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1 Comment faire mieux avec moins ? Une étude du métabolisme urbain du territoire de Plaine Commune Pourquoi une étude de métabolisme urbain ? Chaque année, chaque français consomme en moyenne 12 tonnes de matières toutes sources confondues, voire le double si l’on tient compte des ressources inutilisées (terres excavées, ) et contenues dans les produits importés i . De par leur concentration de population et d'activités, les villes actuelles sont particulièrement consommatrices de matières (consommation de biens courants par les habitants et les entreprises, consommation de ressources pour la construire, ) et génératrices de déchets ; par ailleurs, leur densité induit le fait que la plus grosse partie de la production qu'elles absorbent provient de l'extérieur de leurs limites, et qu'elles n'ont généralement pas l'espace suffisant pour stocker leurs propres déchets . Elles dépendent donc en grande partie de territoires extérieurs pour vivre et se développer. Au delà du pétrole et de certains métaux rares qui commencent à poser des problèmes sérieux à nos économies globales, il apparaît des tensions croissantes sur certains matériaux très usuels, à des échelles plus locales : ainsi, les ressources francilienne de granulats pour béton diminuent tendanciellement, obligeant la région à importer une part croissante (environ 50% à l’heure actuelle) des granulats utilisés dans la construction régionale. A l’autre bout de cette chaîne de consommation linéaire, les exutoires de déchets inertes sont de plus en plus saturés, obligeant à exporter de plus en plus loin (jusqu’en Belgique) les terres excavées et les déchets de déconstruction. Des tensions pointent déjà, alors que les projets d’infrastructures et de construction de logements (+ 70 000 / an) du Grand Paris n’ont pas encore démarré. Ces derniers risquent d’engendrer une croissance des besoins en matériaux de l’ordre de 30% et d’exutoires de plus de 50%. Ces contraintes à venir ainsi que le constat du caractère non durable du système de consommation actuel (très consommateur de ressources, cloisonné selon les commanditaires, les usages, source de gaspillages, ) font l’objet d’un consensus large ; les principes de sobriété en ressources sont d’ailleurs intégrés dans un nombre croissant de documents cadres (Livre blanc de l’UE, Stratégie Nationale de la Transition Ecologique, SDRIF, ), mais dans les faits, la mise en place d’une économie plus sobre en ressources naturelles peine à se concrétiser. Pourtant la forte dépendance de nos économies à ces matières ainsi que les risques que leur surexploitation engendre sur la biosphère (et les sociétés humaines à terme), invitent à trouver rapidement et sérieusement des manières de « faire mieux avec moins ». Dans ce contexte, les services du développement économique et des projets urbains de la Communauté d’Agglomération de Plaine Commune ii ont conjointement mandaté Carbone4 (en collaboration avec l’Atelier d’urbanisme Act’Urba et le cabinet Quattrolibri) pour la réalisation d’une analyse des flux et des consommations de ressources sur le territoire, autrement appelée « métabolisme urbain », avec un regard particulier sur les enjeux sur les projets urbains du territoire (et les ressources du BTP). La notion de « métabolisme » renvoie aux processus de transformation et d’échange de la matière dans un système (dans une cellule, un corps vivant, un écosystème naturel, une société industrielle, ). Dans le cadre du Grand Paris, ce territoire a signé début 2014 un Contrat de Développement Territorial (CDT), qui prévoit notamment le renouvellement de 30 à 40% de son territoire (d’anciennes friches industrielles pour l’essentiel) à l’horizon 2030. Cet ambitieux programme de construction soulève la question de la disponibilité des moyens physiques de sa réalisation, à un coût accessible iii , et plus largement de sa soutenabilité.

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Comment faire mieux avec moins ? Une étude du métabolisme urbain du territoire de

Plaine Commune

Pourquoi une étude de métabolisme urbain ? Chaque année, chaque français consomme en moyenne 12 tonnes de matières toutes sources confondues, voire le double si l’on tient compte des ressources inutilisées (terres excavées, …) et contenues dans les produits importési. De par leur concentration de population et d'activités, les villes actuelles sont particulièrement consommatrices de matières (consommation de biens courants par les habitants et les entreprises, consommation de ressources pour la construire, …) et génératrices de déchets ; par ailleurs, leur densité induit le fait que la plus grosse partie de la production qu'elles absorbent provient de l'extérieur de leurs limites, et qu'elles n'ont généralement pas l'espace suffisant pour stocker leurs propres déchets . Elles dépendent donc en grande partie de territoires extérieurs pour vivre et se développer. Au delà du pétrole et de certains métaux rares qui commencent à poser des problèmes sérieux à nos économies globales, il apparaît des tensions croissantes sur certains matériaux très usuels, à des échelles plus locales : ainsi, les ressources francilienne de granulats pour béton diminuent tendanciellement, obligeant la région à importer une part croissante (environ 50% à l’heure actuelle) des granulats utilisés dans la construction régionale. A l’autre bout de cette chaîne de consommation linéaire, les exutoires de déchets inertes sont de plus en plus saturés, obligeant à exporter de plus en plus loin (jusqu’en Belgique) les terres excavées et les déchets de déconstruction. Des tensions pointent déjà, alors que les projets d’infrastructures et de construction de logements (+ 70 000 / an) du Grand Paris n’ont pas encore démarré. Ces derniers risquent d’engendrer une croissance des besoins en matériaux de l’ordre de 30% et d’exutoires de plus de 50%. Ces contraintes à venir ainsi que le constat du

caractère non durable du système de consommation actuel (très consommateur de ressources, cloisonné selon les commanditaires, les usages, … source de gaspillages, …) font l’objet d’un consensus large ; les principes de sobriété en ressources sont d’ailleurs intégrés dans un nombre croissant de documents cadres (Livre blanc de l’UE, Stratégie Nationale de la Transition Ecologique, SDRIF, …), mais dans les faits, la mise en place d’une économie plus sobre en ressources naturelles peine à se concrétiser. Pourtant la forte dépendance de nos économies à ces matières ainsi que les risques que leur surexploitation engendre sur la biosphère (et les sociétés humaines à terme), invitent à trouver rapidement et sérieusement des manières de « faire mieux avec moins ». Dans ce contexte, les services du développement économique et des projets urbains de la Communauté d’Agglomération de Plaine Communeii ont conjointement mandaté Carbone4 (en collaboration avec l’Atelier d’urbanisme Act’Urba et le cabinet Quattrolibri) pour la réalisation d’une analyse des flux et des consommations de ressources sur le territoire, autrement appelée « métabolisme urbain », avec un regard particulier sur les enjeux sur les projets urbains du territoire (et les ressources du BTP). La notion de « métabolisme » renvoie aux processus de transformation et d’échange de la matière dans un système (dans une cellule, un corps vivant, un écosystème naturel, une société industrielle, …). Dans le cadre du Grand Paris, ce territoire a signé début 2014 un Contrat de Développement Territorial (CDT), qui prévoit notamment le renouvellement de 30 à 40% de son territoire (d’anciennes friches industrielles pour l’essentiel) à l’horizon 2030. Cet ambitieux programme de construction soulève la question de la disponibilité des moyens physiques de sa réalisation, à un coût accessible iii , et plus largement de sa soutenabilité.

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L’étude dure 1 an, et comprend 5 phases ; l’enjeu est : - d’évaluer l'impact des tensions sur les ressources naturelles (granulats notamment, mais plus largement, énergies fossiles, ...) et des exutoires de déchets sur la programmation et la réalisation des projets urbains, à travers :

. un diagnostic global des tensions sur les matières utilisées dans le secteur du BTP (phase 1) . une analyse de flux (AFME) pour quantifier les enjeux du « métabolisme urbain » de Plaine Commune (phase 2) . des scénarios prospectifs quantifiés pour évaluer la faisabilité des projets urbains à venir (phase 3)

- d’identifier des pistes opérationnelles, ainsi que des indicateurs de suivi, pour engager des actions « pour faire mieux avec moins » ; à travers quatre groupes de travail thématiques dont l’objectif est d’approfondir des leviers

d’action et d’en préciser les modalités opérationnelles (phase 4) - de sensibiliser toutes les parties prenantes (élus, administration, entreprises, citoyens, ...) à l'enjeu d'une meilleure gestion des ressources, afin d'impulser une action collective concrète, sur la base de méthodes pédagogiques innovantes (« jeux de rôle ») (phase 5) i. Source : CGDD, Matières mobilisées par l'économie française de 1990 à 2011 : une relative stabilité perturbée par la crise économique, Chiffres et statistiques n° 410, avril 2013 ii. Regroupant 9 communes (Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen (depuis 2013), Stains et Villetaneuse), soit 408 000 habitants, 136 000 emplois, sur environ 5 000 hectares (soit la moitié de la surface de Paris). iii. Dans un contexte de rente foncière accrue, le coût de production des logements devient un enjeu crucial pour l’accessibilité des ménages à l’immobilier ; d’autant plus dans un territoire, qui comme Plaine Commune, héberge une population dont les revenus sont significativement contraints (environ 12 000 €/ménage/an, à comparer à la moyenne francilienne de 22 000 €/ménage/an en 2010)

Le constat d’un métabo-lisme « hyper-urbain » de consommation et d’échange

Une Analyse de Flux de Matières et d’Energie a d’abord été réalisée sur des données concernant l’année 2012, selon la méthodologie mise au point à travers le projet ANR Confluent conduit par Sabine Barles, et qui vient d’être diffusée par le CGDD1. 1 . Estimation réalisée sur des sources départementales essentiellement, extrapolées à l’échelle de Plaine Commune au prorata de la population (26%)

- pour les extractions du territoire : base Agreste (93) pour

Il en ressort :

- que les matériaux de construction constituent le premier poste d’entrée (avec 1,3 Mt/an), et que les déchets de construction le premier poste de sortie (idem), très largement avant les consommations de combustibles et d’alimentation2.

- Au total, les flux de matière représentent en moyenne 11 t/habitant et par an, ce qui est conséquence car ce total n’intègre pas l’ensemble des « flux indirects » de matières incorporés aux importations de produits agricoles et manufacturés ; en effet, le territoire importe la quasi-totalité de ses consommations.

- Ces flux, sur une distance moyenne d’environ 130 km en entrée et 100 km en

la biomasse et données UNICEM (93) pour les matériaux,

- pour les rejets du territoires : ADEME pour le territoire de Plaine Commune

- pour les importations et exportations de matières et déchets : base SITRAM (93)

- pour les importations d’énergie : bilan carbone de Plaine Commune.

Les flux d’équilibrage sont estimés avec les ratios de la méthodologie. 2 . Les importations et exportations de produits manufacturées comprennent une grosse part de produits qui sont juste en transit sur le territoire, compte tenu de la forte activité logistique du département.

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sortie (soit environ 600 000 t.km/an), et réalisés essentiellement par transport routier, engendrent une consommation de combustibles fossiles significative (20 Mt/an, et l’émission de 70 000 t de CO2)

- Des flux entrants de matériaux de construction constitués pour 50% de granulats ; des flux sortants de déchets de déconstruction comprenant pour près de 60% de terres excavées et des déchets de béton, avec une logistique plus courte et moins exclusivement, mais encore majoritairement, routière.

- Une création nette de stock nulle, caractéristique d’un métabolisme de renouvellement urbain. Le ratio des entrées de matériaux (1,3 Mt/an) sur l’estimation du stock bâti (environ 40 Mt) confirme le rythme accéléré de renouvellement de ce territoire (2% environ, contre 1% en moyenne générale). Dans ce contexte, les démolitions peuvent être vues comme un gisement potentiel de matériaux à valoriser.

Globalement, le métabolisme de Plaine Commune est, à l’instar de celui de l’Ile de France3, un métabolisme de consommation et d’échange, caractéristique de territoires « hyper urbains » qui consomment massivement et produisent une très faible part de leurs besoins ; cette dépendance est à la fois un enjeu de résilience pour le territoire et de solidarité vis à vis des territoires prestataires.

Ces conclusions, emblématiques d’un mode de développement linéaire, ne sont pas véritablement surprenantes au vu des habitudes de consommation et de la globalisation à l’œuvre dans notre société depuis plusieurs décennies. Pour autant, dans un contexte de raréfaction et de tensions probables, ces constats appellent au développement d’une gestion plus circulaire des ressources.

« Ça se fait déjà » Diverses expérimentations donnent déjà des pistes et une mesure de solutions réalisables et viables. Citons, sans volonté d’exhaustivité : 3. Mesuré par Sabine Barles, in Comparaison des bilans de matières brute : vers une typologie des territoires, T43 du Projet Confluent, juin 2013.

- une expérience réussie de recyclage de béton in-situ sur le chantier Neaucité de l’éco-quartier Confluence à Saint Denis,

- des expérimentations de réemploi de matériaux pour la conception de mobilier urbain, réalisées par l’association Bellastock, en particulier sur le site de l’Ile de Saint Denis,

- la démarche « zéro déchets » engagée par la ville de San Francisco depuis plus de 10 ans, qui vise de recycler 100% des déchets à l’horizon 2020, et implique déjà le recyclage de 65% des déchets de déconstruction,

- l’obligation de construction « 100% passif4 » que la ville de Bruxelles est en mesure d’exiger à compter de 2015, après une dizaine d’année d’expérimentations progressives et diverses à travers le territoire,

- à travers l’exemple du Voralberg, le développement d’un savoir faire reconnu, fondé sur l’exploitation d’une ressource locale renouvelable,

- l’obligation d’utiliser un minimum de 50% de béton recyclé dans les constructions du canton de Zurich, afin de limiter la pression sur les granulats naturels, ….

Ces quelques exemples permettent surtout d'appréhender la multiplicité des voies possibles pour réduire le recours aux matériaux naturels non renouvelables et le rejet des déchets dans la nature. Outre le fait qu'il montre que d'autres voies sont possibles, il permet notamment d'illustrer :

- la nécessité mais aussi la force du volontarisme (des collectivités, mais aussi des entreprises, des citoyens ou d'associations), pour changer des manières de faire,

- la progressivité nécessaire des actions (mettre l'ensemble des acteurs au bon niveau de sensibilisation et de compétences, procéder à des expérimentations aussi diversifiées que possibles pour couvrir un large spectre de situations …) afin de s’assurer que le « choc normatif » (nouvelle norme de construction, objectif absolu de réduction des déchets, …) s'ancre dans les

4. Selon le standard « passiv haus »

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processus, et ne reste pas lettre morte, faute de compréhension, de compétences, et d’organisations adéquates. En ce sens, les expérimentations doivent être conçues en vue de leur généralisation à terme,

- le caractère fondamental d’une approche locale, pourvoyeuse de compétitivité et de création de richesse en retour.

Ce sont là les principes qui animent la réflexion engagée sur le territoire de Paine Commune.

Comment rendre le CDT plus soutenable ? Une approche par scénarios Si une chose est sûre, c’est que le futur n’est pas la réplication du passé, et le sera d’autant moins que nous entrons dans un monde de plus en plus incertain et volatil. Plutôt que de chercher inutilement à prolonger des tendances, il convient d’évaluer dans différents environnements futurs possibles, les pistes permettant de le rendre plus résilient. La construction de scénarios prospectifs oblige à un effort de prise de recul et d’imagination, utile pour s’abstraire des modes de raisonnement et d’action actuels. Dans un souci de proposer un outil à la fois porteur et simple à partager, le cabinet Carbone 4 a développé un cadre général de quatre scénarios fondés sur la contrainte sur les ressources (+/- forte) et la capacité d’anticipation pour trouver des voies de développement qui permettent de s’en détourner (+/- de volontarisme). Le caractère nécessairement schématique de ces configurations permet de faire ressortir des évolutions suffisamment contrastées pour illustrer des voies alternatives et mettre en lumière leurs impacts.

A travers l’animation d’un groupe pluridisciplinaire constitué d’acteurs du territoire (membres des services de l’administration du territoire, entreprises, associations, …) et autour (région, département, experts sectoriels, …), il s’agit de « co-construire » une représentation du territoire dans chacun de ces scénarios, et des enjeux associés (vis à vis des projets urbains en particulier).

Sur la base de cette construction partagée, Carbone 4 procèdera à une estimation des besoins de matériaux, d’exutoires de déchets et des flux logistiques associée à chacun de ces scénarios. Ces scénarios sont actuellement encore en cours de description, mais indiquons en ici quelques lignes directrices, sans préjuger des résultats à

venir : - le scénario « loin des limites » (pas de

contrainte sur les ressources, pas de volontarisme politique) illustre l’inertie des pratiques ; il illustrera les impacts d’une réalisation de l’ensemble des programmes urbains envisagés dans le CDT avec des moyens similaires à ceux utilisés actuellement (construction essentiellement en béton issu de granulats vierges).

- à l’opposé, le scénario « perte de contrôle » (crise systémique, fortes tensions sur les ressources, gouvernance absente ou impuissante) interrogera probablement les ambitions de construction du CDT, et surtout la manière de le réaliser. Dans un tel contexte (qui est celui de la Grèce ou de la ville de Détroit depuis quelques années déjà), la réhabilitation sera peut être privilégiée à la reconstruction.

- Un premier scénario volontariste envisage que l’on essaie de s’abstraire des contraintes par des substitutions permises par l’innovation technique et techno-logique. Ce scénario « new green deal technologique » est marqué par un volontarisme fort d’anticiper les contraintes, et l’acquisition des moyens d’action, via une taxation environnementale, qui permet de financer un important programme de R&D et d’investissements en nouvelles technologies de matériaux, de procédés,

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et d’efficience énergétique. Ce scénario de « croissance verte » s’inscrit dans une certaine continuité organisationnelle avec ce qui se fait aujourd’hui, et permettra d’estimer le potentiel (et les impacts sur d’autres ressources) de ces substitutions.

- Un dernier scénario, tout aussi volontariste, envisage à l’inverse, un recentrage local et la construction de boucles de circulation et de réutilisation des matières. Avec le même objectif de s’éloigner des contraintes, ce « green new deal circulaire » explore la voie d’un métabolisme urbain globalement plus sobre en ressources.

Des groupes de travail thématiques A l’issue d’une première phase d’auditions de différents experts, diverses pistes d’action ont été identifiées et proposées, dont quatre majeures retenues. Celles-ci sont traitées à travers quatre groupes thématiques, multidisciplinaires, qui devront à l’issue d’un travail d’analyse, émettre des propositions concrètes d’actions et/ou d’expérimentations. Les thèmes abordés sont :

- les synergies entre chantiers et travaux : la réintégration de matériaux issus des déconstruction posent la question concrète de la coordination de ces flux : identifier les gisements et débouchés potentiels, gérer l’interaction entre les chantiers donneurs et receveurs (stockage des matériaux, aléas de planning, …), nécessitent la définition de rôles et de modes de fonctionnement nouveaux.

- L’intégration plus systématique de clauses incitant à l’usage de matériaux alternatifs (écologiquement bénéfiques, tels que les matériaux bio-sourcés) ou recyclés dans les appels d’offre de la collectivité. L’importance de la commande publique en volume d’affaire, ainsi que son caractère d’exemplarité en font un vecteur de prédilection pour une collectivité soucieuse d’impulser des nouvelles pratiques.

- Les opportunités de développement local « endogène » portées par la création de boucles de réutilisation de

matériaux exigent une réflexion sur les compétences à mettre en œuvre, notamment pour que ces nouvelles activités bénéficient au maximum aux résidents du territoire5. Il convient aussi d’étudier comment passer du niveau expérimental à la généralisation, sans quoi les expérimentations risquent de rester à l’état de test.

- Enfin, la stratégie foncière à déployer vis à vis des activités induites par la réutilisation de matériaux (plate-formes de concassage, de stockage, unités de production de matériaux alternatifs …). Dans un contexte de pression foncière croissante, la disponibilité (pérenne ou temporaire) de foncier pour abriter ces activités dans des conditions de portage économiquement viables est cruciale.

Plus que des solutions, une démarche : la nécessité d’une approche systémique Sans diminuer l’importance des pistes concrètes qui sortiront de cette étude, l’enjeu premier de cette recherche-action est de sensibiliser l’ensemble des acteurs du développement urbain à l’urgence de changer de méthode.

Décloisonner dans un jeu d’acteurs complexe Le secteur du développement urbain est caractérisé, comme de nombreux autres domaines, par une multiplicité des acteurs, qui rend complexe leurs interactions.

Des élus, qui impulsent les très grandes lignes du développement urbain, aux services techniques de la collectivité et aménageurs qui le mettent en œuvre, à l’aide d’une chaîne de concepteurs, d'entrepreneurs, de fournisseurs de matériaux, de recycleurs, … jusqu'à la livraison aux propriétaires et aux usagers, le système de la

5 . Enjeu important pour un territoire dont la population est significativement défavorisée en terme de formation initiale, et pour lequel le développement d’une économie tertiaire a rapidement montré des limites en terme de développement économique local : 80% des actifs du territoire habitent en dehors, et 80% des résidents doivent sortir du territoire pour travailler.

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construction est une grande boucle ouverte et séquentielle de décisions, « en silo », engendrant des redondances, des incohérences, et des gaspillages.

Par ailleurs, les variables sont très liées les unes aux autres : réfléchir sur la ville, ce n’est pas uniquement réfléchir à la manière de la bâtir, mais aussi analyser comment les habitants vont s’y nourrir (production et acheminement des biens), travailler (dans ou hors du territoire), consommer, se déplacer, …. Si la complexité d’une problématique multidimensionnelle invite à un traitement parcellisé, il convient de garder toujours à l’esprit ces interactions. Une démarche systémique est intellectuellement et organisationnellement complexe, mais est indispensable pour trouver des réponses qui dépassent le cumul des visions et intérêts segmentés, incapables de gérer les biens communs que sont les ressources naturelles6.

La conception d’un « jeu de rôle » permettra de sensibiliser les acteurs à ces interactions, en particulier les élus.

Dépasser le « coût » de la transition Par ailleurs, dans un système où chacun s'active à minimiser ses propres coûts pour résister à la concurrence quotidienne, il est difficile de trouver d'emblée une alternative plus économique pour chacun, tout du moins au démarrage : les nouvelles solutions ne bénéficient généralement pas des économies d'échelle dont jouissent les solutions déjà en place, et subissent même des coûts supplémentaires d'apprentissage, de mise au point, de non standardisation, … qui viennent gonfler la facture, et peuvent freiner, voire empêcher leur mise en oeuvre. Et pourtant, collectivement, tout le monde aurait à gagner à cette transition.

Sans aller nécessairement jusqu’à des calculs lourds pour les estimer précisément, il est important d’intégrer dans les critères de décision, les externalités négatives évitées (arrêt des nuisances à la biodiversité liées à l’extraction de matières, pollution liées aux déchets, …) ou des externalités positives engendrées (création d’emploi local, …) par les solutions préconisées, afin d’en évaluer le bénéfice global. Voire d’assurer ponctuellement des redistributions afin de garantir la viabilité économique de ces solutions vis à vis de certains acteurs. 6. C’est là qu’intervient la force du volontarisme politique et le rôle particulier des élus : celui d’être porteur d'une impulsion générale, qui dépasse les spécialisations et rallie les différentes parties prenantes à la recherche d'une solution partagée. La sensibilisation des élus est un des grands enjeux de cette étude.

En synthèse, L’objectif de cette étude est d’initier une dynamique pour aller dans le sens d’une utilisation plus économes des ressources naturelles. Au lieu d’attendre que la raréfaction qui va s’imposer plus ou moins brutalement engendre par la nécessité des ajustements, la démarche engagée ici est volontaire et anticipatrice.

Si cette étude se focalise sur le secteur des projets urbains, dont nous avons mesuré l’enjeu particulier à travers l’analyse de flux de matière, la problématique concerne tous les aspects de la vie urbaine (alimentation, consommation courante, production …). L’enjeu majeur est ici de sensibiliser un maximum d’acteurs et construire une approche collective afin de créer une dynamique, qui écrira concrètement la manière de faire durablement « mieux avec moins ».

Elisabeth Sage