92

Comment créer un contexte social favorable à l'intelligence collective et l'innovation_Thomas Bonnecarrere

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Analyse des processus d'intelligence collective et d'innovation au sein d'un groupe d'idividus

Citation preview

Comment créer un contexte social

favorable à l’intelligence collective et

l’innovation ?

Thomas Bonnecarrere

Comment créer un contexte social

favorable à l’intelligence collective et

l’innovation ?

Analyse de l’esprit collectif évolué et de l’émergence des

nouvelles idées au sein d’un groupe d’individus

Intelligence Collective, Innovation, Motivation, Société,

Pouvoir, Information, Communication, Psychologie Sociale

Vous souhaitez soutenir l'auteur de ce livre ? Vous pouvezcommander un exemplaire physique à cette adresse :

http://www.atramenta.net/books/comment-creer-un-contexte-social/170

Cette création est mise à disposition selon le Contrat

Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported disponible en ligne

http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/ ou par courrier postal à

Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California

94105, USA.

La connaissance est faite pour être

partagée. L’auteur vous encourage à

diffuser ce document.

Illustration de la couverture : Water brushes par Dirk Wüstenhagen

A Bruno, pour son éternel enthousiasme et son soutien ainsi qu’à tous

les amoureux du partage de la connaissance

Fondateur de l’IFIC International (Institut Francophone de

l’Intelligence Collective)

Nous sommes en train de vivre une révolution extraordinaire dont nous

avons à peine conscience. Le chaos dans lequel nous vivons préfigure de

grands changements et des étapes d’adaptation sans précédents dans l’histoire

de l’homme. La complexité et l’incertitude de notre environnement font naître

de nouvelles opportunités qui, si elles sont saisies, peuvent permettre à nos

sociétés de créer de nouveaux modes d’organisation à mêmes de relever le

formidable défi qui nous unit tous en ce début du 21ème siècle. Je suis

résolument optimiste quant à notre avenir.

Il est cependant nécessaire pour réaliser ces transformations de faire appel à

l’ensemble de nos savoir-être et savoir-faire. La cognition collective ou le

savoir-faire ensemble devient un enjeu majeur pour nos économies de demain.

La mobilisation de l’intelligence collective développe une force réellement

capable de penser « hors du cadre » et d’imaginer « d’autres possibles ». Cette

mobilisation des intelligences et des volontés ne peut cependant s’effectuer

qu’en réformant nos schémas mentaux et donc nos anciennes chaînes de

commandement de nos systèmes pyramidaux qui privilégient les savoirs issus

du « haut » et délaissent une grande quantité d’autres intelligences du « bas ».

C’est l’objectif poursuivi par Thomas dans cet ouvrage. J’ai dévoré ce

concentré d’analyse sur les phénomènes et mécanismes psychologiques,

cognitifs et sociologiques concernant l’émergence d’un nouveau mode de

pensée. En proposant un nouveau paradigme à propos de la mobilisation et du

développement de l’intelligence collective et de l’innovation, il tente de donner

des clés de compréhension pour appréhender ces phénomènes collectifs.

J’ai trouvé dans ce livre un très beau support d’inspiration et de réflexion

pour tous ceux qui souhaitent développer ces thématiques d’intelligence et

Préface de Philippe CLEMENT

d’innovation. Thomas est un aventurier de la psyché groupale et voyage dans

des zones non conscientes et en émergence. C’est un chercheur et c’est donc

tout naturellement que je lui ai proposé d’intégrer l’IFIC, afin d’allier nos

talents et compétences et explorer les nouvelles voies prometteuses qui

s’offrent à nous, grâce à notre réseau de chercheurs et d’experts

internationaux.

En espérant que ce livre vous permette également de nourrir vos propres

réflexions et vous donne envie, à vous aussi, de participer à cette extraordinaire

aventure qu’est l’intelligence collective.

IFIC : http://www.institutific.com

le« La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais

d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans

tous les recoins de l’esprit »

John Maynard Keynes

« La créativité individuelle peut être détruite par une incitation au

conformisme...Les injonctions à agir rationnellement inhibent les

aptitudes à se comporter de manière créative »

Harold J. Leavitt

I. Réflexions initiales 1

II. Analyse de quelques concepts fondamentaux 11

1. Analyse du concept d’individu 11

2. Analyse du concept de groupe 17

A. L’identité sociale et les relations intergroupes 18

B. Les statuts et rôles 21

C. La cohésion 22

D. Les interactions 23

E. Les décisions de groupe 27

III. Réflexions et analyses approfondies 31

1. L’organisation comme individu 31

2. De la nécessité du dialogue...et du conflit dans l’innovation 32

3. Le leader du groupe et son rôle au sein de celui-ci 34

4. La motivation intrinsèque comme moteur de l’innovation 42

5. Le charisme, une construction sociale 44

6. Pourquoi et comment influencer le leader afin de produire une

innovation nécessaire mais non sollicitée par la hiérarchie ? 45

IV. Le management de l’intelligence collective, des connaissances,

de l’ignorance et des antagonismes 50

1. Le management de l’intelligence collective 50

2. Les communautés de pratique 52

3. Exploiter la mémoire, l’analyse et le réseau 53

Sommaire

A. La mémoire de l’organisation 53

B. Le réseau 55

C. L’analyse 59

D. Prévenir et manager les antagonismes 62

4. Valoriser les échecs pour désinhiber les individus et optimiser

le processus d’innovation 72

5. De la nécessité de l’anonymat pour favoriser la proposition de

nouvelles idées et lutter contre la polarisation des attitudes 73

Conclusion 77

Bibliographie 78

Réflexions initiales

Nous allons à travers ce document tenter d’analyser en détail quels

phénomènes et mécanismes psychologiques, cognitifs et sociologiques entrent

en jeu dans la génération du processus d’innovation et l’émergence de

nouvelles idées au sein d’un groupe d’individus1.

Nous partirons d’un premier constat faisant émerger un paradoxe au niveau

des « effets collectifs » issus des groupes d’individus, que nous nommerons

« paradoxe groupal ». L’individu est ainsi plus intelligent en groupe

(génération d’une « intelligence collective2 », de l’innovation/créativité qui

constituent des effets bénéfiques). Cependant, l’individu plongé dans un

groupe est également amené à perdre ses facultés intellectuelles et réflexives

de par des phénomènes inconscients comme l’influence sociale3, le

conformisme4, la preuve sociale5, la contagion sociale6, l’état agentique7 ou

1 Nous précisons que la notion de groupe dans notre analyse fera référence àun groupe « secondaire » (un groupe structuré à l’intérieur d’uneorganisation sociale où les relations sont davantage déterminées par descodes et où les membres ont entre eux des relations plus ou moins imposéespendant la durée où ils sont ensemble) et « formel » (les membres y ont uneplace assignée et des rôles prescrits notamment par une structurehiérarchique). Nous rajouterons que certaines parties de ce document serontplus adaptées aux organisations/entreprises, même si elles peuvent très bienêtre transposées dans les autres genres de groupes humains. Enfin, noussoulignerons que certaines parties feront références à des relations intergroupes(notamment dans la notion de « management des antagonismes ») qui feronten fait référence à des sous-groupes générés au sein du groupe global que nousnous proposons d’étudier.2 Nous analyserons ce concept prochainement.3 « Processus régissant les modifications de perception, de jugement,d’opinion, d’attitude ou de comportement d’un individu, provoquée par saconnaissance des perceptions, jugements, opinions d’autres individus ».(Doise)

1

la pensée groupale8 qui influencent son comportement, ses attitudes et donc sa

perception vis-à-vis de son environnement et de lui-même. Un individu en

groupe est donc pour résumer à la fois plus intelligent (combinaison de toutes

les intelligences pour créer une forme de connaissance plus évoluée) mais aussi

plus « stupide » (il perd ses facultés critiques et réflexives au profit de

l’acceptation de normes et règles imposées par le groupe et d’une opinion

majoritaire qui n’a pas forcément toujours « raison » (cf. expérience de Asch

sur le conformisme9).

L’individu plongé en contexte social ou groupal devient selon notre thèse

une partie intégrante de ce que nous appellerons un esprit collectif (esprit basé

4 « Attitude sociale qui consiste à se soumettre aux opinions, règles, normes,modèles qui représentent la mentalité collective ou le système des valeurs dugroupe auquel on a adhéré, et à les faire siens » (Mucchielli) ; « Modificationde croyances ou de comportements par laquelle un individu répond à diverstypes de pressions d’un groupe, en cherchant à se mettre en accord avec lesnormes ambiantes par l’adoption de comportements approuvés socialement ».(Fischer)5 « Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque-chose, c’estque c’est la meilleure chose à faire ». (Cialdini)6 « Phénomène par lequel des sentiments, des opinions ou des comportementsinitialement exprimés par un ou quelques individus se propagent à tout groupedans un contexte social donné ». (Fischer)7 Ce phénomène a été étudié par Milgram dans sa célèbre expérience sur lasoumission à l’autorité. Dans un contexte de soumission face à une autoritélégitime, l’individu se déresponsabilise de ses comportements et est plus enclinà poursuivre ceux-ci si la source d’autorité lui assure qu’elle endosse l’entièreresponsabilité les concernant. Il devient, selon Milgram, l’« agent exécutifd’une volonté étrangère ».8 « Tout se passe comme si les rapports d’amitié, la solidarité ou l’esprit decorps qui règnent dans les groupes incitaient les individus à adopter cettepensée non critique et groupale au détriment de la pensée indépendante etcritique. Elle y sera source d’illusions, d’impudences et d’idées toutes faites. Etaura pour résultat une moindre efficacité intellectuelle, une moindre prise surla réalité, un affaiblissement des jugements moraux ». (Moscovici)9 Consultable à cette adresse : http://www.youtube.com/watch?v=pUC3d-Qu3KU

2

sur la fusion de l’ensemble des esprits individuels présents), inspiré de

l’expression « âme collective » mise en évidence par les travaux de Gustave

Lebon10 et Emile Durkheim11. Nous partirons du principe dans notre analyse

que le groupe constitue une entité supérieure à la somme des individus qui

le composent. Nous garderons également à l’esprit que pour favoriser le

processus d’innovation et d’intelligence collective au sein d’un groupe, il faut

à tout prix éviter une uniformisation et polarisation12 des attitudes des

individus pouvant être générée par une grégarisation13 de ceux-ci.

Nous allons distinguer deux sortes d’esprit collectif générés par un

contexte de groupe. Le premier, que nous nommerons esprit collectif

primaire n’est pas vraiment favorable à l’émergence de l’innovation et de

l’intelligence collective car basé sur la soumission, l’acceptation de

l’existant et l’absence de conflit cognitif (favorisant la perte de conscience et

de réflexion individuelle). Le deuxième que nous nommerons esprit collectif

évolué est quant à lui favorable à la remise en cause de l’existant, à la

proposition et prise en compte de nouvelles idées, à l’émergence d’un

10 « Évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de lapersonnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagiondes sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformerimmédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractèresde l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, il est devenu un automate que savolonté ne guide plus ». (Lebon)11 « En s’agrégeant, en se pénétrant, en se fusionnant, les âmes individuellesdonnent naissance à un être, psychique si l’on veut, mais qui constitue uneindividualité psychique d’un genre nouveau ». (Durkheim)12 Phénomène par lequel les opinions des individus d’un groupe deviennent deplus en plus extrémistes au fur et à mesure que l’attention de ces derniers sefocalise sur les différences qu’ils perçoivent entre leur propre groupe et lesautres.13 Tendance instinctive qui pousse des individus d’une même espèce à serassembler et à adopter un même comportement (source :http://www.cnrtl.fr/definition/gr%C3%A9garisatio n ).

3

« conflit cognitif » et donc à l’innovation. Nous allons donc étudier au travers

de ce document comment manager un groupe d’individus afin de parvenir à

générer un contexte favorable à l’innovation via la formation d’un esprit

collectif évolué14.

Voici en résumé les différentes caractéristiques de ces deux types d’esprit :

Esprit collectif primaire Esprit collectif évolué

Peu de conflit cognitif. Le groupe

est régi par une majorité établie

exerçant une forte pression sur les

individus (pression majoritaire) via

des normes15 rigides favorisant une

uniformisation des comportements

et attitudes.

Conflit cognitif permanent

(proposition incessante de nouvelles

idées par les individus). Les

individus analysent, critiquent et

remettent en cause en permanence

la majorité et les représentations

sociales16. L’influence minoritaire

est favorisée et encouragée dans le

groupe par des normes souples

favorisant l’impact social17. Les

14 Nous préciserons qu’il peut bien entendu y avoir d’autres formes d’espritcollectif, dont les caractéristiques empruntent à la fois au primaire et àl’évolué. Nous nous focaliserons cependant ici uniquement sur les deux espritscollectifs décrits dans ce document, notre but étant d’analyser commentoptimiser les processus d’intelligence collective et d’innovation, véritablementfavorisés au sein d’un esprit collectif évolué.15 « Type de pression cognitive et psychosociale se référant à des valeursdominantes et des opinions partagées dans une société. Elle s’exprime sousforme de règles de conduite plus ou moins explicites en vue d’obtenir descomportements appropriés socialement ». (Fischer)16 « Système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, desaspects ou des dimensions du milieu social qui permet non seulement lastabilisation du cadre de vie des individus et des groupes mais qui constitueégalement un élément d’orientation de la perception des situations etd’élaboration des réponses » (Moscovici). Jodelet résume ce concept par « uneforme de pensée sociale ».

4

individus produisent de l’analyse,

de la réflexion, de la critique par

rapport aux différentes normes et

rôles sociaux18 ainsi que des idées

nouvelles. Ils conservent leur

individualité, leurs capacités

cognitives et inventives et disposent

d’une vision /perception élargie

Union idéologique prônée au sein

du groupe (les individus obéissent à

une idéologie dominante) et division

physique (individu isolé) qui a pour

effet de rendre la divergence

d’opinion difficile

Diversité idéologique encouragée

pour optimiser la lecture collective19

et union physique (solidarité au sein

des membres) encouragée mais non

forcée qui a pour but de faciliter la

divergence d’opinion

Déviance20 proscrite. Effet depolarisation21 favorisé

Déviance encouragée. Effet de

polarisation atténué

Pas de management de

l’intelligence collective

Management de l’intelligence

collective

17 Nous analyserons cette théorie prochainement.18 Nous analyserons prochainement comment favoriser cette prise de recul surles rôles par les individus, indispensable pour éviter une intériorisation tropforte de ceux-ci pouvant potentiellement générer des effets fortement négatifs(cf. expérience de Zimbardo sur la prison de Stanford consultable ici :http://www.youtube.com/watch?v=FkmQZjZSjk 4 ).19 Nous analyserons cette pratique prochainement.20 « Résistance individuelle aux pressions sociales, qui s’exprime par ledéveloppement d’une motivation négative liée au sentiment d’une perte de sonindépendance et qui se traduit par une tendance à vouloir retrouver sa libertéperdue ». (Fischer)21 Nous analyserons ce concept prochainement.

5

L’information et sa maîtrise est le

fruit de l’exercice de l’autorité22

(provoque une uniformisation des

perceptions et donc des réalités

individuelles

L’information est pluraliste

(permet une diversité des

représentations et réalités) et sa

maîtrise est pratiquée

collectivement (chaque membre est

encouragé à avoir un rôle dans ce

processus)

La communication

interindividuelle est restreinte ou

mal optimisée et est basée sur une

conception « technique »23.

Structure de communication24

centralisée

La communication

interindividuelle est largement

favorisée. Les individus sont

encouragés à dialoguer et échanger

des points de vue afin d’optimiser la

négociation et la cohabitation25 au

sein du groupe (conception

anthropologique de la

communication). Structure de

communication décentralisée

22 Selon Dominique Wolton, fondateur et directeur de l’Institut des Sciencesde la Communication du CNRS (ISCC), la maîtrise de l’information estfondamentale aussi bien pour les pouvoirs que pour les contre-pouvoirs àl’échelle du monde car elle permet de créer une représentation de laréalité. Elle ne joue cependant pas un rôle automatique dans les rapports deforce car il reste un nombre important de résistances chez les récepteurs.Wolton parle ainsi de « récepteur-acteur ».23 Une définition de ce terme sera donnée prochainement.24 Nous analyserons ce concept prochainement.25 Selon les analyses de Wolton, Libaert et d’Almeida que nous présenteronsprochainement.

6

Culture basée sur des certitudes

profondes et la non remise en

question des savoirs existants

considérés comme « absolus »

Culture de l’ignorance et de

l’étonnement au sein du groupe

(recherche constante de nouveaux

problèmes et de solutions26)

Autorité du leader basée sur la

fascination, le charisme et la peur.

Forme de pouvoir abusif27

Autorité du leader basée sur les

compétences, la considération et le

respect. Forme de pouvoir modéré

Style de management et de

leadership autocratique et

transactionnel28

Style de leadership consultatif

et transformationnel et style de

management puisant dans le leader

social, l’intégrateur et le

démocratique-persuasif

Système de fonctionnement basé

sur l’obéissance29 et la

récompense/sanction (motivation

extrinsèque) et la compétition

intragroupe bridant l’imagination et

la créativité des individus

Système de fonctionnement basé

sur l’engagement volontaire,

l’autonomie, la maîtrise et le but30

(motivation intrinsèque) et la

coopération intragroupe débridant

l’imagination et la créativité des

individus

Pas de management des

antagonismes31

Management des antagonismes

26 Selon le cycle de « question-réponse » mis en évidence par Bernard Besson,expert en Intelligence Economique que nous analyserons prochainement.27 Nous définirons cette notion prochainement.28 Nous aborderons ce concept ainsi que les autres styles de management /leadership prochainement.29 « Modification du comportement à travers laquelle un individu répond parla soumission à un ordre qui lui vient d’un pouvoir légitime ». (Fischer)30 Selon la définition de Daniel Pink que nous allons étudier prochainement.

7

Groupe soudé par des stéréotypes

et la discrimination32 par rapport aux

individus déviants ou appartenant à un

autre groupe

Groupe soudé par des valeurs

communes, un respect et une écoute

mutuelle

Un exemple d’esprit collectif primaire

Prenons un exemple on ne peut plus explicite d’esprit collectif primaire

qu’est une société totalitaire. Dans ce genre de société (qui est, comme le

souligne Tönnies33 un groupe d’individus ayant pris conscience de lui-même et

qui a décidé de vivre en accord avec un projet collectif), les individus sont unis

autour d’une idéologie forte. La remise en cause de cette idéologie et de ce

fait de l’ensemble des « représentations sociales » est donc proscrite

(condamnée socialement). Le conflit cognitif est ainsi peu favorisé et le

phénomène d’innovation ne peut être généré que très difficilement. Ces

individus, bien qu’étant unis autour d’une même idéologie, sont isolés et

l’individualisme est d’ailleurs fortement prescrit (valorisé socialement). La

solidarité est une valeur qui n’est pas du tout mise en avant au sein de la

société, rendant ainsi difficile la formation de groupes contestataires ou

« divergents » par rapport à l’ordre établi. De plus, l’émergence de nouvelles

idées est d’autant plus difficile que ce genre de société base la plupart de ses

discours sur l’affect/émotion (pathos) comme l’appel à la peur ou au

sentiment d’insécurité et non sur la réflexion (logos). Les individus sont ainsi

habitués à percevoir leur environnement via le prisme de leurs émotions et non

via une approche posée, analytique, critique et réflexive nécessaire à

31 Nous étudierons comment effectuer cette pratique ultérieurement.32 Nous analyserons ces trois concepts prochainement.33 Sociologue et philosophe allemand.

8

l’innovation. L’information, qui possède le pouvoir d’« influencer la réalité »

dans l’esprit des individus de par les représentations mentales et les

réflexions qu’elle développe chez eux34 et sa maîtrise n’est pratiquée que

par l’autorité ou des médias (diffuseurs d’information) opérant une

sélection dans celle-ci (manipulation analysée par la théorie de l’« agenda

setting » de McCombs et Shaw35). Ces diffuseurs n’impliquent pas non plus

les individus dans le processus de collecte, d’analyse, de traitement de

l’information et d’émergence de nouvelles idées. La communication

interindividuelle est restreinte et centralisée, bridant ainsi les processus de

négociation et de cohabitation pouvant potentiellement remettre en cause les

représentations sociales.

Les conflits intergroupes sont exploités par l’autorité pour générer chez

les individus un meilleur « esprit de groupe » et une conformité plus

grande aux normes36. Les leaders agissent en autocrates, le conflit leur

permettant d’imposer des règles et consignes claires et précises et d’obtenir

un respect des normes plus important37. Enfin, les individus déviants et

réactants38 ne sont pas intégrés dans les discussions, négociations et

réflexions collectives. Ils sont rejetés voire diabolisés et combattus pour

34 Nous n’irons pas jusqu’à dire « créer la réalité » car comme nous l’avonsvu, l’individu est un être complexe doté de résistances mentales et non unsimple récepteur passif.35 Selon ces deux chercheurs, les médias de masse (diffuseurs d’information)exercent un effet sur la formation de l’opinion publique en attirantl’attention de l’audience sur certains événements et en négligeant d’autres.De ce fait, ils ne fabriquent pas l’opinion mais l’influencent en orientant laperception (et donc la « réalité ») des individus de par le choix desinformations traitées.36 Selon les analyses d’Hinkle et Schopler.37 Selon les analyses de Fiedler et Chemers.38 Nous analyserons ces concepts prochainement.

9

maintenir le système en place et la cohésion sociale fondés sur l’ensemble des

règles, normes et valeurs préétablies qui sont imposées aux individus.

Le groupe « idéal39 » dans le cadre d’une stratégie d’innovation est donc un

groupe « ouvert d’esprit » qui se permet d’imaginer une multitude de futurs

possibles et non un groupe qui se focalise uniquement sur une voie,

refusant d’imaginer d’autres possibilités d’évolution.

Pour résumer :

➢ Dans un esprit collectif primaire, le futur du groupe est déterminé

uniquement par le leader, seul maître de l’évolution de celui-ci

➢ Dans un esprit collectif évolué, les membres du groupe ont la

possibilité d’influencer la stratégie organisationnelle et ce, quel

que soit leur statut au sein de celui-ci. Le leader écoute donc les

idées des membres et les prend potentiellement en compte dans la

stratégie et le processus décisionnel

Analysons maintenant de manière détaillée les différents concepts qui

doivent être analysés et pris en compte dans ce processus complexe de création

d’un contexte favorable à l’innovation.

39 Nous employons dans le cadre de cette étude le terme « idéal » pourqualifier le groupe dont le but est d’accomplir des actions nécessitant deproduire de l’innovation et de l’intelligence collective pour atteindre sesobjectifs. Cette vision visant à innover sans cesse pour faire face à unenvironnement en perpétuel changement est, comme nous allons l’analyser,parfaitement adapté aux enjeux du 21ème siècle. L’esprit collectif primaire estquant à lui adapté à des groupes dont le seul objectif est la simple productionpar les membres de tâches mécaniques et ne nécessitant pas de réflexion deleur part (vision machiniste et productiviste).

10

II. Analyse de quelques concepts fondamentaux

1. Analyse du concept d’individu

Un individu est un être doté de cognitions40(croyances, codes moraux,

valeurs41,...) issues pour la plupart d’une culture42 provenant de son éducation

et de son expérience (composée de succès et d’échecs). Ces cognitions

génèrent ses propres paradigmes43, sa propre perception et interprétation qu’il

produit sur lui-même ainsi que sur son environnement proche et lointain et de

ce fait sa réalité propre. Il cherche en général à maintenir un équilibre entre

ces différentes cognitions en adoptant une attitude (domaine de la pensée) et

en produisant des comportements (domaine de l’action) conformes à celles-ci.

40 « Connaissance, opinion ou croyance sur l’environnement, sur soi-même ousur son propre comportement ». (Festinger)41 « Principes qui orientent l’action d’un individu, d’un groupe. Elles sontinfluencées par les systèmes éthiques, moraux, et religieux qui ont cours dansle groupe auquel l’individu appartient » (Colmant). Elles constituent unensemble cohérent hiérarchisé, sont purement subjectives et varient selon lescultures. « Les valeurs représentent des manières d’être et d’agir qu’unepersonne ou qu’une collectivité reconnaissent comme idéales et qui rendentdésirables et estimables les êtres ou les conduites auxquelles elles sontattribuées. Elles sont appelées à orienter l’action des individus dans une sociétéen fixant des buts, des idéaux. Elles constituent une morale qui donne auxindividus les moyens de juger leurs actes et de se construire une éthiquepersonnelle ». (Fischer)42 « Processus par lesquels les valeurs, les normes et les aptitudes sonttransmises dans le cadre de la famille et de l’entourage » ou « héritagesocial ». (Colmant)43 Ici dans le sens « représentation du monde ».

11

L’individu possède un soi44, un idéal de soi et soigne en règle générale sa

présentation de soi45 en société. La perception et l’imagination de l’individu

est ainsi largement influencée par l’ensemble de ses cognitions. Celui-ci a de

fait tendance à enfouir mentalement ses échecs (qui constituent des éléments

peu agréables dans l’esprit de l’individu) et préfère se focaliser sur ses

réussites (mentalement plus faciles à supporter et valorisantes pour son estime

de soi)46.

Selon le concept d’attribution causale d’Heider, « les individus se

comportent en analystes naïfs ou en scientifiques spontanés en cherchant les

causes inobservables des actions observables ». Une personne utilise ainsi en

règle générale deux types d’explications dans ses jugements intra et

interpersonnels :

– L’explication dispositionnelle, centrée sur les propriétés psychologiques

de l’individu (l’intention, la capacité, la responsabilité,...) ;

– L’explication situationnelle, centrée sur le contexte de l’événement

(caractéristiques de la situation, difficulté de la tâche, chance,...).

44 Selon Fischer, « le Soi ou identité personnelle constitue l’image que nousavons de nous-même. Ce concept se compose de deux aspects : l’estime de soiet la conscience de soi. La conscience de soi se distingue elle-même enconscience de soi personnelle et conscience de soi publique. Une desexpressions de la conscience de soi publique est la présentation de soi qui revêtdans un certain nombre de cas des formes stratégiques ».45 Selon Goffman, c’est l’image qu’un individu souhaite donner aux autres.Elle permet de gérer les relations interindividuelles car elle permet aux autresde mieux cerner notre identité et de savoir comment ils doivent nousconsidérer. Il est important de retenir que l’attitude et le comportement desindividus vis-à-vis de nous dépendent en très grande partie de l’impressionqu’ils ont envers nous.46 Nous relativiserons toutefois ces propos car la culture de l’individu joue ungrand rôle dans ces phénomènes psychologiques inconscients (les échecs sontpar exemple bien mieux acceptés dans la culture anglo-saxonne).

12

Par nature, un individu adopte dans ses jugements un « biais

d’auto-favoritisme ». Il va ainsi privilégier la plupart du temps les

explications dispositionnelles pour expliquer ses réussites (ex : j’ai réussi

grâce à mon travail/ma persévérance,...) et à l’inverse ses échecs par des

explications situationnelles (ex : si je n’ai pas réussi, c’est à cause des autres,

de la malchance,...). Il choisit donc très souvent les explications qui

l’arrangent le plus pour ne pas ressentir de malaise intérieur et préserver son

estime de soi.

La peur (du jugement des autres, de la sanction sociale ou autre) est un

sentiment naturel chez l’être humain mais qui est malheureusement

extrêmement néfaste à l’innovation. Elle nuit ainsi très sérieusement à la

réflexion (bride les capacités analytiques et réflexives des individus) ainsi que

la créativité et l’émergence des idées nouvelles. Celle-ci doit donc être

combattue afin que les individus puissent laisser libre cours à leur intelligence

inventive et créative et imaginer de nouveaux « futurs » pour le groupe. Nous

allons voir prochainement comment limiter cette émotion.

Un individu a naturellement besoin d’estime et de considération pour

s’épanouir réellement et optimiser ses capacités d’imagination et de

créativité (cf. théorie de Maslow sur la hiérarchie des besoins47). Les différents

« rôles » qu’un individu adopte en société conditionnent largement sa

perception et donc sa réflexion et ses actions. Une trop forte soumission à la

pression sociale et au rôle attendu48 peut ainsi amener l’individu à modifier

47 Selon Maslow, il existe une hiérarchie dans les besoins d’un individu. Cesbesoins vont du plus « vital » (se nourrir,...) au plus évolué commel’épanouissement personnel). Nous préciserons toutefois que ce modèlepossède de nombreuses limites et n’est absolument pas absolu et irréfutable.Ainsi, il n’a étudié dans ses recherches qu’une population occidentale etinstruite pour construite cette théorie.48 Nous aborderons ce concept ultérieurement.

13

de lui-même et de manière totalement inconsciente sa propre attitude (et donc

sa perception du monde et de lui-même) via une intériorisation trop forte des

attentes normatives (avec des questions auto-régulatrices de type « Comment

suis-je sensé percevoir/comprendre ceci ? », « Mon attitude est-elle

« normale » ? »,...). Il est donc véritablement nécessaire de s’affranchir des

attentes sociales et normatives pour produire des idées qui soient

véritablement le fruit des réflexions individuelles et pas le fruit de ses

attentes sociales ou de pseudo-réflexions individuelles influencées

inconsciemment par les autres.

Selon Brehm, l’individu possède une palette de comportements qu’il peut

utiliser dans l’immédiat ou plus tard. Il s’agit de potentiels qui ont trait à

sa manière de vivre la liberté et toute atteinte au sentiment qu’il peut en

avoir produira une réaction par laquelle il cherchera à la retrouver. Cet

effet de « réactance » devra être pris en compte dans notre stratégie

managériale.

L’individu peut également se dépersonnaliser (perdre son caractère

« unique ») et se déresponsabiliser lorsqu’il est plongé dans un groupe.

Festinger, Pepitone et Newcomb suggèrent ainsi que l’individu se sent moins

responsable de ses actes lorsqu’il est en groupe, car il ne ressent pas ses

comportements comme individuels (différents de ceux des autres et identifiés

comme tels). Zimbardo énumère différentes caractéristiques de la

dépersonnalisation comme l’anonymat ou la similitude dans l’habillement

qui constituent un « obstacle au désir d’être repéré comme unique ». Il est

important de souligner que cette impossibilité de repérer son caractère

unique peut accroître le comportement agressif d’un individu en l’amenant

à adopter un comportement « déviant » pour se particulariser au sein du

groupe.

14

L’individu peut ne pas être rationnel dans sa prise de décision, et adopter

des comportements et attitudes influencés par :

– L’acceptable : il est parfois plus facile de raisonner à partir d’éléments

socialement acceptables plutôt que d’adopter un raisonnement à partir

d’éléments factuels ;

– La pression : les situations de contraintes fortes conduisent à s’arrêter

sur des détails, à privilégier des éléments de formes ou de présentation,... ;

– Le raccourci : par manque de temps, de motivation, de ressources

suffisantes (connaissances et compétences), on pense aller à l’essentiel ;

Ses prises de décision peuvent de plus être réalisées en réaction à une

situation plutôt qu’à partir d’une analyse complète du contexte induisant

des raisonnements par schéma et routine qui conduisent à des solutions

« ordinaires ».

L’individu est également un être rationalisant49 (à défaut d’être rationnel !)

qui cherche à préserver un équilibre interne ou une « consonance » entre ses

différentes cognitions. Ces cognitions se divisent en trois degrés :

– La cognition neutre : elle n’a pas de lien véritable avec les autres

cognitions ;

– La cognition consonante : elle s’accorde avec d’autres cognitions de

l’individu (ex : je suis écologiste et je trie mes déchets) ;

– La cognition dissonante : elle ne s’accorde pas avec d’autres cognitions

(ex : je suis écologiste et je prends une voiture pour faire 500 mètres).

En cas de non conformité entre ces différentes cognitions, l’individu ressent

un état de tension psychologique que Festinger nomme « dissonance

cognitive50 » (ex : un écologiste est amené par un concours de circonstances à

produire un comportement contraire à ses croyances et valeurs prônées

49 Selon Festinger, les individus ajusteraient à posteriori leurs opinions,croyances et idéologies au comportement qu’ils viennent de réaliser.

15

habituellement. Ce comportement va provoquer chez lui un état de tension car

il ne rentre pas en accord avec son attitude usuelle. Il y a donc de fortes

chances pour qu’il cherche à justifier ce comportement et essaie de trouver

une explication valable pour le rationaliser et retrouver son état initial

d’équilibre cognitif.

50 Selon Festinger, c’est la présence simultanée d’éléments contradictoiresdans la pensée de l’individu. Cette dissonance est souvent le résultat d’undésaccord entre attitudes (pensées) et comportements (actes). La dissonancecognitive entraîne chez l’individu un état de malaise, une tensionpsychologique désagréable qu’il va tenter de réduire en instaurant une stratégiepermettant de réduire cette tension :

– Stratégie de rationalisation : réduire la dissonance tout en conservantattitudes et comportements ;

– Ajouter des éléments consonants : justifier le comportement dissonant enajoutant un élément ;

– Minimiser l’importance des éléments dissonants ;–Modification d’un des éléments dissonants : l’individu peut changer de

comportement ou d’attitude.Zajonc résume la théorie de la dissonance cognitive par les neuf propositions

suivantes :– La dissonance cognitive est un état pénible ;– L’individu essaie de réduire ou d’éliminer la dissonance cognitive et

d’éviter tout ce qui l’augmenterait ;– Dans un état de consonance cognitive l’individu éviterait tout ce qui

pourrait produire de la dissonance ;– L’intensité de la dissonance cognitive varie en rapport direct avec

l’importance des cognitions concernées ou la proportion de cognitions ayantune relation dissonante ;

– L’intensité des tendances décrites en 2 et 3 est en rapport direct avecl’intensité de la dissonance ;

– La dissonance cognitive peut être réduite ou éliminée soit en ajoutant denouvelles cognitions ou bien en changeant des cognitions existantes ;

– Ajouter de nouvelles cognitions réduit la dissonance quand les nouvellescognitions renforcent les éléments consonants et diminuent donc laproportion des éléments cognitifs qui sont dissonants ou bien quand lesnouvelles cognitions diminuent l’importance des éléments cognitifs en état

16

2. Analyse du concept de groupe

Analyser ce concept fondamental ainsi que l’ensemble de ces composantes

nous permettra par la suite d’aborder des analyses visant à optimiser les effets

collectifs produits par le groupe puisant ou faisant un lien étroit avec les

différents concepts que nous allons présenter maintenant. Posons d’abord une

définition globale de ce concept. Dans le domaine de la Psychologie Sociale, le

groupe peut être défini51 comme un « ensemble d’individus qui se perçoivent

comme membres d’une même catégorie, qui attachent une certaine valeur

émotionnelle à cette définition d’eux-mêmes et qui ont atteint un certain

degré de consensus concernant l’évaluation de leur groupe et de leur

appartenance à celui-ci ». Il est important de souligner que le groupe n’est

pas une simple foule ou agrégat52 social. Nous retiendrons que le groupe

de dissonance ;– Changer des cognitions existantes réduit la dissonance quand leur

nouveau contenu les rend moins inconsistants ou que leur importancediminue ;

– Cette augmentation ou ce changement de cognitions peut se faire enchangeant les aspects cognitifs de l’environnement, "par l’action".

Source : GOSLING Patrick, RIC François, Psychologie sociale, Volume 2,Bréal.51 Selon la définition de Tajfel et Turner.52 « Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d’individusquelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe,quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent. Au point de vuepsychologique, l’expression foule prend une signification tout autre. Danscertaines circonstances données, et seulement dans ces circonstances, uneagglomération d’hommes possède des caractères nouveaux fort différents deceux de chaque individu qui la compose. La personnalité conscientes’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dansune même direction. Il se forme une âme collective, transitoire sans doute,mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que,

17

implique une prise de conscience par les individus de l’appartenance à

celui-ci ainsi qu’un système d’échanges entre ces personnes.

A. L’identité sociale et les relations intergroupes

L’identité sociale constitue, selon Fischer, un « processus psychologique de

représentation qui se traduit par le sentiment d’exister en tant qu’être

singulier et d’être reconnu comme tel par autrui. Il donne lieu à une estime

de soi et à une conscience de soi ». Elle met en évidence que la perception

que l’individu a de lui est déterminée par son appartenance au groupe. De

ce fait, les relations intergroupes sont marquées par cette conscience

d’appartenance.

Selon Frédérique Autin, la catégorisation sociale est « un outil cognitif qui

segmente, classe et ordonne l’environnement social et qui permet aux

individus d’entreprendre diverses formes d’actions sociales »53. Elle rajoute

que la catégorisation sociale définie également la place de chacun dans la

société. On parle d’appartenance groupale lorsque les individus se

définissent eux-mêmes et sont définis par les autres comme membres du

groupe. Les groupes sociaux fournissent donc à leurs membres une

identification sociale appelée « identité sociale ». L’identité sociale est

définie comme la partie du concept de soi d’un individu qui résulte de la

conscience qu’à l’individu d’appartenir à un groupe social ainsi que de la

valeur et de la signification émotionnelle qu’il attache à cette

appartenance.

faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’onpréfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise àla loi de l’unité mentale des foules ». (Le Bon)

53 Source : www.prejuges-stereotypes.net/.../autinIdentiteSociale.pdf

18

Tajfel54 a étudié les relations intergroupes en se basant sur cette théorie de

l’identité sociale55. Il a ainsi mis en évidence que les relations entre les

groupes d’individus se fondent sur cette prise de conscience qui induit chez

les individus une catégorisation56. Cette catégorisation va générer de la

discrimination au sein des relations entre les groupes. La discrimination

constitue selon Fischer un « comportement qui se traduit par un traitement

méprisant et vexatoire d’individus ou de groupes qui sont l’objet de

préjugés ». Ainsi, « le préjugé agit comme un cadre de référence et la

discrimination est considérée comme un processus d’opérationalisation ».

Ses travaux lui ont permis de mettre en évidence ce qu’il nomme

« paradigme des groupes minimaux » où il démontre que le seul fait

d’appartenir à un groupe est une condition suffisante pour que les

individus produisent des comportements discriminatoires par rapport à

d’autres groupes.

Les catégorisations se divisent en deux catégories57 :

– La catégorisation simple. Il existe une dichotomie entre la catégorie

d’appartenance de l’individu et l’autre catégorie. Le fait d’appartenir à un

groupe implique ainsi la non appartenance à l’autre (ex : sexe masculin et

féminin) ;

54 TAJFEL Henri, BILLIG Michael, BUNDY Robert, FLAMENT Claude,Social categorisation and intergroup behaviour, European Journal of SocialPsychology, pp. 149-178 cité et traduit par Geneviève Vinsonneau, Inégalitéssociales et procédés identitaires, Armand colin. Document consultable ici :http://tinyurl.com/7knteal55 Comme nous venons de le voir, la perception que l’individu a de lui estdéterminée par son appartenance de groupe. Ainsi, les relations intergroupessont marquées par cette « conscience d’appartenance ».56 « Processus socio-cognitif par lequel l’individu découpe et organisedifférents ensembles sociaux en les classant dans des catégories qui vontaccentuer les différences perçues entre lui et les autres groupes ». (Fischer)57 Selon l’analyse de Deschamps et Doise.

19

– La catégorisation croisée. Il existe une dichotomie entre sa première

catégorie d’appartenance (selon une première catégorisation) qui ne se

recouvre pas mais qui croise avec sa catégorie d’appartenance et l’autre

catégorie selon une seconde catégorisation (ex : deux groupes de personnes

composés chacun d’hommes et de femmes qui s’opposent d’un point de vue

idéologique).

Doise a également étudié les relations intergroupes et a mis en évidence un

phénomène de « différenciation catégorielle ». Selon lui, « les membres

appartenant à un même groupe ont tendance à se percevoir comme étant

plus semblables entre eux et comme plus différents lorsqu’ils se comparent

aux membres d’un autre groupe ». Il démontre également que les

différenciations au niveau de la perception induisent des différenciations

au niveau des jugements intergroupes et s’expriment par des

comportements discriminatoires vis-à-vis des autres groupes.

Le processus naturel de catégorisation sociale va générer dans l’esprit des

individus des stéréotypes et des préjugés.

Les stéréotypes constituent, selon Leyens, des croyances partagées

concernant les caractéristiques personnelles d’un groupe de personnes.

Pour Lippmann, ils désignent les catégories descriptives simplifiées basées

sur des croyances et par lesquelles nous qualifions d’autres personnes ou

d’autres groupes sociaux. Les stéréotypes peuvent générer des effets négatifs

car, comme le soutiennent certains chercheurs comme Leyens, ils auraient un

effet direct sur les performances du groupe et notamment quand ils sont

rendus saillants, activés58.

Les préjugés constituent quant à eux une « attitude de l’individu

comportant une dimension évaluative, souvent négative, à l’égard de types

58 Source :http://www.psychologie-sociale.com/index.php?option=com_content&task=view&id=42&Itemid=28

20

de personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale.

C’est donc une disposition acquise dont le but est d’établir une

différenciation sociale »59. Rosenberg et Abelson rajoutent que le préjugé

présente les caractéristiques de toute attitude et se compose d’une

dimension cognitive et d’une dimension comportementale. Ainsi, il est le

fruit d’une combinaison entre une croyance et une valeur.

Fischer complète cette analyse en disant que le stéréotype se caractérise

par son uniformité tandis que le préjugé a un caractère d’appréciation

plus vaste qui intègre un ensemble de stéréotypes divers relatifs à la race,

au sexe, à la religion ou à une classe sociale donnée. Si le stéréotype est

plutôt descriptif et collectif, le préjugé serait plus individuel et normatif. Le

préjugé exprime ainsi le caractère structural des représentations sociales,

tandis que les stéréotypes désignent leur caractère fonctionnel.

B. Les statuts et rôles

Fischer nous donne une définition de ces deux concepts. Selon lui, le statut

désigne la position objective occupée en fonction du niveau social. Il englobe

un ensemble de caractéristiques objectives qui déterminent la place d’un

individu sur une échelle sociale.

Le rôle peut être considéré comme l’aspect dynamique et subjectif du

statut. Il désigne un modèle de conduite prescrite à un individu, lié aux

exigences du statut, en fonction des attentes du groupe. Les rôles se

composent ainsi :

– Le rôle « prescrit ». Rôle qui est socialement demandé à une personne

compte tenu du statut qui est le sien ;

– Le rôle « attendu ». Rôle qui est attendu de la part des individus ;

59 Selon la définition de Fischer.

21

– Le rôle « voulu ». Rôle souhaité par l’individu ;

– Le rôle « joué ». Rôle qui est finalement interprété et joué par l’individu.

Selon Fischer, le rôle et le statut ne sont pas des données immuables. Ils

évoluent dans le temps en suivant le fonctionnement de chaque groupe

particulier.

L’individu peut cependant volontairement ou involontairement ne pas se

soumettre à son ou ses rôles socialement prescrits, créant ainsi une divergence

entre les attentes du groupe et son comportement réel. On parle alors de

« conflit de rôle », que Kahn divise en quatre types :

– Le conflit personnel. Se produit quand les attentes d’un individu sont

incompatibles avec les valeurs du groupe dans lequel il évolue ;

– Le conflit intra-émetteur. L’émetteur énonce des directives

contradictoires à quelqu’un qui se voit forcé de contrevenir à une partie des

demandes ;

– Le conflit inter-émetteurs : se produit quand des demandes

contradictoires sont adressées à un individu par un ou plusieurs émetteurs ;

– Le conflit inter-rôles : est généré par la présence de deux émetteurs qui

obligent un individu à se conformer à un autre.

C. La cohésion

La cohésion dans un groupe peut désigner plusieurs éléments : la force

d’attraction, le moral du groupe ou encore la coordination des efforts de ses

membres. Celle-ci peut être influencée par plusieurs facteurs :

– L’homogénéité. Les membres d’un groupe sont d’avantage attirés par

les personnes d’un statut équivalent. Les différences de statut font

22

apparaître les différences d’intérêt et diminuent le niveau d’adhésion au

groupe60 ;;

– La menace externe. La menace aide un groupe à clarifier ses objectifs

et incite ses membres à conjuguer leurs efforts vers un but commun61 ;;

– La compétition intergroupes augmente la cohésion, alors que la

compétition intragroupes la diminue.

D. Les interactions

Les interactions sociales constituent les systèmes et les types d’échange

d’informations entre les individus d’un groupe. Bales propose une analyse

des interactions au sein d’un groupe via la mise en évidence de plusieurs

catégories62 :

– Catégories centrées sur les relations interpersonnelles

(socio-affectives), manifestations positives :

1 – Manifestation de solidarité, de sympathie, aide

2 – Détente et relâchement de tension

3 – Manifestation d’un accord

– Catégories centrées sur le travail, manifestations positives :

4 – Suggestions

5 – Intervention exprimant l’avis, l’opinion

6 – Intervention directive, donnant des informations ou une orientation de

travail

60 Selon l’analyse d’Adams.61 Selon l’analyse de Stein.62 Source : http://www.definitions-de-psychologie.com/fr/-20.html .

23

– Catégories centrées sur le travail, manifestations négatives :

7 – Demande d’informations

8 – Demande d’avis, d’opinions

9 – Demande de suggestions

– Catégories centrées sur les relations interpersonnelles,

manifestations négatives :

10 – Manifestation de désaccord

11 – Manifestation de stress ou de gêne, de tension

12 – Attaque relationnelle, manifestation d’animosité

Nous noterons toutefois que cette analyse est soumise à critique. Certains

chercheurs soulignent ainsi que celle-ci ne permet pas de traiter les variables

agissant sur les communications et ne traite que des interactions explicites,

ne prenant pas en compte le niveau « latent » des interactions. Elle permet

néanmoins d’offrir une bonne grille de lecture pour analyser les différentes

interactions au sein d’un groupe.

Analysons à présent le concept de pouvoir63. Analyser ce concept est ici

indispensable car inhérent à tout activité sociale. Pour Dahl, le pouvoir

constitue une relation interindividuelle asymétrique entre des individus qui

présentent une inégalité de ressources ou de capacités. C’est selon lui la

« capacité d’une personne A d’obtenir qu’une personne B fasse quelque

63 Nous préciserons que nous analyserons ce concept selon sa conceptionrelationnelle et non selon la théorie juridique traditionnelle qui définit lepouvoir comme une substance (que l’on a ou que l’on peut donc posséder).

24

chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A »64. Dahl souligne

que la relation est toujours interactive, car il considère que la personne B

participe aussi à l’exercice du pouvoir dans la manière dont elle réagit.

Pour Crozier, « le pouvoir est une relation et non un attribut des

acteurs ». Il est donc une « relation réciproque mais déséquilibrée ». Il

rajoute que le pouvoir est « un rapport de force, dont l’un peut retirer

davantage que l’autre mais où, également, l’un n’est jamais totalement

démuni face à l’autre ».

Selon Foucault, « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert,

s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse

échapper mais s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de

relations inégalitaires et mobiles ».

Weber a mis en évidence un ensemble de concepts relatifs au pouvoir65 :

– La puissance (Macht) : « toute chance de faire triompher au sein d’une

relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu

importe sur quoi repose cette chance » ;

– La domination (Herrschaft) : « chance de trouver des personnes

déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé » ;

Braud affirme que « le pouvoir exercé par un chef hiérarchique sur ses

subordonnés n’est pas le même que celui du journaliste influent sur ses

lecteurs ; l’ordre donné par un officier à ses hommes n’est pas assimilable aux

suggestions faites par un conseiller à son ministre. Et pourtant dans tous les

64 DAHL Robert, « The concept of power », 1957. Consultable à cetteadresse : http://tinyurl.com/7pqu98j65 WEBER Max, Economie et société, Pocket, 2003, 410 p.

25

cas, il y a capacité d’obtenir d’autrui quelque chose qu’il n’aurait pas fait

autrement »66. Il distingue ainsi deux sortes de pouvoir67 :

– Le pourvoir d’injonction. Constitue un type de pouvoir avec emploi de la

coercition. Il relève de la norme juridique, de la prescription morale ou de

l’injonction de fait (cette dernière se produit lorsqu’un individu adopte un

comportement qui correspond aux attentes implicites d’un autre individu). Il

amène à distinguer deux garanties d’effectivité qui sont souvent étroitement

articulées :

1. la coercition matérielle, qui renvoie aux textes législatifs ou

réglementaires

2. la coercition psychique, qui renvoie à la condamnation morale

– Le pouvoir d’influence. Constitue un type de pouvoir sans emploi de la

coercition. Il repose soit sur la persuasion, la manipulation ou l’autorité. Son

efficacité n’est pas garantie par des sanctions mais elle s’accompagne de

moyens incitatifs (ex : gratifications, symboliques ou matérielles) ou utilise

l’affect / pathos (ex : crainte ou respect).

Analysons pour terminer la notion de légitimité inhérente à celle de

pouvoir. La légitimité constitue les valeurs normatives. L’étendue du pouvoir

dépend ainsi des caractéristiques de la source et de l’intériorisation de ces

valeurs par la cible (le leader peut effectuer certaines actions car son statut lui

confère ce droit aux yeux des membres du groupe). Weber construit également

trois types idéaux de légitimité :

66 BRAUD Philippe, Du pouvoir en général au pouvoir politique, Traité deScience Politique, 198767 Source : http://www.le-politiste.com/2011_05_01_archive.html

26

– La légitimité traditionnelle : repose sur « la validité de ce qui a

toujours été » (croyance dans la sainteté des traditions) ;

– La légitimité charismatique : repose sur les qualités exceptionnelles

reconnues à un héros ou à un chef ;

– La légitimité légale-rationnelle : repose sur la croyance dans la légalité

des règlements.

E. Les décisions de groupe

Le processus décisionnel au sein d’un groupe a été largement étudié dans le

domaine de la Psychologie Sociale. Celle-ci met en évidence plusieurs

éléments à prendre en compte dans l’analyse de ce processus.

Tout d’abord, les facteurs de la décision, composés notamment de la

structure de communication, du style de tâche et du style de leadership.

La structure de communication représente selon Fischer le type de réseau

d’échanges qui préside à la communication entre les membres, en vue de

réaliser leurs tâches. Les recherches menées par Bavelas et Leaviti sur les

structures de communication ont servi de référence pour étudier leur influence

sur les prises de décision et démontré que la structure de communication est

définie par la nature de la tâche à accomplir. Ainsi, si celle-ci est simple, la

structure de communication centralisée peut être efficace. Si elle est

complexe, alors il est préférable d’opter pour une structure de

communication décentralisée.

Le type de tâche constitue la réalisation d’une activité comportant

souvent un problème à résoudre. On distingue selon Steiner les tâches

additives (qui sont à la charge de l’ensemble des membres du groupe), les

tâches conjointes (qui supposent l’interdépendance), les tâches disjointes

27

liées à la différenciation des apports de chacun et les tâches combinatoires qui

impliquent une coordination.

Le style de leadership (ou type d’autorité) joue également un rôle

important dans le processus de prise de décisions. Analysons ce concept.

Pour Hemphill et Coons, le leadership constitue le comportement d’une

personne dirigeant les activités d’un groupe dans le but d’atteindre un

objectif commun. Pour Barrow, c’est un style comportemental visant à

influencer des individus ou des groupes afin d’atteindre des objectifs fixés.

Enfin, pour Chemers, c’est un processus d’influence sociale au cours duquel

une personne est capable de s’assurer le concours d’autrui pour

l’exécution d’une tâche collective.

De nombreux chercheurs ont étudié l’influence du style de leadership dans

le fonctionnement des groupes. Un modèle démontrant le lien entre trois

styles de leadership et le type de décision de groupe qui en résulte a été

développé par Vroom et Yetton :

– Le modèle autocratique, basé sur une prise de décision centralisée

pouvant se traduire par un recueil d’informations ponctuelles, avant prise de

décision par le leader ;

– Le modèle consultatif, fait précéder la décision d’échanges, pour

évaluer divers aspects du problème. La décision finale revient cependant

au leader ;

– Le modèle facilitatif, se traduit par une prise de décision en groupe.

Deux autres styles de leadership ont également été mis en évidence : le

leadership transactionnel et transformationnel.

Le leadership transactionnel passe, selon Hellriegel et Slocum68, par la

motivation et la direction des subordonnés au moyen de pratiques

68 HELLRIEGEL Don, SLOCUM John, Management des organisations, DeBoeck, 2006, 727 p.

28

contingentes fondées sur la récompense. « Le leader transactionnel tend à

donner la priorité à la tactique de la carotte (mais parfois du bâton) à

définir les attentes et les objectifs de résultats et à traiter ses troupes en

fonction des résultats ».

Ces deux chercheurs rajoutent que ce modèle se compose de trois éléments

principaux qui amènent les subordonnés à atteindre les objectifs de résultat :

– Récompenses contingentes. Le leader identifie un itinéraire qui relie la

réalisation des objectifs aux récompenses, échange des promesses de

soutien et des ressources à cette fin, conclut des accords mutuellement

satisfaisants, négocie l’octroi de moyens, échange de l’assistance contre du

travail et dispense des éloges pour un travail réussi ;

– Management actif par exception. Le leader contrôle le résultat de ses

subordonnés, prend des mesures coercitives en cas de divergence par

rapport aux normes et applique des règles pour empêcher les erreurs ;

– Management passif par exception. Le leader intervient quand les

problèmes deviennent sérieux mais peut attendre, pour agir, que les

problèmes soient portés à son attention.

Le « leadership transformationnel » ou « transformateur », mis en

évidence par Burns69 et complété par les analyses de Bass70. Ces chercheurs ont

utilisé ce concept pour décrire des situations où « l’émulation entre les

leaders et les suiveurs accroît leur motivation et leur moralité ».

« Transformationnel » qualifie donc le style des leaders qui réussissent à

mobiliser et inciter leurs collaborateurs à se dépasser (ce qui nécessite de

travailler la motivation et l’engagement des individus comme nous allons

l’étudier prochainement). Le leader transformationnel doit parvenir à modifier

69 BURNS James, Leadership, New-York : Harper & Row, 1982, 544 p.70 BASS Bernard, From transactional to transformational leadership :Learning to share the vision, Organizational Dynamics, Winter, pp. 19-31

29

à la fois les comportements des collaborateurs, mais aussi et surtout leurs

perceptions et croyances. Nous étudierons également prochainement

comment opérer ce genre d’influence.

Ce style de leadership repose sur 4 composantes décrites par Matthieu

Poirot, Psychologue Social et Docteur en management71 :

– Le charisme idéalisé : le leader suscite l’adhésion et le respect par

l’exemplarité de ses comportements. Il fait ce qui est juste et non

seulement ce qui est rentable ou pratique ;

– La motivation par stimulation : le leader propose une vision motivante

(souvent un idéal), établit des normes de travail élevées et réussit à

convaincre ses collaborateurs de se dépasser. Il cherche à augmenter la

confiance en soi de ses collaborateurs en se montrant optimiste et

enthousiaste pour leur travail ;

– La responsabilisation intellectuelle : le leader va stimuler la réflexion

de ses collaborateurs afin de les aider à voir les problématiques sous un

angle nouveau et à trouver par eux-mêmes les solutions aux problèmes ;

– La considération individuelle : le leader prend le temps de connaître à

minima les attentes et situations de chacun de ses collaborateurs. Il

prodigue des conseils personnalisés et met en avant ce qu’il apprécie

particulièrement dans le travail de chacun. Il trouve le temps dans son

agenda de faire un travail en face à face pour soutenir individuellement la

progression de ses collaborateurs.

Poirot rajoute que la plupart des recherches menées sur cette théorie du

leadership transformationnel mettent en évidence que ce style de leadership

est le plus efficace dans un environnement de turbulence et d’adaptation

continue, ce qui est donc parfaitement adapté à notre analyse de l’optimisation

71 Source :http://psychologiepositiveautravail.blogspot.com/2010/11/du-management-au-leadership.html

30

du processus d’innovation au sein d’un groupe, nécessaire pour faire face à ce

genre d’environnement.

III. Réflexions et analyses approfondies

1. L’organisation comme individu

Une organisation peut-être comparée à un organisme vivant ou, comme le

souligne Jacques Moreau72, à un organisme « socio-vivant ». Comme tout

organisme biologique, les cellules la composant (représentées par les

individus) ont besoin d’être coordonnées, d’échanger des flux (dans le cas

d’une organisation, nous parlerons de flux informationnels et

communicationnels), d’interagir et chacune est absolument indispensable

pour la survie et le bon fonctionnement de celui-ci. Pour favoriser les

échanges entre les différentes « cellules », il faut selon Wolton prendre soin de

créer un contexte favorable à la transmission et à la réception de

l’information73 au sein de celles-ci. Ainsi, un contexte non favorable (comme

dans le cas d’un esprit collectif primaire où les individus sont isolés et où la

maîtrise de l’information est pratiquée seulement par l’autorité) entraînerait

une rupture entre le contexte et l’état psychologique et cognitif des

récepteurs, pouvant nuire fortement à la transmission des informations.

Au même titre qu’un individu, l’organisation possède une mémoire

(recensant son expérience composée de succès et d’échecs), un réseau

relationnel (composé à la fois du réseau interne et externe de par les relations

sociales des membres la composant), un besoin d’analyser et de décoder son

72 MOREAU Jacques, L’entreprise est un organisme vivant. Articleconsultable à cette adresse :http://www.jmn-moreau.com/images/stories/PDF/doc_230407_110240.pdf73 Nous analyserons prochainement comment développer ce contexte.

31

fonctionnement interne (connaissance de soi) ainsi que son environnement

proche ou lointain (connaissance des autres et de sa place dans le monde)

pour évoluer positivement dans celui-ci74.

Enfin, comme tout individu, une organisation tend à être soumise à des

biais cognitifs pouvant perturber ses capacités analytiques, réflexives et

décisionnelles. Elle peut ainsi être d’un « cruel conformisme » et se laisser

largement influencer par les autres, en négligeant de développer sa propre

« personnalité » et vision du monde pourtant nécessaire à l’innovation. Il

est toujours plus rassurant de faire comme les autres plutôt que d’affirmer son

originalité et sa différence...

2. De la nécessité du dialogue...et du conflit dans

l’innovation

En règle générale, une idée ne naît jamais à partir des simples réflexions

d’un individu isolé. Elle est le fruit d’une interaction entre plusieurs

personnes, d’un stimulus extérieur provenant par exemple de dialogues ou

d’observations. Il est donc fondamental pour les individus de communiquer

et d’interagir entre eux, d’échanger des points de vue afin de s’enrichir

mutuellement afin de co-construire de nouvelles idées et de l’intelligence

collective. Les individus devront donc être fédérés au sein du groupe ou de

l’organisation et non isolés comme dans le cas d’un esprit collectif primaire.

L’innovation nécessite également un conflit cognitif pour naître. Moscovici,

dans sa théorie des « minorités actives » démontre que ce conflit est la base

même du processus d’innovation.

Arrêtons-nous tout d’abord sur cette notion de « conflit ». Brown définit le

conflit comme un ensemble de comportements qui se traduit tantôt par des

74 Nous analyserons prochainement l’ensemble de ces concepts.

32

évaluations, tantôt par des représentations, incompatibles et en opposition

avec celles des autres groupes. Le conflit cognitif constitue ainsi une

incompatibilité entre les croyances et représentations d’un groupe avec

celles d’un autre groupe.

Selon Moscovici, une innovation débute toujours par une minorité

« active » qui va adopter un « style comportemental75 » bien ordonné. Cette

minorité doit ainsi :

– Etre constante et « diachronique » (doit perdurer à travers le temps) dans

les idées qu’elle défend afin de conserver sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion

générale ;

– Etre « nomique » (le discours qu’elle prononce doit être clairement défini et

différer du discours majoritaire) ;

– Etre visible afin de pouvoir être entendue de tous et autonome (doit

réellement laisser transparaître son indépendance vis-à-vis du mouvement

dominant) ;

–– EElle ne doit pas paraître trop « rigide » en apparence pour ne pas donner

l’image aux individus d’un mouvement minoritaire refusant tout dialogue en

contradiction avec ses idées. Cette discordance va entraîner naturellement la

naissance d’un conflit auau seinsein desdes individus.individus.

Le conflit va générer le débat (de par la captation et la réaction des

individus sur le sujet abordé), et le débat va engendrer la prise de conscience

et le changement progressif.

Cette minorité consistante mais non « rigide » peut forcer les membres de la

majorité à se lancer dans un processus de validation dans le sens où elle

75 « Type de comportement qui se caractérise par la capacité à gérer le conflitémergent entre la majorité et le minoritaire. Il se traduit par des prises deposition qui cherchent à influencer la majorité tout en résistant à sespressions ». (Fischer)

33

oblige la majorité à analyser le contenu de son message de manière

approfondie. Ainsi, Moscovici démontre que le conflit est nécessaire car il

permet de mettre en place à la fois les conditions d’une attention dans la

mesure où le comportement ou l’idée qui le provoquent deviennent plus

saillants dans le champ social et les conditions d’une écoute en exprimant

une idée de manière consistante qui va nourrir le débat public. Pour lui, la

condition d’efficacité de l’influence minoritaire réside dans un système de

réponse consistant qui doit s’accompagner de confiance en soi.

Selon Fischer, « l’étude des minorités permet d’observer que majorité et

minorité ne sont pas deux blocs rigides : leur influence respective est

interactive et peut s’inverser au bénéfice de l’influence minoritaire. Ce ne

sont donc pas les majorités qui détiennent de façon exclusive les systèmes

d’influence ; elles sont à leur tour influencées par l’opinion des minorités

et, en réaction, peuvent modifier leurs propres opinions, valeurs et modes

de comportements ».

Pour faciliter les processus d’influence minoritaire et d’innovation, il faut

donc que le groupe tolère la « déviance » et le « conflit pacifiste » (se

déroulant sur le plan cognitif et non physique). Il faut donc travailler à

instaurer en son sein une véritable culture de l’écoute et de la tolérance

pour prévenir la discrimination, nuisible à l’innovation.

3. Le leader du groupe et son rôle au sein de celui-ci

Tout groupe d’individus doit comporter un leader afin de manager les

personnes, coordonner leurs actions, prendre en charge la direction du

groupe dans le but d’atteindre des objectifs précis et gérer les flux

informationnels et communicationnels permettant de générer l’innovation.

34

Le leader, dans un « esprit collectif primaire » fonde son type de leadership

sur le modèle autoritaire76 et possède un style de management77 autocratique.

Dans ce contexte, le leader utilise une forme de pouvoir abusif basé sur

l’exploitation excessive des éléments suivants :

– La légitimité ;

– La référence. Elle constitue l’identification, l’attraction que la source

exerce sur la cible ;

– La récompense. Le leader a la possibilité de récompenser un individu et

possède un pouvoir sur cette personne ;

– La coercition. Le leader a la possibilité de punir un individu,

matériellement ou psychiquement (sanction financière, sociale telle que le

renvoi / bannissement du groupe,...).

Le pouvoir du leader dans ce contexte est donc basé sur la reconnaissance

du statut d’autorité par la majorité (légitimité), la soumission de celle-ci,

l’état agentique mais aussi le sentiment d’admiration et de fascination

voire de peur vis-à-vis de lui.

Le leader, dans un esprit collectif primaire, fonde usuellement comme nous

l’avons vu son autorité et son pouvoir sur le charisme (pouvoir d’influence) et

sur la soumission naturelle des individus. Son autorité est donc

difficilement contestable car la remettre en cause risquerait d’entraîner

une sanction pour l’individu « déviant » (sanction financière, sociale (ex :

76 Selon Maisonneuve, ce type de leadership vise à influencer autruidirectement et par pression externe ; ce genre contient d’ailleurs deux espèces :le chef autocratique, s’imposant par intimidation ou sanction sans sepréoccuper des réactions d’autrui et le chef paternaliste, aux visées pluscomplexes car il veut à la fois être obéi, respecté et même aimé.77 A partir de la définition de Blake et Mouton sur les deux dimensions ducomportement du leader : orientation vers la tâche (production) et orientationvers les relations.

35

l’individu déviant est exclu du groupe car il est considéré comme un marginal,

un perturbateur,...)).

Dans un esprit collectif évolué, le leader idéal sait s’adapter aux situations

et a le sens des responsabilités78. Il adopte un type de leadership coopératif79

et transformationnel s’inspirant également du type élucidateur80 mais aussi

légèrement du transactionnel dans le seul but que les attentes et objectifs du

groupe demeurent clairs et ne sombrent pas dans une ambiguïté trop grande81.

Son style de management puise dans le leader social82, l’intégrateur83 et le

démocratique-persuasif84. Le leader exploite ainsi à bon escient les

caractéristiques du pouvoir suivantes :

– La légitimité ;

78 Selon l’analyse de Forsyth.79 Selon Maisonneuve, il consiste à associer autrui sinon aux prises dedécision, du moins à leur préparation et à leurs applications. Ici la distanceentre le leader et les autres est donc beaucoup moins forte. Mais de même quele degré de coercition varie dans le mode autoritaire, le degré de "permissivité"peut varier dans le mode coopératif.80 Toujours selon Maisonneuve, il vise à mettre le groupe en situation dedécider collectivement après une prise de conscience de ses problèmes etprocessus. Cette attitude n’est pas à proprement parler un leadership. Elleexerce une sorte d’influence catalytique en facilitant la mise en œuvre desressources internes du groupe.81 Selon Hellriegel et Slocum dans leur livre Management des organisations.82 Privilégie l’ambiance et le climat (évitement du conflit). Le rendement n’estqu’un moyen au service de la recherche de cohésion sociale. On laisse lessubalternes autonomes (source :http://tinyurl.com/6wtcjzg).83 Suscite l’engagement de son personnel autour des dimensionsproductives. Il s’attache à faire participer ses subalternes et à les impliquersur les processus de planification et de contrôle des tâches.84 Caractérisé selon Argyl par trois manières d’agir du leader : lamotivation des individus grâce à l’explication et la persuasion plutôt quepar les ordres, la possibilité donnée aux personnes de participer auxdécisions et l’utilisation des techniques de discussion et de prise de décisionde groupe.

36

– La compétence. Constitue le pouvoir informationnel, la connaissance

présumée de l’individu dans un domaine donné ;

– La référence.

Dans ce contexte, il fonde son autorité non pas sur la fascination et la peur

exercée sur ses membres mais sur le respect, la considération et la prise en

compte des individus dans le processus analytique, réflexif et décisionnel

du groupe. Ce respect et cette considération peuvent être fondés par exemple

sur les compétences de cette personne mais aussi sur sa personnalité (ce qu’il

est) et les actions qu’il effectue (ce qu’il fait).

La vision de Levy-Leboyer85 à propos du leadership alimente ce paradigme.

Ainsi, selon lui, le leadership est un « processus d’influence sociale par lequel

un individu amène un groupe à atteindre des objectifs. Le leadership

n’implique pas seulement le fait de faire faire quelque chose à d’autres

individus, mais également la capacité à changer l’attitude des membres du

groupe, à les mobiliser et à entraîner leur adhésion à des buts communs .

De ce fait le leader doit savoir susciter les motivations et entraîner ceux qui

le suivent bien plus que les diriger de manière autoritaire ».

Le leader au sein d’un « esprit collectif évolué » peut néanmoins utiliser de

manière judicieuse son charisme (qui est une pure construction sociale comme

nous allons le voir) à bon escient, c’est-à-dire pour créer un sentiment de

fierté au sein de son groupe et ainsi faciliter le désir de ses membres de

s’impliquer dans les activités de celui-ci et de le faire évoluer positivement.

Cette fierté peut être due au fait d’appartenir à un groupe attractif et reconnu,

de posséder un leader compétent, charismatique et respecté à la fois à

l’intérieur et à l’extérieur de ce groupe,...L’idéal est donc de trouver un bon

85 Docteur en Psychologie, Lettres et Sciences Humaines.

37

compromis entre sentiment de fierté dû à l’admiration du leader (domaine

du pathos) et attitude réflexive/critique (domaine du logos).

Le leader du groupe doit donc être capable de manager les individus, leur

donner confiance en eux (en valorisant leur estime de soi via une

reconnaissance de leurs actes et de leur importance au sein du groupe86), briser

leurs peurs/appréhensions notamment vis-à-vis du jugement des autres et de

l’incertitude quant à l’avenir de leurs idées (succès ou échec), les stimuler et

les solliciter régulièrement (ce qui permet de plus d’améliorer la

communication interindividuelle) et accepter d’être contredit par son

groupe (nécessite de l’humilité de sa part). Il doit appliquer une réelle

philosophie d’Intelligence Economique qui, selon Bernard Besson, « honore la

curiosité et accorde de l’importance aux talents délaissés ou sous-estimés. En

tant qu’intelligence collective, elle offre aux individus, salariés et citoyens, une

forme de reconnaissance inattendue au service de la collectivité ». Il doit

donc travailler via ce processus à optimiser la confiance en soi et l’estime de

soi des individus.

Offrir un soutien social87 aux individus peut également être utile pour

favoriser l’engagement, la prise de position des membres et la proposition

86 Besson souligne qu’une organisation doit pour se doter d’une culturefavorable à la pensée inventive démontrer que les innovations, petites ougrandes, existent dans tous les domaines et sont à la portée de chacun.L’innovation devient donc l’histoire commune aux membres de celle-ci.87 L’individu est conforté dans ses croyances par d’autres personnes. Housedéfinit quatre fonctions du soutien :

– Le soutien émotionnel : exprimer à une personne des affects ressentis àson égard et qui lui apporte des sentiments d’assurance, protection… ;

– Le soutien d’estime : il consiste à rassurer une personne concernant sescompétences et sa valeur ;

– Le soutien informatif : il implique des conseils, suggestions oupropositions ;

– Le soutien matériel : il implique une assistance comme des servicesrendus dans des moments critiques.

38

de nouvelles idées et de ce fait, enrayer le phénomène de « spirale du

silence »88. Ainsi, un individu aura naturellement tendance à

s’auto-censurer au sein d’un groupe s’il se sent entièrement responsable de

ses idées (il peut ainsi éviter de proposer de nouvelles idées s’il juge cette

démarche risquée pour sa personne). Le leader peut donc très bien rassurer les

membres du groupe en les assurant de son soutien en prenant l’entière

responsabilité des idées proposées, ce quel que soit le destin de celles-ci

(qu’elles mènent à un succès ou à un échec). Un individu qui se sent délesté de

toute responsabilité par rapport à ses idées et prises de position (tant qu’elles

ont pour but de faire avancer positivement le groupe bien entendu) sera ainsi

beaucoup plus susceptible de se désinhiber et d’oser produire de nouvelles

idées en proposant de nouvelles possibilités au groupe. Pour générer un conflit

cognitif nécessaire à l’émergence de l’innovation, il faut donc que l’individu

« ose » adopter des comportements pouvant aller à l’encontre des normes,

règles, croyances et valeurs jusqu’alors préétablies. Le leader se doit donc

d’atténuer la dissonance cognitive de l’individu et plus généralement les

conflits de type intra-individuel89 en lui fournissant des cognitions

« désengageantes » de par la prise en charge des responsabilités liées à ses

Pour être perçus comme positifs, ces différents types de soutien socialdoivent lui sembler cohérents avec leur source (famille, amis, professionnelsde santé,…) et en adéquation avec ses besoins et attentes.88 Selon Noëlle-Neumann, « un individu, pour ne pas se retrouver isolé,peut renoncer à son propre jugement. C’est là une condition de la vie dansune société humaine. (…) Cette peur de l’isolement (non seulement la peurqu’a l’individu d’être mis à l’écart, mais aussi le doute sur sa propre capacitéde jugement) fait, selon nous, partie intégrante de tous les processusd’opinion publique. Là est le point de vulnérabilité de l’individu ; c’est là queles groupes sociaux peuvent le punir de ne pas avoir su se conformer. Il y a unlien étroit entre les concepts d’opinion publique, de sanction, et depunition ».89 Selon Galtung.

39

actes et l’acceptation du fait que l’« innovation naît toujours de la

désobéissance90 ».

Encourager la distance de rôle91 pour désinhiber les individus peut s’avérer

judicieux. Il peut être intéressant d’organiser régulièrement au sein d’un

groupe des « jeux de rôle » en amenant les individus à adopter des

comportements sociaux bien différents de ceux qu’ils endossent

habituellement (par exemple des jeux de rôle contre-attitudinels92), les

habituer à « jongler » entre différents rôles et ainsi briser leurs

peurs/appréhensions face au jugement et aux attentes des autres. Ce travail

de « jonglerie » peut également permettre aux individus d’élargir leur point de

vue, leur analyse et leur perception sur leur environnement nécessaire à

l’optimisation de la stratégie d’innovation au sein de l’organisation.

Ces jeux de rôle peuvent être très utiles pour désinhiber les individus et les

amener à relativiser leurs attitudes notamment en public par l’adoption de

nouveaux comportements et ainsi limiter le phénomène naturel de

rationalisation et de justification en cas de « dissonance cognitive ». Cette

désinhibition ne peut être que bénéfique pour le processus d’innovation car elle

permet de lutter contre l’auto-censure qui est, selon Besson, « une véritable

plaie ». Les individus doivent oser adopter des rôles différents de ceux

usuellement attendus par les autres. Surprendre le groupe via l’exploitation

de ce « conflit » peut être un bon moyen pour stimuler la créativité et

l’émergence de nouvelles idées.

Le leader doit pour terminer respecter le besoin naturel d’intimité des

individus, et faire attention à ne pas forcer les membres du groupe à être en

90 Expression de Michel Millot, professeur et consultant en design.91 Ecart entre le rôle joué par l’individu et le rôle attendu par les autres.92 Qui rentrent en opposition avec les attitudes et les croyances usuelles del’individu.

40

permanence en contact les uns avec les autres. Il doit donc encourager la

solidarité et les interactions au sein du groupe mais ne doit pas l’imposer à

tout prix car cela générerait des effets largement contre-productifs

(générerait de la frustration et de l’agacement chez les individus et donc

dégraderait les relations et le travail produit). La « dictature de la solidarité »

doit donc être, au même titre que la culture de l’individualisme, évitée.

Au contraire, il est préférable d’amener les individus à s’engager

eux-même librement93 dans cette voie en leur exposant les différents

avantages qu’ils ont à collaborer, à s’entraider et à co-construire de

l’intelligence (ce qui aura également pour but d’anticiper et prévenir les

conflits comme nous l’analyserons prochainement).

Enfin, le leader doit laisser s’exprimer les individus au sein du groupe et

ne doit surtout pas chercher à les censurer. Comme l’ont démontré

Wicklund et Brehm94, les individus peuvent adopter un état de résistance

face à cette pression sociale qui déclenche en eux des motivations liées par

exemple à leurs croyances personnelles, au sentiment de leur indépendance

à conserver, aux valeurs qu’ils défendent ou bien à leurs engagements

divers. Cette liberté d’expression autorisée au sein du groupe sera non

seulement indispensable pour désinhiber les individus et les amener à devenir

des membres actifs au sein de celui-ci, mais aussi pour anticiper et prévenir

les potentiels conflits liés à la frustration des individus qui se sentiraient

« étouffés » par le groupe.

93 Selon Joule et Beauvois, l’engagement volontaire et « libre » d’un individugénère des effets beaucoup plus forts chez cet individu que si celui-ci subit unecontrainte ou pression externe.94 Chercheurs ayant étudié l’effet de réactance chez les individus.

41

4. La motivation intrinsèque comme moteur de l’innovation

De nombreux chercheurs comme Dan Ariely95 avec l’aide de collègues du

MIT (Massachusetts Institutes of Technology)96ont effectué des expériences

pour déterminer comment optimiser l’émergence de l’innovation et de la

créativité chez les individus. Il est important de souligner que ces expériences

ont été menées dans le monde entier sur des groupes d’individus issus de

cultures très variées97. L’ensemble de ces études ont mené à la conclusion que

les récompenses ou les menaces (motivation extrinsèque) réduisent le champ

de vision, de pensée et de perception des individus et nuisent à l’émergence

de l’innovation et de la créativité. La motivation extrinsèque fonctionne

uniquement lorsque les tâches à effectuer sont de nature mécanique et non

véritablement réflexives et analytiques. Le fait de motiver financièrement ou

matériellement les individus, au lieu d’optimiser la créativité et la

génération d’idées nouvelles nuit donc clairement à ce processus

d’innovation, ce qui bouleverse clairement les anciens paradigmes

managériaux. Le management dans sa conception traditionnelle développée

lors du 20ème siècle (basée sur un fonctionnement hiérarchique et sur la

motivation extrinsèque pour stimuler les individus) est ainsi très bon pour

obtenir de l’obéissance de la part des individus. Cependant il est préférable

pour produire de la vraie « intelligence collective » de privilégier l’autonomie

et l’engagement des individus plutôt que la contrainte représentée par le

système de récompense-sanction.

95 Professeur américain en psychologie et économie comportementale.96 ARIELY Dan, GNEEZY Uri, LOWENSTEIN George, MAZAR Nina,Federal Reserve Bank of Boston Working Paper no. 05-01 - July 2005, NYTimes, 20 Nov. 08.97 Ce qui renforce considérablement la pertinence des résultats obtenus.

42

Daniel Pink98 analyse comment optimiser l’émergence de ces processus

positifs en se basant sur des expériences en Sciences Humaines menées sur le

sujet. Il dégage, à partir des résultats obtenus, un nouveau système de

fonctionnement basé sur trois principes fondamentaux de motivation

intrinsèque prônant une meilleure prise en compte des désirs profonds de

l’individu99 :

– L’autonomie : le désir de diriger nos propres vies ;

– La maîtrise : le désir de s’épanouir dans quelque chose qui compte

pour nous ;

– Le but : le sentiment que ce que nous faisons s’inscrit dans quelque

chose de plus important que nous.

Il rajoute que la plupart des problèmes nécessitant de faire appel à

l’innovation et à la créativité ne peuvent généralement être résolus qu’en

adoptant un point de vue extérieur à la situation. La motivation intrinsèque

selon lui permet d’élargir les capacités d’analyse et de réflexion des

98 Auteur et journaliste américain ayant travaillé de 1995 à 1997 pour leVice-Président Al Gore en tant que speechwriter.99 Un exemple clair est donné avec l’encyclopédie Wikipedia. Au cours desannées 90, Microsoft éditait l’encyclopédie Encarta en payant cher desprofessionnels qualifiés pour produire du contenu de qualité (environ40 000 articles). En 2001 est arrivé un nouveau service en ligne, Wikipedia(www.wikipedia.org/), géré par la Wikimedia Foundations. Ce service est basésur le modèle de la libre contribution des internautes sans aucune récompensepour le travail fourni, mais seulement sur le plaisir des individus à produiredu travail non-rémunéré (la philosophie de ce projet est basée sur lamotivation intrinsèque et pas sur l’extrinsèque) qui vienne enrichir unedynamique mondiale basée sur l’intelligence collective des participants.Wikipedia a réussi à supplanter Encarta (qui s’est arrêtée en 2009) et estaujourd’hui l’encyclopédie la plus complète au monde. De nombreux testss’accordent à dire qu’elle ne comporte pas beaucoup plus d’erreurs que lesencyclopédies traditionnelles, et serait même plus fiable pour les informationsd’actualité! ! (source :http://www.protegez-vous.ca/technologie/wikipedia-une-encyclopedie-fiable.html).

43

individus, favorisant l’émergence de nouvelles solutions. Selon Pink, la seule

contrainte qui ne nuise pas à ce processus est de dire aux individus que le

travail doit être fait (fixation d’objectifs). A partir de cet objectif, les

individus qui se voient conférés une autonomie sur l’organisation et leurs

méthodes de travail sont généralement bien plus satisfaits et heureux de

participer à ces tâches et on assiste à une amélioration claire de la qualité

du travail produit ainsi que de l’engagement des individus par rapport à

leur travail.

Le leader doit donc préférer la motivation intrinsèque dans son mode de

management afin de favoriser l’émergence de l’innovation et de la

créativité au sein de son groupe et donner envie aux individus de s’engager

pleinement dans l’évolution positive de celui-ci.

5. Le charisme, une construction sociale

Le charisme, nécessaire à la stratégie de leadership n’est pas un trait de

personnalité inhérent à l’individu mais une construction sociale.

Dans un article consacré à Steve Jobs publié sur le site de datajournalism

Owni100, Denis Colombi101 analyse le concept de charisme via l’étude du

co-fondateur d’Apple, ancien véritable ambassadeur de la marque dans le

monde. Selon lui, « comme tout charisme, celui de Steve Jobs n’a pas besoin

de résider dans des capacités exceptionnelles réelles. Il suffit que les autres,

et plus particulièrement un petit groupe actif rassemblé autour du leader,

soient convaincus de l’exceptionnalité de celui-ci. Si nous analysions les

situations d’un individu en tenant compte de toutes les interactions ayant

100 http://owni.fr/2011/10/06/le-charisme-d-un-leader-economie-steve-jobs-apple/101 Agrégé de sciences sociales, professeur de sciences économiques etsociales, doctorant en sociologie.

44

autorisé l’émergence d’un Jobs, c’est tout un groupe qui devrait être

valorisé. Comme écrivait Proudhon, il y a dans le groupe quelque chose de

plus, une « propriété » supplémentaire, dont la sommation simple des capacités

des individus qui le compose ne pourra jamais tenir compte… ».

La prise en compte de l’origine de ce « pouvoir d’influence » par les

membres du groupe peut être très utile pour leur permettre de relativiser et

atténuer leur fascination (basée sur l’affect) et donc débrider la réflexion de

leur part, encourageant ainsi le processus d’innovation.

6. Pourquoi et comment influencer le leader afin de

produire une innovation nécessaire mais non sollicitée par

la hiérarchie ?

Le leader étant un être humain, il est soumis à de nombreux « pièges »

psychologiques et biais cognitifs qui peuvent fausser ses capacités

perceptives, réflexives et analytiques et ainsi nuire au bon fonctionnement du

processus d’innovation dans l’organisation. Ces pièges peuvent-être par

exemple :

– Le piège abscons102 ;

102 Le piège abscons est un piège psychologique qui se crée dans l’esprit d’unindividu lorsque celui-ci est engagé dans une série d’actes coûteux. Si ces actesne produisent pas de résultats attendus et espérés par l’individu, celui-ci auraénormément de mal à renoncer et à remettre en cause son engagement, car ilremettrait alors en cause l’intégralité de ses efforts et de son engagementmatériel ou temporel qu’il a concédé pour parvenir à ce but. Par exemple, unjoueur de loto jouant depuis de nombreuses années et n’ayant jamais gagné desa vie aura de fortes chances de persévérer dans ce comportement carabandonner reviendrait à reconnaître qu’il a joué pour rien depuis tout cetemps. Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois analysent ce phénomènepsychologique inhérent à l’individu en utilisant l’exemple d’un couple quirefuse de se séparer : « les raisons de poursuivre la cohabitation, sinonl’alliance, furent nombreuses. Il y eut d’abord les amis communs, puis vinrent

45

– Le syndrome du lampadaire : l’individu se persuade que la solution se

situe dans son environnement proche et s’interdit d’imaginer d’autres

possibles ;

– Le syndrome de la grenouille : l’individu se focalise sur un point

particulier jusqu’à en oublier les raisons, et manque ainsi l’objectif principal ;

– La fixation du détail : l’individu apporte une réponse à tout prix pour

faire face à une situation d’urgence alors que l’enjeu est ailleurs et que la

décision sera contre productive ;

– La fuite en avant : l’individu construit l’avenir à partir d’une projection

du passé, en se référant à des situations déjà vécues pour lesquelles des parades

ont été bénéfiques. Il peut donc, comme tout être humain, ne pas être

rationnel dans ses prises de décision.

Voici d’autres facteurs pouvant affecter sa rationalité décisionnelle décrits

par Jean-Luc Hannequin103 :

– L’acceptable : il est parfois plus facile de raisonner à partir d’éléments

socialement acceptables plutôt que d’adopter un raisonnement à partir

d’éléments factuels ;

– La pression : les situations de contraintes fortes conduisent à s’arrêter sur

des détails, à privilégier des éléments de formes ou de présentation ;

– Le raccourci : l’individu pense aller à l’essentiel souvent par manque de

temps, de motivation ou de ressource suffisante (connaissances et

compétences).

l’éducation des enfants et la maison achetée à crédit, jusqu’à ce que nedemeure que la plus lourde d’entre elles : l’inaptitude à vivre autre chose. A nepas reconnaître cette raison, ils évitent ainsi de reconnaître que les précédentesn’étaient en définitive que les éléments d’un piège abscons ou d’unedramatique escalade d’engagement ».103 Spécialiste en Intelligence Economique et Innovation et Directeur duCentre Européen d’Entreprise et d’Innovation d’Ille et Vilaine (Créat’IV).

46

Le leader peut également emprunter par mégarde des « fausses routes » qui

peuvent s’avérer très dommageables pour le groupe si elles ne sont pas évitées.

Celles-ci peuvent être la conduite au rétroviseur104, le risque d’endogamie105,

le mirage de la tendance106 et le mythe du champion107.

Le leader peut donc, de manière tout à fait naturelle car humaine, adopter

des décisions non rationnelles influencées par sa propre perception

forcément subjective car générée par ses propres mécanismes psychologiques et

cognitifs. Il est donc important pour limiter ce risque que celui-ci ne soit pas

aveuglé par ses propres convictions et soit à l’écoute des autres membres

du groupe.

Cet aveuglement pourra le conduire à adopter des raisonnements par

schéma et routine, avec une application de solutions « ordinaires » ou

prendre des décisions en réaction à une situation plutôt qu’à partir d’une

analyse complète de l’environnement et du contexte. Les membres du

groupe doivent donc être attentifs et « pro-actifs » dans la stratégie du

groupe, en proposant de nouvelles idées et solutions pouvant améliorer le

processus décisionnel géré par le leader (par exemple en apportant de

nouvelles informations comblant des « zones d’ignorance108108 » mises en

évidence ou soulever de nouvelles questions générant de nouveaux besoins

informationnels et cognitifs pour le groupe).

104 Construire l’avenir à partir d’une projection du passé, en se référant à dessituations déjà vécues pour lesquelles des parades ont été bénéfiques.105 Focaliser son attention sur les concurrents, innover par imitation, suivrel’effet de mode, rechercher les consensus.106 L’individu analyse une information déjà obsolète.107 Le charisme d’une personnalité devient la norme, un standard, un modèlede réussite.108 « Informations inconnues et ignorées ». (Hayek)

47

Analysons maintenant comment les membres du groupe peuvent amener

le leader à modifier sa perception vis-vis de son environnement et

influencer ses décisions dans le but d’amener le groupe à évoluer positivement.

Tout d’abord, il peut être utile de sensibiliser le leader à ses propres failles

et biais cognitifs. Le but sera donc d’amener naturellement celui-ci à une

véritable prise de conscience par rapport à ses propres faiblesses

psychologiques et cognitives (qui constituent le premier pas vers la lutte

contre celles-ci), puis à l’importance des différents risques qui peuvent être

encourus par le groupe. Utiliser des exemples d’organisation ayant subi

des préjudices importants pour cause de mauvaise perception de son

environnement ayant généré des mauvaises décisions peut aider à faire

passer le message.

Ensuite, il peut être utile de sensibiliser le leader au fait que l’ignorance

au sein d’un groupe a un coût réel (temps, ressources

humaines/financières,...) en répertoriant des cas concrets de besoins

informationnels non comblés pouvant engendrer de fortes dépenses pour

pallier ces manques.

La crise étant naturelle et arrivant tôt ou tard, il n’est en règle générale pas

difficile de le sensibiliser à ses conséquences potentiellement dramatiques pour

le groupe ou l’organisation. Ainsi, générer un sentiment de peur ou

d’impuissance face à une crise mal gérée au sein du groupe et générant des

préjudices très importants, peut être un très bon moyen de sensibiliser la

hiérarchie à l’importance de la prise en compte de certaines idées ou

problématiques qui auraient été oubliées ou négligées. Pour optimiser ce

processus de sensibilisation et amener à un changement réel et profond, il faut

impliquer clairement le leader dans le travail de lutte contre des crises

fictives mais réalistes dans le cadre par exemple de simulations de crise. Le

48

but est d’amener l’individu à s’engager dans des actes et produire de

nouveaux comportements (domaine de l’action) qui ne seraient pas

forcément en adéquation avec ses propres attitudes (domaine de la pensée).

Cette pratique permet ainsi d’apporter au leader de nouveaux éléments

cognitifs dissonants avec ses propres attitudes afin de l’amener à développer

un état de dissonance cognitive que nous avons décrit précédemment. Le but

de cette technique est de tenter d’amener la personne à modifier son attitude

initiale pour que celle-ci soit consonante avec les nouveaux comportements

engageants qu’il vient de produire. Cibler le changement d’attitude chez la

personne semble être la solution la plus judicieuse car l’attitude est chez

l’individu l’élément le moins résistant au changement.

La meilleure manière d’influencer le leader est donc d’opérer une stratégie

d’influence subtile en amenant l’individu à modifier par lui-même sa propre

attitude en adoptant de nouveaux comportements allant dans le sens voulu

par le groupe. Il faut cependant faire très attention en pratiquant cet exercice

au phénomène de dissonance cognitive produit. Car si cette personne est par

exemple déjà profondément engagée dans ses croyances (l’individu a déjà

produit beaucoup d’actes coûteux en temps, argent, énergie,...) et si elle est

bénéficie d’un soutien social elle peut, au lieu de modifier son attitude initiale,

générer un effet inverse à celui recherché par une radicalisation de celles-ci.

Cette radicalisation aurait donc un effet totalement contre-productif et néfaste

pour le groupe (tout comme les sujets de l’expérience menée par Festinger, qui

au lieu de reconnaître leur tort ont radicalisé leurs croyances).

Le leader doit pour résumer faire attention à ne pas se laisser aveugler par

ses croyances et valeurs personnelles issues de sa culture et expérience

propre. Il doit demeurer ouvert aux autres possibilités et idées même si

elles ne correspondent pas à son propre schéma de pensée. Il doit donc être

49

ouvert d’esprit et faire preuve d’humilité en acceptant le fait que les

membres du groupe peuvent éventuellement avoir des idées plus judicieuses

que lui109.

IV. Le management de l’Intelligence collective, des

connaissances, de l’ignorance et des antagonismes

1. L’intelligence collective

L’intelligence collective constitue un « effet bénéfique » généré par des

groupes d’individus bien managés (esprit collectif évolué). Pierre Lévy110 nous

dit que « l’intelligence collective n’est féconde qu’en articulant ou en

coordonnant les singularités, en facilitant les dialogues, et non pas en

nivelant les différences ou en faisant taire les dissidents. Finalement (…) si

l’on veut motiver des personnes à partager leurs savoirs et savoir-faire, il faut

109 Bernard Besson nous raconte à ce propos une anecdote très expliciteconcernant l’importance de la prise en compte de l’avis et des idées desmembres du groupe, et ce, quel que soit leur statut au sein de ce groupe. Uneentreprise spécialisée dans la fabrication de yaourts tentait de mettre enapplication une nouvelle technique de lactation pour produire une nouvellesaveur. Ce phénomène échouant à chaque fois, les dirigeants pensaient doncque la technique n’était pas au point. Un gardien chargé de surveiller les alléeset venues au sein de l’entreprise a alors fait part d’une de ses observations : leprocessus de lactation était à chaque fois effectué au même moment que lepassage d’un train à proximité des lieux. Il a alors suggéré que l’on décalel’horaire afin de déterminer si cet événement ne venait pas impacter le bondéroulement du travail. Le test suivant s’est avéré être un succès, démontrantque le processus était parfaitement au point et que le problème venait en effetde ce train passant à la même heure que les premières tentatives ! Sil’entreprise n’avait pas écouté cet employé, elle aurait alors abandonné unetechnique fonctionnelle et aurait dépensé beaucoup de temps et d’argent pouren développer de nouvelles.110 LEVY Pierre, Vers une science de l’intelligence collective, 22 juin 2010.Document consultable à cette adresse : http://tinyurl.com/dxq785t

50

prendre en compte les facteurs culturels et humains. Ces facteurs sont par

exemple la confiance, le sens, la réciprocité et non pas uniquement des outils

ou des procédures. L’entreprise traditionnelle est ainsi souvent trop vaste et

trop hiérarchisée pour que soient réunies les conditions favorables à

l’échange de connaissances. Les démarches de Knowledge Management

cherchent à recréer des communautés transversales, au sein desquelles les

échanges de pratiques se font sans formalisme hiérarchique, et où

l’apprentissage commun ne peut être crée, accumulé ni transmis sans effort

personnel d’apprentissage ». Cette analyse souligne encore la véritable

nécessité pour les individus de dialoguer entre eux et d’échanger leurs

points de vue, reflets de leurs différences et moteurs du fameux « esprit

collectif évolué » que nous analysons.

Olivier Zara111 nous décrit ce concept comme la pratique qui consiste à

gérer et développer les ressources intellectuelles d’une équipe. Il lui donne

la capacité de co-construire, de partager et d’innover en valorisant les

ressources intellectuelles (internes et réseau). Ce management de

l’intelligence collective est donc tout à fait judicieux dans le sens où il va

permettre à un groupe ou une organisation de développer une forme accrue

de connaissance permettant d’alimenter sa stratégie de manière très

efficace. Il nous permet de mieux comprendre également le fait que cette forme

particulière de management est le fruit de la combinaison entre le

management individuel (centré sur la personne) et le management collectif

(centré sur les individus). Sans ces deux managements, alors celui de

l’intelligence collective ne peut être effectué car étant totalement dépendant

des deux premiers.

111 ZARA Olivier, Le management de l’intelligence collective : Vers unenouvelle gouvernance, M2 Editions, Essais-Document, 2005, 195 p.

51

Analysons maintenant les communautés de pratique afin de comprendre

leur utilité au service de l’innovation dans une organisation.

2. Les communautés de pratique

Les communautés de pratique sont des communautés qui rassemblent à

l’intérieur d’un groupe des individus fédérés autour d’un objectif commun

et qui partagent les même valeurs. Pour parvenir à développer ces

communautés, il faut que les individus comprennent clairement les avantages

qu’ils ont à collaborer et travailler ensemble. Le plus grand défi est de créer

un réel sentiment d’appartenance à ces communautés et à amener les

individus à partager leurs savoirs et connaissances (par exemple : leur

expérience dans un domaine précis) et leurs informations issues de leurs

différentes actions et interactions.

Selon Florence Stenuit Hautdidier112, « chaque membre d’une communauté

de pratique peut trouver dans sa participation l’occasion de développer de

nouvelles aptitudes ou de récolter des bénéfices personnels. Ainsi il peut

apprendre à :

– Exprimer des idées ;

– Débattre, confronter des points de vue, construire un consensus ;

– Partager des informations ;

– Collaborer et contribuer à un projet commun ;

– Gagner du temps ;

– Se sentir moins isolé, développer un sentiment d’appartenance, être

plus motivé.

Pour faire vivre ces communautés, il faut prendre soin de valoriser à la fois

le groupe (en communiquant par exemple sur ses succès, fruit de la

112 Spécialiste en Information-Documentation.

52

collaboration des membres) mais aussi les individus pour optimiser leur

estime de soi, leur confiance et leur donner envie de pleinement s’engager

dans leurs actions au service du groupe (en utilisant le principe de « motivation

intrinsèque » que nous allons étudier).

Les communautés de pratique au sein d’un groupe ou d’une organisation

permettent donc d’apporter un équilibre des besoins répartis entre les

besoins individuels « égoïstes » (dans le sens centré sur la personne)

d’épanouissement personnel et de reconnaissance sociale inhérents aux

individus et ceux du groupe tout entier.

3. Exploiter la mémoire, l’analyse et le réseau pour

optimiser l’intelligence collective, le management des

connaissances et des ignorances

A. La mémoire de l’organisation

Un groupe ou une organisation, pour être bien managé et éviter la

déperdition de savoirs et de compétences à l’intérieur de celui-ci (risque

d’« amnésie » très néfaste), doit nécessairement posséder une « mémoire » qui

répertorie l’ensemble des informations (ouvertes/blanches113) écrites et

orales ainsi que les savoirs, savoir-faire et connaissances produites par les

membres évoluant à l’intérieur de celui-ci.

Selon Besson, « la mémoire est la capacité à relier des informations

repérées à l’intérieur et à l’extérieur ». Elle est une attitude, une curiosité

organisée et nécessite pour être construite un audit des gisements

d’information et des connaissances des individus. Elle doit ainsi permettre de

recenser et répertorier toute information ouverte utile pour le travail

113 Informations librement accessibles.

53

d’analyse et de prise de décision du groupe. Elle ne se limite bien

évidemment pas aux données issues à l’intérieur de l’organisation mais

dépasse les « murs » de celle-ci. Julian Assange114, dans une interview

accordée à Peter Singer115 alimente ce paradigme organisationnel en affirmant

qu’« en se transmettant des informations vraies sur leur environnement, les

hommes se donnent les moyens de prendre les bonnes décisions pour agir sur

cet environnement ».

Il faut donc que l’organisation optimise le processus de diffusion (et donc

de recensement) de l’information en son sein afin de limiter le phénomène

naturel de rétention ou marchandage d’information. La mémoire permettra

ainsi d’améliorer également la gestion des connaissances dont le but est la

diffusion optimale de l’information et sa pérennisation au sein d’une

organisation. L’optimisation de ce travail va également permettre de

développer la communication interindividuelle et alimenter le cycle vertueux

indispensable de question-réponse par la mise en évidence de « zones

d’ignorance » qui enrichiront la mémoire de l’organisation en faisant émerger

de manière continue de nouveaux besoins informationnels et de nouvelles

réflexions.

Nous garderons à l’esprit que pour être utile et pertinente, cette mémoire

doit être régulièrement consultée et exploitée par les individus et enrichie

par un apport incessant par les individus de nouvelles questions et

informations stratégiques pour optimiser le travail d’analyse et le processus

décisionnel au sein du groupe.

La mémoire est d’autant plus importante pour le groupe qu’elle permet de

créer un véritable « intérêt mutuel » au sein des membres. Ainsi, elle permet

114 Co-fondateur du site de whistleblowing wikileaks.org115 Philosophe australien auteur notamment de La libération animale.

54

aux individus de prendre conscience des compétences des autres et de leur

utilité pour leur projet commun, ce qui ne peut être que favorable à une

volonté de travailler et évoluer positivement ensemble, au delà de toutes les

différences et « antagonismes ». Elle permet enfin de très facilement identifier

les réseaux utiles dans la quête d’information orale et fermée nécessaire à

l’analyse et à la prise de décision que nous allons analyser maintenant.

B. Le réseau

Le réseau est un « filet » constitué de membres variés et qui comprend des

« nœuds » constitué par des points de rencontre. Selon Henri Bakis, « c’est une

situation collective qui est faite de connexions et d’acteurs ».

Un réseau permet d’échanger des questions et des réponses précises au

sein du groupe. Bien exploité au sein d’un groupe, il permet d’alimenter la

pratique de « maîtrise de l’intelligence » que nous avons analysé par ce

cercle vertueux de question-réponse.

Le réseau est véritablement indispensable pour la stratégie d’innovation de

l’organisation car il va permettre au groupe d’alimenter sa « pensée globale »

en créant des liens autour des personnes. Selon Besson, « plus ces liens sont

inattendus et non-conformistes, plus ils permettent de déceler l’ignorance.

Les liens entre les personnes comptent autant, sinon plus, que les liens entre

les informations ».

Les réseaux utiles à une organisation peuvent être de nature multiple. Il peut

ainsi y avoir des réseaux d’experts, d’influence ou bien encore des réseaux

familiaux, philosophiques, universitaires ou de loisirs (qui, selon Besson,

sont bien plus pérennes que l’organisation seule). Mais il peut également être

fort judicieux d’entretenir de très bonnes relations avec les réseaux

55

« d’alerte », c’est-à-dire ceux qui alertent toujours l’organisation lorsqu’il y a

des problèmes.

Il est important de souligner que chacun de nous est reconnu au sein de

plusieurs réseaux qui pratiquent une compétence et un langage propre. Tous

les réseaux ont une mémoire collective contenant les réponses à de possibles

questions.

Les individus au sein du groupe et de leurs réseaux doivent apprendre à

devenir ce que Seth Godin nomme « linchpin », c’est-à-dire des personnes

indispensables capables de créer, de trouver des solutions nouvelles et

d’établir des connexions fructueuses entre les individus.

Il faut pour favoriser le processus de création de liens entre les individus

travailler l’« infostructure » qui constitue le « liant » entre les personnes,.

Ainsi les personnes du réseau vont tenir le même langage et se comprendre.

Cela peut être par exemple des codes, des centres d’intérêt et une culture

commune. Il faut cependant faire attention à ne pas développer des réseaux

basés sur un affect trop prononcé car cela peut provoquer des convergences de

jugement trop importantes et une uniformisation des attitudes, pouvant

fausser la perception et les capacités analytiques et réflexives des individus. Il

est donc indispensable de trouver un bon compromis entre affect (pathos) et

raison (logos) et garder à l’esprit que chaque individu au sein des réseaux

doit conserver son propre point de vue, sa propre analyse et ses propres

critiques. Le conflit cognitif étant indispensable à l’innovation, la

multiplication des points de vue et la capacité de chacun à adopter un point de

vue personnel et externe aux différents problèmes posés est nécessaire pour

optimiser le travail d’analyse et de lecture collective.

Pour optimiser au maximum la collecte d’information pertinente et utile, il

faut prendre soin de tisser des réseaux disposant de nombreux « trous

56

structuraux116 » favorisant des « bénéfices informationnels » (meilleure

diffusion des savoirs et des savoir-faire) pour l’organisation.

Un réseau fonctionnera mieux avec un système de gestion souple plutôt

qu’avec un management directif. Cette analyse rejoint la vision prônée par les

communautés de pratique qui reposent sur des valeurs partagées et des intérêts

communs incitant les individus à s’impliquer de leur propre volonté dans ces

communautés. Les membres d’une communauté s’identifient ainsi étroitement

à celles-ci et sont liés par la connaissance qu’ils partagent et qu’ils

développent ensemble. Cependant, certaines différences fondamentales sont à

considérer entre les communautés de pratique et les réseaux.

Pour optimiser les échanges au sein de ces réseaux, il est important que les

membres adoptent un profil formaliste. Ainsi, il est indispensable d’utiliser les

réseaux existants de manière éthique et de privilégier le maintien des bonnes

relations interindividuelles par rapport au culte du résultat à tout prix.

Cette approche est la condition pour préserver une confiance générale,

véritable ciment dans les relations entre les personnes. Une approche

utilitariste serait ainsi totalement contre-productive car elle entraînerait une

méfiance générale de la part des membres et dégraderait rapidement les

résultats positifs jusqu’alors obtenus, les relations humaines étant éminemment

complexes et fragiles.

Le réseau possède des différences avec les communautés de pratique. Les

communautés de pratique ont, selon Hautdidier, pour but de renforcer les

compétences des membres, développer et échanger des connaissances. Les

membres sont soudés par la passion, l’investissement personnel et le

116 Selon Burt, un trou structural est une relation de non-redondance entredeux contacts. Des contacts sont redondants s’ils se connaissent directement ous’ils sont indirectement en situation d’« équivalence structurale », c’est-à-direqu’ils connaissent les mêmes personnes.

57

sentiment d’appartenir à la communauté et au domaine de spécialisation en

question. Le réseau, quant à lui, a pour but de recueillir et faire circuler des

informations. Il est formé par les amis et les contacts professionnels des

membres. Il est généralement formé autour de besoins réciproques (qui vont

entraîner le besoin de maintenir le contact) et dure tant que les participants

ont une raison de rester en contact.

Selon Christian Marcon et Nicolas Moinet117, le réseau est un « corps

vivant » qui a des pointes d’activité et qui peut se mettre en sommeil. Il faut

ainsi, comme pour un individu, respecter un « rythme biologique » pour ne

pas dégrader son efficacité. Selon ces deux chercheurs, le réseau humain

permet :

– Une économie de moyens (temps, énergie, finance) car la parole se

diffuse beaucoup mieux que l’écrit ;

– Une synchronisation des pensées et des actions.

Ils rajoutent que tout réseau, pour produire réellement des effets bénéfiques

pour le groupe, doit être accompagné d’une véritable « stratégie réseau ».

Ainsi, « la stratégie réseau consiste à créer, ou le plus souvent à activer et

orienter les liens tissés entre des acteurs dans le cadre d’un projet ». Selon

eux, il est important que le projet soit clairement formulé car de sa

formulation va dépendre :

– Les personnes impliquées ;

– L’identification des environnements à intégrer (domaines, acteurs,…) ;

– L’identification des facteurs clés de succès.

Il est important de souligner que chaque membre de l’organisation est

une propre tête de réseau. Dans le cadre d’une stratégie d’innovation, il

convient ainsi d’entretenir de bonnes relations avec l’ensemble des

117 MARCON Christian, MOINET Nicolas, Développez et activez vosréseaux relationnels, Dunod, 2007, 205 p.

58

individus, quel que soit leur statut social au sein de ce groupe pour ne pas

nuire au formidable pouvoir d’analyse et d’influence généré par ces « filets ».

C. L’analyse

L’analyse est l’interface qui relie l’organisation et le monde extérieur, le

lien entre l’ignorance et le savoir, entre le réseau et la mémoire118. Elle a

pour fonction de « critiquer et évaluer les organes d’acquisition de

l’information ». Elle est ainsi destinée à « exciter la mémoire et le réseau »

et doit donc être en conflit avec ces deux autres fonctions, conflit qui est

comme nous l’avons vu précédemment nécessaire à l’innovation.

Un bon travail d’analyse au sein d’une organisation doit être basé sur la

multiplication des points de vue (interne et externe) pour élargir la capacité

d’analyse du groupe de celle-ci. L’organisation doit ainsi pour optimiser ses

processus d’analyse, de traitement des flux informationnels et d’innovation,

exploiter au maximum les individus la composant et pratiquer la « lecture

collective ». Cette pratique consiste à faire appel à différentes personnes

(idéalement issues de l’intérieur et de l’extérieur du groupe) afin d’analyser

une même information stratégique pour ce groupe. Elle permet ainsi

d’enrichir considérablement cette information en apportant plusieurs

points de vue sur un même problème (qui, comme le souligne Besson, « est

un flot perpétuel et imparfait qui demande sans relâche des compléments et des

commentaires et s’inscrit par nature dans un contexte continu et inachevé »).

Elle permet également de produire des idées nouvelles possédant une valeur

ajoutée beaucoup plus élevée que si elles avaient été produites par un seul

individu ou uniquement à l’intérieur du groupe (qui peut facilement s’il ne

prend pas garde s’enfermer dans des biais cognitifs et pièges psychologiques

118 BESSON Bernard, POSSIN Jean-Claude, Du renseignement àl’Intelligence Economique, Dunod, 2001, 331p.

59

exactement comme un individu119). Interroger des membres des réseaux

externes à l’organisation peut donc également être judicieux pour compléter le

travail d’analyse et de lecture collective. Il peut s’avérer très intéressant de

solliciter et exploiter le réseau externe de chaque membre (constitué

d’amis, de la famille, de collègues,...) pour améliorer la stratégie du groupe.

De même que nous avons besoin d’un regard externe pour nous aider à y voir

clair quand nous nous sommes penchés trop longtemps sur un problème, le

groupe doit solliciter les points de vue extérieurs afin de préserver une

vision « multilatérale » et ne pas s’enfermer dans des pièges cognitifs qui

pourraient nuire à sa bonne évolution.

L’analyse d’Humbert Lesca et Marie-Laurence Caron à propos du processus

d’intelligence collective120 nous permet d’alimenter notre réflexion sur

l’importance de la pratique de lecture collective au sein de l’organisation. Pour

ces deux chercheurs, développer une démarche d’intelligence collective

dans l’entreprise permet de remédier aux biais cognitifs individuels. Ainsi,

« lorsqu’un individu se trouve seul face à des signaux annonciateurs

(informations de veille stratégique), il doit les interpréter. Or ces signaux

sont fragmentaires, incomplets, ambigus, etc. On sait que cette

interprétation sera fortement subjective et qu’elle sera conditionnée par

les préférences cognitives de l’individu (selon Laroche et Nioche (1994)).

Elle sera également conditionnée par l’expérience spécifique de l’individu.

La création d’une vision collective, en revanche, va réduire

considérablement les biais cognitifs individuels et la subjectivité ». Ils

rajoutent que « cette démarche permet également de susciter le consensus et

119 Cette analyse s’appuie sur le paradigme « l’organisation commeindividu » que nous avons développé.120 CARON Marie-Laurence, LESCA Humbert, « Veille stratégique : créerune intelligence collective au sein de l’entreprise », consultable ici :http://tinyurl.com/7mzbxse

60

l’action collective. En un sens, créer une vision admise par le groupe et

réduire la subjectivité ainsi que les biais cognitifs, sont à la fois des buts et

des moyens. Ce sont des moyens pour susciter l’action collective et

consensuelle des membres de l’entreprise dans la perspective de réussir

son adaptation aux évolutions de l’environnement ».

Il faut donc bien garder à l’esprit que la lecture collective nécessite de

cultiver la différence au sein du groupe afin que chaque individu dispose

d’un point de vue propre et puisse contribuer à produire une réelle valeur

ajoutée. Il ne faut surtout pas chercher à uniformiser les perceptions des

individus qui conduiraient à brider leurs capacités d’analyse et

appauvrirait les formidables ressources humaines dont dispose le groupe et

qu’il ne soupçonnait peut-être pas. Car cette différence est véritablement

nécessaire pour faire naître les nouvelles idées, le « conflit » cognitif et donc

l’innovation. Ce genre de lecture de son environnement permet de ce fait

d’éviter les « biais cognitifs » favorisés dans un esprit collectif primaire ou la

majorité des individus possèdent la même opinion et adhèrent aux mêmes

normes.

Ce travail d’analyse, comme le management de la mémoire et l’exploitation

du réseau que nous étudierons, est indispensable pour optimiser le processus de

« management de l’ignorance » analysé par Besson et Possin121.

Selon eux, l’ignorance est, au sein d’un groupe ou d’une organisation,

indispensable et fondamentale et doit être managée grâce à la pratique de

l’Intelligence Economique122(« L’intelligence Economique place l’ignorance

féconde au même rang que le savoir »). Cette pratique est indispensable car

121 Analyse détaillée dans leur ouvrage Du renseignement à l’IntelligenceEconomique cité précédemment.122 « Maîtrise de l’information stratégique utile aux acteurs économiques ».(Juillet)

61

selon lui, « celui qui maîtrise les ignorances et les questions posées détient

le pouvoir ». Maîtriser le cycle de question-réponse au sein d’une organisation

génère donc une véritable « maîtrise de l’intelligence ».

Les membres doivent donc être véritablement encouragés à se poser des

questions, à produire des « rapports d’étonnement123 » au sein du groupe

afin de créer de nouvelles orientations et attirer l’attention des autres

membres sur ces nouvelles « zones d’ombre » potentiellement génératrices

de nouvelles opportunités pour le groupe. La mémoire de l’organisation doit

constamment évoluer afin de faire émerger sans cesse de nouvelles

ignorances pour le groupe et « anticiper les curiosités futures ».

D. Prévenir et manager les antagonismes

Analyser les groupes d’individus amène naturellement à se pencher sur les

problèmes inhérents aux relations interindividuelles et notamment ceux de

conflit et de tension entre les personnes. Ces conflits et tensions sont tout à

fait naturels car humains et comme les crises, ils finissent toujours par

éclater tôt ou tard. Nous nous rendons alors compte que la notion de

« management des antagonismes124 » devient inévitable. Ainsi, comment

123 Définition ici :http://www.180-360.net/rapport-etonnement-mind-map.Nous insisterons sur le terme « encourager » car il est totalementcontre-productif d’imposer ce genre de production aux membres del’organisation. Ce qu’il faut est donc tenter de développer dans l’esprit desindividus une véritable « culture de l’étonnement » et ainsi opérer unchangement profond d’attitude allant dans le sens de la stratégie d’innovationdu groupe.124 Par antagonisme nous parlons ici de « conflit » au sens large du terme.Nous intégrons ainsi le conflit basé sur des motivations affectives (les émotionsou les sentiments d’un groupe sont incompatibles avec ceux d’autres groupes)ou d’intérêt (selon la théorie de l’identité sociale) susceptibles de dégrader lesrelations individuelles et donc le travail de coopération. Enfin, nous prenonségalement en compte le conflit cognitif, basé sur une incompatibilité des

62

amener des individus qui ne s’apprécient pas forcément et qui peuvent

potentiellement entrer en compétition au sein du groupe (pour des luttes de

pouvoir, d’influence, de reconnaissance sociale,...) à dépasser leur animosité et

à collaborer afin de faire évoluer le groupe positivement ? Nous allons tenter

ici d’apporter quelques idées et des pistes de réflexion pour optimiser ce

travail.

Poursuivons tout d’abord notre analyse du conflit entamée précédemment

via d’autres études effectuées sur le sujet. John Gottman en distingue deux

types125 :

– Le conflit de situation : porte sur des aspects liés aux valeurs, aux

besoins, aux règles,...La relation à l’autre n’est pas la cause de ce genre de

conflit ;

– Le conflit de personne : l’individu remet en cause la personnalité de

l’autre, qui n’est pas ou plus apprécié. Cela peut être généré par des

préjugés, le cumul de plusieurs conflits de situations jamais évoqués (d’où

l’importance de la communication pour fluidifier les relations

interindividuelles) ou mal résolus entre les individus, la légitimité

d’appartenance, de qualification,...

Selon Fischer, les conflits développent plusieurs réactions :

– L’évitement qui est selon lui une réduction de la tension par une

distanciation physique ou mentale. Cependant, cette réaction ne traite

aucunement le conflit ;

croyances et des représentations. Nous intégrons dans cette notion lephénomène de catégorisation, de discrimination, les stéréotypes et les préjugés.125 GOTTMAN John, The Seven Principles for Making Marriage Work,Crown Publishers, 1999, 208 p.

63

– La conciliation, attitude consistant à développer des relations positives.

Une telle réaction intervient quand les objectifs du groupe s’avèrent

« supra-ordonnés » et requièrent une coopération avec l’autre groupe ;

– La réaction démocratique, basée sur une estime d’autrui et une

confiance mutuelle.

La base de la résolution des conflits est d’éviter à tout prix chez les

individus concernés une réaction d’évitement et privilégier la

communication et la négociation pour parvenir à trouver un accord

commun et ainsi « organiser la cohabitation126 » entre ces personnes.

Il faut ensuite soigner le climat organisationnel et le style de leadership.

Ainsi, selon Baron et Neuman, un style de management autoritaire serait

associé à l’augmentation du risque d’apparition de violence. Lippitt et

White complètent cette analyse en disant que ce climat entraîne des réponses

contradictoires : une obéissance passive d’un côté et des attitudes de

révolte de l’autre.

Dans le même sens, un climat basé sur le « laisser-faire » fait, selon ces

deux chercheurs, apparaître le taux d’agressivité le plus élevé. Celle-ci est

notamment due au sentiment d’abandon éprouvé par les individus face à

l’indifférence du moniteur. Dollard met également en évidence le rôle de la

frustration (que nous avons aussi évoqué) comme facteur de comportement

agressif. L’agressivité serait ainsi un moyen pour l’individu de libérer ses

émotions à la suite d’une frustration.

Il est donc indispensable, pour poser les bases de la prévention des

antagonismes, de travailler le climat du groupe en optant de préférence pour

un climat « démocratique » qui fait apparaître, toujours selon Lippitt et

White, le taux d’agressivité le plus faible et qui permet au groupe d’être le

126 Selon l’analyse de Wolton que nous allons étudier prochainement.

64

plus productif. Il vaut mieux ainsi adopter un style de management plus

« souple » et basé sur la motivation intrinsèque, la reconnaissance sociale et

l’écoute sincère des personnes par le leader pour optimiser leur satisfaction

personnelle et leur engagement au sein du groupe.

Il faut ensuite travailler comme nous l’avons vu à valoriser l’estime de

soi de chaque individu par sa valorisation sincère au sein du groupe. Il faut

donc offrir à chacun une reconnaissance profonde en lui démontrant par

exemple qu’il fait partie intégrante du système d’Intelligence Economique et

que sa participation est véritablement indispensable au sein du groupe ou

de l’organisation. Ainsi, il est nécessaire que l’autorité fasse comprendre aux

individus que ceux-ci sont des « pivots » et non des « rouages » car comme le

souligne Seth Godin127, « le pivot est indispensable au bon fonctionnement

de la machine toute entière tandis que le rouage est facilement remplaçable

s’il est défaillant ». Ce travail de valorisation et de reconnaissance des

individus est indispensable pour éviter le développement de sentiments

primaires comme la violence et l’agressivité.

Mais soigner son style de management et de leadership n’est pas suffisant. Il

faut aussi travailler sérieusement la communication interindividuelle et de

fait la négociation et la cohabitation entre les différents individus afin de

prévenir d’éventuels conflits liés à un manque de communication ou de

compréhension.

Dominique Wolton souligne très bien les enjeux fondamentaux d’une

bonne communication interindividuelle dans l’anticipation des conflits

dans son livre « Informer n’est pas communiquer128 ». Selon lui, le dialogue et

127 Entrepreneur américain, ancien responsable du marketing direct deYahoo, ainsi qu’auteur et conférencier à succès sur des problématiques dumarketing.128 WOLTON Dominique, Informer n’est pas communiquer, CNRS Editions,2009, 247 p.

65

la négociation sont inhérents aux rapports humains et sociaux. La

communication sert donc à négocier et cohabiter entre des individus le plus

souvent très différents. Ainsi, la communication sert moins à partager qu’à

négocier et à cohabiter de manière pacifique. Wolton défend ainsi une

théorie de la communication129 basée sur le principe de cohabitation via un

schéma divisé en cinq considérations :

– La communication est inhérente à la condition humaine. Pas de vie

collective sans volonté de parler, communiquer, échanger à l’échelle

individuelle et collective ;

– Les êtres humains souhaitent communiquer pour trois raisons : partager,

convaincre et séduire ;

– La communication butte sur l’incommunication. Le récepteur peut par

exemple ne pas être d’accord avec l’émetteur ;

– Ouverture d’une phase de négociation où les individus, plus ou moins

librement et égalitairement, négocient pour trouver un point d’accord ;

– Le résultat, quand il est positif, se nomme la cohabitation, avec ses forces

et ses faiblesses.

Le meilleur moyen selon lui d’optimiser les rapports interindividuels et de

prévenir les conflits est donc de reconnaître les différences et la pluralité des

identités pour ensuite organiser la cohabitation entre les individus. La

négociation est donc un concept véritablement fondamental dans le travail de

gestion et résolution des conflits. Cette analyse met en évidence l’importance

cruciale de l’interaction et de l’échange direct et réel entre les individus,

ceux-ci générant des effets bien plus efficaces qu’une simple

129 Théorie basée sur une conception anthropologique et non technique (quiinsiste sur la performance des techniques comme progrès de lacommunication), qui privilégie donc « l’étude des processus politiques à mettreen œuvre pour éviter que l’horizon de l’incommunication entre les individus etles peuples ne devienne source de conflits ».

66

communication interindividuelle basée sur des échanges différés via par

exemple des moyens techniques. Il faut cependant préciser que le processus

de négociation ne peut être efficace que s’il existe une base motivationnelle

au sein des groupes et des individus130. Il est donc également fondamental

pour organiser la négociation d’optimiser la motivation (de préférence

intrinsèque afin de modifier les attitudes) entre ces personnes comme nous

l’avons étudié précédemment.

Thierry Libaert131 et Nicole d’Almeida132 alimentent ce paradigme en

étudiant l’importance de la prise en compte des individus dans la

communication orale au sein du groupe afin d’optimiser le climat social en

son sein. Selon eux, « l’oral est l’outil de communication interne le plus

ancien. (…) L’écrit répond parfaitement à la demande d’informations des

individus mais il ne peut pallier les exigences de cohésion sociale,

d’identité culturelle, de motivation. Un fossé s’élargit ainsi entre la

réception de multiples informations et l’impossibilité de les rendre

cohérentes autour d’axes directeurs ». Selon eux, « ce décalage entraîne

des effets pervers (…) puisque recevant un nombre important

d’informations les individus tendent à réagir en dénonçant un mode de

management purement linéaire et descendant ». Pour conclure, ils affirment

que l’oral fournit le sens aux informations (tandis que l’écrit la procure) et

que les individus adhèrent d’autant plus à un projet qu’ils ont le sentiment

d’avoir pu y participer.

Le développement des préjugés et des stéréotypes étant favorisé par

l’absence de tout contact direct avec les différents groupes, il est donc

véritablement fondamental que les individus se rencontrent et échangent

130 Selon les analyses de Shérif sur la résolution des conflits.131 Maître de conférences à l’IEP de Paris.132 Professeur en Sciences de l’Information et de la Communication.

67

entre eux, ceci afin d’effacer les « appartenances groupales » au profit des

caractéristiques individuelles133.

Muzafer et Carolyn Shérif au travers de leurs études sur les conflits ont

permis de mettre en évidence une solution « idéale » de résolution des conflits

qu’est la proposition de buts d’intérêts supérieurs au sein des membres. Ces

but « supra-ordinaux » constituent ainsi des buts importants voire vitaux

pour chaque unité sociale qui ne peuvent être atteints que par la

conjugaison d’efforts des deux groupes. Ainsi, deux groupes ou deux

individus en situation de conflit sont beaucoup plus susceptibles de rentrer

en coopération voire même de nouer des liens affectifs entre eux s’ils

doivent atteindre des buts allant dans le sens de leurs intérêts réciproques

et nécessitant pour être atteints leur coopération pleine et entière. Ainsi,

selon ces deux chercheurs, les buts supra-ordinaux relèguent à

l’arrière-plan les buts que s’étaient déjà fixés chaque groupe séparément.

Shérif insiste également sur le fait que la coercition comme moyen de

résolution des conflits permet d’apporter une solution rapide et immédiate

mais ne fait qu’apporter une paix fragile.

Penchons-nous maintenant sur les concepts de déviance et de réactance. La

déviance est, selon Fischer, « un type de conduite qui place les individus en

dehors d’un système social de règles établies où leur comportement ne

paraît plus régi par elles ». La réactance constitue quant à elle la « résistance

individuelle aux pressions sociales qui s’exprime par le développement

d’une motivation négative liée au sentiment d’une perte de son

indépendance, et qui se traduit par une tendance à vouloir retrouver sa

liberté perdue ».

133 Source :www. prejuges -stereotypes.net/espaceDocumentaire/sales.pdf

68

Une chose fondamentale à retenir est qu’il ne faut surtout pas chercher à

éliminer ces effets de déviance et de réactance sous prétexte de maintenir

la cohésion du groupe. Ainsi, les individus déviants et adoptant des

comportements de réactance peuvent être de potentiels innovateurs pouvant

amener le groupe à se remettre en question (avec ses différentes

représentations sociales) et à évoluer positivement pour s’adapter à des

problématiques qui échapperaient peut-être à la majorité des membres.

Les études de Wicklund et Brehm ont également démontré que censurer un

individu est également totalement contre-productif, car cet acte a de fortes

chances de créer de la frustration et de la réactance chez cette personne,

qui pourra ainsi adopter des motivations allant dans le sens inverse de

l’effet recherché.

Il est donc important de travailler à créer des conditions favorables à la

communication interindividuelle (et donc à la négociation et cohabitation

entre les personnes) et instaurer un climat démocratique avec un style de

management « souple ». Cette souplesse est véritablement indispensable

pour éviter le phénomène de radicalisation des attitudes et des

comportements (provenant par exemple de la réactance) des individus qui,

comme nous l’avons vu, est nuisible au phénomène d’influence minoritaire

et donc d’innovation (Asch insiste bien sur le fait que la minorité doit être

ouverte et non extrême pour influencer une majorité établie et opérer un

phénomène de « conversion »).

Régler, ou tout du moins atténuer des conflits, nécessite cependant d’opérer

un travail beaucoup plus profond afin de réellement changer les attitudes des

individus en situation de conflit. Les jeux de rôle que nous avons décrit

précédemment peuvent être aussi une bonne idée pour amener les individus à

changer leurs attitudes vis-à-vis des autres individus. En les amenant à jouer

69

dans le cadre de simulations des rôles proches de ceux usuellement adoptés

par leurs collègues, ceux-ci peuvent naturellement développer une

compréhension et atténuer leur animosité vis-à-vis de ceux-ci. Amener les

individus par le biais de ces jeux à se mettre à la place des autres peut ainsi

constituer un très bon départ dans la prévention des conflits.

Ces jeux de rôle peuvent également être utiles dans le cadre de luttes d’ego

ou de pouvoir. Ainsi, amener les individus en conflit à adopter dans des

simulations des rôles sociaux bien différents (avec par exemple des relations

hiérarchiques et de pouvoir totalement différentes de celles vécues

habituellement) ou bien des rôles les amenant à s’entraider pour faire face

à un problème commun nécessitant leur coopération (buts supra-ordinaux)

peut être un bon moyen pour relativiser les catégories et situations sociales

dans lesquelles ils ont coutume d’évoluer. Si ces « jeux » sont habilement

menés en impliquant et engageant suffisamment les individus (par

l’adoption de nouveaux comportements menés de préférence en public), il sera

alors peut-être possible d’opérer un changement d’attitude et réduire leurs

animosités respectives.

Il faut également amener les individus à adopter volontairement des

comportements allant dans le sens de la collaboration, de la

compréhension mutuelle et de l’acceptation ainsi que de la nécessité du

respect des autres et de leur différence pour faire avancer le groupe et se

valoriser soi-même (via une véritable reconnaissance sociale). Le but est

d’amener les individus à modifier librement leurs attitudes et donc leur

jugement des autres et à intérioriser les valeurs de solidarité et de

collaboration via l’adoption de nouveaux comportements, effectués de

70

préférence en public134, favorisant leur intériorisation et la modification future

des attitudes.

Jouer sur l’équilibre cognitif135 de ces individus peut s’avérer également

astucieux. Ainsi, le fait de confronter les personnes antagonistes à un

élément générant chez l’ensemble de ces personnes une charge affective

positive peut les amener à prendre conscience de leurs points communs, et

donc atténuer leurs animosités pouvant trouver leur source dans la

sensation de différence. Le travail du médiateur consistera donc à tenter

d’amener ces individus à rééquilibrer naturellement et mutuellement leurs

cognitions.

Analysons pour terminer comment atténuer le phénomène de

discrimination au sein du groupe. Doise met en évidence que ce processus est

généré au sein d’un groupe d’individus dès lors qu’apparaît une catégorisation

de certains individus. Selon les études de Doise et Deschamps sur la

catégorisation sociale et la réduction des discriminations au sein de groupes,

une augmentation de la corrélation entre les différentes catégories

augmente le taux de discrimination. En revanche, un croisement entre les

appartenances catégorielles peut amener à une réduction de la

discrimination. Ainsi, le croisement des appartenances catégorielles au

sein de groupes constitue une procédure efficace pour réduire les

134 Selon la théorie de l’« œil public », un individu sera plus susceptible des’engager et donc modifier son attitude s’il effectue des comportements enpublic.135 Etudié notamment par Heider sous la forme d’un triangle composé du« Moi », d’« Autrui » et de l’« Objet ». Ce chercheur a ainsi déterminé quepour qu’un individu soit en état d’« équilibre cognitif », il faut que la sommedes charges réparties entre ces trois éléments forme un résultat positif (soit +++ soit ---). Si celle-ci est négative par la présence d’une charge contraire auxautres, alors l’individu cherchera naturellement à modifier une de cescognitions pour retrouver un état d’équilibre.

71

phénomènes discriminatoires. Une bonne solution pour diminuer les conflits

peut donc consister à mélanger au sein des groupes (ou sous-groupes) des

appartenances catégorielles (par exemple, mélanger des hommes, femmes,

personnes issues de cultures et catégories sociales différentes,...).

4. Valoriser les échecs pour désinhiber les individus et

optimiser le processus d’innovation

Pour favoriser l’innovation au sein d’un groupe ou d’une organisation, les

individus doivent apprendre à accepter leurs échecs passés, et à les exploiter

pour construire des idées nouvelles. Il est important qu’ils apprennent à

considérer les échecs comme aussi importants que les succès, car ceux-ci

sont source d’instruction pour comprendre le présent et appréhender

l’avenir. Ainsi, d’un échec passé peut très bien émerger une grande leçon

ou idée qui permettra à l’organisation de changer/adapter sa stratégie et

améliorer son développement futur. Besson souligne leur importance en

disant que « les échecs sont indispensables à prendre en compte dans le travail

d’analyse effectué par le groupe ». Le groupe ne doit pas non plus être

« ethnocentré136 » et doit impérativement s’intéresser à l’étude de son

environnement et des potentiels échecs subis par les autres groupes afin de les

intégrer dans leur propre « mémoire » et éviter de répéter les erreurs déjà

produites par d’autres (ou à l’inverse s’inspirer de leurs succès).

136 « Fait de considérer son groupe comme le centre du monde, un étalonpermettant l’évaluation des autres groupes, évidemment supérieur à tous lesautres ». (Summer)

72

5. De la nécessité de l’anonymat et de l’intimité pour

favoriser la proposition de nouvelles idées et lutter contre la

polarisation des attitudes

La possibilité de s’exprimer et de proposer de nouvelles idées de manière

anonyme est nécessaire pour favoriser l’innovation. Sans l’imposer, il est

indispensable que les individus appartenant à un groupe puissent proposer de

nouvelles idées sans dévoiler leur identité. Ceci est très important pour éviter

que la peur (qui génère l’auto-censure), liée à la prise de position

personnelle (s’engager fait nécessairement prendre des « risques »), du

jugement des autres ou de la remise en cause de l’existant qui pourrait

engendrer l’exclusion sociale, ne vienne brider les pensées de l’individu. Les

chances de ce groupe d’imaginer d’autres futurs et remettre en cause sa

« réalité sociale » en seraient ainsi diminuées. La prise en charge par l’autorité

de la responsabilité liée aux idées émises n’est ainsi pas suffisante pour

pleinement désinhiber les individus et devra être couplée avec la possibilité de

proposition anonyme.

Les membres du groupe doivent également avoir la possibilité de s’isoler et

de disposer d’une réelle intimité dans le cadre de leurs réflexions

concernant l’avenir du groupe. Un individu peut ainsi avoir besoin de se retirer

momentanément d’un groupe pour produire des réflexions et des pensées qui

ne soient pas influencées consciemment ou inconsciemment par les autres.

Selon les études menées notamment par Zajonc sur la facilitation sociale137, la

simple présence de personnes138 génère chez un individu un stimulus (aussi

137 Étudiée initialement par Triplett. Selon lui, « autrui apparaît comme unélément facilitateur et stimule la performance individuelle ».138 Qu’elles soient en état d’« audience » (simples spectateurs donc passifs) oude « coaction » (effectuent la même tâche que le sujet donc actifs).

73

appelé « drive ») qui a pour particularité d’induire chez lui un

sur-investissement dans ses actions. Ce stimulus peut être bénéfique dans le

cadre de comportements « dominants », c’est-à-dire les plus fréquents ou

probables. Cependant, il peut aussi brider ses facultés intellectuelles et

réflexives, par la pression consciente subie par l’individu (appelée « drive

secondaire ») et ainsi inhiber ses capacités intellectuelles et imaginatives. Il

est donc indispensable de permettre aux individus de produire de nouvelles

idées et actions de manière anonyme pour favoriser sa désinhibition et

l’amener à adopter de nouveaux comportements n’allant pas forcément

dans le sens des « dominants ». Libaert et d’Almeida rajoutent que la

proposition d’idées de manière anonyme permet d’éviter deux écueils :

celui du filtre de l’encadrement et celui des craintes individuelles (...). Ils

rajoutent que « la direction (...) escompte via ce travail une amélioration de

son fonctionnement par un recours à la créativité de chaque salarié ».

De plus, le fait qu’un individu puisse s’extraire momentanément d’une

situation ou d’un problème donné peut lui donner une meilleure capacité

d’analyse de la situation en étant plus à même de porter un jugement

critique et réflexif sur celle-ci. C’est pourquoi un individu qui évolue en

permanence sous la pression sociale via le regard des autres ne peut

véritablement produire des idées « indépendantes », car soumis à un

conflit et une pression intérieur résultant de cette sensation constante de

jugement en provenance du groupe.

Donner la possibilité de s’isoler et de produire des réflexions et décisions

individuelles et intimes (et non soumises en permanence à la pression sociale

et l’effet de groupe) permet également de lutter contre le phénomène de

polarisation des attitudes. Ce concept étudié par Doise, Moscovici et

Zavalloni met en évidence que les individus sont plus susceptibles d’adopter

74

en groupe des positions plus extrêmes que celles qu’ils adoptent de manière

individuelle. Ainsi, le groupe produit un effet sur l’individu l’amenant à

radicaliser sa propre attitude après interaction et prise de décision avec

les autres membres.

Doise et Moscovici soulignent que l’effet de polarisation du groupe

« s’effectue vers la norme, le Zeitgeist (esprit du temps) de la culture ou de

la société dans laquelle les membres évoluent ». Ceux-ci seront plus

susceptibles d’adopter, après consensus (discussion et décision collective) une

attitude plus extrême allant dans le sens des cognitions partagées par le

groupe (par exemple, si le groupe possédait un point de vue négatif sur un

sujet donné, alors celui-ci adoptera après consensus plus facilement une

attitude encore plus négative à son égard). L’individu, en situation de

postconsensus (nouveau jugement individuel) sera lui aussi plus susceptible de

radicaliser son attitude de manière négative à l’égard du sujet. Il est donc

fondamental d’encourager au sein du groupe les différences d’opinion et

de croyances, afin de limiter ce phénomène naturel de radicalisation

attitudinale collective.

La difficulté majeure pour le groupe est pour résumer de trouver un bon

compromis entre valeurs, culture collective, buts supra-ordonnés

(nécessaires à la cohésion sociale) et culture de la diversité idéologique et

cognitive indispensable à l’intelligence collective, la créativité et

l’innovation. Il est nécessaire que les individus puissent produire leurs

propres réflexions, indépendantes de toute influence sociale (consciente ou

inconsciente), afin de les amener à soutenir plus facilement et

« sincèrement » les discours ou idées proposés par d’autres, qui

s’accorderaient avec leurs propres convictions personnelles « intimes » en

dépit de celles collectivement partagées. Ainsi, comme le souligne

75

Moscovici, dans le processus d’innovation une partie de la majorité est

sensible aux arguments d’un individu seul ou d’une minorité, soit parce

que le discours correspond à celui auquel elle a pu penser en privé, soit

parce que celui-ci chahute les convictions existantes, soit parce qu’elle est

attirée par ceux qui osent braver les idées en place . La solidarité et la

collaboration entre les individus doit donc toujours s’effectuer dans le respect

du besoin naturel d’intimité de chacun.

76

Conclusion

L’innovation, la créativité et l’intelligence collective sont des processus

réellement indispensables pour faire face à un environnement en perpétuel

changement et demandant une adaptation vitale de la part des individus. Les

favoriser au sein d’un groupe c’est se donner les chances de ne pas subir mais

d’influencer son environnement en saisissant ou créant des opportunités

permettant d’appréhender de manière sereine son avenir. Le concept de

« motivation intrinsèque » que nous avons analysé bouleverse complètement

les anciens paradigmes managériaux. Il démontre via de nombreuses

expériences que la clé de l’innovation réside dans la valorisation, la

reconnaissance, l’engagement volontaire des individus et leur désir

profond de participer à l’évolution positive du groupe via l’imagination

d’une multitude de futurs possibles pour celui-ci. Il est fondamental pour

favoriser l’émergence de nouvelles idées de réformer concrètement nos

anciens systèmes et modes de management basés sur la motivation

extrinsèque, devenus obsolètes à l’heure où les idées, l’intelligence et les

connaissances deviennent le véritable moteur et besoin de nos sociétés.

Favoriser l’innovation au sein d’un groupe, c’est donc remettre l’humain et

son formidable potentiel imaginatif au cœur de celui-ci.

77

Sources et références

Ouvrages

➢ BESSON Bernard, POSSIN Jean-Claude, Du renseignement à

l’Intelligence Economique, Dunod, 2001, 331p.

➢ CASALAGNO Federico, Mémoire quotidienne : communauté et

communication à l’ère des réseaux, Laboratoire de communautique

appliquée, Les presses de l’université de Laval (PUL), 2005, 270 p.

➢ FESTINGER Léon, RIECKEN Hank, SHACHTER Stanley,

L’échec d’une prophétie, PUF, 1993, 272 p.

➢ FISCHER Gustave-Nicolas : Les concepts fondamentaux de la

psychologie sociale, Dunod, 2005, 278 p.

➢ KIESLER Charles Andrew, Psychology of Commitment :

Experiments Linking Behaviour to Belief, Academic Press Inc, Social

Psychology Monographs, 1971, 190 p.

➢ MAISONNEUVE Jean, La dynamique des groupes, PUF, 2002,

127 p.

➢ MARCON Christian, MOINET Nicolas, Enseigner la

Stratégie-Réseau : un défi méthodologique et culturel pour

l’Intelligence Economique, in Benchmark Européen de pratiques en

Intelligence Economique, Dir. LARRAT Pierre, L’Harmattan, 2008,

419 p.

➢ MILGRAM Stanley, Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy,

Liberté de l’esprit, 1994, 270p.

78

➢ MOSCOVICI Serge, Psychologie des minorités actives, PUF, 1988,

275 p.

➢ PINK Dan, A Whole New Mind : Moving from the Information Age

to the Conceptual Age, Riverhead Hardcover, 2005, 260 p.

➢ SCHRECKER Cherry, La communauté : Histoire critique d’un

concept dans la sociologie anglo-saxonne, L’Harmattan, 2006, 284 p.

➢ TAJFEL Henri, Differentiation between social groups : Studies in

the social psychology of intergroup relations, European Association

of Experimental Social Psychology by Academic Press, 1978, 474 p.

Etudes universitaires

➢ DEMORGON Jacques et MERKENS Hans, Les cultures

d’entreprise et le management interculturel, Textes de travail, Office

Franco-Allemand de la Jeunesse, 1998, 155 p.

http://www.ofaj.org/paed/texte2/intmanagfr/intmanagfr.html

➢ DURKHEIM Emile, Communauté et société selon Tönnies, 1889.

Extrait de la Revue philosophique, 27, 1889, pp. 416-422.

http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/textes_1/textes_

1_13/commu naute_societe_tonnies.pdf

➢ HEBRARD Christophe, Introduction à une ethnologie des

communautés virtuelles.

http://recherche.univ-montp3.fr/cerce/r2/c.h.htm

79

Articles

➢ CAVAZZA Fréderic, Web2.0 : la révolution par les usages , JDN

Solutions, 19 décembre 2005

➢ HUYGHE François-Bernard, Web 2.0 : outils et réseaux

d’influence - communauté, coopération, compétition , 22 mai 2008.

http://www.huyghe.fr/actu_542.htm

➢ Ressources électroniques de Jacques Moreau, ingénieur en gestion

d’entreprise :

http://www.jmn-moreau.com/index.php/ressources/articles-en-ligne

Vidéos

➢ Expérience de Asch sur le conformisme :

http://www.dailymotion.com/video/xdtniv_lyexperience-dyasch-et-le-c

onformis_news

➢ Expérience sur la théorie de l’engagement :

http://www.canalu.tv/producteurs/les_amphis_de_france_5/dossier_pr

ogrammes/psychologie/regards_sur_la_psychologie_sociale_experime

ntale/les_effets_d_une_procedure_d_engagemen

➢ Conférence de Dan Pink au TEDx (plate-forme de rencontres et

moments d’échanges et de réflexions autour d’idées nouvelles) sur la

motivation et l’innovation :

http://www.ted.com/talks/dan_pink_on_motivation.html

80

➢ Documentaire sur l’expérience de Zimbardo sur les rôles :

http://www.youtube.com/watch?v=FkmQZjZSjk4

Sites Internet et Blogs

➢ Sites sur la psychologie sociale :

http://www.psychologie-sociale.com/ et

http://www.psychologie-sociale.eu/

➢ Blog de Nicolas Rouillot, Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques

de Paris : http://www.le-politiste.com/

➢ Blog de Matthieu Poirot, Docteur en psychologie du travail :

http://psychologiepositiveautravail.blogspot.com

➢ Site de débats, animé avec une ambition de tolérance et de sérieux

par Jean-Léon Beauvois et Claude Rainaudi sur la politique, la

géopolitique, la culture, l’idéologie et les sciences humaines :

http://liberalisme-democraties-debat-public.com/

➢ Site de Canal-µ, vidéothèque numérique de l’enseignement

supérieur affilié au Ministère de l’Education Nationale :

http://www.canal - u.tv/producteurs/les_amphis_de_france_5/dossier_p

rogrammes/psychologie/

Autres documents

➢ Cours de Jean-Luc Hannequin, Directeur du Centre Européen

d’Entreprise et d’Innovation d’Ille et Vilaine (Créat’IV) sur

l’Intelligence Economique et l’innovation

➢ Cours de Bernard Besson, expert en Intelligence Economique

81

82