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Éducation relative à l'environnement Regards - Recherches - Réflexions Volume 2 | 2000 L'évaluation en éducation relative à l'environnement Clarification-réflexion-régulation des valeurs Neus Sanmartí et Rosa Maria Tarin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ere/6937 DOI : 10.4000/ere.6937 ISSN : 2561-2271 Éditeur Centr'ERE Référence électronique Neus Sanmartí et Rosa Maria Tarin, « Clarication-réflexion-régulation des valeurs », Éducation relative à l'environnement [En ligne], Volume 2 | 2000, mis en ligne le 15 septembre 2000, consulté le 17 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/ere/6937 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ere.6937 Ce document a été généré automatiquement le 17 avril 2021.

Clarification-réflexion-régulation des valeurs

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Éducation relative à l'environnementRegards - Recherches - Réflexions Volume 2 | 2000L'évaluation en éducation relative à l'environnement

Clarification-réflexion-régulation des valeursNeus Sanmartí et Rosa Maria Tarin

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/ere/6937DOI : 10.4000/ere.6937ISSN : 2561-2271

ÉditeurCentr'ERE

Référence électroniqueNeus Sanmartí et Rosa Maria Tarin, « Clarification-réflexion-régulation des valeurs », Éducation relativeà l'environnement [En ligne], Volume 2 | 2000, mis en ligne le 15 septembre 2000, consulté le 17 avril2021. URL : http://journals.openedition.org/ere/6937 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ere.6937

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Clarification-réflexion-régulationdes valeursNeus Sanmartí et Rosa Maria Tarin

1 Il paraît difficile de parler d’éducation relative à l’environnement sans adhérer en

même temps à un certain système de valeurs (Fien, 1993). Mais est-il possible d’éduquer

aux valeurs ? Comment se construisent-elles ? Est-ce que l’évaluation peut jouer un rôle

dans cette construction ?

2 Les termes « valeur » ou « éduquer » sont susceptibles de lectures multiples. Par

exemple « éduquer » aux valeurs pourrait avoir diverses interprétations : endoctriner,

instruire, habituer, former, enseigner, développer, etc.

3 Nous savons que les valeurs ne sont pas le résultat d’un savoir conscient. Dans la vie,

nous agissons très rarement en adaptant nos comportements à nos façons de penser et

d’évaluer. C’est plutôt le contraire : nous agissons d’une certaine façon et ensuite nous

« inventons » des arguments pour justifier ces actions en faisant en sorte que les

dissonances soient réduites.

4 Cependant, il existe une ressemblance surprenante entre les arguments employés par

différents individus, ce qui laisse penser que chaque groupe social est porteur de

certaines valeurs et des théories qui leur correspondent, même si souvent les unes et

les autres sont implicites. Ces valeurs et ces théories façonnent ce que l’on a appelé une

cosmovision, c’est-à-dire une vision et une interprétation globale du monde et de

l’existence fondées sur des valeurs et des théories qui reflètent les intérêts du groupe

social porteur. Il semble que nous adoptons une cosmovision, avec les valeurs et les

théories qui la façonnent, parce que nous la saisissons dans le groupe social auquel

nous appartenons.

5 Quelle serait donc la fonction de l’éducation, comprise comme une action consciente

exercée par des éducateurs ? Nous envisageons l’éducation comme un processus visant

à favoriser, dans des situations d’interaction sociale, la prise de conscience et

l’autorégulation des formes de penser, de promouvoir des valeurs et d’agir des

différents membres d’un groupe (Tarin et Sanmartí, 1997).

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6 De notre point de vue, l’apprentissage de l’auto-évaluation est la composante majeure

de cette façon de conceptualiser l’éducation relative à l’environnement. Il s’agit

d’apprendre à « identifier » les implicites dans les formes d’agir et de penser (Sauvé,

1991), à les « analyser et à prendre des décisions » en fonction de cette analyse. Ce

processus de clarification-réflexion-régulation est ce que l’on entend habituellement

par évaluer. Toutefois, à partir de cette conceptualisation, le but de l’évaluation n’est

pas de qualifier et classer les projets ou les personnes, mais de promouvoir leur

autonomie par rapport à l’orientation de leur propre processus de changement.

7 Cet article examinera ces idées et plus particulièrement la fonction que peut jouer

l’évaluation dans un processus de construction consciente des valeurs.

L’évaluation en tant que processus de clarification-réflexion-régulation

8 Selon les propos constructivistes et socio-critiques, l’évaluation est un élément

intrinsèque de l’activité qui conduit à l’apprentissage, c’est-à-dire à bâtir de nouvelles

façons de penser et d’agir (Sauvé, 1997).

9 Évaluer est un processus qui implique la collecte de données, l’analyse et la formulation

de jugements, puis la prise de décisions en conséquence. À travers l’évaluation, les

personnes peuvent reconnaître le degré de cohérence entre les idées explicites et les

idées implicites, et entre les valeurs manifestes et les valeurs mises en pratique.

L’analyse de ces données doit permettre à l’enseignant et aux élèves l’identification des

raisons qui sont à l’origine des incohérences, des obstacles ou des difficultés que l’on

devrait surmonter. Cela peut nous amener à la prise de décisions pour l’organisation de

l’action de la façon la plus cohérente et efficace possible en fonction des objectifs fixés,

et peut même mettre en cause ces objectifs.

10 Cette acception de l’évaluation est totalement différente de celle qui ne vise qu’à

connaître les résultats d’une action éducative, même si le processus est similaire. Dans

ce dernier cas, l’évaluation est fondamentalement associée à l’activité, elle se fait à la

fin de l’action et elle a pour but de recueillir des données concernant les différences

entre les objectifs initiaux et les objectifs atteints, de façon à pouvoir prendre des

décisions visant à classer les élèves, les enseignants ou les programmes avec une

finalité sélective ou d’amélioration du projet éducatif. En revanche, les finalités d’une

évaluation « formatrice » (Nunziati, 1990) comme celle que nous poursuivons sont très

différentes.

11 Derrière chaque façon de concevoir l’évaluation existent des valeurs implicites

auxquelles correspondent certaines idéologies. C’est pourquoi, comme le disent Losito

et Mayer (1997), « le type d’évaluation doit être cohérent avec l’éthique

environnementale soutenue ».

12 Ainsi, dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement, il est intéressant

d’étudier spécialement les formes d’évaluation basées sur l’équité et la promotion de la

solidarité, l’autonomie, la valorisation et l’accueil de tous les points de vue (tolérance)

et la responsabilité dans l’apprentissage collectif. Cela se concrétise par une évaluation

qui soit auto-évaluation et coévaluation entre les personnes d’un collectif dont le but

est de coopérer à l’autorégulation consciente des formes d’expliquer et d’agir en

fonction d’une finalité commune.

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13 Mais, à partir de cette perspective, que faut-il évaluer concernant les valeurs et à quelle

fin ? Quels sont les aspects qu’il est important d’évaluer ? Qui évalue ? Comment mener

à bien cette évaluation-régulation ?

Peut-on évaluer les valeurs séparément descosmovisions dans lesquelles elles se trouventinsérées ?

14 Les problèmes environnementaux sont complexes ; il est difficile d’avoir une

connaissance scientifique globale qui en expliquerait les causes et permettrait

d’envisager les conséquences. Chacun peut donc construire sa propre représentation

des causes et des solutions. Cette représentation influence l’expression des idées et les

pratiques, la conduite individuelle et la conduite collective.

15 Les représentations se basent davantage sur le système de valeurs construit par chaque

individu et chaque groupe social que sur l’application de critères rationnels fondés sur

des connaissances scientifiques ou d’un autre ordre. Or, l’éducation relative à

l’environnement est précisément basée sur des valeurs. Les valeurs sont, selon Goffin

(1997), des « entités conceptuelles pourvues d’une force symbolique, qui lorsqu’elles se

concrétisent par des actions réelles, confèrent aux acteurs d’une certaine communauté

culturelle une légitimité et une estime sociale ». En fait, les valeurs expriment des

souhaits, des façons de vivre individuellement et socialement préférables aux valeurs

contraires, même si elles n’ont pas encore été atteintes.

16 Le rôle des valeurs dans la configuration des idées environnementales et de l’action est

très important. Une personne, par exemple, peut être d’avis que l’utilisation de papier

recyclé n’a pas de sens, une autre peut penser le contraire. L’une et l’autre peuvent

apporter des arguments en faveur de leurs opinions. La personne qui est contre

l’utilisation du papier recyclé donne des arguments du genre : les propriétaires des

forêts doivent les entretenir. Il leur faut donc de l’argent ; leurs revenus les plus

importants sont ceux qui dérivent de la transformation du bois en pâte à papier ; ou, les

eaux résiduelles produites par le recyclage du papier sont fortement polluées par les

teintures qu’elles contiennent ; ou encore, le papier recyclé a une couleur grisâtre, etc.

En revanche, la personne qui prend parti pour l’utilisation du papier recyclé

argumente : il est important de ne pas consommer de matières premières si cela n’est

pas nécessaire ; il faut tenir compte de l’impact environnemental, du cycle complet du

papier et non seulement d’une partie de ce cycle ; elle évoque la beauté du gris dans le

Guernica de Picasso, etc.

17 Les uns et les autres donnent des arguments scientifiques, sociaux, économiques,

esthétiques, etc. relatifs à leurs différentes cosmovisions, étroitement liés au système

de valeurs personnel. Ce système de valeurs justifie pour chaque personne la validité

des arguments. C’est ainsi que les informations reçues seront incorporées au système

cognitif d’une personne comme valables ou non.

18 Nous constaterons cette vision dans une recherche effectuée. Nous avons proposé la

figure 1 et le commentaire ci-dessous à des élèves de 9-11 ans, après avoir étudié le

cycle urbain de l’eau, pour évaluer comment ils avaient intégré les connaissances

travaillées en classe (Sanmartí et Tarin, 1991).

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Il s’agit d’un village de montagne où il n’y a pas encore l’eau courante. Près duvillage se trouve une rivière et en amont une usine qui traite le bois et pollue l’eaude la rivière. Imagine tout ce qu’il faudrait faire pour mettre en place un système dedistribution d’eau qui ferait arriver l’eau potable à toutes les maisons du village àpartir de l’eau de cette rivière.

19 Les élèves ont apporté des solutions reflétant dans chaque cas des valeurs différentes.

20 Dans la figure 2, l’élève décide de supprimer l’usine, et donc d’éliminer le problème de

la pollution. Il s’agit d’une solution que l’on pourrait considérer comme conservatrice

et simple, dans laquelle ont été prises en compte les causes du problème, mais pas les

conséquences socio-économiques liées à la suppression de l’usine. La représentation

« conserver sans changer » possède des valeurs associées.

21 Dans la figure 3, par contre, l’élève décide de placer l’usine ailleurs, de façon à ce qu’elle

pollue d’autres environnements et non pas celui qui lui est proche. Nous observons que

cette solution ne contient pas la valeur « solidarité à l’échelle non locale ».

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22 Dans la figure 4, l’élève propose une solution compatible avec des modèles

technologiques de développement durable.

23 Les trois conceptions reflètent des cosmovisions différentes dans lesquelles sont

intégrés des systèmes de valeurs et des connaissances. Ce genre d’exercice donne la

possibilité d’évaluer les valeurs implicites dans la proposition de solutions - prise de

décisions concernant un problème environnemental. Les valeurs n’ont pas été

explicitement sollicitées dans la question. Mais les réponses les ont mises en évidence.

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24 Les représentations des causes et des solutions des problèmes environnementaux sont

étroitement liées au système de valeurs des personnes et des groupes sociaux. Il

n’existe pas une lecture objective des faits ; toute lecture est interprétative et implique

des jugements de valeurs et des prises de décisions. Plutôt que d’essayer de juger des

valeurs isolées, il sera donc important de reconnaître le système de valeurs implicite

dans la représentation d’un problème environnemental ou dans une action.

25 Par exemple, l’évaluation de l’exercice « village de montagne » a une fonction surtout

formative, puisqu’elle permet de réfléchir sur les différents points de vue et de discuter

à propos des valeurs qui déterminent les idées et les actions.

26 L’évaluation du discours sur les valeurs nous oblige donc aussi à identifier celles qui

sont sous-jacentes dans une représentation, les analyser, et prendre des décisions,

c’est-à-dire réguler. Chaque représentation comprend des valeurs de ce qui est

souhaitable, beau, possible, utile, adéquat, nécessaire, etc. Comme il a été indiqué, les

évaluer signifie les mettre au grand jour, les examiner et mettre en évidence les

incohérences entre le système des valeurs déclarées et celui des valeurs mises en

pratique. Évaluer signifie surtout réguler, c’est-à-dire planifier des changements si cela

devient nécessaire.

27 Par conséquent, ce qui importe n’est pas d’évaluer les comportements, mais plutôt de

relever les inconsistances éventuelles et les dissonances (Riechmann, 1999), réfléchir à

propos du fonctionnement de ces actions - leur « logique » - et très spécialement, viser

à ce que les élèves apprennent à réaliser ce processus de clarification-réflexion-

régulation de façon autonome. Aider à construire un certain schéma axiologique

implique de développer l’autonomie dans le jugement moral et cela est en rapport

étroit avec l’apprentissage de l’auto-évaluation et de l’autorégulation.

28 Le texte encadré, ci-dessous, est une reproduction partielle d’une activité proposée

dans le but de relever d’éventuelles divergences entre les valeurs déclarées et celles,

souvent plus réelles, relatives à l’acceptation ou la transgression des règles habituelles

implicitement établies (Torras, 1995). Il existe généralement un consensus sur ce que

l’on admet socialement comme étant une activité « correcte » du point de vue de

l’environnement et la majorité des personnes répond selon ces schémas établis aux

questions de la première section du questionnaire. Ce n’est qu’en posant des questions

qui échappent à ces schémas (comme, par exemple, celles de la deuxième section) que

l’on favorise l’identification de valeurs implicites et leur analyse, de même que leur

possible autorégulation.

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Évaluer suppose une clarification des valeurs. Maisquelles valeurs ?

29 Nous pourrions affirmer que la clarification des valeurs implicites à toute

manifestation d’idées ou à toute action est à la base de l’éducation relative à

l’environnement.

30 Les représentations sont multiples. Ainsi, dans ce que l’on appelle « l’éducation pour la

durabilité », il existe au moins deux visions différentes possibles (Sauvé, 1998). L’une

d’elles vise à éduquer pour produire et consommer rationnellement, sans que le modèle

économique et social dans lequel nous produisons et nous consommons soit mis en

cause. L’autre vision nécessite un changement du modèle d’organisation sociale et de

vie pour produire et consommer moins. La cosmovision et les valeurs implicites dans

chacune de ces visions sont très différentes et nous pouvons déduire de cette diversité

des actions éducatives très différentes.

31 Par exemple, face au problème de la pollution des eaux, une première vision peut

promouvoir essentiellement des formes de rationalisation de la consommation et de

l’épuration. Une seconde nous amènerait à tenir compte de ce que plus on consomme

de biens (voiture, papier, etc.), plus on pollue les eaux. Adhérer à cette deuxième vision

suppose promouvoir des « styles de vie » différents de ceux qui sont en général

valorisés dans les sociétés développées.

32 Chaque groupe social a des valeurs dominantes issues d’une éthique dominante. Par

exemple, on pourrait affirmer que « conserver l’eau » est un objectif consensuel

largement accepté dans notre société occidentale (pas pour autant pratiqué), mais

l’objectif de « changer le style de vie de la société de consommation » est perçu comme

quelque chose qui ne peut être imposé, qui est lié à la diversité des choix personnels,

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idéologiques, politiques, etc. En ce sens, personne ne doute de la nécessité de traiter le

premier objectif à l’école, tandis que l’introduction du second serait perçue comme

endoctrinement. Il est cependant possible que ces appréciations changent, au fil du

temps, en fonction des variations des valeurs collectives dominantes.

33 Nous pouvons, en outre, nous demander s’il existe des valeurs immuables et

universelles. La crise de valeurs de la société postmoderne a été un sujet de discussion

dans le passé et elle l’est encore actuellement. Néanmoins, nous pouvons nous

interroger : « au-delà des options qui se présentent actuellement dans les sociétés

démocratiques et complexes est-il possible de penser rationnellement qu’il existe des

critères que tout le monde pourrait considérer comme étant souhaitables, sans avoir à

revenir sur des modèles à valeurs absolues ? » (Puig, 1995), c’est-à-dire des principes

qui pourraient être considérés comme la base d’une pensée démocratique.

34 Quels seraient ces principes universels ? Est-il possible d’établir une hiérarchie de

valeurs ?

35 Différents auteurs situent l’équité comme le principe de base et le point de départ de

toute réflexion éthique concernant l’environnement (Novo, 1995 ; Pujol, 1998). L’équité,

entendue comme « la responsabilité morale d’aider à la croissance des autres à partir

de leurs propres capacités et conditionnements, de façon différenciée », se fonde sur

« la conviction profonde qu’il n’existe d’injustice majeure que celle de traiter comme

égaux les inégaux » (Novo, 1995, p. 91). Par conséquent, cette valeur serait supérieure à

d’autres valeurs consensuelles telles l’égalité et la liberté. Notons que les bénéfices du

comportement écologiquement conscient sont rarement individuels, mais plutôt

collectifs. De même, l’augmentation du bien collectif entraîne une diminution du bien

individuel. C’est pour tout cela que le principe éthique de l’équité est mis en rapport

avec les cosmovisions et avec des idéologies alternatives par rapport à celles

actuellement prédominantes dans les sociétés occidentales développées.

36 Étroitement lié à ce principe d’équité, il existe aussi un certain consensus pour

considérer la solidarité appliquée à l’environnement comme une valeur fondamentale,

entendue comme « l’adoption de solutions aux problèmes environnementaux compte

tenu tant des besoins de la société humaine dans son ensemble que des priorités de

certains groupes sociaux s’imposant aux autres » (Novo, 1995, p. 92). La solidarité est

mise en rapport avec l’intérêt porté aux besoins des collectivités humaines, avec

l’intérêt porté aux besoins considérés à l’échelle sociale et à l’échelle planétaire, avec

les générations actuelles et avec les générations futures.

37 Goffin (1997) établit quatre valeurs essentielles qui, en fait, sont interdépendantes :

Solidarité, Tolérance, Autonomie et Responsabilité (STAR). Cette dernière, la

responsabilité, couronne toutes les autres et doit être comprise comme l’engagement

des personnes et des collectivités vis-à-vis de l’impact que leurs actions ont sur

l’environnement. Dans cette même direction, Sauvé (1998) propose, quand il s’agit de

donner un nom aux différentes propositions éducatives de type transversal qui ont en

commun l’encouragement d’une éthique de la responsabilité, de parler « d’éducation

pour le développement des sociétés responsables ».

38 Bien qu’il semble qu’un certain accord existe actuellement pour définir ces valeurs

comme essentielles et universelles, tout le monde ne les concrétise pas de la même

façon. Il est possible de prendre les valeurs STAR comme points de référence, mais il

semble difficile de les définir de manière univoque.

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39 Reprenons l’exemple des arguments pour ou contre la consommation de papier recyclé.

Les personnes qui défendent les points de vue décrits plus haut peuvent considérer que

les valeurs qui sous-tendent leurs idées et leur façon d’agir sont la solidarité,

l’autonomie et la responsabilité. En conséquence, ces valeurs ne doivent pas s’identifier

de façon isolée, il est important de les mettre en relation avec les différentes façons

d’expliquer et d’évaluer les faits du monde, qui sont intégrés dans ce que l’on appelle la

cosmovision.

40 Changer la façon d’analyser, d’expliquer et d’agir par rapport à la problématique

environnementale entraîne un changement dans les valeurs individuelles et collectives.

Mais est-il possible d’apprendre à le faire ?

Quels sont les aspects importants à évaluer ?

41 Pour que l’évaluation favorise le développement de l’autonomie, elle devrait aider à la

clarification de ce qui détermine une action ou une activité de la personne. L’évaluation

est alors une expression de la capacité des acteurs d’apprendre dans l’action, de

développer un savoir pratique aussi efficace qu’efficient, pour organiser l’action de la

façon la plus adéquate en fonction des objectifs visés. Nous pourrions affirmer que

l’évaluation est surtout et avant tout, une composante intrinsèque de l’action qui

conduit à produire des changements (Zúñiga, 1994).

42 Le but de toute action éducative est la construction rationnelle et autonome de valeurs

dans des situations d’interaction sociale. Ce processus de construction souhaitable

exige l’identification de valeurs personnelles et d’autrui, l’analyse et la formulation de

jugements et la prise de décisions. Il nécessite une progression dans un processus

d’évaluation de type métacognitif (Milà et Sanmartí, 1999). La rhétorique, comprise

comme la capacité de persuasion des éducateurs et des membres du groupe, et leurs

rapports affectifs mutuels ont une forte influence dans ce processus. La rationalité peut

aider à prendre conscience du rôle de la rhétorique et des sentiments dans l’adhésion à

certaines valeurs (Camps, 1998).

43 Dans cette perspective, il est important d’évaluer les implicites des actions à partir de

l’analyse des discours en général et plus précisément à partir de l’étude des arguments

élaborés pour justifier nos manières d’agir face aux autres. Toute action vise, en

fonction de certains critères, l’atteinte d’objectifs et implique une anticipation et une

planification des opérations à réaliser, ainsi qu’une reconnaissance des critères qui

donnent la possibilité d’identifier la qualité des résultats obtenus (Nunziati, 1990).

L’évaluation devrait s’orienter fondamentalement vers la clarification-réflexion-

régulation des valeurs implicites en rapport avec les façons de penser, d’agir et de

sentir, car elles limitent :

les motifs de l’activité, de l’action (réelle ou simulée) : pourquoi ? Quels arguments ?

les objectifs : pour quoi faire ? À quelle fin ? Que veut-on obtenir ?

la planification du processus de la pensée-action : les fondements du processus ? Quels

arguments ? Quelles conditions-limitations ont été imposées ? Parmi les stratégies possibles,

quelle est celle qui a été choisie ? Comment s’organise le groupe ? Comment sont gérés les

conflits ? etc.

les critères d’évaluation : qu’espérons-nous atteindre ? Quels sont les aspects qui sont

relevés, et quels aspects ne le sont pas ? Comment sont justifiés les résultats ?

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44 L’exercice décrit dans l’encadré reproduit une tâche qui vise à apprendre à évaluer les

valeurs implicites dans la justification de projets d’action alternatifs (15-16 ans). Cette

tâche favorise l’identification des valeurs lors de l’analyse des arguments tant par

rapport aux motifs de l’action que par rapport aux critères utilisés pour évaluer sa

pertinence, son appréciation lors de la comparaison des différents points de vue et

finalement la prise de décisions lors de l’explicitation des nouveaux points de vue

possibles (ou de leur réfutation).

45 Lorsque nous avons réalisé ce type d’activités en classe, nous avons observé que, la

première fois, seuls certains étudiants étaient capables d’exprimer verbalement les

valeurs qui ont été signalées comme « essentielles » et les contre-valeurs. Mais, en

fonction des caractéristiques du groupe, et tout spécialement de celles des personnes

qui exercent un rôle hégémonique (parmi lesquelles l’enseignant), le processus

évaluatif des valeurs implicites dans la résolution de certains problèmes est transformé

- tel que l’indique Zúñiga (1994) - en un processus de changement : ce qui semblait

« normal » devient problématique.

Qui fait l’évaluation ?

46 Quant à l’évaluation elle-même, objet de cette analyse, le processus de clarification-

réflexion-régulation est personnel et il doit être mené à bien par chaque individu.

Néanmoins, cela n’est possible que dans la mesure où les personnes font partie d’un

groupe qui favorise l’expression des différents points de vue.

47 C’est pour cela que nous parlons d’auto-évaluation et de coévaluation, qui ne peuvent

exister que si le groupe admet que toutes les idées sont dignes d’être écoutées et

soutenues, que la pluralité de visions est quelque chose de légitime, de souhaitable

même, etc.

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48 Le rôle de l’éducateur est complexe puisqu’il doit aussi bien manifester son

appréciation, son jugement, que promouvoir une ambiance et un système de travail qui

favorisent l’expression de tous les points de vue, le sien et celui des autres. « Il s’agit de

croire en ce que l’on fait et laisser la place à d’autres croyances » (Mayer, 1998). Ce qui

est donc important ce n’est pas d’encourager l’acceptation aveugle de certaines valeurs,

toutes écologistes qu’elles soient, mais de discuter les différents propos.

49 Nous pourrions affirmer que, pour une institution éducative, l’objectif prioritaire est

d’expliciter les valeurs, de les détailler et de les discuter, plutôt que de parvenir à ce

que tous leurs membres adhèrent à des valeurs déterminées. Pour éviter

l’endoctrinement, il est essentiel de comprendre que la tolérance et le respect de toutes

les opinions peuvent être un cadre qui impose des limites à la persuasion et à la

belligérance.

50 Si nous reprenons l’exercice « village de montagne » (figures 1 à 4), les élèves, à travers

leurs opinions, ne manifestent pas seulement leurs connaissances, mais aussi leurs

valeurs implicites. Le rôle de l’enseignant ne sera plus celui de sanctionner telle ou telle

réponse, mais plutôt de faciliter la discussion sur les valeurs implicites. La prise de

décisions - ou régulation - concerne les élèves eux-mêmes et ils devront l’exercer en

pleine autonomie.

51 Le respect des opinions n’est pas un obstacle à la discussion et ne remet pas en doute

certains points de vue, il ne contraint pas à accepter tous les comportements et

autorise tout établissement éducatif à promouvoir certaines pratiques. Dans des

situations d’incertitude, nous avons tendance à agir comme le font les autres. Tel est le

pouvoir du bon exemple.

52 Dans ce processus de clarification, il est essentiel de ne pas oublier d’autres facteurs qui

influencent aussi la prise de décision. Par exemple, l’hégémonie affective exercée par

les représentants de certaines options. Une étude (Cunill et coll., 1992) sur l’expression

des causes et des solutions aux problèmes environnementaux par des élèves de 12 à 16

ans dans six établissements scolaires de différents niveaux socio-culturels, relève que

les opinions et les valeurs exprimées étaient relativement semblables malgré la

diversité sociale (voir encadré).

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Page 13: Clarification-réflexion-régulation des valeurs

53 On observe, en revanche, des résultats très différents dans une classe d’un de ces

établissements. D’après les enseignants, cette divergence serait expliquée par la

présence d’une fille aux idées très « écologistes » et leader très appréciée de ses

camarades (Maymó, 1994).

54 Mais même dans le cas d’un leader influent, l’identification des valeurs sous-jacentes

sera à encourager. Les valeurs (et les contre-valeurs) s’apprennent parce que nous les

saisissons par le fait d’être membre d’un groupe social qui les proclame, les justifie et

les met en pratique. Chacun doit les construire en interaction avec les autres.

Conclusion

55 Nous avons essayé de relever la nécessité de promouvoir, dans le domaine de

l’éducation relative à l’environnement, l’apprentissage de l’auto-évaluation, comprise

comme un processus de clarification-réflexion-régulation du système de valeurs

implicites qui oriente les actions de toute personne et de tout groupe social.

56 Cet apprentissage implique la nécessité d’apprendre à auto évaluée les valeurs qui sous-

tendent les motifs, les objectifs, la planification et les critères de l’évaluation des

actions. L’apprentissage ne sera mené à bien qu’au sein d’un groupe où les différentes

options peuvent être manifestées librement et où l’espace et le temps permettent de les

clarifier, d’y réfléchir et de prendre des décisions, sachant que cet apprentissage ne

devient significatif que lorsqu’il prend appui sur l’action. Cela n’a aucun sens d’évoquer

d’autres valeurs sans changer de pratiques.

57 Nous parlons donc d’une évaluation dans le dialogue, une évaluation qui cherche à

développer un jugement moral fondé sur une rationalité émanant d’un dialogue et sur

la capacité d’agir de façon autonome et cohérente. Il se peut que pour certains il

s’agisse d’une évaluation utopique, aussi utopique que l’éducation dans le domaine des

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valeurs. Cependant, nous croyons que l’enseignement et l’apprentissage méritent d’être

au centre de nos défis s’il s’agit de la formation d’êtres humains critiques.

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RÉSUMÉS

Cet article tente d’examiner le rôle de l’apprentissage de l’auto-évaluation dans le processus de

construction des valeurs dans le domaine de l’éducation relative à l’environnement. En prenant

appui sur des exemples d’activités réalisées en classe, le texte insiste sur la nécessité d’apprendre

à clarifier les rapports entre les représentations des causes et des solutions des problèmes

environnementaux et leurs valeurs implicites, d’apprendre à réfléchir sur les dissonances et

incohérences éventuelles entre les valeurs proclamées et les valeurs pratiquées, ainsi qu’à

expliciter les aspects à réguler et planifier des changements si cela devient nécessaire.

This article aims to examine the role of the learning process of self-evaluation in the

construction process of values within the domain of environmental education. Based on

examples of classroom activities, the text insists on the necessity of learning to clarify the

relations between the representations of causes and solutions to environmental problems and

their implicit values, of learning to reflect on the dissonance and possible incoherence between

proclaimed and practised values, as well as on the necessity of learning to explicit the aspects to

regulate and to plan changes when it becomes necessary.

AUTEURS

NEUS SANMARTÍ

Neus Sanmartí détient un doctorat en chimie et professeure à l’Université Autonome de

Barcelona (UAB). Elle a travaillé dans le domaine d’ErE et de la régulation métacognitive par sa

participation à de nombreux projets espagnols et européens, en donnant des conférences, des

cours et en participant à des séminaires. Elle est l’auteure d’outils didactiques, d’articles en ERE

et dirige des travaux de recherche sur ce thème. Elle est coordinatrice du GREDA (Groupe de

recherche en ErE) de l’UAB.

ROSA MARIA TARIN

Rosa Maria Tarin est licenciée en chimie, professeure à l’Université Autonome de Barcelona

(UAB). Dans le domaine d’ErE, elle a plus particulièrement étudié les processus d’évaluation et de

régulation des apprentissages, mais également la coéducation, l’interculturalité et

l’apprentissage des valeurs en sciences. Elle est coauteur de plusieurs outils didactiques, de

projets et a écrit plusieurs articles dans ces domaines. Elle est membre du GREDA (Groupe de

recherche en ErE) de l’UAB.

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