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souffrance. Cette musique spirituelle n’oublie pas l’enjeu ducombatpourlalibération.Maislecœurdel’expérienceGospel,c’est la joiede ladélivrance.Finie lacaptivité, l’heureestà lacélébration d’une vie restaurée !On savoure, on proclame unedestinéesouslesceaudelaGrâce.LeGospelestcettemusiquechrétiennechantéeàpleinevoix,portéepardesinstruments,quiclamelajoiedesnouveauxcommencements.Au Nord comme au Sud des États-Unis, le Gospel s’imposeavec le jazz, le blues, la country, comme « le quatrième grandgenredemusiquepopulaire20».Unemusiquequifaitdubienetquirassemble.Cen’estpasunhasardsilerockerElvisPresley,leKing deMemphis, affirmait souvent, dans les années 1970,qu’écouterduGospelétait la seulechosequi luipermettaitdetrouver le sommeil. Âme troublée, la superstar assaillie enpermanenceparlessollicitationscherchait,partouslesmoyens,unetranquillitéintérieure.C’estdanslesrythmesetlesthèmesduGospel,quiluirappelaientsamère,trèspieuse,qu’ilvenaitcalmersontumulteintérieur.DeuxgroupesdeSouthernGospel,enparticulier,l’ontaccompagnédetrèsprèsdurantdesannées:The Statesmen et les Blackwood Brothers. D’autres les ontrelayés,commeTheStamps(etlafameusevoixdebassedeJ.D.Sumner), The Imperials (Jack Hess), The Sweet Inspirations(Myrna Smith) ou les Jordanaires (Ray Walker). Lui-mêmegrand praticien de cettemusique, pour laquelle il a enregistréplusieursalbums(autantdesuccèsretentissants),ilavaitbaigné,dans sa jeunesse, dans une culture évangélique, d’orientationpentecôtiste, complètement imprégnée de musique Gospel. Undocumentaire américain a retracé pour la première fois il y aquelques années l’histoire, parfois oubliée, des relationspassionnées entre la superstar du rock et le Gospel21, cettemusique restaurative et joyeuse qui chasse les idées sombres.L’un des Gospels les plus exemplaires, à cet égard,

estOhHappyDay(voirencadré).

OhHappyDayGospelcrééen1967,enrecyclantunhymneplusancien

Ohhappyday(Ohhappyday)Ohhappyday(Ohhappyday)WhenJesuswashedOhwhenhewashedWhenJesuswashedHewashedthesinsaway

Ohhappyday(Ohhappyday)Ohhappyday(Ohhappyday)

HetaughtmehowtowatchFightandprayFightandprayAndliverejoicingEv’rydayEv’ryday

Ohhappyday(Ohhappyday)Ohhappyday

(Ohhappyday)(bis)WhenJesuswashedOhwhenhewashedWhenJesuswashedHewashedthesinsaway

Ohhappyday(Ohhappyday(Ohhappyday)

Hetaughmehowtowatch

FightandprayFightandprayAndliverejoicingEv’rydayEv’rydayOhhappyday(Ohhappyday)Ohhappyday(Ohhappyday)(bis)

©EdwinHawkins,1967(àpartird’unhymneduXVIIIesiècle)

Interprété pour la première fois sous cette forme par les EdwinHawkinsSingersdanslaEphesianChurchofGodinChristàBerkeley(Californie) en 1967, ce Gospel est devenu, dès 1969, un hitinternational.IlestdepuisconsidérécommeunstandardduGospel,etaétéreprispardetrèsnombreuxartistes,ycomprisWoopyGoldbergdans la comédie Sister Act, opus 2 (1993). Ce que le public non-anglophoneneréalisepastoujours,c’estqueceGospelfestifestaussiintensément spirituel. Il s’appuie sur laBible, notamment le verset 1Jean 1,7. La joie, le « jour heureux » (happy day), est totalementcentréesurl’actedeSalutdeJésus-Christ,venudélivrerl’humanitédupéché,dumal(washedthesinsaway),parsonsacrificeàlaCroixdu

Calvaire.

Nisacrée,nivraimentreligieuse,unemusiquespirituelleComment caractériser cette musique ? Par sa forte teneurchrétienne, elle renvoienaturellement aux terrainsdu sacré,dela religion et de la spiritualité. Harold Bailey allait jusqu’àaffirmer que « la vraie musique Gospel, c’est un sermonintelligible,misenmusique22».EnFrance,onaprisl’habitudede ranger sous l’étendard de « musique sacrée » tout ce quirelève de lamusique religieuse, et qui invite une collectivité àl’élévation spirituelle. Cette définition très englobante vientlargementducatholicisme.Elles’esttrouvéerenforcéeaussiparlemarketing culturel, qui peut ainsi englober des genres trèsdiverssousleconceptrassembleurd’unsacréqu’onsegardedetrop définir. Le somptueux festival francophone des musiquessacrées de Fès, auMaroc, organisé depuis 2001 dans la villeimpériale, est un exemple de cette utilisation extensive dumotsacré.Onregroupe,dansunemêmeenveloppe,desgenrestrès divers, incluant le Gospel23. De fait, certaines publicitésprésentent parfois les ensembles Gospel sous la bannière deschantssacrés,oudelamusiquesacrée.Maisest-cebiendecelaqu’ils’agit?

Pourlesanthropologues,lesacréestcequipermetdeséparercequi relèveduprofane (non religieux)decequi renvoieà lasurnature (réalités spirituelles). Le sacré élève, renvoie à unprincipesupérieur,etposeunefrontière.Danslaculturehéritéedu catholicisme, le sacré se trouve souvent associé auxsacrements et à la liturgie de la messe, qui permettentprécisémentdesécuriseretdedélimiterlepérimètresymboliqueauseinduquellaprésencesurnaturelledeDieusemanifesteauxcroyants.Lamusiquesacréeprendalorsunecertainedimension

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pratiquer dès le XVe siècle), les Hollandais et lesAnglais. En1672,leroiJacquesStuartcréeàLondreslaCompagnieRoyaled’AfriquetandisqueleroiLouisXIVcréeàParislaCompagnieduSénégal.

Àpartirdelà,depuislafinduXVIIesiècle,lapartprincipaleducommerce des esclaves, qui connaît une croissanceexponentielle, revient auxAnglais et auxFrançais.Degrandesfamilles bourgeoises s’enrichissent prodigieusement grâceau bois d’ébène, marchandise servile à la source de profitscolossaux.Biendesbellesfaçadesnéo-classiquesquiornentdesvillescommeBordeauxouNantesontétépayéesgrâceàl’ordesmarchands d’esclaves. Frédéric Régent, auteur de la premièresynthèse globale sur l’esclavage dans l’ensemble des coloniesfrançaises,estimequ’«environ4millionsdefemmes,d’hommeset d’enfants ont connu l’esclavage colonial » sous la férulefrançaise42.

LePassageduMilieuLa durée moyenne de la traversée est de 66 jours et demi, letempsduPassageduMilieu.Aucoursdecevoyagesansretour,les Africains enchaînés dans des conditions de promiscuitéépouvantables voyaient s’éloigner à jamais tout ce qui avaitconstitué leur vie.Lorsqu’ils survivent à la traversée, tout leurestenlevé:leurnom,leurlangue,leurculture.Capsurletravailforcé pour des maîtres dont on ne connaît rien. L’épisode du«nègreduSurinam»,dansCandidedeVoltaire,interpelleainsilesEuropéens:«Quandnoustravaillonsauxsucreries,etquelameulenousattrapeledoigt,onnouscoupelamain;quandnousvoulonsnousenfuir,onnouscoupelajambe:jemesuistrouvédanslesdeuxcas.C’estàceprixquevousmangezdusucreenEurope»(chapitre19deCandide).AucoursduXIXesiècle, le

mouvement abolitionniste a avancé ses pions. « Trop c’esttrop!»Leprixhumainàpayerpourdusucreestintolérable.Auseindecemouvementquiplaidepour la finde l’esclavage,denombreuxprotestantsontjouéunrôledetoutpremierplan,telsWilliamWilberforce (1759-1833) enAngleterre, ouGuillaumedeFélice(1803-1871),enFrance.

Àpartirdel’Évangile,unargumentairecohérentsedessinait:siDieu accorde égale dignité à toutes ses créatures, si le plusméprisé socialement est appelé à devenir mon prochain(Parabole du Bon Samaritain), si Jésus-Christ est mort d’unemortd’esclaveafinquelesêtreshumainspuissentêtrelibérésàjamais de la servitude du mal, comment cautionner pluslongtempsl’asservissementd’autrui?Cetteprisedeconscienceestaussicelledel’AnglaisJohnNewton(1725-1807).Marindehautemer,marchandnégriernatifdeLondres,ilcommenceàselivrer au trafic lucratif d’esclaves entre l’Afrique de l’Ouest etlescoloniesduNouveauMonde.Maisvoilàqu’ilconnaît,à23ans,uneexpériencequicontribueàchanger lecoursdesavie.Aumilieud’unetempêtequimenacesavie,aulargedel’Irlande,il fait appel à Dieu. De retour sur la côte sain et sauf, ilcommenceàlirelaBibleetàserendreauculteévangélique.Cequ’il entend le touche, il change, et bientôt, il témoigne de saconversion à Jésus-Christ, au seind’uneparoisse anglicanedetendance évangélique. La légende, encore véhiculée parfoisaujourd’hui, veut que cette conversion l’ait convaincuimmédiatementdemodifiersonmodedevie,etdechangersongagne-pain.Enréalité,leschosesnesesontpaspasséesainsi43.

AmazingGrace,chantdeguérisonDe retour àLiverpool, unedesprincipalesbasesdu commercetriangulairedesesclaves,ils’engagesurunbateau,leBrownlow,

etrepartdanslegolfedeGuinéepourypoursuivrelecommercedes esclaves. Mais sa conscience de converti le taraude. Ilcherche désormais à vivre sa foi auprès de tous, des marinscomme desAfricains enchaînés. Ce qui n’est pas simple… Ileffectue encore trois voyages durant lesquels il accoste enAfrique de l’Ouest et continue sa vie de marchand d’esclavesafricains.Mais c’en est trop. Il ymet fin définitivement et seformeà l’étudede laBibleetà la théologie. Ildevientpasteuranglican, de tendance évangélique, le 17 juin 1764. Il restecependant silencieux pendant quelques années sur la questionde l’esclavage, à l’époque très majoritairement acceptée. En1788,lesilenceestrompu.JohnNewtonpublieunbrefouvragevéhément, intitulé Thoughts Upon the African SlaveTrade(Penséesausujetducommercedesesclavesafricains).Ildécritlesconditionsatrocesdel’esclavageetdelatraverséeduPassageduMilieu(latraverséedel’Atlantique).Ilsereprocheàplusieurs reprises d’avoir parlé si tard, et dénonce le scandalequecelareprésente.Newtonenvoieunecopiedesonouvrageàchaqueparlementaire,etsonpamphletpassedemainenmain.Ilsedépense, sans compter, pour cequidevient le combatde savie.Newtonestdevenuunefiguredel’abolitionnisme.

Mais il restera aussi, et surtout, dans l’Histoire pour avoircomposé l’un desGospels les plus populaires, à partir de sonexpérience de conversion. C’est « la fabuleuse histoired’AmazingGrace» rappeléedansungrandquotidien français,suiteàl’interprétationdecethymneparleprésidentdesÉtats-Unis44.Cechantdedélivranceetde louangeaété initialementcomposé puis publié parNewton en 1779, huit ans avant son«comingout»abolitionniste.SontitreestFaith’sReviewandExpectation,maisl’hymnevarapidementêtreretenuàpartirdesespremiersmots:AmazingGrace.Grâcemerveilleuse.

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la guerre, la Côte d’Ivoire avait déjàcommencé à s’ouvrir à l’Esprit saint.Lemouvement de l’esprit s’accompagnetoujours demusique. »PourYvesDjiké,initiateurdesChandeliersd’or,unesorted’Oscar de la musique chrétienne, cetteexplosion est plutôt imputable aufoisonnement des communautésreligieuses chrétiennes. Les Églisespoussent comme des champignonssaisonniers et les fidèles sont aussinombreux. (…). On comprend dès lorspourquoi les chantres chrétiens sont lesplus sollicités pour les spectacles.Troisconcerts sur cinq ont pour tête d’affichelesstarsdelamusiquechrétienne.(…)

Le site Internet de la revue a disparu,mais le texte intégral de cet article restedisponiblesurhttp://blogdesebastienfath.hautetfort.com/

« Dans les bacs, depuis 2002, les troubadours au service deDieudisputentlesrecordsdeventeauxprofanes».Maisest-ceà dire que cette musique se sécularise ? Oui, parfois, etl’enquêtedumagazineivoiriens’enfaitécho.Maislaréalitéestbien plus compliquée que cela. Entre religion, spiritualité,sécularisme, consumérisme, les tensions et les influencesréciproques varient selon les temps, les groupes sociaux, lesartistes.Cesderniersnesontpasdesbuvards.Ilsexercentaussiuneinfluenceréellesurl’airdutemps.Lorsqu’ilsaffichentunepiété qui paraît profonde, durable, sincère, leur impact se faitdanslesensd’unechristianisationdel’Agora.ConstanceAman,l’une des plus célèbres chantres du nouveau Gospel ivoirien,appartient à cette catégorie. Interprète d’un Gospel « sage »empreintdeclassicisme,avecunepetitetoucheafro-jazzy(styleBossa), elle se signale, depuis près de trente ans, par uneremarquable fidélité au sensde sonprénom :Constance. Issued’une famille chrétienne évangélique d’Abidjan, elle a chantétrès jeune dans des colonies de vacances de la Ligue Pour laLecturedelaBible.Sontimbredevoixluipermetdepercerdès

1989,avecunpremieralbumsolo intitulé«Louez l’Éternel».D’après le site évangélique francophone enseignemoi.com, ils’agiraitdu«premiergrandsuccèsd’unalbumchrétienenCôted’Ivoire».

Son rôle moteur, sa ferveur et sa… constance dans le soucid’exalter leDieude Jésus-Christ au traversde samusique, luivalentenCôted’Ivoireetau-delàunepopulariténondémentiedans la francophonie, portée par une productionimpressionnante (9 albums). À titre d’exemple, soninterprétation sobre et vibrante du Psaume 121, « Je lève lesyeux58»,aétévisionnéendixansplusde6,8millionsdefoissurYouTube!Mariée,mèredetroisenfants,ellerevendique«leSaint-Esprit et la Bible » comme sa plus grande sourced’inspiration, mentionnant ensuite Shirley Caesar et CeceWinans59. C’est, sans nul doute, une des stars actuelles duGospel ivoirien, et une pionnière respectée, désireuse departagersonexpérienceetdefaireécole:àcettefin,elleaainsicréé en Côte d’Ivoire, en 2008, l’École desAdorateurs60, uneécole de formation à l’Adoration et au chant qui dispensechaque année des diplômes. Les promotions se succèdent,encadréesetencouragéesparlafondatriceConstanceAman61.

«Jenemourraipas,jevivrai»Un autre groupe emblématique de l’essor du Gospelfrancophone en Côte d’Ivoire, cité dans lemagazinePrestige (2006), est la Harpe deDavid.Aujourd’huimisenveilleuse,aprèsdesdéboiresetdesdissensionsinternes,cegroupeamarquéledébutdesannées2000d’uneproductionmusicale audacieuse et très populaire, combinant thématiquechrétienne explicite, rythmes d’Afrique de l’Ouest etbouillonnement de la jeunesse, dont on a un aperçu

particulièrement éloquent dans le clipLouez l’Éternel / Je nemourraipas,jevivrai62,oùlesquatrechanteusesfrancophonesdugroupe,d’uneénergiedébordante,exprimentBibleenmainune foi très incarnée, portée par une espéranceextramondaineetintramondaine:Dieuestloué,célébrépoursabonté, et ses bénédictions se déclinent prophétiquement, pources jeunes femmes,dans l’espoirde semarier,de travailler,deréussir, de voyager. L’enfermement de l’horizon n’est pas uneoption. C’est le grand large qui donne le sourire. De vastesespacesmontrés,dans le clip, au traversdes scènes filmées aubordde l’Océan.UnGirlpowerévangélique sur fonddepiétébiblique (Psaume 118,17 ; bribes du Psaume 23 citées, entreautres). Le titre a été originellement composé par MassambaNzingaavantd’êtrereprisen2003parlegroupeGospelHarpede David. Consultée en février 2012, la rubrique Top TV duportail évangélique francophone TopChrétien déroule alors 24commentaires sous la vidéo Louez l’Éternel. L’un vient deBelgique, l’autredeFrance,uneautreduCongo RDC,unautreduCameroun,unautreduBurundi.LuelladuBénins’exprimeaussi, ainsi queDiana 77 sa compatriote béninoise.Manoubeldu Togo signe aussi son commentaire, ainsi qu’un internautehaïtien,uneMartiniquaise,uneGuadeloupéenne,unSénégalais,deuxCanadiens,deuxAméricains…Unaperçutrèséloquent,enmodèle réduit, de cette francophonie protestante évangéliquedont lamusiqueGospelestdevenueun traitd’union,avecuneproductionivoirienneàlapointe63.

Lors des troubles politiques, sur fond d’apocalypseprophétique64,quiontmarqué laCôted’Ivoire lorsdupassagedetémoinentreLaurentGbagboetAlassaneOuattara, lascèneGospel, à l’inverse de la scène prophétique, s’est tenue àdistance.Les chantres recherchent avant tout l’épanouissement

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suffitdesolliciterunmoteurderecherche,avecl’entrée«HarpedeDavid»,pouravoiraccèsàlavidéo.63.Undespostsdelavidéo,surlachaînedeGemKakou(miseenlignele7novembre2006),totaliseprèsde4millionsdevuesàdaterd’août2016.64. Marie Miran-Guyon, « Apocalypse patriotique en Côte d’Ivoire ; Lepentecôtisme de la démesure », in Sébastien Fath et Cédric Mayrargue(dir),Afriquecontemporaine, «Les nouveaux christianismes enAfrique »,no252,2015,pp.73à90.65.Lemothébreu(féminin),translittéréenfrançais,est הניכש .Ànoterquelabonneorthographe,utiliséeparlegroupe,estSchekina,maisonletrouveparfoisorthographiéShekina.66.CalixtheBeyala,LeChristselonl’Afrique,Paris,AlbinMichel,2014.67. RobertMbeAkoko, « FromAsceticism to aGospel of Prosperity: TheCaseofFullGospelMissionCameroon»,JournalfortheStudyofReligion,Vol.17,2004,pp.47à66.68. Sariette Batibonak, « Megachurches et Églises portatives auCameroun », Afrique contemporaine, « Les nouveaux christianismes enAfrique»,no252,2015,p.143.69.Alix Fétué, «Cameroun : Essoka, le secret de lamusiqueGospel »,LeJournalduCameroun(siteWeb),22octobre2009.70.JuliusEssoka,«L’artistecamerounaisn’aaucunstatut»,articlepubliésurhttp://www.tribune2lartiste.com/(postéenmars2010).71. Native de Yaoundé, Charlotte Dipanda a commencé sa carrière dechanteuse, bien avant l’Olympia, en intégrant des choralesGospel, commeGospelpour100voix.72. Hortense Colombe, extrait de Il viendra (diffusé sur la chaîne vidéoYouTubeen2007).73. JosephTonda,Laguérisondivine enAfrique centrale (Congo,Gabon),Paris,Karthala,2002.74.MélinaOndjani,«LadistinctionduGospel»,magazineGospel&News,no6,mai2016,p.4.75.«ClarisseMbina,artistedemusiquereligieuselaplussollicitée!»,site:http://www.gabonhits.com/news/(articlepostéle4avril2009).Siteconsultéen2012(ilestaujourd’huifermé).76. Maixant Mébiame-Zomo, « Logiques transnationales et entreprisemissionnaire d’une Église gabonaise en France », in Sandra Fancello etAndréMary(dir.),ChrétiensafricainsenEurope,Paris,Khartala,2011,pp.

243-272.77.MaixantMébiame-Zomo,op.cit.,p.258.78. Entretien et portrait avecMélinaOndjani dans lemagazineMissÉbène,février2012.79. Lire Bernard Coyault, « Figures évangéliques et chants révélés dansl’ÉgliseévangéliqueduCongo»,Paris,thèsededoctoratEHESSsousladir.deAndréMary,2015.80.Jean-BernardVéron,éditorialdudossier«Musiqueetpouvoir,pouvoirsdesmusiquesdanslesAfriques»,AfriqueContemporaine,op.cit.,p.7.81.Créésousl’impulsiondeSimonAdovelande,cefestivalambitieuxetdotéd’importants moyens (avec le soutien de l’Agence Béninoise pour laRéconciliationetleDéveloppement,ABRD)aeupourprioritéderéconcilier,via lapratiqueet lepartagede lamusiqueGospel, l’Afriqueet sadiasporacaribéenneetaméricaine.82.Surl’enjeuduprintempsafricain,tempsdedécollagesocio-démocratiqueportépar lessociétésciviles, lireChristopheCourtin,«Printempsarabe :àquandleprintempsafricain?»,RevueHumanitaire,no28,2011, revueenligne;URL:http://www.humanitaire.revues.org/1028.

Chapitre2

Gospelsfrancophonesd’Outre-merEntreroseaumauditetchantsdeguérison

LesAngelsMusicAwards ont été organisés pour la premièrefoisenFranceàl’automne2015,salleWagramàParis,pardescatholiques et des protestants évangéliques83, dans le but derécompenser les meilleures créations musicales d’expressionchrétienne.Àcetteoccasion,leclipvidéoduGospelBondyeouwo (Seigneur tu es tout puissant, en créole) a été récompensé.Interprété par la Martiniquaise Jessica Dorsey et la Franco-gabonaiseMélinaOndjani,ilplaceenexerguecettecitationdeNathalieSomers:«C’estdanslasouffrancequeseforgentlesgrandsdestins»,puispoursuit:

«Onzemillionsd’Africainsont étédéportésvers l’EuropeetlesAmériquesDurantunetraitenégrièredequatresièclesAucunmot,aucunephrasesavanteNepeuventdécrireleurssouffrancesCeciestnotrehommage/Ceciestnotrehéritage»

C’est après cette entrée en matière explicite que Bondye ouwo chante et chorégraphie l’aube nouvelle du pardon et del’espérance. Avec énergie, chaleur et noblesse, il entendcontribuer à refermer la plaie mémorielle de l’esclavage.Fonctionnantcommeunemusiquerestaurative(voirchapitre6),ce puissant chantGospel unit deux rives arrosées d’orages, desueuretdepleurs.D’uncôté(africain),l’arrachement,laperte,lenon-retour.Del’autre(delaGuyaneauxCaraïbes),l’exil,la

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dénigré.Plutôtquedeserefermersursoi,lamusiquereligieuseest aussi marquée de fluidité (échanges, transculturation,métissage)pluslibrementacceptéeetrecherchée.Desouverturesvers des sons caribéens (zouk, kompa, reggae, soul, ragga) oud’horizonsplus lointains(rap, Rn’B),descontactsavec les îlesvoisines favorisent un processus de créolisation du sonore quitendàabsorberlatotalitédumonde110».

UnGospelcaribéeninsérédansdesterritoirescirculatoiresParmicesinterprètesdelascèneGospelcontemporaine,MaggieBlanchard reste aujourd’hui une des voix caribéennes deréférence,bienqu’elle soit aujourd’huinaturaliséecanadienne.NéeenHaïti,danslacapitalePort-au-Prince,elleagrandidansune culture francophone imprégnée de musique et dechristianisme, où l’Église catholique et le vaudou doiventapprendre à composer avec la montée du protestantismeévangélique111. Douée pour le chant, c’est en s’expatriant àMontréal (Québec, Canada) qu’elle enregistre son premier 45tours, à l’âge de seulement 16 ans. Convertie évangélique en1989,elledécidealorsdenechanterqueduGospel, et se faitconnaître au niveau international par l’album solo « Libéré »,qui rencontre un écho important au Canada mais aussi enEurope,enHaïti,auxAntillesetenCôted’Ivoire.Depuis,ellen’acessédedéfendre,avecd’autres,uncréneaude«musiquedelouange » axé sur l’émancipation spirituelle. Cette libérationchantéed’une rivede l’Atlantiqueà l’autreestconquisepar laréponseàuneoffredesalutexplicite,celledumessagechrétiende la rédemption, qui voit Jésus-Christ, fils de Dieu, mourird’unemort d’esclave et ressusciter pourvaincre lamalédictiondupéchéetoffrirunevienouvelle.Ons’inscritdoncdansunemusiquespirituelle,sansimplicationsocialeapparente.Maisleterreau socio-historiquehaïtiendont ce répertoire est enpartie

issu nourrit une transitivité de significations, qui n’échappecertainementpasauxpublicscaribéens.

« L’esclavage terminé/Je vis ma liberté/Héritier/Je suis unhéritier,oui,pourl’éternité/Unenfantbien-aimé/Iln’yaplusdecondamnation/Plus de condamnation/Jésus Christ a payé marançon112 »… On peut faire l’hypothèse que ces parolesextraitesde«Libéré» sont àdouble fond, et invoquent aussi,derrière le message chrétien explicite, une libération trèsconcrèted’unesclavagetrèsconcretaussi,celuiquiamarquélessociétés caribéennes durant plus de trois siècles.Comme dansbeaucoup de chants Gospel de ce type, il opère un subtil« retournement du stigmate113 », l’ancien(ne) esclave serevendiquant ainsi, grâce à l’amour reçu de Dieu, « héritier »d’une promesse, d’un royaume, duRoyaume. Le stylemusicaldeMaggieBlanchardn’estpasfacileàdéfinirprécisément.Est-ilcaribéen,d’influencehaïtienne?Onlaisseralesmusicologuestrancher.Deprimeécoute, il paraît davantage emprunter à uneforme de « louange internationale » façon Gospel, où lesCaraïbes ne constituent qu’une influence parmi d’autres. Encela,MaggieBlanchardreprésentebienunespacefrancophonedont une caractéristique forte est le réseau diasporique et lacirculation.

On rejoint ici le concept très fécond de territoire circulatoireproposéparlegéographeAlainTarrius114. Ildésignepar làdesespaces diasporiques au sein desquels les populations nes’inscrivent pas dans une logique du départ (définitif) et del’arrivée (dans un ailleurs), mais dans une dynamique decirculation,àlafoisphysique(voyages),économique(transfertsd’argent), médiatique (réseaux de télévision satellitaire) etépistolaire (intenses échanges via Internet, Skype, Facebook,What’sApp,Twitteretc.).Cettenotiondeterritoirecirculatoirea

notammentpourintérêtd’éviteruneessentialisationduterritoireancestral, un culte des racines. Elle éclaire une réalité socialetransnationale : bien des populations qui voyagent ets’établissent loin de leur territoire d’origine parviennent àinventer un espace diasporique familier où l’on circule sanscesse.Suivantlesoptionsetlestrajectoiresdesindividusetdesgroupes, cet espace circulatoire peut faire prédominer lemétissaged’influences(c’estlecasavecMaggieBlanchard),oumaintenir, outre-mer, presque tous les marqueurs culturels dupays d’origine, avec ses épiceries, ses chants, ses saveurs, sestissus, ses prédicateurs écoutés en Mp3. Sarah Demart a, parexemple, bienmontré, dans le cas du pentecôtisme congolais,comment fonctionnent ces territoires circulatoires entrel’Afrique et l’Europe, Kinshasa, Matonge (à Bruxelles) et lequartierdeChâteauRouge(àParis115).

On retrouve cesmêmes dynamiques spatiales entre Caraïbes,Amériques et Europe. La population protestante/catholiquecaribéenne est ainsi presque aussi présente en Europe, auCanada, qu’aux Caraïbes mêmes. Prenons l’exemple de Haïti.Quel territoire circulatoire impressionnant ! Intensifiéesdepuisquelquesannées,enparticulieràlasuiteduséismede2010,lesdynamiques diasporiques haïtiennes, portées par deux grandesvaguesprécédentes(1915-1935et1965-85)ontétéétudiéesenparticulierparfeuGeorgesAnglade116.En2005,actualisantdestravaux précédents, il évalue à 4 millions le volumedémographique total de la diaspora, incluant enparticulier 2,5millions de Haïtiens expatriés aux Etats-Unis, 750 000 enRépublique dominicaine, et 400 000 à Cuba. La Francemétropolitainecompteraitàcettedateenviron100000Haïtiens.Depuis ces évaluations, on peut faire l’hypothèse d’unedynamique à la hausse, sans se risquer à la chiffrer. Cette

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Chapitre3

GospelsfrancophonesenFrancemétropolitaineL’émergenced’unvecteurintercultureldoux

L’Europefrancophone(France,Suisse,Belgique)n’apasétélepremier creuset du Gospel de langue française. Elle n’ad’ailleurs pas été non plus très accueillante envers leprotestantisme, en-dehors de certains cantons suisses où laRéforme s’est acclimatée sans discontinuer dès le XVIe siècle.L’histoirede laBelgiquecommecellede laFrancerévèlentunrapport compliqué à ladifférenceprotestante.Les chrétiensdefoicalvinisteouluthérienneontmêmeétépriésdedisparaîtreduterritoirefrançaisentre1685(Révocationdel’ÉditdeNantes)etlaRévolution.Cettemiseàl’écartduprotestantismeacontribuéàladiffusion,horsdel’hexagone,delafrancophonievial’élanduRefuge,exilde200000huguenotspar-delàleRhin,lesmersetlesocéans135.

500ansaprèslesdébutsdelaRéformeprotestante(célébrésen2017),leschapitresdel’intolérancereligieuseontétérefermés.La diversité des expressions spirituelles francophones, ycomprisparlamusique,estdésormaistrèsappréciéedespublicsbelges, suisses et français. L’Europe francophone offreaujourd’hui des infrastructures appréciables aux groupesGospel,etdesdébouchésviauneaudiencedeplusenplusvaste,prête à consommer,participer et fêter autourdecettemusique.LaBelgique,stimuléeparsonimportantediasporacongolaise,etlaSuissewallonne, portée par une riche traditionde créativitémusicale protestante, ont largement adopté le Gospel dans les

programmations de festivals ou les concerts d’églises. Lesracines culturelles de cette musique, qui puisent dans lamémoire de l’esclavage et de l’émancipation, croisent parailleursl’histoiregénéraleaussibiendelaBelgique136quedelaSuisse137.Mais la France occupe une place à part, pour deuxraisons. La première tient à la taille de son empire colonial.Entre Vietnam et Congo Brazzaville, la superficie de sonhéritage colonial, conquis au XIXe siècle et perdu le sièclesuivant, n’est dépassée que par l’Empire britannique. LasecondesingularitéfrançaisetientdanssaparticipationmassiveaucommercetriangulairedesesclavesentreEurope,Afriquedel’Ouest etCaraïbes.Ces particularités propres à la France ontconduit à consacrer ces chapitres 3 et 4 au berceau de lafrancophonie.

PasserelleentreindividusetculturesLe public de France métropolitaine a progressivement prisl’habitude,depuislafindesannées1980,devoiraffichées,dansles rues,despublicitéspourdes concertsGospel.Événements,festivals, chorales publiques se multiplient. Aujourd’hui, unvéritablemercatode chorales, solistes, ensemblesGospel s’estconstruit à partir des demandes culturelles des publics del’Hexagone,ouvrantlesportesdesauditoriumsmunicipaux,deséglises catholiques, des salles de spectacles… et jusqu’auZénith ou au Palais Omnisport de Bercy138. Dans l’offreprésentée, le Gospel anglophone reste largement majoritaire,maislafrancophonies’inviteàlafête.

Cette offre demusiqueGospel s’appuie sur une base socialealimentée en priorité par les Églises protestantes (en majoritéévangéliques). En Île-de-France, le phénomène estparticulièrement visible,mais on le repère aussi à Lille, Lyon,

Strasbourg, Bordeaux, Montpellier, dans bien des métropolesrégionales. Il n’est pas anodin d’observer la popularité d’uneproduction culturelle ancrée dans le référentiel chrétien etprotestant,dansunpaysaussiséculariséquelaFrance.Faut-ilyvoir le témoignage, parmi d’autres, de ce « retour du religieuxdanslasphèrepublique139»analyséparlesociologueJean-PaulWillaime ? C’est fort possible. Il témoigne aussi de la bonnesanté du protestantisme évangélique, qui rassemble en Franceenviron720000fidèlesen2017etregroupeplusd’untiersduprotestantisme.Maissiretourdureligieuxilya,ilsesocialiseici, au travers des groupes Gospel, par une offre culturelletransitiveetnonprosélyte.

LesgroupesGospelnesontpasdesmachinesàconvertir.Dansl’espace métropolitain, aux yeux du grand public amateur deGospel, cette musique n’est pas perçue comme conquérante,blindée d’attributs confessionnels, créatrice de cloisons. Elleattiresansfairepeur,parcequ’elleestappréciéepoursoneffetpasserelle.ElleestdevenueauprotestantismecequeleZenestaubouddhisme,oulamusiqueSoufiàl’islam:unvecteurinter-cultureldoux,sansdémarchageconversionniste,qui initieàununivers spirituel et culturel via l’esthétique et la détente.Quoique les paroles des chants interprétés aient un contenumanifestement spirituel et chrétien,marqué par l’identité afro-évangélique forgée au creuset de l’esclavage et des luttes pourl’émancipation,legrandpublicnelesperçoitpasforcémentsurce mode. C’est aussi, et peut-être surtout, sous l’angle de ladécouverte culturelle que le Gospel semble être apprécié, àguichet fermé, dans bien des salles franciliennes. Individus etcultures,BlancsetNoirset toutes lescouleursde l’arc-en-cielse rassemblent autourd’unclimat, fait demots etdemusique,où l’universel d’une libération forge un œcuménisme des

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Gospel entredans le« tout-venant».Elle s’impose commeun«passeur»entreuniverssociaux.Cetteentréefracassante,sousle sceaude la joiedevivre,de la rencontre entreunivers afro-américaineteuropéen,catholicismeetprotestantisme,s’effectuesur labased’une religionchantée,dépoussiéréeetentraînante,oùlavoixdesfemmescompteautantquecelledeshommes.Quecelafaitdubien!Deuxansaprèslesuccèsdufilm,lacréationen 1994 du premier Festival de Gospel de Paris, sousl’impulsion deNarcisse d’Almeida, est un signe de ces tempsquichangent.Organiséàl’AuditoriumdesHalles,aucœurdelacapitale, avec de nombreux invités dont le chantre MarcelBoungou, il a été l’objet d’un album CD devenu aujourd’hui«collector168».

L’essor considérable des Églises évangéliques (de 50 000fidèles vers 1945 à plus de 700 000 aujourd’hui169), couplé àuneprésencecroissanteenmétropoledeFrançaisd’Outre-Meret de migrants sub-sahariens, a largement contribué auxconditions sociales de cette évolution. Plus globalement, c’estaussi le temps d’une cosmopolitisation croissante, sur fonddepeurdel’avenir.LaFrancedéprime170.LeGospelnouveaustyle,porteur de mixité, de jeunesse et d’espérance, répond à unedemande croissante. Il se propose d’adoucir en musique lesblessures du cynisme ambiant, et d’apporter autre chose quel’amertume d’une « génération désenchantée171 ». Désormaischantépardeschorales francophonesplusquepardes troupesvenues, à grand renfort de publicité, d’outre-Atlantique, leGospeldel’Hexagones’estdémocratisé,créolisé,entreEurope,CaraïbesetAfrique.DeStrasbourgàMarseille, lesmétropolesrégionales ainsi que la capitale parisienne ne constituent pasqu’undécorurbain.Pourcesgroupessouventissusdescitésetdes banlieues, les grandes villes françaises, à commencer par

Paris, ville-monde, ont favorisé des logiques d’hybridation etdessynergiesnouvelles.

GospelfrançaisàlaFNAC,nouvelleétapeauseuilduXXIesiècleAprèsunedécenniedurantlaquellelesspectaclesetconcertsontcommencé à se multiplier, l’année 1999 marque un secondtournant avec la création d’une maison de production et dedistributionintituléeCcinia.Saspécialité?LeGospelfrançais.D’autres maisons de ce type vont suivre. La même année, lesmagasins FNAC à Paris, puis en province, créent un rayon« Gospel français ». Les disquaires repèrent désormais cetélargissement : oui, le Gospel n’est plus forcément made inAmerica. L’ouverture en Île-de-France d’un marchéGospelmainstream est lente, fragile. Sa progression n’est paslinéaire, ni sans accrocs.Mais elle a permis aux groupes déjàactifs,depuis lesannées1970-80,decapitaliserautourde leurexpérience. C’est le cas en particulier des Palata Singers,ensemblevocalnédès1977auseindel’ÉgliseévangéliqueduCongo-Brazzaville, et desChérubins, chorale créée àSarcellesen 1985 par le pasteur de l’église évangélique Béthel. On yretrouve l’incontournable pasteur et chantre congolais MarcelBoungou,quasiMoïseduGospelfrancophone,figuredeprouedupassagedel’ombreàlaterrepromisedutriomphepopulaire(voirencadré).Ilatraversé,enÎle-de-France,touteslesétapesdela dialectique intégrative et interculturelle, de la quasi-clandestinité d’un chanteur évangélique « sans papier » à lagloired’un interprètesur lehautde l’afficheauxcôtésdeRayCharles172.«LeGospeln’estpasunemusiquedevariété.C’estl’expression de la foi enDieu. », souligne-t-il à l’occasion deses30ansdecarrière,l’annéeoùilremplitleCasinodeParisle16 avril 2011.Manière de revendiquer, face aux sirènes de la

renommée, la primauté d’une vocation spirituelle sur lestentationsmatérielles.

MarcelBoungouparlui-mêmeUn«Moïse»duGospelfrancophonedansl’Hexagone

AuCongo,nouschantions«unrépertoired’église,avecdeschantsreprisde la traditionluthérienneetpuisdeschantscongolais.OnchantaitaussideschantsdeRéveil, c’est-à-diredes chants inspiréspar l’EspritSaint etque l’on reprenait sous forme de chorals (…)Très vite, nous avons étésollicités d’aller chanter ici et là. La première fois, c’était à l’Armée duSalut, àBrazzaville (…).Onya chanténotammentdevantuncoopérantduCentreculturelfrançaisetcelui-cienaététellementtouchéqu’ilnousademandé de venir faire une audition au centre. Nous nous y sommesrendus en 1977 avec la cassette que nous avions enregistrée de nosrépétitions:ellecontenaitdesnegrospirituals,parmilesquelsOh!Whenthe Saints, très librement adaptés et traduits par nous en languecongolaise.Ledirecteurdel’époque,PatrickPeuteuil,l’aécoutéeetiln’enapascrusesoreilles».(…)

«Avantmême“LesPerles”,notregroupes’appelait“LesTroubadoursdel’Évangile” ; on était douze, je te l’ai dit. Puis on en est venu en1977 àformerungroupedecinq,quis’estensuiteréduitàquatre:“LesPerles”…Que l’on a traduit en “Palata” en 1984, deux ans après notre arrivée enFrance.(…)Celan’apasétécommode,tulesais.NousétionsungroupeafricainetquifaisaitduNegroSpiritualetduGospel;c’étaitunhandicap.“Faites de la musique africaine, faites du dombolo ! Nous disaientcertains.Etpuis,aveclesvoixquevousavez,vouspourriezchanterautrechose !” Eh bien, non ! Nous sommes restés au style que nous avionschoisietnousnousysommesimposés.Notremusiqueaétéacceptéedanstouslesmilieux,religieuxounon,etdanstousleslieuxdeconcertsetdefestivals : jazz,musiquedumonde,musiquepopulaire. (…)Nousétionsdécidémentaccrochésànotrefoi,à l’ÉvangileetdoncauGospel.C’étaitnotrevocationmissionnaire»(…).

«Dans la France laïque de ce début duXXIe siècle, leNegro Spiritual-Gospel est d’abord considéré et apprécié comme unemusique culturelleafro-américaine.C’esttrèsbien.Maisnotreeffortànousestdeprésentercette musique pour ce qu’elle est d’abord : non pas seulement une

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Legend,JoshGroban,TinaArenaetJulioIglesias,sanscompterles vedettes françaises que sont Amel Bent, Chimène Badi,JulienClerc…Cesensemblesvocauxconnaissent,aumilieudesannées 2000, ce que d’aucuns décrivent comme une premièreconsécrationenFrancemétropolitaine.Pointd’orgueprovisoirede cette évolution, l’accueil aux Folies Bergères en 2015deGospelsurlacolline,lamêmeannéequelapremièreéditiondes Angels Music Awards à la salle Wagram. Gospel sur lacolline est la première comédie musicale Gospel en françaisjamais présentée au public, devant un total de 25 000spectateurs enchantés (voir encadré ci-contre). Le décorum etl’histoire se situent aux États-Unis, dans la région de laNouvelle-Orléans (Louisiane)… Mais le spectacle aurait toutaussibienpuêtrecontextualisédanslesCaraïbes,commelefaitremarquer une spectatrice éblouie : « Ce spectacle m’aenchantée. Tout était parfait ! Le jeu des acteurs, le naturelexotiquedelaprésentatrice,laperformancevocaledelatroupe.C’est une belle comédie musicale, du gospel français, quipourrait très bien se situer aux Antilles autant qu’enFloride195».

GospelsurlacollineauxFoliesBergères!(2015)LapremièrecomédiemusicaleGospelenfrançais

MisenscèneparJean-LucMoreau,Gospelsur lacollinea été joué auxFoliesBergères àParis, entièrement en langue française, du4 septembreau18octobre2015par44danseurs,chanteursetcomédiens,dont la têted’affiche Firmine Richard. Cette comédie musicale pionnière avait étéprésentéeenavant-premièretroisansauparavant,le16septembre2012auCasinodeParis.«Deuxheuresd’énergiepuredontonressortregonfléàbloc » (France 3). L’histoire se déroule dans les années 1950 à laNouvelle-Orléans, autour d’une histoire de tolérance, d’amour et deGospel. L’auteur-compositeur, Benjamin Faleyras, s’interroge, sur le sitewww.franceantilles.fr : « A-t-on le droit d’exister sans faire de

communautarisme ? Le message de cette comédie, c’est le partage et lerassemblementdestalents(…)UnprojetpeutvenirdesAntillesetêtreennational ».TF1, France 2 ont rendu compte du spectacle, et le public arépondu présent avec enthousiasme, avec à la clef une prolongation dedeux semaines aux Folies Bergères. La comédie musicale s’est ensuiteproduiteavecsuccèsauxAntilles,le27mai2016aufortDelgrèsàBasse-Terreetles28et29mai2016auPalaisdessportsduGosier(Guadeloupe).

D’un point de vue artistique, cette première expérience peut êtreconsidérée comme un succès prometteur et incomplet. C’est un succèsindéniable,etprometteur,carun«verrouasauté»enproposantpourlapremière fois, sur une grande scène parisienne, une comédie musicaleGospel créative et réussie en français, interprétée engrandemajorité pardes Noirs, qui a rencontré un large public enthousiaste. C’est aussi unsuccès incomplet car la critique parisienne est un peu mitigée, etl’annulation de la tournée dans les villes de province (prévue du 4novembre au 17 décembre 2015), faute de précommandes suffisantes,montre la nécessité d’ajuster l’offre, et d’augmenter encore les moyensinvestis,afinquel’essairéussisoitcomplètementtransformé.

Suiteauprochainépisode…

CepalierdereconnaissanceatteintparleGospelfrancophoneen France métropolitaine est dû au talent des interprètes, àl’évolutiondesconditions socialeset culturellesdupays,maisaussiausoutienportéauquotidienparunlargeréseaud’Églisesévangéliques et adventistes d’immigration récente, implantéesdansdesconditionssouventtrèsprécairesdanslesbanlieuesdesgrandes agglomérations. Leurs difficultés d’accès à l’espace,moins médiatisées que dans le cas de l’islam, sont pourtantréelles.S’ilaexisté,ets’ilexisteencoreparfoisun«islamdescaves»,marquéparunmanquecriantdelieuxdecultedécents,le problème se pose aussi pour ces chrétiens, de plus en plusimplantésdanslesgrandesagglomérationsaucoursduXXeetduXXIe siècle196. Dans maintes Églises, parfois de tailleconsidérablecommelamegachurch interculturelleParisCentre

Chrétien deLaCourneuve (Seine-Saint-Denis) conduite par lapasteure Dorothée Rajiah, des chorales spécialisées dans lalouange et l’accompagnement musical du culte dominicalexcellent dans l’interprétation des nouveaux standardsGospel197. Elles contribuent du même coup à en diffuser laconnaissanceauprèsdesfidèles,quichantentaussi,etàpleinspoumons ! On retrouve aussi cette implication de nouvelleschoralesdequalité,quasiprofessionnelles,friandesdenouveauGospel francophone, dans beaucoup d’autres grandes Églisesévangéliques de métropole, parfois arrivées au stadede megachurch (Église plus de 2000 fidèles), comme ImpactCentre Chrétien (ICC) conduit par Yvan Castanou (Val-de-Marne),laPorteOuverteChrétiennedeMulhouse(POC)animéeparSamuelPeterschmitt,ouCharismaÉgliseChrétienne(Seine-Saint-Denis) pilotée par Nuno Pedro198. Le Centre du RéveilChrétien (CRC), Église de Seine-Saint-Denis conduite par lespasteursJocelyneetDavidGoma,proposecarrémentquantàluides«cultesGospel»,grâceàlachoraleTotalPraiseetsastarettête d’affiche, Marcel Boungou. Les Églises de laCEAF (Communauté d’Églises d’Expression Africaine deFrance),unionfondéeà l’initiativedeMajagiraBulangalire199,nesontpasenreste.Ellessedistinguentparlesoinparticulierapporté à l’intégration des chants de louange dans le cultedominical,incluantduGospelfrancophone.

Le stade ultime de l’intégration du Gospel, francophone ounon, dans uneÉglise de l’Hexagone est sans doute atteint parl’Église MyGospelChurch. Elle est conduite par MatthieuKoumarianos, chef de chœursGospel àParis depuis 1998.Unde ses slogans : « Vibrez comme vous êtes ». Établie à lapéniche Nix Nox dans le 13e arrondissement parisien, cetteÉglisenouveau style accueille les fidèles tous lesdimanches à

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ultérieure,ainsiquedel’identitéhuguenote.195.Critiquepostéeparlaspectatricerosy1(pseudo)ausujetdeGospelsurla colline, site Internet « Critiques et Avis Gospel sur la Colline,billetreduc.com»,avispostéle26octobre2015.196.SébastienFath,«LedramedeStainsmetenlumièreunévangélismedescaves»,LeMonde, jeudi12avril 2012 (propos recueillisparStéphanieLeBars).197.OnpeutécoutercertainesinterprétationsdecettechoralemultilinguesurYouTube(Internet).Elles’appellePCCHighPraise.198. Pour une introduction en français au phénomène mondialisédes megachurches, lire Sébastien Fath, Dieu XXL, La révolution desmegachurches,Paris,Autrement,2008.199.MajagiraBulangalire,Religionetintégrationàlasociétéfrançaisedanslapériodeactuelle:lecasdesnégro-africainsenrégionparisienneetdesprotestantismes,thèsededoctoratensciencesdesreligions,UniversitéParisIVSorbonne,1991.200.VoirlesiteInternetdecetteÉglise:http://www.parisgospel.com/my-gospel-church.201.MatthieuKoumarianos, verbatim dans la vidéo «MyGospelChurch »mise en ligne surYouTube le 9 août 2016, chaîneMyGospelChurchMGC(visionnéeenoctobre2016).202. Sébastien Fath, « La gestion du stigmate, entre local et global : troismegachurches afro-caribéennes à Paris », in Lucine Endelstein, SéverineMathieu, Sébastien Fath (dir.), Dieu change en ville. Religion, espace,immigration,Paris,L’Harmattan,2010,pp.115-135.203.VoirBaptisteCoulmont,blognotes«Desréseauxreligieuxd’invitations»et«Identifierdesacteursimportants»(publiéesles11etle16février2011surhttp://www.coulmont.com/blog/).204.150000albumsvenduset140datesdeconcertsaucompteuràdaterdefin2016.205. Le spectacle de Gospel pour 100 voix à Paris Bercy en 2013 a, parexemple, obtenu quatre prix GMADove Award on Gospel Music à LosAngeles(Etats-Unis).206.Rédactriceenchef:EmmySilmar.207. Cf. son site Internethttp://www.angelswaymusic.wixsite.com/ (consultéenoctobre2016).208. Marc Brunet, « Les musiques de la vie », interview 2010,

émissionZeMaganiméeparAnne-LaurencePiquetetPaulOhlott(miseenlignele14juin2010)surlesitehttp://www.zebuzztv.com/.209. L’ancêtre de ces festivals est le Festival chrétien demusiques actuellesorganiséàAgendès1972.210.SonnouveausiteInternets’intitule:https://www.paul-sephora.com/.211.MélinaOndjani,«LadistinctionduGospel»,magazineGospel&News,no6,mai2016,p.5.212. Un exemple parmi d’autres : le concert de l’ensemble Soufi Nesidul’Huda (originaire deSarajevo, enBosnie) à l’Institut desCultures d’Islam(Paris18e),lorsdesveilléesduRamadan(mardi7septembre2010).213.Ka’tiaMberiNsana,«Gospelettélévision»,Gospel&News,op.cit.,pp.12-13.214.RebbieNkashama,«LaformationdesartistesGospel»,Gospel&Newsno5,décembre2012,p.4.215.GerardoMarti,Worship across the Racial divide: religious music andthemultiracialcongregation,OxfordUniversityPress,2011.216. Notons que les catégories mêmes deWhite Gospel et Black Gospel,utilisées aux États-Unis, n’existent même pas en France. La logique decompartimentagen’estpaslamême.L’écartentreunesociétédifférentialiste(aux États-Unis) et une société universaliste (le modèle républicainfrançais)?Onverrait iciunevérificationdes thèsesd’EmmanuelToddquisouligne que le modèle universaliste permet davantage de mixité et demélange que lemodèle différentialiste.Cf. EmmanuelTodd,Le destin desimmigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales,Paris,Seuil,1994.217. Voir le remarquable ouvrage référence de Gérard Noiriel, Le creusetfrançais.Histoiredel’immigration,XIXe-XXesiècle,Paris,Seuil,2016.218.Surcesenjeux,lireBernardBoutter,«LeprotestantismeenFrance:unterreau d’accueil privilégié pour les migrants ? », in Fath & Willaime(dir),LanouvelleFranceprotestante,op.cit.,pp.300à313.219. Journal d’un prof débutant (épisode 29) : « Le gospel, c’est leursracines»,LePoint,5mai2014(versionnumérique).220.«LesFrançaisetlamusique»,sondageBVA2006.221.Cf.laRythm’NHarmonySchool(http://www.rnhschool.fr/)oulescoursde la Paris Gospel Choir (http://www.parisgospel.com/) créée dans lacapitale.222. Créée en 2010, cette association Loi 1901 revendique un périmètre

régional à partir de Marseille. Conduite par la chef de chœur MarylèneOlivier, ellepropose formations, stages et concerts, en s’appuyant sur cinqensemblesetchorales,GospelenCité,GospelTimeMarseille,GospelTimeAix-en-Provence,QuintêteàGospel,SoulAddictSingers.223.L’événementpopulaire«Protestantsenfête»aeulieuentreles27et29septembre 2013. Le projet Mosaïc, alors piloté par la pasteure MarianneGuéroult,anotammentorganiséle27septembre2013ungrandconcertavecla chorale Akanin’ny fanahy de la FJKM Wagner (Église réforméemalgache), la Chorale interculturelle de Mosaïc-Marseille, la Chorale del’Eglise du Christ, mission harriste, le Groupe de world Gospel Terrehabitée,laChoraleFideramadelaFPMAParis(ÉgliseprotestantemalgacheenFrance).224.Musique de louange etmusiqueGospel sont ainsimises à contributionpourunelargeopérationpilotéeparleCNEFàl’occasiondes500ansdelaRéformeprotestante,en2017:ils’agitdelamobilisationBouge taFrance,quiorganisedenombreusesmanifestationsdontungrandrassemblementauHavre,le14juillet2017,quicomporteranotammentdesconcerts.225. Marie-Françoise Lubeth, Sprinteuse de Dieu, Paris, Presses de laRenaissance,2008,p.176.226.Voirlasynthèsederéférenced’OlivierLandron,Lecatholicismefrançaisaurythmeduchantetdelamusique(XXe-XXIesiècle),op.cit.227.RobertMigliorini,blog«AucabaretdubonDieu»:http://www.au-cabaret-du-bon-dieu.blogs.la-croix.com/.228.RebbieNkashama,«LaformationdesartistesGospel»,op.cit.,p.5.229.SériloLooky,«LevisageduGospel»,op.cit.,p.8.

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241.Jean-LouisLalonde,bulletinSHPFQ,décembre2009,p.10.242.GlennSmith,dir.,HistoireduprotestantismeauQuébecdepuis1960–Uneanalyseanthropologique,culturelleethistorique,Québec,ÉditionsLaclairière,1999.243. Frédéric Dejean, « La précarité spatiale des Églises évangéliques etpentecôtistes africaines en Seine-Saint-Denis et sur l’île deMontréal», inSandraFancelloetAndréMary (dir),Chrétiensafricains enEurope,op.cit.,pp.301-325.244.TournéeeuropéenneScripturaIIdugroupequébécoisImpact,du13au23octobre2016.245.CitédansEwanSauves,«Nuitblanche:fièvreGospelenvue».(sitehttp://www.tvanouvelles.ca/,articleonlinepostéle28février2013.)246.Rubrique«Bio»,http://www.jirehgospelchoir.com/(consultéeenjuillet2016).247.Établie àPickering, à dominante anglophone, attachée à l’enracinementchrétienduGospel,elleapubliélepériodiqueGospelMusicNews.SonsiteInternetest:http://www.gmacanada.ca/.248.Jean-SamuelLapointe,«LesmutationsprotestantesauQuébec»,publiésur le Fil-info Francophonie du portail regardsprotestants.com, le 9 juin2016.249. FernandeAngers, citée dansGenevièveApril, « Le soulGospel danstoute sa splendeur », site Internet courrierlaval.com, note postée le 20 juin2009.

Chapitre6

LeGospel,unemusiquerestaurativeL’impactsurlespublicsfrancophones

Ce n’est pas un hasard si l’un des groupes de « louangefrancophone » les plus populaires des années 2010, venu duQuébec (cf. chapitre 5), a choisi de s’appeler IMPACT.L’Évangile,BonneNouvelle,estuneoffredesalutquiappellelepartage,l’influence,etpourquoipaslaconversion.«Toucherlescœurs» est un leitmotivdes prédicateurs qui prêchent le salutchrétien.LamusiqueGospelet sesdérivésbaignentdanscetteculture de l’impact. On ne s’inscrit pas seulement dans undivertissement.«Écouterdelamusiqueensemble250»,celafaitdel’effet!LesrythmesduGospelfrancophone,sesparoles,sesmélodies, ses thèmeset répertoires, seschoraleset instrumentsvéhiculentdessignifications.Celles-ciproduisentdeseffetssurlapsychologieindividuelleetsurlescomportementssociaux.

CessignificationspartagéesparlamusiqueGospelparticipentàlarecompositiondesuniversdesens,desidentitésreligieuseset sociales. Elles touchentmême la représentation que l’on sefait deDieu. Formes et contenus duGospel font travailler lespublicssurlerapportaumal,lepoidsdustigmate,laforcedesdominants,et laquestionde lavengeance.Comment leGospelfrancophonerépond-ilaujourd’huiàcesquatredéfismajeursdel’expériencehumaine?

Faceaumal:consolationetmalheursurmontéDevantlaréalitédumal,deladouleur,dudeuil,delasouffrancesous toutes ses formes, il arrive que le Gospel francophone

s’inscrivedansundénieuphorique.Placeauxzygomatiquesetaux cymbales ! En piochant, de manière ponctuelle, dans lesalbumsdesinterprètes,onrencontredenombreuxtitresvouésàune joie roborative.Mais si l’onprend le tempsde scruter, delireetd’écouterlesrépertoiresentantqu’ensemblescohérents,la réalité est différente.On s’aperçoit que l’objet principal duGospeln’estpasd’esquiver lemal. Ilnes’agitpasdedistraireenoubliantlamort.LeGospeln’estpasunnouvel«opiumdupeuple»,ouunemorphinemusicalequifaittaireladouleur.Legrain de sable douloureux est bien là, le malheur aussi,renvoyant à cette belle image développée parBorisCyrulnik :«Quandungraindesablepénètredansunehuîtreet l’agresseau point que, pour s’en défendre, elle doive sécréter la nacrearrondie,cette réactiondedéfensedonneunbijoudur,brillantetprécieux251.»LesparolesduGospelfrancophonen’ignorentpas les blessures et les larmes. La blanche nacre qu’ellesentendentapporterautourdesgrainsdesableestlacompassionetlaconsolationd’unDieucrucifié,présentécommecapabledepartager les douleurs les plus secrètes. L’un des « tubes » deMarie Misamu, chantre congolaise disparue en 2016,s’intituleMa consolation. Sanglots, cris, enveloppés dans unemélopée intenseet inspirée, intègrent laproblématiquedumal,sans angélisme.Mais l’objectif est de sortir de la « vallée del’ombre de lamort » pointée par le Psalmiste (Bible, Psaume23).

LamusiqueGospel est unemusiquede consolationdont unepartie des répertoires sait dire le malheur, sans le minimiser,pourmieuxinviteràsurvivreàladésolationetrouvrir l’avenir.Elles’inscritdeplain-pieddansle« tempsdelaconsolation»analysépar le philosopheMichaëlFoessel252. Elle satisfait unbesoin d’expression personnelle, celui de se décharger d’un

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revueMots,leslangagesdupolitique,70/2002,pp.65-78.278.Cetteexpérienceestévoquéedansundocumentairescandinave,«AnnafromBenin»(parMoniquePhoba,2000,KromaProductionsLtd).279.«Unechanteusedegospellancelesprésidentielles2016auBénin»,siteÉvangéliques-info,postéle8avril2015.280.Attention, cependant, aux effets d’optique. Une chorale Gospel 100%noire pourra par exemple trop facilement être perçue comme une choralecommunautaire,alorsqu’enréalité,ellerassemble12nationalitésdifférentes,ainsiquedesFrançaisdemétropoleetd’outre-mer!281. Ce montant n’est qu’une estimation indicative très approximative.Environ 1200 pour l’Europe francophone, 2000 pour les Amériques (duQuébecà laGuyaneenpassantpar lesCaraïbes),env.2500pour l’Afriquede l’Ouest etMadagascar, le restant se répartissant sur les autres territoiresfrancophones (île de la Réunion, Polynésie, Nouvelle Calédonie etc.). Onrêved’unannuairedesgroupes,ensembles,voiresolistesGospel…

Chapitre7

UnenouvellefierténoirefrancophoneUne identité plurielle heureuse s’invite dans ledébatpublic

LeGospelfrancophonen’influencepasseulementlepublic.Ilimpacte aussi le débat public. En d’autres termes, après lasphère psycho-sociale, la dimension politique et culturelle.Commentcela?Onauraitbondroitdes’offusquer,soulignantque le Gospel n’est pas d’abord une musique politique.Certes… Mais n’oublions pas deux choses, rappelées parValérieBonnetencontextenord-américain.

– D’une part, « la musique est un mode d’expression de lacommunauté noire que lesBlancs essaient de contrôler depuisl’importation des premiers esclaves, craignant, à juste titrecomme le démontrera l’histoire, qu’il ne les incite à larévolte282 ».Chanterne se limitepas àundivertissement, celamobilise!Etcelapeuttroublerlaquiétudedesdominants.

–D’autrepart,«leschantsreligieux(spirituals,gospelsongs)sont également étroitement associés à la politique et à larevendicationsociale(…)Lestextessacrésysontréinterprétésàtravers le filtre de l’esclavage, et nul besoin est d’expliciterquellelectureyétaitfaiteduséjourdesHébreuxenÉgypte283».

UnemusiqueàdoublefondEn d’autres termes, qu’elle soit anglophone, hispanophone oufrancophone,lamusiqueGospelestconstruiteautourdel’enjeudel’émancipationetdelalibération.Ilnes’agitpassimplementde jouir.D’exprimer une émotion.De parler d’amour et d’eau

fraîche.CapsurlaTerrePromise!Avec,enfondsonore,lebruitdes chaînesqui tombent, et l’éclatde riredes affranchis.Pourcetteraison,lamusiqueGospelrevêtaminima,unesaveurinfra-politique. C’est une musique à double fond. Bien plus : ellepeut se montrer parfois explicitement politique. Dans lapolyphonie, voire la cacophonie, du débat public au sein dessociétésfrancophones,leGospeln’estcertesqu’unepetitevoixparmi beaucoup d’autres. Mais les chefs de chœur le saventbien : chaque voix compte. A fortiori si telle voix monte enpuissance.

Un peu plus d’un demi-siècle après le temps desindépendances (pour l’Afrique de l’Ouest), dans un espacefrancophone de plus en plus traversé par circulations ethybridations,commentcernercetimpactduGospelfrancophonesur le débat public ? L’hypothèse générale qui se dessine, auterme du panorama, est la suivante : le Gospel francophonevéhiculeetrévèleaujourd’hui,aucœurdela«sociétéMonde»quiseconstruitdanssonaxetransatlantique,unenouvellefierténoire. C’est une Black Pride en version francophone etchrétienne. Par rapport à d’autres variantes, comme la BlackPridetransnationalepanafricaineetafrocentristedetypeCheikhAntaDiop,oulaveinerevendicativeissuedesBlackPanthersetde Nation of Islam, cette orientation partage des traitscommuns : elle valorise les identités noires, elle se joue desfrontières, elle s’inscrit dans un scénario postcolonial. Elle sesingularise cependant par quatre accents en partie spécifiques.Cette nouvelle fierté noire francophone, qui transite vial’expression plurielle du Gospel en francophonie, s’appuied’abordsurunevalorisationdesréférentielsafrocaribéens.

Valorisationderéférentielsafrocaribéens

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commeunecible,etleJuifcommel’ennemi.Leconflitisraélo-arabe,ôcombiencomplexedanslarépartitionpartagéedestortsetdescauses323,yestréduitàunemémoiredeladéplorationoùlePalestiniencampedanslerôledevictimeperpétuelle.Tantôtalimenté par un islamisme radical qui recycle les clichés del’anti-sémitisme (y compris celui du nazisme hitlérien), tantôtaccentuéparune«concurrencedesmémoires»qui reprocheàl’histoireofficielledeprivilégier àoutrance la commémorationde laShoah (destructiondes juifsd’Europedurant laSecondeGuerremondiale) au détriment de celle de l’esclavage et de laTraitenégrière,cediscoursantisémiteouantisionisterencontreuneaudience.

En Europe, il est relayé par de nombreux entrepreneursidentitaires, à l’image de DieudonnéM’Bala M’Bala, brillanthumoriste franco-camerounais entré peu à peu en dissidencecontrecequ’ilappelle«lesystème»,auprixdeprovocationsetdesurenchèresauvitriolquialimentent,entre2004et2015,unmalaiseantisémitepersistant324.ClaudeAskolovitchestimequel’humoristeseraitainsipassé«delacausenoireàlahainedesjuifs325 ». Par son talent, son anticonformisme et son refus deplier,Dieudonnéaentraînéàsasuitedespublicsconsidérables,animés par un désir de revanche face à une société qui leursemble (souvent à juste titre !) fermée au renouvellement,verrouillée par les héritiers. La colère exprimée repose sur unlourd passif qui peut légitimer une impatience, voire unerancœurvéhémente.CequelerappeurKeryJamesappelle« ladeuxièmeFrance»sevitcommereléguéeauprofitd’élitesquise cooptent, se protègent, s’auto-reproduisent, à l’image despremiers réflexes de solidarité de bien des politiques etjournalistes,dévastateursdansl’opinion,enfaveurdel’hommepolitique françaisDominiqueStrauss-Kahn.Alors directeur du

FondsMonétaireInternational(FMI),cedernieravaitétéarrêtésuiteauxplaintespourviold’unedomestiquenoire,NafissatouDiallo, le 14 mai 2011 à l’hôtel Sofitel de New York. Uneaffaire relativisée dans un premier temps par plusieurs tenantsautoproclamés du « progrès social » franco-français, à l’imagedu patron de presse Jean-François Kahn, qui n’y voit qu’un«troussagededomestique326»…

Que les milieux politiques aient largement échoué (pourl’instant) à réformer la France, nourrissant endogamie desélites327, chômage de masse, mensonge et opacité328, défiancevis-à-visdescatégoriespopulaires,desjeunesetdesfemmes,estuneévidence329.MaisleJuifest-illeresponsable?Àl’évidencenon.Pasplusquel’Arabe,leNoir,l’électeurduFrontNationaloulabaigneusequiporteunburkini.DevantleMalsocialetlesféodalitésenplace,lesJuifsnesontniplus,nimoinsinnocentsque les catholiques, protestants, chiites, sunnites, bouddhistes,athées,animistes…Faceauxfiertésnoirestentéesdepointerundoigt accusateur obsessionnel sur Israël, le sionisme ou le«lobbyjuif», leGospelfrancophoneopèreuneconversionduregard.Le«Système»oppresseur, c’estPharaon, cen’estpasMoïse.PharaonpeutêtreleMal,lenéocolonialisme,lamarquedu péché sur les choix individuels, l’injustice sous toutes sesformes. Mais Pharaon ne se confond avec aucun peuple oucatégorie bouc émissaire, ouvrant à des liens apaisés avec lesmondesjuifsetIsraël330.

Uneidentitéplurielleheureuse?Positionnéeentre«lerôledemusiqued’agrément»etceluide« médium militant331 », le Gospel n’est pas, en priorité, unemusique revendicative, à l’inverse, sans doute, d’une bonnepartie de la musique rap contemporaine. Baignée dans une

culturecontemporaineduFeelGood(“soisbiendanstapeau”),elle peut même dériver vers une musique facile, « mélodied’ascenseur » égrainant des paroles positives. Mais sa carted’identité n’est pas là. Son origine et sa fonction sociale sefocalisentsurunevisionrestaurativedel’existence.Cettevisionestfondéesurlafoichrétienne,etsefaitl’avocated’uneidentitéplurielle, inclusive, créolisée, heureuse, teintée de fierténoireversionGospel.

Cette identité heureuse se revendique même en France. Etpourtant ! Ce grand pays blessé, en crise de confiance, estmarqué,depuis2002(candidatduFrontNationalausecondtourdes élections présidentielles), par une crise identitairepersistantequifaitcraindre,pourcertains,lafindelalaïcité,delaRépublique,delanation,oudetoutcelaàlafois.Àreboursdes prophéties sinistres du déclin, cette identité heureuse duGospel francophone continue à s’affirmer. Elle n’est pas LApotionuniverselleetparfaite!Maisellefaitpeut-êtrepartiedela pharmacie où les sociétés francophones du XXIe siècle vontpuiserdesremèdes.Ellesedéclinesurlerégimed’untoutjeunediscours de l’authenticité, alimenté par l’histoire plurielle desNoirsdel’espacefrancophone,lesaccentsdelalanguefrançaiseetlesnouveauxrépertoiresd’unGospelendogène.SériloLooky,actif promoteur de cette identité heureuse, résume ainsi leschoses:«legospelatoutesaplaceenFrance,c’estindéniable:ilexisteungospelbienfrançais,quigranditetdoitgardersonauthenticité dans sa création332 ». Inclusif, fédérateur, nourrid’unefierténoireouverteetbienveillantequiasudépasser lesrancœurs,leGospelfrancophoneoffrirait-iluneimagerafraîchiedecelabelparfoistrèséquivoquedu«biendechez-nous,bienfrançais » ? Il défend, en tout cas, d’autres accents que cetteidentitémalheureusedéclinéeparl’essayisteAlainFinkielkraut

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Bibliographie

LeGospelfrancophoneencontexteVingtréférencesenlanguefrançaise

Lesnombreuxmatériauxbibliographiquesutilisésdanscelivreapparaissentaufildutexte,ainsiqu’ennotesdebasdepage.Enrappeldesynthèse,voiciunbouquetd’unevingtained’ouvragesenlanguefrançaisepourcadrerlesujet.

• L’esclavage et les émancipations sont le terreau à partirduquellesSpiritualspuisleGospelontémergé.Lirenotammentces quatre ouvrages, écrits dans des registres et des anglesdifférents:CatherineCoquery-VidrovitchetEricMesnard,Êtreesclave,Paris,LaDécouverte,2013(280p)MarcelDorigny,BernardGainot(etcartesFabriceLeGoff),Atlasdesesclavages,Paris,Autrement,2013(96p)OlivierGrenouilleau,Qu’est-cequel’esclavage?Unehistoireglobale,Paris,Gallimard,2014(416p)ChristianeTaubira,L’esclavageracontéàmafille,Paris,Bibliophane,2002(165p)

• Pour contextualiser le Gospel francophone au sein desunivers plus vastes de la musique liturgique catholique enFrance, ou, plus largement encore, des « musiques sacrées »,consultercesdeuxtitresqui,chacunàleurmanière,fournissentdesélémentstrèscomplets:GérardKurkdjian,Legrandlivredesmusiquessacréesdumonde,Paris,AlbinMichel,2016(448p)

OlivierLandron,Lecatholicismefrançaisaurythmeduchantetdelamusique(XXe-XXIesiècle),Paris,ParolesetSilence,2014(578p)

• Pour bénéficier de bibliographies très détaillées, quasicomplètes, sur l’univers chrétien protestant dont se nourritbeaucoup leGospel francophone, on consultera avecprofit lesdeuxsommessuivantes:PatrickCabanel,HistoiredesprotestantsenFrance,XVIe-XXIesiècle,Paris,Fayard,2012(1502p)SébastienFathetJean-PaulWillaime(dir.),LanouvelleFranceprotestante.EssoretrecompositionsauXXIesiècle,Genève,LaboretFides,2011(488p)

• Sur les musiques Gospel, leurs interprètes et leur contextepluslarge(BlackMusic),voicidouzetitresànepasmanquer:NoëlBalen,HistoireduNegroSpiritualetduGospel,Del’exodeàlarésurrection,Paris,Fayard,2001(330p)Jean-ChristopheBertin,ClydeWright,Lesracinesdelamusiquenoireaméricaine:Gospel,blues,jazz(illustré+CD),Paris,Carpentier,2009(141p)MarcelBoungou,DuGospelàl’Évangile.Itinéraired’un«Gospelsinger»africain,entretiensavecJacquesBonnadier(+CD),Marseille,Onésime2000,2008(96p)BrunoChenu,LegrandlivredesNegrospirituals,Bayard,Paris,2000(400p)ArmelleGaulieretDaoudaGary-Tounkara(dir.),«Musiqueetpouvoir,pouvoirsdesmusiquesdanslesAfriques»,numérothématiquedelarevueAfriqueContemporaine,Paris,AFD,no254,2015/2(164p)ClaudeKeiflinetAlfonsoNsangu,AlfonsoetlesGospel

Kids,Paris,éditionsduSigne,2011(192p)Denis-ConstantMartin,LeGospelAfro-Américain,desspiritualsaurapreligieux(+CD),coll.MusiquesduMonde,CitédelaMusique/Actessud,Paris,1998(146p)RobertSacré,LesNegrospiritualsetlesGospelSongs,Quesais-je?,PUF,Paris,1993(124p)MargueriteYourcenar,Fleuveprofond,sombrerivière,LesNegroSpirituals,commentairesettraductions,PoésieGallimard,Paris,1966(288p)MargueriteYourcenar,BluesetGospels,Paris,Gallimard(illustré),1984(184p)EmmanuelParent(dir.),GreatBlackMusic,Paris,ActesSud&CitédelaMusique,2014(240p)YvesRaibaud,Géographiedesmusiquesnoires,Paris,L’Harmattan,2011(146p)

Danslamêmecollection:

Decommencementsenrecommencements.Unedynamiqued’espérance

JürgenMoltmannISBN:9782356140517

Nouveauxregardssurl’esclavageSousladirectiondeJean-ClaudeGirondin

ISBN:9782356140920

DeSocrateàJésus.VersuneautresagesseRémyHebding

ISBN:9782356140906