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Chronique de la fixation du cou ˆt des actes. Qu’en reste-t-il 15 ans apre `s ? History of practice cost assessment. What have the objectives set 15 years ago become? P.-Y. Blanchard a, * ,b a Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, 40, alle ´e de la Source, 94190 Villeneuve-Saint-Georges, France b Cabinet libe ´ral, 31, rue d’Ache `res, 78600 Maisons-Laffitte, France Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com L e de ´lai de prescription est passe ´ mais la solution n’est toujours pas trouve ´e. Le propos n’est pas syndicaliste, il n’aurait pas sa place dans une revue scientifique. Que nous nous accordions tous a ` e ´lever la performance technique par nos travaux, depuis la recherche fondamentale, jusqu’a ` l’e ´valuation clinique, passe ´s au crible des comite ´s de re ´daction des revues re ´fe ´rence ´es formate ´es par l’Evidence Based Medecine est une chose ; que nous abandonnions a ` des gestionnaires, des e ´conomistes et des statisticiens l’e ´va- luation des cou ˆts de la pratique en est une autre. Il ne semble pas de ´place ´ pour maintenir la pe ´rennite ´ de nos « bons soins » de s’inte ´resser aux justes conditions de notre exercice pour le be ´ne ´fice de nos patients. Laissons donc aux syndicalistes la difficile et cruelle ta ˆche de la de ´fense de nos honoraires par le biais de la portion congrue des soins rem- boursables, mais essayons de nous donner scientifiquement les moyens d’identifier ce que cou ˆtent re ´ellement nos soins. La tentative fut vaine. L’amour platonique d’un grand dessein e ´tait pre ´sent : hie ´rarchiser les actes me ´dicaux pour re ´aliser une nomenclature progressiste. La conception eut lieu sous l’e ´gide de la Caisse nationale d’assurance maladie des travail- leurs salarie ´s (CNAMTS) [1–3], l’avortement a suivi ; the ´rapeu- tique pour les uns (le cou ˆt aurait e ´te ´ trop e ´leve ´), spontane ´ pour les autres (la conception en e ´tait trop complexe). Afin que les plus jeunes gardent le souvenir des conditions d’e ´laboration de ce travail nous en rappelons les traits essen- tiels. Quels e ´taient les ingre ´dients du savant me ´lange qui avait, a ` l’e ´poque, fe ´de ´re ´ de nombreuses bonnes volonte ´s ? Des repre ´sentants de toutes obe ´diences devaient garantir la repre ´sentativite ´a ` ce travail : prive ´s, publics, temps pleins, temps partiels, universitaires, professeurs, syndicalistes, jus- qu’a ` « l’homme du rang », hommes, femmes, chirurgiens, stomatologistes, orientation dentaire et orthodontique... Le fonctionnement e ´tait le suivant : un comite ´ de pilotage charge ´ de re ´fe ´rencer nos actes, un groupe de relecture, des groupes d’experts e ´valuateurs en multiples sessions avec votes a ` plusieurs tours jusqu’a ` obtenir « un consensus ». Le principe initial du « scorage » fut de ´fini par une proce ´dure conside ´re ´e comme juste par d’autre travaux et importe ´e 1,2 avant d’e ˆtre adapte ´e [1–3]. Pour chaque acte, trois temps e ´taient identifie ´s : un temps pre ´ope ´ratoire (depuis la fin de la consultation avec de ´cision chirurgicale jusqu’a ` l’installation du patient ; incluant donc les temps de secre ´tariat, de re ´vision du dossier, la visite pre ´ope ´ratoire, les commandes spe ´cifiques, la check- list depuis peu...); un temps ope ´ratoire (de l’installation jusqu’a ` la fin du geste technique, pansement) ; un temps postope ´ratoire (depuis la fin du geste technique jusqu’a ` la date de la premie `re consultation (pouvant faire l’objet d’honoraires apre `s j0 + 20 a ` l’e ´poque), incluant les visites postope ´ratoire, soins divers ou pansements, re ´dactions des dossiers et comptes rendus) Une de ´cision unilate ´rale n’a pas permis d’e ´valuer les temps pre ´- et postope ´ratoires : « ces deux composantes sont * Auteur correspondant. e-mail : [email protected]. 1 Albaret S. Alies-Patin A. Propositions me ´thodologiques en vue d’une refonte de la nomenclature des actes de chirurgie et d’anesthe ´sie- re ´animation. Revue me ´dicale de l’assurance maladie 1996;1: 3–6. 2 Rochaix L. Khelifa A. Re ´mune ´ration des producteurs et incitations financie `res Rapport Sante ´ 2010 Commissariat ge ´ne ´ral du Plan 1993:245–61. Rec ¸u le : 11 juillet 2010 Accepte ´ le : 3 aou ˆt 2010 Disponible en ligne 23 novembre 2010 E ´ ditorial 251 0035-1768/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. 10.1016/j.stomax.2010.09.003 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2010;111:251-253

Chronique de la fixation du coût des actes. Qu’en reste-t-il 15 ans après ?

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Chronique de la fixation du cout des actes.Qu’en reste-t-il 15 ans apres ?

History of practice cost assessment. What have the objectivesset 15 years ago become?

P.-Y. Blancharda,*,bDisponible en ligne sur

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Recu le :11 juillet 2010Accepte le :3 aout 2010Disponible en ligne23 novembre 2010

Editorial

a Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, 40, allee de la Source,94190 Villeneuve-Saint-Georges, Franceb Cabinet liberal, 31, rue d’Acheres, 78600 Maisons-Laffitte, Francewww.sciencedirect.com

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1 Albaret S. Alies-Patin A. Propositions methodologiques en vue d’unerefonte de la nomenclature des actes de chirurgie et d’anesthesie-

L e delai de prescription est passe mais la solution n’esttoujours pas trouvee.

Le propos n’est pas syndicaliste, il n’aurait pas sa place dansune revue scientifique.Que nous nous accordions tous a elever la performancetechnique par nos travaux, depuis la recherche fondamentale,jusqu’a l’evaluation clinique, passes au crible des comites deredaction des revues referencees formatees par l’EvidenceBased Medecine est une chose ; que nous abandonnions ades gestionnaires, des economistes et des statisticiens l’eva-luation des couts de la pratique en est une autre.Il ne semble pas deplace pour maintenir la perennite de nos« bons soins » de s’interesser aux justes conditions de notreexercice pour le benefice de nos patients. Laissons donc auxsyndicalistes la difficile et cruelle tache de la defense de noshonoraires par le biais de la portion congrue des soins rem-boursables, mais essayons de nous donner scientifiquementles moyens d’identifier ce que coutent reellement nos soins.La tentative fut vaine. L’amour platonique d’un grand desseinetait present : hierarchiser les actes medicaux pour realiserune nomenclature progressiste. La conception eut lieu sousl’egide de la Caisse nationale d’assurance maladie des travail-leurs salaries (CNAMTS) [1–3], l’avortement a suivi ; therapeu-tique pour les uns (le cout aurait ete trop eleve), spontane pourles autres (la conception en etait trop complexe).Afin que les plus jeunes gardent le souvenir des conditionsd’elaboration de ce travail nous en rappelons les traits essen-tiels.Quels etaient les ingredients du savant melange qui avait, al’epoque, federe de nombreuses bonnes volontes ?

* Auteur correspondant.e-mail : [email protected].

0035-1768/$ - see front matter � 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.10.1016/j.stomax.2010.09.003 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2010;111:251-253

Des representants de toutes obediences devaient garantir larepresentativite a ce travail : prives, publics, temps pleins,temps partiels, universitaires, professeurs, syndicalistes, jus-qu’a « l’homme du rang », hommes, femmes, chirurgiens,stomatologistes, orientation dentaire et orthodontique. . . Lefonctionnement etait le suivant : un comite de pilotagecharge de referencer nos actes, un groupe de relecture, desgroupes d’experts evaluateurs en multiples sessions avecvotes a plusieurs tours jusqu’a obtenir « un consensus ».Le principe initial du « scorage » fut defini par une procedureconsideree comme juste par d’autre travaux et importee1,2

avant d’etre adaptee [1–3].Pour chaque acte, trois temps etaient identifies :� un temps preoperatoire (depuis la fin de la consultationavec decision chirurgicale jusqu’a l’installation du patient ;incluant donc les temps de secretariat, de revision du dossier,la visite preoperatoire, les commandes specifiques, la check-list depuis peu. . .) ;� un temps operatoire (de l’installation jusqu’a la fin dugeste technique, pansement) ;� un temps postoperatoire (depuis la fin du geste techniquejusqu’a la date de la premiere consultation (pouvant fairel’objet d’honoraires apres j0 + 20 a l’epoque), incluant lesvisites postoperatoire, soins divers ou pansements, redactionsdes dossiers et comptes rendus)Une decision unilaterale n’a pas permis d’evaluer les tempspre- et postoperatoires : « ces deux composantes sont

reanimation. Revue medicale de l’assurance maladie 1996;1: 3–6.2 Rochaix L. Khelifa A. Remuneration des producteurs et incitationsfinancieres Rapport Sante 2010 Commissariat general du Plan1993:245–61.

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valorisees directement ou indirectement en pourcentage dutravail peroperatoire par specialite (et non plus par acte). Pourun administratif, le travail pre- et postoperatoire lors d’uneavulsion dentaire et celui d’un lambeau pour reconstructionapres ablation d’un cancer etait le meme !Le « travail medical » du temps operatoire fut evalue selonquatre criteres :� la duree (facilement quantifiable. . .) ;� la competence technique (incluant le complementd’etudes theoriques et pratiques necessaires, la techniciteet la dexterite pour maıtriser la difficulte technique del’intervention) ;� l’effort mental (necessite de concentration, mobilisationpermanente de toutes les ressources du praticien afin demaintenir la capacite de reaction et d’adaptation a toutesituation inopinee. . .) ;� le stress induit (ensemble des phenomenes de tension,anxiete qui habitent normalement un chirurgien pendant uneintervention).Ces trois derniers criteres, plus professionnels (donc noncontrolables par les financeurs), furent en fait peu representesdans la ponderation finale au pretexte qu’ils etaient subjectifset inversement proportionnels les uns aux autres (un praticiena competence technique faible devait majorer l’effort mentalet le stress. . .) l’ensemble devenant « forfaitisable parspecialite. . . ».Le principe du codage reposait sur l’evaluation des diffe-rents actes pris isolement de facon relative a l’actereference : avulsion d’une dent de sagesse mandibulaireincluse.Il fut retenu initialement la possibilite du cumul reel etintegral des resultats lors des procedures combinant des actesmultiples (la duree consacree a un acte ne se reduit pas aupretexte qu’il est associe a un autre, sauf si on accepte unesurrepresentation du temps passe a ne pas operer, champage,etc.). C’est ce meme concept qui prevaut actuellement pourles actes dentaires de nomenclature (Nomenclature generaledes actes professionnels [NGAP] residuelle) qui permet tou-jours le cumul d’actes multiples.Les associations d’actes etant frequentes dans notre discipline(osteotomies par exemple), elles ont ete l’objet de la constitu-tion de procedures (liste non exhaustive, avec tous les biaisque cela peut comporter. . .).Une fois cet exercice de hierarchisation effectue pourchaque acte de chaque discipline, un travail de hierarchisa-tion interspecialites fut realise par perequation sur l’utilisa-tion d’actes liens (transversaux et communs a plusieursdisciplines ; par exemple la rhinoplastie, commune auxchirurgiens maxillofaciaux, otorhinolaryngologistes etplasticiens. . .). Mais comment faire coıncider deux regles,l’une graduee en centimetre et l’autre en pouces ? Voila untravail mathematique probablement juste aux dires desstatisticiens charges de cela, mais tout de meme un peuobscur et arbitraire.

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L’arbitrage ultime fut realise politiquement par les financeurspuisque cette nouvelle hierarchisation d’actes devait aboutir,a enveloppe budgetaire constante, sans actes ou specialiteperdante par rapport a la nomenclature NGAP.Le glas du grand soir de la revision de la nomenclature avaitdonc sonne et un des princeps du travail, battu froid. A lapremiere page d’un document de travail interne de laCNAMTS, on pouvait lire : « en raison de la baisse du pouvoird’achat des lettres-cles dites technique d’environ 50 % en20 ans, les actes les plus anciens sont sous cotes. . . la nomen-clature comporte une distorsion structurelle des honoraires ».Rappelons nous de l’osteotomie maxillaire, cotee KCC 200 enNGAP pour un KCC a 2,14 s, comparee aux osteotomies typeLe Fort I non segmentee d’avancee (LBPA029) ou segmenteeen plus de trois fragments (LBPA006), quasiment identique aune ablation de prothese avec arthrodese scapulohumerale(MEGA001), une hernie discale thoracique (LEFA003) ou unenephro-uretrectomie totale (JAFA032).Cette hierarchisation des actes, au lieu de conduire a lareevaluation justifiee et attendue de nos activites, a surtoutdonne a la CNAM un outil de surveillance de nos activites !Le travail medical etant ainsi (mal) defini, il devait etre associeaux indices de cout relatifs (ICR) pour l’integration dans lesGroupes homogenes de malades (GHM).Ces ICR sont de fait inexploitables pour tout le versant denotre chirurgie realisee en externe.Ils furent estimes a partir de renseignements fournis par lesexperts de la specialite sur les couts des salles, du materiel etdu personnel necessaire. L’usage unique consommable etaitconsidere comme negligeable car proportionnellement peucouteux (il existe la un biais important si on prend l’exempledes sialendoscopies ou des techniques utilisant les radiofre-quences etc.).Les experts furent charges de definir les conditions neces-saires a l’accomplissement d’un acte : selon le document detravail, « un materiel ou une condition est considere indis-pensable si elle intervient dans au moins 10 % des actesconsideres » ; ce chiffre fut reevalue pendant le travail a. . .50 %. « De plus, pour du materiel dont l’amortissementdoublerait le cout de l’acte, il serait bon d’atteindreles 100 % d’actes ». Cette attitude exclut de fait toutinvestissement onereux et sous valorise les equipementschers !Dans les documents de travail de la CNAMTS, on pouvait lire :« Nous avons choisi la methode des ressources necessaires depreference a la methode des ressources communement mobi-lisees pour son avantage au point de vue economique. . . » (laressource est necessaire si elle est legale mais n’est pastoujours utilisee, il suffit alors d’un exemplaire pour plusieurssalles).L’estimation de la valorisation de ces conditions ne fut pasrealisee en valeur absolue mais en valeur relative par etudenationale des couts PMSI sur une perequation entre dessections definies dans chaque etablissement, le cout total

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Chronique de la fixation du cout des actes. Qu’en reste-t-il 15 ans apres ?

annuel, le nombre de points ICR effectues dans la sectionconsideree (relatif aux nombre d’actes dans la section). Il enfut deduit le cout du point ICR.C’est donc une valorisation estimee du cout de l’acte aenveloppe constante et non une reevaluation des justes coutsde la pratique !En janvier 2001, dans un document interne de la CNAMTS, onpouvait lire : « pour se faire une idee approximative du coutd’une intervention on pourra prendre un cout moyen de cinqfrancs du point ICR du catalogue CdAM soit environ1500 francs de l’heure ».Voila donc le destin d’un joli projet et des outils non exploites defacon realiste pour definir ce que valent reellement nos soins.

Plutot que de s’acharner a identifier un « remboursement » neserait-il pas temps de commencer par definir un peu plusrationnellement le « juste prix » ?

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[3] Hsiao WC, Yntema DB, Braun P, Dunn D, Spencer C. Measure-ment and analysis of intraservice work. JAMA 1988;260:2361–70.

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