Chronique Discographique

Chronique DiscographiqueAuthor(s): Édith WeberSource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 6 (1988), pp. 57-61Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25598712 .

Accessed: 16/06/2014 01:21

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Nouvelle revue du seizieme siecle - 1988 - n? 6, pp. 57-61.

CHRONIQUE DISCOGRAPHIQUE

Musique profane

Music of 15th and 16th centuries. Ensemble Dufay. Kiwi Pacific Records, TRL. 013. Disque noir.

Cette anthologie, entierement realisee par des interpretes de Nouvelle

Zelande, associe des ceuvres cosmopolites, <<franco-flamandes?, espagno

les et anglaises des XVe et XVIe siecles, composees par Josquin des Pres, Guillaume Dufay, Gilles Binchois, Diego Ortiz, Thomas Weelkes, John Dowland entre autres.

Selon les usages de l'epoque en cause, l'interpretation est vocale et ins

trumental, associant les voix de soprano (Greer Garden), de contre-tenor,

(G. Cocker), de tenor (R. Oliver) et des instruments anciens: flutes, flutes a

bee, violes, rebec, harpe et luth. Ces chanteurs sont plus a l'aise avec le

repertoire anglais: Go heart (Anonyme, vers 1430), Cease sorrows (Th. Weelkes) qui beneficient d'une execution soignee. II faut aussi relever les deux pieces instrumentales de D. Ortiz (ne vers 1510), respectivement pour flute a bee (A. Oliver) et luth (W. Bower); pour viole basse (R. Oliver), et

harpe (Greer Garden) et luth. Dans cet excellent ensemble, les chanteurs sont aussi instrumentistes;

Greer Garden a egalement assure les traductions anglaises des poemes fran

gais: merites de plus, qui s'ajoutent aux qualites artistiques de l'Ensemble

Dufay et a cette realisation qui apporte ? The music, Voices and sounds of the Pacific?, depuis Wellington jusqu'en Europe.

Polyphonies espagnoles et americaines de la Renaissance. B.L.N. 11 26 20.

Disque compact.

Le Grupo Vocal Gregor, sous la direction de Dante Andreo, propose aux discophiles un beau panorama de trente pieces breves (de moins d'une minute a trois minutes environ), speculant sur les brusques contrastes

d'atmospheres et d'intensite, entre elles. Ces pages, extraites du Cancio



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new de Palacio, d'Uppsala, de Medinaceli, regroupent des anonymes

dignes d'interet et des noms celebres: Juan del Encina, Francisco Guerero... ayant vecu au siecle d'Or de la Peninsule iberique. Ces musi

ciens utilisent judicieusement les apports de PEcole dite ?franco

flamande?, les nouveautes du XVIe siecle: chromatisme expressif, simplifi cation de Pecriture, homophonie et verticalite (sous Pinfluence de la musi

que humaniste), traduction figuraliste des images et des idees du texte pour assurer la correspondance entre paroles et musique.

La seconde partie revele aux melomanes des realisations du Nouveau

Monde. Sous la Vice-Regence, la musique est omnipresence, et les Archives

detiennent encore des joyaux influences par PEurope mais imprimes en

Amerique, avec ? comme curiosite ? un texte en Quechua (Perou) et

autres dialectes, sur des rythmes enleves.

Cet ensemble vocal de cinq chanteurs a signe une reussite, de nature a

ravir par son contenu, les musicologues avertis, et, par son interpretation,

les amateurs exigeants; il s'impose par sa justesse vocale donnant vie, tour a tour, a une musique d'ambiance, petillante, legere et transparente, ou a

une musique plus intense et expressive.

Johann- Hermann Schein, Banchetto musicale. EMI, ECD 7449224 2. Dis

que compact.

J.-H Schein, le second des ?Trois S? de la musique allemande, est ne en

1586 (un an apres Heinrich Schutz) et mort en 1630. II est a la fois musi

cien, poete, latiniste, maitre de chapelle. En 1613, il est precepteur et direc

teur de la musique au Chateau de Weissenfels; en 1615, maitre de chapelle a la Cour de Weimar, chez le Prince Johann Ernst le Jeune, avant de deve

nir Cantor a Saint Thomas de Leipzig et director musices, postes tres

envies.

Dans son Banchetto musicale, compose en 1617, il s'intitule? ?cantor

et musicus zu Leipzig?. Cette oeuvre se reclame de la ?prima pratica? et

comprend vingt suites (Paduana, Gagliarda, Corente, Allemande) pour instruments ?ad libitum?: ?auff allerley Instrumenten?, mais de prefe rence ?auff Violen?. Ces danses sont reliees par Pidentite tonale et des rap

ports thematiques. Dans cet enregistrement, le groupe des violes et celui des cornets et saqueboutes interviennent.

Des extraits du Venus Krantzlein compose a Wittenberg, en 1609 et la

Canzon ?Corollarium? tres bien structuree, completent ce disque. L'Ensemble Hesperion XX, dirige par J. Savaall, dont la reputation n'est



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plus a faire, par ce festival de ?danses?, montre que J.-H. Schein est le plus italianisant des ?3 S?, et combien il oscille entre le style italien et le preba roque musical, et combien il se situe dans la perspective du style concer

tant, aux alentours de 1600, periode charniere dans l'histoire de la musi

que.

Giovanni Battista Croce, Triaca musicale et autres divertissements veni

tiens. ERATO, ECD 75458. Disque compact.

L'ancien enfant de choeur et chantre a Saint Marc de Venise, puis vice

maitre et, enfin, maitre de chapelle, ne vers 1557, mort en 1609, compte ?

parmi ses compositions venitiennes, religieuses et profanes ?, des divertis sements et, notamment cette ?Panacee musicale? connue sous le nom de

Triaca musicale (1596). S'il sait divertir son public; il sait aussi imposer des oeuvres variees, bre

ves, populaires, en operant la synthese des styles en usage de son temps: note contre note ou homophonique, ou entrees successives, rythme souple ou tres scande, voix traitee ?a decouvert? ou accompagnee. II est impossi ble de detailler les vingt-six pieces vocales (a six voix) et instrumentales, ou

simplement instrumentales ecrites par G.B. Croce ou ses contemporains: Salomone Rossi (1570-1630), Vicenzo Ruffo (musicien du Concile de

Trente), qui, a cote des messes, cultive des Caprices pour viole de gambe,

O. Vecchi (Saltarello detto Trivella). Ce disque compact, veritable invitation a la danse, s'impose par son

exuberance, par ses intermedes animes ou melancoliques et decoratifs (cf. luth, n? 17), par la precision dans l'attaque et l'execution de ces ?plaisante ries? (cf. les divers themes et titres), bref, par cette musique de divertisse

ment et ces danses, sans ambages, variees, et fort agreables a ecouter.

Musique profane et religieuse

Josquin Desprez, Motets et chansons. EMI, 7 49209 2. Disque compact.

Cette nouvelle realisation, a l'actif du Hilliard Ensemble, contient des

chansons ?a succes? de Josquin Desprez (Des Pres), ne vers 1440, mort en

1521 (ou 1524), telles que El Grillo, chant imitatif et suggestif a souhait, Mille regretz qui a servi de principe structurel a de nombreux arrange ments, Petite Camusette (a 6 voix), faisant allusion a Robin et a Marion,



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En I'ombre d'ung buisson (ou Robin rencontre Bellon)... pieces vocales

que l'on a toujours plaisir a reentendre. Si les themes ne sont pas encore

tres eloignes de l'amour courtois des derniers ?trouveurs?, le langage musi

cal recherche deja l'equilibre entre le style horizontal du XVe siecle et le

style vertical du XVIe siecle, au service de Pexpressivite, sans oublier la

technique du canon et de l'imitation, Palternance du binaire et du ternaire.

Jean Molinet est present par son poeme Nimphe des bois pour la Deplo ration de Johannes de Ockeghem, planant sur le timbre (ou cantus firmus) du Requiem, compose peut-etre vers 1497. Comme Heinrich Schutz, pour le texte Absalon, fili mi, Josquin souligne le caractere grave et poignant du

recit. II affirme ses attaches avec le plain chant dans son Ave Maria, Pune

de ses meilleures compositions religieuses, et dans le Veni Sancte Spirit us

(d'apres la sequence pour Pentecote). Son Psaume 130, Deprofundis ad Te

clamavi, est aussi une reussite du genre. Dans le Gloria, Josquin evoque musicalement ses certitudes religieuses. Quant au Hilliard Ensemble et a

son chef Paul Hillier, ils defendent et illustrent, avec autant de musicalite

que de conviction, la cause musicale josquinienne.

Musique religieuse

Ingegneri, Responsaria hebdomadae sanctae. AUVIDIS, AV 4843. Disque noir.

Ces Repons des offices des Tenebres de la Semaine sainte datent de

1588. Les textes appartiennent aux passages les plus saisissants de la Bible,

notamment, les versets: ?Tenebrae factae sunt? et les injonctions: ?Vigi late et orate ut non intretis in tentationem?, les episodes dramatiques et

douloureux: ? Tristis est anima mea usque ad mortem?, et surtout, ?0 vos

omnes qui transitis per viam, attendite et videte si est dolor similis sicut

dolor meus?.

Ces Repons font partie des offices nocturnes des Tenebres (Jeudi, Ven

dredi et Samedi Saints), comprenant trois Nocturnes, trois Psaumes, et

antiennes et trois legons (Lamentations avec repons polyphoniques). Les

discophiles seront sensibles a P emotion contenue, au calme, au caractere

tres recueilli, qui n'atteint toutefois pas la densite spirituelle des Repons de

Carlo Gesualdo. M.A. Ingegneri exploite avec parcimonie et mesure les

possibilites de traitement figuraliste des idees et des images du texte bibli

que, et, ? dans la mouvance du Concile de Trente ?, soigne la diction et

Pintelligibilite des paroles.



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Les Saqueboutiers de Toulouse, le Choeur de chambre de l'Orchestre National de Lyon, diriges avec autorite par Bernard Tetu, conferent a ces

repons si attachants juste assez d'emotion et d'intensite.

H. Schutz, Weihnachtshistohe. Praetorius, Motets. EMI, CDC 7 476332.

Disque compact.

Les specialistes de H. Schutz (1585-1672), habitues aux realisations alle

mandes de haut niveau et a un paysage sonore specifique, ne manqueront pas d'etre quelque peu surpris a l'audition de l'introduction de YHistoire de la Nativite qui est un ? arrangement made in England ? par Andrew Par

rot, plus proche, ?

pour les parties manquantes ?, de la sensibilite de

J.-S. Bach que de celle de Sagittarius. Les timbres vocaux peuvent aussi derouter ceux qui sont attaches aux criteres d'interpretation en usage

Outre-Rhin.

Cette ?Historia? a sans doute ete composee pour le Jour de Noel 1660. Schutz est alors maitre de chapelle (et non cantor) a la Cour du Prince Elec teur Johann Georg II de Saxe, a Dresde. Son oeuvre associe la tradition

protestante du recit biblique a la maniere italienne (recitatifs et

intermedes). Les textes proviennent des Evangelistes Matthieu (II, 1-23) et Luc (II, 40). La conclusion est un chant de reconnaissance et de louange.

Cette version est inattendue par son parti pris d'interpretation (voix de

femmes, au lieu de voix de gargons) qui n'est pas celui admis en Allemagne (par exemple, par H. Hennig a la tete du Knabenchor (choeur de gargons) de Hannover. A ceci s'ajoutent les inevitables problemes de prononciation allemande. II faut cependant rendre hommage aux efforts des chanteurs

anglais: E. Kirkby, Nigel Rogers, D. Thomas, et du Taverner Consort, du Taverner Choir et des Taverner Players.

Michael Praetorius (15717-1621), dans les motets de Polyhymnia Cadu ceatrix et Panegyrica (1619) renoue avec le patrimoine du choral, apanage et identite de la musique lutherienne; mis a part le choral dit du Veilleur

(Wachet auf), le programme s'inscrit dans le contexte de la Nativite, avec le

choral bilingue de Noel, Puer natus in Bethlehem... singet, jubilieret, avec

le choral allemand, Wieschon leuchtet der Morgenstern (Brillante etoile du

matin) et le choral bilingue (respectant les assonances) In dulcijubilo /Nun

singet undseitfroh. On cherche en vain l'esprit traditionnel, l'elan joyeux, la jubilation, la fraicheur et la transparence... Cette musique devrait aller droit au coeur; Interpretation manque de simplicity et de ferveur.

Paris. Edith Weber.



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