21
CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE CAPACITANTE ? Alexandre Oboeuf, Grégory Aiguier, Alain Loute ESKA | « Journal International de Bioéthique » 2016/1 Vol. 27 | pages 127 à 146 ISSN 1287-7352 ISBN 9782747225489 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-journal-international-de-bioethique-2016-1-page-127.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Alexandre Oboeuf et al., « Chapitre 7. Les méthodes de codesign : une ressource capacitante ? », Journal International de Bioéthique 2016/1 (Vol. 27), p. 127-146. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © ESKA Document téléchargé depuis www.cairn.info - Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © ESKA

CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCECAPACITANTE ?Alexandre Oboeuf, Grégory Aiguier, Alain Loute

ESKA | « Journal International de Bioéthique »

2016/1 Vol. 27 | pages 127 à 146 ISSN 1287-7352ISBN 9782747225489

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-journal-international-de-bioethique-2016-1-page-127.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Alexandre Oboeuf et al., « Chapitre 7. Les méthodes de codesign : une ressource capacitante ? »,Journal International de Bioéthique 2016/1 (Vol. 27), p. 127-146.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour ESKA.

© ESKA. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 2: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

127

Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences, 2016, vol. 27, n° 1-2

Chapitre 7

LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

CAPACITANTE ?

Alexandre OBOEUF*, Grégory AIGUIER** & Alain LOUTE**,***

INTRODUCTION

Genèse du projet

Dans le cadre d’un axe de recherche consacré aux innovations pédagogiques en éthique de la santé, l’équipe du Centre d’Ethique Médicale (CEM) anime une démarche de recherche-intervention consacrée au soin et à son apprentissage1. Cette recherche se développe au sein et avec les acteurs et les organisations du secteur santé-social de l’Université Catholique de Lille. Outre les enseignants-chercheurs du CEM, elle réunit des soignants, des cadres de santé du Groupement des Hôpitaux

* Laboratoire Techniques et Enjeux du Corps, EA 3625, Université Paris Descartes, Paris Cité Sorbonne. Contact : Alexandre Oboeuf – 26, rue de Verlinghem – 59130 LAMBERSART

** Centre d’Éthique Médicale, Département d’Ethique et de Philosophie de l’Université Catholique de Lille.

*** Unités Technologies et Sociétés, Centre de Recherche Information Droit et Société, Université de Namur. [email protected].

1 Projet LABCAP, campagne Horizon 2020 de l’Université Catholique de Lille.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 127 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 3: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

128

de l’Institut Catholique de Lille (GHICL), des formateurs en santé, mais aussi des étudiants des filières sanitaires et médicosociales. L’objectif de cette recherche est en effet de co-construire, avec les acteurs directement concernés, des pratiques et des dispositifs pédagogiques plus adaptés aux enjeux contemporains du soin : une action collective de soin co-élaborée avec le patient.

Pratiquement, cette recherche articule différentes activités. Une réflexion théorique sur le soin et son apprentissage, mais aussi l’expérimentation de nouvelles approches pédagogiques : le recours aux méthodes de confrontation des acteurs à leur activité en contexte authentique, la simulation et le jeu de rôles dans un contexte de soin reconstitué. Cette dernière approche a été plus particulièrement développée dans le cadre du projet Interreg « Dignity in Care »2 (Boitte, Aiguier, Dequire, Paree, & Cobbaut, 2012). Ce projet avait pour objectif d’expérimenter une pédagogie innovante du prendre soin en se focalisant plus spécifiquement sur la dimension relationnelle et sur les émotions. Suite aux évaluations réalisées sur l’expérience pédagogique elle-même, les porteurs de ce projet « Dignity in Care » ont souhaité articuler une réflexion sur le possible développement de ce type de pédagogie dans les cursus de formation en santé. Pour mieux comprendre les enjeux et les ressorts de la relation dans le soin mais aussi en réfléchir les diffé-rentes modalités d’apprentissage, le comité de pilotage de ce projet a donc souhaité organiser une journée de co-élaboration sur ce thème. Deux animateurs formés à la méthodologie du codesign ont ainsi été chargés de structurer et d’animer une journée sur la relation dans le soin et son apprentissage.

Le codesign

Cette méthodologie (Roche, 2014) consiste à réunir des acteurs d’horizons divers (soignants, formateurs, étudiants, patients/usagers, étudiants, chercheurs) afin qu’ils réfléchissent ensemble sur un thème donné. Des animateurs se chargent de construire un protocole visant, par une succession d’exercices, à faciliter la montée en créativité du groupe. Ce protocole cherche à développer une forme d’intelligence collective pour favoriser l’émergence de pistes innovantes d’action sur le thème considéré. Le codesign repose sur une hypothèse forte : celle de la complémen-tarité entre la pensée convergente et la pensée divergente. Cette dernière s’entend comme la capacité d’une personne à produire un grand nombre de réponses à une question donnée (fluidité), mais aussi comme la capacité à trouver des idées qui

2 The INTERREG IVA 2 Seas Dignity in Care partnership : KAHO Sint-Lieven, Gent (B), sTimul : care-ethics lab, Moorsele (B), Université Catholique de Lille (F), Zorg-Saam Zeeuws-Vlaanderen (Ne), University of Applied Sciences, Zeeland (Ne), Partners in Care, East Dorset Council, (UK) ; www.dignity-in-care.eu

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 128 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 4: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

129

sortent du cadre de réflexion habituel (flexibilité)3. À cette pensée divergente s’est longtemps opposée la pensée convergente, entendue comme la capacité à trouver la meilleure réponse à un problème donné. Aujourd’hui, cette dichotomie est frappée d’obsolescence, et on s’attarde plutôt sur la complémentarité des deux pensées dans le processus de créativité. Ainsi, il a été montré que cette dernière augmentait de manière significative en cas d’implication commune des deux pensées (Jaarsveld, Lachmann, & Van Leeuwen, 2012 ; Treffinger, Selby, & Isaksen, 2008). Il existe une « interaction créative » (Necka, 2003) entre les deux pensées qui se relayent et dialoguent au cours du processus créatif.

Sur un plan plus fondamental, on peut, avec Steen (2013), inscrire ces méthodes de codesign dans la philosophie pragmatiste, notamment celle développée par John Dewey. Pour ce dernier, le traitement des problèmes qui se posent relève en effet d’une « enquête collective » menée par des acteurs concernés par les problèmes et qui s’engagent collectivement dans une démarche de résolution de problème (Dewey, 2010). Dans cette veine, le codesign est ainsi proposé comme possible « ressource capacitante » visant l’expression libre et autonome des sujets et leur participation active dans le traitement d’un problème.

L’objectif de cet article est d’évaluer l’apport de la démarche codesign au projet de recherche-intervention consacré au soin et à son apprentissage. Il s’appuiera pour ce faire sur une analyse a posteriori de la séance, par les animateurs eux-mêmes, et questionnera plus particulièrement le processus même de codesign : Permet-il réellement de faire émerger des idées innovantes ? Ouvre-t-il les possibilités d’un échange entre les différents participants ? Sous quelles conditions cette méthodo-logie se révèle-t-elle « capacitante »4, à la fois au niveau relationnel mais aussi au niveau de l’idéation ? Plus fondamentalement, comment évaluer le processus de codesign ? Comment mesurer l’amélioration des relations au cœur du soin qu’il aura pu initier (indicateurs, critères, etc.) ? Comment construire une « éthique » du codesign ?

3 C’est Guilford (1956 ; 1967) qui, le premier, définit ces concepts. Notons qu’une vingtaine d’années après ses premiers écrits, Guilford définira pas moins de 6 facteurs de créativité : sensibilisation aux problèmes, fluidité, flexibilité, originalité, redéfinition et clairvoyance. La fluidité et la flexibilité restent encore aujourd’hui les plus mobilisées.

4 On entend par « capacitante » le fait que cette ressource puisse rendre possible, ou du moins favoriser, la participation de tous et l’émergence d’idées nouvelles (Fernagu-Oudet, 2012 ; Sen, 2000 ; Vallerie & Le Bossé, 2006).

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 129 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 5: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

130

MÉTHODOLOGIE

Pour mener cette analyse réflexive, nous avons retracé les étapes de construction du protocole d’animation. Celui-ci a été construit par les animateurs à partir d’un premier temps de travail consacré à l’appropriation de la problématique de départ telle qu’exposée par les commanditaires, à savoir l’apprentissage du soin et de la relation dans les soins. Sur base de cette problématique ont émergé trois questions structurantes auxquelles cette journée de codesign visait à apporter des réponses : Qu’est-ce que la relation dans le soin ? Que signifie apprendre le soin ? Quels seraient les contextes, les dispositifs et les conditions qui faciliteraient ou freine-raient cet apprentissage ?

Une fois ce cadre posé, nous avons alors pu réfléchir à la composition du groupe et au protocole d’animation.

Participants à la séance de codesign

D’après la littérature sur le sujet, la taille optimale afin de soutenir les échanges oscillerait entre trois et six personnes. Plus l’effectif augmente, plus l’hétérogénéité s’accroît, et plus s’amplifie la difficulté pour chacun de participer aux débats. Il en résulte une moindre satisfaction, entraînant ipso facto une baisse notable de la cohésion (Henderson & Argyle, 1990). Précisons que les questions inhérentes à l’effectif du groupe sont d’autant plus sensibles si des personnes en situation de vulnérabilité participent aux échanges. Notons que dans la succession d’exercices que nous proposons, il y a le plus souvent trois ou quatre groupes. Afin de favoriser la participation de tous, il faut donc éviter de dépasser le nombre de vingt-quatre participants lorsqu’il n’y a que deux animateurs. Pour la journée portant sur la relation dans le soin et son apprentissage, nous comptons dix-sept participants : une cadre de santé, une formatrice en soins infirmiers, deux étudiants infirmiers, un étudiant aide-soignant, une étudiante cadre de santé, deux médecins, un professeur d’anglais à la retraite, une formatrice en école d’ergothérapie, une architecte, deux usagers, une représentante des usagers, un psychologue, une infirmière et un chercheur en sociologie.

Présentation et articulation du protocole

Après un temps d’accueil visant l’instauration d’un climat convivial, nous avons souhaité consacrer la matinée à la construction des conditions propices

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 130 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 6: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

131

à la réalisation d’un travail collectif. Selon nous, cette étape est cruciale en ce qu’elle doit permettre de créer un « climat d’innovation » favorable aux échanges. La première pierre posée visait la fragilisation des statuts professionnels qui, en tant que piliers de nos certitudes et de nos représentations, représentent des écueils à surmonter dans le cadre d’une démarche de co-élaboration. C’est la raison pour laquelle un exercice ludique de « brise-glace » a été proposé afin d’affaiblir l’influence statutaire (Tableau 1). Certains sont médecins ; d’autres sont cadres ou étudiants. Le second exercice proposé permet de construire un langage commun autour de la relation dans le soin et son apprentissage. En partageant les représen-tations, et ce précisément après le « brise-glace », nous espérons que l’acceptation des différences sera renforcée. On obtient ainsi un panorama des représentations des participants, qui a vocation à faciliter le déploiement d’un langage commun. Le dernier exercice de la matinée permet quant à lui une prise de conscience de nos représentations via un changement de rôle.

L’après-midi débute par un atelier de divergence5 visant à consolider la prise de distance avec nos habitudes de pensées. L’atelier des analogies offre cette oppor-tunité. Les participants, scindés en trois groupes, vont réfléchir à ce que serait « la relation idéale » dans d’autres organisations humaines que celle du soin (Tableau 2). Chaque groupe doit dans ce cadre réaliser un poster qu’il présentera aux autres participants lors d’un « vernissage ». On pourra alors réfléchir ensemble aux éléments transférables à la relation dans le soin. Pourquoi avoir recours à un poster dans cet atelier ? Comme le souligne Nigel Cross (2011), les schémas et dessins présentent un intérêt de tout premier plan dans l’acte créatif. Ils ne sont pas une « simple projection d’idées pré-établies, mais s’inscrivent dans un processus rétroactif où l’idée et le dessin s’alimentent mutuellement. À la fois mémoire externe, modèle et instrument d’exploration mentale, les croquis permettent l’exploration conjointe du problème et de la solution » (Dortier, 2015, p. 65). Des solutions inexplorées peuvent donc jaillir au cœur de cet atelier où l’on questionne notre capacité à changer d’angle d’attaque, i.e. notre flexibilité (Guilford, 1967). Le deuxième exercice de l’après-midi est le dernier mobilisant à titre principal la pensée divergente. Trois groupes sont formés, et les participants vont devoir individuellement proposer le plus d’idées possibles afin d’améliorer l’apprentissage de la relation dans le soin (Pioche aux idées). Ce temps réflexif individuel doit permettre de donner un grand nombre d’idées (fluidité) en plébiscitant par ailleurs le changement d’angle via l’originalité des réponses permises (flexibilité). Le troisième exercice marque le point de retour à la pensée convergente. Chaque groupe va maintenant devoir réfléchir, choisir, combiner, reconstruire parmi toutes les idées proposées pour n’en garder que dix, jugées les plus innovantes

5 Rappelons que la pensée divergente est définie comme la capacité d’une personne à produire un grand nombre de réponses à une question donnée (fluidité) ou comme la capacité à trouver des idées qui sortent du cadre de réflexion habituel (flexibilité).

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 131 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 7: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

132

pour l’apprentissage de la relation dans le soin. Enfin, le dernier exercice vise la construction d’un dispositif d’apprentissage intégrant, pour chacun des trois groupes, les dix idées innovantes plébiscitées.

Tableau 1

Présentation du déroulement de la matinée, avec les différents ateliers proposés, leurs objectifs respectifs et les articulations sous-jacentes

INTITULÉS ET TEMPORALITÉS

DEDIÉESDÉROULÉS

OBJECTIFS ET

ARTICULATIONS« Présentation miroir »(Brise-glace)

Durée : 45’

9h30 à 10h15

Pour cet exercice, les participants se mettent par 2. Il s’agit d’une présentation miroir. En effet, après les 10 minutes allouées à la préparation, chacun présente son binôme. L’originalité est que l’on doit présenter son binôme au prisme de 4 questions. S’il était… Un film ? Pourquoi ? Un animal ? Pourquoi ? Un livre ? Pourquoi ? Un personnage ? Pourquoi ?

Il s’agit de faire connaissance via la porte d’entrée affective. En toile de fond, l’idée est bien d’affaiblir l’influence des statuts.

« World café »(Brainstorming)

Durée : 45’

10h15 à 11h

Pour cet exercice, les participants se répartissent autour de 3 tables. Il s’agit de partager nos représentations sur la relation dans le soin à travers 3 questions (1 par table) : Qu’est-ce que la relation dans le soin ? Que signifie apprendre la relation dans le soin ? Quels seraient les contextes, les conditions qui faciliteraient ou freineraient cet apprentissage ? Les groupes vont tour à tour changer de table afin d’enrichir le débat (toutes les 12’). Il y a donc 3 tours. On sollicite en amont un hôte par table. Ce dernier ne bouge pas et se charge de présenter ce qui a déjà été dit aux nouveaux arrivants. On finit par une présentation réalisée par les hôtes de table.

Il s’agit ici de continuer à faire connaissance tout en s’imprégnant du sujet. Ce tour d’horizon et ce partage des représentations présentent un intérêt majeur : celui de poser un langage commun comme base pour les échanges à venir.

Saynètes« La relation dans le soin »(Jeu de rôles)

Durée : 60’

11h à 12h

Des saynètes sont ensuite proposées. Le point de départ donné aux protagonistes est celui-ci : « Une relation avec le patient peut parfois déraper… ou bien se passer… Racontez-nous sous forme de saynètes ! ». Nous créons 5 groupes, qui s’attarderont sur les 5 thèmes suivants : 1/ Un patient agressif et deux soignants (n=3) ; 2/ Un patient « en demande » et un soignant « autiste » (n=2) ; 3/ Un patient qui raconte son histoire à un soignant (n=2) ; 4/ Une réunion de synthèse en l’absence du patient (n=5) ; 5/ Une réunion de synthèse en présence du patient (n=5). Nous laissons seulement 5 minutes de préparation. On peut parler d’improvisation partielle. Suivent 5 minutes de présentation par saynète, suivies de 5 minutes de discussion collective autour du thème.

Nous savons que nos représentations sont des guides pour l’action. Le choix de l’improvisation, même partielle, permet la mise en tension de nos représentations avec des situations possiblement vécues par des patients, avec ce que cela requiert d’empathie. De facto, cette mise en tension permet de faire émerger certains des écueils et des leviers inhérents à la relation dans le soin.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 132 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 8: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

133

Tableau 2

Présentation du déroulement de l’après-midi, avec les différents ateliers proposés, leurs objectifs respectifs et les articulations sous-jacentes

INTITULÉS ET TEMPORALITÉS

DEDIÉESDÉROULÉS OBJECTIFS

ET ARTICULATIONS

Ateliers des analogies : la relation idéale !

Durée : 40’

13h30 à 14h45

Trois groupes sont formés pour ce premier atelier de l’après-midi. Ces groupes vont bénéficier de 20 minutes de préparation pour réfléchir à ce que serait « la relation idéale » dans d’autres organisations humaines que celui du soin : 1/ Entre collègues dans une entreprise ; 2/ En famille ; 3/ Entre amis en vacances.Chaque groupe doit réaliser un poster (dessin, schémas, etc.) sur son thème. Après avoir défini un contexte particulier (Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Quel espace ? Etc.), ils doivent tenter de répondre à la question suivante : pourquoi les choses se passent-elles bien dans la relation ? On organise ensuite un vernissage. Chaque groupe dispose de 5 minutes pour présenter son poster aux autres participants.

Le projet sous-jacent est de diversifier les angles d’attaque (flexibilité) pour mettre en lumière un panel de solutions nouvelles et créatives qui soient in fine transférables (ou non) dans le cadre de la relation dans le soin. En favorisant la divergence, on cherche ici à prendre distance avec les solutions pré-programmées inhérentes aux vécus des participants.

La pioche aux idées(individuel)

Durée : 15’

14h45 à 15h

Nous créons quatre groupes qui vont chacun se répartir autour d’une table. Sur base de tous les échanges réalisés en amont et de son expérience propre, chaque participant du groupe va ensuite noter le maximum d’idées pour améliorer l’apprentissage de la relation dans le soin, et ce de la plus simple à la plus farfelue ! Chaque protagoniste utilise 1 post-it par idée qu’il positionne ensuite au centre de la table.

Le but est ici de recenser le plus d’idées possibles concernant la relation dans le soin et son apprentissage. C’est le dernier atelier de divergence proposé. En effet, ce temps réflexif individuel permet de donner un grand nombre d’idées (fluidité) en plébiscitant par ailleurs le changement d’angle via l’originalité des réponses permises (flexibilité).

La pioche aux idées(collectif)

Durée : 20’

15h à 15h20

Sur base de l’ensemble des propositions, chacun des quatre groupes va devoir réfléchir, choisir, combiner afin d’aboutir à dix idées innovantes. Les échanges doivent s’opérer sur une durée de 20 minutes.

Ayant obtenu un grand nombre de pistes via l’exercice de divergence précédent, l’objectif va maintenant être de favoriser la convergence collective afin d’obtenir dix idées innovantes par groupe… pour imaginer en bout de course un dispositif d’apprentissage lors du dernier exercice.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 133 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 9: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

134

Créer un dispositif d’apprentissage

Durée : 50’

15h20 à 16h10

Les participants restent dans leurs groupes respectifs. Chacun des 4 groupes va devoir réfléchir, à partir de ses dix idées innovantes, à la construction d’un dispositif d’apprentissage de la relation dans le soin. Cette première partie dure 30 minutes et les groupes doivent répondre à trois questions centrales : 1/ À quoi servirait ce dispositif ? 2/ Comment fonctionnerait-il ? 3/ Avec quelles ressources ? (espace, personnels, objets, etc.) ?

L’objectif de ce dernier exercice de convergence collective (association et choix) est de réfléchir au dispositif d’apprentissage le plus adéquat. Dans cette optique, il s’agit de partir de dix idées innovantes qu’il est possible de croiser avec différents éléments entendus au cours de la journée.

Après une telle journée de co-élaboration, quelles sont les propositions obtenues auprès des différents groupes ? Se révèlent-elles innovantes ? Le codesign est-il une ressource capacitante ?

RÉSULTATS

Afin de traiter les résultats des différents exercices et ainsi produire notre compte-rendu, nous avons retranscrit les propos des différents protagonistes lors de chacun des exercices. Quelles sont au final les pistes ouvertes par les participants concernant la construction d’un dispositif d’apprentissage de la relation dans le soin ? Rappelons que les trois groupes devaient répondre aux trois sous-questions suivantes : 1/ À quoi servirait ce dispositif ? 2/ Comment fonctionnerait-il ? 3/ Avec quelles ressources ? (espace, personnels, objets, etc.) ? (Tableau 3)

Tableau 3

Propositions de dispositifs d’apprentissage de la relation dans le soin pour les trois groupes sollicités

GROUPE 1 GROUPE 2 GROUPE 3À QUOI SERVIRAIT-IL ?

Développer les compétences à entrer en relation avec le soigné en mobilisant l’expérience des apprenants.

– Vision internationale du soin ;– Recours à une personne extérieure ;– Lieu de ressources diverses isolé pour les soignants pour s’autoriser à être seul avec soi-même (lieu de projection de films, etc.).

– Etablir une relation avec le patient ;– Appréhender la relation ;– Choisir la technique propre à la situation.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 134 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 10: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

135

COMMENT FONCTION- NERAIT-IL ?

En 2 temps :1) A distance du lieu de travail (lieu neutre)/ formation pluridisciplinaire/ sans collègues directs (1 ou 2 personnes par équipe) (temps à appliquer à tous les membres d’une équipe) :– 1 journée où l’on identifie les besoins des participants ;– Puis une formation adaptée aux besoins : techniques de communication, réflexions de groupe ;– Intégrer des soignants de différents horizons ;– Que les participants viennent avec une situation vécue.2) dans les structures : mise en commun sur situations cliniques :– Réunions d’équipe trimestrielles (partir de situations critiques) ;– Importance d’un animateur extérieur à l’équipe pour réguler les échanges.

– Chacun prend ce qu’il peut y prendre (obligation d’y aller) ;– Mixité des professionnels ;– Lieu dédié aux professionnels et aux étudiants.

Dans la formation initiale ou continue :– Développement personnel et d’échanges (se connaître et connaître l’autre) : voyages, séjours, etc….– Apports théoriques et TD (techniques de communication) : analyse de pratiques en groupe après stage, mise en place de jeux de rôles avec des acteurs professionnels (activités simulées), activités filmées pour débriefer sur l’activité, posture réflexive demandée à l’étudiant (retour sur expérience de stage) ;– Expérience type sTimul– Rencontre avec un patient volontaire dans une structure (autoévaluation de l’étudiant : est-ce que je sais mettre en place une relation de soin ?) : former des formateurs capables d’accompagner la démarche.– Formation de formateurs et de tuteurs de stage (réviser les aspects techniques pour être dégagé de ces préoccupations et pouvoir se centrer sur la relation).

AVEC QUELLES RESSOURCES ?

– Pas d’évaluation certificative mais évaluation formative– Formateurs doivent avoir des compétences en pédagogie (attention aux participants, etc.) ;– Temps de formation financé sur le DPC (Développement Professionnel Continu).

/ /

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 135 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 11: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

136

Ce qui ressort des éléments apportés tout au long du processus : 1/ Les enjeux d’un apprentissage mixte : en contexte authentique car « on apprend en faisant », via la simulation pour certaines dimensions de l’apprentissage (gestes, comportements, techniques) et en ne négligeant pas l’enseignement formel ; 2/ La nécessité d’une articulation de l’existant ; 3/ L’importance du milieu authentique ; 4/ L’importance des temps de débriefing (respiration) qui permettent de construire des savoirs - à partir d’une analyse réflexive ; 5/ Repenser concrètement les modalités pédago-giques,  en incluant le patient comme acteur du soin ; 6/ Privilégier une évaluation formative et non pas certificative ; 7/ Les enjeux d’une intégration explicite de l’ensemble des acteurs de l’apprentissage : les étudiants, les formateurs, les soignants, les patients et leur famille dont la posture de partenaire de l’apprentissage semble « évidente » ; 8/ Cibler tout autant la formation initiale que la formation continue (accompagnement des pratiques professionnelles) ; 9/ Développer les compétences pédagogiques des formateurs et des professionnels engagés dans l’accompagnement des apprenants ; 10/ Faire corroborer les exigences du référentiel de formation (cadre légal) et les innovations pédagogiques pour développer des compétences ; 11/ Penser des lieux ressources multi-usages : analyses de situations, groupes de parole, etc.

DISCUSSION

Façonner un climat favorable à la créativité

Les méthodes de codesign ne sont pas en soi une ressource capacitante !

L’expérience de cette animation, couplée à plusieurs observations de séances de codesign, le révèle de manière criante : toutes les séances ne sont pas propices à donner du « pouvoir d’agir » aux participants (Vallerie & Le Bossé, 2006). Nous notons que dans certaines séances, la dynamique du groupe est bonne ; dans d’autres, elle peine à se mettre en place. Il semble qu’un climat coloré d’une tonalité affective positive représente une condition sine qua non à la réussite d’une séance (Gérard & Oboeuf, 2007 ; Liu & Maitlis, 2014 ; Maitlis & Ozcelik, 2004). Réfléchir aux conditions favorisant l’émergence d’un tel contexte devient donc un enjeu central pour l’animateur de codesign. Selon nous, ce climat se façonne en amont de la séance, dès le choix des participants. Ce choix s’avère crucial pour faciliter la montée en affectivité. Le processus de créativité collective nous positionne face à une double contrainte : il faut choisir des participants aux statuts distincts, dans la mesure où c’est un facteur de créativité (Adler & Obstfeld, 2007), tout en sachant que les différences statutaires peuvent nuire puissamment à la création d’un climat affectif positif, lui-même facteur de créativité (Souchet, Tafani, Codaccioni, &

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 136 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 12: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

137

Mugny, 2006). Dans le cas d’une réflexion sur l’apprentissage de la relation dans le soin, une pluralité d’acteurs sont concernés : patients, représentants d’usagers, médecins, cadres de santé, psychologues, ergothérapeutes, infirmières, aides-soi-gnantes, étudiants, chercheurs, etc. Un premier pas est de réduire au maximum les rapports habituels de subordination. Il faut jouer sur la variable du lieu d’exercice de l’activité professionnelle. Ainsi, il faut sans doute éviter qu’un médecin ou un cadre de santé d’un établissement donné se retrouve dans la même séance que d’autres soignants du même établissement. On se doit de donner aux participants les moyens de s’exprimer librement, en dehors de tout enjeu de pouvoir. Une réflexion autour de la construction du groupe mériterait ainsi d’être approfondie. Il faut par exemple veiller, dans le choix des participants, à ce que le thème s’inscrive dans leur réalité afin de faciliter leur « engagement » dans la situation sociale (Goffman, 1974). C’est là une condition pour que les acteurs s’engagent collectivement dans une démarche de résolution de problème (Dewey, 2010). Précisons encore que l’intensité et la persistance de l’effort sont renforcées lorsque les participants adhérent au projet, et ont le sentiment que les solutions proposées seront réalisées (Huy, 1999).

Des statuts professionnels tenaces

En amont de la séance, le choix des participants représente donc un enjeu important pour affaiblir l’influence des statuts. Dans cette optique, dès les prémices de la journée, le choix des exercices par les animateurs se révèle tout aussi important. En l’absence de rapport de subordination immédiat entre les partici-pants, l’animateur doit tenter de créer les conditions afin qu’une tonalité affective positive irrigue les relations sociales. Certains travaux en sociologie des professions ont pu montrer que nos différences sont principalement logées dans les aspects socio-opératoires de nos vies, dont une partie visible est représentée par notre statut professionnel, tandis que nos ressemblances sont nichées dans les aspects socio-af-fectifs (Durkheim, 1893 ; Tönnies, 1887 ; Weber, 1921). Il faut offrir l’opportunité aux protagonistes d’apprendre à se découvrir au-delà des caractéristiques statu-taires. C’était l’objet de la présentation miroir que nous avons proposée dès le lancement de la journée. Il faut mobiliser l’hémisphère droit des participants afin d’ouvrir les conditions du dialogue et de la créativité. Rappelons bien sûr, afin de ne pas sembler utopistes ou naïfs, que les statuts auront toujours ici ou là quelques effets. Les statuts transitent aussi via nos attitudes, nos gestes, nos mimiques, nos comportements moteurs et notre « façon de parler » (Goffman, 1974 ; Winkin, 2001). Nous les avons « incorporés » ; le dessein est d’affaiblir leur influence.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 137 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 13: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

138

La place importante de l’affectivité

La question de l’affectivité dans la manœuvre de créativité collective émerge comme une question capitale. Comme le souligne Grawitch et Munz (2005), un groupe baignant dans un climat affectif positif se sentira plus libre et moins évalué qu’un groupe gangréné par les querelles intestines. De surcroit, un climat favorable encouragera l’approche plutôt que l’évitement (Grawitch & Munz, 2005). Cet esprit de groupe est donc propice à l’émergence d’idées, à la fois en nombre (fluidité) mais aussi en originalité (flexibilité). Quinn et Dutton (2005) affirment par ailleurs que ce climat positif, cette « energetic arousal », est contagieux. Comme l’est d’ailleurs le climat négatif lié à d’autres émotions comme l’apathie et le cynisme (Bruch & Ghoshal, 2003). Ces conclusions donnent du crédit aux abondants travaux sur la contagion émotionnelle (Chou & Huang, 2013 ; Kelly & Barsade, 2001). Pour appuyer cette thèse, certains travaux récents sur les « neurones miroirs », en neuro-biologie, mettent bien en lumière le fait que certaines émotions seraient partagées automatiquement (Rizzolatti & Craighero, 2004 ; Thompson, 2001 ; Uithol, Franca, Heimann, Marzoli, Capotosto, Tommasi, & Gallese, 2015). Concrètement, le système miroir simulerait l’état émotionnel d’autrui dans notre cerveau et faciliterait l’identification des émotions éprouvées par les personnes de notre environnement immédiat6. Dans le cadre d’une séance de co-élaboration, on peut donc raison-nablement penser que le climat relationnel instauré a une place centrale dans le processus de créativité collective. Le « climat d’innovation », entendu comme une tonalité affective collective, catalyserait ou inhiberait l’effort requis pour générer la motivation créative (Ekvall, 1997 ; Liu & Maitlis, 2014 ; Maitlis & Ozcelik, 2004). La préparation de la séance et l’entrée en matière représentent donc des enjeux majeurs pour la construction du climat d’innovation.

Articulation des ateliers et affectivité

Le climat d’innovation favorise le processus de créativité collective. Mais l’influence de l’affectivité déborde ce rôle. Nous savons que notre capacité à changer de point de vue reste un sujet de discorde scientifique. Pour certains, la pensée divergente relève de notre capacité à inhiber nos routines mentales. C’est en contrôlant nos pensées, en bloquant nos schémas habituels que l’on peut innover (Agogué, Le Masson, Dalmasso, Houdé, & Cassotti, 2015). Pour d’autres, c’est une pensée désinhibée, intuitive, flottante qui, cheminant au gré de nos émotions,

6 Notons en outre que cet état émotionnel partagé interroge les notions de socialisation et d’influence sociale (Berger & Luckmann, 1966).

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 138 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 14: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

139

faciliterait un mécanisme d’associations libres permettant de faire germer les idées nouvelles. On parle aussi de « pensée océanique » (Csikszentmilahyi, 2006). Dans cette deuxième perspective, l’affectivité bénéficie d’un intérêt premier. Pour Adler et Obstfeld (2007), l’importance de l’affectivité dépendrait des formes d’activités collectives. En s’appuyant sur les trois composantes de l’activité humaine de Dewey (2002), ils montrent que les impulsions7 se révéleraient capitales dans les moments d’exploration du projet (Tableau 4). Elles s’avéreraient moins importantes, mais toujours présentes, dans les moments de délibération, de choix stratégiques, ou encore pendant les routines ou moments d’exploitation. Pendant la phase d’exploi-tation, nos émotions doivent rester en retrait. L’inhibition de nos routines mentales interviendrait de manière prononcée pendant les moments de délibération. Les impulsions et l’intelligence semblent donc complémentaires dans le processus de créativité collective.

Tableau 4

Mise en lien des trois composantes de l’activité humaine avec les formes d’activités collectives. Selon Adler et Obstfeld (2007)

Articulation des ateliers et pensée divergente

Ces soubassements théoriques confortent notre idée de susciter, dès le début de la séance, la pensée divergente. En effet, notre projet était d’élargir au maximum le champ de la réflexion collective sur la relation dans le soin et son apprentissage. Le but étant in fine de proposer un dispositif visant l’apprentissage de cette relation. Il s’agit donc dans la phase exploratoire de favoriser les ateliers de divergence, pour ensuite converger vers une proposition de dispositif.

7 Conceptuellement, chez Dewey, les impulsions seraient synonymes d’affects. Loin de se réduire à un processus primaire, les impulsions se révèleraient en effet profondément modifiées par l’expérience (Dewey, 2002).

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 139 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 15: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

140

Dans l’articulation des exercices, le choix de privilégier d’emblée les exercices de divergence se justifie de deux façons. La première est que les exercices de pensée divergente ont pour objectif d’impacter positivement le niveau de confiance interpersonnelle entre les participants (Sellaro, Hommel, De Kwaadsteniet, Van de Groep, & Colzato, 2014). Visée par ces exercices, cette influence positive sur la confiance offre une continuité et une cohérence à la construction du climat d’inno-vation. Avoir confiance en l’autre, c’est aussi lui donner ou lui reconnaître une place dans l’émergence de « nos » idées, dont nous ne sommes plus les propriétaires, et qui ne sont que des transitions, des idées-valises, des véhicules vers d’autres idées, plus originales, plus innovantes, mieux co-pensées. Au-delà de la confiance, le deuxième intérêt des exercices de divergence est qu’ils valorisent l’intuition. Cette dernière, liée de manière inextricable à l’affectivité, est guidée par des marqueurs émotionnels dans la mémoire (Damasio, 1994 ; 1999). Elle catalyse à cet égard la créativité car elle libère notre mémoire, facilitant par effet de vases communicants les nouvelles associations et guidant le choix entre les idées émergentes (Russ, 1999). Une grande partie du destin d’une séance se joue en amont de sa mise en place. Chaque séquence doit être à la fois un prolongement et une capitalisation de la séquence précédente. Un chantier doit sans doute être ouvert sur la question de l’articulation des ateliers. Il faut dépasser le stade de la compilation. Quel est l’intérêt de l’articulation entre ces deux exercices ? Cet intérêt est-il empiriquement prouvé ? Quel est l’impact de l’articulation proposée sur le climat d’innovation ? Les conclusions obtenues sont-elles originales et si oui, réalisables ? Ou ne sont-elles que des redécouvertes de ce que nous savions déjà ? Comment doser les exercices de divergence et de convergence ? Faut-il favoriser un va-et-vient permanent entre nos deux pensées ? Ou faut-il pousser la pensée divergente à son paroxysme pour ensuite, par effet d’entonnoir, converger vers une proposition ? Faut-il construire son articulation différemment selon les publics et les thèmes abordés ? Le codesign est-il « capacitant » en toutes circonstances ?

Une forte dimension conative

Une autre problématique émerge de notre expérience d’animation. Elle concerne l’impact des animateurs sur la motivation et l’engagement des participants.

En effet, parce qu’ils participent au choix des participants, parce qu’ils construisent la séance et son articulation interne, parce qu’ils accompagnent in situ la mise en actes, les animateurs peuvent agir sur la motivation des participants. Rappelons que cette dernière s’avère essentielle pour le travail créatif : elle favorise l’intensité et la persistance de l’effort (Adler & Obstfeld, 2007). Cette motivation se révèle d’autant plus cruciale dans les tâches créatives que le groupe est confronté à

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 140 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 16: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

141

une double incertitude : celle du processus et celle du résultat. Les participants ne connaissent ni le protocole ni les mécanismes qui lui servent de soubassement, et ne savent pas à quelles conclusions ils doivent aboutir. Motifs pour lesquels, mal dosé, un contrôle extrinsèque de la motivation peut provoquer l’anxiété et saper la montée en créativité (Amabile, 1996). De facto, les animateurs doivent créer les conditions d’un engagement préservant la motivation du groupe, plutôt que d’opérer sur lui un contrôle extrinsèque basé sur l’incitation plus ou moins coercitive. C’est donc ici la dimension axiologique du codesign et de son animation qui émerge comme question structurante.

Vers une éthique de l’animation : la posture du tenir conseil

Sur cette question des valeurs inhérentes à la démarche codesign, la pensée de Dewey, relayée par Steen, est féconde :

“Dewey held that people, throughout their daily lives, continuously engage in ethics, especially when they interact with each other. (…) Likewise, when people engage in a co-design process, they also engage in ethics – in a process with ethical qualities. (…) Co-design can be understood as an instance of “moral inquiry” : a reflective response – intervening with analysis and imaginative deliberation – when action is frustrated”, where deliberation may “proceed by dialogue, visualization, imagining of motor responses, and imagining how others might react to a deed done” (Steen, 2013, p.20).

En nous imprégnant de la pensée de John Dewey, on peut ainsi affirmer qu’une démarche de codesign prétendant viser la capacitation d’un collectif d’acteurs et visant la montée en créativité de ce groupe, devrait porter en elle les valeurs du « tenir conseil » (Lhotellier, 2001). Cette forme d’accompagnement se définit comme acte de création d’un dialogue et d’une relation pour permettre la pensée. Elle engage une recherche méthodique et plurielle du sens d’une situation-pro-blème, participe à la construction d’une démarche active et créative. La posture du tenir conseil puise ses fondements dans les principes et l’expérience d’une commu-nication dialogique. Ce dialogue se construit sur des dimensions existentielles, tant de réciprocité, que de reconnaissance et de responsabilité. La démarche s’ancre dans une présence fondatrice, réelle et constitutive d’une relation humaine, et non une simple « apparence » de présence. Elle demande un investissement subjectif pour « être auprès » de l’autre. Tenir conseil, c’est ainsi accompagner l’autre dans un travail d’exploration, de discernement et de confrontation au sens, en résistant à l’impatience de l’action et du sens immédiat pour au contraire le faire entrer dans une démarche-projet plus fondamentale.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 141 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 17: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

142

Aussi, si par la manière dont ils construisent leur protocole et par les postures qu’ils adoptent, les animateurs endossent à coup sûr un rôle dans la réussite ou l’échec d’une séance de codesign, les questions éthiques liées au processus même de codesign et à ses finalités semblent fondamentales. Sans doute mériteraient-elles d’être davantage abordées lors des formations d’animateurs de codesign qui, très souvent, font la part belle aux techniques d’animation plus qu’à un travail sur ses fondements et ses finalités.

CONCLUSION

Malgré un passé récent, le codesign a déjà connu plusieurs périodes caractéris-tiques. La première pourrait être appelée temps des servitudes. Il s’agit d’un temps de récupération de ce qui se fait ailleurs, principalement en psychologie sociale ou dans le domaine du management (Moscovici, 2014). Le second temps semble être celui des certitudes : victime de son succès, le codesign s’affranchit de sa dépen-dance. Il fait notamment le succès des séminaires d’entreprise, qui y prennent une bouffée d’oxygène au cœur d’un agenda fort chargé. Les exercices sont compilés au gré des fantaisies des animateurs. Et la magie opère… ou pas (Dortier, 2015). Certaines séances favorisent l’expression et génèrent une certaine satisfaction des participants ; d’autres moins. Mais rappelons que le bien-être des participants est une condition, un moyen et non une fin. Quid d’une réelle capacitation des parti-cipants, au-delà du bien-être ressenti ?

Le codesign peut être capacitant s’il permet de dépasser le niveau de la simple narration, de rendre les relations moins asymétriques et de facto de créer les condi-tions du dialogue dans le creuset de rencontres improbables. C’est évidemment un levier important de la capacitation créative. Et le fait de réussir à faire entrer des acteurs si différents en dialogue est déjà une forme d’innovation… Mais les anima-teurs et les chercheurs doivent s’engager dans une démarche réflexive. Doivent-ils se satisfaire du bien-être éprouvé par les participants ? Est-ce le témoin d’une journée réussie ? Les participants peuvent se réjouir du bien-être éprouvé, sans pour autant que les solutions trouvées ne soient innovantes… ou plus innovantes que les réponses que les participants auraient découvertes indépendamment des méthodologies déployées. Un doute s’immisce. C’est le temps des inquiétudes. Il n’y a pas de fatalité, mais pour ne pas rester un effet de mode, ces méthodologies devront questionner les conditions de leur mise en œuvre.

Un double chantier de réflexion nous semble important à mettre en œuvre. Le premier est d’ordre épistémologique. Il faut « capaciter » les chercheurs des différentes disciplines en créant les conditions d’un dialogue au-delà des discours

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 142 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 18: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

143

de bonnes intentions. C’est un plaidoyer pour l’interdisciplinarité qui est ici formulé. En collaboration avec les animateurs, les spécialistes des sciences de l’éducation, les sociologues, les psychologues, les chercheurs en management et en éthique ont conjointement des réponses à apporter aux différentes problématiques soulevées dans cet article. Comment mieux circonscrire le rôle de l’affectivité dans la construction du climat d’innovation ? Comment construire nos groupes de participants en amont des séances ? Quels sont les impacts des différentes articu-lations d’ateliers sur le processus de créativité collective ? Quelles postures les animateurs doivent-ils adopter in situ, selon les exercices proposés ? Un florilège de questions se pose, ouvrant un vaste chantier qu’il est urgent d’engager. Observer des séances, interroger le déroulé des interactions en s’attardant, pour chaque exercice, au rapport de l’acteur aux autres participants, à l’espace, au temps et aux objets peut offrir des éléments de réponses à ces divers questionnements (Oboeuf, Gérard, & Sudre, 2013).

Le deuxième chantier, d’ordre normatif, est sans doute plus urgent encore à mettre en œuvre, non en raison du caractère secondaire d’une réflexion épisté-mologique sur le sujet, mais parce qu’une réflexion éthique forte sur les enjeux et la finalité de ces innovations fait bien souvent défaut. En effet, la dimension éthique est bien souvent occultée par des réflexions principalement méthodolo-giques, quand on ne considère pas que la méthode de codesign serait éthique par elle-même ou qu’elle constituerait en soi une ressource capacitante pour les acteurs. Or, le codesign, en tant que méthode, ne peut-il pas servir des finalités et objectifs différents ? Il nous semble qu’il faudrait prolonger sur l’ensemble du processus la réflexion éthique entamée sur la posture de l’animation. Quelle est la finalité du processus de codesign ? Cette dernière est-elle la même dans le cas d’une séance de codesign en entreprise ou dans le contexte d’organisation de santé ? Derrière cette question de la finalité se pose la question de l’évaluation du processus. Loin de renvoyer à un débat abstrait sur le sens et les valeurs du codesign, elle nous renvoie à des questions pragmatiques et concrètes : comment s’organiser pour mesurer la portée du processus de codesign sur les relations de soin ? Quels indicateurs, critères et procédures mettre en place ?

Un enjeu important est celui de la portée des innovations et des apprentissages sur les rapports de subordination et les relations de pouvoirs. Comme nous l’évo-quions, la méthodologie mise en place tente d’affaiblir l’influence des statuts, afin d’augmenter le potentiel de créativité du groupe. Néanmoins, si un atelier de codesign se donne comme objectif de réfléchir à ce qui pourrait améliorer les relations dans le soin, l’enjeu n’est-il pas que les idées et innovations proposées puissent contribuer à faire évoluer les relations du pouvoir qui encadrent le soin ? Quelle attention les organisations et les institutions vont-elles accorder aux produc-tions d’un atelier de codesign ? Autrement dit, les dynamiques d’apprentissage qui

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 143 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 19: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

144

ont pris place dans une séance de codesign vont-elles déboucher sur des formes d’apprentissages organisationnelles et institutionnelles ?

Enfin, ce chantier d’une éthique du codesign invite à poser la question de la participation de celui qui reçoit le soin : l’usager (Lhuillier, 2015). L’intérêt de cette participation est souvent souligné, mais elle est rarement effective. Or la partici-pation des usagers ou plus largement des parties prenantes d’une situation-problème constitue un enjeu éthique majeur. Il s’agit en effet de dépasser la visée formelle ou théorique d’empowerment de ces sujets pour au contraire en expérimenter très pratiquement les conditions. Faut-il dès lors intégrer les usagers dans les processus de codesign ? Comment évaluer la portée d’un processus de codesign au niveau des usagers ? Autant de questions qu’il nous semble essentiel de traiter, si nous voulons concevoir la méthodologie du codesign comme une ressource capacitante pour l’ensemble des acteurs et parties prenantes du soin.

RÉFÉRENCES

Adler, P. et Obstfeld, D. (2007). The role of affect in creative projects and exploratory search. Industrial and Corporate Change, 16 (1), 19-50.

Agogué, M., Le Masson, P., Dalmasso, C., Houdé, O., & Cassotti, M. (2015). Resisting classical solutions : The creative mind of industrial designers and engineers. Journal of Psychology of the Aesthetics, Creativity and the Arts.

Amabile, T. M. (1996). Creativity in Context. Westview : Boulder, CO.

Berger, P., & Luckmann, T. (1966) The Social Construction of Reality. A treatise in the sociology of knowledge. Doubleday & Compagny Inc.

Boitte P., Aiguier G., Dequire A.-F., Paree B., & Cobbaut JP. (2012). Comment mieux former à prendre en compte la dignité du patient dans le soin ? Le projet européen Dignity in Care dans la perspective du partenaire lillois. Ethica Clinica, 68, 24-28.

Bruch, H., & Ghoshal, S. (2003). Unleashing organizational energy. MIT Sloan Management Review, 45, 45-51.

Chou, M-J, & Huang, K-P. (2013). Service quality : an emotional contagions perspective. International Journal of Organizational Innovation, 5 (3), 221-235.

Cross, N. (2011). Design Thinking. Understanding how designers think and work. Berg.

Csikzentmilahyi, M. (2006). La créativité. Psychologie de la découverte et de l’invention. Paris : Robert Laffont.

Damasio, A. (1994). Descartes’Error : Emotion, Reason, and the Human Brain. Putnam.

Publishing : New York.

Damasio, A. (1999). The Feeling of What Happens. Harvest/Harcourt : San Diego.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 144 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 20: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

145

Dewey, J. (2010). Le public et ses problèmes. Paris : Folio.

Dewey, J. (2002). Human Nature and Conduct. Prometheus : Amherst, MA (originally published 1922).

Dortier, J-F. (2015). Qu’est-ce que la créativité ? Sciences humaines, 38, 62-67.

Durkheim, E. (1893). De la division du travail social. Paris : Presses Universitaires de France.

Ekvall, G. (1997). Organizational conditions and levels of creativity. Creativity and Innovation Management, 6, 195-205.

Fernagu-Oudet, S. (2012). Favoriser un environnement « capacitant » dans les organisations. In Bourgeois E & Durand M. (sous la dir.), Apprendre au travail, (chapitre 14, pp. 201-213). Paris : Presses Universitaires de France.

Gérard, B., & Oboeuf, A. (2007). Le management par l’absurde : une alternative raisonnable ? Management International, 4, 87-100.

Goffman, E. (1974). Les rites d’interaction. Paris : Minuit.

Grawitch, M. J., & Munz, D. C. (2005). Individual and group affect in problem-solving workgroups, in C. E. J. Hartel, W. J. Zerbe and N. M. Ashkenasy (eds), Emotions in Organizational Behavior. Lawrence Erlbaum : Mahwah, NJ.

Guilford, J. P. (1956). The structure of intellect model. Psychological Bulletin, 53, 267-293.

Guilford, J. P. (1967). The nature of human intelligence. New York : McGraw-Hill. Henderson, M., & Argyle, M. (1990). The Anatomy of Relationships : And the Rules and Skills Needed to Handle Them Successfully. Penguin Books Ltd.

Huy, Q. N. (1999). Emotional capability, emotional intelligence, and radical change. Academy of Management Review, 24, 325-345.

Jaarsveld, S., Lachmann, T., & Van Leeuwen, C. (2012). Creative reasoning across developmental levels : Convergence and divergence in problem creation. Intelligence, 40, 172-188.

Kelly, J. R., & Barsade, S. G. (2001). Mood and emotions in small groups and work teams. Organizational Behavior & Human Decision Processes, 86, 99-130.

Lhotellier, A. (2001). Tenir conseil : délibérer pour agir. Seli Arslan.

Lhuillier, D. (2015). Puissance normative et créative de la vulnérabilité. Éducation permamente, 202, 101-116.

Liu, F., & Maitlis, S. (2014). Emotional Dynamics and Strategizing Processes : A Study of Strategic Conversations in Top Team Meetings. Journal of Management Studies, 51 (2), 202-234.

Maitlis, S., & Ozcelik, H. (2004). Toxic decision processes : a study of emotion in organizational decision making. Organization Science, 15(4), 375-393.

Moscovici, S. (2014). Psychologie sociale. Paris : Presses Universitaires de France, collection “Quadrige”.

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 145 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A

Page 21: CHAPITRE 7. LES MÉTHODES DE CODESIGN : UNE RESSOURCE

146

Necka, E. (2003). Creative interaction : A conceptual schema for the process of producing ideas and judging the outcomes, in Mark A. Runco (Ed.), Critical creative processes (pp. 115-128). Cresskill, NJ : Hampton Press.

Oboeuf, A., Gérard, B., et Sudre, D. (2013). Se focaliser sur la situation sociale : quelques pistes pour modéliser les rapports de l’acteur à autrui, l’espace, le temps et les objets. Recherches qualitatives, 15, 200-220.

Quinn, R. W., & Dutton, J. E. (2005). Coordination as energy-in-conversation. Academy of Management Review, 30, 36-57.

Rizzolatti, G., & Craighero, L. (2004). The mirror-neuron system. Annual Review of Neuroscience, 27, 169-192.

Roche, C. (2014). Regards croisés sur le Codesign : l’expérience du codesign dans trois écoles d’ingénieurs de Lille. Paris : L’Harmattan.

Russ, S. W. (1999). An evolutionary model for creativity : does it fit ? Psychological Inquiry, 10, 359-361.

Sen, A. (2000). Social development paper. Manila : Asian Development Bank.

Sellaro, R., Hommel, B., Kwaadsteniet, E., Van de Groep, S., & Colzato, L. (2014). Increasing interpersonal trust through divergent thinking. Frontiers in Psychiatry, 5.

Souchet, L., Tafani, E., Codaccioni, C., &  Mugny, G. (2006). Influence sociale selon le statut numérique et l’appartenance sociale de la source : auto-catégorisation et élaboration du conflit. Revue internationale de psychologie sociale, 19 (3-4), 35-67.

Steen, M. (2013). Co-Design as a Process of Joint Inquiry and Imagination. Design Issues, vol. XXIX (2), 16-28.

Thompson, E. (2001). Empathy and consciousness. Journal of Consciousness Studies, 8, 1-32.

Tönnies, F. (1887). Gemeinschaft und Gesellschaft ; trad. fr. : Communauté et société. Paris : Retz - C.E.P.L (1977).

Treffinger, D., Selby, E., & Isaksen, S. (2008) Understanding individual problem-solving style : A key to learning and applying creative problem solving. Learning and Individual Differences, 18 (4), 390-401.

Uithol, S., Franca, M., Heimann, K., Marzoli, D., Capotosto, P., Tommasi, L., & Gallese, V. (2015). Single-pulse Transcranial Magnetic Stimulation Reveals Contribution of Premotor Cortex to Object Shape Recognition. Brain Stimulation, In Press, Corrected Proof, Available online 7 May 2015.

Vallerie, B., & Le Bossé, Y. (2006). Le développement du pouvoir d’agir (empowerment) des personnes et des collectivités : de son expérimentation à son enseignement. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, 39 (3), 87-100.

Weber, M. (1921). Wirtschaft und Gesellschaft ; trad. fr. : Economie et société (Tome I). Paris : Plon (1971).

Winkin, Y. (1996). Anthropologie de la communication – De la théorie au terrain. Paris : Seuil (2001).

N4101_JIB1_2016_BAT.indd 146 07/04/2016 15:17

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Fac

ulté

s un

iver

sita

ires

Not

re-D

ame

de la

Pai

x -

- 1

38.4

8.8.

121

- 10

/05/

2016

15h

31. ©

ES

KA

Docum

ent téléchargé depuis ww

w.cairn.info - F

acultés universitaires Notre-D

ame de la P

aix - - 138.48.8.121 - 10/05/2016 15h31. © E

SK

A