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Cher Laurent, Je ne pourrai malheureusement pas répondre à votre invitation pour Livre & Lire. Pour des raisons de surencombrement et d’hyperactivité liées à mon travail. Quelle malédiction d’avoir,un moment, franchi la porte d’une prison et pris, pour toujours, ce sentiment invraisem- blable de la nécessité de ne plus tourner la tête. « Être là », c’était le début de Fragmentation d’un lieu commun, et finalement, sa clause. Ne pas se déro- ber, affronter, offrir une présence. Ne serait-ce l’agitation permanente qui me caractérise professionnellement,cette pré- sence tournerait au grumeau, à la sclérose, à la stase ! « Comment écrire ? » ou « pour- quoi ? » ou « pour qui ? » sont sans objet pour moi car demeure l’obnubilante question « quand écrire ? ». Qu’elle serve à éloigner les autres ne la rend pas moins lancinante. Donc, il y a ça, la pétrification de l’écriture par le social et il y a l’état d’écrire, la prise du corps par le mot, la lettre, le signe, comme un animal dans sa tracée, aller la truffe collée au mot, croire qu’on est le chasseur alors que c’est tout entier le gibier qui mène la danse. Je voudrais cet autre « être là », être au sen- tier, au chemin, à la balade. Aller, marcher, partir (qu’est ce que je suis bien dans ces chaussures !), la légèreté, l’énergie qui monte du sol, tout ce qui suscite le pas suivant, la trace de la scolopendre dans le sable de la dune vers quoi l’on se penche pour chercher à comprendre comment va cette étrange vie coordonnant toutes ses pattes et les arceaux de son corps. Être au fil du temps, hors his- toire, sans repère autre que celui qui nous est donné : l’élargissement des ombres sur le chemin. S’intéresser essentiellement à la sucrine laiteuse de la graminée, qu’à la pause (qu’est-ce qu’elles sont lourdes ces chaussures !) on dégaine de l’étui raide de la tige. Ne s’interdire aucune digression, aucune rêverie, ne poursuivre aucun but, regarder les touffes de poils accrochés aux ronces, témoigner qu’on s’est battu ici, pour l’élé- mentaire de la vie (se sauver,manger). Voilà,je voudrais être dans le désœuvrement de l’écriture.L’ardent désœuvrement d’écrire. Jane Sautière n°244 - septembre 2009 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Attention, « Dossiers en ligne » ! Sur www.arald.org,vous disposez de tous les documents, rapports, études, articles de loi, enquêtes, chartes, manifestes et autres synthèses publiés depuis quelques années dans le domaine du livre et de la lecture. Des dispositions de la loi Lang, avec commen- taires, au rapport d’Hervé Gaymard sur la « Situation du livre : évaluation de la loi relative au prix du livre et questions pros- pectives », publié en mars 2009, l’accès à cet ensemble de documents s’avère indis- pensable pour mieux saisir les différentes problématiques liées au livre.À télécharger légalement et sans modération ! > www.arald.org Le livre et l’empreinte Alors que vient de s’achever un été grenoblois d’hommage à Marc Pessin, avec plusieurs expositions, on peut suivre la trace de l’événement et celle de cet étonnant créateur,tout à la fois éditeur,graveur,sculpteur, calligraphe…, dans un très bel ouvrage publié par le Conseil général de l’Isère : Marc Pessin – Regards sur l’œuvre. En textes (signés Jean Burgos, Jean-Pierre Chambon, Pierre Péju…) et en images (des œuvres qui dialo- guent avec les mots des plus grands écrivains et poètes), on perçoit là combien l’empreinte de Marc Pessin est profonde et comment ses travaux remontent à leur manière à l’essence du livre. À découvrir. les écrivains à leur place zoom/p.5 Maspero : un homme-livre Événement au Musée de l’imprimerie, à Lyon, avec l’exposition « François Maspero et les paysages humains », concoctée par la librairie À plus d’un titre et la Maison des passages. La rentrée est à tout le monde Bien sûr, comme il se doit, le numéro de septembre de Livre & Lire prend son temps en littérature. Il est vrai que beaucoup d’écrivains sont présents cet automne, avec des premiers romans et des découvertes – François Beaune et Noémie Lefebvre –,ainsi que d’autres livres attendus, comme ceux de Brigitte Giraud et de Pierre Péju. Et puis, cela continuera le mois prochain, avec les romans de Pierre Charras, de Jacques A. Bertrand et même un premier roman (pour adultes) d’un écrivain (pour la jeunesse) dont nous avions parlé il y a quelques mois : Jean-François Chabas. Évidemment donc, la rentrée est littéraire… Mais pas seulement. Ainsi nous avons demandé à deux éditeurs très éloignés de cette floraison littéraire d’ouvrir pour nous leur cartable. Un coup de projecteur (lire p. 2 et 3) sur les sorties autom- nales et pédagogiques des Presses universitaires de Grenoble et de Chronique sociale qui montre que, dans le monde du livre, la rentrée est à tout le monde… L. B. publication Il pèse un peu plus de 2 Kg, dépasse les 1 500 pages et était très attendu… Le Dictionnaire historique de Lyon paraît aux Éditions Stéphane Bachès. (lire p. 11) (Affiche éditée par la firme Berliet, représentant un camion pour semi-remorque, type TLM 15 à moteur diesel 6 cylindres 200 CV - coll. Fondation Berliet, réf. 37). jeunesse/p.6 Dans l’atelier de Mourlevat Entretien avec l’écrivain Jean-Claude Mourlevat : son écriture, son parcours et son dernier roman, Le Chagrin du roi mort. rentrée littéraire /p.8-10 Des romans et des romans François Beaune, Noémie Lefebvre, André Bucher, Ananda Devi, Brigitte Giraud, Pierre Péju… Des premiers romans, des romans tout court et de quoi lire dans la rentrée 2009. © A. Frantz

Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

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Page 1: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

Cher Laurent,Je ne pourrai malheureusement pasrépondre à votre invitation pour Livre & Lire.Pour des raisons de surencombrementet d’hyperactivité liées à mon travail.Quelle malédiction d’avoir, un moment,franchi la porte d’une prison et pris,pour toujours, ce sentiment invraisem-blable de la nécessité de ne plus tournerla tête. « Être là », c’était le début deFragmentation d’un lieu commun, etfinalement, sa clause. Ne pas se déro-ber, affronter, offrir une présence. Ne

serait-ce l’agitation permanente qui mecaractérise professionnellement, cette pré-sence tournerait au grumeau, à la sclérose,à la stase ! « Comment écrire ? » ou « pour-quoi ? » ou « pour qui ? » sont sans objetpour moi car demeure l’obnubilante question« quand écrire ? ». Qu’elle serve à éloignerles autres ne la rend pas moins lancinante.Donc, il y a ça, la pétrification de l’écriturepar le social et il y a l’état d’écrire, la prise ducorps par le mot, la lettre, le signe,comme unanimal dans sa tracée,aller la truffe collée aumot, croire qu’on est le chasseur alors quec’est tout entier le gibier qui mène la danse.Je voudrais cet autre « être là », être au sen-tier, au chemin, à la balade. Aller, marcher,partir (qu’est ce que je suis bien dans ceschaussures !), la légèreté, l’énergie qui montedu sol, tout ce qui suscite le pas suivant, latrace de la scolopendre dans le sable de ladune vers quoi l’on se penche pour chercherà comprendre comment va cette étrange viecoordonnant toutes ses pattes et les arceauxde son corps. Être au fil du temps, hors his-toire, sans repère autre que celui qui nous estdonné : l’élargissement des ombres sur lechemin. S’intéresser essentiellement à lasucrine laiteuse de la graminée,qu’à la pause(qu’est-ce qu’elles sont lourdes ces chaussures !)on dégaine de l’étui raide de la tige.Ne s’interdire aucune digression, aucunerêverie, ne poursuivre aucun but, regarderles touffes de poils accrochés aux ronces,témoigner qu’on s’est battu ici, pour l’élé-mentaire de la vie (se sauver, manger).Voilà, je voudrais être dans le désœuvrementde l’écriture.L’ardent désœuvrement d’écrire.

Jane Sautière

n°244 - septembre 2009le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Attention, « Dossiers en ligne » ! Sur www.arald.org,vous disposez de tous lesdocuments, rapports, études, articles de loi,enquêtes, chartes, manifestes et autressynthèses publiés depuis quelques annéesdans le domaine du livre et de la lecture.Desdispositions de la loi Lang, avec commen-taires, au rapport d’Hervé Gaymard sur la« Situation du livre : évaluation de la loirelative au prix du livre et questions pros-pectives », publié en mars 2009, l’accès àcet ensemble de documents s’avère indis-pensable pour mieux saisir les différentesproblématiques liées au livre.À téléchargerlégalement et sans modération !

> www.arald.org

Le livre et l’empreinteAlors que vient de s’acheverun été grenoblois d’hommageà Marc Pessin, avec plusieursexpositions, on peut suivre latrace de l’événement et cellede cet étonnant créateur, tout

à la fois éditeur, graveur, sculpteur,calligraphe…, dans un très belouvrage publié par le Conseilgénéral de l’Isère : Marc Pessin –

Regards sur l’œuvre. En textes(signés Jean Burgos, Jean-PierreChambon, Pierre Péju…) et enimages (des œuvres qui dialo-guent avec les mots des plusgrands écrivains et poètes), onperçoit là combien l’empreintede Marc Pessin est profonde etcomment ses travaux remontentà leur manière à l’essence dulivre. À découvrir.

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zoom/p.5Maspero : un homme-livreÉvénement au Musée del’imprimerie, à Lyon, avecl’exposition « François Maspero etles paysages humains », concoctéepar la librairie À plus d’un titre etla Maison des passages.

La rentréeest à toutle mondeBien sûr, comme il se doit, lenuméro de septembre de Livre &Lire prend son temps en littérature.Il est vrai que beaucoup d’écrivainssont présents cet automne,avec despremiers romans et des découvertes– François Beaune et NoémieLefebvre –, ainsi que d’autres livresattendus, comme ceux de BrigitteGiraud et de Pierre Péju. Et puis,cela continuera le mois prochain,avec les romans de Pierre Charras,de Jacques A. Bertrand et même unpremier roman (pour adultes) d’unécrivain (pour la jeunesse) dont nousavions parlé il y a quelques mois :Jean-François Chabas.Évidemmentdonc, la rentrée est littéraire…Mais pas seulement. Ainsi nousavons demandé à deux éditeurstrès éloignés de cette floraison littéraire d’ouvrir pour nous leurcartable. Un coup de projecteur(lire p.2 et 3) sur les sorties autom-nales et pédagogiques des Pressesuniversitaires de Grenoble et deChronique sociale qui montre que,dans le monde du livre, la rentréeest à tout le monde… L. B.

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Il pèse un peu plus de 2 Kg, dépasse les 1 500 pages et était très attendu… Le Dictionnaire historique de Lyon paraît aux Éditions Stéphane Bachès. (lire p. 11)(Affiche éditée par la firme Berliet, représentant un camion pour semi-remorque,type TLM 15 à moteur diesel 6 cylindres 200 CV - coll. Fondation Berliet, réf. 37).

jeunesse/p.6Dans l’atelier de MourlevatEntretien avec l’écrivain Jean-ClaudeMourlevat : son écriture, sonparcours et son dernier roman,Le Chagrin du roi mort.

rentrée littéraire/p.8-10Des romans et des romansFrançois Beaune, Noémie Lefebvre,André Bucher, Ananda Devi, BrigitteGiraud, Pierre Péju… Des premiersromans, des romans tout court et de quoi lire dans la rentrée 2009.©

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Page 2: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

Tout ce qui a trait à l’enseignement n’est évidem-ment pas éloigné du domaine de compétence,plutôt vaste, des Presses universitaires deGrenoble. Outre des collections spécifiques,conçues notamment pour les étudiants en débutde cursus universitaire (« Droit en + », « Gestionen + », « Économie en + », qui donnent une pre-mière approche de différentes problématiques),les essais concernent bon nombre de disciplines :histoire, langues, littérature, sciences et tech-niques, psychologie… et s’adressent à un publicd’étudiants, d’enseignants et de professionnels,notamment dans le domaine de la vie sociale.Mais là où la rentrée des P.U.G. est plus inatten-due, c’est dans le domaine du français langueétrangère. « C’est presque un département au seinde la maison d’édition »,explique Sylvie Bigot, res-ponsable commerciale des P.U.G., avec un cata-logue spécifique destiné à l’international. C’esten tout cas 40 % du chiffre d’affaires et une bonnedizaine de nouveautés chaque année destinéesaux apprenants étrangers ou à leurs professeurs,ici ou ailleurs.

À propos…

Mais la rentrée 2008 estparticulièrement straté-gique pour la maisongrenobloise : cette année,en effet, les P.U.G. lancentune nouvelle méthoded’apprentissage du fran-çais, se positionnantainsi parmi les grandsdu secteur : Hachette,CLEInternational, Didier…Face aux poids lourds,l’éditeur grenoblois veutoser davantage et se dif-férencier en proposantdans cette série d’ou-vrages (Guide pédago-gique, Livre de l’élève,Cahier d’exercices), inti-tulée À propos,une vision

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de la France moins académique et en osant abor-der des questions de société (la mixité, la religion,les discriminations…) que l’on préfère souventignorer dans ce genre de supports pédagogiquesafin de ne pas heurter les sensibilités et les opi-nions. Un positionnement singulier et souventapprécié, que l’on retrouve dans les ouvragespédagogiques consacrés à la littérature franco-phone ou encore dans un petit livre de vocabu-laire consacré à l’expression des sentiments etdes émotions, et qui propose « l’acquisition dulexique pour six grands thèmes liés aux émo-tions-sentiments : la peur, la colère, la joie, latristesse, la jalousie, la honte. » Un ambitieuxprogramme lexical…

Les P.U.G. à l’export

« Le FLE est un domaine très concurrentiel », pré-cise Sylvie Bigot, « et il faut du temps pour se faireune place, sachant que le renouvellement d’uneméthode d’apprentissage dans une école se faittous les trois ou quatre ans… ». Le premier tirage

de la méthode d’apprentissage a donc été fixé à3 000 exemplaires, mais si un pays l’adopte, cesont plusieurs milliers d’exemplaires qui peuventêtre vendus.D’où l’importance de la promotion,quise fait à travers la présence dans des salonscomme Expolangues (à Paris, en février 2010),mais aussi grâce à des cessions pédagogiquesréunissant nombre d’enseignants étrangersdans certains grands centres d’apprentissage,ou encore par le biais du diffuseur GallimardExport ou d’un important travail de réseau,qui permet à l’éditeur de présenter son cata-logue à l’invitation des Alliances françaises oudes instituts culturels à l’étranger.En tout cas, il s’agit d’être omniprésent, dans uncontexte économique difficile, avec des budgetsréduits pour les centres d’apprentissage et unelangue française plutôt en perte de vitesse…Après la période de forte croissance,qui a débutéau début des années 80 et duré une vingtained’années, Sylvie Bigot constate « une stagnationou une légère baisse, qu’on retrouve chez l’ensemble des concurrents depuis 2005-2006 ».L’agressivité est donc de mise sur le marché duFLE, un domaine à part, qui suscite pour la mai-son d’édition une grande notoriété à l’étranger :« Nous sommes plus connus au Brésil qu’enFrance », s’amuse Sylvie Bigot. Non seulementau Brésil, mais en Grèce, en Égypte, au Canada,au Portugal, en Espagne et en Roumanie… Avecl’apprentissage du français comme passeport,les P.U.G. s’exportent bien.

Édition : dans le cartable des Presses universitaires de Grenoble et de Chronique sociale

La rentrée côté coursAlors que beaucoup se focalisent sur la rentrée littéraire et ses quelques centaines de romansà venir, certains éditeurs préparent leur rentrée beaucoup plus discrètement. C’est le casdes Presses universitaires de Grenoble et de Chronique sociale, à Lyon, qui vivent eux aussice temps fort de l’année éditoriale dans le domaine de l’édition pédagogique.

© P

.U.G

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« L’objectif de cette activité est

de sensibiliser les apprenants aux

différentes formes de différences et

donc de discriminations possibles,

présentes dans la société française. Cette

activité permet également de réviser

le passé composé. »

(À propos. A1. Guide pédagogique. Dossier « Vivre

ensemble », rubrique « Qu’est-ce qu’ils disent ? »)

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Au carrefour de la langue et de la culture : le FLE par l’image.

dossier /édition pédagogique

Page 3: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

Coller à son marché !

Chez Chronique sociale aussi, l’enjeu de la ren-trée est une évidence.Avec sept ou huit nouveau-tés en septembre et une vingtaine de livres autotal qui paraissent à l’automne,c’est-à-dire à peuprès la moitié de la production annuelle, l’éditeurlyonnais entend coller à son marché.En septembre,les livres qui s’adressent aux enseignants et auxparents, en octobre, tout ce qui est en lien avecle monde universitaire. D’ailleurs, du fait que lesauteurs de Chronique sociale sont très souventissus de collectifs qui se mobilisent au momentde la rentrée scolaire, les parutions sont aussi làpour soutenir leur travail.C’est le cas de la collection« Pédagogie/Formation »,globalement influencée parles théories de l’éducationnouvelle et engagée dans laréflexion Pour l’école du futur(un livre de Pierre Frackowiakqui propose « du neuf » et« du courage »), assumant

3

notamment des positionnements critiques parrapport aux réformes actuelles du système sco-laire. Pour décentrer le débat ou l’ouvrir plus lar-gement, Chronique sociale publie d’ailleurs enseptembre un ouvrage sur la démarche de l’édu-cation nouvelle – courant historique lié notam-ment aux écrits d’Henri Wallon – au niveaueuropéen : Pratiquer l’éducation nouvelle pré-sente ainsi le parcours de quarante acteurs deces pratiques éducatives en France, en Suisse,en Belgique, en Russie… Même intention sous-jacente dans la collection « Comprendre lasociété », avec la quatrième réédition de L’Innéet l’acquis, sous-titré par son auteur, Jean-

François Skrzypczak, professeur de phi-losophie à Montbrison : Inégalités natu-relles, inégalités sociales. « Un thème quisous-tend toute la réflexion sur l’éducation »,comme l’explique André Soutrenon,directeur éditorial.

Une quête de sens

Évoquer les expériences, mais aussi faireavancer la réflexion, s’adresser aux profes-sionnels, mais aussi donner les outils decompréhension à un large public (peut-êtreun succès à prévoir avec le livre de Mark

Les P.U.G. en chiffres

Date de création : 1972Nombre de titres aucatalogue : Plus de 800 ;

plus de 100 titres au catalogueFLE ; 40 nouveautés par an C. A. : 1 M€Diffusion-distribution :Diffusion dans tout le réseaudes librairies en France et àl’étranger : Sofedis/GallimardExport et SodisRéseau de distributeursfrancophones (Suisse,Benelux, Canada) et étrangers(Allemagne, Angleterre,Australie, Autriche, Brésil,Espagne, Italie, Portugal, etc.)

BP 4738040 Grenoble cedex 9tél. 04 76 82 56 51 Fax 04 76 82 78 35www.pug.fr

rep

ères

Chronique sociale en chiffres

Date de création : 1920Nombre de titres au catalogue : 780 ;40 nouveautés par anC. A. : 550 K€Diffusion-distribution :Sofedis – Sodis

7, rue du Plat69288 Lyon cedex 2tél. 04 78 37 22 12 Fax 04 78 42 03 18www.chroniquesociale.com

Chambler, Comprendre les impacts du jeu vidéo,qui sortira également à la rentrée… ?), le champd’action de Chronique sociale est vaste. Au pointde ne pas se limiter d’ailleurs à l’activité édito-riale, mais de privilégier aussi la recherche et laformation. Débats d’actualité, stages, formationsspécifiques à la demande des institutions, lesauteurs maison et les partenaires sont régulière-ment mobilisés. Un fonctionnement original,hérité de l’histoire de la maison liée au person-nalisme d’Emmanuel Mounier et au christianismesocial, et une façon singulière de réunir les éner-gies, d’entretenir un réseau. Mais dans ledomaine de la formation aussi, les effets de lacrise se font sentir. Et ils ne concernent passeulement les questions d’argent.Certes, avec les baisses de crédit, les associations,dont les besoins en formation sont importants,tendent à se montrer plus prudentes.Mais les dif-ficultés s’expriment aussi différemment,notam-ment du côté des institutions qui, selon AndréSoutrenon,« peinent de plus en plus à libérer leurssalariés pour les temps de formation ». Résultat :des cessions annulées, des stages qui se remplis-sent très tardivement, une moins grande dispo-nibilité des salariés et un horizon à plus courtterme pour les formateurs.Mais ce contexte socio-économique va jusqu’àinfluer sur les contenus mêmes de la formationet sur la manière dont celle-ci se déroule. Ainsi,selon André Soutrenon, « les formations consti-tuent de plus en plus clairement des sas de respi-ration pour les salariés, un lieu où l’on parvient àremettre un peu d’ordre et de cohérence dans lavie professionnelle,dans la vie personnelle et dansles rapports entre les deux ». Ainsi, derrière lesthèmes des stages, souvent liés à des questionsde méthodologie (« Se connaître et gérer sonstress », « Animer des groupes », « Oser s’expri-mer et prendre la parole »…) se dissimule chezles participants une véritable quête de sens, larecherche d’éléments structurants pour l’identitépersonnelle et professionnelle. Des besoins quiont de fortes chances de croiser les ambitions édi-toriales de Chronique sociale en cette rentrée2009. Laurent Bonzon

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/dossier

Page 4: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

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actualités / librairie

l’édition, il aborde des notionsconcernant tant les métiers que lesorganismes existants et élucideégalement des termes plus obs-curs pour le néophyte tels que« office », « pilon » ou « spécimen ».Émilie Pellissier

Bertrand LegendreL’ÉditionLe Cavalier bleu, collection « Idées reçues »126 p., 9,50 €ISBN 978-2-84670-235-5

Serge EyrollesLes 100 motsde l’éditionP.U.F, collection« Que sais-je ? »127 p., 9 €, ISBN978-2-13-057463-7

Deux petits livrespour comprendrel’éditionBertrand Legendre, professeur ensciences de l’information et de lacommunication, interroge seizeidées reçues. Il évalue les princi-pales représentations qui existentconcernant la position des auteurs,le circuit du livre et, plus large-ment, les conditions de travail deséditeurs. Cet ouvrage engage ainside nombreuses réflexions et faittomber des a priori. Quant à SergeEyrolles, président du Syndicatnational de l’édition depuis 1991,il propose une découverte en 100mots des rouages de la chaîne dulivre. Avec pour objectif un véri-table état des lieux du milieu de

plus inventives, abandonne unrayon Histoire qui ne rencontraitpas son public, développe une spé-cialisation éco-habitat. En 1999, ilrejoint le groupement Initiales,une façon de rompre un certainisolement et de gagner une nou-velle reconnaissance.Aujourd’hui, le libraire constateque « le métier a changé, tout s’estcomplexifié ». Il évoque la dispari-tion d’une relation privilégiéeentre libraires et fournisseurs, ledéveloppement de la vente en

En 30 ans, à la tête de la librairiedes Cordeliers, Denis Beylier a vuévoluer le monde des livres etde leur vente. Coup d’œil dansle rétroviseur, à l’heure de sondépart à la retraite et de lareprise de cette maison par deuxjeunes libraires.

En 1979, Denis Beylier ouvre lasixième librairie de Romans-sur-Isère,dans la Drôme,appliquant des prin-cipes simples : pas de livres tech-niques, pas de scolaire ni de pape-terie ; mettre en avant les auteursque l’on aime, choisir des éditeursnovateurs, constituer des rayons dethéâtre et de poésie.Bref, fonder unelibrairie généraliste exigeante…« C’est un métier papillon », s’amuseDenis Beylier, « on passe sans cessed’un domaine à un autre ».Papillonnant peut-être, mais lelibraire n’en est pas moins restéattentif aux évolutions de sonmétier. Il y a quinze ans, il est le pre-mier à Romans à vendre des man-gas, attirant une clientèle de jeunesgens, toujours fidèles pour certains.Peu à peu, il fait progresser son offrede BD classique vers des propositions

ligne, la nécessité de diversifier sonoffre… Autant de défis à releverpar l’équipe qui a repris lesCordeliers en juillet. « Nous allonstravailler un peu différemment »,expliquent François Reynaud etOlivier Badoy, anciens libraireschez Lucioles, à Vienne, et à LaManufacture, à Romans. Le duosouhaite ouvrir la librairie à denouveaux genres (en créant parexemple un rayon policier et endynamisant le rayon jeunesse) etdévelopper le conseil aux lecteurs :

« On ne veut rien s’interdire,quitte à prendre des risques.Bien sûr, l’attention aux éditeursindépendants restera centrale.»L’adoption du logiciel Ellipsesest aussi au programme,ainsi qu’un aménagementdu mobilier permettant demoduler l’espace lors desrencontres publiques, qui nemanqueront pas d’être orga-nisées. Rendez-vous est déjàdonné les 3 et 4 octobrepour un week-end d’inaugu-ration. Marion Blangenois

Librairie des Cordeliers13, côte des Cordeliers26100 Romans-sur-Isère

L’acte I de Rouge inside ne manquedonc pas d’audace. Mais le jeuneéditeur entend s’intéresser princi-palement à la traduction d’œuvresimportantes et méconnues enFrance. Une option qui, selon lui,donne à sa maison un supplémentde crédibilité auprès des libraires.Prochaine parution, prévue finoctobre, un roman de l’ÉgyptienSabri Moussa paru dans les années70,et puis,en prévision,des nouvellesde Vazquez et le premier roman d’unjeune écrivain français. L. B.

Angel VazquezLa Chienne de vie de Juanita NarboniTraduit de l’espagnol(tangérois) par Selim ChériefRouge inside352 p., 20 €ISBN 978-2-918226-00-0

François Collet n’a pas choisi la faci-lité. La Chienne de vie de JuanitaNarboni, premier titre de la petitemaison d’édition lyonnaise qu’il afondée cette année, Rouge inside,est une traduction du tangérois etun livre important d’Angel Vazquez,écrivain né dans la villemarocaine en 1929 et mortà Madrid en 1980, redécou-vert en Espagne depuis unedizaine d’années. Déjà tra-duit en anglais et en alle-mand, ce roman fait revivrela langue du Tanger popu-laire, faite d’espagnol et duparler des Juifs séfarades.

La librairie en chiffres

Surface de vente : 90 m2

Nombre de références : 10 000Nombre d’ouvrages : 12 000

Zone de chalandise : 80 000personnesBudget total de la reprise :230 000 €Aide à la reprise DRAC/Région Rhône-Alpes : 45 000 €ADELC : prêt à 0 % de 60 000 €+ entrée dans le capital à hauteur de 5 %IEDV (Initiative Emploi DauphinéVivarais) : prêt d’honneur de 15 000 €+ tutorat gestion et comptabilité

Denis Beylier : trente ans de Romans

Les Cordeliers tournent la page

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Rouge inside etblanc dehors

/édition

+ + + + + + + + d’actualités sur www.arald.org

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Cor

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Tirage : 1 200 exemplairesDistribution : Calibrewww.rouge-inside.com

Page 5: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

Les rendez-vous littéraires du festivalRencontres européennes :18-20 septembre (Die et Valence)

Tournée des écrivains :Du 23 septembre au 3 octobreDrôme, Rhône-Alpes, Bourgogne,Île-de-France

Salon du livre de Die :9-20 et 24-27 septembre

À table !Au mois de mai est sortile premier numérode la revue LesCahiers del’ogre. 200exemplaires,bimestr ie l ,autofinancé.

Avec son formatpresque carré et sonpapier recyclé, c’estun étrange objet.

Un cahier d’écolierfaussement sage,qui

réunirait pêle-mêledes pages société,Histoire, cuisine

ou poésie…Clément Jung,

5

de quelque 1 350 titres etd’une dizaine de revues.Parmi les auteurs, dont cer-tains font leurs débuts chezMaspero : Tahar Ben Jelloun,Régis Debray, Jean-PierreVernant,Pierre Vidal-Naquet,Félix Guattari, MiguelBenasayag… L’engagementà toute épreuve.Pour Alain Léger, libraire àLyon,et Bruno Guichard,res-ponsable de la Maison despassages, cette exposition est d’abordaffaire de transmission : « Il faut redé-couvrir l’histoire longue des livres »,disent-ils, « et permettre aux nouvellesgénérations de comprendre ce qu’a étél’aventure Maspero ». Il s’agit aussi demontrer la filiation entre le libraire etl’éditeur d’hier et l’écrivain et le tra-ducteur d’aujourd’hui. Vaste tâche.François Maspero a en effet été« un éditeur au carrefour des espé-rances du XXe siècle ».

Changer le monde

L’exposition,présentée au Musée del’imprimerie, est conçue à partir detrois espaces et d’une soixantaine

Il y a le libraire, l’éditeur, le tra-ducteur, l’écrivain… et derrièrechacun d’eux, l’homme engagé.La librairie À plus d’un titre et laMaison des passages ont tenté defaire le tour de François Masperoen une exposition, un livre et unevidéo. Présentation au Musée del’imprimerie de Lyon, à partir du16 septembre.

« Ce n’est pas un hommage… »Bruno Guichard et Alain Léger neveulent surtout pas que l’onconfonde leur travail avec un exer-cice d’admiration. Même si on lessent passionnés à l’idée d’aboutiraprès plusieurs années de travail.Car le chemin a été long. Il a d’abordfallu convaincre l’intéressé, réticentà toute forme de célébration, puisstructurer l’approche d’une œuvreaux multiples aspects.Maspero ouvre sa première librairieen 1954,puis La Joie de lire en 1958,au cœur du Quartier latin. Un anplus tard, le premier livre des éditions est publié : La Guerred’Espagne, de Pietro Nenni. Le tonest donné. L’aventure éditorialedurera vingt-cinq ans, le temps

de panneaux : le premier est consacréaux « livres partisans », le deuxièmeà « l’éducation populaire et la for-mation », le troisième au Masperotraducteur (de l’anglais, de l’italienet de l’espagnol…) et écrivain :« Homme livre – homme libre ».Le tout encadré par une relecturecritique du contexte dans lequell’entreprise Maspero s’est développée.Imagine-t-on aujourd’hui que LaJoie de lire et la maison d’éditionemployaient une cinquantaine depersonnes, que la librairie était unvéritable lieu de rencontre, ouvraitses portes jusqu’à 22h et diffusaità elle seule 30 % de la productionéditoriale ?

Bruno Guichard et Alain Léger envisa-gent cette aventure exceptionnellenon pas avec révérence mais avecrespect. « Il faut bien comprendre »,disent-ils de concert, « que les gensqui étaient partie prenante de ce pro-jet ont cru qu’ils allaient changer lemonde… » En toile de fond, la guerred’Algérie, les soulèvements dans lespays du tiers-monde, mais aussi lesinsurrections et la dissidence dansles pays d’Europe centrale. Unevision de l’engagement et du mili-tantisme culturel qui ne cède rienà l’ostracisme et qui demandeaujourd’hui à être transmise. L. B.

Musée de l’imprimerie13, rue de la Poulaillerie 69002 Lyon

zoom /événement

François Maspero etles paysages humains

Commissaires d’exposition :Bruno Guichard et Alain Léger

Conseiller scientifique : Julien HageCatalogue : coédition La Fosse aux ours / À plus d’un titreVidéo : entretiens entre FrançoisMaspero et Paul BlanquartBudget : 120 000 €Partenaires : Région Rhône-Alpes,DRAC Rhône-Alpes, French AmericanCharitable Trust, Médiapart, Maisondes écrivains et de la littérature,Ville de Lyon, IMEC

Exposition du 16 septembre au 15 novembre 2009

Rencontre avec François Maspero12 octobre à 18h

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ères

Une exposition au Musée de l’imprimerie de Lyon

Maspero & Cie

Cap à l’EstRendez-vous international né à lachute du Mur deBerlin du désir demieux connaître laculture des pays

d’Europe centrale etorientale, le Festival Est-Ouest organise sa 19e édi-tion à Die,dans la Drôme.En 2008, la manifestationa abandonné son rythmebiennal et propose désor-mais chaque année unévénement centré sur leslittératures d’Europe.Cet automne, avec pourthématique « D’Istanbulà Berlin », le festival met en lumière la créa-tion littéraire contemporaine turque et lesrapports qu’elle entretient avec son payset son héritage culturel,d’une part,et avecl’Europe, d’autre part. « En proposant l’axede réflexion “D’Istanbul à Berlin”,nous sou-haitons rendre compte de la manière dontl’immigration turque en Europe,notammenten Allemagne, a nourri une “littérature de

l’exil” dont un certain nombre d’écrivainsd’origine turque se sont faits les porte-paroles », indique l’équipe du festival.Une quinzaine d’écrivains turcs venus de

Turquie,d’Allemagne,deSuède,d’Angleterre et deFrance,seront présents àDie et partiront ensuiteen tournée dans desbibliothèques et deslieux culturels dans laDrôme,en Rhône-Alpes,mais aussi en Bourgogneet en Île-de-France.Parallèlement à cesrendez-vous, le FestivalEst-Ouest a égalementimaginé des exposi-tions, des rencontresen milieu scolaire, des

conférences, un village associatif turc,ainsi qu’une programmation cinéma,musique et spectacle vivant. M. B.

Festival Est-OuestDu 16 septembre au 2 octobre 2009Die (26)www.est-ouest.com

Les Cahiers de l’Ogre5 € (abonnement : 30 €)42, avenue Maréchal de Saxe69006 LyonMél. [email protected]

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jeune initiateur et illustrateur talentueuxde ce projet, évoque une tentative litté-raire de « digestion exhaustive ». Centréeavant tout sur la région Rhône-Alpes, larevue s’autorisera quelques escapadesthématiques vers d’autres contrées et,chaussant ses bottes de sept lieues, iraprésenter sa modeste bedaine (16 à 32pages) sur les salons de Paris et deGrigny à l’automne. M. B.

Librairie La Joie de lire dans les années 60.

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livres & lectures/ jeunesse

Depuis Le Combat d’hiver (GallimardJeunesse,2006),Jean-Claude Mourlevatgoûte les longues fresques roma-nesques, celles qui accompagnentleurs lecteurs plus que quelquesheures, celles qui prennent le tempsdu conte, de la poésie et du souffle.Regard sur son dernier roman : Le Chagrin du roi mort.

Nous sommes sur l’île de Petite Terre,quelque part en contrée nordique,et lemonde s’apprête à basculer : le roi vientde mourir, laissant un trône sans succes-seur depuis la mort de son fils,assassinépar un neveu félon et banni. Alors quetout Petite Terre défile devant ladépouille du souverain pour un dernierhommage, le jeune Aleks va devenirdépositaire d’une prophétie quiconcerne son frère jumeau.Pourquoi lespectre du roi l’a-t-il enjoint de se méfierdu feu qui brûle ? Quelques jours plustard, son frère est enlevé…Amour fraternel, amour filial, amourd’un homme pour une femme : Jean-Claude Mourlevat a voulu écarter toutepudeur pour aborder frontalement etsimplement ce thème éternel. Et pourmettre en place cet échiquier du cœur,l’auteur a eu recours aux meilleurssecrets, ceux qui hantent les familles ettroublent les États… Un grand romandont l’écriture,ample et généreuse, tienttoutes les promesses. A.-L. C.

Jean-ClaudeMourlevatLe Chagrin du roi mortGallimardJeunesse402 p., 16 €ISBN 978-2-07-062387-7

Y a-t-il une phrase, un personnage ou un épisodefondateur, à l’origine de cette nouvelle fresque ?Un épisode tout à fait particulier a déclenchél’écriture de ce roman : mon père est décédé en 1999et j’ai été très touché par la longue procession des gensqui s’avançaient dans l’église pour saluer le disparu.Les gens passaient, passaient, passaient encore…Ce défilé semblait ne jamais devoir s’arrêter. Monpère a toujours vécu au même endroit,en Auvergne,mais je ne savais pas qu’il avait laissé cette marque-là dans le village. J’ai transposé ce souvenir dans lascène d’ouverture du roman, la première scène dufilm, si on peut dire, car je fonctionne beaucoupà partir d’images : le vieux roi est mort, son corpsrepose dehors, sur la grand place, et tout son peupleest venu pour un dernier adieu. J’ai glissé dans cettefoule deux gamins,deux frères,dont j’ignorais encoretout,en attendant de tirer les fils d’une histoire qui serévèlerait au fur et à mesure.

L’histoire se construit avec beaucoup de fluidité…La fluidité n’est pas ma langue maternelle ! Je travaillebeaucoup l’écriture. C’est cet effort d’écriture quidonne son évidence et sa forme au scénario.

On note aussi un retour du conte dans ce récit…J’échappe difficilement au conte – L’Enfant Océan,déjà,rappelait Le Petit Poucet. Dans Le Chagrin du roi mort,on trouve bien sûr l’inspiration des sagas islandaises :les deux frères, lecteurs de sagas, vont eux-mêmesen devenir des héros.Mais ce qui m’intéresse plus,c’est le rapport entre la fiction et la réalité.On peutinterroger ces deux notions à l’infini jusqu’à sedemander si la vie réelle, que l’on considèrecomme évidente,n’est pas plus improbable que lafiction… J’aime le mélange des genres dans meshistoires. Ici, le conte vient se frotter à des tonsbeaucoup plus crus, plus durs, parfois pervers.

Un conte cruel ?Pas uniquement.Dès que j’écris, je suis très facilementporté par la mélancolie et le drame.Mes histoires pour-raient finir très sombrement : mes personnages seraientsoit morts soit malheureux ! Par exemple, je reste fas-ciné par la quête désespérée du jeune Aleks, lorsqu’ilcherche Lia, sa fiancée, pendant des années, avec sonseul carnet et le portrait qu’il a fait d’elle. C’est unerecherche éperdue et vaine qui devrait le conduire à lafolie. Pourtant, tout se finit bien. Je ne suis pas totale-ment convaincu par ce happy end. Est-ce une conces-sion faite à la littérature de jeunesse ? Peut-être. Si jen’écrivais que pour moi,l’errance d’Aleks n’aurait jamaiseu de fin. Mais sans lecteurs, je ne suis rien…

Vous écrivez en écoutant de la musique. Laquelleavez-vous choisi pour le Chagrin du roi mort ?Passages, un très beau CD qui est une collaborationentre le compositeur Philip Glass et le musicienindien Ravi Shankar. La musique m’aide à décollerdu quotidien et à plonger très vite dans l’univers men-tal de mon histoire. L’état d’écriture ne se décrètepas ; on ne sait jamais comment le provoquer. Or, jesuis un auteur assez physique : trop de réflexionm’empêche d’avancer. J’ai besoin d’une impulsion,d’une mise en mouvement. La musique me sert àcela, mais j’invente aussi beaucoup en marchantou en courant.

Vos textes sonnent à l’oreille et vous les lisezd’ailleurs beaucoup à voix haute.Auriez-vous enviede revenir au théâtre ?Je me suis désengagé du théâtre en passant à l’écri-ture – j’ai d’ailleurs eu plus de jubilation à être met-teur en scène que comédien… Il me semble quel’écriture me permet d’aller plus loin dans l’acte créa-tif.Si je continue à donner beaucoup de lectures,c’estpour garder le plaisir du contact direct avec le public.Mais, pour l’instant, je me sens bien dans le roma-nesque. Explorer de nouvelles formes n’est pas àl’ordre du jour. Il m’a fallu six mois (ce qui est tou-jours un peu inquiétant) pour faire le deuil duChagrin du roi mort. Et je viens de commencer unnouveau roman.On retrouvera le même format et lamême thématique du froid que dans mes deux der-niers livres,mais avec un récit encore différent : plusfantastique, plus urbain. Je n’en suis qu’au chapitrequatre, et, bien sûr, je ne sais pas du tout où je vais,mais je ne veux surtout pas qu’on puisse me direque ce livre est moins bien que les autres ! Il fautavoir du culot pour l’entreprendre et, plus encore,pour l’annoncer ! C’est un peu comme un pari,maisl’incertitude et le doute sont mes moteurs préférés…Propos recueillis par Anne-Laure Cognet

Jean-Claude Mourlevat : le mélange des genres

D’amour etde glace

1952 : Jean-Claude Mourlevatnaît à Ambert (Auvergne)1976 : devient professeurd’allemand1986 : se lance dans le théâtreclownesque. Crée plusieursspectacles en solo qui font

le tour du monde1990 : passe à la mise en scène1997 : publie son premier livre pour enfants2006 : reçoit le prix FranceTélévisions pour Le Combatd’hiver

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manque pas de force dans sa révolte :une écriture concise,coup de poing,comme souvent dans cette collec-tion destinée à la lecture à voixhaute. Le sujet, par son actualité

Le quartier Paradis ? « C’est pas unecité, c’est pas la banlieue, juste unquartier en ville. Des magasins, uncinéma,une bibliothèque,notre école[…]. Honnêtement c’est un coinnormal ». La surprise est alorsd’autant plus grande pourMatéo de voir débarquer dansson lycée, en plein cours, la bri-gade des stups. Attention,grand jeu : chien, fouilles,interpellations,humiliations entous genres… Au final, si Matéo– fils de flic lui-même – se faitpincer pour un peu de shit dansson blouson, c’est surtout soncopain Zaher, réfugié afghansans papiers, qui va payer leprix fort. Un texte qui se nourritdirectement de faits divers simi-laires, qui ont fait grand bruit etprovoqué l’émoi des parents etdes enseignants à la fin 2008dans différents établissementsdu sud de la France. L’auteur ne

livres & lectures/ jeunesse

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image,pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailBons départs« Quand est-ce que quelque chose commence ? »Cette question d’Enrique Vila-Matas dans sonJournal volubile, je me la suis posée de nombreusesfois.Bien entendu, se demander « quand ? », c’estaussi se demander « où ? ».Tous les lieux renvoienttoujours aux livres, semble-t-il. Invité à une mani-festation littéraire à La Baule, Vila-Matas écrit :« Je crois qu’au fond, je n’y suis venu que pourdécrire dans mon journal cette ville de la côteatlantique française et surtout pour noter unephrase qui exigeait, si je voulais qu’elle fûtvraie,que je me déplace jusqu’à cette plage.La phrase ? Elle est simple et authentique :“Je suis venu à La Baule pour pouvoir écrireque je suis à La Baule.” Pour y arriver, j’ai dûpasser par Nantes où est né Jules Verne, ce qui m’aamené à évoquer une scène qui se distingue de tousmes souvenirs d’enfance… »

J’ai la sensation que,pour moiégalement, c’est vraiment

comme cela que leschoses arrivent. Un

paysage, unephrase dans

un livre, unvisage dans un

film, un tableaudans un musée,

chacun me révèleune sorte de fami-liarité, une proxi-

mité. À cet ins-tant précis,

il me fautnoter la phrase

qui m’arrive, la pre-mière phrase, simpleet authentique.

Enrique Vila-MatasJournal VolubileChristian BourgoisÉditeur

chronique Géraldine Kosiak 6 /

La victoireen nageantLes exploits de l’équipe de France denatation aux J.O.de Pékin ont inspiréRoland Fuentès.Julien est surnommé« le sapin » à cause de ses yeux qui cli-gnent et de ses hochements de tête« comme Oui-Oui ». Des tics nerveuxqu’il ne parvient à dominer que lors-qu’il nage à la piscine d’Aubagne, oùle champion Alain Bernard fit ses pre-mières brasses.Nuit après nuit, Juliensuit à la télé les J.O. Son défi : domi-ner ses tics le temps d’une course.Pendant qu’en Chine les records tom-bent, il remporte une belle victoire surlui-même.Avec la langue inventive etle sens du cocasse qui le caractérisent,Roland Fuentès signe un romansportif dopé à l’espoir. Myriam Gallot

Roland FuentèsTics olympiquesSyros, collection « Tempo »96 p., 5,90 €

Un clandestin aux Paradis brûlante, peut prêter à dérapageou flirter avec la naïveté des bonssentiments.Ce n’est pas exactementle cas ici. Tout au plus peut-onregretter quelques facilités dans lamanière de tenir et d’aboutir letexte – signes d’un premier roman ?Une nouvelle voix à suivre, néan-moins, avec attention… A.-L. C.

Vincent KarleUn clandestinaux ParadisActes sud JuniorCollection « D’uneseule voix »91 p., 7,80 €ISBN 978-2-7427-8363-2

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François Beaune : le roman d’unhomme louche

Journald’un « fou »Premier roman de François Beaune,dont on avait découvert l’universsingulier dans la revue Louche, qu’ila fondée, Un homme louche nousmène sur les pas de Jean-DanielDugommier à travers le journal quece personnage a tenu à deux périodesde sa vie, l’adolescence et l’âge adulte.La première partie révèle un adoles-cent solitaire,surnommé « Le Glaviot »,qui masque son intelligence et sonambition sous des oripeaux de saletéet de bêtise. Lecteur boulimique, fande hard rock,ce jeune homme mysté-rieux,en retrait de ses semblables,noteavec minutie les événements de safamille et du village jurassien quil’entoure en s’interrogeant sur sa placedans le monde. Dugommier a la qua-rantaine lorsqu’il écrit le journal quicompose la deuxième partie duroman.Toujours aussi seul,ce pionnierde la théorie louche se penche alorssur une vie faite de souffrance,d’échecs, mais aussi de momentsd’épiphanie. Deux carnets, écrits à 25ans d’écart,qui embrassent,en creux,l’existence d’un homme.Des croquis,des notes,des bouts d’essais,des théo-ries composent ce roman ambitieuxet foisonnant,en constante rechercheformelle, mais qui n’en oublie paspour autant de créer des person-nages, de raconter des histoires etd’inventer une langue. Yann Nicol

Dans son premier roman,L’Autoportrait bleu,Noémie Lefebvremet en scène une jeune femmedans un avion.Plus précisément,ellenous confronte à la pensée d’unenarratrice évoluant à des kilomètresd’altitude. L’écriture réussit en effetle tour de force de restituer les tourset détours d’une intelligence laisséeà elle-même, vagabondant de sou-venirs anciens en analyses variées.Les souvenirs qui remontent à lasurface tout comme l’examen dedifférentes théories jouissent dansce monologue intérieur d’un même

rentrée littéraire / premier roman

Avec Un homme louche,vous prolongez le travailentrepris avec la revueLouche, dont vous êtes lefondateur. Dites-nous unmot du rapport « sous-réaliste » au monde quicaractérise le héros devotre premier roman ?Le héros de ce roman,Jean-Daniel Dugommier, déve-loppe à la fin de sa vie unefumeuse théorie louche,manière d’observer,de per-cevoir la réalité comme enlouchant sur elle afin de lafaire imploser, de révélerses bulles de sous-réalité.C’est la vie dans les trousdu Gruyère qui l’intéresse,explique-t-il, ce qui se passe dans ce tunnel de limbes bleuau milieu du Morbier. Jean-Daniel m’aidait déjà, avant dedevenir le héros de ce livre,à théoriser sur les objets louchesque nous présentions dans la revue. Il était l’inventeur, lesavant louche, pseudo-auteur d’un Manifeste sous-réalistejamais écrit. Avec le roman, il prend corps, il devient l’undes personnages de mon monde, il descend de sa tourd’ivoire et va rejoindre les autres, Gaëtan Barthélémy(Louche n°3), Peldugland (Louche n°4). Ce qui m’intéresseavant tout, c’est de faire des portraits, de raconter les per-sonnages dans leur contexte, que ce soit sous la forme dedocumentaires comme dans la revue, avec de vraies per-sonnes aux univers étranges, ou sous la forme de fictionsdans des romans.

Le livre se présente sous la forme d’un journal tenu parle personnage/narrateur du roman. Quels sont les enjeuxde cette mise en abyme ?Un homme louche est l’histoire d’un homme qui se cache,qui se déguise pour mieux observer les autres, leur quoti-dien. Le journal de bord est la voix de sa solitude, de lamême manière que la voix-off de Travis, dans Taxi Driver,qui se raconte parce qu’il n’a personne à qui parler. Le genre

du journal permet aussi de créer desvides entre les différents momentsd’écriture, de suggérer, de laisser lelecteur établir par exemple ce qui estarrivé au cours des 25 ans qui sépa-rent le premier carnet du deuxième.

Ce journal se compose d’un grandnombre de matériaux : l’écritureintime, bien sûr, mais aussi descroquis,des « extraits » de coupuresde presse, des tentatives de défi-nitions scientifiques, des boutsd’essais, des modes d’emploi, desparenthèses… On retrouve là lespossibilités sans limites du genreromanesque…Jean-Daniel est en perpétuellerecherche de sens, il s’est donnécomme objectif de comprendre lemonde qui l’entoure,alors il tente desexpériences, formule des théories.

Il dessine quand il ne peut plus s’exprimer,il découpe,il fouille,il expérimente avec tout ce qui lui tombe sous la main.

Entre la première partie du journal et la seconde sedessine le portrait d’un (jeune) homme qui cherche uneplace dans le monde. Votre roman est aussi une réflexionsur la solitude, la liberté, la famille et le rapport aux autres…Pour Jean-Daniel, la liberté,c’est arriver à limiter son espace– tout le temps, il cherche ses limites, les lignes sur l’asphalte, les marques au sol… – et en comprendre lesmécanismes. La solitude est la condition de toute formede compréhension : elle le place dans une position de reculfécond qui, tout comme le silence ou l’ennui, lui fait

entrevoir le monde différemment.Bien sûr il subit son sort, il souffre,mais il lutte pour continuer à vivre.Propos recueillis par Y. N.

François BeauneUn homme loucheVerticales350 p., 20 €ISBN 978-207-0126033

traitement de faveur. Le tout est sau-poudré d’un humour perspicace, quiaide à disséquer des situations évo-quées avec minutie.On découvrira ainsiavec une grande jubilation comment labelle-mère de l’héroïne ne supporte pasla désinvolture dont celle-ci fait preuvelorsqu’elle joue au tennis.Ou commentun baiser devient indispensable oumalvenu selon les circonstances…Mais l’on suivra aussi avec tout autantde plaisir cette pensée aborder diffé-rents thèmes de la création artistiqueà travers des musiciens, des peintresou des écrivains. N. B.

Noémie LefebvreL’Autoportrait bleuVerticales144 p., 13,90 €ISBN 9-78-207-0126330

Une écriture de haut vol

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un peu folle. Desséchée par lesdeuils, celle-ci espère en vain quebondisse à nouveau « sa » cascade,où elle dispose des miroirs dans unrituel à la magie inopérante. Sams’en va, tente d’entrer dans les habitsd’un autre, vit en usurpateur uneétrange histoire avec Rose, l’amie dudéfunt. Il revient finalement sur sespas, vers les hauteurs originelles.André Bucher marche dans ce nou-veau roman sur ses propres traces :le « retour au pays », le deuil et l’ab-sence, la rudesse énigmatique destrajectoires.Son écriture n’est jamaisaussi juste que quand elle capte l’ef-froi ou l’extase de ses personnagesdans une nature baroque,excessive.Leur manière de faire corps avec lepaysage, qui est tout sauf un décor,plutôt une présence radicale. Lepuissant et sensuel portrait d’Éliseélectrise ainsi de nombreuses pagesdu roman.D’indéniables qualités quifont d’autant plus regretter une nar-ration parfois maladroite.Comme uneeau sur l’incendie. Danielle Maurel

André BucherLa Cascadeaux miroirsDenoël180 p.ISBN 978-2-20726087-6

ALIDADES

Processiond’Albertine et GermanoZulloLe poème de Germanoavance ici au même rythmeque les dessins d’Albertine,en une procession recueilliesur laquelle souffle un airde fantaisie. De l’humour etde la tendresse pour contercette chaîne de prière à unDieu d’abord lointain etterrible qui devientfinalement cet autre prochequi marche en nos penséeset en nos désirs.

32 p., 5 €

ISBN 987-2-906266-81-0

CHAMP VALLON

Le Bain de l’histoire –Charlotte Corday etl’attentat contreMarat (1793-2009)de Guillaume MazeauMarat a-t-il été assassinépar Charlotte Corday, oupar les historiens eux-mêmes ? Depuis le13 juillet 1793,l’événement a longtempsété controversé. Cetteétude en propose unéclairage et en rechercheles sources politiques.

collection La chose publique

465 p., 29 €,

ISBN 978-2-87673-501-6

Colorés et largementillustrés, ces guides sont unetrès belle façon de mieuxconnaître les richessespatrimoniales et historiquesqui nous entourent ou degarder le souvenir d’unevisite au musée.

48 p., 8,50 €,ISBN 978-2-907981-23-1

CRÉAPHIS

Saurais-je me souvenirde tout ?d’Ahmed Kalouaz ;Raymond Escomel, ill.Telles des « nébulositésvagues », terme emprunté àHenri Bergson dans Matièreet mémoire, Escomel faitsurgir ses images du sombrecouloir de sa mémoire.Sobrement accompagnéespar les mots d’AhmedKalouaz, elles nous offrentune évasion poétique entrevécu et imaginaire.

collection L’Animal fabuleux109 p., 19 €,ISBN 978-2-35428-020-8

ÉDITIONS DOLMAZON

Paroles de réfugiés,paroles de justes : La Montagne dans la guerre,terre d’exil, terre d’asileautour du Chambon-sur-Lignon

d’Annik Flaud et GérardBollon ; Simone Veil, préf.Pendant la Seconde Guerremondiale, comme nullepart ailleurs, au Chambon-sur-Lignon et dans lesvillages avoisinants, on semobilise pour sauver lesJuifs et accueillir lesréfugiés. À travers différentsrécits de vie, ce sont lesvaleurs et l’histoire de touteune région qui nous sonttransmises.

152 p., 22 €,

ISBN 9782911584282

rentrée littéraire / roman

chemins, dégage d’autres points devue : sur les proches,sur le monde,sursoi.Étrange pouvoir des mots.À causede l’allemand, Laura se trouve horsd’elle, en décalage. C’est d’ailleurs ceque cherchait la jeune narratrice enfuyant sa famille, proche de l’implo-sion suite à un drame autour duquelle silence s’est fait.Laura est entre deux : entre la France

et l’Allemagne, entre lemonde des adultes et legouffre de l’adolescence,entre le vide qui la hanteet la vie qui l’appelle,entreLa Montagne magique,qui la fascine, et MeinKampf, qu’elle découvrechez le père de M.Bergenet lit en cachette pouressayer de comprendre…Tout, chez elle, est affairede liens à créer et depassages à franchir. Lesilence est la langue la

plus courante de cet entre-deux.Un silence douloureux, torturé,incertain. Brigitte Giraud sait admi-rablement lui donner une voix.Roman de l’hésitation, de la gêne, del’impossibilité permanente,Une annéeétrangère raconte comment la jeunefille tente de déjouer la vacuité qui

l’habite et de trouver un espace oùêtre, un air à respirer. Au prix dequelles souffrances,de quels concoursde circonstances, de quelles chanceset de quel malheurs… ! Presquepar accident, entre deux famillesqui partent en lambeaux.Le lecteur l’accompagne, au plusprès,partage son extrême solitude,ses désarrois, son incapacité àrejoindre la réalité, sa difficulté àcommuniquer avec ceux qui,autourd’elle, se cherchent aussi sansjamais se trouver. Ce monde-là esttout entier peuplé de solitudes. Leroman les parcourt à petits pas, àpetites phrases, secrétant une ten-sion extrême à partir de si peu :« comme une fête peut tourner audrame ». L. B.

Brigitte GiraudUne année étrangèreStock216 p., 17 €ISBN 978-2-234-06346-4

Le feu et l’eauSam profite d’un violent incendieprès de la ferme familiale pour sefaire passer pour mort, empruntantl’identité d’un jeune ornithologue« dévoré par le brasier ».Cet hommeordinaire, chauffeur de car de sonétat, pense ainsi se tailler surmesure une autre vie,échapper sansdoute à l’emprise d’Élise, sa mère

nouveautés des éditeurs

On est trop sérieux quand on a dix-sept ans. Échappant à sa scolaritéet aux siens, Laura découvre lespaysages du nord de l’Allemagneet cherche sa place de jeune filleau pair dans la famille Bergen.Cherche sa place tout court.Une année étrangère : roman enéquilibre entre le vide et lesilence signé Brigitte Giraud.

Ce que permet une autre langue,c’estde s’absenter.Et,parfois,de se retrou-ver. Ailleurs. Un peu comme lamusique – le rock des années 80 – siprésente dans le roman de BrigitteGiraud.Cette langue occupe un espacenouveau, ne s’installe pas à la placede l’autre, ouvre simplement d’autres

« And wait / And Wait / And Wait / Something to happen… »

Entre deux mondes

CONSEIL GÉNÉRAL DE L’AIN

Guide des muséesdépartementaux de l’Ain : Musée départementalde la Bresse – Domaine des Planonsde Pascale Court et Céline ChanasEn décembre 2008, laconservation des musées de l’Ain lançait une série de guides des collections des musées gérés par leDépartement. Une premièreparution a été consacrée aumusée du Bugey-Valromey.En février 2009, un deuxièmeguide décrit la collection du musée départementalde la Bresse – Domaine des Planons. Deux autresnuméros sont en préparation.

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ENS ÉDITIONS

Juger les crimes contrel’humanité – 20 ansaprès le procès BarbiePierre Truche, dir.Retraçant les réflexionsmenées lors d’un colloquetenu en octobre 2007, soitvingt ans après l’apparitionde la notion de crime contrel’humanité, ce livre pointeles enjeux politiques,juridiques et mémoriels qui y sont liés.

266 p., 19 €,ISBN 978-2-84788-150-9

ÉDITIONS FAGE

Un art sans artChampfleury et les arts mineursde Bernard VouillouxPour comprendre la genèsede la notion d’« artspopulaires », il estnécessaire de relireattentivement les textes deChampfleury (1821-1889).C’est ce que propose icil’auteur, mettant au jour la pensée pionnière del’écrivain et romancier,qui fut aussi administrateurde la Manufacture nationalede Sèvres.

176 p., 19 €,ISBN 978-2-84975-167-1

Journaliste provocant lejour et dealer de cocaïnedans les boîtes de nuit,il risquera peut-être dedéranger les lecteurs enleur tendant le miroir deleur lâcheté quotidienne.

188 p., 18 €,ISBN 978-2-35707-003-5

ÉDITIONS GUÉRIN

Guide des désertsUne vie au Saharade Jean-Louis BernezatJean-Louis Bernezat et safemme Odette ont vécuplus de 40 ans dans leSahara central et la sommedes connaissances qu’ilsont accumulées estinépuisable. Ce livre raconteune vie de guide, qui, aprèsla montagne, découvred’autres immensités ettransmet le bonheur desgrandes explorations.

300 p., 55 €,

ISBN 978-2-35221-036-8

LA PENSÉE SAUVAGE

Dis, c’est commentquand on est mort ?Accompagner l’enfantsur le chemin du chagrind’Hélène RomanoIssu de la riche expérience del’auteur dans la prise encharge d’enfants et de familles

LA FOSSE AUX OURS

Le Chroniqueur sans cœurde Francesco Abate ; Marc Porcu, trad.Dans ce livre nous suivonsRudy Saporito, fils d’unefamille bourgeoise deCagliari en Sardaigne,dans sa double vie.

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Quand elle viendra, elle n’aura plusqu’à ramasser et essuyer. » Cetextrait l’indique assez clairement :Ananda Devi n’a aucunement enviede rendre sympathique le « héros »de son dernier roman, Le Sari vert.C’est même tout le contraire.Plutôtque de partir en paix,ce docteur,quise meurt dans une maison deCurepipe, sur l’île Maurice, a décidéde régler ses comptes avec les siens etavec les souvenirs qui l’envahissent.Les deux femmes qui l’entourent, sa

fille et sa petite-fille, vontservir de déversoir à sa plusâcre bile. Mais la haineappelle la haine et sesproches ne resteront paspassives.D’autant que l’hommecouché a perdu de sasuperbe. Il n’est plus lefameux « Dokter-Dieu »qui jouissait de la considé-ration de tous,alors que samanière d’exercer lamédecine n’était pas tou-jours très reluisante… Lafille et la petite-fille vont àla fois cuisiner le quasi-grabataire à petit feu etencaisser ses provocations,cherchant à l’interroger surles relations qu’il a nouéesavec elles et avec la mère,dont elles ne s’expliquent

Le Sari vert, d’Ananda Devi,décrit les derniers jours d’unhomme réduit à l’état de gra-bataire, qui déverse conscien-cieusement sa haine.

« La colère réveille un goût de fieldans ma bouche. J’ai envie de cra-cher. Il y a une boîte de mouchoirsen papier à côté de mon lit, mais jeme racle la gorge bien profondémentet crache,sur le sol,un globe de glaireverdâtre qui me fait beaucoup de bien.

pas la disparition, survenue dans deterribles circonstances.C’est la figure d’un véritable tyrandomestique que dessine ici AnandaDevi. Malgré son aspect repoussant,sa misogynie, son racisme ordinaireet sa haine du genre humain, le por-trait reste tout à fait fascinant. Il estbrossé avec une violence extrême,unhumour dévastateur,sans concessionaucune,suivant une progression cap-tivante,qui conduit à la résolution despires secrets. Un roman doté d’uneforce qui devrait lui permettre de sedistinguer dans cette rentrée littéraire.Nicolas Blondeau

Ananda DeviLe Sari vertGallimard224 p., 16,50 €ISBN 978-2-070-30218-5

L’aventured’une écritureDesigner de haut niveau, MarcTravenne a « réussi sa vie », maiss’avise un jour qu’il est passé à côtéde lui-même. Rupture spectaculaire.Refuge dans la montagne ardéchoise.Par le corps à corps avec unenature sans pittoresque, il s’agitde gravir les marches vers cetailleurs intérieur.L’homme croisesur ce sentier mental une ran-donneuse peu ordinaire, enga-gée dans une odyssée le longde la « diagonale du vide ».

Cette ligne traverse la France du nord-est au sud-ouest et en délimite leszones les plus désertiques.Métaphorede la quête de Marc et d’une possiblenouvelle histoire à vivre.« Un sujet deroman particulièrement rebattu »,noteironiquement un éphémère protago-niste de ce livre risqué. Car le débutlaisse craindre le pire. Des person-nages convenus, des réflexionsmorales standardisées, une intriguebanale. Mais très vite, le proposdevient plus ébouriffant.La musiqueconnue de Pierre Péju se faitentendre. Un ton fait de précision etd’incision,et des thèmes obsédants :la solitude des êtres, la confrontationau mal, la quête de soi et de l’autre.Des personnages autrement pluscomplexes naissent sur la route dunarrateur, l’ambiguïté fraie son che-min. La puissance du texte explosealors au détour de scènes hallucinées,dans la montagne afghane, dans leslambeaux d’une cité industrielle,dansla vision dorée d’un antan villageoisoù l’on savait cultiver son jardin.C’estdans ces écarts singuliers que s’im-pose pour le lecteur « l’aventure d’uneécriture »,comme aurait dit Ricardou.Et pas seulement l’écriture d’uneaventure. D. M.

Pierre PéjuLa Diagonale du videGallimard288 p., 18,50 €ISBN 978-2-070-78103-4

rentrée littéraire / romanLe deuxième roman d’Ananda Devi

Vert de rage et de haine

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Émilie Pellissier

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Page 11: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

De Aa à Ziniars, c’est plus de deux mille ans del’histoire de Lyon qui défile sous nos yeux, avecforce documents à l’appui. Non pas seulementles lyonnais, mais aussi ceux qui ont fait, etparfois défait, Lyon. Non pas seulement uneville, mais une façon d’être, d’y être, d’en être.Entière et éparse : à part.

Un monument d’érudition ; un puits de culture(s) ;une somme de connaissances ; une mine de ren-seignements. Les mots manquent assurément – etne manquent pas… – pour qualifier un dictionnairefleuve qu’irriguent plus de 1 700 notices, et où seretrouvent personnages, lieux et événements qui ontfait de Lyon la ville qu’elle est aujourd’hui :

ombreuse et parfois ombrageuse, entière etéparse, captivante quoique jamais capitale(excepté, il est vrai, le temps d’un Empireromain, et celui, beaucoup plus éphémère,des guerres d’Italie).Baudelaire le disait à sa manière, lorsqu’ilévoquait, à propos du peintre Chenavard,uneville « philosophique », « où les choses ne semirent pas clairement, elles ne se réfléchissentqu’à travers un milieu de vapeurs ». Et lesauteurs de ce dictionnaire de nous faire sen-tir ce très léger décalage entre Lyon la modé-rée et les autres : comme si la ville avait tou-jours cultivé sa différence et comme s’il fallait,pour l’écrire, la suivre en ses penchants.

C’est la raison sansdoute qui a conduit à nepas trancher entre lespersonnages (hommespolitiques, écrivains,peintres, etc.) qui furentconnus et ceux que l’on afini par oublier, lesméconnus qui méritentle détour, ceux qui sontlyonnais et n’ont pour-tant jamais voulu l’être(tel Saint-Exupéry), ceuxqui ne l’ont jamais été etqui auraient bien méritéde… C’est qu’il n’est pasinterdit d’être d’ailleurspour être d’ici. Voire.

Pas comme les autres…

De même, il ne suffit pas d’être ingénieur,ou génie, mais il faut peut-être plus élégam-ment se révéler ingénieux. Artiste et artisan.Inventeur et inventif (les frères Lumière sontde ceux-là ; Ampère aussi ; Tony Garnier dansun autre genre ; et que dire de Teppaz, leself-made-man par excellence, l’homme del’électrophone portatif ) : c’estle supplément d’âme queréclame une ville que l’ondirait presque célibataire,endurcie-raffinée et qui nes’en laisse pas compter par lepremier venu. N’est pas, àLyon, le melhor qui veut !Le flou,si artistique qu’il soit,neveut néanmoins pas dire confu-sion : il faut rendre hommage

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brutalement endeuillés, cetouvrage aborde les façons derépondre aux enfants qu’ilssoient bébés, petits ouadolescents. Il souhaite aiderchaque personne confrontée à la mort d’un proche,l’accompagner et luipermettre de continuer à vivre.

157 p., 18 €,ISBN 978-2-859192-46-4

LA PETITE FABRIQUE

Intime Violenced’Élizabeth Chabrol ;Élizabeth Bard, empreintesAvec ce dernier titre,Anne-Laure Héritier Blanc,qui dirige La Petite Fabriquedepuis 2004, confirme ses

talents d’alchimiste auservice d’objets soignés oùse mêlent mots et images.C’est à partir d’un texteinédit d’Élizabeth Chabrolque la forme du livre a étépensée. Dans les différentspapiers, Élizabeth Bard agravé des lignes fines quiaccompagnent les mots.Lisse ou rugueuse, épaisseou transparente, chaquepage est une étendueblanche où douceur etpureté accueillentl’« intime violence »du poème.

10 p., 140 €,

ISBN 978-2-9162-3411-3

aux auteurs de cedictionnaire d’avoirpris l’histoire à bras-le-corps, avec desnotices lucides etsans concession surla « collaboration »,le « négationnisme »,qui remettent la polisdans une juste perspective. On notera aussi lescoups de griffes aux bétonneurs et autres démo-lisseurs (ce sont parfois – souvent – les mêmes)qui ont rasé – pas vraiment gratis – le Palais d’Hivercomme le Palais des Congrès, la salle de spectaclel’Eldorado, tous lieux aimés de tout lyonnaisqui se respecte. On s’interrogera peut-être surl’entrée en matière de la notice « Université »,un brin corrosive (mais pas sans fondement, aumoins sur le plan historique) : « Si Lyon n’a pasun long passé de ville universitaire, c’est qu’ellene semble pas vouloir le devenir » !Longtemps, très longtemps, Lyon s’est couchée de

bonne heure,repue et satisfaite qu’elleétait de sa seule lyonnaiserie de prin-cipe.Quatre auteurs la réveillent pourmieux la révéler : définitivement etadmirablement pas comme les autres.Roger-Yves Roche

Éditions Stéphane Bachès : un dictionnaire historique…

Ils sont fous ces lyonnais !Trois questions à Bruno Thévenon,coordinateur éditorial du projet

Peut-on brosser le portrait-type du lyonnaisqui a sa place dans l’histoire de la ville ?Peut-être celui qui,pour y être né, simplementpassé, ou s’y être établi, a cru au potentiel de

cette ville, qui l’a brièvement ou durablement inspi-rée, et qui a ainsi apporté sa pierre à l’édification deson histoire culturelle, technique, scientifique, poli-tique, économique, intellectuelle ou religieuse.

S’agit-il d’un dictionnaire engagé ?Dictionnaire engagé,oui,en tous cas pas neutre,puis-qu’il est la somme (1+1+1…) de notices toutes signéeset qui reflètent parfaitement un auteur précis quis’est… engagé à traiter du sujet via son prisme, sapropre sensibilité et même ses propres sources etméthodes de recherche.

Un regret ou une suggestion dans l’après-coup ?Pour le cinéma : ne pas avoir eu le temps de me pen-cher sur la riche histoire des ciné-clubs lyonnais,par ailleurs évoquée dans la notice « InstitutLumière ». Mais je me suis également penché sur lasculpture, l’architecture, l’urbanisme, la vie quoti-dienne… et précisément sur ces derniers sujets,l’Histoire s’écrit chaque jour et rend presque obso-lète chaque notice une fois qu’elle est écrite ! Objetsd’une prochaine édition du dictionnaire ?

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Dictionnaire historique de LyonPatrice Béghain, Bruno Benoît,Gérard Corneloup et Bruno ThévenonÉditions Stéphane Bachès1 504 p., 79 € ISBN 978-2-915266-65-8

Le pont de la Feuillée sur la Saône, v. 1906 / Au premier plan, un bateau de transport encommun de la ligne 5, assurant la navette entre Perrache et Vaise. Carte postale [coll. part.].

PLUS DE 1700 NOTICES

18 CAHIERS DE DOCUMENTS,SOIT 160 PAGES

PRÈS DE 10 000 NOMSCITÉS

PLUS DE 1500 PAGES

4 ANS DE TRAVAIL

Page 12: Cher Laurent, La rentrée est à tout Livre & Lire le monde

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portrait

Chronique de littératurebuissonnièreLa littérature touche encoreau vif. Voyez par exemplececi : il paraît (Le Monde deslivres du 2 mai 2009) que lalibrairie Lucioles à Vienne a

vendu, à ce jour, quelque 250exemplaires du dernier livred’Emmanuel Carrère, D’autres vies

que la mienne (P.O.L.). La raison ?Une partie de « l’action » se passedans la sous-préfecture de l’Isère.On savait l’engouement de la gentterrestre pour les lieux d’écrivains(maisons, chambres, tombes), onconnaissait moins la névroseinverse qui consiste, pour le lec-teur, à aller voir dans un roman cequ’il en est de son lieu à soi, sonenvironnement si l’on préfère. Enbref : où l’on habite. Dans le casprécis du roman de Carrère, le

Viennois sera forcément déçu : iln’aperçoit Vienne qu’à peine, etencore doit-il attendre le milieudu livre. Reste le reste : l’action. Ilpourra alors se dire qu’il a traversél’un des romans (?) vrais les plustérébrants de ces dernièresannées, qui nous parle et nousrevient presque d’entre la vie etla mort. Autre temps, autre lieu.R.-Y. R.

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

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À l’ancienneIl est né en 1939, a publié son premier roman noiren 1989,a pris sa retraite de l’Éducation nationale en1999 et fête ses 70 ans en 2009. Autant dire qu’ilne fallait pas attendre l’année prochaine pour serendre à Vienne et passer en revue les trois viesde François Joly. Portrait d’un militant, avec vuesur le Rhône.

Joly,c’est d’abord un format.Les épaules carrées et l’em-bonpoint du savoir-vivre. Il faut dire que Madame estun cordon bleu.Une chance,on profite du portrait pourmanger… Salade lyonnaise en pousses d’épinard, sautéde lotte aux petits légumes,sorbet mirabelle.L’ordinaire.À travers la baie, on voit les premiers coteaux deCondrieu. Mais le vin est de Bordeaux. L’homme a l’artdu contre-pied. D’ailleurs il parle facilement, mais pra-tique la pudeur à tous les étages de son existence. Onest au 8e, il fait beau, et de temps à autre, François Jolyraconte les péniches passer.Dans sa voix sonore, les échos lointains d’un Languedocd’autrefois.Souvenir de sa naissance à Béziers,des joursd’enfance à Vias, au bord du canal du Midi, à unepériode où la vie vaut à peine plus que du beurre aumarché noir. C’est la guerre. Les jours sont tristes. Saufcelui où,en 1943, le petit François fait enfin la connais-sance de son père, qui s’est évadé du camp allemandoù il était prisonnier. Il y a des temps où les temps sontdurs.Après-guerre, les vacances en Espagne fournissentle soleil pour l’année. Le gamin y passe des mois,apprend le catalan et l’espagnol, qu’il parle couram-ment. Aujourd’hui encore, Barcelone reste sa villed’adoption. Cité de gouaille, de roman noir et demusique. Le portrait pourrait s’arrêter là.À ceci près que la guerre tend une nouvelle embuscadeà François Joly. Alors que la famille s’est installée dansl’Isère et que le jeune homme a démarré ses étudesde droit à Lyon, respectant ainsi la volonté paternelle,le sursis de l’étudiant n’est pas renouvelé. On est en1961, l’appelé Joly François se retrouve en Algérie pourdix-neuf mois. Il est contre la guerre et refuse la section

autres, ceux des jeunes en particu-lier. Œuvrer, être utile, accepterl’autre… On se croirait à la Maisondes jeunes et de la culture à la findes années 70 ! En fait, on y est. Carle bénévolat,pour François Joly,c’estune seconde nature. Vingt-cinq ansde présidence de la MJC de Vienne,1 500 adhérents, 30 activités, le fes-tival Sang d’encre consacré aupolar… Il passe la main cette année.« J’ai toujours été dans l’esprit de laculture populaire,du rassemblementdes gens autour d’un projet com-mun. Ce n’est pas utopique.On a suf-fisamment de problèmes avec la vieet la mort pour ne pas parvenir às’entendre sur quelques objectifssympathiques… »Mais hormis sa vie au lycée deSaint-Romain-en-Gal et celle debénévole, Joly cultive sans cessesa passion du polar. Entre deuxréunions socioculturelles ou péda-gogiques, le CPE file régulièrementà Lyon chasser la Série noire. Il pos-sède aujourd’hui la collection com-plète, grâce à Choc Corridor et aulibraire Jacky Dugrand.Et après avoiréclusé des volumes et des volumes,il retrouve le chemin de l’écriture,toujours chargé de sa valise algé-rienne. Be-bop à Lola sort à la Sérienoire en 1989.Dans le hall de la rueSébastien Bottin, François Joly serend compte que l’écriture « avaittoujours été un rêve ». Depuis lors,une douzaine de titres ont paru. Jevous promets l’enfer (Oslo Éditions)sera le prochain, cet automne. Noiret bien serré. Entre-temps, il aurapassé un été prolongé à Majorqueet à la pêche au gros. On n’aimeraitpas être à la place du poisson. L. B.

d’élève officier qu’on lui propose. « J’ai connu le grandbordel de la fin », dit-il. Des opérations de maintien del’ordre face aux exactions de l’OAS et quelques scènesqui l’ont marqué à vie. Ses premiers pas dans l’écriturepartiront de ce non-lieu : Pute borgne, un récit sur laguerre qu’il ne publiera pas.Mais les mots sont là. Depuis son enfance, la lecture faitpartie du décor : Jack London, Fenimore Cooper et levirus Simenon transmis par le père. Une bonne maladie.

Un « E » majuscule

Après le séisme algérien, Joly reprend ses études. Enhistoire, cette fois, à Grenoble. L’armée permet aussiaux fils de s’émanciper des pères. Une passion pourl’archéologie, quelques travaux pratiques menés dansles sous-sols de Vienne, et puis une carrière dans l’Édu-cation nationale.Avec un « E » majuscule : « J’ai tout fait.De la maternelle au lycée,pion,maître-aux,prof et CPE… »Arrivé premier au concours national de Conseiller prin-cipal d’éducation en 1975, la forte tête choisit Saint-Romain-en-Gal plutôt que les grands lycées parisiens oula carrière académique. Question de racines et de voca-tion : « Moi, je me suis passionné pour le foyer socio-édu-catif au sein du lycée », rigole-t-il. Mais il est sérieux.N’aime rien tant que se colleter aux problèmes des

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Marion Blangenois

Ont participé à ce numéro : Nicolas Blondeau,Anne-Laure Cognet,Myriam Gallot, GéraldineKosiak, Danielle Maurel,Yann Nicol, Émilie Pellissier,Roger-Yves Roche et JaneSautière

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