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RésuméS'iln'étaitpaspassédevantchezelleaumomentoùl'incendies'étaitdéclaré,s'ilnel'avait
pas arrachée aux flammes et aidée àmettre aumonde l'enfant qu'elle portait, jamaisRickn'auraitgoûtéauxjoiesde lapaternité!Carnoncontentdesauver lamèreet l'enfant, il lesavaitrecueillis tousdeuxdans lagrandemaisonoùilhabitait,etseretrouvaitdans lapeaud'unpapamodèle!Maiscen'étaitpaslaseuledécouverteàlaquelleRickétaitconfronté.Carlamaman de la petite Rachel n'était autre que Joanna, son premier et unique amour, quil'avaitquittéhuitansauparavantalorsqu'ilsétaientfousamoureuxl'undel'autre.EtmêmesiRickenvoulaittoujoursàlajeunefemmedel'avoirabandonné,ilnepouvaitluttercontreledésirqu'elleluiinspiraittoujours...
Cetouvrageaétépubliéenlangueanglaisesousletitre:
ABACHELORANDABABY
TraductionfrançaisedeLUCYALDWYN
HARLEQUIN®estunemarquedéposéeduGroupeHarlequin
etPassion®estunemarquedéposéed'HarlequinSA.
OriginallypublishedbySilhouetteBooks,divisionofHarlequinEnterprisesLtd.
Toronto,Canada
IllustrationdecouverturePèreetfils:©PIERREARSENAULT/MASTERFILE
©2003,MarieRydzynski-Ferrarella.©2005,Traductionfrançaise:HarlequinS.A.
83-85,boulevardVincent-Auriol,75013PARIS-Tél.:0142166363ServiceLectrices—Tél.:0145824747ISBN2-280-08377-9–ISSN0993-443X
1.Que faisait donc Rick Masters, l'héritier de la toute-puissante firme Masters et Cie, à
traînerdanslesruesdeBedfordauvolantdesavoiture?Lefaitavaitdequoisurprendrequiconqueleconnaissait.Cen'étaitpasdansseshabitudes
dedélaisserlebureauetdes'aventurerdansdesquartiersplusoumoinsbienfréquentésàlanuit tombée.D'autant qu'une pile de documents attendait sa signature et que le destin deplusieurs centaines de personnes dépendait de sa décision de délocaliser ou non le siègesocialdelacompagnieici,enCalifornie.Alors,quepouvait-ilbienfaire là,àparcourirsansbut lesruesdésertesdecettebanlieue
populaire?Sans but? Non. Il savait très bien où il allait, depuis qu'il avait cédé à la tentation de
regarderdansl'annuaire.Elle habitait toujours Bedford, à la même adresse. Dans la vieille maison dont il rêvait
encorelessoirsdeprintemps.Commecesoir.Ceretoursurleslieuxquilehantaient,était-ceuneerreur?Undéfi–qu'iln'auraitpasdû
relever?Celanonplusn'étaitpasdansseshabitudes.Iln'avaitjamaisbaissélesbrasdevantl'obstacle.Detoutefaçon,ilétaittroptard!Ilyétaitpresque.Perdudanssespensées,ilgrillaunfeu
rougeetjetauncoupd'œilinquietdanslerétroviseur.Pasdevoituredepoliceenvue!Toutefois,celaluidonnaàréfléchir.Pasquestiondeselaisseremporterparsesémotions
commecelaluiétaitdéjàarrivé.Unefois.Etait-cedessièclesauparavant?Oubienhier?Ilbalayaduregardcesruesoùilavaitgrandi.Bizarredes'yretrouver.Encoreplusbizarre
desavoirqu'ellen'avaitpasquittélaville.Car,unefoissadécisionprisedequitterBedford,iln'avaitrienvoulusavoird'elleetdeses
projets. Puisqu'elle l'avait rejeté, il n'avait plus rien à voir avec elle.Loin des yeux, loin ducœur.Ontournelapage.Il prit unvirage àdroite etdécouvritun centre commercial à laplaceduboisd'orangers
dontilsesouvenait.Enhuitans,lavilles'étaitconsidérablementdéveloppée.Etlui?Avait-ilautantchangé?Oui etnon.D'un côté, il se sentait bienà saplacede vice-présidentde la firmeMasters,
d'un autre, il était toujours le grand adolescent follement amoureux, mal remis de sadéception.Unamourmalplacé.Cequ'ilignoraitalors.Etqu'ilavaitdécouvertparlasuite.Çaluiapprendrait!Ilavaiteffectivementbeaucoupappris.Ils'était lancéàcorpsperdudansletravail,s'était
préparéàfondàassumerunjourlaresponsabilitédelafirmefamiliale.Ilavaitcommencéenbasdel'échelle,passantpartouslesstadesafindemaîtrisertouslesrouagesdel'entreprise.Celaluiavaitpermisdesesentirprêtàremplacersonpèrequand,enoctobredernier,HowardMasters, victime d'une crise cardiaque, avait décidé de passer lamain. La transition s'étaiteffectuée sans à-coups et, désormais, toute sa vie, toute son énergie étaient entièrementdévoluesàlagestionetauxaffaires.Pourquoipas,puisquelaseulepersonneenquiilavaitmissaconfiancel'avaittrahi?Ill'avaitcherché,sedit-ilamèrement.Nejamaislaisserlecœurprendrelepassurlaraison.
Jamaisplus.Ilauraitdûécoutersesparents,quil'avaientprévenuàmaintesreprises:danssaposition,illuifallaitchoisirsesamis,etsurtoutsesamours.Ill'avaitcomprisàsesdépens
ettroptard.Maisc'estlegenredeleçonquines'oubliepas!Alors,encoreunefois,quefaisait-ilàtraînerdanscesruesquimenaientchezelle?Ilnele
savaitpasetnevoulaitpaslesavoir.Celanel'empêchapasdecontinuer!Iln'étaitpourtantpasdugenreàsetorturerl'espritetàrécrirel'histoire.Plutôtàallerde
l'avant.C'estcequil'avaitpoussé,huitansplustôt,àtraverserlecontinentpourserendreàAtlanta,enGéorgie, làoùsetrouvait lesiègesocialde la firmecrééeparsonarrière-grand-père.IlavaitfalluquedeschangementsrécentsdanslesdonnéeséconomiquesincitentàunedélocalisationenCaliforniepourqu'ilrevienneàBedford.D'autantplusqueHowardMasters,remisdesonattaque,souhaitaitserapprocherdespostesdecommande.Bienqu'affaibli,ilnerenonçaitpasàdirigerl'entreprise,cequeRickcomprenaitcarlesuccèsdeMasters&Cieétaitl'œuvre de son père. Il avait transformé la petite entreprise artisanale en une firmeflorissante,d'envergurenationale.Malgré cela, Rick n'avait pas montré beaucoup d'enthousiasme pour ce changement
d'adresse.Jusqu'àcequ'ildécidedetireruntraitsurlepassé,qu'ilsedise:mesamoursavecJoannaappartiennent àunepériode révolue.Depuis, il avait comprisqu'onne construisaitpasuneviesurdessentimentsmaissurdesactes.Illuisuffisaitdes'enréféreraucouplequ'avaientformésesparents,parfaitenapparence,
auxyeuxdumonde,desjournalistes...toutautredanslaréalité.L'amour, à ses yeux,n'étaitqu'une illusiondécevante,un sentiment éphémère tout juste
bon à enflammer l'imaginationd'adolescents attardés. L'amourn'avait pas sa place dans lavraievie.Dans la vie qu'il avait choisie.De lui dépendait le sort de milliers de personnes. C'était
autrementimportant...Il se faisait tard, remarqua-t-il, et il avait beaucoup à faire. Il ferait mieux de rentrer
travailler.Lanuitétaitdouceetclaire.Ilroulaitfenêtresouvertes:laMustang'64qu'ilaffectionnait
n'avait pas de climatisation. Pour faire plaisir à son père, il utilisait uneMercedes pour serendre au bureau; mais il refusait de renoncer à la Mustang pour ses déplacementspersonnels.Malgrélessouvenirsquiyétaientattachés.Oubienàcaused'eux?LapremièrefoisavecJoanna.Leursprojetsdefuiteenamoureux...Auprochaincarrefour,ilseraitàdeuxpasdechezelle.Il se rappela le contact enivrant de sa peau douce, le plaisir troublant de l'étendre sur
l'herbedelaprairiederrièrelarésidenced'étédesesparentsetdeluifairel'amour.Touslesdeux,fousamoureux,seulsenversetcontretous...Jusqu'àcequ'ildécouvrelavraienaturedelafemmequ'ilaimait.Rick plissa le nez, fronça les sourcils, huma l'air : une odeur de fumée lui piquait les
narines.Quelqu'unseréchauffaitauprèsd'unfeudecheminée.Romantiqueendiable!Irrité contre lui-même, il chercha un endroit où faire demi-tour. Y renonça. Intrigué par
l'odeurdefumée,deplusenplusenvahissante.Qu'est-cequilepoussaàaccélérer,àgrimperlacôteàtouteallure?Iln'ensaurait jamais
rien.En haut de la pente, le spectacle se révéla impressionnant.Le ciel était noir, envahi de
lourdsnuagesdefumée.Joannarêvait.Piedsnus,enchemisedenuit,ellecouraitdansunchampinterminable,se
perdait dans la brume. Elle luttait contre le brouillard qui l'enveloppait, planait au-dessus
d'elle,menaçant.Brouillard?Non.Fuméeplutôt.Bah!L'effetétaitlemême.Ellerepritsacourse,appelantàl'aide.Ildevaitbienyavoirquelqu'un...Personne.Elleétait
seule.Chaquefoisqu'ellecroyaitdistinguerunesilhouette,celle-cis'évanouissaitetsesbrasne
rencontraientquelevide.Elle se raisonna, le cœurserréd'angoisse : cen'étaitqu'unrêve.Enouvrant lesyeux,elle
retrouveraitlaréalité.«Réveille-toi!»s'adjura-t-elle.Aprèsunefforténorme,ellefinitparouvrirlesyeux.Aussitôt,ellelesreferma,surprisepar
unefuméeacrequiluiemplissaitlespoumonsetl'étouffait.Malgrésonventrevolumineux,elleréussitàs'asseoir.Elleavait lesentimentd'êtreenceintedepuisdessiècles,entoutcasdepuisplusdeneufmois.Lesyeuxlarmoyants,toussant,elleréalisaqu'ilnes'agissaitpasd'unrêve.Pourquoiavait-
ellesichaud?Elleavaitéteintlechauffageavantdesecoucher...Aucundoute:samaisonétaitenfeu.Maladroitement, elleglissaenbasdu lit, attrapasa robedechambreet l'enfilaaussivite
qu'elleleput.Piedsnus,elleouvritlaportepourlarefermeraussitôt:lesalonétaitlaproiedes flammes, lui coupant toute possibilité de sortie. Des flammèches s'attaquèrent à sonvêtement.Ellehurlaetl'enleva,paniquée.Rickprit le tournantsur leschapeauxderoues.Enmêmetemps, ilappelait lespompiers
sursonportable.Deux maisons étaient touchées par l'incendie. L'une d'elles était presque complètement
ravagée.Comme il refermait l'appareil, il entendit un hurlement en provenance de lamaison de
Joanna.Ilarrêtalavoiture,coupalemoteuretbonditau-dehors.Cecri!Cen'étaitpaslamèredeJoanna.Unlocataire?Non.C'étaitJoanna,elle-même.Elleétaitlà,quelquepartdanscebrasier.Ilfallaitqu'ill'en
sorte!D'unrapidecoupd'œil,ilévalualasituation.Lefeuavaitdûprendredanslamaisond'àcôté,engrandepartieconsumée.Pourlemoment,seull'arrièredelamaisondeJoannaétaitatteint.Làoùsetrouvaientleschambres.Ilfonçaverslaporte.Massive.Ferméeàclé.Aucunespoirdel'ouvrir:sescompétencesn'allaientpasjusqu'àforcerlesserrures.Il ôta sa veste, s'en enveloppa lamain et le bras et, d'un coup sec, enfonça la vitre de la
fenêtre.Leverreéclata,serépanditsurlesol.Enhâte,ilretiraleplusgrosdesmorceauxet,se glissant par l'ouverture, entra dans lamaison. Il prit juste le temps de déverrouiller laported'entrée,cequi,espéra-t-il,leurfaciliteraitlasortie,ethurladetoutessesforces:—Joanna!Oùes-tu?Lavuedusalonenflammesavaitmomentanémentarrêté la jeunefemmedanssonélan.
C'estalorsqu'elleentenditqu'onl'appelait.Soncœurbattitlachamade.Rêvait-elleencore?Commentexpliquer,sinon,qu'elleavaitcrureconnaîtrelavoixdeRick?Rickétaitsortidesaviehuitansplustôt.Sansunmotd'explication.CedevaitêtreunpompierdontlavoixressemblaitétrangementàcelledeRick...—Là,cria-t-elle.Jesuislà.Sagorgeétaitsèchecommel'enferetelleavaitdumalàarticuler.—Danslachambre,àl'arrièredelamaison.Lesyeuxlapiquaient,ellen'yvoyaitrien.
—Jesuiscoincée,aidez-moi,souffla-t-elled'unevoixrauque.GrâceàDieu,Rickl'entendit.Lefeu,rugissanttelleunebêtesauvage,gagnaitjustementl'arrièredelamaison.Ilfallait
fairevite.Joannaétaitlà,endanger,encoreenvie.Ilréfléchitàtoutevitesseetseprécipitadanslacuisine.Ilarrachalanappedelatable,la
trempasouslerobinetetfonçaendirectiondesavoix.Ilseheurtaàunmurdefeu,etcriadenouveau:—Joanna,oùestu?—Là,jesuislà.Ellenepouvaitpasouvrirlaporte,etquandellevoulutatteindrelafenêtre,elles'aperçut
queletapisetunepartieduplanchercommençaientàflamber.Soudain, quelque chose déboula sur le parquet, à travers les flammes.Une silhouette se
releva:unhomme.La pièce se mit à tourner devant ses yeux, et elle crut voir Rick Masters, la tête et les
épaulesenveloppéesdanssanappedecuisine,seruersurelle.Illarecouvritdelanappe,luiappliquantletissumouillésurlevisageetlabouche.Elletentaderespirer,maislafuméeluibrûlaitlespoumons.—Allons-y.Ces mots résonnèrent dans sa tête. Elle allait mourir, dans les bras d'un inconnu, en
pensantàRick...L'hommel'entouradesesbras,lafitfranchircequiluiparutêtreunrideaudefeu.Joanna
voulutluifairecomprendrequ'ellen'yparviendraitpas,maisl'hommeneluienlaissapasletemps;illapoussafermementdevantlui.Elle se sentit trébucher, tomber. L'instant d'après, elle était emportée par des bras
puissants au milieu d'une fournaise infernale. La chaleur était partout, la douleur aussi,fulgurante.Elleavaitl'impressionqu'onladéchirait.Unedouleurinterneirradiaittoutsoncorpsetl'enserraitdansunimplacableétau.Ellese
morditlalèvremaisuncriluiéchappa,lasecouantdelatêteauxpieds.Toutàcoup,elleréalisaqu'ilsétaientsortisdelafournaiseetqu'onladéposaitsurl'herbe.
Ellesedégageadutissumouilléetaspiral'airavidement.Elletournalatête,s'attendantàceque sonhallucination se dissipe.Or l'hommeassis à côté d'elle, haletant et dégageant uneintenseodeurdefumée,persistaàêtre...celuiqu'ilétait.C'étaitfou!Rickaspiraàfondplusieursfois.Dèsqu'ilputrespirerpresquenormalement,ils'inquiéta
denevoirpersonnesortirdubrasieretserelevasurdesjambesencoretremblantes.—Jevaisvoirsijepeuxaider,dit-il.IlsentitlamaindeJoannasursonbras,leforçantàserasseoir.—Iln'yapersonne.Ilssonttousenvacances,dit-elleentredeuxhoquets.Elleclignadesyeux:ilétaittoujourslà.—Etcheztoi?—Personne,dit-elle,hochantlatête.Ilserassitsurl'herbe,lecœurbattantàtoutrompre.—Celaira?demanda-t-ilsuruntonpeuaimable,commes'ilétaitencolère.De quel droit? s'étonna-t-elle. C'était à elle d'être en colère contre lui. Pour l'avoir
abandonnée,nepass'êtreinquiétéd'ellecommeellel'avaittantespéré.Etmaintenant,était-elleentraindeperdrelaraison?—Rick?Qu'est-cequetufaislà?murmura-t-elle.
Ilfutprisdel'enviefolledelaprendredanssesbras,del'embrasser,d'oublierlemondeetsescontingences.Maisilfutretenuparlaconstatationquesi, lui,n'avaitpasavancédanslavie, il n'en allait pasdemêmepour ellepuisque, apparemment, elle étaitmariée et portaitl'enfantd'unautre.Uneatroce jalousie luiétreignit lecœur.Desenfants!Ils'était imaginéqu'ilsenauraient
ensemble.Plusieurs.Dotésdelabeautédeleurmèreetdusenspratiquedeleurpère.Pourquoiledestinenavait-ildécidéautrement?—Jet'aidemandésiçaallait,dit-ildumêmetonsec.Elle en ouvrit la bouche d'étonnement. Il était bien réel. Ilétait bien là après toutes ces
annéesd'absence,laregardantaveccetairfurieux,agressif,qu'elleavaittoutfaitpouréviter.Commes'il lahaïssait.Ellevoulutrépondre,maisunedouleuraiguë la transperçaetuncrigutturaljaillitdufonddesagorge.Elleposasamainsursonventre,làoùsesituaitl'originedeladouleur.—Qu'est-cequ'ilya?fitRickquis'étaitmisàgenouxauprèsd'elle.Qu'est-cequisepasse?Il avait changé de ton. La colère de tout à l'heure avait fait place à l'anxiété et il tendit
l'oreilledansl'espoird'entendreapprocherlapoliceetlespompiers.Maisrienn'indiquaitquel'incendie ait ameuté qui que ce soit. Pas une lampe allumée aux fenêtres des maisonsvoisines.Oùétaientlesgens?Joanna s'accrocha à son bras, lui enfonça les ongles dans la peau tandis que son visage
blêmesetordaitdedouleur.Ce n'était pas possible que cela arrive maintenant, essaya-t-elle de se persuader. Il s'en
fallaitencorededeuxoutroissemaines.C'estcequeledocteurluiavaitpromis.Encoreunepromessequineseraitpastenue,sedit-elle,amère.CommecellesqueRicket
elleavaientéchangéesautrefois.—Lebébé,haleta-t-elle,espaçantlesmots.Jecroisquelebébénevapastarderàarriver.
2.Souslechoc,Ricklaregarda,interloqué,passantdesonvisageàsonventre,revenantàson
visage,l'interrogeantdesyeux,n'osantpascomprendre.—Tuveuxdirebientôt,dansquelquetemps?Ilavaitmalentendu,sedit-il.L'émotion,lapanique.—Non.Maintenant.Reprise par une contraction, Joanna lui serrait le poignet avec une force telle qu'il ne
sentaitpluslesangcirculer.Desonautremain,ildesserrasesdoigts,puislarassura:—Tiensbon,lespompiersnevontpastarder.Ilavaitcependantl'horriblepressentimentqu'ilsneseraientpaslààtemps.Joannasecoualatête,déchiréeparladouleur,etditentredeuxhalètements:—S'ilsn'arriventpasdanslaminute,ceseratroptard.Ellelevalesyeuxverslui.C'étaitincroyablequ'ilssoientréunisaprèstoutcetempsetdans
cescirconstances!Lavievousjouaitparfoisdestours!—Ilvafalloirquetum'aides.—Moi?Commentveux-tu...?serécria-t-il,épouvanté.Parmisesnombreusescompétencesnefiguraitpascelled'accoucheur!Endépitdesdouleurs fulgurantesqui la vrillaient, Joannaperçut sonangoisse etneput
quelecomprendre.Pourellenonplus,cen'étaitpascequ'elleavaitimaginé!—Jemepasseraisbien...d'accoucherdanscesconditions,dit-elle.Maisjesens...quec'est
lemomentetj'ai...besoind'aide.Parler devenait difficile. Les contractions, de plus en plus pénibles, se succédaient
rapidement,absorbant toutesonénergie.Etelledevaitenplus luttercontre lapaniquequimenaçaitdelasubmergeràl'idéedemettresonenfantaumonde,touteseule,dansl'herbe,alorsqu'àquelquesmètreslefeudévastaitsamaison!Rick jeta un regard circulaire aux autres habitations, toujours plongées dans le noir.
Commentsefaisait-ilqu'iln'yeûtpersonne?Peuimportait.L'essentielétaitailleurs:Joannaavaitbesoindelui.C'étaitlasecondefois
de saviequ'il se sentait complètementdémuni.Lapremière fois, celaavait aussi concernéJoanna...Ilsemitàcroupetons.—Ilyasûrementquelqu'undanslequartier.Tiensbon.Jevaischercherdel'aide.Elle resserra son emprise sur son poignet et le tira vers elle avec une force dont il ne
l'auraitpascrucapable.—Reste,dit-elledansunsouffle.Nemelaissepas.Tuvasm'aider.S'ilteplaît...Rick,ému,s'inclina.Cessimplesmots luiallaientdroitaucœur.Commeavant,elleavait
toutpouvoirsurlui...—D'accord.Il la vit alors tressauter violemment, se raidir.Ses yeux s'agrandirent et elle semordit la
lèvrejusqu'ausang.Puisuncrid'agonieluiéchappa:elleavaitl'impressionqu'onlasciaitendeuxparlemilieu.«Pousse,pousse,respire»,marmonna-t-elle.C'étaitlemomentoujamaisdeserappelerce
qu'elleavaitretenudesséancesdepréparationqu'elleavaitsuiviesàl'hôpital!SiRickignoraittoutdelafaçondontsepassaitunaccouchement,ilestimaquecelaprenait
dutemps,quelebébén'allaitpasvenirtoutdesuite.Ellesetrompaitcertainement.—Tucroisquec'estvraimentmaintenant?demanda-t-il.
Grandsdieux,commentpouvait-onsouffriràcepointetsurvivre,pensaJoanna,auxprisesavecunenouvellecontraction.—Oui,j'ensuissûre.Elles'agrippaàsamaincommeàunebouéedesauvetageetréussitàs'asseoiràdemi.Ne
devait-elle pas adopter une respiration syncopée? Elle s'y appliqua, ce qui fit reculer lapanique.Ellesesouvintqu'onnepouvaitpasrespireretpousserà la foisetespéraqueseshalètementsretarderaientcebesoindepousserquilatenaillait.Avantdefaireappelàunebanquedusperme,elleavait lutoutcequ'elleavaittrouvésur
l'accouchement.Elleavaitdoncpris sonparti enconnaissancede causeet rienne lui avaitfaitregrettersadécision.Mêmepasquandleconseild'administrationdesonécole luiavaitsuggéré,àdemi-mot,deprendreuncongésanssolde.L'institutionoùelleenseignaitl'anglaisétait du genre collet monté et un professeur, sans mari, attendant un enfant, attirait laréprobationdecertainsparents.Malgrécela,ellen'avaitpasflanchéetsesentaitcertainedevouloirassumerseuleunesituationqu'elleavaitchoisie.Celadit,là,dansl'instant,sescertitudess'amenuisaientrapidement.Lapaniques'emparait
d'elle à l'idée du désastre qu'elle était en train de vivre. Sa vie en miettes. L'avenircatastrophique.Quefaisait-elle,sursapelouse,àcôtédesamaisonenfeu,entraindemettreaumonde un enfant sans père, avec pour seul support, par quel caprice du destin, le seulhommequ'elleaitjamaisaimé–etquil'avaitabandonnée?Elle eut le sentiment de perdre pied, d'être complètement dépassée par des événements
absurdesetmalveillants.—J'aipeur,dit-elle.—Moiaussi,ditRick.Commeautrefois,avecelle,ilnefaisaitpassemblant.Avecelle,ilpouvaitêtrelui-mêmeet
avouer ses faiblesses. Elle seule savait quel adolescent il avait été, quel homme il s'étaitefforcédedevenir.Pourlesautres,ilavaitaffichéunaplombsansfailles,adoptéuneattitudearroganteetglacée.Ilredressalesépaulesets'évertuaàserassurer,àlarassurerégalement.—Desmilliersd'enfantsviennentaumondetouslesjours,dit-il.Celui-làferacommeles
autres.Mais celui-là était l'enfantdeJoanna. Il se frayaitunchemindifficile,déchirant tout sur
son passage. Du moins, c'est ce que ressentait la jeune femme, dans les griffes descontractions.Agrippant desmains les touffes d'herbe, le corps tendu, arqué, elle tentait desortirducarcandedouleurquil'emprisonnait.Rickseditqu'ilfallaitunecouverture,quelquechose.Ilnetrouvaquelanappemouilléeet,
tantbienquemal,laglissasouselle.—Pastrèsstérile,dit-il,maismieuxquel'herbe.Joanna se concentra sur ce qu'elle avait appris à l'hôpital. Là, elle avait rencontré trois
autresfuturesmamans,devenuesdesamies:«l'escadrondesMammas»,pourlesintimes.Maiscelanel'aidapasquand,denouveau,soncorpssecontractaetqu'elleeutlasensationd'êtreuneboîtedeconservequ'oncherchaitàouvriravecunouvre-boîteédenté.«Relaxe-toi...»C'est alors qu'elle hurla sans retenue, surprise par l'intensité de la douleur subite,
infinimentplus forteque lesprécédentes–résignéeàmourir sous lescoupsdeboutoirdecessouffrancessansfin.Rickserejetaenarrière,lamainsursonoreille,etquandlecris'arrêta,tentadeplaisanter:— Heureusement que j'ai deux oreilles. Celle-ci est hors d'usage pour un bon bout de
temps.Enmêmetemps,ilréalisaqu'iln'étaitpasàsaplace,quecen'étaitpassonenfant.Unautre
queluiauraitdûêtrelà,prèsdesafemme.Unegrandetristesses'abattitsurluietildit:—Ilyaquelquechosequinevapas.—Qu'est-cequinevapas?s'affolaJoanna.Monbébé?—Non,non,net'inquiètepas.Mais...c'esttonmariquidevraitêtreàmaplace.Oulespompiers,ajouta-t-ilenlui-même.—Pasdemari,ditJoanna.Ellen'eutpas le tempsdecontinuer : les contractions se succédaient sans trêve.Bientôt,
ellecria:—Jelesens.Ilsort.Rickn'eutqueletempsdemettresesmainsenposition:latêtedubébéapparaissait.Un
liquidecoulasursesmains,etilsentitlatêteglisserhorsdel'ouverture.Nomd'unchien,quefichaientlespompiers?Etaient-ils lesderniersrescapésdelaplanète, livrésàeux-mêmes–luttantpourl'arrivéed'unenouvellevie?—Tire,haletaJoanna.Sors-le.Lebébéétaitun tiersdehors,deux tiersdedanset...plusdecontractions. Il jetauncoup
d'œilàJoanna.Elleétaitblême,sansforces.Ilcrutqu'elleallaitmourir,là,soussesyeux.Illasecouad'unemain,hurlantàsontour:—Jenepeuxpaslesortir,ilfautquetupousses!—Jenepeuxpas,fit-elled'unevoixàpeineaudible.Tire.Soudain,ladouleurreprit,luicoupantlarespiration.Rickavaitraison:ellen'auraitjamais
dû avoir ce bébé.Elle n'aurait pas dû renoncer à lui sans lui dire pourquoi.Elle avait toutfaux.Troptard.—Pousse,ordonnaRicksèchement,l'estomactorduparlafrayeur.Illefaut.Lanappe était trempée de sang et il ne savait pas si c'était normal.Allait-ellemourir là,
alorsqu'ilétaitàcôtéd'elle,totalementimpuissant?—Joanna,pousse.Tudoisyarriver.Elle rassembla ses forces avec l'énergie du désespoir. Il ne fallait pas qu'ellemeure; son
bébéavaitbesoind'elle.Despenséesidiotestournaientdanssatête.Siellenepoussaitpas,siellen'arrivaitpasàlefairesortir,ilsmourraienttouslesdeuxetseraiententerrésdanscettepositionridicule!Elle crut entendre des sirènes, des cris. Qu'importait! Elle poussait de toutes ses forces.
Encoreetencore,à la limitedutolérable,pourquetoutsoit finiauplusvite,pourquecelas'arrête.Brusquement, un petit cri lui parvint, plus faible que les autres bruits, plus doux.Elle se
renversaenarrièresurlanappe,épuisée,cherchantsonsouffle.Rickregardaitsansycroire lemiraclequ'il tenaitdans lesmains.Tropsous lechocpour
réagir,ilsentitquelquechosed'énormeleremuerauplusprofonddesonêtre.—Tuasunepetitefille,murmura-t-ilàJoannad'unevoixempreintedecrainte.S'iltranspiraitilserendaitcomptequ'ilfaisaitfrais,qu'ilfallaitprotégerlebébé.Ilretirasa
chemiseetl'enenveloppa.Lenouveau-néavaitd'immensesyeux,grandsouverts.UnevoituredepompiersfituneentréebruyantequeRickremarquaàpeine.Tropabsorbé
parlacontemplationdubébé.L'enfantdeJoanna.Autour d'eux, la scène devenait surréaliste. Des appels, des cavalcades. Un pompier
s'approcha,vitcequ'ilenétait,s'accroupitet,posantlamainsurl'épauledeRick,demanda:
—Çava,vousdeux?—Trois,corrigeaRick,serrantlebébécontrelui.—Jevoisbien.—Ilfautl'emmeneràl'hôpital.Celan'apasétéfacile.Lepompierfaisaitdéjàsigneàl'ambulancequivenaitd'arriver.Onapprochaunbrancard,
unecouverturedesurvieetunsecouristeluipritlebébédesmains.—Ons'enoccupe,dit-il.—Ya-t-ilquelqu'unàl'intérieur?s'enquitlepompier,montrantlamaison.—Non, je ne crois pas, réponditRickqui se sentait frustrédepuis qu'on lui avait enlevé
l'enfant.Joannaétaitdéjàsurlebrancardetilsl'emportaientversl'ambulance.Rickreculapourles
laisserpasseretlepompierdemanda:—Vousêteslepère?—Non,dit-il.Unbonsamaritaindefortune.Jemesuistrouvélàparhasard.C'esttout.IlévitaderegarderJoannaet,seretenantdelasuivredansl'ambulance,reculaencorepour
quelespompiersdéploientleurstuyauxetarrosentl'incendie.—Lapetitedameaeudelachancequevoussoyezdanslesparages,ditlepompier.L'ambulance fitmarche arrière, le gyrophare entra en action et, bientôt, les feux arrière
disparurentaucoindelarue.Unenouvellefois,Joannasortaitdesavie.Rick,telunzombie,sedirigeaverssavoiture.D'unœilindifférent,ilcontemplal'agitation
derrière lui. Les pompiers se démenaient sans compter pour empêcher que l'incendie sepropageauxbuissonsetgagnelescollinesalentour.Aucundoute,estimaRick.Ilétaitbonpourlepsy!Ils'étaitd'abordrendusurlesiteretenupourybâtirlenouveausiègesocialdeMasterset
avaitconsciencieusementtoutexaminéetprisdesnotes.Puis,aulieuderevenirdirectementauxbureauxdelacompagnie,ilavaitfaitundétour.IlétaitpasséchezJoannaserendrecomptedesdégâtscausésparl'incendie,dansl'espoir
quecelane seraitpasaussi catastrophiquequ'il craignait. Il savait,par lespompiers,que lefeu avait effectivement commencé dans la maison mitoyenne, probablement à cause d'uncourt-circuit. Cette dernière était pratiquement détruite : seuls des restes calcinés sedressaientversleciel.Enrevanche,lespompiersavaientréussiàsauverlaplusgrandepartiede lamaisondeJoanna,mêmesi, après inspection, il estimaqu'elle serait inhabitable tantquedesréparationsd'importancen'auraientpasétéfaites.Ilhaussalesépaulesetrepritladirectiondesavoiture.Passonproblème.C'étaitàellede
s'arrangeraveclepèredesonenfantpourqu'elleetsonbébésoientàl'abri.Quantàlui,sonrôleétaitterminé.Ilavaitfaitcequ'ilpouvait.Sans l'avoir vraiment décidé, il se retrouva néanmoins sur le chemin du BlairMemorial
Hospital,làoùelleavaitététransportéelaveille.Joannan'eutpasl'airsurprisedelevoirentrerdanssachambre.Ilsbavardèrentdechosesetd'autres,maladroits,gênés.Ricknesedécidaitpasàpartir.Il
voulaitensavoirplussursasituation.—Hier,tum'asditquetun'étaispasmariée...,commença-t-il.Il s'arrêta, furieux contre lui-même. Il s'était pourtant promis de ne pas lui poser de
questions!—Exact,dit-elle.—Divorcée?
—Non.—Veuve?Ellesoupira,tortillasondrapetsedemandas'ilétaitréapparudanssavieuniquementpour
jouerlesColombo.—Non.Mêmepasfiancée.Ellesemoquaitdelui,pensa-t-il.Etilétaitloind'apprécier.—C'estquoialors?LeSaint-Esprit?Joanna,quiestlepèredecetenfant?Ellerespiraàfondetlança:—11375.—Pardon?—Numéro11375.Elle avait choisi le géniteur de son enfant dans un catalogue de la banque du sperme
décrivantlescandidatsetleurscaractéristiques–anonymement,biensûr.—Jen'ensaispasplus.Ellelevalesyeuxverslui.Savisiteàlacliniquel'avaitsurprise,certes,mais...Rienàvoir
avec son apparitionmiraculeuse de la veille.On se serait cru au cinéma! L'amant délaissésortant sa bien-aimée des flammes, au péril de sa vie! Après cela, plus rien ne pourrait lasurprendre.—Jen'ycomprendsrien,fitRick.C'estunespion?Unagentdesservicessecrets?—Non,avoua-t-elle.C'estunnumérosuruneéprouvette.Elle le vit froncer les sourcils, prendre sonair sombre, et compritqu'il pensaitqu'elle se
moquaitde lui.Malà l'aise,elleauraitpréféréne riendire;mais il luiavait sauvé lavieetméritaitqu'ellerépondeàsaquestion.—Jemesuisadresséeàunebanquedusperme,Rick.Ilcrutavoirmalentendu,tantilétaitabasourdi!—Pourquoi?—Parcequec'estlàqu'ilsconserventlesperme.Aquoirimaitcetteconversationstupide?sedemandaRick.Etd'abord,triplebuse,qu'est-
cequetufaislà?Tunevoispasquetuesenretarddehuitans?Ellesepassalalanguesurseslèvressèchesetpoursuivit:—Jevoulaisunbébé.Rickpritunechaise,l'approchadulitets'ylaissatomber.Toutcequ'iltrouvaàdirefut:—Ilyad'autresmoyensd'avoirunenfant.Elleeutsoudainenviequ'ilparte.Toutcelaétaittropcompliqué,troppénible.—Celaimpliqueunerelationintimeavecquelqu'un,remarqua-t-elle.Lessouvenirsaffluèrent.Rickrevitlesnuitsd'été,auclairdelune,rafraîchiesparlabrise
embaumée.Revitlafemmequ'iltenaitalorsdanssesbras.Cellequ'ils'étaitpromisd'aimerjusqu'àlamort.Cellequiluiavaitjuréunamouréternel.Drôled'éternité!—Ilparaîtquec'estlemeilleurcôtédelachose,dit-ilencoresuruntonsarcastique.Elledétournalesyeux.—Jesais.Jeconnais.Sonton ironique l'irritaet,parvengeance, il faillit luidemandersielleavaitétépayée. Il
renonçaàcettecruautégratuite,selevapourregarderparlafenêtreetsecontentad'observer:—Iln'yapersonnedanstavie?C'estcequetuveuxdire?—Ilyamonbébé.Elle sentait que l'enfant la comblerait de bonheur, remplirait sa vie. Pas besoin d'autre
chose.—Jevoulaisdire,quelqu'und'unpeuplus...adulte?Lemoment était venu d'affirmer son indépendance, estima Joanna. De luimontrer que
toutne s'était pas arrêté le jour où il était parti, de s'inventerdes amants, une vie agitée...Maiselleétaittropfatiguéepourselivreràcegenrederouerieetreconnut:—Pasdanslesensoùtul'entends.Non.Pendant huit ans, il l'avait imaginée au bras d'un homme, riant comme il avait aimé
l'entendre rire–et cela l'avait rendu foude jalousie.Puis il s'était faitune raisonet s'étaitrésigné.Dumoinsl'avait-ilcru.Jusqu'àhier,quandill'avaitdécouverteportantl'enfantd'unautre.Il reporta son regard vers la fenêtre et le port. Une tempête se préparait et les bateaux
rentraientsemettreàl'abri.—Jesuispassévoirtamaison,dit-il.Joannaretintsonsouffle:samaison!—Alors?interrogea-t-elle,anxieuse.Ilfitdesonmieuxpouratténuerlesfaits.— Le feu n'a pas tout ravagé. Toutefois, elle n'est pas habitable telle qu'elle est en ce
moment.Lalueurd'espoirquis'étaitalluméedanslesyeuxdeJoannas'éteignit.—MonDieu!Quevais-jefaire?—Toutn'estpasperdu.Tuesassurée?Celaprendradutemps,maisonpeutlaremettreen
état.Elleétaitassurée,biensûr.Maiselleavaitprévudeprendreunehypothèquesurlamaison
afindebénéficierdesrevenuspourlessixprochainsmois.Letempsderetrouveruntravailetd'envisagerl'avenir...Or,lerendez-vousaveclabanqueavaitétérepousséd'unesemaineet,àprésent,c'étaittroptard.C'estcequ'elleluiexpliquaetelleconclut,atterrée:—Jen'aiplusnimaisonniressources!Il laregardalonguementavantde lui faire lapropositionlaplus inattendue.Pourelle.Et
pourlui.—Vienst'installerchezmoi.
3.Les yeux écarquillés,muette de stupeur, Joanna se crut victime d'une hallucination. Les
vitaminesqu'elleavaitprisespendantsagrossesseluiauraient-ellesendommagélecerveau?ImpossiblequeRickaitsuggéréunetelleabsurdité!—Quedis-tu?Elleavaitlesyeuxencoreplusbleusquedanssonsouvenir,sedit-il,etildutprendresur
luipourrésisteràl'enviedes'yperdre,commeilavaittantaimélefaire.—Jeteproposedevenirvivrechezmoi...letempsquetut'organisesetqueturetombessur
tespieds.Qu'ellenecroiesurtoutpasqu'ils'agissaitd'autrechosequed'undépannage.Uncoupde
mainàuneamie,ensouvenirdubonvieuxtemps.Si Joanna l'avait pu, elle se serait levée et lui aurait claqué la porte au nez. Vu les
circonstances,elledutsecontenterderedresserlementonetdeprotester:—Jenedemandepaslacharité!Saréactionleblessacommesielleavaitrayéd'untraitcequiavaitexistéentreeux...jadis.
Comme s'ils étaient séparés par un abîme infranchissable, sans trop savoir pourquoi nicomment.—Sijet'avaisproposédel'argent,tupourraisparlerdecharité,dit-il,dissimulantsacolère
et sa déception. Je ne fais que te suggérer de t'installer dans des pièces inutilisées de lamaison.Ellecompritque,lorsdesesséjoursàBedford,ilrésidaitdanslapropriétédesesparents.
Or,c'étaitbien ledernierendroitoùelleavaitenviederemettre lespieds!Pasaprèscequis'étaitpassé!—Jenecroispasquetonpèreapprécieraitdevoirsademeureenvahiedelasorte!dit-elle
avecunpetitriresarcastique.—Unefemmeetsonenfantneconstituentpasuneinvasion,dit-ilavantqu'ellecontinue.Ildevinaitqu'ellegardaitdemauvaissouvenirsdelafaçondontsesparentsl'avaienttraitée
àl'époque.Pasàsajustevaleur.Samèren'étaitplus,maisilyavaitencoresonpère.—Mon père est parti en Floride se reposer, précisa-t-il. J'ai l'impression qu'il compte y
prolongersonséjour.CelafaisaitplusieursmoisqueHowardMastersn'avaitpasremislespiedsenCalifornieet
ilparaissaitpeudésireuxdelefaire.—Tuveuxdire,unesemaine,unmois?—Plusieursmois,àmonavis.GrâceàRick et à la téléconférence, saprésencen'étaitpasnécessaire àBedford.Rickne
s'enportaitpasplusmal.Moinsilcôtoyaitsonpère,mieuxils'enportait!—J'avaisoubliéquelesgensrichesprenaientdesvacancesquandbonleursemblait,lança
Joannad'unairblasé.Qu'ilsn'étaientpascommenous,simplesmortels.Pascommemoi,entoutcas.Son amertume étonna Rick. Cela lui ressemblait si peu. Qu'avait-il dit qui l'ait blessée?
Aucune idée.Mais, commesonpère le luiavait fait remarquerdesannéesauparavant, ilneconnaissaitpasréellementJoanna.Aulieuderenonceràlaconvaincre,quelquechoselepoussaàinsister.Etait-ceparcequ'il
pressentait qu'en dépit de sa fierté agressive elle avait désespérément besoin de son aide?Toujoursest-ilqu'ilajouta,àtitred'information:—MmeRutledgeesttoujoursavecnous.
Enentendantcenom,lestraitsdeJoannas'adoucirent.Elles'étaittoujoursbienentendueaveclafemmedecharge.Sesparentségalement.—Oh!Commentva-t-elle?Ricksefélicitadecettepetitevictoire.— Bien. Elle refuse toute idée de retraite et continue de croire qu'elle sait mieux que
personnecequ'ilconvientdefaireentoutescirconstances.Joannasourit.—Ellemefaitpenseràmamère...Encore un sujet qu'il pouvait aborder en toute tranquillité. Rick avait vénéré Rachel
Prescott,etsouhaitéquesapropremèreluiressemble.Pendantlestroisansqu'avaitdurésarelationavecJoanna,ilavaitpasséleplusclairdesontempschezelle.—Commentva-t-elle?—Elleestmortel'annéedernière,dit-elle,baissantlesyeux.Uneimpressiondevidel'envahit,quetreizemoisdedeuiln'avaientpascomblée.Rick,quantàlui,sesentitcommefrappéparlafoudre.—Jesuisnavré...Jen'enairiensu.Lesmotsétaient impuissantsàexprimersonémotion.Ilposasamainsur lessiennesen
signedesympathie.—C'étaitquelqu'underemarquable.—C'estvrai.Uninstant,ellefaillitmettreunpointfinalàlavalse-hésitationqu'ilssejouaientdepuisun
momentensejetantdanssesbraspourypleurertoutsonsoûletluidirecombienilluiavaitmanqué au cours de ces mois de désolation. Ces longs mois où elle avait assisté à ladégradationdecellequi luiétaitpluschèrequetoutaumonde.Aulieudecela,elle leva lesyeuxetdit:—J'ailudanslejournalquetamèreaussiétaitdécédée.Jesuisdésolée.Rick marqua d'un signe de tête qu'il appréciait sa sympathie, mais ne s'attarda pas. Il
n'avaitjamaisétéprochedesamère,mêmependantsonenfance,etn'avaitdoncpasressentisapertecommelemalheurdesavie.Ilétaitrevenupourlesfunéraillesetavaitremplisondevoirfilial.Sansplus.Ilétaitaussitôtrepartilàoùl'appelaientsesresponsabilités.Peut-êtreavait-ilcraintégalementdenepastenirlecoupetdefairecequ'ilavaitfinipar
faire:chercheràrevoirJoanna!Cettedernièreessayaitdedéchiffrersessentimentssursonvisage.Elleavaitététentéede
se rendre à l'enterrement de sa mère, dans l'espoir de l'y apercevoir. Elle avait fini par yrenoncer: indigned'elle.Elles'étaitblindéeetavait faitensortedes'occuperaumaximumpours'empêcherdetropréfléchir.Uneautreraisonl'avaitretenued'assisteràlacérémonie:celaauraitindiquéunemarque
de respectenvers lamorte.Orellen'avaitqueméprispourelle et sonmari,depuis ce jourd'aoûtoùilsétaientvenusluioffrirunchèquesubstantiel.Uneseuleconditionàrempliretl'argentétaitàelle:laisserleurfilsvivresavie.Ilsavaient
faitappelàsonbonsenset,même,àsonamourpourRick!Ilsluiavaientdémontréqueleurfils était promis à un bel avenir et qu'il avait des devoirs envers sa famille. Qu'il devaitfréquenterdesgensdesonmilieu,que,s'ill'épousait,elleseraitunbouletqu'iltraîneraitetqu'il finirait par lui en vouloir, la mépriser. D'après eux, il lui fallait une femme avec lesmêmesgoûts,lamêmeéducation,unefemmequisacherecevoiretcontribueàsaviesociale.Qu'ilenallaitdesonbonheur.Ilsavaientavouéavoirquelqu'unenvuepourlui,unejeunefillequ'elleconnaissaitdenom.
Auboutducompte, elle s'était rendueà leursarguments,persuadéequeRick seraitplusheureuxsanselle.Ellelesavaitdétestésd'avoirréussiàlaconvaincredesesacrifierpourlebonheurdeceluiqu'elleaimaitetleurengardaitrancune.Rickenrevintàsapremièreréflexion:—Aproposdecharité,dit-il,c'esttoiquimetireraisuneépinedupied.Ellesesouvintqu'ilétaitdouépourargumenter.Mais,là,ellenelesuivaitplus.—Répèteunpeu?Jecroisque,depuisl'accouchement,mesoreillessontbouchées.Il rit, déjà plus à l'aise, recouvrant ce sentiment de décontraction qu'il avait toujours
éprouvéauprèsd'elle.—C'estsimple.SiMmeRutledgeapprendquetuesàlarueetquejen'airienfait,elleva
m'écorchervif.—Jenesuispasàlarue.Seulementmomentanémentsansabri.Celadit,réalisa-t-elle,ellen'étaitpasenmesurederefusersonoffre.Biensûr,elleavaitdes
amiesqui,end'autrescirconstances,seseraientfaitunplaisirdeladépanner.Maisavecunnouveau-né,c'étaituneautrehistoire.Ellenesesentaitpasledroitd'imposeràd'autreslescris, lebruitet lesexigencesquecelaimpliquait.Rickluioffrait lasolution:unemaisonoùun enfant ne dérangerait personne et où elle pourrait prendre le temps de s'adapter à sanouvelleconditiondemèreenattendantdeseretrouverchezelle.Ellebaissalatêteetsemorditlalèvreavantdedemander:—Tuessûrquetonpèrenevapasbrusquementdéciderderevenir?Ricklarevitdixansplustôt,aveclamêmeexpression,encoursdemaths,concentréesur
uneéquation.Commeilauraitvoulurevenirenarrièreetrevivrecettepériodedesavie!—Jeluiaiparlécematin.Ils'amusecommeunpetitfouets'estmisàlapêcheaulancer.—Tonpère?Joanna tenta de s'imaginer l'homme sévère et ambitieux qu'elle avait connu, debout à
l'avantd'unbateau,laligneàlamain.Elleyrenonça.— Oui. Son attaque l'a transformé. Il n'en est pas encore à s'extasier sur le parfum des
roses,maisilprenddubontempsetsembledécidéàprofiterdelavie.Joannan'encroyaitpassesoreilles.Cethommen'avaiteuqu'unbutdanslavie:gagnerde
l'argent.On disait qu'il n'avait pris qu'un seul jour de congé, aumoment de lamort de safemme.—Etlesaffaires?Lacompagnie?Quis'enoccupe?—Moi. De temps à autre, ilme demande des comptes et fait quelques « suggestions ».
Mais,engénéral,ilmelaisselibredemeschoix.Elle se demanda s'il allait devenir comme son père. Naguère, elle aurait répondu
négativement sans l'ombre d'une hésitation. C'était alors de l'homme qu'elle aimait qu'ils'agissait...—C'estpourcelaquetuesici?Ilfronçalessourcilsau-dessusd'unnezpresque...grec.—Ici?Al'hôpital?—Non,idiot.ABedford.C'estpourlafirmequetuesrevenu?Ilfitsigneque«oui»etelleauraitdûsecontenterdecetteréponse.Mais,malgréelle,elle
ajouta:—Quefaisais-tuprèsdechezmoi,hiersoir?Ilréponditentoutehonnêteté:—Jen'ensaistroprien.Elle reconnut l'accentde sincéritédans sesmots et en fut troublée.Profondément.Trop.
Celapasserait,espéra-t-elle.—J'auraismauvaisegrâceàm'enplaindre.Sanscela...Tropémuepourpoursuivre,ellesetut.Ils'employaàlarassurer:—Inutilederevenirenarrièreetdetefairedumauvaissangpourcequin'estpasarrivé.Uncoup frappéà laporte lesempêchadese laissergagnerpar l'émotion.Une infirmière
entra,poussantdevantelleunecoqueenplastiquetransparentdanslaquellereposaitlebébéleplusadorablequ'ilaitjamaisvu.— Je connais quelqu'un qui ne va pas tarder à se réveiller et demander la tétée, dit
l'infirmièreavecunsourire.Ricks'effaçapourluipermettred'approcherl'enfantdulit.Lesyeuxrivéssurlenouveau-
né,ils'écria:—Waoh!Joannasourit,trèsfière.L'admirationquiselisaitsursonvisagelatouchait.—C'estsonpremiercompliment!plaisanta-t-elle.—Etpasledernier,répliqua-t-il.Elleachangédepuishiersoir!—Tul'asvueaupiremoment...Demêmequ'ill'avaitvue,elleaussi,danslapiredessituations!PourRick, lemot«pire»n'avait aucun sens. L'enfant restait cemiracle qu'il avait reçu
danssesmains.Quand l'infirmièresortit lebébéduberceaupour ledonneràJoanna, il sesentitinfinimentému.Toutefois,ileutpeurdegêneretsepréparaàpartir.—Ilfautquej'yaille,dit-ilensedirigeantverslaporte.Soudain,Joannan'eutpasenviequ'illaquitte.—Tuneveuxpaslatenir?proposa-t-elle.Rick eut peurd'êtremaladroit. Lenouveau-né avait l'air plus fragile que la veille.C'était
unesipetitechose!—Jel'aidéjàtenue...—Elleestplusmignonneaujourd'hui,fitJoannaquicomprenaitl'hésitationdeRick.Tune
risquespasdelacasser,tusais.Vas-ydoucement,c'esttout.—Situcroisquejevaislalaissertomber,dit-ilenriant.Il s'efforça de déguiser ce qu'il ressentait – un foisonnement d'émotions qui le
décontenançaientetqu'ilauraitétéincapabled'analyser.Avecprécaution,ilglissasesmainssouslatêteetledosdubébépouropérerletransfert.
SesdoigtseffleurèrentceuxdeJoannaet ils se regardèrent.Puis il recula, l'enfantdans lesbras.L'infirmièreserépanditencompliments.—Onpeutdirequevoussavezvousyprendre!—Heureusement,repartitJoanna.C'estluiquil'atenuedanssesmainsletoutpremier.—Oh!fitl'infirmière.C'estvouslepère,alors?—Non,ditRick.Laquestionleforçaitàreprendrepieddanslaréalité,àquitterlesrégionsnébuleusesoùil
s'étaitlaisséentraîner.Iln'étaitpaslepèredel'enfant.Làs'arrêtaitl'histoire.—Non,répéta-t-il,jenesuispaslepère.Ildonnalebébéàsamère.—Jereviendraiavanttasortiedel'hôpital.UnfrissonglacéparcourutJoanna.Denouveau,lespontsétaientcoupés;ilsn'étaientplus
quedeuxétrangers,blessésparlavie.Elleeutcependantlasatisfactiondelevoirs'arrêteruninstantavantdefranchirlaporte.
Dans l'après-midi, l'escadrondesMammas fitunedescenteen force.Lesbras chargésde
cadeauxet rayonnantesdebonnehumeur.Leurprésence remonta lemoraldeJoanna,quin'étaitpasauplushaut.Le bébé était réveillé et parut tout à fait satisfait de passer de bras en bras comme une
nouvellepoupée.Sherry Campbell venait tout juste de reprendre son poste de reporter pour le Bedford
WorldNews,après lanaissancedupetitJohnny.Elleadmirasansretenue lapetiteRachel,aussigrossequesonbébéde troismois,cequin'étaitpasétonnantpuisqu'ilétaitnéavantterme.—Elleesttropbelle,s'exclamaSherry.Commesamaman.ChrisJones,agentduFBI,s'emparadel'enfantetlaserracontresonventrerebondi.—Dommagedenepassavoirquelletêtealepère...—Jeparieraisqu'iln'ariend'unmonstre,ditLoriO'Neill.—Vouscroyezquelesbanquesdespermeacceptentlesgenstrèslaids?fitSherry.—Jen'enaipasl'impression,semoquaChris.ElletenditlebébéàLorietvints'asseoirprèsdeJoanna.—Dis-moicommentcelas'estpassé.Epouvantable?—Que...quoi?balbutiaJoanna,désarçonnée.—Lanaissance.C'étaitcomment?Commesionvoustiraitdessus?Joanna se retint de rire.Elle savait queChris redoutait l'épreuvede la naissance, qu'elle
devraitaffronterseule.—Onnem'ajamaistirédessus.Jenepeuxdoncpascomparer...—Essaied'imaginer,insistasonamie.Est-cequec'estdumêmegenre?Lorilevalesyeuxauciel,effaréeparlacomparaison.—Chris,jet'enprie...—Jesaiscequ'ilenestquandonvoustiredessus,repritChris.Onalesréférencesqu'on
peut.SherrysepenchaversJoanna.—Quipenserait,luidit-ellesurletondelaconfidence,qu'unagentduFBIquiafaitfaceà
tous les dangers, tenu tête à des gangsters et que sais-je encore, aurait peur demettre unenfantaumonde?Chrisrenvoyaenarrièreseslongscheveuxblonds.—Jen'aipaspeur.Jeveuxjusteêtrepréparée.C'estlapremièrechosequ'onapprenddans
lemétier:nejamaispénétrerdansunendroitsanssavoircommentonvaensortir...—Dans ce cas précis, remarqua Lori, la seule issue possible, c'est demettre l'enfant au
monde.Tuferaismieuxdetemettreceladanslecrâne!Cen'estpassiterrible,ajouta-t-elle,avecunetapeamicalesurl'épauledelajeunefemme.—Pourquoinedemandes-tupasàSherry?ditJoanna.Sherryavait été lapremièredesquatreàaccoucher, et celadansdes conditionsplusque
précaires.Lorsd'unreportage,elles'étaitretrouvéecoincéedansunecabanede fortune,aumilieu des bois, avec pour tout secours un chien et un milliardaire misanthrope.Heureusementpourelle,l'hommeavaitunevagueformationdesecouristeetavaitpul'aider.— Parce que Sherryme donnera la version officielle, rétorqua Chris avec un soupir. Du
genre:«Onoublietoutdèsquelebébéestdansvosbras!»—C'estvrai,ditJoanna.Saufquandtuessaiesdebougerlesfesses!SherryetLoriéclatèrentderire,maisChrisreprit:
—Alors?C'esthorrible?Joannaréfléchituninstant.—Jenediraispasquec'estunepartiedeplaisir.Maiscelaenvautlapeine.Crois-moi.Elle couvait du regard le bébé que tenait Sherry.Quand il semit à pleurnicher, la jeune
mèreluitapotalesfessesd'unemainexperteetlebébésecalma.—Sij'aibiencompris,toinonplus,tun'aspaseuletempsd'arriveràl'hôpital?dit-elle.—Non,ditJoannaenriant.Mamaisonétait laproiedesflammesquandlescontractions
ontcommencé!LesyeuxdeLoris'agrandirent:—Sansblague?Jenesavaispas!Alors?Tamaison?Joanna se souvint de la panique qu'elle avait ressentie quand les portes de l'ambulance
s'étaientreferméessurcettevisiondecauchemar.—Pascomplètementdémolie,d'aprèslecapitainedespompiers.Ilestvenumedirequ'ils
avaientréussiàenrayerl'incendie.Toutefois,ilfaudradesmoisavantqu'ellesoitdenouveauhabitable.Qui ditmieux? songea Sherry, grimaçant intérieurement.Elle connaissait la situationde
Joannaetsavaitsesdifficultésfinancières.Elle-mêmeavaitsubiunemiseàpied,étéprivéede son job de responsable de la station TV locale et de grand reporter. Sans des relationsinfluentesquil'avaientrecaséeauBedfordWorldNews,elleseseraitretrouvéedanslemêmedénuement.Acelaprèsqu'elleavaitunefamillesurlaquelleellepouvaitcompter...ElleserralamaindeJoannaetditdansunclind'œil:—Vienschezmoi.Oninstalleraunegarderie!Joannasecoualatête.— Tu as toi-même un bébé et tu viens de rencontrer l'homme de ta vie. Ce n'est pas le
momentdet'encombrerd'unecopineetdesonenfant!—Tupeuxtoujoursvenirchezmoi,intervintLori.Là,Joannaritfranchement.—Merci.C'estgentil.Maistonappartementn'estpasplusgrandqu'unplacardàbalais!Loriadmitqu'elleavait raison.D'ailleurs,ellecherchaitunappartementdepuisqu'ellese
savaitenceinte.—Jevaisdéménager,dit-elle.—Chezmoi,ditChris.J'aidelaplace.—Non,merci,ditJoannadontladécisionétaitprise.Jesaisoùaller.Sherryeutpeurqu'ellerefuseleuraideparfiertémalplacée.—Nevapasàl'hôtel,s'ilteplaît.Celatecoûteralapeaududoset...Joannal'interrompit:—Jen'iraipasàl'hôtel.JevaischezlesMasters.Lestroisfilleséchangèrentdesregardsstupéfaits.Chrisfutlapremièreàseressaisir.—LesMasters?Commentcela?—C'estRickMastersquim'asortiedemamaisonenflammes.—Jecroyaisqu'ilétaitenFloride,fitLori.Joannatoussa,manquants'étrangleràl'idéedeHowardMastersvenantàsonsecours!—LepèreestenFloride.Paslefils.Sherry eut un sourire. Elle avait vu des photos de RichardMasters. Grand, bien bâti, la
trentainesévère.PasvraimentunAdonis,maislecœurasesraisons,n'est-cepas?Chrisaussileconnaissaitdevue:—Fabuleux!Unvraicontedefées!
—Onseconnaissaitdéjà,révélaJoannamalgréelle.Lorivints'installersurlelitetscrutalevisagedesonamie.—Tunousauraiscachéquelquechose?Joannahaussalesépaules.—C'étaitilyalongtemps.—Raconte,ditChrisavecunregardpourLori.Lesfemmesenceintesadorentleshistoires
d'amour.—Raconte,priaSherryàsontour.Aprèstout,cesfemmesétaientsesamies.Pourquoileurcacherlavérité?pensaJoannaqui
avaitbesoindeparler.—Ondevaitsemarier,avoua-t-elle.—Et?firent-ellesenchœur.Joannasoupira.Lesouvenirdecesévénementsluiétaitencorepénible,toutescesannées
après.—Sesparentsm'ontdémontréquejen'étaispascellequ'illuifallait.QueLorettaLangley
feraitsonbonheurmieuxquemoi.—Jelahaisd'avance,ditLori.Quiest-ce?—Quelqu'undeleurmonde.—J'espèrequetulesasenvoyéspromenerproprement?renchéritChris.Elles ne la connaissaient pas encore assez pour savoir que ce n'était pas dans son
tempérament.Quiplusest,lesparentsdeRickavaientemployélesbonsarguments...—Non,reconnut-elle.Ilsontréussiàmepersuaderqu'ilsavaientraison.Jemesuisrendue
àleursvueset...j'aifaitunecroixsurmesamours,ajouta-t-elle,semoquantd'elle-même.—Maispaslui,ondirait,notaChrissérieusement.Joannaladévisagea,interdite.—Queveux-tudire?—Raisonneunpeu!Commentexpliques-tuqu'ilsesoittrouvélà,prèsdecheztoi,aubon
moment?Jemettraimamainàcouperquecen'estpasunhasard.Saufsic'estunpyromane–legenredetaréquimetlefeupourjouerleshéros!Moi,jediraisqu'iln'apasoublié,qu'ilenpincepourtoi.Joanna n'avait pas envie de croire à un scénario qui pouvait de nouveau tourner à la
catastrophepourelle.—Çam'étonnerait...MaisSherrypartageaitlepointdevuedeChris:—Nonseulementilt'asauvéedesflammes,maisilt'aproposédevenirchezlui...—Ilpourraitlogertoutelapopulationdelavillesansmêmes'enapercevoir,contraJoanna,
butée.Tantleurmaisonestimmense.Aux yeuxde Sherry, la taille de l'endroit n'avait pas d'importance. Tout dépendait de qui
étaitlàpourremplirlevide.—Madames'indigneunpeutropàmongoût.Vousnetrouvezpas?dit-elles'adressantaux
autres,quiopinèrentavecunbelensemble.Joanna fit la sourde oreille.Qu'elles pensent ce qu'elles veulent, cela ne changerait rien.
QuellequesoitlaraisondelaprésencedeRickprèsdechezelle,cesoir-là,iln'enrestaitpasmoinsqu'ill'avaitrayéedesaviehuitansplustôt.Inutiled'entretenirdesillusions.Elleavaitmieuxàfaire.Elledevaitsesoucierdubien-êtredesonenfant.C'étaitcela,sapriorité.
4.Elleauraitdûsefaireuneraisonets'habituerauxréapparitionsdeRickdanssavie.Malgré
cela,ellenepouvaitseretenird'unmouvementdesurprisequandilentraitdanssachambre.Cejour-là,elleeuteffectivementdequois'étonner.Aprèsunbref«Bonjour»,Rickdéposasurlelitungrandcartonblancrectangulaire,sanssacniemballage,affichantsimplementlelogod'ungrandmagasindeluxepourclientesfortunées.Rienn'indiquaitdequoiils'agissaitetRicknefitrienpourl'éclairer.Ilavaitreculéd'unpasetattendaitcommequelqu'unquiestravid'avoirréussisoncoup.—Qu'est-cequec'est?demanda-t-elle.Il contint son impatience, se persuadant que ce qu'il avait apporté n'était pas un cadeau
mais répondait à un besoin immédiat. Toutefois, il voulait voir son expression quand elleouvriraitlecartonetsecontentaderépondre:—Uncarton.—Cela,jepeuxlevoirtouteseule...Elle lepalpa.Etait-ceuncadeau,unefaçondeluidirequ'ilregrettaitd'êtrepartihuitans
auparavant?Non.Impossible.Iln'ypensemêmeplus.—Qu'est-cequ'ilyadanscecarton?— La seule façon de le savoir, si tu n'as pas des rayons X à la place des yeux, c'est de
l'ouvrir.Pourquoies-tusiméfiante?—Jenesuispasméfiante!—Ahbon!Qu'est-cequit'empêchedel'ouvrir,alors?—Laprudence!Chatéchaudécraintl'eaufroide,situveuxsavoir.Ilrefusadelasuivredanscettevoieetplaisanta:—Tuasdéjàétééchaudéeparuncarton?—Non.Pardessentiments,rétorqua-t-elle.Illaregarda,légèrementahuri.Quesous-entendait-elle?C'étaitluiquiavaitétéblessé,qui
avaitsouffertmillemorts.Elles'enétaitbiensortie,avecunjolipactoleàlaclé!—Alors,noussommesdeuxdanslemêmecas.Puis, agacé par ses atermoiements, il souleva le couvercle et révéla le contenu de la
fameuseboîte:untailleurrouge.Elleenfutstupéfaite.Elleluiavait,unjour,ilyavaitdesannéesdecela,montréuntailleur
pratiquement identique. Il s'en était souvenu! Ce ne pouvait être une simple coïncidence.Huitansaprès!—Desvêtements!Tum'asachetédesvêtements?Ilpritunchemisierdesoieivoiredissimulésouslavesteetledisposaavecl'ensemble.— Tu vas bientôt sortir de l'hôpital, et je ne pense pas qu'on te laisse emporter la jolie
chemisedenuitqu'ilst'ontprêtée.Or,ilestinterditdesepromenernuedanslesruesdelaville,mêmeavecuncorpsaussibienfichuqueletien.Ellecaressaletissu,merveilleusementdouxetmoelleux.Cetailleurreprésentaitunepetite
fortune,bienau-delàdesesmoyens.Ellerésolutaussitôtdes'arrangerpour lerembourser.Libre et indépendante, elle ne se laisserait pas acheter, fût-ce par une attention des plus...élégante.—Mercipourlecompliment,maiscelafaitunmomentquetun'aspasvucecorpsdonttu
parles.Ellesavait,presqueàlaminuteprès,combiendetempss'étaitécoulédepuisleurdernière
soiréed'amoureux,d'amants.Rienneleluiferaitoublier.
Desoncôté,Rick sedemanda si elle se souvenaitde lui avoirmontréuncertain tailleurrouge. Probablement pas. Seul un sentimental de son acabit retenait ce genre de détails.Quelquesjoursplustôt,ilauraitjuréavoirtoutoublié.Or,ilsuffisaitqu'ilseretrouveensaprésencepourquetoutluirevienneàlamémoire.—Situvoulaisbientesouvenirdenotrerécenterencontre,lanuitdel'incendie...Ellerougitinstantanément.—Tusaistrèsbiendequoijeparle.— Oui, je sais, s'énerva-t-il. Et, oui, cela fait longtemps que je n'ai pas eu l'occasion
d'admirertesformes.Malgrécela,jesuisprêtàparierquetupeuxrivaliseravecquatre-vingt-dix-huitpourcentdelapopulationféminine.Ellesourit:—Voilàquetut'adonnesauxstatistiques,maintenant!—Apeine!Jenefaisqu'extrapolerenexagérantunpeu.Commetoi.Sijemesouviensbien,
c'étaittonpasse-tempspréféré.Bien sûr qu'il se souvenait.De tout.C'était bien ce qui l'empêchait d'établir une relation
avecquelqu'und'autre,defonderunefamillecommesesparentsinstammentl'enpriaient.—Celadevraitt'aller,ajouta-t-il.Elleregardal'étiquette:c'étaitbiensataille!—Tuaslecoupd'œil...—Plutôtunebonnemémoire.Jemesuissouvenudececardiganquejet'avaisoffertpour
Noël.UnvoiledetristesseembrumaleregarddeJoanna.Aprèsleurrupture,elleavaittoutmis
dansuneboîte, lecardigan, lesphotoset toutcequ'il luiavaitécrit, jusqu'aumoindrepetitmot.Toutcelaavaitdûdisparaîtredansl'incendie.Commesiellen'avaitmêmepasledroitdeseraccrocheràdessouvenirs.Ellerefoulaseslarmes.Ricks'enaperçutets'inquiéta.—Qu'est-cequit'arrive?—Rien.Uneallergie.Ill'observaetnefutpaslongàdétecterlemensonge.—Tun'étaispasallergiqueàquoiquecesoit.Elleeutungestedelamain.—Celam'arrivedetempsentemps.Ellereplialetailleur,remitletoutdanslecartonetlereferma.—Merci.Illuipritlaboîtedesmainsetladéposasurl'étagère—Jen'avaispaspenséàcequej'allaismettrepoursortir,avoua-t-elle.Sonseulsouciétaitsafilleetelleavaitl'embarrasduchoix,avectouslesvêtementsqueses
amiesluiavaientofferts.Rick s'était douté qu'elle ne penserait pas à elle. Or, lors d'une seconde visite, plus
approfondie,surleslieuxdel'incendie,ilavaitconstatéqu'ilnerestaitpasgrand-chosedesagarde-robe. Tout juste s'il avait récupéré son sac sur la table du salon, miraculeusementintact.—Tunet'esjamaisintéresséeauxdétailspratiques...—Exact.C'étaittondomaine.Un couple parfait, songea Joanna : ils se complétaient. Ce quimanquait à l'un, l'autre y
pourvoyait, comme s'ils avaient été conçus pour ne faire qu'une seule etmême personne.Enfin,c'estcequ'elleavaitcru...naïvement!
Ricklaregardait,s'interrogeantsurcequileurétaitarrivé.Commentetpourquois'étaient-ilsséparésalorsqu'ilsavaienttantdechosesencommun?Il s'en voulutde seposer la question–puisqu'il connaissait la réponse!Bien sûrque sa
famille avait eu sapartde responsabilité.Elle, encoreplus.Si elle l'avait aimé comme il lecroyait, si elle lui avait fait confiance...Mais elle s'était laissé convaincre. Elle s'était laisséacheter.Elleavaitacceptél'argentdesesparents.Commeilsleluiavaientprédit!Joannaeut lesentimentqu'ilétaitperdudanssesrêves, loin, très loin.Lapressiondesa
mainsurlasiennelerappelaàlaréalité.—Aquoipensais-tu?—Arien.Jepensais.C'esttout.—Regrettes-tulapropositionquetum'asfaite?—Non,fit-ilvivement.Rienàvoir.Ellesesentitrejetéeetsereprochad'ensouffrir.Aquois'attendait-elle?Acequ'ilsejetteà
sespieds,luijurantqu'ill'aimait,l'avaittoujoursaiméed'unamouréternel?«Pasdecela,mafille.Tun'asplusvingtansettesillusionsdegaminesontloinderrière
toi!»Cependant,elles'entenditinsister:—Aquoipensais-tualors?A la façon dont le paradis s'est transformé en enfer! fut ce queRick aurait répondu s'il
l'avaitosé.Aulieudecela,ilselevadesachaiseetdemanda:—Aquelleheuresors-tudemain?Uninstant,sesattentionsavaientdéstabiliséJoanna.Ellesereprit.—Avantmidi.Monassurancemaladies'arrêtelà.—Jecroyaisquelepersonnelenseignantavaitlameilleuredesassurances,s'étonna-t-il.Ilavaitraison,saufqu'ellen'enbénéficiaitplus:lesmensualitéshorsgroupeauraientété
troponéreusespoursonbudget.—J'aiuneassuranceindividuelle.Il la regarda sans comprendre.Avait-elle abandonné sonmétier deprof?Enseigner avait
étésonrêvedetoujours.EncoreunechosequelamèredeRickn'avaitpascomprise,carelleavaitcemétierenhorreur.—Tun'enseignesplus?Tuadoraiscemétier...—Jel'adoretoujours.Ellerespiraàfond,sepréparantàluiexpliquersasituationexacte.Illuifallaitsegarderde
trahirlamoindreamertume.—Quandj'aidécidéd'avoirunenfant,jen'aipasréaliséquecelaneseraitpasdugoûtdu
conseil d'administrationdemon établissement.Autrementdit, j'ai été priéed'épargner auxenfants et à leurs parents le spectacle choquant demon ventre distendu et de prendre uncongéàduréeindéterminée.—Sanssolde?—Evidemment.Iladmirasoncourage.Uneautre,àsaplace,auraitétédésespérée.Ellen'avaitrienperdu
del'énergiequ'ilavaittantadmirée.—Sibienquetuesauchômage?—Disonsquejesuisentredeuxpropositionsd'emploi.Rickneputs'empêcherderire.—Tusaisquetuesincroyable?—Je faisdemonmieux. Il semblequecelamarche...parfois.Parexemple,quiauraitpu
prédirequetuviendraism'arracheràmamaisonenflammes?
—Qui,eneffet!Rickconsultasonagenda,sortitsonstyloetannulaunrendez-vous.—Jeserailàvers11heures,demain.Ilremitagendaetstylodanssapocheetlavitsourire.—Quoi?Qu'ya-t-il?— Ton geste! Comme ton père! Tu te souviens avoir juré que tu ne deviendrais jamais
commelui?Ils'ensouvenait!Commeilsesouvenaitde luiavoir juréunamouréternel,detouteson
âme.Commecelaparaissaitloin!Etnaïf!Lavieneprenaitpasdegantspourvousremettrelesidéesenplaceetchangerlecoursdeschoses!Illuicaressalajoued'unpetitgestetriste.—J'enaitellementdit!Elleaussid'ailleurs.Inutilederevenirenarrière.Ilavaitfiniparcomprendrequelesmots
étaienttrompeurs,videsdesens.Ilsn'engageaientpersonne.—Lestempschangent,dit-ilencore.Ellelevalesyeuxversluietlevoyanttroublé,ému,s'interrogea.«Ai-jeeutortdecroireses
parents?Ai-jeeutortdecéderàlapression,derenoncerànotreamour?Toiaussi,tuaseutort.Tun'espasvenu.Tun'aspasmêmeessayédemefairechangerd'avis.»—Oui,repartit-elle.Maisiln'envapasdemêmepourlesgens.Rick s'efforça de se concentrer sur le monde réel et la compétition à laquelle il était
confrontétouslesjoursenaffaires.—Si,s'ilsveulentprogresser.Quin'avancepasrecule.De nouveau, Joanna crut entendre son père. Ce genre d'affirmation péremptoire ne lui
ressemblaitpas.Avait-iltantchangéaucoursdecesannées?—Quelmalya-t-ilàrestersoi-même?Ilneréponditpas.On court le risque de replonger dans des souvenirs pénibles, pensa-t-il, plongeant son
regarddanssesyeux.Ilfituneffortpours'enarracheretdit:—Ademain.Elleeutunpincementaucœuretsereprochasonmanquedecourage.Pourquoiprolonger
latorture?Elleavaitencorequelqueséconomies.—Jepeuxalleràl'hôtel,lança-t-elleavantqu'iln'ouvrelaporte.—MmeRutledge t'attenddepied ferme, répliquaRick.Ellene tepardonnerait pasde la
décevoir.Ademaindonc.Etilsortit.Joannacontemplasafille.Elleespéraqueleshommesseraientdifférentsdansquinze,dix-
huitans,quesafilleneconnaîtraitpascequesamèreavaitsouffert.—Machérie,murmura-t-elle.Dis-toiqueleshommesnevalentpaslapeinequ'onsoupire
aprèseux.Disantcela,Joannasavaitpertinemmentqu'ellen'enpensaitpasunmot.Le lendemain, la tempête s'abattit surBedford. Vers 6 heures dumatin, vent et pluie se
déchaînèrentetnefirentquegrossiraucoursdelamatinée.Unvraidéluge.— Si cela s'était produit trois jours plus tôt, remarqua Joanna,mamaison serait encore
debout.Elle prit place à côté de Rick dans la Mercedes; le couffin de la petite Rachel était
solidementancrésurlesiègearrière.C'estRickquiavaitpenséaucouffinetJoannaréalisa
quelalistedesesdettess'allongeait.Si,troisjoursplustôt,ilavaitplucommeaujourd'hui,pensaRick,ilneseseraitpasarrêté
devantchezelle,ilnel'auraitpasarrachéeauxflammesetnel'auraitpasaidéeàmettresonenfantaumonde.Joannan'auraitpasfaitirruptiondanssavie.Ledestin!Quidécidaitsansprévenirdedonneretdereprendre.Ill'observaducoindel'œil.Ellesetaisait.—Fatiguée?—Unpeu.Surtouttendue,anxieuse.Avait-ellebienfaitd'acceptersonoffre?—Onyestpresque.—Jemesouviens.Ellesesouvenaitdetoutetsedemandaitsiellerêvait.Elleavaitl'impressiondemarcherà
reculons. Comme dans un rêve, elle revenait dans un lieu qu'elle avait cru déserter pourtoujours.Saufquelescirconstancesn'étaientpluslesmêmes.Elleavaitunenfant.Unenfantqu'elle
avait désiré.Rick et elle n'étaient rien l'un pour l'autre en dépit de ce qui avait existé...autrefois.Malgrélevent, lapluie, lesessuie-glacesenmouvement,Joannadistinguaunesilhouette
trèsdroite,deboutsouslamarquisedelamaisondesMasters,unparapluieàlamain.MmeRutledgelesattendait,prêteàentrerenaction.Dèsquelavoitures'approcha,elleouvrit leparapluie, immense,etdescendit lesmarches
duperron.Ellevintverslaportièredroite,dupasdécidédequi,poursonbonheur,aconsacrésavieàservirlesautres.Certainespersonnesrésistentauchangement,songeaJoannaavecsoulagement.—VoilàMmeRutledge.Neva-t-ellepasattraperfroid?Ricksourit:ilyavaitcommedel'excitationdanslavoixdeJoanna.—Aucunmicroben'oseraits'enprendreàelle!Jenel'aijamaisvuemaladedetoutemavie.La portière s'ouvrit; le parfum de vanille de la femme de charge concurrença l'odeur du
ventetdelapluieet...remportalavictoire.—Machère,vousêtesbienpâle,ditlagouvernanteavecunregarddereprocheendirection
deRick.—Bonjour,madameRutledge,fitJoanna.Commentallez-vous?Elle n'avait pas vraiment changé : cheveux gris, coupés court, uniforme gris également,
dontlajupefrôlaitlesmollets,chaussuresplates.Ellerespiraitl'efficacité.—Toutedisposéeàvousredonnerunpeudecouleur!Après cinquante ans enCalifornie, elle gardait encore une trace d'accent du Sud.Née en
Caroline du Sud, la septième des quinze enfants d'un mineur et de sa femme, elle avait,comme lesautres,dûgagner savieaussitôtquepossible.Elleétait la seulede sa familleàavoirunesibonneplace.Entréeauservicedugrand-pèredeRick,elleétaitdevenue,au fildesgénérations,toutbonnementirremplaçable.Ellesepenchapourregarderlebébéets'attendritaussitôt.—C'estvotrebébé?Quelamour!Onoubliecommeilssontpetits!S'adressantàRick,elleajouta,dutond'unemaîtressed'écoleadmonestantunélève:—Vousferiezbiendevenirtenirleparapluiependantquej'aidemissJoannaetsonbébéà
sortir.—Avosordres,repartitRickavecunsourire.Il fit le tourde la voiture,prit leparapluiequi était assez grandpour les abriter tous les
trois et le tint au-dessus de leurs têtes. Mme Rutledge défit les sangles qui retenaient lecouffinetfutraviequandlesgrandsyeuxbleusdubébélaregardèrent.Ellepritl'enfantdanssesbras.—Elleavosyeuxet,sijenemetrompe,seraunevraiebeauté.Petitchou!murmura-t-elle,
pressantl'enfantcontresapoitrine.SetournantversJoanna,ellereprit,commepours'excuser:—Celafaitlongtempsquejen'aipastenuunbébé.PasdepuisM.Rick.Difficiledecroire
qu'ilaétéunjouraussimignon!—Pourrait-onentrersemettreàl'abri?s'impatientacedernier.— J'espère que cette petite aurameilleur caractère que celui-là, grommela la femme de
charge.Al'abriduparapluie,MmeRutledgeouvrantdignementlamarche,ilssedirigèrentversla
maison. Joanna retint un sourire : la gouvernante lui faisait penser à la reine VictoriaarpentantlescouloirsduchâteaudeWindsor.Château, manoir, c'étaient les mots qui venaient à l'esprit pour décrire la demeure des
Masters.Oumieuxencore...mausolée.LamaisonoùRickavaitgrandiluiavaittoujoursfaitfroiddansledos.Etlaglaçaitencoreaujourd'hui.Commesielleavaitludanssespensées,MmeRutledgedéclara:— Je sais. La maison n'a rien de très accueillant. Mais maintenant que M. Rick va s'y
installer,celavachanger.N'est-cepas?Elle gratifia l'intéressé d'un regard interrogateur comme il repliait le parapluie et le
déposaitdansleporte-parapluieenformed'éléphantquesamèreavaitrapportéd'undesesvoyagesàParis.L'eauruisselantsur la têtede l'éléphantdonna l'impressionquecelui-cisemettaitàpleurer...Rickn'étaitpasattachéàcettemaisonoùilnes'étaitjamaissentiàl'aise.—JesuisàBedfordpourréorganiserlacompagnie,paspourredécorerlamaison.Lafemmedechargeneselaissapasimpressionner.—Sivousdevezyhabiter, il faudrabien fairequelquechose.J'aiune liste touteprêtede
transformationsindispensables.Jevouslasoumettrai.JoannaregardaRick.Neluiavait-ilpasditquesonpèreétaitenvacancesseulementpour
quelquetemps?—M.Mastershabitetoujourscettemaison?s'enquit-elle.MmeRutledgehaussalesépaules.—Iln'yapasmislespiedsdepuissixmois.Ilabeaucoupchangédepuissonattaque.—C'estcequeRickm'adit...—Assezbavardé!Machère,vousavezbesoindevousinstalleretdevousreposer.EllepritlesdevantsetconduisitJoannaaupremierétagedel'aileestdelamaison.Sachant
Joanna en bonnes mains, Rick aurait pu partir; mais il voulait être présent quand elledécouvriraitlanursery.Illuiouvritlaportedelapremièrepièce,etluifisigned'entrer.—Voilà.Tuesicicheztoi.Aussilongtempsquetulevoudras.Décoréeàneufdebleuetdeblanc,lachambreétaitsomptueuse.Unechambrederêveau
goûtdeJoanna.S'était-ilsouvenuquelebleuétaitsacouleurpréférée,oubiensefaisait-elledesidées?—Lanurseryestàcôté,ditMmeRutledge,ouvrantlaported'unepièceadjacente.Elleest
orientéeàl'estetreçoitlalumièredusoleillevant...lesjoursdebeautemps.Elleallaversleberceau–unevraiepiècedemusée–queJoannacontemplait,stupéfaite,
etydéposalebébé.—Oùavez-vousdéniché...—C'était leberceaudeM.Rick,dit lagouvernante.Je l'ai ressortiquand j'aisuquevous
veniezvousinstallericiavecvotrebébé.—Temporairement,rectifiamachinalementJoanna.—Tous,tantquenoussommes,nousnefaisonsquepasserici-bas,énonçaMmeRutledge
sentencieusement.Enrouteversd'autrescieux....Celadit,ajouta-t-elleavecmalice,jenevoispaspourquoionnes'offriraitpasunpeudeconfort,enattendant!JoannalançaunregardàRick,inquièted'êtrepriseenotage,enquelquesorte.—Celadépendduprixàpayer...—Cadeau,dit-il,laconique.—Jenepeuxpasacceptertoutcela.—Onenparleraplustard.Ilfautquej'yaille.Elle lui parut pâle et fragile et il dut se retenir de lui entourer les épaules d'un geste
protecteur.—Celavaaller?—Comment pourrait-il en être autrement, avecMmeRutledge pour veiller surmoi! Tu
n'auraispasdûtedonnertantdemal.Jen'avaispasbesoindetoutceluxe.Exact. C'était lui qui l'avait voulu. Cela lui faisait plaisir... Etait-ce parce qu'elle exerçait
encoresurluicetattraitauqueliln'avaitjamaispurésister?Saufunefois!—Jen'aiquasimentrienfait.J'enaiparléàMmeRutledgeetelleaprisleschosesenmain.La femmede charge lui lançaun regardqui endisait long.Elle détestait lesmensonges,
surtoutquandonl'ymêlait.MaisJoannan'avaitpasbesoindecelapoursavoirqu'ildéguisaitlavérité.Letondesavoixavaitchangé,commeautrefois.Ellel'avaittoujourscoincéquandilavait essayé de luimentir. Emue, elle l'embrassa sur la joue; il se rejeta en arrière et ellerougit.—Désolée...—Iln'yapasdequoi.Qu'ilavaitréagibêtement!sereprocha-t-il.Eh!C'estqu'ilcraignaitdese lancerdansune
histoireindésirable...Alors,pourquoil'avoirintroduitecheztoi?—Celafaitlongtemps,dit-ilenmanièred'excuse.Uneondedechaleurtellequ'iln'enavaitpasressentidepuislongtempsl'avaitsubmergé.Il
yavaitpourtanteudes femmesdanssaviedepuissaruptureavecJoanna.Denombreusesfemmes.Audébut,ils'étaitjetédansdemultiplesaventuressansautremotivationquedes'yperdre, d'oublier jusqu'à son souvenir; il ne fut pas longà réaliser que cela ne lemenait àrien. Ilavaitcependant fait l'effortd'alimenter lesrubriquesmondaines– jusqu'àcequ'ilyrenonce,découragé.Personne,jamais,neluiavaitfaitlemêmeeffetqueJoanna.Normal, d'après Mme Rutledge. « On n'oublie jamais un premier amour », avait-elle
affirmé.Or,elleavaitlamauvaisehabituded'avoir...souventraison!—Jevouslaconfie,dit-ilàlafemmedecharge.Jesaisqu'elleseraendebonnesmains.Surcesmots,ilquittalapièce.Dèsqu'ilfutsorti,MmeRutledgemurmurasurletondela
confidence:— Il n'a plus jamais été le même, depuis que vous vous êtes séparés. J'ai pensé que je
devaisvousledire.Joannan'avaitpasenvied'enparler,pasenviedesesentircoupabled'unacted'abnégation
quiluiavaitcoûtéplusquepersonnenepourraitjamaisl'imaginer.
—Je...,commença-t-elle.MmeRutledgepritsesmainsdanslessiennesetlaregardadanslesyeux.—Jenevousdemanderien,etsurtoutpasdem'expliquerlesraisonsdevotrerupture.Cela
nemeconcernepas.C'estentrevousdeux.Elleretiraledessus-de-litetattenditqueJoannas'allongepourcontinuer:— Sachez seulement que vous avez été le seul rayon de soleil à illuminer cettemaison.
Quandvousêtespartie,lalumières'estretirée,delamaisonetdesesyeuxàlui.Commeelle l'avait faitpour lebébé,ellerecouvritJoannade lacourtepointe.Puisellese
dirigeaverslaporte.—Jeseraià l'autreextrémitéduhall.Appelez-moisivousavezbesoindequelquechose.
Quoiquecesoit,insista-t-elle.Joannasentitsoudainlafatiguel'envahir.—Jevaismereposerquelquesinstants...Lafemmedechargeapprouvadelatêteetrefermadoucementlaportederrièreelle.
5.Lentement,Joannaouvrit lesyeux,émergeantd'unprofondsommeil.Lebruitdelapluie
contrelesvitresl'avaitréveillée.Lachambreétaitplongéedans l'obscurité.Cependant, elle sentitqu'ellen'étaitpas seule.
Elleseredressavivement,saisiedefrayeur,etscrutalapénombre.Elledistinguauneformeprèsdesonlitetpoussaunsoupirdesoulagement:Rick!—Qu'est-cequetufaislà?Il rit, de ce sourirequi lui relevait le coin gauchede la bouche et pour lequel elle l'avait
souventtaquiné.—Arrêtedeposercettequestion.Enl'occurrence,souviens-toiquejesuischezmoi.En l'espace d'un instant, tout lui revint à lamémoire, tous les événements des derniers
jours.—Jemesouviens...—Tutesenscapablededescendredîneroupréfères-tuquejetefassemonterunplateau?Impensablequ'ellesefasseservir,estima-t-elle.Mêmesilatentationétaitgrandedecéder
àlafacilité.—Jenesuispasmalade!—Sijecomprendsbien,tupréfèresdescendre.Danscecas,jet'attendsàlasalleàmanger.
MmeRutledgeestàcôté.Il sortit. Gênée, Joanna se demanda quelle heure il était.La pendulette de la cheminée
indiquait6heuresetdemie!—Grandsdieux!s'écria-t-elle,horrifiée.J'aidormitoutcetemps!Uncoupfutfrappéàlaporte,restéeentrouverte,quicommuniquaitaveclanursery.Mme
Rutledgepassalatêtedansl'embrasure.—C'estquevousenaviezbesoin...QuandRickavaitditque la femmedechargeétaitàcôté,Joannan'avaitpas réaliséqu'il
voulaitdiredanslanursery.Ellesautadulit.—Monbébé!Je...Avantqu'elleaitpufaireunpasoufinirsaphrase,MmeRutledges'interposa,luimettant
unemainapaisantesurl'épaule:—Lebébévatrèsbien.Jevousaiveillées,l'uneetl'autre,etjedoisdire,quedesdeux,c'est
vouslaplusfacile.Pasbesoind'êtrechangée.Joanna rougit. C'était à elle de s'occuper de son enfant, pas à la femme de charge des
Masters.Quellemauvaisemèreellefaisait!—Vousl'avezchangée?MmeRutledges'affairaàfermerlesrideaux,lanuitétantpresquetombée.— Changée et nourrie, rassurez-vous. Je viens d'une famille nombreuse,ma chère. Très
jeune, j'aidûm'occuperdemaribambellede frèreset sœurs.Plus tard, celam'apermisdeprendresoindeM.Ricksansproblème.Etdanscedomaine,onn'arieninventédenouveau...Allezlavoir.Celavousrassureraetvousaurezencoretoutletempsdevousapprêterpourledîner.—Ahoui,ditJoanna.Rickaparlédedîner.Elle n'était pas très sûre d'être enmesure de supporter sa présence sans broncher. Tout
justesortiederêvespassablementérotiques,qui,tous,leconcernaient,saurait-ellegardersesdistances?MmeRutledges'avança,lesmainscroiséesdevantelle.
—Ilestarrivéilyaplusd'unedemi-heureets'estinquiétédevous.Ilaétésurprisquandjelui ai dit que vousdormiez encore et il estmonté voir si vous alliez bien. Il a insistépourdonnerlebiberonàvotrepetiteRachel,ajouta-t-elleavecundemi-souriredeconnivence.Joannalaregarda,bouchebée,commesielleluiannonçaitlafindumonde.—Quedites-vous?RickadonnélebiberonàRachel?Lagouvernantehochalatête.—Mêmequ'ilnes'enestpassimaltiré!Ondiraitqu'iln'afaitquecelatoutesavie.Que
voulez-vous,ilyadeshommesquisontfaitspourêtrepères.C'estundon...Puis, à lamanière d'un vieux routard qui sait prendre les virages les plus difficiles, elle
changeadesujet:—Ilyaunerobequivousattenddansleplacard.—Unerobe?—M.Rickl'aapportéeenrentrantdubureau.C'estunhommegénéreux.Celaaussi,c'est
rare.Ellesepréparaàsortir,estimantqu'elleavaitremplisonrôle.—Ledînerestà7heuresetdemie,danslasalleàmanger.Dèsquelaportesefutrefermée,Joannas'assitsurlelit,entourasesgenouxdesesbraset
réfléchit à ce qui lui arrivait. Un vrai conte de fées, comme Chris l'avait si bien pressenti.Danssonmalheur,elleétaitcombléeau-delàdesesespérances.Unefemmeresponsablequiservait volontiers de nurse, des vêtements qui faisaient leur apparition au bon momentcommeparmagie.Etunprincecharmantquidonnaitlebiberonetfaisaitfairesonrotàsonbébé!Ellesecoualatête.Croirequ'onpouvaitrevenirenarrièreetreprendreleschoseslàoùon
les avait laissées était stupide. Trop d'événements s'étaient produits entretemps. Trop detempss'étaitécoulé.Encoreque...pourquoipas?seprit-elleàrêvermalgréelle.Temporairement?Pourseremettrelesidéesenplace,poursortirdecerêveirréalisable,elles'enfutvoirsa
fille.Tout en se brossant les cheveux, Joanna sourit à l'imageque lui renvoyait lemiroir. Ses
longs cheveuxblonds cascadaient sur ses épaules, encadrant sonvisage...Elle lissa le tissudouxetsoyeuxdelarobe,bleupâle,qu'ellevenaitdepasser,etsentitsaféminitérenaître.Ellel'avaitsud'avance,larobeluiallaitcommeungant.Rickavaitl'œilpourlestailles,les
styles,lescouleurs.Pourtoutcequiétaitimportantdanslavie.Enfait,ilfrisaitlaperfection.Mais,carilyavaitun«mais»,iln'étaitplusqu'unétrangeranimédebonssentiments.Et
même s'il l'avait arrachée aux flammes, s'il lui avait offert un abri, par égard, sans doute,enversleurrelationpassée,ellenedevaitpasprendrecesdémonstrationsdegrandeurd'âmepourunretourenarrière.Verscequ'ilsavaientconnu.Qu'ilsavaientperdu...àtoutjamais.Et,pourleurbien-êtreàtouslesdeux,lepassédevaitresterlepassé.Prêtepour ledîner,elle seglissadans lanurserypours'assurerqueRacheldormait.Son
cœur se serra à la vue du bébé dans le berceau de Rick. C'est ainsi que cela aurait dû sepasser,soupira-t-elle.LesenfantsdeRickdanssonberceau.Mais il en allait autrement. Elle aurait tort de se plaindre. Au lieu de se lamenter sur
l'impossible,elledevraitremercierlecieldecequ'illuioctroyait.Elleregardasafille,sicalme.Avérifieraucoursdesapremièrenuitdemaman,seuleavec
sonenfant!Ceseraitlepremiervraitest.Commeceluiqu'elles'apprêtaitàaffronterenrassemblanttoutsoncourage:cedînerseule
entêteàtêteavecRick...Elle fut soudain frappéepar l'absurditéde lasituation.Depuisquandavait-ellebesoinde
couragepourallerà la rencontredeRick?Autrefois,elle se seraitprécipitéedans la salleàmanger,commeportéesurunnuage!«J'ensuiscapable»,s'exhorta-t-elleenquittantlapièce.Elle trouvaRick assis à la table, devant un verre de vin. Il se leva à son entrée. Il avait
toujourseudesmanièresraffinées.Comme le reste de la maison, la salle à manger était immense et solennelle, avec une
longuetabledestinéeàdenombreuxconvives.Quatrebougiesdansdeschandeliersd'argentprojetaientunelumièredouceetvacillantesurlesmeublessombres.Soncouvertétaitmisàuneextrémitédelatable,àl'opposédusien;etellesedemanda,avecunsourireintérieur,sielleseverraitdansl'obligationdesemerdesmiettesdepainpourretrouversonchemin!D'un œil averti, Rick admira sa silhouette, débarrassée de toutes traces de sa récente
maternité.Soncorpsavaitretrouvésasveltesse,celledontilsesouvenaitetquihantaitsesrêves.Ilfituneffortpourrésisteràl'ondedechaleurquiparcourutsesreinsetremarqua:—Larobefaittrèsbeleffetsurtoi.C'étaitditcommesic'étaitellequimettaitlarobeenvaleur,etnonl'inverse.Elleesquissa
unsourire:ilavaittoujourssutourneruncompliment!Ellejetaunœilauvêtementets'assit.—Merci.Encoreunefois.—Jetesers?offrit-il,levantlabouteilledevin.Oubien,est-cequetu...—Non.Jen'allaitepaslebébé.Savoixluiparuttropténuedansl'immensitédelapièceetelleforçaleton:—Racheln'aqu'unseuldéfaut:elleestallergiqueàmonlait.Lepédiatrem'arecommandé
delanourriraubiberon.Ellelevitseleverpourvenirlaserviretanticipasongeste.—Cependant,jem'abstiendraideboirepourlemoment.Celamerendraitsomnolente.Cequin'étaitpaslecas,dansl'immédiat.Rienqued'êtrelà,aveclui,deleregarder,ellese
sentait toute émoustillée–bienqu'elle sût, toutau fondd'elle-même,qu'iln'y avait rienàespérer.IlserassitetJoannahésitaavantd'exprimercequilapréoccupait.—Tunepeuxpaspassertontempsàm'acheterdeschoses,dit-elleenfin.Il lui lançaun regardappuyé,dumoins, c'est l'impressionqu'elle eut.Acettedistance, il
étaitdifficiled'enêtresûre.—Aunecertaineépoque,répondit-il,jet'auraisachetétoutetn'importequoi.Onvint lesserviretJoannabaissa lesyeuxsursonassiette:descôtelettesd'agneau,son
platpréféré.MmeRutledges'enétaitsouvenue!— A la même époque, répliqua-t-elle, j'aurais tout accepté. Aujourd'hui j'ai l'impression
d'êtreundecesouvrierssouscontratquelesPèresFondateursfaisaientvenird'Angleterre!Rickbutunpeudevinetreposasonverre.—Simessouvenirssontexacts,lecontratétaitdeseptans.Enprenantencomptelecours
de l'inflation pendant les deux cent cinquante ans qui se sont écoulés, la durée du contratapprocheraitdestrenteetquelquesannées.Alors,machère,tun'espasauboutdetespeines.LesdoigtsdeJoannasecrispèrentsurlemanchedesafourchette.Quesous-entendait-il?
Qu'il souhaitait lui voir reprendre place dans sa vie? Ou prenait-elle ses désirs pour desréalités?—Jeterembourseraijusqu'auderniercentime,dit-elle.
Ellecrutlevoirfroncerlessourcils.Amoinsqu'ellenesoitinduiteenerreurparlesrefletschangeantsdesbougies?—Detoutefaçon,letailleurquetum'asoffertauraitétéparfaitpourcesoir.— Tu as dormi avec! fit-il remarquer. De deux choses l'une : ou je demandais à Mme
Rutledgedemettrelamainsurl'unedesrobesdemamère...Il savait très bien comment elle aurait réagi à cette proposition! Qu'il n'y ait pas eu
d'atomescrochusentrelesdeuxfemmesn'étaitunmystèrepourpersonne.—Jenecroispasquetuauraisapprécié,continua-t-il.—Bienvu.Ellelevittendrel'oreille.Apparemment,iln'avaitpassaisisaremarque.— J'ai dit : Bien vu! répéta-t-elle plus fort. Et je commence à comprendre pourquoi tes
parentssesontéloignésl'undel'autre.C'estàcausedecettefichuetable.Ellealatailled'uncontinent!Sans plus attendre, elle rassembla les coins de son set de table, se leva et fit glisser son
couvertsurlasurfacepolie,jusqu'àlachaiseàdroitedeRick.Ellerevintcherchersonverre,leposaprèsdesonassietteets'assitavecunsouriresatisfait.—Etvoilà!Ill'avaitregardéfaire,amusé.Cettespontanéitél'enchantait.SacréJoanna,ellen'avaitpas
changé!—J'avaiscruquetuseraisplusàl'aise,là-bas...— Là-bas, j'étais en train d'attraper une extinction de voix!De plus, je ne voyais pas tes
yeux.—Quelleimportance?—«Lesyeuxsontlesfenêtresdel'âme.»Comme il lui avaitmanqué, soupira-t-elle en elle-même.Commec'étaitdifficilede jouer
lesâmesnobles!—Est-cequetesparentsprenaienttousleursrepasdecettemanière?Ilhaussalesépaules.—Quand ils dînaient ensemble, oui, je pense. Ce qui était assez rare.Mon père rentrait
tard,voyageaitsouventpoursesaffaires.Mamèreétaittrèspriseparsesclubs,sesactivitéscharitables...Ilsneseretrouvaientquelorsdesréceptionsqu'ilsdonnaientpériodiquement.Ilembrassalapièceduregard,compasséeetfroidemêmeaucœurdel'été.—J'aisouventdînéseul,icimême.Joannaimaginafacilementl'adolescent,perduauboutdelatable,avided'autrechoseque
denourriture,etenvoulutàMmeMastersdecegenred'abandon.Pourquoiavoirdesenfantssic'estpourles laisser livrésàeux-mêmes?Aucuneœuvredebienfaisancenepassaitavantlesbesoinsd'affectionetdetendressed'unfils!—«Charitébienordonnéecommenceparsoi-même...»etlesvôtres,énonça-t-elle.C'étaitditavectantdeconvictionqu'ildûtseretenirdesourire.Ellen'avaitrienperdude
sesenthousiasmesd'autrefoisetcelaluiplaisait.—Unlieucommun,d'unebanalitéaffligeante,auraitditmamère.—Jenevoudraispastevexerendisantdumaldetamère,répliqua-t-elle,mais...elleavait
ledonderabaisserlesgens,deleurfairesentirqu'ilsluiétaientinférieursentoutpoint.Cettefois,ilritfranchement.—Tunemevexespas.Jesaisqu'ellen'avaitriend'unemèreTeresa!Tout jeune, il avait finipar s'y faire. Il avait cruque toutes lesmères se conduisaientde
cettemanièreenvers leurs enfants. Jusqu'à cequ'il rencontre lamèredeJoannaetprenne
consciencedesliensprivilégiésquil'unissaientàsafille.—J'aitoujoursenviélarelationquetuavaisavectamère,dit-il.—J'aieubeaucoupdechance,c'estvrai.—D'autresquetoi,àtaplace,n'auraientpaspensé...Ilsetut,gênédecequ'ilallaitdireconcernantlasituationdeJoannaetdesamère.Unedes
raisonspourlesquellessesparentsavaientdésapprouvéleurrelation.Elleredressalatêteetlevaversluiunmentonagressif,cequinelesurpritpas.Elleavait
toujoursétéfièredecequ'elleétait.—Amaplace?Jetefaispitié,c'estcela?Parcequemonpèreacrubondedisparaîtredès
quemamèreluiaannoncéqu'elleétaitenceinte?Parcequ'elleadécidédemegarderetdem'élever,seuleetsansressources?Lescénarioclassique.QueJoannan'avaitpaspardonnéàsonpère.Adix-septans,samère
s'étaitretrouvéetouteseule.Maiselleavaitadorésafilledèssanaissanceetmêmeavant.Combiendefois,petite fille,s'était-elle imaginéquesonpèreallaitsurgir,réclamant leur
pardon? Elle devait avoir une dizaine d'années quand elles avaient appris par l'amie d'uneamie qu'il étaitmort dans un accident de voiture. Cela avaitmis fin à ses espoirs et à sesfantasmes.Malgré l'absencede père, elle s'estimait heureused'avoir euunemère comme la sienne.
Quiplusest,sisonpèreavaitressembléuntantsoitpeuàceluideRick,n'était-cepasmieuxainsi?Ricks'employaàdissipertoutmalentendu.Loindeluil'idéedelaprendreenpitié.—Jenefaisaisquemettreenévidencetonoptimisme.Pourtoi,leverreestàmoitiéplein
etnonàmoitiévide.C'estundetesatoutsmajeurs...—C'estgrâceàmamère.Ellem'aapprisqu'unevisionpositivedelavieaideàaffronterdes
difficultésdetoutefaçoninévitables.Samèreavaitétéunebattante.Ricketelleavaienttoutdesuitesympathisé,sesouvint-elle
avecémotion.—Celafaitcombiendetemps...,commença-t-il.—Qu'elleestdécédée?acheva-t-elleàsaplace.Unpeuplusdetreizemois.Emuet troublé, il constataque ledécèsde lamèrede Joanna lui faisait plusd'effet que
celuidesapropremère!—Jesuistristeàl'idéequ'elleneconnaîtrapassapetite-fille,ditJoanna.C'était un de ses grands regrets. Que samère ne soit pas là pour partager sa joie de la
maternité,pourlaconseiller.Ellesauraienteutantdechosesàéchanger.—Jecomprends,dit-il.Moiaussi.Ilneputs'empêcherdedemander:—Qu'est-cequit'apousséeàvouloirunenfant,maintenant?Commentluiexpliquerquecelaluiétaitvenuunsoirdesolitudeetdedéprime?—Aprèsledécèsdemamère,jen'avaispluspersonneàaimer,pluspersonneàquioffrir
toutcetamouràpartager.C'estcequim'adonnél'envied'avoirunbébé.Rickcomprenaitparfaitementsondésird'enfant.Cequ'ilnecomprenaitpas,c'étaitlechoix
qu'elleavaitfaitpourleconcevoir.— Pourquoi avoir choisi ce... procédé? Tu es jeune. Tu aurais pu attendre de trouver
quelqu'unquiteplaise.Ellelevalesyeuxversluiavantd'avouer:—Jel'avaisdéjàrencontré.Qu'essayait-elle de lui dire?Qu'il y avait eu un autre homme dans sa vie?Qu'elle avait,
encoreunefois,rompuavecunhomme?—Quiétait-ce?Dégoûtée, Joanna soupira. C'est fou comme les hommes les plus intelligents peuvent se
montrerbornés!—Ilfautquejetemettelespointssurles«i»ouquoi?C'estdetoiqu'ils'agit,idiot!Ilréagitaussitôt,sansprendreletempsdelaréflexion.—Sicequetudisestvrai,pourquoiavoirrompucommetul'asfait?Et voilà! se dit-elle. Il fallait que cela arrive! Le pavé dans lamare! Inutile de tenter d'y
échapper.Elledétournasonregard,lesujetluiétaittroppénible.Illeresteraitjusqu'àlafindesesjours.—Jel'aifaitpourtoi.—Pourmoi?répéta-t-il,incrédule.Son ton avait quelque chosede cyniquequi exaspéra Joanna.Elle sentit lamoutarde lui
monteraunezetrétorquasèchement:—Cen'est certainement pas pourmoi que je l'ai fait, crois-moi.C'est la décision la plus
horriblequej'aiejamaisprise.— Vraiment? ricana-t-il. Etait-ce si « horrible » de te laisser acheter pour me briser le
cœur?Aurais-tuoubliécetaspectdesévénements?—Acheter?Qu'est-cequeturacontes?LacolèrepritRickàlagorge.Toutescesannéesperduesparcequ'ellen'avaitpascruenlui!
Elleneluiavaitpasfaitconfiancepoursurmonterl'oppositiondesesparentsetfairefaceauxdifficultésquepasseroutreàleurconsentementallaientleurcauser;ellen'avaitpasimaginéuninstantqu'ilétaitadulteetcapabledeprendresesresponsabilités.—Nefaispassemblant,jet'enprie,dit-il,furieux.C'estdetrèsmauvaisgoût.Elleseredressa;sesyeuxlançaientdeséclairs.Toutescesannéesdesouffrancecontenue
remontaientbrutalementetnedemandaientqu'àexploser.—Nonseulementjenefaispassemblant,maisj'aimeraisbiensavoirdequoituparles!Perfide! s'indigna-t-il. Après tout ce temps, elle trouvait encore lemoyen de luimentir!
Qu'est-cequ'elles'imaginait?Qu'ilignoraittoutdelapetitetransactionjuteuse?—Monpèrem'atoutraconté,dit-ilfroidement.Tiensdonc!Joannacroisalesbrasetlefusilladuregard.—Tuveuxbienéclairermachandelle?Quet'a-t-ilraconté?Ilfaillitseleveretprendrelafuite.Commeill'avaitdéjàfait,autrefois.Ilserepritetdécida
delaconfondre,detoutmettreauclairsansqu'ellepuisses'ensortiravecdebellesparoles.—Qu'il t'avait avertie que, si je t'épousais, ilmedéshériterait etme couperait les vivres.
Quesi turompaisavecmoi, il t'offriraitunchèquedecinquantemilledollars.Quetuavaischoisilechèque.Joannaenrestabouchebée.Ainsi,c'estcequ'ilcroyait?—J'aichoisiquoi?—Tuasaccepté l'argent,dit-il,semaîtrisantpournepashurler.J'aivu lechèqueavecta
signatureaudos.Jusque-là,j'avaisrefusédecroirequetuenétaiscapable.Maisquandj'aieulapreuveenmain...Un instant, Joanna en resta muette de stupeur. Elle n'aurait jamais cru que des gens
comme lesMasters puissent aller jusque-là pour parvenir à leurs fins. Lemensonge et laduplicitéluiétaienttellementétrangers!— J'ignorais que ton père s'adonnait aux faux en écriture, fit-elle enfin. Mensonge et
imitationdesignature!Quelstalents!
—Tuprétendsqueriendetoutcelan'estarrivé?Elleplantasesyeuxdanslessiensetattenditunlongmomentavantderépliquer:—Jeprétendsqueleschosesnesesontpaspasséescommetusembleslecroire.Oui,tes
parents sontvenusmevoir.Oui, ilsm'ontditqu'ils tedéshériteraient si tum'épousais.Et,oui,ilsm'ontoffertdel'argent.C'estlàoùs'arrêtetaversion.Sachequej'aidéchirélechèquesous leurs yeux. Alors, ta mère m'a prise à part et m'a longuement expliqué que tu enviendraisàmehaïrsijeteforçaisàfairelemauvaischoix,àtepriverdetoutcequifaisaittavie.Quenotrerelationnetarderaitpasàsedétériorer,quetuneseraispasheureuxcoupédetesamis,detesracines,etquej'enseraislaseuleresponsable.Asontour,illaregardadanslesyeux,nesachantquecroire.—Ettul'ascrue?Joannaeutunsoupirdouloureux.Deslarmesrageusesluimontèrentauxyeuxausouvenir
desadétressepassée.—Elles'estmontréetrèsconvaincante.J'aicraintqu'ellen'ait,aumoinsenpartie,raison.
Moi, j'avais l'habitudedemebattre pour survivre. Pas toi.Etais-je endroit d'exiger de telssacrificesdetapart?Iln'y avait plusdemystère : tout était étalé au grand jour, constata-t-elle, soulagéed'un
poidsénorme.Huitansaprès.Aelled'allerjusqu'auboutetdeluidirecequ'ellen'avaitpaspuluidireàl'époque.—J'auraispréférémourircentfoisplutôtquetuenarrives,parmafaute,àmehaïr,àêtre
malheureux.J'aichoisidemourir,enuncertainsens.—Tun'aspasacceptél'argent,dit-illentement,détachantlesmots.Pourquoiavait-il tantdemalà lacroire?songea-t-elle tristement. Il l'avaitaiméepource
qu'elleétaitetauraitdûluifaireconfiance.—Tuveuxmefairepasseraudétecteurdemensonges?Ilravalaunerépliqueacerbeetdemanda:—Pourquoin'es-tupasvenuemevoir,medirecequis'étaitpasséentretoietmesparents?—Parcequecelan'auraitserviàrien: jen'auraispaspute ledire.Lasituationétaittrop
pénible.Or,jemedoutaisquetunemelaisseraispaspartirsansunebonneraison,etjen'enavaispas.Et,mêmesitul'avaisfait,jen'enauraispasétécapable.Jen'auraispasputerevoirette
quitter.—Tu as fichtrement raison, s'écria-t-il. Jamais je n'aurais supporté que tu partes. Nous
nousserionspassésdel'approbationdemesparents.—Oui,mais,parlasuite,j'auraispassémavieàépierlessignesdetadésaffection,puisde
tahaine!Ricknecomprenaitpasqu'elleaitdoutédeluiàcepoint.—C'étaittoutel'estimequetuavaispourmoi?Toutelafoiquetuavaisennotreamour?
s'offusqua-t-il. Ne me connaissais-tu pas assez pour me croire capable de faire face à lasituation?Ellehaussalesépaules,fataliste.Peut-être,eneffet,aurait-elledûluifaireconfiance–et
se faire confiance, également.Mais les arguments avancés par samère, puis par son père,avaientprislepassursabelleassurance.—Jecroyaisteconnaître.Mais,àvingtans,j'étaisencoretrèsnaïveetfacileàmanœuvrer.
Jevoulaisquetusoisheureux.C'étaitlecontrairequis'étaitproduit,pensa-t-ilamèrement.—Etc'estpourcelaquetum'asquitté.
—Quejet'aiquitté,oui.Laseuledécisionparfaitementdésintéresséequ'elleaitjamaispriseetquiluiavaitpresque
coûtélavie.—Tesparentsm'ontdémontréqueLorettaLangleyétaitlafemmequiteconvenait.Ilserappelaitque,parlasuite,eneffet,sesparentsn'avaientpasménagéleurseffortspour
lerapprocherdecettejeunefille.Sanssuccès.—LorettaLangleyestunepoupéeégoïsteetsuperficiellequemamèreauraitmenéeparle
boutdunez.Trèspeupourmoi.C'étaittoi,lafemmedemavie.Ellesentitleslarmesluibrûlerlesyeuxettentadelesrefouler.—Pourquoin'es-tupas,toi,venumedemanderdesexplications,merelancer?Pourquoias-
tupliébagagesansunmot?—Parcequej'étaisblesséàmort.Piquéauvifdanssonamouretsonorgueil.Vexé,déçuau-delàdesmots,commeonl'està
vingt-deuxans...Sesparentsavaientréussiàgâcherdeuxviesd'unseulcoup!Beautravail.— Dis que tu as cru qu'on pouvait m'acheter! rectifia-t-elle vivement, refusant de
s'attendrir.Commentas-tupuêtreaveugleàcepoint?Asaquestion,ilréponditparuneautre.—Ettoi,commentas-tupuimaginerunseulinstantquejepréféreraisleconfortimbécile
d'uncertainstandingàunevieàtescôtés?Unsilencepesant retombaentreeux.Rickn'encroyaitpas sesoreilles.Tantd'annéesde
bonheurperdues...—Etmaintenant?fit-il.Tropdetempss'étaitécoulé,tropd'événementss'étaientproduits,estima-t-elle,pourqu'ils
prétendentreprendreleurrelationlàoùilsenétaientrestés.Ilyavaitencoredesquestionssansréponseet,auminimum,illeurfaudraitrétablirleclimatdeconfiance,indispensableàtouterelation,qu'ilsavaientgravementcompromis.Difficile.Aussiarduquederéapprendreàmarcheraprèsqu'unaccidentvousaprivédevosjambes.Peut-êtrequ'aprèsquelquetempsetavecbeaucoupdepatience...,seprit-elleàespérer.—Pourl'heure,répondit-elle,finissonsdedîner.Ensuite,laissonsvenir.Chaquechoseen
sontemps.Ses yeux s'écarquillèrent de surprise comme Rick se levait brusquement de table,
repoussantsachaisesansménagement.—Qu'est-cequetufais?demanda-t-elle,intriguée.Illuipritlepoignet,laforçaàseleveretlatintcontrelui.—Jeviensdedécider...dupremiertermedenotreéchéancier.
6.Ellen'eutpasletempsdeposerdequestion.Ç'auraitétéparfaitementinutile,d'ailleurs.Il
luisuffitdeplongersonregarddanslesienpoursavoirqu'ilvoulait lamêmechosequ'elle.Cequil'avaitobsédée,cequiavaithantésesrêvesaucoursdeceslonguesannéesdesolitude.Rickenfonçasesmainsdanssescheveux,levasonvisageverslesienetcouvritsabouche
deseslèvres.Le rempart qu'elle avait érigé contre le flux de ses émotions, rempart sérieusement
endommagépar les événementsdesderniers jours, s'écroulad'un seul coup.Un torrentdedésirtroplongtempscontenusedéversasurelle,sureux,lessubmergeantabsolument.Commeilluiavaitmanqué!Elle passa ses bras autour de son cou et se serra contre lui, retrouvant avec bonheur la
chaleurfamilièredesoncorps,s'ynoyantdetoutesonâme.Quiavaitditqu'onnerevenaitjamaisenarrière?Qu'ilétaitimpossiblederécrirel'histoire?Les sensationsd'autrefois revinrent à la vitessegrandV, effaçant les annéesperdues, les
vaines souffrances. Elle avait de nouveau vingt ans et se blottissait dans les bras de celuiqu'elleaimait.Rick fut secoué de la tête aux pieds par l'intensité de son désir. Elle avait toujours ce
pouvoirdefairedelui,enl'espacedequelquessecondes,unbrasierdepassion.Aucuneautrefemmen'avaitexercécepouvoirsurlui.Deloinoudeprès.A vrai dire, il n'avait aimé personne d'autre. Toutes ses amourettes s'étaient terminées
brutalement;n'avait-ilpasrecherchél'impossible–cellequiremplaceraitJoanna?Aujourd'hui, il sentaitencoreplus ladifférence.Plus il l'embrassait,plus ilavaitenviede
l'embrasser.Si lepartenaire idéaln'étaitpasuncontedegrand-mère, il l'avait trouvéen lapersonnedeJoanna.Tout son corps réclamait l'aboutissement de son désirmais, outre le fait que Joanna se
remettaitàpeinedesamaternité,ilsentitquec'étaittroptôt,quenil'unnil'autren'étaientprêtspour cette aventure émotionnelle.Onne revenait pas en arrière, comme cela, suruncoupdetête.Pourquoipas?serebiffa-t-il.Toute logique déserta son esprit, le laissant aux prises avec un désir brutal qui irradiait
chaque fibre de son corps. Encore un peu, et il perdrait tout contrôle. Il rejeta la tête enarrièreetpritsonvisageencoupedanssesmainspourmieuxlaregarder.—Rienn'achangé,dit-il.Tumefaistoujoursperdrelespédales.Elleréussitàsourireetàrefrénerletremblementquimenaçaitdel'anéantir.—Tucrois?letaquina-t-elle.LesouriredeRicks'estompa tant ilbrûlaitde laposséder,aupointqu'il s'étonnaitdene
passeconsumersurplace.—Combiendetemps...?Ellel'interrogeaduregard,perplexe.—Combiende tempsavantqu'onpuisse faire l'amour?acheva-t-il sans s'embarrasserde
périphrases.Elleeutcesouriremalicieuxqu'ilaimaittant.—Droitaubut!Tuneperdspasdetemps.—Celafaithuitans,Joey!rétorqua-t-il,lagorgesèche.Jen'aiplusuneminuteàperdre.Joey!Ilétaitleseulàluidonnercesurnom.Celaluirappelaunefouledesouvenirs...—Bientôt,dit-elle.Trèsbientôt.Lemédecintrouveque jemerétablis trèsvite.Certaines
femmespeuventlefairedeuxsemainesaprèsl'accouchement.Ilcaressasescheveux,neserésignantpasàlalaisseraller.—Deuxsemaines!soupira-t-il.—Celapeutprendreunpeupluslongtemps,prévint-elle.—Celamesembledéjàlong!Il déposa un baiser sur son front, la retenant pressée contre lui. Son corps, en alerte,
protestaitcontrelafrustration.Eh!seraisonna-t-il,qu'étaientdeuxoutroispetitessemainescomparéesàhuitansd'attente?Illalâcha,repoussasachaisesouslatableetsepréparaàs'éloigner.S'ilrestaitprèsd'elle,
ilnerépondaitderien.Elles'étonna.Quefaisait-il?Allait-ill'abandonneraumilieududîner?—Rick,oùvas-tu?—Prendreunedouchefroide.Lapremièred'unelonguesérie,j'enaipeur!Iltournalestalons,fitbrusquementdemi-touretluiplantaunbaisersurleslèvres.—Ledernier.Pourlaroute.Ademain.—Demain?—Ladoucherisquedeseprolonger.Quantàtoi,terminetranquillementtonrepas.Situne
faispashonneuràtonplatpréféré,MmeRutledgeleprendracommeuneinjurepersonnelle.Elles'estdécarcasséepourtefaireplaisir!Encoresouslecoupdel'émotion,ellen'avaitpasgrandappétit.Leuréchangeavaitremué
tropdechosesetranimé,sibesoinétait,sondésirdelui,desaprésence.—Tun'aspasterminé,fit-elleremarquerendésespoirdecause.—Elleal'habitude,rit-il.Avecunclind'œil,ilajouta:—M'estavisquetudevraisreprendredesforces!Surcesmots,ilquittalasalleàmanger,lalaissantseuledevantsonassiette,enproieàdes
penséessingulièrementexcitantes.Ricksortitdeladouchecommeunnoyéquisortdel'eau.Ilavaittentéàgrandsjetsd'eau
froide de calmer son corps échauffé mais aussi sa colère contre ses parents – et, plusparticulièrement,contresonpère.Si seule samère s'était vantée d'avoir corrompu Joanna, il ne l'aurait pas crue et aurait
cherchéàconnaître le finmotde l'histoire. Il savaitqu'ellen'appréciaitpas la jeune filleetqu'ellesouhaitaitpoursonfilsquelqu'un«de leurmonde»,sansqueRickd'ailleurssachetrèsbiencequ'elleentendaitparlà.Poursonpère,c'étaitdifférent.Ils'étaittoujourstenuendehorsdescombinesdesamère.
Ilapprouvaitcertaineschoseset fermait lesyeuxsurd'autres.Iln'avaitpaseu,à l'égarddeJoanna, lamêmeattitudeméprisante,dueaufaitquesafamillen'appartenaitpasaugratindeBedford.Rickpensaitmêmequesonpèreauraitpuenveniràl'apprécier.C'estpourquoi,quandilavaitfaitfrontavecsafemmeetluiavaitmontrélechèque,signéparJoanna,Rickn'avaitpaseudedoutes:elles'étaitbeletbienlaisséacheter.Ilétaitd'autantplusdéçuque,récemment,ils'étaitrapprochédesonpère,quelesrelations
entre eux avaientperdude leur froideur. Il avait été trèsprésent auprèsde lui lorsde sonattaque...Pourquoicethomme,qu'ilcroyaithonnête,avaitentérinélagrossièremachinationdesonépouse?Est-cequetout,danssavie,n'étaitquemensonge?Furieux,ilsefrottalescheveuxvigoureusementavecsaserviettequ'ilenroulaautourdesa
taille,etsortitde lasalledebains.Puis, ilappelasonpèresursonportable.Ilattenditune
vingtaine de sonneries avant qu'une voix artificielle lui dise que le numéro n'était pasdisponible.Ils'habillarapidementet, lescheveuxencorehumides,descenditdanssonbureau.Là,en
dépitdel'heuretardivesurlacôteest,ilcomposalenumérodelarésidencedeFloride.C'étaittropurgentpourattendrelelendemain.Ilobtintlerépondeuret,frustré,criapresque:—Papa,situeslà,décroche.Ilfautabsolumentquejeteparle.C'estimportant.Ilallaitraccrocheravecunjuronbiensentiquandonluiréponditenfin.—Richard?Quesepasse-t-il?Unproblèmetouchantlenouveausiègesocial?Rickresserralesdoigtssurlecombiné.—Cequi sepasse?dit-il avecun rire grinçant. Je vais te le dire. Il sepasseque tum'as
menti!Ilyeutunsilenceembarrassé.—Richard?Tuasbu?Ricksepassalamaindanslescheveuxetsemitàtournerautourdesonbureau.—Non,dit-il.Jen'aipasbu.Jen'airienvu,nonplus.—Explique-toi.Jenecomprendspas.— Moi non plus. Je peux, à la rigueur comprendre que maman m'ait menti. Elle ne
supportaitpasqu'on échappeà son contrôle, que ce soit toi oumoi.Maisque toi, tu aillesjusqu'à faire un faux, jusqu'à imiter la signature de Joanna, alors que tu savais que celadétruiraitmavieetmonbonheur...IlyeutunsilenceencorepluslongavantqueHowardMastersneserisqueàdemander:—Commentas-tuappris?Quesonfilsdécouvrelavéritélesoulageait,aufond.Iln'avaitjamaispuoubliersongeste
et,aufildesannées,c'étaitdevenuunsecretdeplusenpluslourdàporter.C'étaitcommesionluiretiraitunpoidsdelapoitrine...Rickfutsurprisquesonpèrenecherchepasànier.Devait-illuiensavoirgré?—J'aifaitcequej'auraisdûfaireilyahuitans.Jesuisallélavoiretluiparler.Howards'étaitpréparéàcetteéventualitédepuisqu'ilavaitprisladécisionderapatrierle
siègesocialàBedford.Unefaçoncommeuneautredeservirledestin?—Jesuiscontentquetoutsoitclair,dit-il,espérantquesonfilscroiraitensasincérité.—Content?demandacelui-ci,intrigué.Il refrénait à grand-peine l'envie de hurler dans le combiné. Il ne voulait pas queMme
Rutledgel'entende.Bienqu'ellefassepartiedelafamille, ilpréféraitqu'elleresteendehorsdecettetristehistoire.—Pourquoinem'as-turiendit?Toutescesannéesoùnousavonstravaillécôteàcôte?—J'aiessayé,ditHoward.Aplusieursreprises.C'étaitvrai.Torturéparleremords,ilavaitmaintesfoisprislarésolutiondetoutrévélerà
sonfils.Etmaintesfoisreculé.—Ilyavaittoujoursquelquechosequivenaitinterférer...—Quoi?fitRick.Qu'est-cequiavaitempêchésonpèredeluiparler?Surtoutdepuislamortdesamère.—Quesais-je?Lesaffaires...Ilhésitapuisavoua:—Lapeur.Tuterapprochaisdemoietj'enétaisheureux.J'aieupeurdeteperdre.Avant,
c'étaitlapeurdelaréactiondetamère.Celaauraitpuprovoquerundésastre...—Celafaittroisansquemamanestmorte.—Jesais.Maistuparaissaissatisfaitdetavie.Tuavaisl'airheureux.
—Situveuxtoutsavoir,ditRickplusfurieuxquejamais, jen'aipasconnudemavieunseuljourdebonheur–saufavecJoanna.—Sicelapeuttesatisfaire,ditHoward,jeteprésentemesexcuses.Ilsoupiraetreprit:—Depuismonattaque,j'aitentéplusieursfoisdeteparler.Envain.J'aialorspenséquele
mieuxétaitdeteforceràreveniràBedford.Jesavaisqu'elleyhabitaittoujoursetjemesuisditqu'unjouroul'autre,vousvousrencontreriez...Rick, qui aurait préféré rester en Géorgie, comprit soudain pourquoi son père avait
tellementinsistépourqu'ilprenneladirectiondesopérations.Statistiquesàl'appui,Howardluiavaitdémontrélebien-fondédutransfertetluienavaitdéléguétoutelaresponsabilité.Ilsentitsacolères'apaiser,s'assitàcalifourchonsurunechaiseetrépliqua:—Celanetedédouanepaspourautant!— Je sais. Cela prendra du temps. J'espère en avoir assez devant moi pour obtenir ton
pardon.Aprèssonattaque,sonpèreavaitbrutalementprisconsciencedelafragilitédelavie.Ilse
savait menacé. C'était un changement total chez lui; il avait toujours paru certain de sonimmortalité...Rickcrutentendreunevoixféminineappelersonpère.—Quelqu'unestavectoi?—Oui.Quelqu'unquim'afaitcomprendrequejen'auraispasdûmemettreentraversde
ton bonheur, même si ta mère était persuadée que cette fille n'était pas celle qui t'étaitdestinée.—Cettefilleaunnom,repartitRicksèchement.Tupeuxdire«Joanna».Ilobservauneminutederéflexion.Ilneluiétaitjamaisvenuàl'idéequesonpèrereferait
savie.Aprèsdesannéesdifficiles,c'étaitlemoinsqu'onpouvaitdire,avecsamère,ilauraitcruqu'ilseseraitgardécommedelapested'unenouvellerelation.—Comments'appelleta...compagne?—Dorothy, réponditHoward avec un sourire dans la voix.Un jour, peut-être, ajouta-t-il
gravement,tumepardonneras.Jel'espère.—Peut-être...Paspourlemoment,entoutcas!Ilavaitbesoindetemps.Pourdigérertoutcequivenait
desepasser.Pourretrouverunsemblantd'équilibreetdenormalité.Pourmettredel'ordredanssavie.—...onenreparlera,conclut-il.Ilreposal'appareiletdemeuralongtempsimmobile,lesyeuxdanslevague,àserepasserle
filmdelaconversationqu'ilvenaitd'avoiravecsonpère.Unenfantquipleure.Rick,réveilléensursaut,seredressadanslefauteuiloùils'étaitendormi.Commetoujours
quandquelquechoseletracassait,ils'étaitplongédansletravail.Celal'avaitsauvé,huitansauparavant.Il avait la gorge sèche et se leva pour détendre sesmuscles ankylosés. Le lourd registre
posésursesgenouxatterritsurletapis,etilsepenchapourleramasser.Lesvagissementscontinuaient.LebébédeJoanna.Joanna.Ilposaleregistresursonbureauetquittalapièceaprèsenavoiréteintleslumières.Il se dirigea vers l'arrière de la maison, là où se trouvaient la chambre de Joanna et la
nursery.Lelongduparcours,ilnecessaitdes'enétonner:Joannaétaitlà,soussontoit,avecunenfant,aprèstoutescesannées.Unpeuperdu,ilétaitpartagéentrecebonheurinattenduetunvaguesentimentdemalaise.Probablementdûà lasoudainetéetà lanouveautéde lasituation...Làaussi,ilfallaitdonnerdutempsautemps.Ilfrappaàlaporteet,n'obtenantpasderéponse,tournalapoignée,lentement,désireuxde
semontrerdiscret,denepass'imposer.Pourluimontrerqu'ilétaitlàencasdebesoin.Que,cette fois, tout se passerait bien entre eux. A ses yeux, c'était la première démarche quis'imposait.Ensuite, il l'aiderait à gérer la situationdifficile dans laquelle elle se trouvait, àreprendrepied.Elle était près de la fenêtre. La lune et une petite lampe dans la nursery nimbaient la
chambred'unelumièreirréelle.Elleportaitlachemisedenuitqu'illuiavaitofferteet,àcettevision,ilsentitsonestomacsenouer.Leluxueuxvêtementdedentellenoirereprésentaitdesannéesdefantasmesdéçus.Leclair
delunejouaitàtraversletissuaérien,révélantassezdesoncorpspourqu'ilsoitlaproied'unviolentdésir...Elleavaitdénouésescheveuxquiluiretombaientsurlesépaules,endésordre.Ileutenvie
d'y passer lamain, de caresser sa nuque, ses épaules, de s'approprier ce qui, autrefois, luiavaitappartenu...Devait-ilseretireravantqu'ellenes'aperçoivedesaprésence?Illavitserrerl'enfantcontre
elle, s'efforçant de la calmer. Sans succès. Lamère et le bébé lui parurent avoir besoin deréconfortetildemandadoucement:—Qu'est-cequinevapas?Elletressaillitetseretourna:ellenel'avaitpasentenduentrer.—Désoléedet'avoirréveillé...Ilsouritets'avança.—Tunem'aspasréveillé.C'estlebébé.Pour Joanna, elle et sonbébéne faisaient encore qu'un tout indissociable, surtout en ce
moment où ses penséesn'étaient pas très claires.Rachel l'avait tirée d'un cauchemardanslequel les parents deRick, plus grands quenature tels les procureurs duprocèsd'Alice aupaysdeMerveilles,luirépétaientavecunemêmeduretéqu'ellen'étaitpasfaitepourleurfils,qu'ellecauseraitsonmalheur.Apparemment,unepartied'elle-mêmecroyaitencorecequ'onluiavaitbrutalementasséné,huitansauparavant.—Désoléequandmême...—Iln'yapasdequoi.Ilregardalatoutepetitefilleaccrochéeàl'épauledesamère.—Celafaitlongtempsqu'ellepleure?—Unbonmoment.Elle avait tout essayé et se désolait que l'enfant ne veuille pas se rendormir. Aurait-elle
oubliéquelquechose?Elleavaitl'airfatiguée,pensa-t-il.D'unemainlégère,ilécartasescheveuxdesonvisage.—Veux-tuquej'aillechercherMmeRutledge?—Non,dit-elleaussitôt,plusvivementqu'ellel'avaitvoulu.Ellebaissaletonetpoursuivit:—C'estàmoidemedébrouilleravecmafille.Si,àlapremièredifficulté,jebaisselesbras
etm'endéchargesurquelqu'und'autre,quelgenredemèreserai-je?Quelqu'un commemamère, songeaRick. Il n'endit rien, car les deux femmesn'avaient
rienencommun;lacomparaisonauraitperturbéJoanna.
—Unemèrequiaccepted'êtreaidée.Certes,elleétaitfatiguéeetbouleverséeparlescrisdeRachel.Maisilfaudraitbienqu'elle
s'yhabitue.Elle acquerraitde l'expérience,décrypterait le langagede sonbébé.«Personnen'alascienceinfuse»,disaitsamère,cequiétaitparticulièrementvraipourunefemmequienétaitàsonpremierenfant...—MmeRutledgeatoutfaitpourmoidepuisquej'aifranchileseuildecettemaison.Ellea
besoindesereposer.—Toiaussi.Tul'aschangée?—Evidemment.Elles'avisaqu'ilessayaitd'êtreutileetrepritsuruntonmoinsacerbe:—Jel'ainourrieetchangée.—Donne-la-moi.Jevaislapromenerenlaberçant.Lechangementdebras,celapeutaider.Iltendaitlesmainsverslebébé.Ellehésitauneseconde,nevoulantpassedéchargersur
luidesaresponsabilité.—Ilesthorriblementtard...Tudevraisêtreaulit.Ilhaussalesépaulesetrepartitd'untonléger:—Personnenem'yattend.Unpeudecompagnienemeferapasdemal.Sans attendre sa permission, il lui prit le bébé des mains et se mit à marcher dans la
chambre.— Ne t'inquiète pas, Joey. Je ne vais pas la laisser tomber. Souviens-toi que j'ai été le
premieràlatenirdansmesmains.Demauvais gré, elle le laissa faire, étonnée qu'il se préoccupedu bien-être de son bébé.
C'étaitunechosequ'ellen'auraitjamaisimaginée.Celaluifitréaliserqu'elleavaitbeaucoupàapprendreàsonsujet.—MmeRutledgem'aditquetuluiavaisdonnélebiberon,cetaprès-midi.—MmeRutledgeferaitmieuxdesetaire.—Ellet'adore.—C'estréciproque,affirma-t-ildufondducœur.Lebébésecalmait.Ricks'assitdanslerocking-chairetdésignalelitouvert.—Jem'occupedeBébéRachel.Profites-enpourt'allonger.—Tun'espasobligédefairetoutcela...Elles'allongeasurlelitets'appuyasurl'oreiller.—...Jeveuxdire,cen'estpascommesituétaislepère.LeursregardssecroisèrentetRickrépondit:—Exact.Toutefois,j'auraispul'être...Bah!ajouta-t-ilensouriant,assezdiscuté.Tun'auras
paslederniermot.Repose-toi.—D'accord,admit-elle.Quelquesminutes.Elle s'endormit en regardant Rick bercer l'enfant, assis dans cemême fauteuil oùMme
Rutledgel'avaitbercé,lui.Sadernièrepenséefutquecettecontinuitéétaitdebonaugure,àl'oréed'unenouvellevie.
7.LetéléphoneportabledeRicksonnaaumomentoùilmontaitenvoiture.Si,pourfaireplaisiràsonpère,ilseservaitdelaMercedespourserendreaubureauetnon
desaMustang,cen'étaitlàqu'uncompromis.HowardMastersauraitpréféréqueRickafficheunstandingdigneduvice-présidentqu'ilétaitenusantdelalimousineavecchauffeurmiseàsadisposition.Rickavaitrefusé:ilentendaitrestermaîtredesesdéplacements.Ilchérissaittropsonindépendancepouraccepterdedépendred'unchauffeur.Leseultraitdecaractèrequ'ilaitdesamère,probablement...D'unemain,ilmitlecontactet,del'autre,ouvritletéléphone.—Masters.—MonsieurRick,NadineRutledge.Ellen'avaitpasbesoindes'annoncer.Personnenel'appelait«M.Rick»etpersonnen'avait
celégeraccenttraînantduSud!Il redouta le pire. Sa gouvernante ne l'appelait jamais qu'en cas d'extrême urgence. La
dernièrefois,c'étaitpourluiapprendreledécèsdesamère.Serait-ilarrivéquelquechoseàJoannaouaubébé?Sonestomacsenoua.—Quesepasse-t-il?Unproblèmegrave?MmeRutledgenesedépartitpasdesoncalme.—Jenesaispassic'estgrave,maismissJoannaestpartie.—Partie?Commel'autrefois?Définitivement?Ilcrutquesoncœurs'arrêtaitdebattre.—Partieoù?—Chezelle.Danscequ'ilenreste.Soulagé, il respira à fond. Qu'était-elle allée faire là-bas? Il lui avait décrit l'état de sa
maison et lui avait rapporté ce qu'il avait trouvé d'important : son sac, ses papiers et sescartes de crédit; qu'avait-elle besoin de s'y rendre?A tout lemoins, pourquoi ne pas avoirattenduqu'ilpuissel'yconduire?—J'imaginequevousavezessayédel'endissuader?—Jeluiaiditqu'ellenedevraitpasyallertouteseule.Autondesavoix,ilcompritqu'ellenes'étaitpassentiledroitd'empêcherJoannadefaire
cequ'ellevoulait.—Jeluiaidonnémonportable,ajouta-t-elle.Unefaçoncommeuneautred'assurerlasécuritédelajeunefemme.Comment s'y était-elle rendue? Avait-elle emprunté sa voiture? Etait-il prudent qu'elle
conduise,sitôtaprèsl'accouchement?Ilsesouvenaitl'avoirentendudirequeledocteurluiavaitrecommandédenepasprendretoutdesuitelevolant.—N'est-cepastroptôtpourqu'elleconduise?—Non.Celafaitbientôtdeuxsemaines.Detoutefaçon,elleaprisuntaxi.Iljuraàvoixbasseetconsultasamontre.Ilavaitrendez-vousavecl'architectedunouveau
bâtimentMastersdansunedemi-heure.Bah,ilprendraitsonmalenpatience!LasécuritédeJoannapassaitavantlesplansdesbureaux.—Pouvez-vousappelerCéliaetluidirederepoussermonrendez-vous?Deuxheures,dans
monbureau,cetaprès-midi?—Comptezsurmoi.—Parfait.Merci.Ilfermaletéléphoneetlelançasurlesiège,àcôtédelui.
Cen'était pas bonpour Joannad'aller là-bas.Constater l'ampleurdesdégâts, voir de sesyeuxl'étatcatastrophiquedecequiavaitétésamaisonnepouvaientqueluifendrelecœur...Cesdeuxdernièressemaines,elles'étaitattachéeàapprendresonrôledemère.Elleavait
eul'airdesedonnerentièrementàsesnouvellesobligations.Misàpartunrendez-vousavecl'assureur,ellen'avaitpasmentionnésamaison;ilavaitcruqu'elleavaitsurmontél'incendieetsesconséquences.Apparemment,cen'étaitpaslecas.Cela lui fit comprendrequ'il ne savait rien, en fait, de cequi sepassait dans sa tête.Lui
était-elledevenueétrangère?Cependant, ces derniers jours, en dépit du travail considérable qui lui incombait en tant
que futur président de la compagnie, il avait réussi à rentrer assez tôt à la maison. A samanière, il s'étaitmêlé à la vie de lamère et de l'enfant, soit en prenant unepart active àcertainestâches,soitensecontentantd'assisteràlanaissanced'unerelationprivilégiéeentreJoannaetsonbébé.Toutcelaétaitnouveaupourlui.Quandilsétaientensemble,iln'avaitjamaisenvisagéleur
vie souscetaspect. Il s'étaitvuemmenantJoannaauxquatrecoinsdumondepoury fairel'amour sous les palmiers et participer à la vie de la jet-set qui était la sienne. Une viecosmopolite,excitante,imprévisible,oùl'ennuin'avaitpassaplace.L'idéed'avoirdesenfantsnel'avaitquevaguementeffleuré.Plustard.D'aprèssesparents,
lesenfantsétaientunesourced'ennuis.Toutjustes'ilsnevousgâchaientpaslavie!Or il découvrait qu'il n'en était rien. Que les bébés pouvaient être une source de joie.
ParticiperàlaviedeJoannaetdesonbébéle...recentrait.Ilsesurpritàvouloirêtreplusqu'unsimplespectateur,àsouhaiterfairepartieintégrante
decetterelation.Etait-ce l'attrait de l'inconnu? Allait-il perdre tout intérêt dès lors que la routine
s'installerait?Tout en conduisant la luxueuse voitured'unemain sûre, il réfléchissait. Il n'étaitplus le
jeunehommed'ilyahuitans.Ilavaitchangésousbiendesaspects,loindeJoanna,desoninfluence.Demêmequ'elleavaitchangé–commeentémoignaitcedésird'enfantsanspère.Lesdeuxmoitiéspouvaient-ellesserejoindremalgrécetteévolution?Bonnequestion.Sansréponse.Impossiblede savoir.Cequ'il savait, c'est qued'aller revoir cequi avait été samaison et
n'étaitplusqueruinesneluiremonteraitpaslemoral.Il accéléra, gardant unœil sur le rétroviseur au cas où la police s'aviserait de le suivre.
D'ordinaire,ilrespectaitleslimitesimposées.Aujourd'hui,ilpassaitlesfeuxàl'orangebienmûr...Ilralentitunpeu.Ilcouvritnéanmoinsladistance–fortrespectable–quileséparaitduquartierdeJoanna
enuntempsrecord.Pasdetaxiàl'arrêtdevantlamaison.MmeRutledgeseserait-elletrompée?Joannaétaitpeut-êtrealléevoiruneamieoufairedescourses.Récemment,elle luiavait
interdit de lui acheter quoique ce soit d'autre. Elle avait probablement décidé de sereconstituerunsemblantdegarde-robe.C'estalorsqu'illavit.Agenouxdans les gravats, ledos tourné, elle fourrageaitparmi les cendres. Il s'arrêta et
sortitdelavoiture.Perduedanssespensées,briséeparlechagrin,Joannaneremarquapassonarrivée.Uninstant,ilpensaàseretirerpourlalaisserfairesondeuil.Maisdelavoirainsiaccablée,
recroquevilléesurelle-même,l'émutauxlarmes.Pourquoidevait-ellesubircela?C'étaittrop
injuste.Ils'avança,hésitantentresemontrerindiscretetl'épaulerdanscetteépreuve.Qu'ellenese
sentepasseule.—Joanna?Ellesursautaettournaversluiunvisageruisselantdelarmes.Rickfutauprèsd'elleenun
clind'œil.Ils'accroupit,lapritdanssesbrasetl'aidaàserelever.—Qu'es-tuvenuefaireici?s'enquit-il,suruntondereprocheamical.Elles'adjuradecesserdepleurnicheretditunpeusèchement:—Il lefallait.Jem'inquiétaispourlecourrierquidébordaitdelaboîte.Lefacteurn'avait
pasmonadresseetnepouvaitpaslefairesuivre.Elledésignaitdumenton laboîteaux lettres,qu'elleavaitofferteàsamèrepourPâques.
C'étaitunereproductiondelamaisonqui,elle,n'avaitpassouffertdel'incendie.Il lui prit le visage entre sesmains et l'embrassa légèrement sur les lèvres.C'était de sa
faute.Iln'avaitpassongéàs'occuperducourrier.Unoubliimpardonnablequ'ilsepromitderéparerdanslesplusbrefsdélais.—Jen'yaipaspensé,avoua-t-il.Désolé.Ellesecoualatêteets'écartadelui.Mauvais,cela.Nepasprendrel'habitudedesereposer
sur luipour tout.Elleavaitchoisi savoie.C'étaitàelledeseprendreenmain,d'être forte.Sinon,lavieavaitvitefaitdevousrappeleràl'ordreetdevousenfoncerlatêtesousl'eau.—Tuasdéjàpenséàtellementdechoses.C'estàmoideprendremesresponsabilités.Pasà
toi.Illuipritlamain.—J'aienviedet'épargnercegenredesoucis.Celamefaitplaisir.—Jenesuispasunepetitechosefragile,tusais.Jepeuxmedébrouillertouteseule.Malheureusementpourelle,unsanglotluimontaàlagorge,démentantcesbellesparoles.
Ellesemorditlalèvreettentaderefoulerseslarmes.—Toutadisparu...,dit-elled'unepetitevoix.—Qu'est-cequiadisparu?Tessouvenirs?Ilssont là,danstamémoire,Joey,dit-ilen lui
posantundoigtsurlefront.Riennelesendélogera.Jamais.Ilavaitvoululadétendreenluidonnantsonpetitnomd'amitié;ilneparvintqu'àluiôter
toutsoncourage.Elleclignadespaupièrespourenchasserleslarmes,s'évertuaàrespireràfond, luttant pour semontrer à la hauteur. Elle fit appel à son sang-froid, son énergie defemmeseule,habituéeàredresserlatête.Envain.Tropdedramess'étaientsuccédédanssavieaucoursdel'annéeécoulée.Lamaladiedesa
mère;sondécès.Lamiseàpied,poliemaisferme,duconseild'administrationdesoncollège.Et,pourcouronnerletout,l'incendiequilaprivaitdesamaison,desonrefuge.Commesilesorts'acharnaitsurelle.Allait-il toujoursenêtreainsi?Nepourrait-elle jamaiss'accrocheràquelqu'un,àquelque
chose,êtreheureuse?Sansarrière-pensée?—Toutesmesphotosontdisparu,expliqua-t-elle.J'ai lesalbumsdemamèreparcequ'ils
étaientdanslabibliothèquedusalon.Maislesnôtres,lesphotosdenousdeux...Ellelevalesyeuxverslui,essayantdeserappelerdequoiilavaitl'airlapremièrefoisqu'ils
s'étaient rencontrés. Les cheveux plus longs et plus rebelles... Un petit air de révolte quis'étaiteffacéavecletemps.—...ellesétaienttoutesdansleplacarddemachambre.Leurs regards convergèrent vers ce qui avait été sa chambre. Pas trace de placard. Ne
restaientquelesmursnoircisparlafumée,dressésversleciel.
Ilnesutquedirepourlaconsoler,sachantcombienelletenaitàsesphotos,sonœuvre.Al'époque,ellemitraillaitàtoutboutdechamp,immortalisantsansrelâchesurlepapieruneattitude,ungeste,uninstantéphémère.—Oùsontlesalbumsdetamère?demanda-t-il.Aulieuderépondre,ellelepritparlamainet,par-dessuslesmonceauxdegravats,lemena
verslapartiedelamaisonplusoumoinsintacte.Celafaisaittoutdrôled'entrersansfrapperdanscequiavaitétélesalon...Joannasedirigeaverslebasd'unebibliothèquequiportaitdestracesdefuméemaisavait
l'air de ne pas avoir été touchée par le feu. Elle ouvrit les portes, révélant une collectionimpressionnanted'albums,classésparordrechronologique.Rickneputs'empêcherdesourire.—Tamèreétaitunefemmed'ordre,ondirait!—C'estvrai,ditJoanna,d'unevoixétranglée.Souslesyeuxétonnésdelajeunefemme,ilsepenchaetsortitlesalbumsunparun.—Quefais-tu?—Jelesemporteavecnous.Ilsserontainsiàl'abrid'éventuelspillards.Onnesaitjamais.
Ilssonttropprécieuxpourprendrelerisquedelesperdre.Elle savait qu'il faisait cela pour elle, uniquement, que lui-même n'attribuait pas
d'importanceàcegenredesouvenirsmatériels. Ilnegardaitaucunephoto.Elle l'embrassasurlajoue.—Merci.Ils firent plusieurs allers et retours jusqu'au coffre de la voiture. Avant de refermer la
portière,illança:—Autrechose?Ellesetournaverslamaisondévastéeetsoupira:—Tout!—Ehbien...Onrevientavecunsemi-remorque,d'accord?Ellerit.—Jeblaguais.Lesalbumssont laseulechose importanteque j'avaisàrécupérer.Enfin...
aprèslesfactures.Elleallaàlaboîteauxlettres,ouvritlapetiteporteetpritletasdecourrier.Elleledéposa
envracsurlesiègearrière,seréservantdeletrieràtêtereposée.—Qu'as-tufaitdetontaxi?—Jel'airenvoyé.Jenesavaispascombiendetempsj'allaisresteretjen'aipaslesmoyens
depayerdesheuresdetaxi.—Commentpensais-turentrer?—MmeRutledgem'adonnésonportable.Une foisaprèsm'êtrebienappesantiesurmes
malheurs,j'auraisappeléunautretaxi.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetlaserracontrelui.Celalaréconforta,mêmesielle
sepromitsilencieusementdenepass'habitueràtoujourscomptersurlui.—Jen'appellepas cela« s'appesantir sur tesmalheurs», remarqua-t-il.C'est tamaison,
celledanslaquelletuasgrandi.Ilestparfaitementnormalquetusoisbouleverséedelavoirdanscetétat.Un instant, elle s'abandonna au sentiment de paix qu'il lui communiquait. Les choses
allaients'arranger...Ellelevalatêteverslui.—Depuisquandes-tudevenusentimental?letaquina-t-elle.Le Rick qu'elle avait connu jadis avait été aimant et prévenant, certes; mais elle ne se
souvenaitpasqu'ilaitmanifestétantdecompréhensionpourlespetitsmalheursdelavie.Surlemêmeton,ilrépliqua:—C'estgrâceàunprogrammedeformationcontinuequelacompagnieamisenplaceet
qu'onm'aforcéàsuivre...Ilembrassatendrementsonfront.—Prêteàrentrer,outuveuxresterencoreunpeu?—Non.Tuasraison:l'essentielestlà.Et comme il l'avait fait plus tôt, elle se tapa la tempe du doigt.C'était là aussi, dans sa
mémoire.Et dans son cœur.Un cœur rempli d'amour pour le bébé qui l'attendait. Et pourRick.Elle s'abstint toutefoisde faire étatde ses sentiments.Unepetite voix intérieure tirait la
sonnetted'alarme,larappelantàl'ordre.Ilsn'étaientpluslesmêmes.Rienn'étaitpareil.Et,danslemêmetemps,elleavaitapprisànerienattendredelavie.Lameilleurefaçondenepasêtredéçue.Rick lui ouvrit la portière, ramassa son portable et attendit qu'elle prenne place. Il fit le
tourdelavoiture,s'assit,ajustalaceinturedesécuritéetmitlemoteurenmarche.Aprèsuncoup d'œil à sa montre, il décida que rien ne le pressait puisque son rendez-vous étaitrepoussé dans l'après-midi. Le travail pouvait attendre. Il eut alors une idée qui lui paruttomberduciel.—Quedirais-tud'allerfairequelquescourses?Elledétournalesyeuxdurétroviseurdanslequelelleavaitregardélamaisondisparaître.—Quedis-tu?Iltournaàdroite.—Unvieuxproverbem'estrevenuà l'esprit.Quelquechosedugenre :«Si tun'aspas le
moral,vafairelesmagasins.»Ilyasûrementduvrailà-dedans.Ilcherchaitàladistraireàtoutprix.—Onvat'acheterdesvêtements.Cequejet'aiprocurénesuffitpasàhabillerl'oiseau.Ilte
fautunevraiegarde-robe.Bien qu'elle le sût animé de bonnes intentions, il lui fallait mettre un terme à ces
libéralités.Grâceàlui,elleavaitrecouvrésescartesdecrédit;mais,enprévisiondel'avenir–Dieuseulsavaitcequ'illuiréservait!–,ellevoulaitrestreindresesdépensesaumaximum.—Jecroyaist'avoirditquejenevoulaisplusriendetapart?—Tul'asdit,eneffet.Iltournadenouveauàdroite,puisluijetaunregardencoin.—Jesuisdugenreobstiné.Celadit,cettefois,c'esttoiquichoisiras.Qu'enpenses-tu?Commeellenerépondaitpas,ils'inquiéta:—Fatiguée?—Non,non,fit-ellevivement.Ellesesentaitbeaucoupmieuxdepuisquelques jours.SiRachelnefaisaitpasencoreses
nuits,Joannaavaitprislerythmeetcommençaitàs'habitueràdormirparpériodes.—Ilfautquejerentrem'occuperdeRachel.Sicen'étaitquecela,cen'étaitpasunproblème.—Ne te fais pas de souci.MmeRutledge est absolument ravie de l'avoir pour elle toute
seule. Je vais l'appeler pour la rassurer sur ton sort et lui dire que nous rentrerons pourdéjeuner.Enréponseàlaquestionqu'illisaitdanssesyeux,ilajouta:—Ellem'aappeléparcequ'ellesefaisaitdumauvaissangàtonsujet.
Ellelevalessourcilsets'écria:—Jecomprendsmieuxpourquoietcommenttuassuoùj'étais!Elleenétaitpresquearrivéeàcroirequ'ilsurgissaitprèsd'elleaumomentvoulu,comme
parenchantement.L'idéed'allerfairequelquesachatsfaisaitsonchemin.Pourquoipas?Elleavaitréellement
besoindevêtementsdetouslesjours,simplesetpratiques.Commec'estellequichoisirait,elleneprendraitquelestrictnécessaire.Satisfaitedesadécision,elleappuyalatêtecontrelesiègeetdit:—D'accordpourlesmagasins.Cendrillon.OuJuliaRobertsdansPrettyWoman.C'étaitelle.Rick la traitait enprincesse.Après l'avoirmenacéede l'abandonner enpleinmilieude la
réserveforestièredeLosAngelessielleparlaitd'argent, il l'avaitfinalementemmenéedanslesboutiqueslesplushuppéesetlespluschicsdeNewportBeach.D'unœilsûr, il luichoisitunassortimentcompletdevêtements, lesunsfonctionnels, les
autres élégants, refusant d'écouter ses protestations. Elle aurait opté pour deux ou troischosespratiques,àportertouslesjours.Pourlui,l'argentnecomptaitpasetilfaisaitpreuved'unegénérositésanségale.Lerêvede
toutefemme...Généreux, il l'avait toujours été et l'était dans d'autres domaines... qu'elle se refusa à
envisager.Mieuxvalaitnepassefaired'illusions.Leréveilseraitmoinspénible.Elle dut presque le sortir de force de la troisième boutique avant qu'il ne la dévalise
complètement!Dieumerci,ilétaittempsqu'ilpenseàserendreàsonbureau.Detoutefaçon,onn'auraitrienpufaireentrerdeplusdanslavoiture.Lessacs,boîteset
autrespaquetss'empilaientsurlesiègearrièrejusqu'auplafond.—Jeprendsbonnenotedetouscesachats,dit-elleenmontantenvoiture.Ellemitsaceintureetajouta:—A ce rythme, ilme faudra aumoins trois ans demon salaire pourm'acquitter dema
dette.Asupposerqu'elleparvienneàconvaincre leconseild'administrationdesoncollègede la
réintégrer!Ricknevoulaitpasentendreparlerderemboursementetplaidasacause:—Laisse-moit'enfairecadeau.C'étaittroppourqu'elleaccepteetils'enrendaitcompte,maisiltentaitsachance.—Pasquestion,fit-ellefermement.Cen'estpasuncadeau.C'estcommesitum'achetais.Ilparutréfléchir,pritleboulevardMacArthuretsourit.—Situinsistes,onpourraitprocéderàunéchange...ungenredetroc.Ellesesentitémoustilléeparlasuggestioneteneutlachairdepoule.—Quelgenredetroc?Ilsouritdeplusbelleetditentraînantsurlesmots:—Jenesaispasencore.Jevaisyréfléchir.Qu'ilsfassentl'amourunjouroul'autreétaitdéjàprévisible,sedit-elle,etn'entraitpasen
lignedecompte.Or,ellesetarguaitdetoujourspayersesdettes.—Ceseraenespècessonnantesettrébuchantes,quetuleveuillesounon.Illuifitunclind'œil.—Onverra.Onenparlera.Nuldoutequ'ilsferaientautrechosequeparler.
8.Joannasesentaitbiendanssapeau.Heureusedereprendresavieenmain,denepasse
laisser manipuler comme un pion sur un échiquier. Avec chaque jour qui passait, sondynamismenaturelrefaisaitsurface.Ellepréparaitactivementl'avenir.Songynécologuel'avaittrouvéeresplendissante;illuiavaitassuréquetoutallaitbien;son
métabolismereprenaitun fonctionnementnormal.Ellen'avaitaucunsoucià se fairedececôté-là.Elle avait aussi rencontré son agent d'assurances. Seule, au grand déplaisir de Rick qui
auraitaimél'accompagner.Elleavaitaccomplitouteslesformalitésnécessairespourquelestravauxdesamaisonsemettentenroute.Enfin, elle avait pris rendez-vous avec le conseil d'administration du collège et s'y était
rendue,cetaprès-midi,l'estomacnoué,anticipantunerencontrehouleuse.ElleavaitétéreçueparAmandaRaleigh,laprésidente,etl'entretiens'étaitbeaucoupmieux
passé qu'elle ne s'y attendait. Mme Raleigh s'était montrée compréhensive – presquechaleureuse. Rien à voir avec l'attitude qu'elle avait eue quatre mois plus tôt; elle auraitvolontiers cousu,alors, la lettre « A » infamante sur les vêtements de Joanna, comme autempsdesSorcièresdeSalem!Toutcelaétaitdupassé.Lajeunefemmen'avaitpaseubesoindesebattrepourobtenirce
qu'ellevoulait.Unpostedeprofesseurl'attendraitàlarentrée.Aelledetenirlecoupjusque-là.Ellepensaitdéjààs'adresserauxagencesd'intérim...Bah!Elle trouverait bienquelque chose à fairepour subsister en attendantde reprendre
sonmétier.Oui,l'undansl'autre,sedit-elleenremontantl'alléedesMasters,elleétaitassezsatisfaited'elle-même.Unseuldomaineposaitproblèmedésormais;domainequenielleniRickn'étaientprêtsà
aborder.Qu'enétait-ildeleurrelation?AvantquelesMastersnes'enmêlent–etavecquelterriblesuccès!–elleetRickavaient
envisagél'aveniràdeux,pourtoujours.Aveclabelleinconsciencedestrèsjeunes,ilsavaienttoutsimplementprévudesemarierauprintemps!Et maintenant? Etait-ce toujours envisageable? Leur relation actuelle survivrait-elle à
l'éloignement,quandelleauraitregagnésamaison?Ellen'ensavaitrien.Sa seule priorité pour l'heure était d'assurer leur survie, à Rachel et à elle. Quant à son
avenirsentimental... lesimplefaitd'ypenserlamettaitmalàl'aise.Toutcommeelles'étaitsentie gênée chaque fois que ses amies lui avaientprésenté le parti idéal, « exactement cequ'iltefaut»!Lesunsaprès les autres, elle avait ainsi rencontréunekyrielled'hommes.Tous s'étaient
avérés... incompatibles. Il y avait toujours quelque chose qui lui faisait décliner un secondrendez-vous.Joanna était parfaitement consciente de ne pas jouer le jeu, de ne pas leur donner leur
chance. C'était plus fort qu'elle.Elle avait peur, elle que rien ou presque n'effrayait! Peurd'êtredenouveaudéçueetblessée.Au point que,mêmemaintenant, alors que son « idéal », celui qu'elle avait tant pleuré,
avaitrefaitsurfacedanssavie,ellen'étaitpascertained'oserselancer,d'avoirlecouragedes'exposerauxaléasd'unerelationamoureuse.Cen'étaitpassansmalqu'elleavaitsurmontésapremièredéception.D'ailleurs,sansl'aide
desamère,yserait-elleparvenue?Sansposerdequestions,RachelPrescottavaitcomprisla
décisiondesa fille,etmesurésondésarroi.Elle-mêmeenavait fait l'expérience.Ellesavaitcombienilétaitdifficiledesereprendreenmain,deretrouverledésirdevivrequandl'amourvous fait faux bond, quand vous avez le cœur brisé par le chagrin.Quoiqu'elle n'ait jamaisvitupéré contre celuiqui l'avait abandonnée, samère,Joannane l'ignoraitpas, avait étéaudésespoirlorsqu'ilavaitprislafuiteàl'annoncedesagrossesse.Disparuàtoutjamais.Songrand-père,fidèleàdesprincipesd'unautretemps,avaitposéunultimatumàsafille:
avorterouabandonnerlebébépourl'adoption.Commeelles'yétaitrefusée,ill'avaitchasséedechezlui.Le secretdeRachelPrescott résidaitdans l'amour, l'amourdesgens,de lavie,de sa fille
surtout.Ellel'avaitentourée,aidéeet,c'estgrâceàellequeJoannaavaitretrouvélecouragedevivreaprèssaruptureavecRick.Sanssamèreauprèsd'ellepour lasoutenir,ellenesesentaitpascapablederefairecette
expériencepérilleuseunenouvellefois.Aupointoùelleenétait,aveclaresponsabilitéde lapetiteRachel,ellepréféraitnepasprendrederisque.Lebien-êtredesafillepassaitavantsesétatsd'âme.Elles'interdisaitd'imaginercequipourraitêtre.EncequiconcernaitRicketleurrelation,
ellevivaitaujourlejour.Ensortantdelavoiture,unefoisrangéedanslegarage,ellevitlaMercedesgaréeauprèsde
laMustang:Rickétaitrentré.Elle se souvint être venue là, un jour que les parents de Rick étaient absents. A cette
époque, l'immensegarageétaitremplidesvoituresde luxequesonpèrecollectionnaitsanscompter.Une façon pourHowardMasters de faire étalage de sa richesse, de se donner del'importanceauxyeuxd'unecertainesociété.Actuellement,nerestaientquelesdeuxvoituresutiliséesparRicketsonpèrependantleursséjoursàBedford.Troisautresvéhiculesavaientrejoint la Floride, l'autre résidence familiale. Elle savait que, récemment, l'essentiel de lacollectionavaitétévenduauprofitd'associationscaritatives.AlasuggestiondeRicketavecl'accord de HowardMasters qui, d'aprèsMme Rutledge, avait pris conscience qu'il y avaitautrechosedanslaviequel'argent.Dommagequ'ilnes'ensoitpasrenducompteplustôt!Avecunemouederésignation,Joannareconnutquesaproprevoiture,unpetitcoupéde
villedemarqueétrangère,avaitl'airtoutàfaitdéplacéeaucôtédesautres.Ellefaisaitfiguredeparentpauvre,invitéchezdescousinsfortunéspourledînerdeNoël.Probablementcequ'elleauraitétésielleavaitépouséRick.Bizarrement,ellecomprenaitplusoumoinslesparentsdeRick.Comprenaitleurréticence
à introduire dans leur famille une belle-fille dont le père brillait par son absence et dontl'origineétaitobscure.Pasquestiondegénéalogieflatteuse!Les années, constata-t-elle, lui avaient apporté une vision différente des choses. Vision
dontelleseseraitbienpassée...Non, lesparentsdeRickn'avaientpaseuentièrement tort.Leur filsavaitunrôleà jouer
dans la communauté de Bedford, aurait des responsabilités sociales et mondaines. Enconséquence,lafemmequ'ilchoisiraitcontribueraitévidemmentàsonsuccès.Ilnepouvaitpass'encombrerd'une«bâtarde».Ç'auraitétéunhandicap.Unhommedesonrangsedevaitd'êtrefierdesonépouse.Unhandicap!Voilàcequ'elleauraitreprésentépourlui.—Quelquechosenevapas?Ellesursauta.Perduedanssespensées,ellen'avaitpasentenduRickentrerdanslegarage.
Elleseretournaetlevit,àcontre-jour,auréolédesoleil:l'imagemêmede«l'élu»!
Ellesourit.Aprèstout,pourquoipas?Non,sereprit-elleaussitôt.CeluiquiavaitprisenmainlesrênesdelafirmeMastersn'était
paspourelle.Mêmesilamaturitéqu'ilavaitacquiselerendaitencoreplusbeauàsesyeux,plusséduisant–pratiquementirrésistible.Acepropos,commentsefaisait-ilqu'ilnesoitpasmarié?Pastonproblème,sedit-elle.Ellechassadesonespritcespréoccupationsinopportuneset
réponditàsaquestion.—Non.Pourquoi?—Jet'aientenduerentrer.Netevoyantpasvenir, jesuisvenuvoircequi teretenait.Tu
n'aspasl'airenforme.Qu'est-cequec'estquecetteminesombre?—Jeréfléchissais.Il lui prit lementon et, lui faisant lever la tête, tenta de lire dans ses yeux. Elle gardait
beaucouptropdechosespourelle;elleneseconfiaitpascommeavant.—Aquoi?—Atout,àrien.Toutvabien.Jesorsd'unrendez-vousaveclaprésidenteducollègeetils
mereprennentàlarentrée.Illuipassalebrasautourdesépaules.—Tantmieux.Celaleuréviteradeseretrouveravecunprocèssurlesbras.Ellearquaunsourcil,intriguée.—Unprocès?Jen'aijamaismenacédeleurfaireunprocès.QuelquechosedanssavoixincitaRickànepasrévélerl'initiativequ'ilavaitprise.—C'estpourtantcequetoutlemondefaitdenosjours,repartit-ild'unairconvaincu.Joannalibérasesépaulesdesonbrasetleregardantbienenface.:—Serais-tuintervenu,parhasard?Lesas-tucontactés?Enyréfléchissantbien,MmeRaleighluiavaitsemblémalàl'aiseetpeut-êtreunpeutrop
vitedisposéeàlaréintégrersanscondition.—Jen'aicontactépersonneducollège,soutint-il.Elle le connaissait tropbienpour s'en laisser conter. Ilrestait dans le vaguepournepas
avoir à lui mentir vraiment! S'il n'avait contacté personne au collège, il en avait parlé àquelqu'un.Elleenétaitsûre.Ellesentitlacolèrel'envahir.—Aquias-tuparlé?—Jeparleàbeaucoupdegens,tusais,fit-ilavecunsourirecharmeur.Joannan'étaitpasd'humeuràselaissercharmer.—Aquias-tuparlédemoietdemasituation?Ileutungesteévasif.—Etbien,j'aidemandéàMmeRutledge...—Rick!l'interrompit-ellesèchement,lespoingssurleshanches.D'accord.Ellevoulaitsavoir.Etluin'avaitpasenviedel'embobiner.D'ailleurs,iln'avaitpas
hontedecequ'ilavaitfait.Riend'illégal.Cesonteuxquiavaienteutort.Paslui.—J'aidemandéàmonavocatdelesappeler,avoua-t-il.Elleauraitdûs'endouter.Furieuse,elleseretintdeluienvoyersonpoingdanslafigure–
étantdonnésongabarit,iln'auraitriensentietc'estellequiseseraitblessée.Maiscen'étaitpasl'enviequiluimanquait!—Grandsdieux,commentas-tupufaireunechosepareille?Pourquoiétait-elleencolère?Rickn'ycomprenaitrien.Ilfitappelàsonespritdejustice:— Joanna, ce qu'ils ont fait relève de la discrimination. A notre époque, une femme
enceinte,célibataire...
—Peutetdoitlutterpoursesdroits.Elle-même.Touteseule.Samères'étaitdébrouilléeetelleenferaitautant.Sansl'aidedepersonne.Quecroyait-il?
Quelafiertéetl'indépendanced'espritétaientréservéesauxriches?Ellerespiraàfondetconclut:—Maintenant,jenepeuxpasretourneraucollège.—Pourquoi?s'étonnaRick.Parcequej'aifaitcequetuauraisfait,tôtoutard?Jouait-illesidiotsoucherchait-ilàl'aliéner?—Parcequetul'asfaitàmaplace.Ill'observaattentivement.—Depuisquandas-tuprislagrossetête?Ilnecomprenaitvraimentrien!C'étaitunequestiond'estimepersonnelle,ets'ilnevoyait
pasladifférence...—Depuisquejesuisvraimentmoi-même,dit-elled'untrait,etquejetiensdeboutsurmes
deuxpieds.Etsachequejen'aipas«lagrossetête»!Elle ne voulait pas le peiner ni le vexer. Elle voulait lui faire entendre qu'elle lui était
reconnaissantedel'aidequ'illuiavaitapportéemaisquecelasuffisait.Elletenaitpar-dessustoutàresterautonome;ellen'étaitpasprêteàrenonceràsapersonnalité.Mêmepourlui.Elleseradoucitetexpliqua:—Jeneveuxpasquequelqu'und'autre sebatteàmaplace.Jeneveuxpasmemettreà
comptersur l'aidedequiconque.Jerefusedemettreneserait-cequelepetitdoigtdanscetengrenage...Ricknevoyaitpaspourquoiellenes'appuieraitpassurluipourdesproblèmesdecetordre.
C'étaitbeaucoupplusviteréglé.Toujoursaussiperplexe,ildemandaencore:—Pourquoi?Ilnevoyaitvraimentpas!s'énerva-t-elle.Ellepritsurelledeluimettrelespointssurles«i
».—Parcequesions'habitueàcomptersurl'aidedequelqu'unetquecetteaidevientàvous
manquer, on se retrouve démunie, perdue, sur le carreau. Bonne pour le compte! Etimpossibledeserelever.C'était comme si elle poursuivait un monologue intérieur, pensa-t-il. Il fut ému de
constaterqu'endépitdeleurévolutionpropre,àl'opposél'undel'autre,ilscontinuaient,elleetlui,deredouterl'abandon,ladésertion.Hélas,ilauraitpréféréqu'ilsaientautrechoseencommunquecetteangoisse!—Pastoi,Joey,dit-il, luipassantunemèchedecheveuxderrièrel'oreillecommeil l'avait
faitsisouvent...autrefois.Commealors,ellelafitretomberetilsourit.—Tuterelèvestoujours.C'estcequej'aitoujoursaimécheztoi.Elleavaitétédouceettendre,maisnes'étaitjamaisaccrochéeàlui,n'avaitpasdépendude
luipourypuisersonénergie.Aujourd'hui,ilauraitaiméqu'elleaitbesoindelui,desaforce.—J'aimaisbienaussiquandtumelaissaisfairedeschosespourtoi,ajouta-t-ildoucement.Ilpritsonjolivisagedanssesmains,désireuxdecaptertoutesonattention.—C'estbondesesavoirutile,Joey.C'estaussiimportantquedesesentirinvincible.Ellemitsesmainssurlessiennesetdégageasonvisagedesonemprise.—Jenemesenspasinvincible,protesta-t-elle.Jedésiremedébrouillertouteseule.C'est
tout.— Personne ne t'en empêche, répliqua-t-il, un peu agacé. Surtout pas moi. Je n'ai pas
menacéleconseild'administration.Jenelesaipasforcésàreprendreunprofesseurminable.
J'aivoululeurdémontrerleurerreuretfaireensortequ'ilsnesepriventpasd'unsuperprof!Necomprenait-ellepassesmobiles?s'indigna-t-il.C'estcequ'ilditmaintenant,pourse justifier,pensa-t-elle.Cen'étaitpascequ'ilavaiten
têtequandilavaitmissonavocatsurl'affaire.Non,c'étaitplutôt...unequestiondepouvoir.Histoiredemettresoninfluenceàl'épreuve.Lesgenscommelui,habituésàsefaireobéir,nesupportentpasqu'onnefassepasleursquatrevolontés.— Comment peux-tu affirmer que je suis un super prof? contra-t-elle. Tu n'as jamais
assistéàundemescours!—Parcequetuessuperàtousleségards...Il l'enveloppaitd'unregardtendrequiluifitchaudaucœuret...partoutailleurs.Aupoint
qu'elleenperdaitlefildeleurdébat.—...alors,pourquoineserais-tupassuperdansunmétierquetuadores?Elletentaderanimersacolère,maislecœurn'yétaitplus.—Tunemefacilitespaslatâche,grommela-t-elle.—C'estlebutdel'opération...—Necomprends-tupas...Rick,passantlesmainsautourdesataille,l'interrompit.—Celaparaîtbêteàdire.Maissais-tuquetuestrèsbellequandtuesencolère?Ellesoupira,sentantsoufflerleventdeladéfaite.—Rick...Sansparaîtres'apercevoirdel'interruption,ilpoursuivit,commes'ilseparlaitàlui-même:—Cequin'ariendesurprenantpuisquetuesmerveilleusementbelleaunaturel–quand
turis,quandtuesdétendue...Il était franchement insupportable!Et irrésistible. Elle sentait la chaleur de son corps la
gagner,secommuniquerausien.Elletentaunderniercombatd'arrière-garde:—Rick,écoute...Ilhochalatêteetdéposaunbaisersursonfront.—Désolé.Net'attendspasàcequejeteprésentedesexcusespouravoirfaitcequej'estime
normal.S'écartantdelui,ellelevalesbrasauciel.—Richard!C'estpourtantsimple!Arrêtedem'acheterdeschoses,demebrutaliser,deme
forcerà...— Brutaliser? s'indigna-t-il. Je n'ai jamais brutalisé personne. Je serais plutôt du genre
Lancelot,chevaleresqueendiable,non?—EtjeseraisGuenièvre?Illuisouritetl'attiraverslui.—Oui.Ellesecoualatête.—Jerefused'êtreGuenièvre.Sonhistoires'esttropmalterminée.Ilfitsemblantderéfléchir.—JenetevoispasenMerlin.Tuesbeaucouptropjolie...C'étaitcommes'ilsseretrouvaientdesannéesenarrière,assissurleporchedelamaison,
entraindeseraconterdeshistoires.—Bon.Quiveux-tuêtre?—Moi,Rick.Uniquementmoi.Ilapprouvadelatête.—Bonnepioche.Jesuisentièrementd'accord.
Lamainsursataille,illafitavancerverslaporteintérieuredugarage.—Viens.J'aiquelquechosepourtoi.Elleeutunsoupirdecontrariété.—Jet'aiditquejenevoulaisplusrien!—Etmoi jedisque tues la femme laplusdifficileà satisfaire! Impossiblede te faire le
moindrecadeausansquetuprotestes!Mais,soisrassurée,cequit'attendnem'ariencoûté.Jelejure.Ilavaitprislapose,jurantsolennellement,lamainsurlecœur.—Tul'asvolé?ironisa-t-elle.—Non.Jel'ai...déterré.Il ouvrit laporte et la laissapasser. Il avait réussi àpiquer sa curiosité,mais, avant, elle
voulait voir Rachel. Dès qu'elle s'éloignait quelques heures, sa fille lui manquait; et elles'inquiéta de ce qui allait se passer quand elle recommencerait à travailler. C'était un desinconvénientsdesachèreindépendance...—Jevaisd'abordvoirRachel,dit-elle,avantquetume...couvresdecadeaux.—Jet'accompagne.—Situveux.Necroispaspourautantquej'aienterrélahachedeguerre.IlsfurentaccueillisparMmeRutledgequi,venantàleurrencontre,avaittoutentendude
leuréchangeetn'enfitpasmystère.—Jemedemandaissijedevaisdécrocherlesépéesetm'apprêteràservird'arbitre!Ellefaisaitallusionauxépéesdesamouraïquidécoraientlemur,au-dessusdelacheminée
dusalon.—Comments'estpassévotrerendez-vous?demanda-t-elleàJoanna.Celle-cilançaunregardenbiaisàRicketrépondit:—Toutdépenddelapersonneàquivousposezlaquestion.JoannacomprenaitqueRickavaitvoulul'aider.Beaucoupdefemmesdanssoncasauraient
étéraviesdel'avoirdansleurcamp.Leproblème,pourelle,étaitqueRickl'enfermaitdanscecamp, qu'il érigeait autour d'elle des barrières de protection et qu'elle se sentait coincée,séquestrée.—Vousyverrezplusclairdansquelquetemps,ditlagouvernante.Commeilssedirigeaientversl'arrièredelamaison,ellelesavertitavantdes'éloigner:—Jeviensderecoucherlebébé.Nelaréveillezpas.Joannahochalatête.—J'enviensàmedemandersiRachelestbienmafille...—MmeRutledgeestpeut-êtreunpeutropprotectrice,admitRick.Ilsemblequ'ellenesoit
paslaseuledanscettemaison...,ajouta-t-ilavecunsourireambigu.Rachel dormait et Joanna, quoique déçue, n'eut pas le cœur de la réveiller. Penchée au-
dessusduberceau,ellesesentitémued'êtremère,d'êtreresponsabledelavenueaumondedecetteminusculecréaturequ'elleavaittantdésirée.—Elleteressemble,murmuraRickàsonoreille.Ellesentitsonsoufflesursoncouetseretintdefrissonner.—Maisnon.—Si.C'esttoutàfaittoiquandtuétaisbébé.Elles'écartaduberceaupournepasréveillerl'enfant.—Commentpourrais-tulesavoir?—J'airegardélesalbumsdetamère,hiersoir,dit-ilenluifaisantsignedelesuivrehorsde
lanursery.
—Qu'est-cequit'apris?Ilrefermalaporteavantderépondre.—Simplecuriosité.IlsfirentquelquespasdanslecouloirpuisRicks'enquitàbrûle-pourpoint:—Tunevaspasrejeterlepostequet'offrelecollègeuniquementparorgueil?Elles'arrêta,choquée.—Orgueil?Qu'est-cequemonorgueilvientfairelà-dedans?—Tout.C'estparorgueilquetuasdécidédetoutfairetouteseuleetqueturefusesl'aide
qu'onpeutt'apporter.Tuastort,Joanna.Toutlemondeabesoind'aide.Elleavait vu samère sebattrepour les fairevivre etpersonnen'avaitproposéde l'aider.
Jamais elle ne s'était plainte, et, très tôt, Joanna en avait tiré la conclusion qu'il ne fallaitcomptersurpersonned'autrequesoi-même.—Pasdemonpointdevue.Ilinsista:—Onn'obtientriendanslemondesansrelations.Etlasolidarité,çaexiste,tusais.Toi,tu
tedrapesdanstadignité,refusanttouteintervention.Riennepeutt'enfairedémordre.Têtuecommeunemule!Ellefronçalessourcils.—Cequiveutdire?Ileutunlargesouriremalicieux.—Quecelam'estégal.J'adorelesmules.Illuibaisalatempepuis,entrelaçantsesdoigtsauxsiens,murmura:—Viensvoircequej'aiàtemontrer.
9.Ils n'avaient pas fait trois pas en direction de l'escalier que le mobile de Rick se mit à
sonner.Commeilfeignaitdenepasentendre,ellelerappelaàl'ordre:—Ondiraitquequelqu'unnepeutsepasserdetoi.Ilsoupira,peuenclinàrépondre.—Ilfautquejepenseàl'éteindre,dèsquejerentreàlamaison.— Tu oublies le téléphone fixe, ton fax, tes e-mails, remarqua-t-elle, sachant qu'il avait
aménagéunepiècedelamaisonenbureau.Tun'yéchapperaspas.S'ilsveulenttejoindre,ilsyparviendront.Elle avait évidemment raison. Quand on prenait certaines responsabilités, il n'était plus
questiondeleséviter.Ilespéraquel'appelseraitbrefetqu'ilpourraitrecouvrerrapidementsaliberté...Pardiscrétion,Joannas'éloignait;illuifitsignederester.—Masters,dit-ildansl'appareil.Il écouta la voix de son correspondant et Joanna vit son visage s'assombrir
progressivement.—Pierce,est-cequetunepeuxpasréglercelatoutseul?s'agaça-t-ilàunmomentdonné.Apparemment,Pierceréponditparlanégative.EllevitlessourcilsdeRickserapprocherau
pointdeneformerqu'uneligne–laquelleauraitfaitlajoied'unsculpteur.—Bon,entendu.J'arrived'iciunevingtainedeminutes.Ilrefermaetremitlemobiledanssapoche,l'airplussombrequejamais.—Jesuiscontraintdem'absenteruneheureoudeux.Joanna n'en fut pas surprise. Depuis qu'elle était venue vivre chez lui, elle s'était rendu
comptequ'ilétait legrandpatrondelacompagnie,passeulement lebrasdroitdesonpère.Toutes les décisions relevaient de son autorité. Constamment sur le qui-vive, même etsurtoutquandilrentraittôt:ilenprofitaitpours'enfermerdanssonbureauettravailleraucalme.—Quandfautyaller, fautyaller,dit-elle, taquine.Ou,commedisaitmamère:«Faisce
quedois.»Illuicaressalesbrasetplongeasesyeuxdanslessiens.—Tusaiscequej'avaisprévudefaire?Ilimprovisa.—Jevoulais fêter taréintégrationaucollège.Jevoulais t'emmenerdînerdehors.Tun'es
passortieuneseulefoisdepuislanaissancedeRachel...—Depuisbienavant,s'exclama-t-elle,éclatantderire.Rickauraitvoulus'attarder,laquestionnersurlaviequ'elleavaitmenéependantceshuit
ans. Quelque chose dans sa voix l'intriguait. Avait-elle eu d'autres aventures? Un autrehomme,plusieurspeut-être,l'avaient-ilstenuedansleursbras?Luiavaientfaitl'amour?Oubien,s'était-elle,commelui,retranchéedanssasolitude?Iln'avaitaucundroitsurelle,etsurtoutpasceluideluidemanderdescomptes.N'empêche,
ilauraitaimésavoir!— Je ne serai pas long, promit-il. Cela te dirait de sortir dîner et d'aller danser à mon
retour?Joannasourit.—Situmedemandesmonavis,unhamburgeretunesoiréeenboîteferonttoutàfaitmon
affaire.
N'importeoù,ajouta-t-elleenelle-même,pourvuquecesoitavectoi.—Onessayeradefairemieux,repartit-il.Enattendant,voiciunpetitavant-goût...Ilavaiteul'intentiondeluieffleurerleslèvresd'unbaiser,sachantquePiercel'attendait;
Pierce,sonfidèleassistant,quil'avaitsuivideGéorgieàBedford,etquivenaitdel'informerquedes rumeursdegrève sauvage circulaient–àprévenir et à éviter, sipossible...Mais lesimple contact de leurs bouches lui fit tout oublier. Il la prit dans ses bras et l'embrassaéperdument, comme s'il nedevait jamais revenir.Ou comme si ellene serait plus là à sonretour.Unbaiserdefindumonde!Quandils'écarta,elledûtsereteniràsonbraspournepasperdrel'équilibre.Ellesesentait
commeunecaravelleharponnéepardespiratesetenpassedecouler.Amoitiéparplaisanterie,àmoitiépourretrouverunevisionplusclaire,ellesecoualatête
ets'écria:—Sicen'estqu'unpetitavant-goût,jemedemandecequeseralasuite!Rick lui caressa la joue avec le dos de samain, empli d'un sentiment d'amertume et de
frustration.Touteslesmisesengardequ'ils'étaitadresséescesderniersjoursneservaientàrien.Iln'avaitqu'undésir:laregarderàn'enplusfinir,seperdredanssesyeux,êtreavecelle.—Tiens-toiprêtepourquandjereviens,dit-il.—Passûr,marmonna-t-ellequandileutrefermélaporte.Serait-ellejamaisprêteàfairefaceàl'intensitédésespéréequ'ilavaitmanifestée?D'un autre côté, en femme curieuse qu'elle était, elle préférait attendre de savoir ce que
pouvaitêtrece«quelquechose»demystérieuxqu'illuiavaitpromis.Malgrésavolontédeneplusaccepterd'autrescadeauxdesapart,elleétaitfollementintriguée.Elle se dirigea vers sa chambre et, passant devant un miroir, adressa à son image une
grimacedesatisfactionmutine:auprèsdeRick,elleavaitl'impressionderetrouversesvingtans!Inconsciemment, lesmainsdeRick se crispaient sur levolant. Il était furieuxd'avoirété
autantretardé.Onzeheures!Laréunionavaitétéplustenduequ'ilnes'yattendaitets'étaitprolongée jusqu'au moment où il avait estimé qu'ils avaient abordé l'essentiel desrevendications. La discussion avait abouti à un début de compromis de part et d'autre; ilproposadoncdes'entenirlàetdeserevoirlelendemain.Celaluiavaitpermisdes'aviserquecertainsdesesemployésavaientdesmotifsparfoislégitimesdemécontentementetqu'illuifallaitmettre de l'huile dans les rouages s'il ne voulait pas se retrouver avec un problèmemajeur. C'était bien le moment! soupira-t-il. Comme si les choses n'étaient pas assezcompliquées.Avecletransfertdusiègesocialàeffectuersansquelafirmeensouffre.AveclaréapparitiondeJoannadanssavie.Commeleditlasagessepopulaire:unmalheurn'arrivejamaisseul!En fait, la réunion et les récriminations lui semblaient déjà loin. Seule Joanna comptait.
Commentallait-ils'excuserdesonretard?Ilcraignaitqu'ellenesesentequantiténégligeable–commedevantseplieràsesimpératifsàlui,enattentedesonbonvouloir.Il l'avaitappeléedeux fois,pourrepousser l'heureà laquelle ilpensaitpouvoirse libérer.
Finalement,iln'avaitplusétécapablederienpromettre.Lesjournéesétaienttropcourtes!Ilsepromitd'yremédiercoûtequecoûte,detrouverle
moyen de concilier ses responsabilités et une vie personnelle de qualité. Cela devait êtrepossible. Jusqu'alors, le problème ne s'était pas posé, mais, maintenant, il en allaitautrement.Aumoins,temporairement.Ilsortitdelavoitureetentradanslamaison.Troptardpourallerdîner.Troptardpour...
tout.Contrarié,ilsedirigeaverslesalon.—Comments'estpasséetaréunion?Joanna se levait du canapé, en robe de chambre, les cheveux ébouriffés comme si elle
s'étaitassoupie.Ilrefermalaportederrièrelui.—Tum'asattendu?Ellehaussalesépaulesetlaceinturedesondéshabilléserelâcha.—Tuvois,jesuislà,encoredebout.Alors,disonsque,oui,jet'aiattendu.Il s'avança, sedébarrassantdesavestequ'ilmit sur ledossierd'un fauteuil.Cette fois, il
avaitprissoind'éteindresonportable!—Jesuisdésolé.Lacatastrophe!—Celas'estmalpassé?Elle n'était pasmaquillée et resplendissait de cette beauté naturelle qu'il aimait. Il n'en
fallaitpaspluspourqu'ilréagisseauquartdetour.—Non.Maisjesuisnavréd'avoirgâchétasoirée.—Lesrestaurantsserontencoreouvertsdemain.Si tapropositiontient toujours,cen'est
quepartieremise.Ilrestaitcrispéetsombre,lessourcilsfroncés.Duboutdesdoigts,ellelissalesridesdeson
front.—As-tudîné?Ildéfitsacravateetouvritlecoldesachemise.—Ons'estfaitapporterdessandwichs.Ettoi?—Moi,jenesuispasàplaindre,répondit-elleenriant.J'aieudroitaubœufWellingtonde
MmeRutledge.C'étaitlechef-d'œuvredelagouvernante.—Effectivement,tun'espasàplaindre!Dustrictpointdevuedelanourriture, ilavaitraison,pensaJoanna.Quiplusest,Rachel
avaitétéadorable.Unesoiréetrèscalme,sommetoute.Tropcalme!—Ilenreste.Situveux,jetelefaisréchauffer.Tuasfaim?—Oui.Commeelle allait vers laporte, il lui saisit le poignet et la fit se tourner vers lui.Elle le
dévisagea,désarçonnée.—Jemeursdefaim,dit-il,maistouslesbœufsWellingtonaumondenesuffiraientpasà
merassasier.—Ah,bon!Quoi,alors?Sansrépondre,ill'attiraverslui–etsonbaiserluifitl'effetd'unlance-flammes!Quandilsseséparèrent,l'unetl'autreavaientdumalàrespirer.—C'estdecelaquej'aifaim.Ellemitlesbrasautourdesoncouetletaquina.—Tunecroispasquetuestropfatiguépour...cela?Desesmainsentrelacéesdanssondos,illarapprochadelui.—T'ai-jedonnél'impressiond'êtrefatigué?Ellesoupira,souhaitantplusquetoutaumondequecemomentsublimes'éternise.Hélas,
c'étaitimpossible...—J'étais...transportée.Auseptièmeciel.Ildésignadumentonl'arrièredelamaison,làoùsetrouvaitlanursery.—Ladernièretétée,c'étaitquand?—Vingtminutes,unedemi-heure.Unbonpoint.
—EtMmeRutledge?Avecunegrimacemalicieuse,ellerépondit:—Ladernièretétée?Environtroisheures.Illuiembrassalecou,encoreetencore.LecœurdeJoannafaisaituneembardéeàchaque
pressiondeseslèvressursapeau.—Jemedemandaissielleétaitmontée...— Elle m'a dit bonsoir vers les 10 heures, parvint-elle à articuler malgré le vertige qui
s'emparaitd'elle.—C'estcequejevoulaissavoir.Il l'embrassa de nouveau. Si leur baiser précédent évoquait la puissance ravageuse du
napalm,celui-ciétaitcarrémentradioactif!ToutlecorpsdeJoannasemitenalerterouge.Lesangluimontaitàlatêteetsesdoigtsde
pieds étaient tellement crispés qu'elle crut ne jamais pouvoir les détendre. Allaient-ils sesépareraprèscebaiser inouï?Non.Cen'étaitque lepréludeàplusetàmieux.Frissonnantd'anticipation,ellesehaussasurlapointedespiedsetsecollacontrelui.Elleserepaissaitducontactdeleurscorps,dechaquevibrationquilesparcourait.Rickréussitàs'écarter.—Tuessûrequ'onpeut?—Sûre,dit-elle,sonsourireilluminanttoutsonvisage.Elle était touchée de sa sollicitude à un moment où d'autres n'auraient pas eu autant
d'égards.—Mais sinous faisons l'amour ici, ajouta-t-elle,MmeRutledgepourrait sedemander ce
quesontcesbruitset...tuvoiscequejeveuxdire?—Jevoistrèsbiencequetuveuxdire,dit-ilenriant.Situessûre...—Ledocteurm'adélivréuncertificatdebonnesanté.Jesuispleinementopérationnelle.—Ondiraitquetuparlesd'unavion!Dutacautac,elleluimurmuraàl'oreille:—Alors,viens.Prendslescommandes.Iln'attendaitquecela!Dès que leurs bouches s'unirent, toutes les frustrations des années passées se
déchaînèrent.Souslapressionimpérieusedeseslèvres,Joannaseliquéfiaitlittéralement,saféminitéenémoiet le corpsen feu.D'unbondagile, elle enroula ses jambesautourde luisanssedétacherdesabouche.Ill'attrapa,latintpresséecontrelui.Les baisers de Joanna avaient fait fuir ses dernières réticences et le désir qu'il avait si
longtempsrépriméfaisaitunviolentretourenforce,exigeantd'êtresatisfait.Atelpointqu'ilse demanda s'il allait pouvoir attendre. Il sentait la pression monter inexorablement, luinouantl'estomac,aiguisantsapassion.C'étaitplusfortquetoutcequ'ilavaitjamaisconnu.Apeines'ilserenditcomptequ'ilssedirigeaientverslachambretantilétaitimmergédans
dessensationsqu'ilnemaîtrisaitplus.Quantàelle,lerêverécurrentdeseshuitannéesdesolitudenelalâchaitpas.Combiende
foisavait-ellerepassédanssamémoireleursmomentsd'intimité?Latoutepremièrefois;ladernière. Tout cela entremêlé dans un amalgame douloureux qui lui avait rendu la vieintolérable.Toutefois,elleavaitsurvécu.Seule.Sansluinipersonned'autre.Fini,lesupplice.Cesoir,elleallaitfairel'amouravecl'hommedesavie.Illefallait,sinon
elleenperdraitlaraison.Sesdéfensescédaientl'uneaprèsl'autre,enunesériededéflagrationsassourdissantes.
Lentement,illadétachadeluiet,avecprécaution,ladéposasurlelit.Ledéshabillés'ouvritet la nuisette qu'elle portait en dessous révéla au regard deRick lemodelé d'un corps auxlignesparfaites.LagorgeaussisèchequeledésertduMojaveenpleinecanicule,ilsentittoutsoncorpss'affoleràunrythmequ'uncardiologueauraitprobablementjugépréoccupant.Avecl'aidedeJoanna,il ladébarrassadudéshabillé–etcrutmourirdedésiràlavuequi
s'offraitàlui.Il couvrit sa bouche de ses lèvres tandis que ses mains se glissaient sous la nuisette;
comme une pâte à modeler, il pétrissait ce cops qui, autrefois, lui avait appartenu. LarespirationdeJoannasefitplussaccadéequandellesentitsesmainssurseshanchesnues,lacaressantavecunesortedeferveurardente.Reprenantpossession.Dansunsoupirdebien-être,elleselaissaalleràcescaressestantdésirées,puis,soudain,s'écarta.Enréponseàl'interrogationqu'ellelutdanssesyeux,elledit:—Cen'estpasjuste.Avantquesoncerveauaitenregistrécesmots,RicksentitlesmainsdeJoannas'attaquerà
ses vêtements. Comprenant son intention, il déboutonna sa chemise,mais ce fut elle quil'aidaàsedévêtirtoutencherchantlecontactdeseslèvres.Puiscefutletourdupantalon.Unemainhabiledéfitlezipetseglissadanslaceinture,letouchantlégèrement.—Ondiraitquetun'enespasàtoncoupd'essai,dit-ilensouriant.Ilauraitjuréqu'unelueurironiques'étaitalluméedanssonregard.—Jemesuisbeaucoupentraînéesurdesmannequins...Qu'ellenecroie surtoutpasqu'il cherchaità fouillerdanssonpassé,espéra-t-il.Quoique
dévorédel'enviedesavoir,jamaisilnesepermettraitdeluiposerlaquestionquiluibrûlaitleslèvres.—Jenetedemanderien,Joey...—Iln'yarienàsavoir,répliqua-t-elle,sabouchecontrelasienne.Sanspluscontrôlersondésir,elleluienlevasoncaleçon.—Iln'yaeuquetoi.Quevoulait-elledire?Qu'iln'yavaiteupersonned'autre?Vraioufaux,ilnedemandaitqu'à
lacroire...Sondésirexplosa.Il la repoussa doucement contre le dessus-de-lit matelassé et se mit à explorer chaque
poucede son corps, des orteils au cou. Joanna, la respirationhaletante, se tordait dedésirsouslesbaisersetlescaresses.Ils'attardapartoutoùilavaitsilongtempsrêvéd'avoiraccèsetseréjouitdessoupirsetdes
gémissementsdeplaisirqu'ilprovoquait.Aucreuxtendredesgenoux.Al'intérieursatinédeslonguescuissesfuselées.Ils'enivraitdesensationsretrouvées.Sesouvenait.Detout.Salangueglissaaupointleplusintime,amenantJoannaàl'orgasmesanspréambule.Ses
mainssecrispèrentsur ledessus-de-litcommeelles'abandonnait toutentièreàsabouche.Elleétaitensonpouvoir,àlui,rienqu'àlui.Ellesemorditlalèvrepournepascriersonbonheuretserejetaenarrière,pantelante.Dans lemême temps, Rick reprit ses caresses, promesses d'une seconde déferlante. Elle
cherchaàlesaisir,àletoucher–maisilgardalecontrôle,continuantdelatitiller,l'amenantausummumduplaisir.Il couvrit sonventredebaisersmouillés, remontavers les seinsdont lesboutsdurcis se
dressaientverssabouche,réclamanttoutesonattention,aupointqueJoannacrutenmourirdedésir.Ilsetintprêtau-dessusd'elle–jusqu'àcequ'elleouvrelesyeuxetseperdedanslessiens,ceuxdel'hommequ'elleaimait,qu'elleavaittoujoursaimé.
Il lui prit le visage dans les mains, et le baiser qu'ils échangèrent contenait toute latendresse,toutelapassiondumonde.Ricksentitsondésiratteindreunparoxysmeauquel ilnepouvaitplusrésister.S'ilaurait
voulu prolonger ce moment d'intense communion, il n'en pouvait plus d'attendre laréalisationdespromessesquerecelaitcecorpsparfaitquisedonnaitàlui.Avecuncrirauquequimontaitdufonddelui-même,ilentraenelle.Lesyeuxdanslessiens,ilsemitàbouger,imprimantàleurscorpssoudésunmouvement
deva-et-vientdontlerythmes'accentuarapidement.Ilcessadelaregarderpourserepaîtredeseslèvres,desapeau,desespaupières.Leursbouchesserejoignirent,àl'unissondeleurscorps.Leurdésir grandit, devint incontrôlable jusqu'à cequ'ils jouissent ensembledansunbouillonnementdelaveenfusion.LesminutesquisuivirentfurentpourRicklecalmeaprèslatempête,lepremiermoment
d'apaisementsouverainqu'ilaitconnudepuishuitans.Ilsourit,éperdudebonheur.
10.Nichéeaucreuxdesonbras,Joannasetaisait.Etait-cebonoumauvaissigne?—Aquoipenses-tu?Ilsentitsonsourires'épanouircontresontorseetenressentituneimpressiondebien-être
indescriptible.—Tuasacquisune fichueexpérience,dit-elle.Jenemesouvenaispasque tuétaisaussi
doué!Ilritdoucement.—J'aitoujoursétédoué.Redevenantsérieux,ilajouta:—Jen'aipasaccumulélesexpériences,sic'estcequetucrois.Elleeutunegrimacedubitative.—Nemedispasquetuasvécucommeunmoinependanttoutescesannées!—Parfaitement.Unmoinedansl'ordreleplusstrict!Tuveuxquejetemontremacartedu
club?Ilfitsemblantdechercherdansunepoche...inexistanteets'écria:—Désolé.Cettetenuenecomportepasdepoche!Quandelleéclataderire,unevaguedesensationsl'envahit,s'enroulaautourdeluicomme
la fumée d'une cheminée dans un ciel hivernal. Sensations de bonheur partagé, desoulagementdel'avoirretrouvée,luiquilacroyaitperdueàtoutjamais.Ilresserrasonbrasautourd'elleetmurmura:—Tum'asmanqué,Joey.LesouriredeJoannadisparutetelles'enquit,sansrancune,justepoursavoir:—Pourquoin'es-tupasvenumechercher?Tusavaisoùmetrouver.Pourquoit'es-tusauvé
sansriendire?Il haussa les épaules, incapable d'expliquer.Avec le recul, il reconnaissait qu'il aurait dû
allerlavoir,fairelesiègedelamaisonsinécessaire.—Parorgueil,dit-il laregardantdans lesyeux.Toutcomme,parorgueil, turefuses l'aide
qu'onpeutt'apporter.Ellesecouaénergiquementlatêteensignededénégationetsescheveuxluicaressèrentle
bras.Iln'enfallaitpaspluspourqu'ilréagisseimmédiatement!—Desclous!—Boîteàoutils!renchérit-il.Elle écarquilla les yeux, éberluée, et il eut une grimace qui le fit ressembler à un gamin
contentdesoncoup.—Pourquois'entenirauxclous?Pourquoipaslaboîtetoutentière?Tantqu'àfaire!Joannaritdeboncœuretluienvoyasoncoudedanslescôtes.—Tudisn'importequoi!—Trèsjuste.Illarapprochadelui,unelueurd'intensedésirdanslesyeux.— A toi de me faire taire. Oublions le passé. Je n'ai pas envie de discuter alors qu'une
femmesuperbem'offresanudité.Celafaitdéjàtroplongtempsquejel'ainégligée.Illuiembrassalagorgeetellesentitsavirilitéseraidir.Incroyable.—Encore?Ilpritunairinnocent.— Chère Madame, sachez que vivre en moine permet d'accumuler des stocks d'énergie
considérables.Illafitseretourner.—Jen'aifaitquecommencer...Ilselevasuruncoude.—Tuvastenirlecoup?Lerythmeaccélérédesoncœurneluilaissaitaucundouteetelleledéfia:—Essaietoujours!Tuverras.Illarecouvritdesoncorps.—C'estexactementcequejepropose.Cen'estquedessièclesplustardqu'ellerespiralibrementetrecouvral'usagedelaparole.
Elle avait l'impression d'être un pantin désarticulé, vidé de son énergie. Ce type était unamantcommeonenfaitpeu.Elle se tournavers luiet s'étonnadevoirqu'ilnes'étaitpasendormi.Ellemit samainà
platsursontorse,émueettroubléedesentirlesbattementsdesoncœursoussapaume.—Apropos,dit-elle,toutàl'heure,tuplaisantais,quandtuasditavoirquelquechoseàme
montrer?Etait-ceça,le«quelquechose»?Cequetuviensdemedémontrer?Ileffleuraseslèvresd'unbaiserléger.—Unpeuderespect,veux-tu!Non,cen'estpas«ça»,commetudis.Malgré sa résolution de ne plus accepter de cadeaux de sa part, Joanna était dévorée de
curiosité.—C'estquoi,alors?Ilrit,laserrantcontrelui.—C'est«donnant-donnant»,àcequejevois?— No-on, protesta-t-elle, avec une ironie perverse. Je veux seulement savoir si tu me
racontesdesbobards.—Moi?Jamais!Ils'assitsurlelit,rejetalesdrapsetseleva.—Attends-moi.Elleseredressad'unbond,paniquée.—Rick!Tunepeuxpastebaladertoutnu!SiMmeRutledgetevoyait,elleenauraitune
attaque.—Rassure-toi,dit-ilenattrapantsoncaleçon,jen'aijamaiseul'intentiondeparaderdans
lescouloirsencostumed'Adam.Jereviens.—Faisvite!Jebrûled'impatience.Ellearrangealesoreillerscontrelatêtedelitets'yappuyaconfortablement.Ellesesentait
àlafoisépuiséeetsurexcitée.Et,desurcroît,follementamoureuse.Commeaupremierjour.Etcela,c'étaitunebêtise.Ce que lesMasters avaient avancé comme argument restait toujours aussi juste. Elle et
Rick appartenaient à des mondes différents. Elle, l'enfant de l'amour, abandonnée, sansprestigieuselignée.Lui,legossederiche,douésoustouslesrapports,issud'unefamillequiremontaitauxPèresFondateurs.Ilsn'avaientrienencommunetpersonnen'auraiteul'idéede rapprocher leursdeuxnoms,encoremoinsn'imagineraitqu'ilspuissent s'aimeret rêverd'unavenirensemble.Pourl'heure,làn'étaitpaslaquestion,sedit-elle,croisantlesmainsderrièresatêteavecun
soupir.Neserait-cequecesoir,ellepouvaitsepermettredecroirequ'elleavaitdenouveauvingtansetqu'elleétaitéperdumentéprisedel'hommeavecquielleavaitfaitl'amour.
Etcela,c'étaitlapurevérité.Du coin de l'œil, elle vit que Rick était de retour, portant une boîte en carton blanc,
rectangulaire,sansemballage.— Tu n'as pas perdu de temps, dit-elle, remontant le drap sur sa poitrine. Tu as pris la
premièrechosequitetombaitsouslamain?Pournepastedésavouer?—Non.En fait, oui. Pour ce qui était de l'emballage, il avait pris la première boîte qu'il avait
trouvée.Ils'assitsurlelitàcôtéd'elle.— J'ai été chercher ce que j'allais te donner avant que Pierce ne nous fasse son cinéma.
PauvrePierce!Iladoredramatiseretjoueàsefairepeur.Il luimit la boîte sur les genoux, ce qui fit glisser le drap.Elle s'apprêtait à le remonter
quandilluipritlamain.—Non,s'ilteplaît.Laisse-letomber.Laisse-moisatisfairemesfantasmes.Ellelevalessourcils,étonnée.—Tufantasmessurlesdrapsquitombent?—Non, fit-il en lui embrassant l'épaule, ravi de la sentir frémir sous la pression de ses
lèvres.Monfantasme,c'esttoi.Ilmontralaboîte:—Tuouvres?Ellesemorditlalèvreetexaminalecarton.— Donne-moi le temps, l'implora-t-elle avec une moue d'enfant gâté. Souvent, l'attente
dépasseleplaisirdeladécouverte...Tumejuresquecelanet'ariencoûté?—Pasuncentime.—Etc'estquelquechosequivameplaire?Elle le faisait languir, exprès, et, pour en finir, il avança lamainvers le couvercle.D'une
tapelégère,elleluifitlâcherprise.—Non.C'estmoiquiouvrelecadeauquinet'ariencoûté.Quandellesoulevalecouvercle,sonriresebrisa.Al'intérieur,ilyavaitunalbum,unpeu
fanéparletemps–unalbumqu'ellereconnaissait.C'étaitl'undeceuxqu'elleluiavaitoffertsdesannéesauparavant.Elleauraitjuréqu'illesavaitjetés!Sansunmot,ellelesortitdelaboîteetleposasursesgenoux.Puis,lentement,ellel'ouvrit
et tourna les pages.Des photos, les photos qu'elle avait perdues dans l'incendie, défilèrentsoussesyeux,etellesentitl'émotionlagagner.—Cen'estpasunpetitquelquechose,murmura-t-elle.C'estinestimable...—Jen'aijamaispumerésoudreàm'endébarrasser.L'album était resté là, caché, quand il avait quitté lamaison. Il n'avait pas voulu s'en
encombrer, peu désireux de ressasser des souvenirs douloureux, décidé à tout oublier deJoanna.— Je ne comprends pas, s'étonna celle-ci. Tu as toujours dit que tu ne gardais pas de
photos,quetun'enavaispasbesoin.Orelleretrouvaittouteslesphotosd'euxqu'elleluiavaitdonnées.Chaquefois,illesavait
prisescommes'ilyattachaitpeud'importance,etelleaurait juréque lesalbumsqu'elle luiavaitoffertspourlesconserverétaientrestésvierges.Rick haussa les épaules. Il était beaucoup plus sentimental qu'il avait jamais voulu
l'admettre...—Celanefaisaitpasbiendansletableau,dit-il.Untypedevingt-deuxansquis'attendrit
surdesphotos!Pastrèsmacho!Etpourtant,commetuvois,ellessonttouteslà.
Ilvitdeslarmescoulersursesjoues.—Tupleures?Ilprituncoindudrappourluiessuyerlevisage.—Deslarmesdejoie?Ellehochalatêteetsoupira.Puiselleposasoigneusementl'albumetlaboîtesurlatablede
nuitet,luipassantlesbrasautourducou,murmura:—Merci,Rick.Illuifitunbaiserdanslescheveux,tropémupourparler.Etsondésirseréveillait...Bientôt,indiquantlanursery,ildemanda:—TucroisqueRachelvaseréveiller?—Non.Elledortdemieuxenmieux.JecroisqueMmeRutledgeyestpourquelquechose.Il sourit. Il se souvenaitdesprincipesque la gouvernanteavait appliquéspour sapropre
éducation:àlafoispleinsdesévéritéetd'indulgence.—Béniesoit-elle,dit-il.Ilselevaetfitglissersoncaleçon.—Aquoipensais-tu?s'enquitJoanna.Ilentradanslelitetdit:—Autroisièmeset!Dureversdelamain,elleessuyalesdernièreslarmessursesjoues,sansserendrecompte
decequecesimplegesteavaitdetroublantpourRick,etseblottitcontrelui.—C'estquandtuveux,dit-ellesanstimidité.—Prêt,affirma-t-il.Sansperdredetemps,ilexploraderechefsescourbesharmonieuses–cesendroitsducorps
deJoannaquiluiétaientredevenusaussifamiliersquesonproprecorps.—Quandils'agitdetoi,dit-il,jesuistoujoursprêt.—Paroles!Paroles!chantonna-t-elle.Elle arquait son corps contre le sien, s'enivrant des sensations qui la parcouraient au
contactdeseslèvressursesseins,sursonventre.—Attendslafindelachanson,dit-il.Tumedirascequetupensesdelamusique!Il luiprit lesmainset les remontaau-dessusde sa tête, leursdoigtsentrelacés. Iln'était
qu'à quelques centimètres au-dessus d'elle, comme pour lui faire désirer encore plus lerapprochementdeleursnudités.Ilremuaitcontreellejusteassezpourqu'ellemeurededésirfrustré!Joannadécidaqu'elleaussipouvaitjoueràcepetitjeudel'excitation.Ellelevaleshanches
versluietremuadoucement...Asagrandejoie,lesyeuxdeRicks'assombrirent.Lacaptiveavaitprisleschosesenmain.
Legeôlierétaitàprésentleprisonnier!Seretenantautantquepossible,Ricklibéraunemainpourlacaresser,descendanttoutle
longde son corps, remontant pour titiller ses seins dressés avec ses lèvres, sa langue.Ellefrissonna, gémit sous l'effetdesprémicesde l'orgasme, concentrée sur cequi sepassait enelle, tendue vers l'explosion finale. Juste aumoment où elle allait se produire, il s'arrêta,prolongeant–ledémon!–uneattenteaussiexquisequ'atroce.Joannamurmura,haletante:—Tumerendsfolle!—Parfait,sourit-il,labouchecontresonventre.Ellesedressacontreluidansunspasmeincontrôlable.—Viens,Rick...
Etait-ceunordreouuneprière?Il se tint au-dessusd'elle, prêt à lapénétrer.Les yeuxdans les siens, ce fut comme si le
tempss'arrêtaitpourlesdeuxamantsretrouvés.Tantdechosesentreeux.Tantdenon-ditsqu'ilpouvaitliredanssesyeux.Sansqu'elleeutbesoindefaireungeste,ilentraenelle,lesoufflecourt,prêtpourlegrand
voyage.Unrythmeeffrénélessaisit.Ilsétaientl'unetl'autreenroutepourl'ultimetourbillon,le
glorieuxcrescendo–avantquelasymphonienes'arrêtedansledivintintamarredecuivresdéchaînés.Epuisés,ilsseréfugièrentdanslesbrasl'undel'autre,laissantleurscorpss'apaiser,leurs
cœursreprendreunrythmenormal.Rickauraitvouluquecemomentsublimes'inscrivedanslespagesdutemps,afindelepréserveràjamais...Illuiembrassalatempe.—Tuasaimélamusique?Elletournalevisageverslui.—Tuasditquelquechose?Excuse-moi,maisjesuisdevenuesourde.Ilrit,laserracontrelui.Et–incroyable!–ilsesentitdenouveauréagir.Cettefemmeétait
unevraiesorcière!Sasorcièreàlui.Ils passèrent le reste de la nuit à tester leur endurance et leur créativité, sans limite ni
restrictions. Rick se surprit à inventer des positions qu'un maître de yoga n'aurait pasdésapprouvées.DesannéesdeprivationavaientrenduJoannatrès,trèsinventive...Plus d'une fois, c'est elle qui prit la direction des opérations, amenant Rick au bord de
l'orgasme puis se retirant à temps. C'est lui qui criait grâce, la conjurait d'arrêter, decontinuer...Elle se jouait de son corps, en exploitait des possibilités jusque-là inconnues de lui.Au
pointqu'ils'étonnaitdesespropresréactions.L'osmoseparfaite, la fusionde leursdésirs.SeuleJoannaavaitcepouvoirde lesatisfaire
pleinement.Quelquepartaucoursdelanuit,touslesdoutesquil'avaientassaillis'évanouirent.Unavant-goûtdeparadis!s'étonnaJoannaaucoursdessemainesquisuivirent.Savieavait
soudainprislescouleursd'unrêveéveillé.Toutefois,aufondd'elle-même,elles'attendaitàcequetoutprennefin,àcequeleserpent
fassesonentréeetqu'ellesoitchasséedujardind'Eden–auquel,songeait-elleconfusément,ellen'avaitpasdroit.Tropbeaupourdurer...Elleavaitunamourdebébé,uneadorablepetitefillequ'elleguideraitdanslaviecommesa
mère l'avait fait pour elle. L'homme qu'elle idolâtrait était là tous les soirs et Joanna n'enrevenaittoujourspas.C'étaitplusqu'elleavaitjamaiseuourêvéd'avoir.Maintenant, Rachel faisait ses nuits – et Rick et elle l'amour, de ce fait, en toute
tranquillité,s'appropriantleprésent,seréconciliantaveclepassé.Malgré cet apparentbonheur sansnuage, ilne sepassaitpasde jour sansqu'elle sedise
qu'ilétaittempspourelledereprendresonindépendance.C'étaitunequestiondedignitéetd'intégrité.Ilneservaitàrienderepousserl'échéance.Cequiprovoqualedéclic,cefutlafêtedecharitéàlaquelleRickl'emmena.Fêteauprofit
d'une œuvre que sa mère avait patronnée. Il se devait d'y faire une courte apparition et,contresongré,ilparvintàlapersuaderdel'accompagner.Les amis deRick, ceux que ses parents lui avaient choisis au tempsde son adolescence,
saluèrentsonretourenCalifornieaveceffusion.Leseffusions,toutefois,nes'étendirentpasàJoanna.Une certaineAlyssaTaylor la toisade tout sonhaut et s'étonnaauprèsdu jeunecapitained'industriequ'ilrecrutesesamiesdanslesbanlieuesmalfamées.Aussitôt, Rick prit lamouche et ils quittèrent la réception une heure à peine après leur
arrivée.—Tun'espasobligédepartiràcausedemoi,dit-elle,essoufflée,peinantàlesuivre.Ilfonçaitàgrandspasverslasortie,furieux.—Resteavectesamis,insista-t-elle.— Ce ne sont pas mes amis, gronda-t-il. Ce ne sont que des gens que j'ai fréquentés,
autrefois.Jeparsparcequ'ilsnem'intéressentpas.S'ilsnesontpascapablesdesemontrerpolisàtonégard,qu'ilsrestentdansleurghetto.Point.Lechapitreestclos.Laleçon,pourautant,nefutpasperduepourJoanna.Pendanttoutelanuit,alorsqueRick
tentaitdeluifaireoubliersamésaventure,elleserépétaquesesparentsavaienteuraison.Ilsn'appartenaient pas aumêmemonde. Elle n'avait pas sa place dans le sien. Elle serait cebouletqu'ilsluiavaientdécrit,cehandicapàsacarrièredechefd'entreprise.Levendredisuivant,Rickrentraàlamaison,latêtepleinedeprojetspourleweek-end.Il
voulaitemmenerJoannaàCatalina–changerd'atmosphèreettireruntraitsurledésastredela fête de charité. Il se doutait qu'elle enavait été bouleversée et souhaitait effacer de samémoirelagrossièretéqu'elleavaitsubie.Rachelpouvaitsepasserdesamèrependantdeuxjoursetêtreconfiéeauxbonssoinsde
MmeRutledge,quis'en feraitune joie.Le tempss'annonçait superbe; ilavait réservé leursplacessurlebateauainsiqu'unechambredanslemeilleurhôteldel'île.Tout content de lui, il entra dans le salon. Elle n'y était pas – mais elle y avait passé
quelquetemps,ainsiqu'entémoignaitunjournalposésurlatablebasse.Ilsepenchaetsonsourires'évanouit.Lejournalétaitouvertàlapagedespetitesannoncesimmobilières.—Joanna?appela-t-il,empruntantlecouloir.—Jesuisdanslacuisine...Elleavaitrevêtuungrandtablierets'affairaitau-dessusdescasseroles.—Tuarrivestroptôt.C'estmoiquifaisledînercesoiretcen'estpasencoreprêt.Ellelevalesyeuxet,avisantsonairsombre,s'inquiéta:—Qu'est-cequisepasse?—Qu'est-cequec'estqueça?demanda-t-il,brandissantlejournal.Illeposasurlatable,àlapageoùplusieursannoncesavaientétéentouréesderouge.Ellehaussalesépaules,versadelafarinesuruneassietteetl'étalasoigneusement.Ilsavait
qu'ellen'avaitjamaiseul'intentiondevivrechezluiadvitamaeternam.—Desappartementsàlouer,commetuvois.Rickcontintdumieuxqu'ilputsacolère.—Pourquoiveux-tulouerunappartement?—Pouryhabiter,pardi!Lacompagnied'assurancesm'aenvoyélechèque.—Jecroyaisquetuavaisprévudefaireréparertamaison?—Certainement.Ellesortitunplatd'escalopesdepouletqu'elleavaitdéjàfaitcuireetsemitàlesfariner.—Lechèquequ'ilsm'ontenvoyéestdestinéàm'assurerunlogementdansl'intervalle.Une
clausedemoncontratleprévoit,encasdesinistre.D'icilafindestravaux,jeneseraipasàlarue.Elleouvritunplacard,enquêted'unepoêle,etRickvintsemettredevantelle.
—C'estàcausedecequis'estpasséàlafête?fit-il,acerbe.Acausedelaremarqued'AlyssaTaylor?—Non.Celan'arienàvoiravecAlyssa.—Alors,tun'espasheureuse,ici?Elleposalapoêlesurlacuisinièreavantderépondre,sansseretourner:—Làn'estpaslaquestion.Jeveuxreprendremavieenmain.—Tafichueindépendance?fulmina-t-ilmalgrélui.Elle l'entenditproférercemotcommes'il luiécorchait labouche.Elle lâcha lapoêleet le
regarda. Pourquoi voulait-il l'empêcher de prendre ses responsabilités? Aurait-il préféréqu'ellesecramponneàluicommeunesangsue?—Oui,monindépendance,dit-elle.J'ytiens,figure-toi.Sontonluidéplutetilluifitremarquersèchement:—T'ai-jegardéeenchaînéequelquepartàlacave?Ellesoupiraetdécidadenepassefâcher.Ils'étaitmontrégénéreux,compréhensif,etelle
luiétaitreconnaissantedel'aidequ'illuiavaitapportéedansunepassetrèscritique.Mais,àprésent,elleavaitretrouvélaforme;etl'incidentdelafêteluiavaitremislesidéesenplaceetlespiedssurterre.—Non,tunem'aspasenchaînée.Tuasétémerveilleux.Jenesaispascequej'auraisfait
sanstoi.Ellerevintàsesfourneaux.—Maisjeneveuxpasprendredemauvaiseshabitudes.—Pourquoi?Quellesmauvaiseshabitudes?—Jesuischeztoi,luirappela-t-elle.C'esttamaison.—Celapourraitêtrelatienne.Ellesouritetfitnondelatête.—Lessquattersnesontpaslesbienvenusdanslesmaisonsdemaître.—Quiteparledesquatters?Jeparledemarietfemme.Illuimitlamainsurl'épauleetlafitsetournerverslui.Elleavaitlesyeuxagrandisparla
surpriseetils'empressadepousserl'avantage:—Epouse-moi,Joanna.Siellefaillitenrestermuetted'étonnement,lenaturelrepritviteledessusetellerépliqua,
ironique:—C'esttadernièretrouvaille?Celat'estvenucommeça,d'uncoup?Arrêtedefairel'idiot.—Jesuistrèssérieux.Illuipritlesmains.— Epouse-moi, Joanna. Toi, moi, bébé Rachel, Mme Rutledge, nous ferons tous une
famille.Pas question de se laisser tenter, résolut-elle, luttant contre les élans de son cœur. Pas
question de tomber dans le panneau. Il essayait seulement de racheter les insultes qu'elleavait subies à la fête de... charité! Il devrait s'estimer heureux qu'elle n'accède pas à sademande:commelesMastersleluiavaientsibienfaitcomprendreautrefois,ilneseraitpaslongàregretterdes'êtreattachéunboulet!— Je n'ai que faire de ta pitié, lança-t-elle, au bord des larmes. Jeme défends très bien
touteseule.—Ilnes'agitpasdepitié,maisdecontratdemariageenbonneetdueforme.Rassure-toi,il
n'yestplusquestiond'obéissance.Pourquoi fallait-il qu'il lui rende la vie si difficile? Ne pouvait-il pas comprendre? Leur
situationactuelle,aussiidylliquesoit-elle,nepouvaitpasdurer!—Rick,dit-ellefermement,tesparentsavaientraison.Jeleurenaivouluàmortdem'avoir
ouvertlesyeux,maisc'esteuxquivoyaientjuste.Elleplissadespaupièrespourretenirseslarmesetpoursuivit:—Jenesuisqu'unpetitprof,etauchômageenplus.Aumoinsjusqu'àlarentrée.Toi,tues
millionnaire;tufaispartiedel'élitedenotrebonnevilledeBedfordet...d'ailleurs.Unautremonde.Ilallaitprotester;elleluicoupalaparole–etnemâchapassesmots.—Jesuisunebâtarde,Rick.Tuesunanimalderaceavecpedigreeettoutletoutim.Entre
nous, ce n'est pas qu'un hiatus, c'est un gouffre, un abîme de différences que les gens teferontsentirjusqu'àcequemorts'ensuive.Ainsi,c'étaitbiencela,seditRick.Ellecraignaitl'opinionetleregarddesgens!Audiable,cesgens!Iln'enavaitquefaire,d'euxetdeleursopinions!Qu'ilsaillentrôtiren
enfer!Toustantqu'ilsétaient.Ils'enmoquait.N'était-cepasclairpourelle?—Cegenredegensnem'intéressepas,dit-il,laprenantparlesépaules.Elletentadeluiéchapper;illaretint.—Quantà teshistoiresdepedigree... Jene suispasunétalonprogrammépourprocréer
despur-sang.Jevoudrais formeruncouple,unvrai.Avec toi.Jecroyaisque tu levoudraisaussi.Neserendait-ilpascomptequ'illuifendaitlecœur,querésisteràlatentationlacrucifiait?—Rick,jen'appartienspasàtonclub,insista-t-elle.C'étaitàelledeledireavantqu'ilnes'enaperçoiveàsesdépens.Avantqu'ilsemetteàlui
envouloird'être...cequ'ellen'étaitpas.—Quel club?dit-il, sur lepointdeperdre soncalme.Jene suispasen trainde jouerau
foot.Jeveuxconstruiremavieetilsetrouvequetuenfaispartie.Unefoisdéjà,jet'aiperdueàcausedemabêtiseetdemonorgueil.Necomptepassurmoipourpermettreàtonorgueilmalplacédenousséparer.N'espèrepasquejevaistelaisserdisparaîtreunesecondefois.Ellesoupira.—Alors,ilvautmieuxquejeparteimmédiatement.Tuyverrasplusclair.—Grands dieux, Joanna! cria-t-il, excédé. C'est toi qui n'y vois pas clair. C'est toi qui es
bourréedepréjugés,qui...Il s'arrêta net quand il vit son visage tourné vers la porte changer d'expression. Faisant
volte-face, il découvrit que Mme Rutledge était entrée. La gouvernante arborait uneexpressionindéchiffrable.—M.Rick,dit-elle.Quelqu'undemandeàvousvoir.Commes'ilétaitd'humeuràrecevoirquelqu'un!—MmeRutledge,nevoyez-vouspasquejesuisaubeaumilieud'unediscussioncapitale,
vitalemême? fit-il brutalement, la congédiantd'ungestede lamain et luitournant le dos.Ditesàcettepersonnedevenirmevoiraubureaulundimatin.—Jen'aipasl'intentiondemerendreaubureau,ditunevoix.Nilundi,nilesautresjours.
Sauf,bienentendu,sionm'yinvitegentiment.Ausondecettevoixbienconnue,Ricksefigea,incrédule.Rêvait-il?Non.Ils'agissaitbien
desonpère,enchairetenos.
11.Instinctivement,Ricks'interposaentreJoannaetsonpère.Ilneparutpass'enrendrecompte,maislegesten'échappapasàlajeunefemme.—Situesvenuréglerl'affairedelamenacedegrève,dit-il,c'estdéjàfait.—Oui,j'aientendudirequetut'enétaistrèsbientiré,repartitsonpère.Maisjenesuispas
venupourcela.Detoutefaçon,jenet'assommeraiplusdemesconseils.C'enestfini.—Alors,qu'est-cequetuviensfaireici?Grand,mince, les cheveux grisonnants,HowardMasters avait encore belle allure. Il prit
sontempspourrépondreàlaquestionagressivedesonfils.—Auxdernièresnouvelles,iln'yapassilongtemps,j'habitaisencorecettemaison.Joannasefélicitad'avoirdevancésonretouretdes'êtremiseenquêted'unappartementde
sonproprechef.—Vousvoulezdirequevousrevenez?intervint-elle.Il tourna vers elle un regard impénétrable qui, toutefois, ne semblait pas dépourvu
d'aménité.—Yvoyez-vousuninconvénient?—Pasdutout,monsieur.Et pour faire bonne mesure, elle prit ostensiblement le journal, détacha la page des
annonces et la glissa dans la poche de son tablier. Puis elle gratifia Rick d'un coup d'œilexpressif,manquantdeluitirerlalanguecommeunegaminequiprendsarevanche.L'ombre d'un sourire se dessina sur les lèvres de Howard Masters. Avait-il deviné son
intention?Setournantverssonfils,ils'enquit:—Tuasengagéunenouvellecuisinière?Rickserebiffaaussitôt.Pourquoisonpèrefeignait-ildenepasreconnaîtreJoanna?—Non.C'est...Howardneluilaissapasletempsdefinir.Unfrancsourireéclairasonvisage,et,s'inclinant
courtoisement:—...MademoisellePrescott,acheva-t-il.Jesais.Jevoulaisjustetetaquiner,fiston...Maisje
suisplusdouépourl'humouràfroid,jecrois.C'est,dumoins,cequeprétendDorothy.Illesobserval'unetl'autreetajouta:—Sijecomprendsbien,jedérangeuneimportantediscussion...—Riend'urgent,monsieurMasters,fitJoannaenrevenantàsesfourneaux.Celaattendra.— Appelez-moi Howard. J'ai décidé d'être plus... décontracté pendant les années quime
restent.Unsilencedeplombsuivitcetaveuinattendu.Sansparaîtres'enformaliser,Howardarpentalacuisine,terminantsonparcoursprèsdes
fourneaux.Troispairesd'yeuxsidérésleregardèrentsouleverlecouvercledelacasseroleetenrespirerl'appétissantfumet.—Est-cecequevousavezprévupourledîner?Aquoi jouait-il?s'inquiétaJoanna.Allait-ilsemoquerd'elle?Devait-elles'attendreàêtre
enbutteàsescritiques?—Oui,dit-elle.Ilreplaçalecouvercle.—Puis-jerester,s'ilvousplaît?LaquestionetsaformulationprirentJoannaaudépourvu.Il luifallutquelquessecondes
pourretrouversesesprits.—Euh...Commevousl'avezdit,vousêteschezvous,monsieurMasters.Cen'étaitpaslaréponsequ'ilattendaitetilrépéta:—Puis-jerester?Autondesavoix,ellecompritqu'ilétaitsincèreetattendaitunevraieréponse.Elleregarda
Rickquineluiapportaaucuneaide.Luiaussiétaitdésorientéparl'attitudedesonpère.—Oui,biensûr,finit-ellepardire.Rickdécidaquecelasuffisait.Si sonpères'amusaitàembarrasserJoanna, il trouveraità
quiparler.—Papa,quesepasse-t-il?Qu'est-cequit'arrive?Sansprendreombragedutonsecemployéparsonfils,Howardluiréponditcalmement:—Celafaitpartiedemanouvelleapprochedelavieetdutempsquipasse.Jen'estimeplus
quetoutm'estdû,quetoutvadesoi.Ils'adressadenouveauàJoanna.—Ai-jeletempsdemerafraîchiravantledîner?Ellel'observait,perplexe.Etait-cebienlemêmehommequeceluiquiavaitvoulul'acheter
huitansauparavant?—Ledînerneseraprêtquedansuneheure.Ilhochalatête,satisfait.—Parfait.Jevousretrouveraidoncdanslasalleàmanger.Ensortant,ils'arrêtadevantMmeRutledge.—Vousavezl'airtrèsenforme,Nadine.—Merci,Monsieur,balbutialagouvernante,abasourdie.ElleéchangeaunregardavecRickquihaussalesépaules,dépasséparlesévénements.—Plusqu'étrange,murmuraMmeRutledge.Au cours des longues années passées au service desMasters, de Howard en particulier,
c'était lapremièrefoisqu'il luifaisaituneremarquepersonnelle–presqueuncompliment!Ellesecoualatêtepours'éclaircirlesidéesetdemandaàJoanna:—Quepuis-jefairepourvousaider?Joannasesentitconfusequ'unefemmeaussicompétenteseproposedejouerlesseconds
rôles.Mais elle n'avait pas de temps à perdre à discuter de préséance et, tout simplement,indiqua:—Ilyalespommesdeterreàpeler.—C'estcommesic'étaitfait.MmeRutledgeserenditdevantl'évierpours'ylaverlesmainsetcefutautourdeRickde
dire:—Etmoi?Il était crispé, anxieux. Son père avait-il dit la vérité?Etait-il venu àBedford en homme
désintéressé,pourpasserlamain,ainsiqu'ill'affirmait,ouvenait-ilinterférerdanslaviedesonfils,commeparlepassé?—Quelrôlem'as-turéservé?Joanna fut tentéede répondrepar : «Tropde cuisinières gâtent la sauce»,mais estima
qu'iln'étaitpasenétatd'appréciersonhumour.—Lerôleduseigneurduchâteau,affamémaispatient.Pasbesoindeluifaireundessin.Rickcomprit.—«Dégageetlaisse-noustravailler»,c'estcela?Elleluijetaunregardpar-dessussonépauleetlevitsourirepour lapremièrefoisdepuis
qu'ilavaitmislespiedsdanslacuisine.—Tuastoutcompris.Rick se rendait parfaitement compte qu'elle bénissait ce répit. Elle savait qu'il ne
reviendraitpasàlachargeavecseshistoiresdemariagetantqueMmeRutledgeseraitdansles parages et que son père pouvait faire irruption à toutmoment; lui comme elle étaientconscientsquecelaneregardaitpersonned'autrequ'eux.Pourl'heure,rienàfairedoncquedeprendresonmalenpatience.Néanmoins,qu'ellenes'ytrompepas:l'animalétaitblessé,soit, mais ne s'avouait pas vaincu. Il ne lâcherait pas le morceau aussi facilement; il nerenouvellerait pas la bêtise qu'il avait commise huit ans plus tôt. La leçon avait porté sesfruits!Ilsepenchapar-dessussonépauleetmurmuraàsonoreille:—Cen'estquepartieremise!Puisiltournalestalonsetquittalapièce.—Jem'endoute!soupira-t-ellepourelle-même.Ellerejetaloind'ellelemotifdeleurdissensionet,s'adressantàMmeRutledge,dit:—Merci.Cettedernièrelevalesyeuxdutasdeslongsrubansd'épluchuresqui,déjà,s'amoncelaient
devantelle.—Mercidequoi?—Denepasposerdequestions.—Cen'estpasdansmesattributions.Chacunàsaplace,machère.C'étaitbienlàleproblème,pensaJoanna.Resteràsaplace.Lasiennen'étaitpasauprèsde
RickMasters.HowardMasters, debout au bout de la table, regarda Joanna apporter le dernier plat. Il
remarquaqu'iln'yavaitquedeuxcouvertsets'étonna:—Vousnedînezpasavecnous?ElleévitaleregarddeRick,lequelluiavaitposélamêmequestionquelquesminutesplus
tôt.Elle s'était dit que lemaître demaisonn'apprécierait pas sa présence; en outre, le faitqu'elle ait repoussé la proposition de Rick la mettait mal à l'aise et elle ne voulait pass'exposeràdenouvellesdifficultés.—Non.J'aipenséquevousaimeriezvousretrouverentêteàtête,touslesdeux.—Jevousenprie.Restez.IlapostrophaMmeRutledgequiallaitseretireraprèsavoirposélepouletsurlatable.—Voulez-vousbienmettreuncouvertpourcettejeunedame?Sansluilaisserletempsdeprotester,iltiralachaiseàsagauche,enfacedesonfils.—S'ilvousplaît,dit-il.Prenezplace.Joannan'avaitpaslechoix.Elles'exécuta.HowardMasterss'assitàsontouretsourit.— Je vois que vous avez changé le plan de table.Que vous avez rapproché les convives.
C'estbeaucoupmieuxainsi.IlsetournaversRick.—Avectamère,chaquefoisquenousdînionsici,nousfinissionsparcrieràtue-têtepour
nousentendre.Ilportasonverreàseslèvres,butlonguementetlereposa.—Al'époque,cettedispositionparaissaitnormale.Bah!J'imaginequenousaurionsfinipar
crierquellequesoitladispositiondesassiettes...Ilseservitcopieusementdesplatsdevantluietajouta:
—Tout celaa l'airdélicieux,Joanna.Jene savaispasquevousétiezaussidouéepour lacuisine.Ricknereconnaissaitpassonpère.Aprèsleurconversationautéléphone,ils'étaitattendu
àunetouteautreréactiondesapart.Surladéfensive.Acerbe.Ilnesavaitpasquoipenserdeschangementsquelamaladieavaientopéréschezcethommeautrefoissisûrdeluietdesesprérogatives.C'étaitunautrehommequ'ildécouvrait...Ilvoulutenavoirlecœurnet.—Papa...Quandtuesarrivé,tuasparlédeneplusremettrelespiedsaubureau.—Exact, repartitHoward sans se presser, prenant le temps de savourer ce qu'il était en
train demanger. J'ai décidé de prendrema retraite. Pour de bon et officiellement.Vois-tu,toutemaviej'aicruqu'unhommeseréduisaitàlavaleurdesontravail.Cequirevientàdire:pasdeviepersonnelle.Pasd'identitépropre.Asoixante-septans,jem'avisequ'ilestgrandtempspourmoidesavoirquijesuisréellement.Rick avait froncé les sourcils. De quoi parlait-il? Qu'est-ce que c'était que cette histoire
d'identité?Fallait-illeprendreausérieux?—Alors,papa?Tuesqui?s'enquit-il,mi-moqueur,mi-sérieux.Howardsouritplacidement.Ilcomprenaitl'incrédulitédesonfils.Lui-même,parfois,avait
dumalàsereconnaître.Toutsurprisqu'ilétaitdutourqueprenaitsaviedepuissamaladie.— C'est ce que je suis en train de découvrir. Cela ne se fait pas en un jour... mais le
processusestencours.J'aimêmel'impressionquecettephase,disons...d'explorationdemavraie personnalité en est la meilleure part. Débarrassé du fatras des obligations et desconventionssociales, jedécouvreunespacede libertéquim'était totalement inconnu.C'estassezexaltant.IlregardaJoanna:—N'êtes-vouspasd'accord?Elleétaitsouslechocdecesrévélationspourlemoinscurieuseset,interloquée,demanda
unpeubêtement:—Suis-jesenséevousapprouver?—Machère,jeneveuxrien.Vousêteslibredefairecequevousvoulez...Toutcequevous
voulez,reprit-ilavecforce.Il les regarda l'unaprès l'autre ethocha la tête, insatisfait.C'était troppeu.Trop léger et
tropvaguepourconvaincresonfilsetJoannadesasincérité,durevirementquis'étaitopéréenlui.Ilsn'ajouteraientfoiàsesbonnesparolesquepreuvesàl'appui.Ilposasoncouteauetsafourchettesursonassiette,respiraàfondetdéclara:—Autantmettreleschosesaupointtoutdesuite.Après,onpourraaborderd'autressujets.Ilserecalasursachaiseet,s'adressantàJoanna:—Jevousdoisdesexcuses,mademoisellePrescott.Jevousaicauséunterriblepréjudice,il
yahuitans.Ilmarquaunarrêtetpoursuivit:— Je pourrais en rejeter la responsabilité sur lamère deRichard.Mon épouse était une
femmeentêtée,prêteàtoutpourparveniràsesfins.Maisceseraittropfacilepuisqu'elleestdécédéeetnepeutsedéfendre...Ileutunsourirerésigné.—D'autrepart,jen'étaispasunpantinentresesmains.Lavéritéest,qu'àl'époque,j'étais
d'accordaveclamèredeRick.Jepensaissincèrementqu'unmariageentrevousdeuxseraitunegraveerreur.CommeRicks'apprêtaitàréagir,sonpèrel'arrêtadelamain.
—Il faut comprendre, continua-t-il, s'adressant toujoursàJoanna,que je suis issud'unelongue lignéede gens qui se sont autoproclamés l'élite de ce pays.Et cela parce que, voilàtroiscentsans,nosancêtresontprislechemindesAmériques,entasséscommedessardines,surunvieuxrafiotquiprenaitl'eaudetoutesparts!Qu'enréalitéilsaientétédescriminels,des bandits et des voleurs, toutes gens qu'on envoyait dans le NouveauMonde pour s'endébarrasser–on l'a oublié.Au fil du temps, on les aparésde toutes les vertus.Placés au-dessusducommundesmortels,unecasteàpart!Etleursdescendantsapprirentànefrayerqu'avecleurspairs...Enfin,cequej'essaiedevousdire,mêmesicen'estpastrèsclair,c'estquejen'aiaucuneexcusepouravoirfaitcequej'aifait.Quellequesoitmonopinionquantauchoixd'uneépousepourmonfils,ajouta-t-ilavecunsourirededérision.Ilsepassalamainsurlefrontetacheva:—Jamaisjen'auraisdûenveniràmentir,menaceret,pireencore,imitervotresignature.
C'estimpardonnableetjem'enveuxterriblement.Ilprit lamaindeJoannadanslessiennes,plaidantsacaused'unevoixbasseetprofonde
quinelaissaitplaneraucundoutesursasincérité.—Je suisabsolumentdésolédem'être conduitde la sorte.Croyez-moi.Jevousprésente
mesexcuses...pourcequ'ellesvalent.J'espèrequ'unjour,voustrouverezenvouslaforceetlagénérositédepardonneràunvieilhommeunefaute...impardonnable.Joanna mit quelque temps à mesurer toute la portée de son discours. Rien ne l'avait
préparée à ces aveux en forme de confession. Elle sentit fondre comme neige au soleil cequ'elle avait pu garder d'amertume au fond du cœur... D'autant plus qu'à la lumière desévénements récents, elle avaitmieux compris le point de vue desMasters. C'est ce qu'elleavait tenté de dire à Rick au cours de leur échange... houleux. Et qu'il n'avait pas vouluentendre.—Vousavezfaitcequevouscroyiezêtrepourlebiendevotrefils,dit-elle.HowardladévisagealonguementpuissetournaversRick.— Je comprends ce que tu lui trouves, fils. Non seulement elle a pour elle la beauté
physique,c'est indéniable,maisaussi lacompassion–unequalitérare,et laplusprécieusedetoutes.Jen'enaiqueplusderemords...Joannan'avaitjamaisétédugenreàremuerlecouteaudanslaplaie.—Inutilederevenirsurlepassé,dit-elle.Onnepeutrienychanger.—Maisonpeutentirerlesleçons,repartitHoward.C'estcequejesuisentraindefaire.La
vie est trop courte pour qu'onpasse son temps à remettre à plus tard ce qui peut être faitaujourd'hui.Levieilhommesetournaverssonfils.—Pourrépondreàtaquestion,c'estlaraisondemaprésenceici.Faireamendehonorable
envers toi, envers vous deux – et, sur un tout autre plan, mettre en route les formalitésnécessaires,enprévisiondemaretraitedéfinitive.Illevasonverrepourporteruntoastetannonça:—C'est fait etne tarderapasàêtreexécutoire.MastersetCie t'appartient,Richard.Bien
entendu,jegardemesactionset,àcetitre,jeparticiperaiàl'assembléegénéraleannuelledesactionnaires. Celamis à part, je me retire de toutes les activités de direction. En d'autrestermes,jememetsauvert.Ilyavaitfaitallusionlorsdeleurconversationtéléphonique,maisRickétaitpersuadéque
cen'étaitqu'uncoupdetêtequineferaitpaslongfeu.—Jenesaispasquoidire,avoua-t-il.—Souhaite-moi«bonnechance»,aumoins!
—Celavadesoi...Rick avait beau s'y efforcer, il n'arrivait pas à imaginer son père prenant des vacances
permanentes.IlavaittoujourscruqueHowardMastersavaitbesoindetravaillerpourexister.— N'est-ce pas une décision hâtive? s'inquiéta-t-il. La compagnie a toujours été ta plus
grandepréoccupation.Quevas-tufaire?—Triste, non, qu'unhomme soit réduit à une fonction sociale? fitHoward, pensif. C'est
Dorothyquim'afaitvoirleschosessousunautreangle,confia-t-ilàJoanna.Laisserderrièresoi une compagnie florissante, un héritage solide, c'est bien. Néanmoins, ce sont plus lesactesquicomptent,lesgensquenousavonstouchés,quisesonttrouvésmieuxdansleurvieaprèsnousavoirrencontrés,côtoyés.Lebienqu'onapufaireautourdesoi.Ilsouritenvoyantlevisagedelajeunefilles'éclairer.—Vousmecomprenez,n'est-cepas?—De toutmoncœur, répondit-elle sans se forcerpuisqu'il venaitd'énoncer lesprincipes
mêmesauxquelsellecroyait.Poursonébahissement.—Tuferaisbiendenepaslalaisserfiler,ditHowardàsonfils.Jepourraismemettresur
lesrangsettentermachance...Quisait?Rickn'étaitvraimentpassurlamêmelongueurd'ondequesonpèreettoutcequ'iltrouvaà
direfut:—Qu'enpenseraitDorothy?Sonpèreéclataderire.—DorothyWyntersestunefemmelibre.Lemariagenel'intéressepas.Elleseditheureuse
deme«tenircompagnie».Ilpritunairdeconspirationpourajouter:—J'espèrebienlafairechangerd'avisrapidement.Ilmitlamainàsapocheetensortitunpetitécrinqu'ilouvritpourenrévélerlecontenuà
Joanna.—Qu'enpensez-vous?Elle,quelesbijouxindifféraientd'ordinaire,restasansvoix.Surleveloursnoirreposaitun
superbediamantbleu,enformedecœur,quibrillaitdetoussesfeux.Elleportalamainàsesyeux,éblouie.—J'auraisdûmettredeslunettesdesoleil!C'estleplusbeaudiamantquej'aijamaisvu.HowardMastersrefermal'écrin.—Unefemmepeut-ellerefuserdepassercelaàsondoigt?—Difficile,admitJoanna.Rêvait-elle?Etait-ilen traindechercheràse rassurer...auprèsd'elle?Quiaurait imaginé
quecelapuissejamaisseproduire?—Sivousyajoutezvotreproprepersonne,carrémentimpossible!ajouta-t-elle.Ilrit.Dumêmerirequeceluiqu'elleaimaitchezRick.Telpère,telfils.Celaluiparaissait
évidentmaintenantetnelachoquaitpas.Lesdeuxhommesavaientbeaucoupencommun.—Vousêtescharmante,mademoisellePrescott!—Appelez-moiJoanna,jevousenprie.Rickmangeaitcommeunautomate, sansriensavourerdesondîner. Ilétait trop troublé
par la scène qui se déroulait sous ses yeux. Etait-ce réellement son père, cet homme gai,chaleureux?—Papa,tun'espluslemême,réussit-ilàdire.—Jesais,ditsonpère.Etcen'estpasfini...Lachrysaliden'apasachevésamutation.
DupointdevuedeJoanna, la transformationétait enbonnevoie.HowardMastersavaitprisfermementenmainlesrênesdesanouvellevie.Nuldoutequeladamedesesrêvesselaisseraitconvaincred'unirsonsortàcenouvelHoward.—Avez-vousdécidéd'unedate?s'enquit-elle.—Ceseraquandellevoudra.Leplustôtseralemieux.Ilrepoussasonassiette,rassasié,etpritsonverre.—Vousviendrezassisterànotremariage,touslesdeux,j'espère.— Certainement, répondit-elle spontanément avant de s'apercevoir que Rick demeurait
silencieux.Elleluilançaunregardinterrogateuretillevalamainensignedeprotestation.Toutallait
tropvitepourlui.— Je ne sais plus où j'en suis, lâcha-t-il en se passant lamain sur les yeux. J'en suis à
essayerdecomprendrecequisepasse.Relevantlatête,ilobservasonpèreunmoment.—Papa,tuprendsdesdroguesouquoi?—Lameilleuredesdrogues,fils.L'amour.Jenecroyaispasquecelapouvaitarriveràmon
âge,mais...ilnefautjamaisdésespérer.Ils'arrêtapourregardersonfilsdanslesyeux.—Tamèreetmoi,nousn'avonspasvraimentfaitunmariaged'amour,dit-ild'unevoixun
peu rauque. C'était plutôt l'alliance prévue de longue date de deux vieilles familles qui nesongeaientqu'àperpétuerlalignée.Ilsecoualatêteetfermalesyeux,enproieàsessouvenirs,ets'exclamasourdement:—Quandjepenseàtoutcetempsperdu,auxannées...IlsentitunemainsursonbrasetrouvritlesyeuxcommeJoannadisait:— Pas de retour en arrière, d'accord? C'est l'avenir qui est important. Aujourd'hui est le
premierjourdevotrenouvellevie.Illuisouritetsedétendit.Aprèscela,ilsrestèrentàbavarderdechosesetd'autres.PuisJoannaallachercherRachel
etnefitpasmystèredelafaçondontlebébéavaitétéconçu.Ricks'attendaitàdescommentairescritiquesdelapartdesonpère.MaislenouvelHoward
serépanditencomplimentssurlebébéetadmiralaforcedecaractèredeJoanna.—Voussavezcequevousvoulezetvousvousendonnezlesmoyens.C'estunequalitéque
j'appréciechezunefemme...Ilconsultaalorssamontreets'excusa.—Jesuisdésoléd'interrompreunesoiréeaussisympathique,maisj'aiunavionàprendre
et,maintenant,ilsnousfontarriveràl'aéroportdesheuresàl'avance!IlcaressalajouedeRacheletdéclara:—J'aifaitmondevoir.J'aivumonavocatpourqueletransfertdelacompagnieàtonnom,
Richard, se fasse dans les règles. Quant à vous, Joanna... Je suis content d'avoir pu vousprésentermesexcusesetimplorervotrepardon.Ilsl'accompagnèrentàlaporte.Avantdesortir,ilpritlamaindeJoannadanslessienneset
ditgravement:— Bien que je vous aie causé un tort considérable, Joanna, vous vous êtes montrée
magnanimeenversmoi–plusquejenelemérite.Merci.J'espèrequeRichardvafairelebonchoixetvousépousersansplustarder.Amonavis,ilnedevraitpasattendrequ'unautreluicoupel'herbesouslepied.
Ilposalamaindelajeunefemmesurcelledesonfils.—Vousêtesfaitsl'unpourl'autre,vousdeux,celacrèvelesyeux.Jen'avaisaucundroitde
memettreentraversdecequidevaitêtre.C'estmaintenantseulementquejelecomprends.Emue,safilleblottiecontreelle,Joannasepenchapourl'embrassersurlajoue.Illuilançaunregardadmiratifetdit:—Vousêtesunegrandedame,Joanna.Puisilpritsonfilsparlesépaulesetleserracontrelui–gesteôcombieninhabituel.—Prendssoind'elle,fils.Rick,gêné,réponditàl'étreintedesonpèreetavoua:—J'aimeraisbien.C'estellequineveutpas.Howard,quis'approchaitdelaporte,s'immobilisaet,seretournant:—Qu'est-cequej'entends?JoannarougitlégèrementetchangeaRacheldebras.— J'estime qu'il est du devoir de chacun de se suffire à soi-même. De ne dépendre de
personne.Howardfronçalessourcils,réfléchitetréponditavecleplusgrandsérieux:—C'estvraiquandils'agitdeprévoirsaretraiteousonpland'épargne.Danstouslesautres
cas, et pour le dire dans le jargon des hommes d'affaires, je préconiserais un programmed'interférencesàeffetréciproqueetcompensatoire!Ilsepenchaverselleetsurletondelaconfidence,ajoutaavecunsourirecomplice:—Nousautres,pauvreshommes,nousavonsbesoindenoussentirutilesàquelquechose.
Alors,ayezpitiédenous.Sonregardpassad'elleàRickpourrevenirverselle.— Même indépendante et fière de l'être, dit-il encore, appelez au secours de temps en
temps.Celafaittoujoursplaisir.Avecunetapeamicalesurl'épauledesonfils,ilconclut:—Mercidetonhospitalitéetdeta...compréhension.Jet'appelledèsmonretourenFloride.Surcesmots,ilsortitetrefermalaportederrièrelui.
12.Après le départ de son père, Rick s'arma de patience et laissa de côté le sujet qui le
préoccupait.Pourl'instant.IlaidaJoannaàbaignerlebébéetàluidonnerlebiberon.Peuaprès,lapetiteétaitprêteà
regagnersonberceauetelles'endormitsansfairedemanières.Ricksesentitalorsendroitdereprendrelaconversationquel'apparitiondesonpèreavait
interrompue.Dèsqu'ilvitJoannasortirdelanursery,ilannonça:—J'aimeraisquenousreprenionsnotre...discussion.Elle s'y attendait, évidemment. Elle rassembla son courage, repassant dans sa tête les
argumentsqu'ellecroyaitassezsolidespourjustifierlebien-fondédesadécision.Toutefois,Rickneluifacilitaitpaslatâche,loindelà.Saprésenceàsescôtéslorsdessoinsdonnésaubébéavaitmenacédefairevolerenéclatstoutessesbellesrésolutions.Enfin,presque.Carellegardaitenmémoirelesregardsméprisantsdecertainsparticipants,
à la fête de charité. C'était le souvenir auquel elle se raccrochait pour tenir bon, ne pas selaisserdéstabiliserplusqu'ellenepourraitlesupportersansfaibliret...céder.Ellerefermalaportedelanurseryet,passantdevantRick,parcourutsachambreduregard.
Ceneseraitplussachambrepourtrèslongtemps,pensa-t-elle,unriennostalgique.—Iln'yarienàdiscuter,dit-elle.Ilallafermerlaporteducouloir.MmeRutledgeavaitbienannoncéqu'ellemontaitpourla
nuit,mais,danslesilencedelamaison,lebruitdesvoixportaitloin.—C'estparcequetunem'aimespas,répliqua-t-il.Elle sursauta, blessée par cette affirmation.Même si l'issue de la discussion et le cours
entier de leur vie en dépendaient, jamais elle ne pourrait soutenir qu'elle ne l'aimait pas.C'étaitau-dessusdesesforces.Contraireàlavérité.—Jen'aipasditcela.—Pasbesoin,rétorqua-t-il,amer.Ilcherchasarespiration,seforçantàrestermaîtredesesréactions.Lacolèrequibouillait
enluirisquaitd'exploseretcefutd'untondésabuséqu'ildit:—Quandunefemmerejettelademandeenmariaged'unhomme,engénéral,c'estlesigne
qu'ellenesemeurtpasd'amourpourlui.Le faisait-ilexprèsousebouchait-ildélibérément lesyeux?Ilsn'étaientplusdesenfants
inconscientsdescontingencesquipesaientsureux!Combiendefoisdevrait-elleluiexpliquerquec'étaitimpossible?—L'amournerenversepas tous lesobstacles,Rick.C'est lasociétéquirégit lesrelations
entrelesgens.Quetuleveuillesounon,tufaispartieintégrantedecettesociété.Ilsecoualatêtecommes'iln'encroyaitpassesoreilles.— C'est le monde à l'envers. Quand j'écoute mon père, je crois t'entendre, et quand je
t'écoute,jecroisentendreparlermonpère.Encore un peu et elle ne pourrait plus retenir ses larmes. Elle allait semettre à pleurer
commeelle l'avait faitpendantdesannées, lanuit,aupetitmatin, lesoir.Lorsdes longuessoirées solitaires où elle regrettait sa décision, imaginait tout ce qu'ils auraient pu faireensemble,partager,échanger.Voilàquecelarecommençaitencoreunefois.Qu'elledevait,poursonbienàlui,refusersa
proposition.C'étaitàenperdrelaraison.Aenmourir!Furieuse,désespérée,elleluilança:—Ilyadeschosesqu'onnepeutpasfairesemblantd'ignorer,RickMasters.L'expérience
delafêtedechariténet'apassuffi?Tunet'espasaperçuquejenesavaispasquoifairedelafourchettequemetendaitleserveur?Illaregarda,abasourdi.—Alors,c'estcela?Tumisestoutnotreavenir,toutenotreviesurunefourchette?Impuissante, démunie, elle chercha un endroit, un refuge pour y panser ses blessures à
l'abridesregards.Pasdanssachambre.Ailleurs.Ellesedirigeaverslaporte.—Jenepeuxriendire.Tudéformeschacundemesmots.Illapritparlesbrasetlafitsetournerverslui.Commeilsel'étaitpromis,ilnelalaisserait
paspartirsanssebattrejusqu'aubout.—Oui,dit-il,d'unevoixtropforte.Etjecontinueraidelesdéformer,transformer,triturer
jusqu'àcequ'ilsprennentlaformequejesouhaite.Illutcequ'ellepensaitsursonvisageetreprit:—Et,non,cen'estpasunequestiondepouvoir.C'estdebonheurqu'ils'agit.Debonheur
partagé.Illarelâchaetsepassalamaindanslescheveux.—Ilyadescourspourapprendreàseservird'unefourchette,Joanna.Enrevanche,aucun
coursnet'apprendraàêtreheureuse.Il se rendit compte qu'il avait haussé le ton tant il était furieux, blessé, paniqué à la
perspectivedevoirsonrêveluiéchapper.Il la contempla longuement, s'évertuant àmettre tout son amour dans son regard. Puis,
espérants'exprimerd'unevoixàpeuprèsnormale,ildit:—Têtue,maissibelle...Lesyeuxdanslessiens,elles'efforçadeluifairecomprendrelaraisondesonentêtement:—C'estpournousdeux,Rick.C'étaitplusqu'iln'enpouvait supporter!Que croyait-elle à la fin?Qu'elle allait faire son
bonheur en refusant d'être sa femme?Ne voyait-elle pas qu'elle le condamnait à souffrirmillemorts,pirequ'autrefois,jusqu'àlafindesesjours?—Toutcequemonpèreaditnetefaitpaschangerd'avis?QueHowardMasters,àl'âgequ'ilavait,décidetoutàcoupd'agircommebonluisemblait
n'affecteraitenriensavienisonstatutsocial.Celan'entraitdoncpasenlignedecompte.Ilen allait tout autrement pour Rick au moment où il revenait à Bedford, chargé deresponsabilités.—Tonpèren'aplusrienàperdre,niàprouver,dit-elle.—Tandisquemoi?cria-t-il.Ilétaithorsdeluietcraignitdeselaisseralleràdesécartsdelangagequin'arrangeraient
rien.Acontrecœur,ils'écartad'elleettournalestalons.Deuxminutesplustard,elleentenditclaquer laported'entrée.Lebruit lui fit l'effetd'un
coupdepoignardetsonpremierréflexefutdecouriraprèslui,deluidirequ'elleavaitchangéd'avis.Mais elle se reprit. Il lui fallait tenir bon. Elle ne pouvait pas se permettre la moindre
faiblesse,lemoindrefauxpas.Nepasluidonnerd'espoir.Parce qu'elle l'aimait, qu'elle voulait son bonheur. Elle ne devait jamais oublier qu'il en
allaitdubonheurdeRick.Elle s'assit sur son lit, la têtedans lesmains.Ellen'étaitpas faitepour l'héroïsme...Que
celafaisaitmal!
Ellevenaitenfindeglisserdansunsommeilagitéquandelleentendit frapperàsaporte.Immédiatementenalerte,elleseredressasursonlit.Sapremièrepenséefutqu'ilétaitarrivéquelquechoseàRick...Elleavaitpassélasoiréeàruminerdesombrespensées,às'interroger,bourreléededoutes
etderemords,àprierpourqu'ilnefassepasdebêtise.Guettantlemoindrebruit,elleavaitattendusonretour.Tarddanslanuit,commeiln'étaittoujourspasrentré,elleavaitétésurlepointd'appelerleshôpitauxdelarégionafindesavoirs'ilavaitétéblessédansunaccident.Aqueltitre?s'était-elledemandé.Elleneluiétaitrien.Versles2heuresdumatin,ellen'enpouvaitplusd'angoisseetdefatigueets'étaitrésignée
às'étendresursonlit.Elleavaitbesoinderepospourpouvoirsemettre,dèslelendemain,àlarecherched'unlogement...Elle sauta de son lit et courut ouvrir, s'attendant à voirMmeRutledge, le visage défait,
porteusedemauvaisesnouvelles.—Qu'est-cequi...,commença-t-elle.Elle faillit se heurter à Rick de plein fouet. Se retint au chambranle pour reprendre son
équilibreetl'examiner.Apparemment,ilallaitbien.Unsoupirdesoulagementluiéchappa.L'instantd'après, ce fut la colèrequi la submergea.Dequeldroit lui infligeait-ilpareilles
angoisses?Elleluimartelalapoitrinedesespoings,disantd'untonbasetintense:—Ilest3heuresdumatin.Oùétais-tupassé?Ilbaissalesyeuxsurunpaquetdefeuillesqu'iltenaitserréescontrelui.—J'étaisàlarecherchedepreuves.—Depreuves?Ellebaissalesbrasetplissalesyeux,s'efforçantdecomprendre.—Dequoiparles-tu?Ricks'étaitsouvenudecequ'avaitracontésonpèreàtableetuneidéeluiétaitvenue.—J'aiappelémonpère.Ilétaitencoreà l'aéroportet ilm'adonnéunelistedenoms.J'ai
passémontempsàfairedesrecherches.Ellenesaisissaitriendecequ'ilracontaitet,detoutefaçon,celan'excusaitpaslefaitqu'il
soitrestéabsentsilongtemps.—Desnoms?fit-elle.Quelsnoms?Ellel'observaattentivement.Etait-ildanssonétatnormal?—Rick,tuasbu?—Non.Cen'estpasl'enviequim'enamanqué...,ironisa-t-il.Effectivement,enquittant lamaison, ilavaitététentédenoyersonchagrindans l'alcool.
Jusqu'aumomentoùilavaitpenséàuneautrefaçondesechangerlesidées.Plusféconde.—...maiscelan'auraitpasapportédesolutionàmonproblème.IltournaitautourdupotetJoannasentitlamoutardeluimonteraunez.—Explique-toi.Quelproblème?—Toi!Illafitrentrerdanssachambre,l'ysuivitetrefermalaporte.Puisillançalesfeuillessurle
litetelless'yrépandirentcommeunebrasséedefeuillesd'automnesurlegazon.—Vas-y.Lis.L'ordren'aaucuneimportance.—Qu'est-cec'est?s'enquit-elle,intriguée.Ileutunpetitriresec.—Cesontmesillustresancêtres,figure-toi.Lagloiredelafamille.Commeellenebougeaitpas,ils'approchadulitetpritunefeuille.—Tiens,envoilàundesplusintéressants.SimonGreeley,néen1657,approximativement.
Gâte-bourse.Illevalesyeuxverselle.—Aucasoùtunesauraispascequeçasignifie,c'estquelqu'unquicoupelabridedeton
sacet s'enfuit avec.End'autres termes,unvoleur.Unpickpocketde l'époque.Lui, c'estducôtédemamère.Ilneputs'empêcherdefairelagrimaceenimaginantsamère,horrifiéed'apprendrequ'elle
avaitungâte-bourseparmisesascendants.—Jesuissûrqu'elleauraitadorédescendred'unSimonGreeley!Ilreposalafeuilleetenprituneautre.—Toujoursducôtédemamère.JennyWheelwright.Prostituée.Pasdedatedenaissance.
Toutcequ'onsaitd'elle,c'estqu'ellefut«transportée»versleNouveauMonde,commeondisaitalors,en1689...aulieudesubirlapeinedemort.Ilprituntroisièmedocument.—Ah!Voilàundesglorieuxancêtresdemonpère.JonathanMasters.Condamnédedroit
commun!Tusaisis?Illevalesyeuxverselle,lamaintendueverslesfeuillets.—Jecontinue?Ellen'yétaitpas!Quelplaisirpouvait-ilprendreàrabaissersesaïeuls?—Pourquoitoutcela?—N'est-ce pas clair? J'essaye de te brosser un tableau honnête de cette généalogie dont
noussommessifiers.Aprèstout,tuasledroitdesavoirdansquellefamilletumetslespieds!Ilenglobad'unlargegestelesfeuillessurlelitetdit:—C'estcela,mafamille.Tuytrouverastoutcequetuveuxsavoir...Ilajouta:—Sicelat'intéresse,j'aiaussifaitquelquesrecherchesconcernantAlyssaTaylorainsique
certainsdesintéressantspersonnagesquiparticipaientàlafêtedecharitél'autrejour.Aucund'euxnepeutsevanterd'unelignéepureetsanstache.Ilmarquaunepauseetannonça:—J'aifaitlamêmerecherchepourtoi.Elleouvritgrandlesyeux.—Moi?Ilfitsigneque«oui»,s'assitsurlelitetsemitàchercherparmilesdocuments.—Celam'aprisunpeuplusdetemps.Jen'avaisquelenomdetamère.Découvrirquiétait
tonpèreaétéunpeuplusdifficile.Qu'est-cequiluiarrivait?Pourquoifairetoutcetravailaubeaumilieudelanuit?—Commentas-tu...?—Grâceauxarchivesdel'hôpital.Sonnomfiguresurtonactedenaissance.Unteldocumentn'étaitpasdisponiblesurleNet,raisonna-t-elle.Ilavaitdûemployerdes
moyens...non,pasillégaux,toutdemême...—Depuisquandfais-tudupiratagededocuments?— Moi, non. Mais Pierce est un gars bourré de talents et de ressources cachées. Un
véritablegéniedel'informatique.Rienneluirésiste.Ilatravaillécommeundinguetoutelasoiréeetjel'ailaissé,auborddel'épuisement,écroulésursonlit.Acettepensée,Ricksemitàsourire.— Mais je m'écarte du sujet, se reprit-il. D'après mes renseignements, tu es la plus
recommandabledenous tous.Ni voleur,nimeurtrier,nibellesdenuitparmi tes ancêtres.Tousdebravesgens,fermiers,manouvriers,sanshistoiresnicondamnation.
Elles'étaitassisesurlelit.Illuipritlamain.—C'estmoiquidevraismefairedusouci,Joey.Tuvasavoirhontedemoi.—Tu...tuasfaittoutcelapourmoi?—C'esttoiquifais ladifficile, luirappela-t-il,quidemandesdespreuves.Moi, ilyabelle
lurette que je sais que tu es celle qui me convient, que je veux et que j'aime. Enfin! siquelqu'uns'avisejamaisdetefairesentirquetun'espasàtaplace,jeluienvoiephotocopiede certains documents concernant ses ancêtres. Je parie que cette personne révisera sapositionetquetun'aurasplusjamaisdroitàaucunerebuffade.Joanna était sous le choc,muette de saisissement. Jamais personne ne lui avait fait un
aussibeaucadeau.—Jenesaispasquoidire,murmura-t-elle.Illuipritlevisageentresesmainsetsuggéra:—Un seulmotme paraît répondre à la situation : «Oui ». Comme dans : «Oui, Rick,
j'acceptedet'épouser.»Ouencore:«Oui,j'iraiàCatalinaavectoi...»—Catalina?C'étaitencoreunesurprise.Avecl'arrivéeinopinéedesonpère,iln'avaitpaseul'occasion
deluienparler.—J'airéservédeuxplacessurlebateaupourdemain.Jeveuxdir...pouraujourd'hui.Quelquechoseluirevintàlamémoireetilmitlamainàsapoche.—Etj'aiquelquechosepourtoi.Joanna,dépassée,sedemandacequ'ilavaitencoreinventé.Il sortit un petit écrin et le plaça au creux de la paume de la jeune femme. Quand elle
l'ouvrit,ellereconnuttoutdesuite lesuperbediamantquesonpèreluiavaitmontré: ilnepouvaitenexisterdeuxidentiques.Elleleregardasanscomprendre.—C'estlediamantdetonpère...Ellerefermal'écrinetleluitendit.Ilrepoussadoucementsamain.—Oui.Ill'avaitachetépourDorothy.—Alors,commentsefait-ilqu'ilsoitentapossession?Son père le lui avait glissé dans la poche au moment de son départ. Sous le coup de
l'émotion,Rickn'avaitpasréagi.—Ilmel'adonné.Ilapenséquecelam'aideraitàteconvaincredem'épouser.Ilscrutasonvisage.—A-t-ileuraison?Nelaconnaissait-ilpasencore?s'indigna-t-elle.—Cen'estpaspourundiamant,aussibeausoit-il,quejepourraisdéciderdet'épouser.Commes'ilnelesavaitpas!Lediamantn'étaitqu'unsymbole.Lesymboledelarichessede
sonamour.—Est-cequetum'épouserais... justeparamour?s'enquit-ildansunsourire.Parcequeje
t'aimeetquetum'aimes?Jenetelaisseraipastranquilletantquetunem'auraspasdit«oui»!—Tusaiscequetuesentraindefaire?Duharcèlementmoral!Pasfaciledefairedel'humouràunmomentpareil!Pasfacile,surtout,deseretenirdese
jeterdanssesbras.—Jememoquedesétiquettesetduqu'endira-t-on,reprit-ilpresqueavecvéhémence.Tout
cequim'importe,c'esttoi,moi,lebébéetnotrebonheuràtouslestrois.Jenepeuxenvisagerlaviesanstoiàmescôtés.
Ilplongeasesyeuxdanslessiensetpoursuivit:—J'aidéjàgoûtéàlaviesanstoi,etnonmerci.Ilm'afallumetuerautravailpournepas
penser à toi vingt-quatre heures sur vingt-quatre et, même alors, ça ne marchait pas.Rappelle-toi ce que tume disais, que ce qu'on faisaitn'avait pas d'importance. Que ce quicomptait,c'étaitquionaimaitetquivousaimait.Ilresserrasonbrasautourdesesépaules.—C'estcequicomptedansmavie,Joanna.Jet'aimeettum'asditquetum'aimais.D'après
moi,iln'yaqu'uneseuleissuepossible:lemariage.Ilavaitréussiàfranchirtouteslesbarrières,àfairetombertouteslesdéfensesqu'elleavait
sipéniblementérigées.Elleavaitperdu touteenviede sebattre.Elledemandanéanmoins,pourlaforme:—Tuessûrquec'estcequetuveux?—Combiendefoisfaudra-t-ilteledire?s'impatienta-t-il.Etdecombiendemanières?Ellesouritet,désignantlesfeuilletssurlelit,reconnut:—Tuasfaitpreuved'imagination!—Maintenant,jeveuxt'entendredireunmot,unseul.—Unseulmot?ledéfia-t-elle,luttantpourgardersonsérieux,unéclairdetaquineriedans
lesyeux.Ilmordillasalèvreinférieure.—Petitefutée!— Pas si futée que cela, corrigea-t-elle. Quand je pense que je me suis coupée de toi,
volontairement!—Etmaintenant?—Fini.Jamaisplus,sepromit-ellesilencieusement.Rickhochalatête,rassuré.—Trèsbien.Jevaispouvoirdécommanderlesouvriersquidevaientmettredesbarreauxà
touteslesportesetfenêtres.Elleéclataderire.—Rick!Celaauraitdéfigurélamaison...Ilredevintsérieuxpouraffirmer:—Aucuneimportance.Jeneveuxqu'unechose:toi,chezmoi,danscettefichuebaraque.—D'accord.Cette réponse elliptique ne suffit pas à Rick. Il avait besoin de l'entendre formuler son
consentementdefaçonplusélaborée,plusnette.— Joanna Prescott, fit-il solennellement, voulez-vous me faire l'honneur de devenir ma
femme?Lecœurgonfléd'amour,encoreétonnéedecedénouementmiraculeux,Joanna luipassa
lesbrasautourducouets'exclama:—Oui,RichardMasters.Jeleveux!Leurs lèvres s'unirentpourunbaiser aussipleinde tendressequedepassion. Ils étaient
surlepointdeleprolonger,delaisserparlerlapassionquilesanimait,quandunpetitcrisefitentendre:lebébés'agitait.Acontrecœur,Joannas'écarta.—Ilfautquej'aillevoirmonbébé...—Notrebébé,rectifiaRick.C'estensemblequenousironslavoir...Dansuninstant.Ilrepritseslèvres.
Cefutunbaisermagique,plusdouxquelenectardesdieuxdel'Olympe,pluspuissantquel'éruption d'un volcan, plus prometteur qu'un bouton de rose aux premiers souffles duprintemps.Unbaiserquiscellaitleurbonheur–àtoutjamais.