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Techniques et pratiques de recueil de données in situ CHAPITRE I Connaître les pratiques agricoles et analyser leur impact sur la production , l’environnement, la qualité des produits Relevé d’observations sur le terrain e Photo © Camille Goffi / Inra Sad Paysage, Rennes s Numéro spécial 2007 7

Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

CHAPITRE I

Connaître les pratiques agricoles et analyser leur impact

sur la production, l’environnement, la qualité des produits

Relevé d’observations sur le terrain e Photo © Camille Goffi / Inra Sad Paysage, Rennes s

Numéro spécial 2007 7

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Introduction Les systèmes agricoles sont aujourd’hui au cœur de débats qui dépassent largement la sphère de l’agriculture : environnement, quantité et qualité des produits alimentaires, participation au développement local… Evoluer vers un développement plus durable s’impose à tous mais comment aider les agriculteurs à innover, adapter leurs pratiques dans ce sens ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de connaître ces pratiques et de pouvoir les mettre en lien avec leurs conséquences agronomiques, écologiques, économiques et sociales. La diversité des productions et des manières de produire, ne serait-ce que sur le territoire français, ne peut être simulée en station expérimentale. C’est donc chez les agriculteurs eux-mêmes qu’il faut aller chercher les informations : d’une part, auprès d’eux directement en les questionnant sur leurs activités en lien avec la production et l’entretien du milieu, d’autre part dans leurs parcelles et leurs troupeaux, en effectuant des mesures sur les objets produits par leurs activités : état du couvert végétal, du sol, d’engraissement des animaux, présence d’espèces indicatrices de biodiversité, etc. . Les travaux présentés dans cette partie ont été conduits chez des agriculteurs. Les techniciens sont là confrontés à deux grands types de problèmes à résoudre : 1 - Coupler des techniques d’observations et de mesures de terrain, et des techniques

d’enquêtes auprès des agriculteurs Séverine Roger intervient dans un programme d’étude sur les effets des pratiques culturales sur la typicité des vins en Anjou-Touraine. Elle nous présente les différentes étapes du recueil et du traitement de données qui ont été nécessaires pour mettre en place un réseau de parcelles de viticulteurs : association de deux techniques d’enquête, directive et semi-directive, auprès des exploitants, cartographie SIG et analyse statistique des données.

Roy Hammond aborde avec beaucoup de précision le travail du technicien dans un programme d’étude des pratiques culturales en riziculture biologique et conventionnelle en Camargue. Il décrit les données recueillies et le protocole du recueil qui associe entretiens avec les riziculteurs et observations au champ. Il attire notre attention sur les avantages et les limites d’un tel protocole.

Jean-Maurice Gueno et ses collaborateurs nous entraînent dans l’étude des pratiques d’irrigation de la canne à sucre à La Réunion. Ils mettent l’accent sur l’étroite articulation qu’ils font entre des mesures quantitatives de l’irrigation sur des parcelles d’agriculteurs et des entretiens auprès des irrigants ; les mesures précèdent les entretiens et les alimentent. Jean-Michel Hillaireau propose une méthode de suivi agro pédologique des sols dans les Marais de l’Ouest de la France. Cette méthode associe le recueil de données in situ et une enquête technique auprès des agriculteurs. L’auteur montre avec précision que dans ce dispositif, le technicien joue un rôle essentiel d’interface entre les agriculteurs et les chercheurs.

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Christophe Codet centre sa présentation sur un outil d’enquête chez les agriculteurs du bocage breton où se pose la question de l’incidence des pratiques agricoles sur le paysage et la biodiversité. Il insiste particulièrement sur les conditions d’utilisation et d’évolution de cet outil qui exigent du technicien qu’il soit présent dès la formulation de la question de recherche jusqu’aux traitements statistiques.

2 -Adapter des méthodes, techniques, outils de recueil et de gestion de données pour mesurer l’impact des pratiques sur la biodiversité

Damien Foissy cible son propos sur l’élaboration d’une méthode d’échantillonnage prenant en compte à la fois les pratiques agricoles et le milieu, et destinée à suivre l’évolution de populations de carabes, espèces indicatrices de la biodiversité. Il décrit les différentes étapes de la démarche mise en œuvre dans le cadre particulier d’un domaine expérimental et attire notre attention sur un certain nombre d’écueils à éviter…

David Marcolet intervient dans un programme d’évaluation de l’impact des pratiques agricoles sur la biodiversité. Il présente ici des solutions techniques et organisationnelles pour récolter des données sur les populations de carabes : adaptation des pièges aux conditions du milieu, ajustement du dispositif pour mieux prendre en compte les perturbations sur les parcelles et négociation avec les intervenants sur ces parcelles.

Jean-Luc Roger décrit avec précision les conditions d’utilisation de « l’indicateur flore », méthode d’évaluation de la diversité floristique mise en œuvre dans les bordures de champs. Il montre ainsi que la qualité des relevés et la fiabilité des données peuvent être sensiblement améliorées par un choix judicieux de lieu, de moment de relevé, de manière d’observer…

Laurent Raison présente les conditions d’application de la méthode des « points d’écoute » au recueil de données sur les oiseaux nicheurs dans les paysages agricoles. En nous contant comment se déroule une campagne ornithologique, l’auteur attire l’attention du lecteur sur la multiplicité des niveaux d’intervention et les savoir-faire du technicien, indispensables pour mener à bien les relevés : entraînement à l’écoute, planification, préparation d’un mode opératoire et des observateurs… Maryvonne Chevallereau s’intéresse à la gestion des données d'observation et d'enquête lorsque les objets étudiés évoluent dans le temps et dans l’espace. Elle présente des solutions pour maintenir les liens au sein d’une base de données face, par exemple, à de nouvelles subdivisions parcellaires, de nouvelles haies, de nouveaux découpages des activités agricoles… Le rôle du technicien en informatique, pivot des relations au sein d’un réseau de recherche apparaît ici clairement.

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Chapitre I

1ère partie

Coupler techniques d’observations et de mesures de terrain et techniques d’enquêtes auprès des agriculteurs

Photo © Christophe Codet Inra / SAD Paysage Rennes

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De l’enquête à la mise en place d’un réseau de parcelles

Cheminement du recueil de données en viticulture

Séverine Julien- Roger1

Résumé : Depuis 2006, notre unité VINITERA du centre Inra d’Angers travaille sur le projet "qualification des vins de terroirs" dont un des axes de recherche concerne le lien fonctionnel entre terroirs et produits typiques et plus particulièrement sur la recherche d’un lien entre le produit et son terroir. Nous voulons dégager une hiérarchisation des divers facteurs et de leurs interactions avec les vignerons eux-mêmes pour déterminer comment se construit un vin typique. Nous avons développé une approche par enquête afin de mettre en évidence les facteurs environnementaux, les pratiques, les savoirs et les stratégies intervenant dans la définition de la typicité d’un Anjou Villages Brissac. Nous avons mis en place un réseau de parcelles qui nous servira en partie à valider les informations recueillies auprès des viticulteurs et à récolter des données tout au long de sa vie. C’est ce cheminement vers la mise en place du réseau et les différentes techniques de recueil de données qui ont permis de le créer et de le faire vivre que je décris ici. Mots clés : Typicité, Terroir, Enquête, Réseau, Unité de Terroirs de Base, UTB, AOC, Anjou Villages Brissac Introduction La viticulture française se préoccupe de plus en plus de la notion de terroir. La seule notion de qualité, même si elle reste indispensable, n’est plus suffisante : il est désormais important d’y associer la notion de terroir pour que certains vignobles puissent se démarquer.

Depuis 2006, notre unité mixte technologique2 (UMT) VINITERA, travaille sur un projet dénommé "qualification des vins de terroirs" dont un des axes de recherche concerne le lien fonctionnel entre terroirs et produits typiques. Le mot « terroir » est ici compris dans son sens le plus large, lequel intègre à la fois les facteurs naturels du milieu et les facteurs humains. Sur le plan agronomique, il s’agit d’expliquer ce lien en étudiant les interactions entre les facteurs environnementaux des terroirs, les pratiques des vignerons et leur rôle dans l’élaboration de vins typiques.

1 Inra Unité Vigne et Vin - UMT VINITERA 49171 Beaucouzé Cédex ℡02 41 22 56 73 [email protected] 2 En 2005, l’Unité Vigne et Vin (UVV) du département de recherche Inra sciences pour l’action et le développement (SAD) se constitue, avec l’Institut Français de la Vigne (IFV), la Cellule « Terroirs Viticoles » (CTV) et l’Ecole Supérieure d’Agriculture (ESA) en une Unité Mixte Technologique VINITERA (UMT).

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Nous travaillons sur l’AOC (appellation d’origine contrôlée) Anjou Villages Brissac qui se situe sur une aire géographique restreinte d’environ 2400 ha, comprenant une dizaine de communes et favorable pour une expérimentation. Ce travail fait suite à une demande de l’institut national des appellations d’origine (INAO) et du syndicat de cette appellation, les viticulteurs étant à la recherche d’une typicité de leur produit et demandeurs d’une étude concrète. Pour tenter d’y répondre, notre

démarche consiste à étudier les pratiques agro viticoles et œnologiques, à les croiser avec les facteurs du milieu et à dégager celles qui sont les plus déterminantes pour la typicité des vins. En complément, d’autres équipes de VINITERA travaillent sur :

- la typicité sensorielle des vins d’AOC Anjou Villages Brissac, - l’analyse de la construction de la qualité typicité par rapport à l’offre, - l’analyse de la typicité du point de vue de la demande.

Une étude a donc été engagée pour caractériser les différents itinéraires techniques utilisés pour la production d’un Anjou Villages Brissac et de dégager des couples itinéraires techniques/Unité de Terroirs de Base (UTB) en lien avec cette typicité ; rappelons qu’une UTB est le plus petit territoire où le fonctionnement de la vigne est homogène et qui représente une unité géographique exploitable par le viticulteur. L’objectif de cette démarche est de mettre en place un réseau de parcelles d’étude ; réseau qui nous permettra, par la suite, de faire des observations in situ et de compléter nos données et d’étudier le lien pouvant exister entre un produit et son terroir. Tout au long de cet article, je vais mettre en avant les différentes techniques de recueil de données qui ont permis de créer ce réseau et de le faire vivre.

1. Le recueil de données par enquêtes auprès des producteurs Nous avons conduit deux séries d’enquêtes, d’abord des enquêtes semi-directives, portant sur le lien des pratiques des viticulteurs avec les facteurs environnementaux et qui avaient pour but de générer du vocabulaire et de cibler des questions importantes par rapport aux pratiques agro-viti-œnologiques et ensuite, des enquêtes directives pour répertorier ces pratiques. Avant de débuter, chaque enquêteur a reçu une formation aux techniques d’enquête, dispensée par deux chercheurs du laboratoire de recherche sur le développement de l’élevage (LRDE) de l’Inra à Corte. Pour mener à bien cette action, nous étions 7 enquêteurs.

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1.1 Les enquêtes semi directives Afin d’étudier les pratiques en lien avec les facteurs environnementaux, nous avons dans un premier temps rencontré 13 viticulteurs présents sur l’AOC Anjou-Villages Brissac ainsi que le responsable de la cave coopérative de Brissac. Nous avons choisi cet échantillon en fonction de la représentativité des acteurs, c'est-à-dire que nous nous sommes intéressés au devenir de la vendange issue des parcelles d’Anjou Villages Brissac (coopérative, exploitation, coopérative et exploitation), aux proportions des surfaces revendiquées en Anjou Villages Brissac vis-à-vis de la surface totale de l’exploitation et au système de production (agriculture conventionnelle, raisonnée, biologique ...). L’enquête semi directive comportait 13 questions réparties en quatre thèmes : - exploitation : 6 questions, - viticulture : 2 questions, - œnologie : 2 questions, - aspects sensoriels : 3 questions. A partir des résultats bruts qu’étaient les notes prises par les enquêteurs, nous avons recensé toutes les réponses aux questions et nous les avons regroupées par thèmes ; nous avons ainsi dégagé des mots clés ou des groupes de mots qui nous ont servi pour la création d’un questionnaire agro-viti-œnologique pour l’enquête directive. 1.2 Les enquêtes directives Ces enquêtes nous ont servi à répertorier les pratiques agro-viti-œnologiques des producteurs. Nous avons recensé toutes les exploitations ayant des parcelles sur l’aire d’appellation, soit 41 exploitations. Nous avons ensuite adressé aux viticulteurs un courrier expliquant notre démarche, puis nous les avons contactés afin de convenir d’un rendez-vous. L’entrevue avec chaque viticulteur s’est déroulée en deux temps. Tout d’abord, nous avons demandé aux producteurs de nous situer sur une vue aérienne leurs parcelles plantées en Cabernet franc ou Cabernet sauvignon, présentes sur l’aire d’appellation Anjou Villages Brissac. Lorsque la parcelle était homogène au niveau du sol, du cépage, du porte greffe, de l’année de plantation…, nous l’avons considérée comme une parcelle élémentaire (PE). Ce repérage nous a permis de mettre en relation les parcelles indiquées par les producteurs avec une base de données issue d’une étude « Terroir d’Anjou » qui identifie les différents terroirs élémentaires d’une région et caractérise des unités terroirs de base (UTB). Ainsi, nous pouvons associer les facteurs du milieu aux diverses pratiques des vignerons. Terroirs d’Anjou : La notion d’appellation d’origine contrôlée (AOC) tient compte des facteurs naturels tels que le sol ou le climat, mais aussi du savoir-faire du vigneron. Sur une même exploitation, nous pouvons avoir des vins différents malgré le même cépage et la même façon de faire du producteur. Les vins peuvent être différents selon que la vendange est issue de telle ou telle parcelle. C’est pourquoi en 1994, trois chercheurs du centre Inra d’Angers, M. Morlat, M. Salette et M. Asselin, ont lancé un programme de recherche sur les terroirs viticoles en mettant au point une méthodologie de caractérisation. Il s’agit d’identifier les différents terroirs élémentaires composant une région en s’aidant de la carte géologique, de la carte topographique (IGN) et de photographies aériennes. Ces documents permettent aux chercheurs de faire des observations plus précises sur le terrain (sous-sol, sol, environnement paysager…) et de définir les différentes unités terroir de base.

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Nous avons ensuite enquêté au niveau de chaque PE indiquée par le viticulteur produisant uniquement du vin rouge, soit de l’Anjou Rouge soit de l’Anjou Village Brissac. Ces deux types de vins présentant une typicité différente, l’objectif était de mettre en évidence des différences en relation avec les pratiques des vignerons. Le questionnaire de type directif comportait une majorité de questions qualitatives et était composé de 5 tables :

- la table « exploitation » : 32 questions ; - la table « conduite de la parcelle » : 45 questions ; - la table « aptitude et adaptation des composante du terroir » : 6 questions ; - la table « vendanges et vin » : 40 questions ; - la table « aspects sensoriels et facteurs importants pour un Anjou Villages Brissac » : 6 questions.

Nous avons conduit les entretiens à l’aide de documents papier reprenant une table de saisie composée de toutes les questions. En tant qu’enquêteurs, nous avions « un guide d’entretien » qui, selon les questions, nous indiquait quelle réponse ou quel format de réponse nous attendions afin d’homogénéiser nos données au moment de leur traitement. Il fallait prévoir environ un quart d’heure par parcelle enquêtée (à multiplier par le nombre de parcelles que nous avons situées sur les vues aériennes). 2. Le traitement des données A la suite des enquêtes, nous avons obtenu deux types de données à exploiter : les résultats de l’enquête en elle-même et les photos aériennes renseignées par les viticulteurs. Deux bases de données Access® et Geoconcept® ont été réalisées avec l’aide de la cellule "terroirs viticoles" La cellule "terroirs viticoles" (CTV).cartographie et caractérise les terroirs viticoles du Val de Loire, en appliquant la méthode mise au point par l’unité vigne et vin du centre Inra d’Angers. La cartographie des facteurs environnementaux du terroir (géologie, pédologie et méso climat) est réalisée à l’aide de sondages à la tarière. Cette spatialisation génère l’édition de cartes thématiques sur les caractéristiques des unités de terroir, sur leurs potentialités et sur des conseils génériques concernant l’adaptation des pratiques au milieu (porte-greffe, entretien du sol …). La caractérisation du fonctionnement de chaque unité de terroir cartographiée est également assurée par l’ouverture de fosses pédologiques et par la réalisation d’enquêtes à la parcelle auprès des viticulteurs. La valorisation des résultats passe par l’édition des différentes cartes thématiques regroupées dans des atlas viticoles et des outils informatiques (atlas informatisés, vues en 3D) à destination des viticulteurs et des organismes techniques.

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2.1 Numérisation des parcelles et saisie des données (Extrait de parcelles numérisées)

Chaque enquêteur a numérisé les parcelles indiquées par le viticulteur sur le logiciel SIG Géoconcept®, c'est-à-dire qu’il a localisé précisément l’ensemble des parcelles du vigneron sur une carte de l’appellation Anjou Villages Brissac. Ceci nous donne grâce à la base de données Terroirs d’Anjou, des informations sur le sol de la parcelle numérisée. Ensuite la CTV a regroupé toutes les parcelles enquêtées pour l’Anjou Villages Brissac en une seule et même

base de données. Ces informations sont utiles pour faire des regroupements de parcelles possédant des UTB proches. Chaque enquêteur a saisi les données des enquêtes sur une base de données Microsoft Access®. Comme pour la base géographique, la CTV a regroupé toutes les bases en une seule qui nous servira pour une exploitation statistique des résultats. 2.2 Analyse statistique des résultats Nous avons recensé 261 parcelles dont 171 revendiquées en Anjou Villages Brissac (AVB) et 90 revendiquées en Anjou Rouge (AR). Le fait de prendre en compte les parcelles pour ces deux types de vins différents nous a permis d’identifier les pratiques caractéristiques de l’élaboration d’un AVB par rapport à un AR. De plus, avec l’analyse des pratiques agro viti œnologiques identifiées sur l’appellation nous avons recherché des éléments pertinents et généralisables pour différencier divers itinéraires techniques porteurs de typicité. Pour cela, sur les deux populations de parcelles (AVB et AR), des statistiques descriptives ont été effectuées sur chaque question de l’enquête, nommée variable, puis des tests d’indépendances de variables (test du Khi2) ont été réalisés pour chacune des variables. Nous avons ainsi identifié des différences statistiquement significatives entre modalités de variables comparées dans le cas des parcelles (AVB) et (AR) dont voici quelques exemples:

- le cépage Cabernet Sauvignon est significativement plus représenté dans les parcelles d’AVB (35%) que dans les parcelles d’AR (18%) ;

- Le porte-greffe 3309C est significativement plus fréquent en AVB qu’en AR et inversement pour le porte-greffe SO4 ;

- Les parcelles d’AR sont significativement plus fréquentes dans les densités de plantation égales ou supérieures à 5000 ceps par ha ;

- Les parcelles d’AVB sont significativement plus souvent conduites en enherbement naturel maîtrisé des inter-rangs, contrairement à celles d’AR qui sont en général désherbées chimiquement.

A la suite de cette exploitation statistique, nous avons extrait des itinéraires techniques de nos bases à l’aide de variables facteurs du milieu et agro viticoles. Ainsi, nous avons retenu 5 itinéraires techniques les plus représentés de la zone Anjou Villages Brissac pour une validation dans le réseau de parcelles avec des répétitions.

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3. La mise en place d’un réseau de parcelles d’étude Ce réseau a pour but de consolider les résultats d’analyse de notre base de données et de mettre en avant les liens possibles entre la vendange issue de la parcelle et les pratiques du vigneron. Il a aussi pour objectif de valider les différences entre les parcelles AVB et AR pour les itinéraires techniques. Nous allons ainsi comparer les divers itinéraires techniques de typicité dégagés pour les valider expérimentalement. Nous voulons obtenir un réseau comportant des combinaisons tant au niveau du milieu que des pratiques, susceptibles de générer des typicités particulières. Nombre de parcelles : 17 Nombre d'itinéraires techniques : 5

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N° I

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1VT4 R_MARN CF Fercal 1999 GS 185 AVB 1 1VT R_MARN CF Fercal 2003 GS 185 AVB 1VT R_MARN CF 161-49 1993 GS 185 AVB 2VT R_MARN CF Fercal 1990 GD/GDR 170 AVBouAR 3VT ALTA_SF CF SO4 1982 GD/GDR 180 AVB

2 3VT ALTA_SF CF SO4 1981 GD/GDR 180 AR 3VT ALTA_SF CF SO4 1983 GD/GDR 180 AR 3VT ALTA_SF CF SO4 1981 GD/GDR 180 AR

3 4VT ALTA_SF CS 3309C 1992 GD/GDR 180 AR 5VT ALTA_SF CS 3309C 2000 GS 185 AVB 6VT R_SF CF SO4 1983 GD/GDR 180 AR

4 6VT R_SF CF SO4 1966 GD/GDR 180 AVB 6VT R_SF CF SO4 1970 GD/GDR 180 AVB 7VL5 ALT_MA CS SO4 1985 GD/GDR 225 AVB

5 8VL ALT_MA CS 420A 2000 GD/GDR 225 AVBouAR 9VL R_SF CS S04 1978 GD/GDR 230 AVB 10VL SAB_GR CS Gravesac 2002 GD/GDR 230 AVB

Tableau 1 : les cinq ITK porteurs de typicité

1 R_MARN : roche marnes à ostracées ; ALTA_SF : altération de schistes friables ; R_SF : roche de schistes friables ; ALTA_MA : altération de marnes ; SAB_GR : sablo-graveleux, sol à fort stress hydrique. 2 CF : Cabernet franc ; CS : Cabernet Sauvignon 3 GD/GDR : Guyot double ; GS : Guyot simple 4 VT = Vigne traditionnelle 5 VL = Vigne large 6 GD Guyot Double, GS : Guyot Simple

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3.1 Validation des résultats des enquêtes in situ (collaboration CTV) Avant de mettre le réseau de parcelles en place, nous sommes allés sur le terrain avec une équipe de la cellule « terroirs viticoles » (CTV) afin de vérifier l’exactitude des informations issues de notre base de données. C'est-à-dire que la CTV a contrôlé la nature du sol, à l’aide de sondage, tandis que j’ai validé le cépage, l’orientation des rangs, la hauteur de la vigne, l’enherbement…Une fois ces informations validées, la parcelle a été retenue. 3. 2 Mise en place des parcelles

Figure 1 : disposition des placettes

Les suivis se feront sur quatre placettes de 25 souches par parcelle, situées en diagonale afin d’être représentatives de la parcelle en terme d’hétérogénéité de vigueur selon la pente

25 ceps d'un rang de vigne

5. Exploitation du réseau : recueil de données Ce réseau sera suivi pour une durée de trois ans. Les données qui seront recueillies vont nous aider à déterminer s’il existe un lien entre la qualité de la matière première issue des parcelles et les pratiques mises en œuvre pour un millésime donné. Nous allons observer la véraison pour étudier les différenciations de maturité d’une parcelle à l’autre, calculer la surface externe du couvert végétal (SECV) afin d’estimer le potentiel photosynthétique et d’évaluer, à la date des vendanges, le poids et la qualité de celles-ci. Conclusions et perspectives A partir de ces travaux nous avons identifié différents itinéraires techniques pouvant avoir un lien avec la typicité des vins d’Anjou Villages Brissac. La mise en place et le suivi de notre réseau de parcelles d’étude nous permettra de valider ou non l’importance des pratiques qui contribuent à affirmer la typicité du produit. Ce réseau de parcelles sera suivi pendant trois années pour consolider les résultats de la première année et pour compléter nos données avec des informations sur les millésimes à venir et ainsi gommer leur effet pour ne pas en être dépendant en exploitant les résultats. A moyen terme, nous envisageons un élargissement du domaine d’application avec la mise en place d’un observatoire de pratiques dans les sous bassins de production du Val de Loire.

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Remerciements : Cet article n’aurait pas pu être réalisé sans le soutien et les encouragements de Gérard Barbeau3 et sans l’aide précieuse de Cécile Coulon4, de Marie Scholtus5 et de Marie Huyez-Levrat6. Bibliographie Anonyme (2001) Les terroirs viticoles : du concept … au produit. Groupe terroir INRA INAO.

Document INAO, à partir du document élaboré par l’INRA-URVV (Asselin C., Barbeau G., Morlat R., Salette J.) en septembre 1998. Edition du 21 déc. 2001, reçue en 2003. 52 p.

Bodin F. (2003) Contribution à l'étude du terroir viticole en Anjou : approche utilisant un modèle de terrain et une enquête auprès des vignerons. Thèse de Doctorat. Discipline Agronomie. Université d'Angers. 257 p.

Cadot Y. (2006) Le lien du vin au terroir : complexité du concept de typicité. Revue des Œnologues, 2006, n° 118, 9-11.

Goulet E., Rioux D., Barbeau G., (2004) Cartographie des terroirs viticoles : Valorisation des résultats par un logiciel de consultation dynamique de cartes. Congrès zonage viticole GESCO, Cape Town, Afrique du Sud, 15-19 novembre 2004.

Morlat R. (2001) Terroirs viticoles : études et valorisation. Collection avenir œnologie. Edité par oenoplurimédia sarl à Chaintre. P 117

Morlat R., Meinen C. (2003) Etude des terroirs viticoles d’Anjou : de la recherche à la valorisation technique. Partie I : Recherche. Revue des œnologues, avril 2003, n° 107, 23-26.

Morlat R., Meinen C. (2003). Etude des terroirs viticoles d’Anjou : de la recherche à la valorisation technique. Partie II : Valorisation. Revue des œnologues, juillet 2003, n° 108, 36-37.

Morlat R., Scholtus M., Petrement V, Sarrazin F et Thibault C. (2006) Effets des facteurs du Terroir (Milieu, Pratiques Agro-Viti-Œnologiques, Stratégies) sur la typicité des vins Anjou-Villages Brissac. Rapport ronéoté. 12p.

Thiollet- Scholtus M., Morlat R., Barbeau G. (2007) Une nouvelle façon d’étudier les liens entre les caractéristiques du terroir et la typicité des vins via différents types d’enquêtes à l’échelle d’une A.O.C. Proceedings 15ème Symposium International du GESCO, Porec, Croatie, pp 93-110.

3 Directeur de l’unité vigne et vin du centre Inra d’Angers 4 Ingénieur à l’institut français de la vigne et du vin (ENTAV-ITV France) 5 Ingénieur à l’unité vigne et vin du centre Inra d’Angers 6Responsable du Cahier des Techniques de l’Inra, Inra DPE, 147 rue de l’Université-75338 Paris

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Protocole de recueil de données en exploitation agricole pour un diagnostic agronomique des pratiques culturales

Conception et mise en œuvre en riziculture

Roy Hammond 7 Résumé : Confrontés à la fois à l’instabilité des prix et à la grande variabilité des rendements du riz, les représentants de la profession rizicole en Camargue ont sollicité l’aide des établissements de recherches agronomiques pour mettre en œuvre des systèmes de culture économiquement viables et écologiquement durables. C’est ainsi qu’en 2002, l’UMR Innovation et Développement a décidé de réaliser un diagnostic agronomique en collaboration avec le Centre français du riz, afin d’identifier et de hiérarchiser les facteurs de variabilité du rendement du riz et de ses composantes en culture biologique et conventionnelle. Un ingénieur est responsable de ce programme et en tant que technicien de recherche, je suis responsable du recueil des données nécessaires à l’établissement d’un diagnostic agronomique régional. Ce diagnostic repose sur une analyse des interactions entre les pratiques culturales, les états du milieu et l’élaboration du peuplement cultivé. Cet article présente la démarche qui s’appuie d’une part sur la conduite des entretiens avec les riziculteurs et d’autre part sur un dispositif d’observations pluriannuel constitué d’un réseau de parcelles représentatif des systèmes de culture rizicole biologiques et conventionnels que j’ai adaptés aux conditions particulières de la conduite du riz en condition inondée.

Mots clés : Camargue, riziculteurs, riz, entretiens, suivis agronomiques, pratiques

Introduction En Camargue, la mise en valeur agricole des terres soumises au double effet d’une nappe phréatique salée et d’un déficit hydrique élevé, impose aux agriculteurs des systèmes de culture où la riziculture inondée joue une fonction déterminante. En effet, la présence du riz dans la rotation permet un dessalement des sols qui autorise l’introduction de cultures pluviales telles que le blé ou la luzerne. Cependant l’instabilité des prix liée aux accords commerciaux au niveau mondial et la grande variabilité des rendements du riz sont susceptibles de remettre en cause l’équilibre de cette rotation. Dans ce contexte, les représentants de la profession rizicole ont sollicité les établissements de recherche agronomique pour concevoir des systèmes de culture économiquement viables et écologiquement durables. En 2002, l’UMR Innovation en collaboration avec le centre français du riz, a mis en place un programme de recherche visant à produire des connaissances agronomiques utiles pour l’aide à la décision des riziculteurs. Un ingénieur est responsable de ce programme et en tant que technicien de recherche, je suis responsable du recueil des données nécessaires à l’établissement d’un diagnostic agronomique régional (Doré 1997, Mouret 2003). L’objectif est d’identifier et de hiérarchiser les facteurs explicatifs de la variabilité spatio-temporelle des rendements du riz en culture biologique et conventionnelle. Cet article présente notre démarche qui s’appuie sur la conduite d’entretiens avec les riziculteurs et sur un dispositif d’observations pluriannuel que j’ai adapté aux conditions particulières de la conduite du riz en condition inondée.

7 Inra UMR Innovation et Développement, Montpellier ℡ 33 (0)4 99 61 22 21 [email protected]

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1. La méthode du diagnostic agronomique adaptée au cas du riz Le diagnostic agronomique régional repose sur une analyse des interactions entre les pratiques culturales, les états du milieu et l’élaboration du peuplement cultivé. La méthode de diagnostic utilisée pour des espèces telles que le blé, la betterave ou le pois doit être adaptée aux conditions de la riziculture. 1.1 Le riz, une céréale pas comme les autres Le riz, Oryza sativa, appartient à la famille des Poacées. C’est une céréale dont la morphologie est comparable à celle du blé ou de l’orge et qui présente deux caractéristiques particulières : la température minimale de croissance, c’est-à-dire le zéro de végétation est de 13°C° et, l’adaptation aux milieux inondés. Cette dernière caractéristique lui permet de mettre en valeur les sols salés des zones deltaïques telles que la Camargue. En effet, le riz va développer son cycle cultural sous une lame d’eau douce qui va contribuer progressivement à la désalinisation du sol. Par ailleurs la lame d’eau va jouer un rôle important de régulateur de la température. Ainsi, la submersion modifie sensiblement le milieu physique et le comportement du peuplement en comparaison de situations plus fréquemment rencontrées en cultures pluviales. Dans la quasi-totalité des cas, la rizière est inondée avant le semis qui est réalisé à la volée, avec un épandeur centrifuge. Il faut noter que le riz doit impérativement rester sur la surface du sol pour disposer de l’oxygène nécessaire à sa germination. Or, les mouvements d’eau provoqués par le mistral, vent fréquent et violent en Camargue, risquent d’enterrer les graines. Ce phénomène exige une surveillance particulière de la gestion de l’épaisseur de la lame d’eau. De même, la déstructuration des mottes au moment de la mise en eau risque d’enfouir les semences positionnées à la surface du sol. Une fois germé, à la lumière du jour, le riz développe d’abord la partie aérienne aux dépens de son système racinaire et les mouvements de la lame d’eau risquent de déraciner les jeunes plantules faiblement ancrées au sol. La hauteur de l’eau peut influer également sur le développement des mauvaises herbes ; ceci est particulièrement important en culture biologique car les mauvaises herbes exercent une forte compétition sur le peuplement du riz. En culture conventionnelle on a recours aux herbicides chimiques ; les traitements s’avèrent nécessaires surtout au tout début de la culture, lorsque le riz est encore fragile. Toutes ces conditions et ces facteurs particuliers influent fortement sur la densité du peuplement à la levée et feront l’objet d’un suivi agronomique approfondi pendant cette période. 1.2 Les informations recueillies et les méthodes mises en œuvre

Le tableau 1 présente une synthèse de l’ensemble des informations recueillies sur les pratiques culturales, le milieu physique et le peuplement de la culture. Les pratiques culturales se réfèrent à l’itinéraire technique réalisé depuis la récolte du précédent cultural jusqu’à la récolte de la culture en place. Je les enregistre au cours de trois entretiens qui se déroulent entre mars et novembre ou décembre. Ces entretiens s’intercalent entre des observations que je réalise dans le cadre d’un suivi agronomique de base à des moments clés du cycle de la culture : levée, tallage, floraison et maturité du riz. Le suivi agronomique de base est complété par un suivi approfondi pendant la phase cruciale de l’installation de la culture : du semis au stade montaison. Pendant cette période, j’apporte une attention particulière au niveau d'une station pour évaluer le risque d’enfouissement des

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graines et au niveau de la parcelle pour caractériser le peuplement des mauvaises herbes. Les différents niveaux d’échelle d’observation : parcelle, station, plot, seront détaillés dans le chapitre 2. Je note toutes les informations recueillies sur des fiches d’enregistrement, puis je les saisis dans une base de données que j’ai constituée sur le fonctionnement des systèmes de culture rizicole biologiques et conventionnels.

Objets étudiés

Méthodes de recueil des

données

Nature des informations recueillies (en bleu, périodes correspondant au recueil des

données)

Fiches d’enregistrementcorrespondantes

Pratiques culturales

entretiens Précédent cultural, gestions des résidus, interculture, travail du sol, gestion de l’eau, semis, fertilisation, traitements phytosanitaires, désherbages mécaniques et manuels (en mars, juillet et décembre)

Système de culture

sol, par analyse : granulométrie, teneur en matière organique, phosphore, potassium, teneur en éléments échangeable, conductivité électrique (en mars)

Analyse de sol suivi agronomique

(dans une station

d’observation) sol, par observation après le dernier passage d’outil et avant la mise en eau, sur la surface et dans chaque couche reprise ou non-reprise du sol : tailles, dureté et répartition des mottes par rapport à la terre fine, nature et densité des résidus de culture. (en avril)

Etat de surface Profil cultural

Milieu physique

relevé d’une station météo.

climat, températures journalières minimales, moyennes et maximales, pluviométrie, rayonnement, vent

Climat

levée : nombre de plantes de riz et de mauvaises herbes par espèce, stade et état sanitaire des plantes. (en juin)

Levée

floraison : nombre de tiges, nombre de panicules 100% fleuries. (en août)

Floraison

Peuplement suivi agronomique

(dans des plots d’observation

de 1/4m²) récolte : nombre de tiges de riz fertiles et non-fertiles, poids sec de la paille et des grains de riz, biomasse aérienne des espèces de mauvaises herbes. Le poids de mille grains. Etat sanitaire des peuplements. (en septembre)

Récolte

Prélèvement dans la station

20 panicules : hauteur des tiges et longueur des panicules, nombre de grains pleins, mal-remplis et vides.

Tableau 1 : Informations recueillies sur chaque parcelle, méthodes d’observation et fiches d’enregistrement 2. Dispositif d’observation avec les riziculteurs : construction et mise en œuvre Les observations sont effectuées sur un réseau de parcelles représentatif des systèmes de production et des systèmes de culture des exploitations rizicoles de Camargue. Je distingue deux systèmes de production : céréaliers stricts et polyculture/élevage qui peuvent l’un et l’autre se décliner en conduite conventionnelle ou biologique.

2.1 Choix des parcelles et des stations d’observation Les parcelles retenues dans le dispositif de suivi agronomique sont choisies selon trois critères. Premièrement, je souhaite que chaque type d'exploitation et chaque système de culture rizicole soient présents dans le dispositif dont la représentativité géographique constitue le deuxième critère (figure 1A). Le troisième critère peut être une innovation

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culturale dont la profession rizicole souhaite connaître les effets sur la production de riz, par exemple la question de la gestion des pailles de riz ou la mise en œuvre de techniques culturales simplifiées. Dans ce cas, je choisis des parcelles de manière à pouvoir établir une comparaison entre une situation « classique » et une situation « innovante».

Figure 1 : Dispositif global d’observation

Station biologique

Figure 1 B

Sortie d’eau

Tournières des tracteurs

Plot d’observation

Station d’observation

Parcelle ± 2ha

Entrée d’eauFigure 1 A

Station conventionnelle

1A : Situations de quelques parcelles constitutives du réseau de suivi agronomique 1B : Positionnement de la station et des plots d’observation Le choix des parcelles se fait en collaboration avec les riziculteurs. Les premiers entretiens sont organisés de façon individuelle et ils sont effectués de préférence au mois de mars, quelques semaines avant le début du cycle de la culture. A ce moment-là, la stratégie globale de fonctionnement de l'exploitation est déjà décidée et le choix des parcelles est donc définitif. Je me renseigne auprès du riziculteur sur toutes les interventions effectuées dans chacune d'entre elles depuis la récolte précédente. Je l'interroge également sur son planning prévisionnel et ses indicateurs de décision. Cela me permet de sélectionner les parcelles à observer et d’enregistrer les changements ou adaptations survenus en cours de culture. Ces informations pourront-être utiles pour nourrir ultérieurement une analyse agronomique, mais aussi socio-économique dans une démarche interdisciplinaire.

Dans chaque parcelle choisie, je sélectionne une zone sur laquelle je délimite une station d’observation d’environ 100m² et j’y positionne quatre plots de 0,25m² (figure 1B). J’évite les zones de bordure car les tournières des engins peuvent perturber l’état du sol, voire les traitements, et donc ne pas être représentatives de la parcelle. L’enherbement des pourtours ou « levadons » des rizières peut interférer également en bordure. De même, j’évite toutes les zones à proximité des entrées et des sorties d’eau dont chaque rizière est équipée car ces espaces peuvent être perturbés au moment de l’irrigation ou du drainage de la rizière. Il faut noter que les mouvements d’eau sont fréquents au cours d’une campagne.

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2.2 Des observations qui associent états du milieu et peuplement cultivé J’effectue des entretiens et des observations en relation avec les itinéraires techniques, le cycle cultural du riz et des facteurs déterminants de l’élaboration du rendement selon la chronologie présentée dans la figure 2. mars avril mai juin juillet août sept oct hiver

récolte gestion des résidus du riz

travail du sol semis

entretien de la culture rizière en eau

entretiens avec les riziculteurs suivi agronomique de base

suivi agronomique approfondi cycle du riz levée / installation tallage montaison floraison maturité

température densité riz température enfouissement mauvaises herbes quelques facteurs déterminants

de l’élaboration du rendement

Installation

Figure 2 : Chronologie des entretiens et des observations

2.2.a Le suivi agronomique de baseMa première intervention dans la parcelle consiste à prélever des échantillons de sol destinés à caractériser l’état physico-chimique du sol. La suite du recueil de données concerne la caractérisation du peuplement de la culture tout au long du cycle cultural du riz. Le principe est de compter le nombre de plantes levées par mètre carré, de calculer le nombre de talles produit par plante, de compter le nombre d'épillets par panicule et le nombre d’épillets fécondés et remplis, de peser un échantillon de mille grains à 0% d'humidité. Je note les dates auxquelles les différents stades de croissance et de développement sont atteints. La date de 50% de floraison est importante car des températures froides précédant cette période peuvent influer sur la fécondation des épillets et donc sur le nombre de grains formés. Pour que le riz n'arrive pas trop tard à ces stades dans son cycle et afin de minimiser les risques relatifs aux basses températures, plusieurs facteurs seront déterminants : la date de semis et les conditions climatiques qui influent sur le bon démarrage de la culture, la variété semée et la durée de sa phase végétative, le lit de semence et la gestion de l'eau qui influent aussi sur l’installation du peuplement. La fertilisation azotée peut favoriser le tallage mais aussi prolonger le stade végétatif ou affecter la fécondation selon les doses d'application et les dates d'épandage, ceci en relation avec les fournitures en azote du sol. On note d’ores et déjà que les pratiques et les interventions des riziculteurs influent de façon déterminante sur le comportement de la culture et sur les composantes du rendement. 2.2.b Le suivi agronomique approfondiDès la mise en eau et le semis du riz, deux fois par semaine : - je caractérise la stabilité de la structure du sol, c’est-à-dire l’état des mottes et leur degré de désagrégation ;

- j’évalue la densité de grains visibles sur la surface du sol ; - je note l’état des plantules et leur développement aérien et racinaire ainsi que leur hétérogénéité ;

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- j’effectue une estimation de la densité du peuplement du riz et de chaque espèce de mauvaise herbe présente avec leur répartition. L’enracinement du riz est noté sur une échelle de 1 à 5 ; 1 = bien enraciné, 5 = flottant. Je caractérise l’effet du peuplement des mauvaises herbes non seulement au niveau de la station, mais aussi au niveau de la parcelle. En effet, leur répartition est souvent hétérogène et la station n’est pas toujours représentative de l’état du peuplement au niveau de la parcelle : je réalise donc une estimation de la répartition des espèces de mauvaises herbes, de leur stade de développement, de leur état et de leur densité. Ces mesures sont notées sur des grilles d’évaluation que j’ai établies à cet effet. (tableau 2) ;

- je mesure la hauteur de la lame d’eau. Si le sol est ressuyé, je note son état d’assèchement.

Code Densité 1 Très rare, mais présence de l’espèce constatée 2 Peu observé ; un désherbage manuel reste « possible » 3 Densité peu problématique, mais risque de contamination de la rizière 4 Infestation avec concurrence sérieuse sur le peuplement 5 Infestation importante avec risque d’étouffement quasi-total du riz

GT

Tableau 2 : Exemple d’une grille d’évaluation relative à la densité des mauvaises herbes Toutes ces informations sont recueillies pour être corrélées entre elles et avec les interventions culturales réalisées dans la parcelle : fertilisations, traitements phytosanitaires et gestion de l’eau. Le suivi agronomique approfondi, en supplément de l’enquête de base fournit une estimation codée des observations et des appréciations qualitatives. 2.3 Entretien avec les riziculteurs en cours de culture Je sollicite un deuxième entretien avec chaque riziculteur en juillet, après la phase critique d'installation définitive de la culture du riz. J'enquête sur toutes les interventions culturales survenues depuis la première rencontre avec l’agriculteur et nous évoquons les adaptations et les changements effectués par rapport au programme prévisionnel. Pour le suivi agronomique approfondi, ce deuxième entretien est l’occasion de discuter et de préciser des observations que nous avons l’un et l’autre réalisées. On apprécie mutuellement les difficultés de faire des observations précises dans des conditions contraignantes : observer à travers quelques centimètres d’eau, parfois trouble, l’état des petites plantules, différencier les mauvaises herbes du riz, apercevoir les grains, évaluer les densités et les stades du peuplement. Ces données peuvent être des critères importants pour analyser la complexité des prises de décision. 2.4 Restitution auprès des riziculteurs Un troisième et dernier entretien avec chacun des riziculteurs participants au réseau d’analyse constitue un moment important de la démarche : il s’appuie sur un dossier que je remets à l’agriculteur à la fin de la rencontre. Ce dossier que j’ai préparé avec le responsable du programme émane d’une extrapolation de la base de données que j’ai créée et que je gère. Il comprend d’une part des fiches d’observations du peuplement et d’autre part des fiches d’analyse et de synthèse des résultats par station. Ainsi, les fiches présentant les analyses de sol, l’état du peuplement à la levée et à la récolte, les fiches de suivi approfondi et les fiches d’interprétation de ces observations sont minutieusement présentées, commentées et discutées. Par ailleurs, la confidentialité des données étant préservée, notre interlocuteur est toujours intéressé pour savoir comment se positionne sa ou ses situation(s) par rapport au dispositif global. Cette restitution permet de valider l’ensemble des observations effectuées,

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

de discuter des résultats obtenus et d’identifier de nouvelles questions de recherche. Cette démarche correspond au schéma d’analyse présenté par Jean-Marc Meynard à l’école technique du département sciences pour l’action et le développement (SAD). (Meynard, 2005). La figure 3 présente un exemple simplifié d’une fiche de restitution. Les observations faites au niveau de la station sur l’évolution des peuplements de riz et de mauvaises herbes et sur les niveaux d’eau pendant la phase d’installation de la culture sont présentées sur un graphique qui met en évidence les concurrences relatives exercées sur le riz par les différentes espèces de mauvaises herbes en combinant leur densité et leur dominance aérienne. Cette représentation graphique est un support riche pour une discussion avec l’agriculteur. Elle permet de préciser la manière dont les observations sont effectuées et de les confronter, le cas échéant, avec celles de l’agriculteur. Elle situe visuellement l’évolution du peuplement du riz et des mauvaises herbes au cours du cycle de la culture. Sur cette base, nous pouvons co-établir avec l’agriculteur un pré-diagnostic.

Parcelle P134 (variété :Flipper) : rendement du riz 2,9 q/ha aux normes de 13% d'humidité adventices 69,4 q/ha à la récolte (dont panisses 61,9 q/ha ; triangles 3,8 q/ha)

0

20

40

60

80

100

120

15/04/2007 25/04/2007 05/05/2007 15/05/2007 25/05/2007 04/06/2007 14/06/2007 24/06/2007 04/07/2007 14/07/2007 24/07/2007

Niv

eau

d'ea

u et

PA

Riz

et A

dven

tices

en

cm

Niveau d'eau

Riz

Début Montaison

Panisse 1er poussée

Panisse 2ème poussée

Scirpus Maritimus

Triangles de Resemis

Dicots ; Ammania + Lindernia

3

0 1 2 3 4 5 Densité Echelle : Faible à Fort

5

3

3

5

4

5

2

5

Riz

Panisse

3

3

Roues-cages

Comptage de la "levée"

182 plantes de riz

297 Panisses71 Maritimus

200 Triangles de resemis

67 Dicots

par m²

Prédominance de couverture des panisses de 2ème generation

Figure 3 : Exemple de représentation schématique des informations recueillies sur une station d’observation 3. Avantages et limites de la démarche Le fait de ne pas simplement recueillir les informations par entretien, mais de les articuler avec les observations et les mesures sur la parcelle du riziculteur présente plusieurs avantages. Les observations fréquentes que je réalise dans les rizières, en contact avec le terrain et souvent en présence de l’agriculteur lui-même, favorise un dialogue avec les riziculteurs et contribue à créer et à maintenir un climat de confiance entre nous. Le réseau des riziculteurs établi dans cette dynamique donne accès à des informations plus détaillées et en particulier au moindre changement ou innovation mis en œuvre par l’agriculteur. Par ailleurs le réseau peut être mobilisé pour tester en situation réelle des hypothèses de recherche résultant des entretiens préalablement évoqués. Ainsi, notre équipe a récemment mené à terme une expérimentation en plein champ pour mesurer l’efficacité du

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fractionnement de la fertilisation organique en riziculture biologique (Bayot, 2006). Nous avons aussi testé l’efficacité du désherbage mécanique sur les interlignes dans les rizières inondées pendant la culture. La démarche présente cependant des limites. Le grand nombre de variables observées par parcelle limite d’une part la prise en compte de la diversité des situations et d’autre part la possibilité d’une analyse statistique approfondie. Cet inconvénient est atténué par le fait que le dispositif de suivi interannuel que j’ai mis en place a permis de recueillir depuis neuf ans des informations détaillées sur plus de 350 parcelles conduites en culture conventionnelle ou biologique. La démarche exige également une grande disponibilité de tous les acteurs mobilisés dans le dispositif. Il faut maintenir un climat de confiance avec les praticiens pour pouvoir les solliciter régulièrement et pour accéder à des informations fiables et objectives. Certaines variables, telles que la gestion de l’eau par exemple, sont difficiles à appréhender alors que tous les acteurs considèrent ce paramètre comme facteur important pour la conduite de la culture. Compte tenu de sa complexité et de sa gestion quasi quotidienne, un dispositif adapté serait nécessaire pour bien étudier cet aspect. Une solution à envisager serait d’impliquer le riziculteur d’une façon plus active dans le recueil des données relatives à ce thème. Cela supposerait d’atteindre un nouveau palier dans notre collaboration avec les praticiens. Notre équipe élabore un projet de recherche participative pour intégrer cet objectif. Conclusion Tout en produisant des documents scientifiques ou de valorisation d’intérêt général, nous travaillons avec les riziculteurs individuellement. Cependant, le dispositif d’observation, basé sur la confiance et la disponibilité des praticiens, est propice à la création de groupes de travail collectif. Dans le domaine de la riziculture biologique cette évolution est en cours : la perspective n’est pas seulement d’associer davantage les riziculteurs dans les thèmes à étudier, mais aussi de les impliquer directement dans le recueil des données en co-construisant des protocoles appropriés. Ceci supposera d’organiser des discussions dans les groupes de travail pour hiérarchiser des pistes potentielles de recherche et pour enrichir la réflexion avec une mise en commun d’expériences, l’objectif restant toujours de combiner pragmatisme et production de connaissances scientifiques. Remerciements : Je remercie Jean-Claude Mouret, responsable de l’équipe Camargue, pour l’attention qu’il a portée à ce document tout en restant fidèle à l’esprit de mon texte original. Bibliographie

Bayot M., Mouret J.C., Hammond R. (2006) Riziculture biologique : un point sur la fertilisation organique en Camargue. Plaquette de vulgarisation.

Doré T., Sebillotte M., Meynard J.M. (1997) A diagnosis method on regional crop yield variations. Agricultural Systems, 54(2), 169-188.

Meynard J.M. (2005) Cycle de la production de connaissances via le recueil de données in situ au SAD. Communication à l’Ecole technique du SAD, 22 juin 2005, Corte.

Mouret J.C., Hammond R. (2003) Elaboration de références agronomiques pour la conduite de la culture du riz à partir de l’analyse des facteurs de variabilité du rendement. 3ème Conférence Internationale des Rizicultures de Climat Tempéré. 10 à 13 mars 2003. Punta del Este- Uruguay.

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Connaître les pratiques des irrigants pour mieux adapter les conseils en irrigation.

Maurice Gueno8, Roland Pirot9, Martine Hoareau10

Résumé : Dans le cadre de la sauvegarde de la filière canne à sucre, le département de La Réunion a opté pour culture irriguée. Avec le transfert Est-Ouest des eaux, des projets d’aménagement vont permettre d’irriguer plus de 6 000 hectares supplémentaires. La bonne utilisation de l'eau pour l'irrigation est indispensable et passe par un conseil approprié auprès des irrigants. En effet, il ne suffit pas de connaître le besoin en eau des cultures, ce conseil, pour être opérationnel, doit répondre à l'attente des agriculteurs et pour cela avoir une connaissance préalable de leurs pratiques. Un dispositif a été imaginé : il associe enregistrement de données techniques sur l'irrigation et échanges avec l'irrigant pour préciser sa conception de la gestion de l'irrigation. Cette approche permet l'élaboration d'appuis opérationnels en matière d'irrigation. Mots clés : Ile de La Réunion, pratiques d'irrigation, conseil en irrigation, métrologie. Introduction

L’île de La Réunion ne manque pas d’eau mais elle est répartie inégalement sur son territoire. Dans le but de résoudre le problème du déficit chronique en eau de la côte Ouest, le Département de la Réunion a lancé en 1983 le Projet Irrigation du Littoral Ouest (projet PILO) qui a consisté à transférer à travers 30 km de galerie l'eau disponible de 2 rivières de la région Est (côte humide) sur la côte Ouest (côte sèche). Ce projet visait notamment à étendre les surfaces irrigables de l’Ouest de 6000 ha pour la culture de la canne à sucre. Le Cirad, déjà investi sur les périmètres irrigués du Sud plus anciens, a été mobilisé pour étudier des propositions d’appui aux agriculteurs en matière de gestion de l’irrigation. Elles se sont limitées, dans un premier temps, à une adaptation des outils élaborés pour les périmètres Sud (IRRICANNE11). Une nouvelle équipe du Cirad s’est alors penchée sur le problème. Pour les producteurs de canne à sucre, marqués par plusieurs années de sécheresse avant 1999, l’eau était alors perçue comme un facteur de motivation et de sécurité. D'un point de vue technique, les difficultés liées au passage à l’irrigation se sont révélées diverses. Les producteurs devaient mieux connaître les besoins en eau de la canne et leurs variations au cours de la culture, prendre en compte l’apport des pluies pour "économiser" l'eau d'irrigation et enfin gérer l'irrigation des différentes parcelles en fonction des dates de coupe. Depuis l'installation de l'irrigation sur la zone, des conseils à l'irrigation ont été régulièrement distribués par la Chambre d’Agriculture. C'était, au début, un conseil très simple (conseil dit à

8 Technicien au Cirad Persyst 7 chemin de l'Irat 97410 Saint Pierre ℡ 02 62 59 92 62 [email protected] 9 Chercheur au Cirad Persyst 7 chemin de l'Irat 97410 Saint Pierre [email protected] 10 Technicienne à la Chambre d'Agriculture de la Réunion. Antenne des Avirons. 11 Outil informatique (Irrigation de la Canne)

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

l'ETM12) qui informait l'irrigant sur les besoins en eau de ses parcelles.et qui, par sa simplicité, pouvait toucher de nombreux irrigants. Son principal intérêt était de fixer des ordres de grandeur que l'agriculteur ajustait en fonction du climat et de son expérience. Malheureusement, il a été abandonné par le service irrigation de la Chambre d'Agriculture, en prétextant des risques de "surconsommation".

Des outils plus élaborés, IRRICANNE et OSIRI13, ont alors été proposés par le Cirad. Ces derniers fournissaient des volumes d'eau conseillés pour chaque secteur d'irrigation, calculés par la méthode du bilan hydrique à partir de pluies statistiquement fixées. Pour IRRICANNE, le technicien du service irrigation passait tous les 10 jours pour relever les irrigations qui avaient été réellement effectuées (ou du moins les quantités d'eau utilisées entre 2 passages) et mettre à jour le bilan hydrique avec les pluies de la station météo la plus proche. Un nouveau conseil était élaboré pour les 10 jours suivants. Devant la lourdeur du dispositif limitant le nombre d'agriculteurs touchés, une nouvelle solution a été proposée (OSIRI) : il s'agissait de transférer la correction des irrigations (réalisée à ce moment manuellement) à l'agriculteur : celui-ci devait relever les irrigations passées et les pluies à l'aide d'un pluviomètre placé sur son exploitation. Ce dernier conseil a vite montré ses limites puisque aucune correction n'était réalisée. L'appui d'un technicien s'est révélé indispensable pour la mise à jour, et, même si les passages sont plus espacés, les contraintes rencontrées pour le premier conseil sont réapparues. L'accueil mitigé de ces nouveaux conseils par les agriculteurs a imposé une nouvelle réflexion qui a abouti à la conclusion qu'il fallait dans un premier temps, mieux connaître les pratiques des irrigants, afin de préciser avec eux leurs attentes en matière de conseil. La connaissance des pratiques des agriculteurs passe par le suivi des irrigations qui ne peut se faire par simple enquête. Un dispositif de mesure a donc été conçu et installé chez différents agriculteurs et les données obtenues confrontées aux raisonnements des agriculteurs et discutées avec eux. 1. Mise en place d’un dispositif de mesure pour connaître les pratiques des irrigants 1.1 Le choix des agriculteurs Les agriculteurs ont été choisis de façon concertée, à partir de l'étude commune Cirad-Chambre d'Agriculture : "Analyse de la diversité des exploitations irriguées de l’Antenne 414" qui a défini 5 types de structures agricoles. Après un contact large avec plusieurs agriculteurs, à qui la démarche a été explicitée, dix d'entre eux (2 pour chaque type), reflétant la diversité des situations agro-économiques de la zone, ont été retenus pour effectuer le suivi des irrigations sur une de leurs parcelles.

12 Evapotranspiration maximale 13 OSIRI Outil Simplifié pour l’Irrigation Raisonnée et Individualisée 14 Deux antennes d’irrigation ont été mises en service en 1999. L’une déjà irriguée initialement grâce à des canaux est appelée « antenne 0 », l’autre considérée comme l’antenne pilote du PILO, est appelée « antenne 4 ».

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

1.2 Les équipements de mesure Un dispositif automatique, qui enregistre le moment (temps et durée) et la dose d'irrigation (volume) en relation avec la pluie, a été imaginé en commun, chercheur et technicien, et installé par le technicien. Il comprend un boîtier contenant une centrale d'acquisition à laquelle sont connectés un hydromètre, qui comptabilise l'irrigation effectuée par l'agriculteur sur la parcelle suivie, et un pluviomètre qui enregistre les pluies tombées en fonction du temps. Les informations sont enregistrées toutes les minutes et agglomérées en fin de journée. Le recueil des données s'effectue à l'aide d'un Palm que l'on connecte à la centrale ou par connexion GSM quand la centrale dispose d'un modem. Le technicien du Cirad vérifie la bonne marche des instruments tous les 15 jours environ; lors de ces passages réguliers il discute avec l'agriculteur sur ses

pratiques et il entretient une relation de confiance nécessaire à l'analyse finale des enregistrements. Les données sont transférées et traitées sous Excel par le technicien, puis analysées graphiquement par le chercheur. L'aspersion et le goutte à goutte sont traités différemment. En effet, si l'évolution de l'état hydrique du sol peut utiliser le principe du bilan hydrique pour l'aspersion, ce n'est pas le cas du goutte à goutte. Dans ce cas, le bilan est effectué en comparant le besoin en eau journalier de la culture et la quantité d'eau apportée. Le volume des pluies est alors pris en compte pour évaluer les arrêts d'irrigation consécutifs aux épisodes pluvieux. Le graphique élaboré sert de base aux discussions avec l'agriculteur au cours et à la fin la campagne, pour qu'il puisse expliquer sa méthode de gestion de l'irrigation et exprimer son point de vue. Photo 1 : Dispositif d'enregistrement des données : au premier plan l'hydromètre. Au fond, le boîtier contenant la centrale d'acquisition surmonté du pluviomètre. Le technicien du Cirad est en train de relever les données.

2. Confrontation des enregistrements aux raisonnements des agriculteurs L'objectif de l'étude étant d'essayer de comprendre la démarche de l'agriculteur, c'est lui qui, avec notre aide, va apporter les informations nécessaires à sa compréhension. Les entretiens se font généralement avec le technicien et le chercheur du Cirad. Le graphique élaboré à partir des données enregistrées est montré et explicité. Les différentes courbes et leurs relations sont présentées, puis le graphique est déchiffré avec l’agriculteur. Deux types de données sont à expliquer, les quantités d'eau apportées et le moment de l’apport. Ce travail d'explication est plus facile pour l'irrigant qui utilise un système en goutte à goutte, l'irrigation ayant lieu tous les jours sauf en période de pluies.

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2.1 Exemple de l'irrigation en goutte à goutte Le principe de base de l'irrigation en goutte à goutte est d'apporter tous les jours les besoins de la culture, en arrêtant l’apport d’eau les jours de pluies et éventuellement ceux qui suivent, en fonction de la quantité et de la durée des pluies. Le graphique ci-dessous (figure 1) présente les pratiques d’irrigation d’un agriculteur sur une parcelle, depuis la date de coupe de la récolte 2005 jusqu’à la date de coupe de l'année 2006.

Figure 1 : Graphe des irrigations sur la parcelle en goutte à goutte suivie chez l'agriculteur n°5 (Les indiquent des zones du graphe correspondant à des situations spécifiques commentées dans le texte) - L'agriculteur n° 5 est présent tous les jours sur son exploitation (son domicile est situé à plusieurs kilomètres). Il peut donc intervenir facilement sur la gestion des vannes d'irrigation. Cependant les dimanches ou les jours de fête il est rare qu'il se déplace. - Le pilotage de l'irrigation en goutte à goutte, s'effectue en "temps d'irrigation", le volume passé dépendra du débit au moment de l'ouverture de la vanne. Théoriquement, le débit et la pression sont garantis constants par le fournisseur de l'eau mais ce n'est pas toujours le cas. - La vanne commandant l'irrigation est programmable, l'agriculteur dans le cas présent programme 1,5 heure d'irrigation, en milieu de journée généralement. Observations générales sur le graphique L'agriculteur a choisi d’apporter toujours la même dose (1,5 heure d’irrigation ce qui correspond à environ 30 m3/ha). . Ce choix longuement discuté, issu de l'expérience quant à la dose à apporter, présente l'avantage d'être simple à mettre en œuvre. La dose est un peu excédentaire en début et fin de cycle et elle est déficitaire en milieu du cycle. Cependant, cette période correspondant à la période pluvieuse de la saison, le déficit est compensé par l'apport des pluies. Certains irrigants font varier les doses au cours de la campagne de façon plus ou moins heureuse. Une bonne connaissance des besoins en eau de la culture est alors nécessaire.

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Analyse de quelques éléments du graphique

Période sans irrigation en début de cycle de la culture : l'agriculteur ne peut pas "remettre" en eau la parcelle qui est alors traversée par les remorques de la récolte des parcelles situées au dessus. Généralement on relance l'irrigation le plus rapidement possible après la récolte.

Première mise en eau : elle est plus importante car la vanne est ouverte pour vérifier l'état du réseau des goutteurs (appelé réseau tertiaire) pour le réparer si nécessaire. Il est courant que les coupeurs entaillent malencontreusement le tertiaire qui peut affleurer au pied des souches de canne. Cette première mise en eau peut servir aussi à confectionner le bulbe d'irrigation, zone du sol, sous la plante, qui doit être maintenue constamment humide par les apports d'eau d'irrigation ou de pluie.

Dose d'irrigation supérieure aux autres : elle correspond à une mise d'engrais par « fertirrigation ». Dans ce cas l'engrais est mélangé à l'eau d'irrigation par un dispositif spécial. L'irrigation est réalisée le temps qu'il faut pour que tout l'engrais soit distribué (plusieurs heures)

Arrêt dû à un épisode pluvieux. Le temps d'arrêt est fonction de la quantité d'eau tombée en une fois mais surtout des pluies qui se succèdent. Il vaut mieux plusieurs petites pluies sur plusieurs jours qu'une grosse pluie en un jour. La reprise est décidée en fonction d'éléments subjectifs : état du sol, état de la culture mais jamais plus d'une semaine après la dernière pluie.

Doses d'irrigation plus faibles dues à des problèmes d'alimentation en eau. C'est souvent le cas après de gros épisodes pluvieux qui produisent des perturbations au niveau des prises d'eau.

Coupure d'eau. L'agriculteur ne considère pas comme nécessaire d'augmenter la dose les jours qui suivent la coupure.

Pas d'arrêt après une pluie, l'agriculteur était absent de son exploitation. Il participait à des réunions pour préparer la campagne de livraison des cannes

Arrêt de l'irrigation : il permet à la canne à sucre de "mûrir". C'est la période dite de "sevrage". Elle est d'autant plus longue que la réserve en eau du sol est importante. Ceci dit, les habitudes varient d'un agriculteur à l'autre.

Récolte de la parcelle

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2.2 Cas de l'irrigation par aspersion Le principe de l'irrigation par aspersion est d'apporter l'eau de temps en temps, en fonction des pluies qui sont tombées. Deux méthodes sont pratiquées : l'apport à tour fixe (on apporte l'eau régulièrement avec une dose variable "calculée" en fonction des pluies qui sont tombées) et l'apport à dose fixe (on apporte la même quantité d'eau à des intervalles de temps différents évalués toujours en fonction des pluies tombées). Les agriculteurs n'ayant pas la possibilité d'effectuer les calculs nécessaires pour adapter la dose dans le cas d'un tour fixe, on rencontre plus souvent l'irrigation à dose fixe, la reprise étant décidée en fonction le l'état du sol et de la plante. Le graphique ci-dessous (figure 2) présente les pratiques d’irrigation d’un agriculteur sur une parcelle, depuis la date de coupe de la récolte 2005 jusqu’à la date de coupe de l'année 2006. Le bilan hydrique théorique est élaboré en fixant les paramètres pédoclimatiques de la parcelle.

Figure 2 : Graphe des irrigations sur la parcelle en aspersion suivie chez l'agriculteur n°5

L'agriculteur apporte une dose fixe (35-40 m3). L'irrigation est pilotée par une vanne volumétrique qui délivre une quantité d'eau préréglée. Il s'agit de l'armer juste avant l'irrigation. La vanne se ferme automatiquement quand le volume d'eau programmé est passé. Il n'a pas "rechargé" la Réserve Utile à la première irrigation car il n'en voit pas l'utilité. C'est pourtant ce qui est régulièrement réalisé (remplissage au 2/3 de la RU). L'eau est coupée près de deux mois avant la récolte, ce qui semble beaucoup pour la zone. L'analyse de détail est plus difficile à effectuer que dans le cas du goutte à goutte : en effet, dans le cas présent, les irrigations sont déclenchées en fonction de critères qualitatifs qui sont l'aspect de la culture et de la surface du sol, dont la formalisation est quasiment impossible. Ceci dit, l'agriculteur garde quelques règles de base à l'esprit qui sont : - en périodes sans pluies, l'intervalle entre deux irrigations ne doit pas dépasser 4-5 jours ; - la reprise de l'irrigation après une "bonne" pluie a lieu entre 7 et 10 jours après.

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D'une façon générale, les quantités d'eau apportées en aspersion sont inférieures à celles apportées en goutte à goutte. L'irrigant "voyant" l'eau tomber sur le sol a tendance à en limiter l'apport. De plus, il surestime souvent l'eau "utile" des grosses pluies. Discussion L'analyse des pratiques d'irrigation a nécessité la conception d'un dispositif spécifique au contexte de l'étude. Il associe des observations quantifiées qui servent de base aux discussions, et des échanges avec l'agriculteur qui apportent les précisions pour comprendre son comportement et bien connaître son environnement. Ce travail requiert de la part des intervenants des compétences tant techniques (connaissance du domaine exploré, des matériels de mesures utilisés) que relationnelles. Ces dernières sont indispensables pour établir des relations de confiance et développer des échanges sincères nécessaires au déroulement de l'approche. La confiance s'établit au fur et à mesure des rencontres successives, au moment du relevé des irrigations, qui sont l'occasion de discussions sur des sujets très divers

L'analyse des pratiques paysannes chez les 10 agriculteurs suivis et les échanges qui ont eu lieu à cette occasion ont permis de définir des attentes en terme de conseil et d’informations indispensables pour une meilleure gestion de l’irrigation. En dehors du besoin de mieux maîtriser les connaissances de base, la demande des agriculteurs est orientée vers deux types de conseils très différents : d'une part, un conseil synthétique très simple à utiliser (appelée feuilles de conseil) et, d'autre part, un système de pilotage assisté ou entièrement automatique de l'irrigation.

La demande de feuilles de conseil provient plutôt d'irrigants qui ont une expérience structurée dans le domaine de l'irrigation et pensent que les connaissances du milieu sont indispensables pour ajuster une dose. Ce sont plutôt des outils d'aide à la décision. Une feuille de conseil pour le temps d'irrigation en goutte à goutte a été élaborée. Ce temps est en effet quasiment indépendant de la surface pour un système de goutte à goutte donné. Cette feuille précise, sous la forme d’un tableau, le temps d'irrigation pour une période déterminée en fonction de la date de récolte. Une couleur associée détermine le temps d'arrêt maximum pour cette période. Ce temps est calculé pour une pluie abondante humidifiant tout le profil. En l'aspersion, les propositions concernent les tours d'eau à utiliser pour un volume apporté constant.

Les demandes de pilotages assistés ou automatiques sont plutôt le fait d'agriculteurs pour qui l'irrigation est une donnée "absolue" qui se calcule. La meilleure solution est alors de confier la gestion de l'irrigation à un automate (pilotage automatique ou transmission de la dose par SMS). L’élaboration d’appuis et d’outils d’aide à la décision en matière d’irrigation ne peut se réaliser sans une participation des irrigants permettant de comprendre leurs expériences et modes de raisonnement. Les oublier mènerait, à coup sûr, à un échec du projet.

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Bibliographie BSES (1998), Irrigation of Sugarcane : 68p

Fusillier J-L. Hoareau M. (2004), Analyse de la diversité des exploitations irriguées de l’Antenne 4, Structures, choix productifs et performances au terme de quatre années d’irrigation : 27p

Hoareau M., Fusillier J-L., Pirot R. (2006) Référentiel technico-économique des exploitations irriguées de l’Antenne4, suivi 2005-2006, analyse des pratiques et proposition d’outils pour le pilotage de l’irrigation et la gestion de l’exploitation : 27p

Pirot R., Fusillier J-L., Hoareau M. (2007) Irrigouest : une autre approche du conseil à l’irrigation. Travaux et Innovation: 7p

Wiedenfield B (2003) Scheduling water application on drip irrigated sugarcane. Agricultural Water Management: p169-181

Photo 2 : discussion avec l’agriculteur (au centre) du schéma d’irrigation de ses parcelles

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Suivi agro-pédologique des sols en marais littoral atlantique

Test d’un protocole d’observation sur la parcelle d’un agriculteur

Jean-Michel Hillaireau15

Résumé : Les marais de la façade atlantique sont soumis à des conflits d’usage entre agriculteurs et environnementalistes. L’évaluation des potentialités du territoire est une voie essentielle de conciliation entre ces intérêts contradictoires. Dans ce contexte, le domaine expérimental Inra de Saint Laurent de la Prée a conduit, en collaboration avec un agriculteur et un géophysicien, une démarche de caractérisation des mécanismes de diversification du sol à l’échelle d’un petit territoire. Je présente dans cet article un protocole d’observation mis en œuvre sur la parcelle d’un agriculteur pour étudier les fonctionnements hydriques et pédologiques qui interagissent avec le couvert végétal. Le dispositif expérimental se fonde sur le suivi d’indicateurs agronomiques et pédologiques le long d’un transect destiné à mettre en évidence l’influence du bassin versant. D’un point de vue méthodologique, le recueil des données in situ est associé à l’enquête technique et à la concertation entre les partenaires de l’étude. Le géophysicien est ainsi amené à intégrer dans son questionnement la pratique agricole et l’agriculteur à ne plus considérer son sol indépendamment de son fonctionnement sous-jacent. Mots-clés : Marais littoraux atlantiques, argiles salés-sodiques, diversification pédologique, dynamique hydrique, recherche en partenariat Introduction Dans les marais de la façade Atlantique, l’évolution des activités agricoles, liée aux techniques de drainage et de mise en culture, génère des conflits entre les acteurs locaux concernant l’occupation de l’espace et les modalités de gestion hydraulique. Il s’agit aujourd’hui de rendre compatible l’activité agricole avec les autres secteurs d’activité et avec la préservation du milieu naturel reconnu d’un intérêt majeur sur le plan environnemental. Depuis les années 90, notre équipe du domaine expérimental Inra de St Laurent de la Prée a orienté ses recherches vers la question du développement durable du territoire et soutient l'effort de conciliation locale entre activités. Une voie de concertation essentielle repose sur la répartition spatiale des activités pour prendre en compte la vulnérabilité du milieu et mettre en adéquation ses potentialités avec les attentes des divers groupes d’usagers. Or, la mise en place du dialogue nécessite que les acteurs locaux disposent de connaissances sur la diversité du milieu et sur les processus de sa diversification. Cette problématique nous a conduits à étudier les mécanismes pédologiques et hydriques à l’origine de la diversité des potentialités de sol. Les travaux ont montré l'importance du gradient sédimentaire naturel, mais aussi des pratiques culturales de surface sur le comportement hydromécanique du sol. Une demande récente de collaboration d'un agriculteur confronté à une forte variabilité de ses rendements céréaliers, sur un site à très fort gradient sédimentaire, a été l'occasion de

15 Inra SAD Domaine de Saint Laurent de la Prée, route du Bois Maché, 17450 Fouras

05 46 82 10 50 [email protected] = sciences pour l’action et le développement

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construire, en 2005, un protocole de suivi "agro-géophysique" pour 3 ans, sur la base des résultats acquis. Ce suivi vise à étudier l’influence des facteurs naturels sur la différenciation des états agro-pédologiques du sol. Il implique la collaboration d’un agriculteur16, d’un ingénieur agronome et d’un technicien de St Laurent de La Prée17 et d’un géophysicien18 de l’Université de Poitiers. Nous avons choisi de mener un suivi agro-géophysique dans un contexte simplifié ; nous avons défini une seule parcelle cultivée comme périmètre d’étude pour être en présence d’une pratique agricole homogène ; l’hétérogénéité naturelle est organisée suivant un gradient dominant, à savoir l’épaisseur de la couche sédimentaire. L’objectif est de mener sur ce périmètre une double démarche visant à : - mettre en relation le gradient naturel avec l’état et le fonctionnement hydrique des profils,

par les moyens d’observation classiques en agronomie et en sciences du sol, - contribuer à construire, à partir d’une acquisition commune de connaissances, une vision

partagée sur le processus de différenciation du sol, au-delà des points de vue et des échelles de perception propres à chacun des acteurs impliqués dans le projet.

Je vais décrire ici - la mise en œuvre du protocole d’observation sur le terrain, l’élaboration du protocole et

l’interprétation agronomique des observations ; - la coordination sur le terrain, les interventions scientifiques, notamment avec les géophysiciens ; - les échanges de vue entre partenaires sur la base des résultats techniques. 1. Mise en œuvre du protocole d’observation et interprétations agronomiques 1.1 Le site d’observation Le site est en situation de marais desséché du littoral atlantique, isolé des eaux maritimes et continentales par des digues limitant les risques d’inondation. Les sols sont constitués à 90% d’éléments fins, dont 50 à 60 % d’argile, communément appelée « bri » leur mise en culture nécessite des aménagements hydrauliques (rigoles, drains enterrés et pompage…) pour évacuer l’excès d’eau de pluie pendant la période hivernale. Les marais sont souvent sodiques et salés ce qui leur confère une instabilité structurale, compacte et imperméable, ils présentent une forte aptitude à la fissuration du sol (fente de retrait) lors des phases de dessiccation. Le site d’observation proposé par l’agriculteur est une opportunité dans la mesure où il rassemble les différentes caractéristiques de milieu auxquelles chaque partenaire attribue l’origine des hétérogénéités via la circulation de l’eau : - la proximité de l’ancienne côte, - la variation d’épaisseur de la couche sédimentaire, - les variations topographiques de surface.

16 Laurent Salgues, agriculteur dans la commune de St Laurent de la Prée. 17 Claude Chevallier et Jean-Michel Hillaireau, équipe de recherche agronomique de St Laurent de La Prée. D’autres agents de l’Inra ont apporté leur appui pour des opérations lourdes telles que la récolte ou les prélèvements de sol avec une tarière manuelle. 18 Patrick Dudoignon, équipe de recherche en géophysique de l’Université de Poitiers, assisté d’un thésard et d’étudiants lors de ses déplacements sur le terrain. L’étude est intégrée dans un programme de recherche sur la gestion durable des zones humides littorales, financé par la région Poitou-Charentes et le Parc interrégional du Marais Poitevin.

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En effet, le site est localisé sur la commune de St Laurent de la Prée à proximité du domaine Inra, dans un petit bassin de marais qui reproduit à une échelle réduite l’avancée de la terre sur la mer sous le contrôle des techniques de poldérisation (photo 1). Il est adossé à l’Ouest à un coteau calcaire qui constituait l’ancienne côte. L’épaisseur de la couche sédimentaire du dépôt est marquée par un gradient d’Ouest en Est associé au fort pendage du substrat calcaire sous-jacent (jurassique). La proximité des terres hautes pourrait être une source d’alimentation en eau douce du marais entre les couches argileuses du sol. La parcelle est bordée à l’Ouest par le coteau calcaire et sur ses autres cotés par des prairies naturelles. Elle est drainée depuis 12 ans et sa superficie est de 40 ha. Elle est exploitée suivant une rotation blé/maïs. Les résultats présentés dans cet article sont ceux de la campagne 2006 au cours de laquelle la parcelle était cultivée en maïs.

Photo 1 : Plan parcellaire et positionnement du transect19 d’observation

Source IGN Bd ortho® 1999 - Données JM Hillaireau 2006 1.2 Les zones et les mesures d’observation D'un point de vue technique, la réalisation de l’étude repose sur la comparaison de zones d'observations "agro-pédologiques" stationnelles représentatives du milieu, disposées le long d’un transect établi suivant le gradient d’hétérogénéité naturelle Ouest-Est pour appréhender une éventuelle dynamique de différenciation spatiale. Des profils sont réalisés pour rendre compte des différences de dynamique hydrique entre stations et suggérer les processus de différenciation qui agissent à d’autres échelles (influence du bassin versant, de l’épaisseur de l’argile). Ils sont caractérisés par des indicateurs synthétiques (rendement), des descripteurs structuraux (profils pédologiques, culturaux, salins) et des descripteurs fonctionnels (profils hydriques, niveaux piézométriques). Le dispositif expérimental est composé de trois zones d’observations (k1, k2, k3), d’environ 600 m² chacune, correspondant au passage du pulvérisateur de l’agriculteur (photo 1). Les points de mesure sont positionnés en fonction de relevés géomorphologiques, c'est-à-dire calés par rapport à l’altitude et la microtopographie du terrain.

19 Le transect désigne un dispositif d’observation de terrain ou la représentation d’un espace, le long d’un tracé linéaire pour mettre en évidence une succession spatiale ou des relations entre phénomènes : distance, altitude, topographie. On peut dire que c'est une ligne imaginaire (graphique) de repérage qui coupe la parcelle pour matérialiser la distance à la cote, la topographie, etc.

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1.3 Le protocole d’observation - Les caractéristiques hydrauliques Des enregistrements piézométriques20 sont effectués sur les niveaux de nappe en inter drain. Chaque zone a été équipée de 2 piézomètres, tubes perforés à la base, d’une longueur de 2,20 m, encadrant le drain. L’agriculteur effectue les mesures à un rythme hebdomadaire sur la période hivernale. Je réalise, avec l’aide d’un agent, un profil d’humidité en fin de cycle de la culture, lorsque l’assèchement du sol est maximal. Le carottage est effectué avec une tarière de 45 mm de diamètre jusqu’à 190 cm de profondeur. - Les caractéristiques pédologiques Elles sont calées sur des observations topographiques du transect qui prennent en compte le micro relief du terrain, c'est-à-dire le nivellement du sol. Je réalise des profils culturaux pour décrire l’état structural du sol et l’enracinement des cultures. Les fosses d’observation sont généralement ouvertes en inter drain après la récolte. Les profils salins sont réalisés sur un sous-échantillon de terre issu des prélèvements dédiés aux profils hydriques. La conductivité électrique est mesurée à partir d’un extrait aqueux par horizon de 10 cm et après un séchage à l’air pendant 3 semaines. - Les caractéristiques agronomiques Les composantes du rendement (nombre de pieds, nombre d’épis, …) sont établies à partir de quatre placettes préalablement identifiées par un tirage aléatoire dans chaque zone expérimentale sur le transect. Chaque placette initiale a une surface de 4.5 m² qui correspond à 2 rangs de maïs contigus, de 3 m de longueur et d’un écartement de 0.75 m. 1.4 Principaux résultats Le suivi montre une forte variation des résultats agronomiques, chimiques et structuraux le long du transect. L’éloignement à la côte apparaît comme le principal facteur en cause, l’influence de la microtopographie, autre facteur important de variation, ayant été éliminé par le choix de situations planes et d’altimétrie voisine. Cet effet est d’abord confirmé par l’accroissement des rendements le long du transect (figure 1). Dans le cas des profils salins (figure 2), les effets d’un stockage momentané de gypse avant épandage ont provoqué en K1 une forte salinisation sur 50 cm qui rend délicate la comparaison avec les profils K2 et K3 pour les horizons de surface. Un effet de désalinisation Ouest-Est est cependant évident lorsqu’on compare l’ensemble des profils.

Figure 1 : Rendement du maïs

pour chaque station

Figure 2 : évolution de la salinité du profil en profondeur et sur le transect

20 La piézométrie est l’utilisation d’un point d’eau à des fins de suivi quantitatif d’une entité aquifère (nappe, aquifère,...). Elle permet d’obtenir des chroniques de données en continu ou de façon plus irrégulière.

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K1 K2 K30

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Les descriptions des profils culturaux et pédologiques (figure 3) informent sur les dynamiques d’évolution de la structure du sol à long terme. Les profils présentent des horizons superficiels massifs constitués d’éléments grossiers souvent repris en masse. En dessous, l’horizon est fissuré verticalement et coïncide avec la présence de l’enracinement. L’horizon sous-jacent est le reflet de la zone de battement de la nappe, caractérisée par le niveau piézométrique moyen en hiver. Elle est révélatrice d’une instabilité structurale difficilement pénétrable par les racines. Sa profondeur est respectivement de K1=60, K2=90 et K3=85 cm. Un effet du gradient ouest-est est là aussi sensible.

Figure 3 : Caractérisation du profil cultural par situation Le niveau piézométrique permet de suivre la dynamique de la nappe sur un pas de temps saisonnier, c’est un indicateur de la fertilité physique du sol à travers l’état structural. Il traduit la capacité du sol à évacuer l’excès d’eau en période saturée et permet de déterminer le potentiel de production des cultures en place, compte tenu de l’enracinement des plantes. Le niveau moyen de la nappe en hiver fluctue entre 42 et 82 cm pour descendre progressivement dés le mois de mars (figure 4). Des différences de hauteurs sont visibles sur le transect et confirment l’effet du bassin versant en K1.

Figure 4 : Suivi du niveau piézométrique annuel Figure 5 : Observations de l’humidité du sol en fin de cycle végétatif

Les mesures d’humidité pondérale permettent de caractériser le degré d’assèchement du profil de sol par le maïs en place et d’estimer éventuellement la profondeur d’enracinement. Le profil racinaire est synonyme de “garde-manger” et renvoie à la notion de réserve utile disponible pour l’alimentation hydrique et minérale des plantes. Ainsi, cette mesure met en évidence les performances des racines et confirme l’existence d’un facteur limitant l’enracinement au delà d’un seuil propre à chacune des situations, comme l’illustre le classement des situations K1, K2, K3 (figure 5). La forte augmentation du dessèchement avec l’éloignement à la côte est ainsi cohérente avec les autres indicateurs, notamment avec le rendement.

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

2. Contribution à l’échange de vues dans le dispositif de suivi Les participants à l’étude – l’agriculteur, l’agronome et le géophysicien - ont des domaines de connaissance et d’intervention disjoints. Une part importante de l’étude est donc dédiée à la confrontation de perceptions très différentes autour de la notion de diversification des états de milieu pour obtenir à terme une cohérence de vue sur les mécanismes en jeu. Cette démarche repose sur l’organisation d’une concertation permanente pour consolider l’engagement réciproque des partenaires et je suis un intermédiaire privilégié entre l’agriculteur et les chercheurs pour animer et pérenniser les échanges (débat) entre les participants. Ainsi la perception de mon rôle est d’autant plus efficace que je connais le milieu agricole, liée à mes origines rurales et à mon expérience professionnelle, pour intervenir tant en terme de facilitation que de régulation dans la démarche recherche/action 2.1 La relation avec l’agriculteur D’une part, je mets à profit mes connaissances techniques du terrain pour établir le dialogue avec l’agriculteur et communiquer avec lui dans un langage accessible sur le suivi technique et scientifique. D’autre part, j’explicite aux scientifiques les pratiques de l’agriculteur. J’ai tout d’abord animé et coordonné les discussions avec l’agriculteur pour expliciter les problèmes qu’il rencontrait sur sa parcelle et son attente vis-à-vis de l’étude en cours. A partir de ce travail, mené selon la méthode de résolution de problème proposé par le GERDAL21 (Darré J.P., 1992), nous avons construit un questionnement conjoint à partir de la question initiale de l’agriculteur, la baisse de ses rendements céréaliers, et de la problématique de recherche de l’équipe, la diversification des états de milieu. Cette démarche implique une forte disponibilité et une écoute attentive pour mieux comprendre les actes et le raisonnement du praticien sur son exploitation. Puis, j’ai réalisé une première enquête globale et approfondie pour renseigner le fonctionnement de l’exploitation. Les entrevues suivantes avec l’agriculteur se sont déroulées en majorité sur ses lieux de travail, puis ont laissé place à des entretiens périodiques afin de synthétiser l’avancée des travaux et éventuellement de détecter des dysfonctionnements, tels que un arrêt de pompe de drainage ou la présence de maladies. En général, mes visites sont planifiées en fonction des observations de terrain relatives aux interventions culturales (semis, travail du sol…) ou d’épisodes climatiques exceptionnels (forte pluviométrie). Ces rencontres sont pour l’agriculteur des opportunités pour demander un conseil (objectif de rendement, fertilisation…), ou pour engager une discussion sur l’utilité de certaines techniques (mesures piézométriques par exemple) ; elles renforcent ainsi la relation de partenariat. En fin de campagne, une enquête technique me permet de faire le bilan des opérations culturales réalisées sur la parcelle et donne lieu à des restitutions écrites et commentées diffusées aux partenaires. Le compte rendu d’expérimentation est discuté point par point (travail du sol, niveau piézométrique…) avec l’agriculteur pour valider les résultats et pour examiner la faisabilité technique de nouvelles perspectives expérimentales. L’agriculteur participe de manière active au suivi technique en assurant le suivi piézométrique des nappes. Pour lui, c’est une démarche formatrice qui suscite des réflexions sur l’adaptation de pratiques plus respectueuses de l’environnement dans un contexte d’incertitudes.

21 Gerdal groupe d’étude, recherche et développement d’action localisées.

Le Cahier des Techniques de l’Inra 42

Page 37: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Techniques et pratiques de recueil de données in situ

2.2 L’évolution des représentations et pratiques des partenaires de l’étude

Au cours de l’étude, des liens de confiance se sont tissés entre les acteurs, à travers lesquels chacun a pu acquérir une meilleure connaissance des savoir-faire de l’autre et faire évoluer ses points de vue (tableau 1). Ainsi, les résultats obtenus à l’échelle du transect incitent le géophysicien à prendre en compte l’effet des pratiques et des circulations subhorizontales des eaux sur la différenciation du substrat.

Questionnement initial des partenaires Evolution des points de vue

Agr

icul

teur

Question Echelles Processus

Rendement des cultures, alimentation hydrique et risque de toxicité saline Profil cultural et parcelle / cycle annuel Climat et fluctuation de la RU

- Les variations de rendement doivent être analysées

en fonction de l’hétérogénéité de la parcelle - Cette hétérogénéité résulte d’une interaction

structure/fonctionnement hydrique à des échelles différentes de celle de la parcelle

Agr

onom

e

Question Echelles Processus

Aptitude et vulnérabilité des sols Profils agro-pédologiques, par- celles et territoire / long terme Transferts hydriques verticaux et latéraux / structuration du milieu

- Les moyens d’investigation habituels de

l’agronome doivent être adaptés pour l’étude de l’hétérogénéité parcellaire (transect)

- L’approche agronomique doit être confrontée à

d’autres champs disciplinaires (hydrologie, géophysique) pour aborder la diversification des états de milieu

Part

enai

res

Géo

phys

icie

n

Question Echelles Processus

Propriétés hydrodynamiques du sédiment, échanges avec compartiments voisins Bassin de marais et couche sédimentaire / temps géologique Interaction porosité/humidité des argiles s/s contrainte mécanique

- L’utilisation d’un modèle physique de

structuration du sédiment est insuffisante pour l’étude des transferts hydriques

- Les fonctionnements hydriques de surface sous

différents couverts végétaux doivent être pris en compte

Tableau 1 : Evolution des points de vue dans la démarche partenariale Avec les méthodes d’observation que je mets en place et le dialogue avec l’agriculteur je peux faire la part entre l’effet des pratiques et celui du milieu sur la variabilité du rendement. Je prends en compte les dires de l’agriculteur sur l’itinéraire technique pour étayer mon diagnostic et rechercher des causes au problème posé. Lors de cet échange je perçois les limites pratiques des préconisations techniques que j’ai pu formuler en réponse aux attentes de l’agriculteur. Après avoir cerné les objectifs qu’il s’est fixé (rendement maximum) et avoir expliqué les mécanismes du fonctionnement hydraulique du sol, je peux alors lui présenter les interactions qui en découlent ; par exemple, l’arrêt du drainage est un facteur de risque de déstructuration du sol en profondeur et limite le rendement. Le diagnostic peut ainsi remettre en question les règles d’intervention de l’agriculteur. Par ailleurs, le fait de changer d’échelle de travail m’a conduit à adapter les techniques de mesure en fonction des éléments géomorphologiques de la parcelle. En conséquence, je me suis intéressé à l’hétérogénéité intra parcellaire en terme d’altimétrie (quadrillage 20m*30m sur environ 1/3 de la surface). Cette opération m’a donné une vision globale de la planéité du

Numéro spécial 2007 43

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

sol, de cartographier les bosses et les baisses, pour vérifier la pertinence et la fiabilité des mesures. La participation de l’agriculteur au suivi expérimental lui procure un sentiment de reconnaissance dans son activité. La sécheresse de l’année 2003 ayant entraîné une baisse de sa production céréalière sans modification de l’itinéraire technique, il est conduit à s’interroger sur les effets du changement climatique, le fonctionnement du sol et leurs conséquences sur le potentiel de production. Dans son raisonnement sur l’élaboration du rendement, il s’est approprié la notion d’hétérogénéité de la parcelle et accepte de prendre en compte l’historique de sa parcelle et les contraintes naturelles qui l’entourent. Il réalise l’impact d’un aménagement tel que le drainage et mesure la fragilité de ce système de culture dont les règles de décision doivent être soumises à une vigilance extrême. Conclusion Le suivi expérimental décrit dans cet article a permis de tester une méthode d’observation des dynamiques hydriques et structurales des sols de marais pour l’étude des processus de différenciation pédologique. Il met en évidence l’intérêt de relier dans le cycle saisonnier les fonctionnements hydriques du bassin versant et du sédiment et surtout, d’associer des échelles d’observation complémentaires, tant dans le temps (dynamiques hydriques au pas de temps annuel et structure du sédiment sur le long terme) que dans l’espace (station, transect et territoire en surface – horizons superficiels et couche sédimentaire en profondeur). Le fait que les pratiques agricoles influent profondément sur le fonctionnement hydrique global du sédiment implique que les praticiens soient associés à ces études comme des partenaires qui ont à s’approprier des modèles de fonctionnement plus larges du milieu qu’ils exploitent. Grâce à mon activité sur le terrain, j’ai acquis une vision pragmatique et concrète du métier d’agriculteur qui fait que je contribue efficacement à la participation des agriculteurs aux dispositifs de recherche et à la transmission des avancées techniques de la recherche. Remerciements : Je remercie Claude Chevallier pour son soutien et son étroite collaboration dans la mise en place de cette action et sa participation à la l’élaboration de cet article. Bibliographie Bernard M., Dudoignon P., Chevallier C., Pons Y (2004) Mécanisme de consolidation des

sols de marais : irréversibilité et paléosol. XXII ème rencontre universitaire de Génie Civil, Marne-la-Vallée, rencontre 2004 - 8p.

Chevallier C. (1991) Les marais littoraux atlantiques et l’eau de surface. Brochure ADEMART. 26p.

Darré J.P. (1992) Du sens aux actes – Comment transformer en idées neuves les dialogues de tous les jours GERDAL. 32 p.

Hillaireau J.M., Chevallier C. (2007) Suivi agronomique des sols de marais chez M. Salgues Compte-rendu d’expérimentation INRA SAD Saint Laurent de la Prée. 16 p.

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Page 39: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Construction et mise en œuvre d’un questionnaire d’enquête en exploitation agricole

Christophe Codet22

Résumé : L’objectif principal de l’unité SAD-Paysage est de mettre en évidence les relations qui existent entre activités agricoles, paysage et fonctions écologiques. Il est donc nécessaire dans ces travaux de recherche de collecter des données sur l’exploitation agricole, son fonctionnement global, les pratiques agricoles mises en œuvre sur l’ensemble de ses parcelles et ses bordures de champs. Cet article présente une méthode d’enquête auprès des agriculteurs en insistant sur les connaissances, savoir-faire et savoir-être nécessaires à sa mise en œuvre. Le questionnaire doit permettre de renseigner plusieurs volets de l’activité agricole : la conduite agronomique, zootechnique, économique et écologique du système d’exploitation. Le succès de la collecte de données dépend de la clarté du questionnaire mais aussi et surtout de la façon de formuler les questions conditionnant la mise en confiance de l’interlocuteur, ce qui exige une bonne connaissance du monde agricole et de ses acteurs. A l’enquête, sont associées des observations et des prises de photos. Les données recueillies sont traitées et mises à disposition des chercheurs. Mots clés : Pratiques agricoles, exploitation agricole, parcellaire, bordures de champs, expérience, connaissances, compétences, questionnaire, base de données.

Petites parcelles et bocage dense, un terrain de nos enquêtes Photo source CAREN

22 Inra SAD-Paysage– 65 rue de Saint-Brieuc – 35042 Rennes cedex ℡ 02 23 48 56 27 [email protected] SAD = sciences pour l’action et le développement

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

Introduction Chaque exploitant agricole, par ses choix stratégiques et ses pratiques, agit directement ou indirectement sur la biodiversité animale, végétale et sur la structure du paysage. Pour comprendre et analyser ces actions nous devons connaître les mécanismes de fonctionnement des exploitations agricoles. Nous avons donc construit un questionnaire pour une enquête in situ, à laquelle on associe une phase d’observations et de prise de vues numériques. Cette enquête doit être bien construite et de surcroît, bien conduite. Alors se pose la question des connaissances et des compétences relationnelles nécessaires à la réussite de ce type de recueil de données ainsi qu’au traitement et à la valorisation de ces données. Après avoir resitué les enjeux et objectifs auxquels participe notre travail, nous présenterons la structure du questionnaire d’enquête avant d’aborder les différentes phases nécessaires à sa mise en œuvre.

Figure 1 : Organisation des modules d’enquête

Ce croquis représente de façon simplifiée la base de données relationnelle qui stocke, organise les données d’observations et d’enquêtes en exploitations agricoles. Par exemple, vous disposez déjà d’informations sur le fonctionnement global des exploitations d’un échantillon donné et vous souhaitez acquérir des données sur la gestion des bordures de champs : l’utilisation du module 8 suffira donc à votre enquête.

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

1. Pourquoi recueillir des données ? 1.1 Objectifs et enjeux du SAD-Paysage 1.1.a Les objectifs scientifiques sont de :- comprendre les mécanismes d’interaction entre les pratiques agricoles, l’état et l’évolution

de la biodiversité dans les territoires d’exploitations agricoles. A titre d’exemple, pour mieux comprendre ces interactions, dans notre zone atelier de 8500 hectares sur la communauté de communes de Pleine-Fougères, au nord de l’Ille et Vilaine ont été choisis et délimités, 3 mini réseaux d’environ 160 bordures de champs chacun. Ces mini réseaux caractérisent le gradient23 de densité de bocage observable du sud au nord de la dite zone atelier ;

- modéliser les liens entre activités humaines et flux écologiques et contribuer aux recherches sur les changements d'utilisation des terres. En fournissant des données fiables décrivant le fonctionnement technique, économique et écologique de l’exploitation sur son territoire et dans le temps.

1.1.b Les enjeux d’application sont d’aider à la création d’outils d’aide à la décision pour l’aménagement foncier (plantation de haies, dimensionnement et positionnement des parcelles) et pour l'évaluation environnementale des exploitations agricoles en prenant en compte leur fonctionnement technique et spatial.

2. Le questionnaire d’enquête et sa construction 2.1 Le choix des modules Simultanément à la construction du questionnaire d’enquête je collabore à la construction de la base de données destinée à recevoir les données d’enquête (Chevallereau M. 2007) L’enquête est construite autour de modules thématiques définis en fonction des objectifs à atteindre (figure 1) Nous énumérons ci-dessous, les modules et sous modules du questionnaire que nous utilisons. module productions

1 - production animale, 2 - production végétale, 3 - système fourrager et d’élevage

module système « Ménage Exploitation » 1 - caractéristiques générales de l’exploitation (dont historique), 2 - composition du ménage et main d’œuvre en UTA24, 3 - origine de l’équipement agricole et de main d’œuvre concernée, 4 - subventions et contrats (CAD25, MAE26…) ;

23 Bocage fermé, jusqu’à 280m de haies par hectare et bocage ouvert avec seulement 100m de haies par hectare. 24 Unité de Travail Annuel 25 Contrat Agriculture Durable 26 Mesure Agro-environnementale

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

module utilisation des terres « Les groupes de parcelles » 1 - caractéristiques physiques, 2 - équipements et aménagements, 3 - successions culturales, pâtures,… 4 - présence de haies et changements passés,

module gestion des bordures de champs 1 - opérations techniques sur bords de champs :

a. haies de hautes tiges avec ou sans émondes, b. haies nouvelles, c. moyennes tiges, arbustes, broussailles, talus herbeux, fossé, bande d'herbe à plat d. position clôture.

2 - avis de l’exploitant sur ses bordures de champs, 3 - gestion pluri annuelles des bordures, 4 - opérations techniques par culture et par mois, 5 - temps passé sur bord de champ : de la coupe au stockage, 6 - vente et consommation de bois actuellement, 7 - vente et consommation de bois il y a 10 ans.

Emondage de la coupe au stockage Bilan travail (en jours) * Type et provenance du

matériel Provenance de la main-

d’œuvre **

Actuel Il y a 10 ans Actuelle Il y a 10 ans Actuelle Il y a 10 ans

Rare < 1 [1-2[ [2-5[ [5-10[ [10-20[ [20-40[ ≥ 40

Rare < 1 [1-2[ [2-5[ [5-10[ [10-20[ [20-40[ ≥ 40

* On compte 5 heures pleines/jour pour 1 personne ** Bien préciser les acteurs ex : agric+père, agric+employé cuma…etc

Tableau 1 : Extrait du formulaire papier Module 8.6 - état et évolution depuis 10 ans : Evaluation globale du temps passé aux différentes tâches, des sources de matériel et de

main d’œuvre, et de la destination des produits

Le regroupement en modules facilite l’organisation de la saisie et du traitement des données. Cette démarche modulaire permet aussi de choisir entre une enquête complète, c'est-à-dire en utilisant tous les modules ou bien une enquête utilisant un ou plusieurs modules. En fonction des thématiques de recherche et des objectifs à atteindre, le questionnaire d’enquête et la base de données associée peuvent accueillir de nouveaux modules spécifiques. Ce type de questionnaire à la fois modulaire et modulable, permet ainsi d’évoluer dans le recueil de données par ajouts et/ou retraits de questions. A l’origine, conçu pour l’enquête en territoire bocager, nous avons pu l’adapter sans difficultés, à d’autres types de paysage, en plaine de Beauce par exemple.

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Page 43: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Techniques et pratiques de recueil de données in situ

2.2 Le support de questionnement Pour nos enquêtes nous utilisons des formulaires papier plutôt qu’informatiques. A cela il y a deux raisons : l’une et non la moindre est de favoriser le contact humain en évitant au maximum les blancs pendant l’entretien, inévitables avec une saisie sur clavier; l’autre raison est la complexité que représenterait la construction d’un questionnaire informatique relié à la base de données et bénéficiant d’une interface simple d’usage. Le formulaire papier utilisé est construit en même temps que la base de données, il comprend des modules à renseigner et des tableaux à remplir. Les questions à poser ne sont pas rédigées, l’enquêteur doit trouver et formuler les questions au fur et à mesure de l’entretien à l’aide des modules papier ce qui nécessite de bien connaître le questionnaire d’une part et tous les thèmes abordés d’autre part. 3. Connaissances, savoir-faire et savoir-être au service de l’enquête directe Ce questionnaire, utilisé par une personne compétente nécessite un entretien de deux heures au minimum en limitant les digressions. Il semble aisé d’énumérer les thèmes à aborder pour construire un questionnaire aussi complet que celui-ci. On s’apercevra vite que l’on est en train de cerner, si cela est possible, le champ de compétences de l’exploitant agricole lui-même.

La gestion des bordures de champs nécessite la prise en compte

- du type de bordure (et de sa forme) - du positionnement de la clôture - de l’idée que se fait l’exploitant sur le rôle de ses bordures de champs - des successions culturales sur les parcelles adjacentes ou sur le groupe de parcelles - des itinéraires techniques des cultures adjacentes - des personnes qui entretiennent - des méthodes d’entretien - des outils utilisés - des temps de travaux - de la valorisation ou non du bois produit

Figure 2 : Aperçu des thèmes à aborder dans le module 8 du questionnaire Nous pouvons citer par exemple, l’élevage, les pratiques culturales, les soins vétérinaires et techniques d’hygiène, la gestion du parcellaire, les techniques d’entretien des éléments de paysage (figure 2), la comptabilité, la gestion, la construction, la mécanique, la commercialisation, l’acquisition d’informations. Outre l’ensemble de ces connaissances pluridisciplinaires théoriques et pratiques de l’exploitant agricole, ce dernier doit articuler et mettre en action par son savoir-faire, les rouages de cette machine complexe qu’est l’exploitation agricole.

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Page 44: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

3.2 Des étapes importantes (tableau 2) exigeant différents savoir-faire et savoir-être ? 3.2.a Participer à la reformulation de la question de recherche Reformulation de la question de recherche

Il est primordial, que les scientifiques, informaticiens, techniciens impliqués dans ce projet apportent leurs compétences propres et que la personne du groupe connaissant bien le fonctionnement de l’exploitation agricole se saisisse de la construction du questionnaire d’enquête. La plupart des questions de recherche traitées dans l’unité avec des données d’enquêtes, nécessitent au préalable la connaissance du fonctionnement global de l’exploitation agricole, passage indispensable à la compréhension des interactions exploitant/biodiversité. Le premier acte est de traduire la question de recherche et d’engager le projet de recueil de données.

Construction du questionnaire

Ensuite nous devons mesurer la faisabilité de notre projet et partager nos points de vue sur la façon de construire cette enquête.

Tableau 2 : Phases de travail recueil de données En gris, les étapes non développées dans cet article

3.2.b Rédiger un questionnaire qui parle à l’exploitant Questionner un agriculteur c’est le contraindre à prendre du recul sur ce qu’il fait pour le décrire. La personne qui construit le questionnaire doit avoir un minimum d’expertise, un langage et un vocabulaire adaptés afin de savoir poser les questions qui parlent à la personne enquêtée et facilitent l’expression de ses réponses sans les orienter. Elle doit aussi pouvoir mobiliser une somme de connaissances techniques minimum pour être prise au sérieux par son interlocuteur. Ce questionnaire technique et en grande partie fermé, doit permettre d’aller droit au but et d’obtenir des réponses fiables, sans pour autant exclure un dialogue ouvert qui établira un climat de confiance. 3.2.c Animer l’entretien en maîtrisant son sujet Répondre à de nombreuses questions peut sembler rébarbatif à l’exploitant agricole qui trouvera une raison pour écourter l’entretien. Pour éviter cela, il faut susciter la curiosité et l’envie chez notre interlocuteur de nous apporter des informations : il doit se sentir valorisé. Pour l’enquêteur, maîtriser son sujet, c’est être capable de reformuler les réponses en les enrichissant d’exemples. C’est aussi savoir faire des relances dans l’entretien pour limiter les digressions et revenir à l’objet principal de l’enquête. La compréhension du fonctionnement de l’exploitation et l’actualisation de nos connaissances en matière de politiques agricoles doivent nous permettre d’éviter les questions maladroites et nous assurer la collaboration de l’exploitant.

Enquête proprement dite

Observations de terrain et photographies

Faire évoluer la base de données

Premiers traitements statistiques des données

Saisie des données dans la base

Logistique de l’enquête

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Une approche un peu candide de l’enquête empêcherait de valider un grand nombre de réponses et nuirait ainsi à la fiabilité des données recueillies (si recueillies elles sont !). J’ai personnellement constaté l’extraordinaire capacité des exploitants agricoles à jauger les connaissances de leurs interlocuteurs, certains n’hésitant pas « à mener en bateau » la personne qui les interroge. 3.2.d Observer pour corroborer ou non les réponses Dans un précédent article j’ai expliqué une méthode d’identification par l’observation, des pratiques agricoles et des états produits sur les bordures de champs (Codet C. et Chevallereau M. 2006). Pour chaque exploitation enquêtée, j’applique cette méthode d’observation que je complète avec des prises de photographies numériques. Il n’est pas ici question de vérifier systématiquement les propos de l’exploitant, de surcroît si l’enquête a été bien conduite, il s’agit plutôt de les illustrer, voire de les compléter par des données visuelles. Ces observations ne concernent pas uniquement le paysage de l’exploitation et ses éléments, mais aussi tout ce qui peut donner des indications supplémentaires sur le fonctionnement de celle-ci. Citons par exemple : le type de stabulation, de machine à traire, la puissance des tracteurs et les principaux outils de travail du sol. Ces éléments peuvent être des indicateurs de temps de travail et donc de disponibilité potentielle pour d’autres tâches. 3.2.e Se relire après enquête L’enquêteur lui-même doit saisir les données d’enquêtes dans la base Access construite à cet effet, ou à défaut une personne qui possède les mêmes compétences, surtout si la reprise des données se fait a posteriori. Les difficultés rencontrées actuellement dans la reprise et la saisie de données anciennes sont telles qu’il apparaît désormais indispensable de faire cette saisie au retour de la série d’enquêtes. 3.3 Du recueil à l’exploitation des données 3.3.a Accompagner l’évolution de la base de données La phase de saisie est aussi l’opportunité de faire évoluer la base de données en améliorant les formulaires et en complétant les listes de choix. L’expérience de l’enquête récente peut mettre en évidence la nécessité de renseigner de nouvelles données telles que l’apparition d’une nouvelle culture, d’un nouveau type de contrat à vocation environnemental ou d’une nouvelle forme d’utilisation du bois d’émondage, la liste peut être longue. Le choix peut aussi être fait de supprimer certaines questions pour lesquelles il n’y a jamais de réponses, comme par exemple, les contrats verbaux en matière de location des terres, certaines formes sociétaires ou statuts juridiques des exploitations. 3.3.b Vérifier a posteriori la fiabilité des données recueillies Après avoir notifié sur le formulaire d’enquête, une interrogation sur des réponses exprimées, nous allons, de retour au bureau nous appliquer à valider ou non ces réponses. Citons par exemple les propos d’un exploitant qui déclare dans un module qu’il ne traite pas ses bordures de champs avec de l’herbicide alors que plus loin dans ce module il indiquera un temps de travail consacré au traitement chimique sous les fils de clôtures. Il faudra donc corriger la première réponse. Autre cas, l’exploitant déclare sa main-d’œuvre dans un module et oublie de citer dans un autre module, le grand-père qui passe de nombreuses journées à entretenir les bordures de champs.

Numéro spécial 2007 51

Page 46: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

3.3.c Effectuer les premiers traitements et analyses statistiques descriptives Il s’agit ici de favoriser l’efficience du travail du chercheur en recourant à des calculs statistiques et des applications graphiques sur les variables ou des croisements de variables. Un autre travail consiste à classer les exploitations dans des typologies comme les OTEX27, à des fins de comparaison avec les résultats statistiques départementaux, régionaux et nationaux comme les données du SCEES28. Conclusion Modulaire, adaptable et évolutif, ainsi peut-on qualifier ce type de questionnaire. Modulaire par sa construction permettant une utilisation globale ou partielle. Adaptable parce qu’il permet de recueillir des données d’autres systèmes de production ou d’autres paysages. Et tout naturellement évolutif par sa faculté de prendre en compte des pratiques et des réglementations nouvelles. Un outil élaboré et riche qui pour sa construction et sa mise en œuvre requiert des acquis théoriques et pratiques des disciplines abordées. Outre les connaissances pluridisciplinaires, le savoir-faire et savoir être nécessaires à la mise en œuvre d’un recueil de données, il est indispensable de savoir : échanger avec des chercheurs, des techniciens et des agriculteurs : observer l’exploitation dans son fonctionnement : actualiser ses connaissances et en acquérir de nouvelles. Une réflexion est à mener sur la valorisation professionnelle des compétences issues de l’expérience et de la formation, mobilisées dans le travail par certains agents. Remarque : Dans le processus de recueil de données, nous n’avons pas traité dans cet article, l’échantillonnage, la prise de contact et de rendez-vous avec les futurs enquêtés et toute la logistique des enquêtes. Ces actions feront l’objet d’une publication Bibliographie Chevallereau M. (2007) Paysage et biodiversité. Gestion des données pour traiter l’évolution

des objets de recherche dans le temps et l’espace in Techniques et pratiques de recueil de données in situ ; Le regard des techniciens sur leur métier, Le Cahier des Techniques de l’Inra. pp. 87-93

Codet C. et Chevallereau M. (2006) Suivi des observations des effets de pratiques agricoles de gestion des bordures de champs in Méthodes et outils pour l’observation et l’évaluation des milieux forestiers, prairiaux et aquatiques, Le Cahier des Techniques de l’Inra. pp.169-174

27 Orientation Technico-économique de l’Exploitation, typologie du RICA basée sur la MBS (Marge Brute Standard) 28 Service Central des Enquêtes et Etudes Statistiques

Le Cahier des Techniques de l’Inra 52

Page 47: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Chapitre I

2ème partie

Adapter les méthodes, les techniques, les outils de recueils et de gestion de données, pour mesurer l’impact des pratiques sur la biodiversité

Photo © Michel Etienne / Inra SAD Ecodéveloppement Avignon

Numéro spécial 2007 53

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

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Page 49: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Mesurer les effets des pratiques culturales sur la biodiversité faunistique

Conception et mise en œuvre d’une méthode d’échantillonnage

Damien Foissy29

Résumé : Face aux enjeux de durabilité agronomique et environnementale, l'unité Inra de Mirecourt étudie, depuis 2004, deux systèmes de production agricole en polyculture élevage de bovins laitiers au sein de son domaine expérimental. Un des objectifs de cette étude, prévue pour une période de 15 ans, est de mesurer l'impact des pratiques agricoles et du milieu sur la biodiversité faunistique en suivant les populations de carabes. Chargé d'élaborer le protocole de recueil de données à mettre en œuvre sur le terrain, j'ai développé, à l’aide d’un Système d'Informations Géographiques (SIG), une méthode qui permet d'établir toutes les entités "Unités de Sols / Pratiques culturales (USP)" existantes sur les parcelles du Domaine. L’échantillonnage a été réalisé à partir de critères tels que la taille des entités, le comportement des carabes, la distance aux bordures des parcelles et les moyens humains. Finalement, le piégeage a été réalisé au sein de sept types de sol et huit groupes de pratiques. L'utilisation de l'outil SIG a permis de représenter et d'analyser les données à l'échelle de la parcelle et de limiter le temps passé sur le terrain. La méthode d’échantillonnage a été utilisée pour la mise en place d'autres suivis tels que les évolutions de fertilité des sols et de flore. Mots clés : Biodiversité, pratique culturale, sol, spatialisation, système d'information géographique, SIG. Introduction Une des thématiques de recherches de l’unité Inra de Mirecourt, dans les Vosges, vise à répondre à la question : est-ce que des systèmes de production autonomes, économes en intrants et adaptés aux ressources du milieu sont durables ? Afin d’y répondre, deux systèmes de production en polyculture élevage bovin laitier30 ont été mis en place en 2004 et sont en cours d’expérimentation au domaine expérimental de l'Unité. Ils ont été conçus en prenant en compte les caractéristiques des sols, et répondent à des objectifs de durabilité agronomique et environnementale (Coquil et al, 2007). Les systèmes sont évalués d’un point de vue multicritères selon trois aspects : la production agricole, les ressources et l’environnement. Pour ce dernier point, trois composantes ont été retenues : la fertilité des sols et la biodiversité floristique et faunistique dont il est question ici. C'est dans ce cadre que notre équipe31 a choisi de mettre en place un suivi des coléoptères carabiques car ils font partie des indicateurs de la biodiversité en milieu agricole et parce qu'ils montrent des réactions très diversifiées aux techniques de l'agriculture biologique. L’objectif de ce suivi est de mesurer les impacts du milieu, des systèmes de production et des pratiques agricoles sur les peuplements de carabes, de 2005 à 2015. J’ai ainsi été chargé

29 Inra unité sciences pour l’action et le développement (SAD) - Domaine du Joly 88500 Mirecourt

03 29 38 55 14 [email protected] 30 Sous cahier des charges de l'Agriculture Biologique 31 En collaboration avec Françoise Lasserre, équipe « Agriculture Durable » du laboratoire agronomie et environnement, Ecole nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy

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d’élaborer le protocole de recueil de données à mettre en œuvre sur le terrain pour piéger les carabes et les compter au printemps et à l’automne. J’ai été confronté à la difficulté majeure qu’il n’existe pas de méthode normalisée pour élaborer le plan d’échantillonnage et définir les emplacements des pièges à carabes. Certes, dans sa revue bibliographique, B Clergué (à paraître) mentionne différents plans d’échantillonnage, mais ceux-ci sont propres à un contexte et à une taille de territoire. Il a donc fallu dans notre cas adapter les méthodes existantes à nos objectifs. Pour cela, j’ai pris en compte les propriétés du milieu ainsi que les systèmes de culture mis en œuvre pour répertorier les situations existantes. Ensuite, j’ai choisi les situations les plus intéressantes à suivre en fonction de leur importance dans chaque système de production. Tous les milieux n'étant pas toujours représentés dans les systèmes de culture, il a fallu choisir un type de sol présent dans tous les systèmes de culture ainsi qu'un système de culture présent dans tous les types de sol afin de pouvoir comparer les situations choisies entre elles. De plus, pour distinguer les évolutions des populations étudiées dues aux conditions climatiques de celles qui résultent des pratiques culturales, nous avons mis en place un suivi chez un agriculteur voisin, dont le système de production devrait peu évoluer à l’avenir. Nous verrons comment le plan d’échantillonnage a été construit en 3 étapes, à l'aide d'un Système d'Informations Géographiques (SIG). Dans une première étape, les données concernant les caractéristiques des sols, les limites parcellaires et les pratiques culturales associées ont été rassemblées et traitées pour déterminer des « Unités de Sols / Pratiques culturales » (USP). La seconde étape a consisté à choisir les emplacements possibles des pièges. Dans la troisième étape, ceux-ci ont été validés ou rejetés par une visite sur le terrain. Enfin, nous verrons les caractéristiques retenues pour choisir l'agriculteur voisin.

Le domaine expérimental de Mirecourt, d’une superficie est de 238 ha, est situé dans une région d’élevage bovin laitier et de cultures. Les sols lorrains sont de nature très variée et parfois à tendance hydromorphe. Les types de sols présents sur le Domaine sont caractéristiques de cette diversité : la carte pédologique des sols réalisée par le Centre Nationale de Recherches Agronomiques de Versailles en 1962 identifie 5 textures de sol - limono-sableux, limoneux, limono-argileux, argilo-limoneux et argileux - ainsi que 4 substratum - marne calcaire, dolomie, colluvions et alluvions. Cependant, les sols reposant sur les substratums marne calcaire et dolomie représentent 90 % de la superficie du Domaine. Quant aux textures de surface, les argiles sont majoritairement présentes : les sols argileux, argilo-limoneux et limono-argileux représentent respectivement 41, 16 et 20 % de la superficie alors que les textures limoneuses et limono-sableuses représentent respectivement 14 et 9 %. Les 2 systèmes de production du domaine expérimental ont été conçus à partir des caractéristiques des sols : les sols très argileux et à tendance hydromorphe sont en prairie permanente, les autres sont cultivés dans des rotations à base de prairie. Le premier système (SH), d'une superficie de 78 ha, comporte uniquement des prairies permanentes, le second (SPCE32), d'une surface de 160 ha, comprend des prairies permanentes et des cultures assolées. Pour chaque parcelle cultivée, un groupe d'experts, constitué des ingénieurs de l'unité, a défini, dans un premier temps, l’aptitude de chaque parcelle à recevoir ou non des cultures de printemps en alternance avec des cultures d’hiver. Dans un deuxième temps, à partir de la nature du sol et de sa teneur en calcaire actif, la tête de rotation, à base de luzerne ou de trèfle, a été déterminée. Il existe donc 4 rotations pour les parcelles cultivées : selon que la tête de rotation est une luzerne ou une prairie, selon que la rotation contient uniquement des cultures d’hiver ou qu’elle alterne cultures d’hiver et cultures de printemps et enfin selon la durée de la rotation.

Encadré 1 : Les systèmes de production du domaine expérimental

32SH = système d'élevage herbager, SPCE = système de polyculture-élevage

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1. Construction des Unités de Sols / Pratiques (USP) Les données sur le parcellaire et les pratiques culturales – assolement prévisionnel de 2005 à 2020, système de production auquel appartient chaque parcelle, nature de la rotation – existaient sous des formats papier ou informatique : tableurs, logiciel de gestion parcellaire. Le plan parcellaire du domaine a fait l'objet en 1998 d'un référencement géographique – latitude, longitude, altitude – au moyen d'un global positioning system (GPS). J'ai rassemblé toutes ces données sous un système d'informations géographiques (SIG) afin de faciliter leur traitement et leur représentation graphique ; j'ai donc créé des bases de données qui ont été alimentées à partir des tableurs et du logiciel de gestion parcellaire. En ce qui concerne les caractéristiques des sols, j'ai choisi d'utiliser la carte pédologique : les textures y sont détaillées par épaisseur de 40 cm et ce jusqu'à 120 cm de profondeur, et les substratums y sont représentés. J'ai réalisé un référencement géographique33 de la carte pédologique avec les limites des différentes zones de sols, et j'ai saisi dans des bases de données les informations relatives à la nature des sols qui figuraient sur la carte papier.

1.1 Les types de sols Dans un premier temps, j'ai simplifié la carte pédologique en ne prenant en compte que la texture de l'horizon de surface – sans prendre en compte la profondeur de sol – ainsi que la nature du substratum : douze unités de sol (US) ont été obtenues et représentées sous forme de carte, et leur superficie a été calculée. Les 4 US les plus importantes (tableau 1, colonnes 1 à 3) ont une taille élémentaire de plus de 20 ha, et 6 ont une taille inférieure à 10 ha. Dans un deuxième temps, j'ai agrégé la carte obtenue avec la carte des limites parcellaires, puis j'ai fait figurer, pour chaque parcelle, le système de production concerné. Cette spatialisation m'a permis d'obtenir la superficie de chaque unité de sol par système de production. Le tableau 1 montre que tous les types de sols ne sont pas représentés de la même manière dans chaque système, il a fallu en tenir compte par la suite. Des sols n'ont pas pu être déterminés avec exactitude par les pédologues, ils représentaient une quinzaine d'hectares qui ont été exclus du plan d'échantillonnage.

Texture Substratum Surface en ha Surface dans SPCE Surface dans SH Argile Dolomie 34 18.9 15.1 Marne 57.6 35.3 22.3 Colluvions 3.3 - 3.3 Argilo – limoneux Dolomie 22.4 16.4 6 Marne 4.4 3.9 0.5 Colluvions 5.5 2.8 2.7 Limono – argileux Dolomie 31.1 27.6 3.5 Marne 18.2 18.2 Alluvions 1.9 - 1.9 Limono – sableux Marne 16.7 14.1 2.6 Limoneux Dolomie 15.7 7 8.7 Marne 12.6 11 1.6 Limon et Limono – argileux

Indéterminé 7.6 2.5 5.1

Sols remaniés 7 2.3 4.7 Total 238 160 78

Tableau 1 : nature des textures et substratums du domaine

33 Avec l'aide d’ E. Bienaimé, équipe SIG Centre Inra de Nancy.

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1.2 Les groupes de pratiques culturales Pour évaluer l'effet des pratiques culturales mises en œuvre sur un pas de temps pluriannuel, j'ai utilisé les groupes de pratiques culturales identifiées par X. Coquil, ingénieur de l’unité. Il en a défini quatre pour les cultures – un pour chaque rotation –, auxquels s’ajoute un groupe prairie permanente par système de production : un pour SH et un pour SPCE (encadré 1). Pour chaque rotation et chaque culture, X. Coquil a défini des pratiques culturales spécifiques telles que l'époque et la date de semis, le choix des espèces, le travail du sol ou encore la fumure. En ce qui concerne les prairies permanentes, quel que soit le système de production, les parcelles les plus proches des bâtiments d'élevage sont pâturées uniquement par les vaches en lactation, celles qui sont plus éloignées sont pâturées uniquement par les génisses. J'ai donc distingué deux groupes de pratiques par système de production : "parcellaire vaches en lactation" et "parcellaire génisses". J'ai finalement obtenu 8 groupes de pratiques ; la superficie du plus petit est de 9,5 ha alors que celle du plus important est de 48,5 ha. 4 groupes ont une taille comprise entre 30 et 40 ha.

1.3 Les types de sols par groupe de pratiques J'ai croisé les huit groupes de pratiques avec les 12 unités de sol afin d'identifier toutes les situations ainsi que leur importance par groupe de pratiques. J'ai obtenu 63 USP (tableau 2), d’une superficie élémentaire variant de 0,1 à 17,2 ha, et d’une superficie moyenne de 3,4 ha. Texture /

Substratum Luzerne

8H Luzerne

8P Prairie

6H Prairie

6P Pâture

1 Pâture

2 Pâture

3 Pâture

4 Argile /

Dolomie 0.7 7.7 1.5 4.2 5.9 9.2 4 0.8

Argile / Marne 0.1 6.8 9.9 0.6 6.5 15.8 0.7 17.2 Argile /

Colluvions 3.3

Argilo-limoneux / Marne

0.2 2 0.7 0.5 1

Argilo-limoneux / Dolomie

3.3 4.6 1.6 0.7 3 3 3.8 2.4

Argilo-limoneux / Colluvions

0.6 0.5 2.7 0.8 0.9

Limono-argileux / Dolomie

1 15.5 0.7 5.3 2.7 0.8 3.7 1.4

Limono-argileux / Marne

3.5 3.4 0.2 11.1

Limono-argileux / Alluvions

1.9

Limono-sableux / Marne

8.7 5.3 2.6 0.1

Limons / Dolomie

1.8 0.6 2 8.4 0.3 1.3 1.3

Limons / Marne 3.2 4.4 3.4 1.6 Sols exclus 1 1.6 0.9 9.8 0.5 0.8 Total 9.5 48.5 31 19 39 39 16 36

Situations retenues pour l'installation de pièges

Tableau 2 : Superficie en ha de chaque type de sol, par groupe de pratiques culturales

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2. Etablissement et validation du plan d’échantillonnage

2.1 Prise en compte des moyens humains, de la biologie des carabes et des bordures de parcelles

J'ai considéré qu'il fallait relever tous les pièges le même jour et qu'en une journée de 8 heures de travail, une personne pouvait intervenir sur un maximum de 80 pièges. La plupart des espèces de carabes pouvant se déplacer sur plusieurs dizaines de mètres, j'ai fixé une distance minimale de 20 m entre une bordure de parcelle et un piège, ainsi qu'une distance de 50 m entre deux pièges. Chaque piège devant être installé au sein d'une zone de sol homogène d'au moins 0,25 ha, 59 USP ont répondu à ces critères. Enfin, pour chaque USP retenue, quatre pièges ont été installés sur une ou plusieurs parcelles pour servir de répétitions. 2.2 Choix des USP Dans un premier temps, j’ai sélectionné dans chaque groupe de pratiques les types de sols ayant une superficie supérieure à 3 ha d'après le tableau 2 ; bien entendu, toutes les unités de sol ne sont pas représentées dans chaque groupe de pratiques. Afin de comparer, j’ai pris comme références des unités de sol présentes dans presque tous les groupes de pratiques : argile sur Dolomie et argile sur Marne. Dans un deuxième temps, j’ai ajouté les données sur les limites parcellaires aux données sur les USP, afin d’obtenir les USP par parcelle. J’ai écarté du plan d’échantillonnage toutes les USP par parcelle de moins de 0,25 ha. J’ai choisi les parcelles pouvant accueillir un piège à partir des données sur les tailles d’USP par parcelle et en visualisant les différentes couches d’informations – limites de parcelles, unités de sol, groupes de pratiques – sur SIG. Chaque fois que cela a été possible, pour une même USP, j’ai réparti les quatre répétitions sur plusieurs parcelles, l’outil SIG me permettant de vérifier le respect des distances minimales entre plusieurs pièges et entre chaque piège et les bordures des parcelles. Ma connaissance du terrain m’a permis d’éliminer d’emblée des parcelles trop exiguës ou à caractère hydromorphe connu. J’ai établi une carte sur SIG en faisant figurer un point pour chaque emplacement possible pour un piège. 2.3 Validation des situations retenues La carte prévisionnelle des emplacements des pièges a été transférée sur un GPS mobile, puis en réalisant une visite de terrain, j’ai validé ou rejeté définitivement chaque emplacement. Pour cela j’ai pris en compte des caractéristiques telles que le relief, une zone hydromorphe proche ou encore une forme de parcelle susceptible de subir davantage de passages de tracteur. Enfin, une discussion avec le personnel le plus ancien du domaine expérimental m’a permis de rejeter un emplacement en raison d’anciens aménagements du terrain non mentionnés sur les documents dont je disposais. Au total, 19 séries de quatre pièges ont été retenues (tableau 2, en grisé).

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Certaines USP ont comporté deux séries de pièges parce que j’ai essayé de couvrir l’ensemble du territoire (figure 1), et parce que leur taille le permettait. Le groupe de pratiques culturales "Luzerne 8H" n'a pas reçu de pièges en raison de la trop petite surface de sol homogène à l'échelle de la parcelle.

Figure 1 : localisation des pièges à carabes 3. Etablissement d’un suivi de référence Pour mesurer l'impact des systèmes de production sur la biodiversité faunistique, il est nécessaire de réaliser un suivi sur une décennie, car certains impacts sont immédiats et de courte durée, tandis que d'autres peuvent apparaître plus lentement. L'évolution des populations de carabes peut résulter des pratiques culturales mais également des conditions climatiques. Pour cela, la mise en place d'un suivi chez un agriculteur voisin,

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dont le système de production devrait peu évoluer dans les années à venir, vise à déterminer si les évolutions de la faune carabidé sont liées aux facteurs climatiques ou non. J'ai choisi cet agriculteur sur les critères suivants : forte imbrication ou contiguïté de ses parcelles dans le territoire du domaine expérimental, système de polyculture élevage avec des prairies permanentes, bonnes relations de voisinage. L'exploitation retenue est une exploitation laitière composée de deux groupes de pratiques : prairies permanentes et cultures assolées dont la tête de rotation est le maïs. J'ai choisi de mettre en place deux séries de pièges, une dans chaque groupe de pratiques. Bien entendu, les types de sols devaient figurer dans la liste de ceux retenus sur le domaine expérimental. Certains types de sols de l'agriculteur étaient renseignés sur notre carte pédologique, ce qui m'a permis d'installer la première série de pièges sur un sol argileux sur marne. Je ne pouvais pas utiliser la carte pédologique pour installer la seconde série de pièges. Alors j'ai effectué des sondages de terre à l'aide d'une tarière dans plusieurs parcelles, je déterminais la nature de sol, puis j'ai choisi des parcelles limono-argileuses sur dolomie. Discussion J’ai conçu la méthode d’échantillonnage décrite dans cet article pour évaluer à moyen terme des pratiques culturales mises en œuvre en fonction du milieu. La difficulté principale que j’ai rencontrée pour l’établir a été la masse considérable de données à intégrer. En effet, la prise en compte du détail des données pédologiques, de la diversité des cultures présentes et des techniques culturales appliquées rendait l'échantillonnage trop complexe. Aussi, puisque c'est la nature de l'habitat qui a le plus d'influence sur les populations de carabes, je n'ai considéré que la texture de surface des sols et afin de rester cohérent avec les protocoles agronomiques et environnementaux mis en œuvre sur le domaine, j'ai utilisé les groupes de pratiques culturales qui combinent la nature des cultures et les techniques culturales. Cependant l'échantillonnage réalisé n’a pas pris en compte la nature des espèces cultivées annuellement car il n’a pas été possible d'avoir, pour un même groupe de pratiques et un même sol, toutes les cultures de la rotation une année donnée. Toutefois, dans un autre contexte, il serait possible d'intégrer cette contrainte. La prise en compte du milieu et des pratiques qui y sont associées montre qu'il y avait plus de 63 situations combinant ces 2 aspects sur le domaine expérimental. Pour des raisons humaines et de taille du dispositif, nous ne pouvions pas suivre toutes les situations. De même, tous les milieux n'étaient ou ne pouvaient pas être représentés dans chaque groupe de pratiques. En choisissant deux types de sols présents dans presque tous les groupes de pratiques, nous nous donnions la possibilité d’établir des comparaisons. La première année de suivi, nous avons dû déplacer quelques pièges de quelques mètres en raison de problèmes hydromorphes et de passages préférentiels des animaux au pâturage. Nous avons constaté, sur certains secteurs du territoire couvert, que les captures de carabes étaient bien plus importantes en nombre. Ce constat est valable également au sein d'une même USP, pour une même nature de culture et des pratiques annuelles identiques. Des investigations devront être menées sur le passé cultural et l'environnement proche de ces parcelles ; en effet, la présence d'habitats environnants particuliers tels que la forêt ou des

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cours d'eaux auraient pu influencer les résultats mesurés. Si tel était le cas, il faudrait certainement en tenir compte dans le plan d'échantillonnage. Les unités de sol et groupes de pratiques identifiés dans ce travail, ont été réutilisés pour la mise en place d'autres suivis à long terme : biomasse végétale, relevés floristiques, analyses physico-chimiques ; ils sont associés à l'utilisation d'un GPS. Bibliographie Clergué B. (2008) thèse en cours de rédaction.

Coquil X., Fiorelli J.L., Blouet A., Mignolet C., Bazard C., Foissy D., Trommenschlager J.M. (2007) Des systèmes de production laitiers biologiques comme prototypes de systèmes laitiers durables in Renc. Rech. Rum décembre 2007, à paraître.

Coquil X., Fiorelli J.L., Bazard C., Foissy D. Trommenschlager J.M. Blouet, A. (2006) Prototyping organic mixed crop-dairy systems at a local scale: a multi-attribute approach. European Joint Organic Congress, 2006/05/30-31 : 34-35.

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Suivi de population de coléoptères carabidés De la technique au relationnel, comment s’adapter aux conditions de piégeage ?

David Marcolet34

Résumé : Une des thématiques de recherche à la station Inra de Mirecourt dans les Vosges est l’étude de la durabilité de systèmes de production et leurs impacts sur les ressources du milieu. C’est ainsi que notre unité mène une étude sur l’évolution des populations de coléoptères carabidés qui sont des indicateurs reconnus ; pour les capturer je mets en place des pièges fosses. Ces pièges n’étaient pas adaptés l’environnement et aux activités agricoles ; je me suis attaché à résoudre ces difficultés par des adaptations techniques et par des discussions plus fréquentes avec les personnes travaillant sur les parcelles. L’objectif de cet article est de montrer ces adaptations techniques et les compromis auxquels nous sommes parvenus, grâce auxquels je peux aujourd’hui travailler avec plus de confort et plus d’efficacité. Introduction Une des thématiques de recherche de notre unité à la station Inra de Mirecourt dans les Vosges est l’étude de la durabilité de systèmes de production conçus pour être autonomes, économes en intrants et bien adaptés aux ressources du milieu. En collaboration avec le laboratoire de l’Inra, agronomie et environnement Nancy-Colmar35, nous avons mis en place depuis l’automne 2005, pour une période de 10 ans, une étude sur l’évolution des populations de coléoptères carabidés. L’objectif est de mesurer l’impact des pratiques culturales sur ces populations ; en effet, les carabes sont reconnus comme sensibles aux changements du milieu et de plus, ils sont faciles à capturer. Le suivi, s’effectue à travers deux campagnes de piégeage au printemps et à l’automne, et il est réalisé en grande partie sur le domaine expérimental de l’unité. Ce domaine comprend à la fois des cultures et des prairies pâturées par des bovins laitiers. Damien Foissy a décrit les critères retenus pour le positionnement des pièges (Foissy D., 2007) et je suis chargé de la pose de pièges fosses, de la réalisation du relevé des pièges et du comptage des insectes capturés. Lors de la première campagne qui s’est déroulée à l’automne 2005, j’ai rencontré deux sortes de difficultés : - d’ordre technique tout d’abord, liées au piège lui-même et à son environnement, en particulier par des dégâts causés par le passage d’animaux et d’engins agricoles ; - d’ordre relationnel, ensuite avec les personnes intervenant dans les champs. Pour chacun de ces problèmes, il m’a fallu adapter, contourner, négocier, mettre en place des solutions simples que je rapporte ici. Dans cet article je commencerai par présenter le dispositif lui-même puis j’aborderai les diverses difficultés identifiées. Je proposerai ensuite les solutions que j’ai adoptées avant de conclure.

34Inra station de Mirecourt BP 29 – 88501 Mirecourt cedex ℡ 03 29 38 55 21 [email protected] 35 F. Lasserre

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1. Présentation du dispositif Le plan d’échantillonnage comprend 70 pièges répartis sur une portion de territoire de 300 hectares : 240 hectares de l’installation expérimentale de l’unité, 2 parcelles de 20 hectares appartenant à un agriculteur voisin et une parcelle boisée contiguë à une forêt. Sur ces parcelles, les pièges sont disposés en 16 séries de 4 pièges et une série de 6 pièges chaque série correspond à une même nature de sol et à un même système de culture. Etant donné le nombre de pièges et les surfaces à parcourir, il me faut une journée pour effectuer une récolte, cela tous les 7 jours, 6 fois en mai et juin et à 4 reprises en septembre. Pour capturer les carabes, qui se déplacent à la surface du sol, le piège fosse est le plus adapté. Il s’agit d’un pot enterré, ici un pot de crème de 500 grammes, dans lequel les insectes tombent ; s’agissant de capture dans des conditions « naturelles » les pièges ne sont pas munis d’appâts mais ils sont remplis au tiers d’une solution d’eau avec 2 cl/l de liquide vaisselle pour qu’ils meurent rapidement et 50 g/l de sel, pour retarder leurs dégradations. Les pots sont ensuite couverts d’une tuile d’aluminium laqué noir pour les protéger des intempéries ; et enfin, pour être visibles, les pièges sont balisés à l’aide d’un jalon surmonté d’un fanion portant le numéro du piège. Pour la mise en place des pièges, il est important de ne pas bouleverser la zone du piège et pour cela j’utilise une tarière d’un diamètre légèrement supérieur au pot de crème qui est ainsi parfaitement disposé dans le sol et les perturbations sont moindres autour du piège (photo 1).

Photo 1 : positionnement d’un piège à la tarière © David Marcolet / Inra 2. Difficultés rencontrées Dès la première campagne de piégeage à l’automne 2005, j’ai identifié des difficultés, de diverses natures : certaines liées au piège et à sa protection, d’autres liées aux relations avec les différentes personnes intervenant sur les parcelles ainsi qu’à la conservation des captures.

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2.1 Difficultés liées au piège Lors de la première campagne, je retirais le pot des trous, puis je transvasais leur contenu dans des flacons à prélèvements à l’aide d’un filtre et d’un entonnoir, puis je remettais en place le pot et je faisais l’appoint en eau. Ces manipulations simples entraînaient trois types de difficultés, notamment en conditions climatiques humides :

- pour retirer le pot : en condition humide, les sols gonflent et collent au pot : il faut alors forcer pour le retirer. Dans ces conditions, le pot à plus de chance de vous échapper, provoquant la perte de tout ou partie de son contenu ;

- pour remettre le pot : dans les parcelles récemment travaillées, la terre autour du pot n’a pas de tenue et s’effondre lors du retrait du pot : cela oblige à recreuser le trou, opération fastidieuse, en particulier lorsque les conditions climatiques sont mauvaises ;

- pour conserver les prises : en cas de pluies, de rosée ou de vent, le risque de faire tomber un échantillon, lors du transvasement du contenu du pot dans un flacon à prélèvement, était très important. Cette manipulation obligeait de plus à transporter des bidons de solutions pour compléter les pots.

2.2 Difficultés liées à l’environnement Dans un autre ordre de difficultés, il faut citer l’environnement susceptible de limiter l’efficacité, voire de détruire les pièges. Ce fut le cas dans les pâtures où les bovins sont présents pour des périodes plus ou moins longues. Dans un premier temps, j’ai opté pour une protection des pièges par des cages ; sur le domaine, des cages existaient, utilisées auparavant pour des mesures sur la pousse de l’herbe. Celles-ci montrèrent vite leur limite : grandes et lourdes, elles étaient difficiles à manipuler et je devais faucher manuellement à l’intérieur après le passage des vaches ; de plus il existait également un problème de piétinements les cages devenant un lieu de confort en servant de « frottoir » aux bêtes, ce qui en modifiant le milieu, créait un biais dans l’échantillonnage. Ajoutons à cela des pièges détruit dans les cultures par des sangliers, renards et autres.

Il en va de même pour les fanions servant au balisage des pièges qui sont mis à terre par les animaux. Les pièges n’étant alors plus suffisamment visibles dans les parcelles, ils risquent d’être détruits lors du passage de matériel agricole. Autres contraintes : Les piquets portant les fanions ne doivent pas être trop rigides pour éviter que les animaux viennent s’y frotter et ils doivent être biodégradables en cas de passage accidentel dans une machine. 2.3 Difficultés liées aux activités agricoles

Au début de leur implantation les pièges ont été considérés comme une gêne dans la réalisation des travaux agricoles que ce soit dans les cultures ou dans les prairies ; le protocole étant nouveau et le nombre de piège étant important, les différents intervenants sur les parcelles n’étaient pas toujours au courant de la présence des pièges et parfois ne leur trouvaient pas d’utilité et les considéraient comme un obstacle dans leur travail. Ce constat m’a obligé à suivre l’ensemble des activités de la ferme pour effectuer des déposes et des reposes des pièges lors des passages d’outils. Ceci devenait problématique lorsque j’étais absent, le dimanche par exemple, les pièges étant parfois retirés ou mal reposés. Tous ces suivis, se faisant au détriment des opérations de tri et de comptage et retardant ainsi la mise dans l’alcool des insectes capturés, indispensable à la conservation, certains échantillons se sont dégradés, rendant la détermination très difficile

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3. Solutions apportées 3.1 Faciliter les relevés et protéger les pièges Les pièges J’utilise maintenant pour chaque piège, un jeu de trois pots :

- le premier sert de « forme » ; il est disposé comme auparavant dans le trou, mais légèrement plus profondément : il reste dans le trou tout le temps de la campagne : il maintient ainsi la forme du trou dans les parcelles cultivées et il sert de « glissière » au second pot ;

- le second constitue le piège et reçoit la même solution qu’auparavant. Son retrait du trou est facilité par la présence du pot « forme » ;

- le troisième est un nouveau pot « piège » ; la veille d’une récolte, il est rempli au tiers de solution et fermé par un couvercle portant le numéro d’un piège. Le lendemain sur le terrain, je n’ai plus qu’à pratiquer l’échange des pots. Les manipulations de transvasement se font ensuite au laboratoire, ce qui limite les risques de pertes lors des manipulations.

La protection des pièges

Pour cela, j’ai conçu une nouvelle cage selon le cahier des charges suivant : - doit résister aux piétinements éventuels par un bovin, - être facile à poser et à ouvrir, - être réalisable avec des matériaux et des techniques simples.

Photo 2 : une cage et ses accessoires et la tuile protégeant le pot © David Marcolet / Inra

J’ai réalisé un schéma que j’ai soumis aux techniciens de l’atelier de l’unité et nous avons choisi les matériaux pour confectionner les cages et leurs accessoires. Les cages sont construites en acier galvanisé dans du treillage de 3 mm à mailles carrées de 5 cm de côtés ; le treillage est découpé, plié et un point de soudure est appliqué dans chaque angle. Les dimensions de la cage terminée (L 30cm x l 20cm x h 15cm) sont prévues

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

pour laisser 10 cm en tous sens autour de la tuile qui recouvre le pot pour que la cage ne la heurte pas lors de l’ouverture. Les charnières, et les « serrures » sont réalisées avec du fer à béton de 5 mm, découpé à la cisaille puis cintré. Plus le sol est meuble et plus ces accessoires doivent être longs : il est donc judicieux de faire un essai avant de produire une grande série ! J’ai utilisé pour ma part, dans des sols argileux, des accessoires qui pénètrent en terre jusqu’à vingt cinq centimètres (photo 2). Pour ce qui est des jalons, je n’ai pas encore trouvé de solution, hormis celle des numéros de pièges qui sont notés sur les tuiles. 3.2 Accorder le soc et le pot : dialogue et compromis Sur le domaine expérimental Pour faciliter mon travail et celui de mes collègues intervenant sur les parcelles, j’ai multiplié les contacts et les échanges. Nous nous sommes d’abord réunis pour une mise à plat : je leur ai présenté un plan de la répartition des pièges sur l’exploitation et je leur ai fait une démonstration de la pose d’un piège ; j’ai ensuite écouté leurs « remarques ». Nous nous sommes mis d’accord sur une procédure :

- lorsqu’ils interviennent sur une parcelle, ils réalisent eux-mêmes la dépose et la repose du ou des pièges ;

- si une succession d’opérations est prévu sur une même parcelle, une zone d’évitement pouvait être créée, par exemple, lors d’une fauche, le foin est rejeté de part et d’autre du piège, ce qui évite que lors des interventions suivantes il se trouve sur le passage des outils ;

- si un incident ou une anomalie est constaté par les chauffeurs ou les animaliers sur un piège, ils me préviennent pour que je puisse intervenir si nécessaire.

Sur les parcelles des agriculteurs Auprès de l’agriculteur, j’ai également multiplié les contacts, je note chacune de ses interventions aux champs et je lui demande des précisions lors de mon passage, pour obtenir des renseignements précis sur son itinéraire technique. J’informe toutes les personnes susceptibles d’intervenir sur les parcelles à chaque début d’installation des pièges et lors du démontage, car comme je l’ai mentionné précédemment les fanions sont toujours le point faible du dispositif. L’ensemble des pots est vidé et les captures sont mises dans l’alcool le lendemain de la récolte. Il peut ainsi se passer une longue période entre la récolte et le comptage sans risquer de dégradation des prises (photo 3).

Photo 3 : mise dans l’alcool des prises © Claire Thiery / Inra

Numéro spécial 2007 67

Page 62: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

Conclusion Les diverses adaptations que j’ai apportées au piège et aux conditions de piégeage, m’ont permis de gagner en confort et en temps de travail lors des récoltes. Je me suis efforcé à chaque fois que j’ai effectué une transformation sur les pièges mais également lors des opérations de comptage, que je n’ai pas exposées ici, d’utiliser des techniques et des matériaux simples pour pouvoir reproduire facilement ces évolutions et à des coûts peu élevés. Je pense également très important de bien présenter en amont les implantations aux personnes concernées et de définir les rôles de chacun. Il me reste aujourd’hui à résoudre le problème du balisage des pièges. Pour tout renseignement ou suggestion me contacter [email protected]. Bibliographie Foissy Damien (2007) Mesurer les effets des pratiques culturales sur la biodiversité

faunistique ; conception et mise en œuvre d’une méthode d’échantillonnage in Techniques et pratiques de recueil de données in situ. Le regard des techniciens sur leur métier. Le cahier des techniques de l’Inra 55-62.

Le Cahier des Techniques de l’Inra 68

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Utiliser une méthode de relevés floristiques sur les bordures de champ

Recommandations pour optimiser la fiabilité des données

Jean-Luc Roger36

Résumé : Le maintien d’espèces forestières ou de prairies permanentes représente le principal enjeu de la biodiversité des bordures de champ. Leur enrichissement en espèces adventices, dû à des pratiques de gestion perturbantes, est donc à éviter. Pour évaluer l’état écologique de ces bordures, nous utilisons une méthode de relevés floristiques basée sur des critères scientifiques complexes en assurant à l’utilisateur une facilité de mise en œuvre. Si cet « indicateur flore » semble accessible au plus grand nombre, il n’en reste pas moins qu’une fois sur le terrain, le technicien devra s’adapter à la diversité de situations parfois atypiques. Grâce à cette capacité d’adaptation et de compréhension du milieu, le notateur s’approchera de l’erreur zéro et fiabilisera les données recueillies. Après leur enregistrement et leur analyse, nous obtiendrons une photographie précise de l’impact des modes de gestion sur la biodiversité floristique d’un territoire agricole. Mots clés : bordures de champs, indicateur flore, haie, talus, stade phénologique, adventice

Germandrée des bois (Teucrium scorodonia L.) Photo © Jean-Luc ROGER / Inra

Introduction Les enjeux scientifiques de mon unité, SAD Paysage du centre Inra de Rennes, se rapportent en particulier à la description des processus écologiques dans des structures paysagères variées, avec des pratiques différentes de production et d’entretiens agricoles. Dans les régions à faible surface en forêt et prairies permanentes comme l’ouest de la France, les bordures de champ sont les principaux éléments non cultivés du paysage. Les talus, les haies jouent un rôle important dans la conservation des espèces végétales et animales sauvages. Depuis plusieurs années, l’emploi de certaines techniques de gestion sur ces bordures a 36 Inra SAD Paysage – 65 route de Saint Brieuc – 35042 Rennes Cedex

02 23 48 57 71 [email protected] - SAD = sciences pour l’action et le développement

Numéro spécial 2007 69

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

provoqué la diminution, voire la disparition de plantes vivaces de ces milieux, et par conséquent a favorisé une colonisation par des plantes dites adventices. Ces techniques perturbantes, comme par exemple l’utilisation régulière de désherbant chimique, ont souvent été à l’origine d’une perte de biodiversité (Le Cœur et al. 1997 et Le Cœur et al. 2002). Le SAD Paysage s’est donné l’objectif de doter les techniciens, les conseillers agricoles et les enseignants d’une méthode d’évaluation de l’état écologique des bordures de champ basée sur une technique de relevés floristiques simple et sûre (Ferchaud 2004, Abiven 2005 et Le Cœur et al. en préparation). Après avoir construit un échantillon représentatif du territoire que l’on souhaite évaluer, ils bénéficient d’un outil d’une part, pour avoir une représentation fine de l’état écologique des bordures à un moment précis, et d’autre part, pour en comprendre son évolution. Toutefois, son usage sur le terrain laisse la place à l’adaptation du technicien du fait d’un environnement parfois changeant, voire imprévu. C’est cette expérience que j’aimerais partager avec vous. 1. Les bordures de champ : de quoi parle t-on ? Les bordures de champ sont associées à des inters champs représentant la totalité de l’espace non cultivé entre deux parcelles adjacentes. L’inter champ est donc un élément linéaire du paysage et comprend deux côtés différents appelés bordures de champ. L’inter champ n’est pas uniquement caractérisé par l’espace entre deux parcelles agricoles mais il correspond aussi à l’espace se situant entre une parcelle agricole et une route, un chemin, un bois, un cours d’eau,…

10 années d’études pour un indicateur - De 1993 à 1996 : Etude exhaustive de la végétation des bordures pour identifier les principaux facteurs influençant la composition floristique (Le Cœur et al. 1997). Les analyses résultant de cette première étape ont montré que les espèces végétales qui répondent très bien aux gradients de luminosité, de fertilité des sols et de perturbation traduisent les effets de la diversité de structure et de gestion des bordures. - De 1997 à 2001 : Mise au point et test d’une liste floristique restreinte à 41 plantes pour alléger la tâche de recueil de données et représentant au mieux les gradients. Cette méthode a permis de vérifier les résultats de l’étude précédente dans une grande diversité de situation (Raitière 2002). - De 2002 à 2004 : Construction d’un outil d’évaluation des bordures de champ par la constitution d’une liste de 31 plantes traduisant l’influence de la structure des bordures et des activités agricoles qui les affectent (Ferchaud 2004, Abiven 2005 et Le Cœur et al. en préparation). 2. L’indicateur flore Il est composé de 31 plantes sélectionnées en fonction de critères scientifiques et de facilité d’utilisation de la méthode :

Critères scientifiques du choix des espèces : - qu’elles représentent une répartition équilibrée en espèces forestières, prairiales et

adventices ; - qu’elles traduisent au mieux l’influence des variables de structure et de gestion sur la

composition floristique ; - qu’elles soient ni trop fréquentes, ni trop rares et présentes sur un vaste aire géographique.

Le Cahier des Techniques de l’Inra 70

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Critères pratiques et techniques du choix des espèces : - qu’elles soient peu nombreuses ; - qu’elles soient aisément repérables ; - qu’elles soient facilement identifiables et durant une période la plus longue possible.

Chaque espèce est considérée comme présente dès l’observation d’au moins un individu. La notation ne prend donc pas en compte des critères d’abondance, mais elle est basée uniquement sur la présence ou l’absence de chaque espèce. En fonction de la proportion de chaque groupe de plantes : forestières, prairiales et adventices (photos 1), il sera facile de définir des types de bordures de champ et d’obtenir ainsi, une représentation de l’état écologique d’un territoire. En effet, les différentes espèces végétales caractérisent des environnements susceptibles d’accueillir une grande diversité d’espèces animales, et permettent la mise en évidence de modalités de gestion perturbatrices.

Espèce forestière Viola riviniana Rchb

Espèce prairiale Ranunculus repens L

Espèce adventice Lapsana communis L.

Photos 1 : exemples d’espèces de chaque groupe © Jean-Luc ROGER / Inra 3. Techniques de terrain pour améliorer la qualité des relevés et la fiabilité

des données 3.1 Choisir le positionnement optimal de la zone de relevé Par mon expérience de terrain, j’ai pu voir qu’un guide explicatif de la méthode ne peut pas se limiter à un schéma général décrivant le positionnement de la zone de relevé tant au niveau de sa longueur que de sa largeur. Il est donc nécessaire d’alerter le futur utilisateur sur la diversité des situations. Bien que non exhaustifs, les exemples qui suivent ont pour objectif de montrer qu’il faut s’accorder un moment de réflexion avant de trancher sur les limites à considérer pour les zones de relevés.

3.1. a La longueur de la zone de relevé Le relevé se fait sur une longueur de 25 mètres continus. Dans un premier temps, le notateur se place face à la bordure avec une trentaine de mètres de recul pour que la zone de relevé choisie soit la plus représentative de la physionomie générale de la bordure de champ. Ensuite, il faut mesurer la zone de relevé grâce à un mètre et matérialiser ses extrémités par des jalons.

Numéro spécial 2007 71

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

Les schémas en vue latérale ci-dessous montrent différents cas de figure en indiquant pour chaque exemple, le positionnement optimal de la zone de relevé au niveau de sa longueur :

- 1er cas : cas général présenté dans le guide méthodologique. Il s’agit d’une bordure de champ homogène avec haie continue sur talus (figure 1). La zone de relevé sera positionnée approximativement au milieu de la bordure car c’est ici qu’on enregistre le mieux les perturbations en provenance des activités agricoles. Cet espace correspond au meilleur compromis entre l’entrée de champ et la zone d’intersection des bordures. En effet, les entrées de champ sont des secteurs où les perturbations mécaniques peuvent être importantes, tandis qu’au niveau des zones d’intersections, le microclimat est un peu plus forestier et les perturbations liées à l’activité agricole y sont moindres.

Entrée de champ

25 mètres

Figure 1 : bordure de champ homogène avec haie continue sur talus

- 2ème cas : bordure de champ hétérogène avec une partie boisée et l’autre sans arbre (figure 2). La partie boisée présente une flore de type forestier, alors que la partie sans arbre est plutôt de type prairial. Le positionnement de la zone de relevé devra prendre en compte cette hétérogénéité, le centre de la zone de relevé se situera au niveau du changement d’état. On ne fera donc qu’un seul relevé, car il ne s’agit pas de deux bordures différentes. Il est probable qu’autrefois l’ensemble était boisé.

Entrée de champ

25 mètres

Figure 2 : bordure de champ hétérogène à deux parties distinctes

- 3ème cas : bordure de champ hétérogène avec talus interrompu par des trouées (figure 3). Les trouées font partie de l’état de cette bordure. Il faudra donc les intégrer dans la zone de relevé en proportion de leur fréquence, car ces trouées ont une incidence sur l’état écologique de la bordure.

Entrée de champ

25 mètres

Figure 3 : bordure de champ hétérogène avec talus interrompu par des trouées

Le Cahier des Techniques de l’Inra 72

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

3.1. b La largeur de la zone de relevéLa largeur de la zone de relevé est très variable car elle dépend du type d’inter champ. Dans certains cas, cette largeur n’est pas toujours facile à déterminer car la bordure est composée de plusieurs éléments comme par exemple un talus et un fossé. Afin de statuer sur la largeur à prendre en compte, il suffit de se rappeler que nous nous intéressons en priorité aux zones les plus au contact des pratiques de gestion des bordures et des parcelles attenantes. Les schémas en vue de profil ci-dessous illustrent la diversité de situations.

Cas d’un talus seul ou d’un talus avec fossé (figure 4)

a = Bordure de champ côté culture : la largeur de relevé sera de la raie de labour en haut du talus

b = Bordure de champ côté prairie : la largeur de relevé sera du bas du talus en haut du talus

c = Bordure de champ côté prairie : la largeur de relevé sera du bas du fossé en haut du fossé

d = Bordure de champ côté bois : la largeur de relevé sera du bas du talus en haut du talus

Prairie permanenteTalus + fossé = inter-

champCulture avec labour

Raie de labour

Talus = inter-champBois

a b c d

a = Bordure de champ côté culture : la largeur de relevé sera de la raie de labour en haut du talus

b = Bordure de champ côté prairie : la largeur de relevé sera du bas du talus en haut du talus

c = Bordure de champ côté prairie : la largeur de relevé sera du bas du fossé en haut du fossé

d = Bordure de champ côté bois : la largeur de relevé sera du bas du talus en haut du talus

Prairie permanenteTalus + fossé = inter-

champCulture avec labour

Raie de labour

Talus = inter-champBois

a b c d

Figure 4 : largeur des zones de relevé quand talus seul ou avec fossé

Cas d’un talus avec rupture de pente ou d’une bande à plat (figure 5)

Figure 5 : largeur des zones de relevé quand talus avec rupture de pente ou bande à plat

Culture avec labour Prairie permanenteTalus de rupture de pente

= inter-champ

a = Bordure de champ côté culture : la largeur de relevé sera de la raie de labour à la moitié de la pente b = Bordure de champ côté prairie : la largeur de relevé sera du bas du talus à la moitié de la pente c = Bordure de champ côté prairie : la largeur de relevé sera de la clôture au milieu de l’inter-champ d = Bordure de champ côté culture : la largeur de relevé sera de la raie de labour au milieu de l’inter-champ

Raie de labour Clôture

Bande à plat = inter-champ

Culture avec labour

a Raie de labour b c d

Numéro spécial 2007 73

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

3.2 Bien se déplacer dans la zone de relevé et comment observer ? Placé au pied du talus ou au fond du fossé, le notateur va balayer avec les yeux la zone de relevé de haut en bas comme le montre la figure 6. Pourquoi procéder de cette manière ? Les trois groupes de plantes à relever ne sont pas distribués de la même manière sur l’ensemble de la hauteur du talus. D’une manière générale, les adventices et les prairiales se situeront dans la partie inférieure du talus, et les forestières dans la partie supérieure.

Figure 6 : Positionnement du notateur et méthode d’observation Dans le cas d’une bande à plat, il est préférable de se positionner au centre de la zone de relevé et d’effectuer, durant le déplacement, un balayage visuel en sinusoïdes. Premièrement, il n’est pas judicieux de se positionner sur un des côtés de la bande à plat, car la visibilité des plantes situées sur le côté opposé sera mauvaise. Deuxièmement, pour des raisons similaires au cas d’un talus, la distribution des groupes de plantes est souvent différente.

3.3 Rester vigilant par rapport aux stades phénologiques des espèces D’une manière générale, la période d’utilisation de la méthode s’étale de mi-avril à mi-juillet, mais il faut rester vigilant à l’évolution de la phénologie des espèces : - les espèces changent de stade phénologique au cours du temps et parfois rapidement ; - le stade phénologique est souvent différent d’une espèce à l’autre à un même moment ; - pour une même espèce, il peut être différent d’un lieu à un autre au même instant. 3.3. a Evolution de la phénologie des espèces dans le temps Les espèces à reconnaître ne seront pas toutes en floraison à un temps t de la période requise pour utiliser la méthode. Par exemple, il est très commun début mai que l’ensemble des Stellaria holostea L. (espèce forestière) soit en pleine floraison alors même qu’Epilobium tetragonum L. (espèce adventice) n’est qu’au stade plantule. Ces différences phénologiques peuvent conduire le notateur à faire des oublis ou des erreurs de reconnaissance et ceci est d’autant plus vrai que l’espèce à l’état de plantule est peu abondante. Il y a donc ici un risque de sous estimation du groupe des adventices.

Sens de déplacement

Talus = inter champ

observation

Le Cahier des Techniques de l’Inra 74

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

3.3. b Hétérogénéité du stade phénologique de chaque espèce dans l’espaceA un temps t et sur un petit territoire de quelques hectares, il est probable qu’en fonction des différentes orientations des zones de relevés et de la diversité des pratiques de gestion des bordures, il y ait une forte hétérogénéité du stade phénologique pour une espèce donnée. Par exemple, j’ai pu observer que pour 20 relevés successifs, Lapsana communis (espèce adventice) était abondante et en pleine floraison, alors qu’au vingt et unième relevé on la retrouvait au stade plantule. En s’habituant au départ à voir cette espèce à un stade phénologique précis, il y a un risque qu’elle nous échappe si plus loin son état est bien différent.

3.4 Prévoir le temps nécessaire pour effectuer les relevés Après avoir acquis les compétences nécessaires pour bien reconnaître les 31 espèces à identifier, le notateur doit passer environ 15 minutes par relevé. Ce temps moyen sera réévalué à la hausse ou à la baisse selon la complexité du territoire à analyser. A titre d’exemple, il m’a fallu douze jours pour effectuer 424 relevés lors d’une campagne d’observation réalisée en mai et juin 2007 sur la communauté de communes de Pleine-Fougères en Ille et Vilaine.

3.5 Etre attentif dans les cas de forte densité de végétation ou de forte dominance d’une espèce

Quand la végétation est dense, le notateur doit redoubler d’attention pour éviter d’oublier des espèces au stade plantule et/ou à faible abondance. Pour cela, il devra réduire sa vitesse d’avancement et utiliser un bâton pour écarter les plantes dominantes ou phénologiquement plus avancées. Dans le cas où une espèce est prédominante, là encore, le notateur devra être plus vigilant. En effet, la tendance générale est de rechercher principalement les espèces du même groupe. Par exemple, si Galium aparine L. (espèce adventice) couvre 80% de la surface de la zone de relevé, le risque est de se concentrer essentiellement sur le groupe des adventices et par conséquent de surestimer ce groupe par défaut de repérage des espèces forestières ou prairiales.

4. Mode d’enregistrement des données Sur le terrain, je recueille les données sur une fiche de relevés où est préalablement imprimée la liste des espèces à reconnaître. Les plantes sont regroupées par type (forestières, prairiales et adventices), facilitant ainsi une lecture rapide des données brutes. De retour au laboratoire, j’enregistre les données à l’aide de formulaires d’une base de données Access nommée Paysagri (Chevallereau M., 2007). 5. Illustration de résultats de données et mise en évidence de situations

extrêmes 5.1 Différences de flore pour un ensemble d’inters champs ayant systématiquement une

bordure côté chemin ou route et une bordure côté parcelle agricole

Les histogrammes de la figure 7 mettent en évidence que les bordures du côté d’un chemin ou d’une route n’ont pas la même composition floristique que celles qui jouxtent des parcelles agricoles. Pourquoi cette différence alors que les bordures des deux côtés se touchent ? Cela s’explique par des différences de pratiques de gestion. Du côté chemin ou route, les communes désherbent avec des techniques mécaniques (épareuse à rotors), alors que du côté

Numéro spécial 2007 75

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

des parcelles, il n’est pas rare que les agriculteurs utilisent des méthodes chimiques mettant à nu la bordure en favorisant ainsi l’installation des adventices. De plus les techniques culturales employées, en particulier sur les cultures céréalières, contribuent à accentuer ce phénomène par débords de produits phytosanitaires ou par des perturbations mécaniques.

comparaison entre bordures côté champ et côté chemin

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

espèces forestières+prairiales espèces adventices

pour

cent

age

d'es

pèce

s

côté champcôté chemin

Figure 7 : Comparaison entre bordures côté champ et côté chemin

5.2 Type d’espèces en fonction du taux de recouvrement arborescent et arbustif La figure 8 ci-dessous montre, premièrement, que plus l’ambiance de la bordure s’apparente à celle d’une forêt et plus le pourcentage d’espèces forestières augmente et inversement le pourcentage d’espèces prairiales diminue ; deuxièmement, elle montre que l’installation des adventices sur les bordures n’est pas corrélée avec le taux de recouvrement arborescent et arbustif. Leur implantation est dépendante de pratiques de gestion perturbantes. Les adventices sont ainsi susceptibles de s’installer en ambiance prairiale ou forestière.

forestières et recouvrement

R2 = 0,96

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

0 20 40 60 80 100

% recouvrement arborescent + arbustif

% fo

rest

ière

s

prairiales et recouvrement

R2 = 0,97

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

0 20 40 60 80 100

% recouvrement arborescent + arbustif

% p

rairi

ales

adventices et recouvrement

R2 = 0,51

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

0 20 40 60 80 100

% recouvrement arborescent + arbustif

% a

dven

tices

Figure 8 : Relation entre types d’espèces et taux de recouvrement

Le Cahier des Techniques de l’Inra 76

Page 71: Cheminement de recueils de donnes in situ afin de mettre en place

Techniques et pratiques de recueil de données in situ

5.3 Relation entre adventices sur bordures et fréquence de la prairie sur 10 ans de succession (figure 9)

Lorsque la place de la prairie est importante sur dix années de succession culturale, nous pouvons observer que le pourcentage d’adventice est faible. En effet, l’usage de désherbants chimiques sur les bordures de prairie est rare et souvent localisé uniquement au dessous des clôtures. A l’inverse, les traitements sont plus fréquents sur les bordures des parcelles dédiées principalement à des cultures annuelles comme indiqué dans le commentaire de la figure 7.

corrélation % adventices/succession prairie (% sur 10 ans)

R2 = 0,97

0

10

20

30

40

50

60

70

0 20 40 60 80 100

% prairie sur 10 ans

% a

dven

tices

Figure 9 : Relation entre % d’adventices et fréquence de la prairie sur 10 ans

5.4 Mise en évidence de situations extrêmes sur un petit secteur géographique de 13 ha : relation avec les pratiques d’entretien des bordures de champ

La figure 10 montre très bien qu’il est possible d’avoir, sur un petit secteur de 13 ha, deux groupes de bordures de champ très différents. En effet, en pourcentage le groupe de bordures de la zone à prairies (n=9) a 4,4 fois moins d’adventices que le groupe de bordures de la zone régulièrement ensemencées en céréales ou maïs (n=9). Ainsi, la méthode de relevé floristique que nous utilisons, permet de montrer, que l’état écologique des bordures est parfois très variable pour un petit secteur où le paysage apparaît globalement identique.

47,6 39,8

12,6

24,2

20,5

55,3

0

10

20

30

40

50

60

70

80

% forestières % prairiales % adventices

pour

cent

age

d'es

pèce

s

zone à prairies zone à cultures

Figure 10 : Relation entre état écologique de 2 groupes de bordures et type de culture

Numéro spécial 2007 77

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

Conclusion Grâce à une méthode de relevés floristiques, il est aujourd’hui possible dans les paysages anthropiques, de montrer l’impact des pratiques d’entretien sur la biodiversité. L’évolution d’un état forestier et prairial vers un état adventice détériore la qualité de l’habitat et de l’alimentation des espèces animales hôtes. Même si ces techniques d’observations et d’analyses ont été éprouvées et testées à grande échelle, il existe un risque de se faire influencer par la perception d’un milieu que l’on croit connaître. Par conséquent, l’utilisateur de la méthode devra avoir un regard critique pour ajuster le cadre général à des situations parfois particulières. En effet, il pourra être amené à s’adapter pour optimiser le positionnement de la zone de relevé et trouver la technique idéale d’observation pour bien repérer l’ensemble des espèces à rechercher. Aussi, quand la phénologie des espèces évolue dans le temps et dans l’espace, ou lorsque la bordure est colonisée par une espèce dominante, le notateur sera contraint de s’imposer une plus grande vigilance. Les personnes travaillant sur des observations écologiques agissent souvent dans un contexte changeant. De ce fait, ils sont confrontés à faire des choix qui, par la suite, doivent être présentés et argumentés. On appelle cela le savoir-faire. Mais est-ce suffisant ? Un protocole bien défini et bien compris, un guide méthodologique accessible au plus grand nombre, et la capacité d’adaptation du technicien forment le trio indispensable pour que la qualité des relevés et la fiabilité des données soient au rendez-vous. Bibliographie Abiven J. (2005) Evaluation écologique des bordures de champ et de leur gestion :

contribution à la validation et à l’opérationnalisation d’une méthode de diagnostic. Mémoire de fin d’études, licence professionnelle Partager, Université de Rennes 1.

Chevallereau M. (2007) Paysage et biodiversité. Gestion des données pour traiter l’évolution des objets de recherche dans le temps et l’espace in Techniques et pratiques de recueil de données in situ ; Le regard des techniciens sur leur métier, Le Cahier des Techniques de l’Inra. pp. 87-93

Ferchaud F. (2004) Contribution à une méthode d’évaluation écologique et technique de la gestion des bordures de champs en exploitation agricole. Mémoire de fin d’études, ESA Angers.

Le Cœur D., Baudry J., Burel F. (1997) Field margins plant assemblages: variation partitioning between local and landscape factors. Landscape and Urban Planning 37, 57-71.

Le Coeur D., Baudry J., Burel F., Thenail C. (2002) Why and how we should study field boundary biodiversity in an agrarian landscape context. Agriculture, Ecosystems and Environment 89, 23-40.

Le Coeur D., Thenail C., Fargue A., Ferchaud F., Novak M. (in preparation) Evaluating the ecological state of field margins according to environmental and management conditions: the flora-based indicator IFEBO. Sera soumis à Ecological indicators.

Raitière W. (2002) Test d’une méthode simplifiée d’évaluation de la biodiversité des haies. Mémoire de fin d’études, ESA Angers.

Le Cahier des Techniques de l’Inra 78

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

L’inventaire des oiseaux nicheurs par la méthode des points d’écoute dans les paysages agricoles

Regard d’un ornithologue

Laurent Raison37

Résumé : Les communautés d’oiseaux nicheurs sont connues pour être des indicateurs dans le temps des transformations des paysages agricoles. En 1982, dans la petite région naturelle des Coteaux de Gascogne au sud-ouest de Toulouse une équipe du département sciences pour l’action et le développement (SAD) du centre Inra de Toulouse avait réalisé un inventaire de ces populations d’oiseaux. Afin de mesurer l’évolution des effectifs et de la répartition de ces oiseaux sur ce même territoire, nous avons mis en place, 25 ans plus tard, une nouvelle campagne de recensement durant le printemps 2007. Nous avons, pour cela utilisé la même technique d’inventaire : la méthode des points d’écoute. C’est une méthode classique et éprouvée, connue de tous les ornithologues ; elle est adaptée aux paysages agricoles, reproductible et donne des résultats fiables. Toutefois, cette fiabilité reste tributaire, dans un environnement complexe, d’une bonne gestion de sa mise en œuvre, d’une planification rigoureuse, de la pertinence des documents cartographiques et, surtout, de l’expérience et du savoir-faire des ornithologues. Mots clés : oiseaux, chant, points d’écoute, Coteaux de Gascogne, ornithologue, positionnement, expérience.

Photo 1 : les Coteaux de Gascogne © Jérôme Willm / Inra

37 UMR Inra/INP-ENSAT-DYNAFOR, Dynamiques forestières dans l’espace rural-BP 52627 31326 Castanet-Tolosan 05 61 28 54 86 [email protected]

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Un jour sur le terrain

Vendredi 11 mai 2007, 05h20mn. Tout le monde est debout et se prépare en silence, sauf la cafetière qui pétarade. Bientôt la bonne odeur du café passe et se répand dans le gite rural ; Philippe a fait du café bien fort, comme d’habitude. Gérard me demande si j’ai jeté un œil dehors : -« Quel temps fait-il ce matin ? - Ça a l’air sympa avec un peu de brume ». Cette année, le mois de mai semble parti sur le froid et la pluie, ce n’est pas très bon pour recenser les oiseaux chanteurs. Est-ce qu’on aura assez de jours favorables pour tout faire ? Est-ce que j’ai bien planifié la campagne ? Est-ce que nous sommes assez nombreux, est-ce que l’un de nous va abandonner en cours de campagne ? J’ai a priori tout prévu et envisagé mais la météo de ce début de mois me fait douter. Philippe, Gérard, Marc et moi déjeunons rapidement. Nous devons rejoindre chacun notre 1er point d’écoute au lever du jour ; aujourd’hui ça commence à 06h05mn. Ciré, bottes, jumelles 10x40 pour un bon compromis grossissement/ouverture, bâton très utile pour traverser ronciers, clôtures électrifiées ou non, et dissuasif contre les chiens méchants ou trop curieux, planchette avec fiches de saisies et documents cartographiques plus un guide de terrain, le guide ornitho (Svensson et al, 1999): c’est l’équipement de l’ornithologue. On se sépare en 2 groupes. Il fait encore nuit. Je dépose Philippe près de son 1er point et je file doucement vers le mien. J’avance un peu comme un voleur, sur le chemin pour ne pas réveiller les chiens de la ferme voisine ; alors j’éteins les phares, puis le moteur et je laisse la voiture glisser sur son inertie jusqu’à l’arrêt. Je me repère grâce au plan, à la photographie aérienne et j’observe le paysage qui se découvre avec le jour naissant. Je me dirige doucement vers mon point de station en longeant une haie bordant une prairie puis je m’éloigne de la haie de 50 m dans la prairie humide. Il est 06h11mn, je délimite et m’approprie une surface de 100 m de rayon autour de moi à l’aide des documents cartographiques puis je respire bien fort, je me concentre, je disparais : je suis à l’écoute… et c’est le chant mélancolique et monotone de la grive draine (Turdus viscivorus) qui domine le concert avec celui de la fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) puis je perçois les chants de 2 pipits des arbres (Anthus trivialis) et d’un bruant zizi (Emberiza cirlus)… 20 minutes se sont écoulées, je pars vers les 7 points restants … En fin de matinée, je rencontre un agriculteur qui se demande ce que je peux bien faire ici. Je lui explique que nous sommes en train de recenser les oiseaux de la région, je lui montre mes fiches terrain, je lui explique comment on reconnaît les oiseaux par le chant. Il me demande où se cache le micro pour enregistrer, je lui dis qu’avec l’oreille c’est plus performant car il n’y a pas mieux que le cerveau pour « isoler » un chant dans un concert où s’entremêlent de nombreux chants. Pour lui, il y a beaucoup moins d’oiseaux qu’avant, surtout les cailles et les alouettes par contre qu’est-ce qu’il y a comme buses, des blanches, des noires, des à queue fourchue ! Bon, bon, il me quitte parce que, lui, il a du travail… A midi, on se retrouve tous les quatre au gîte. L’après-midi est consacrée à la vérification et à la saisie des données sur PC et à la préparation de la journée du lendemain. Je répartis à chacun son lot de points et de documents cartographiques.

Encadré 1

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Introduction Les communautés d’oiseaux nicheurs sont bien connues et adaptées pour être des indicateurs de suivi dans le temps des transformations des paysages agricoles. Les ornithologues de l’UMR Dynamiques forestières dans l’espace rural de Toulouse le savent bien, eux qui suivent depuis plus de 25 ans l’évolution de l’avifaune sur le même territoire, avec pour objectif de modéliser les relations oiseaux/milieu (Courtiade, 1991). Les relevés ornithologiques réalisés à cet effet s’appuient sur la méthode des points d’écoute : la méthode des Echantillonnages Ponctuels Simples (EPS) mise au point par Spitz en 1974. On peut ainsi détecter et positionner les oiseaux dans leur milieu grâce à leur chant, au printemps, pendant la saison de reproduction.

En 1982, les ornithologues du SAD de Toulouse ont recensé les oiseaux de la petite région naturelle des Coteaux de Gascogne (photo 1) au sud-ouest de Toulouse. Au printemps 2007, soit 25 ans plus tard nous avons refait des relevés sur le même territoire. En tant que responsable de l’organisation de la campagne 2007, la particularité et la difficulté de mon travail a été de veiller à réunir toutes les conditions nécessaires à la fiabilité des résultats : m’assurer que l’ensemble des observations soit réalisé dans le temps limité par les pics d’activité vocale printaniers et journaliers des oiseaux ; veiller à ce que les relevés soient effectués précisément sur les mêmes points qu’il y a 25 ans ; enfin, trouver des ornithologues expérimentés et aguerris à la méthode des EPS. C’est ce long cheminement qui conduit à la réussite d’une campagne ornithologique que je veux partager avec vous ici. Préparation de la campagne ornithologique du printemps 2007 Jeudi 21 septembre 2006. Réunion de l’équipe « Biodiversité et fragmentation des habitats forestiers » : une campagne ornithologique est programmée pour 2007. Je suis chargé de préparer et de coordonner cette campagne, sur un territoire déjà exploré il y a 25 ans : la région naturelle des coteaux de Gascogne à 70 km au sud-ouest de Toulouse, en utilisant le même protocole et la même méthode des points d’écoute. 1. La méthode des points d’écoute : c’est cui cui chante? Pour dénombrer les oiseaux dans leur milieu, nous utilisons dans l’équipe, depuis 25 ans, une méthode classique, standardisée, qu’on appelle les échantillonnages ponctuels simples ou EPS ; elle a été mise au point par Spitz en 1974. Elle consiste, pour l’observateur, à rester stationnaire pendant 20 minutes exactement et à noter tous les oiseaux qu’il entend ou voit, posés ou en vol dans un rayon autour de lui que nous avons fixé à 100 mètres pour cette campagne (encadré 1).

Les points d’écoute sont réalisés une seule fois en période de nidification. La période idéale dans la région des Coteaux de Gascogne correspond à la période qui s’étend du 8 mai au 5 juin, période pendant laquelle les migrateurs tardifs sont arrivés et les nicheurs précoces sont encore actifs. Ici, c’est l’arrivée de migration du pie grièche écorcheur (Lanius collurio) qui donne le signal de départ de la campagne ornithologique. Les relevés commencent au lever du jour jusqu’à 10h voire 11h, heure à laquelle la majorité des espèces cesse de chanter.

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Nous notons les relevés des oiseaux rencontrés au verso d’une fiche terrain (Balent, 1981) qui se présente sous la forme d’un graphique en forme de cible pour faciliter la prise de notes (figure 2) : le centre est occupé virtuellement par l’observateur qui symbolise le point de station ; le temps d’écoute est découpé en 4 fractions de 5 minutes matérialisées par des cercles. Durant ces 20 minutes, nous notons toute rencontre avec un oiseau en distinguant les chanteurs des oiseaux vus ou criants ; dans le doute sur l’identité de l’oiseau, nous ne noterons pas le contact car une omission affectera moins le résultat qu’une erreur d’identification.

Chaque ornithologue a ses notations personnelles ou ses abréviations pour chaque oiseau, l’essentiel étant d’utiliser la bonne codification lors du remplissage du tableau ; un oiseau est répertorié par la 1re lettre du genre et les 3e lettres de l’espèce du nom scientifique par exemple : la mésange charbonnière = Parus major devient, codé : pmaj. Nous comptabilisons ensuite les individus dans le tableau. Ainsi un mâle chanteur, qui représente un couple est codé 2 et un oiseau criant est noté 1. Nous obtenons ainsi pour chaque station, la liste des espèces contactées et un nombre d’individus.

Au recto de la fiche (figure 1), nous décrivons le milieu environnant le point d’écoute dans un rayon de 100 m ; un relevé détaillé du milieu est effectué et synthétisé par un croquis précis du parcellaire et de l’occupation du sol. En complément du dessin, des renseignements quantitatifs comme les dimensions des différents éléments du paysage sont aussi notés dans des tableaux.

Figure 1 : recto fiche terrain Figure 2 : verso fiche terrain

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

2. La planification de la campagne : elle commence quand ? Janvier 2007. Quand on veut prospecter sur un grand territoire dans un temps imposé, il est important de planifier la répartition des points en fonction des moyens humains disponibles et des impondérables liés aux conditions climatiques ou au désistement d’un observateur ou encore à une panne de voiture.

Pour évaluer le temps et les moyens humains disponibles pour réaliser la campagne ornithologique prévue en mai c’est délicat car tous les relevés écologiques (oiseaux, plantes, insectes…) se bousculent au printemps. Nous sommes trois ornithologues confirmés dans l’équipe pour l’écoute des oiseaux. Je me renseigne auprès de Gérard et de Marc sur leurs disponibilités pour le mois de mai…et mauvaise nouvelle, ça ne sera pas possible de boucler les 256 points d’écoute à trois, avec nos emplois du temps respectifs. Je dois impérativement recruter un ornithologue, expérimenté et déjà familiarisé avec ce travail. Nous avons de la chance, Philippe est disponible en mai et il a déjà travaillé dans l’équipe il y a quelques années.

J’ai programmé la campagne du 7 au 25 mai, période de nidification, idéale comme nous l’avons vu au paragraphe 1. Nous serons quatre pour 3 semaines à raison de 8 à 10 points par jour, ce qui nous laisse quelques jours de réserve pour gérer les impondérables comme le mauvais temps.

Il ne me reste plus qu’à trouver un hébergement au cœur du dispositif, un gîte rural serait idéal, et à prévenir la population concernée par un courrier adressé aux mairies, sans omettre d’envoyer les numéros d’immatriculation des voitures à la gendarmerie du canton car les habitants deviennent de plus en plus méfiants à l’approche d’une voiture à 6h du matin…

Photo 2 : Technicien réalisant un point d’écoute © Marc Deconchat/ Inra

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3. la localisation géographique précise de l’observateur : il est perdu ? Vendredi 16 mars 2007. J’ai rendez-vous avec Sylvie, l’ingénieur responsable du Système d’Information Géographique. Le SIG est aujourd’hui un outil bien adapté pour nous aider à réaliser, à informatiser et à pérenniser des éléments indispensables au bon déroulement des observations, comme les documents cartographiques suivants : carte générale du site, scan topographique de l’IGN, photographie aérienne en couleurs avec les points d’écoute géo référencés (photo 3). Il est important pour l’ornithologue de se positionner précisément sur le terrain, de bien visualiser et de délimiter la zone dans laquelle il va dénombrer les oiseaux et décrire le milieu. C’est d’autant plus essentiel que les points d’écoute sont réalisés au même endroit à des dates différentes pour comparer la composition de l’avifaune.

Photo 3 : points d’écoute sur photo aérienne Photo source IGN BD ortho 2002/Inra

4. l’expérience de l’ornithologue : de « grandes » oreilles ? Vendredi 13 avril 2007. La reconnaissance des chants d’oiseaux peut poser des problèmes pour un observateur non expérimenté. Il est important et nécessaire avant d’entreprendre ce type de travail, d’avoir déjà une expérience acquise sur le terrain et d’avoir partagé son vécu avec d’autres ornithologues. S’exercer l’oreille sur CD ou K7 ne suffit pas, notamment pour éviter le piège des imitations, des variations ou modulations dans les chants dans une ambiance in situ. Chez certaines espèces, il est parfois difficile de différencier les cris ou

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

chants parce qu’ils sont nombreux et ressemblants, par exemple la mésange bleue (Parus cæruleus) et la mésange charbonnière (Parus major). Même si nous travaillons avec un rayon d’écoute de 100 m, qui est une bonne distance pour éviter les erreurs concernant la détectabilité des chants, il reste des espèces difficilement audibles avec des chants très fins, suraigus, émis hauts dans les arbres comme celui du roitelet triple bandeau (Regulus ignicapillus). Les problèmes concernent aussi le travail en milieu hétérogène dans du bocage et dans une région vallonnée comme celle des Coteaux de Gascogne (photo 1), la diffusion du chant n’est pas identique dans toutes les directions ; les haies, les bosquets constituent autant d’obstacles au son ; par exemple, si l’ornithologue est placé sur le versant d’un coteau, il peut « ignorer » les chants des oiseaux au-delà de la crête. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à se déplacer pour s’affranchir de l’obstacle. Gérard a plus de 25 ans d’expérience de reconnaissance des chants d’oiseaux en milieu naturel, Marc et Philippe plus de 15 ans et moi « seulement » 10 ans. Non, la taille des oreilles n’a rien à voir là-dedans ! Ce vendredi, j’ai réuni l’équipe. Gérard a présenté le territoire à prospecter, il le connaît bien puisque c’est lui qui a réalisé la même campagne 25 ans plus tôt. Nous avons ensuite récapitulé les disponibilités des uns et des autres et j’ai réparti les points d’écoute avec les documents cartographiques associés. Nous nous sommes donné rendez-vous sur le terrain fin avril et début mai pour « s’étalonner » ; car il est important de se remettre les chants en tête, de se familiariser avec la méthode et de partager quelques petits trucs ensemble. Par exemple, il arrive que sur un point d’écoute le chant puissant, rapide et infatigable du rossignol (Luscinia megarhynchos) domine tous les autres chants ; la solution, trouvée par un des mes camarades, est de donner un coup de pied ou de bâton dans la haie où se cache l’oiseau, celui-ci inquiet arrête aussitôt ses vocalises et tout redevient plus calme pour enfin écouter les autres chanteurs. Conclusion La méthode des points d’écoute standardisée, de type EPS, utilisée dans l’équipe depuis plus de 25 ans dans les paysages des Coteaux de Gascogne, s’est avérée être un outil bien adapté, d’une part, pour suivre l’évolution des effectifs des oiseaux nicheurs sur de grands territoires et d’autre part, pour relier les modifications de l’avifaune à la structure du paysage au cours du temps. En écologie, les données sont souvent issues d’observations directes sur le terrain et non de mesures expérimentales, ce qui nécessite un mode opératoire du recueil des données clair et précis ainsi qu’une préparation adaptée des observateurs. La réussite des campagnes ornithologiques dépend d’abord d’une bonne planification des relevés ; il est aussi important de savoir se positionner correctement quand on travaille sur des territoires agricoles complexes et quand on veut comparer des populations à des dates différentes. Et bien sûr, un ornithologue expérimenté est indispensable pour réaliser les points d’écoute. C’est la conjugaison de tous ces éléments qui contribue à la fiabilité des résultats issus d’une campagne de relevés ornithologiques.

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

Bibliographie Blondel J., Ferry C., Frochot B. (1970) Méthode des Indices Ponctuels d'Abondance (IPA) ou

des relevés d'avifaune par stations d'écoute. Alauda, vol 38 pp. 55-70.

Bossus A., Charron F. (2003) Guide des chants d’oiseaux d’Europe occidentale. Delachaux et Niestlé

Courtiade B. (1985) Etude des relations entre l’avifaune nicheuse et les paysages ruraux du sud-ouest. DES Sciences Naturelles Université Paul Sabatier, Toulouse

Courtiade B. (1991) Les passereaux nicheurs, indicateurs des relations entre les activités agricoles et les caractéristiques écologiques des paysages dans les coteaux du sud-ouest. Modélisation et diagnostic des transformations. Thèse Université Paul Sabatier, Toulouse

Spitz F. (1974) Facteurs de répartition de l’avifaune en forêt de montagne. In : Ecologie forestière, la forêt : son climat, son sol, ses arbres, sa faune. Pesson éditeur, Gauthier-Villars, Paris : 327-334

Svensson L., Mullarney K., Zetterström D., Grant P.J. (1999) Le guide ornitho. Delachaux et Niestlé

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Paysage et biodiversité

Gestion des données pour traiter l’évolution des objets de recherche dans le temps et l’espace

Maryvonne Chevallereau38

Résumé : Les recherches de l’unité SAD Paysage du centre Inra de Rennes portent sur l’impact des activités agricoles sur le paysage et l’environnement. Elles doivent permettre aux acteurs locaux la mise en œuvre d’actions de préservation et de gestion de l’environnement. Pour mener à bien nos recherches nous nous appuyons sur des observations et des enquêtes de terrain réalisées sur le territoire d’exploitations d’un site de Pleine Fougères en Ille et Vilaine. Ce site d’intensité bocagère différente (bocage dense à ouvert), sert de terrain d’observation à toute une communauté scientifique. Le recueil et l’analyse de données d’observations ou d’enquêtes en exploitations agricoles impose une collaboration étroite et répétée entre chercheurs, enquêteurs-observateurs et informaticiens. Nous avons été confrontés à plusieurs problèmes pour lesquels nous avons dû trouver des réponses techniques : la prise en compte de l’évolution des objets de recherches et la nécessité de mettre à disposition des données à un ensemble de chercheurs de disciplines différentes, dans des lieux distincts. Notre expérience dans le domaine des Bases de données, durant plusieurs années a permis d’aboutir à une prise en compte de la spécificité de cette gestion des données spatio-temporelles issues du système d’information géographique (S.I.G.) et des bases de données qui s’y rapportent. Cet article présente les solutions adoptées pour répondre à ces impératifs. Enfin, la mise à disposition des données pour la communauté scientifique du CAREN nous conduit à repenser notre organisation dans un système d’information partageable par tous. Mots clefs : bases de données, système d’information géographique, S.I.G., évolution spatio-temporelle, données écologiques, agronomiques Introduction Les recherches de l’unité SAD Paysage, menées au centre Inra de Rennes depuis 1993 portent sur l’impact des activités agricoles sur le paysage et l’environnement. Ces recherches impliquent des relations avec de nombreux partenaires de l’Institut fédératif de recherches centre armoricain de recherche en environnement (IFR CAREN). Elles visent à mieux comprendre l’impact des activités agricoles sur le paysage et à donner des pistes d’actions aux acteurs locaux afin de mieux préserver et gérer l’environnement et sa biodiversité. Les recherches s’appuient sur un recueil de données chez les exploitants agricoles. Des observations directes des états du milieu et enquêtes régulières sont menées sur les pratiques auprès des exploitants eux-mêmes, sur le site atelier de Pleine Fougères de 8 500 ha, vaste laboratoire servant de terrain d’étude à de nombreuses équipes. Toutes ces observations, faites au niveau des parcelles, des haies à l’échelle du territoire, ou des exploitations, alimentent des bases de données et sont cartographiées sur S.I.G. Les SIG et

38 Inra SAD Paysage – 65 rue de St Brieuc 35042 Rennes cedex SAD = sciences pour l’action et le développement ℡ 02 23 48 56 22 [email protected]

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les bases de données (BdD) doivent permettre aux chercheurs impliqués de croiser toutes les données de différentes disciplines : agronomie, écologie, géographie pour ne citer que les principales. Pour ce faire, un travail collaboratif entre les chercheurs et techniciens est nécessaire pour assurer la cohérence et la pérennité des bases de données. L’évolution constante des pratiques agricoles influe sur les problématiques des chercheurs qui doivent adapter leurs protocoles à ces changements. Si le croisement des informations ne pose pas de problème pour des objets statiques, il en va autrement quand, à la fois, les objets, mais aussi les protocoles évoluent dans le temps et dans l’espace. Pour mieux prendre en compte ces évolutions, nous avons mis en place au niveau des SIG et des bases de données un système pour suivre des objets dans le temps et dans l’espace. : - pour les SIG nous avons mis en place des tableaux de correspondance de suivi de parcelles, - pour les Bases de données, nous avons réalisé des bases modulaires évolutives en fonction des protocoles. Après avoir décrit brièvement une méthode classique d’identification des objets dans les SIG et les Bases de données, nous verrons comment nous avons résolu les problèmes d’évolution du point de vue technique et du point de vue relationnel avec les différentes équipes travaillant dans l’IFR CAREN. 1. Identification des objets dans 2 types de bases Chaque objet est identifié dans deux types de bases : une base de données géographique (SIG) repérant l’objet dans l’espace et des bases relationnelles permettant de qualifier et quantifier les variables descriptives de cet objet. Chaque objet observé, enquêté reçoit un numéro identifiant, unique. En couplant les identifiants des objets géographiques avec ceux des objets décrits dans les bases de données nous pouvons suivre, en parallèle, l’évolution de ces bases. Chaque objet reçoit donc un identifiant dans le SIG (colonnes en jaune photo n°1) et un numéro apparenté (identifiant) unique (colonnes en vert photo 1) dans les bases de données. Ainsi un inter champ schématisé en bleu sur la photo 1 est référencé dans le SIG et dans les bases de données.

N° Inter champ SIG

N° Parcelle SIG

N° Parcelle Base de Données

N° Inter ChampBase de Données

1 2 35PFPU000002 35PFIC000001 2 4 35RZPU000004 35RZIC000002 3 7 35SSPU000007 35SSIC000003 4 2 35PFPU000002 35PFIC000004

Photo 1 : Photographie aérienne de parcelles et leurs numéros identifiants correspondants

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

Grâce à cette interconnexion, les données géographiques telles que la surface, la longueur, les distances, l’occupation du sol, contenues dans le SIG peuvent être liés avec les données recueillies dans les bases de données telles que les espèces floristiques, leur abondance, les différents éléments de structure. Mais cette méthode ne peut s’appliquer qu’avec des aménagements quand les éléments du paysage évoluent dans le temps et dans l’espace. 2. Prise en compte des changements du point de vue technique 2.1 Des objets qui évoluent d’une année à l’autre Les agriculteurs arasent des haies ou en replantent ; ils découpent une parcelle en deux voire en trois parcelles, chacune recevant une culture différente. Ainsi, chaque année la structure du paysage change, et ce changement doit être pris en compte dans le SIG et dans les bases de données. La difficulté majeure tient au redécoupage quasi annuel des parcelles en fonction des choix d’assolements de l’exploitant. Chaque nouvelle parcelle redécoupée fait l’objet d’une identification unique. Ces changements parcellaires influent sur les bases de données : des numéros d’identifiants supplémentaires sont attribués pour ces nouveaux parcellaires. Dans les photographies aériennes (photos 2), nous voyons un exemple d’évolution des parcelles d’usage chaque année.

2002

2003

2004

1

45

5

6 7 3

2

3 7

3

4

6

Photos 2 : Evolution des parcelles d’usage de 2002 à 2004

Les trois parcelles au départ schématisées en vert, rose et jaune ont été redécoupées au fil des années

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

par adjonction des parcelles schématisées en rouge vif et violet. Il est nécessaire, pour un suivi dans le temps, d’avoir un tableau de correspondance entre tous les numéros d’identifiants (tableau 1). Chaque année, les limites de chaque nouvelle parcelle sont rentrées dans le SIG, formant ainsi une couche supplémentaire. Par superposition de ces couches, il est possible de faire un tableau de correspondance, grâce auquel nous suivons les changements au sein des parcelles d’usage. Le tableau de correspondance permet de suivre toutes ces évolutions de parcellaires. 2002 2003 2004 N° parcelle 1 4 + 7 4 + 7 N° parcelle 2 5 + 6 5 + 6 N° parcelle 3 3 3

Tableau 1 : Extrait d’un tableau de correspondance permettant un suivi des parcelles d’usage 2.2 De nouveaux objets pris en compte L’évolution des pratiques agricoles sur notre terrain d’observation et l’évolution des questions de recherche nécessitent de prendre en compte d’autres objets, mais aussi de requalifier certains objets existants. Après nous être intéressés principalement à la structure des haies, à la flore, à l’état des couverts des parcelles adjacentes, aux enquêtes en exploitations, nous nous intéressons, depuis 2006, aux bandes enherbées, aux chemins, aux carabes39. Tous ces changements entraînent des modifications dans les méthodes mises en place tant au niveau des SIG que des BdD. 2.2.a De nouvelles couches SIG pour de nouveaux objets de recherchesPour prendre en compte ces changements, une couche SIG supplémentaire intègre les nouveaux objets tels que les chemins, les bandes enherbées ou les cours d’eau. Les nouveaux éléments du paysage figurent en rouge, en bleu, en noir et en gris épais dans l’extrait de cartographie suivante. Cette nouvelle couche est superposée à une couche antérieure (parcelles-inter champs) Elles viennent compléter les informations déjà contenues dans les bases cartographiques réalisées auparavant.

Légende Trait rouge = bandes enherbées Trait bleu = cours d’eau Trait noir = route goudronnée Trait gris = chemins

Figure 1 : Extrait cartographique de deux couches superposées permettant le positionnement des chemins, des routes, des bandes enherbées et des cours d’eau

39 Carabes : coléoptères

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

2.2.b De nouveaux modules dans la BD pour de nouveaux objets de recherchesLes bases ont été organisées de manière modulaire, c'est-à-dire que des modules thématiques sont créés pour prendre en compte de nouvelles observations ou enquêtes. Ainsi nous avons adjoint un module carabes et un module bandes enherbées aux modules créés antérieurement. Le schéma 1 permet de visualiser l’ajout de ces nouveaux modules tous reliés entre eux par les modules Identifiants. – Chaque rectangle schématise un module de la base. Les rectangles en rouge visualisent les ajouts de modules supplémentaires.

Identifiants Interchamp

Identifiants parcelles

les mo

2.2.c De nouveauApportées par cquestionnements évoluent elles ausLes exemples ci-ou en réaménagnécessaire de crée

Entretien

Occupation

du sol

Bandes enherbées

Espèces Interchamp

Schéma 1 : Extrait des bases de données au dules sont tous liés aux modules identifiants parc

x champs dans les Bases de données pour de nouonfrontation aux réalités de terrain ou en scientifiques, les variables à prendre en compte si. dessous illustrent ces ajustements qui se réaliseneant de nouveaux « champs » dans les bases r de nouveaux modules (schéma 1).

91

Physionomie

SAD Paysage :elles et/ou inte

velles variablephase avec ldans les différe

t techniquemende données. P

Num

Structure

Carabes

Interchamp

r champs.

ses nouveaux nts modules,

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éro spécial 2007

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Connaître les pratiques agricoles et leur impact sur la production, l’environnement et la qualité des produits

Exemple 1 : pour les enquêtes en exploitation certaines questions n’ont jamais de réponses de la part de l’exploitant, ou les exploitants apportent des éléments importants intéressants à intégrer dans une analyse, grâce aux questions judicieuses de l’enquêteur. (Codet C., 2007). Exemple 2 : pour la gestion des bords de champs, les chercheurs de l’unité ont décidé en 1993 d’observer un certain nombre de haies dans les 3 mini-réseaux d’intensité bocagère différente conformément au protocole mis en place. Des informations importantes comme l’occupation du sol des parcelles attenantes, mais également la hauteur et l’état de la culture ou la prairie mise en place dans ces parcelles ont été notés. Du fait de l’évolution du protocole, ces modifications sont intervenues dans cette structure, en 2001. Exemple 3 : Les observations de flore conduites pendant plus de 10 ans ont abouti à la mise au point de liste de plantes d’un indicateur flore et d’un protocole de mise en place sur le terrain. (Roger J.L., 2007). Ces changements répercutés dans les bases de données, imposent des allers et retours fréquents entre les techniciens, chercheurs et informaticien. La très bonne connaissance du milieu agricole et les compétences de l’enquêteur ou de l’observateur sont des facteurs importants dans la réalisation des bases et applications. L’enregistrement des données par l’enquêteur lui-même permet une qualité et un suivi indéniable des données 3. Vers une mise en œuvre collective pour l’IFR CAREN Le partage des données avec un ensemble de chercheurs du CAREN composé de géographes, d’écologues, d’agronomes suppose une organisation spécifique et des recommandations particulières. Nous avons donc à cet effet mis en place des règles de fonctionnement et des applications minimisant ces risques. Organisation spécifique

- pour échanger Les observations réalisées par les chercheurs dans leurs propres disciplines sur des objets de recherches communs doivent pouvoir être mis en relation avec celles observées par leurs homologues d’autres disciplines. La structuration en modules permet au chercheur de récupérer les modules qui l’intéressent et les mettre en relation à des fins d’analyse. Nous avons mis en place un serveur centralisant ces modules, Un responsable gère l’octroi des identifiants des objets observés en commun. Le groupe d’informaticiens des divers organismes assure la pérennité du système mis en place, les uns chargé de mettre en œuvre les SIG, les autres les bases de données.

- pour valider Dès l’élaboration du protocole, une discussion entre chercheurs, techniciens et informaticiens porte sur les variables à utiliser afin d’établir un cahier des charges pour la réalisation des bases et des applications. Des tests sur le terrain sont indispensables pour conforter cette mise en œuvre. Le suivi au fil du temps peut s’avérer nécessaire afin de prendre en compte les modifications éventuelles liées au protocole.

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Techniques et pratiques de recueil de données in situ

- pour éviter les erreurs Une application informatique proposant des formulaires de saisie avec une liste de choix déroulante est fournie à chaque étudiant allant sur le terrain. Des contrôles a priori, sont mis en place dans les bases de données. Nous réalisons ensuite des contrôles de cohérence a posteriori. Cependant, même en verrouillant au maximum la base, on ne peut empêcher l’annotation de données peu fiables ou l’ajout de données aléatoires. Par exemple on note la présence d’une espèce botanique plutôt qu’une autre, une occupation du sol peu réaliste, etc. Pour pallier ces erreurs des techniciens expérimentés dans chaque domaine sont responsables des ajouts dans les listes d’espèces, ou ils sont à l’initiative de l’évolution de certains items dans les bases. Ils assurent en outre un meilleur encadrement des stagiaires.

- pour diffuser Un travail de création de méta base pour référencer les bases de chaque équipe est en cours d’élaboration. Cette réalisation informatique a nécessité la mise en place d’un groupe de travail appartenant aux différents services Université, CNRS et Inra parties prenantes dans le projet. Le cahier des charges ayant été réalisé lors des diverses réunions d’échanges, la réalisation technique a été confiée à une société de service. Cela aboutira, à terme, à une mise à disposition des données à la communauté CAREN par interface Web. Conclusion La gestion coordonnée des BdD et des SIG que nous avons mis en place au SAD Paysage, à la fois évolutive et adaptée à un travail collaboratif entre différentes disciplines, permet de répondre aux besoins des chercheurs. Il nous parait important de souligner, en conclusion, que cette adaptation technique repose sur le trépied chercheur – technicien – informaticien. La prise en charge des observations et/ou des enquêtes par des techniciens spécialistes permanents dans l’unité aboutissent à une plus grande efficacité dans l’élaboration et le suivi des bases de données. Nous réfléchissons, maintenant à l’intégration des différentes bases dans un système d’information dynamique qui prenne en charge ces changements temporels et spatiaux sans agir sur la structure.

Bibliographie Chevallereau M., Thenail C & Baudry J. (1999) Fieldmonitoring. Instructions use for data bases on

field monitoring. Rennes -SAD, European Commission DGXII : 27 p.

Chevallereau M., Thenail C & Baudry J. (1999) Farminterview. Instructions use for data bases on farming systems. Rennes -SAD Armorique, European Commission DGXII : 45 p

Codet C., Chevallereau M. (2006) Suivi des observations des effets de pratiques agricoles de gestion des bordures de champs in Méthodes et outils pour l’observation et l’évaluation des milieux forestiers, prairiaux et aquatiques. Le cahier des techniques de l'Inra 169-174

Codet C. (2007) Construction et mise en œuvre d’un questionnaire d’enquête en exploitation agricole in Techniques et pratiques de recueils de données in situ. Le regard des techniciens sur leur métier. Le cahier des techniques de l'Inra 45-52

Roger J.L. (2007) Utiliser une méthode de relevés floristiques sur les bordures de champs. Recommandations pour optimiser la fiabilité des données in Techniques et pratiques de recueils de données in situ. Le regard des techniciens sur leur métier. Le cahier des techniques de l'Inra 69-78

Numéro spécial 2007 93

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