d’échange, d’innovation et de mise en application de nouveaux savoirs et savoir-faire. Dans l’esprit de cette recherche, une telle finalité ne peut être atteinte qu’à travers le développement d’un capital humain à la fois qualifié et spécifique et la promotion d’un climat organisationnel orienté vers l’apprentissage. Les pratiques de GRH joueraient ainsi deux types de rôles. Un rôle direct sur le capital humain et le climat d’apprentissage et un rôle indirect en agissant sur les trois processus de gestion des connaissances. Ces rôles seront clarifiés davantage et

145

Page 146: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

modélisés dans les développements qui suivent (voir le modèle théorique de la recherche).

Pour contribuer au management des connaissances, les gestionnaires des ressources humaines s’efforcent de mettre en place des pratiques innovatrices d’emploi et de management des personnes. Diverses politiques de GRH sont alors décidées pour faire des ressources humaines le fer de lance du renouvellement et de l’apprentissage de l’entreprise. En général, les pratiques de gestion des personnes et d’organisation du travail peuvent intervenir sur deux plans. Au premier plan, il s’agit de promouvoir le développement chez le capital humain d’un répertoire de compétences riche et spécifique. Cela pourrait soutenir activement les actions de création et de mise en application de nouvelles connaissances. Au second plan, l’objectif est de constituer une « infrastructure culturelle » favorable aux comportements d’apprentissage dans l’entreprise et qui permet un meilleur partage des savoirs et une adhésion renforcée du personnel aux activités de créativité et d’innovation. Ainsi, les pratiques de gestion des personnes et les dispositifs organisationnels dédiés sont censés créer les conditions humaines et culturelles permissives de mobilisation des comportements positifs de gestion des connaissances.

III.1.1 La création des connaissances : l’empowerment et la formation comme leviers managériaux

La création des connaissances correspond aux fruits du processus d’innovation dans l’organisation. « Créer des connaissances revient à faire des associations entre plusieurs opinions, considérer de nouvelles idées et approches et être particulièrement attentif et réceptif aux opportunités d’apprentissage qui émergent dans le cadre des processus d’innovation »(Shipton et al. 2005 : 119). La recherche montre que l’innovation est un processus qui commence souvent par une idée détenue par un individu et qui s’appuie sur la créativité des acteurs. Amabile et al., (1996) définissent l’innovation comme le processus organisationnel qui permet d’appliquer avec succès les idées créatives détenues par les individus. La créativité est définie par les auteurs comme la production d’idées nouvelles et utiles dans un domaine d’expertise particulier. Pour faire fructifier la créativité, l’organisation est appelée à créer les mécanismes d’échange et

146

Page 147: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’intégration nécessaires qui permettent aux acteurs d’une même communauté de développer de nouvelles connaissances. Cela ne peut se faire qu’au travers d’un processus d’apprentissage collectif. Dans la théorie de l’innovation, on suppose souvent que ce processus épouse le contours de séquences d’apprentissage de type essai-erreur (Amabile et al., 1996). La création des connaissances est ainsi modélisable en termes d’output d’un processus d’apprentissage intensif en créativité et en échange.

Il est désormais reconnu que les organisations se différencient essentiellement par leur capacité à entretenir un climat d’apprentissage où de nouvelles connaissances sont, sans cesse, développées par les acteurs (Nonaka, 1999 ; Garvin, 1993). Ces connaissances peuvent être matérialisées par de nouveaux produits ou services, une nouvelle technologie ou un processus managérial innovant. Ce potentiel de création des connaissances dans l’entreprise est à chercher dans sa politique d’innovation ainsi que les structures dédiées à cette activité complexe. La recherche sur l’innovation a longtemps privilégié la « piste psychologique » pour expliquer le phénomène de créativité et d’innovation dans l’entreprise. On explique souvent la création de nouvelles connaissances par le profil personnel des acteurs dits « innovateurs ». Pourtant, il y a fort à parier que la question de création des connaissances peut être approchée à travers une perspective organisationnelle. La question est ainsi déplacée du profil innovateur de l’acteur vers le contexte organisationnel favorisant la créativité, l’innovation et la création des connaissances. Pour soutenir leurs processus de création des connaissances, les organisations comptent sur une panoplie de dispositifs et de « facteurs » organisationnels. Comme le montre le tableau 3.3, plusieurs leviers sont cités dans la littérature. En présentant uniquement les facteurs internes susceptibles d’influencer le processus de création des connaissances, nous posons implicitement l’hypothèse que l’organisation n’est pas toujours en mesure d’influencer les facteurs environnementaux intervenant dans les activités d’innovation. Ce type d’environnement regroupe souvent des éléments difficilement malléables comme le soutien des institutions, le système national de l’innovation et de la formation des élites, les traits culturels d’une société donnée, etc.

Tableau 3.3- synthèse des recherches sur les facteurs endogènes influençant la création des savoirs

Facteurs endogènes

Principes clefs Principaux auteurs

Stratégie de l’entreprise

L’inscription de la politique de création des savoirs dans la stratégie de

-Martins et Terblanche (2003)

147

Page 148: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’entreprise est le premier pas à faire. L’innovation s’inspire de la mission et de la vision de l’entreprise.

- Rodriguez (2002)

R&D et nouvelles technologies

L’intensité de l’effort de l’entreprise en matière de R&D est un facteur qui stimule l’innovation. L’investissement en nouvelles technologies renforce aussi les compétences innovatrices surtout dans le cas de développement de nouveaux produits.

- Galanakis et al. (2000)- Nieminen et Kaukonen (2001).

Culture organisationnelle

L’ouverture d’esprit, le contact dynamique entre les équipes est un trait culturel particulier qui facilite l’acceptation des idées créatives et améliore le processus de développement de nouvelles connaissances.

- Mumford et al. (2002)- Galanakis et al. (2000)

Structure et design organisationnel

La flexibilité de la structure (rotation des postes, par exemple), l’autonomie et la responsabilisation concernant la prise de décision sont deux leviers de création des savoirs. Les constellations de travail temporaires, les équipes projets et les autres formes de travail collectif fournissent les conditions nécessaires pour une intégration dynamique des compétences individuelles.

Hedlund (1994)Fong (2003)

Pratiques de gestion des RH.

Les pratiques de formation permettent de développer le potentiel innovatif chez les individus. L’empowerment autorise aussi plus d’autonomie et une meilleure génération des connaissances.

Martins et Terblanche (2003)

Les pratiques de GRH jouent à ce titre un rôle déterminant dans la création des connaissances. Les pratiques constitutives de ce potentiel sont la responsabilisation des collaborateurs (l’empowerment), le développement du répertoire des compétences à travers la formation et le design de dispositifs organisationnels de travail autorisant l’innovation (travail en équipes projets, groupes semi-autonomes, etc). Ce dernier dispositif sera cependant examiné lorsqu’on abordera la question du partage des connaissances.

148

Page 149: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Contrairement aux organisations classiques, les entreprises du savoir comptent beaucoup sur l’empowerment de leurs collaborateurs pour relever les défis de l’innovation et de l’apprentissage. Préférant l’exploration à l’exploitation (pour reprendre la théorie de March), les organisations qui développent des stratégies de knowledge management utilisent l’empowerment des collaborateurs comme une pratique de gestion incontournable afin de créer la dynamique de proposition, d’expérimentation et d’échange nécessaire au développement de nouvelles connaissances. L’idée est simple : dans la politique comme dans l’entreprise, la créativité est source de dépassement, d’apprentissage et de changement. Cette gymnastique intellectuelle nécessaire à l’innovation ne peut prendre place dans un contexte marqué par la rigidité et la présence de procédures de fonctionnement contraignantes pour les acteurs. Le management traditionnel promeut, en effet, une organisation simplifiée dont la division du travail et des connaissances représente le principe fondateur. Dans ce genre d’approches, les personnes sont considérées comme une ressource de production au même titre que les machines et le capital. Elles sont par ailleurs écartées du processus de prise de décision. Le modèle d’organisation du travail tayloriste-fordiste en présente une bonne illustration. Par contre, le mangement moderne préconise l’autonomie et la responsabilisation des collaborateurs. Il décentralise ainsi les décisions pour permettre aux employés de base, ceux qui sont aux prises avec les problèmes du terrain, de prendre part aux décisions opérationnelles de l’entreprise. L’empowerment des collaborateurs permet à l’entreprise de tirer profit de toutes les formes d’intelligence (théorique, analytique, opérationnelle, etc.) détenues par ses collaborateurs quelque soit leur position dans l’entreprise. La décision de donner de l’autonomie aux collaborateurs est fortement responsabilisante. Elle génère chez les employés des comportements de discipline par rapport aux objectifs de l’équipe. Elle renforce aussi le sentiment d’appartenance chez les acteurs et aiguise leur engagement envers les activités d’innovation et de création des savoirs. Les bénéfices de l’empowerment sont multiples. Au delà de la dimension comportementale chez les acteurs, les situations d’autonomie permettent aux employés d’exprimer librement leurs talents et compétences individuelles (Pinto et al, 1993). Dans le cadre du travail collectif (équipes projets), l’empowerment permet la fertilisation croisée de l’ensemble des savoirs fonctionnels de l’organisation. Le mixage de ces « savoirs-métiers » facilite ensuite la création de nouveaux savoirs transversaux (Snow et Couger, 1991).

Toutefois, la mise en place d’une organisation du travail autour des concepts d’autonomie et d’empowerment nécessite la réunion de plusieurs facteurs organisationnels. En recourant à une revue ciblée de la littérature sur l’autonomie au travail, Paper et Johnson (1997) en

149

Page 150: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dénombrent au moins sept. Ainsi le succès d’une stratégie d’empowerment tient, selon les auteurs, à la présence des facteurs suivants : l’engagement du top-management de l’entreprise, la présence d’un système de formation cross-fonctionnel, un capital humain de haute valeur, une acception « culturelle » de l’approche, un management des RH flexible, une implication du client dans les processus de fonctionnement et une analyse des résultats de l’équipe selon l’approche « valeur ajoutée ». De manière générale, la responsabilisation des collaborateurs suppose de la part de l’organisation la création de mécanismes de soutien, l’investissement en formation et la promotion d’une « infrastructure structurelle et culturelle » orientée vers la participation et l’engagement des collaborateurs.

Dans une perspective de création des connaissances, l’empowerment des collaborateurs est un facteur nécessaire mais insuffisant. Dans ce cadre, le rôle de la formation reste déterminant pour assurer le développement des capacités d’innovation de l’entreprise. Cela passe par le développement et l’enrichissement du répertoire des compétences individuelles et collectives. La formation est un investissement immatériel hautement rentable. Elle prend toute sa dimension dans un contexte organisationnel qui considère les personnes comme un avantage concurrentiel et non un coût à comprimer. La formation est un effort organisationnel systématique et planifié qui vise à développer les savoirs, les savoir-faire et les attitudes des employés à travers des expériences d’apprentissage multiples (Buckley et Caple, 1995). Elle contribue activement au développement de la performance opérationnelle des individus et de l’organisation. Selon une perspective comportementale, la formation peut être définie comme une pratique gestionnaire cherchant à éliciter bon nombre de comportements positifs au travail. Sparrow (1998) montre ainsi que la formation permet à l’entreprise de développer chez son personnel un certain nombre de comportements désirés tels que l’implication dans le travail, l’engagement organisationnel et la motivation extrinsèque. Dans une autre recherche, Ahmad et Abu Bakr (2003) ont analysé l’effet de la formation sur l’engagement des employés dans les entreprises malaysiennes. Leurs résultats suggèrent que l’intensité de l’effort de formation est positivement et significativement reliée aux comportements d’engagement organisationnel. Les employés décident ainsi de rester dans l’entreprise et de contribuer à son développement s’ils perçoivent qu’elle investit réellement dans leur formation.

Dans l’entreprise, l’effort de formation s’organise généralement autour de quatre phases, à savoir : l’identification des besoins en formation, l’établissement d’un plan de formation, la réalisation des actions

150

Page 151: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

programmées et la mesure des résultats obtenus. Si les quatre étapes de ce processus sont importantes, celle portant sur l’identification des besoins semble particulièrement intéressante dans le cadre d’une problématique de création des savoirs. La question que tout manager des RH doit se poser est alors la suivante : quelles seraient les spécificités des besoins en formation pour soutenir l’œuvre d’innovation dans l’entreprise ? Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler que la création des connaissances dans l’entreprise suppose une interaction et un échange dynamiques entre les différents acteurs. Dans cette logique, les individus sont appelés à renforcer leurs compétences spécifiques (les connaissances et les savoir-faire se rapportant à leurs métiers) et à se doter de nouvelles compétences génériques (les savoirs se rapportant à d’autres domaines d’expertise). Cette double compétence que Mohrman (2003) appelle « compétence en forme de T » permet aux employés d’une part de contribuer activement au processus d’échange en mobilisant leurs connaissances spécifiques, et d’autre part d’intégrer (ou absorber au sens de Lundvall et Johnson) les connaissances relevant de domaines d’expertises variés. Cette exigence renseigne sur les orientations de la politique de formation dans le cadre des processus d’innovation et de création de nouvelles connaissances. Plus que jamais, la formation doit pouvoir enrichir les compétences spécifiques et transversales des employés. Les programmes de formation seront conçus de manière à exposer les individus à des situations de travail complexes et sans cesse remodelées. Cette forme d’ingénierie de la formation facilite la remise en cause par les employés des manières de faire déjà à l’œuvre dans l’entreprise. Elle est particulièrement utile pour le travail collectif et multifonctionnel. La formation extensive permet de développer la largeur de la base de connaissances des employés, ce qui leur permet de rapprocher et d’intégrer des savoirs issus de domaines d’expertises parfois divergents (Bae et Lawler, 2000 ; Guthrie, 2001). Disposer de ce genre de formation est indispensable pour réussir le travail en équipe. Selon Fong (2003), le fonctionnement optimal des équipes de projets nécessite la présence d’un « réservoir de connaissances » suffisamment large chez les employés. Cela contribue non seulement à décloisonner les savoirs fonctionnels, mais améliore surtout les capacités d’absorption des savoirs transversaux de l’organisation.

En outre, la formation dans les entreprises du savoir se focalise sur le développement de capacités d’innovation chez les participants. Le plan de formation ainsi que la pédagogie adoptée doivent contribuer à aiguiser le sens de la réflexion critique et du dépassement. En exposant les participants à des situations inédites, réelles et atypiques, l’organisation espère répercuter ces apprentissages «par exploration » sur ses propres modes d’apprentissage interne.

151

Page 152: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.1.2 Le partage des connaissances : le rôle du design organisationnel et des pratiques de réseautage.

Si la création des connaissances est déterminante pour le développement de l’entreprise, elle n’est cependant possible qu’à travers la diffusion et le partage des savoirs par les membres d’une communauté donnée. L’acte d’innovation peut être interprété comme un processus d’intégration de savoirs de natures (savoir tacite, savoir explicite) et de sources différentes (savoir interne, savoir externe, savoir individuel, savoir-métier). En amont de la phase d’intégration, les savoirs doivent être d’abord diffusés et partagés. Le partage des connaissances signifie que les membres de l’entreprise acceptent de mettre leurs savoirs et savoir-faire à la disposition de leurs collègues. Sans cette volonté de mise en commun des savoirs et des expertises individuelles, l’organisation ne sera pas en mesure de développer son apprentissage. Kim et Lee (2006 :371) définissent le partage des connaissances comme cette « capacité individuelle à partager les expériences relatives à son travail, ses expertises, son savoir-faire et ses informations contextuelles avec d’autres employés à travers des interactions formelles ou informelles dans le cadre d’une équipe ou entre les différents départements de l’organisation ». Le partage des connaissances requiert donc la dissémination des expériences individuelles et la collaboration entre les individus et entre les sous-systèmes et les départements de l’organisation (Dyer, 1997 ; Inkpen et Beamish, 1997). Mais au delà de cette dimension individuelle (et donc comportementale), le partage des connaissances appelle l’organisation à développer les structures de diffusion et d’échange appropriées.

Le partage des connaissances est une condition nécessaire pour permettre à l’entreprise de se développer, de concevoir de nouveaux produits et de satisfaire sa clientèle. Il lui permet de générer de nouvelles solutions et de se construire un avantage concurrentiel durable en mobilisant l’intelligence collective de tous ses employés (Baum et Ingram, 1998). La phrase, désormais célèbre du PDG de l’entreprise Texas Instrument, « Si seulement nous savions ce que nous savons à Texas Instrument » renseigne sur les manques à gagner énormes quand l’entreprise ne réfléchit pas sérieusement au développement de ses capacités de partage des connaissances. En effet, les auteurs sont aujourd’hui unanimes quant à l’importance et la gravite des phénomènes de rétention des savoirs dans les entreprises (Hedlund, 1994 ; Szulanski, 1996 ; Stenmark, 2001). De plus en plus d’entreprises constatent avec regret qu’elles se transforment progressivement en un ensemble de silos verticaux qui ne partagent pas horizontalement leurs connaissances. Le cloisonnement départemental est aggravé par une culture de rivalité mal définie et par l’absence de mécanismes sociaux et financiers clairs dédiés à

152

Page 153: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

encourager les comportements de partage. En outre, les investissements technologiques sont loin d’être efficaces. Perçus comme complexes et générant des résultats « ironiques », les TIC ne sont pas en mesure de susciter les comportements souhaités chez les employés. Plusieurs chercheurs ont essayé de comprendre le phénomène de rétention des savoirs dans l’entreprise. Leurs recherches, synthétisées dans le tableau 3.4, montrent l’existence d’au moins quatre types de barrières : des barrières relatives au savoir en soi, à l’émetteur, au récepteur et au contexte organisationnel. La présence d’autant de barrières montre la complexité de la question et l’importance de concevoir les mécanismes de déblocage appropriés.

Tableau 3.4- Synthèse des recherches sur les facteurs de rétention des savoirs

Facteurs de blocage

Principes clefs Principaux auteurs

la nature du savoir transféré

- Transférer des pratiques gagnantes ou une expertise particulière n’est pas facile. Ces pratiques renvoient en effet à la manière avec laquelle l’organisation utilise ses connaissances. Elles sont donc majoritairement tacites. Elles sont encastrées d’une part dans les compétences individuelles et d’autre part dans les modèles de collaboration sociaux - La connaissance à transférer peut être causalement ambiguë, c’est à dire que le récepteur ne saisit pas la composition et l’architecture finale du savoir transféré.

- Nelson et Winter ( 1982)- Kogut et Zander (1992).- Leonard et Sensiper (1998)- Reed et Defilippi (1990).

Barrières relatives à l’émetteur

- L’émetteur peut renoncer au partage des connaissances avec ses collègues de peur de perdre du pouvoir ou une position privilégiée.- Quand l’émetteur n’est pas considéré comme source fiable et digne de confiance, il y a risque de blocage du transfert.

- Stenmark (2001)- O’Dell et Grayson (1998)- Von Krogh (1998)- Kanter et al. (1992).

Barrières relatives au récepteur

- L’absence de motivation à recevoir le savoir développé ailleurs peut être source de blocage. Ce comportement de réluctance est symbolisé par le syndrome du NIH (Not Invented Here). C’est le cas notamment des filiales multinationales où les unités et divisions géographiquement dispersées refusent d’adopter un savoir construit et validé ailleurs.- L’absence de capacité d’absorption chez le destinataire ne lui permet pas d’assimiler et d’intégrer le savoir transféré. - L’absorption ne veut pas dire pour autant la réussite du transfert. Souvent, le savoir absorbé ne peut être retenu longtemps. L’incapacité à retenir et à institutionnaliser le savoir transféré peut être une source de blocage pour

- Jacob et Pariat (2000)- Stenmark (2001)- Lundvall et Johnson (1994).

153

Page 154: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

tout le processus. Barrières relatives au contexte organisationnel

- Des structures fermées (fonctionnelles et divisionnelles) peuvent être à l’origine du développement de comportements claniques qui empêchent la partage des connaissances. - Une culture marquée par la méfiance, l’hostilité et l’individualisme ne favorise pas le transfert des connaissances.

- Hedlund (1994)- Nonaka et Konno (1998)- Tsai (2002).

On retiendra de ces recherches que le partage des connaissances est une activité socialement complexe qui fait intervenir plusieurs variables. Les comportements de rétention des savoirs seraient expliqués par les trois raisons suivantes : la nature socialement complexe du savoir, les motivations des acteurs impliqués dans l’activité de partage et le rôle du contexte organisationnel. Cette conclusion est fort pertinente pour la suite de l’analyse. Elle nous aidera surtout à montrer la pertinence du levier gestion des ressources humaines quand il s’agit de réduire l’hostilité au partage des connaissances dans l’entreprise.

Dans le dessein de faciliter le partage du savoir, les organisations ont toujours misé sur les apports de la technologie : les Intranets, les forums de discussion, les bases de connaissances, etc. Or, de tels choix découlent d’une lecture particulière du savoir qui l’assimile à l’information et aux données. Pour comprendre le rôle de la GRH dans l’amélioration des capacités de partage des connaissances, il faut rappeler la position épistémologique centrale de cette recherche. En effet, la mobilisation de la théorie de l’encastrement social nous a permis de définir la connaissance comme le produit social d’acteurs situés. Selon Tsoukas (1996), la connaissance n’est pas un objet externe aux acteurs qui attend à être découvert et transféré. L’approche par l’encastrement social met l’accent sur le contexte social, humain et culturel dans le cadre duquel les acteurs construisent et partagent ce qu’ils connaissent. Dans cette perspective, les pratiques de GRH agissent sur le partage des connaissances à deux niveaux. Au niveau individuel, la GRH devrait susciter chez les employés un état de motivation au partage de leurs expertises. Au niveau organisationnel, en créant le contexte organisationnel capable de stimuler et de promouvoir ce genre de comportements. A cet effet, les gestionnaires des ressources humaines peuvent recourir à deux politiques de gestion du travail et des personnes. Il s’agit du design du travail et des pratiques de réseautage. Force est de constater que ces pratiques ne font pas partie des attributions classiques de la fonction GRH. La première relève « normalement » de la responsabilité des dirigeants de l’entreprise. La seconde, moins connue par les entreprises, est faite d’une mixture de pratiques de design du travail et de gestion des trajectoires professionnelles. Le choix de ces deux pratiques pour figurer dans le « système de GRH orienté vers la

154

Page 155: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

gestion des connaissances » montre l’évolution de la fonction GRH et sa tendance à se renouveler en intégrant de nouveaux champs d’intervention et de nouveaux leviers d’action.

La politique de design et d’organisation du travail dans l’entreprise renvoie directement au choix organisationnel en matière de structure. On reconnaît généralement l’existence de deux grandes catégories de structures : mécaniste et organique. La première s’adapte aux environnements stables et prévisibles. Elle est fondée sur les principes de la hiérarchie, la formalisation des rôles, la stabilité des tâches et la centralisation des décisions. Une telle forme d’organisation n’est pas adaptée à la nouvelle donne de l’économie immatérielle. En effet, les structures hiérarchiques sont le plus souvent fermées. Constituées de véritables « silos verticaux qui ne partagent pas leurs connaissances », elles finissent par développer des comportements professionnels claniques et une hostilité « déconcertante » au partage et à la mise en commun des savoirs et savoir-faire (Jacob et Pariat, 2000). Si elles peuvent être en mesure d’assurer un transfert des connaissances explicites et formalisées à travers les règles et les routines qu’elles créent, ces structures sont toutefois incapables de faire remonter à la surface de l’organisation les savoirs tacites et « clandestins » enfouis dans le savoir-faire et les schémas mentaux des employés. Ce sont pourtant ces savoirs tacites fortement encastrés dans l’action qui forment la compétence distinctive de l’organisation (Cook et Brown, 1999).

Les structures qui permettent un partage rapide et moins onéreux des savoirs sont à rechercher dans le modèle d’organisation organique. Les recherches actuelles sur le « redesign » organisationnel offrent des éclairages sur la question. En effet, on assiste aujourd’hui à l’adoption de nouveaux modes d’organisation par les entreprises. Les nouveaux dispositifs d’organisation du travail consacrent les principes de flexibilité, de transversalité et de réactivité. Ils sont caractérisés par des tâches flexibles, une communication latérale fluide, une marge d’autonomie importante accordée aux acteurs et des modes de coordination horizontaux et informels. De telles structures encouragent l’interaction entre les acteurs et aident au partage des connaissances (Rogers, 2000 ; Collins et al., 2001). En organisant le travail autour d’équipes auto-organisées, le gestionnaire des ressources humaines maximise les chances de rencontre et crée de la « solidarité face aux objectifs de performance » entre les différentes familles de métiers de l’entreprise.

Le travail en équipe est fortement adopté par les entreprises qui évoluent dans des contextes où les choix des consommateurs et les technologies évoluent rapidement. Les équipes multifonctionnelles et

155

Page 156: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

les équipes projets sont les formes d’organisation les plus utilisées. Les recherches empiriques suggèrent que les nouvelles activités de développements de produits nouveaux utilisent une approche multifonctionnelle (Griffin, 1997). L’ouverture des divers domaines d’expertises les uns sur les autres autorise une coordination plus facile et un transfert rapide des savoir-faire. Toutefois, pour assurer le partage des connaissances, des conditions doivent être satisfaites. Il s’agit de créer une vision collective qui rend les acteurs de l’équipe solidairement responsables (Enberg et al., 2006). La vision est le « ciment » qui colle les parties et oriente les efforts vers la réalisation des objectifs. D’autre part, la communication interfonctionnelle et la transparence facilitent le décloisonnement des barrières entre les métiers de l’entreprise (Holland et al., 2000). Enfin, il faut reconnaître les limites du travail en équipe et se préparer à gérer les conflits d’intérêts et les problèmes dus à la multiplicité des identités professionnelles à l’œuvre (Sapsed et al., 2002). Le travail en équipe offre également aux acteurs l’opportunité de construire des pratiques de « réseautage social » qui leur permettent de partager leurs savoirs et savoir-faire. Le réseautage social permet aux jeunes employés d’apprendre des plus expérimentés. Le tutorat est ainsi une pratique fortement prisée aujourd’hui et qui facilite le transfert du savoir dans l’entreprise. En outre, la rotation des postes est une pratique de gestion des ressources humaines qui permet aux employés d’enrichir leurs connaissances et leurs réseaux relationnels. Ces réseaux sont parfois déterminants pour apprendre de nouvelles manières de faire ou résoudre un problème urgent. Des contextes organisationnels où les employés ignorent souvent les procédures de fonctionnement à l’œuvre, volontairement ou par nonchalance ; les réseaux relationnels se substituent aux règles de fonctionnement écrites et permettent de débloquer bien de situations complexes. C’est sans doute pour cette raison que plusieurs organisations ne lésinent plus aujourd’hui sur les moyens pour instituer des « rencontres informelles » permanentes entre leurs employés. En encourageant ce genre de pratiques, elles espèrent offrir des espaces de partage extra-professionnels qui, à la longue, créent la confiance nécessaire entre les acteurs et participent à une meilleure diffusion des connaissances dans l’entreprise.

156

Page 157: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.1.3 L’application des connaissances : l’empowerment et le management des performances comme leviers d’action

La littérature sur le management des connaissances réserve peu de place à la question de l’application des connaissances. Pourtant, sans cette capacité de mettre en œuvre les savoirs construits par les acteurs, l’apprentissage de l’organisation ne saurait donner ses fruits. Dans leurs travaux sur l’organisation apprenante, Senge (1990) et Garvin (1993) avancent l’idée que l’apprentissage de l’organisation va au delà des processus d’innovation et de dissémination des savoirs. Il s’agit principalement de passer à l’acte en incorporant les savoirs construits dans les schémas décisionnels et productifs. Ainsi, l’apprentissage de l’organisation peut être interprété comme un cycle en trois étapes complémentaires : la création, le partage et l’application des connaissances. L’entreprise mesure souvent les résultats des processus de gestion des connaissances par leur capacité à améliorer la performance opérationnelle de l’organisation (qualité, productivité, maitrise des coûts, amélioration des processus de fonctionnement) et la prise de décision (qualité, délais des decisions, etc.).

L’application des connaissances appelle souvent à apporter des changements aux modes de fonctionnement dans l’entreprise. Le degré de changement dépend surtout de la nature des connaissances développées et du processus d’innovation qu’elles impliquent. Les innovations incrémentales appellent à des modifications mineures, locales et souvent sans grand effet sur le reste des fonctions de l’entreprise. Par contre, les innovations radicales imposent des changements d’ampleur qui touchent parfois la théorie à l’usage dans

157

Page 158: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’organisation et ses présupposés centraux. Mais au delà de cette distinction, la question centrale qui se pose est de connaître les facteurs organisationnels qui influencent les capacités de l’entreprise en matière d’application des connaissances. Une lecture ciblée de la littérature nous a montré la rareté des recherches qui ont pris en analyse cette question. Il est toutefois possible de soutenir l’idée que la gestion des ressources humaines est en mesure de jouer un rôle de levier sur cette capacité. Deux pratiques contribuent particulièrement à développer cette compétence. Il s’agit respectivement des pratiques d’empowerment et de management des performances.

Dans le cadre des processus d’apprentissage organisationnel, la pratique de l’empowerment est fort utile à toutes les étapes de ce cycle. Si nous avons démontré son importance dans la phase de création des savoirs, nous devons ici focaliser sur le rôle qu’elle joue au niveau de l’application des connaissances. En effet, la mise en œuvre de nouveaux savoirs est une action entamée par les individus dans le cadre de leurs fonctions. C’est aux acteurs de l’entreprise d’intégrer les nouvelles connaissances dans la pratique quotidienne. L’application des connaissances suivra alors une séquence de type essais-erreurs. A cet effet, l’organisation est appelée à doter ses collaborateurs de l’autonomie opérationnelle et décisionnelle nécessaire pour incorporer les nouveaux savoirs. En apportant des changements au niveau de leur pratique quotidienne, les acteurs « testent » les nouvelles connaissances, apportent des modifications et « rectifient le tir » afin de stabiliser définitivement les nouvelles connaissances acquises. L’importance donnée aux acteurs professionnels dans l’analyse du processus d’application des connaissances n’est pas sans fondements. Plusieurs expériences montrent l’échec des tentatives de mise en œuvre de savoirs importés de l’extérieur sans se soucier du rôle que devraient jouer les acteurs dans le « remodelage » et l’adaptation de ces connaissances.

En outre, les pratiques de management des performances sont fort utiles lorsqu’il s’agit d’encourager les individus à appliquer de nouvelles connaissances. Le management des performances est un concept nouveau en GRH. Il inclut les trois variantes suivantes : l’évaluation des performances des employés, la rémunération et le management par objectifs. Ensemble, ces trois volets constituent le cœur du système de management des performances dans l’entreprise. Cette pratique permet notamment de considérer l’application des connaissances comme facteur de performance individuelle et de concevoir le système de récompense associé. Les organisations du savoir utilisent intensivement ce système. Elles encouragent leurs collaborateurs à se fixer des objectifs précis en termes de mise en œuvre de nouveaux savoirs. Par ailleurs, le système de rémunération

158

Page 159: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dans ces entreprises est généralement indexé sur les performances opérationnelles des individus. D’autres entreprises incluent les compétences associées à la mise en œuvre des savoirs dans leurs référentiels des compétences et en font, ainsi, un critère d’évaluation des performances de leurs collaborateurs.

III.2 Proposition d’un modèle théorique sur le rôle de la GRH dans la gestion des connaissances

Selon des perspectives très diverses, plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’analyse du positionnement de la fonction GRH dans la problématique de gestion des connaissances (Thite, 2004 ; Shipton et al., 2005 ; Shipton et al., 2006). Les liens entre la gestion des ressources humaines et le management des connaissances sont par nature multidimensionnels, dans la mesure où, d’une part, la gestion des ressources humaines est composée d’un certain nombre de pratiques ayant des répercussions différenciées sur les capacités d’apprentissage, et d’autre part, la gestion des connaissances peut être modélisée en termes de processus en trois phases distinctes et complémentaires.

Sur la base d’une lecture ciblée de la littérature, nous avons recensé l’ensemble des approches qui ont pris en analyse la relation entre la gestion des ressources humaines et le management des connaissances. Nous avons également rejeté les approches qui cadraient davantage avec la perspective déterministe. Ainsi, l’approche par congruence et l’approche universaliste ont été écartées dans les phases d’analyse ultérieures parce qu’elles semblaient s’inscrire dans cet espèce de « one best way » organisationnel. Les approches sociale et celle par l’apprentissage ont grandement servi l’analyse des pratiques de gestion des ressources humaines dans le domaine du knowledge management. Elles nous ont surtout permis

159

Page 160: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’apprécier le rôle de pratiques aussi diversifiées que la formation, l’empowerment, le management des performances et le design du travail dans le développement des capacités de gestion des connaissances. Mais ces pratiques de GRH ne sont effectives que lorsqu’elles permettent de développer un capital humain de valeur et suffisamment inimitable et de créer une infrastructure culturelle orientée vers l’apprentissage et l’innovation. Ainsi, l’un des choix conceptuels de cette recherche était de montrer l’importance des notions de capital humain et de climat d’apprentissage dans la perspective d’une approche « GRH » au management des connaissances. En dépit de leur importance, l’intégration de ces deux variables a été rarement abordée dans les recherches, laissant ainsi libre voie à l’analyse du rôle d’autres variables à l’instar des outils technologiques. La gestion des connaissances est souvent considérée comme un phénomène technologique, exogène aux acteurs de l’organisation et pouvant être réalisée directement au moyen d’investissements dans les TIC. D’où la rareté des recherches qui tentent d’identifier les variables humaines, sociales et culturelles susceptibles d’influencer les processus d’apprentissage dans l’organisation.

Dans l’analyse du rôle de la gestion des ressources humaines dans le knowledge management, le choix du capital humain comme variable intermédiaire est basé sur sa pertinence, théoriquement en empiriquement prouvée, pour expliquer les phénomènes d’innovation, de création et de mise en œuvre des savoirs et savoir-faire dans l’organisation. L’intérêt de ce concept semble aussi croître pour des organisations composées majoritairement de hauts potentiels faisant valoir des compétences analytiques et résolutoires hautement spécifiques (Handy, 1996). Le capital humain est principalement fondé sur les compétences spécifiques des employés et la somme de l’intelligence et de la valeur qu’il recèle. Lorsque le management des connaissances rime avec innovation, créativité, habileté, intelligence et apprentissage permanent, la compréhension des mécanismes à la base de la formation d’un capital humain spécifique et de valeur devient nécessaire. L’intégration du capital humain dans un modèle conceptualisant la relation entre la GRH et le knowledge management permet à la fois d’analyser l’impact éventuel de certaines pratiques de GRH censées favoriser la gestion des savoirs sur le capital humain de l’entreprise et les liens possibles de ce capital avec les processus de création et de mise en œuvre des savoirs dans l’entreprise.

Par ailleurs, la mobilisation du concept de climat d’apprentissage découle d’une réflexion sur l’infrastructure sociale et culturelle de la problématique de gestion des connaissances. L’évaluation « sociale » du contexte du travail renseigne sur l’importance des facteurs

160

Page 161: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’autonomie, de coopération et de confrontation constructive dans le processus de partage des connaissances. Dans la littérature sur l’apprentissage, le processus de partage des connaissances a souvent été défini comme étant stable, parfaitement prévisible. Dans cette recherche, nous avons emprunté une analyse qui réhabilite l’importance du contexte organisationnel. La capacité des individus à partager leurs connaissances serait ainsi tributaire du climat organisationnel. Plus ce climat est orienté vers l’apprentissage, meilleures seront les chances de voir émerger des comportements positifs de partage et de diffusion des connaissances. L’intégration du climat d’apprentissage dans un modèle conceptualisant la relation entre la GRH et le knowledge management permet à la fois d’analyser l’impact éventuel de certaines pratiques de GRH censées favoriser la gestion des savoirs sur le climat d’apprentissage dans l’entreprise et les liens possibles de ce type de climat organisationnel avec le processus de partage des savoirs dans l’entreprise.

III.2.1 Rôle de médiateur du capital humain et du climat d’apprentissage et proposition d’un modèle de recherche

L’objet du modèle de recherche (figure 3.8) est d’éclaircir la relation qui existe entre, d’une part, les pratiques de GRH orientées vers la gestion des savoirs et, d’autre part les processus de création, de partage et de mise en œuvre des savoirs. L’idée principale à la base de ce modèle est que la mise en place de pratique de responsabilisation, de formation, de design du travail et de management des performances contribue activement aux processus clefs de gestion des savoirs. Elle permet d’une part, d’enrichir et d’améliorer la valeur du capital humain de l’entreprise de manière à stimuler les activités d’innovation et d’incorporation des savoirs dans les produits/services et les décisions de l’entreprise. Elle concourt aussi à la création des conditions organisationnelles favorables aux activités d’apprentissage. L’apprentissage de l’organisation est opérationnalisé dans cette recherche à travers un cycle qui s’articule autour des processus de création, de partage et d’application des savoirs.

161

Page 162: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

En dépit de l’importance du questionnement central de cette recherche, il n’existe que très peu de travaux qui se sont intéressés, et très souvent sans aborder les validations empiriques, aux mécanismes d’influence de la GRH sur les processus clefs de gestion des connaissances. La prémisse principale de cette thèse est située ici. L’objectif est donc de tester le rôle médiateur du capital humain et du climat d’apprentissage dans la relation entre la GRH et la gestion des connaissances. Autrement dit, il s’agit de postuler d’une relation indirecte entre les deux variables indépendante et dépendante de ce modèle.

En se basant sur la synthèse de la littérature présentée dans ce chapitre, il nous a été possible de proposer un modèle qui permettrait d’évaluer l’impact des dispositifs de gestion des ressources humaines orientés vers l’apprentissage sur les capacités organisationnelles de gestion des connaissances. Sur la base d’une confrontation entre les travaux théoriques et le terrain (voir chapitre 4 aussi), les pratiques suivantes ont été retenues :

La création des savoirs est une activité organisationnelle soutenue par les pratiques de formation et de responsabilisation des salariés. La première pratique permet de diversifier les répertoires de compétences individuels de manière à améliorer les contributions individuelles aux processus d’innovation. A travers l’autonomie opérationnelle et la délégation, la seconde pratique offre aux acteurs les opportunités d’expérimentation et « d’erreur » qui semblent déterminantes dans une perspective de développement de nouvelles connaissances.

Le partage des savoirs s’exprime en termes comportementaux. L’organisation est appelée à décloisonner les départements, à désenclaver les « poches de connaissances » et à réduire l’hostilité « quasi-naturelle » au partage des connaissances chez les individus. Dans ce cadre, l’apport de la GRH se situe au niveau du design du travail. Opter pour des dispositifs de travail souples, horizontaux et ouverts pourrait contribuer à une meilleure intégration des savoirs. Mais au delà de cette dimension strictement « structurelle », le design du travail offre des possibilités de réseautage social et informel entre les individus, ce qui pourrait donner lieu à des moments d’échange informel et de transfert de savoirs entre employés.

Enfin, la mise en application des savoirs renvoie à la manière avec laquelle les individus incorporent leurs connaissances dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ce passage à l’acte (ou aux résultats concrets) appelle à la mobilisation de pratiques de responsabilisation et de management des performances.

162

Page 163: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Dans l’analyse de la relation entre la GRH et la gestion des connaissances, le capital humain et le climat d’apprentissage semblent jouer un rôle important de médiation. En théorie, une variable médiatrice est définie comme étant le mécanisme à travers lequel la variable indépendante ou principale est capable d’expliquer la variable étudiée (Baron et Kenny, 1986). En d’autres termes, une variable médiatrice permet de transmettre intégralement ou partiellement l’effet d’une variable indépendante sur une variable dépendante (ElAkremi et Roussel, 2003). En premier lieu, la variable médiatrice est la conséquence de la variable indépendante ; alors qu’en deuxième lieu, elle joue le rôle d’antécédent par rapport à la variable dépendante. Sur le plan conceptuel, une variable médiatrice explique comment, et selon quel mécanisme une variable indépendante influence une variable dépendante. Selon Baron et Kenny (1986), il existe une médiation parfaite et une médiation partielle. Une variable médiatrice est dite parfaite si elle transmet intégralement l’effet de la variable indépendante sur la variable dépendante. Dans ce cas, si on la contrôle, la variable indépendante n’a plus aucun effet sur la variable dépendante. Par contre, un médiateur partiel transmet seulement une partie de cet effet. Il n’annule pas l’effet de la variable indépendante sur la variable dépendante, mais le réduit significativement. Ce rôle médiateur entre les dispositifs de GRH et les processus de gestion des connaissances sera pris en analyse. Le modèle de recherche a été construit à travers des allers-retours entre la théorie et le terrain (voir chapitre quatre). Il demeure perfectible dans la mesure où il ne comporte certainement pas l’intégralité des variables individuelles et organisationnelles qui interviennent dans la problématique étudiée.Figure 3.8- GRH, capital humain, climat d’apprentissage et processus de gestion des savoirs : modèle de recherche

Pratiques de GRH orientées vers la gestion des savoirs

* Pratiques d’empowerment

* Pratiques de formation

* Pratique de design du travail et de réseautage

* Pratiques de management des performances

Capital humain

Processus de gestion des savoirs

* Création des savoirs

* Partage des savoirs

* Application des savoirs

163

Page 164: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.2.2 Formulation des hypothèses de recherche

Le questionnement à la base de cette recherche peut être condensé en une hypothèse globale (Hg) qui peut être énoncée comme suit :

Les pratiques de GRH orientées gestion des savoirs, influencent indirectement les capacités de gestion des connaissances à travers le capital humain et le climat organisationnel.

Relations entre GRH et capital humain

La première série d’hypothèses concerne la relation directe entre les dispositifs de GRH orientées vers l’apprentissage et le capital humain. Ces hypothèses s’énoncent comme suit :

H1.1 Les pratiques d’empowerment influencent positivement le capital humain H1.2 Les pratiques de formation influencent positivement le capital humain de l’entreprise

H1.3 Les pratiques de management des performances influencent positivement le capital humain

Relation entre GRH et Climat d’apprentissage

La deuxième série d’hypothèses concerne la relation entre les dispositifs de GRH orientés vers l’apprentissage et le climat d’apprentissage. Ces hypothèses s’énoncent comme suit :

Climat d’apprentissage

164

Page 165: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

H2.1 Les pratiques d’empowerment influencent positivement le climat d’apprentissage

H2.2 Les pratiques de design du travail et de réseautage influencent positivement le climat d’apprentissage

H2.3 Les pratiques de management des performances influencent positivement le climat d’apprentissage.

Relation entre Capital humain et processus de gestion des connaissances

H3.1 Le capital humain influence positivement le processus de création des connaissances

H3.2 Le capital humain influence positivement le processus d’application des connaissances

Relation entre Climat d’apprentissage et processus de gestion des connaissances

H4.1 Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de création des connaissances

H4.2 Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de partage des connaissances

H4.3 Le climat d’apprentissage influence positivement le processus d’application des connaissances

Le rôle médiateur du capital humain

H5.1 Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs

H5.2 Le capital humain joue un rôle de médiation entre la formation et la création des savoirs

H5.3 Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et l’application des savoirs

165

Page 166: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

H5.4 Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de management des performances et l’application des savoirs

Le rôle médiateur du climat d’apprentissage

H6.1 Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs

H6.2 Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques de design du travail et de réseautage et le partage des savoirs

H6.3 Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques de management des performances et l’application des savoirs.

Conclusion

L’objectif de ce chapitre était de construire un modèle théorique qui explicite la contribution des pratiques de gestion des ressources humaines aux processus de création, de partage et d’application des connaissances. L’étude des liens entre les pratiques de management des personnes et la gestion des connaissances bénéficie très peu de connaissances établies ou de résultats déjà validés. Peu explorée, cette problématique mérite d’être analysée davantage. Dans ce chapitre, nous avons émis l’hypothèse générique selon laquelle les dispositifs de gestion des RH influencent indirectement les processus

166

Page 167: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de gestion des connaissances à travers le développement du capital humain de l’entreprise et la promotion d’un climat d’apprentissage. Les pratiques de GRH retenues dans ce modèle sont respectivement : la formation, l’empowerment, le management des performances et le design du travail et le réseautage social. Ces pratiques sont censées contribuer à la création d’un potentiel d’innovation dont la mobilisation repose sur la valeur du capital humain et la qualité du climat organisationnel.

Ce chapitre nous a permis, après une argumentation théoriquement fondée, de produire un modèle de recherche théorique. L’objectif de la seconde partie de cette recherche est de présenter l’opérationnalisation, la méthodologie, et les résultats des analyses effectuées pour confirmer ou infirmer les hypothèses de cette recherche.

Conclusion de la première partie

Au terme de cette première partie, rappelons que l’objectif central en était la proposition d’une lecture renouvelée du management des connaissances. Selon cette lecture, la gestion des RH serait un levier fondamental des processus de création, de partage et d’application des connaissances. Une telle option place le management des

167

Page 168: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

personnes au centre des démarches d’apprentissage organisationnel. Elle appelle aussi à renoncer à la fiction de gérer les savoirs par le recours aux seules technologies de l’information et de la communication. Selon les choix opérés dans cette thèse, la gestion des connaissances est indissociable d’une réflexion sur le contexte organisationnel dans le cadre duquel elle prend place. La connaissance est le produit d’acteurs organisationnels dotés de compétences spécifiques et agissant dans un espace-temps donné.

Dans cette perspective, nous avons plaidé en faveur d’une lecture organisationnelle qui prendrait en compte le rôle des pratiques de gestion des ressources humaines dans l’amélioration des capacités organisationnelles de gestion des connaissances. La gestion des savoirs est pensée comme relevant d’un processus fondamentalement social. Dans ce cadre, la connaissance a été définie comme le produit dynamique et socialement distribué des interactions des acteurs. Sa génération procède d’une logique interactionniste où les questions de confiance, de pouvoir et de coopération semblent structurer les processus de production et de partage des savoirs. En outre, une attention particulière a été accordée au concept de capital humain. Dans une logique qui associe à la fois les apports de la théorie de l’encastrement social et ceux du champ du management stratégique des ressources humaines, nous avons considéré qu’il est utile de porter une réflexion sur le capital humain de l’entreprise comme facteur primordial dans le développement des capacités de gestion des connaissances. En effet, la valeur des compétences détenues par les personnes est déterminante dans les processus de création et de mise en application des connaissances.

Sur la base de ces choix, nous avons procédé à la modélisation des liens entre les pratiques de GRH, le capital humain, le climat d’apprentissage et la gestion des connaissances. Les hypothèses de recherche découlant du modèle théorique ont été ensuite présentées. Elles seront examinées et validées dans le cadre de la deuxième partie de cette recherche. Cette seconde partie sera en effet réservée à l’analyse de l’investigation empirique dans le contexte tunisien.

168

Page 169: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Deuxième partie

Mise en œuvre d’un modèle sur le rôle de la GRH dans les processus de gestion des

connaissances : validation dans le contexte tunisien.

« Toute discipline scientifique a besoin d’un discours de la méthode. Mais en gestion, l’un des critères essentiels consiste à vérifier que la méthode permet de répondre au problème posé. »

Jacques Igalens, (2005)

169

Page 170: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Introduction de la deuxième partie

Cette deuxième partie rend compte d’une étude empirique effectuée auprès de sept entreprises tunisiennes appartenant à des secteurs d’activité « intensifs en connaissances ». Nous tentons de mettre en œuvre le modèle théorique et de valider les hypothèses de recherches qui en découlent. Consacrant le principe de la complémentarité des paradigmes de recherche, ce travail empirique s’est fait en deux phases distinctes, mais complémentaires.

En premier lieu, une étude qualitative exploratoire a été menée. Son objectif est de raffiner les choix définitionnels découlant du modèle théorique. Elle vise aussi à apprécier la plausibilité des liens rendus nécessaires par le cadre théorique. La mise à l’épreuve des hypothèses découlant du modèle de recherche présume une confrontation sur le terrain entre les différentes conceptions que les acteurs ont sur les thèmes de la gestion des connaissances, du capital humain et du climat d’apprentissage. Cette confrontation est d’autant plus difficile que les liens entre la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances sont peu étudiés et méconnus dans le contexte de l’entreprise tunisienne.

En deuxième lieu, une analyse de régression est menée sous le logiciel SPSS pour valider les hypothèses de recherche. Au préalable, une analyse factorielle exploratoire sera menée afin d’apprécier la validité et la qualité de l’instrument de mesure. En dépit de ses insuffisances, le choix du questionnaire comme outil de recueil des données est une option fortement préconisée en sciences de gestion. Dans le cadre de cette recherche, le choix du questionnaire s’appuie sur un certain nombre d’arguments. Le recours à une démarche empirique à travers l’utilisation du questionnaire comme instrument de collecte des données renforce la contrôlabilité du chercheur sur le processus de recherche et permet par là même de réduire le risque de “dissolution” du phénomène étudié (El-Akremi, 2000). En outre, cette option tient à notre volonté de tester un certain nombre d’hypothèses, pour lesquelles des possibilités de mesure existaient déjà, par l’utilisation d’un questionnaire à échelles multiples. Enfin, le choix du questionnaire repose sur le fait que cet outil est largement utilisé aussi bien dans les recherches sur la GRH que celles portent sur le management des connaissances.

Toutefois, quelle que soit la méthode utilisée, qualitative ou quantitative, il demeure difficile d’identifier et de mesurer intégralement les processus associés aux phénomènes sociaux. Le

170

Page 171: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

chercheur doit alors s'essayer à élaborer des modèles qui soient les appréciations les plus crédibles, les plus valables et les mieux théoriquement conçues possibles des phénomènes étudiés.

Outre la clarification des options méthodologiques ainsi que les analyses statistiques nécessaires, cette seconde partie devrait engager, dans une dernière section, une discussion des résultats empiriques. Cette discussion se fera en fonction de la littérature disponible et, lorsque c’est possible, de l’analyse de contenu des entretiens exploratoires. Sur la base de cette discussion, des implications pratiques seront retenues et des recommandations managériales actionnables présentées.

171

Page 172: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Chapitre quatre

Spécification du cadre opérationnel de la recherche : une étude qualitative exploratoire et conception du questionnaire de recherche

Dans la première partie de cette thèse, nous avons développé le cadre théorique permettant d’intégrer le management des connaissances dans une problématique de gestion des ressources humaines. Nous avons plaidé dans cette recherche en faveur d’une gestion des connaissances repensée. Pareille entreprise appelle à explorer davantage la perspective organisationnelle du knowledge management en focalisant sur le rôle de levier que la GRH est susceptible de jouer dans cette perspective. Cette approche « renouvelée » du knowledge management reste très peu explorée dans la littérature spécialisée. Les liens entre la gestion des ressources humaines et les processus de gestion des connaissances sont souvent incompris, voire incohérents. Dans ce cadre, la mise à l’épreuve des hypothèses découlant du modèle théorique suppose une confrontation sur le terrain entre les différentes conceptions que les acteurs ont sur les thèmes de la gestion des connaissances, de la gestion des ressources humaines, du capital humain et du climat d’apprentissage. Une investigation qualitative exploratoire s’impose alors. Engagée au début des travaux de cette thèse, l’exploration qualitative avait pour objectifs de raffiner les concepts de base de l’étude et d’apprécier la plausibilité des liens rendus nécessaires par la modélisation théorique.

L’objectif de ce chapitre est de préparer le cadre opérationnel nécessaire à la mise à l’épreuve des hypothèses de recherche. En sciences de gestion, l’opérationnalisation d’une recherche est un processus qui nécessite des allers-retours entre le domaine théorique et le terrain. De tels « mouvements » se justifient d’une part, quand la revue de la littérature ne permet pas de spécifier totalement l’ensemble du cadre conceptuel et d’autre part, quand le chercheur est obligé d’intégrer les perceptions des gens du terrain dans la conceptualisation finale de son modèle. Le choix d’une investigation qualitative exploratoire suivie d’une enquête par questionnaire est dicté par la nature de cette recherche et la nécessité de peaufiner le modèle théorique avant de le mesurer sur le terrain. Ce choix d’une méthodologie mixte cadre avec les orientations épistémologiques et méthodologiques de cette thèse. Cette recherche s’inscrit en effet

172

Page 173: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dans la logique d’une épistémologique positiviste de confirmation. De nature hypothético-déductive, la méthode de recherche suivie ainsi que les instruments de recueil des données mobilisés consacrent, toutefois, le principe de l’ouverture des paradigmes et transcendent le clivage historique entre méthodes qualitatives et quantitatives (section I). Outre la spécification des options épistémologiques et méthodologiques, ce chapitre rend compte des résultats d’une enquête exploratoire menée auprès de deux populations d’employés distinctes : les cadres opérationnels et les Directeurs des Ressources Humaines (section II). Cette investigation auprès de deux types de population se justifie par la nécessité de comprendre d’une part les concepts de GRH et de gestion des connaissances, et d’autre part, les liens complexes et jusque-là peu explorés entre ces deux construits. Les entretiens menés ont subi une procédure d’exploitation de type analyse de contenu. Au-delà de ses implications en termes d’amélioration du cadre conceptuel et du modèle de recherche, la recherche exploratoire a permis de stabiliser les concepts de base de l’étude et d’orienter le choix du questionnaire de recherche. Ce questionnaire composé d’échelles de mesure sélectionnées dans la littérature et légèrement modifiées, est présenté dans la dernière partie de ce chapitre (Section III). Cette section comporte aussi des informations sur la procédure de prétest du questionnaire et une description succincte des données recueillies.

173

Page 174: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section I. Options épistémologique et méthodologique de la recherche

La recherche en sciences de gestion est un processus long et rigoureux. Le chercheur doit être capable de concevoir et de mettre en œuvre un dispositif fiable pour accéder au réel et élucider son contenu. A chaque phase de la recherche, des décisions doivent être prises et des choix seront faits. « La recherche en sciences sociales suit une démarche analogue à celle du chercheur de pétrole. Ce n’est pas en forant n’importe où que celui-ci trouvera ce qu’il cherche. Au contraire, le succès d’un programme de recherche pétrolière dépend de la démarche suivie. Etude des terrains d’abord, forage ensuite. Cette démarche nécessite le concours de nombreuses compétences différentes. Des géologues détermineront les zones géographiques où la probabilité de trouver du pétrole est la plus grande ; des ingénieurs concevront des techniques de forages appropriées que des techniciens mettront en œuvre. Le processus est comparable en matière de recherche sociale. Celle-ci ne se présentera jamais comme une simple addition de techniques qu’il s’agirait d’appliquer telles quelles mais bien comme une démarche globale de l’esprit qui demande à être réinventée pour chaque travail. » (Quivy et Van Campenhoudt, 1988 : 3).

Ainsi, pour répondre à une problématique posée, une méthodologie de recherche doit être définie. Toutefois, le choix d’une démarche méthodologique en sciences de gestion demeure ouvert. Il s’agit en effet d’un choix extrêmement difficile compte tenu de la multiplicité de critères à concilier. Le critère principal et généralement admis reste la nécessité d’adapter la méthodologie utilisée à la problématique de recherche. Ainsi, il n’existe pas une bonne ou une mauvaise méthodologie dans l’absolu. Chaque démarche d’investigation empirique se justifie d’abord par son adéquation avec le problème initialement posé par le chercheur.

L’objectif de cette section est de clarifier les options méthodologiques de cette thèse et d’en expliciter les fondements épistémologiques. En effet, tout chercheur est appelé à clarifier sa posture épistémologique, en d’autres termes la philosophie des sciences sur la base de laquelle il « voit » son terrain. Ce choix devrait faciliter par la suite le repérage de la méthode de recherche appropriée. Comme nous le verrons plus loin, il existe un lien étroit entre le fondement épistémologique d’une recherche et sa démarche méthodologique. De plus, la méthodologie permet de définir les techniques et les outils qui permettraient au chercheur d’accéder au terrain et de produire ses données. Dans cette section, nous présentons une démarche générale de choix de

174

Page 175: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

méthodologie de recherche. Cette démarche s’appuie sur deux critères essentiels : la position épistémologique du chercheur et la spécificité de l’objet de la recherche. Elle nous permettra de fixer notre choix quant à la méthodologie mobilisée dans cette recherche. Nous commencerons par définir brièvement la recherche dans le domaine des sciences de gestion. Ensuite, nous discuterons des différentes postures épistémologiques des chercheurs en sciences de gestion. Deux paradigmes ont influencé l’histoire de la recherche dans ce domaine : le positivisme et le constructivisme. Au delà de l’analyse classique de l’opposition de ces deux paradigmes, notre objectif serait de montrer combien ce débat épistémologique influence le choix d’une méthodologie d’investigation par le chercheur. Une grille de lecture des différentes méthodologies sera présentée à l’issue de cette discussion. Elle nous guidera dans la définition d’une méthodologie de recherche propre à notre travail. Enfin, nous présenterons le terrain d’investigation choisi pour mener la recherche empirique.

I.1. Nature, utilité et démarche de la recherche en sciences de gestion 

Cohen (1996) définit les sciences de gestion comme cet ensemble de pratiques, de discours ou de connaissances théoriques ou techniques relatifs à la conduite de l’organisation. La gestion peut être approchée de plusieurs angles et perspectives. Pour certains, c’est la « science de l’action », c’est à dire qu’elle est formée d’un ensemble de pratiques dont l’objectif est d’améliorer l’efficience et la fiabilité de l’organisation. Pour d’autres, elle est une discipline scientifique digne de ce statut malgré son jeune âge. Cohen résume ce débat en divisant la diversité des objets de la gestion en quatre. La gestion serait d’abord un ensemble de pratiques (opérations, outils, pratiques d’interventions, etc.). Elle est ensuite un ensemble de connaissances théoriques et empiriques. En outre, elle peut être définie comme une visée commune. Enfin, la gestion est un ensemble de discours sur la manière d’organiser l’entreprise.

D’autre part, Hatchuel (2000) définit les sciences de gestion comme la science des collectifs. Elles s’intéressent donc aux problématiques de l’action collective : la prise de décisions, les phénomènes de coopération, le pouvoir, la rationalisation, etc. Les sciences de gestion s’attachent alors à comprendre et à décrire (et parfois prévoir) la genèse et la réinvention des ces problématiques. Pour Hatchuel, l’objet des sciences de gestion serait alors une théorie axiomatique et généalogique de l’action collective. Dans cette perspective, l’organisation est considérée comme  une classe d’actions dont l’effet des techniques de gestion dépend de la réflexivité des acteurs et des collectifs où elles sont mises en œuvre.

175

Page 176: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

En sciences de gestion, la recherche a souvent pour objectif de décrire, de comprendre, d’expliquer ou de prédire des phénomènes liés aux organisations. Au delà de sa valeur purement fonctionnelle, la recherche en sciences de gestion peut poursuivre d’autres types d’objectifs. C’est ainsi que Coughlan et Brady (1995) distinguent trois types « d’utilité » de la recherche en sciences de gestion. Il y aurait ainsi une utilité pratique, théorique ou méthodologique. Le tableau 4.1 reprend succinctement l’apport des deux auteurs.Tableau 4.1- Utilités de la recherche en sciences de gestion

Utilité pratique Mener probablement à la résolution de quelques problèmes organisationnels pratiques.

Utilité théorique Prolonger la théorie existante à une autre

population Utiliser la théorie existante en employant la même

perspective Tester des théories concurrentes Tester la théorie développée dans une recherche

précédente.

Utilité méthodologique

L’étude apporte une contribution unique en développant et en examinant de nouvelles méthodes ou en appliquant une méthode jusque-là peu appliquée dans un secteur donné

Avancées concernant l’un ou plusieurs des aspects suivants : conception, prélèvement, analyses, procédure de collecte des données, stratégie d’accès au réel, stratégie de mesure, etc.

Source : Coughlan et Brady (1995).

Il est aujourd’hui unanimement reconnu que la gestion fait partie des sciences praxéologiques, orientées vers l’action. Ainsi l’utilité de la recherche en sciences de gestion représente un critère fondamental qui en détermine la valeur. Dans ce sens, la capacité d’une recherche à générer des implications managériales et à solutionner les problèmes d’ordre pratique semble aujourd’hui être une qualité fortement prisée. Cette orientation fondamentale vers la pratique est sans doute l’argument majeur de ceux qui réfutent aujourd’hui l’idée de la scientificité de la gestion. Selon cette thèse, la gestion avance mieux en tant qu’ensemble de pratiques et de techniques opérationnelles qu’en tant que corps de connaissances scientifiques. Si ce débat mérite attention et analyse critique, nous préférons toutefois ne pas le prendre en analyse dans le cadre de cette section.

176

Page 177: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le problème de la connaissance scientifique en sciences de gestion se pose de la même manière pour tous les autres phénomènes sociaux, voire naturels : dans tous ces cas, des hypothèses théoriques doivent être confrontées à des données d’observation ou d’expérimentation. Toute recherche doit donc répondre à des principes stables et identiques qui en forment la démarche de base, même si plusieurs voies différentes peuvent conduire à la connaissance scientifique. Selon Quivy et Van Campenhoudt (1986), les méthodes de recherches ne sont que de second ordre. Ce qui importe pour le chercheur en sciences de gestion, c’est de fixer, en premier lieu, sa démarche d’investigation. Une démarche est un ensemble d’étapes claires et logiquement articulées. C’est une manière d’organisation du travail du chercheur qui lui permet de progresser sereinement vers un but. Quivy et Van Campenhoudt (1986) avancent que la démarche de recherche en sciences de gestion s’articule autour de trois actes clefs : la rupture, la construction et la constatation. Ces trois moments sont résumés dans le tableau 4.2.

Tableau 4.2- les trois actes de la démarche scientifique en sciences de gestion selon Quivy et Van Campenhoudt (1986).

La rupture

En sciences de gestion, le bagage théorique dont dispose le chercheur possède de nombreux pièges car une grande part de nos idées s’inspire des apparences immédiates ou de partis pris. Elles ne sont souvent qu’illusion et préjugés. Construire sur de telles prémisses revient à construire sur du sable. D’où l’importance de la rupture qui consiste précisément à rompre avec les préjugés et les fausses évidences qui nous donnent seulement l’illusion de comprendre les choses. La rupture est donc le premier acte constitutif de la démarche scientifique en sciences de gestion.

La construction

Cette rupture ne peut être effectuée qu’à partir d’une représentation théorique préalable qui est susceptible d’exprimer la logique que le chercheur suppose être à la base du phénomène. C’est grâce à cette construction mentale qu’il peut prévoir l’appareillage à installer, les opérations à mettre en œuvre et les conséquences auxquelles il faut logiquement s’attendre au terme de l’observation. Il ne peut y avoir de constatation fructueuse sans construction d’un cadre théorique de référence. On ne soumet pas n’importe quelle proposition à l’épreuve des faits. Les propositions doivent être le produit d’un travail rationnel fondé sur la logique et sur un bagage conceptuel valablement constitué.

La constatation

Une proposition n’a droit au statut scientifique que dans la mesure où elle est susceptible d’être vérifiée par les faits. Cette mise à l’épreuve des faits est appelée constatation ou expérimentation. Elle correspond donc au troisième acte de la recherche.

177

Page 178: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Toujours selon Quivy et Van Campenhoudt (1986), dans le déroulement concret d’une recherche en sciences de gestion, les trois actes de la démarche scientifique sont mis en œuvre au cours d’une succession d’opérations regroupées en sept étapes. La figure suivante reprend l’intégralité de la démarche telle que proposée par les auteurs.

Figure 4.1- Les étapes de la démarche scientifique en sciences de gestion

178

Page 179: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Source : Quivy et Van Campenhoudt (1986 : 20).

I.2. Positionnement épistémologique de la recherche

Etape 1: la question de départ

Etape 2: l’exploration

Les lectures Les entretiens exploratoires

Etape 3: la problématique

Etape 4: la construction du modèle d’analyse

Etape 5: l’observation

Etape 6: l’analyse des informations

Etape 7: les conclusions

179

Page 180: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Dans le débat sur les sciences de gestion, la question épistémologique a souvent été jugée « trop théorique » et a été de fait, reléguée au second plan. «  Les gestionnaires sont des gens sérieux et efficaces qui n’ont donc pas de temps à perdre dans une quelconque réflexion épistémologique. L’importance et l’urgence des problèmes que rencontrent les entreprises les invitent – au contraire – à produire concepts, méthodes et outils censés résoudre ceux-là » (Martinet, 1990 : 9). Toutefois, selon Martinet (1990 :9), « Le désormais vaste et hétérogène ensemble des producteurs de sens dans le domaine – chercheurs, enseignants, consultants, praticiens eux-mêmes – ne saurait se satisfaire encore longtemps d’un clivage fallacieux, mythique ou idéologique entre ceux qui feraient de l’épistémologie et ceux qui auraient mieux à faire ». Un tel constat montre l’importance aujourd’hui pour les chercheurs en sciences de gestion d’accorder davantage d’attention à l’explicitation et l’analyse des fondements épistémologiques de leurs projets de recherche. En entamant une nouvelle recherche, le chercheur en sciences de gestion est appelé à s’interroger sur un certain nombre de points pouvant porter aussi bien sur les données elles-mêmes que sur la valeur scientifique des résultats obtenus ou attendus de la recherche. Ce constat peut nous suffire à justifier la pertinence et l’importance de clarifier les fondements épistémologiques de la recherche en sciences de gestion.

I.2.1 Epistémologie et sciences de gestion

En combinant les travaux respectifs de Piaget (1967) et de Cohen (1996), il est possible de définir l’épistémologie comme l’étude de la constitution des connaissances valables. C’est la philosophie de la connaissance, la théorie des sciences ou encore la théorie de la connaissance. L’enjeu de définir une posture épistémologique en gestion est d’affirmer l’identité scientifique des sciences de gestion ainsi que l’identité épistémologique des connaissances en gestion (Ben Aissa, 2002). Clarifier son positionnement épistémologique permet d’orienter, de guider et de doter le chercheur de principes, de paradigmes régulateurs de l’activité de recherche, de repères problématiques et méthodologiques dans la conduite du processus de recherche. Selon Hatchuel (2000), l’épistémologie des sciences de gestion se compose essentiellement de trois registres. D’abord, la connaissance contingente, dans le sens ou la connaissance dépend du contexte de l’entreprise et d’un cadre spatio-temporel spécifique. Ensuite, la théorie généalogique. Enfin, la doctrine mobilisatrice. De manière plus simple, la question qui se pose, concernant l’épistémologie des sciences de gestion, est la suivante : qu’est-ce qu’on peut considérer en gestion comme relevant du registre scientifique ? Pour répondre à une telle question, il y a lieu de définir

180

Page 181: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

les critères de scientificité tels qu’ils apparaissent dans les sciences dures. Ces mêmes critères sont applicables aux sciences sociales, dont la gestion, avec néanmoins prise de certaines précautions due au caractère spécifique et particulier des sciences de gestion. Le premier critère de scientificité est la causalité. Sa définition est simple : la cause d’un phénomène sera l’ensemble des antécédents dont l’intervention nous permet de comprendre ce phénomène, c’est à dire de le reproduire, au moins en pensée. Le deuxième critère est l’objectivité de la recherche. Le troisième critère est l’adéquation du savoir scientifique à son objet.

I.2.2 Epistémologies positiviste et constructiviste

Il est possible de ramener le débat sur l’épistémologie des sciences de gestion à l’opposition de deux paradigmes majeurs : le positivisme et le constructivisme. Dans ce qui suit, nous définissons les postulats de base de chaque paradigme. Ensuite, nous mettrons en comparaison leurs hypothèses et implications méthodologiques.

I.2.2.1 L’épistémologie positiviste Le premier des positivistes et sans doute son fondateur est Auguste Comte. Selon Comte, le mot positif désigne le réel. Le premier principe du positivisme est le principe ontologique, appelé aussi réalité du réel ou encore critère de vérité. Selon ce principe, la recherche scientifique implique nécessairement une ontologie. Sera ainsi vraie une proposition qui décrit effectivement la réalité. « Le but de la science sera donc de découvrir la vérité en découvrant en en décrivant la réalité tenue pour évidence sensible » (Le Moigne, 1990 :92). Le deuxième principe est celui de l’univers câblé. Selon ce principe, la réalité est connaissable par les lois éternelles qui régissent ses comportements. Cet univers connaissable est un univers câblé, et le but de la science est de découvrir le plan de câblage. Découvrir la vérité, c’est découvrir les lois ou les déterminations qui les régissent. Le troisième principe du positivisme est l’objectivité. Ce principe est simple. Si le réel est, en soi, il doit exister indépendamment du sujet qui déclare le percevoir ou l’observer. En outre, l’observation de l’objet réel par un sujet ne doit pas modifier la nature (ou le statut ontologique propre) de cet objet.

I.2.2.2 L’épistémologie constructiviste L’épistémologie constructiviste s’est progressivement imposée comme paradigme concurrent au positivisme de Comte. Selon Inhelder et Vonèche (1985), le terme de constructivisme peut être entendu de différentes manières. Il peut faire référence à des théories logiques s’opposant au nominalisme, à l’empirisme, au déductivisme et au réductionnisme en mathématique. Il peut encore se rapporter plus

181

Page 182: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

précisément aux théories intuititionnistes. Selon les auteurs, « le constructivisme demeure sans doute la seule épistémologie valable de l’innovation créatrice, car lui seul explique comment le savoir peut créer lui-même les conditions et les instruments du savoir » (Inhelder et Vonèche, 1985 :13). Le premier principe du constructivisme est celui de la représentabilité. Contrairement au positivisme, la connaissance ne reflèterait pas une réalité ontologique objective. Elle concernera plutôt l’organisation de nos représentations d’un monde constitué par nos expériences. « Ne postulant plus la réalité de la réalité, mais seulement la représentabilité de nos expériences, nous ne pouvons plus définir la vérité par la perfection de la superposition de ce réel et du modèle de ce réel. En revanche, nous saurons reconnaître l’adéquation des modèles de notre expérience du monde avec cette expérience » (Le Moigne, 1990 :106). Le deuxième principe est celui de l’univers construit ou le postulat de la téléologie des représentations du monde. Non seulement le comportement cognitif du sujet connaissant s’interprète plus volontiers en termes de causes finales qu’en termes de causes efficientes mais surtout la détermination et la transformation de ces finalités semblent très souvent devoir être interprétées en termes endogènes, autoproduites par le sujet lui-même. Le troisième principe est celui de la projectivité ou de l’interaction sujet-objet. Selon ce postulat, la connaissance de la réalité n’ayant d’autre réalité que la représentation que s’en construit un sujet, l’interaction sujet-objet est précisément constitutive de la construction de la connaissance.

I.2.2.3 De l’opposition positivisme / constructivismeLes paradigmes positiviste et constructiviste peuvent être lus à travers l’angle de leur opposition. En effet, les deux paradigmes véhiculent des visions différentes du monde, de la connaissance et de la recherche en sciences sociales. Les deux épistémologies fondent aussi des méthodologies de recherche différentes donnant lieu à l’utilisation par le chercheur d’outils de collecte et d’analyse des données différenciés. Dans la posture positiviste, les hypothèses épistémologiques et les principes méthodologiques ont un caractère fermé. Le chercheur positiviste en sciences de gestion cherche à donner aux dirigeants, dans un but explicatif et prédictif, les clefs du fonctionnement du monde. Les épistémologues constructivistes ont une acception différenciée de la connaissance. Cette épistémologie non cartésienne conteste le primat méthodologique du réductionnisme dans l’élaboration de la connaissance. Avec une telle posture épistémologique, la recherche en sciences de gestion focalise sur l’explication des phénomènes et non sur leur prédiction. Ainsi, dans l’esprit constructiviste, la connaissance, avant d’être un résultat en soi, est d’abord un processus de construction de connaissances.

182

Page 183: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La littérature sur l’épistémologie des sciences de gestion est très riche. L’opposition entre positivisme et constructivisme en est un thème privilégié. Les implications de cette opposition sont fortes. Selon la posture épistémologique choisie, le chercheur adoptera un mode spécifique de recherche et mobilisera des outils appropriés. Dans le tableau suivant, nous synthétisons la littérature disponible sur la question en montrant la divergence de ces deux paradigmes en fonction de plusieurs critères. Cela nous permettra ultérieurement de clarifier le positionnement épistémologique et méthodologique de cette recherche.

Tableau 4.3- Espaces de positions épistémologiques : une comparaison.

Critères d’analyse

Positivisme Constructivisme

Le statut accordé aux données

- Les données sont des mesures de la réalité qui est considérée comme objective. La réalité existe en effet comme vérité. - Les données existent en tant que telles et précèdent l’intervention du chercheur. - Les phénomènes sociaux existent objectivement.

- Les données sont le résultat d’une construction par interaction entre le chercheur et l’objet étudié. La réalité est dépendante à travers l’individuel. - Ce n’est que par son expérience du monde que le chercheur accède au monde. - Les individus créent le monde qui les entoure par leurs actions guidées par leurs finalités.

Statut de la réalité et objet de la recherche

- Le principe du déterminisme : la réalité est déterminée par des lois, des mécanismes immuables dans le temps et dans l’espace. - Dans les mêmes conditions, les mêmes causes entraineront les mêmes effets. - L’objet de la recherche est alors de découvrir ces lois. - Il existe des relations de cause à effet qui permettent de décomposer la réalité en un ensemble de propositions reliées entre elles par des liens logiques : c’est le principe de la logique formelle.

- La réalité n’est qu’une construction sociale et n’existe qu’à travers les expériences et les activités humaines. - L’objet de la recherche est d’étudier les opérations à travers lesquelles nous constituons notre expérience du monde. - L’interaction entre les éléments composant le système donne lieu à des relations circulaires qui traduisent l’impossibilité de déterminer si une action est la cause ou l’effet d’une autre action.

Mode de collecte des données

- Principe de l’indépendance du chercheur et de l’objet de l’étude. - Le chercheur observe des faits mesurés par des données. Les données utilisées par le chercheur sont « froides ». Elles constituent des matériaux préexistants dont

- Principe de l’interdépendance du chercheur et de l’objet de l’étude. - Le chercheur et les acteurs du système construisent en même temps les données, lesquelles résultent de leur expérience

183

Page 184: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’élaboration n’est pas liée à l’investigation en cours. - L’instrument de collecte est objectif. Les faits resteront objectifs indépendamment du chercheur et le mode de collecte utilisé.

mutuelle de la réalité. - L’instrument de collecte est constitué des représentations du chercheur en interaction avec celles des acteurs. Le chercheur est donc à l’intérieur de l’objet de l’étude.

Relation entre la théorie et l’observation empirique

- La connaissance théorique précède l’expérience empirique- Démarche hypothético-déductive de vérification. - Le chercheur connaît à l’avance ce qu’il peut découvrir- Le chercheur s’inscrit dans une démarche de test de modèle élaboré à partir de la théorie. - La démarche de recherche est définie avant l’intervention du chercheur sur le terrain.

- L’expérience empirique précède la connaissance.- Démarche inductive démonstrative- Le chercheur découvre par ses observations. Il émet ensuite des lois ou des conjectures. - Le chercheur s’inscrit dans une démarche d’inférence de régularités à partir d’observations empiriques. - La démarche de recherche est émergente, même si le chercheur peut la formaliser avant d’aller sur le terrain.

Les critères de scientificité de la recherche

- L’outil garantit la valeur de la connaissance et la généralisation des résultats.- La méthode, si elle est fiable et valide, garantit des résultats non biaisés.- Un instrument de mesure fiable et valide produit les mêmes effets quelle que soit la personne l’utilise et donne toujours la bonne réponse. - Les résultats sont généralisables.

- La valeur de la connaissance est construite par le processus de l’étude et dépend de son contexte de construction. - La validité de la connaissance se mesure par la capacité du chercheur à exprimer en termes clairs les axiomes sur lesquels il fonde explicitement ses raisonnements. - La connaissance se construit localement. Pas de généralisation des résultats.

Sources : adapté des travaux de : Koenig (1993) ; Le Moigne (1990) ; Mbengue et Derumez (1999) et Von Glaserfeld (1988).

184

Page 185: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

I.2.3 Stratégie d’accès au réel : discussion des choix méthodologiques de la thèse 

Dans les développements précédents, nous avons mis l’accent sur la distinction entre deux paradigmes épistémologiques concurrents, à savoir le positivisme et le constructivisme. Le statut épistémologique influence directement l’orientation du chercheur en sciences de gestion et la méthodologie de recherche utilisée. Ainsi, les orientations possibles des méthodologies de recherche sont à analyser à la lumière des paradigmes épistémologiques. Cette relation entre posture épistémologique et méthodologie se justifie. La méthodologie renvoie aux théories sur lesquelles le chercheur s’appuie pour construire sa démarche d’investigation. Les méthodes sont les voies, les outils et la « quincaillerie » que le chercheur mobilise pour vérifier ou expliquer un phénomène. Cela influence le processus de recherche en focalisant sur les données, les informations, les sources de données et les moyens d’analyse à déployer pour mener à terme une recherche. Dans cette perspective, il est admis que le paradigme positiviste donne lieu à des méthodologies quantitatives, alors que le positionnement constructiviste appelle à la mobilisation de méthodologies de recherche qualitatives.

Dans cette recherche, nous nous positionnons dans le paradigme positiviste. En effet, nous cherchons à construire un modèle théorique et à le tester par la suite sur le terrain de l’entreprise tunisienne. Nous opterons ainsi pour une démarche hypothético-déductive de confirmation (et non de vérification) qui devrait aboutir, via un processus empirique spécifique, à affirmer ou infirmer les hypothèses de recherche telles que découlant du modèle théorique. Ce positionnement épistémologique n’implique pas cependant l’utilisation d’outils de recherche purement positivistes. Si l’outil central de cette recherche demeure le questionnaire (outil découlant d’une philosophie positiviste), l’entretien, outil non positiviste et de tradition interprétative, sera également un instrument important de collecte de données dans certaines phases de cette recherche. L’idée de base derrière ce choix est qu’il existe une variété de méthodologies de

185

Page 186: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

recherche en sciences de gestion et que le choix est, en effet, très large. Ce choix s’avère plus judicieux quand le chercheur est en mesure de pouvoir combiner les approches qualitatives et quantitatives indépendamment de la posture épistémologique de la recherche. En effet, plusieurs auteurs soutiennent aujourd’hui l’ouverture paradigmatique et appellent à transcender le clivage qualitatif-quantitatif qui découle de l’opposition entre positivisme et constructivisme. Il existe entre le positivisme pur et le constructivisme radical des situations intermédiaires où il est possible de concilier les apports de chacune de ces postures épistémologiques. Pour Mbengue et Derumez (1999), la dichotomie entre les approches qualitatives et quantitatives est fallacieuse. Les auteurs plaident en faveur de la « neutralité des méthodologies » et leur indépendance des paradigmes épistémologiques22. En reprenant l’exemple du questionnaire de recherche comme outil essentiellement positiviste permettant de mesurer la réalité en garantissant l’indépendance du chercheur, les auteurs affirment que cet outil ne garantit pas une objectivité totale, au sens positiviste du terme. « Bien souvent, les questionnaires sont rattachés à des études où il existe une indépendance entre le chercheur et l’objet de l’étude. En effet, on confère à cet outil de collecte des vertus de mesurer objectivement des objets ou phénomènes du monde réel. Or, plusieurs éléments font qu’il est difficile d’affirmer qu’un questionnaire mesure une réalité indépendante à la fois du chercheur et du répondant. Tout d’abord, le sujet même du questionnaire ne se limite pas systématiquement à un objet ou à un phénomène objectif. Ensuite, il est difficile d’envisager la neutralité du chercheur vis-à-vis de la donnée collectée. Enfin, les réponses apportées par les répondants peuvent introduire des biais au niveau de la mesure du phénomène » (Mbengue et Demurez, 1999 : 11). Cette démonstration est aussi valable pour les instruments relevant traditionnellement des approches méthodologiques qualitatives. L’entretien en est un exemple patent. Cet outil est associé à des recherches où il est très difficile de postuler l’indépendance du chercheur vis-à-vis de l’objet de l’étude. Cela s’explique de deux façons : soit le chercheur interprète lui-même les propos des personnes interrogées, soit les personnes interrogées interprètent elles-mêmes les phénomènes observés. Dans les deux cas, l’objectivité totale est absente. Toutefois, il est possible d’utiliser un tel outil de collecte, même lorsque la recherche impose une certaine distance entre le chercheur et l’objet de l’étude. Le principe est alors de mettre en œuvre différentes tactiques afin de garantir, soit une certaine 22 Il s’agit certainement d’une indépendance contrôlée et limitée. L’idée de neutralité avancée par les auteurs céderait avantageusement la place à l’idée d’une « méthodologie équilibrée », les fondements épistémologiques étant toujours importants pour guider le choix d’une méthodologie de recherche.

186

Page 187: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

objectivité au sein des propos recueillis, soit que les interprétations du chercheur sont relativement proches de celles des personnes interrogées (Mbengue et Demurez, 1999). Dans ce même esprit, Brabet (1988) se demande si la distinction classique entre approche qualitative et approche quantitative a toujours un sens. Cette opposition apparaît plutôt, pour l’auteur, comme un faux débat, une fausse querelle des méthodes. Les frontières entre le qualitatif et le quantitatif sont difficile à opérer, selon l’auteur. Le conflit qualitatif-quantitatif serait donc injustifié, ce qui appelle à un nécessaire dépassement. Perrien et al. (1986) appellent de leur part à détruire ce mythe de l’antagonisme recherche quantitative-recherche qualitative. Marc (1994) considère ainsi qu’il est nécessaire de tempérer le caractère péremptoire et la virulence des croyances. « Les conflits d’appartenance et les certitudes épistémologiques ne sont très souvent que des défenses contre la fragilité des connaissances dans le domaine des sciences humaines. En effet, le vrai chercheur est, en général, plus modeste. Tout en essayant de mettre en œuvre une démarche cohérente et rigoureuse, il se gardera de croire que l’acquisition mécanique et l’application stricte de techniques rigides peuvent lui donner accès de façon sûre à une réalité fondamentalement simple ; qu’il existe des pierres de touche capables de séparer sans nuance la vérité de l’erreur (Marc, 1994 : 22). Dans la phase de conception du design de cette recherche, nous avons gardé en tête cette idée de Marc (1994). Même si cette recherche se positionne dans le paradigme positiviste, elle n’exclut pas l’apport incontestable de la méthodologie qualitative qui découle d’une épistémologie interprétative. Ce choix d’utiliser simultanément les potentialités des approches qualitatives et quantitatives est justifié dans les travaux de plusieurs auteurs (Downey et Ireland, 1979 ; Allix-Desfautaux, 1998). Comme le souligne Grawitz (1996), « le qualitatif apparaît comme un préalable au quantitatif et en est par là même indissociable. Les matériaux à quantifier sont recueillis d’abord comme données qualitatives ; seule la manipulation technique permet ensuite de les quantifier. Opposer dans les sciences sociales l’imprécision et le subjectivisme du qualitatif, à la rigueur et à l’objectivité du quantitatif, c’est oublier que l’on n’obtient le quantitatif qu’à partir du qualitatif » (Grawitz, 1996 : 404).

Comme précisé auparavant, le design méthodologique de cette recherche consacre le principe de la complémentarité des paradigmes épistémologiques et des méthodologies associées. Pour clarifier le choix de la méthodologie de recherche, nous nous inspirons de la grille développée par Meredith et al. (1989). Afin de guider le chercheur dans le choix d’une méthodologie appropriée, les auteurs développent un cadre général de choix d’une méthodologie qui respecte le principe de l’ouverture des paradigmes. Cette grille s’établit en fonction de

187

Page 188: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

deux critères : la spécificité de l’objet de la recherche et la posture épistémologique adoptée par le chercheur (voir tableau 4-4). Le premier critère mesure en effet le degré d’implication (ou de distanciation) du chercheur dans la recherche. Pour ce premier critère, les auteurs distinguent trois cas en fonction des sources et des types d’informations utilisés dans la recherche. Le premier est l’observation directe de la réalité. Le deuxième concerne la perception qu’ont les gens de la réalité. Le troisième cas concerne la reconstruction artificielle de la réalité. Le second critère renvoie quant à lui à trois situations allant de l’épistémologie la plus rationnelle (positivisme pur) à celle la plus existentielle. En combinat ces deux facteurs, il est possible de se prononcer sur la méthodologie de recherche à suivre.

Tableau 4.4- Grille de choix d’une méthodologie de recherche

Observation directe de la

réalité

Perception des gens de la

réalité

Reconstruction artificielle de

la réalité

Posture axiomatique

Raisons/théorèmes logiques

-Modélisation normative

Posture positiviste

- Etude sur le terrain

- Expériences sur le terrain

- Recherche par

questionnaire-Interview structurée

- Prototype-Modélisation

physique

Posture constructivist

e

- Recherche-action

- Etude de cas

-Analyse historique

- Panel d’experts

-Modélisation conceptuelle

Source : Meredith et al. (1989 :310)

188

Page 189: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Comme précisé dans tableau 4.4, cette recherche s’inscrit dans le paradigme positiviste. Elle cherche aussi à mesurer la perception qu’ont les répondants (à l’interview et au questionnaire) de la réalité objet de la recherche. Selon la grille de choix, il est fortement conseillé de mobiliser un cadre méthodologique à la fois quantitatif et qualitatif. Le cadre qualitatif s’appuie sur une recherche exploratoire par entretien semi-directif centré auprès de deux types de population : les directeurs des RH et les responsables d’activités associées à l’exploitation. Ce choix est conforme à l’objet de notre recherche. Le management des connaissances étant une question relativement peu connue par l’entreprise tunisienne, la phase qualitative s’impose afin de raffermir la définition et d’opérationnaliser les concepts. Cette phase est donc plus que nécessaire pour préparer le cadre opérationnel de la recherche quantitative. La démarche quantitative permettra quant à elle de tester empiriquement le modèle théorique. Il s’agit d’une enquête par questionnaire. Outre ses fondements positivistes, cette enquête peut se justifier en analysant les méthodologies mobilisées dans des recherches antérieures traitant d’une problématique similaire. Les outils et modes d’administration de ces méthodologies seront exposés tout au long de ce chapitre.

L’une des idées force sur laquelle nous insistons dans le cadre de cette recherche est que l’obtention de résultats empiriques valides passe par la mobilisation d’une méthodologie de recherche adéquate et pertinente. Si la démarche quantitative représente le mode d’investigation de base, il n’en demeure pas moins que l’approche qualitative est déterminante pour le succès de cette recherche. La phase exploratoire est importante surtout au niveau de la spécification de la problématique de recherche et le rapprochement des construits théoriques avec les perceptions qu’en ont les gens du terrain. En stabilisant les construits théoriques et en assurant leur convergence avec le terrain, l’investigation qualitative fournit à la phase quantitative des matériaux d’observation fiables et valides. C’est le cas de cette recherche où le modèle de recherche a été spécifié en fonction de cet aller-retour indispensable entre la théorie et le terrain.

I.3. Le terrain de recherche : spécificités et critères de choix.  

Une fois le cadre épistémologique et méthodologique spécifié, l’objectif est de présenter maintenant le terrain empirique de la recherche. Dans la logique positiviste pure, le terrain de recherche vient chronologiquement après la spécification théorique du modèle de recherche. Mais un tel postulat demeure relatif. En effet, le chercheur en sciences de gestion doit garder en tête le souci du terrain, parfois

189

Page 190: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

même avant de lancer sa recherche. Plusieurs raisons justifient une telle attitude. D’abord, le choix du terrain doit se faire de manière à ce qu’il corresponde parfaitement à l’objet de l’étude. Par exemple, mener une recherche sur le stress dans le milieu hospitalier implique nécessairement l’hôpital comme terrain d’observation empirique. Pour une recherche sur les spécificités des PME tunisiennes, il faut aller dans des PME tunisiennes, etc. Dans d’autres cas, le choix est plus délicat. Pour une recherche sur le management des connaissances par exemple, les avis concernant le choix du terrain peuvent diverger. Certains chercheurs diront par exemple que l’entreprise tunisienne n’est pas un terrain propice pour observer et tester empiriquement ce genre de problématique. D’autres, mieux avisés, conseilleront d’adapter la problématique aux spécificités déjà connues du terrain. Ainsi, dans ce dernier cas, le chercheur devrait se pencher sur la lecture soigneuse de la réalité de son terrain afin de garantir par la suite l’existence d’un univers d’observation fiable. Cette forme d’anticipation du terrain est particulièrement utile quand on sait que d’une part, le terrain n’est pas du tout « garanti », et que d’autre part, le chercheur dispose de peu de temps et de ressources pour mener à terme sa recherche. Cette préoccupation devient plus urgente dans un contexte sociétal où les entreprises sont hostiles au partage de leurs expériences avec le monde universitaire et de la recherche. Dans la théorie, la rupture entre la recherche et les entreprises est généralement évoquée dans les recherches relevant du contexte chinois. Les auteurs avancent souvent le problème relevant de la culture du secret dans ces entreprises, une culture nationale en Chine, semble-t-il. Dans le cadre de cette recherche, des difficultés énormes ont été rencontrées pour choisir, contacter et stabiliser dans le temps des terrains d’enquête pertinents (puisque la recherche s’est faite en deux phases distinctes). Sur une quarantaine d’entreprises contactées, seules sept ont pu être retenues. Ce nombre nous parait suffisant pour les besoins de cette recherche. Les difficultés d’accès aux entreprises viennent confirmer l’existence, assez déconcertante, d’un hiatus entre deux univers supposés être complémentaires: la recherche et l’industrie en Tunisie23. 23 Les multiples initiatives visant à consacrer le principe de l’ouverture de l’université sur son environnement ne semblent pas pouvoir saper le triste héritage de dizaines d’années de fermeture, de cloisonnement et de rejet mutuel entre le monde universitaire et celui des affaires. Ainsi, pour un jeune chercheur, l’accès aux terrains d’expérimentation et d’observation se transforme en un véritable calvaire. Les entreprises préfèrent éviter « cet œil externe ». Leurs cadres, souvent inutilement arrogants et peu disponibles, évoquent inlassablement « l’alibi » d’une impossible compréhension entre des gens qui fabriquent des théories dans leurs tours d’ivoire et d’autres qui ont mieux à faire. Pris entre le marteau de la rigueur scientifique et l’enclume d’une réalité complètement à sa défaveur, le jeune chercheur doit déployer son intelligence pratique en imaginant des structures « parallèles et souterraines » pour accéder au réel.

190

Page 191: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

I.3.1 Choix des entreprises 

Le choix des entreprises pour mener l’investigation empirique en sciences de gestion est déterminant. En effet, le terrain d’observation doit garantir au chercheur une information disponible, fiable et pertinente concernant la problématique étudiée. La qualité du terrain et de l’échantillon choisi influence positivement ou négativement les résultats de la recherche empirique. Le chercheur doit donc veiller à choisir le terrain adéquat pour mener son investigation. Mais ce choix n’est pas toujours aisé. Dans certains cas, le chercheur rencontre des difficultés d’accès à un terrain jugé pertinent. Dans d’autres, il n’arrive pas à stabiliser ce terrain et le « perd » après la première phase de son intervention. D’autres chercheurs souffriraient d’un problème de coopération de la part des personnes constituant l’échantillon. Ce problème est plus présent dans les études qualitatives, notamment celles appelant à mobiliser des méthodes d’observation participante. Ces barrières à l’accès au réel tant institutionnelles qu’humaines font que le chercheur ne peut, dans les meilleurs des cas, qu’optimiser le choix de son terrain en fonction des contraintes précitées. Dans le cadre de cette recherche, le choix des entreprises a été opéré sur la base des critères suivants :

Les entreprises choisies font partie d’un ensemble plus large d’organisations qu’on appelle aujourd’hui communément les entreprises du savoir. Ces entreprises présentaient au début de cette recherche un potentiel important pour l’analyse des processus de gestion des connaissances. .

Les entreprises retenues appartiennent à des secteurs d’activités qui ont été prioritairement étudiés dans la littérature empirique sur le knowledge management : génie logiciel, conseil, industrie pharmaceutique, services, etc.

Les entreprises retenues disposent de politiques et pratiques de GRH développées et structurées.

Les entreprises appartiennent au domaine privé. Nous avons ainsi implicitement conjecturé que les entreprises publiques en Tunisie ne représentent pas encore des terrains pertinents pour la problématique de gestion des connaissances

Enfin, ont été retenues les entreprises qui ont accepté le déroulement des deux phases de la recherche : qualitative, puis quantitative.

I.3.1.1 Des organisations du savoir en général L’avènement d’une économie basée sur la connaissance a eu pour conséquence directe l’émergence de ce qu’on appelle désormais les

191

Page 192: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

organisations du savoir24. Nombreuses sont les recherches qui ont été consacrées à l’analyse et la compréhension des spécificités et du mode de fonctionnement de ces organisations (Starbuck, 1992, 1993 ; Alvesson, 1993 ; Drucker, 1999 ; Lowendahl et al, 2001). Dans un travail désormais classique, Starbuck (1993) définit les organisations du savoir comme un nouveau type d’organisation qui emploie de très hauts potentiels humains et qui met en œuvre des compétences d’organisation exceptionnelles lui permettant d’attirer, mobiliser, développer et transformer les connaissances de ce potentiel en vue de maximiser la création de valeur pour les clients. Ainsi, ces organisations se distinguent par deux choses : la valeur de leur capital humain et la force de leurs processus qui permettent de transformer des connaissances individuelles en une connaissance organisationnelle prisée. Cette définition nous donne une idée sur l’importance accordée par ces entreprises aux dispositifs de gestion de leur potentiel humain, facteur critique de démarcation sur le marché. D’autres chercheurs se sont intéressés à l’analyse des spécificités structurelles et managériales de l’organisation du savoir. Dans ce cadre, Evans (2003) distingue les éléments suivants comme déterminants clefs d’une organisation du savoir :

Adaptabilité : l’organisation du savoir est dotée d’une structure flexible et adaptative. La structure est décloisonnée et encourage l’intégration des connaissances développées dans chaque département de l’entreprise.

Auto-organisation : l’organisation du savoir est intensive en innovation et créativité. Pour cela, les individus et les groupes de travail doivent développer des capacités d’auto-organisation qui leur permettent de mieux gérer les processus créatifs et la mobilité intellectuelle qu’ils mobilisent.

Réservoirs de connaissances : cette organisation n’est pas une collection d’employés « généralistes ». Au contraire, elle emploie des gens ayant des compétences hautement spécifiques et distinctives. C’est par le système d’organisation du travail que ces compétences spécifiques seraient ensuite mises en réseau.

Une entreprise holistique : elle est ainsi capable d’acquérir des connaissances développées en dehors de ses propres frontières.

Nous avons présenté les spécificités des entreprises du savoir dans le souci de montrer qu’elles doivent présenter la première cible du chercheur qui travaille sur la gestion des connaissances. Dans notre cas, nous avons veillé à choisir des entreprises dont l’activité relève 24 L’organisation du savoir est une traduction de l’expression américaine: Knowledge Intensive Firm (KIF). Certains auteurs utilisent la notion voisine d’organisations professionnelles (Professional Service Firms).

192

Page 193: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

directement de ce type d’organisation. Nous avons également veillé à ce que les entreprises enquêtées représentent divers secteurs d’activités. Nous avons ainsi retenu les secteurs suivants : l’industrie pharmaceutique, les activités pétrolières, le consulting, l’ingénierie informatique, les télécommunications et les services. Au total, sept entreprises ont fait partie intégrante de l’échantillon de recherche. Ces entreprises nous ont servi dans les deux phases : la phase qualitative avec les entretiens exploratoires et la phase quantitative avec le questionnaire de recherche.

I.3.1.2 Présentation des entreprises Sept entreprises ont été approchées lors des deux phases de cette recherche. Choisies sur la base des critères mentionnés précédemment, ces entreprises se sont révélées d’une importance cruciale pour la problématique de recherche. En outre, leurs dirigeants et cadres se sont distingués par une disponibilité rarement vue dans le contexte tunisien de la recherche en entreprise. Pour des raisons de confidentialité sur lesquelles nous nous sommes convenus, des noms d’emprunts seront donnés à ces entreprises. Le tableau 4-5 recense ces entreprises et donne des informations sur le nombre de personnes interviewées dans la première phase de la recherche ainsi que sur le nombre de questionnaires initialement administrés. Pour des besoins de précision, nous explicitons aussi les modalités pratiques d’accès à ces entreprises que nous avons mises en œuvre.

193

Page 194: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Tableau 4-5. Présentation des entreprises constituant l’échantillon de la recherche

Entreprises et secteur d’activité

Modalités d’accès à l’entreprise

Personnes interviewées (6 DRH et 34 opérationnels)

Nombre de questionnaires administrés (350)

SVX (pharmaceutique)

- Lettre d’introduction- Le DRH- 3 consultants médicaux- 2 délégués médicaux

40

AVS (pharmaceutique)

-Connaissance personnelle du DRH

- le DRH- 2 ingénieurs de production- 2 délégués

45

ARF (conseil en management)

- Connaissance suite à une conférence nationale

- Le responsable du département administratif- 3 consultants séniors- 4 collaborateurs (juniors)

35

HBH (Développement logiciels financiers)

- connaissance personnelle du responsable RH

- Le DRH- 3 consultants- 3 cadres ingénieurs développement

55

PLN (groupe de renom : services divers)

- Liens personnels avec le DG du groupe

- Le DRH- 2 chefs de projet- 4cadres commerciaux- 1 ingénieur conseil

85

194

Page 195: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

TNZ (Télécom) - Connaissance personnelle d’un responsable projet.

- Le responsable RH- 3 chefs de centre- 2 commerciaux

90

195

Page 196: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section II. Etude exploratoire : affermissement des concepts et du modèle de recherche

II.1 Pertinence, outils et objectifs de la recherche exploratoire

Comme précisé dans les développements précédents, la mise à l’épreuve des hypothèses de recherche nécessite la mobilisation d’un cadre méthodologique qualitatif et quantitatif. Cela permet de faire une confrontation sur le terrain entre les différentes conceptions que les acteurs ont sur les thèmes de la gestion des connaissances, du capital humain, du climat d’apprentissage et des pratiques de GRH censées améliorer les capacités de knowledge management. Une telle confrontation est d’autant plus difficile que les liens entre la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances, sont peu évidents dans le contexte tunisien. En outre, les entreprises tunisiennes ne semblent pas encore prêter une grande attention au management des connaissances. Quelques tentatives plus ou moins structurées sont toutefois signalées dans certaines entreprises de notre échantillon.

Menée au début de cette recherche, l’étude exploratoire visait à « peaufiner » les concepts de base de l’étude, en l’occurrence le management des connaissances et les dispositifs de GRH qui lui sont dédiés. La stabilisation des concepts est fort importante à ce niveau. En effet, malgré l’importance des écrits consacrés aux thèmes de la GRH et du knowledge management, les deux concepts restent insuffisamment définis et peu compris sur le terrain. Leur potentielle relation reste également très peu explorée dans le contexte de l’entreprise tunisienne. Ainsi, l’étude exploratoire a été nécessaire dans la mesure où le rôle des facteurs humains dans la mise en œuvre des processus de gestion des connaissances est un sujet qui a été très rarement étudié. Dans le cas de thèmes comme la gestion des connaissances, la revue de la littérature permet de dégager un nombre considérable de variables qui lui sont reliées. Toutefois, un simple examen des variables pertinentes de la littérature ne permet pas de bien saisir les liens significatifs pour les acteurs dans l’entreprise, surtout dans le cas de concepts nouveaux et émergents comme le knowledge management. L’étude exploratoire est alors nécessaire pour piloter les nombreux questionnements qui émanent de la littérature et pour opérer une certaine sélection des variables en fonction de l’intérêt que les acteurs de l’entreprise leur accordent. «Face à la perplexité du chercheur devant l’étendue du phénomène étudié, la recherche exploratoire permet d’apprécier la réalité des

196

Page 197: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

concepts théoriques et de cerner leurs relations éventuelles» (El-Akremi, 2000:253).

L'objectif de cette section est de présenter les résultats de l'étude qualitative exploratoire. Deux allers-retours entre le domaine théorique et le terrain ont été réalisés. Le premier concerne une première série d'entretiens avec des responsables opérationnels des sept entreprises de l'échantillon. Cette série d'entretiens nous a permis d’une part de découvrir l’état des initiatives de gestion des connaissances dans les entreprises visées et d’autre part, de stabiliser progressivement le concept de gestion des connaissances et de le ramener à trois processus clefs: la création, le partage et l'application des connaissances. Le deuxième aller-retour porte sur des entretiens avec les responsables RH des entreprises enquêtées. Il nous a permis d’abord de définir les pratiques GRH censées développer le potentiel de gestion des connaissances. Ensuite, il était d’un grand apport pour affiner les définitions des concepts relatifs au modèle de recherche, et pour apprécier, surtout, la plausibilité des liens entre les différentes variables qui composent ce modèle.

Le choix d’une recherche de type exploratoire n’est pas arbitraire. Il se justifie par l’apport extrêmement important de ce type de démarche dans les recherches en sciences de gestion. En effet, les entretiens exploratoires jouent un rôle de complément nécessaire pour les lectures théoriques afin de construire une problématique de recherche fiable et défendable. Si les lectures théoriques aident à faire le point sur les connaissances concernant le problème de départ, l’étude exploratoire contribue, quant à elle, à la découverte des aspects à prendre en considération et élargit ou réoriente le champ d’investigation du chercheur. « La recherche exploratoire est une étape cruciale et difficile dans la mesure où elle représente la première phase de rapprochement entre d’une part des construits et des questionnements théoriques, et d’autre part des phénomènes que le chercheur observe sur le terrain » (Wallace, 1983 :7). Les entretiens exploratoires ont pour objectif « de mettre en lumière des aspects du phénomène étudié auxquels le chercheur n’aurait pas pensé spontanément lui-même et à compléter les pistes de travail que ses lectures auront mises en évidence » (Quivy et Van Campenhoudt, 1988 : 60).

L’entretien représente une technique extrêmement précieuse pour une très grande variété de recherches en sciences sociales. Il est

197

Page 198: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’instrument privilégié des études exploratoires compte tenu de la richesse des informations qu’il peut générer. Selon Blanchet et Gotman (1992), l’entretien exploratoire permet de connaître le vocabulaire couramment utilisé dans le contexte organisationnel concernant les phénomènes que le chercheur s’efforce de décrire. Il convient ainsi à la production de descriptions des expériences des individus interviewés et les représentations et discours qu’ils ont sur ces phénomènes. Il existe plusieurs types d’entretiens exploratoires. En sciences sociales, on préfère souvent que l’entretien ne soit ni directif, ni non-directif. Parmi les différentes solutions offertes au chercheur, la technique de l'entretien semi-directif centré (Mucchielli, 1991) semble particulièrement utile pour le cas de notre recherche. Il s’agit d’un entretien compréhensif au cours duquel le chercheur devra adopter une attitude peu directive et facilitante. En structurant convenablement son guide d’entretien, le chercheur doit s’efforcer de poser le moins de questions possibles. En effet, « l’entretien n’est ni un interrogatoire, ni une enquête par questionnaire (Quivy et Van Campenhoudt, 1988 :65). Dans ce type d’entretien, un minimum d’intervention du chercheur est nécessaire pour recentrer l’entretien sur ses objectifs, pour en soutenir la dynamique ou pour inciter l’interviewé à approfondir certains aspects particulièrement utiles pour la problématique étudiée. Ainsi, au fil de l'entretien, une reformulation synthétique par le chercheur de son discours permet de relancer l’interlocuteur et de le soutenir dans sa réflexion et de permettre à l'enquêteur une compréhension plus profonde des propos recueillis. Toutefois, le chercheur doit s’abstenir de s’impliquer lui-même dans le contenu de l’entretien, en s’engageant par exemple dans un débat d’idées ou en prenant position à l’égard des réponses de l’interlocuteur. Cette technique d’entretien ne cherche pas à produire de nouvelles théories ou à influencer les idées de l’interviewé. Elle permet seulement de soutenir l’attention de l’interlocuteur.

Suivant les suggestions de Blanchet et al. (1987) et de Huberman et Miles (1991), les entretiens ont commencé par une présentation de l’objectif et du périmètre de la recherche, des règles de confidentialité, et du mode général de déroulement de l'entrevue. Cette phase est cruciale dans la mesure où elle représente le premier contact réel entre l’enquêteur et l’interlocuteur. Nous avons veillé à instaurer un climat de confiance avec les personnes interviewées dans le dessein de susciter leur adhésion aux objectifs des entretiens. Les entretiens ont duré en moyenne entre une heure et demie et deux heures. Conformément aux suggestions de Quivy et Van Campendoudt (1988), ils ont fait l’objet d’enregistrement à l’aide d’un magnétophone. L’enregistrement était bien entendu soumis à l’approbation des personnes interviewées. L’enregistrement a été préféré à la méthode

198

Page 199: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

des prises des notes systématiques. Les prises de notes exercent un effet négatif implicite en « distrayant aussi bien l’interviewer que l’interviewé qui ne peut s’empêcher de considérer l’intensité de la prise de notes comme un indicateur de l’intérêt que son interlocuteur porte à sa conversation » (Quivy et Van Campendoudt, 1988 :68).

La démarche d’utilisation des entretiens exploratoires s’est articulée autour de deux étapes : d’abord, le recueil des données qualitatives auprès des interlocuteurs ; ensuite, l’exploitation et l’interprétation de ces données. Dans la phase exploratoire d’une recherche, l’analyse de contenu peut être utilisée comme méthode judicieuse d’analyse et d’interprétation des données. Elle a une fonction essentiellement heuristique dans la mesure où elle sert à la découverte d’idées et de pistes de travail qui seront concrétisées plus loin par des hypothèses de recherche. En outre, « l’analyse de contenu aide le chercheur à éviter le piège de l’illusion de la transparence et à découvrir ce qui se dit derrière les mots, entre les lignes et à travers les stéréotypes. Elle permet de dépasser, au moins dans une certaine mesure, la subjectivité de nos propres interprétations » (Quivy et Van Campendoudt, 1988 :72). Dans le cadre de cette recherche, l’analyse de contenu s’est faite en classant des fragments de discours en thèmes et en sous-thèmes, comme suggéré par Igalens et Roussel (1998). Pour les entretiens avec les opérationnels, le sujet des entrevues a été centré sur trois points principaux : le premier est la vision qu’ils ont des pratiques de gestion des connaissances dans leurs entreprises ; le deuxième thème porte sur leur perception des processus clefs de gestion des connaissances ; le troisième et dernier thème s’intéresse aux facteurs qui facilitent le succès d’une démarche de gestion des connaissances. Trois objectifs ont également été assignés aux entretiens auprès des DRH. D’abord, saisir leur perception quant à la pertinence des liens entre GRH et gestion des connaissances ; ensuite, définir les pratiques de GRH susceptibles d’influencer les processus de knowledge management ; et enfin, analyser les facteurs jouant un rôle de médiateur entre les deux construits principaux de la recherche. Suite à l’exploitation et l’analyse de ces entretiens, les résultats se sont avérés satisfaisants par rapport à l’objectif assigné à cette étude exploratoire. Même si certains avis étaient divergents et certaines informations recueillies contradictoires, l’apport essentiel de cette étude est qu’elle nous a permis de stabiliser la problématique de recherche et de peaufiner les liens de causalité existant entre les différentes variables du modèle. Ainsi, les entretiens nous ont amenés à délaisser une volonté initiale de regrouper les pratiques de GRH en deux catégories selon les stratégies de connaissances suivies par les

199

Page 200: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

entreprises (selon qu’il s’agisse de stratégie de codification ou de personnalisation des connaissances, des systèmes de GRH différenciés seraient mis en œuvre dans les entreprises). Il s’est avéré qu’une telle modélisation est impossible à vérifier sur le terrain en l’absence de ces deux types de stratégies de connaissances. Les informations recueillies dans le cadre de cette étude ont donc permis d’élaguer le modèle théorique initialement décidé dans le cadre de cette recherche. Elles ont, en outre, permis de consolider une bonne partie du modèle théorique tel que découlant des lectures théoriques. En ce sens, ces entretiens dont les résultats restent exploratoires et non généralisables, ont atteint les objectifs qui leur ont été assignés : raffiner davantage les concepts de l’étude, examiner la plausibilité des liens entre les différentes variables constituant le modèle et alimenter la réflexion du chercheur par de nouveaux éléments échappant à la modélisation théorique. II.2 Entretiens auprès des cadres opérationnels : pour une meilleure compréhension du knowledge management

Les entretiens auprès des cadres opérationnels visaient à comprendre les logiques de gestion des connaissances qui sont à l’œuvre dans les entreprises de l’échantillon. Ils se justifient par le fait que les cadres opérationnels sont mieux placés que les responsables RH pour nous renseigner sur les processus de gestion des connaissances. Nous rappelons ici que les entreprises choisies appartiennent à cette catégorie des organisations du savoir. Leurs cadres manipulent ainsi de la connaissance, transforment de la connaissance et offrent aux clients de la connaissance. D’autres raisons justifient cette première vague d’entretiens. La revue de la littérature montre que la notion de gestion des connaissances est intimement reliée à la pratique organisationnelle quotidienne. La connaissance est ainsi appréhendée dans cette thèse comme un construit qui prend forme dans le cadre de l’activité professionnelle quotidienne des individus (Cook et Brow, 1999). Il importe alors d’explorer l’acception que les cadres opérationnels d’exploitation attribuent à la connaissance et aux processus visant à la gérer.

Les entretiens ont été réalisés en deux temps. La première série d’entretiens a été réalisée au début de cette thèse, entre Avril et Juillet 2003. La deuxième série était réalisée entre Novembre 2004 et Mars 2005. Avant de réaliser ces entretiens, nous nous sommes efforcés de connaître les entreprises concernées, leurs activités, leurs marchés et toutes les informations relatives à leurs modes et principes de management. Nous avons mobilisé deux sources d’information : les sites web lorsqu’ils sont disponibles et le contact informel avec nos vis-à-vis au sein de ces organisations. La connaissance du contexte

200

Page 201: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

organisationnel (et parfois celle des spécificités de nos interlocuteurs) nous a été d’un réel apport dans la préparation du guide d’entretien et la conduite des entrevues. Les entretiens ont fait l'objet, après accord de l’intéressé, d'un enregistrement. Ils ont été ensuite retranscrits en vue d’une analyse de contenu. Les résultats de l’exploitation des entretiens suggèrent les analyses suivantes.

II.2.1 Expériences de gestion des connaissances : la diversité d’approches… 

Les opérationnels d’exploitation perçoivent la gestion des connaissances selon des perspectives très diverses. Si tous les interlocuteurs affirment avoir une idée claire sur la définition du thème, ils ne semblent pas unanimes en ce qui concerne le déploiement opérationnel des pratiques de gestion des connaissances. Cette divergence s’explique par la diversité des approches de gestion des connaissances mises en œuvre par les entreprises enquêtées. L’analyse de contenu a permis d’identifier trois logiques dominantes dans les réponses des interlocuteurs. Ces logiques touchent aux trois sphères techniciste, managériale et culturelle. Ainsi, en premier lieu, la gestion des connaissances est décrite par certains interlocuteurs comme un projet technologique. Dans ces conditions, le projet serait idéalement décidé et soutenu par la direction générale, du fait des investissements techniques et financiers qu’il occasionne, et mis en œuvre par la direction informatique (ou direction des systèmes d’informations selon les habitudes d’appellation prises dans l’organisation). Les interlocuteurs adhérant à cette idée affirment que la gestion des connaissances ne peut avoir lieu que lorsque l’entreprise a réellement besoin d’avoir des individus connectés via un réseau pour partager des expertises et les mettre au service de tout le monde. Le processus central est alors le partage des connaissances. Les entreprises ayant procédé selon l’approche technologique veulent avant tout améliorer le nombre et la qualité de l’échange des connaissances entre leurs membres. Des interlocuteurs ont relaté les expériences technologiques de leurs entreprises en matière de gestion des connaissances. C’est le cas par exemple de l’entreprise ARF, spécialisée dans le consulting qui a décidé dès l’an 2003 de mettre en place un projet de mise sur réseau des connaissances baptisé « Portail de Gestion des Connaissances ». En dépit d’un certain engouement lors du lancement du projet, les résultats constatés ensuite ont été très décevants. Selon un consultant senior chez ARF, « le projet, mal préparé et peu accepté par les consultants de l’entreprise, a définitivement rendu l’âme ». Il existe une certaine conscience chez les personnes interrogées que l’essentiel de la gestion des connaissances n’est pas à rechercher du côté des TIC. C’est le cas de deux chefs de centres dans l’entreprise de télécommunication TNZ.

201

Page 202: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Pour ces deux interlocuteurs dont les avis convergent presque parfaitement, leur entreprise a mis en place une « base de connaissances » dont l’objectif est de centraliser les expertises des employés et de faciliter leur transfert. Cette base est organisée par familles de métier. Ainsi, si un opérateur clientèle a besoin d’une solution quelconque pour résoudre un problème particulier, il sélectionnera dans la base la famille « call center » et accèdera à la partie réservée à son métier. Les connaissances sont présentées selon la formule Foire Aux Questions (FAQ’s)25, ce qui permet de cibler au mieux les questions et les réponses qui leur sont associées. Selon ces deux interlocuteurs, l’action qui visait à améliorer le partage des connaissances et la satisfaction de la clientèle par des services toujours plus rapides et précis a séduit les utilisateurs au départ de l’expérience. Toutefois, l’enthousiasme des collaborateurs s’est sérieusement entamé avec le temps. L’encadré 4.1 est consacré à des extraits verbatim des entretiens avec les responsables des entreprises ARF et TNZ.

Encadré 4.1- Illustrations verbatim sur l’orientation techniciste du knowledge management « On a essayé de mettre en place un système scientifique qui impressionne les gens par ses potentialités et la facilité de son utilisation. Pour nous, les problèmes de partage et de diffusion des connaissances sont expliqués par l’absence d’un lieu commun, une plateforme où les gens peuvent se retrouver et montrer ce qu’ils ont dans le ventre. Le Portail était à l’époque considéré comme la panacée, la solution aux problèmes de rétention des savoirs. Or, aujourd’hui on se rend compte que cette affaire ne marche pas. Le portail s’est révélé être un gadget sans utilité. Il a passé l’arme à gauche (…) Il faut chercher d’autres solutions. Maintenant, tout le monde dans l’entreprise, y compris les consultants juniors, savent pertinemment que nous ne pouvons améliorer nos connaissances collectives qu’en acceptant de travailler ensemble. Il faut faire tomber pas mal de barrières (…) Notre priorité ?  Faire avancer la culture du travail collectif, mettre les gens ensemble, les seniors et les juniors ; les stratèges et les financiers, les marketeurs et les consultants RH. Décloisonner est notre salut.» (Consultant Senior ARF).

« La gestion des connaissances n’est pas un thème nouveau pour TNZ. Ce problème, nous l’avons posé il y a deux ou trois ans à travers ce qu’on appelle les bases de connaissances. Aujourd’hui, en l’absence d’une évaluation fiable des retombées de ce système, j’ai la conviction, comme plusieurs de mes collègues, que ce système n’a pas marché. En tout cas, on n’a pas profité de toutes ses potentialités. Le problème se pose à mon avis de manière simple : les gens ne voient pas d’intérêt personnel dans le partage. Plusieurs opérateurs travaillant sous ma responsabilité m’affirment

25 L’expression Foire Aux Questions est une “traduction” française du concept originalement américain” Frequently Asked Questions”.

202

Page 203: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

qu’ils ne veulent pas partager avec leurs collègues en l’absence d’un système d’incitation fiable (…) La gestion des connaissances n’est donc pas une question de technologies. A mon avis, c’est une question de management. Il faut mettre en place des pratiques de motivation et d’incitation qui encouragent les gens à partager ce qu’ils savent. Il faut accepter cela » (Chef de centre chez TNZ)

Les propos recueillis concernant l’échec des approches technologiques de gestion des connaissances chez ces deux entreprises nous ont confortés dans le positionnement central de cette recherche. En effet, nous avons décidé d’adopter dans le cadre de ce travail une grille d’analyse critique à l’égard des approches technicistes de gestion des connaissances. Les interlocuteurs sont unanimes quant à la nécessité de porter une réflexion sur le comportement des acteurs pour soutenir efficacement les processus de partage des connaissances. Ils pointent de ce fait l’importance de la dimension humaine et comportementale pour assurer une gestion des savoirs efficace. En outre, les questions d’incitation et de motivation ont été signalées par certaines personnes comme condition sine qua non à tout projet qui vise à améliorer le partage des savoirs entre les membres de l’entreprise. Une telle proposition introduit implicitement le rôle de la gestion des ressources humaines comme levier d’action permettant la création des conditions favorables aux comportements de partage des connaissances. Même si les interlocuteurs ne se sont focalisés que sur l’unique processus de partage des connaissances, nous pouvons conjecturer que leurs remarques sont aussi valables pour les processus de création et de mise en application. En effet, ces deux processus obéissent à la même logique que le partage des connaissances dans la mesure où ils appellent aussi à une réflexion sur la composante humaine de l’organisation. Selon d’autres répondants, leurs organisations ont mis en place des pratiques visant à accroitre leurs capacités en matière de création et d’application des connaissances. C’est notamment le cas de l’entreprise HBH. Le cas de cette entreprise diffère toutefois des entreprises ARF et TNZ. Si les premières avaient mis en place des projets formalisés et labellisés « knowledge management », ce qui n’a pas empêché leur échec par la suite, HBH ne semble pas présenter une démarche structurée et dédiée exclusivement au management des connaissances. Nos interlocuteurs nous rapportent un cas où la gestion des connaissances « est presque un fait naturel puisque ses principes mêmes sont inscrits dans les processus et les routines de fonctionnement de l’entreprise ». L’entreprise HBH a veillé à mettre en place des procédures d’organisation et de fonctionnement qui permettent aux différentes catégories de métiers de l’entreprise d’apprendre les unes des autres. L’entreprise opte en effet pour une organisation autour de projets. Ce mode d’organisation est baptisé « HBH Frame ». Le Frame renvoie au modèle de fonctionnement et

203

Page 204: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’organisation des processus de développement de logiciels chez HBH. Trois éléments de base composent le Frame : l’importance des consultants comme point de jonction entre les différents métiers de l’entreprise, l’importance du benchmarking interne et enfin l’importance du capital organisationnel, ou encore « la mémoire du projet » comme l’appellent les personnes interviewées chez HBH. L’encadré 4.2 présente des extraits verbatim, qui nous offrent une idée claire sur la philosophie du » HBH Frame ». Ce modèle de gestion des connaissances s’inscrit dans la sphère managériale du knowledge management. Encadré 4.2- Illustrations verbatim sur l’orientation « processus managériaux » du KM26 « Notre approche de gestion des connaissances est tout à fait spécifique à la boîte. Pour nous, la gestion des connaissances, c’est le fait de développer nos capacités créatives. Le savoir pour nous, c’est ce qui différencie nos logiciels de ceux des concurrents, notamment les étrangers qui sont doublement compétitifs sur la qualité et les prix (…) Pour stimuler la créativité et créer de nouvelles connaissances techniques, notre Bible est le HBH Frame. Trois principes le composent. Ces principes sont reliés selon un ordre chronologique. Le premier principe s’établit en amont du processus de développement de logiciels. Faire un logiciel, c’est comme cuisiner un bon plat. Il faut des formules, des tours de main, des secrets que seul le chef connaît, des outils ; enfin de la motivation pour le faire, de la passion dirai-je. La phase 1 concerne le benchmarking interne des meilleures pratiques. Nous avons une équipe spécialisée qui travaille sur la cartographie des meilleures pratiques dans chaque département de l’entreprise. Ces pratiques sont ainsi mobilisées dans la deuxième phase du HBH Frame, à savoir le développement du logiciel proprement dit. Dans cette phase, les consultants jouent un rôle d’interface entre d’une part, les connaissances du marché et les connaissances internes, et d’autre part, les différents représentants des métiers embarqués dans le projet du logiciel. Enfin, la dernière phase s’attache à conserver les acquis du projet et ses principaux enseignements techniques et humains dans des manuels spécifiques. Ils forment ainsi le capital apprentissage de HBH. C’est la bibliothèque HBH, le savoir qui ne rentre pas le soir à la maison ou qui ne meurt pas, si vous voulez ! ».

Le dernier cas de gestion des connaissances s’inscrit dans la sphère culturelle. Il nous a été rapporté par les interlocuteurs de l’entreprise SVX. Cette entreprise est une multinationale qui opère dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Pour soutenir ses commerciaux dans un marché hautement concurrentiel, Elle a mis en place un système de management intitulé « Power-Com ». Orienté essentiellement vers les besoins des commerciaux, le système s’articule autour de deux processus clefs. Le premier cherche à assurer une meilleure communication avec les clients de manière à intégrer leurs connaissances et savoir-faire dans les choix et les décisions de base de l’entreprise. Le second principe vise la création d’un annuaire d’expertises commerciales qui regroupe les meilleurs savoirs et savoir-faire des conseillers et commerciaux de l’entreprise. Ce manuel est appelé par l’entreprise le KSM, c'est-à-dire « The Knowledge and Skills 26 Knowledge Management

204

Page 205: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Map-». Selon un délégué médical, « ce système vise à améliorer nos capacités opérationnelles en termes de relations avec le client. Nous devons apprendre à décider sans retourner aux chefs ; nous devons apprendre à improviser face aux clients ; bref, nous devons être capables d’appliquer notre savoir théorique dans des situations commerciales qui sont parfois difficiles ou inattendues. En outre, nous devons nous ouvrir les uns aux autres pour apprendre mutuellement». Pour soutenir les deux processus clefs du « Power-Com », l’entreprise SVX s’est délibérément orientée vers la promotion d’une culture de connaissance. Le terme « Knowledge Culture » a été choisi par les responsables « suisses » du labo comme axe mobilisateur pour l’ensemble du personnel de l’entreprise, et notamment les commerciaux. Les extraits verbatim suivants décrivent l’approche culturelle au knowledge management chez SVX.Encadré 4.3- Illustrations verbatim sur le rôle de la culture dans le « Power-Com »chez SVX« La culture de connaissance n’est pas un simple gadget chez nous ; elle n’est pas une mode de passage. Loin s’en faut. C’est une philosophie de management que nous œuvrons jour et nuit à ancrer dans nos modèles de gestion. Pour développer la créativité de nos commerciaux et le partage rapide des expertises, nous avons mis en place une véritable infrastructure culturelle afin de soutenir le process Power-Com et enrichir toujours le KSM. Deux mesures phares sont prises. D’abord, l’open talk que nous organisons chaque quinzaine de jours. Il s’agit de rencontres informelles ouvertes à tous les consultants dans le cadre desquelles nous engageons des discussions parfois à bâtons rompus autour d’un toast. Ces discussions sont progressivement recadrées par l’animateur SVX et orientées vers des problématiques concrètes de terrain. Nous recueillons pas mal de belles propositions. Nos commerciaux se retrouvent dans un cadre de travail de type club et laissent exploser toute leur créativité (…) La deuxième mesure vise à renforcer les liens de solidarité entre les commerciaux. Nous avons ainsi instauré un système de parrainage et de tutorat entre les jeunes consultants et les moins jeunes. L’objectif de ce système est de permettre aux anciens de partager avec leurs jeunes collègues leurs connaissances et savoir-faire. Contre toute attente, le système a très bien fonctionné. Les gens partagent aisément ce qu’ils savent. Derrière ce succès ? Un esprit d’équipe et une culture de solidarité rare. Nous sommes fiers de pouvoir instaurer ce climat extraordinaire dans l’entreprise. Mais maintenant, nous devons nous projeter dans le long terme. Il faut garder ces bonnes habitudes.»

On retiendra de cette première phase d’analyse de contenu que les initiatives de gestion des connaissances sont bel et bien présentes dans les entreprises enquêtées. Toutefois, certaines de ces initiatives demeurent encore à l’état émergent, c'est-à-dire qu’elles ne sont pas explicitement labellisées « gestion des connaissances ». D’autre part, il semble que les efforts soient particulièrement portés sur l’amélioration des capacités organisationnelles de partage des connaissances et des expertises. Le partage est un préalable important à l’innovation et à la création de nouvelles connaissances. De ce fait, les organisations du

205

Page 206: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

savoir cherchent toujours à décloisonner leurs départements de manière à faciliter la mise en commun des connaissances.

Par ailleurs, ces trois mini-cas montrent la diversité d’approches de gestion des connaissances. Trois philosophies de knowledge management ont été recensées. Sans vouloir tirer des résultats hâtifs, il ressort de l’analyse des entretiens que les solutions technologiques, quoique très importantes, ne sont pas en mesure d’assurer, à elles seules, un meilleur management du savoir. Dans les deux autres approches, les efforts de knowledge management ont été étayés par des processus managériaux clairement définis et par la promotion d’une infrastructure culturelle résolument orientée vers l’apprentissage collectif. Toutefois, les résultats de l’analyse de contenu restent à améliorer dans de nouvelles recherches. Ces résultats sont mitigés dans le sens où ils ne permettent pas de révéler clairement les difficultés organisationnelles et humaines associées à la mise en place des démarches de gestion des connaissances. Cette lacune a été prise en considération et comblée dans le cadre des entretiens réalisés avec les DRH, où nous avons focalisé, entre autres, sur les conditions organisationnelles et humaines associées au succès du knowledge management.

Outre ces éléments, l’analyse de contenu a montré certains paradoxes dans la manière de mener les activités de gestion des connaissances. Ces paradoxes nous ont été rapportés par plusieurs interlocuteurs dans plusieurs entreprises. Ils peuvent être compris comme étant une sorte de dichotomie entre une perception du knowledge management comme réel impératif stratégique et des pratiques qui ne sont pas toujours en mesure de suivre cette perception. En effet, les répondants sont unanimes pour considérer que la gestion des connaissances est une activité stratégique. Selon un ingénieur chimiste du laboratoire pharmaceutique AVS, « La gestion des savoirs est un enjeu stratégique pour le laboratoire. Le knowledge management ne doit pas rester au niveau du top management, dans les sphères politiques. Il doit être diffusé et appris à tout le monde. Pour le faire, il faut que les dirigeants de l’entreprise se transforment en pédagogues pour raconter le projet aux gens du terrain. Et cet ingénieur d’ajouter « La gestion des connaissances est un thème qui traverse toute l’entreprise et ne concerne pas une seule population. Les ingénieurs de production doivent apprendre les nouveaux savoir-faire ; les équipes de R&D les processus d’amélioration de la créativité et les commerciaux les nouveaux savoir-faire en matière de marketing. » Mais, parallèlement à cette prise de conscience du rôle stratégique du knowledge management, les interlocuteurs nous ont rapporté des informations extrêmement riches sur les gâchis en matière de gestion des connaissances. Nous avons procédé selon les méthodes d’analyse

206

Page 207: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

préconisées afin de croiser les données et vérifier leur degré de véracité. Ainsi, il nous a été possible de définir les principaux paradoxes en matière de gestion des connaissances dans les entreprises enquêtées. Si ces données ne touchent pas directement à la problématique de recherche, elles renseignent toutefois sur le chemin qui reste à faire par les entreprises tunisiennes en matière de management du capital immatériel et intellectuel. Le tableau 4.6 résume l’essentiel de ces paradoxes.

Tableau 4.6- Paradoxes du KM dans les entreprises enquêtées

Nous possédons des bases de connaissances documentées

mais… nous ne les utilisons pas suffisamment.

Nous formons nos employés aux nouveaux métiers

mais… nous ne leur donnons pas l’occasion d’appliquer les nouveaux savoirs.

Nous avons des experts chevronnés dans l’entreprise

mais… très peu de gens connaissent ces lieux vivants de l’expertise.

Nous fonctionnons dans des structures apprenantes de type « projet »

mais… nous ne capitalisons pas sur ces expériences.

Nous investissons en systèmes Intranet

mais… on perçoit encore Intranet comme étant plutôt un outil de contrôle.

Nous incitons nos collaborateurs à partager leurs connaissances

mais… nous ne leur accordons pas d’incitations en contrepartie.

Nous recrutons et formons les meilleurs sur le marché

mais… nous les perdons facilement pour des concurrents.

En dernier lieu, l’analyse de contenu a fait ressortir un consensus quant aux processus clefs qui formeraient la gestion des connaissances. Selon les interlocuteurs, la gestion des connaissances peut être modélisée en un processus d’apprentissage et de développement organisationnel qui ferait intervenir trois phases : la création de nouveaux savoirs, le partage des savoirs et des expertises et enfin la mise en application de ces nouveaux savoirs. Ces résultats coïncident en bonne partie avec les développements théoriques du chapitre premier. Les répondants insistent sur l’idée que les trois processus sont complémentaires. Ainsi, la création des savoirs appelle d’abord les membres d’une équipe à partager horizontalement leurs connaissances « métiers » et à intégrer ces savoirs multiples dans le cadre d’une démarche d’innovation clairement définie. En outre, la création de nouvelles connaissances serait une activité improductive si les individus n’ont pas l’opportunité de mettre ces connaissances en application. Nos interlocuteurs nous ont ainsi évoqué le cas des

207

Page 208: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

formations en inter-entreprises où ils apprennent de nouvelles choses, mais trouvent souvent beaucoup de mal à les mettre en application dans des situations réelles de travail. Selon un ingénieur conseil de l’entreprise PLN, « les difficultés à appliquer les connaissances acquises dans le cadre de formations inter-entreprises s’expliquent par le peu d’autonomie dont on dispose et la tendance assez déconcertante chez les responsables de l’entreprise à préserver le confort du statuquo ».

Enfin, interrogés sur l’opportunité d’intégrer le processus de protection des savoirs dans l’analyse des problématiques de gestion des connaissances, les répondants rapportent que ce processus « malgré son importance, demeure largement incompris, voire méconnu dans l’entreprise tunisienne». Ainsi, et au vu de ces derniers résultats, nous avons pu stabiliser la variable dépendante de notre modèle théorique, à savoir les capacités de gestion des connaissances. Cette variable a été opérationnalisée par les trois processus de création, de partage et d’application des savoirs.

Ainsi, l’analyse des entretiens menés auprès d’une population de cadres opérationnels et d’exploitation a pu aboutir à des résultats concrets pour la spécification de la problématique de la recherche et l’affermissement de certaines variables du modèle conceptuel. Le tableau 4.7 résume l’essentiel des résultats obtenus suite à l’analyse de la première vague d’entretiens.

Tableau 4.7- Entretiens des opérationnels : synthèse des résultats- La gestion des connaissances est un concept connu et pratiqué différemment dans les entreprises enquêtées ;- La gestion des connaissances s’articule autour de trois processus clefs : la création, le partage et l’application des savoirs. Ces processus sont complémentaires ;- Si la technologie est importante, elle est cependant insuffisante pour entamer un apprentissage collectif ;- Il y a besoin urgent de se pencher sur l’analyse des conditions humaines et organisationnelles associées au succès des démarches de gestion des savoirs ;- Des paradoxes sont relevés dans la manière avec laquelle les entreprises appréhendent et utilisent les principes du knowledge management.

208

Page 209: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.3 Entretiens auprès des DRH : Gestion des connaissances et RH : repérage des lieux.

Nonobstant l’importance des recherches sur le management des connaissances, la revue critique de la littérature initiée dans le cadre de cette thèse révèle une absence de fondements conceptuels rigoureux à l’analyse du rôle de la GRH dans le déploiement des processus de gestion des connaissances. Ces faiblesses conceptuelles ont été justifiées par la domination d’une logique « stock » de la connaissance, laquelle logique aboutit à la valorisation des approches technicistes du knowledge management. Ainsi, les entretiens auprès des DRH se justifient par notre volonté de comprendre la perception des responsables RH quant à l’intégration de la problématique de gestion des connaissances dans le domaine des RH. D’autres objectifs sont également poursuivis par cette deuxième vague d’entretiens. Dans un premier lieu, nous cherchons à définir les pratiques de GRH qui seraient en mesure d’influencer positivement les processus de gestion des connaissances. Les DRH ont ainsi été appelés à expliciter leurs perceptions quant aux pratiques novatrices de GRH qu’ils jugent fondamentalement utiles pour le développement des capacités de gestion des savoirs dans leurs entreprises. En deuxième lieu, ces entretiens nous permettront de nous assurer de l’existence chez les praticiens d’une conscience quant au rôle que la GRH est en mesure de jouer dans la réussite des dispositifs de knowledge management. Enfin, nous chercherons à évaluer la plausibilité de divers questionnements sur les liens éventuels entre d’une part des variables des ressources humaines telles que les pratiques de GRH orientées vers l'apprentissage, le capital humain et le climat d'apprentissage et d'autre part, la gestion des connaissances. Les entretiens avec les DRH ont subi la même procédure d'enregistrement, d'analyse et d'exploitation que ceux menés avec les cadres opérationnels.

Même si les informations recueillies auprès des DRH ne se prêtent à aucune forme de généralisation à cause de la taille réduite de l'échantillon et du caractère exploratoire de la recherche à ce niveau, elles ont fait ressortir des éléments qui nous ont permis par la suite d'orienter la conception du modèle de recherche. Combinées avec les entretiens auprès des opérationnels, les entrevues réalisées avec les DRH ont révélé la pertinence des choix de recherche issus des lectures théoriques. Dans un premier temps, les analyses suggèrent que le rôle de la GRH dans les démarches d'apprentissage reste une question peu explorée au sein des entreprises, au grand désespoir des DRH qui insistent sur la centralité de leur contribution dans ces initiatives. En deuxième lieu, les DRH nous ont livré leur perception quant aux pratiques de GRH censées soutenir les activités de gestion des savoirs. Enfin, l'analyse des entretiens nous a permis de vérifier la plausibilité

209

Page 210: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

des liens entre les différentes variables qui constituent le modèle, en particulier le rôle médiateur que jouent les variables "capital humain" et "climat d'apprentissage". II.3.1 La GRH levier de gestion des connaissances ? Entre réalité et aspirations…

L’analyse des entretiens suggère que la conception du rôle de la GRH dans les processus d’apprentissage reste approximative et faiblement établie dans les entreprises enquêtées. De manière générale, les DRH ne semblent pas être particulièrement impliqués dans les projets stratégiques de l’entreprise. Ceci est plus vrai quand il s’agit du knowledge management. Peu structurés et souvent partiels comme révélé dans les entretiens avec les opérationnels, les projets de gestion des connaissances relèvent exclusivement de la responsabilité des dirigeants. Cette situation n’est pas propre au seul cas du knowledge management. Nos interlocuteurs nous rapportent qu’en manière générale, les DRH « tunisiens » sont prisonniers du quotidien. « Nous sommes noyés dans un océan de problèmes opérationnels et quotidiens », rapporte le DRH de l’entreprise AVS. Les DRH rencontrés affirment que par moments, un intérêt est accordé à certaines pratiques de GRH. Toutefois, cet intérêt semble souvent être contingent à plusieurs facteurs tels que les missions d’audit, les préoccupations gestionnaires du moment, etc.

Encadré 4.4- Illustrations sur la faiblesse du rôle accordé à la GRH dans les activités de KM« On ne consulte pratiquement jamais les DRH dans ce genre de projets. Il y a eu des moments où l’on réfléchissait ensemble sur le rôle de la GRH et sa place dans les processus d’innovation et de création de nouvelles expertises. C’était associé à des changements majeurs au niveau des métiers de l’entreprise qui devraient s’orienter davantage vers les clients. Mais cet élan a été très vite coupé par des changements au niveau des postes de direction. C’est toujours le cas dans nos entreprises.»« Chez HBH, la formation et le design du travail aident beaucoup dans le développement des logiciels. Je peux vous dire que nous contribuons au succès des démarches de gestion des savoirs dans notre entreprise. Toutefois, ce rôle est souvent indirect et la direction ne le voit pas. Nous agissons dans l’anonymat. La direction accorde ainsi une grande importance au département système d’information qui travaille sur le benchmarking et sur le manuel des projets. Leur travail est direct. Ils sont dans le front-office. Mais ils ne sont pas plus impliqués que nous (…) Notre problème, celui de tous les DRH du monde, je pense, est que nous agissons indirectement sur les processus managériaux (…) Notre salut ? Plus de terrain, plus de présence dans les postes de décision, dans les réunions stratégiques de la direction. Ce sera long à mettre en œuvre. Il faudra changer la mentalité de toute une génération de chefs d’entreprises. » « Chez TNZ, nos pratiques de GRH sont novatrices et orientées vers la performance. C’est ce qui nous distingue de nos concurrents. Nous sommes en train de mettre en place un projet de gestion des compétences et nous travaillons de concert avec nos

210

Page 211: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

collègues de tous les autres départements, notamment le département systèmes d’information. Nous offrons des formations aux cadres afin de les préparer à une meilleure utilisation des bases de connaissances. Mais en dépit de ses retombées positives sur les compétences, la formation est insuffisante à elle seule. Les gens ne partagent pas facilement leurs connaissances. Nous en avons discuté avec le directeur général. Nous avons demandé plus d’autonomie pour concevoir des systèmes d’incitation. Mais, nous attendons toujours une réponse qui pourrait ne pas venir.

Comme le prouvent ces extraits verbatim, le rôle de la GRH comme levier de gestion des connaissances ne semble pas encore explicitement reconnu dans les entreprises enquêtées. Ces résultats ne doivent pas être vus comme étant contradictoires avec l’objet de cette recherche. Au contraire, ces constats empiriques sont d’une extrême importance pour la question de recherche posée dans cette thèse. D’une part, ils nous permettent de justifier l’analyse de ce type de problématique dans le contexte actuel de l’entreprise tunisienne (puisque, en règle générale, cela ne sert à rien d’étudier des évidences et des choses dont on est certain de l’existence). De l’autre, les résultats de cette recherche seraient en mesure de fournir des repères concrets pour une éventuelle contribution des responsables RH à la mise en place de démarches de création, de partage et de mise en application des connaissances. Au delà de ces premiers résultats, l’analyse de contenu nous a fourni des explications claires sur l’absence d’une telle relation entre la GRH et la gestion des connaissances dans certaines entreprises. En effet, les DRH mettaient en cause l’absence d’une vision RH au niveau du top management de l’entreprise. Ils invoquaient également des problèmes de positionnement de la DRH dans le schéma de prise de décision dans l’organisation.

Parallèlement à ce vécu, les DRH rencontrés estiment, tout de même, que la situation actuelle est parfaitement perfectible dans la mesure où la GRH, selon leurs dires, est « la fonction centrale de l’entreprise ». Aujourd’hui, affirme le DRH de l’entreprise HBH, « il y a de bonnes bases sur lesquelles il est possible d’appréhender un nouveau rôle pour la GRH, notamment en matière de gestion des connaissances. Nous sommes actuellement engagés dans un processus de veille stratégique avec un partenaire européen. La fonction GRH aura certainement à y contribuer, notamment à travers la formation et le développement des compétences dans ce domaine ». De son coté, le DRH du laboratoire pharmaceutique SVX affirme que la filiale tunisienne de la multinationale suisse est de plus en plus appréciée pour ses résultats remarquables sur le marché tunisien. « L’an dernier, nous avons reçu le prix de la meilleure équipe de consultants médicaux. Dans sa lettre adressée au personnel commercial de SVX-Tunisie, le CEO insistait sur l’importance d’investir davantage dans le

211

Page 212: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

capital humain et l’intelligence des hommes et des femmes. Il a ouvertement cité la notion de knowledge management. Je crois que c’est un signe fort que de relier capital humain et knowledge management. Le country manager l’a bien compris, il me semble ». Ainsi, ces deux cas et tant d’autres signes émanent de l’analyse des entretiens laissent montrer que les DRH sont tout à fait conscients du rôle que la gestion des RH est en mesure d’assumer dans la conduite des processus clefs de gestion des connaissances. L’analyse approfondie des entretiens a ainsi joué un rôle déterminant dans la modération des discours peu optimistes tenus par certains DRH quant au statut actuel de la fonction GRH dans leurs entreprises et dans la justification de la problématique de recherche de cette thèse. II.3.2 Clarification des choix définitionnels : quelles pratiques de GRH ?

L’identification des pratiques de GRH censées favoriser la gestion des connaissances est sans doute l’un des choix les plus importants de cette recherche. Il s’agit en effet de définir la « grappe de pratiques27» de GRH composée de pratiques synergiques ayant un effet positif sur les capacités de création, de partage et de mise en œuvre des savoirs dans l’entreprise. Ce choix est délicat pour plusieurs raisons. La première est la présence d’un nombre toujours croissant de pratiques de GRH parmi lesquelles le chercheur est appelé à opérer des choix. Ce nombre s’explique par l’ouverture de la GRH sur des problématiques organisationnelles qui ne relevaient pas traditionnellement de ses prérogatives (communication, design organisationnel, réseautage des savoirs, etc.). En plus, ce choix doit être justifié sur le double plan théorique et empirique. Sur le plan théorique, la revue de la littérature révèle l’absence de consensus sur 27 La notion de “grappe de pratiques” est la traduction en français du terme “HR Bundles” proposé par les théoriciens du management stratégique des ressources humaines (MSRH). L’idée d’une grappe de pratiques est venue mettre l’accent sur la nécessité pour les entreprises de ne pas considérer les pratiques de GRH de manière isolée. S’inspirant de la pensée systémique, la notion de grappe suppose l’existence de plusieurs pratiques de GRH ayant un objectif commun et entretenant des liens synergiques entre elles (ces liens sont appelés la cohérence interne, «  Internal Fit », par les théoriciens du MSRH). Il existe plusieurs types de grappes dans la théorie : celles orientées vers l’engagement, celles orientées vers la haute performance, etc. Dans le cadre de cette recherche, nous cherchons à définir une grappe de pratiques orientées vers la gestion des connaissances (ou l’apprentissage). Enfin, il est à noter qu’une grappe ne contient pas nécessairement toutes les pratiques de GRH que l’on connaît. Sa taille dépend d’une recherche à l’autre. Dans le cas de notre recherche, la grappe de pratiques se compose, comme il sera précisé dans les développements suivants, de quatre pratiques de GRH : la formation, l’empowerment, le management des performances et enfin les pratiques de design du travail et de réseautage social. Comme on peut le voir, cette approche diffère des approches classiques des pratiques de GRH (recrutement, carrière, salaire, évaluation, etc.).

212

Page 213: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

les pratiques de GRH censées développer les capacités de gestion des connaissances. Comme le montre le tableau 4.8, les pratiques dont il est question sont définies selon des perspectives très diverses, empêchant l’émergence d’un consensus sur un corps de pratiques RH stable et reproductible dans d’autres recherches. Sur le plan empirique, les pratiques de GRH doivent faire l’objet d’un consensus chez les DRH rencontrés dans le cadre de cette recherche. Cela n’a pas réellement été le cas dans le sens où plusieurs divergences ont été enregistrées. Un arbitrage a alors été opéré afin de trancher cette question. Cet arbitrage s’est fait en croisant les résultats issus des analyses de contenus et ceux de la revue de la littérature. L’étude exploratoire s’est révélée être d’une richesse extraordinaire pour la définition des pratiques de GRH orientées vers la gestion des connaissances, c’est-à-dire la variable indépendante du modèle de recherche. Elle nous a permis d’abandonner une idée initialement choisie dans cette recherche, à savoir la définition de deux types de « grappes » de pratiques correspondant aux deux stratégies de savoir définies par Hansen et al., (1999).

Tableau 4.8- Pratiques GRH orientées vers le KM : synthèse de quelques travaux

Auteurs Objectifs des recherches Pratiques de GRH retenues

Thite (2004)Recherche théorique focalisant sur le rôle du management des personnes dans l’économie du savoir.

-Recrutement et conservation des compétences-Management des performances (management par objectifs, rémunération).

Shipton et al., (2006)

Recherche longitudinale auprès de 22 entreprises industrielles britanniques sur le rôle des pratiques de gestion des RH dans l’apprentissage.

Les pratiques de GRH orientées vers le développement de l’apprentissage par exploration :- Socialisation et induction- Evaluation des performances- Formation professionnelle- Rémunération au mérite- Autonomie accordée aux individus.

Edvardsson (2003)

Recherche théorique reliant les stratégies des connaissances aux pratiques RH.

Des pratiques de GRH variables selon la stratégie de savoir suivie (formation, carrières, management des performances).

Shipton et al., (2005)

Recherche dans 35 entreprises britanniques sur la contribution de la GRH aux processus de gestion des connaissances

- Management des performances- Formation- induction- Sélection et recrutement

213

Page 214: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Oltra (2005) Etude de cas menée dans trois entreprises espagnoles

- Formation incluant la pratique du knowledge management- Design du travail incluant les exigences en termes de gestion des savoirs- Evaluation des performances incluant les comportements en termes de partage des connaissances

Shih et Chiang (2005)

Recherche menée auprès de 147 entreprises taïwanaises analysant les liens entre la stratégie de l’entreprise, les pratiques de GRH et le knowledge management.

- Autonomie et empowerment des employés- Pratiques de socialisation et de mise en réseau des employés-Promotions et rémunération au mérite- Rotation des jobs- Formation axée sur le développement de compétences spécifiques.

Jaw et Liu (2003)

Recherche menée auprès de 300 moyennes et grandes entreprises taïwanaises. L’objectif est d’analyser l’impact des pratiques de GRH sur l’environnement d’apprentissage et les capacités de renouvellement de l’entreprise.

- Empowerment- Management des performances- Programmes de partage des profits- Efforts soutenus de formation- Pratiques d’encouragement de l’engagement des employés (promotions internes, rotation des postes, etc.)

Koch (2003) Deux études de cas dans le contexte britannique. Les résultats suggèrent que l’emploi simultané de pratiques de GRH spécifiques et des technologies d’information et de communication améliore sensiblement les capacités de développement et d’application des connaissances.

- Organisation du travail autour d’équipes projets- Formation- Pratiques de mise en réseau des individus (networking)- Pratiques d’ancrage de la culture de performance.

Mansour et Gaha (2004)

Etude théorique sur les liens possibles entre les pratiques de GRH et la gestion des connaissances avec revue de littérature étoffée.

- Le design du travail autour d’équipes projets comme moyen de création des savoirs- Les pratiques d’implication des hauts potentiels de l’entreprise : les opportunités d’apprentissage et de réseautage des savoirs, autonomie et flexibilité dans le travail, pratiques de reconnaissances telles que la

214

Page 215: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

rémunération au mérite, le management des performances, etc.

L’analyse des entretiens suggère que les pratiques de GRH orientées vers la gestion des connaissances font partie de ce qu’on appelle désormais les pratiques novatrices de GRH. « La gestion des carrières selon le modèle traditionnel, les études des postes classiques, la rémunération selon le diplôme ou l’ancienneté et la promotion automatique ne font plus partie du jargon de l’organisation du savoir », affirme le DRH du groupe PLN. Nos interlocuteurs reconnaissent que le champ d’intervention du responsable RH ne cesse de s’élargir sous le double effet des nouvelles orientations en matière d’organisation du travail et de la prise de conscience de l’importance du facteur humain dans l’équation de la compétitivité. Le coaching, le mentoring, la socialisation, le design du travail, le système d’information RH, l’évaluation collective des compétences, la dynamisation des groupes de travail, le management selon les objectifs…sont autant de nouvelles pratiques managériales qui font aujourd’hui partie intégrante des nouvelles responsabilités des DRH.

Au-delà de ces appréciations d’ordre général, les DRH rencontrés ne sont pas unanimes quant aux éléments qui devraient constituer la grappe de pratiques GRH orientées vers la gestion des connaissances. Cette divergence d’avis reflète également l’indécision des chercheurs au niveau de ce point. Nous avons ainsi décidé de procéder à un arbitrage en octroyant des scores aux pratiques citées par les différents DRH. Une liste a ainsi été préparée de manière improvisée et présentée sous forme d’une relance dans le cadre du premier entretien. Cette tactique a ensuite été automatiquement appliquée dans le cadre des six autres entrevues. Au-delà de cette opération de comptage, nous avons veillé à comparer les résultats de cet arbitrage avec les propositions des auteurs telles qu’elles figurent dans le tableau 4.8. Ainsi parmi les DRH rencontrés deux seulement ont mentionné les pratiques de recrutement et de sélection comme faisant partie des dispositifs de GRH à retenir dans cette étude. Pour les

215

Page 216: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

autres, le recrutement est une opération qui implique, certes, le DRH ; mais elle prend lieu en amont de tous les autres processus RH. Souvent d’ailleurs, il est difficile d’en mesurer la pertinence pour l’organisation. D’autres justifient leurs positions par le fait que le recrutement est devenu une activité politique au vrai sens du terme. « Même dans une entreprise comme la nôtre, la sélection et le recrutement des candidats demeurent deux processus souterrains et strictement réservés à la direction générale (…) Le recrutement est un enjeu pour renforcer son pouvoir ou diminuer celui d’autres personnes. », souligne le DRH de AVS. Une autre pratique, la gestion des carrières, n’a pas été retenue par les DRH rencontrés. Selon les témoignages recueillis, la gestion des carrières ne se pose pas de manière importante dans les entreprises enquêtées. Le DRH de HBH justifie cette idée par le fait que « les gens ne nourrissent pas d’e projets personnels de carrière dans notre entreprise. Le taux de rotation est très élevé et le marché du génie logiciel est hautement attractif. Les gens intègrent HBH pour apprendre et développer leurs portefeuilles de compétences. Ensuite, ils iront s’expatrier en Europe ou en Amérique du Nord. Certains d’entre eux choisissent les pays du Golfe. » Selon ce même DRH, cette situation ne présente aucun problème pour l’entreprise qui a appris à « chasser » les bons éléments en tissant des partenariats solides avec les grandes écoles du pays. Ces mêmes arguments ont été avancés par le DRH du groupe PLN pour qui, « [son] entreprise s’est transformée en un point de passage pour ces jeunes loups ; elle est devenue une véritable école de formation au management ».

Les analyses de contenu menées dans le cadre de cette phase ont révélé l’importance de quatre pratiques de GRH. Il s’agit respectivement des pratiques de formation, des pratiques d’empowerment visant à accorder plus d’autonomie aux acteurs, des pratiques de gestion des performances (qui incluent la fixation d’objectifs de performance et la rémunération au mérite) et enfin les pratiques de design du travail et de mise en réseau (social et non électronique) des individus. Ces pratiques correspondent en bonne partie aux résultats des recherches théoriques mentionnées précédemment. Leur contribution aux processus clefs de gestion des connaissances a été longuement discutée dans le cadre du troisième chapitre.

216

Page 217: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.3.3 Primauté des facteurs humain et organisationnel dans le KM

Le troisième objectif assigné aux entretiens auprès des DRH est d’examiner la plausibilité des liens entre les différentes variables du modèle théorique. Ayant validé l’importance du rôle de la GRH dans le déroulement des processus de knowledge management, les DRH ont été ensuite demandés de s’exprimer sur les conditions qu’ils jugent nécessaires pour que la GRH puisse exercer un effet sur les processus de KM. Les analyses de contenu laissent montrer l’unanimité des répondants quant à l’importance du facteur humain dans l’équation posée par le modèle de recherche. Les DRH stipulent que la GRH exerce un effet indirect sur les processus de gestion des connaissances. Pour eux, les pratiques de GRH agissent d’abord et surtout sur les individus et leurs compétences. Ensuite, ces individus auront la charge de développer les capacités de knowledge management de leurs entreprises. Parlant d’individus, les DRH ont cité la notion de capital humain au moins une vingtaine de fois au cours des sept entretiens. De tels résultats, illustrés dans l’extrait verbatim suivant, viennent nous conforter dans un choix théorique fort de cette recherche, celui de considérer le capital humain comme variable médiatrice dans la relation entre la GRH d’un côté et le knowledge management, de l’autre.

Encadré 4.5- Illustrations sur l’importance du capital humain dans les activités de KM

217

Page 218: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

« Dans l’entreprise, vous pouvez avoir les meilleurs processus du monde, la meilleure technologie, mais si les hommes et les femmes ne vous suivent pas, si par exemple, leurs compétences sont discutables, vous ne pouvez pas aspirer à être une entreprise innovante.»« Les pratiques de GRH influencent certes les dispositifs de gestion des connaissances. Cependant, cette influence n’est pas immédiate ; elle suit plutôt une logique de chaine de transformation. En effet, les pratiques de GRH influencent d’abord le capital humain. Si vous formez vos employés, cela va se voir immédiatement sur leurs compétences opérationnelles ; ensuite cela se traduira sur les processus de créativité et de mise en application de nouveaux savoirs. Si vous ne les formez pas, ils n’auront aucune valeur comparés aux concurrents ; en termes simples, cela veut dire que vous devez vous en débarrasser vite, ou alors leur offrir des formations intensives et spécifiques. » « Chez TNZ, nous développons une vision particulière des personnes. Il y a une sorte de norme ou de culture qui fait que nous savons tous que les individus sont la véritable arme de l’entreprise et son principal atout sur le marché. Nos employés ingénieurs, commerciaux, chefs de projets, opérateurs, etc…sont hautement qualifiés et nous continuons à les former pour développer leurs performances (…) Cette vision est très utile pour les problématiques d’innovation, mais aussi de partage des savoirs. S’ils se ressentent valorisés, choyés et reconnus, les employés vont se donner à leur entreprise (…) Actuellement, nous travaillons sur l’implication des hauts potentiels dans les activités créatives de l’entreprise. Nous sommes conscients que l’innovation, la démocratisation du savoir dans l’entreprise et la rapidité des prises des décisions dépendent de la manière avec laquelle nous voyons et traitons notre capital humain. Le service communication interne qui relève de la DRH a été chargé de concevoir une politique de communication avec ces hauts potentiels. Nous attendons leurs suggestions pour les discuter et les mettre en œuvre.

En outre, certains DRH rencontrés mettent en avant l’importance des conditions organisationnelles dans les démarches de gestion des connaissances. Cela montre une certaine prise de conscience quant à la nécessité de mettre en place des conditions permissives du knowledge management. L’analyse de contenu laisse voir une importance accordée par les DRH aux conditions culturelles et relationnelles nécessaires à la mise en place de démarches d’apprentissage. À cet égard, la promotion d’une culture orientée vers la coopération et le « respect » des différences intellectuelles est présentée comme un moyen de garantir l’adhésion de tous les membres de l’entreprise aux processus de partage et de développement de nouvelles expertises et de nouveaux modes de faire. Pour les DRH rencontrés, l'ancrage des valeurs de partage, de coopération est présenté comme un moyen permettant de soutenir durablement les comportements de partage des connaissances entre les individus. Lors des entretiens, les termes de pouvoir et de conflit ont été fréquemment utilisés par les interlocuteurs pour désigner les principaux handicaps face au partage des connaissances. D'autres DRH nous ont rapporté des cas où l'option technologique, notamment le réseau Intranet, n'était pas d'un grand apport pour inciter les experts à partager leurs connaissances. C'est notamment le cas de l'entreprise ARF dont le DRH voit le projet Intranet initié dans le

218

Page 219: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

dessein d'assurer une meilleure mise en commun des savoirs des consultants comme "une expérience amère, un projet à enterrer". Les entretiens suggèrent une prise de conscience chez les interlocuteurs de la nécessité d'une réflexion sur le rôle des conditions organisationnelles et culturelles dans le succès des pratiques de gestion des connaissances. Par ailleurs, ces entretiens n'ont pas pu démontrer le rôle médiateur des conditions organisationnelles et culturelles dans le modèle de recherche établi. De nature exploratoire, cette recherche n'est pas censée donner des vérités ou vérifier des réalités supposées comme vraies par le chercheur. Nous estimons ainsi que les entretiens auprès des DRH ont pu atteindre les objectifs qui leur ont été assignés. Le tableau 4.9 recense, enfin, les principaux résultats de ces entretiens.

Tableau 4.9- Entretiens auprès des DRH: synthèse des résultats

La GRH peut-elle être considérée comme levier de gestion des savoirs?

Oui, selon les DRH. En dépit de la faible intégration de la GRH dans les questions stratégiques, certains signes suggèrent une participation accrue des DRH aux problématiques d'apprentissage.

Quelles sont les pratiques de GRH censées favoriser la gestion des connaissances?

- L'empowerment, le management des performances, la formation et les pratiques de design du travail et de réseautage social.

Quelles sont les conditions nécessaires pour que la GRH puisse jouer le rôle de levier?

La GRH influencerait indirectement le KM à travers l'amélioration du capital humain et la promotion d'un climat organisationnel valorisant l’apprentissage.

Section III. La conception du questionnaire de recherche

En gestion des ressources humaines, le questionnaire multi-échelles demeure l'outil d'investigation quantitatif le plus utilisé. Cet outil de collecte des données a été choisi comme l'instrument de recueil des informations quantitatives. Toutefois, le recours à une méthode d'enquête par questionnaire nécessite au préalable une préparation minutieuse du support de l'enquête. La question la plus importante concerne ici le choix des échelles de mesure. Dans le cadre de notre recherche, la présence de questionnaires de références dans le domaine de la gestion des ressources humaines et du knowledge management ainsi que celui touchant au climat organisationnel d'apprentissage nous a largement facilité la tâche en adoptant intégralement ces questionnaires. Cela nous a épargné de passer par la procédure longue et compliquée de la construction d'échelles de mesures spécifiques à l'objet de l'étude. Les échelles de mesure ont

219

Page 220: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

été puisées dans la littérature spécialisée. Durant ce processus de sélection d'échelles de mesure, nous avons veillé à respecter les points suivants:

les échelles adoptées doivent avoir une fiabilité importante à travers les publications trouvées dans la littérature;

les échelles doivent concorder avec la définition théorique donnée au concept;

le nombre d'items doit être équilibré.

Tous les items du questionnaire ont été traduits de l'anglais au français en ayant recours à la méthode de Back Translation suggérée par Igalens et Roussel (1998). Ainsi un premier groupe de quatre étudiants de mastère parfaitement trilingues ont procédé à la traduction des items de l'anglais au français. Un autre groupe composé de trois autres étudiants a procédé à la retraduction de ces items en anglais. Nous avons enfin réuni ces sept étudiants afin de discuter les divergences constatées et de trouver un compromis. La première version du questionnaire a été développée à l'issue de cette réunion. Quelques modifications incrémentales ont été apportées à la formulation des questions pour faciliter leur compréhension. La phase de pré-test du questionnaire a donné des résultats intéressants dans la mesure où elle nous a permis de finaliser le questionnaire sous une forme intelligible et claire. L'objectif de cette section est triple. Nous définissons d'abord le questionnaire de recherche utilisé en le décomposant en un ensemble de plusieurs sous-échelles représentant l'ensemble des concepts évoqués dans le cadre du modèle théorique. En deuxième lieu, nous rendons compte de la procédure de pré-test du questionnaire et clarifions ses principales retombées sur l'outil de recueil des données. Nous consacrons la dernière partie de cette section à la production des données quantitatives. III.1 Choix des échelles et élaboration du questionnaire

III.1.1. Les échelles des "pratiques de GRH orientées vers le KM" (variable indépendante)

Les pratiques de GRH orientées vers le knowledge management ont été opérationnalisées dans le cadre de cette recherche comme des pratiques introduites au niveau des entreprises et qui devraient contribuer au succès des pratiques de création, de partage et d'application des connaissances. Ces pratiques ont été définies et opérationnalisées dans les études empiriques relevant du

220

Page 221: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

management stratégique des ressources humaines. Selon les cas, ces pratiques sont appelées par les chercheurs "pratiques novatrices de GRH", "pratiques créatives de GRH", ou encore "système de travail à haute performance". Compte tenu de la diversité des pratiques de GRH mobilisées dans ces recherches (environ 25 pratiques), un choix s'est imposé. Nous nous sommes ainsi basés sur la littérature traitant exclusivement des pratiques de GRH orientées vers l'apprentissage et gestion des connaissances pour identifier les échelles de mesure utilisées par les auteurs dans le cadre de ce type de problématique. En deuxième temps, nous nous sommes basés sur les résultats de l'étude exploratoire, et notamment les entretiens auprès des DRH afin de définir ces pratiques. Quatre pratiques de GRH ont ainsi définies. Dans les développements suivants, nous définissons ces pratiques et présentons les échelles de mesure qui leur correspondent.

III.1.1.1 Echelle de l'empowerment L'empowerment est un terme anglais qui peut être traduit par celui de responsabilisation ou capacitation. Dans le domaine des RH, l'empowerment signifie le fait d'accorder à l'employé suffisamment d'autonomie et de marge de manœuvre pour qu'il se prenne en charge tout seul. Dans le cadre de cette recherche, l'empowerment est considéré comme une décision RH qui vise à accroitre l'autonomie opérationnelle des employés et leur indépendance, de manière qui accroit leur confiance en leurs capacités. L'examen de la littérature qui a traité le thème de l'empowerment montre qu'il existe plusieurs manières de mesurer ce concept. En effet, l'empowerment peut être défini comme processus psychologique ou encore comme processus d'acquisition de pouvoir dans l'entreprise. Dans cette recherche, nous adoptons une perspective qui met le focus sur la liberté accordée à l'employé pour organiser son travail, contrôler ses résultats et prendre les mesures correctrices nécessaires. Pour mesurer l'empowerment, une adaptation simple de l'échelle développée par Jaw et Liu (2003) a été opérée. Les auteurs ont développé une échelle composée de cinq (5) items. Cette échelle a été choisie en se basant sur les critères suivants:

Elle est parfaitement adaptée à l'objet d'étude de cette thèse. Elle a été développée dans le cadre d'une recherche qui étudie l'impact de la GRH sur les capacités d'apprentissage de l'organisation;

Sa bonne qualité de fiabilité et de validité prouvée (α = 0.83) Sa facilité d'utilisation puisqu'elle ne se compose que de cinq

items clairement formulés, ce qui améliore les chances de sa

221

Page 222: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

compréhension par le répondant. Toutefois, un item a été abandonné parce que nous jugeons que son énoncé ne correspond pas à la réalité et au contexte des entreprises tunisiennes.

Cette échelle se présente comme suit:Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Dans mon entreprise,

1. Le contenu de mon travail varie fréquemment.2. J’ai la liberté de décider sur la manière de faire mon travail3. J’ai confiance en ma capacité à faire convenablement mon travail.4. J’ai une grande indépendance qui me permet d’organiser, comme

je veux, mon travail.

III.1.1.2 Echelle de la formation Il existe plusieurs manières de définir la formation. Les opérationnalisations de ce concept par les chercheurs ont varié en fonction de ces définitions. Ainsi, une première définition de la formation consiste à la définir comme un processus qui s'articule autour de quatre étapes: l'identification, la planification, le déroulement et l'évaluation de la formation. Une autre opérationnalisation proposée dans la littérature consiste à savoir si oui ou non l'entreprise dispose d'un organe s'occupant de la fonction formation. Selon une autre perspective, Shipton et al, (2006) ont opérationnalisé la variable formation de manière à ce qu'elle reflète l'adéquation entre les besoins individuels et organisationnels en formation et les compétences des employés. L'échelle développée par les auteurs contient seulement trois items. Les répondants étaient appelés à indiquer leur niveau d'accord ou de désaccord avec les trois propositions. L'échelle se compose de cinq points allant de pas du tout d'accord à tout à fait d'accord.

222

Page 223: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Pour mesurer la formation dans le cadre de cette recherche, une combinaison de deux échelles de mesure a été opérée. Il s'agit de l'échelle précédemment citée de Shipton et al, (2006) et celle développée par Jaw et Liu (2003). Ainsi, l'échelle retenue dans le cadre de cette thèse se compose de quatre items dont trois étaient retenus de l'échelle développée par Jaw et Liu (2003). La combinaison partielle de deux échelles est une procédure normale surtout quand elles sont développées dans le cadre de recherches similaires. Ainsi, notre échelle répond aux critères retenus dans cette recherche, en l'occurrence:

Elle a été développée dans deux recherches proches de l'objet de notre étude (impact de la GRH sur l'apprentissage/impact de la GRH sur l'innovation);

Elle est simple d'utilisation dans la mesure où elle ne comporte que quatre items facilement compréhensibles;

Elle dispose d'une bonne fiabilité (α = 0.88)

Cette échelle se présente comme suit:Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Mon entreprise,

1. M’encourage à suivre des formations qui concernent directement mon métier.

2. Encourage les plans d’éducation et de formation continus.3. Nous fournit un programme de formation riche et varié.4. Prévoit un programme de formation spécifique pour mon métier.

III.1.1.3 Echelle du management des performancesLa notion de management des performances a été développée par les chercheurs en management stratégique des ressources humaines. Ce concept désigne à la fois trois éléments qui appartiennent au champ du management des personnes: la fixation d'objectifs de performance, l'évaluation des performances et la rémunération au mérite. Plusieurs

223

Page 224: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

échelles de mesure ont été développées et utilisées par les chercheurs. Leur fiabilité élevée et leur validité ont été prouvées dans les recherches de Huselid (1995); Becker et Huselid (1998); Guthrie (2001) et Jaw et Liu (2003). Dans le cadre de cette recherche, nous adoptons l'échelle de mesure développée et utilisée par Jaw et Liu (2003). Le management des performances est alors défini comme une pratique de GRH dont l'objectif est d'évaluer et rémunérer le personnel selon sa capacité à atteindre des objectifs de performance clairement établis.

Comme les échelles précédentes, celle portant sur le management des performances a été choisie parce qu'utilisée dans une recherche dont l'objet est très proche de celui de cette thèse. Elle bénéficie aussi d'une fiabilité prouvée (α = 0.81). En plus, elle se compose de quatre items clairs et intelligibles. Son énoncé se présente comme suit:

Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Dans mon entreprise,

1. Des objectifs de performance clairs sont fixés pour chacun de nous.

2. Les employés ressentent la nécessité de réaliser leurs objectifs de performance.

3. L’évaluation des performances est utilisée comme outil de développement professionnel.

4. La rémunération est étroitement liée aux performances des employés.

III.1.1.4 Echelle des pratiques d'organisation du travail et du réseautage socialIl est rare en GRH de trouver un concept qui mesure à la fois les pratiques d'organisation et de réseautage. Pourtant, dans le cadre d'une recherche sur le management des connaissances, ces deux dimensions sont parfaitement conciliables. En effet, les pratiques

224

Page 225: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d'organisation du travail sont nombreuses. Leurs applications diffèrent selon les choix opérés par les entreprises. On trouvera par exemple les pratiques de travail en équipe, la structuration par projet ou encore le système de rotation des postes, etc. Dans tous ces cas, l'objectif de ces pratiques est de définir un mode de travail collectif dans le cadre duquel les gens interagissent et développent des expériences communes. Récemment, plusieurs théoriciens et managers ont suggéré de renforcer ces pratiques de design du travail par des actions visant à renforcer les opportunités de mise sur réseau social (et non électronique) des individus appartenant à une même entreprise. Dans ces actions, nous retrouvons le tutorat, le mentoring, le coaching ou encore les rencontres informelles, etc. Ces éléments aident à la constitution ce que l'on appelle communément le capital social de l'entreprise.

Dans le cadre de cette recherche, cette pratique est définie comme l'ensemble des modes d'organisation du travail et des relations qui permettent aux individus de travailler dans un cadre collectif et de mettre en commun leurs expertises.

L'échelle de mesure de ces pratiques adoptée dans le cadre de cette recherche a été adaptée de l'échelle initiale développée par Collins et al, (2001). Avec une fiabilité et une validité satisfaisantes (α = 0.84), l'échelle présente l'avantage qu'elle a été adoptée dans une recherche qui étudie le rôle de la GRH dans l'amélioration des capacités de knowledge management. Toutefois, quelques items ont été éliminés de cette échelle pour deux raisons. D'abord, parce que leur contenu risque de ne pas être compris par les répondants; ensuite pour équilibrer le nombre d'items par rapports aux autres construits en le ramenant à seulement cinq propositions. Cette échelle se présente comme suit:

Les propositions suivantes concernent votre perception des pratiques de gestion des ressources humaines dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Dans mon entreprise,

225

Page 226: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

1. les employés travaillent dans le cadre d’équipes composées de plusieurs métiers.

2. les employés travaillent dans une organisation en équipes3. nous utilisons la rotation des postes pour développer les

compétences des employés 4. nous utilisons un système de tutorat entre employés

expérimentés et nouvelles recrues5. nous organisons souvent des rencontres informelles pour mieux

communiquer et nous connaître

III.1.2. Les échelles des "processus de gestion des connaissances" (variable dépendante)

Les processus de création, de partage et d'application des connaissances représentent la variable dépendante dans le modèle théorique construit dans le cadre de cette recherche. La revue de la littérature révèle le nombre limité d'échelles de mesures développées pour mesurer les processus de gestion des connaissances. Peu explorée, la dimension métrique du knowledge management nécessite davantage d'attention. Pour les besoins de cette recherche, trois échelles de mesures ont été adoptées. La première échelle est relative au processus de création des savoirs. Elle a été empruntée à la recherche réalisée par Darroch (2003) dans laquelle l'auteur a construit une échelle de mesure du knowledge management. La deuxième échelle est relative au partage des connaissances. Elle a été empruntée aux travaux de Jaw et Liu (2003). Enfin, l'échelle relative au processus d'application des connaissances a été adoptée des travaux de Lee et al., (2005). Les trois échelles bénéficient d'une fiabilité et d'une validité prouvées. Elles sont intelligibles et facilement compréhensibles pour le répondant. Ces échelles se présentent respectivement comme suit.

III.1.2.1 L'échelle de la création des savoirsDans le cadre de cette recherche, le processus de création des savoirs est défini comme l’ensemble des activités menées par les employés de l’entreprise et qui visent à stimuler l’innovation et le développement de nouvelles formes de savoirs et d’expertises dans l’organisation. L’échelle mesurant ce concept se présente alors comme suit :

226

Page 227: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les propositions suivantes concernent votre perception du processus de création des connaissances dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Dans mon entreprise,

1. les employés travaillent ensemble pour résoudre les problèmes professionnels

2. les employés sont toujours disponibles pour discuter de nouvelles idées au travail

3. les employés échangent facilement des idées qui leur permettent de créer de nouvelles approches au travail

4. les employés apprennent les uns des autres quotidiennement5. les employés sont créatifs et apportent souvent des solutions

originales6. les employés développent de nouvelles connaissances et de

nouveaux savoir-faire pratiques7. des séances de brainstorming collectif sont organisées pour

développer de nouvelles idées.

III.1.2.2 L'échelle du partage des connaissancesLe partage des connaissances est sans doute le processus organisationnel qui a bénéficié de la plus grande attention de la part des chercheurs. Pour plusieurs auteurs, c'est le processus central dans le système de gestion des savoirs. Nous le définissons dans le cadre de cette thèse comme l'ensemble d'actions et de comportements affichés par un individu et qui visent le partage et la diffusion de ses connaissances. L'échelle de mesure se présente comme suit.Les propositions suivantes concernent votre perception du processus de partage des connaissances dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Dans mon entreprise,

1. je partage souvent mes connaissances et informations avec mes collègues

227

Page 228: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

2. les différentes directions sont encouragées à partager leurs savoirs et savoir-faire

3. j’interagis fréquemment avec les autres pour mettre à niveau mes connaissances

4. les personnes ont appris à combiner leurs différentes expertises pour le bien du travail

5. les employés ne trouvent pas de difficultés à contacter leurs collègues pour demander des informations

6. les employés sont excellents dans le partage des connaissances.

III.1.2.3 L'échelle de l'application des connaissancesL'application des connaissances est sans doute le processus de gestion des savoirs le plus difficile à observer. En effet, la capacité d'un employé à appliquer des connaissances est largement encastrée dans la pratique quotidienne de ses activités. Elle est de fait essentiellement encapsulée dans son vécu professionnel. Dans le cadre de cette thèse, nous définissons ce processus comme la capacité de l'entreprise à prendre des décisions et à être réactive et agile. Une entreprise qui applique convenablement ses connaissances est une entreprise agile, agressive et performante. L'échelle de mesure adoptée pour mesurer ce concept est la suivante.

Les propositions suivantes concernent votre perception du processus d’application des connaissances dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Mon entreprise,

1. répond rapidement aux actions de nos concurrents directs2. actualise périodiquement ses produits pour satisfaire ses clients3. offre souvent de nouveaux produits et/ou services pour ses clients 4. répond rapidement aux changements dans son environnement

économique et technologique.

III.1.3. Les échelles relatives aux variables médiatrices

III.1.3.1 échelle du capital humain

228

Page 229: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La notion de capital humain a connu des conceptualisations différentes selon l’angle d’analyse choisi par le chercheur. Selon un angle économique, le capital humain est souvent opérationnalisé par le diplôme, le niveau éducatif de l’employé et son ancienneté dans l’entreprise. Cette acception du capital humain a progressivement cédé le terrain à une définition stratégique. En s’inspirant de l’analyse des conditions de l’avantage concurrentiel avancée par Barney (1991) ; les auteurs en management stratégique ont présenté une vision stratégique du capital humain. Dans ce cadre, Lepak et Snell (1999 ; 2002) ont focalisé leurs recherches sur la valeur et l’unicité stratégique du capital humain de l’entreprise. Selon cette perspective, la valeur stratégique du capital humain renvoie à la capacité des employés à exploiter les opportunités offertes sur le marché et à neutraliser les menaces des concurrents28 de manière qui accroit l’efficience de l’organisation. L’unicité du capital réfère, quant à elle, au degré auquel les employés disposent de compétences rares, inimitables et spécifiques à l’entreprise. Cette acception du capital humain a été soutenue par plusieurs autres recherches qui ont montré l’intérêt de considérer les personnes comme une véritable source de différenciation pour l’entreprise (Ulrich et Lake, 1991 ; Barney, 1991 ; Quinn et al., 1996 ; Snell et al., 1996).

L’acception stratégique du capital humain a donné lieu à une échelle de mesure développée par Lepak et Snell (2002). Le capital humain est ainsi subdivisé en deux sous-échelles : l’échelle de la valeur du capital humain et l’échelle de l’unicité du capita humain. La première échelle se compose de 12 items alors que la seconde en comporte dix (voir tableau 4.10). Ces deux échelles ont montré une solide fiabilité avec un alpha dépassant le 0.80.

Tableau 4.10- Echelle du capital humain selon Lepak et Snell (1999).« Valeur du capital humain » : 12

items« Unicité du capital humain » : 10

itemsNos employés ont des compétences

qui…Nos employés ont des compétences

qui…sont fondamentales pour l’innovation ne sont pas disponibles ailleurscréent de la valeur aux clients sont difficilement remplaçablesaident à minimiser les coûts de production

ne sont pas disponibles pour les concurrents

nous aident à fournir des services exceptionnels

sont les meilleures dans l’industrie

contribuent au développement de nos marchés

sont spécifiques à nos métiers

développent les meilleurs produits du marché

que nous ne vendrons pas aux concurrents

28 Remarquons ici que cette notion s’appuie implicitement sur la modèle des cinq forces concurrentielles de Michael Porter.

229

Page 230: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

affectent directement l’efficience de l’entreprise

hautement spécifiques à notre entreprise

aident l’entreprise à répondre aux exigences des clients

sont difficiles à imiter par les concurrents

nous permettent d’offrir des prix compétitifs

sont développés pour nos propres besoins

affectent directement la satisfaction des clients

nous distinguent des concurrents

sont nécessaires pour maintenir un haut niveau de qualitésont très utiles pour améliorer nos processus

Dans le même esprit de Lepak et Snell (1999), une autre échelle de mesure a été développée par Youndt et snell (2004). Cette échelle s’inspire largement de celle présentée dans le tableau 4.10. Elle est toutefois plus simple, avec seulement 5 items. Sa fiabilité est élevée avec un alpha dépassant le seuil du 0.80. Cette échelle a été choisie dans le cadre de cette thèse parce qu’elle a été forgée dans le cadre d’une recherche similaire à la notre (relation entre configurations de GRH et capital intellectuel et social de l’entreprise). De plus, elle est intelligible et facilement compréhensible par les répondants. Elle se présente comme suit :

Les propositions suivantes concernent votre perception du capital humain dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Les employés travaillant dans mon entreprise,

1. sont hautement qualifiés2. sont considérés les meilleurs dans l’industrie3. sont créatifs et brillants 4. sont de véritables experts dans leurs métiers et fonctions

spécifiques5. disposent de compétences rares que les concurrents de

possèdent pas.

III.1.3.2 échelle du climat d'apprentissageLe concept de climat d'apprentissage a été défini dans le cadre de cette recherche comme l'ensemble des attributs culturels d'une entreprise orientés vers la gestion des savoirs et l'apprentissage. Ce

230

Page 231: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

concept a été dérivé d'un concept plus ancien et mieux connu, à savoir le climat organisationnel, lui-même découlant des recherches dans le domaine de la culture de l'entreprise. Le climat d'apprentissage renvoie donc à la dimension culturelle du knowledge management. L'une des échelles de mesure de ce construit a été développée par Wang et Ahmad (2006). Elle comporte quatre items relatifs à la culture de partage et de coopération dans l'entreprise. Une autre échelle était développée par Detlor et al, (2006). Elle se compose de quatre items dont, par exemple, "mon entreprise développe une culture de partage de savoirs" ou encore "nous discutons souvent de manière constructive pour résoudre des problèmes au travail". Dans le cadre de cette recherche, nous utilisons l'échelle développée par Jaw et Liu (2003). Cette échelle bénéficie d'une excellente fiabilité. En plus, elle a été développée dans le cadre d'une étude dont l'objet est très proche de celui de notre recherche. Elle se compose de six items. Cette échelle se présente comme suit:

Les propositions suivantes concernent votre perception du climat d’apprentissage dans votre entreprise. Veuillez indiquer pour chacune d'entre elles votre niveau d'accord ou de désaccord.

Pas du tout d’accord

Pas d’accord Indifférent D’accord Tout à fait d’accord

Dans mon entreprise,

1. les relations interpersonnelles sont harmonieuses2. la coopération entre les individus et entre les départements est

satisfaisante3. l’expression libre et la critique positive sont encouragées 4. le climat de communication est marqué par la confiance5. les supérieurs hiérarchiques encouragent leurs collaborateurs à

donner leur avis sans peur ni résignation. 6. les différences d’opinion concernant le travail sont favorablement

accueillies.

231

Page 232: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.2 Les prétests et le recueil des données quantitatives

La validation de l’instrument de mesure a pour objectif de minimiser les biais et les erreurs dès le début de la spécification du questionnaire de recherche. Plusieurs méthodes sont utilisées par les chercheurs. Les jugements des pairs et experts demeurent fort utiles pour mesurer la validité de contenu du questionnaire. En effet, l’étude de validité du contenu permet au chercheur de s’assurer que le questionnaire créé pour mesurer un phénomène capture bien les différents aspects de l’objet étudié. Tous les items de l’instrument doivent offrir un haut degré de représentation de cet objet d’étude. Selon Igalens et Roussel (1998 :104), «la méthode de validation repose sur des entretiens avec des pairs et des experts. Il s’agit de soumettre le questionnaire aux chercheurs de la communauté scientifique (les pairs) et à des experts du monde professionnel en rapport direct avec le problème de GRH analysé. Au cours de cette confrontation, il faut qu’ils puissent juger de la capacité de l’instrument de mesure à capturer les différents aspects du phénomène étudié ». Dans le cadre de cette recherche, deux séries de prétests ont été effectuées afin de s’assurer de la représentativité des items du questionnaire et de leur compréhensibilité par les participants. La première s’est faite avec des collègues enseignants de l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis. La seconde a été faite avec un panel réduit de professionnels appartenant aux entreprises de l’échantillon. L’analyse finale des prétests a engendré des modifications incrémentales dans l’énoncé de deux items. Le questionnaire était perçu par les pairs et les experts comme étant clair, intelligible et mesurant correctement le problème théorique étudié dans le cadre de cette recherche. Suite à ces deux prétests, le recueil de données a été basé sur une enquête par questionnaire.

232

Page 233: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le questionnaire a été administré directement auprès d’une population spécifique dans les sept entreprises constituant le terrain de l’étude. Dans deux entreprises, les questionnaires étaient recueillis immédiatement. Dans chaque entreprise, le chercheur s’est déplacé avec un haut responsable de l’entreprise et administré le questionnaire directement auprès des employés. Les questionnaires étaient disponibles le même jour dans l’après-midi. Cette méthode est d’un apport considérable parce qu’elle permet au chercheur de guider les personnes participant à l’enquête et de répondre à leurs interrogation avant qu’ils ne remplissent le questionnaire. Cette méthode nous a permis d’augmenter le nombre de questionnaires exploitables dans la phase d’analyse des données. L’échantillon ciblé est formé de salariés cadres et non-cadres, essentiellement des techniciens supérieurs. Le taux des cadres est de 70% des répondants. Le tableau suivant résume l’essentiel de la démarche de recueil des données et en présente une description succincte.

Tableau 4.11- Questionnaires exploitables Entreprise Nombre de

copies distribuées

Nombre de copies collectées

Nombre de copies exploitables

Taux de questionnaires exploitables

SVX 40 35 35 100%

AVS 45 45 45 100%

ARF 35 25 24 96%

HBH 55 46 40 87%

PLN 85 56 49 87.5%

TNZ 90 61 57 93%

Total 350 268 250 93.28 %

Au total, 250 questionnaires ont servi à la production des données quantitatives de cette recherche. Les résultats des informations recueillies feront l’objet d’une discussion et d’une analyse approfondie dans le cadre du prochain chapitre.

233

Page 234: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Conclusion

L’opérationnalisation d’une recherche en sciences de gestion est un processus qui n’est pas exempt de biais et de risques. Pour minimiser ces facteurs, des allers-retours entre le terrain et le domaine théorique sont exigés. L’objectif de ces mouvements est de confronter les construits théoriques aux perceptions qu’ont en les gens sur le terrain. Ils permettent ainsi de stabiliser les construits de base de la recherche et de vérifier la plausibilité des liens rendus nécessaires par le cadre théorique progressivement construit par le chercheur. Les entretiens auprès des DRH et des cadres opérationnels ont permis d’apprécier la pertinence d’une intégration de la question de gestion des connaissances dans le domaine des ressources humaines. Ils ont également permis de réorienter certains questionnements qui ont été posés au moment où cette recherche a été engagée. Ainsi, nous avons renoncé à l’idée d’adopter une approche configurationnelle de la GRH qui mettrait sous examen deux catégories de politiques de GRH adaptées à deux stratégies de savoir différentes. La recherche exploratoire a aussi montré l’importance de considérer le rôle médiateur du capital humain et du climat d’apprentissage dans le modèle théorique. Les DRH ont soulevé à l’unanimité la nécessité de considérer les facteurs humains et culturels comme conditions nécessaires à toute œuvre de gestion des connaissances. Une telle assertion confirme, au passage, la pertinence d’une analyse du domaine du knowledge management à travers une perspective organisationnelle.

234

Page 235: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Outre l’investigation qualitative, l’opérationnalisation de l’étude s’est traduite par la conception du questionnaire de recherche. Les échelles de mesure ont été rigoureusement choisies dans la littérature spécialisée. Elles bénéficient de fiabilité et de validité prouvées dans des recherches antérieures. En outre, elles ont été mobilisées dans le cadre de recherches dont l’objet est proche de celui de cette étude (apprentissage, innovation, etc.). Quelques modifications ont été nécessaires pour améliorer la clarté et la compréhensibilité du questionnaire. La version finale du questionnaire, comportant 45 items, a été remplie par 268 salariés. Au total, 250 questionnaires se sont avérés exploitables.

Le cinquième chapitre aura pour objectifs d’apprécier la qualité de l’instrument de mesure, de tester les hypothèses de recherche et d’analyser les résultats en les confrontant à la littérature disponible et en inférant les implications managériales nécessaires.

Chapitre 5

Vers une meilleure compréhension du rôle de la GRH dans le management des savoirs :

validation empirique du modèle de recherche.

Dans le chapitre précédent, nous avons préparé le cadre opérationnel de la recherche en rendant compte des résultats d’une investigation qualitative exploratoire auprès de deux populations cibles : les opérationnels de l’exploitation et les responsables des RH. Les résultats de cette quête ont permis de « stabiliser » le modèle de recherche et de vérifier la plausibilité des liens qui relient ses différents construits. En outre, ce chapitre a été l’occasion de concevoir le questionnaire de recherche qui sera utilisé dans la deuxième phase de l’étude. L’objectif de ce cinquième et dernier chapitre est de valider empiriquement le modèle de recherche en appréciant la qualité des liens entre les différentes variables dépendantes, indépendantes et médiatrices. Au-delà de la signification strictement statistique des résultats à générer, nous nous attendons surtout à affiner notre compréhension de la contribution éventuelle des pratiques de GRH aux processus de gestion des connaissances ainsi que des mécanismes intermédiaires qui la sous-tendent. L’enjeu général de ce chapitre est

235

Page 236: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

de vérifier l’option théorique majeure de cette thèse selon laquelle les pratiques de GRH seraient un levier fondamental des capacités organisationnelles de création, de partage et d’application des connaissances. Rappelons que cette option est la résultante d’un travail de déconstruction théorique de la littérature sur le knowledge management dont le point focal est sans doute la remise en cause d’un déterminisme technologique jugé extrêmement réducteur. Pour générer les résultats empiriques, un certain nombre d’étapes seront mises en œuvre. La validation d’un modèle théorique est, en effet, un processus long et rigoureux. La première étape consiste à s’assurer de la qualité de l’instrument de mesure en procédant à une analyse factorielle exploratoire permettent de purifier les échelles de mesure utilisées (section I). Lors de la deuxième phase, nous procédons à l’étude des liens entre les différentes variables du modèle de recherche en mobilisant la technique des régressions linéaires. Cette phase devrait nous permettre de confirmer ou d’infirmer les hypothèses de recherche (section II). Sur la base de ces résultats, une discussion théorique des résultats sera engagée. Elle devra permettre d’en apprécier la pertinence au regard de recherches antérieures. En « contextualisant » ces résultats, la discussion théorique nous permettrait en deuxième temps de proposer un corps de recommandations managériales à même d’avancer notre compréhension des leviers de gestion des connaissances ainsi que du rôle que les professionnels des RH seraient appelés à jouer dans ce cadre (section III).

236

Page 237: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section I. Evaluation de la qualité du questionnaire de recherche

La validation d’un modèle théorique est un processus long et rigoureux. La première étape consiste à s’assurer de la qualité de l’instrument de mesure et de collecte des données quantitatives utilisé par le chercheur. Cette validation est rendue nécessaire par deux raisons. La première renvoie au fait que les variables constitutives du modèles sont par nature difficilement observables (capital humain, climat d’apprentissage, etc.). Il faudra donc s’assurer que les échelles de mesure adoptées rendent bien compte de leur réalité. La seconde raison tient à l’absence d’une correspondance directe entre les construits adoptés et les phénomènes réels. L’évaluation de la qualité de l’instrument de mesure peut être ramenée à la question centrale suivante : est-ce que les échelles qui composent cet outil permettent de saisir, de manière précise, constante, exclusive et exhaustive le construit censé être mesuré ? Cette question permet de rendre compte des deux critères de base utilisés par les chercheurs pour évaluer la qualité du questionnaire. Il s’agit respectivement de la fiabilité et de la validité. La fiabilité signifie que les échelles utilisées mesurent de façon précise et constante les construits étudiés. La validité signifie, quant à elle, que les échelles mesurent de façon exhaustive et exclusive les construits tels qu’ils ont été définis, et non d’autres construits.

L’analyse menée dans cette section est centrée sur les techniques exploratoires d’analyse de la validité et de la fiabilité des échelles de mesure. L’utilisation de ces techniques permet aussi de décrire, de réduire et de condenser la quantité importante de données recueillies par la diffusion du questionnaire afin de faciliter l’interprétation des résultats. Les techniques exploratoires aident notamment à apprécier la dimensionnalité, l’homogénéité et la cohérence interne des construits composant le modèle théorique et mesurés par les échelles qui composent le questionnaire de recherche. Elles s’appuient sur le recours à l’analyse factorielle exploratoire et la détermination des coefficients alpha de Cronbach. L’objectif de cette section est de présenter l’évaluation de la fiabilité et de la fiabilité des échelles de mesure des pratiques de gestion des ressources humaines orientées vers la gestion des connaissances, du capital humain, du climat d’apprentissage et des processus clefs de gestion des connaissances. Avant de procéder à ces analyses, il serait judicieux d’exposer succinctement les techniques d’analyse utilisées dans le cadre de cette thèse. Ensuite, il sera question d’appliquer ces multiples techniques aux échelles de mesure utilisées dans cette recherche. Les résultats de chaque type d’analyse seront exposés et analysés au fur et à mesure. Rappelons enfin que cette étape est fondamentale parce

237

Page 238: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

qu’elle nous permet d’apprécier la qualité de l’outil d’investigation. La qualité des résultats à attendre des régressions linéaires dépendra en grande partie du succès de la phase de validation des différentes échelles de mesure utilisées.I.1. Evaluation de la qualité du questionnaire : description des principales techniques d’analyse

Le questionnaire est l’instrument de recherche quantitatif le plus utilisé en sciences de gestion. Toutefois, cet outil n’est pas exempt de limites. Plusieurs insuffisances peuvent biaiser la qualité de l’information qu’il génère. Churchill (1979) en identifie au moins quatre : l’existence d’autres caractéristiques du phénomène étudié qui n’ont pas pu être identifiées et mesurées, des biais personnels associés à l’humeur des répondants, des facteurs de situation liés au contexte d’administration et de collecte du questionnaire, l’existence d’items ambigus et mal formulés. Pour corriger les effets de ces insuffisances, plusieurs techniques d’amélioration de la validité du questionnaire existent. Ces techniques demeurent exploratoires dans le sens où elles ne sont pas étayées par des hypothèses. Plusieurs critères de fiabilité et de validité peuvent guider l’appréciation de la qualité des échelles de mesure. De tels critères sont des indicateurs sous la forme de normes empiriques rigoureuses.

Un instrument de mesure fiable est un instrument qui génère les mêmes résultats s’il est administré une deuxième fois aux mêmes répondants dans les mêmes conditions. Selon Igalens et Roussel (1998 :121), « La fiabilité correspond à la cohérence entre les items qui sont censés mesurer un même concept. Le chercheur se pose la question de savoir si une personne interrogée va répondre à peu près de la même manière aux différents items servant à mesurer un même construit. S’il le vérifie, l’échelle présentera alors une bonne cohérence interne, elle sera donc fiable». En effet, la fiabilité d’un instrument de mesure est satisfaisante si les répondants sont attentifs, et différencient systématiquement les réponses qu’ils apportent aux items servant à mesurer des construits différents ou des facettes différentes d’un même construit.

Dans ce qui suit, nous discuterons deux éléments : l’appréciation de la fiabilité à travers l’analyse de la valeur de l’alpha de Cronbach et l’appréciation de la dimensionnalité des échelles à travers l’analyse factorielle en composantes principales. En effet, ces deux techniques sont indissociables. Selon Cortina (1993), Le coefficient alpha est utile pour estimer la fiabilité lorsqu’il porte sur une analyse des corrélations des items mesurant un construit unidimensionnel. L’unidimensionnalité

238

Page 239: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

doit donc être vérifiée au préalable. « Il importe d’utiliser au préalable une technique d’analyse factorielle afin de s’assurer de la dimensionnalité des construits. Pour démontrer l’unidimensionnalité, une première étape peut consister à conduire une analyse en composantes principales sur les items concernés. Ce qui fournit une information similaire à l’estimation de la précision. Si cette analyse suggère l’existence d’un seul facteur, l’alpha de Cronbach peut être utilisé pour conclure que l’ensemble des items est unidimensionnel. L’analyse en composantes principales ne permet pas à elle seule de conclure de l’unidimensionnalité (...) Autrement dit, l’alpha de Cronbach peut être utilisé pour confirmer l’unidimensionnalité ou pour mesurer la précision d’une dimension une fois que l’existence d’un facteur unique a été vérifiée » (Cortina, 1993 :103).

I.1.1 L’alpha de Cronbach comme critère d’évaluation de la fiabilité

Afin de tester la fiabilité d’une échelle de mesure, le chercheur peut avoir recours à plusieurs techniques comme celle de test/retest ou celle du split-half. Ces deux méthodes sont de moins en moins utilisées. Les chercheurs ont souvent recours à l’analyse du coefficient α, appelé aussi l’alpha de Cronbach. L’alpha renvoie au test de cohérence interne des échelles multi-items. Cette mesure trouve son origine dans le modèle de la vraie valeur. Elle est calculée à partir de la matrice des covariances de l’échantillon d’items. Il s’agit d’un coefficient de corrélation intragroupe généralisé, c’est-à-dire qu’un alpha de Cronbach satisfaisant signifie que les items sont corrélés entre eux, et suffisamment cohérents pour pouvoir être additionnés et former un score d’échelle. L’objectif de ce test de fiabilité est de vérifier que les items partagent des représentations communes. Une échelle de mesure dispose d’une bonne fiabilité (ou cohérence interne) si l’ensemble de ses items est cohérent. On dira alors que ces items mesurent précisément le phénomène étudié.

L’interprétation de la valeur de l’alpha de Cronbach s’appuie sur un ensemble de règles empiriques. Ces règles sont cependant variables. Elles sont d’abord nombreuses. Certaines d’entre elles font tout simplement appel au bon sens ; d’autres varient en fonction du contexte de l’étude et du degré d’instruction des répondants ou encore le nombre d’items composant une échelle. L’évaluation de la fiabilité de cohérence interne doit prendre en compte les intercorrélations entre les items d’une même échelle. Cortina (1993) estime que lorsque l’intercorrélation entre les items est faible, un bon niveau du coefficient alpha (supérieur à 0,70) s’explique plus par le nombre

239

Page 240: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

important des items de l’échelle ou par les redondances entre les énoncés que par la fiabilité de l’instrument de mesure. L’appréciation de la valeur du coefficient alpha doit donc être concomitante à l’analyse des corrélations entre les items (Cortina, 1993 ; El-Akremi, 2000). Par ailleurs, l’examen des intercorrélations entre les items est utile pour améliorer le coefficient alpha. En effet, si un item est nettement moins corrélé avec le score total de l’échelle, son élimination peut parfois améliorer la fiabilité de cohérence interne (Evrard, al., 1993). La règle la plus citée pour apprécier la valeur du coefficient alpha est due à Nunnally (1978) qui fixe le niveau minimal recommandé à 0,70. Dans certains cas, des alphas compris entre 0.6 et 0.7 sont acceptés. Le tableau suivant, adapté des travaux de El-Akremi (2000) synthétise toutes les informations relatives au coefficient alpha tout en appréciant ses forces et faiblesses.

Tableau 5.1- Pertinence, forces et faiblesses de l’alpha de Cronbach

Expressions

Objectif général Évaluer la précision et la stabilité de la mesure : tester la cohérence interne de l’échelle, les items censés mesurer un construit unique doivent être hautement intercorrélés

Liens avec la validité et l’homogénéité

La fiabilité de cohérence interne est une condition nécessaire mais non suffisante à la validité ;L’alpha peut être utilisé pour étayer l’homogénéité suite à l’analyse factorielle

Seuils recommandés

- Recherche exploratoire : 0,5 < < 0,7 ;recherche explicative : > 0,7- Norme empirique moyenne par méta-analyse : = 0,77 ; variable selon la nature du construit étudié et les conditions de l’étude (nombre d’items, niveau d’éducation des répondants...)

Limites L’alpha peut être artificiellement amélioré en augmentant le nombre d’items soumis à l’évaluation et en utilisant des énoncés assez redondants ;Il est difficile de connaître toutes les sources d’erreur, autres que celles provenant des items. D’où la nécessité de compléter l’analyse de la fiabilité par une analyse de la validité

Recommandations d’utilisation

Procéder au préalable à une analyse en composantes principales pour s’assurer de la dimensionnalité de l’échelle ;Tenir compte de la corrélation de chaque item avec le score total ;Relativiser la valeur d’alpha selon le nombre d’items de l’échelle et la nature du construit étudié.

240

Page 241: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Source : El-Akremi (2000 :295).

I.1.2 Evaluation de la dimensionnalité des échelles et rôle de l’analyse factorielle exploratoire.

L’analyse factorielle en composantes principales (ACP) est utilisée pour tester la dimensionnalité des construits censés être mesurés par le questionnaire de recherche. Le recours à une ACP permet de déterminer un nombre de facteurs principaux. Le nombre de ces facteurs peut correspondre à celui des dimensions théoriquement identifiées lors de la définition théorique du concept. En réalisant une ACP, le chercheur atteint deux objectifs (Hair et al., 1998). Le premier consiste à réduire le nombre important de données en résumant les nombreux items initiaux en un nombre limité de facteurs ou de composantes. Le second objectif consiste à vérifier l’unidimensionnalité ou la multidimensionnalité des construits en révélant les dimensions sous-jacentes à ces variables. On parle de multidimensionnalité lorsque l’analyse en composantes principales génère plusieurs facteurs et lorsque chaque facteur est clairement associé à des items censés mesurer une dimension donnée. L’unidimensionnalité est vérifiée lorsque l’ACP ne génère qu’un seul facteur ou composante. Toutefois, le chercheur est appelé à avoir recours à l’analyse de la fiabilité de cohérence interne par l’alpha de Cronbach pour se prononcer définitivement sur le caractère unidimensionnel d’une échelle censée mesurer un construit donné. C’est donc en combinant ACP et analyse de fiabilité pat l’alpha de Cronbach que l’unidimensionnalité est prouvée. On dira alors que les items qui composent un facteur mesurent avec précision et principalement le construit en question (Schmitt et Klimoski, 1991).

Dans le cadre de l’ACP, la détermination et la description des dimensions censées mesurer un construit implique deux actions simultanées. La première est l’extraction des dimensions principales du construit. Les dimensions retenues doivent restituer un seuil suffisant de variance totale, c’est-à-dire généralement plus de 50% (Igalens et Roussel, 1998 ; El-Akremi, 2000). Pour ce faire, une

241

Page 242: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

première technique consiste à ne sélectionner que les facteurs dont la valeur propre est supérieure ou égale à 1. En complément à cette technique, les facteurs sont retenus selon le résultat du Scree Test ou Test de l’éboulis qui repose sur l’examen de la courbe des valeurs propres. Il s’agit de déterminer dans cette courbe le point d’inflexion qui correspond au changement de signe dans les différences entre les valeurs propres consécutives. Ces résultats sont possibles via le logiciel SPSS.

Outre l’extraction des dimensions principales, le chercheur doit procéder à l’épuration des échelles de mesure dans le but de faciliter leur identification. Pour ce faire, le chercheur s’appuie essentiellement sur l’examen des contributions factorielles ou loadings des items sur les facteurs. Deux choix sont alors possibles selon le résultat de la première ACP. Le premier consiste à éliminer les items qui n’ont aucune contribution supérieure ou égale à 0,50 sur l’une des composantes principales identifiées (Evrard et al., 1993). Le second choix revient à éliminer les items ayant des contributions supérieures à 0,30 sur plusieurs facteurs (El-Akremi, 2000). Le choix de l’une ou l’autre des techniques revient aux préférences retenues par le chercheur.

Toutefois, avant de procéder à l’extraction des dimensions principales, le chercheur doit s’assurer du caractère « factorisable » des données. En effet, une analyse en composantes principales n’est pertinente que lorsque les données s’avèrent « factorisables ». Pour tester cette caractéristique, les chercheurs ont généralement recours au test de l’indicateur de Kaiser-Meyer-Oklin (KMO) qui est une mesure de précision de l’échantillonnage. Il s’agit d’une évaluation du degré d’intercorrélation entre les items. Cet indicateur varie entre 0 et 1. Pour que l’ACP soit pertinente, le KMO de l’analyse factorielle doit tendre vers 1. Des seuils empiriques d’acceptabilité sont ainsi établis par plusieurs chercheurs. On retient les seuils de Hair et al. (1998) pour qui, un KMO au dessous de 0.50 est inacceptable et n’autorise pas généralement au chercheur de procéder à une ACP. Mais la pertinence d’une ACP ne se mesure pas uniquement au regard de la valeur de l’indicateur KOM. En effet, d’autres conditions sont exigées pour qu’une ACP soit pertinente. Le tableau suivant, extrait des travaux de El-Akremi (2000), rend compte de ces conditions ainsi que d’autres informations sur la pertinence et la manière de procéder concrètement à une analyse en composantes principales.

Tableau 5.2- Pertinence et critères d’utilisation d’une ACP

242

Page 243: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Expressions

Objectifs - Condenser les données (items) en un nombre limité et interprétable de composantes ;- Identifier la structure sous-jacente aux différentes échelles ;- “Créer” les variables composées qui représentent ou remplacent les variables initiales lors des analyses ultérieures ;- Vérifier l’homogénéité et l’unidimensionalité des variables avant “confirmation” par le calcul de l’alpha de Cronbach

Utilité et pertinence de l’ACP

- Nature des variables : quantitatives d’intervalle ;- Taille de l’échantillon : N > 200 ;- Caractère factorisable : Test de Kaiser-Meyer-Oklin = KMO > 0.70 ; Test de Bartlett : Chi-deux/degré de liberté (X2 /ddl < 8)

Rotation Oblique : Oblimin avec un delta de corrélation de 0,1 ; un certain chevauchement entre les variables est donc prévu ; vérification de la “qualité” de la structure factorielle en opérant toutes les rotations possibles

Critères d’extraction des facteurs

- Le pourcentage de variance restitué : le plus élevé possible ;- Valeur propre supérieure à 1 et Scree test : lorsque le graphique décrit un coude, les axes factoriels suivant ce coude ne sont pas retenus ;- L’interprétabilité de l’axe ; à comparer avec le nombre de dimensions attendues ;- Trois items au moins par facteurs (une exception peut être faite si les items sont importants pour le reste des analyses)

Critères d’épuration des items

- Contribution factorielle (loading) > 0,5 sur un facteur et < 0,3 sur les autres facteurs extraits ;- Communalité > 0,5 ;- Plus de 2 items par facteur- Calcul de l’alpha de Cronbach pour chaque dimension après épuration

Source : El-Akremi (2000 :301).

243

Page 244: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

I.2. Structure factorielle et fiabilité des échelles des pratiques de GRH

Une question préalable consiste à se demander si les données sont « factorisables », c’est-à-dire si elles forment un ensemble suffisamment cohérent pour qu’il soit raisonnable d’y chercher des dimensions communes qui aient un sens et ne soient pas des artefacts statistiques (Evrard et al., 1993). Pour répondre à cette question, il existe deux indicateurs : le test de sphéricité de Bartlett (valeur entre 0.5 et 1) et le test MSA de Kaiser, Meyer et Olkin (significatif, p<0.05).

La qualité de la représentation indique le pourcentage de la variance de cette variable qui peut être expliqué avec les facteurs retenus : c’est la corrélation multiple au carré entre la variable et les facteurs (Manuel SPSS). Cet indicateur permet de répondre à la question suivante : la variable est-elle bien représentée par les axes ? La qualité de la représentation doit être supérieure à 0,5 pour chaque variable. Lorsqu’elle est inférieure à 0,5, la variable est exclue de l’analyse factorielle. Toutefois, si la pertinence d’une variable est théoriquement prouvée, on peut tolérer un seuil entre 0,4 et 0,5.

SPSS retient les axes dont la valeur propre est supérieure à 1. La valeur propre représente le pourcentage de variance expliqué par chaque facteur. Les axes retenus doivent expliquer plus de 60 % de la variance. Il s’agit ensuite d’examiner la matrice des composantes, lorsqu’aucune rotation n’a été réalisée, ou la matrice des composantes après rotation pour la rotation Varimax.

Les axes sont des combinaisons linéaires de variables : la matrice des composantes présente les corrélations entre les axes et les variables. Chaque variable doit être corrélée à un seul axe : la différence

244

Page 245: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

minimum de saturation entre la saturation sur l’axe principal et sur tout autre axe est 0,3. Si la différence est inférieure à 0,3, cela veut dire que la variable est corrélée à deux axes. Dans ce cas, il faut l’éliminer, et refaire une analyse factorielle.

La cohérence interne est « la qualité d’un instrument ou d’une échelle de mesure dont les différentes questions sont censées contribuer à mesurer le même phénomène ou les mêmes dimensions de ce phénomène » (Evrard et al., 1993). Pour l’appréhender, on utilise l’alpha de Cronbach. Il est nécessaire de vérifier que l’alpha de Cronbach est bien supérieur à 0,6 et qu’aucun item ne le détériore. SPSS fournit pour chaque item l’alpha de l’échelle si on enlève l’item. S’il est supérieur à l’alpha de l’échelle avec l’item, il faut l’éliminer, et refaire une analyse factorielle.

I.2.1 Echelle de l’empowerment

L’analyse factorielle effectuée sur l’échelle de l’empowerment a montré, comme c’est le cas dans la théorie, l’unidimensionnalité de cette échelle. Un seul facteur a donc été retenu. Les résultats de cette analyse en composantes principales sont donnés dans le tableau suivant :

Tableau 5.3- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle de l’empowerment

N= 250KMO= 0.753

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Contenu du travail variable .577 .785Liberté de décision .542 .821Confiance en sa compétence .688 .724Indépendance dans le travail .797 .796

Valeur propre 2.605% de variance 65.113

Coefficient alpha .81

Comme prévu dans la discussion théorique, l’échelle de l’empowerment est unidimensionnelle. Un seul axe a été retenu. La valeur propre est de 2.605. Cet axe explique plus de 65% de la variance totale. L’indicateur KMO est égal à 0.753. Il est donc de loin supérieur à 0.5. Cela veut dire que les données sont factorisables. Concernant la qualité de représentation des différents items, les

245

Page 246: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

résultats montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50. Tous les items sont donc bien représentés par l’axe factoriel retenu. L’examen de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles sont très satisfaisantes (les loadings). En outre, la cohérence interne de l’échelle de l’empowerment, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.81. Rappelons qu’en règle empirique, l’alpha inférieur à 0.6 n’est généralement pas retenu. Dans certains recherches, on exige un alpha supérieur à 0.7 tandis que dans d’autres cas, on se contente d’un alpha supérieur à 0.5. Cette dernière mesure est cependant mauvaise et ne permet pas de se prononcer correctement sur la cohérence de l’échelle.

I.2.2 Echelle des pratiques de management des performances

Rappelons d’abord que le concept de pratiques de management des performances a été emprunté aux travaux actuels s’inscrivant dans le champ du management stratégique des ressources humaines. Cette échelle composite renferme les trois dimensions relatives au management des performances, à savoir : le management par objectifs, l’évaluation des performances selon les résultats et enfin la rémunération au mérite. L’unidimensionnalité de l’échelle a pu être prouvée dans le cadre d’études théoriques antérieures. Les résultats de l’analyse factorielle exploratoire et ceux de la cohérence interne sont présentés dans le tableau suivant.

Tableau 5.4- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle des pratiques de management des performances

N= 250KMO= 0.591

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Evaluation des performances selon les résultats .553 .743Rémunération au mérite .503 .709Management par objectifs1 .638 .799Management par objectifs2 .777 .881

Valeur propre 2.471% de variance 61.764

Coefficient alpha .784

246

Page 247: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Comme démontré en théorie, l’échelle de mesure des pratiques de management des performances s’est avérée unidimensionnelle. L’analyse en composantes principales retient une dimension unique ayant une valeur propre supérieure à 1. La valeur propre dégagée est de 2.471. L’axe restitue 61.764% de la variance totale. Préalablement à cette ACP, l’indicateur KMO a restitué une valeur de 0.591, ce qui montre la pertinence d’opérer une analyse factorielle exploratoire.

Concernant la qualité de représentation des différents items, les résultats montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50. Tous les items sont donc bien représentés par l’axe factoriel retenu. Les items mesurant le management par objectifs sont, toutefois, mieux représentés sur l’axe factoriel. En outre, l’examen de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles sont très satisfaisantes. Elles oscillent entre 0.709 et 0.881. Enfin, la cohérence interne de l’échelle des pratiques de management des performances, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.784.

I.2.3 Echelle de mesure des pratiques de la formation

L’échelle de mesure des pratiques de formation se compose de quatre items. Elle se propose de mesurer la perception qu’ont les répondants de l’orientation des efforts de formation de leurs entreprises. Dans le dessein de la purifier, cette échelle a subi le même processus d’analyse factorielle exploratoire et d’analyse de la cohérence interne. Le tableau suivant rend compte des résultats qui mentionnent, essentiellement, le caractère unidimensionnel de l’échelle.

Tableau 5.5- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle de la formation

N= 250KMO= 0.515

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Formation spécifique 1 .317 .563Formation continue .522 .722Formation riche et variée .631 .794Formation spécifique 2 .793 .890

Valeur propre 2.262% de variance 56.543

Coefficient alpha .741

247

Page 248: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Comme stipulé dans le cadre théorique, l’échelle de mesure de la formation est à caractère unidimensionnel. L’indicateur KMO relatif à cette échelle est de l’ordre de 0.515. Bien qu’il ne soit pas suffisamment élevé, en comparaison avec les indices KMO des échelles précédentes, cet indicateur présente une valeur supérieure à 0.50. Selon ce seuil, les données sont factorisables. L’analyse en composantes principales retient une dimension unique ayant une valeur propre supérieure à 1. La valeur propre obtenue est de 2.262. L’axe factoriel retenu restitue 56.543% de la variance totale.

Concernant la qualité de représentation des différents items, les résultats montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50, sauf l’item 1 dont la qualité de représentation est de 0.317. Sa contribution factorielle est de l’ordre de 0.563. En outre, l’examen de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles sont très satisfaisantes. Enfin, la cohérence interne de l’échelle des pratiques de formation, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.741.

I.2.4 Echelle de mesure des pratiques de design du travail et de réseautage

Dans le cadre théorique de cette recherche, les pratiques de design du travail et de réseautage sont définies comme l'ensemble des modes d'organisation du travail et des relations qui permettent aux individus de travailler dans un cadre collectif et de mettre en commun leurs expertises. L'échelle de mesure de ces pratiques adoptée dans le cadre de cette recherche a été adaptée de l'échelle initiale développée par Collins et al, (2001), avec une fiabilité et une validité satisfaisantes (α = 0.84). La purification de cette échelle de mesure a été poursuivie selon le mode choisi pour les autres variables, soit une analyse factorielle exploratoire et une analyse de la cohérence interne par l’alpha de Cronbach. Comme nous le verrons, deux ACP consécutives ont été opérées. En effet, les premiers résultats ont permis l’extraction de deux axes factoriels. Le premier axe factoriel a une valeur propre de 2.320. Il explique à lui seul 46.39% de la variance totale. L’examen de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles des quatre premiers items sont très satisfaisantes. Pour l’axe 2, la valeur propre est de l’ordre de 24.049. L’item 5 est le seul à avoir une contribution factorielle satisfaisante. Ainsi, nous avons procédé à l’élimination de l’item 5, considéré

248

Page 249: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

comme item problématique. En effet, cet item semble être mal compris par ceux qui ont rempli le questionnaire. Il a aussi soulevé un certain nombre d’interrogation lorsque l’idée qui l’introduit a été évoquée dans le cadre de l’étude qualitative. Une seconde ACP a été opérée sans cet item. Elle donne les résultats suivants.Tableau 5.6- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle des pratiques de design du travail et de réseautage

N= 250KMO= 0.601

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Travail en équipes 1 .405 .636Travail en équipes 2 .523 .723Rotation des postes .690 .831Système de tutorat .684 .877

Valeur propre 2.301% de variance 57.537

Coefficient alpha .752

Comme le montrent ces résultats, la deuxième analyse factorielle, rendue nécessaire par les résultats de la première, a montré l’unidimensionnalité de l’échelle en question avec l’élimination de l’item 5, jugé problématique. Les résultats montrent un indicateur KMO et un pourcentage de variance satisfaisants. En outre, la cohérence interne de l’échelle est prouvée avec un alpha de 0.752.En guise de première conclusion, le tableau suivant synthétise la structure factorielle des quatre échelles mesurant les pratiques de GRH.

Tableau 5.7- Structure factorielle des pratiques de GRH : synthèse des résultats Echelles / Items (loadings) Alph

a

Echelle : Empowerment .81

le contenu de mon travail varie fréquemment .785

j’ai la liberté de décider sur la manière de faire mon travail .821

j’ai confiance en ma capacité à faire mon travail convenablement .724

J’ai une grande indépendance qui permet d’organiser, comme je veux, mon travail .796

Echelle : Pratiques de management des performances .784

249

Page 250: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’évaluation des performances est utilisée comme outil de développement professionnel .743

la rémunération est étroitement liée aux performances des employés .709

les employés ressentent la nécessité de réaliser leurs objectifs .799

des objectifs de performance clairs sont fixés pour chacun de nous .881

Echelle : Pratiques de la formation .741

mon entreprise m’encourage à suivre des formations qui concernent directement mon métier .563

mon entreprise encourage les plans d’éducation et de formation continue .722

mon entreprise me fournir un programme de formation riche et varié .794

mon entreprise prévoit un programme de formation spécifique pour mon métier. .890

Echelle : Pratique de design du travail et de réseautage .752

nous travaillons dans le cadre d’équipes composées de plusieurs métiers .636

les employés travaillent selon un mode d’organisation en équipes .723

nous utilisons la rotation des postes pour développer les compétences .831

nous utilisons un système de tutorat entre employés expérimentés et nouvelles recrues. .877

I.3. Structure factorielle et fiabilité des échelles de gestion des connaissances

Nous rappelons ici que la gestion des connaissances englobe trois construits distincts, à savoir la création, le partage et l’utilisation des connaissances. Les trois échelles ont été analysées distinctement selon les mêmes procédures imposées aux échelles des pratiques de gestion des ressources humaines. Les résultats sont discutés dans les développements suivants.

I.3.1 Echelle de mesure du processus de création des connaissances

250

Page 251: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La création des connaissances est le premier processus de gestion des connaissances. Dans le cadre de cette recherche, ce construit est défini comme l’ensemble des activités menées par les employés de l’entreprise et qui visent à stimuler l’innovation et le développement de nouvelles formes de savoirs et d’expertises dans l’organisation. L’échelle mesurant ce concept a été construite par Darroch (2003). Elle se compose de sept items. Selon la théorie, cette échelle est unidimensionnelle. L’analyse factorielle exploratoire a donné lieu à l’extraction de deux dimensions. Ensemble, elles résument 72.5% de la variance totale. Toutefois, l’examen de la matrice des composantes laisse montrer que la dimension 2 est corrélée à un seul item qui est l’item 7. De manière générale, on ne retient pas les axes factoriels expliqués par un seul facteur. La décision d’éliminer l’item 7, jugé problématique, était prise sur cette base. Cet item s’énonce comme suit : Dans mon entreprise, des séances de brainstorming collectif sont organisées pour développer de nouvelles idées. Ainsi, une deuxième ACP a été menée sur l’échelle composée désormais des six premiers items. Les résultats de cette ACP confirment l’unidimensionnalité de l’échelle de mesure du processus de création des connaissances. Les résultats sont consignés dans ce tableau.

Tableau 5.8- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du processus de création des savoirs

N= 250KMO= 0.688

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Résolution de problèmes1 .816 .719Résolution de problèmes2 .803 .768Innovation1 .750 .974Apprentissage .854 .784Innovation2 .817 .767Innovation3 .782 .773

Valeur propre 3.882% de variance 64.703

Coefficient alpha .88I.3.2 Echelle de mesure du processus de partage des connaissances

Dans le cadre de cette recherche, le partage des connaissances a été défini comme l'ensemble d'actions et de comportements affichés par un individu et qui visent le partage et la diffusion de ses connaissances. Le partage des connaissances a été mesuré sur une échelle de likert contenant six items. L’échelle mesurant ce construit a été empruntée aux travaux de Jaw et Liu (2003). L’échelle est unidimensionnelle. L’analyse factorielle réalisée dans le cadre de cette

251

Page 252: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

thèse a permis de vérifier l’unidimensionnalité et la cohérence interne de l’échelle après un certain nombre d’étapes. La première ACP subie par cette échelle fait ressortir deux axes factoriels dont la valeur propre est supérieure à 1. Ensemble, ces deux axes résument 65.2% de la variance. Toutefois, l’examen de la matrice des composantes montre que les items 1 (partage des connaissances entre individus) et 6 (combinaison des connaissances) sont problématiques dans le sens où ils sont fortement corrélés aux deux axes. Ils sont alors éliminés et une seconde ACP a été opérée sur les quatre items restants (2, 3, 4 et 5). Les résultats stipulent d’abord que les données sont factorisables. L’indicateur KMO est de l’ordre de 0.714. Ensuite, l’analyse permet d’extraire une seule dimension avec une valeur propre de 2.253, alors que l’axe retenu explique 56.33% de la variance. Ce seuil est supérieur à 50% et est considéré satisfaisant pour le besoin de cette recherche. Ainsi, nous avons retrouvé le caractère unidimensionnel de l’échelle suite à cette deuxième analyse factorielle exploratoire. En outre, l’examen de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles sont satisfaisantes. Elles oscillent entre 0.499 et 0.833. Enfin, la cohérence interne de l’échelle du processus de partage des connaissances, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.729. Le tableau suivant résume les résultats de la seconde ACP exploratoire subie par l’échelle.

Tableau 5.9- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du processus de partage des savoirs

N= 250KMO= 0.741

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Partage des connaissances entre les départements .249 .499Interaction1 .626 .791Intreaction2 .685 .827Disponibilité pour partage .693 .833

Valeur propre 2.253% de variance 56.33

Coefficient alpha .729

I.3.3 Echelle de mesure du processus d’application des connaissances

Sans la capacité à appliquer les connaissances, on ne peut parler d’apprentissage organisationnel (Garvin, 1993). Dans le cadre de cette thèse, nous définissons ce processus comme la capacité de l'entreprise à prendre des décisions et à être réactive et agile. Une entreprise qui

252

Page 253: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

applique convenablement ses connaissances est une entreprise agile, agressive et performante (Lee et al., 2005). La version originale de cette échelle est unidimensionnelle. Cette caractéristique ainsi que la cohérence interne ont été testées dans le cadre de cette recherche. Le tableau suivant rend compte des résultats de l’analyse factorielle exploratoire menée dans le cadre de cette recherche.

Tableau 5.10- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du processus d’application des savoirs

N= 250KMO= 0.714

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Réactivité concurrentielle .601 .775Réactivité commerciale .612 .783innovation .499 .707agilité organisationnelle .588 767

Valeur propre 2.301% de variance 57.533

Coefficient alpha .746

Comme stipulé dans le cadre théorique, l’échelle de mesure du processus d’application des connaissances est à caractère unidimensionnel. L’indicateur KMO relatif à cette échelle est de l’ordre de 0.714. Selon ce seuil, les données sont factorisables. L’analyse en composantes principales retient une dimension unique ayant une valeur propre supérieure à 1. La valeur propre obtenue est de 2.301. L’axe factoriel retenu restitue 57.533% de la variance totale.

Concernant la qualité de représentation des différents items, les résultats montrent qu’elles sont toutes supérieures à 0.50, sauf l’item 3 (interaction2) dont la qualité de représentation est de 0.499. Sa contribution factorielle est de l’ordre de 0.707, ce qui permet de le garder. En outre, l’examen de la matrice des composantes montre que les contributions factorielles sont très satisfaisantes. Enfin, la cohérence interne de l’échelle du processus d’application des connaissances, mesurée par l’alpha de Cronbach, est élevée. Elle est de l’ordre de 0.746. En guise de deuxième conclusion, le tableau suivant synthétise la structure factorielle des trois échelles mesurant les processus de gestion des connaissances. Tableau 5.11- Structure factorielle des processus de gestion des connaissances : synthèse des résultats

Echelles / Items (loadings) Alph

253

Page 254: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

a

Echelle : Processus de création des connaissances .88

les employés travaillent ensemble pour résoudre les problèmes professionnels .719

les employés sont toujours disponibles pour discuter de nouvelles idées au travail .768

les employés échangent facilement des idées qui leur permettent de créer de nouvelles approches au travail .974

les employés apprennent les uns des autres quotidiennement .784

les employés sont créatifs et apportent souvent des solutions originales .767

les employés développent de nouveaux savoir-faire pratiques .773

Echelle : Processus de partage des connaissances .729

les différentes directions sont encouragées à partager leurs savoirs et savoir-faire .499

J’interagis fréquemment avec les autres pour mettre à niveau mes connaissances .791

les personnes ont appris à combiner leurs différentes expertises pour le bien du travail .827

les employés ne trouvent pas de difficultés à contacter leurs collègues pour demander des informations .833

Echelle : Processus d’application des connaissances .746

mon entreprise répond rapidement aux actions de nos concurrents directs .775

mon entreprise actualise périodiquement ses produits pour satisfaire ses clients .783

mon entreprise offre souvent de nouveaux produits/services .707

mon entreprise répond rapidement aux changements de son environnement économique et technologique 767

I.4. Structure factorielle et fiabilité des échelles de capital humain et de climat d’apprentissage

254

Page 255: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

I.4.1 Echelle de mesure du capital humain

L’échelle de mesure du construit capital humai a été empruntée au travail de Youndt et snell (2004). Cette échelle se compose de 5 items. Sa fiabilité est élevée avec un alpha dépassant le seuil du 0.80. Cette échelle a été choisie dans le cadre de cette thèse parce qu’elle a été forgée dans le cadre d’une recherche similaire à la notre (relation entre configurations de GRH et capital intellectuel et social de l’entreprise). Sa purification a subi le même processus que pour les autres construits de cette recherche c'est-à-dire une analyse de la dimensionnalité à travers l’analyse factorielle exploratoire et une analyse de la cohérence interne en se référant au coefficient de l’alpha de Cronbach. A l’instar d’autres construits, celui mesurant le capital humain est unidimensionnel. Toutefois, l’ACP réalisée a permis d’extraire deux dimensions ayant une valeur propre supérieure à 1. L’examen des contributions factorielles montre néanmoins que la deuxième dimension est représentée par un seul item, le cinquième. Cet item a été retiré et une seconde analyse factorielle a été réalisée sur les quatre premiers items de l’échelle. L’examen des résultats de cette deuxième analyse factorielle exploratoire réhabilite l’unidimensionnalité de l’échelle. En effet, les indicateurs montrent d’abord un indice KMO de l’ordre de 0.515, qui, en dépit de sa faiblesse relative, permet de factoriser les données. Un seul axe est retenu avec une valeur propre de l’ordre de 2.262. Cet axe restitue 56.54% de la variance totale. La matrice des composantes montre une bonne contribution factorielle des quatre items. Enfin, l’échelle dispose d’une bonne cohérence interne avec un alpha de l’ordre de 0.741. Tous les résultats générés par cette deuxième ACP sont présentés dans le tableau suivant.

Tableau 5.12- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du capital humain

N= 250KMO= 0.515

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Valeur du capital humain1 .317 .563Valeur du capital humain2 .522 .722Valeur du capital humain3 .631 .794Unicité du capital humain .793 .890

Valeur propre 2.262% de variance 56.54

Coefficient alpha .741

I.4.2 Echelle de mesure du climat d’apprentissage

255

Page 256: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Le construit « climat d'apprentissage » renvoie à la dimension culturelle du knowledge management. Il a été défini dans le cadre de cette recherche comme l'ensemble des attributs culturels d'une entreprise orientés vers la gestion des savoirs et l'apprentissage. Ce concept a été dérivé d'un concept plus ancien et mieux connu, à savoir le climat organisationnel, lui-même découlant des recherches dans le domaine de la culture de l'entreprise. Dans le cadre de cette recherche, nous utilisons l'échelle développée par Jaw et Liu (2003) et qui se compose de six items. Cette échelle bénéficie d'une excellente fiabilité. En plus, elle a été développée dans le cadre d'une étude dont l'objet est très proche de celui de notre recherche.

L’analyse factorielle exploratoire pratiquée sur cette échelle révèle au début une structure bidimensionnelle. Toutefois, et à l’instar de l’échelle du capital humain, la deuxième dimension est représentée seulement par l’item 6. Ce dernier est alors éliminé. Une deuxième ACP est exécutée sur les cinq premiers items de l’échelle. Sa pertinence a été établie sur la base de l’indicateur KMO qui s’élève à 0.661. Ensuite, l’analyse factorielle révèle que le facteur principal restitue plus de 66% de la variance. Les contributions factorielles des différents items sont satisfaisantes. La qualité de représentation est également fort intéressante. Enfin, l’échelle à cinq items dispose d’une très bonne fiabilité interne avec un alpha de Cronbach de l’ordre de 0.87. Le tableau suivant explicite les résultats relatifs à l’épuration de cette échelle de mesure.

Tableau 5.13- Résultats de l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle du climat d’apprentissage

N= 250KMO= 0.661

Libellés des items Qualité de représentation

Contribution factorielle

Relations amicales .885 .861coopération .542 .633Ouverture1 .986 .833Ouverture2 .910 .875Confiance .987 .838

Valeur propre 3.304% de variance 66.075

Coefficient alpha .87

256

Page 257: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section II. Résultats de la recherche et examen des hypothèses

L'étape d'analyse de la qualité de l'instrument de mesure par le recours aux indicateurs combinés de l'analyse factorielle exploratoire et de l'alpha de Cronbach nous a permis de purifier les échelles qui mesurent les différents construits de notre modèle. Ces mesures épurées vont être maintenant utilisées pour tester la significativité des relations entre variables dépendantes, variables indépendantes et variables médiatrices. Le test de la significativité des relations débouche sur la confirmation ou l'infirmation des hypothèses de recherche. Nous rappelons à ce niveau que nous avons défini, dans le cadre du chapitre trois, trois grands blocs d'hypothèses. Le premier bloc met en relation les pratiques de GRH censées favoriser la gestion des connaissances et les variables médiatrices, c'est-à-dire le capital humain et le climat d'apprentissage. Dans l'esprit de cette recherche, les pratiques de GRH devraient influencer d'abord la valeur du capital humain de l'entreprise ainsi que les conditions culturelles orientées vers l'apprentissage, ce qui déboucherait, en deuxième lieu, sur une amélioration des capacités de gestion des connaissances. Toujours dans cette perspective de décomposition du modèle global, le deuxième bloc d'hypothèses met en relation d'une part le capital humain et le climat d'apprentissage et d'autre part, les processus de création, de partage et d'application des connaissances. Ces trois processus sont considérés dans cette relation comme des variables dépendantes, alors que le capital humain et le climat d'apprentissage se transforment en variables indépendantes ou explicatives. Le troisième bloc d'hypothèses concerne les hypothèses relatives aux rôles médiateurs du capital humain et du climat d'apprentissage. Pour tester la significativité des relations entre ces différentes variables et se prononcer sur les hypothèses de recherche (par confirmation ou infirmation), nous recourons à la technique de la régression linéaire. Le logiciel SPSS permet de donner ces résultats. Les coefficients non significatifs (T < 1,96 ; p 0,05) montrent alors que dans le cas de l’échantillon étudié le lien entre les deux variables concernées est extrêmement faible ou même nul. Autrement dit, un lien non significatif montre que la variable indépendante n’a pas d’influence sur la variable dépendante dans le cas de l’échantillon étudié. En outre, il n’existe pas de valeur limite pour apprécier la part de variance restituée R2. L’évaluation de ce coefficient doit être orientée par les fondements théoriques du phénomène expliqué, la connaissance des facteurs qui l’influencent, le bon sens, et la comparaison aux valeurs obtenues dans le cadre de recherches similaires (Hair et al., 1998). C'est pour cette raison que nous allons nous en tenir aux trois indicateurs suivants: le T de Student, le coefficient de régression β

257

Page 258: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

ainsi que le terme d'erreur. Ces indicateurs suffisent pour tester les relations entre les variables du modèle. Les résultats sont d’abord présentés et discutés au fur et à mesure. Une discussion générale des résultats est subséquemment effectuée.II.1. Test des hypothèses relatives à la relation entre les pratiques de GRH et les variables potentiellement médiatrices

Comme convenu, nous adopterons une démarche progressive qui permet de vérifier chaque bloc d’hypothèses à part. Cette partie sera subdivisée en deux sous-parties. Dans le cadre la première, il sera question de tester la significativité des relations entre les pratiques de GRH et le capital humain de l’entreprise. Rappelons à ce stade que lors de la modélisation théorique, nous n’avons pas émis d’hypothèse qui concerne l’impact des pratiques de design du travail et de réseautage sur le capital humain. Une telle option est possible lorsque les fondements théoriques retenus ne permettent pas de retenir l’hypothèse. Rappelons dans cet ordre d’idée que la formulation d’hypothèses de recherche doit être étayée par une argumentation théorique solide. Dans le cadre de la deuxième partie, nous testons la significativité des relations entre les pratiques de GRH et le climat d’apprentissage.

II.1.1 Pratiques GRH-capital humain : test des hypothèses

La première hypothèse formulée dans ce cadre est la suivante : les pratiques d’empowerment influencent positivement le capital humain. Le résultat de la régression montre que l’empowerment influence significativement et positivement le capital humain de l’entreprise (β= 0.153; T= 2.441, p= 0.01). Ainsi, la responsabilisation des employés et l’octroi d’une marge de manœuvre et d’expérimentation renforcent la valeur et l’unicité des compétences des employés. L’hypothèse H1.1 est donc confirmée.

La deuxième hypothèse dans ce premier bloc est la suivante : les pratiques de formation influencent positivement le capital humain de l’entreprise. Le résultat de la régression montre que la formation influence significativement et positivement le capital humain de l’entreprise (β= 0.681; T= 14.635, p= 0.000). La valeur du coefficient de régression montre que la formation détermine en très grande partie la qualité des individus qui travaillent dans l’entreprise. L’hypothèse H1.2 est alors confirmée.

La force de l’impact de la formation sur le capital humain est également vérifiée pour les pratiques de management des

258

Page 259: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

performances. En effet, la régression concernant la troisième hypothèse (les pratiques de management des performances influencent positivement le capital humain) montre un impact extrêmement significatif des pratiques de management des performances. Rappelons que ces pratiques renvoient simultanément aux politiques de management par objectifs, évaluation des performances et rémunération au mérite. Les indicateurs suivants concernent cette relation (β= 0.930; T= 39.89, p= 0.000). L’hypothèse H1.3 est alors confirmée. En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces trois premières hypothèses de recherche.

Tableau 5.14- Récapitulatif des résultats des relations entre les pratiques de GRH et le capital humain de l’entreprise

Capital humain Validation de l’hypothèse

Empowerment des collaborateurs

*0.153**0.063***2.441

H1.1 est confirmée.

Pratiques de formation *0.681**0.048

***14.635

H1.2 est confirmée.

Management des performances

*0.930**0.023

***39.893

H1.3 est confirmée.

*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student.

II.1.2 Pratiques GRH-climat d’apprentissage : test des hypothèses

Cette deuxième série d'hypothèses porte sur la contribution éventuelle des pratiques de gestion des ressources humaines au climat d'apprentissage dans l'entreprise. La première hypothèse formulée dans ce sens stipule que les pratiques d’empowerment influencent positivement le climat d’apprentissage. Les résultats de la régression menée montrent que la relation entre ces deux variables n’est pas significative (β= -0.035; T= -0.556, p= 0.578). Contrairement à ce qui a été anticipé sur le plan théorique, le fait de responsabiliser les collaborateurs et de développer leur autonomie n’a pas d’influence sur la qualité des relations interpersonnelles dans l’entreprise. L’hypothèse H2.1 est alors infirmée.

La deuxième hypothèse dans ce cadre est la suivante : les pratiques de design du travail et de réseautage influencent positivement le climat d’apprentissage. Les résultats de la régression effectuée

259

Page 260: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

montrent l’existence d’une relation fortement significative entre variable indépendante et variable dépendante (β= 0.644; T= 13.265, p= 0.000). Le design du travail autour d’équipes organisées et la création d’espaces sociaux d’intégration et de réseautage semblent déterminants dans l’amélioration du climat d’apprentissage dans l’entreprise. L’hypothèse H2.2. est ainsi confirmée.

A l’instar de H2.1, l’hypothèse H2.3 est également infirmée. Cette hypothèse stipule que les pratiques de management des performances influencent positivement le climat d’apprentissage. L’examen des résultats de la régression menée à cet effet laisse montrer l’absence de tout lien significatif entre les deux variables. Les coefficients suivants ont été relevés lors de cette régression (β= 0.067; T= 1.051, p= 0.294).

En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces trois premières hypothèses de recherche.

Tableau 5.15- Récapitulatif des résultats des relations entre les pratiques de GRH et le climat d’apprentissage

Climat d’apprentissag

e

Validation de l’hypothèse

Empowerment des collaborateurs

*-0.053**0.063

***-0.556 non.sig

H2.1 est infirmée.

Pratiques de design du travail et de réseautage

*0.644**0.048

***13.265

H2.2 est confirmée.

Management des performances

*0.067**0.063

***1.051 non.sig

H2.3 est infirmée.

*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student / non.sig=non significatif

260

Page 261: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.2. Test des hypothèses relatives à la relation entre les variables potentiellement médiatrices et les processus de gestion des savoirs

Le deuxième bloc d’hypothèses à tester est celui relatif à la relation entre les variables potentiellement médiatrices (capital humain et climat d’apprentissage) et les processus clefs de gestion des savoirs. La modélisation des liens entre ces différentes variables a été rendue nécessaire par la mobilisation des apports de la théorie de l’encastrement social. L’inscription sociale du savoir appelle à considérer deux aspects fondamentaux : la compétence des acteurs et leur volonté de s’engager dans des processus coopératifs. Une gestion des connaissances réussie s’appuierait donc sur des individus compétents qui s’investissent dans un cadre de travail favorisant l’apprentissage, l’échange constructif et le renouvellement. Deux séries d’hypothèses ont été développées sur la base de l’investigation théorique. La première s’attache à révéler la nature des liens entre d’une part le capital humain et d’autre part, les processus de création et d’application des connaissances. La seconde porte sur la relation potentielle entre d’une part le climat d’apprentissage et d’autre part, les processus de création, de partage et d’application des connaissances. Les résultats relatifs à ces deux séries d’hypothèses seront exposés dans les développements suivants.

II.2.1 Capital humain et gestion des connaissances: test des hypothèses

La première hypothèse dans ce cadre stipule que le capital humain influence positivement le processus de création des connaissances. Les résultats relatifs à cette régression montrent que le capital humain influence les capacités organisationnelles de création des connaissances. Les coefficients suivants ont été révélés par la régression (β= 0.212; T= 3.409, p= 0.001). Ainsi, l’hypothèse H3.1 est

261

Page 262: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

confirmée. Ainsi, la création des connaissances dépend de la valeur des compétences réellement détenues par le personnel de l’entreprise.

L’analyse des régressions permet également de confirmer la deuxième hypothèse H3.2 selon laquelle le capital humain influence positivement le processus d’application des connaissances. Disposer d’un capital humain de haute valeur et unique améliore la réactivité de l’organisation et ses capacités innovatives. Les coefficients suivants ont été révélés par la régression (β= 0.268; T= 4.374, p= 0.000). Ainsi cette première série d’hypothèses permet de montrer la contribution du capital humain aux processus de création et d’application des connaissances. L’apprentissage de l’entreprise dépend donc des compétences effectivement détenues par son personnel et l’intelligence qu’il recèle. La confirmation de ces hypothèses nous conforte dans les choix conceptuels selon lesquels l’apprentissage est d’abord tributaire des personnes qui le mettent en œuvre. En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces deux hypothèses de recherche.

Tableau 5.16- Récapitulatif des résultats des relations entre le capital humain et la gestion des savoirs

Création des savoirs Application des savoirs

Capital humain*0.212**0.062***3.409

*0.268**0.061***4.374

Validation des hypothèses

L’hypothèse H3.1 est confirmée

L’hypothèse H3.2 est confirmée

*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student

II.2.2 Climat d'apprentissage et gestion des connaissances: test des hypothèses

Trois hypothèses ont été formulées. La première propose l'existence d'un lien significatif entre le climat d'apprentissage et le processus de création des savoirs. Dans cette logique, l'innovation et le développement de nouvelles connaissances sont tributaires du climat de travail. Plus ce climat est marqué par la coopération, la confiance et l'ouverture aux autres, meilleures seront les capacités innovatives de l'organisation. Confirmant nos attentes formulées sur le plan théorique, la régression menée dans ce cadre montre la significativité de ce lien.

262

Page 263: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les résultats dégagent les coefficients suivants (β= 0.209; T= 3.373, p= 0.001). L’hypothèse H4.1 est donc confirmée.

C’est également le cas de la deuxième hypothèse H4.2 qui stipule que le climat d’apprentissage influence positivement le processus de partage des connaissances. En effet, la régression opérée montre des coefficients significatifs (β= 0.501; T= 9.118, p= 0.000). Le comportement de diffusion des savoirs et de partage d’expertise serait ainsi significativement influencé par la présence de variables culturelles orientées vers l’apprentissage. Toutefois, il ne semble pas que la présence d’un climat d’apprentissage ait une incidence significative sur les capacités d’application des connaissances. Ainsi, l’innovativité, l’agilité et la réactivité d’une organisation ne dépendent pas, dans le cadre de l’échantillon de cette étude, des facteurs culturels orientés vers l’apprentissage. L’hypothèse H4.3 selon laquelle le climat d’apprentissage influence positivement le processus d’application des connaissances est alors infirmée. Ce résultat est quelque peu surprenant dans la mesure où le climat d’apprentissage détermine significativement les deux autres processus de gestion des savoirs. Une interprétation sera donnée subséquemment.

En guise de synthèse, le tableau suivant présente les résultats relatifs à ces deux hypothèses de recherche.

Tableau 5.17- Récapitulatif des résultats des relations entre le climat d’apprentissage et la gestion des savoirs

Création des savoirs

Partage des savoirs

Application des savoirs

Climat d'apprentissage

*0.209**0.062***3.373

*0.501**0.056***9.118

*0.104**0.063

***1.646 non.sig

Validation des hypothèses

L’hypothèse H4.1 est confirmée

L’hypothèse H4.2 est confirmée

L’hypothèse H4.3 est infirmée.

*Coefficient de régression **Terme d’erreur ***T de Student / non.sig=non significatif

263

Page 264: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

II.3. Test des hypothèses relatives au rôle médiateur du capital humain L’objectif de cette section est de se prononcer sur l’existence ou non d’un rôle médiateur du capital humain entre les pratiques de gestion des ressources humaines et les processus de gestion des connaissances. De plus en plus de recherches en sciences de gestion accordent de l’intérêt à l’étude de ce genre de mécanisme. En théorie, une variable médiatrice (Z) intervient dans la relation entre une variable indépendante (X) et une variable dépendante (Y). La variable médiatrice agit, en fait, sur la variable dépendante tout en étant elle-même influencée par la variable indépendante. En d’autres termes, une variable médiatrice est un point de passage de l’effet de la variable explicative (appelée aussi variable exogène) sur la variable expliquée (appelée variable endogène du modèle). Dans cette approche, « la relation entre la variable indépendante et la variable dépendante est décomposée en effet direct et en effet indirect qui est l’effet médiateur » (Evrard et al., 1993 :499).

Pour tester le caractère médiateur d’une variable dans un modèle quelconque, Baron et Kenny (1986) et Kenny et al., (1998) proposent une série de quatre tests successifs et nécessaires. On distinguera alors les étapes suivantes :Etape 1. Montrer que le lien entre la variable indépendante X et la variable dépendante Y est significatif pour vérifier l’existence d’un lien à médiatiser. Dans la régression de Y sur X, le coefficient de régression doit être significatif. A défaut, on s’arrête au niveau de cette phase pour conclure de l’absence d’un effet médiateur.

264

Page 265: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Etape 2. Montrer que la variable indépendante X a un impact significatif sur la variable médiatrice Z. Dans la régression de Z sur X, le coefficient doit être significatif. Etape 3. Montrer que le lien entre la variable médiatrice Z et la variable dépendante Y est significatif. Il s’agit de faire une régression de Y sur, à la fois, Z et X. En contrôlant X, le coefficient entre Z et Y doit rester significatif. Etape 4. Pour s’assurer de l’existence d’une médiation complète par la variable médiatrice Z, le coefficient liant X et Y devient nul en contrôlant Z. Il s’agit de vérifier que ce coefficient = 0 en présence de Z. Si ce résultat n’est pas vérifié, la médiation de Z est partielle. Ces quatre étapes doivent être successivement réalisées afin de prouver l’existence d’un effet médiateur intégral d’une variable donnée. Si seulement les trois premières étapes sont vérifiées, le rôle médiateur n’est que partiel (El-Akremi, 2005). Les étapes 2 et 3 sont donc essentielles pour s’assurer de l’existence de l’effet médiateur. La méthode de Baron et Kenny (1986) sera appliquée à l’étude des hypothèses de médiation dans cette recherche. II.3.1 Empowerment et création des savoirs : rôle médiateur du capital humain

La première hypothèse de médiation est la suivante : le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs. Pour vérifier l’existence ou non de ce rôle médiateur, nous procédons étape par étape.

1. Dans un premier temps, le lien entre la variable indépendante et la variable dépendante doit être testé. Dans le cas de cette recherche, il s’agit de vérifier l’existence d’une relation directe entre les pratiques d’empowerment et le processus de création des savoirs. Une régression est alors opérée. Les résultats montrent que la relation entre les deux variables est significative avec un coefficient de régression de 0.265 et un T de Student de 4.336 (β= 0.265; T= 4.336, p= 0.000).

Figure 5.1- Lien direct entre l’empowerment et la création des savoirs0.265 (T = 4.336)

Pratiques d’empowerment

Creation des savoirs

265

Page 266: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

2. La deuxième étape consiste à montrer que la variable indépendante a un effet sur la variable médiatrice. Dans ce cas, il s’agit de prouver l’existence d’un lien entre les pratiques d’empowerment et le capital humain. Cette relation a déjà fait l’objet d’une régression qui a montré l’existence d’une relation significative entre les deux variables (voir tableau 5-14).

Figure 5.2- Relation entre l’empowerment et le capital humain

3. Une fois les deux premières étapes réalisées avec succès, nous passons à la troisième étape tel que suggéré par Baron et Kenny (1986). Cette étape consiste à faire une régression de la variable dépendante sur à la fois la variable potentiellement médiatrice et la variable indépendante. L’hypothèse de médiation est vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques d’empowerment et le capital humain) est significative avec un coefficient de régression de 0.175 et un T de Student de 2.866. En outre, le capital humain influence positivement à son tour la création des savoirs avec un coefficient de régression de 0.239 et un T de Student de l’ordre de 3.908. Ces deux liens étant significatifs, cela veut dire que l’hypothèse selon laquelle le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs est confirmée.

Figure 5.3- Médiation partielle du capital humain entre l’empowerment et la création des savoirs.

0.239 (3.908)0.175 (2.866)

Pratiques d’empowerment

Création des savoirs

Capital humain

0.174 (2.786)

0.153 (T = 2.441)Pratiques d’empowerment

Capital humain

266

Page 267: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

4. La quatrième et dernière étape consiste à définir le type de cette médiation : partielle ou intégrale. La nature de la médiation est déterminée par la significativité du lien direct entre la variable indépendante et celle dépendante en présence de la variable médiatrice. Au cas où ce lien est significatif, la médiation est dite partielle. Au cas contraire, elle est complète. Dans le cas de l’échantillon de notre étude, cette relation directe entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs, en présence de la variable capital humain est significative avec les valeurs suivantes (β= 0.174; T= 2.786, p= 0.006). Ce résultat est reporté sur la figure 5-3.

Au terme de cette première série d’analyses par l’approche de Baron et Kenny (1986), il est possible d’affirmer l’existence d’un lien médiateur partiel du capital humain entre les pratiques d’empowerment et les capacités de création des savoirs de l’entreprise. Dans le cas d’une médiation partielle, l’introduction d’une variable médiatrice (capital humain ici) dans le modèle réduit le lien direct initial entre la variable indépendante et la variable indépendante sans pour autant l’annuler complètement. « Si la médiation est partielle, l’effet direct entre variables explicative et expliquée doit être inférieur à l’effet initial calculé en l’absence de la variable médiatrice » (El-Akremi, 2005 :329). C’est le cas de nos résultats où l’effet initial est de l’ordre de 0.265 alors que l’effet direct calculé après introduction de la variable médiatrice baisse à 0.174. Au terme de cette discussion, l’hypothèse H5.1 est confirmée. II.3.2 Formation et création des savoirs : rôle médiateur du capital humain

La deuxième hypothèse de médiation est la suivante : le capital humain joue un rôle de médiation entre la formation et la création des savoirs. Pour vérifier l’existence ou non de ce rôle médiateur, nous procédons de la même manière que pour l’hypothèse précédente.

1. Dans un premier temps, le lien entre la variable indépendante et la variable dépendante doit être testé. Dans le cas de cette recherche, il s’agit de vérifier l’existence d’une relation directe entre les pratiques De formation et le processus de création des savoirs. Les résultats de la régression prouvent que la relation entre les deux variables est significative avec un coefficient de régression de 0.212 et un T de Student de 3.409 (β= 0.212; T= 3.409, p= 0.001). Ces coefficients montrent qu’il existe un lien susceptible d’être médiatisé par le capital humain.

Figure 5.4- Lien direct entre la formation et la création des savoirs0.212 (T = 3.409)

Pratiques d’empowerment

Creation des savoirs267

Page 268: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

2. La deuxième étape consiste à montrer que la variable indépendante a un effet sur la variable médiatrice. Dans ce cas, il s’agit de prouver l’existence d’un lien entre les pratiques de formation et le capital humain. Cette relation a déjà fait l’objet d’une régression qui a montré l’existence d’une relation fortement significative entre les deux variables (voir tableau 5-14).Les coefficients suivants ont été retrouvés (β= 0.681; T= 14.635, p= 0.000).

Figure 5.5- Relation entre la formation et le capital humain

3. La troisième étape de cette investigation consiste à faire une régression de la variable dépendante sur à la fois la variable potentiellement médiatrice et la variable indépendante. L’hypothèse de médiation est vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques de formation et le capital humain) n’est pas significative avec un T de Student pratiquement nul. Pour la seconde régression, le capital humain influence positivement à son tour la création des savoirs avec un coefficient de régression de 0.212 et un T de Student de l’ordre de 3.409. Le fait que l’un de ces liens ne soit pas significatif veut dire que le capital humain ne joue pas de rôle médiateur dans cette relation. Cela veut dire que l’hypothèse selon laquelle le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de formation et la création des savoirs n’a pas été vérifiée dans le cadre de l’échantillon de cette étude. L’hypothèse H5.2 est alors infirmée.

II.3.3 Empowerment et application des savoirs : rôle médiateur du capital humain

L’hypothèse H5.3 stipule l’existence d’un effet médiateur du capital humain entre les pratiques d’empowerment et le processus d’application des connaissances. Selon cette logique, une amélioration des degrés d’autonomie et de responsabilisation des employés de l’entreprise entrainerait une valorisation de leurs compétences. Ces dernières auraient alors un effet positif sur les capacités de réactivité concurrentielles et commerciale ainsi que sur l’agilité de l’organisation

0.681 (T = 14.635)Pratiques de formation Capital humain

268

Page 269: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

face à ses concurrents. Pour tester la véracité de cette hypothèse, nous adoptons la même démarche que pour les deux premières hypothèses.

1. Dans un premier temps, le lien entre la variable indépendante et la variable dépendante doit être testé. Dans le cas de cette recherche, il s’agit de vérifier l’existence d’une relation directe entre les pratiques d’empowerment et le processus d’application des savoirs. Les résultats de la régression prouvent que la relation entre les deux variables est fort significative avec un coefficient de régression de 0.558 et un T de Student de 10.585 (β= 0.558; T= 10.585, p= 0.000). Ces coefficients montrent qu’il existe un lien susceptible d’être médiatisé par le capital humain.

Figure 5.6- Lien direct entre la formation et l’application des savoirs

2. La deuxième étape consiste à montrer que la variable indépendante a un effet sur la variable médiatrice. Dans ce cas, il s’agit de prouver l’existence d’un lien entre les pratiques d’empowerment et le capital humain. Cette relation a déjà fait l’objet d’une régression qui a montré l’existence d’une relation significative entre les deux variables. Le coefficient de corrélation est 0.153 (T = 2.441). 3. Lors de la troisième étape, l’hypothèse de médiation serait vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques d’empowerment et le capital humain) est fortement significative avec un coefficient de régression 0.529 et T de Student élevé (10.159). Pour la seconde régression, le capital humain influence positivement à son tour l’application des savoirs avec un coefficient de régression de 0.187 et un T de Student de l’ordre de 3.581. Ces deux liens étant significatifs, cela veut dire que l’hypothèse selon laquelle le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et l’application des savoirs est confirmée.

4. La quatrième et dernière étape consiste à définir le type de cette médiation : partielle ou intégrale. La nature de la médiation est déterminée par la significativité du lien direct entre la variable indépendante et celle dépendante en présence de la variable

0.558 (T = 10.585)Pratiques d’empowerment

Application des savoirs

269

Page 270: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

médiatrice. Au cas où ce lien est significatif, la médiation est dite partielle. Au cas contraire, elle est complète. Dans le cas de l’échantillon de notre étude, cette relation directe entre les pratiques d’empowerment et l’application des savoirs, en présence de la variable capital humain n’est pas significative avec les valeurs suivantes (β= 0.021; T= 0.326).

Au terme de cette analyse, il est possible d’affirmer que le capital humain joue un rôle de médiation intégrale dans la relation entre les pratiques d’empowerment et le processus d’application des connaissances. L’hypothèse H5.3 est alors confirmée.

II.3.4 Management des performances et application des savoirs : rôle médiateur du capital humain

L’objet de cette hypothèse est de montrer que la mise en œuvre de pratiques de management des performances améliore la qualité du capital humain de l’entreprise, ce qui se répercute positivement sur sa capacité à mettre en œuvre de nouvelles connaissances et à devenir réactive et agile. Comme prévu pour les trois premières hypothèses, nous suivrons le cheminement en quatre phases de Baron et Kenny (1986).

1. Lors de la première phase, l’objectif est vérifier l’existence d’une relation significative directe entre la variable indépendante et la variable dépendante. Les résultats de cette régression montrent la significativité de ce lien. En effet, les pratiques de management des performances influencent positivement les capacités d’application des savoirs avec un coefficient de régression de 0.249 et un T de Student de l’ordre de 4.048. 2. La deuxième phase consiste à s’assurer de l’existence d’un lien significatif entre les pratiques de management des performances et le capital humain. Ce lien, déjà testé, s’est avéré extrêmement significatif, avec un coefficient de régression de 0.930 et un T de Student de 39.893.

3. Une fois les deux premières étapes réalisées avec succès, nous passons à la troisième étape tel que suggéré par Baron et Kenny (1986). Cette étape consiste à faire une régression de la variable dépendante sur à la fois la variable potentiellement médiatrice et la variable indépendante. L’hypothèse de médiation est vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques

270

Page 271: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’empowerment et le capital humain) est significative. Par contre, le capital humain ne semble pas influencer le processus d’application des savoirs dans le cadre de ce modèle. Ce lien n’est pas significatif, ce qui nous amène à rejeter l’hypothèse de la médiation du capital humain dans cette relation. L’hypothèse H5.4 est alors infirmée.

Au terme de cette première série d’hypothèses sur le rôle médiateur du capital humain entre les pratiques de GRH et les processus de gestion des connaissances, il est souhaitable d’établir une première synthèse. En effet, les résultats des régressions montrent que les objectifs théoriques incarnés dans les hypothèses de recherche ont été partiellement atteints. Deux hypothèses ont été confirmées et deux autres ont été infirmées. Si les discussions détaillées seront présentées dans une section subséquente, il est possible d’avancer que l’intégration du capital humain comme variable médiatrice était un choix judicieux, mais perfectible.

II.4. Test des hypothèses relatives au rôle médiateur du climat d’apprentissage

Trois hypothèses de recherche ont été formulées dans le cadre de cette relation. L’objectif est de montrer que les pratiques de GRH influencent indirectement les processus de gestion des connaissances à travers la promotion d’un climat organisationnel orienté vers l’apprentissage. Ces hypothèses seront testées successivement en adoptant la même démarche prônée par Baron et Kenny (1986).

II.4.1 Empowerment et création des savoirs : le rôle médiateur du climat d’apprentissage

Afin de vérifier cette hypothèse, un premier test consiste à vérifier l’existence d’une relation directe entre les pratiques d’empowerment

271

Page 272: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

et le processus de création des savoirs. Les résultats de la régression menée dans ce sens révèlent l’existence d’une relation significative entre ces deux variables. En effet, le coefficient de régression est 0.265 alors que le T de Student est de l’ordre de 4.336 ; le p= 0.000. Ainsi, ce premier test révèle l’existence d’un lien à médiatiser. La seconde étape consiste à s’assurer de l’existence d’un lien significatif entre les pratiques de l’empowerment et le climat d’apprentissage. Ce lien, déjà testé, s’est avéré non significatif (tableau 5.15). Nous savons maintenant que le lien de médiation recherché n’existe pas. Par voie de conséquence, l’hypothèse H6.1 est infirmée.

II.4.2 Design du travail et partage des savoirs : le rôle médiateur du climat d’apprentissage

Selon cette hypothèse, le design du travail influence indirectement le partage des savoirs en soutenant l’émergence d’un climat organisationnel marqué par la dominance de la culture de l’apprentissage, de l’ouverture, de la confrontation constructive et de la coopération. Afin de vérifier cette hypothèse, un premier test consiste à s’assurer de la significativité du lien direct entre les pratiques de design du travail et du réseautage social d’une part et le processus de partage des connaissances d’autre part. Le test effectué révèle que cette relation est significative avec un coefficient de régression de 0.121 et un T de Student acceptable qui s’élève à 1.93. En deuxième lieu, il faut montrer que les pratiques de design du travail et de réseautage social influencent positivement le climat d’apprentissage. Cette relation a déjà été testée et révélée fortement significative, avec un coefficient de régression de l’ordre de 0.624. La troisième étape de la démarche préconisée par Baron et Kenny (1986) consiste à faire une régression de la variable dépendante sur à la fois la variable potentiellement médiatrice et la variable indépendante. L’hypothèse de médiation est vérifiée quand à la fois le lien entre la variable indépendante et celle médiatrice et le lien entre la variable médiatrice et celle dépendante sont significatifs. L’analyse des résultats montre que la relation entre la variable indépendante et celle médiatrice (soit la relation entre les pratiques de design du travail et de réseautage d’une part et le climat d’apprentissage d’autre part) est fortement significative, avec un coefficient de régression de l’ordre de 0.837 alors que la relation entre la variable médiatrice et la variable dépendante est, elle aussi, significative, avec un test de Student de l’ordre de 2.071 et un coefficient de régression égal à 0.071. Au vu de ces deux résultats, il est possible d’affirmer l’existence d’un rôle médiateur du climat d’apprentissage entre les pratiques de design du travail et de réseautage social et le processus de partage des savoirs.

272

Page 273: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La quatrième et dernière étape consiste à définir le type de cette médiation : partielle ou intégrale. La nature de la médiation est déterminée par la significativité du lien direct entre la variable indépendante et celle dépendante en présence de la variable médiatrice. Au cas où ce lien est significatif, la médiation est dite partielle. Au cas contraire, elle est complète. Dans le cas de l’échantillon de notre étude, cette relation directe entre les pratiques de design du travail et de réseautage social et le partage des savoirs, en présence de la variable climat d’apprentissage est significative avec les valeurs suivantes (β= 0.341; T= 5.710).

Au vu de ces quatre étapes, il est possible d’affirmer l’existence d’un rôle médiateur partiel entre les pratiques de design du travail et de réseautage social et le partage des connaissances. L’hypothèse H6.2 est alors confirmée.

La dernière hypothèse à vérifier dans le cadre de cette thèse est celle qui stipule que le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques de management des performances et l’application des savoirs. Malgré le fait qu’il existe une relation directe entre les variables indépendante et dépendante, avec un coefficient de régression de 0.249 et un T de Student de 4.048 (ce qui satisfait la première étape de la démarche de Baron et Kenny), le lien de médiation en question n’est pas vérifié puisque nous nous heurtons lors de la phase deux de la démarche à l’absence d’un lien significatif entre les pratiques de management des performances et le climat d’apprentissage. En effet, cette relation a déjà été prouvée non significative avec un coefficient de régression de 0.067 et un T de Student faible de l’ordre de 1.051. De tels indicateurs condamnent l’hypothèse de médiation au rejet. L’hypothèse H6.3 est donc infirmée.

Au terme de ces analyses, le tableau 5.18 offre une synthèse nécessaire sur les résultats des tests d’hypothèses. Ce tableau devrait nous restituer l’essentiel de l’information sur ces tests, ce qui nous aidera, dans un deuxième temps, à engager une discussion sur la pertinence théorique et pratique des résultats auxquels a abouti cette étude. Tableau 5.18- Etat récapitulatif des résultats de la recherche

Hypothèse de recherche Résultat des tests

Les pratiques d’empowerment influencent positivement le capital humain

Confirmée.

Les pratiques de formation influencent positivement le capital humain de l’entreprise

Confirmée

273

Page 274: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les pratiques de management des performances influencent positivement le capital humain

Confirmée

Les pratiques d’empowerment influencent positivement le climat d’apprentissage

Infirmée

Les pratiques de design du travail et de réseautage influencent positivement le climat d’apprentissage

Confirmée

Les pratiques de management des performances influencent positivement le climat d’apprentissage

Infirmée

Le capital humain influence positivement le processus de création des connaissances

Confirmée

Le capital humain influence positivement le processus d’application des connaissances

Confirmée

Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de création des connaissances

Confirmée

Le climat d’apprentissage influence positivement le processus de partage des connaissances

Confirmée

Le climat d’apprentissage influence positivement le processus d’application des connaissances

Infirmée

Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs

Confirmée/ médiation partielle.

Le capital humain joue un rôle de médiation entre la formation et la création des savoirs

Infirmée

Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et l’application des savoirs

Confirmée/ médiation intégrale.

Le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de management des performances et l’application des savoirs

Infirmée

Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques d’empowerment et la création des savoirs

Infirmée

Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques de design du travail et de réseautage et le partage des savoirs

Confirmée/ médiation partielle.

Le climat d’apprentissage joue un rôle de médiation entre les pratiques de management des performances et l’application des savoirs

Infirmée

274

Page 275: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Section III. Discussion théorique des résultats et implications managériales de la recherche

Les deux sections précédentes ont été consacrées à la production des résultats de la recherche. A travers la mobilisation des techniques de l’analyse factorielle exploratoire et les méthodes des régressions linéaires, nous avons pu tester les hypothèses de recherche en confirmant plusieurs d’entre elles. Sur un ensemble de dix-huit hypothèses théoriques de départ, onze ont été confirmées alors que sept hypothèses ont été infirmées. Cette section s’inscrit dans le prolongement des deux précédentes. Deux objectifs lui sont assignés.

275

Page 276: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Il s’agit dans un premier temps de discuter les résultats de notre recherche tout en présentant ses implications théoriques. Cette discussion nous servira de point d’appui pour présenter, en second lieu, un corps de recommandations managériales destiné à contribuer à l’amélioration de la pratique gestionnaire associée aux domaines du knowledge management et de la GRH.

III.1 Contributions théoriques de la recherche : discussion des résultats

La discussion des résultats est effectuée en quatre temps. Premièrement, les résultats de cette recherche seront présentés de manière globale. Il s’agit de rappeler les objectifs de l’étude empirique et de mesurer leur degré de réalisation à la lumière des résultats qu’elle génère. Cette première vague de discussion devrait contribuer à une compréhension globale et synthétique des principaux résultats de cette recherche. Deuxièmement, les liens entre les pratiques de GRH d’une part, et le capital humain et le climat d’apprentissage d’autre part, seront discutés. Troisièmement, les liens directs entre les pratiques de gestion des ressources humaines et les processus de gestion des connaissances seront discutés. Enfin, la discussion sera engagée autour des liens de médiation révélés lors de la phase empirique.

III.1.1 Discussion globale des résultats de la recherche

Cette étude s’inscrit dans le croisement de deux domaines de recherche : le management des connaissances et le management stratégique des ressources humaines. Elle tire toute son importance de cette situation « intégratrice». Dans ce qui suit, nous allons apprécier les résultats auxquels elle a abouti en fonction de ces deux perspectives. La discussion des résultats se fera en les comparant à d’autres issus d’études similaires. Aussi, nous essayerons, dans la mesure du possible d’intégrer dans la discussion des éléments établis dans le cadre de la phase qualitative exploratoire de cette recherche. L’un des objectifs assignés à cette recherche était de proposer une vision renouvelée des pratiques de gestion des connaissances. La discussion théorique engagée dans cette thèse a montré la pertinence d’une lecture organisationnelle des processus de création, de partage et d’application des connaissances. Enracinée dans une logique d’encastrement social du savoir, la perspective organisationnelle cherche surtout à montrer que le succès des processus d’apprentissage ne dépend pas uniquement des instruments technologiques. Ce sont d’abord les personnes qui construisent le savoir ou le détruisent, le partagent ou le retiennent, l’appliquent ou

276

Page 277: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’abandonnent (Garvin, 1993). Le contexte organisationnel est également déterminant. Au-delà de la valeur centrale du capital humain, les processus de gestion des connaissances seraient également influencés par l’environnement du travail, le climat organisationnel dans le cadre duquel les activités intensives en savoir (innovation, transfert d’expertises, etc.) prennent lieu. Nous avons donc proposé de tester le rôle de levier que le capital humain et le climat organisationnel peuvent jouer en matière de processus de gestion des connaissances. Si tout le monde reconnaît aujourd’hui que la gestion des connaissances constitue un atout de compétitivité majeur, très peu de recherches ont exploré en profondeur les mécanismes qui en permettent le succès. Au-delà des approches technicistes qui montrent aujourd’hui un essoufflement incontestable, peu de perspectives théoriques et pratiques ont pris en analyse cette question. En l’absence d’un cadre conceptuel rigoureux et de résultats empiriques établies sur ce plan, l’un des premiers apports de cette recherche était d’avoir proposé de tester l’influence du capital humain sur les processus d’apprentissage. Selon cette logique, c’est de la valeur et l’unicité des compétences détenues par le personnel d’une entreprise que dépendra le succès du knowledge management. Toutefois, une difficulté se pose. En effet, la dimension individuelle, incarnée dans le capital humain, est insuffisante, à elle seule, pour expliquer les phénomènes d’apprentissage organisationnel. Si les individus ne sont pas en mesure de partager leurs savoirs, d’intégrer leurs expertises et si l’organisation ne leur offre pas le contexte qui favorise la mise en commun de leurs connaissances, l’apprentissage demeure individuel, largement tacite et l’organisation, en tant que collectivité humaine apprenante, n’en bénéficiera que très peu. Il est donc fondamentalement légitime de postuler que la gestion des connaissances est fortement tributaire de la capacité de l’entreprise à favoriser l’émergence d’un climat organisationnel apprenant, un climat qui valorise l’initiative, la coopération, la confrontation constructive, la confiance et l’ouverture. En présence de telles valeurs culturelles, l’apprentissage local, celui réalisé par le capital humain, aura toutes les chances de se transformer, via des mécanismes d’intégration sociale spécifiques, en apprentissage collectif, générant par là-même un avantage compétitif non négligeable. Les résultats de cette recherche confirment cette option théorique. Nos résultats montrent en premier lieu que le capital humain détermine significativement et positivement tous les processus de gestion des connaissances. La valeur des compétences détenues par les employés et le degré auquel ces compétences sont spécifiques (à l’industrie, à l’entreprise, aux produits de l’entreprise) et rares contribuent au développement des processus d’innovation, de diffusion et de mise en œuvre des savoirs dans l’entreprise. Un tel résultat confirme l’idée que le capital humain de l’entreprise est désormais source incontestable

277

Page 278: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’avantage concurrentiel interne (Lepak et Snell, 2002 ; Autier, 2006). Il place ainsi directement la gestion du capital humain au centre de la compétitivité organisationnelle. Ce résultat corrobore celui trouvé par Hatch et Dyer (2004) dans leur recherche sur l’apprentissage dans les organisations de développements de puces électroniques. Leurs résultats suggèrent que l’investissement dans la formation d’un capital humain spécifique à l’entreprise accroit significativement les capacités d’apprentissage et la performance des entreprises enquêtées. Les auteurs aboutissent à la conclusion se laquelle la sélection et le développement interne d’un capital humain spécifique améliore l’apprentissage par expérimentation et les capacités de l’entreprise à créer de nouvelles connaissances.

D’autre part, nos résultats suggèrent que la promotion d’un climat d’apprentissage dans l’entreprise améliore substantiellement les capacités des individus à partager et à mettre en commun leurs connaissances et expertises. Les comportements associés au partage des savoirs semblent être déterminés par la perception qu’ont les employés du climat organisationnel. Les gens prennent conscience des caractéristiques de l’environnement du travail, les intériorisent et agissent en conséquence. Ce résultat offre des éclairages sur les problèmes de rétention des savoirs et de manque de coopération dans l’entreprise. Dans la littérature, ces difficultés ont généralement été expliquées par l’absence de motivation au partage (Szulanski, 1996 ; Christensen, 2007), par le caractère tacite de la connaissance (Leonard et Sensiper, 1998 ; Stenmark, 2001) ou encore par l’absence d’une cartographie claire des sources d’expertises dans l’entreprise (Ballay, 2003). Peu explorée, la perspective par le climat organisationnel mérite pourtant d’être attentivement suivie. Ainsi, dans la logique de nos résultats, l’hostilité des experts au partage des connaissances et la prédominance de logiques territoriales dans les organisations s’attisent en l’absence d’une réflexion au sein de l’entreprise sur les conditions socioculturelles sous-jacentes aux processus d’apprentissage organisationnel.

De tels résultats viennent renforcer certaines recherches sur la perspective humaine et culturelle de l’apprentissage organisationnel. Nos résultats sont ainsi conformes à ceux de Jaw et Liu (2003 :237). Rendant compte des résultats d’une recherche sur la relation entre les pratiques de GRH, les valeurs d’apprentissage et les processus de renouvellement organisationnel dans le contexte des entreprises taïwanaises, les auteurs en arrivent à conclure que « l’entreprise apprenante peut être mieux définie comme une entité capable de mobiliser l’intelligence et la compétence de tout un chacun, dans un cadre de travail marqué par l’ouverture d’esprit, la critique constructive et la prédominance des valeurs de confiance ». Nos

278

Page 279: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

résultats sont aussi conformes à ceux de Shipton et al., (2005) qui confirment que l’amélioration des capacités de partage des connaissances dans les vingt-cinq entreprises britanniques constituant l’échantillon de l’étude dépend largement du climat de travail qui règne dans l’entreprise. « Nous avons ainsi retrouvé un résultat fondamental selon lequel le partage et l’intégration des connaissances sont deux capacités qui s’améliorent incontestablement en présence d’un climat de travail qui soutient l’apprentissage, l’expérimentation et l’exploration » (Shipton et al., 2005 : 126).

En plus de ces recherches antérieures, nous serons tentés de remobiliser les propos recueillis auprès d’un responsable de l’entreprise SVX, décrivant l’approche d’apprentissage résolument culturelle adoptée par la multinationale suisse et imposée à toutes ses filiales. « La culture de connaissance n’est pas un simple gadget chez nous ; elle n’est pas une mode de passage. Loin s’en faut. C’est une philosophie de management que nous œuvrons jour et nuit à ancrer dans nos modèles de gestion. Pour développer la créativité de nos commerciaux et le partage rapide des expertises, nous avons mis en place une véritable infrastructure culturelle afin de soutenir le process Power-Com et enrichir toujours le KSM. Deux mesures phares sont prises. D’abord, l’open talk que nous organisons chaque quinzaine de jours. Il s’agit de rencontres informelles ouvertes à tous les consultants dans le cadre desquelles nous engageons des discussions parfois à bâtons rompus autour d’un toast. Ces discussions sont progressivement recadrées par l’animateur SVX et orientées vers des problématiques concrètes de terrain. Nous recueillons pas mal de belles propositions. Nos commerciaux se retrouvent dans un cadre de travail de type club et laissent exploser toute leur créativité».

En somme, les premiers résultats de cette recherche suggèrent la nécessité d’accorder une attention particulière au capital humain et au contexte organisationnel dans lequel il s’exprime. Ainsi, la gestion des connaissances serait significativement déterminée par la compétence des individus et par la capacité de l’entreprise à constituer une infrastructurelle culturelle apprenante. Un tel résultat est parfaitement justifié dans le contexte actuel du travail, notamment celui intensif en connaissances. En effet, les organisations basées sur le savoir sont constamment aux prises avec des problèmes d’hostilité au partage des savoirs et d’émergence de comportements claniques (Alvesson, 1995). Dans ce genre d’entreprises, et tant d’autres, la maîtrise de la connaissance semble être une source de pouvoir pour l’expert. Le contrôle d’une connaissance stratégique devient source d’avantage individuel non négligeable. Une telle situation, conjuguée souvent à un management qui attise la rivalité et la compétition entre les acteurs, aboutit à la formation de véritables silos verticaux qui ne partagent

279

Page 280: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

pas horizontalement leurs expertises. L’organisation, censée fonctionner de manière cohérente, se transforme progressivement en un ensemble inefficient de poches de connaissances improductives. Les individus, source principale de richesse pour ces entreprises, se détournent peu à peu des finalités de l’organisation pour se consacrer à la réalisation d’ambitions territoriales en mettant en œuvre des stratégies d’action allant le plus souvent dans le sens du conflit et de la confrontation destructive (Aramburu et Saenz, 2007). Cette image d’une organisation incapable de tirer le meilleur de ses employés est une réalité probante. Dans le cadre de l’investigation qualitative, un consultant chez l’entreprise ARF, décrivant l’échec d’une initiative de mise sur réseau des connaissances des experts, nous relate une situation similaire. « Très vite, tout le monde s’est désenchanté. Quelques mois seulement après leur mise en fonctionnement, les gens ne trouvent plus du plaisir à discuter et à échanger (…) La discussion, c’est toujours la même chose : les inexpérimentés posent des questions, et les experts n’y répondent que rarement. Ces Avec le temps, on se rend compte que cette affaire ne marche pas (...). Présentement, seulement quelques uns continuent à y recourir pour s’échanger plutôt des salamalecs, des blagues et des informations sans rapport avec le travail ».

Sur un autre plan, les résultats de cette recherche se sont révélés d’une extrême importance pour le domaine de la gestion des ressources humaines. Nous rappelons ici que la problématique étudiée dans notre thèse s’inscrit dans le prolongement des travaux issus du champ du management stratégique des ressources humaines. Deux thèmes majeurs structurent ce champ de recherche. Le premier suggère que certaines pratiques de GRH spécifiques peuvent contribuer à la performance de l’entreprise. Il s’agit par exemple de la planification des ressources humaines (Koch et McGrath, 1996), le management par objectifs et la rémunération au mérite (Delery et Doty, 1996) ou encore les pratiques de socialisation et de formation (Delaney et Huselid, 1996). Le second thème s’intéresse à la définition de grappes de pratiques GRH cohérentes et orientées vers la performance. L’idée qui sous-tend ce principe est simple : une pratique GRH ne peut jamais, à elle seule, contribuer à l’amélioration de la performance de l’entreprise. Cet effet d’influence proviendrait surtout de la combinaison originale et unique d’un ensemble de pratiques GRH suffisamment cohérentes (Huselid et al., 1997 ; Ichniowski et al., 1997 ; Bae et Lawler, 2000).

Les recherches s’inscrivant dans le deuxième thème sont de plus en plus nombreuses. L’examen de ces productions théoriques montre cependant l’absence de travaux dédiés aux grappes de pratiques de GRH censées contribuer à l’apprentissage organisationnel et au

280

Page 281: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

management des connaissances. Bénéficiant de très peu de connaissances établies et de validations empiriques, la question de définir une grappe de pratique de GRH censée favoriser la gestion des connaissances reste ouverte. En intégrant le knowledge management dans une problématique de GRH, cette thèse aurait contribué à combler ce vide théorique. Ceci est d’autant plus vrai que les résultats auxquels elle a abouti confirment l’existence d’un lien significatif entre d’une part les pratiques d’empowerment, de management des performances, de formation et de design du travail et réseautage social et d’autre part, les processus de création, de partage et d’application des connaissances. En effet, même si ces liens directs n’ont pas fait l’objet d’hypothèses théoriques au départ, ils ont été mesurés lors de l’analyse des liens de médiation éventuels du capital humain et du climat d’apprentissage (en vertu de la démarche préconisée par Baron et Kenny). L’analyse de ces liens sera faite plus loin dans cette section.

Au regard de cette deuxième vague de résultats, nous avons pu démontrer que les organisations qui recourent à la mise en œuvre de pratiques de GRH orientées vers l’apprentissage tendent à être significativement efficientes en matière de gestion des connaissances. Dans la logique de ces résultats, les quatre pratiques de GRH retenues influencent significativement les compétences détenues par les personnes et contribuent à renforcer les valeurs culturelles de l’apprentissage dans l’entreprise. Cela leur permet d’agir aussi bien directement qu’indirectement sur les capacités organisationnelles de gestion des connaissances. Ainsi, la prise en compte du rôle de la gestion des ressources humaines dans l’entreprise permettrait aux managers de comprendre comment et selon quels mécanismes le savoir est créé, transféré et mis en application dans l’entreprise. De tels résultats ne font que confirmer une idée force de cette thèse, celle du rôle désormais stratégique de la gestion des ressources humaines (Cf. Chapitre 3, section I). Nous verrons plus loin dans cette section quelles en seraient les implications pour les professionnels des RH dans les entreprises.

III.1.2 Liens entre GRH, capital humain et climat d’apprentissage : discussion des résultats

L’un des objectifs de cette recherche était d’analyser l’influence éventuelle des pratiques de GRH sur le capital humain et le climat d’apprentissage. Les résultats de l’analyse laissent suggérer trois conclusions dans le cas de l’échantillon étudié.

281

Page 282: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

1. Le premier résultat concernant ce bloc d’hypothèses suggère que l’empowerment, la formation et le management des performances influencent positivement le capital humain de l’entreprise. En premier lieu, l’empowerment, mesuré par des indicateurs relatifs à la variabilité du contenu de travail, la liberté de décision, la confiance en soi et l’indépendance au travail, est positivement lié au capital humain. Ce résultat est cohérent avec les résultats de méta-analyses et de recherches antérieures sur les liens entre l'autonomie organisationnelle et les compétences des individus au travail (Paper et Johnson, 1997). Accorder de l'autonomie opérationnelle et décisionnelle aux employés leur permet de se confronter aux difficultés du terrain, d'expérimenter de nouveaux modes de faire et d'apprendre sur le tas. L'empowerment génère ainsi un apprentissage individuel significatif. Il contribue à l'enrichissement du répertoire expérience des individus et améliore la valeur du capital humain détenu par l'entreprise. À cet égard, les conclusions de certaines études sur l'empowerment peuvent soutenir le résultat de cette recherche. Paper et Johnson (1997) ont, par exemple, repéré un lien important entre les pratiques d'empowerment et la créativité des employés. Leur analyse suggère que des employés responsabilisés génèrent souvent des solutions créatives et intelligentes aux problèmes rencontrés dans le cadre de leurs responsabilités professionnelles. Selon les mêmes auteurs, l'empowerment gagnerait en importance dans un cadre de travail collectif. Dans les organisations qui adoptent le travail en équipes, l'empowerment bénéficie à tout le monde puisque les employés auront l'opportunité non seulement de développer de nouveaux savoirs, mais aussi et surtout de les diffuser et les partager avec leurs collègues provenant d'autres départements. Ce résultat soutient les conclusions auxquelles ont abouti Bowen et Lawler (1992). Ces auteurs ont trouvé que l'empowerment des employés commerciaux qui travaillent dans le cadre d'équipes de résolution de problèmes contribue grandement au partage de nouvelles connaissances, qui, une fois mises en œuvre, génèrent des taux de satisfaction de clientèle remarquablement élevés. Mais l'empowerment ne renforce pas uniquement la valeur du capital humain. Il en fortifie aussi l'unicité et l'inimitabilité. En effet, l'autonomie dans l'exercice du travail renforce chez les employés les compétences spécifiques aux activités et aux produits de l'entreprise. La responsabilisation des collaborateurs contribue ainsi au développement des compétences spécifiques de l'organisation. Elle renforce l'inimitabilité et la spécificité des compétences individuelles, toutes deux considérées comme propriétés stratégiques du capital humain (Lepak et Snell, 1999). Un deuxième résultat de cette recherche établit un lien robuste entre les pratiques de formation et le capital humain. La formation a été

282

Page 283: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

mesurée par la mise en œuvre dans l'entreprise de plans de formation à la fois variés et spécifiques. Le résultat correspondant à cette relation était prévu sur le plan théorique. Il corrobore les constatations issues d'autres recherches comme par exemple celle de Shipton et al., (2006). Dans ce même ordre d'idée, Yahya et Goh (2002) ont trouvé que l'investissement en formation améliore substantiellement la créativité des travailleurs du savoir dans les entreprises malaysiennes, ce qui améliore en conséquence leur capacité à générer et appliquer de nouvelles connaissances dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les auteurs en arrivent à conclure que la politique de formation est le pilier de toute activité organisationnelle cherchant à améliorer l'innovation et la création des connaissances. En concevant des programmes de formation centrés sur les besoins spécifiques en compétences sans pour autant perdre de vue la nécessité de développer les compétences transversales du personnel, l'entreprise contribue directement au développement d'un répertoire de compétences individuelles riche, intégré et valorisant pour le salarié. L'idée que la formation développe les compétences humaines spécifiques à l'entreprise a également été traitée dans le cadre de la littérature. En construisant sur l'axiome de la rationalité de l'action organisationnelle, Becker, Prix Nobel de l'Economie, évoquait déjà en 1964 que les organisations auront tout intérêt à prévoir des formations hautement spécifiques à leurs exigences internes afin de développer un capital humain inimitable et difficilement transférable sur le marché de l'emploi. De telles considérations figurent aujourd'hui au centre des réflexions des entreprises sur la rétention et la fidélisation de leurs meilleurs profils. D’autre part, certains auteurs estiment que la formation est incapable, à elle seule, de développer la spécificité du capital humain. Ils appellent ainsi à considérer le marché de travail interne comme principale source d’acquisition du capital humain en recourant notamment aux pratiques de promotion interne. Défendant cette idée de complémentarité entre la formation et le recrutement en interne, Koch et McGrath (1996:340) suggèrent que « l’entreprise qui investit considérablement en formation et qui échoue ensuite à recruter ses hauts potentiels dans son marché interne est clairement une organisation incapable de capitaliser sur ses investissements ». Orientée vers la valorisation et l’accumulation d ;un capital humain spécifique, la formation gagnerait en importance au sein des organisations. Rattachée à un objectif organisationnel de contribution au développement des potentiels des personnes, elle se détacherait avantageusement de la notion classique et élémentaire de polyvalence pour concourir activement à l'amélioration de la valeur et l'unicité du capital humain de l'entreprise. C'est la perspective qui nous a été restituée par le DRH de l'entreprise HBH selon qui « Chez HBH, un haut potentiel passe en moyenne un mois et demi par an à se former

283

Page 284: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

intensivement sur nos pratiques-maison. Celles-ci évoluent chaque année. La formation est un investissement continu, chaque fois renouvelé. Cela passionne nos cadres et les motive à apprendre de nouvelles choses. Nous sommes réputés être une boîte de formation. Tant mieux !29 ».

Par ailleurs, un troisième résultat de cette recherche suggère que les pratiques de management des performances sont positivement liées au capital humain. L’intérêt de ce résultat repose sur l’argument selon lequel les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête par questionnaire perçoivent un rapport direct entre d’une part, les pratiques de management des performances, centrées sur le management par objectifs et l’évaluation et la rémunération au mérite, et d’autre part, l’amélioration de leurs compétences. Ce rapport semble logique dans la mesure où les pratiques de management des performances sont décidées pour améliorer la performance des employés et couper avec les travers des systèmes paternalistes et égalitaires de gestion des personnes. En effet, quand une organisation décide de mettre en place un système de management des performances, c’est qu’elle souhaite d’abord distinguer les individus selon leurs compétences et agir ensuite en conséquence (promotion, redéploiement, formation, licenciement…). Le résultat de cette investigation confirme ceux d’autres recherches disponibles. A cet égard, une étude quantitative longitudinale menée par Youndt et Snell (2004) auprès de 208 grandes entreprises américaines a montré que l’adoption de pratiques de management des performances accroit substantiellement les compétences du personnel. Trois éléments composent cette relation. D’abord, les entreprises enquêtées focalisent sur le développement des compétences individuelles comme critère essentiel d’évaluation des performances de l’employé. Ces derniers devraient alors se soucier de leurs compétences s’ils espèrent avoir un feed-back positif en période d’évaluation. Ensuite, l’étude suggère que le design de systèmes de rémunération indexés sur les compétences des employés motive généralement ces derniers à améliorer leurs connaissances et acquérir de nouveaux savoir-faire. Enfin, les employés s’investissent mieux dans le développement de leurs compétences en présence d’un système de management par objectifs. Dans le cadre de cette relation contractuelle, les personnes sont mieux motivées pour rechercher et acquérir de nouvelles compétences (Murray et Gerhart, 1998).

Tels sont les éléments dont rend compte le premier résultat qui concerne la relation entre les pratiques de GRH d’une part, et le capital 29 Extrait des entretiens exploratoires.

284

Page 285: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

humain et le climat d’apprentissage d’une autre. On en retiendra que dans le cadre de l’échantillon de cette étude, les pratiques d’empowerment, de formation et de management des performances permettent de satisfaire un objectif commun : le développement du capital humain de l’entreprise. Sur le plan théorique, ce premier résultat confirme l’idée avancée pat Youndt et Snell (2004) selon quoi ces trois pratiques de GRH sont cohérentes et peuvent être appliquées simultanément dans le cadre d’une stratégie RH visant le développement interne du capital humain de l’entreprise.

2. Un deuxième résultat concernant ce premier bloc d’hypothèses montre l’existence d’une relation significativement positive entre d’une part, les pratiques de design du travail et de réseautage et d’autre part, le climat d’apprentissage. Dans les organisations où le travail se fait dans le cadre d’équipes (multifonctionnelles, projets, de résolution de problèmes, auto-organisées, ad-hoc, etc.) et où les jeunes employés ont l’occasion d’accompagner et d’observer les moins jeunes à l’œuvre, se tissent avec le temps des relations fondées sur le respect, la confiance, l’ouverture d’esprit et l’entraide. Cela n’exclut pas pourtant l’émergence de conflits d’idées ou d’intérêts. Le pouvoir est un fait humain et naturel. L’exclure totalement de l’analyse du fonctionnement organisationnel veut dire qu’on renonce à produire une vision complète du vécu des individus dans l’entreprise. Toutefois, les organisations apprenantes gèrent ces conflits et ces rapports de pouvoir d’une manière constructive (Senge, 1990). Dans le cadre de cette recherche, nous avons abouti à la conclusion que la confrontation constructive et la critique impersonnelle sont deux attributs majeurs d’un climat d’apprentissage. C’est que le développement de nouvelles connaissances et le partage des expertises requièrent de l’organisation cette capacité à gérer de manière équilibrée des flux d’interactions interpersonnelles souvent peu consensuelles et une vision collective qui doit demeurer inaltérée et fortement partagée par les membres de l’entreprise. Pour développer ces « compétences relationnelles collectives », les entreprises appartenant à l’échantillon de cette étude mobilisent un mode de design organisationnel fondé sur le travail collectif et l’encouragement des opportunités de réseautage social entre les différentes « générations » d’employés. Un responsable de l’entreprise SVX confirme nos résultats. « Une autre mesure vise à renforcer les liens de solidarité entre les commerciaux. Nous avons ainsi instauré un système de parrainage et de tutorat entre les jeunes consultants et les moins jeunes. L’objectif de ce système est de permettre aux anciens de partager avec leurs jeunes collègues leurs connaissances et savoir-faire. Contre toute attente, le système a très bien fonctionné. Les gens partagent aisément ce qu’ils savent. Derrière ce succès ? Un esprit d’équipe et une culture de solidarité rare. Nous

285

Page 286: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

sommes fiers de pouvoir instaurer ce climat extraordinaire dans l’entreprise. Mais maintenant, nous devons nous projeter dans le long terme. Il faut garder ces bonnes habitudes».

Ce résultat de recherche n’est pas surprenant. Il est en effet cohérent avec des recherches antérieures sur le rôle des pratiques de design du travail dans l’amélioration du contexte d’apprentissage. Dans une recherche intéressante portant sur l’innovation dans les équipes projets, Gieskes et Van Der Heijden (2004) ont montré l’impact qu’ont certaines pratiques de GRH sur le développement de « comportements d’apprentissage » chez des employés engagés dans des projets de création de nouveaux produits. En particulier, les pratiques de design du travail autour d’équipes projets, la rotation des postes et le mentoring ont joué le rôle de mécanismes organisationnels d’intégration des connaissances. « Les pratiques de design du travail et de réseautage social contribuent fortement à élargir le répertoire des compétences de chaque employé de manière à ce qu’il soit en mesure de contribuer significativement aux processus d’apprentissage à l’œuvre dans l’organisation. Elles exercent un double rôle en ce sens qu’elles aident aussi les employés à apprendre à apprendre. » (Gieskes et Van Der Heijden, 2004 :120). Dans une autre recherche, Alves et al., (2007) ont montré que le design du travail autour d’équipes projets flexibles contribue au développement d’une culture d’apprentissage collectif. Le design organisationnel est, pour les auteurs, un levier de taille permettant de tirer profit de la créativité de tout un chacun grâce à un cadre de travail qui responsabilise tous les collaborateurs et soude leurs efforts autour d’objectifs communs.

3. Un troisième résultat relatif à ce premier bloc d’hypothèses concerne la relation entre les pratiques d’empowerment et de management des performances d’une part et le climat d’apprentissage de l’autre. Nos résultats infirment les deux hypothèses théoriques concernant ces deux relations. Ainsi, ni l’empowerment ni les pratiques de management des performances n’influencent le climat d’apprentissage dans l’entreprise. Ces résultats peuvent être considérés comme surprenants dans la mesure où ils ne sont pas cohérents avec ceux d’autres études précédentes. Des auteurs comme Paper et Johnson (1997), Jaw et Liu (2003), et Shipton et al., (2006) rendent compte de recherches empiriques ayant prouvé l’impact significatif des pratiques d’empowerment et de management des performances sur le climat d’apprentissage dans l’entreprise. Dans cette même logique, Swart et Kinnie (2003) ont exploré les pratiques de GRH dans une entreprise écossaise de développement de logiciels informatiques. Les auteurs concluent, entre autres, que la mise en

286

Page 287: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

place d’un système de management des performances a nettement contribué à l’amélioration des comportements de partage de connaissances et de coopération entre les employés. Deux raisons ont été avancées par les auteurs pour expliquer ce résultat. La première renvoie à la perception par les employés d’un sentiment d’équité et de justice informationnelle et procédurale du à la mise en place de pratiques de fixation d’objectifs, d’allocation de ressources, de notation et de rémunération indexés sur le rendement. Ainsi, lorsque les individus ont confiance dans le système de management des ressources humaines en place, ils seront plus enclins à s’engager dans des comportements coopératifs et citoyens. La deuxième raison tient à la conception même du système de management des performances. En effet, qu’il s’agisse des objectifs fixés ou des modalités d’évaluation et de rémunération, la part de la responsabilité collective est supérieure à celle individuelle. Ainsi, des objectifs collectifs sont fixés. Les individus sont, dans une large mesure, évalués collectivement. En outre, les systèmes d’évaluation et de rémunération valorisent les comportements de transfert et de partage des connaissances dans l’entreprise. Un système de management des performances similaire a été rapporté par Hansen et al., (1999). Les auteurs décrivent un système d’incitation financière au partage et à la coopération mis en œuvre par l’ex géant du consulting international Arthur Anderson. Récompensés dans leurs efforts de partage d’expertises et de « sagesse », les consultants ont fini par développer des habitudes de coopération et d’entraide spontanées. Des réseaux d’échange et d’apprentissage informels ont été établis et maintenus dans le temps par les propres soins des experts. Comment dès lors expliquer ce résultat inattendu dans le cadre de notre étude ? Une justification peut être donnée. L’absence d’une relation significative entre les pratiques de management des performances et le climat d’apprentissage peut être expliquée par la perception du caractère strictement individuel des pratiques de management des performances. Dans les entreprises de notre échantillon, la pratique du management des performances se situe au niveau des contributions individuelles. Les objectifs de performance, les entretiens annuels d’appréciation, les feedbacks de performance et les rémunérations tiennent rarement compte des comportements et des performances collectives des collaborateurs. Les répondants n’en apprécient ainsi généralement que les retombées sur leurs compétences individuelles (ce qui a été confirmé dans l’hypothèse 1.3).

III.1.3 Liens directs entre les pratiques de GRH et les processus de gestion des connaissances : discussion des résultats

287

Page 288: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Les liens directs entre les pratiques de GRH et les processus clefs de gestion des connaissances n’ont pas fait l’objet d’hypothèses dans le cadre de la première partie de cette thèse. Toutefois, ils ont été bien mesurés dans le cadre de l’analyse des liens de médiation [comme suggéré par Baron et Kenny (1986)]. La principale conclusion qui ressort des résultats est la présence de relations significatives dans toutes les hypothèses qui ont été posées à ce niveau. La discussion se focalisera sur les résultats les plus importants.

1. Dans un premier temps, les capacités de création des savoirs se sont révélées être significativement influencées par les pratiques d’empowerment des collaborateurs et de formation professionnelle. Le sens de cette relation a été partiellement expliqué lors de la discussion précédente. En effet, accorder de l’autonomie aux collaborateurs améliore leurs capacités à apprendre par le faire, sur le tas, en « mettant la main dans la pâte ». L’empowerment est indissociable de l’expérimentation, de l’exploration et de la prise de risque par l’entreprise. La philosophie qui l’appuie repose sur l’idée que les bénéfices de l’autonomie accordée aux acteurs calculés en termes d’innovation et de développement de nouveaux savoirs et savoir-faire dépassent largement les coûts initiaux occasionnés par les démarches approximatives et tâtonnantes des employés. Toutefois, au-delà de ce calcul de coût d’opportunité, l’empowerment ne peut s’exprimer convenablement que dans un contexte organisationnel qui le tolère et le promeut. Accorder une liberté d’action aux acteurs tout en les contraignant par une quantité faramineuse de règles et de routines organisationnelles « défensives » (Argyris et Schön, 1978) est une « extravagance » courante dans les organisations qu’on pourrait expliquer par cet impérissable paradoxe entre ce que disent les organisations et ce qu’elles « énactent » réellement. Dans la continuité de cette discussion, il semble pertinent d’affirmer que les effets de l’empowerment ne peuvent être pleinement ressentis qu’en présence d’un climat organisationnel qui encourage et soutient l’apprentissage. Accepter la déviance par rapport aux normes de fonctionnement établies, tolérer l’erreur et le risque de l’exploration (March, 1991) et avoir confiance dans les compétences des collaborateurs semblent être trois exigences qui structurent ce type de climat. Cette idée est soutenue par un résultat de cette recherche selon lequel le climat d’apprentissage influence positivement le processus de création des connaissances. Il serait alors pertinent de pousser plus loin l’analyse en se focalisant sur le rôle que jouent les pratiques de design du travail et de réseautage dans l’amélioration de la qualité du climat d’apprentissage dans l’entreprise, résultat, rappelons-le, prouvé dans le cadre de ce travail. La combinaison de ces trois résultats suggère une idée fort importante selon laquelle l’amélioration des capacités de création des connaissances dépend de l’effet conjugué des pratiques

288

Page 289: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

d’empowerment et de design du travail. Cette conclusion confirme deux choses. Sur le plan théorique, elle confirme l’idée chère aux théoriciens du MSRH30 selon laquelle les pratiques de GRH exercent simultanément, et de manière cohérente, de l’effet sur les différents indicateurs de performance dans l’entreprise31. Sur un plan managérial, elle rend compte de la nécessité, pour les managers, de mesurer l’importance d’une vision globale, systémique et cohérente des problèmes complexes associés à la création des savoirs dans l’entreprise.

L’idée d’une action simultanée des pratiques de GRH est soutenue par un autre résultat de notre recherche. En effet, nous avons trouvé que les pratiques de formation influencent significativement le processus de création des connaissances. La formation influence positivement la valeur du capital humain et le degré auquel il est spécifique à l’entreprise. A la longue, l’investissement intensif en formations spécifiques contribue à la création d’expertises et de modes de faire organisationnels inimitables. La formation aurait alors joué le rôle stratégique d’un « mécanisme isolant » contre les tentatives externes d’expropriation du capital humain (Teece et al., 1997).

2. En second lieu, nous avons trouvé que les pratiques d’organisation du travail et de réseautage social améliorent les capacités de partage des connaissances dans l’organisation. Ce résultat tire son importance du fait que le transfert interne des connaissances est de plus en plus considéré comme source de performance et de différenciation pour les organisations (Darr et al., 1995 ; Epple et al., 1996 ; Baum et Ingram, 1998). Pour l’analyser, nous devons d’abord rappeler que les pratiques de design du travail et de réseautage ont été opérationnalisées selon trois actions : le travail en équipes, les systèmes de tutorat entre employés (jeunes et expérimentés) et enfin la rotation des postes. Nous prendrons en analyse ce résultat aspect par aspect pour montrer sa cohérence avec des recherches antérieures menées autour de cette question.

Dans un premier temps, ce résultat nous enseigne sur le rôle du travail en équipes dans l’amélioration des capacités de partage des connaissances. Ce résultat trouve appui dans nombre de publications scientifiques approchant simultanément les questions du knowledge management et du job design. Grant (1996), l’un des principaux théoriciens de la connaissance, a mis l’accent sur l’importance de concevoir des mécanismes de coordination appropriés qui permettent le partage, puis l’intégration des connaissances individuelles dans 30 Management Stratégique des Ressources Humaines. 31 Ce qui nous renvoie encore une fois à l’idée de “grappe” de pratiques de GRH.

289

Page 290: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’entreprise. Hedlund (1994) propose la structure en N comme forme organisationnelle apprenante. Ce design organisationnel se base, selon l’auteur, sur des constellations temporaires dont les équipes projets et les équipes multifonctionnelles seraient les formes les mieux appropriées. Dans la continuité de Nonaka et Takeuchi (1995) qui montrent l’importance du travail en équipes pour assurer une meilleure conversion des savoirs individuels en savoirs organisationnels, Nonaka et Konno (1998) nous font découvrir le concept japonais ba. Le ba fait référence au lieu et à la structure dans lesquels les acteurs innovateurs agissent et croisent leurs connaissances spécifiques pour faire émerger des solutions et des savoirs nouveaux. Parmi les formes de structures apprenantes, nous citons les équipes auto-organisées et les équipes projets. Ces deux modes d’organisation du travail offrent aux individus un espace de dialogue, d’échange constructif et de partage des connaissances. Fong (2003) montre à travers une étude qualitative que les équipes projets favorisent l’apprentissage des individus et de l’organisation. Selon l’auteur, deux processus centraux caractérisent le travail dans ces structures. D’abord, le processus de décloisonnement des frontières fonctionnelles et professionnelles ; ensuite le processus de partage des connaissances. Si leur réalité est loin d’être consensuelle, les équipes auto-organisées et les équipes projets offrent un terrain propice à la confrontation des idées et des perspectives intellectuelles. Elles contribuent ainsi à l’émergence d’une « conscience collective » au sein de l’organisation (Weick et Roberts, 1993). C’est en se basant sur cette conscience collective que les individus co-construisent un réseau d’expertises, approchent des situations inhabituelles et envisagent des nouvelles solutions (Weick, 1993).

En deuxième lieu, ce résultat nous permet d’affirmer que les systèmes de tutorat contribuent au partage des connaissances entre les employés expérimentés et ceux qui le sont moins. L’intérêt de la communauté gestionnaire pour les systèmes organisationnels de tutorat a sans doute été déclenché suite au travail qualitatif fondateur de Kram (1985) dans lequel elle a défini le concept et montré ses rôles ainsi que ses différentes phases. Le concept a ensuite été mobilisé dans plusieurs études touchant à des domaines variés comme le succès dans la carrière (Ragins et skandura, 1994), le leadership, les comportements de citoyenneté organisationnelle et la socialisation des employés (McManus et Russel, 1997). Des recherches récentes ont montré l’intérêt d’intégrer la question du tutorat dans le domaine du knowledge management (Nonaka et Takeuchi, 1995 ; Swap et al., 2001). Dans une recherche sur le système de tutorat « employé expérimenté-jeunes recrues » menée dans une entreprise de développement informatique, Bryant (2005) a montré que l’existence de ce genre de pratique a permis d’améliorer le quantité et la qualité

290

Page 291: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

des transactions de connaissances entre les membres d’une même équipe et entre des équipes différentes. L’auteur en conclut que les entreprises sont appelées à former leurs employés sur la manière d’organiser les actions de tutorat et à communiquer sur les résultats positifs qu’un tel système est en mesure de générer. Les conclusions de Bryant (2005) offrent un soutien additionnel au résultat de notre recherche. Reste cependant à comprendre les mécanismes à travers lesquels le tutorat influence les capacités de transfert des connaissances. Une réponse à cette interrogation peut être trouvée dans le modèle SECI, dédié à la compréhension des mécanismes de création des savoirs dans l’organisation (Nonaka et Takeuchi, 1995). Selon le modèle SECI, la création de nouvelles connaissances passe par les mécanismes de conversion des savoirs explicites et tacites. Nonaka et Takeuchi (1995) distinguent ainsi quatre phases clefs en arguant que de nouvelles connaissances sont créées au niveau de chacune d’elles. Ces étapes sont successivement : l’externalisation (passage de la connaissance d’un état tacite à l’état explicite), la socialisation (du tacite au tacite), l’internalisation (de l’explicite au tacite) et la combinaison (de l’explicite à l’explicite). Mais selon les auteurs, les deux premières phases sont les plus difficiles car elles appellent au partage des connaissances tacites qui sont foncièrement encastrées dans la pratique professionnelle maitrisée par les individus2. Selon Nonaka et Takeuchi (1995) et Bryant (2005), le tutorat facilite le déroulement du processus d’externalisation des connaissances. Le tuteur transmet ainsi son expertise à son protégé sous une forme codifiable. « Les tuteurs partagent leur sagesse quand ils prennent le temps d’organiser leurs idées, de les écrire noir sur blanc et de formaliser ce qu’ils comprennent ou savent faire implicitement » (Bryant, 2005 :323). Durant ce processus d’externalisation, plusieurs formes de connaissances peuvent être partagées : connaissances relatives aux processus de fonctionnement (comment par exemple optimiser une réponse à une réclamation client ?), connaissances sur les personnes (où sont les lieux vivants de l’expertise concernant des problèmes particuliers) et connaissances sur les systèmes (comment est formée et mise en œuvre la stratégie commerciale de l’entreprise ?). En outre, le tuteur peut contribuer au processus de socialisation du savoir en transférant ses connaissances tacites sans pour autant les formaliser. Swap et al., (2001) ont ainsi observé que les ingénieurs informaticiens recourent souvent à l’organisation de démonstrations sur l’utilisation de certains outils au profit des jeunes programmeurs. Durant ce processus d’apprentissage, les tuteurs, transformés en pédagogues d’entreprise, combinent les instructions verbales et les démonstrations pratiques. Ce mode d’apprentissage vicariant permet au protégé d’intégrer de nouvelles connaissances pratiques en observant son tuteur à l’œuvre. Le tuteur interviendra quand il le faut pour structurer l’environnement de

291

Page 292: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

l’apprentissage et stimuler l’attention permanente de l’apprenant (Bryant, 2005).

Enfin, il est possible d’affirmer que le système de rotation des postes améliore les possibilités de partage des connaissances dans l’entreprise. Ce résultat est compatible avec d’autres recherches antérieures sur la question. Gaha et Mansour (2004) ont étudié la relation entre l’apprentissage et la structure de l’entreprise dans une multinationale industrielle implantée en Tunisie. Les résultats auxquels ils aboutissent affirment l’importance de la rotation des postes comme mécanisme incitant au partage des savoirs et des expertises et permettant de développer les capacités d’apprentissage tant individuelles que collectives. « Cette mobilité des travailleurs chez TLN a autorisé par ailleurs, une plus grande variation relationnelle. Le fait de changer de coéquipiers est une source d’apprentissage et d’enrichissement. Cela accroit les occasions d’interaction et de communication ; cela permet également de dégager et de retenir les meilleures pratiques (…) De cette mobilité résulte une variabilité requise, au sens que donne à ce mot Ashby, variabilité rendue possible grâce à la pluralité des contextes et des vis-à-vis. En côtoyant divers membres et en vivant plusieurs expériences, les acteurs bénéficient d’une meilleure connaissance des modes d’action entrepris et d’une plus grande capacité adaptative » (Gaha et Mansour, 2004 :21).

III.1.4 Discussion des résultats relatifs aux liens médiateurs

Un ensemble d’hypothèses relatives aux rôles médiateurs du capital humain et du climat d’apprentissage a été proposé dans le cadre de cette thèse. L’examen de la littérature montre que les chercheurs accordent peu d’intérêt aux variables médiatrices à travers lesquelles les pratiques de gestion des ressources humaines influencent la performance de l’entreprise. Dans les quelques travaux relevés dans ce cadre, Becker et al., (1997) ont défini un modèle intégratif dans lequel le capital intellectuel joue un rôle de médiation entre les pratiques de GRH et les différentes formes de performance de l’entreprise. Dans le même esprit, Youndt et Snell (2004) ont proposé que le capital intellectuel, mesuré en termes de capital humain, capital social et capital structural, joue un rôle médiateur entre les systèmes de GRH et la performance. Dans ces deux recherches, les conclusions empiriques ont globalement montré l’existence d’un lien de médiation. C’est en partie le cas de cette recherche où des liens de médiation ont été mis en évidence. D’autres ont toutefois été rejetés. Rappelons à ce niveau que l’absence de lien de médiation signifie que la variable explicative exerce un effet direct et complet sur la variable expliquée. L’analyse des liens de médiation est très utile à la fois pour les chercheurs et les gestionnaires. Elle explique les mécanismes

292

Page 293: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

intermédiaires à travers lesquels les liens entre les variables explicative et expliquée sont réalisés (la notion de boite noire). Dans ce sens, elle fournit des explications additionnelles pertinentes sur le « cheminement » d’une relation d’influence entre les variables d’un modèle.

Nos résultats ont permis de valider certains liens de médiation et d’infirmer d’autres. Nous avons ainsi montré que le capital humain joue un rôle de médiation entre les pratiques de l’empowerment d’une part et la création et l’application des connaissances de l’autre. Cela veut dire que la décision d’octroyer de l’autonomie opérationnelle et décisionnelle renforce la valeur et l’unicité du capital humain qui à son tour influence significativement les capacités des individus à innover et celles de l’organiser à développer sa réactivité et sa flexibilité stratégique. L’intérêt de ce résultat réside dans son apport pour les gestionnaires. Au lieu d’investir dans les pratiques de GRH et espérer voir un retour sur investissement spontané et immédiat, les managers auront une idée claire sur ce qui se passe « dans cette grande boite noire » (Youndt et Snell, 2004 :355) entre les pratiques de GRH et les capacités de création et d’application des connaissances. Comprendre cet effet intermédiaire leur permettra de cibler davantage leurs décisions RH et de créer les conditions nécessaires qui leur permettent de réaliser l’effet souhaité. Cette conclusion est particulièrement pertinente pour le lien de médiation que joue le climat d’apprentissage entre les pratiques de design du travail et de réseautage et le processus de création des connaissances. Dans cette logique, les managers auraient compris qu’il ne suffit pas de mettre les gens ensemble dans une équipe ou à travers un système de tutorat pour espérer observer un effet direct sur leurs capacités de partage des savoirs. Bien d’équipes projets ont échoué à réaliser leurs objectifs et bien de systèmes de tutorat ont tourné à l’hostilité ouverte entre des experts réticents et des novices frustrés de ne pas pouvoir accéder rapidement aux réservoirs de connaissances de l’entreprise. Prenant conscience de la complexité de la relation entre les pratiques de design du travail et les capacités de partage des savoirs, les managers ne sauraient faire l’économie d’une réflexion nécessaires sur toutes les conditions possibles pouvant favoriser l’émergence et le maintient dans la durée d’un climat de travail marqué par la confiance, la confrontation constructive et la coopération.

293

Page 294: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.2 Les implications managériales de la recherche : un corps de recommandations

Cette recherche représente une tentative relativement importante pour analyser l’effet des pratiques de gestion des ressources humaines sur les capacités de création, de partage et d’application des savoirs dans l’organisation. Elle présente une double pertinence dans la mesure où ses résultats permettent d’avancer notre compréhension du domaine du knowledge et celui du management des RH. Les conclusions auxquelles nous avons abouti confirment les options théoriques retenues dans le cadre de cette thèse. En effet, les résultats permettent d’affirmer que les pratiques de gestion des ressources humaines constituent un levier important pour développer les capacités de gestion des connaissances de l’entreprise. En réalité, les pratiques de GRH améliorent substantiellement le capital humain de l’entreprise et contribuent à l’émergence d’un climat de travail orienté vers l’apprentissage, ce qui influence positivement les compétences collectives en matière de gestion des savoirs. Outre leurs enseignements pour la recherche, les conclusions de cette thèse fournissent un certain nombre d’apports pour les managers sur le terrain. Elles contribuent, en effet, à une meilleure compréhension de la dimension organisationnelle du knowledge management et à la valorisation du rôle des pratiques RH dans ce domaine. Une fois les résultats de recherche présentés et discutés, nous focalisons l’intérêt sur leurs implications pour les gestionnaires sur le terrain. A la lumière de la discussion engagée précédemment, nous formulons un corps de propositions à même d’avancer la pratique du knowledge management dans les entreprises tunisiennes.

III.2.1 Gestion des connaissances = capital humain x climat d’apprentissage

Les développements faits dans le cadre de cette thèse montrent à quel point les organisations réduisent la gestion des connaissances à une infrastructure technologique et au déploiement de solutions logicielles. En procédant de la sorte, les organisations prétendent pouvoir « encapsuler » la connaissance en la soustrayant de ses aspects contextuels pour n’en garder que les aspects codifiables et in fine transférables. Bases d’informations partagées, portails de connaissances, corporate yellow pages, entrepôts de données et systèmes Intranet, constituent les principaux outils de gestion des connaissances dans le cadre d’une démarche mobilisant intensivement les NTIC. Or, comme nous l’avons mentionné dans le cadre de cette recherche, les retours sur investissement restent décevants : portails de connaissances sous-exploités, des systèmes Intranet perçus comme

294

Page 295: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

un moyen de contrôle additionnel, des forums de discussion désespérément vides, hostilité des experts à partager leurs expertises et prégnance de la logique de territoire.

Ces constats faits dans des contextes européens et nord-américains doivent servir de « base d’apprentissage» pour les entreprises tunisiennes. Plusieurs d’entre elles, poussées dans leurs élans par l’engouement du converti de fraiche date, s’orientent hâtivement vers la mobilisation d’instruments technologiques dédiés au knowledge management. Le cas de l’entreprise ARF relaté dans cette thèse est un exemple patent. Ainsi, concernant ce point, nous conseillons aux organisations ce qui suit.

Le point de départ d’une gestion des connaissances réussie est sans doute la clarification de la vision qu’en ont les responsables de l’entreprise. La gestion des connaissances, même peu structurée, demeure un projet organisationnel transformateur. Elle doit être considérée ainsi et gérée tel un projet dont il faut optimiser les retours sur investissements. Dans l’esprit de plusieurs décideurs, la gestion des connaissances est perçue comme un investissement en technologies. Cette conception des choses est renforcée par une industrie du conseil euphorique propulsant les entreprises vers les chemins de la modernité, ces derniers étant très souvent incarnés dans l’adoption des technologies d’information et de communication. Or, comme on le prône dans cette recherche, les TIC sont essentiellement des outils de capitalisation d’informations existantes. Elles ne sont pas en mesure de favoriser les processus collectifs de création des savoirs. En plus, les TIC sont loin de pouvoir intégrer et résoudre les problèmes de partage des connaissances entre les experts. Ainsi, comme première recommandation, nous invitons les responsables d’entreprises à prendre conscience des limites inhérentes aux instruments de gestion des savoirs et à reconnaître la nature dynamique et complexe du knowledge management.

Comme conséquence de cette suggestion, les managers ne doivent plus faire l’économie d’une réflexion utile sur la dimension organisationnelle du knowledge management. Par dimension organisationnelle, nous entendons les dimensions humaine, sociale et culturelle. Les processus de gestion des connaissances sont enracinés dans un vécu organisationnel spécifique construit par les différents acteurs de l’entreprise. Ce sont ces derniers qui créent le savoir ou le détruisent, le partagent ou le retiennent, l’appliquent ou l’abandonnent. La gestion des connaissances dépend donc de la nature du contexte dans lequel les acteurs interagissent. L’organisation est ainsi appelée à promouvoir une culture organisationnelle valorisant la

295

Page 296: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

confiance et l’ouverture afin de développer les échanges et l’apprentissage collectif. En effet, une culture marquée par la méfiance, l’évitement, le silence et le mépris de l’autre ferait obstacle à l’apprentissage et au changement. Pour développer un climat d’apprentissage, les managers disposent d’une variété de dispositifs organisationnels. Les pratiques de GRH, la communication, l’encouragement des designs organisationnels ouverts, flexibles et apprenants ainsi que l’ancrage des valeurs de travail collectif de type projets sont autant de mécanismes à même de générer un climat de travail encourageant l’apprentissage. D’autre part, le climat d’apprentissage est indissociable des valeurs de justice, de mérite, de responsabilité et de confiance. En concevant les mécanismes d’incitation ou d’allocation des ressources, les managers doivent garder à l’esprit qu’un contexte d’apprentissage est d’abord un contexte où tout un chacun se sent valorisé par l’entreprise et récompensé à sa juste valeur.

Parallèlement à l’ancrage des valeurs d’apprentissage, les managers doivent réfléchir sur le rôle fondamental que joue le capital humain dans la gestion des connaissances. C’est aussi de la valeur des compétences des personnes que dépend la capacité d’innovation de l’entreprise. Les activités intensives en connaissances mobilisent en effet de l’intelligence, du savoir, du savoir-faire et de la créativité. Se soucier du développement du répertoire des compétences des employés n’est plus un luxe. Les managers doivent s’atteler à développer chez les employés à la fois les compétences spécifiques et transversales. Si les premières soutiennent les processus d’innovation dans des produits/services spécifiques à l’entreprise, les compétences transversales élargissent la base de connaissances de l’individu et améliorent sa capacité à intégrer des savoirs multifonctionnels. Elles sont particulièrement valorisées dans les entreprises qui adoptent les modes de travail en équipes.

Cette thèse offre donc aux managers une vision renouvelée du knowledge management. Au projet techniciste se substitue un projet organisationnel où les capacités de gestion des savoirs sont le résultat d’une gestion efficace et simultanée du capital humain de l’entreprise et du contexte culturel dans le cadre duquel les activités de gestion des connaissances sont mises en œuvre.

296

Page 297: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

III.2.2 Plaidoyer en faveur d’une GRH centrée sur l’apprentissage

Les pratiques de GRH sont un moyen de développement de la gestion des connaissances en assurant un enrichissement durable du capital humain de l’entreprise. Dans les organisations fondées sur le savoir, développer et retenir le capital humain deviennent des impératifs clefs. Le rôle de la GRH en est bouleversé. Par sa connaissance concomitante des enjeux stratégiques de l’organisation et des moyens humains nécessaires pour y répondre, la fonction RH doit maintenant proposer aussi bien aux stratèges qu’aux opérationnels de l’entreprise un ensemble de contributions. Ces dernières doivent allier aussi bien l’action sur le contexte organisationnel que sur le capital humain à travers l’extension du répertoire des compétences des individus. Toutefois, la pertinence des pratiques de GRH dans une logique de knowledge management suppose que ces pratiques soient centrées sur l’apprentissage. A la lumière des résultats de cette recherche, nous pouvons affirmer que les professionnels des RH peuvent contribuer aux processus de knowledge management en mobilisant des contributions telles que :- une expertise en matière d’empowerment des collaborateurs et de développement de l’autonomie au travail ;- un recentrage des programmes de formation sur les besoins en compétences spécifiques et génériques ;- une meilleure gestion des performances humaines qui rétablit l’équilibre dynamique entre les performances individuelles et les exigences du travail collectif ;- des services de conseil en matière de design organisationnel et de développement des opportunités de réseautage social au sein de l’entreprise.

III.2.2.1 Développer l’empowerment des collaborateurs.

Le travail du savoir est à bien des égards différent du travail classique. Riche en imagination et en intelligence, il appelle l’employé à déployer toute sa créativité pour résoudre des problèmes atypiques. Le travail du savoir ne se prête pas à la décomposition en un ensemble d’unités

297

Page 298: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

parfaitement prévisibles. Il est plutôt basé sur l’exploration, le tâtonnement et la recherche de solutions originales. Face à cette réalité, les résultats de cette thèse appellent les organisations à promouvoir la responsabilisation de leurs collaborateurs et à leur accorder suffisamment d’autonomie. Aujourd’hui, dans les secteurs intensifs en connaissances, savoir gérer une démarche d’empowerment est une compétence clef. Les caractéristiques du travail intellectuel semblent requérir une plus grande réactivité de la part de tous les acteurs de l’organisation. La nécessité de susciter l’autonomie de tous pour innover et rester compétitif est plus grande. Savoir gérer la délégation et gérer l’autonomie de ses collaborateurs est devenue une compétence managériale nécessaire et importante. Une meilleure structuration des processus de création et d’application des connaissances appelle les entreprises à accorder une plus grande marge de manœuvre aux collaborateurs, notamment dans la réflexion sur leur travail et la prise de décisions qui le concernent. Des collaborateurs autonomes et responsabilisés sont généralement à l’origine de plusieurs innovations organisationnelles. Le succès des processus d’amélioration continue issus des pratiques de management de la qualité totale est un exemple patent de ce que l’autonomie octroyée aux collaborateurs peut apporter à l’organisation en termes de créativité, d’innovation et de capacité à résoudre les problèmes les plus complexes. Sur un autre registre, l’empowerment, en donnant à l’employé la possibilité de se réaliser dans on travail et d’y retrouver une reconnaissance de ses compétences génère un sentiment d’engagement affectif envers l’entreprise.

Dynamique par nature, l’empowerment conduit les managers à redéfinir en permanence le périmètre d’activité de leurs collaborateurs. Mais la mise en place d’un management plus délégatif appelle à modifier les autres pratiques de gestion des personnes, mises en place pour un cadre de travail moins souple et plus hiérarchisé. Il est ainsi impossible de penser l’autonomie des collaborateurs dans un cadre de travail qui définit les postes et les responsabilités de manière rigide. En effet, l’empowerment est plus compatible avec une logique de personnes que celle de postes. Les périmètres des fonctions doivent rester souples et adaptés au degré d’autonomie de chacun. En outre, l’empowerment cadre mal avec les méthodes classiques de contrôle de l’activité. Les professionnels des RH devront alors adapter les modes de contrôle à l’évolution des niveaux d’autonomie accordée aux personnes. L’objectif ultime serait la mise en place de systèmes de contrôle basés sur la confiance. L’auto-contrôle et la confrontation constructive des points de vue entre les pairs en sont les modèles les mieux appropriés à la réalité du travail du savoir.

298

Page 299: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Toutefois, la recherche de meilleures capacités de création et d’application des savoirs par l’empowerment ne doit pas se faire de manière hasardeuse et irréfléchie. L’empowerment ne veut pas dire que l’entreprise renonce aux principes de pilotage de ses processus en les déléguant, n’importe comment, aux employés. L’empowerment, rappelons-le, est une technique de management et c’est en ce sens qu’elle doit être convenablement et rigoureusement structurée. Cela suppose surtout de mettre en place un dispositif de responsabilisation qui prend en considération les capacités réelles des employés ainsi que leur volonté de disposer de marges de manœuvres supplémentaires dans l’exercice de leurs fonctions. En outre, cela appelle à mobiliser un dispositif de suivi et d’évaluation des retombées tant individuelles qu’organisationnelles de l’empowerment qui relève des principes du management par objectifs. Dans l’encadré suivant, nous reprenons rapidement les conditions nécessaires pour la mise en place d’un système d’empowerment au sein de l’entreprise. Encadré 5.1. Le pilotage de l’empowerment dans l’entreprise- Fixer des objectifs clairement perçus et les faire accepter. Un point essentiel dans le déploiement de l’empowerment consiste à tracer le cadre dans lequel chacun peut exercer son autonomie sans empiéter sur celle des autres et nuire au bon fonctionnement de l’organisation.- Déterminer à l’avance, ensemble, les étapes de réalisation, de façon à pouvoir suivre les réalisations et faire le point régulièrement à des moments prévus à l’avance.- Contrôler la réalisation des objectifs fixés et les réajuster en fonction du degré d’autonomie démontré par le collaborateur. Plus un collaborateur se développe, plus on peut élargir et enrichir ses responsabilités, en lui confiant une part croissante de gestion de son activité.

Ainsi, le pilotage constant de l’empowerment à chacun contribue à augmenter la confiance entre le manager et le collaborateur, ce qui conduit peu à peu à autonomiser le collaborateur le plus possible compte tenu du contexte et des personnes. Source : Bailly et al., (2006 :257).

III.2.2.2 La formation : un vecteur de l’apprentissage par exploration

Le deuxième élément du système RH orienté vers l’apprentissage est la formation. Les résultats de cette recherche ont montré un impact significatif de la formation sur les capacités de gestion des connaissances. Ces mêmes résultats suggèrent aussi que la formation contribue à l’amélioration de la valeur et de l’unicité du capital humain de l’entreprise. Sur ces bases, nous pensons que les professionnels des RH auront tout intérêt à inscrire la formation dans un registre stratégique qui en fait un levier incontestable de gestion des connaissances. Pour ce faire, nous suggérons la réflexion suivante en trois points.

299

Page 300: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Premièrement, la formation doit s’inscrire dans le cadre d’une vision « investissement » du capital humain. Dans l’entreprise tunisienne, la formation est considérée comme une fonction administrative de la GRH. Le responsable formation est un intermédiaire entre une demande interne souvent mal définie et une offre externe abondante et peu diversifiée. Peu valorisée par le management de l’entreprise, elle se trouve souvent dans l’incapacité de s’assurer le soutien de la direction générale et de susciter l’adhésion des acteurs organisationnels dans les différentes phases du processus de formation. Retravailler la vision de la formation dans l’entreprise semble être donc une urgence. Il incombe dans ce cas au top management d’engager une réflexion autour de cette question. Dans ce cas, les entreprises ont tout intérêt à savoir que la vision n’est pas un slogan utopique. Tout comme le plan de développement de l’entreprise, elle est une technique de management qui n’a de sens que dans sa mise en œuvre. Comme le rappelle souvent Jacques Welch, le CEO historique de General Electric parti vendre ses secrets de réussite dans les quatre coins du globe, les dirigeants sérieux sont ceux qui prennent des décisions et passent ensuite à l’acte.

Deuxièmement, l’effort de formation doit être orienté vers le développement simultané de la valeur et de l’unicité du capital humain. Sur le plan pratique, cela veut dire que l’identification des besoins en formation doit prendre en considération, et de manière simultanée, la nécessité de prévoir des formations spécifiques au métier et aux activités de l’entreprise et d’autres de type transversal permettant de développer les compétences génériques du personnel. Les compétences spécifiques se développeraient mieux dans le cadre de formations de type intra-entreprise alors que la production de compétences génériques serait associée aux formations de type inter-entreprises où les acteurs auront l’occasion d’identifier des expériences et des pratiques menées dans d’autres organisations et d’apprendre sur la base de l’observation de l’autre.

Troisièmement, une formation génératrice de capital humain devrait se faire au moyen de stratégie d’apprentissage orientée vers la découverte et l’exploration. Les formations classiques à forts contenus théoriques ne sont pas adaptées aux nouveaux besoins des organisations en matière de compétences humaines. Pour innover et rester compétitives, les entreprises vénèrent les profils de cadres audacieux, intelligents et explorateurs. Développer en interne ces compétences personnelles revient, en partie, à engager des actions de formation basées sur le principe de l’apprentissage par exploration (March, 1991). Les études de cas, l’apprentissage par problèmes, les mises en situation ou encore l’apprentissage structuré de type essai-erreur sont autant de dispositifs fiables auxquels peuvent recourir les

300

Page 301: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

professionnels des RH. Dans ce genre de situation, le choix des formateurs en fonction de leurs préférences d’apprentissage ainsi que la manière de structurer l’environnement de la formation sont autant de décisions cruciales que les professionnels des RH doivent prendre au sérieux.

Pour mesurer l’importance des dispositifs de formation dans une organisation du savoir, l’encadré suivant relate l’expérience de l’entreprise HBH qui fait partie de l’échantillon de cette recherche. On en retiendra surtout l’engagement de la direction dans la promotion de l’apprentissage des experts à travers la mobilisation d’une stratégie de formation « agressive ». Outre le fait qu’elle ne lésine pas sur les moyens, l’entreprise a mis en place une politique de formation qui lui permet un apprentissage à la fois interne (séminaires animés par les consultants maison) et externe (séminaires à l’étranger). Comme le montre l’exemple, la politique de formation est appuyée par une stratégie de réseautage international qui permet aux cadres de l’entreprise de profiter des savoirs et savoir-faire développés chez des institutions financières internationales.

Encadré 5.2. La formation et l’apprentissage des experts chez HBHEtant donné que les connaissances informatiques sont en perpétuel développement, pour maintenir une position compétitive, HBH doit continuellement veiller à la mise à jour et au renouvellement de ses compétences. Sans un développement permanent de ses expertises, l’entreprise tomberait rapidement en désuétude. Pour éviter un tel écueil, HBH accorde une importance capitale à la formation. Outre un budget de formation avoisinant 10% de son chiffre d’affaires, elle établit un réseau de partenariat avec plusieurs grandes compagnies informatiques, comme IBM et avec des organismes financiers internationaux, comme l’union générale(…) Pour rester en état de veille, les cadres HBH sont appelés à se déplacer pour s’informer et apprendre. Ils voyagent beaucoup, assistent aux congrès et participent aux multiples séminaires spécialisés. Chaque mois, des séminaires internes animés par des spécialistes étrangers sont organisés au profit de l’ensemble du personnel. Outre les compétences locales, HBH fait souvent appel à des consultants étrangers. Des contractuels syriens, algériens, français et de l’Afrique centrale travaillent aujourd’hui, ensemble, sur des projets précis. Par la mise en commun de ces compétences variables, il y a un apprentissage qui profite à chacun des membres et qui renforce l’expertise de l’entreprise.

Source : Gaha et Mansour (2004 :23).

III.2.2.3 Le management des performances : un dilemme à résoudre.

301

Page 302: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Un autre enjeu déterminant de la GRH orientée vers l’apprentissage est la mise en place d’un système de management des performances. En effet, l’une des questions cruciales en matière de gestion des personnes est de savoir comment, et selon quels critères, seront faites l’évaluation et la rémunération des personnes. L’idée d’un système de management des performances repose sur l’association de trois principes complémentaires, à savoir le management par objectifs, l’évaluation selon les performances et la rémunération au mérite. En matière de gestion des connaissances, les pratiques de management des performances peuvent contribuer à la fixation d’objectifs clairs en matière de création des connaissances ou d’acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire par les individus. En outre, les entreprises indexent une partie de la rémunération sur les compétences en matière de transfert de savoirs et d’expertises. Pour cela, elles sont appelées à développer une batterie d’indicateurs de performance dédiés aux comportements d’apprentissage.

Si les résultats de cette recherche confirment l’impact du management des performances sur le développement des compétences individuelles, ils ne montrent pas toutefois de liens significatifs avec le climat d’apprentissage. Un tel résulte se rapproche des conclusions de certaines études empiriques selon lesquelles le management des performances influencerait négativement le climat d’apprentissage (Shipton et al., 2006). On comprend aisément que ces pratiques posent un véritable dilemme aux managers des RH. Poussant le raisonnement au bout, il est tout à fait possible d’imaginer une situation où le design de ce genre de pratiques exacerbe les rivalités entre les acteurs et attise les logiques territoriales au nom de l’excellence individuelle. Le management des performances pourrait ainsi détériorer le climat organisationnel et soutenir l’émergence de comportements négatifs au travail. Plusieurs études empiriques sur le transfert des connaissances dans les entreprises du savoir ont pointé du doigt la responsabilité flagrante des systèmes individualisant de management des performances (Szulanski, 1996 ; Stenmark, 2001). De tels systèmes encouragent les comportements territoriaux et soutiennent, sans le vouloir, le culte du succès individuel. Or, comme le suggèrent les résultats de cette recherche, c’est de sa capacité à intégrer les différents savoirs individuels dans un cadre collectif que dépend en grande partie le succès d’une entreprise dans sa démarche de knowledge management.

Face à cette situation paradoxale, et en l’absence d’une solution miracle, comme c’est toujours le cas en gestion, nous conseillerons aux professionnels des RH de mettre en place des pratiques de management des performances équilibrées qui tiennent simultanément compte des performances individuelles et des

302

Page 303: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

comportements collectifs au travail. Les collaborateurs pourraient ainsi être évalués et rémunérés selon leurs résultats individuels mais aussi en fonction de leur contribution aux processus collectifs d’innovation, de partage des connaissances ou d’application des savoirs. Un tel système de management des performances est par définition complexe et dynamique. Il appelle à des ajustements fréquents de la batterie d’indicateurs liés à la performance et à la rémunération. Un autre problème à résoudre est incarné par la difficulté de mesurer la productivité du travail intellectuel. Ce problème se complexifie davantage lorsque le travail est fait dans un cadre d’équipe où il est déjà difficile de distinguer la contribution de chacun à l’output collectif.

III.2.2.4 Design du travail et réseautage social : penser en termes de communautés de pratiques

L’un des résultats intéressants de cette recherche a permis de mettre en lumière l’importance des dispositifs de design du travail et de réseautage social dans la réussite des processus de gestion des connaissances. En effet, organiser le travail autour d’équipes flexibles et autonomes et accroitre les opportunités de réseautage social à travers la rotation des postes et les systèmes de tutorat et de compagnonnage ont pour conséquence l’intégration des connaissances individuelles et la coordination d’une quantité importante d’idées, d’expertises et de sagesse. Ce dispositif d’organisation du travail et des relations sociales affecte également les capacités de partage des connaissances. La rotation des postes et le tutorat facilitent la socialisation du savoir, c'est-à-dire le passage de la connaissance tacite d’une sphère individuelle à une sphère collective (Nonaka et Takeuchi, 1995). Pour tirer profit des opportunités qu’offre ce design du travail, les managers ont tout intérêt à considérer le rôle important que jouent les communautés de pratique dans le développement de tels dispositifs.

L’intérêt croissant des entreprises pour la mise en œuvre des communautés de pratiques tient sans doute à ce qu’elles rassemblent plusieurs caractéristiques fortement prisées par les entreprises : un libre-investissement des acteurs dans le partage et la création des savoirs tacites, un mode souple de coordination et un espace de socialisation qui procure sens et motivation au travail (Soulier, 2004). Encourager la constitution de communautés de pratiques permet à l’entreprise de créer le contexte approprié à la mise en œuvre des processus de gestion des savoirs. Pour une entreprise, cela veut dire accepter l’émergence spontanée d’un réseau d’individus socialement liés, engagés dans une activité professionnelle, partageant un langage, des symboles, des préoccupations et qui développent leurs

303

Page 304: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

compétences dans l’échange et les activités collégiales de résolution des problèmes.

L’émergence des communautés de pratiques aura pour conséquence de démocratiser la production des savoirs dans l’entreprise. En élargissant la participation à la formation et le partage des connaissances à tous les membres de l’organisation, les communautés de pratiques étendent considérablement le champ d’intervention du knowledge management en « refusant » de penser le capital intellectuel comme la propriété privée d’une élite dirigeante. Le soutien organisationnel apporté à l’émergence des communautés de pratiques et la mise en réseau des individus peut se nourrir d’un ensemble large de dispositifs organisationnels et managériaux. Les pratiques de tutorat et de compagnonnage, les systèmes de rotation des postes, l’encouragement des rencontres et des discussions informelles, l’organisation du travail autour de constellations temporaires en constituent les principales variantes.

Ainsi, au terme de cette discussion sur les implications managériales de cette recherche, nous pouvons affirmer que les professionnels des RH auront à jouer un rôle important dans le développement des capacités de gestion des connaissances de leurs organisations. En guise de synthèse, le tableau suivant résume les domaines d’intervention possibles de la fonction GRH dans le cadre de ces activités.

304

Page 305: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Tableau 5.19- synthèse des recommandations managériales Actions sur les pratiques d’empowerment

Actions sur les pratiques de formation

Actions sur les pratiques de management des performances

Actions sur le design du travail et le réseautage social

Objectifs en termes de gestion des savoirs : Développer l’autonomie des collaborateurs afin de renforcer les activités d’apprentissage par exploration. L’empowerment contribue à l’innovation individuelle et collective et améliore les compétences organisationnelles en matière de création et d’application des savoirs.

Dispositifs managériaux dédiés

*Redéfinir en permanence le périmètre d’activité des employés. *Mettre en place un management plus délégatif appelant, entre autres, à modifier les autres pratiques de gestion des personnes.*Définir une stratégie cohérente d’autonomisation des employés basée sur les principes du management par objectifs.*Tolérer les erreurs, les

Objectifs en termes de gestion des savoirs : Développer la valeur et l’unicité du capital humain de l’entreprise en enrichissant et élargissant les répertoires de compétences des employés. Cela permet d’améliorer substantiellement les capacités individuelles de création et d’application des savoirs dans l’organisation.

Dispositifs managériaux dédiés

*Recentrer les programmes de formation sur les besoins en compétences spécifiques et transversales. *Ancrer davantage la vision « investissement » de la formation dans l’entreprise*Opter pour des stratégies de formation adaptées au type d’apprentissage par exploration. *Structurer l’environnement pédagogique d’apprentissage selon les principes de l’apprentissage par

Objectifs en termes de gestion des savoirs : Encourager la fixation, l’atteinte et la rémunération des objectifs de création et d’application des connaissances.Encourager et rémunérer les comportements coopératifs en matière de partage d’expertises, d’intégration des connaissances.

Dispositifs managériaux dédiés

*Mettre en place un dispositif de fixation d’objectifs de performances en matière de gestion des connaissances : participation aux activités de créativité collective, degré de partage des connaissances, etc.*Opter pour un système de reconnaissance équilibré qui tient compte à la fois des performances individuelles et des comportements collectifs

Objectifs en termes de gestion des savoirs : Reconcevoir le design du travail dans un sens qui soutient l’émergence de communautés de pratiques.Encourager les opportunités de réseautage social des individus pour créer le contexte adéquat aux activités de gestion des connaissances.

Dispositifs managériaux dédiés

*Soutenir l’émergence de dispositifs d’organisation du travail spontanés, flexibles et apprenants*Multiplier les opportunités de réseautage social à travers les systèmes de rotation des postes et de mobilité interne. Savoir que la mobilité fonctionnelle engendre la mobilité intellectuelle* Mettre en place des dispositifs de tutorat et de

305

Page 306: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

approximations et les processus émergents.

exploration. en termes de partage et de création des connaissances.

compagnonnage et en suivre les résultats.

306

Page 307: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Conclusion

La méthode quantitative suivie dans le cadre de cette recherche a permis de tester les relations entre les différents construits abordés dans cette thèse. Une procédure particulière a été en outre appliquée au test du rôle médiateur du capital humain et du climat d’apprentissage entre les pratiques de GRH orientées vers l’apprentissage et les processus de gestion des connaissances.

Les conclusions auxquelles nous avons abouti confirment les options théoriques retenues dans le cadre de cette thèse. En effet, les résultats permettent d’affirmer que les pratiques de gestion des ressources humaines constituent un levier important pour développer les capacités de gestion des connaissances de l’entreprise. En réalité, les pratiques de GRH améliorent substantiellement le capital humain de l’entreprise et contribuent à l’émergence d’un climat de travail orienté vers l’apprentissage, ce qui influence positivement les compétences collectives en matière de gestion des savoirs. Les résultats retenus ont été ensuite exposés et discutés en les confrontant aux résultats antérieurs d’autres recherches effectuées sur les construits étudiés.

Au delà de leurs enseignements pour la recherche, les conclusions de cette thèse fournissent un certain nombre d’apports pour les managers sur le terrain. Elles contribuent, en effet, à une meilleure compréhension de la dimension organisationnelle du knowledge management et à la valorisation du rôle des pratiques RH dans ce domaine. Sur cette base, un corps de recommandations managériales a été présenté. Ces recommandations concernent autant le contexte organisationnel et le capital humain que les pratiques de management des personnes censées les développer dans l’entreprise.

307

Page 308: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Conclusion de la deuxième partie

Une recherche en sciences de gestion s’apprécie à la lumière des apports théoriques et managériaux qu’elle est en mesure de fournir. Pour arriver à ce stade, il faut au préalable mobiliser un cadre méthodologique approprié à la problématique étudiée. Les précautions méthodologiques prises dans le cadre de cette deuxième partie ont pour finalité de rendre intelligible notre démarche d’investigation empirique. Ainsi, nous étions amenés dans un premier temps à clarifier la posture épistémologique de cette recherche et ses conséquences méthodologiques. Tester un modèle de recherche au moyen de techniques quantitatives ne peut que cadrer avec une épistémologie positiviste. En effet, le cadre hypothético-déductif est le plus à même de nous permettre de répondre à la question centrale de cette recherche. Le modèle mesuré a été construit sur la base d’une réflexion sur la nature socialement encastrée de la connaissance. S’il peut paraître inconvenant d’associer théorie d’encastrement social et mesure quantitative du réel, une telle option semble devenir tout à fait valable dans le domaine des sciences de gestion où les arguments « de filiation sociologique » sont de plus en plus intégrés dans le cadre de recherches de fondements épistémologiques positivistes32.

Globalement, les résultats issus de cette recherche confirment les options théoriques retenues. Nos résultats sont également cohérents avec plusieurs recherches antérieures sur le phénomène étudié. Dans le cadre de l’échantillon de cette étude, la gestion des ressources humaines a été révélée comme levier essentiel des capacités de gestion des connaissances dans l’entreprise. Ce résultat corrobore les développements théoriques actuels selon lesquels la GRH serait un facteur de performance et de création de valeur pour l’entreprise. Il offre aussi un soutien additionnel aux travaux actuels sur la dimension organisationnelle des processus d’apprentissage organisationnel, notamment celle en relation avec sa composante humaine et culturelle.

Au risque de décevoir les apôtres du management universaliste, les suggestions pratiques issues de cette recherche sont à considérer exclusivement dans les limites du contexte et du périmètre de cette investigation empirique. Elles concernent de ce fait les entreprises tunisiennes opérant dans des secteurs intensifs en connaissances

32 Comme exemple, les recherches sur le phénomène des « réseaux sociaux » se font de plus en plus au moyen de méthodes statistiques avancées.

308

Page 309: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

(pharmaceutique, high-tech, conseil, télécommunications, etc.). Dans ces secteurs où les avantages compétitifs de l’industrie (main d’œuvre bon marché, accès aux matières premières, bases logistiques étendues) sont quasi inopérants, la performance des entreprises serait essentiellement déterminée par leur capacité à structure efficacement leurs ressources immatérielles internes et à tirer profit de toutes les potentialités qu’offrent leurs ressources humaines. En fournissant un ensemble de recommandations sur la question du knowledge management, cette recherche aurait contribué à l’amélioration de ces démarches dans les entreprises ciblées par cette investigation. Car, on ne le dira jamais assez, la pertinence d’une recherche en sciences de gestion s’apprécie surtout à la lumière de sa capacité à résoudre les problèmes autour desquels elle a été engagée.

309

Page 310: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

Conclusion générale

La recherche en management des connaissances a touché plusieurs domaines tels les systèmes d’information, la stratégie de l’entreprise, l’économie immatérielle, etc. L’intervention de la gestion des ressources humaines dans le développement et l’expansion des connaissances a été très peu analysée. Ses rôles ont été souvent marginaux ou simplement occultés. Ce travail a cherché à montrer la centralité des ressources humaines dans les processus de management des connaissances. Tout au long de l’analyse du corpus théorique, nous avons examiné et montré les relations étroites qui existent entre les attributions et pratiques de la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances ; leurs multiples imbrications et effets mutuels ont été ainsi clairement ressortis. L’importance de la gestion des ressources humaines pour le knowledge management découle de sa contribution à l’avènement, à la fois, d’un capital humain distingué, inimitable et à compétence ouverte et diversifiée, d’une part, et d’une mise en ordre des facteurs qui permet l’échange et favorise l’expérimentation, d’autre part. La mise en combinaison d’une intelligence humaine renforcée et d’une organisation apprenante autorise l’éclosion de nouvelles idées et facilite la construction de nouvelles connaissances.

Engager une recherche sur la problématique de la GRH et ses multiples rapports avec le management des savoirs était une question difficile s’il fallait considérer l’étendue et la fertilité de notre problématique. Le rapprochement entre l’univers de la connaissance, « colonisé » par les adeptes des TIC et celui de la GRH, « colonisé », lui aussi, par un humanisme parfois primaire et souffrant d’un déficit chronique de crédibilité, s’annonçait une œuvre difficile et non moins évidente. Un tel rapprochement était difficile, parce que la juxtaposition de ces deux riches corpus pourrait paraître, a priori, incommensurable. En effet, pour tout observateur extérieur, il y a là deux « objets » autonomes, chacun faisant appel à des outils, approches et logiques dissemblables. Alors que la connaissance semble avoir le relent de la chose formalisée, quantifiée, modélisable ; la GRH évoque, par contre, l’humain, sa mouvance et sa complexité. Pourtant, à regarder de plus près, les frontières entre les deux domaines sont loin d’être hermétiques et encore moins mutuellement exclusives. Nous avons montré tout au long de l’argumentaire que les

310

Page 311: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

deux objets sont complémentaires : l’un fait l’autre ; l’un est dans l’autre. La connaissance et les RH semblent être organiquement dépendants, s’inscrire dans la même lignée, dans le même ordre. Les développements déployés dans cette thèse présument et mettent au clair cette relation étroite entre connaissances et ressources humaines. Notre recherche interpelle et fait réfléchir sur les raisons et les approches à construire pour former une meilleure interpénétration des deux objets, pour faire de la GRH un levier consubstantiel pour les connaissances, leur gestion, leur partage et leur promotion.

I. Contributions de la recherche

Les apports de cette thèse peuvent être classés en deux ensembles. Les premiers sont d’ordre théorique. Ils concernent surtout la relecture du corpus portant sur la thématique centrale retenue : le knowledge management et la GRH. Les deuxièmes sont d’ordre managérial. Ils concernent les différentes implications et pratiques que peuvent avoir les résultats de cette recherche pour les managers sur le terrain.

1. Les contributions théoriques de la thèse

Le bilan théorique de cette thèse fait ressortir trois contributions significatives. La première découle de l’orientation même de la question de recherche. Elle concerne l’intégration du management des connaissances dans une problématique de GRH. Cet effort d’intégration s’est appuyé sur une déconstruction théorique de la littérature sur le management des savoirs. Rendue possible par une revue critique du corpus, cette déconstruction nous a servi de point d’appui pour jeter ensuite les bases d’une perspective « organisationnelle » du management des savoirs. L’appareil théorique mobilisé pour fonder cette nouvelle perspective s’est largement inspiré des apports de la théorie de l’encastrement social (Grannovetter, 1985 ; 1992). L’encastrement social est une théorie relevant de la sociologie économique. Elle est fondée sur l’idée que les comportements individuels et collectifs seraient majoritairement influencés par le contexte social dans lequel ils sont encastrés, inscrits. Ainsi, la gestion des connaissances serait nécessairement encastrée dans un espace-temps donné ; dans un contexte organisationnel qui marque et structure ses différents processus. Elle est ainsi pensée comme un phénomène social et dynamique. Un tel repositionnement du management des savoirs dans un registre « organisationnel » nous a permis de constituer un ancrage théorique donnant à l’étude de la connaissance une assise et une dimension « ressources humaines ».

Le deuxième apport théorique réside dans la construction progressive d’un modèle de recherche reliant la gestion des ressources humaines

311

Page 312: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

et le management des connaissances. Ce modèle intègre les pratiques de GRH orientées vers l’apprentissage, la gestion des connaissances, le climat d’apprentissage et le capital humain. Ces deux derniers construits jouent le rôle de variables médiatrices dans le modèle théorique proposé. Le tressage théorique aboutissant au modèle de recherche peut ainsi être résumé comme suit : les pratiques de GRH peuvent contribuer indirectement au développement des capacités organisationnelles de gestion des connaissances. Cette contribution se forme à partir de deux instances complémentaires. Au niveau de la première, il s’agit de développer le capital humain en soutenant la création et l’enrichissement continu d’un répertoire diversifié de compétences distinctives dans l’entreprise. Pour la seconde instance, la GRH est appelée à constituer une “infrastructure culturelle apprenante” qui permet d’accroître l’autonomie de chacun des employés, de les responsabiliser et de les encourager afin de mettre en pratique leur créativité et leur potentiel d’innovation. Cette infrastructure devrait favoriser, par ailleurs, l’engagement du personnel dans des processus de partage de connaissances et d’expérimentation de leurs expertises.

Enfin, un troisième apport théorique peut être apprécié à la lumière des travaux actuels en management stratégique des ressources humaines. Ce courant de recherche s’est constitué autour de travaux ayant pour objectif de démontrer - dans un souci constant de recherche de légitimité - la contribution effective de la GRH à la performance de l’entreprise. Dans la présente recherche, nous avons défendu et montré en quoi la GRH serait créatrice de valeur. Les résultats dégagés par cette thèse confirment que moyennant la prise en compte de certains dispositifs préalables, la GRH est en mesure d’agir de manière décisive sur les niveaux de performance de l’organisation. Nous avons ainsi pu définir un ensemble de pratiques GRH orientées vers l’apprentissage. L’empowerment des collaborateurs, les pratiques de management des performances, la formation et enfin, les pratiques de design du travail et de réseautage social forment le noyau dur de cette configuration de pratiques GRH.

2. Les contributions managériales de la thèse

En mettant en analyse leurs démarches de gestion des connaissances, les entreprises, obnubilées par les attraits d’une technologie de l’information en plein essor, ont souvent occulté le facteur humain et fait l’économie d’une réflexion nécessaire sur sa place et ses apports. Façonnées par les directions des systèmes d’information, l’ensemble des démarches initiées pour gérer les connaissances a fini par s’inscrire dans une logique techniciste et privilégier un déterminisme réducteur. C’est cette vision erronée qui a conduit les premières

312

Page 313: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

démarches de gestion des connaissances à des difficultés. Naivement réduit à des objets parfaitement modélisables, le savoir s’avère etre une ressource morte qui est peu utilisée et donc peu valorisée. « De là à conclure que la connaissance, finalement, ne serait nécessaire pour créer de la richesse, il n’y a qu’un pas » (Ballay, 2003 :8).

En replaçant le management des connaissances dans un registre organisationnel, cette thèse a montré que la gestion des RH demeure un levier fondamental d’apprentissage. L’enseignement majeur de notre travail est que les managers devront considérer la question du savoir sous un autre angle. La connaissance active et agissante se voit dès qu’on observe des gens compétents travailler ensemble, coopérer, expérimenter de nouvelles idées et utiliser des méthodes et des outils de manière intelligente. Les résultats empiriques montrent que la prise en compte de certains dispositifs en matière de GRH permet de développer le capital humain de l’entreprise et de soutenir l’émergence d’un climat organisationnel favorable à l’apprentissage et à l’exploration de nouveaux savoirs et savoir-faire.

Au vu des résultats de cette recherche, il semble que les professionnels des RH ont à relever nécessairement le défi de la gestion des connaissances. Longtemps accaparé par les directions des systèmes d’information, le management des connaissances gagnerait à être déplacé et inséré dans les prérogatives et activités des responsables des RH. Structure de soutien au projet knowledge management, la GRH sera ainsi comptable du développement des potentialités des personnes et de la structuration de l’environnement culturel de l’apprentissage. La conception de politiques et de pratiques RH ainsi que leur mise en ordre sont des activités qui reviennent à la fonction RH. En outre, le contrôle des politiques et stratégies du travail et toute l’organisation des travailleurs et de leur mise en interaction et en coopération sont du ressort de cette fonction. C’est pourquoi, la gestion des connaissances devrait aussi lui appartenir et faire partie de ses missions.

Sans vouloir reprendre ici les implications managériales de la recherche, il est utile de rappeler que cette étude a permis de définir un certain nombre de pratiques RH actionnables dans le cadre d’une approche de gestion des connaissances. En premier lieu, les pratiques d'empowerment, si elles sont bien négociées et mises en œuvre, peuvent améliorer les compétences des individus et promouvoir un apprentissage par expérimentation. Les individus apprennent ainsi sur la base d'une observation informée et valide mais aussi sur la base d’une expérimentation active et volontaire. En deuxième lieu, les pratiques de formation s'avèrent nécessaires pour soutenir le développement d'un capital humain de valeur et spécifique qui, une

313

Page 314: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

fois mis en œuvre, participe au développement des processus de création et d'application des connaissances. L’intégration de la formation dans une problématique de gestion des connaissances appelle l’entreprise à revisiter les modes classiques de formation basés sur de forts contenus théoriques. En effet, une formation génératrice de capital humain devrait se faire au moyen de stratégie d’apprentissage orientée vers la découverte et l’exploration. Les études de cas, l’apprentissage par simulation, les mises en situation ou encore l’apprentissage structuré de type essai-erreur sont autant de dispositifs fiables auxquels peuvent recourir les professionnels des RH dans cette perspective.

En troisième lieu, le mode d’organisation du travail et les pratiques de réseautage social se sont révélés, dans le cadre de cette thèse, comme leviers essentiels des comportements de partage et de création des connaissances. Les dispositifs collectifs d’organisation du travail affectent les capacités de partage des connaissances. La rotation des postes et le tutorat facilitent, pour leur part, la socialisation du savoir, c'est-à-dire le passage de la connaissance tacite d’une sphère individuelle à une sphère collective. Dans ce cadre, nous avons pointé la nécessité pour les professionnels des RH de soutenir l’émergence des communautés de pratiques. Ce type de configuration structurelle représente en effet un terreau favorable au réseautage social des différentes connaissances et expertises individuelles.

Enfin, cette étude a montré l’importance des pratiques de management des performances dans le développement des capacités de knowledge management. Ces pratiques regroupent le management par objectifs ainsi que l’évaluation et la rémunération au mérite. Nous avons essentiellement pointé l’importance pour les professionnels des RH de mettre en place des pratiques de management des performances équilibrées qui tiennent simultanément compte des performances individuelles et collectives en matière de création, de partage et d’application des connaissances au travail.

II. Insuffisances de la recherche

Le bilan de cette recherche fait ressortir des contributions théoriques et managériales significatives. Les plus importantes ont été précédemment mentionnées. Cependant, cette recherche ne prétend pas la perfection. Comme toute production scientifique, elle est partielle et partiale. Elle présente des insuffisances. Nous en retenons trois.

314

Page 315: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La première limite est théorique. Elle découle de l’orientation même de la problématique de recherche. La volonté d’aborder la gestion des connaissances dans une logique de GRH a réduit le champ de l’analyse théorique. La lecture proposée dans cette thèse est de montrer, d’une part, les travers et dysfonctionnements de l’usage prédominant des technologies de l’information en soulignant l’importance des dimensions sociale et organisationnelle du management des connaissances, d’autre part. Ainsi définie, notre ligne conductrice nous a contraints à ne regarder que les interférences entre ces deux objets thématiques. Pourtant, l’introduction d’autres éclairages tels que le droit, la culture sociétale ou l’économie industrielle auraient pu enrichir davantage l’analyse.

La deuxième limite est managériale. Elle découle des implications pratiques de cette recherche. Certaines suggestions managériales doivent, en effet, être prises avec précaution. D’abord, comme le soutiennent certains chercheurs, certaines pratiques de management des performances peuvent avoir un impact endommageant sur les capacités d’apprentissage de l’entreprise. La décision de relier les rémunérations aux performances individuelles peut parfois entamer les processus de création et de partage des connaissances. La rémunération selon les résultats peut inhiber dans de certains cas la créativité des acteurs organisationnels. Devant l’importance de l’incidence sur les salaires que peuvent avoir les actions d’expérimentation et de créativité, certains employés, pour sécuriser leurs revenus, préfèrent renoncer aux activités intellectuelles risquées et se contentent d’exploiter les idées et les ressources existantes. D’autre part, notre appel à la conception de mécanismes d’évaluation et d’incitation équilibrant les performances individuelles et collectives n’est pas moins délicat à mettre en place du fait de la complexité des procédures à créer et des résistances politiques qui peuvent émerger.

Sur un autre plan, l’empowerment des collaborateurs ne doit pas être considéré comme une panacée. S’il est vrai que l’autonomisation et la responsabilisation des collaborateurs peuvent avoir des retombées positives sur les compétences collectives de création des savoirs, cela n’exclut pas les risques et les difficultés de sa mise en œuvre. L’empowerment est en effet générateur de coûts pour l’entreprise. Les équipes autonomes ou semi-autonomes ont très souvent du mal à achever leurs projets dans les délais impartis. D’autre part, de telles configurations sont souvent le siège privilégié de l’émergence de comportements identitaires et de réflexes claniques. Des conflits entre les membres d’une équipe ou entre plusieurs équipes sont souvent envisagés. Non prévus et mal gérés, de tels conflits réduisent l’innovativité et la performance du groupe.

315

Page 316: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

La troisième limite de cette recherche est d’ordre méthodologique. Elle concerne particulièrement le choix du terrain de l’enquête, c'est-à-dire les entreprises intensives en connaissances. Cette recherche aurait gagné en information et enseignement si nous avons pu diversifier le profil des entreprises enquêtées et constituer un échantillon plus large. Les résultats de cette recherche auraient gagné en pertinence et sa portée théorique d’une meilleure généralisation si notre observation du terrain tunisien était beaucoup plus large.

III. Prolongements de la thèse 

La qualité d’une recherche en sciences de gestion est aussi tributaire de sa capacité à soulever des questionnements futurs et aider à la constitution d’un agenda de recherche. Plusieurs prolongements sont envisageables pour notre recherche. Trois axes sont possibles. Le premier concerne toujours la relation entre la gestion des ressources humaines et la gestion des connaissances. La perspective d’approche sera cependant différente. En effet, il serait intéressant de comparer les effets de modes de GRH différents sur les capacités de gestion des connaissances. Dans la logique de l’approche configurationnelle du capital humain, il s’agirait de comparer les effets sur le knowledge mangement d’au moins deux logiques différentes de GRH (logique de développement interne du capital humain et logique d’acquisition externe). La pertinence d’une telle recherche se mesurera surtout à la lumière des implications managériales qu’elle serait capable de générer. Nous conjecturons que ces implications managériales pour les DRH porteraient sur des questions aussi importantes que la nature de les relations d’emploi, les configurations types de GRH, la nature du contrat psychologique à établir entre l’organisation et son employé ainsi que la nature de l’apprentissage privilégié par l’entreprise (interne ou externe).

Le deuxième axe de recherche futur portera sur la possible intégration des approches technologique et organisationnelle au sein d’un même dispositif de recherche. Plutôt que de les opposer, il serait judicieux d’explorer leur tension dynamique. Les instruments formels peuvent favoriser le développement des interactions s’ils sont eux-mêmes soumis à un retour réflexif critique de la part des utilisateurs. Sans doute, une telle entreprise appelle à la mobilisation des travaux fondateurs de March (1991) sur la tension dynamique entre l’apprentissage par exploitation et celui par exploration.

Enfin, le troisième axe de recherche concernerait l’analyse des approches de gestion des connaissances dans les entreprises tunisiennes, tous secteurs et tailles confondus. La faiblesse des productions théoriques tunisiennes dans ce domaine et le peu de

316

Page 317: Chapitre 1 - KSUfac.ksu.edu.sa/sites/default/files/My PhD dissertation.doc · Web viewEnsemble, elles forment une sorte de KM-MIX ; c'est-à-dire des éléments fondamentaux interreliés

validations empiriques rendent une pareille entreprise ardue mais nécessaire. Dans un environnement caractérisé par l’avènement d’une économie de la connaissance à l’échelle globale, il serait judicieux de s’interroger sur les modes et pratiques d’apprentissage développés par les entreprises tunisiennes. Une attention particulière doit être accordée aux spécificités culturelles, managériales et humaines de ces entreprises. A l’heure où le savoir est en passe de devenir le « carburant » de la nouvelle économie, de telles questions « brûlantes » sur la perception et le management des connaissances dans les entreprises tunisiennes doivent être élucidées et des enseignements dégagés.

317