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44 L’AGEFI / du 7 au 13 septembre 2006 Les investisseurs se tournent vers de nouvelles maisons aux méthodes innovantes : c’est le moment de se lancer ! Quelques conseils de pros s’imposent. HOMMES & CARRIÈRES PAR Jérôme Porier F inancière de l’Echiquier, Tocqueville Finance, la Française des Placements, DNCA Finance… La réussite de ces sociétés de gestion indépendantes, et de leurs fondateurs, se mesure aux montants d’encours gérés, qui atteignent parfois plu- sieurs milliards d’euros. Devant de telles suc- cess stories, quel gérant talentueux n’a sou- haité à son tour se mettre à son compte ? Le contexte est réellement porteur. Le krach boursier de l’an 2000 a rebattu les cartes d’un marché français de la gestion qui semblait verrouillé par les banques : les lourdes pertes essuyées entre 2000 et 2001 © IEd Bock/Corbis ont écorné la confiance que beaucoup d’in- vestisseurs plaçaient dans leurs gérants tra- ditionnels. « La gestion trop indicielle des grands réseaux a montré ses limites », assè- ne Romain Burnand, directeur général de Moneta Asset Management, société créée en 2003. « Cette crise de confiance a incité les investisseurs à rechercher des alternatives, à s’ouvrir à d’autres méthodes de gestion. Cela a été notre chance », confirme Jérôme Tordo, l’un des sept fondateurs de Sycomore Asset Management . Reste que se lancer nécessite une longue préparation et une bonne dose de culot. Pour éviter les écueils, mieux vaut s’inspirer du parcours de ceux qui ont réussi. Voici leurs principaux conseils : Cinq règles pour monter sa société de gestion Cinq règles pour monter sa société de gestion

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44 L’AGEFI / du 7 au 13 septembre 2006

Les investisseurs se tournent vers de nouvelles maisons aux méthodes innovantes : c’est le moment de se lancer ! Quelques conseils de pros s’imposent.

HOMMES & CARRIÈRES

PAR Jérôme Porier

F inancière de l’Echiquier, Tocqueville Finance, la Française des Placements, DNCA Finance… La réussite de ces sociétés de gestion indépendantes, et

de leurs fondateurs, se mesure aux montants d’encours gérés, qui atteignent parfois plu-sieurs milliards d’euros. Devant de telles suc-cess stories , quel gérant talentueux n’a sou-haité à son tour se mettre à son compte ?

Le contexte est réellement porteur. Le krach boursier de l’an 2000 a rebattu les cartes d’un marché français de la gestion qui semblait verrouillé par les banques : les lourdes pertes essuyées entre 2000 et 2001

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ont écorné la confi ance que beaucoup d’in-vestisseurs plaçaient dans leurs gérants tra-ditionnels. « La gestion trop indicielle des grands réseaux a montré ses limites », assè-ne Romain Burnand, directeur général de Moneta Asset Management, société créée en 2003. « Cette crise de confi ance a incité les investisseurs à rechercher des alternatives, à s’ouvrir à d’autres méthodes de gestion. Cela a été notre chance », confi rme Jérôme Tordo, l’un des sept fondateurs de Sycomore Asset Management . Reste que se lancer nécessite une longue préparation et une bonne dose de culot. Pour éviter les écueils, mieux vaut s’inspirer du parcours de ceux qui ont réussi. Voici leurs principaux conseils :

Cinq règles pour monter sa société de gestion Cinq règles pour monter sa société de gestion

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/ L’AGEFI 45du 7 au 13 septembre 2006

Innover La clé de la réussite de ces aventuriers de la gestion ? Avant tout, l’esprit d’innovation. « Nous avons été les premiers à propo-ser un fonds purement value en France », explique François-Marie Wojcik, qui a créé Métropole Gestion en juillet 2002. A la tête d’une société employant 27 personnes, cet ancien gérant du CCF, de Fimagest et de CCR Actions pèse aujourd’hui 2,3 milliards d’euros d’encours. Tous les indépendants ont l’obsession de se différencier, d’identifi er un nouveau créneau ou une méthode de ges-tion délaissée par les réseaux bancaires. Car c’est bien un style de gestion particulier que recherchent les investisseurs en s’adressant à une société indépendante. C’est en pariant sur le retour en grâce des valeurs moyen-nes que Sycomore AM, Amiral Gestion ou Moneta ont réussi à décoller après le krach. Maintenant que le créneau est saturé, l’in-novation se situe ailleurs. « La créativité est telle en matière de produits fi nanciers qu’il y aura toujours de la place pour de nouveaux acteurs », estime Jean-Sébastien Beslay, l’un des fondateurs de Trusteam Finance qui a lancé en début d’année un fonds de fonds constitué exclusivement de trackers . Aujourd’hui, ce sont les produits à performance absolue ou encore « dissy-métriques » qui font recette. C’est la spécia-lité de la Française des Placements, société créée en septembre 2000 par Alain Wicker, ancien fondateur de Fimagest, et qui affi che sans doute la réussite la plus spectaculaire de ces dernières années.

S’armer de patience Trouver le bon créneau, la bonne idée, ne suffi t pas toujours. Les aventuriers dési-reux de monter leur propre affaire doivent se préparer à un parcours du combattant. Première gageure : obtenir l’agrément de l’AMF. Sur ce plan, le contexte semble aujourd’hui moins favorable qu’il y a qua-tre ou cinq ans. Car la réglementation est devenue plus contraignante. « Il devient de plus en plus compliqué de monter une société de gestion. Les agréments sont plus diffi ciles à obtenir et le respect des nou-velles règles de déontologie représente un coût élevé » , estime Jean-Sébastien Beslay. Une opinion partagée par cet autre gérant : « En 2001, une société de gestion avec 50 millions d’euros d’encours était via-ble. Aujourd’hui, la barre est plutôt à 250 millions. Bientôt, ce sera 500 millions. » La montée en puissance d’une société de

gestion étant toujours progressive, mieux vaut donc partir avec un capital suffi sant pour tenir au moins deux ans.

Se lancer à plusieurs Les plus belles réussites sont rarement l’af-faire d’une seule personne. Se frayer un chemin seul est possible, mais prend beau-coup plus de temps. Didier Le Ménestrel a mis quinze ans pour bâtir en tandem la Financière de l’Echiquier. Ces dernières années, ce sont les sociétés lancées avec de gros moyens, comme la Française des Placements, ou avec une équipe solide de plusieurs gérants expérimentés, comme Sycomore AM, qui ont percé. C’est pour-quoi il ne faut pas négliger l’importance du recrutement. Le fait d’ouvrir le capital de l’entreprise permet d’attirer des gérants de haut niveau et de faciliter la collecte de fonds. En témoigne la réussite exemplaire de DNCA Finance. Créée en septembre 2000 par des anciens de Richelieu Finance, cette société a décollé en 2002 en ouvrant son capital à Jean-Charles Mériaux, une fi gure de la gestion réputée pour ses per-formances avec les fonds « rendements » de la Compagnie Financière Edmond de

Rothschild. DNCA Finance vient d’attein-dre la consécration internationale puisque la banque d’affaires italienne Banca Leonardo a annoncé en juillet qu’elle en prenait 34 %. Pour réussir dans la gestion, mieux vaut donc jouer collectif.

Frapper à toutes les portes Les gérants sont unanimes : amorcer la collecte des encours est l’étape la plus délicate. Les investisseurs institutionnels placent rarement moins de 500.000 euros ou un million d’euros d’un seul coup dans un fonds. Leurs règles prudentielles (ratios d’emprise) leur interdisant de détenir plus de 10 % de l’actif d’un OPCVM, ils rechi-gnent à investir dans un nouveau fonds. Faute d’une notoriété suffi sante, la plupart des créateurs de société de gestion ont dû solliciter leurs proches pour démarrer leur activité. Avec les risques que cela impli-que. Même les gérants les plus réputés éprouvent des diffi cultés pour lancer leur fonds. « Je ne pensais pas que la phase d’amorçage serait aussi diffi cile », confi e Alain Wicker, pourtant considéré comme un grand nom de la gestion collective. « Le plus compliqué c’est de passer de

A près une maîtrise d’économétrie et un DESS fusions et acquisitions, Jean-Sébastien Beslay débute sa carrière en 1991 comme chargé d’études au département marketing de l’UAP. « Une

expérience intéressante, mais qui ne m’a

pas appris à aimer les grandes structures », glisse-t-il. En 1993, alors qu’il ne connaît rien à la Bourse, il est engagé en tant qu’analyste-vendeur par la société de Bourse Exane. Il y reste presque neuf ans, se consacrant au développement de l’activité « valeurs moyennes ». Fasciné par certains grands gérants américains (Ralph Wanger, John Neff…), il décide de passer à la gestion… le 11 septembre 2001. Avec Jean-Luc Allain, il crée Trusteam Finance, une société de gestion de portefeuilles spécialisée dans les petites et moyennes valeurs de croissance. Mise de départ :

1 million d’euros. La société démarre avec seulement 5 millions d’euros d’encours de gestion, un montant collecté dans l’entourage des fondateurs. A l’image des marchés, les deux premières années sont éprouvantes. « Avec le recul, cela nous a

aidés à nous lancer au pire moment, estime Jean-Sébastien Beslay . Nous avons été

forcés d’innover pour trouver des clients. » Heureusement, le rebond des marchés va permettre à la société de décoller. Trusteam Finance gère aujourd’hui 300 millions d’euros. La société emploie douze personnes, dont huit gérants. Quand il ne veille pas aux destinées de Trusteam Finance, Jean-Sébastien Beslay aime se changer les idées en jouant au golf : « Cela

ressemble beaucoup à la gestion : il faut

éviter le mauvais coup pour poursuivre son

parcours. »

TÉMOIGNAGE

Jean-Sébastien Beslay, fondateur de Trusteam Finance

Rescapé du 11 septembre

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5 à 50 millions d’euros d’encours », précise Romain Burnand. Solliciter l’aide de son ancien employeur peut aussi s’avérer très judicieux - à condition de s’être quittés en bons termes. Celui-ci pourra être d’une grande aide pour collecter des fonds, voire proposer une solution de repli si l’affaire périclite. Avant de créer sa société Amiral Gestion, François Badelon a été hébergé par la Financière de l’Echiquier, au sein de laquelle il a lancé le fonds Sextant PEA en janvier 2002.

Miser sur les CGPI La frilosité des investisseurs institutionnels incite les sociétés de gestion indépendantes à se tourner vers des investisseurs privés, notamment par le biais des CGPI (conseillers en gestion de patrimoine indépendants), qui n’hésitent pas à proposer à leurs clients les produits les plus innovants du marché. Ils apprécient les petites maisons pour leurs per-formances, bien sûr, mais aussi pour l’origina-lité de leurs méthodes de gestion et leur souci de protéger le capital des souscripteurs. Leur partenariat est si effi cace que certaines mai-sons n’hésitent plus à concevoir des produits spécifi ques dédiés aux CGPI. Ainsi, Richelieu Finance a lancé il y a quelques mois Richelieu Patrimoine, un fonds de fonds dans lequel on retrouve ses OPCVM vedettes. « Ce produit est disponible avec une commission de sous-cription réduite uniquement sur les plates-formes des CGPI », précise Sassan Golshani, directeur des relations partenaires à Richelieu Finance. La clientèle des conseillers en patri-moine procure à Richelieu 40 % de ses encours, ce qui justifi e ce traitement de faveur. « Le développement d’internet et l’essor des CGPI va obliger les grands réseaux bancaires à s’ouvrir à la multigestion. Ils devront pro-poser à leurs clients des alternatives à leurs propres fonds, estime Jean-Sébastien Beslay. Cette évolution va favoriser la croissance des sociétés de gestion indépendantes. C’est dans le sens de l’histoire. Nous n’en sommes qu’au début. »

« Les plus belles réussites sont rarement l’affaire d’une seule personne »

F raîchement diplômé de l’ESCP, François Badelon commence sa carrière comme vendeur actions chez Meeschaert-Roussel, puis chez Exane. Cette expérience de dix ans en salle des marchés lui permet d’accéder au statut d’associé chez Exane, mais elle ne le satisfait pas complètement : « Un bon vendeur doit trouver chaque jour

une nouvelle histoire pour ses clients. Moi,

j’avais plutôt deux bonnes histoires par an. » En 1995, la lecture de The Warren Buffett

Way, premier livre consacré au mythique gérant de Berkshire Hathaway, va changer sa vie. Il se forge une véritable philosophie d’investissement, qui se révèle très rentable pour son portefeuille personnel. La bulle des valeurs technologiques achève de le convaincre : il existe une fenêtre de tir pour se lancer dans la gestion. « Sur France

Télécom, Alcatel ou les valeurs internet,

je ne savais plus quoi dire à mes clients. Je

ne comprenais plus rien à ces valorisations

mirobolantes. En revanche, je voyais des

opportunités extraordinaires sur des titres

comme Camaïeu ou Sodexho Marriott

Service. C’est pourquoi j’ai décidé de me

lancer. » Le temps d’obtenir l’agrément de l’AMF et de collecter 6 millions d’euros, ce passionné de voile crée en 2003 sa société, baptisée Amiral Gestion. En misant sur Camaïeu et les valeurs « massacrées » du Nouveau Marché, comme auféminin.com, il décolle rapidement. Amiral Gestion pèse aujourd’hui 160 millions d’euros d’actifs à travers trois fonds. Comme son mentor Warren Buffett, François Badelon revendique une gestion libre, débarrassée de l’obsession du benchmark : « Obtenir une performance

maximale avec une prise de risque minimum

et sans contrainte de gestion. »

TÉMOIGNAGE

François Badelon, fondateur d’Amiral Gestion

Sur les traces de Warren Buffett

HOMMES & CARRIÈRES

A près un passage dans l’audit, Romain Burnand se bâtit pendant quatorze ans une solide réputation dans l’analyse fi nancière, d’abord chez Cholet Dupont à Paris, puis chez Paribas et JPMorgan à Londres. Spécialiste reconnu et apprécié, il reçoit sept fois le prix du meilleur analyste du secteur bancaire. « Je suis venu à l’analyse

par vocation, précise cet ancien de l’Essec aujourd’hui âgé de 47 ans. Mais j’avais

besoin d’un nouveau challenge. » En 2003, Romain Burnand crée, avec un ancien collègue, Moneta Asset Management, une société de gestion spécialisée dans les actions européennes. Loin du confort et du prestige de JPMorgan, ils s’installent dans un petit bureau en face de l’Olympia.

Le krach de 2000 est encore dans les esprits et la frilosité des investisseurs rend les débuts diffi ciles. Au moment de son lancement, l’encours de son premier fonds, Moneta Micro Entreprises (MME), ne dépasse pas 3 millions d’euros, collectés auprès d’une poignée de proches. Mais les marchés se reprennent et les petites valeurs, qui avaient été massacrées, rebondissent. En trois ans, la valeur de Moneta Micro Entreprises est multipliée par 2,5. Une performance qui attire une nouvelle clientèle, notamment certaines compagnies d’assurance vie. Le fonds capitalise aujourd’hui 120 millions d’euros. et est classé premier de sa catégorie sur trois ans.

TÉMOIGNAGE

Romain Burnand, directeur général de Moneta Asset Management

L’ex-analyste se fait un nom dans la gestion